l’Habitat Et l’Habiter en Territoire Rural Saf-saf –Nord-est de 'Algérie

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  • 8/15/2019 l’Habitat Et l’Habiter en Territoire Rural Saf-saf –Nord-est de 'Algérie

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    Université Paul Cézanne Aix-Marseille IIIInstitut d’Aménagement Régional

    École doctorale « Espaces, Cultures, Sociétés »

    THESE DE DOCTORAT ES SCIENCES

    Discipline:Aménagement du territoire, Urbanisme

    Présentée et soutenue publiquement Par :

    Thèse co-dirigée par :

    Mr. le ProfesseurSalah Eddine CHERRAD Mr. le ProfesseurDaniel PINSON

    Soutenue le:Jury: Président Larouk Md-Hadi Professeur Université ConstantineRapporteur Cherrad Salah Eddine Professeur Université ConstantineExaminateur Addad Md. Cherif Maître de Conférences C. U. Oum El BouaghiCo-rapporteur Pinson Daniel Professeur Université Aix Marseille IIIExaminateur Cote Marc Professeur Université Aix Marseille IExaminateur Semmoud Nora Professeur Université de Tours.

    EN COTUTELLE AVEC

    MMEESSSSAAOOUUDDII K K aarr iimmaa

    L’HAB ITAT ET L’HABITER E N TER RITOIRE RURAL :

    (Exempl e de La val l ée du Saf -Saf – Nor d-Est de 'Al gér ie-) INSC RIPTION SPATIALE ET MUTATION

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    REMERCIEMENTS

    Je remercie mes directeurs de thèse, le Pr. Salah Eddine Cherrad et le Pr Daniel Pinson,c’est à vous que je dois cette curiosité scientifique. En passant par vos inépuisables conseils,orientations et fructueux encouragements, mon œuvre a acquis pour moi-même comme uneautorité imprévue. Acceptez donc ici l’hommage de ma gratitude, qui, si grande qu’elle puisseêtre, ne sera pas à la hauteur de votre soutien et de votre tutelle. Merci de la confiance quevous m’avez constamment accordée.

    Mes remerciements s’adressent autant au Pr. Marc Côte, pour ses précieuses et

    généreuses séances de travail, dont l’apport m’a aidée à diversifier et à enrichir mon regard porté sur l’objet de recherche.

    C’est également aux multitudes anonymes, paysans, ruraux, habitants des villages ethameaux de la vallée du Saf-Saf, que je témoigne l’essentiel de ma reconnaissance pour la patience infinie dont ils ont fait preuve vis à- vis de mes investigations « indiscrètes », maissincères.

    Et rien n’aurait été possible sans…

    Lamine Kouloughli, Professeur en psychopédagogie à l’Université Mentouri deConstantine, dont la rencontre a été décisive et m’a guidée dans mon écriture. Je saisis cetteoccasion pour le remercier de l’enseignement qu’il m’a dispensé, des encouragements qu’ilm’a prodigués et qui m’ont permis de croire que j’arriverai un jour au terme de ce travail.

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    Á mes parent, Abdelhadi et Sadia dont latendresse et la complicité sans rivages m’ont

    tout appris. Je mesure le dévouement phénoménal d’avoirune fille aussi intransigeante que moi. Recevezici l’expression de mes indéfectibles : amouret respect.

    Á mes frères et sœurs, (Nabil, Nadia, Mimi, Karim, Amine) sortis un temps de la sphère médicale pour m’accompagner sur leterrain.

    Merci à tous.

    Á moi, j’ai cru en crever

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    RESUME EN FRANCAIS

    La dynamique de formation de nouvelles territorialités rurales, la manière dont estaujourd’hui habité le territoire rural, et plus précisément la relation entre la morphologie del’habitat et la dynamique du territoire dans lequel il s’inscrit sont au centre de cette recherche.

    Dans la vallée du Saf-Saf (wilaya de Skikda), le développement de l’habitat s’y est fait à partir d’un embryon initial, (ancienne ferme coloniale, village socialiste), et depuis quelquesannées, à l’image des villes et suscités par la crise du logement qui s’est affirmée,apparaissent des lotissements d’habitat individuel sortisex nihilo, associant les initiatives publiques et privées, ou encore d’implantations d’habitat vertical.

    Ces différentes formes de production d’habitat ont déclenché un processus de micro-

    urbanisations successives qui parsèment progressivement le territoire de la vallée. Désormais,les séquences et les paysages à l’allure urbaine se multiplient le long de la vallée du Saf-Saf,modifiant le territoire rural et transformant le paysage. Ces nouvelles petites localités ruralesforment toutefois des noyaux attractifs qui ont progressivement organisé leur propre territoirequi s’est intégré (parfois avec difficulté) dans le dispositif communal existant.

    Le territoire de la vallée connaît aujourd’hui des problèmes de recomposition territorialelargement liés à l’état d’insécurité marquant la décennie 1990. Contraintes de quitter leursterres et leurs demeures pour se rapprocher d’axes de développement plus sûrs, les

    populations rurales ont été particulièrement touchées dans leur mode de vie et d’habitat. Ainsià la diversité harmonieuse du territoire rural algérien s’est substituée une diversité confuse deterritoires qu’interpénètrent les rejaillissements de la crise urbaine sur les campagnes et lesrépercutions humaines et spatiales des troubles de la période dite de tragédie nationale.

    MOTS CLES :Habitat rural, l'habiter dans le rural, territoires et lieux, insécurité, micro- urbanisation, valléedu Saf-Saf.

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    ENGLISH SUMMARY

    HABITAT AND DWELLING IN RURAL TERRITORY:SPATIAL INSCRIPTION, MICRO-URBANISATION, MUTATION

    (THE SAF-SAF VALLEY- NORTH EASTERN ALGERIA)

    The dynamics of the new rural territorialities’ formation, the way in which the rural

    territory is today inhabited, and more precisely the relation between the habitat morphologyand the dynamics of the territory within which this habitat is situated, are the concern of the present research.

    In the Saf-Saf valley (wilaya of Skikda), the development of the habitat has sprung froman initial embryo (old colonial farms, socialist villages), but since a few years, associating public and private initiatives, and in much the same way as in cities and their characteristic ofgrowing accommodation crisis, mushrooming allotments of individual accommodation andvertical habitat have appeared.

    These different types of accommodation production have given birth to a process ofsuccessive micro-urbanizations that progressively litter the valley territory. Presently, urbanlike sequences and sceneries multiply all through the Saf-Saf valley, modifying the ruralterritory and altering the scenery. These new small rural localities constitute nonethelessattractive kernels which have progressively organized their own territory to integrate it(sometimes with difficulty) to the existing municipal setting.

    The valley’s territory witnesses today problems of territorial remodeling largely linkedto the state of insecurity that has characterized the 1990 decade. Forced to leave their landsand their homes to settle nearer safer areas of development, the rural populations have beenespecially marked in their way of life and habitat. Hence the former harmonious diversity ofthe Algerian rural territory has given place to a confused diversity of territoriesinterpenetrated by both the influence of the urban crisis on the countryside and the human andspatial repercussions of the troubles of what is referred to as the national tragedy period.

    KEY-WORDS:

    Rural habitat, rural dwelling, territories and places, insecurity, micro-urbanization, Saf-Safvalley.

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    SOMMAIRE :

    INTRODUCTION………………………………………………………………………….....8

    PARTIE I: ESSAI D’APPRECIATION DE L’HABITAT ET DE L’HABITER RURAL

    Chapitre 1: La question de l’habitat rural par des voix universitaires………………………..24Chapitre 2: Le parcours erratique de l'habitat rural…………………………………………..49Chapitre 3: Les sens de l'habiter……………………………………………………………...69

    PARTIE II: INSCRIPTION SPATIALE ET ESPACE RURAL ANTHROPISE

    Chapitre 4: La vallée du Saf-Saf: un territoire en mutation……………………………… ...103Chapitre 5: Des territoires ruraux construits à partir de l’habitat…………...........................127Chapitre 6: Mode d’habiter dans la vallée du Saf-Saf: l’appropriation de l’habitat, une notionféconde………………………………………………………………………………………169

    PARTIE III: LES NOUVELLES TERRITORIALITES DE L’HABITER RURALChapitre 7: Désorganisation territoriale…………………………………………………......308Chapitre 8: Des lieux, des liens et des nœuds……………………………………………….336Chapitre 9: Entre solidarités et conflits: l'habiter des hommes de la vallée…………………400

    CONCLUSION GENERALE: Pour une meilleure habitabilité des territoiresruraux……………………………………………………………………………………….440

    BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………………………..446

    ANNEXES…………………………………………………………………………………..453

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    INTRODUCTION

    « Chaque groupe recherche et constitue son identité dans ladifférence; mais si l’analyse doit atteindre ces différences, c’est pourdécouvrir par-delà, l’identité qu’elles dissimulent ou s’efforcent dedissimuler » (Bourdieu, 1958)1

    Dans son étude sur la sociologie de l’Algérie, Pierre Bourdieu confirme sa diversitégéographique, sa richesse culturelle ainsi que ses différentes structures et rapports sociaux.Marc Côte2 souligna également voici plus de 15 ans la variété remarquable de son habitatrural, depuis les maisons en hauteur du village Kabyle, les constructions à terrasse des

    dechras3 aurasiennes, les habitations en pisé des plaines céréalières, les gourbis en branchage

    de certaines régions forestières, jusqu’aux maisons cubiques de terre rouge de la Saoura, etaux constructions à coupole du Souf. Ces édifices traduisent la variété des matériaux utilisés,adaptés à l’environnement (terre, pierre, bois, gypse), et la diversité des techniquesconstructives. Aussi remarquable est la variété des modes de groupement, puisque, suivant lesrégions, cet habitat se présente sous forme d’écarts, de hameaux (mechtas) ou de villages, àl’image de la diversité de culture de leurs habitants.

    On peut cependant se demander si aujourd’hui, à cette diversité harmonieuse del’espace rural ne s’est pas substituée la diversité confuse de territoires qu’interpénètrent lesrejaillissements de la crise urbaine sur les campagnes et les répercutions humaines et spatialesdes troubles qui ont marqué la décennie écoulée, période du passé récent de l’Algérie que le pouvoir appelle « la tragédie nationale » mais qui est connue à travers le monde comme la« décennie noire/rouge » (période du terrorisme entre 1990 et 2000).

    Cette recherche se veut comme contribution aux études menées depuis une quarantained’années (depuis l'indépendance de l'Algérie en 1962) sur l’habitat rural, au sens premier que

    lui avaient donné Vidal de La Blache et Demangeon : d’établissement humain. Après une période de primat accordé à l’urbain, la campagne retrouve en effet dans les études

    1 Bourdieu, P, 1958, "Sociologie de l’Algérie". Paris, PUF, p : 05. 2 Côte. M, 1996, "Pays, paysages, paysans d'Algérie", CNRS Edition, Paris.3 Dechras, expression authoctone signifiant hameau ou petit ensemble d’habitat regroupé nulle part.

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    territoriales une place moins secondaire, dans la mesure où un peu partout, en Algérie commeailleurs dans le monde, la frontière entre l’urbain et le rural tend à s’estomper 4.

    En effet, l'urbanisation des sociétés contemporaines nous éloigne chaque jour davantagedes communautés rurales, et nous empêche de penser les campagnes sur le mode de la proximité et de la contiguïté. Jamais pourtant ce qui touche au monde rural n'a pesé aussi

    lourd entre sa mutation, son appropriation et son urbanisation.

    De ses nouveaux attributs, l’espace rural apparaît comme un espace d’enjeux majeurs etde conflits à l’encontre des intérêts individuels et collectifs car, lieu des différentes formesd'habitat, il est également un ensemble de territoires quotidiens où l'individu accomplit sonmode d'exister entre concurrences et ententes, entre pratiques et représentations territoriales,et entre inscription spatiale et mobilité.

    Ainsi, l’enjeu d’habitabilité des territoires ruraux est devenue de plus en plus insistant,

    autant pour accueillir les activités (agricoles et non agricoles) que les habitants. Lesrecherches dans le domaine rural5 ont assumé l'héritage des méthodes anthropologiques et, ontrenouvelé leur champ d’étude. Elles sont riches d'enseignement6, en particulier lorsqu'ellesdéfient des dichotomies entre tradition et modernité dans les pratiques rurales.

    Dans l'expression tenace de ses valeurs, sous des modes extrêmement variés, le rural aquelque chose d'irréductible7. Car, s'il est quelque chose d'original et de particulier à cessociétés rurales, ce n'est pas tant ce pluralisme des sources de droit d’appartenance à la terre -qui, somme toute, existe dans les lieux de l’urbain- que ces passerelles entre elles, leursmultiples interactions, et surtout leurs constantes influences et mutations.

    4 Pinson. D, Thomann. S, 2001, "La maison en ses territoires, de la villa à la ville diffuse", L'Harmattan, Paris.5 - Lefebvre, H, 2000, « Du rural à l’urbain », Anthropos, Paris.

    - Slak M.F. et Vivière J.L., 1999-2000. «Vers une modélisation du mitage. Péri urbanisation et agriculture»Etudes Foncières, n°85,

    -Luginbuhl. Y, 1992, « Le paysage rural, la couleur de l’agricole, la saveur de l’agricole, mais que reste-ilde l’agricole ? », Etudes rurales, n°121-124.

    -Kayser. B et Delsaud. J-R, 1978, « L'appropriation de l'espace rural autour des villes » in Etudes foncièresn° 2- pp. 1, 13-17

    -Kayser B, 1988, « Permanence et perversion de la ruralité » Etudes rurales, janvier-mars. In, Durbiano1997,

    P: 05-DUBOST. F, 1990, « Le lotissement implant urbain en milieu rural ? » Etudes rurales, N0119.6Tel qu'Henri Lefebvre qui concilie sur le terrain rural, la démarche horizontale (sociologique, anthropologiqueet géographique) et verticale (l’histoire), pour fonder la démarche «régressive progressive», une méthode pourintégrer la sociologie et l’histoire dans la perspective de la dialectique matérialiste, cette méthode est valabledans tous les domaines de l’anthropologie… elle seule peut être heuristique, elle seule dégage l’originalité dufait, tout en prenant des comparaisons… Sartre, JP, «question de méthode », dans Lefebvre op. Cit. , « Du ruralà l’urbain », p : XX7 Dans le sens où il ne peut être réduit à l’aspect spatial et physique, puisque beaucoup de paramètres façonnentle rural, en terme de sociologie, d’ambiguïté dans l’ancrage des habitations et les pratiques même au sein de ceterritoire de vie, donc sa vision ne peut être simplifiée.

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    Á travers des exemples pris dans la vallée du Saf-Saf, nous montrerons que le ruralconnaît désormais des problèmes d’occupation territoriale qui ne sont pas moindres que ceuxqui concernent l’urbanisation effrénée des villes. Mais ici, ils sont redoublés par l’étatd’insécurité dû à la période du terrorisme mentionné plus haut qui a instauré une atmosphèreincertaine et trouble. Il en est résulté une profonde recomposition des territoires. Contraintes

    de quitter leurs terres et leurs demeures, les populations rurales, comme au temps de lacolonisation et de la guerre de libération, ont été particulièrement touchées, dans leur mode devie et d’habitat, par les effets problématiques de cette recomposition territoriale.

    I- LE TERRITOIRE RURAL ANTHROPISE COMME OBJET DE LA RECHERCHE

    En Algérie, la nouvelle problématique de l’aménagement du territoire et plus particulièrement l’espace rural, nous renvoie à des influences multiples. Parmi elles la

    pesanteur démographique, exercée par l’espace urbain. Un des cas de figure : l’irruption dansle milieu rural, à des fins résidentielles, d’une population nombreuse dont l’implantation ne peut manquer de faire apparaître diverses formes de concurrences relatives à l’affectation dusol. En effet, l’implantation de constructions dans l’espace rural aboutit à des résultatsregrettables, moins en raison de la surface soustraite à l’agriculture qu’à cause des modes

    d'habiter . Actuellement l’espace rural est marqué par des disparités internes et externes

    émanant des villes, la localisation de ses habitations engendre des phénomènes multiples telsque la marginalisation, l’éclatement, le groupement et l’étalement.

    Notre propos est d’examiner l’usage de l'habitat, les lieux et les territoires de cet espacerural et qui gravitent autour de cet habitat. La recherche s’appuiera sur un terrain significatif,la vallée du Saf-Saf sur lequel s’exercent de fortes mutations socio spatiales. L'habitat, c’està dire l'espace approprié, « anthropisé », qualifié par des dénominations, des utilisations, desreprésentations, des fréquentations sera appréhendé et examiné à l'aide des régularitésdiscernables sous la diversité des pratiques et des relations espace/habitant ou selon laformule d’Henri Lefebvre, « l’habiter »8.

    8 L’habiter selon Henri Lefebvre, « L’habiter ne se réduit à une fonction assignable, isolable et localisable,l’habitat, qu’au nom d’une pratique dont le droit à la ville détermina les raisons, (…) on fait correspondre ponctuellement (point par point) les besoins, les fonctions, les lieux, les objets sociaux, dans un espace supposéneutre, indifférent, objectif (innocemment), après quoi on met en place des liaisons », Lefebvre H, 2000« Politique de l’espace », Anthropos, Paris, p : 11

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    Etant l'élément capteur et structurel du territoire rural, l'habitat revêt une complexité

    difficile à cerner car il est: l'espace physico naturel. (Enveloppe d’habitation, un élément physique par sa nature), ainsi que le reflet de tout un genre de vie qui est l’expression concrètede l’interaction entre les éléments naturels et socioculturels (valeurs du terroir, patrimoine,ruralité, intrusion de la modernité….).

    En considérant l'habitat rural, qui ne cesse de se développer, comme élément générateurd'un mode de vie et d'habiter, nous abordons en réflexions le rôle des pratiques habitantesdans la régulation de la dynamique territoriale. Il est donc pertinent de cerner l’habiter rural etses territoires dans l’objet de notre recherche pour comprendre commentl’habitat etl’habiter organisent ou désorganisent un territoire exogène à la ville? Tel objet peut paraître en sensible décalage en regard de la question des mobilités, question d'une actualitéaujourd'hui plus que brûlante et dont l'enjeu est véritablement sociétal. C'est dans cette

    optique que nos réflexions puiseront suivant deux dynamiques paradoxes et de contrairescoexistantes: l'installation dans le territoire rural (l'habitat comme centralité et inscriptionspatiale), ainsi que la mobilité comme pulsations dynamiques dans ce territoire (l'habiter enterme de pratiques quotidiennes des Hommes et des activités territoriales).

    II- DEVOILEMENT D’UNE DYNAMIQUE D’ « INSCRIPTION SPATIALE »

    Notre problématique part d'une recherche empirique sur les pratiques de l’habitat et del'habiter définies en tant que : dimension domestique et dimension spatiale et territoriale.Prenant le territoire de la vallée du Saf-Saf comme objet d'étude, nous nous interrogeons surles noyaux d'habitations et leur rôle structurant dans les territoires ruraux. S’appuyant sur desobservations laissant apparaître le travail intense de recomposition identitaire de l’habiter deces territoires, des nuances apparaissent en étroite relation avec la genèse et l’histoire deslieux qui les relient.

    Pour cela, il est nécessaire de comprendre les valeurs de centralité et de diffusion quifont sens auprès des anciens et nouveaux habitants de ces espaces ruraux, par la mise en place

    de l'habitat et le vécu de l’habiter. C’est en effet à partir de leurs expériences, de temporalitévariable, que les habitants de la vallée du Saf-Saf vivent et pratiquent leur territoire, yapportent par leur installation une contribution dont la réplication façonne de manièredéterminante le contenu avec des formes de micro-urbanisation (le mitage en est un aspect), y projettent des représentations et y défendent des valeurs qui pèsent de tout leur poids sur leschoix ou non choix d’aménagement.

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    Le corpus d’hypothèses pourrait être brièvement formulé par le fait que suite auxdestructions de la société rurale d'origine survenue ces quarante dernières année et ce, aprèsune domination coloniale, suivie d'une socialisation forcée au lendemain de l'indépendance,de multiples réformes qui ont remanié les territoires ruraux, d'une insécurité terroristeintolérable durant la décennie 1990-2000, les sociétés rurales algériennes livrées à elles-

    mêmes ont entrepris une "revanche spontanée" pour consolider leur inscription territoriale. Lemoteur de cette revanche en est l'habitat rural, élément générateur d'un mode de vie etd'habiter. La forme que prend cette "enveloppe de vie" n'est pas simplement le résultat deforces physiques ou de tout autre facteur causal unique, mais la conséquence de toute unesérie de facteurs socioculturels considérés dans leur extension la plus large. Les modesd'habiter, à leur tour, sont modifiés par les pratiques quotidiennes et les nouvelles relations desolidarité ou de conflits qui s'établissent entre les groupes sociaux.

    Á travers ses évolutions et ses mutations, l'habiter rural fonctionne de plus en plus entension, ses propres logiques de développement initialement fondées sur des valeurs d'usages pratiques et symboliques sont détournées par de nouveaux actes d'appropriation de l'espace etd'affirmation identitaires. Celles-ci entraînent pour les formes d'installations les plusanciennes (fermes agricoles, village socialiste, habitat rural) la densification de l'espaceconstruit, la dégradation ainsi que l'empiétement sur les espaces agricoles, et engendrent pourles plus récentes d'entres elles, focalisées sur l'attraction des formes de l'habitat urbain(maison individuelle en lotissement ou encore logement social); la raréfaction et le

    renchérissement des terrains urbanisables.

    III- PREALABLES DE METHODE

    Travailler sur le territoire rural, dans de telles circonstances d'insécurité, n’est pas chosecommode; inutile de cacher la difficulté d’arpenter ce terrain, éloigné et profond. Lesméthodes utilisées pour aller à la rencontre de ces territoires s’apparentent à celles del’ethnologie : elles se sont imposées car, sur les phénomènes étudiés, il n’existe pratiquement

    pas de données statistiques, ni de rapports administratifs exploitables, accessibles et dignes defoi. Une grande importance a donc été donnée aux matériaux recueillis sur le terrain, parl’observation directe et le recueil de la parole des habitants, qu’il a fallu libérer d’une grandeméfiance. Dans les fait, ces habitants ne manquaient pas de nous questionner d'abord sur notre provenance et notre propre vie avant de daigner répondre à nos questions.

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    Les premiers temps les habitants étaient en effet suspicieux, passaient devant le matérielde photographie avec des regards de biais. On nous désignait avec des appellations vagues,« le personnage à la caméra », entendait-on; en réalité l’outil audiovisuel leur faisait peur.Pensant à une journaliste ou craignant une envoyée des services de l’État, ils revenaient à lamême question lors de chaque entretien :« Est-ce que vous êtes une envoyée de l’État (el

    hekouma) ? », et ce n’est qu’en affirmant notre situation de jeune universitaire que les visagess’adoucissaient et semblaient être prêts à nous aider et à répondre à nos questions.

    Puisque tu fais un "exposé", on va tout te dire, mais il faut tout mettre, et situ arrives à conduire l’information exacte jusqu’en "haut", on te serareconnaissant.(Nous dit un habitant d’une ancienne ferme coloniale)

    « En haut » désigne l’État ; c’est ainsi que les habitants définissent la puissance publique, dans laquelle ils ont perdu toute confiance. L’État a en effet compromis sa

    crédibilité chez ces habitants du rural ; se sentant marginalisés, livrés à leur désarroi, ils seméfient de tout étranger qui essaie de s’immiscer dans leur misère. On les a trop leurrés, avecdes promesses qui n’ont jamais vu le jour ; lassés de tant d’indifférence, leur méfiance n’enest que plus humaine et plus touchante.

    Le chercheur, en dépit de la distance qu’il se doit de conserver, peut-il y êtreinsensible ? Sa capacité à « comprendre » cette misère, à entrer en « empathie » avec le paysan accablé ou la femme meurtrie, nous paraissait être une clef indispensable pour accéderaux aspects les plus enfouis de la situation vécue par ces habitants des campagnes. La

    connaissance, dans ce type de cas, est impossible sans une écoute « compréhensive »9, unetelle écoute libère la parole en même temps qu’elle doit rester vigilante sur les débordements possibles qu’entraîne la dramatisation du discours.

    Petit à petit, comprenant leur simplicité, leur mode de vie, passant des journées à lesobserver, sans les déranger, nous leurs sommes devenues, de passage en présence, familière,et nous avons pu nous intégrer dans une certaine mesure à leur monde et leur parler. Commele dit fort bien Jean Copans « l’observation permanente permet d’identifier l’enquête à la viequotidienne…cette identification de l’anthropologue à « son objet », parce qu’il vit avec lui,le conduit à penser celui-ci comme un microcosme expressif »10. Désormais lorsque nousarrivons sur « notre terrain » qui est en fait le leur, ils nous désignent par notre prénom, nous parlent en se confiant, nous invitent souvent à partager leur table.

    9Kaufmann, J-C, 1996, "L’entretien compréhensif". Paris, Nathan (Collection « sciences sociales 128 »).10Copans, J, 1996, "Introduction à l’ethnologie et à l’anthropologie". Paris, Nathan (Collection « sciencessociales 128 ») p: 20-21.

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    En réalité, notre démarche s'apparente à celle d'un arpenteur. En repérant, balisant,observant, s'entretenant, se familiarisant avec le quotidien, on découvre à travers "l'Autre", lesrelations sociales qui se tissent au sein des communautés et qui inspirent leurs culturessingulières, on déchiffre les rites et les symboles, on donne un sens aux représentations et auxformes de l'imaginaire. Notre méthode s'appuie également sur les témoignages collectés

    auprès des différentes composantes de la population de la vallée du Saf-Saf, des plus jeunesaux plus anciens des deux sexes. Ainsi, nous présentons des récits de vie qui relatent desitinéraires territoriaux modifiés, parfois brisés par le spectre de l'insécurité, l'abandon de laterre, le travail saisonnier, les activités occasionnelles ou parasitaires qui permettent"d'échapper à la condition d'exister sans une vie".

    Sur l’ensemble de la vallée, nous avons ainsi pu approcher 250 familles ; parmi elles,180 nous ont accordé leur témoignage, et permis de prendre des photos de leur habitation.Pour recueillir ces témoignages et, effectuer les entretiens, huit mois d’enquête sur le terrainnous ont été nécessaires.

    IV- L'ENQUETE DE TERRAIN

    Sur le territoire de la vallée, quelques communes plus que d'autres ont fait l'objetd'enquête exhaustive. La raison en est que l'élément de distance y a été déterminant. Descommunes comme celles de Béni Béchir ou d'El Hadaeik ont été plus accessibles et donc plus

    faciles à y accéder quotidiennement, que celle plus éloignés comme Salah Bouchaour et ElArrouch où les enquêtes n'ont fait que cibler quelques quartiers précis et qui sont exposésdans l'analyse. La commune d'Hamadi Krouma n'a pas été incluse dans notre recherche bienqu'elle soit une des communes de la vallée, la cause en est que sa vocation est radicalementtransformée car, elle abrite l'ensemble de la zone industrielle et la plate forme pétrochimique.Il faut mentionner également que les communes de l'amont de la vallée n'ont pas étéapprochées et ce, pour des raisons sécuritaires. En effet, au moment de l'enquête sur le terrain(entre 2005-2006) la région de Zerdazas et d'Ouled hababa étaient perçues comme des zones

    dangereuses.Revenons à présent au principe général de l'enquête de terrain, celui d'examiner les

    espaces domestiques produits dans la vallée du Saf-Saf ainsi que de mettre en évidence lessolutions choisies par les habitants pour satisfaire aux étapes successives du processus de production de l'espace.

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    Comme a pu l'indiquer Henri Lefebvre dans la préface de "l'habitat pavillonnaire"11, ilfaut aborder l'espace à plusieurs niveaux, sémiologique et sémantique, entre autres. Le niveausémiologique est constitué par la forme bâtie et les objets placés dans l'habitation et sonenvironnement immédiat, tandis que le niveau sémantique concerne les activités qui sedéroulent dans ces mêmes espaces.

    La méthode employée pour enquêter sur ces maisons mérite quelques mots. Elle peutêtre qualifiée d'ethno- architecturale. Elle met en œuvre deux procédures d'extraction des pratiques habitantes: l'entretien non directif et l'observation directe avec prises de vue photographiques des intérieurs et extérieurs.

    Ces deux procédés associés se stimulent car : la question de l'entretien va ainsi permettrede saisir l'histoire de la maison, le développement des usages, l'attribution des espaces aux personnes, tels que décrits et justifiés par le discours, alors que l'observation directe aidée parla photographie précisera des aspects indicibles de l'espace concret et des objets dans cetespace. Ainsi dans quelques exemples c'est le discours qui met en évidence une certainedisposition, tandis que dans d'autres c'est l'espace offert à l'observation ou à l'objectif photographique qui révèle une caractéristique sur laquelle la parole est restée silencieuse.

    Ainsi, l'enquête sur le terrain s'est développée dans ces deux directions principales. Ellea d'abord consisté à effectuer des croquis précis d'espaces domestiques. Sur ces bases, il afallu relever, pour chaque étude, le bâti et sa forme, les matériaux employés, les dispositionsintérieures et extérieures, les objets et meubles dans la maison. En ce qui concernel'environnement, nous avons porté une grande attention aux limites de l'espace privatif, auxaxes de circulation et aux parcelles agricoles. Nous avons, en nous appuyant sur les longues conversations enregistrées avec les habitants deces différents espaces, décrit leur vie quotidienne, reconstitué l'histoire de leur installation,recensé les différents individus qui ont vécu et enfin reconstitué les diverses étapes de laconstruction des habitations et des modifications qu'elles ont pu subir.

    La matière à partir de laquelle nous avons vérifié nos suppositions relève principalementd'entretiens, prenant en compte des situations significatives d’espace rural (maisons isolées,maisons en lotissements, maisons de village) et traduisant elles-mêmes des situations sociales précises. Des données et des enquêtes complémentaires ont été utilisées ou effectuées à deséchelles plus restreintes tels que sur des lotissements ou des écarts habités, permettant de

    11 Lefebvre. H, 1971, "L'habitat pavillonnaire", Haumont et als, Paris

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    mettre en évidence des évolutions et des dispositions d’espaces examinées de manière plusapprofondie auprès de leurs habitants. Pour faire l’autopsie de ces zones rurales la recherche aété menée sur la base d'une étude cartographique abondante.

    Dans la conduite de nos enquêtes, nous avons tenté au maximum de saisir avec précision

    les temps et les lieux de la vie rurale. Nous avons donné de l'importance à ce que le paysaninterrogé précise les dates et indique les lieux de ses déplacements. En effet, si la sociologieaccorde beaucoup d'importance au temps, élément fondamental de structuration des pratiquessociales, elle donne généralement moins d'importance à l'espace, aux lieux désignés. Un lieunommé par l'habitant du territoire rural, lorsqu'il va au-delà d'un caractère très général (zoneindustrielle, village, lotissement, école) et qui s'exprime par une localisation et uneidentification nominative, garde son sens concret, en particulier spatial pour la vie rurale. Parcontre il ne livre pas cette dimension au chercheur, si ce dernier n'a pas un minimum de

    familiarité avec la région. De cette manière, et dans la mesure où le renseignement nous étaitlivré, nous avons pu visualiser sur des cartes un certain nombre de dimension qui ont trait principalement aux réseaux relationnels (familiaux et amicaux), aux itinéraires professionnelset aux trajectoires d'habitats, ainsi qu'aux déplacement occasionnés par le travail ou les sortieshors travail.

    V- OBJECTIFS VISES ET DIRECTION D'ANALYSE

    L’objectif de cette recherche est de mettre en évidence les sens et interprétations quedonnent les nouvelles organisations territoriales aux figures émergentes des territoires dedemain. Loin d’une description détaillée de l’espace rural, de l’évaluation de sa mutation et deson ampleur et d’une prise de position manichéenne sur la nécessité ou non de le revaloriser,il s’agit de comprendre les symboles, les marques, les interprétations de diverses formesd’installation et de ce qui les régit ou les provoque et qui sont au fondement des territoiresruraux.

    Les attendus d’une telle recherche sont une meilleure compréhension du fonctionnement

    des territoires ruraux, et des significations qu’ils représentent. Ils contribuent à la prise encompte de l’appropriation de ces territoires par les accédants de l’habiter, à la compréhensiondes dynamiques d’une forme de territorialité rurale, de celle de l’habitat rural et de l’habitatdans le rural. C’est la dynamique de formation de nouvelles territorialités qui est au centre decette recherche, la manière dont est aujourd’hui habité l’espace rural, plus précisément larelation entre la morphologie d’un habitat et la dynamique du territoire dans lequel il s’inscrit.

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    Après avoir brièvement relaté les différentes recherches universitaires qui se sontintéressées aux territoires ruraux, suivis d'un récapitulatif des différents programmes et politiques visant à promouvoir l'habitat rural, l’étude enchaînera en décrivant le contexteterritorial choisi, en quelques éléments de cadrage sur les caractéristiques de la vallée du Saf-Saf. Par la suite, il sera question de relater et, de mettre en relief l’émergence du territoire

    rural et les transformations qu’il subit, avec des démonstrations du rôle de l’habitat dans laformation et l’organisation du territoire rural; ce volet sera alimenté par des illustrationschoisies selon leur diversité typologique (ferme coloniale, Village socialiste agricole (VSA), petite ville).

    Nous essaierons d’abord de comprendre les logiques qui ordonnent la localisation desunités domestiques ainsi que leur inscription spatiale dans le territoire de la vallée à traversdes groupements d’habitat. Celles-ci [les logiques de localisation] disposent d’un particularisme spatial qui s’affirme dans toute l’étendue des variations possibles de l’habitat :logements-types (collectifs verticaux, logement social, maison à plan-type) c'est-à-dire de la production hétéronome12 du logement, ou alors la production autonome (et nous verronsqu’elle est importante : maisons individuelles en lotissement, auto- construction), maiségalement des figures singulières d’installation et qui surviennent lorsque le regroupementtypologique est impossible.

    Le processus d'appropriation de l'espace commence par la dénomination et le marquaged'un lieu. Son contrôle et sa privatisation par un individu ou une famille se traduisent par lalimitation du territoire. Le premier point d'analyse porte donc sur la localisation des habitantsde la vallée, sur les formes et les dimensions de leurs espaces domestiques, mais aussi,corollaire inévitable, sur les conditions de leur installation et de leur appropriation de l'espace.Tout espace est organisé, donc polarisé. Les lieux remplissent des fonctions différentes et prennent, de part leur position relative, de l'importance pour les uns par rapport aux autres.L'espace domestique est constitué en sous-espaces hiérarchisés entre lesquels se créent descommunications et donc des cheminements.

    La dernière partie est consacrée aux mutations socio spatiales et leur impact surl’organisation territoriale. Nous saisirons comment se disposent autour de l’habitation principale des territoires circonscrits qui rythment le quotidien et cela à travers le réseau desrelations familiales et territoriales, dans l’articulation avec des annexes résidentielles et dans

    12 Elle reçoit de l’extérieur les lois régissant sa mise en place.

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    le rapport avec la grande ville Skikda. Nous essaierons par ailleurs de comprendre le rôle desacteurs du territoire dans l'organisation ou la désorganisation de celui-ci, sachant qu'une partappréciable de l'analyse est consacrée aux différentes relations qui se manifestent dans lavallée: les solidarités sociétale qui allégent le poids de la marginalité et de la peur qui règnentdans les campagnes algériennes, mais aussi les multiples confrontations spatiales qui se sont

    déclenchées suite à la recomposition intense du territoire de la vallée.

    VI- UN INTERET POUR LES ARCHITECTES ET LES AMENAGEURS

    "Chez les paysans la tradition est la seule sauvegarde de leur culture. Ils ne savent pas juger les styles qui ne leur sont pas familiers, et s’ils sortent des voies de la tradition ils irontinéluctablement au désastre. Vouloir délibérément briser la tradition dans une société paysanne est un meurtre culturel et l’architecte doit respecter la tradition sur laquelle il

    empiète"13

    . Hassan Fathy explique l'attitude trop souvent adoptée par les architectes et les professionnels qui, lorsqu'ils sont confrontés à une communauté paysanne, ont tendance à penser que celle-ci n'est d'aucune valeur pour leurs considérations professionnelles, et quetous ces problèmes peuvent être résolus par l'importation d'une méthode urbaine élaborée pour solutionner des problèmes de construction.

    Pour certains aménageurs également, à la recherche d’efficacité et de solutions, uneétude sur les aspirations des habitants des territoires ruraux représente une perte de temps,

    une réflexion destinée aux spécialistes et serait inutilisable pour parer aux urgences concrètesdu territoire dont ils ont la charge (métropolisation, crise du logement, requalification descentres, développement des infrastructures ou encore la gestion des métropoles…). Cettemodeste contribution est susceptible d'aider les acteurs et décideurs de l'urbanisme à trouver,en partant d'une analyse de ces logiques, envisagées dans leurs aspects rationnels etirrationnels, une orientation consensuelle entre éparpillement et regroupement, en articulationentre les lieux et les territoires ruraux.

    13 Fathy. H, 1970, "Construire avec le peuple", Sindbad, Caire, p; 60.

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    Cela dit, même si l'apport de la recherche présentée ici ne prétend guère constituer unenotice de recommandations immédiatement applicable sur le territoire, la notion d’aspirationmérite l’attention des professionnels, ne serait-ce que parce qu’elle se montre plus prompte às'intéresser aux attentes des habitants ruraux que celle des besoins urgents des villes.

    Il nous semble donc primordial de connaître les aspirations et les valeurs des ménageshabitants le territoire rural, les blocages et la fragilisation dont ils sont victimes, ainsi que lestensions qui se créent entre groupes d’habitants ruraux et néo-ruraux, afin de fournir auxaménageurs et aux architectes des éléments de réflexion quant à un fonctionnement territorial plus équitable et plus solidaire.

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    PARTIE IESSAI D’APPRECIATION DE L’HABITAT ET DE L’HABITER

    "Logé partout, mais enfermé nulle part, telle est la devise

    du rêveur de demeures. Dans la maison finale comme dans mamaison réelle, la rêverie d'habiter est brimée. Il faut toujourslaisser ouverte une rêverie de l'ailleurs" (Bachelard, 1957)14

    INTRODUCTION

    Quel que soit le rythme de développement d’un territoire, l’offre résidentielle n’est pas

    sans rapport avec la transformation du paysage, des organisations territoriales spécifiques. Carle processus du redéploiement des villes sur leur arrière-pays s’accompagne durenouvellement de la forme architecturale de l’habitat. Son étude est digne d’intérêt dans lamesure où elle permet de dessiner les contours de ce que pourront être les installationsrésidentielles futures en milieu rural.

    L’analyse de cet habitat en Algérie apparaît aujourd’hui intéressante à double titre.D’une part, l’habitat rural est toujours le reflet d’une société : il est en effet la projection surl’espace de la société rurale, et on peut y lire bien des traits de celle-ci. D’autre part, il est

    actuellement l’objet de mutations importantes, qui le transforment profondément, même sielles apparaissent moins spectaculaires que celle que vit le milieu urbain.

    Dans cette partie nous essayerons de restituer l'histoire du monde rural, de l'habitat ruralen Algérie, un rural passé au crible, entre intérêt, passion et hymne à la terre. De la notion del’habiter, de son oubli dans les programmes d’aménagement du territoir et la politique del’habitat rural.

    Nous tenterons de saisir l'habitat et l'habitation comme des objets totaux, comme le lieud'intersection de multiples logiques : logique politique à l’égard de toutes les réformesengagées par l’État algérien pour l’aménagement des territoires ruraux, logique égalementéconomique dressant la place de l’agriculture dans ces politiques réformistes, ainsi que leslogiques sociales en traçant la place de l’habitant du monde rural et ses pratiques[inscriptions] spatiales, ou encore les logiques symboliques qui montreront les liens que

    14 Bachelard. G, 1957, "La poétique de l’espace", PUF, Paris, p: 69.

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    l’habitant établit avec sa maison et son environnement. Au-delà de l’analyse des phénomènesarchitecturaux en termes de contraintes liées à la nature du milieu environnant ou encore entermes de "maison -outil"15, nous essayerons de prendre en compte d'autres aspects tels que :les manières d'habiter, d'occuper l'espace, les comportements, les valeurs qui s'attachent à lamaison dans son ensemble et à chacune de ses parties, aux meubles, aux objets, donc aux

    relations complexes entre organisation sociale, représentations symboliques et formed'habitat.

    Nous voudrions souligner, indépendamment de ces axes de recherche, l'importance del'analyse du vocabulaire dans l'approche de ces phénomènes. Le lexique recèlera en effet laréalité architecturale qui est pour nous une sorte de guide, un guide qui permettra de cerner uncertain nombre de valeurs qui s'attacheront aux différentes parties constitutives de l'habitat etde l'habiter du territoire rural. Cette partie permettra de donner le point des connaissancesacquises dans le champ, tant en ce qui concerne les campagnes algériennes, les politiques quiles ont concernées que la question de leur habiter.

    15 Demangeon. A, 1952, "Problèmes de géographie humaine", Paris, Armand Colin, première édition 1942.

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    CHAPITRE 1

    LA QUESTION DE L’HABITAT RURALPAR DES VOIX UNIVERSITAIRES

    « La limite n’est pas ce où quelque chose cesse, mais bien, comme les Grecs l’avaient observé, ce à partir de quoiquelque chose commence à être ». (Heidegger, 1958)16.

    Longtemps, la recherche a cristallisé une grande partie de ses efforts sur les maux de laville induisant des effets scientifiques et politiques d’aveuglement sur les processus sociauxet les difficultés présentes ailleurs que dans les métropoles.

    En Algérie parce qu’il est considéré comme l’expression de « supplétif» du futurdéveloppement des villes, l’espace «d’attente » dont l’identité spécifique disparaît, leterritoire rural reste un espace de vie trop peu analysé du point de vue des ordonnancesrésidentielles et des inégalités sociales. Ainsi, représenter le rural comme « l’univers des paysans » où les familles réalisent le projet d’une vie basée sur l’essentiel, sur l’indispensable,loin des tourments du superflus et des accessoires des villes17, tend à minimiser les enjeux desterritoires ruraux en accentuant la primauté des recherches sur "l’urbain".

    Ceci est paradoxal car l'Algérie demeure un pays profondément marqué par le fait rural.Le Recensement Général de la Population et de l'Habitat (RGPH) de 1998 recensait 13millions personnes résidant en zone éparse et dans près de 3000 villages et bourgs. Ces petiteslocalités que caractérise un rythme de développement très rapide, devraient pourtant retenirl'attention car elles sont de création récente, en devenir, et surtout l'expression d'unedynamique réelle. Le rural en tant qu’espace intégré au sein d’aires territoriales dynamiques,est traversé par des logiques économiques, résidentielles et sociales qui le renouvellent sanscesse.

    Si le souci majeur concernant le rural a pu être, longtemps, son désenclavement grâce àla généralisation de l’auto -mobilité par la viabilisation de ses routes, de l’eau et del’électricité grâce aux efforts consentis par les politiques publiques, n'est- il pas temps del'appréhender désormais comme un espace en renouvellement social où les cohabitations

    16 Heidegger. M, 1958, « Essais et conférences -bâtir habiter penser- », Gallimard, Paris, p: 183.17 Ibn Khaldoun, (édition de 1965), "Le Rationalisme d'Ibn Khaldoun", in Labica. G, "Extraits de laMuqaddima", centre Pédagogique Maghrébin, Hachette. Alger.

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    entre catégories sociales de populations différentes induisent une harmonie, une coexistencemais aussi des tensions entre les habitants, entre l’habitant et son habitat et l'habitant et sonterritoire.

    Les habitations traditionnelles et le monde rural dans lequel elles s’organisent, ontintéressé depuis plus longtemps les sciences humaines et sociales. Leurs observations, leurs

    classifications, leurs théories demeurent un point de départ solide pour les rares études plusrécentes, en architecture par exemple.

    Notre propos n'est pas ici de présenter dans sa globalité la manière dont les chercheursont abordé les questions des thématiques dans l'espace rural. On ne peut ici rappeler tous lesapports, à peine résumer quelques œuvres protagonistes qui nous semblent essentielles, enrelevant les réflexions sur le thème de "l'habitat rural" et la part donnée à sa considération.

    I- L’HOMME SEPARÉ DES AUTRES HOMMES N’EST QU’UN CRI18

    La première œuvre à laquelle nous adressons est une thèse de doctorat d’état ensociologie rurale dont une grande partie a été publiée. Elle présente un regard sur la sociétérurale algérienne qui s'attache d'avantage à la "part immergée" de l'iceberg social qu'auxdiscours idéologiques. Ainsi Wadi Bouzar 19 qualifie la dimension mémorielle de la vie socialealgérienne. La quête par l'Homme, propose ainsi l'auteur, de deux éléments d'apparenceantinomique, l'eau et le feu, participe d'un seul et même acte, celui de la sédentarité. En effet,note-t-il, alors qu'autour d'un point d'eau il est une pause, parfois définitive, qui prend pourautre nom oasis, village, bourg ou cité; "la construction du feu", acte de regroupement contrele froid et la mort qu'il peut signifier s'assimile quant à elle à la "construction du foyer",symbole patent de présence vitale que rend l'image d'un feu qui danse ou encore d'unecheminée qui fume.

    De même pour l'auteur, la dialectique du mobile et de l’immobile, du nomade et dusédentaire, apparaît au cœur de toute problématique existentielle car la condition humaineoscille entre ces deux pôles.

    Ainsi, l’ouvrage de Bouzar est un voyage initiatique de la vie sociale algérienne,mémoire collective. Ce voyage haut en couleurs auquel il nous convie est jalonné d'us et decoutumes de pans de vie de mouvance à travers les personnages d'Ibn Battouta ou encore

    18 Bouzar. W, 1983, "La mouvance et la pause, regard sur la société algérienne"; p : 33, référence à J. Ziegler"les vivants et la mort", Seuil 1975, p: 29519 Bouzar W, (1983), op. Cit.

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    d'Ibn Khaldoun, et de pause poignante animées par la raison des êtres, leurs rêves, et leursstratégies. L'allusion littéraire, chez Mouloud Feraoun et Assia Djebbar, et la poésie lyrique àtravers la voix des montagnes de la belle Taos ou les vers bruts de Si Mohand, dans laquellel'auteur puise, contribue à la création d'un étalage de sens, d'odeurs, de regards et d'écoutesqui défendent la "source et le confluent" de l'aspect rural, nomade, en une ronde infatigable,

    en une recherche obstinée d'un équilibre fragile entre "mouvance et pause". Deux volumes,traversent les rituels, les danses car pour Wadi Bouzar les images qui peuvent être vues sontaussi écrites.

    Le projet de l'auteur implique ce qu’il nomme une problématique des « passages », de lacampagne à la ville, du nomadisme à la sédentarité. Problématique essentielle pour lui dansl’étude d’une société de type agraire et mesulmane comme la société algérienne. Utilisant unedémarche comparative qui joue un rôle central dans la construction de l’objet, il compare desespaces, des époques, des acteurs sociaux, des discours, et son analyse permet de dégager desanalogies et des différences entre ces données.

    Les espaces et les groupes que l'auteur considère sont diversifiés. Des nomades observéset enquêtés sur les hauts plateaux dans la wilaya de Djelfa, aux villageois en grande Kabylie,dans la wilaya de Tizi Ouzou. Des distances appréciables et des différences existent entre cesespaces et ces groupes. Dans un premier temps, Wadi Bouzar propose une approche initiale« pour une problématique nomade », dans laquelle il écrit: «Tous les mouvements derenaissance islamique se ressourcent dans la "bâdiya", l’espace rural »20. Il admet que lesnotions de mobilité et de nomadisme se recoupent pour une part et que s’il existe desdéfinitions sociologiques de la mobilité et du nomadisme, il est possible de se livrer à uneextension du sens de ces définitions, dans le cadre surtout d’une approche macrosociologique.Dans les faits, l'auteur affirme qu’en tout type de société, la vie rurale a précédé la vie citadineet qu’en ce sens, tout citadin conserve, plus ou moins, en soi une part de ruralité.

    Bouzar ajoute que le citadin, et ce, encore en tout type de société, hérite aussi d’une partnomade qui remonte plus loin, à l’organisation première de la vie en société, à ces temps préhistoriques où l’homme encore proche de l’animal se déplaçait en bandes à la recherche de

    sa nourriture et de son vêtement. Il affirme que de la préhistoire à l’histoire, on retrouve uneaspiration moindre mais non moins réelle à la mobilité, au voyage, au « nomadisme familierou symbolique » et au « nomadisme sociologique »21.

    Ainsi, les formes de déplacements se rattacheraient à une mobilité première, nécessaire àla survie, mais aussi à un besoin fondamental de changement, de dépaysement, de

    20 Bouzar. W, 1983, op, cit, p : 5921 Op. cit, p : 61

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    connaissance, de communication; ce que l'auteur appelle nomadisme "réel" ou "symbolique",forme seconde de la mobilité car plus tardive et plus élaborée dans l’évolution des sociétéshumaines. Mobilité et nomadisme représenteraient donc deux concepts aux recoupements possibles qui déterminent une problématique de la mouvance.

    Des images de cette mouvance, sont illustrées à travers des écrits, des périodes, des

    personnages, des lieux, dont un, plus amplement étudié: la wilaya de Djelfa. À travers lalittérature l'auteur évoque, dans un récit critique et passionnant toute la splendeur et toute laconfrontation de trois images: précoloniales, contemporaines et récentes.

    La première image précoloniale, est le voyage de deux protagonistes du nomadisme, levoyageur Ibn Bâttuta, et le philosophe explorateur Ibn Khaldoûn. En exposant la perspectivekhaldounienne concernant l’approche des faits bédouins et nomades, Bouzar relate l’intérêt decette œuvre qui est d’autant plus grande qu'elle revêt d'autant plus d'intérêt pour la problématique ville- campagne.

    En effet, Ibn Khaldoun traite dans El Muqqadima(prolégomènes) des moyensd’existence22 (Maâch). Il distingue le "rizq" (moyen de subsistance proprement dit) du "kasb"(le profit), et explique comment le surplus, la possession, le goût et l’accumulation de l’avoirsont à l’origine de la fondation du bourg et de la ville. Il serait aussi un problèmesociologique qui existerait à toutes les époques: le passage de la vie rurale à la vie urbaine etqui constituerait un lien privilégié d’observation et d’analyse des mutations.

    À partir de la notion du primat du nécessaire- que propose Ibn Khaldoun- il est aiséd’admettre que la vie à la campagne est antérieure à la vie urbaine : «la vie à la campagne adû précéder celle des villes, en effet, l’homme pense d’abord au nécessaire, il doit se le procurer avant d’aspirer à l’aisance. Donc, la rudesse des champs a existé avant leraffinement de la vie sédentaire, aussi voyons-nous la civilisation, née dans les champs, seterminer par la fondation des villes, et tendre forcément vers ce but. Aussitôt que les gens dela campagne arrivent à ce degré de bien être qui dispose aux habitudes de luxes, ilsrecherchent les commodités de la vie et se laissent entraîner vers la vie sédentaire.»23

    Ici, l’auteur souligne que la vie bédouine est antérieure à la vie citadine. Que la

    « rudesse » de celle là précède la "délicatesse" de celle-ci. Que le nomade proprement dit estenclin à se sédentariser et à se "citadiniser". La recherche du bien être, du surplus, du luxeaccentue alors la croissance urbaine multiforme.

    22 Ibn Khaldoun (présentation de G. Labica), Extraits de la Muqaddima, op. Cit. p: 126.23 Ibn Khaldoun « El Mouqqadima » op. cit, p: 258, in Bouzar. W, 1983, op. Cit. p: 135.

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    Dans une deuxième image, contemporaine celle-là, Bouzar détecte la mouvance àtravers l’agression coloniale et les hommes nomades qui l’ont combattu car, selon lui, cettefaculté de mouvance a permis à la résistance algérienne de durer longtemps, et apparaît ainsiet encore dans toute son importante spécificité nomade.

    En se référant aux travaux de Marx et Engels sur le fait nomade, l'auteur propose que le

    nomadisme vécu et pratiqué est incompatible avec le processus d’urbanisation et se rallie parle même à la théorie khaldounienne selon laquelle le nomade construit dès lors qu’il n’est déjà plus tel et qu’il a commencé à se sédentariser. Pour le groupe nomade, l'appropriation ou la production, est celle du troupeau et non de la terre. Les rapports du groupe nomade au sol sonttrès lâches, sinon indifférents. Par contre, les rapports internes au groupe, dont ceux de parenté, peuvent être renforcés.

    Dans une dernière image récente, un voyage est raconté vers uneterra incognita, vers lesud, vers la wilaya de Djelfa. Un périple exquis dans les méandres de la littérature, sur lesailes des "alouettes naïves"24; un récit de survivance, d’origine, de culture orale, de mœurs;une description intense des sensations, du lieu habité, de la vie jadis et de la femme. De lafemme et de l’habité l'auteur écrit : "il faut sentir le lieu "habité", sentir une présence féminine, même si, à moins d’être un familier, on ne voit pas la maîtresse de maison (môlet eddâr, bent en nâss). Une maison sans femme est-elle un foyer ? Peu de sociétés tolèrent aussimal le célibat que les sociétés islamiques. L’homme y est toujours à la périphérie de la femme. Elle le laisse d’autant s’éloigner qu’elle se sait son centre de gravitation. Elle"nomadise" intensément, mais de demeure à demeure, et d’abord dans celle de sa famille, oùqu’elle soit elle se fait cercle"25.

    "Une maison sans femme est-elle un foyer? Femme feu, mais aussi femme qu'on ne voit pas, femme élusive mais qui pourtant est là, femme élusive comme l'eau de quelques sourcessouterraine. L'eau et le feu, deux éléments, apparemment antinomiques mais reliés en un seulacte de sédentarité. Et déjà le voyage se fait pause, inéluctablement, rappelant ou mêmeconfirmant le déterminisme khaldounien que l'homme tend à la sédentarité.

    La pause est aussi mentionné par l'auteur lorsqu'il écrit son attachement à l’oasis du

    grand Sud algérien qui offre l’image d’un lieu privilégié de passage à la vie sédentaire etcorrespond en fait au premier lieu sédentaire. Cette pause est également indiquée à travers lesrécits de l’itinéraire de deux villages. En premier, "Le village perdu" de Fadhma Amrouche etde ses héritiers, l’inscription de leur ruralité à travers leurs œuvres poétiques, littéraires etartistiques. En second, "le village d’en haut" qui a couvé le dilemme de l’identité entre élève

    24 In Bouzar. W, 1983, op. Cit. En référence au roman d'Assia Djebbar. "Les alouettes naïves"25 Bouzar. W. 1983 op. Cit. p : 305

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    ou berger de Mouloud Feraoun26, une sorte d’hommage à une enfance lumineuse, villageoised’abord, émancipatrice ensuite pour revenir se sédentariser et exercer son instruction dans levillage du cœur à "Tizi Hibel".

    Enfin, tentant de trouver le sens originel de la sédentarité, Wadi Bouzar assimile lecimetière à un vrai village qui correspond selon l'auteur au premier acte sédentaire. Un village

    fantôme, plein de tristesse et de mystère, illustrant l'itinéraire de la mouvance d'une vie en sestrois phases que sont : l’aller (vers "l’autre"), le choc (par l’autre), vers finalement le retour etla pause parmi les siens27.

    II- L’AUTO GESTION HERITIERE DE L’OPULENCE DES ANCIENNES FERMESCOLONIALES

    Dans sa thèse de doctorat en sociologie rurale "La Mitidja autogérée", ClaudineChaulet28 s’attelle à établir une étude autour de ce qui était alors une nouvelle idée porteused’espoir pour les travailleurs, les jeunes, d’intellectuels en quête d’un socialisme libérateur,"L’Autogestion".

    C’est au cours d’une réalité amorcée que Chaulet entreprend son étude. Son projet estloin d’être annonciateur d’une conclusion quelconque, puisque au moment de son récitl’autogestion continuait à connaître des transformations.

    La description d’une des fermes qu’elle étudie, est évocatrice de son attachement à cettetransformation du système de production et de son influence sur les groupes sociaux.D’ailleurs cette influence est l’élément générateur par lequel l’auteur consolide son étude, lastructure habitable n'étant qu’effleurée par une description des corps de bâtiments de la ferme.

    A travers ses chapitres, Chaulet inventorie les différentes phases de la mise en place del’autogestion, passant par un rappel de la domination coloniale, et de la colonisation rurale deson terrain d'étude la Mitidja. L'auteur note que les apparences y étaient somptueuses, etl’autosatisfaction généralisée. Les propriétaires, grâce à la superficie de leurs exploitations etaux larges facilités des crédits dont ils disposaient, avaient pu mécaniser précocement le

    travail, s’équiper en bâtiments de grandes dimensions et appliquer rapidement certains progrès agronomiques. Leurs méthodes étaient modernes sans être intensives. Leurs effortss’étaient portés depuis longtemps plus sur le maintien de leur situation privilégiée que sur

    26 Feraoun. M, 1954 "Le fils du pauvre", Point, Paris.27 Bouzar. W, 1983, op. Cit. Partie VII "Le village perdu", p: 85.28 C. Chaulet, 1971, "La Mitidja autogérée, enquête sur les exploitations autogérée agricoles, d’une régiond’Algérie, 1968- 1970. SNED, Alger.

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    l’amélioration de leurs rendements ou la diversification de leur production. Soucieuxseulement de produit net et vivant dans une trompeuse sécurité, ils laissaient vieillir leursvignes et ne perfectionnaient pas au maximum leurs techniques arboricoles29.

    L'auteur souligne aussi que le système d’exploitation adopté par les colons incluait unedisponibilité complète de la main d’œuvre comme élément fondamental allant de soi.

    Composition des plantations, plans de culture, techniques utilisées, organisation du travail, prévision de recette et financement y étaient combinés en fonction de "contraintes" dont lamain d’œuvre ne faisait pas partie30.

    Après le cessez-le feu en 1962, le retour des nationalistes, mûris par plusieurs années demaquis, était sensé donner aux domaines des responsables prêts à s’engager dans desinnovations profondes.

    "Quoiqu’il en soit, l’essentiel de ce qui allait devenir "l’autogestion" était déjà en place sur ce domaine avant l’indépendance : responsabilité de l’exploitation confiée à destravailleurs choisis ou acceptés par l’ensemble des travailleurs présents, recherche d’unecombinaison entre la technicité nécessaire et l’engagement politique, priorité accordée aumaintien de la production"31

    Au total, l’histoire des fermes vacantes pendant l’année 1962 reste difficile à éclaircir. Ilest pratiquement impossible de trouver des documents écrits, et la mémoire des travailleurs ne peut restituer que ce qu’ils ont vu et compris. Or, de nombreuses décisions ont été prises sansqu’ils aient été consultés ni informés, et d’autre part la confusion des responsabilités semble bien avoir été aussi complète dans la réalité qu’elle l’est dans leurs souvenirs32.

    L'auteur note à cet effet que les textes avaient été préparés en cercle assez restreint, sansconsultation large et directe de représentants des travailleurs. Promulgués sous forme dedécrets, ils restèrent longtemps isolés dans une législation qui, en ce qui concerneraitl’organisation économique et sociale, reconduisait les dispositions des textes antérieurs à

    l’indépendance.

    29 Chaulet. C, op. Cit. p: 3330 Op. Cit. p: 3731 Op. Cit. p : 5332 Op. Cit. p : 60

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    L'auteur note aussi que ces textes, définissant une organisation destinée à la fois auxentreprises "industrielles, minières et artisanales" et aux exploitations agricoles, sans prendreen considération les spécificités de ces dernières ou les contraintes qui pèsent sur les grandesexploitations agricoles modernes. Ils prévoyaient enfin un système complexe de répartitiondes responsabilités entre les différents organes élus et le représentant de l’Etat, ainsi qu'un

    système complexe de répartition des revenus encore plus complexe. Ils ne traitaient en particulier ni de la propriété de l’entreprise, ni de l’organisation du travail, et ne furent passuivis dans les délais adéquats des textes d’application qui auraient pu permettre leuradaptation aux différentes situations concrètes.

    "C’était revenir au modèle de la ferme coloniale, à cette différence près que les"bénéfice" devaient être utilisés pour le bien collectif, et qu’on espérait, en intensifiant lescultures, multiplier les jours de travail nécessaires"33, écrit encore Chaulet.

    Le problème quotidien des travailleurs, les blocages techniques dont souffraient lesdomaines ne pouvaient être supprimés par des mesures partielles, et risquaient de dénaturer ànouveau l’autogestion s’ils n'étaient pas attaqués dans leurs causes profondes. Contrôles,comptes, normes de travail, programmes et crédits qui ne sont que des instruments seraientinefficaces voire même nuisibles s’ils n’étaient mis au service d’une conception globale del’économie et de la société.

    De l’habitat Chaulet relève l’inadaptation des anciennes habitations coloniales, conçues pour des familles à fort revenu. Ces maisons sont souvent trop vastes et peu commodes pourleurs nouveaux habitants. Le plus souvent, les villas sont ainsi partagées entre plusieursfamilles, ce qui n’est pas sans poser quelques problèmes. L'auteur cite des exemples de partage, de fait, parfois matérialisés par des cloisons sommaires. Dans ce cas, chaque ménagene dispose pas d’un ensemble complet d’installations. Par exemple, un ménage aura unechambre et l’ancienne cuisine avec entrée par la porte de la cuisine, l’autre une chambre etl’ancienne salle de bains avec entrée par la porte principale ; le troisième l’ancien salon -salle

    à manger avec entrée par la porte fenêtre34

    de cette dernière.

    La très grande incohérence que révèle l’étude de l’habitat rural, les mauvaisesconditions de logement des travailleurs, ne sont en fin de compte qu’une manifestationsupplémentaire de l’anarchie qui règnent dans les structures foncières. L’exploitation n’est

    33 Op. Cit. : p : 6334 Op. Cit. p : 450

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    jamais considérée comme un tout. Elle n’est envisagée que comme unité de production. Ilsemble qu’il n’a jamais été pensé qu’une exploitation de plusieurs centaines d’hectares d’uneculture intensive pouvait faire vivre plusieurs centaines de travailleurs dont il importaitd’organiser le cadre de vie quotidien.

    III- DE LA DECOLONISATION

    Dans sa thèse de doctorat Georges Mutin attribu au terme de « décolonisation » unedouble signification. Il implique d’abord une idée d’opposition, de lutte, mais dans unedeuxième acception, il rend compte de la volonté d’abolition du statut antérieur, d’extirpationdu mal ancien. Décoloniser n’est pas uniquement combattre le colonisateur, mais le rejeterradicalement avec l’esprit qu’il représente et les habitudes héritées de lui. Dans le projetalgérien, la décolonisation se veut radicale : elle est révolution. Elle est le passage desstructures coloniales à de nouvelles structures, à la mise en place d’un monde nouveau qui seveut non pas l’opposé de l’ancien –la décolonisation n’est pas « l’impérialisme à l’envers »mais tout simplement un monde autre35.

    George Mutin s’intéresse à l'installation des nouveaux colons qui s’est faite sous laforme de grands domaines viticoles, appartenant souvent à des sociétés et puis à leurtransformation en domaines socialistes dés les années 1962. L’auteur se penche sur la créationdes domaines autogérés, également, à l’effritement des domaines coloniaux, à la morphologieagraire et ses différents parcellaires. Son analyse porte aussi sur la mutation récente del’habitat rural qui résulte et de l’augmentation de la population, et du départ des colons.L’habitat légué par la colonisation a été profondément touché soit par une transformation desanciens habitats, soit par l’édification de nouveaux types d’habitats.

    Les villages de regroupement crées pendant la guerre de libération, leur genèse rendcompte des vastes mouvements de descente des populations montagnardes. Les destinées deces nouveaux habitats ont été différentes selon leur implantation de plaine ou de montagne36.Des cours et des avant-cours fermées ont été rajoutées quand elles n’existaient pas, des

    constructions nouvelles ont été édifiées, des arbres plantés, petit à petit, l’allure plus ou moinsconcentrationnaire s’estompe, l’alignement tout militaire qui caractérisait leur architecture fait place aux courbes et aux détours des itinéraires individuels.

    35 Mutin. G, 1977, « La Mitidja décolonisation et espace géographique », office des publications universitaires – Alger, et centre national de la Recherche Scientifique, Paris. p: 6.36 Op. Cit. p: 439

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    " Les petites maisons en dur situées sous l’œil du maître, succédaient aux gourbisdispersés en désordre aux extrémités du domaine"37.

    Mutin notera également les modifications des anciens lieux d’habitat qui ont été trèsimportantes, les nouveaux lieux d’implantation n’avaient absorbé qu’une partie de la population récemment installée en plaine, l’afflux des hommes s’est fait sentir dans les

    centres de colonisation, dans les douars et, plus tardivement, après le départ des colons, dansles fermes elles-mêmes, et autour du centre colonial se sont développés des îlots d’habitat trèsdenses, très hétérogènes, les maisons basses traditionnelles et les gourbis se sont multipliés.

    L’habitat épars dans les exploitations autogérées, a connu les bouleversements les plus profonds et pose les problèmes les plus graves. Le départ des colons et de leur personnel acréé des conditions entièrement nouvelles au sein des exploitations. D’une part des logementsnouveaux étaient offerts alors que le mouvement migratoire persistait et que les centres et lesdouars avaient déjà beaucoup grossi à la suite des recasements de population. D’autre part, lecolon parti, il était beaucoup plus facile de s’installer sur les exploitations où les lieux et typesd’habitat se sont multipliés.

    Dans tous les domaines Mutin rencontre les types d’habitat suivants :- l’ancien habitat colonial : il subsiste toujours, constitué par des villas de toutes

    dimensions. Certaines sont partagées entre plusieurs familles, d’autres sont beaucoup plusmodernes. Ce type d’habitation présent dans toutes les exploitations autogérées marque lecentre du domaine ou l’emplacement des anciennes fermes européennes.

    - Les maisons basses sont aussi très répandues. Ce sont des bâtiments sans étagesabritant autrefois le personnel d’encadrement européen, ou encore des maisons de typeauthoctone avec une cour fermée et un bout de jardin.

    - Les bâtiments d’exploitation transformés (hangar ou magasin) constituent souvent deshabitations pour les travailleurs et leurs familles.

    - Ainsi pour Mutin, l’habitat dispersé au sens strict du terme, qui caractérisait l’époquecoloniale, n’existe plus. Le petit groupement rassemble toujours plusieurs types d’habitat etcompte plusieurs dizaines de familles. Il se structure le plus souvent autour de l’ancienne

    ferme coloniale et compte, outre l’ancien habitat de type européen, le bâtiment d’exploitationaménagé, auquel s’accolent les habitations plus sommaires (gourbis). Parfois même, deslotissements sont édifiés à quelques distances. Il n’est que les zones incultes (fonds d’oueds etdécharges) qui présentent une réelle homogénéité : on n’y retrouve que des gourbis38.

    37 Op. Cit. p: 443

    38 Op. Cit., p: 449

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    Mutin ne passe pas outre les problèmes posés par l’habitat rural, sa précarité, soninadaptation et les déplacements quotidiens des travailleurs. Les problèmes sont particulièrement sensibles pour les exploitations autogérées. Beaucoup de logementsconstruits pendant la guerre sont très modestes, de petites dimensions, ils comportentrarement plus de deux pièces, édifiées avec des matériaux bon marché. De plus, ils sont mal

    isolés par leurs murs de parpaing, les fermetures peu soignées, leur toit de tuiles le plussouvent sans plafond. En outre ils sont regroupés en cités très resserrées où la promiscuité etle bruit sont inévitables. Quant aux anciennes habitations coloniales, elles apparaissentcomme très inadaptées. Cette répartition des lieux, Mutin l’explique en partie par le manquede ressources: l’entretien de bâtiments mal adaptés, parfois vétustes, représente une lourdetâche pour les budgets des ouvriers de l’autogestion. C’est le cas notamment des ancienneshabitations des colons ou des cadres européens qui ne correspondent pas toujours aux besoinsdes travailleurs. Selon ce qu’en dit Mutin, on peut constater le paradoxe de familles mallogées dans un cadre qui paraît somptueux.

    IV- LA POLITIQUE DES MILLE VILLAGES SOCIALISTES EN ALGERIE

    La recherche de Djaffar Lesbet39 s’intéresse à une autre face du territoire rural, celle dela mise en place des villages socialistes de la révolution agraire. Dix années aprèsl’indépendance, le gouvernement a lancé ce qu’il a appelé la « révolution agraire », la R A,fondée sur une redistribution des terres mais aussi sur la création de « villages socialistes »,les « milles villages » de l’Algérie indépendante.

    Lesbet s’est intéressé à la construction effective de ces villages édifiés suivant des plansdifférents les uns des autres, mais dont les composants ont tous entre eux une « étrangesimilitude »40 qui résulte incontestablement d’une vision « urbaine » du logement, avec lesavantages qui en découlent mais aussi les inconvénients parfois imprévus au départ. Lesbets'attelle, constamment, à se situer au niveau de la microanalyse et d’étudier au travers desvillages socialistes, les transformations occasionnées par le passage d’un "habitat signifiant" à

    un "habitat signifié".Tous les villages retenus pour son étude sont des villages primaires (moins de deux centcinquante logements). Et le choix s’est porté sur des villages qui devaient être habités depuisun an au moins. Justifiant son choix, il écrit: « En effet, nous avons estimé qu’il fallait un

    39 D. Lesbet, 1983, « Les mille villages socialiste en Algérie », office des publications universitaires, Alger.40 Op., cit. Préface de Anatole Kopp, p : 13

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    minimum d’une année de présence continue au VS, pour que le bénéficiaire d’un logement puisse formuler des appréciations suffisamment fiables à partir de son vécu. »41

    Lesbet expose explicitement la mise en place de la politique des 1000 villages, sonœuvre est l'exposition d’une sorte de résumé de ce qui fut la vie rurale après l’indépendance etles différentes étapes par laquelle elle est passée. Pour Lesbet, si la Révolution agraire n’a pas

    atteint l’ensemble de ses objectifs, elle n’en a pas moins apporté un bouleversement desespaces agricoles.

    L’habitat rural est largement mentionné dans les propos de Lesbet, qui selon lui subideux types de violence coloniale :

    Dans la période initiale de la colonisation le but essentiel des occupants était derécupérer les terres fertiles en chassant les paysans. Le fragile équilibre entre terre et habitat aété ainsi brutalement rompu pour favoriser le développement d’exploitations extensives àvocation exportatrice.

    Par la suite, la répression au cours de la guerre d’indépendance (1954-1962) portera lecoup décisif à l’habitat rural algérien car dans ces dernières années, la stratégie militaire étaitfondée sur le contrôle des populations rurales. L’armée et l’administration ont procédé à unedestruction systématique des villages et des hameaux algériens, chassant les paysans vers descamps de regroupement…facilement contrôlables.

    Trois types de centres ont été ainsi mis en place :- des centres de regroupement de populations amenées de différentes zones éparses ;- des centres de recasement des populations déracinées provenant des zones

    montagneuses ;- des centres de resserrement dont l’objectif était de concentrer en un même lieu, tous

    les habitants d’une zone éparse et de substituer un habitat aggloméré à l’habitat traditionnel.Au total, Lesbet explique que la logistique militaire a abouti à la destruction de plusieurs

    milliers de hameaux ou villages. Les populations déracinées ont été regroupées dans lescamps, dans de mauvaises conditions. Le dépeuplement obligatoire et la déstructuration dumonde rural résultant pèsent encore lourdement sur l’agriculture algérienne.

    L'auteur note que les perspectives et la promesse de réalisation de mille villages n’ontrien changé au cours de l’histoire, ni même effacé des mémoires paysannes les horreursqu’elles ont vécues dans les camps de regroupement.

    La politique des mille nouveaux villages ruraux visait théoriquement :- à assurer l’habitat définitif des familles regroupées par la construction de villages.

    41 Op., cit. p : 18

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    - à réaliser les équipements collectifs indispensables à la vie de la collectivité : écoles,centre de soins, adduction d’eau, viabilité.

    - à mobiliser, par location ou par expropriation, les terres nécessaires à la vie desfamilles et à doter le regroupement des moyens de travail collectif qu’exige la mise en culture.

    L'auteur précise que l’organisation des « nouveaux » centres ruraux s’inspire largement

    de celle des petits villages de métropole (miradors et barbelés en plus). La place centraleconcentre l’ensemble des équipements collectifs. Les maisons se font face et sont alignées enlignes droites et perpendiculaires. L’interdiction stricte, faite aux habitants de modifier outransformer les maisons, accentue la marque de la conquête et rappelle aux regroupésl’imposition d’un ordre étranger à leur façon de concevoir et de s’approprier l’espace. L’abriqu’on lui destine ne fait pas référence à son mode traditionnel de vie. La maison de typeurbain monofonctionnelle remplace l’habitation habituelle avec sa cour et ses multiplesfonctions économiques et sociales. L’urbanisme militaire a inventé la prison familiale.42

    L'auteur note que la plupart des paysans n’ont jamais nourri le moindre espoir.Puisqu’ils ont été maintenus en « respect » et ont respecté le cadre de « vie » qu’on leur avaitimposé.

    Après l’indépendance, les habitants ont entrepris le remodelage de l’espace, adaptant leslogements à leurs conditions objectives. Les ajouts réhabilitent la fonction économique et personnalisent l’habitat indifférencié qui a été imposé.

    Lesbet fait également le tour des études socio-économiques qui ont été suivies du choixdu site d’implantation, et ce à travers son exposé du cadre et du contenu de chaque étude,mentionnant au passage la négligence d’un facteur essentiel : l’eau, sachant que les plans dedéveloppement des cultures ne sont viables qu’avec irrigation. L'auteur poursuit égalementson analyse à travers également les coûts et réalisation de ces villages socialistes, l’applicationdes règlements d’édification, le financement réel, les organismes réalisateurs, et la durée deréalisation, les matériaux utilisés.

    Argumentant son analyse par le témoignage des attributaires, concernant par exempleles équipements accompagnant les villages socialistes, Lesbet écrit: " Plutôt que des normes

    nationales, il aurait été souhaitable de prévoir une enveloppe budgétaire globale permettantles adaptations régionales ou locales. Plutôt que de livrer aux attributaires des villages toutéquipés, il aurait été bon de laisser une marge de manœuvre, une place pour des réalisations propres à la nouvelle communauté. Les nouveaux villageois se seraient sentis beaucoup plusconcernés, et auraient pu trouver, à l’occasion de débats ayant de vrais enjeux ou au cours

    42 Lesbet. D, 1983, op. Cit. p: 80

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    des travaux d’équipement de V.S, un mode d’intégration plus rapide et plus complet à lacollectivité naissante. Il semble qu'à travers les textes d'application de l'opération des millevillages, les responsables techniques et administratifs aient quelque peu perdu de vue lesobjectifs sociaux et politiques d’origine"43.

    Dans la construction des logements, l’auteur signale l’uniformité et la banalisation du

    projet des mille villages socialistes, un signe de rupture qui apparaît au niveau des matériauxutilisés. En effet, alors que dans les zones d’implantation des V.S, l’essentiel des matériauxétait d’origine locale, pierre, terre battue, voire brique, les nouveaux villages sontessentiellement édifiés en parpaing. Il semble bien qu’aucune étude préalable n’ait été faitesur les ressources des zones en matériaux de construction et que la concentration ait étéorientée vers une application d'un schéma uniforme. Le parpaing a été massivement utilisédans quinze villages, en combinaison avec la brique, et beaucoup plus rarement avec la pierre plus couteuse. Le modèle reflète surtout l’idée que le technicien se fait du mode de vie des populations, plus qu’il ne prend en compte les désirs des bénéficiaires futurs. Ainsi, commel'observe l'auteur, les distorsions, les incohérences et les contradictions considérées vonttrouver leur expression dans la quotidienneté et le fonctionnement des villages. Lesbet illustreses analyses par des schémas d’organisation avec le type de cellule attribué à chacun de cesvillages socialistes,

    En finalité, l'auteur s’intéresse au vécu des attributaires, uniques intéressés de cetteréforme, en leur donnant la parole. Ainsi, entre adage populaire, quotidienneté, et apparats del’attribution des logements, le récit de Lesbet prend des allures de reportage car, on y est, onassiste à l’inauguration, on entend les ripostes des citoyens, les situations amusantes lors de la première attribution.

    La vie quotidienne montrera que les villages ont été construits hors considération desmodes de vie des paysans, ou des nomades. L’auteur montrera grâce à une analyseergonomique des espaces, que les villages socialistes ont introduit une "sorte de modernité" àlaquelle les attributaires n’aspiraient guère, remarquant que c’est grâce à la vente "forcée" deleur cheptel que de nombreux attrib