16
L'HISTOIRE MEDIEVALE DE LA PROVENCE DANS LE DISCOURS SUR LES ARCS TRIOMPHAUX DE JEAN DE GALLAUP-CHASTEUIL (1623) Le rituel de l'entrée royale s'est progressivement enrichi et fixé au cours des deux derniers siècles du Moyen Age. comme l'a bien montré Bernard Guenée '. Dès la fin du XIV' siècle. l'aménagement de la ville comme décor cérémoniel ne se borne plus à l'ostension des tentures qui encourtinent les rues. Il ne s'agit plus seulement comme au temps de Philippe le Hardi de" mettre hors le vers et le gris" '. A Paris. en 1380. des fontaines artificielles crachant de l'eau. du lait et du vin sont disposées dans les rues sur le parcours du cortège. A Béziers. en 1389. toutes les portes de la cité sont surmontées d'une couronne d' or et d'un écu à troÎs fleurs de lys J. Le parcours du souverain fait ainsi l'objet d'une mise en scène qui inscrit le paysage urbain dans un climat d'allégresse et jalonne le parcours du prince de signes qui symbolisent sa gloire. Dans le méme temps. le livret de la cérémonie s'étoffe. Ce n'est plus uniquement un discours rituel de bienvenue que le souverain entend à la pone de la ville, accompagnant la remise des clés; c'est tout un ensemble de représentations qui se déroulent sous ses yeux à mesure qu'il chemine. Ces« histoires ) sont d'abord des mystères, des scènes d'inspiration religieuse, mais, à panir du règne de Louis XI. ces actions théâtrales prennent une dimension politique: elles exhibent des personnages symboliques dont les gestes et les discours exaltent le roi et justifient sa politique. recourant pour ce faire aux trois 1. B. GUENEE et F. LEHOUX. Lts tntrùs ro..Yl1lts !rl1n(l1ists, Paris. 1968 (Sources d'Histoire méditvale. 5). 2. Guillaume de Nangis. Chroniqut, éd . Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. XX, p. 488. 3. B. GUENEE et F. LEHOUX, op. cit., p. 13 et 57. Sur Je décor urbain des entrées provençales de cette époque, cf. N. COULET, « Les entrées solennelles en Provence au siècle D, dans Ethn%git Frl1n(aist, 1977, p. 64

L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

L'HISTOIRE MEDIEVALE DE LA PROVENCE DANS LE

DISCOURS SUR LES ARCS TRIOMPHAUX DE JEAN DE GALLAUP-CHASTEUIL (1623)

Le rituel de l'entrée royale s'est progressivement enrichi et fixé au cours des deux derniers siècles du Moyen Age. comme l'a bien montré Bernard Guenée '. Dès la fin du XIV' siècle. l'aménagement de la ville comme décor cérémoniel ne se borne plus à l'ostension des tentures qui encourtinent les rues. Il ne s'agit plus seulement comme au temps de Philippe le Hardi de" mettre hors le vers et le gris" '. A Paris . en 1380. des fontaines artificielles crachant de l'eau. du lait et du vin sont disposées dans les rues sur le parcours du cortège. A Béziers. en 1389. toutes les portes de la cité sont surmontées d'une couronne d'or et d'un écu à troÎs fleurs de lys J. Le parcours du souverain fait ainsi l'objet d 'une mise en scène qui inscrit le paysage urbain dans un climat d'allégresse et jalonne le parcours du prince de signes qui symbolisent sa gloire. Dans le méme temps. le livret de la cérémonie s'étoffe. Ce n'est plus uniquement un discours rituel de bienvenue que le souverain entend à la pone de la ville, accompagnant la remise des clés; c'est tout un ensemble de représentations qui se déroulent sous ses yeux à mesure qu'il chemine. Ces« histoires ) sont d'abord des mystères, des scènes d'inspiration religieuse, mais, à panir du règne de Louis XI. ces actions théâtrales prennent une dimension politique: elles exhibent des personnages symboliques dont les gestes et les discours exaltent le roi et justifient sa politique. recourant pour ce faire aux trois

1. B. GUENEE et F. LEHOUX. Lts tntrùs ro..Yl1lts !rl1n(l1ists, Paris. 1968 (Sources d'Histoire méditvale. 5).

2. Guillaume de Nangis. Chroniqut, éd . Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. XX, p. 488.

3. B. GUENEE et F. LEHOUX, op. cit., p. 13 et 57. Sur Je décor urbain des entrées provençales de cette époque, cf. N. COULET, « Les entrées solennelles en Provence au XIV~ siècle D, dans Ethn%git Frl1n(aist, 1977, p. 64

Page 2: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

/2

registres de la Bible, de la mythologie et de l'histoire. Ces éloges dédiés au roi vont parfois de pair avec la célébration de la ville qui l'accueille. Ainsi à Reims, lors de l'entrée de Charles VIII qui vient s'y faire sacrer, les épisodes historiques retenus pour être représentés sur son parcours ont cette double signification: la louve allaitant Romulus et Rémus (ce dernier passant pour le fondateur de la ville), le baptême de Clovis dans l'église de la cité et le couronnement -à Reims de Pharamond. premier roi des Francs selon la tradition '. Dès le règne de Charles VIII, on commence à imprimer des récits destinés à conserver la mémoire de ces festivités et à en .expliquer le dérowement pour mieux en dévoilér la symbolique 5. Ainsi, tous les éléments du cérémonial de l'entrée royale de l'époque moderne sont-ils en place à l'extrême fin du XV' si~c1e.

Le XVI' siècle va y ajouter l'arc triomphal. venu sans doute d'Italie, signalé pour la première fois à Lyon en 1515, et qui .cède la place, dès les environs de 1520, à une succession d'arcs triomphaux jalonnant le parcours du cortège. Ces arcs qui balisent la voie triomphale de l'entrée et qui diffèrent par leur architecture ct leur décoration se substituent aux histoires jadis représentées sur des échafauds. Désormais la décoration de l'arc prend en charge l'iconographie, le symbolisme, la théâtralisation légendaire et historique du décor urbain de l'entrée. Corollairement, le récit de l'entrée devient essentiellement un discours qui commente l'ordonnance et le décor des arcs 6 .

Les entrées royales en Provence dans le temps où s'opèrent ces mutations sont, bien que nombreuses. assez mal connues. Bien informés parfois sur le cérémonial. nous le sommes mal sur le décor peint et sculpté mis en place par les cités 7 . En revanche. la documentation se fait abondante avec les entrées de Louis XIII. Nous avons conservé des relations illustrées, des discours assortis de gravures. commentant l'accueil réservé par Arles. Aix et Avignon à ce roi. venant de Montpellier. dans les derniers mois de 1622 '. Ces livrets, et, tout particulièrement, celui qui décrit l'entrée d'Aix,

4 . J. CHARTROU, LeJ en/rieJ Jolennelles eltriomphaleJ a la Renaùsance (1481.1 'i~ /), Paris, 1928, p. 24

5. B. GUENEE, L'Occident aux XIVt et XV7 JiècleJ. Les Etats. Paris, 1971 (Coll . Nouvell, Clio). p. 89-90. B. GUENEE et F. LEHOUX, op. àl., p. 194 sqq .. 241 sqq

6 . J. CHARTROU. Uj entrées solennellej el triomphales à la Renaissanct (1484.1 55 1), Paris, 1928. L. HAUTECŒUR, His/oire de l'architecture classique en France. [. I. 2. Paris, p 53-8;. Les Files de la RenaisJance, colloque C.N .R.S ., t. I. Paris , 19j6, p. ;1-84, t. III. Paris 1975 , p. 1-120

7. Qudques indications pour les entrées de Charles IX et de marie de Médicis à Marseille figurent dans A. de RUFFI. Hùtoire de la ville de Marseille, Marseille. ]642, p 229-2;1. 396- 309; un récit de rentrée de Marie de Médicis à Salon par César de Nostredame a été édité à Aix en 1602 (nouvelle édition par V. Boy . Marseille, 18j5) ; la thèse de J. BOYER, La peinture et la gravure il Aix du XVI' au XVIII t jtëcle , ]971 (Gaulte des Btaux-ArIJ), recense les prix-faits de décor liés aux entrées.

8. Entrée d'Arles, 29 octobre 1622 : Entrée de Louis XIlI, roi de Franct et de Navarrt

Page 3: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

/J

nous montrent comment les Provençaux, et notamment les Aixois, ont utilisé l'histoire de leur pays. rattaché à la France depuis un peu plus d'un siècle. pour exalter leur ville. leur nation et leur roi.

L'entrée d'Aix est, en effet, la plus historique de ces cérémonies et le Discours sur les arcs triomphaux dressés en la ville d'Aix à l'heureuse arrivée du très chrétien, très grand et très juste monarque Louis XIII, roi de France el de Navarre de Jean de Gallaup-Chasteuil est, de tous ces discours alors publiés, celui qui fait le plus de place à l'histoire. L'auteur qui a imaginé le programme iconographique et le commente dans ce recueil illustré de gravures de Maretz est un magistrat. procureur général à la Cour des Comptes et non un ecclésiastique comme à Avignon. où l'entrée est conçue par les régents du collège des Jésuites. ou à Arles. où l'inspirateur est un chanoine de la cathéd rale Saint-Trophime, Pierre Saxy. Comme ce dernier, auteur de la première histoire publiée des archevêques d'Arles, Gallaup témoigne de curiosités historiques. Son père, Louis. avait effectué des recherches sur les Antiquités de la ville d'Aix et en avait exposé les résultats dans un manuscrit demeuré inédit, Jean collectionne des manuscrits et se révèle grand lecteur d'ouvrages historiques, Son discours sort des presses précédé d'un sonnet de Nostradamus, auteur de la première histoire imprimée de la Provence, publiée peu avant l'entrée de Louis XIII.

Cet intérêt pour l'histoire se traduit dans le programme iconogra­phique de 1622. A l'exception du premier arc, situé hors les murs, près de Notre-Dame de la Seds, simple fabrique de verdure aménagée en trophée, les six édifices sous lesquels passt le cortège royal avant d'arriver à son terme dans la cour de l'archevêché sont ornés de personnages historiques. de Sextius à Henri IV, des origines de la ville donc au prédécesseur du souverain régnant. Aucun autre programme provençal n'est autant chargé de références historiques. Deux seulement des six arcs arlésiens SOnt ornés d'un bas-relief ou d'une statue de personnage historique. Et lorsque, poursuivant sa route triomphale après le siège de Montpellier, le roi arrive à

dans sa ville d'Arles. Avignon, chez l. Bramereau, 1622. Entrée d'Aix, 9 novembre 1622 : Disrours Sur les am triomphaux dressés en la ville d'Aix à J'heureuse arrivée de Ires~ ChresJion Ires~Grand el Ires~Ju5le Monarque LouJs XIII R~y de France el de Navarre, Aix chez Jean Tholozan, 162 3. Entrée d'Avignon. 16 novembre 1622: La voit du Lait ou le Chemin du Héros au Palais de la Gloire, Avignon, chez l. Bramereau. 1623.

Ces entrées ont été étudiées du point de vue de l'histoire de l'art par J .-L. GLOTON, Renaissance et Baroque à Aix~en~Provence. 1. I. Rome, 1979, p. 140- 141. 143-]44, 196-202 . L'entrée d'Avignon a fait l'objet d'une analyse de M . M . Mc GOWAN, « Les Jésuites à A vignon . Les fêtes au service de la propagande politique et religieuse )1, in Les Fites de la Renaissance, Ill, Paris, 197j, p. IB-I71.

Je remercie Jean-Jacques Gloton d'avoir eu l'obligeance de me communiquer pour l'illustration de cet article les clichés reproduits dans ce numéro. On trouvera l'ensemble du décor de rentrée de 1622 reproduits aux planches LXXVI et LXXVII du tome 1 de sa th~s(' citée supra.

Page 4: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

/1

Lyon, l'histoire est absente du programme et du décor des entrées qu'organisent respectivement la commune et les chanoines, cédant la place dans un cas au jeu des allégories et dans l'autre au pur symbolisme des formes architecturales 9.

Ce programme qui fait de l'entrée d'Aix la plus historique des réceptions réservées par la Provence à Louis XIII est aussi le seul qui mette au premier plan l'histoire de la Provence. Les Jésuites avignonnais n'offrent au roi que le miroir de sa propre image et n'exposent à ses yeux que la galerie de ses ancêtres célèbres pour leur piété héroïque: Charlemagne, Saint -Louis, François 1" et Henri II. Le chanoine Saxy puise l'essentiel de son inspiration dans l'antiquité romaine. Ce n'est pas seulement du point de vue de l'histoire des formes que l'entrée d'Arles est « la plus antique n de toutes les entrées provençales de 1622 10. Si le premier arc recourt à la mythologie en montrant le spectacle de la délivrance d'Andromède par Persée. l'histoire reprend ses droits avec le second arc orné d'une statue de Constance foulant aux pieds Constantin rebelle à l'empereur et avec le troisième arc qui porte l'image de Théodoric figuré l'équerre en mains « pour témoigner combien il a eu de désir et affection aux édifices publics ») Il, Au quatrième arc, dépourvu de représentation historique succède une effigie géante, colossale et isolée, de Boson, premier comte de Provence. Elle met un terme à la succession des tableaux historiques. car les deux derniers arcs ne s'ornent plus d'aucune référence au passé. Avec elle s'interrompt également le recours à l'histoire dans le discours érudit qui commente le décor et son ordonnance. Comme à Avignon, l'interprétation révèle dans l'iconographie un jeu de miroirs qui réfléchissent la gloire d'un souverain qui vient de triompher des protestants rebelles. Andromède est la France et «( le maistre qui veut la ruiner. la rebellion )) 12 tandis que Persée évoque le roi libérateur. A Constance fait face sur le second arc" le Roy tenant à ses pieds l'hérésie et la rebellion attachées) 13. De même à Théodoric fait vis-à -vis Louis XIII représenté tenant en la main un temple. écho des qualités de bâtisseur du roi des Goths. Le commentaire du quatrième arc relate l'histoire de la ville depuis l'avènement d'Athalaric, successeur de Théodoric jusqu'au règne de Childebert qui marque l'entrée d'Arles dans le royaume franc 14 . Et le roi de France est encore associé à la

9. Lt Soleil au signe du ~l'on, Lyon, chez Jean Julliron. 1622. Toutefois, l'histoire reprend ses droits dans les représentations théâtrales qui ont lieu à cette occasion au coll~ge des Jésuites. On y présente au roi le spectacle de la victoire d'un de ces prédécesseurs Il contre l'impiété et la rébdlion ». «Philippe Auguste doDteur des rebelles en la journée de Bouvines) (op. dl., p. 41 -43) tandis que l'on offre à la reine le di vertissement d'une pastorale sur les victoires de la Pucelle d'Orléans.

JO. J.-J. GWTON, op. cit;, p. 141. II. Entrit dt Louis XIII. op. dt., p. 31 . 12 . Ibid., p. 3. 13. Ibid., p. 24 14. Ibid. , p. 39-40.

Page 5: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

15

statue de Boson « eslevé à la royauté par les seules affections de Charles le Chauve, Roy de France et empereur)) IS . Avec Boson. premier comte d'Arles, s'interrompt l'histoire française de la cité;« Ce fut la première fois qu'Arles se vit desmembré de la France ... Depuis ce changement, il a flotté comme un vaisseau mal fretté parroy les escueils et vagues que la prétention de plusieurs Princes ont excitées et n'a peu recevoir aucun repos, sinon lorsqu'il a esté replanté dans ce beau parterre des fleurs de lys de France; pour lors a esté à l'ombre et à l'abri des vents et des tempestes guerrières qui ne procurent que changemens " ". Dès lors, le temps suspend son vol. Il n'y a pas d'histoire médiévale d'Arles fors l'allusion au fait que la ville« aspirait toujours à la fleur de lys" ". Peut-être faut-il aller au-delà de la lettre du discours et discerner dans cette histoire inachevée une expression de la conscience que, dès cette époque, les Arlésiens ont du destin de leur ville. Arles qui , avec l'avènement de la dynastie catalane, perd son rôle prépondérant en Provence, perçoit essentiellement son passé sous la forme de sa gloire antique.

En revanche, le programme conçu par Jean de Gallaup-Chasteuil offre un récit presque continu de l'histoire du comté où la seule période laissée dans l'ombre est précisément celle - l'antiquité tardive - qu'illustre principalement rentrée d'Arles. Le second arc, le premier de la série des arcs historiés, évoque la phase romaine de l'histoire aixoise, de Sextius à Auguste. Le suivant associe les origines carolingiennes mythiques des comtes de Provence. avec la représentation du triomphe de Tersin au faîte de l'édifice, aux deux premières dynasties, la catalane et l'angevine, qu'illustrent sur les piédroits les figures de Raymond Bérenger et de Charles II. Le quatrième arc porte les statues des princes qui leur one succédé, Robert et Jeanne, les deux derniers comtes de la première maison d'Anjou. Les cinquième et sixième arcs exposent aux yeux de Louis XIII les comtes de la seconde maison d'Anjou de Louis II à Charles III. La discontinuité qui résulte de l'absence de Louis 1 n'est qu'apparente. Comme le chanoine Saxy pour la période allant de Théodoric aux Francs, le discours comble les lacunes de la série iconographique. Il évoque brièvement la figure de Louis l, adopté par Jeanne et qui, à sa mort, ne laissa à son successeur cc que son nom, son épée. son espérance) ". Certes, cette histoire de la Provence et de ses princes. pour continue qu'elle soit, n'est écrite qu'au second degré. Le but du programme, ici comme à Arles et Avignon, est de célébrer Louis XIII et ses récents triomphes. Tersin juché sur son trophée où s'entassent. amoncelés sous ses pieds sept rois. deux princes et deux comtes sarrasins défaits par ses exploits. fait écho aux

Il . Ibid., p.4l. 16. Ihid., p. 4l l7 . Ibid., p.46 18. DiscourJ Jur lu am triomphaux, p. 33.

Page 6: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

J. Lt JÎxitmtar( ,' lt roi Rtn; ttCbar/tJ 111. Statut ;qutJtrtdt Louù XII I. Discours sur les arcs triomphaux . ..f 43. gra/Jurt dt Martn. dirbi J.-J. Cie/on .

Page 7: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

17

victoires de Louis XIII sur les protestants. L'inscription placée sous le trophée à la gloire de Charlemagne qu'a si bien servi Tersin est apposée au fronton de cet arc « pour saluer le sang de Charlemagne et celui qui en porte si dignement le sceptre» ". L'arc qui porte les effigies des deux derniers comtes souverains de Provence est sommé d'une statue équestre de Louis XIII. L'intention est évidente. Le programme iconographique qui déroule la succession des maîtres du comté est bâti pour présenter Louis XIU comme leur digne et légitime successeur. Le commentaire qu'en donne le Discours obéit à la même intention. C'est dans cet esprit qu'il introduit, à propos de la statue de Louis II, un long développement sur les troubles suscités du temps de ce prince par Raymond de Turenne, dont la mort par noyade dans le Rhône permet à Gallaup d'évoquer la « bataille navalle que Mgr le duc de Guise a donnée contre les Rochelois » 20. Quelles que soient les déformations qu'introduit cette intention laudative et démonstrative. il reste que c'est une perspective historique qui a été choisie par Gallaup pour mettre en scène l'entrée de Louis XIII et qu'il n'est pas illégitime, tout en tenant compte des spécificités du genre littéraire auquel il appartient, d'interroger ce discours sur l'historiographie de la Provence qu'il reflète. Au moment où Gallaup conçoit et commente son programme. une seule histoire de la Provence a été publiée, et encore depuis peu. A sa manière. le Discours sur les arcs triomphaux représente l'un des incunables d'une science qui se développe tardivement dans notre pays.

Cette histoire est une histoire aixoise de la Provence. Il n'y a rien là pour surprendre. Très tôt on l'a vu,les« histoires» s'ingénient à célébrer la ville qui célèbre le souverain. Mais à Lyon cette double exaltation s'effectue sur le mode symbolique: la série des arcs dressés par la commune illustre le thème du soleil au signe du lyon tandis que le décor dressé par les chanoines déploie un jeu d'allégories où le Rhône et la Saône tiennent une large place. Arles recourt au registre de l'histoire, mais d'une histoire strictement urbaine. L'entrée d'Aix associe l'histoire de la ville - elle s'ouvre par la référence à Sextius - à celle du comté, comme il convient à la capitale. Le parti adopté par Gallaup de dessiner un itinéraire balisé par les effigies des comtes de Provence placées de part et d'autre des arches pour s'incliner sur le passage de leur successeur manifeste chez lui et ses commanditaires la vigueur de cette (( conscience de capitale ») qui est, comme l'a fortement marqué J.-P. Coste, une des caractéristiques de la ville d'Aix au XVIl' siècle 12. Ici encore le discours explique l'idée que suggèrent les arcs et ajoute quelques nouvelles touches. Louis III se voit loué d'avoir rétabli à Aix le Conseil Eminent et ce n'est pas l'un des moindres mérites reconnus à René

19. Ibid. , p. 22 20. Ibid., p. 3l 21. J. -P. COSTE. c< Aix au temps du Parlement ». dans Rtflets Midi/errante»s. ]2.

19l6. n.p. (= p. Il).

Page 8: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

/8

qUt d'avoir" connu qu'Aix estoit le chef n de l'Etat provençal n Gallaup, bien qu'il ne le fasse figurer sur aucun arc n'a garde d'omettre Alphonse 1 qui, selon Nostradamus, donna à la ville d'Aix" l'écu de ses armes n et renforça ainsi, en conférant à cette cité l'usage des quatre pals de gueule sur fond or du blason catalan, l'identification entre la capitale et le prince. Il l'explique en indiquant que {( ce prince, en ses jeunes années, fit ses premières armes assisté de nos habitants » 23. Capitale, Aix est aussi le tombeau des saints et des rois, le lieu privilégié où reposent les plus illustres protecteurs célestes du comté et la nécropole royale. C'est. là encore, un des fondements de la conscience urbaine aixoise H. Après avoir franchi le premier arc, le roi est accueilli par les autorités urbaines « dans le vieux temple hors les murs de Nostre Dame de la Seds n. Une note, procédant par un raccourci hardi qui accumule sur ce site tout le sanctoral antique dont Aix peut s'enorgueillir, précise que cet édifice fut « bâti sur les ruines d'un autre dont Sainte-Marie-Magdeleine et Saint-Maximin furent les auteurs, lieu sacré fameux de miracles où Saint-Mitre porta sa tête coupée, il y a l16.5 ans » 25. Le premier arc qui soit consacré à l'histoire médiévale fait paraître un Raimond Bérenger qui condense en sa personne Raymond Bérenger II et Raymond Bérenger V. Ce prince s'inscrit à merveille dans la double intention de célébration du programme; puisqu'il fut le beau-père de Saint-Louis 26 et unit ainsi la Provence à l'un des plus glorieux rois de France portant le même nom que le prince alors accueilli et puisque, comme Alphonse l, il aima {( passionnément cette ville » au point d'y (c ordonner» son tombeau". Face à ce prince est représenté Charles II qualifié dt pat,r Ludovici ,piscopis, sans doute pour faire rejaillir sur la ville d'Aix une partie du prestige de Saint-Louis d'Anjou confisqué par Marseille. Gallaup nt manque pas d'évoquer la sépulture dont il fit choix à Notre-Dame-de­Nazareth, ( un monastère dans nos murs, bâti et doté par luy ... monument dressé à sa piété ») 28. Toutes ces références historiques sont fausses. Notre­Dame-de-la-Seds n'a rien à voir avec sainte Marie-Madeleine et saint Maximin, dont le souvenir est accroché dès l'âge roman à la cathédrale du Bourg Saint-Sauveur, ni avec saint Mitre. Le couvent de Nazareth qui

22. Discours ... , p. 37.47 23. Discours .. .. p. 23. A ce passage fait écho. p. 36. le récit. qui figure chez tOUS les

historiens anciens de la Provence. de la confusion engendrée. lors du sac de marseille de 1423, par le fait que l'envahisseur aragonais et les secours venus d'Aix combattaient sous le s mêmes couleurs

24. Cf. Histoire d'Aix, Aix. 1983 (l'id.). p. 92-94 25. Discours, p. 3. 26. Le comte catalan est même présenté comme un autre Saint-Louis: « Notre Prince

(ut éperdument épris de S. Louys et en fut également aimé. La co n{ormité d'humeurs avait fait leurs affections. On vit en eux une même douceur, une même prudence. une même justice)), ibid .• p. 24

27 . Ibid. 28. Discours. p. 25 .

Page 9: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

2. t t /roiJitmt arc; Btrtngtr, Inau-pirt dt JIIint Lmûs tI Char/ts, ptn dt saint Louis tviqut. Triompht dt Tt rsin . Discours sur les arcs triomphaux.' 26, gravurt dt Marttz, clicht J.-J. G/oton

Page 10: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

20

conserve en 1622 le corps de Charles n n'est plus celui que ce prince a fondé. mais un nouveau couvent rebâti au XIV~ siècle à l'intérieur de la vllle, à près d 'un kilomètre de l'emplacement initial ". Et le tombeau que Gallaup croit être le sépulcre de Raymond Bérenger n est celui de Raymond Bérenger V. Néanmoins, ces notations mettent en rdief l'importance des lieux comme points d'ancrage du légendaire historique urhain.

Les flottements de la chronologie que l'on vient de repérer l'indiquent: cette histoire est connue de manière très inégale. La simple énumération des arcs le montre également: discontinue jusqu'à Charles n. la galerie des portraits offre un récit presque continu de l'histoire de la Provence de la fin du XIII' siècle à la fin du XV' siècle. Mythique sur les origines carolingiennes. floue ou confuse pour l'époque catalane, l'histoire de Provence mise en scène par Gallaup ne met en œuvre une information riche et précise qu'à partir des années 90 du XIll' siècle.

Tout commence avec Tersin. premier comte de Provence, un Sarrasin battu par Charlemagne. converti au christianisme sous l'influence de cet empereur qu'il décide désormais de servir. Baptisée avec lui, son armée guerroie pour le compte de l'empereur des Francs et s'illustre notamment en chassant d'Arles où ils s'étaient réfugiés.« fuyans ses armes victorieuses». sept rois. deux princes et deux comtes sarrasins et leurs troupes. En récompense de ces exploits. il reçut un comté d'une vaste étendue ( de la domination qu'on dit avoir esté du vieux sceptre de Toulouse n. Tersin est ainsi la tige dont descendent les comtes de Provence et de Toulouse JO. Il s'agit bien d'un personnage historique: Chorson, comte de Toulouse de 778 à 790 li. Mais le Tersin de Gallaup est la figure épique qui a repris ce nom dans une tradition littéraire qui. selon P. Meyer. remonterait au XIW

siècle 32 , mais qui provient en fait de l'imagination fertile de J can de Nostredame. comme l'ont depuis démontré C. Chahaneau et J. Anglade ". Le c( vieux manuscrit provençal » qui a révélé cet épisode légendaire de l'histoire de la Provence à l'auteur du discours est cette petite chronique provençale intitulée ( Sa que s'es pogut reculhir dels comtes de Prouvensa e de Forcalquier e de leurs successours », rédigée un peu avant 1575, alors que

29. Cf. N. COULET, Ct Un couvent royal: les Dominicaines de Notre-Dame de Nazareth d'Aix)) dans Cahiers de Fanjeaux, VIII. Toulouse. 1973 et Histoire d'Aix, p. 93-94.

30. Discours, p. 21 31. Ph. WOLFF. «L'Aquitaine et ses marges sous le règne de Charlemagne») În

Regards sur le Midi Médiéval, Toulouse. 1978, p. 46. Gallaup note d'ailleurs: {( Les historiens varient étrangement son nom : Torsin. Vorson. Corson, Torson. Thesin. Tressin. Thorson, Tersin»

32. P. MEYER, ( Tersin. tradition arlésienne », in Romania, 1 (1872), p. 51-68 33. Jehan de NOSTREDAME. ù s vies des plus à/ibm el anciens potlej provencaux,

nouvelle édition... préparée par C. CHABANEAU ... et publiée avec introduction et commentaire par J. ANGLADE. Paris. 1913, p. 359-363

Page 11: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

21

3. Le Ihédtre du troubadour. Discours sur les arcs triomphaux. Gravure de Maretz., dichi J.-J. Ci%n.

l'ingénieux faussaire mûrissait ses Vies des plus célèbres et anciens poètes provençaux qui ont floury du temps des Comtes de Provence où " la guerre de Tressin, prince dels Sarrasins contra lous reis d'Arles )) devait devenir l'œuvre de Jaufre Rude! ". Les différents manuscrits contenant le récit des aventures de T ersin parvenus à la bibliothèque de Carpentras proviennent des Gallaup-Chasteuil et ont dû être copiés du temps de la jeunesse de Jean. Au moment où il rédige son discours. ce pseudo-roman est bien connu des milieux lettrés, mais déjà son authenticité est contestée. notamment par Cate!, historien des comtes de Toulouse qui s'attire par là la colère de Gallaup, peu convaincu par ({ le pénible travail de (sa) curieuse et savante plume» JS. L'auteur du Discours est le seul des historiens provençaux de son temps à donner à cette légende un statut historique. César de Nostredame. qui a pourtant amplement puisé dans les écrits de son oncle pour rédiger son Histoire et Chronique ... n'en souffle mot. Peiresc, dans son Abrégé, l'ignore. Et si ce que P. Meyer qualifiait de (( tradition arlésienne» ne trouve aucun éçho dans le programme de l'entrée de Louis XIII à Arles, c'est bien parce

34. Ibid., p. (52-56), 17,205-211 . 35 . Guillaume de CATEL. Histoire des comlts de Toulouse, Toulouse, 1623. p. 42-44.

critique d'une tradition reprise par Fauchet (début XVII~ s.) faisant de Torsin un Sarrasin baptisé

Page 12: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

22

que son auteur, le chanoine Saxy refusait d'y ajouter foi , comme il le montrera en 1629 dans son Poutificum Are/ateuse. L'accueil que Gallaup réserve à cette épopée aboutit à enraciner l'histoire médiévale de la Provence non seulement dans le mythe mais encore 'hors des limites du pays, puisque l'espace sur lequel s'exerçait. selon lui, la souveraineté de Tersin correspond au marquisat de Provence 'et à toute l'Aquitaine. en excluant le comté! Le choix de cette figure légendaire pour inaugurer la galerie des ancêtres tient sans doute pour une part à l'analogie, facile à établir, entre le triomphe de Tersin et les victoires de Louis XIII. Mais il s'explique davantage encore dans la mesure où l'horizon prioritait:e de référence de Gallaup est la littérature et où. pour lui, le trait dominant de la Provence des XIe_XIIe siècles est l'intensité de la vie littéraire. Avant de se trouver face au trophée de Tersin, Louis XIII rencontre sur sa route un petit théâtre de verdure au décor f1eurdelysé reposant sur un échafaudage drapé de pals rouges et or qui sert d'estrace à un troubadour chargé de déclamer au passage du souverain. Ainsi, dans l'ordonnance mème du parcours la poésie prend le pas sur l'histoire et assure la transition entre l'antiquité du premier arc et le Moyen Age des édifices suivants. Cette disposition illustre l'affirmation selon laquelle les Muses latines et grecques que l'on pouvait croire « pour jamais enfermées dans le Tombeau du grand Théodose» ont été ressuscitées par « nos vieux princes» qui ont fait de la Provence la nouvelle terre d'élection de la poésie 16. Une Provence taillée large où l'on retrouve le domaine soumis à Tersin : « On ne peut parler de nostre Poesie sans nommer nos vieux comtes, les comtes de Tolose et de Poictou» 37.

Une Provence dilatée. mais focalisée sur Aix et sur les comtes qui y résident , en particulier Raymond Bérenger II. sous lequel la divinité des Muses « parut plus visiblement ».

Ce prince - « notre Raymond Bérenger) - est une figure composite. Gallaup distingue mal les différents comtes qui Ont porté ce nom. Et il n'a de ce règne qu'une connaissance assez floue. Aucune autre partie du Discours n'a moins de contenu spécifique. Le commentaire de l'effigie renvoie à la maison de France. Raymond Bérenger est le dernier descendant de Geoffroy le Velu dont on rapporte les campagnes au temps où il consacrait ses armes à Louis II. Il est, comme le proclame l'inscription figurant sous ses pieds, le beau-père de Saint-Louis. Le Discours renvoie surtout à la ville d'Aix en s'étendant principalement sur l'origine des armes qui devinrent alors celles de la cité et sur la nécropole comtale qui s'établit progressivement dans l'église Saint-Jean. Mis à part la lutte de Raymond Bérenger II contre les Niçois rebelles mentionnés à propos de la sépulture aixoise lB et le destin royal des quatre filles de Raymond Bérenger V évoqué

36. DùcourJ, p. J:5 . H . DùcourJ, p. 16. 38. Alphonse I. fils et successeur de Raymond Bérenger II ne voulut point ensevelir

Page 13: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

23

à propos du mariage de Marguerite à Louis IX, on ne connaît rien de ce prince qui paraît surtout comme protecteur des arts. De l'œuvre administrative du comte, pounant mise en évidence par Nostradamus, et de l'affermissement en ce temps du pouvoir princier en Provence, pas un mot. Le sujet n'est pas indifférent à Gallaup. Ce qu'il dit des Angevins le prouve. Visiblement cette période de l'histoire de Provence est mal connue de lui, à l'exception des troubadours qui retiennent tout son intérêt.

Tout change avec Charles II, le second des comtes de la première maison d'Anjou. Charles l, le premier des princes des fleurs de lys à régner sur la Provence, est le grand absent de ce discours. On conçoit les raisons symboliques qui ont conduit Gallaup, pour mettre face à face Raymond Bérenger, beau-père de Saint-Louis et Charles II, père de Saint-Louis d'Anjou, l'un et l'autre liés par le nom et la race au prince que la ville accueille, à occulter le personnage de Charles 1 dans le programme iconographique. Mais rien n'empêchait Gallaup de faire dans son commentaire une place à ce prince comme il le fit, à propos de la dynastie catalane, pour Geoffroy le V du et Alphonse 1. Surprenante au premier abord, cette lacune n'est pas en désaccord absolu avec les tendances de l'historiographie provençale de l'époque moderne. De Nostradamus à Papon ces historiens s'intéressent fort peu à la politique proprement provençale de Charles 1 alors qu'ils narrent en détail ses aventures napolitaines. Certes. Nostradamus et Peiresc font place aux luttes que le nouveau maître de la Provence dût soutenir contre les grandes villes du comté, mais traitent brièvement ces épisodes. Si. pour nous, le règne de Charles 1 est un temps fort de l'organisation politique du comté, pour la plupart des historiens provençaux d'Ancien Régime, le législateur et l'administrateur par excellence est Charles II 39 . Pour nous en tenir au cas de Peiresc, dans l'édition récemment procurée de son Abrégé, l'action de Charles 1 représente moins d'un cinquième de l'espace occupé par la biographie de ce comte .0 Gallaup est ici un bon témoin de l'esprit de son temps.

L'image qu'il donne des princes de la première maison d'Anjou n'a rien d'original. Tous se caractérisent par leur piété et leur zèle pour la justice et, plus encore, par leurs justes ordonnances qui limitent le nombre inutile

son p~re avant d'avoir puni la rtbellion des Niçois (c'est au siège de Nice que mourut Raymond Btrenger II) et ne l'ensevelit à l'tglise Saint-Jean qu'apr~s avoir veng( son tXre. Le corps fut port( au tombeau sur le dos de rebelles niçois captifs. Discours. p. 24.

39. Cf. C. PEYROU. L'his/Qriographie provenpz/e des Tignes des (omtes de Provence de la premiire maison d'Anjou. M(moire de maîtrise, Aix. U.E.R. d'Histoire. 1982.

40. PEIRESC, Histoire abrtgit de Provence e/ au/res lexIes, (d. J. FERRIER et M. FEUILLAS. Avignon. 1982. p. Hl sqq.

On doit relever avec Înt(rêt une hypothèse formulte lors de la discussion suivant ceue communication . Le relatif manque d'Înthêt de Peiresc pour Charles 1 tiendrait à ce qu'il n'est pas« du sang de Provence:o. (Cf. les Eloges reproduits .dans cette édition).

Page 14: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

24

des officiers. mettent un frein à leur zèle intempestif et, surtOut, à leurs oppressions tyranniques. Tout ceci, qui traduit sans doute les sentiments d'un certain milieu aristocratique. figure déjà dans Nostradamus et est souvent repris td quel de son Histoire 41. Ces mêmes vertus reparaissent dans l'éloge de la reine Jeanne. Ce n'est pas trahir l'auteur que de dire qu'elles figurent dans son patrimoine génétique: ({ Beauté. piété. justice. bonté. semblaient avoir conspiré ensemble pour rendre cette jeune princesse ornement et exemple de reine n. La Provence bénéficie des heureux effets de ce « génie )) et Gallaup sait gré à « cette belle Amazone )) d'avoir (c .purgé nos champs des voleurs que l'impunité et les factions y avaient ramassés» 42. Mais, à J'inverse. ses sujets napolitains « ne respiraient que les mouvements de son esprit n. Un esprit instable balloté au vent de la faveur intermittente qu'elle accordait à ses conseillers. En effet, comme chez Nostradamus, l'image de Jeanne est ambiguë: « grande princesse. mais princesse infortunée» ,n , Tout aurait dû, on l'a vu, en faire une reine modèle ((( ornement et exemple de reine »), mais Gallaup poursuit: « mais la fonune contraire ... la fit l'exemple infonuné des plus misérables de son sexe». Dans ces derniers mots passe. atténué, l'écho du leitmotiv que Nostradamus développe dans le chapitre qu'il consacre à Jeanne 1" : nulle femme ne peut régner innocemment. Toutefois, le Discours s'éloigne du modèle que lui fournit Nostradamus. 11 est en effet le premier des écrivains provençaux - ou l'un des premiers selon la date que l'on assigne à l'Abrégé de Peiresc - à faire un SOrt à l'affrontement autour de la reine d'« un moine et une lavandière » qui c( prennent en mains le gouvernail de l'Etat, tantôt l'un , tantôt l'autre, selon le vent de sa faveur ». Il s'agit ici de frère André et la Catanaise, figures issues du De casibus IIIustrorum de Boccace et qui. jusqu'à la tragédie de Mistral, seront des personnages obligés du drame de la reine Jeanne 44. Gallaup, dont la lignée serait, si l'on peut se fier aux vieux généalogistes provençaux 45, d'origine napolitaine, a-t-il lu Boccace? Il est plus vraisemblable qu'il a repris cette histoire à l'adaptation française que Pierre Mathieu vient de publier en 1622. l'Histoire des prospérités malheureuses d'une femme catanaise, grande sénéchale de Naples.

L'influence du même Mathieu, historien français, historiographe de Henri IV, est sensible dans l'éloge que fait Gallaup de René d'Anjou. Le

4). Dùcours. p. 26-28 42 . Dùeours. p. 31 43. DÎJcours, p. 30 44. Sur les avatars historiographiqut:'s de la reine Jeanne. cf. E.-G . LEONARD. {( Les

légendes de la reine Jeanne et du roi René ». dans La Provence maru illaÎJt el rbodanitnnt, Nice. 1946. et N. COULET. j( Histoire et Mythe: la reine Jeanne et le roi René .1. dans AnnaltJ du Centrt Rêgùmal de Documentation Pêdagogiqut dt Marstillt, Marseille . 1980, p.11-32.

45. B. de CLAPIERS-COLLONGUES ct Macqu;s de BOISGELIN. Chro"ologù dt! officiers des Cours Souveraints de Provence, éd. F. CORTEZ, Aix. 1909. p. 301. Pour Roux­Alphéran la famille est d'origine languedocienne

Page 15: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

25

Discours est, à ma connaissance, le premier ouvrage à emprunter à la vie de Louis XI de cet auteur l'affirmation. promise à un bel avenir historiogra­phique, selon laquelle le roi René, avant de recevoir la taille se serait informé de l'abondance ou stérilité de la saison et aurait fait en conséquence fréquemment remise de cet impôt: cc Contant de son domaine, il exigeoit la taille selon les bonnes ou mauvaises saisons et la remettoit souvent)) 46. Le portrait que Gallaup trace de ce prince insiste en effet sur sa bonté: « J'élève cette statue à la bonté de René)) 47 et le Discours est une étape importante dans le glissement progressif. depuis Bourdigné, du « bon roi» au roi bon qui va désormais marquer le stéréotype historiographique de René d'Anjou ", Par là, Gallaup s'écarte de Nostradamus avant tout

soucieux de souligner chez ce prince la stoïque patience devant l'adversité ". De même, il reprend à la chronique angevine de Bourdigné un thème peu développé par Nostradamus, celui du roi amoureux des plaisirs champêtres. Encore fallait-il concilier ce trait de caractère avec l'idéal de la grandeur royale et associer cette grandeur à ,d'autres exploits que les triomphes guerriers. C'est le collège fondé à Saint-Maximin et ses bâtiments superbes qui « font éclater en divers lieux sa grandeur royale ».

Le roi « voulait que sa magnificence parût même en ses jardins, ses parterres. ses grandes volières et ses parcs ». Mais Gallaup n'est pas toujours aussi heureusement inspiré. ainsi lorsqu'il déclare que si la fortune avait mis l'épée de René d'Anjou au fourreau. « il avait toutefois le courage toujours armé et, parce qu'il y a en la chasse une image de la guerr~. il la faisait aux animaux ») •••

En dépit du genre littéraire très particulier auquel il appartient, ce discours est un des maillons de la constitution d'une tradition historiogra­phique de la Provence d'Ancien Régime. Il nous montre en voie de constitution une image de l'histoire des comtes de Provence, ou, ce qui revient au même pour son époque, de la Provence médiévale. Pour tirer le meilleur parti de ce texte, il faudrait mieux connaître ses sources. GaHaup en indique lui-même quelques-unes: des historiens contemporains de l'auteur ou disparus depuis peu: Etienne Pasquier, Nostradamus, Pierre

46. Discours. p. 47. Sur nvolution de l'historiographie de René d'Anjou. cf. N COULET, A. PLANCHE. F. ROBIN . Le roi Reni, lt prince, Ir micrnt.l'écrivain,/t ",-vtht, Aix, 1982, p. 221-231.

47. Discours. p. 46. 48. Peut-être faut-il voir ici aussi l'influence de la chronique provençale de Jean de

Nostredame (So que StS pegut recu/hir ... ) où l'on peut lire : « Si troba per escrich qu'aquest prince fon plen de granda bontat Il, CHABANEAU-ANGLADE, op. cit., p. 219-220. En écrivant ( ayant mérité le tj'tre de Bon par s<! venu n. Peiresc, op. cit., p. 190. se situe au point de transition entre l'acc~ption ancienne du terme et la nouvelle

49. JI transparaît dans l'épisode - autre topos de l'historiographie de René d'Anjou -où l'on voit le roi occupé à peindre une perdrix au moment où il reçoit la nouvelle de la pene de Naples, continuant sans trouble son ouvrage. Discours, p. 47.

Page 16: L'histoire médiévale de la Provence dans le Discours sur les arcs triomphaux de …provence-historique.mmsh.univ-aix.fr/Pdf/PH-1985-35-139... · 2016-12-01 · le fondateur de la

26

Mathieu, Catel, et parmi les écrivains plus anciens, Pétrarque, peut être cité de seconde main. Il cite. en outre, des manuscrits en sa possession disparus aujourd'hui: les Antiquités de la ville d'Aix de son père Louis et le roman provençal de Tersin. Il en est sans doute d'autres qu'une étude plus attentive du texte et une exploration des manuscrits des bibliothèques provençales permettraient de discerner ou de découvrir. Et sunout. pour mieux comprendre un discours qui est utilisation de l'histoire plus qu'élaboration historique, il faudrait mieux connaître la personnalité de Jean de Gallaup­Chasteuil lui-même dont la figure, comme celle de la plupart des historiens classiques de la Provence demeure encore dans l'ombre 50. L'histoire socio­culturelle de l'histoire de la Provence est un chantier largement ouvert qui devrait davantage solliciter la recherche.

Noël COULET

W. Quelques pages sur cette famille dans Lts Bouches-du-Rhont. t. III . Marseille. 1920, p. 742-744. Cf. aussi ROUX-ALPHERAN. LtS rues d'Aix, Aix. 1846,1 . 1, p. 163-169.