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L’héritage localiste de la sémantique cognitive C. Cusimano (Université Masaryk de Brno) Dans un article retentissant (« La linguistique cognitive n’existe pas ») dont les conclusions ont été reprises dans un autre article, postérieur, intitulé « Vers une typologie scientifique », G. Lazard n’hésitait pas à lancer un pavé dans la mare de la linguistique contemporaine en affirmant haut et fort que « la linguistique cognitive n’existe pas ». G. Lazard isolait alors une des propriétés passée quasi inaperçue dans l’euphorie ambiante (2008 : 23-24) : « … dans son principe, elle n’est pas nouvelle, car les linguistes du passé ont toujours désiré mettre les faits observés dans les langues en rapport avec des traits de l’esprit humain ». Cette remarque rappelle avec justesse que, pour le moins, tout n’y est pas neuf, bien qu’aucun héritage plus ancien que celui des années 1980 ne soit assumé par les tenants de cette perspective théorique. La citation de P. Gärdenfors (2007 : 57) est de ce point de vue tout à fait éloquente. « As a contrast to realistic theories, a new semantic theory, called cognitive semantics, has been developed (see e.g. Lakoff 1987, Langacker 1986, 1987, Croft and Cruse 2004, Evans 2006). The prime slogan for cognitive semantics is: meanings are in the head ». On voit mal ici comment ledit slogan pourrait être révolutionnaire puisque personne ne le nie vraiment. Bref, l’idée est que les chercheurs de cette discipline ne font allusion qu’à une poignée de récents prédécesseurs, ce qui se justifie mal d’un angle historique. F. Rastier (1991 : 61), en observateur averti des idées, l’énonce on ne peut plus clairement : « Mais ces développements intéressants [la sémantique cognitive] ne peuvent faire oublier les voies ouvertes depuis longtemps par des théories injustement marginalisées qui se rattachent à la linguistique structurale européenne ». Notre objectif dans cette communication sera donc, dans le prolongement de l’article de G. Lazard, de montrer ce qu’un courant de la linguistique cognitive, la sémantique cognitive, doit à la théorie dite « localiste ». Nous essaierons de montrer comment l’omniprésence de l’espace dans la description du champ conceptuel, par le biais des images schématiques notamment, constitue un des fondements non-assumés par la linguistique cognitive, ce qui n’avait pas échappé à F. Rastier, une dizaine d’années auparavant : comme ce dernier l’écrivait en 1991, « cette hypothèse sur la prééminence du spatial est très répandue dans les grammaires cognitives californiennes : elle témoigne d’un néo- localisme généralisé », hérité pour les sources les plus récentes de L. Hjemslev. Notre contribution se veut donc à la fois théorique et illustrée, puisque nous souhaitons passer en revue quelques exemples d’images schématiques, à propos des articles en français en particulier, le but étant d’argumenter sur l’aspect spatial si essentiel à la sémantique cognitive. Références Références Références Références CUSIMANO, Christophe (2008), La polysémie – Essai de sémantique générale. Paris : L’Harmattan. FUCHS C. (éd.) (2004) La linguistique cognitive. Gap-Paris : Ophrys. GARDENFORS P. (2007) « Cognitive semantics and image schemas with embodied forces » in KROIS J. M.., ROSENGREN M., STEIDELE A. & WESTERKAMP D. (eds.), Embodiment in cognition and culture. Amsterdam, Philadelphia : John Benjamins. GROUSSIER M.-L. (1997) « Prépositions et primante du spatial : de l’expression de relations dans l’espace à l’expression de relations non-spatiales » in Faits de langues. HJELMSLEV, Louis (1969), Le langage. Paris : Editions de Minuit. JOHNSON M. (1987) The body in the mind. Chicago & Londres : Chicago University Press. LANGACKER R. W. (1991) Foundations of cognitive grammar – Vol. II : Descriptive application. Stanford : Stanford University Press. LAZARD, G (2007), « La sémantique cognitive n’existe pas » in BSL, 3-16. LAZARD, G (2008), « Vers une typologie scientifique » in La linguistique n°44, 13-24. RASTIER F. (1991) Sémantique et recherches cognitives. Paris : PUF.

L'Héritage Localiste de La Sémantique Cognitive (C. Cusimano)

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L’héritage localiste de la sémantique cognitive C. Cusimano (Université Masaryk de Brno)

Dans un article retentissant (« La linguistique cognitive n’existe pas ») dont les conclusions ont

été reprises dans un autre article, postérieur, intitulé « Vers une typologie scientifique », G. Lazard

n’hésitait pas à lancer un pavé dans la mare de la linguistique contemporaine en affirmant haut et fort

que « la linguistique cognitive n’existe pas ». G. Lazard isolait alors une des propriétés passée quasi

inaperçue dans l’euphorie ambiante (2008 : 23-24) : « … dans son principe, elle n’est pas nouvelle, car

les linguistes du passé ont toujours désiré mettre les faits observés dans les langues en rapport avec des

traits de l’esprit humain ». Cette remarque rappelle avec justesse que, pour le moins, tout n’y est pas

neuf, bien qu’aucun héritage plus ancien que celui des années 1980 ne soit assumé par les tenants de

cette perspective théorique. La citation de P. Gärdenfors (2007 : 57) est de ce point de vue tout à fait

éloquente.

« As a contrast to realistic theories, a new semantic theory, called cognitive

semantics, has been developed (see e.g. Lakoff 1987, Langacker 1986,

1987, Croft and Cruse 2004, Evans 2006). The prime slogan for cognitive

semantics is: meanings are in the head ».

On voit mal ici comment ledit slogan pourrait être révolutionnaire puisque personne ne le nie

vraiment. Bref, l’idée est que les chercheurs de cette discipline ne font allusion qu’à une poignée de

récents prédécesseurs, ce qui se justifie mal d’un angle historique. F. Rastier (1991 : 61), en observateur

averti des idées, l’énonce on ne peut plus clairement :

« Mais ces développements intéressants [la sémantique cognitive] ne

peuvent faire oublier les voies ouvertes depuis longtemps par des théories

injustement marginalisées qui se rattachent à la linguistique structurale

européenne ».

Notre objectif dans cette communication sera donc, dans le prolongement de l’article de

G. Lazard, de montrer ce qu’un courant de la linguistique cognitive, la sémantique cognitive, doit à la

théorie dite « localiste ». Nous essaierons de montrer comment l’omniprésence de l’espace dans la

description du champ conceptuel, par le biais des images schématiques notamment, constitue un des

fondements non-assumés par la linguistique cognitive, ce qui n’avait pas échappé à F. Rastier, une

dizaine d’années auparavant : comme ce dernier l’écrivait en 1991, « cette hypothèse sur la prééminence

du spatial est très répandue dans les grammaires cognitives californiennes : elle témoigne d’un néo-

localisme généralisé », hérité pour les sources les plus récentes de L. Hjemslev.

Notre contribution se veut donc à la fois théorique et illustrée, puisque nous souhaitons passer

en revue quelques exemples d’images schématiques, à propos des articles en français en particulier, le

but étant d’argumenter sur l’aspect spatial si essentiel à la sémantique cognitive.

RéférencesRéférencesRéférencesRéférences

CUSIMANO, Christophe (2008), La polysémie – Essai de sémantique générale. Paris : L’Harmattan.

FUCHS C. (éd.) (2004) La linguistique cognitive. Gap-Paris : Ophrys.

GARDENFORS P. (2007) « Cognitive semantics and image schemas with embodied forces » in KROIS J. M..,

ROSENGREN M., STEIDELE A. & WESTERKAMP D. (eds.), Embodiment in cognition and culture. Amsterdam,

Philadelphia : John Benjamins.

GROUSSIER M.-L. (1997) « Prépositions et primante du spatial : de l’expression de relations dans l’espace à

l’expression de relations non-spatiales » in Faits de langues. HJELMSLEV, Louis (1969), Le langage. Paris : Editions de Minuit.

JOHNSON M. (1987) The body in the mind. Chicago & Londres : Chicago University Press.

LANGACKER R. W. (1991) Foundations of cognitive grammar – Vol. II : Descriptive application. Stanford :

Stanford University Press.

LAZARD, G (2007), « La sémantique cognitive n’existe pas » in BSL, 3-16.

LAZARD, G (2008), « Vers une typologie scientifique » in La linguistique n°44, 13-24.

RASTIER F. (1991) Sémantique et recherches cognitives. Paris : PUF.