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Kathy Rousselet L'Église orthodoxe russe et le territoire In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 1, 2007, N°1. La Russie : géographie des territoires. pp. 63-85. Résumé La disparition de l'Union soviétique et l'accélération des processus de globalisation ont lancé de nombreux défis à l'Église orthodoxe russe. Alors qu'elle s'organise depuis ses origines autour de l'État russe, elle est ébranlée par l'émergence des nouveaux États. Les migrations issues de la chute du Mur transforment elles aussi les équilibres et donnent aux appareils ecclésiastiques l'occasion de soulever de nouveau la question de l'organisation juridictionnelle des diasporas. Tandis que des conflits éclatent, au sein même du monde orthodoxe, entre le Patriarcat de Moscou et le Patriarcat de Constantinople, sur le territoire de la Russie, le marché des biens du salut devient de plus en plus concurrentiel malgré le soutien de l'État russe à l'Église orthodoxe. Sur les oppositions religieuses, se greffent d'importants enjeux politiques et économiques. Dans ce contexte, l'Église russe dessine de nouveaux espaces et développe un discours centré sur l'affirmation des identités collectives - construit autour des notions de « territoire canonique » et de « civilisation » - fort éloigné de la réalité d'un religieux de plus en plus fluide. Citer ce document / Cite this document : Rousselet Kathy. L'Église orthodoxe russe et le territoire. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 1, 2007, N°1. La Russie : géographie des territoires. pp. 63-85. doi : 10.3406/receo.2007.1803 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_2007_hos_1_1_1803

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Kathy Rousselet

L'Église orthodoxe russe et le territoireIn: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 1, 2007, N°1. La Russie : géographie des territoires. pp. 63-85.

RésuméLa disparition de l'Union soviétique et l'accélération des processus de globalisation ont lancé de nombreux défis à l'Égliseorthodoxe russe. Alors qu'elle s'organise depuis ses origines autour de l'État russe, elle est ébranlée par l'émergence desnouveaux États. Les migrations issues de la chute du Mur transforment elles aussi les équilibres et donnent aux appareilsecclésiastiques l'occasion de soulever de nouveau la question de l'organisation juridictionnelle des diasporas. Tandis que desconflits éclatent, au sein même du monde orthodoxe, entre le Patriarcat de Moscou et le Patriarcat de Constantinople, sur leterritoire de la Russie, le marché des biens du salut devient de plus en plus concurrentiel malgré le soutien de l'État russe àl'Église orthodoxe. Sur les oppositions religieuses, se greffent d'importants enjeux politiques et économiques. Dans ce contexte,l'Église russe dessine de nouveaux espaces et développe un discours centré sur l'affirmation des identités collectives - construitautour des notions de « territoire canonique » et de « civilisation » - fort éloigné de la réalité d'un religieux de plus en plus fluide.

Citer ce document / Cite this document :

Rousselet Kathy. L'Église orthodoxe russe et le territoire. In: Revue d’études comparatives Est-Ouest. Volume 1, 2007, N°1. LaRussie : géographie des territoires. pp. 63-85.

doi : 10.3406/receo.2007.1803

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/receo_0338-0599_2007_hos_1_1_1803

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L'Eglise orthodoxe russe et le territoire

Kathy ROUSSELET

Chargée de recherche au CERI, Fondation Nationale des Sciences Politiques ([email protected]).

Résumé : La disparition de l'Union soviétique et l'accélération des processus de globalisation ont lancé de nombreux défis à l'Église orthodoxe russe. Alors qu'elle s'organise depuis ses origines autour de l'État russe, elle est ébranlée par l'émergence des nouveaux États. Les migrations issues de la chute du Mur transforment elles aussi les équilibres et donnent aux appareils ecclésiastiques l'occasion de soulever de nouveau la question de l'organisation juridictionnelle des diasporas. Tandis que des conflits éclatent, au sein même du monde orthodoxe, entre le Patriarcat de Moscou et le Patriarcat de Constantinople, sur le territoire de la Russie, le marché des biens du salut devient de plus en plus concurrentiel malgré le soutien de l'État russe à l'Église orthodoxe. Sur les oppositions religieuses, se greffent d'importants enjeux politiques et économiques. Dans ce contexte, l'Église russe dessine de nouveaux espaces et développe un discours centré sur l'affirmation des identités collectives - construit autour des notions de « territoire canonique » et de « civilisation » - fort éloigné de la réalité d'un religieux de plus en plus fluide.

Cet article a initialement été publié sous le titre : « L'Église orthodoxe russe et le territoire » Revue d'études comparatives Est-Ouest, volume 35, n° 4, pp. 149-171.

rSï-GUEST

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Étroitement liée à l'Empire russe puis soviétique, l'Église orthodoxe russe a été ébranlée par l'éclatement de l'Union soviétique et la formation des États qui a suivi. Des conflits ont surgi entre les Patriarcats de Moscou et de Constantinople autour des Églises orthodoxes nationales, apparues ou réapparues sur les nouveaux territoires étatiques, et les débats se multiplient au sujet de l'organisation juridictionnelle des diasporas, tant dans l'étranger proche qu'en Europe ou en Amérique du Nord. Enfin, la globalisation et les migrations remettent en cause le principe national sur lequel se fondent aujourd'hui de nombreuses Églises orthodoxes1. L'ouverture des frontières, certes de plus en plus contrôlées, et l'entrée en Russie de mouvements religieux de toutes sortes favorisent le développement d'un certain pluralisme religieux qui répond à des logiques d'affirmations identitaires, non plus nationales mais individuelles. Au-delà des rivalités institutionnelles, la situation de l'Église orthodoxe russe et ses prises de position en Russie et dans le monde renvoient aux relations qu'elle dessine entre religion, identité, communauté et territoire.

L'Église orthodoxe russe représente un ensemble très hétérogène d'acteurs dont les positions - au-delà de considérations normatives - reflètent des intérêts particuliers. Plus que jamais, les voix de l'orthodoxie russe sont diverses. Si les Fondements de la doctrine sociale, adoptés lors du Concile de 2000, reflètent les positions du patriarcat, et en particulier du département des Relations extérieures dirigé par le métropolite Kirill de Smolensk et Kaliningrad, ils ne sont en aucune façon le résultat de débats au sein de l'Église ni le reflet d'une quelconque position majoritaire. Nous privilégierons néanmoins dans cette analyse la parole publique de l'Église sur les questions liées à la nation, au territoire et à la globalisation, à savoir celle d'Alexis II et du département des Relations extérieures du patriarcat. Au-delà de l'étude même des nombreux textes produits par l'institution ecclésiastique, nous chercherons à comprendre en quoi ces positions, qui s'inscrivent dans un contexte socio-historique tout en faisant écho à une conception théologique du monde, répondent également à des stratégies des acteurs religieux. Leurs prises de position s'expliquent en effet largement par un souci d'affirmation de leur pouvoir dans un marché des biens du salut de plus en plus concurrentiel. La catégorie du territoire glisse du registre religieux vers le registre politique.

1. L'ecclésiologie orthodoxe se fonde sur un principe eucharistique, selon lequel les orthodoxes d'un même lieu célèbrent ensemble l'eucharistie, et un principe territorial, selon lequel la communauté ecclésiale locale regroupe des fidèles d'origines différentes. Au cours de l'histoire, ce principe territorial a peu à peu été supplanté par un principe national (Gillet, 2001, p. 83 et sq), au cœur des conflits qui traversent aujourd'hui le monde orthodoxe.

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1. Le discours ecclésial : un peuple, un territoire, une Église

Alors que, dans l'Église orthodoxe, le nombre de pratiquants réguliers est faible (6 % de la population disent participer régulièrement à la liturgie), alors que le pourcentage de ceux qui déclarent croire en Dieu l'est tout autant, la part de ceux qui se disent appartenir à l'Église orthodoxe est de 60 %. L'Église, quant à elle, affirme réunir en son sein de 80 à 100 millions de personnes. Comme le considère A. Soldatov, elle « surmonte cette réalité contradictoire en mobilisant la notion d'orthodoxe de naissance', désignant ainsi les personnes ayant grandi dans la tradition culturelle russe et ayant subi l'influence de l'environnement national-culturel russe (= orthodoxe) » (Soldatov, 2001, pp. 18-19). Affirmer que l'Église exerce une influence sur le peuple russe parce qu'il en est ainsi par tradition, tandis que - même si l'on ne peut pas parler d'un vide religieux pendant la période soviétique -, l'athéisme d'Etat a créé une rupture essentielle dans la société russe, relève d'un réel paradoxe. Toutes les enquêtes sociologiques concluent à la sécularisation, à une privatisation du religieux, même si l'Église a acquis un statut public. Certes, la construction massive d'églises manifeste de façon symbolique le souci de poser la centralité du religieux au sein de la communauté et de restructurer la société autour de son Église. On assiste à une « resémanti- sation » institutionnelle du territoire, sans que le laïc ne l'investisse ; tout comme en Occident, seule persiste la « religiosité de l'événement » (Abbruzzese, 1999, p. 11). Mais « pour l'État comme pour la société, l'essentiel n'est pas tant l'influence réelle de l'Église orthodoxe russe sur chaque personne concrètement que sa possibilité d'agir sur les relations sociales de façon générale grâce à son 'capital symbolique' » (Soldatov, 2001, pp. 18-19).

1.1. Les territoires de l'Église orthodoxe russe

Si l'ecclésiologie orthodoxe place en son cœur l'Église locale, appelée à opérer la synthèse de l'universel et du particulier, l'Eglise russe a glissé au cours de l'histoire d'une conception universelle du salut au phylétisme, « nationalisme ecclésiastique » condamné par le concile de Constantinople en 1872, et au particularisme2. Elle est historiquement liée à la formation de l'État : l'Empire russe puis l'Union soviétique. L'Église locale était appelée à rassembler l'ensemble de la nation russe dans ses frontières. Les missions accompagnaient les conquêtes. Face à l'occidentalisation de la Russie, certains courants intellectuels et religieux, comme le panslavisme, ont dès la fin du XIXe siècle contribué, par leur philosophie du terroir et du sol, au « rétablissement d'une intégrité organique entre territoire, peuple russe et orthodoxie » (Lamelle, 1999, p. 37). Les

2. Ce concile condamna la nouvelle Église bulgare, qui venait de se constituer sur une base nationale, à partir d'une interprétation ethniciste des Écritures.

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eurasiens3, quelques décennies plus tard, résoudront d'une nouvelle manière la tension entre le local et l'universel, la diversité et l'unité. Ils insisteront en effet sur la pluralité nationale et religieuse de l'Eurasie, sur sa « perméabilité aux influences extérieures » qui seraient le gage de son universalité. Considérant la vie comme un tout inséparable, ils ancreront l'expérience religieuse dans une existence quotidienne sacra-lisée et la ritualiseront ; les différences théologiques entre les religions coexistant en Russie seront alors annihilées par leur inscription dans le territoire eurasien (Lamelle, 1999)4.

Aujourd'hui, le territoire de l'Église orthodoxe est renvoyé au baptême originel de la Rus'. L'Église considère la religion orthodoxe comme un élément intrinsèque de la « mentalité » du peuple qui fut baptisé en 988. Chacun est désormais inscrit à la fois dans une tradition et dans un territoire intangibles. Ce phénomène qui lie intimement les ancrages historique et géographique est propre au nationalisme. Il se nourrit de la crise socioculturelle de la Russie et des bouleversements des années 1990 (Merdjanova, 2000, pp. 255-256) dans la mesure où il permet de penser la continuité en dehors des accidents du politique. La religion dans la société russe postsoviétique est largement une « religion pour mémoire » (Hervieu-Léger, 1993), une façon de s'inscrire dans des « lignées croyan-tes », et ce de façon plus essentielle qu'en Occident. Le concept de tradition répond aux tendances culturalistes, très présentes dans la société russe - comme l'atteste l'engouement pour la « culturologie » (kulturo-logija) -, ainsi qu'à la persistance d'une vision teleologique du temps. Le présent n'existe que par son lien à un passé ininterrompu qui lui donne sens.

Cette logique n'est pas propre à l'orthodoxie. Elle imprègne bon nombre de religions présentes sur le terrain russe. Ainsi les mouvements protestants recherchent eux aussi une légitimité historique. Le pentecôtiste S. Rjakhovskij enracine le mouvement évangélique dans le passé de la Russie en ne faisant référence à aucun moment aux influences étrangères dont le mouvement a bénéficié. Tout comme l'orthodoxie, il tiendrait sa pureté de son inscription dans le christianisme primitif et la tradition russe, ses racines plongeant dans les profondeurs de la psychologie nationale5. Cette recherche de généalogie se retrouve au sein du mouvement baptiste,

3. L'eurasisme est une idéologie apparue dans les années 1920 en Russie qui s'efforce de définir les particularités de l'espace occupé par le pays entre l'Europe et l'Asie. Cette idéologie a encore aujourd'hui de nombreux adeptes au sein de l'Église orthodoxe russe et des courants nationalistes. 4. Les néo-eurasiens développent eux aussi aujourd'hui un messianisme fondé sur le sol et l'espace géographique. L'Eurasie y est un « Etat organique » aux frontières mouvantes. (DÉSERT, 2004). 5. Pensé en dehors de l'histoire européenne, le protestantisme évangélique est présenté comme un courant issu de la dissidence religieuse russe. Les strigolniki (deuxième moitié du XIVe siècle-XVe siècle), l'hérésie des judaïsants (fin du XVe siècle-début du XVIe siècle) et le mouvement des non-possédants autour de Nil de la Sora auraient donné naissance aux molokanes, aux doukhobors, puis aux premiers groupes évangéliques.

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comme en témoigne la multiplication des études historiques soulignant l'origine russe de la quête évangélique (Rousselet, 2004).

Face à la globalisation et à l'augmentation de la concurrence religieuse, l'Église orthodoxe russe s'est inscrite dans la perspective théologique des relations entre Églises locales et a repris la catégorie religieuse du territoire canonique pour affirmer ses frontières. Elle se réfère en particulier à l'apôtre Paul dans Rm 15,20-21 : « Mais je me suis fait un point d'honneur de n'annoncer l'Évangile que là où le nom de Christ n'avait pas encore été prononcé, pour ne pas bâtir sur les fondations qu'un autre avait posées. Ainsi je me conforme à ce qui est écrit : Ils verront, ceux à qui on ne l'avait pas annoncé, et ceux qui n'en avaient pas entendu parler comprendront. » Plus d'une fois, Cyrille de Smolensk a défendu le principe d'une « Église locale » pleinement en charge des chrétiens sur un lieu donné, ce qui exclut la création d'une province ecclésiastique catholique sur le territoire russe mais, également, celle de diocèses orthodoxes de plein droit sur le territoire du Patriarcat d'Occident (Legrand, 2003).

Enfin, après l'éclatement de l'Union soviétique, l'apparition de nouveaux États-nations et la (re)naissance d'Églises nationales, l'Église orthodoxe défend son territoire juridictionnel qui concorde très largement avec le territoire de l'ancienne Union soviétique. Elle reconstruit ainsi un nouvel espace : celui de l'étranger proche sur lequel Moscou prétend garder une influence. À cette réalité territoriale, s'ajoute le statut de « citoyenneté spirituelle », accordé aux Russes hors des frontières de la Russie. Ce territoire plonge ses racines dans le baptême de la Rus' kié- vienne, légitimant ainsi par la tradition l'union spirituelle des nations désormais séparées. « En remettant en cause l'association politique tissée par les liens de la citoyenneté au nom de communautés soi-disant naturelles, [l'identitarisme exacerbé] conduit à subvertir le principe de territorialité, politique et conventionnel, pour le remplacer par l'ancrage dans un espace "originel" » (Dieckhoff & Jaffrelot, 1998, p. 63).

1.2. Religion et communauté : ethnos, nation, patrie

Cette perception de la tradition et d'une religion inscrites dans un territoire place la communauté au-dessus de l'individu. De même que le territoire de la Russie a des frontières mouvantes (Hassner, 1996, p. 123)6, de même cette « communauté imaginée » (Anderson, 1996) varie en fonction des acteurs religieux. Les hiérarques, dont la plupart ont entamé leur carrière en Union soviétique, ont développé une piété essentiellement « synodale » où la religion est un attribut de l'« idée » russe et où l'amour de la patrie fait partie des valeurs

6. « Ce qu'on trouve (...), c'est une ambiguïté constante entre frontières russes et soviétiques, aire slave et solidarité orthodoxe, 'étranger proche' et sphère d'influence, rôle européen et asiatique, etc. »

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essentielles (Skobcova, 1997). Reste à définir la nation. « II n'y a pas aujourd'hui d'États sans territoire, et l'ambiguïté du terme de nation permet à tous les États territoriaux, même multinationaux, de prétendre à un patriotisme ou à un sentiment national, fondé sur la citoyenneté. » (Hassner, 1996, p. 120) Cette ambiguïté permet de désigner, dans une perspective primordialiste, la communauté issue de la Rus' (Biélorussie, Russie et Ukraine), celle formée par les Russes (russkie) désormais dispersés dans différents espaces étatiques, mais aussi l'ensemble des citoyens (rossijane) de la Fédération de Russie. La Doctrine sociale de l'Église exprime très clairement cette possibilité d'utiliser largement la notion de nation :

« Dans le monde contemporain, la notion de nation a deux acceptions : on l'entend d'une part comme communauté ethnique, d'autre part comme ensemble des citoyens d'un État donné. Les relations de l'Église et de la nation doivent être appréhendées dans le contexte du premier comme dans celui du second sens de ce terme (...).

Le patriotisme chrétien se manifeste à la fois envers la nation comme communauté ethnique et envers la nation comme communauté des citoyens d'un même État. Le chrétien orthodoxe est appelé à aimer et sa patrie, dans ses dimensions territoriales, et ses frères de sang vivant dans le monde entier. Cet amour est l'un des moyens d'accomplir le commandement de Dieu sur l'amour du prochain, qui inclut nécessairement l'amour de la famille, des compatriotes et des concitoyens. »

Au-delà de la nation aux contours ambigus7, la catégorie qui unit les membres de la communauté est le « peuple orthodoxe ».

« Lorsque la nation, dans son acception citoyenne ou dans son acception ethnique, est soit entièrement, soit majoritairement de confession orthodoxe, elle peut alors, dans un certain sens, être perçue comme une communauté de foi, le peuple orthodoxe. » C'est l'existence d'un seul peuple dans trois pays, dont la religion ortho

doxe serait l'élément unificateur, qui permet d'affirmer l'identité d'une culture slave unique commune à la Russie, la Biélorussie et l'Ukraine. Selon une logique issue de l'héritage soviétique, la patrie définie par un baptême, une religion et une histoire communes supplante la nation ; l'orthodoxie est la religion d'une patrie (otecestvo). Devant les membres du Congrès des peuples slaves de Biélorussie, de Russie et d'Ukraine réunis les 1er et 2 juin 2001, Alexis II disait :

7. O. Gillet souligne, à propos de l'ensemble des Églises orthodoxes, que malgré cette ambiguïté, « force est de constater que la notion de 'nation' doit être généralement comprise dans le sens de l'ethnicité » et que ce principe d'ethnicité se fonde sur une argumentation néo-testamentaire. « Le précepte évangélique 'allez enseigner à toutes les nations' et la traduction orthodoxe du mot latin 'natio' par le mot 'ethnie', 'narod', etc., dans le Nouveau Testament, dans la patristique et dans le canon apostolique 34 (Constitutions apostoliques), qui définit la conception des circonscriptions ecclésiastiques, déterminent la conception ethnique administrative de l'Église. » (Gillet, 2001, p. 88)

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« Nous avons une histoire commune. Pendant des siècles, nous avons construit ensemble notre Patrie, nous nous sommes battus contre les mêmes ennemis, nous avons créé une culture incomparable, fondée sur la foi de nos pères, l'orthodoxie. » Le lien intrinsèque que l'Église orthodoxe entretient avec la russité

incite aujourd'hui à sa réconciliation avec l'Église orthodoxe hors frontières8. Vladimir Poutine a rencontré à New York la hiérarchie de cette dernière ; le métropolite Lavr a, de son côté, effectué au printemps 2004 une visite officielle en Russie. Événement hautement symbolique, les reliques de la princesse Elisabeth et de la religieuse Barbara9, conservées dans le monastère Sainte-Marie-Madeleine de Jérusalem appartenant à l'Église orthodoxe hors frontières, devaient être exposées en Russie pendant six mois. Soutenue par l'Union des citoyens orthodoxes, mouvement fondamentaliste de Russie, d'Ukraine et du Kazakhstan, cette réconciliation resserrerait les liens entre l'Église orthodoxe russe et la communauté russe dispersée à travers le monde.

2. Le territoire religieux comme ressource

Le territoire religieux est un élément clé dans la quête par l'Église orthodoxe russe d'une monopolisation des biens du salut. Dans un contexte de pluralisation des offres religieuses sur le terrain russe, les relations entre l'Église orthodoxe russe et l'État peuvent se comprendre comme un marchandage entre les deux institutions. Au début des années 1990, l'Église orthodoxe russe était fragilisée par la découverte des compromissions passées avec le pouvoir soviétique, mais aussi par l'arrivée de plusieurs Églises, qu'elles soient catholique, protestantes ou orthodoxe. Aujourd'hui, la plupart des membres du clergé restent souvent mal préparés à la concurrence religieuse. Souhaitant garder le monopole des biens du salut, elle ne pouvait que compter sur le pouvoir politique, en particulier lors des conflits de propriété. Les forces de l'ordre sont ainsi souvent intervenues dans les disputes entre Église orthodoxe russe et Église orthodoxe hors frontières autour de tel ou tel lieu de culte (Soldatov, 2001, p. 24). De même, on observe depuis de nombreuses années une politique discriminatoire dans la vente et la location de bâtiments aux mouvements évangéliques. En échange, l'Église orthodoxe se

8. Cette Église a été fondée en 1921 lors d'un Synode à Sremsky-Karlovtsy au sein d'une partie de la diaspora russe, à forte tendance monarchiste, hostile à l'Église de Moscou et à son attitude à l'égard du pouvoir soviétique. 9. Elisabeth est la sœur de la tsarine Alexandra Fedorovna, épouse de Nicolas II. À la mort de son mari, elle fonde le couvent de Marthe-et-Marie à Moscou. En avril 1918, la princesse est arrêtée et déportée à Alapaevsk (oblasf de Sverdlovsk) en même temps que sa compagne, la moniale Barbara ; elles y trouvent toutes deux la mort.

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présente comme une instance légitimatrice de l'État russe. Le territoire religieux dans un tel contexte devient une catégorie politique susceptible de conforter une construction spécifique de l'Etat, ainsi qu'une certaine vision de l'international. Il constitue par ailleurs une indéniable ressource économique.

2.1. Une ressource politique

Avec la loi sur la liberté de conscience de 1997, la tradition (predanie), au centre de la théologie orthodoxe, devient une catégorie politique (tradicija). Écrite sous la pression de l'Église orthodoxe russe, cette loi désigne les religions dites « traditionnelles » - orthodoxie, islam, judaïsme et bouddhisme - et leur accorde des privilèges dont ne bénéficient pas les autres mouvements religieux. L'article 8.5, qui renvoie à l'équivalence russe-orthodoxe, souligne combien l'inscription territoriale est légitimatrice du groupe religieux :

« A le droit d'utiliser dans sa dénomination les termes de 'Russie', 'russe' et leurs dérivés, une organisation religieuse centralisée dont les structures ont travaillé, sur des bases légales, au moins cinquante ans à partir du moment où ladite organisation a adressé à l'organisme d'enregistrement une demande d'enregistrement officiel ». Les organisations religieuses étrangères sont traitées de façon spécifique ;

la législation oblige à la demande d'enregistrement les « organisations religieuses n'ayant pas le document qui atteste leur existence depuis au moins quinze ans sur le territoire correspondant » ; elles « ont la personnalité juridique à condition qu'elles soient enregistrées chaque année jusqu'à l'accomplissement du délai indiqué de quinze ans » (art.27.3).

Le caractère supranational de la religion orthodoxe en fait également une ressource politique pour la gestion de l'étranger proche. Ainsi Vladimir Poutine appelait-il de ses vœux l'union spirituelle entre la Russie et l'Ukraine en février 2004, lors de sa visite à Kiev :

« Aujourd'hui l'Église orthodoxe ukrainienne est tout à fait autonome et indépendante, en particulier de l'Église orthodoxe russe. Le seul lien qui unisse encore les Églises est le lien canonique et spirituel. À mon avis, c'est un facteur essentiel de l'unité de nos peuples. C'est peut-être ce quelque chose qui nous reste commun, ce quelque chose que nous devons conserver avec soin et que nous devons garder pour l'avenir de nos enfants et petits-enfants. » (Nezavisimaja Gazeta-Religii, 04.02.04)

2.2. La légitimation d'une nouvelle bipolarité

La perception orthodoxe de l'homme et la congruence d'un peuple, d'un territoire et d'une Église permettraient-elles de désigner une civilisation slave-orthodoxe ? La scène internationale semble illustrer les célèbres thèses de Samuel Huntington sur le choc des civilisations, à moins que celui-ci n'ait fait que construire un problème qui n'existait pas jusqu'alors (Battistella, 2003). Les premières interventions des Églises

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orthodoxes sur ce thème n'apparaissent qu'à la fin des années 1990. En Russie, alors que les thèses de Huntington ont fait l'objet de nombreux débats et d'une réception très positive, les articles de Kirill de Smolensk sur la religion orthodoxe dans le nouveau contexte mondial peuvent apparaître comme un écho à cette nouvelle théorie de la bipolarité. Au défi de la globalisation, l'Église orthodoxe russe répond aujourd'hui par une approche civilisationnelle. Tandis cuie le monde actuel serait marqué par l'unipolarité et le globalisme, l'Eglise orthodoxe russe fait valoir un modèle de cohabitation des civilisations. Cette Weltanschauung lui permet d'envisager une domination sur le monde orthodoxe, de repenser les relations entre l'Église et l'État et de nourrir les ambitions d'une Russie soucieuse de retrouver un rôle dans les relations internationales.

Une homologie se dessine entre l'ecclésiologie orthodoxe et l'organisation de l'Europe souhaitée par l'Église. Face au centralisme administratif, en affinité avec le césaro-papisme, l'Église orthodoxe propose que l'État « participe à la culture européenne dans le concert des nations européennes de manière "synodale" » (Gillet, 2001, p. 104).

L'Église orthodoxe russe s'engage dans une lutte contre, à la fois, la sécularisation des sociétés et l'uniformisation des normes internationales. Elle considère le pluralisme comme un fruit importé en Russie par un Occident qui n'a pas le même héritage historique. Le patriarche Alexis II, au moment de la critique par l'Occident de la nouvelle loi sur la liberté de conscience, expliquait le désaccord en soulignant que la Russie n'avait pas la même histoire que les États-Unis (Clément, 1998). Au-delà des affirmations extrémistes de prêtres contre la démocratie, la société de consommation et l'œcuménisme représentant l'« univers du Mal », le métropolite Kirill oppose la tradition ecclésiale aux valeurs libérales et séculières de l'Occident (Kirill, 1999 et 2000). À la guerre froide et à la concurrence idéologique entre deux super-puissances, a succédé un nouveau conflit : celui de la globalisation et de l'universalisme contre les principes du singulier et du particulier. Pendant que le droit international serait régi par la seule loi du libéralisme occidental, qui tenterait de s'imposer comme norme absolue, l'Église orthodoxe russe devrait défendre les valeurs qui lui sont propres et qui sont liées à la défense de la tradition. Il ne s'agirait pas de remettre en cause le libéralisme en tant que valeur régulatrice des relations entre nations, sans laquelle les guerres seraient inéluctables. Distinguant entre ordre interne et ordre externe, Kirill s'oppose en revanche à l'hégémonie de cette valeur dans l'organisation de pays dont les traditions culturelles, spirituelles et religieuses n'ont pas contribué à sa formation. Et le métropolite de voir dans les religions monothéistes juive et musulmane des « alliées potentielles dans le dialogue avec ceux qui mettent en doute la valeur de la tradition ». Il est vrai que certaines forces politico-religieuses, en particulier des courants eurasiens, envisagent en Russie une possible alliance entre l'Église orthodoxe et l'islam contre l'Occident libéral et antireligieux (Semenoff-Tian-Chansky, 1998).

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L'Église orthodoxe décline à travers les catégories de civilisation et de tradition une conception interétatique des relations internationales, s'op- posant à l'influence transnationale d'un autre religieux, plus diffus, trouvant son origine aux États-Unis. En effet, les 9 et 10 octobre 1998, le Congrès américain adopte à l'unanimité une loi sur la liberté religieuse internationale (International Religious Freedom Act), promulguée le 27 octobre. Cette législation « confie au Département d'État la mission de vérifier dans chaque État du monde le respect de la liberté religieuse, définie selon les termes des conventions internationales applicables, et d'intervenir à rencontre des contrevenants par une batterie de quinze sanctions au choix, allant de la démarche diplomatique traditionnelle à la cessation de toute assistance financière et autres sanctions économiques. » (Decherf, 2002, p. 16) Le premier ambassadeur itinérant, chargé de surveiller la bonne application de la loi, est le président de l'ONG évan- gélique World Vision. Or cette loi met en avant la liberté de religion alors que les textes internationaux protègent la liberté de pensée, de conscience et de religion. Comme le souligne Dominique Decherf, ceci a des conséquences importantes dans la mesure où la loi valorise ainsi la dimension individuelle par rapport à la dimension sociale de la religion et accorde une « valeur quasi théologique (...) au changement de religion consécutif au prosélytisme », tendance pourtant absente des conventions internationales (Decherf, 2002, p. 18). En instaurant une loi sur la liberté religieuse internationale, les États-Unis font ainsi la promotion de leur propre conception du religieux au niveau international : un religieux individuel.

La défense par l'Église orthodoxe russe, mais également par le patriarcat œcuménique, des civilisations et des traditions apparaît comme une réponse à ce mouvement. Moscou s'avance comme le centre de la civilisation orthodoxe. Face aux efforts d'union des pays musulmans, face aux processus d'intégration européens, elle appelle les pays à tradition orthodoxe à s'unir.

« Lorsque, par la providence divine et grâce aux labeurs de nos ancêtres, Moscou était devenue un des centres du monde orthodoxe, les empereurs russes ont compris leur responsabilité face à l'avenir de l'Orthodoxie universelle. [...] Aujourd'hui, les pays avec une population orthodoxe mènent des politiques internationales différentes. Certains ne sont plus aussi liés à la Russie comme d'antan. [...] Nous devons revenir au service fraternel des peuples orthodoxes entre eux [...]. La Russie n'aspire pas à dominer et à posséder. L'Église orthodoxe russe, la plus grande Église orthodoxe du monde, désire servir l'œuvre de l'unité et du développement des peuples orthodoxes en une civilisation autonome qui révèle au monde une expérience particulière de la réalisation de l'idéal chrétien. » 10

10. Alexis II lors d'un discours prononcé au VIIIe Concile panrusse (Laure de la Trinité et de Saint-Serge le 3 février 2004), consacré à la place de l'orthodoxie russe dans le monde actuel. Cette nécessité d'œuvrer à l'unité de l'orthodoxie a été réaffirmée par Alexis II lors de la visite du patriarche Pierre VII d'Alexandrie et d'Afrique.

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Cette conception des relations internationales et du rôle que l'Église orthodoxe russe devrait y avoir est indéniablement inscrite dans une vision idéologique du monde, issue en partie du mythe de la Troisième Rome. Mais l'orthodoxie russe se présente aussi aujourd'hui comme une ressource pour l'État russe en quête de puissance. L'Église soutient l'idée avancée par le pouvoir politique d'un monde multipolaire qui rejoint celle d'une cohabitation des civilisations.

« À une époque où les États et les peuples sont de plus en plus interdépendants, notre pays ne peut pas rester en dehors des processus européens et mondiaux. Au contraire, nous devons être un des pôles du monde, un des centres de prise de décision. Dans le même temps, la Russie doit rester elle-même, elle doit garder les valeurs de sa civilisation millénaire. L'Église orthodoxe russe et la diplomatie russe doivent œuvrer ensemble pour un monde multipolaire, multi- culturel, juste et libre. Nous participons ensemble à l'élaboration des normes mondiales qui doivent permettre la création d'un système harmonieux de relations internationales.» n

2.3. Une ressource économique et des enjeux de pouvoir

Les conflits de juridiction, les disputes sur les héritages, sur le rôle des Églises dans les réveils nationaux, sont en grande partie des conflits à propos des propriétés immobilières et des territoires fonciers. C'est autour des lieux de culte que s'élèvent les disputes entre les fidèles des différentes confessions. C'est sur le terrain de ces disputes que se renforcent, à la base, les identités religieuses. Pour les appareils ecclésiastiques, le territoire religieux devient une ressource économique et un enjeu de pouvoir.

Ce phénomène s'observe en Estonie dans le conflit séparant l'Église orthodoxe d'Estonie, qui dépend du Patriarcat de Constantinople, et l'Église orthodoxe estonienne subordonnée, elle, au Patriarcat de Moscou. Une des pommes de discorde au cours des dernières années fut le statut des bâtiments érigés par les Russes à l'époque où l'Estonie appartenait à l'Empire russe. Après l'indépendance du pays en 1920, les églises furent données à l'Église orthodoxe d'Estonie puis, lorsque les Soviétiques envahirent l'Estonie, confisquées par le pouvoir. Depuis l'indépendance recouvrée en 1991 et le rétablissement canonique de l'Église orthodoxe d'Estonie, les biens ecclésiastiques existant avant la Seconde Guerre mondiale sont disputés par les deux Églises. Un protocole a été signé en octobre 2002, stipulant que les églises et maisons paroissiales utilisées par l'Église orthodoxe estonienne du Patriarcat de Moscou sont propriété de l'État mais gérées par cette Église pour cinquante ans sur la base de conventions de bail 12.

11. Visite d'Alexis II au Ministère des affaires étrangères, mars 2003. 12. Pour plus de détails, voir "Note officielle concernant les propriétés de l'Église orthodoxe en Estonie (Tallin, 14 novembre 2003)", Istina, n° 1, janvier-mars 2004, pp. 102-105.

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En Russie même, les disputes entre l'Église orthodoxe russe et la Vraie Église orthodoxe13 portent, entre autres, sur le statut des propriétés de l'Eglise pré-révolutionnaire14 dont la Vraie Église orthodoxe, non compromise avec le pouvoir à la période soviétique, se dit l'héritière. Il apparaît également que le souci de l'Église orthodoxe russe d'affirmer son hégémonie et les tentatives de rapprochement avec l'Église orthodoxe hors frontières répondent en partie à une volonté d'appropriation de lieux de culte orthodoxes dans le monde. Deux monastères de Palestine et l'église Saint- Nicolas-de-Bari appartenant à l'Église orthodoxe hors frontières sont devenus la propriété de l'Église orthodoxe russe. Si les obstacles idéologiques au rapprochement semblent tombés15, la question des biens et les enjeux de pouvoir restent un problème fondamental. Un grand nombre de groupes d'intérêt sont apparus au sein de l'Église orthodoxe russe, les uns craignant que le métropolite Kirill y perde de son pouvoir, d'autres étant d'un avis opposé, d'autres encore pensant que la réunion des deux Églises pourrait accroître le poids du patriotisme religieux. Des intérêts économiques convergents unissent des hiérarques de l'Église orthodoxe russe et des membres de l'Église orthodoxe hors frontières comme le père Petr Holodnyj, à la fois trésorier de cette Église et directeur général de la compagnie Norimet Ltd, filiale londonienne de Norilsk Nickel chargée de la distribution des métaux sur les marchés extérieurs (Portai credo.ru, 28 juin 2004).

Enfin, l'opposition à la globalisation de courants fondamentalistes peut également avoir des causes matérielles. Ainsi en est-il du conflit sur les numéros d'identification fiscale qui, derrière des considérations d'ordre théologique et les réminiscences d'un héritage politique (les numéros d'immatriculation rappelant à certains les matricules du Goulag), était en grande partie économique. « Beaucoup craignaient que le clergé ne soit obligé de dévoiler ses sources de revenu et qu'elles ne deviennent imposables » (Mitrokhin, 2001, p. 149).

3. Nouveaux enjeux, nouveaux territoires ?

Le territoire religieux de l'Église orthodoxe russe est aujourd'hui mis à mal par les processus de globalisation et l'entrée dans l'Europe de plusieurs pays de tradition orthodoxe. Certes, les appareils ecclésiastiques qui ont désormais leurs représentants auprès de l'Union européenne tentent de promouvoir leur propre vision du monde.

13. Courant schismatique au sein de l'Eglise orthodoxe russe apparu en Russie dans les années 1920 en réaction à la politique de rapprochement de l'Église avec le pouvoir soviétique. La Vraie Église orthodoxe s'est maintenue tout au long de la période soviétique dans la clandestinité. Elle a développé en son sein des courants apocalyptiques. 14.Voirhttp://religion.sova-center.ru/events/13B73Al/lF6636C?month=2003-07 15. Les obstacles étaient, entre autres, la question de la canonisation de la famille impériale et celles de l'œcuménisme.

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« L'Union européenne qui jusqu'à présent ne comptait qu'un seul pays orthodoxe, la Grèce, dépasse, avec l'adhésion de nouveaux membres, les frontières de l'Europe occidentale et est rejointe par des pays de tradition orthodoxe. En tant que partie de la société occidentale, les diasporas orthodoxes de ces pays, notamment les Chypriotes, les Roumains et les Bulgares, avaient déjà pris part au processus européen. Désormais, ce sont leurs pays qui sont impliqués dans l'intégration. Il est important que l'Occident reconnaisse que les pays de l'Europe orientale ont le droit de contribuer à la construction de la maison européenne commune. La spécificité de la vision orthodoxe doit être reconnue dans les documents européens. Ce n'est qu'ainsi qu'elle sera attirante pour le monde chrétien oriental. » (Hilarion, 2003) 16 Mais, de façon de plus en plus évidente, se pose la question de la compati

bilité de la Weltanschauung de certaines Églises orthodoxes - dont l'Église de Russie - et des relations qu'elles entretiennent avec les États, avec les normes internationales 17. Celles-ci institutionnalisent en effet les droits de l'homme, faisant d'eux un « réfèrent universel au-dessus des États », développent un discours sur le multiculturalisme et la diversité culturelle et redéfinissent les relations entre religion et citoyenneté (Koenig, 2001, p. 216). La place de la Cour européenne des droits de l'homme dans la gestion du multiculturalisme est croissante. En Moldavie, elle a pris parti pour l'Église de Bessarabie contre l'Église dépendant du Patriarcat de Moscou. Des arrêts ont été rendus contre la Grèce, la Roumanie, la Bulgarie.

L'entrée dans l'Union européenne transforme également les équilibres entre les Églises. Le Patriarcat de Constantinople pourrait, avec l'élargissement, voir son prestige et son influence augmenter (Anastassiadis, p. 21), en particulier par rapport au Patriarcat de Moscou. Entrant par les pays baltes dans l'Europe, le Patriarcat de Moscou demande également sa place au sein des instances représentatives européennes mais il est affaibli par le schisme au sein de l'Église orthodoxe en Estonie. De même, l'entrée dans l'Europe modifie-t-elle les relations entre les Églises orthodoxes et l'Église catholique qui se retrouvent dans une même préoccupation d'une Europe chrétienne. L'Église de Grèce semble ainsi prise entre la volonté de participer avec les autres Églises aux institutions européennes - ce qui implique des relations plus soutenues avec l'Église catholique - et ses tendances conservatrices (Anastassiadis, 2004, p. 24). L'Église orthodoxe russe devrait-elle connaître des tensions similaires ?

16. Pour Christodoulos comme pour Kirill de Smolensk, il s'agit d'assurer l'unité spirituelle de l'Europe et de préserver l'identité spirituelle de chaque peuple. L'Europe, avec ses « traditions de tolérance et d'ouverture », favoriserait 1' « harmonisation globale des traditions culturelles et socio-politiques ». 17. On pense à l'article 18 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'article 18 du Pacte international sur les droits civils et politiques de 1966, l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme de 1950.

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Enfin, dernier défi au territoire religieux : les nouvelles migrations issues de la chute du Mur qui transforment, elles aussi, les équilibres et donnent aux appareils ecclésiastiques l'occasion de poser à nouveau la question de l'organisation juridictionnelle des diasporas orthodoxes.

3.1. Vers une géographie transétatique

« La dispersion ne trouve jamais autant d'unité que lorsque le local parvient à donner sens au global, et réciproquement, dans la constitution d'une géographie sans territoire physique. Deux dimensions de la vie collective sont fondamentales dans ce processus : la religion et l'économie » (Dufoix, pp. 87-88). Sans doute est-ce la raison pour laquelle l'Église orthodoxe russe est mobilisée par le Ministère des affaires étrangères russe. Dans un contexte où de nombreux Russes se trouvent en dehors des frontières de la Russie, où l'on observe également de fortes migrations, la religion orthodoxe peut précisément offrir un visage d'unité à une nation russe de plus en plus dispersée.

On voit se dessiner une géographie transétatique par la sanctification de certains lieux à travers le monde (Dufoix, p. 89). La construction à Rome d'une église orthodoxe sur le territoire de la villa Abamelek- Lazarev, résidence de l'ambassadeur de Russie, est de ce point de vue hautement symbolique. Outre le fait que celle-ci apparaît comme une revanche contre l'implantation des catholiques en Russie et qu'elle symbolise également le changement de régime - la villa Abemelek- Lazarev souffrait avant 1991 d'une triste réputation -, l'Église orthodoxe russe cherche ainsi à renforcer sa présence en Europe occidentale et à donner une autre image que celle d'une Église d'émigrés et de réfugiés de l'ex-Union soviétique (Bensi, 2003).

La multiplication des pèlerinages en dehors de la Russie, que ce soit en Grèce, en Italie ou en France, en quête des racines de l'orthodoxie18 ou à la rencontre des Russes de la diaspora, modifie le rapport de l'Église orthodoxe russe au territoire. La canonisation, en janvier 2004, par Bartholomée 1er et le Saint-Synode de l'Église de Constantinople de cinq membres de l'Exarchat d'Europe occidentale d'origine russe donne une dimension universelle à cette Église et disjoint origine ethnique, appartenance ecclésiale et ancrage territorial 19. A propos de la canonisation de Mère Marie Skobcova, appartenant au courant libéral de l'Église, qui était

18. Un mouvement de jeunesse a ainsi organisé des pèlerinages en Bretagne à la découverte de la chrétienté celtique, source, selon les initiateurs, du christianisme orthodoxe. 19. Il s'agit d'Aleksej Medvedkov (1867-1934), curé de la paroisse d'Ugine ; de Dmitri Klepinin (1904-1944), Maria Skobcova (1891-1945) et son fils Jurij Skobcov (1921-1944) ainsi qu'Il'ja Fonzaminskij (1880-1942), tous quatre héros de la Résistance et morts dans les camps nazis (Zelenskij,2004).

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demandée par le diocèse de Souroge20 et que le Patriarcat de Moscou refusait d'accorder, un observateur de l'Église orthodoxe russe écrivait très justement :

« On ne peut pas dire que Mère Marie, désormais canonisée, sera unilatéralement rejetée par Moscou, mais l'on peut être certain que son culte sera un facteur de division au sein de l'Église orthodoxe russe du Patriarcat de Moscou, alors qu'il unit l'exarchat parisien de Constantinople et l'archevêché de Souroge [...] contre Moscou. » (Grigorij, 2004)

3.2. Renforcement identitaire ou remise en cause de la conception ethnocentrique du religieux ?

Les diasporas, « filles de la globalisation », remettent en cause les relations entre identités, nations et territoires. Elles contribuent à diffuser les valeurs spirituelles de l'orthodoxie dans le monde, mais elles sont le lieu d'une forte tension entre l'universel et le particulier.

L'arrivée de chrétiens orthodoxes venus de l'Est a des conséquences sur l'équilibre interne des Églises orthodoxes d'accueil. C'est tout parti-culiè- rement le cas en Grèce où les réfugiés de confession orthodoxe fréquenteraient davantage les églises que les Grecs. Dans cette Église qui a adopté en 1922-23 le calendrier grégorien, la minorité intégriste et anti-occiden- taliste que forment les anciens calendaristes (Kitsikis, 1994) s'est trouvée renforcée par l'apport des croyants des Églises orthodoxes ayant conservé le calendrier julien ; certains métropolites auraient eu tendance au début des années 1990 à adopter une attitude particulièrement intransigeante à l'égard de l'Union européenne (Anastassiadis, 2004, p. 18).

Si l'on en croit certains témoignages, en France, les nouveaux arrivants sont, dans leur majorité, indifférents à la vie des paroisses russes. Cette indifférence peut être liée à une culture post-soviétique qui accorde une place moindre à la religion, mais également à un refus d'entretenir la culture russe ; le fossé serait grand, tant socialement que culturellement, entre les émigrés des premières générations, qui avaient été obligés de quitter leur pays, et les nouveaux arrivants aux motivations tout autres21. Cependant, parmi les nouveaux arrivants, ceux qui sont soucieux d'appartenir à une Église seraient souvent en quête de liens forts avec leurs Églises d'origine ; « la problématique de l'Église locale leur est fréquemment étrangère : l'Église apparaît pour eux, souvent, comme le lieu du souvenir de la patrie quittée » (Sollogoub, p. 46). Ceux qui viennent de Russie chercheraient avant tout à fréquenter des églises où la liturgie se fait en slavon et le sermon en russe (Gabriel, 2004). Ils diffèrent en ce sens des chrétiens orthodoxes issus des générations plus anciennes. Beaucoup,

20. Diocèse du Patriarcat de Moscou en Grande-Bretagne et en Irlande, qui bénéficie d'une large autonomie. 21. Voir, par exemple, le témoignage d'Olga Horvath de Beaulieu (2004), membre du conseil paroissial de la paroisse russe d'Asnières-sur-Seine.

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en particulier ceux qui sont sous la juridiction du Patriarcat de Constantinople, développent une orthodoxie profondément ancrée en France ou en Europe. À Paris, ceux qui conserveraient la culture russe et continueraient à parler couramment russe aux deuxième et troisième générations seraient une minorité (Gabriel, 2004). Les paroisses orthodoxes, par ailleurs, attirent de plus en plus des Français de souche à des liturgies qui se font de plus en plus rarement en slavon. Il semble que l'on retrouve en Europe occidentale la tension observée dans d'autres communautés orthodoxes, comme par exemple dans la communauté grecque des États-Unis - composée elle aussi de différentes générations d'immigrés -, entre la figure d'un universalisme orthodoxe et celle d'une religion orthodoxe nationale (Roudometof & Karpathakis, 2002). Là comme ailleurs, la prise de conscience des interdépendances qui se produit en milieu diaspo- rique contribue à terme à un affaiblissement des frontières identitaires. La fluidité qui s'y opère remet en cause la conception ethnocentrique du religieux (Saint-Blancat, 2001).

3.3. Les débats autour de l'organisation juridictionnelle de la diaspora

Les migrations d'après 1991 reposent le problème lancinant de l'organisation juridictionnelle des diasporas qui renvoie, entre autres, à la « double distanciation » des diasporas, distanciation par rapport à leur culture d'origine, mais aussi par rapport à la société dans laquelle elles ont choisi de s'intégrer (Saint-Blancat, 2001, p. 83). Tant le Patriarcat de Constantinople que celui de Moscou ont ouvert des paroisses pour accueillir les nouveaux venus de Russie. Dans un contexte où, l'État soviétique ayant disparu, l'Église orthodoxe russe a retrouvé sa légitimité, le Patriarcat de Moscou tente aujourd'hui de réunir en son sein les chrétiens de tradition russe installés en Occident, prolongeant dans un contexte diasporique son principe de territorialisation nationale22. Alexis II a ainsi envoyé le 1er avril 2003 une lettre « aux membres de la diaspora russe en Europe occidentale et à leurs pasteurs » proposant la création d'une métropole autonome de tradition russe en Europe occidentale afin de « réunifier les juridictions russes qui n'en formaient qu'une en 1922 »23. À terme, la nouvelle métropole autonome souhaitée par le Patriarcat de Moscou pourrait servir « de creuset à l'organisation de la future Église orthodoxe locale multiethnique en Europe occidentale, construite dans un esprit de conciliarité par tous les fidèles orthodoxes se trouvant dans ces pays » (Alexis II, 2003a), l'Église rompant alors avec la logique de la tradition et le principe national. Cette lettre a provoqué de très vifs débats au sein des communautés orthodoxes en France.

22. Olivier Gillet emploie pour ce phénomène le terme de « phyléo-diaspora » (Gillet, 2001, p. 96). 23. Cette lettre pourrait être aussi une réponse diplomatique à la création en février 2002 de diocèses par l'Église catholique en Russie.

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Certains craignent cette Église russe post-soviétique et, notamment, une mainmise du Patriarcat de Moscou sur l'archevêché des paroisses d'origine russe en Europe occidentale - récemment, Moscou a déjà cherché à limiter l'autonomie de l'archevêché de Souroge. La politique menée par le Patriarcat de Moscou apparaît volontiers liée à un souci de monopolisation des biens du salut, voire d'appropriation du patrimoine immobilier. Beaucoup souhaitent, par ailleurs, garder l'héritage de l'Église de l'émigration. Les uns prennent conscience de la « nécessité d'une unité organique de l'orthodoxie en Europe occidentale, au-delà même des contingences d'origine ethnique, linguistique ou culturelle » et d'un indispensable dépassement de la fusion de l'orthodoxie et de la nation. D'autres, au contraire, qu'ils soient actuellement sous la juridiction de Moscou ou de Constantinople, veulent renouer avec l'Église russe, la situation juridictionnelle de la diaspora ayant dès ses débuts été considérée comme provisoire24.

Les diasporas sont ainsi le lieu d'une réflexion sur la transformation de l'ecclésiologie orthodoxe et, plus particulièrement, du rapport de l'Église orthodoxe au territoire. En Occident, la globalisation et la fluidité du religieux poussent à la « construction d'une Église locale d'un type nouveau, original, car elle doit pleinement respecter les confessions occidentales » (Clément, 2004, p. 9). Il n'est pourtant pas certain que l'Église russe, opposée à la présence catholique en Russie, accepterait cette nouvelle réalité :

« II nous semble que l'existence d'une Église orthodoxe locale en Europe est une question bien plus complexe et plus délicate que celle de l'unification de la diaspora russe. Tandis que la présence de diocèses ou de métropoles en Occident reste dans le contexte de "diaspora" et d'exarchat, même si elle n'est pas idéale sur le plan canonique, elle est admissible dans le dialogue œcuménique. En revanche, en créant une Église locale sur le territoire d'une autre Église reconnue comme telle, ..., ne signerait-on pas l'arrêt de mort de toute recherche de paix ecclésiale ? » (Siniakov, 2003)

La réalité religieuse se construit aujourd'hui en Russie autour des notions de territoire canonique et de civilisation, qui répondent l'une et l'autre à l'effondrement de l'Union soviétique et aux défis de la globalisation. Elles sont des catégories qui définissent de nouveaux territoires et de nouveaux particularismes locaux. L'Église orthodoxe russe réajuste son message. Tournant le dos à l'universalisme, elle développe un discours centré sur les identités collectives et tente ainsi de s'adapter à la fois au processus de construction nationale et à la nostalgie de l'empire. La présence de plus en plus importante de chrétiens sous la juridiction de l'Église orthodoxe russe dans l'Union européenne - qu'il s'agisse de Russes ayant récemment immigré dans un des pays de l'Union ou de Russes présents dans les États baltes récemment entrés dans l'Union - devrait néanmoins modifier de façon profonde le visage de cette Église.

24. Voir, en particulier, les prises de position du « Mouvement pour l'orthodoxie locale de tradition russe ».

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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Textes et discours officiels

Alexis II [patriarche de l'Église orthodoxe russe] (2001), Discours lors du Congrès des peuples slaves du Belarus, de Russie et d'Ukraine, ler-2 juin (http://russian-orthodox-church.org.ru/nrl06013.htm).

Alexis II (2003a), « Lettre de Sa Sainteté Alexis II, patriarche de Moscou et de toute la Russie à Son Eminence le Métropolite Antoine de Souroge, à Son Eminence l'Archevêque Simon de Bruxelles et de Belgique, à Son Eminence l'Archevêque Innokenti de Chersonese, à Son Excellence l'Evêque Gabriel de Comana, LocumTenens du Trône Archiépiscopal des Églises orthodoxes russes en Europe occidentale, à Son Excellence l'Evêque Ambroise de Genève et d'Europe occidentale (Église Russe hors frontières), à toutes les paroisses orthodoxes de tradition russe en Europe occidentale », 1er avril (http://www.la-France-orthodoxe.net/fr/Eglise/ alexisjettre).

Alexis II (2003b), Discours lors de sa rencontre avec la direction du Ministère des affaires étrangères de la Fédération de Russie, 6 mars (http://www.russian-orthodox-church.org/nr303063.html).

Alexis II (2004), « La place de l'orthodoxie russe dans le monde actuel ». Discours prononcé au VIIIe Concile Panrusse, Laure de la Trinité et de Saint-Serge, 3 février (http://orthodoxeurope.org./page/14/37.aspx.#ll).

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