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Presses Universitaires du Mirail Évolutions récentes de la société et de l'espace mexicains Review by: François TOMAS Caravelle (1988-), No. 62, L'EXPRESSION DES IDENTITÉS AMÉRICAINES A PARTIR DE 1492: LES "ÉCRANS DE L'HISTOIRE" 1992 (1994), pp. 303-313 Published by: Presses Universitaires du Mirail Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40852309 . Accessed: 15/06/2014 21:51 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires du Mirail is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Caravelle (1988-). http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.79.56 on Sun, 15 Jun 2014 21:51:37 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

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Évolutions récentes de la société et de l'espace mexicainsReview by: François TOMASCaravelle (1988-), No. 62, L'EXPRESSION DES IDENTITÉS AMÉRICAINES A PARTIR DE 1492: LES"ÉCRANS DE L'HISTOIRE" 1992 (1994), pp. 303-313Published by: Presses Universitaires du MirailStable URL: http://www.jstor.org/stable/40852309 .

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Comptes Rendus 303

referencia al indio de America... Sino, también, en cuanto a la propia Europa de los años 90.

Pablo BERCHENKO

Évolutions récentes de la société et de l'espace mexicains

II y a six ans encore nous ne disposions pour connaître la géographie du Mexique que de quelques ouvrages généraux et d'études spécialisées destinées à un public restreint1. Depuis lors, comme pour rattraper le temps perdu, les publications se sont multipliées rendant compte des mutations les plus récentes de la société, de l'économie et de son espace ainsi que des multiples facettes de l'agglomération de Mexico dont on a cru un temps qu'elle était la plus grande ville du monde et qu'elle pourrait atteindre les 30 millions d'habitants en l'an 2000. De cette abondante production nous retiendrons ici une quinzaine de titres en privilégiant, sauf exception, ceux qui ont été publiés en France ou qui sont dus à des auteurs français.

Sur le Mexique dans son ensemble les deux livres de base sont désormais constitués^ par le tome III de la Géographie Universelle^ (du moins les deux premières parties) et par le manuel d'Alain Müssen. Ce dernier peut irriter en raison du caractère un peu trop rigide et passe- partout de son plan à tiroirs mais, grâce au sérieux et à l'homogénéité de son information et de son traitement, il a su se rendre indispensable. Loin de se limiter à une simple mise au point il replace d'ailleurs les mutations en cours dans la longue durée de l'histoire et renouvelle l'analyse des principes d'organisation proposés naguère par Claude Bataillon^. Un

Avec toutefois une exception puisque l'on doit à Alain Vanneph Le Mexique et ses populations. Ed.Complexe, Bruxelles, 1986, 250 p. Parmi les publications spécialisées on relèvera surtout "Problèmes d'Amérique Latine", dont plusieurs numéros, publiés quatre fois par an par la Documentation Française, sont consacrés au Mexique.

S'y ajoutera en 1994 un nouvel ouvrage dû à Jérôme Monnet, dans la collection "Géographie d'aujourd'hui" de Nathan.

D Roger Brunet (sous la direction de) Amérique Latine, tome III de la Géographie Universelle, Hachette/Reclus, Paris, 1991, 480 p. Ce tome a été rédigé par Claude Bataillon, Jean Paul Deler et Hervé Théry avec la collaboration, pour ce qui concerne les deux premières parties, de Claude Laugén ie, Jeanine Brisseau-Loaiza, Jean Revel- Mouroz et Hélène Rivière d'Arc.

Alain Musset Le Mexique. Masson, Paris, 1989, 255p. ^ Claude Bataillon Les régions géographiques du Mexique, publié d'abord en français en

1967 par l'Institut des Hautes Etudes d'Amérique Latine puis en espagnol à partir de

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complément utile sera apporté par le volume que la Géographie Univer- selle consacre à l'Amérique Latine dans la mesure où la diversité des éclairages (7 auteurs se partagent la rédaction des deux premières parties) nous permet de mieux apprécier les caractéristiques originales de la géographie mexicaine.

A ces deux productions somme toute classiques de la géographie française on doit désormais ajouter une remarquable somme qui vient de paraître sous le titre Le Mexique à l'aube du troisième millénaire^ . Ouvrage pluridisciplinaire il réunit d'utiles mises au point sur l'économie, l'Accord de Libre Échange de l'Amérique du Nord (ALENA) -Tratado de Libre Comercio (TLC) pour les Mexicains et North America Free Trade Agreement (NAFTA) pour les Nord-Américains-, la politique, le syndicalisme mais aussi l'organisation de l'espace et la démographie. La lecture du chapitre que Marie Eugénie Zavala de Cosío consacre à ce dernier sujet nous permet d'ailleurs de comprendre la perplexité dans laquelle nous plongent parfois les statistiques mexicaines. En 1990 le Mexique avait-il 88 millions d'habitants comme le prévoyait le Consejo Nacional de la Población (CO ÑAPO) ou seulement 8 1,1 41 millions comme l'a annoncé l'Instituto Nacional de Estadística, Geografía e Informática (INEGI) après le recensement de la population ? L'auteur croit que l'INEGI est dans l'erreur et donne comme argument un nombre de naissances enregistrées au long des années 80 incompatible avec une population de 81 millions. Mais cette incompatibilité ne vaut que si le taux de fécondité a aussi brutalement baissé qu'il nous est annoncé au long de la même période. Par ailleurs si les avis restent encore divergents sur les résultats du recensement de 1990, il semble désormais admis que ceux de 1980 avaient été volontairement surévalués -en particulier par les collectivités territoriales (l'INEGI n'existait pas encore) qui, pour préparer une décentralisation annoncée, pensaient qu'elles disposeraient de plus de crédits si elles déclaraient une population plus importante. Par ailleurs, reprenant une évaluation de 1987 des Nations-Unies M.E. Zavala de Cosío nous donne un taux d'urbanisation de 72,6 % pour 1990 alors que pour les chercheurs du Colegio de Mexico7 il ne serait que de 57,45 % (en retenant les données du recensement de 1 990 et en portant le seuil qui

1 969 par Siglo Veintiuno, Mexico, sous le titre Las regiones geográficas en México. La 9eme ¿dit. corrigée et augmentée date de 1 988.

° Marie France Prévôt- S ha pira, Jean Revel-Mouroz, coordinateurs, Le Mexique à l'aube du troisième millénaire. CREDAL/IHEAL, Paris, 1993, 253p.

' cf. par exemple Juan José Ramirez La distribución espacial de la población. Instituto Lucas Alamán, Mexico, 1992, 91p.

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sépare la population urbaine de la population rurale de 2 500 à 1 5 000 personnes agglomérées). Que dire enfin de l'agglomération de Mexico que le CONAPO voyait dépasser les 20 millions en 1990 et se situer entre 25 et 30 en l'an 2000 alors que l'INEGI ne lui en attribue que 15 millions ! Comme d'autre part le solde migratoire négatif de la ville centre (le District Fédéral) semble sur le point de compenser le solde migratoire positif des communes suburbaines on n'y est même plus certain d'atteindre les 20 millions au tournant du millénaire. De toute façon l'utilisation politicienne qui est faite de toute donnée statistique ne peut que nous inciter à la plus grande prudence -c'est ainsi qu'en ce mois d'octobre 1993 on disserte beaucoup au Mexique sur la population vivant en dessous du seuil de la très grande pauvreté dont le taux serait passé d'après l'INEGI de 18 à 16% entre 1989 et 1992 alors qu'une publication récente de la Banque Mondiale avait évalué ce taux à 16,6 % en 1980 et à 22,6 % en 19898.

Si je m'attarde sur cet ouvrage c'est aussi en raison de deux courtes notes de Daniel Hiernaux et de Marielle Pépin Lehalleur (sur les nouvelles tendances de la recomposition territoriale et sur l'émergence d'un Mexique rural post-agrariste) et surtout d'une présentation de la frontière américano-mexicaine dans laquelle Jean Revel Mouroz nous donne en quarante pages fort bien illustrées une synthèse impressionnante de rigueur, de précision et de finesse. Il y aborde, en effet, toutes les évolutions récentes que ce soit dans le domaine des migrations et des échanges ou dans celui des activités économiques avec bien entendu un accent particulier mis sur le phénomène de la maquiladora. Puis il complète ces analyses par une réflexion sur les agglomérations binationales et sur les relations interurbaines, qui renouvelle notre appréhension de l'organisation de l'espace dans des Nords mexicains de plus en plus autonomes par rapport à Mexico dont la limite de polarisation se situerait désormais en deçà d'une ligne passant au sud de Manzanillo, Guadalajara, Aguascalientes et Tampico.

Sur l'évolution des campagnes mexicaines nous ne disposons d'aucune synthèse récente mais on vient de publier les résultats de plusieurs études approfondies menées à un niveau local ou régional. Sous le titre Los empresarios agrícolas y el Estado c'est par exemple des transformations intervenues dans l'État de Sinaloa entre 1893 et 1984 que traite Hubert

8 Latin America and the Caribbean. A decade after the debt crisis. The World Bank, 1993. Pour la Banque Mondiale le seuil est représenté par un revenu de 60 dollars par personne et par mois.

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Carton de GrammontA Un espace et une période particulièrement représentatifs puisque l'État y a fortement investi dans les infrastructures et l'irrigation (plus de 500 000 hectares) en même temps qu'il y développait colonisation de nouvelles terres et réforme agraire. Mais aussi et surtout en raison de l'essor d'une organisation agricole, financière et commerciale qui a permis à de gros producteurs -d'abord de sucre puis de légumes, en particulier de tomates-, souvent d'origine étrangère, d'émerger puis de s'affirmer en tant que groupe. Grâce aux revenus qu'ils tiraient de leur insertion dans les filières des marchés tant national qu'international ils purent même investir dans l' agro-alimentaire puis dans d'autres activités économiques, y compris dans le tourisme, au point de devenir la composante la plus dynamique de la bourgeoisie sinaloense.

Bien différentes sont les nombreuses études menées depuis quelques années dans l'État du Michoacán par des géographes et des sociologues du Groupe de Recherche sur l'Amérique Latine (GRAL/ Toulouse) et de l'ORSTOM en relation étroite avec ceux du Colegio de Michoacán. Il s'agit certes là d'une portion limitée de l'espace mexicain (moins de 60 000 km2) mais où de fortes communautés indiennes coexistent plus ou moins difficilement avec des créoles et surtout des métis et dont Claude Bataillon nous rappelle qu'elle constitue à elle seule un microcosme du Mexique Central1". Il est vrai que ses terroirs sont des plus variés allant des hauts bassins du Bajío (entre 1500 et 2000 mètres), du plateau volcanique de la Meseta Tarasque (vers 2200 mètres) et des montagnes des Altos de Jalisco y Michoacán jusqu'à la Sierra Madre occidentale et à la côte du Pacifique en passant par la dépression intérieure (vers 400 mètres) des Tierras Calientes.

Dans Alambradas en la sierra Hubert Cochet11 nous montre comment, par étapes successives depuis deux siècles, créoles et métis ont accaparé les hautes terres de la Sierra Madre occidentale pour développer un élevage semi-extensif de bovins dont les produits (les veaux) sont aujourdhui envoyés dans les zones d'embouche. Mais, alors que sur les hauteurs la trame des fils de fer barbelés apparaît comme la marque de la modernité et

" Hubert Carton de Grammont Los empresarios agrícolas y el Estado. UNAM, Mexico, 1990,279 p.

*" Claude Bataillon "Des terroirs et des milieux naturels" in Thierry Linck et Roberto Santana (coord.) Les paysanneries du Michoacán au Mexique. CNRS, Toulouse, 1988, pp.11-22.

11 Hubert Cochet Alambradas en la sierra. CEM CA/ Colegio de Michoacán, Mexico, 1991, 350 p. La version française vient d'être publiée par l'ORSTOM sous le titre Barbelés dans la sierra.

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du développement économique, les Indiens qui ont été refoulés sur les basses pentes de la zone côtière ne survivent que difficilement.

Dans des milieux physiques et humains fort différents c'est plus récemment et plus brusquement que se sont transformées les autres parties du Michoacán, en particulier la Meseta Tarasque. C'est ainsi que dans El campesino desposeído^ Thierry Linck nous donne une analyse minu-tieuse du village de San Felipe où une rupture d'équilibre s'est produite vers la fin des années soixante avec la route, l'électricité, l'école mais aussi le paternalisme méprisant des techniciens agricoles qui ont "dépossédé" les paysans indiens de leur autonomie de producteurs. Rupture d'autant plus forte que la répartition des terres épuisait ses effets alors que l'essor démographique se poursuivait et qu'à côté de Y agriculture paysanne en crise s'affirmait une agriculture capitaliste agressive. Les migrations pendu- laires ou définitives vers les grandes villes mexicaines, voire les États-Unis, ont certes atténué la pression mais le devenir de la communauté agraire paraît d'autant plus fragile que la majorité des familles s'est lancée dans le pillage (bûcherons, résiniers, menuisiers etc..) d'une forêt qu'elle ne cherche même pas à renouveler.

De part et d'autre de la Meseta, dans les bassins du Bajío ou dans les Tierras Calientes les contrastes sociaux se sont également accusés avec le succès spectaculaire de quelques spéculations agricoles comme la fraise dans un cas et l'avocat dans l'autre. Aussi l'exemple de l'unité d'irrigation Ignacio López Rayón dans le municipe de Tlazazalca, analysé par Jean Christian Tulet1^, est-il intéressant dans la mesure où il nous présente une situation presque exceptionnelle d'équilibre économique et social. Comme l'absence de structures de commercialisation ne permettait pas à ses ejidatarios de se consacrer à des cultures fortement rémunératrices (camote ou chayóte) et que d'autre part l'Association des fraisiculteurs, qui s'était octroyé avec l'appui des pouvoirs publics le monopole de l'attribution des droits de plantation, ne leur en accordait aucun, il leur fallut, en effet, chercher une autre solution pour rentabiliser le coût d'une irrigation récente (1974). Ils l'ont finalement trouvée dans un assolement maïs- plantes fourragères (janamargo) qui leur garantit la subsistance familiale et, grâce à l'élevage bovin et à la production d'un fromage réputé, une "entrée d'argent sûre et régulière".

^ Thierry Linck El campesino desposeído. CEMCA/Colegio de Michoacán, Mexico, 1988, 176 p.

^ Jean Christian Tulet "Les progrès de l'autonomie paysanne à Tlazazalca" in T. Linck et R. Santana (coord.) ouvr. déjà cité pp.95-1 16.

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Dans le nord de la Meseta Tarasque, au contact des Tierras Calientes, le gros village de Tarecuato (9000 habitants) présente la même évolution récente et les mêmes caractéristiques que ses voisins : apparition d'une culture spéculative avec l'avocat, pillage de la forêt communale, moder- nisation de la société locale avec la route, l'autobus, l'électricité, l'adduc- tion d'eau, le premier médecin et une clinique, la scolarisation, la télévi- sion etc.. Dans un ouvrage intitulé L'autre Mexique. Culture indienne et expérience de la démocratie^. Jean Pavageau présente d'ailleurs ce village comme un archétype des transformations qui bouleversent le monde rural indien : "L'exemple de Tarecuato, d'origine préhispanique, nous permet d'appréhender le triple fondement de ce système complexe : le fondement communautaire et territorial indien, mais transformé par le modèle colonial ; le fondement religieux, indien et chrétien ; le fondement municipal mexicain, à la fois indien et espagnol, mais inspiré dans son évolution du début du XIXe siècle par les modèles français et américain, transformé par la Révolution puis par la rationalité technique et économique moderne". En fait, si la démonstration est affaiblie par les maladresses tant dans la composition de l'ouvrage que dans le recours aux références historiques, voire dans l'écriture, le compte rendu de ses observations personnelles entre 1980 et 1988 est passionnant. Il est vrai que c'est au cours de cette dernière décennie que sont apparus au grand jour les changements dont l'amorce remontait au moins aux années cinquante. En devenant une réserve de main d'oeuvre tant pour les huertas proches que pour les usines des villes voisines ou des États-Unis, la communauté dépérit et les stratégies individuelles se développent provo- quant l'enrichissement des uns et la prolétarisation des autres.

Dans tous les cas, tant par ses vêtements que par son comportement, l'Indien se banalise et on ne s'étonnera donc pas si les évaluations de leur nombre divergent de plus en plus (de 7 à 12, voire 15 millions suivant les sources et les auteurs^) même si c'est le chiffre de huit millions (soit près de 10 % de la population totale) qui est le plus souvent avancé. Surtout nombreux dans les campagnes du centre et du sud du Mexique on sait bien peu de choses sur la vie des Indiens dans les villes, particulièrement à Mexico. Bien que faible leur présence dans la capitale n'y est pourtant pas

Jean Pavageau L'autre Mexique. Culture indienne et expérience de la démocratie. L'Harmattan, Paris, 1992.

*-* D'après la définition très restrictive de l'Instituto Nacional Indigenista (INI) est Indien celui qui parle une langue indienne et vit comme un indien. En 1990 l'INEGI a recensé 5,3 millions de personnes de cinq ans et plus parlant une langue indienne et 1,13 million d'enfants de moins de cinq ans vivant dans un foyer dont le chef de famille parle une langue indienne.

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négligeable (peut-être 300 OOO1^) mais aucune des nombreuses publications récentes consacrées à la "metrópoli" ne s'y est intéressée, du moins si on s'en tient au temps présent.

Pour ce qui concerne l'histoire il en va différemment puisqu'elle est traitée dans deux ouvrages tout aussi exceptionnels l'un que l'autre. Il s'agit tout d'abord de la thèse d'Alain Musset De l'eau vive à Veau morte. Enjeux techniques et culturels dans la vallée de Mexico (XVIe XlXej^, Grâce à un travail patient et rigoureux il a pu démonter tout le mécanisme qui, depuis le XVIe siècle, a permis à la ville espagnole de s'imposer aux campagnes indiennes et de dominer jusqu'à le détruire un milieu naturel fragile. Mais au lieu de s'en tenir aux événements, aux prouesses ou aux échecs techniques il démontre combien le contrôle de l'eau a d'abord été un enjeu culturel que l'on ne peut comprendre si on ne tient pas compte des mythes des Aztèques et des Espagnols et du choc de deux civilisations incompatibles. Que les Espagnols aient voulu protéger la ville des inondations et garantir leur alimentation en eau potable c'est certain mais au lieu de le faire, comme les Aztèques, en élaborant des systèmes hydrauliques maintenant l'équilibre des lacs ils préférèrent "assainir", c'est-à-dire faire disparaître le milieu lacustre et ses activités en sachant fort bien qu'ils entraînaient par là-même "la dissolution des cultures indigènes". Un épisode révélateur est à cet égard le rejet par les autorités locales (entre 1615 et 1620) du projet du Hollandais Adrian Boot qui proposait de renoncer à l'assèchement des lacs (le "desagüe") et d'enfermer la ville derrière une digue. Le "desagüe" s'imposa donc mais il n'en fallut pas moins quatre siècles (de 1607 à 1900) pour le mener à son terme. Comme la ville ne parvenait pas pour autant à maîtriser les eaux pendant la saison des pluies on dut d'ailleurs aller encore plus loin en réalisant, entre 1965 et 1975, un drainage profond (à moins 200 mètres) qui permet d'évacuer 200 m^/s.

Après avoir détruit ce qui restait de la civilisation indienne la ville a donc ainsi pu largement s'étaler dans son vaste bassin (le terme espagnol de valle doit ici se traduire par bassin et non par vallée) mais on a enfin pris conscience du désastre écologique qui en était résulté. Pour sauver ce qui pouvait encore l'être Alain Musset nous rappelle que l'on vient de recréer au nord de l'agglomération le lac de Zumpango et que les

134 000 personnes seulement d'après le recensement de 1990 alors que François Lartigue fait état d'une évaluation d'un million in Le Mexique à l'aube du troisième millénaire, ouvrage déjà cité.

/ Alain Musset De l'eau vive à l'eau morte. Enjeux techniques et culturels dans la vallée de Mexico (XVIe-XIXe). ERC, Paris, 1991, 414 p. La version espagnole a été publiée par le CEMCA, à Mexico, en 1 992 sous le titre Elagua en el valle de México.

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marécages de Texcoco, dont les marges ont été emprayées, sont désormais protégés pour accueillir les oiseaux migrateurs. On ajoutera que tout récemment les derniers canaux et jardins (chinampas) de Xochimilco au sud de la ville ont été réhabilités. Le régent du District Fédéral vient par ailleurs de déclarer (octobre 1993) que les économies réalisées dans la consommation de l'eau (59 m^/s en octobre 1993 contre 60 w?ls au début de 1990) allaient permettre de consacrer les nouveaux apports du lointain Cutzamala (8 nP/s) à la reconstitution de la nappe phréatique. Mesures significatives mais qui, pas plus que la fermeture de la raffinerie d'Azcapotzalco et de dizaines d'usines (de 1980 à 1989 la Zone Métropolitaine de la Ville de Mexico aurait perdu 17 % de ses entreprises industrielles et le quart de ses emplois dans le même secteur) ne peuvent encore apporter de solution à la rupture de l'équilibre écologique. La thèse d'Alain Musset nous permet en tout cas de comprendre pourquoi et comment on en est arrivé à cette situation et on peut dire qu'elle constitue désormais un ouvrage de référence indispensable.

D'une toute autre nature, le bref essai (139 pages) que Louis Panabière consacre sous le titre : Cité aigle ville serpentez la culture urbaine n'en est pas moins aussi ambitieux. Il s'agit, en effet, de nous montrer comment on est passé d'une société aztèque certes inégalitaire et hiérarchisée mais se nourrissant "des contacts et des relations avec les populations et les cultures rencontrées" et offrant à tous de participer aux mêmes fêtes et aux mêmes jeux à une ville cosmopolite où le fossé social est accentué par une culture devenue moyen de distinction. Si, contrairement à l'idée d'un Homme universel, héritage de l'Encyclopédie, "la réalité urbaine contemporaine nous a fait découvrir l'Homme pluriel et l'importance de la différence" Mexico paraît à Louis Panabière un bon exemple de la dualité qui a prévalu jusqu'à nos jours entre la haute culture, envol de l'aigle, et la basse culture, monde du serpent. Cela nous vaut de brillantes analyses sur la mise en place de cette dualité tout au long de la période coloniale avec en particulier le retrait des classes sociales les plus élevées et du clergé "dans leurs « appartements », où ils se réunirent pour faire de la musique et de la littérature" et dans quelques lieux privilégiés "où l'entrée était sélective", abandonnant la rue à des formes méprisées de divertissement. Après l'indépendance la distance devait encore s'accroître entre la culture de l'élite et la culture populaire, l'aigle allant même jusqu'à condamner le serpent lorsque, sous le Porfiriat, le pouvoir politique voulut que Mexico devînt la vitrine d'un Mexique désormais moderne. Ecrit dans un style alerte et brillant par un de nos meilleurs connaisseurs de la vie culturelle mexicaine c'est un essai qui va bien au delà du cas particulier de

18 Louis Panabière Cité aigle ville serpent. Presses Univ. de Perpignan, 1993, 139 p.

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Mexico. A lire d'un trait ou à déguster pour son intelligence et le plaisir qu'il nous procure !

La fascination provoquée par cette ville dont certains se plaisent à dire qu'elle reste plus grande que ses problèmes nous vaut un autre bel ouvrage, tout récemment paru, celui de Jérôme Monnet sur La ville et son double. La parabole de Mexico^. Là encore il s'agit d'une thèse et dès le départ l'auteur nous précise que Mexico servira d'exemple, ayant valeur de parabole pour les sociétés occidentales, afin d'ainterroger le discours qu'on tient sur la ville et les représentations qu'on en donne ; déceler les références, historiques ou mythiques, qui les sous-tendent ; analyser leurs enjeux politiques et leurs implications dans la vie quotidienne des citadins. Autrement dit, saisir la ville en son double pour mettre en lumière le projet de ville qu'il contient, et le projet de société qu'il exprime". En fait on apprécie l'analyse qui est donnée des usages du centre historique avec ses rues spécialisées et la ségrégation entre une moitié occidentale avec "les commerces et services réservés à une clientèle aisée (bijouteries, librairies, antiquités, banques, restaurants, hôtels) et l'équipement professionnel le plus moderne (matériel dentaire, médical, informatique, électrique ou de bureau)" et une moitié orientale où "se groupent les rues qui concentrent les commerces fournissant les catégories sociales aux ressources modestes (prêt-à-porter, chaussures, alimentation, débits de tacos ou sandwiches), l'équipement de la maison (meubles) et les activités plus traditionnelles : confection, marchés à l'air libre, emballage, etc." On est convaincu, même si les croquis sont maladroits et difficilement lisibles, par l'analyse des transformations de la Grand-Place de Mexico (le Zócalo) où les fonctions commerciales ou ludiques ont du céder la place à la seule volonté de représentation du pouvoir, de célébration de la nation.

En revanche dès qu'il s'agit de l'élaboration d'une image et de son utilisation par les pouvoirs publics pour appliquer une politique d'aménagement sur le reste des quartiers centraux, la démonstration manque de rigueur. L'hypothèse de travail, déjà évoquée, paraît certes pertinente mais peut-on se satisfaire d'une approche globale et univoque des pouvoirs publics, surtout dans un pays où le parti au pouvoir regroupe en son sein tant de tendances contradictoires et peut-on accepter que des journaux, en particulier le supplément "Metrópoli" au journal "El Día" rendent compte de l'image de Mexico sans s'interroger sur ceux qui les dirigent et les écrivent ? En fait, lorsque le célèbre architecte Teodoro Gonzalez de León apostrophait les pouvoirs publics, à l'occasion de son discours d'entrée du Colegio Nacional, en regrettant que "l'aire

^Jérôme Monnet La ville et son double. La parabole de Mexico. Nathan, Paris, 1993, 224

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monumentale la plus importante d'Amérique Latine soit la victime d'une série de politiques hésitantes et contradictoires"20 il ne se référait pas seulement aux changements intervenus dans le temps mais aussi aux contradictions qui pouvaient opposer au même moment deux administrations détenues par une même majorité. C'est en particulier ce qui s'est produit à la fin des années 80 quand le gouvernement et un organisme créé après le séisme de 1985, Renovación Habitacional Popular, confortaient la fonction de résidence populaire des quartiers centraux, y compris du centre historique, alors que les services du District Fédéral continuaient à prôner une "refonctionnalisation" du centre, c'est- à-dire le remplacement des familles pauvres par des bureaux, des services et des commerces en relation avec le tourisme. Autant dire qu'à l'exception du Zócalo où le pouvoir s'est effectivement donné les moyens de modeler l'espace à l'image que l'on attend de lui, la parabole de Mexico reste fon heureusement encore ambiguë.

Nous terminerons en rappelant brièvement trois publications qui permettent d'approcher la ville de Mexico sous des angles plus divers. Le plus ambitieux est le beau livre de Peter Ward Mexico City, The production and reproduction of an urban environment^. Ecrit par un des chercheurs qui connaît le mieux les formes d'expansion récentes de la ville ce livre cherche à les replacer dans un contexte plus global en relation avec une dynamique sociale. On n'en est que plus surpris de le voir contester le modèle présenté il y a maintenant près de trente ans par John Turner suivant lequel les familles qui s'installent dans les lotissements irréguliers de la périphérie ne viennent pas directement des zones rurales mais surtout des quartier centraux dégradés par lesquels elles ont d'abord transité. Ce modèle dont la validité a été testée dans bien d'autres villes mexicaines et latino-américaines vient, en effet, d'être confirmé à la fois par le recensement de 1990 qui montre que les communes suburbaines se nourrissent d'abord d'une migration provenant du District Fédéral et par des enquêtes menées dans la commune périphérique de Chalco22. On doit

Cité in François Tomas "El papel del centro en la problemática urbana" in Espacio y vivienda en la ciudad de Mexico. Martha Schteingart coord. Colmex, Mexico, 1991, 317 P-

¿1 Peter M. Ward Mexico City. The production and reproduction of an urban environment. Belhaven Press, Londres, 1990, 325 p. Une version en espagnol a été publiée à Mexico en 1991 par CON ACULT/ Alianza Editorial sous le titre México: una megaciudad.

^ Analyse présentée par Daniel Hiernaux en février 1993 au colloque sur "L'accès des pauvres au sol urbain dans les villes des pays en voie de développement" organisé à Mexico sous la responsabilité d'Alain Durand-Lasserve. Les actes concernant les villes latino-américaines seront publiés en 1994 à Mexico par l'UNAM et le CEMCA (Antonio Azuela et François Tomas coord.). On trouvera une analyse comparable mais

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toutefois reconnaître une évolution dans la mesure où le transit ne s'effectue plus nécessairement par le centre mais de plus en plus par des logements locatifs situés dans les quartiers de la zone de transition voire dans la proche périphérie elle-même. Il arrive même que ce soient des enfants des pionniers d'hier (par exemple à Nezahualcoyotl) qui renouvellent l'aventure de leurs parents un peu plus loin (par exemple à Chalco). C'est ce que montre Daniel Hiernaux mais aussi René Coulomb dans un article publié par la Revue de Géographie de Lyon dans un numéro spécial consacré à Mexico2^. Comme ce numéro date de 1988 il fait d'abord le point sur la situation après le terrible tremblement de terre de septembre 1985 avec des articles de Claude Bataillon et de François Tomas, tout en abordant, à côté du texte de René Coulomb ("Logement locatif et dynamique de l'habitat dans la ville de Mexico") déjà évoqué, les thèmes plus généraux de la planification urbaine (Daniel Hiernaux) et de l'industrialisation (Alain Vanneph). C'est en quelque sorte le doyen de toutes les publications que nous venons de présenter, précédant de peu une synthèse due à la collaboration de Claude Bataillon et de Louis Panabière, la dernière à pouvoir encore s'intituler Mexico aujourd'hui, la plus grande ville du monde*-**. Bien que déjà ancien cet ouvrage reste d'actualité dans la mesure où l'on y trouve la meilleure description des quartiers de la "metropoli" et l'analyse la plus fine de la vie de ses habitants. Mais en quelques années les perspectives ont bien changé. Il ne s'agît plus, comme au temps du pétrole facile (la bienheureuse décennie des années soixante-dix), de battre des records de croissance et d'investissement mais de gérer une mutation politique, économique, sociale et spatiale qui renouvelle sous nos yeux la géographie du Mexique, y compris en posant dans d'autres termes le problème de la prééminence de Mexico.

François TOMAS

plus approfondie dans Bernard Lacombe, Rogelio Martinez et José Manuel Juarez La boue et la poussière. Chalco. CCE/ORSTOM/UAM, Caizergues Imp., Poussan, 125 p.

2* François Tomas (coord.) Mexico, regards sur la plus grande ville du monde. Revue de Géographie de Lyon, 1988, n° 1.

24 Claude Bataillon, Louis Panabière Mexico aujourd'hui, la plus grande ville du monde. Publisud, Paris, 1988, 244 p.

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