73
Homme mémoire l’ et sa Julien Censier mémoire de fin d’études, 2011

L'Homme et sa mémoire

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Ce mémoire, s'interrogeant sur le contexte dans lequel vivent les personnes présentant des troubles de la mémoire, est inscrit dans une démarche design. Ainsi, la lecture et l'analyse des éléments présents dans cet ouvrage sont portés par un regard de designer, visant à extraire la matière nécessaire à la réalisation de mon projet de fin d'études (mené en parallèle de la rédaction du mémoire, et sur le même thème).

Citation preview

Page 1: L'Homme et sa mémoire

Hommemémoire

l’

et sa

Julien Censiermémoire de fin d’études, 2011

Page 2: L'Homme et sa mémoire
Page 3: L'Homme et sa mémoire

pour Guillaume,

à cette volonté de briser le Muret d’avancer au travers

Page 4: L'Homme et sa mémoire
Page 5: L'Homme et sa mémoire

Parce qu’il y a l’envie de mieux comprendre les autres ; Parce qu'un jour des amis en fac de psychologie m'ont éduqué et intéressé à propos des pathologies cognitives ; Parce qu'un stage dans un foyer médicalisé auprès de personnes présentant ces troubles confirma mon intérêt ; Parce que j’ai eu la chance de connaître une personne, cet ami, qui présente aujourd’hui des difficultées mnésiques ; Parce qu'un designer a sa place partout ;

Et parce que quelque part c'est amusant de faire

Autant de raisons qui m'ont amené à faire converger mon projet de fin d'études et mon mémoire vers ce thème des troubles de la mémoire. En espérant lui donner du sens. Permettre de comprendre et d’aider les personnes dont le quotidien est une mosaïque d’affres et de bonheurs d’autant plus intenses que le combat est rude.

D'appréhender un peu mieux leurs attentes, leurs forces comme leurs faiblesses, leur perception du monde, de l'environnement : leur réalité.

un mémoire sur la mémoire

Page 6: L'Homme et sa mémoire

INTRODUCTION.............................................................. 10-17

26

1.LA MÉMOIRE

a. la mémoire : quézako ? .................. 20b. les troubles de la mémoire .............

3234

2.LES ACTEURS SATELLITES

a. les proches ...................................

b. la société ......................................

c. les thérapeutes ..............................

d. le patient .......................................

e. schéma gravitationnel .....................

f. le designer dans tout ça..................

424037

43

Page 7: L'Homme et sa mémoire

4.INTERFACER L’ENVIRONNEMENT

a. la notion d’augmentation ................

b. vers un projet concret ....................

5758

6670

3.LA MÉMOIRE NUMÉRIQUE

a. une dimension historique ...............

b. quelques exemples .......................

c. une question d’actualité .................

d. engouement et paradoxe ...............

48

5251

BILAN ET CONCLUSION

46

..............................................................

+ bibliographie ...................................+ remerciements ................................

62-63

Page 8: L'Homme et sa mémoire

INTRODUCTION

Page 9: L'Homme et sa mémoire

INTRODUCTION

introduction

Page 10: L'Homme et sa mémoire

Il est primordial de comprendre que parler de la mémoire, de son absence et de tout ce que cela implique, c'est avant tout parler de l'Homme. Ou plutôt d'un homme, d'une femme, d'un enfant ; d'un frère, d'un fils, d'une mère ; d'une personnalité, d'une sensibilité. La finalité de ce mémoire n'est donc pas d'évoquer avec une froideur mécaniste un trouble, ses symptômes, des thérapies pour le surmonter ou encore ses manifestations dans les différentes aires du cerveau. Il s'agit ici avant tout d'un être humain, de son envie de vivre, ses espoirs comme ses souffrances, ses objectifs, ses décisions. Sa famille, ses amis, ses thérapeutes comme autant d'acteurs satellites et fusionnels ; et leur exceptionnel courage.

L'aventure est humaineavant d'être médicale,avant même d’être design.

introduction

Réalité et normes

J’ai précédemment désigné la faculté individuelle de percevoir son environnement en parlant de réalité (1). Celle à travers laquelle on appréhende le monde ; non tel qu'il est, mais tel qu'il nous apparaît. Un traducteur, un filtre physiologique et psychologique, sensoriel, intellectuel, sensible... qui se place entre l'environnement et notre perception.

Il n'y a pas une Réalité, universelle, mais bel et bien autant qu'il y a d'êtres vivants ; et parler de réalités, au pluriel, c'est s'inviter à les catégoriser, les nommer pour mieux les comprendre. Ainsi, bien qu'on ne puisse pas la qualifier d'universelle, on peut tout de même parler d'une réalité de référence, pour nous, humains. Une référence dans ce qu'elle a de majoritaire et d'adaptée à l'environnement, et donc dans sa faculté d'être et de définir

| 10

(1) voir page 5 : « D’appréhender un peu mieux [...] leur perception du monde, del'environnement : leur réalité. »

Page 11: L'Homme et sa mémoire

une norme. Cette "réalité de référence" est donc le propre du plus grand nombre et, par ce fait, se veut la matière principale avec laquelle notre société s'est construite. J'évoquais tout à l'heure une réalité adaptée à son environnement, mais il serait plus juste de parler d'un environnement adapté à la "réalité de référence" – créé, modelé par celle-ci. Les manières de penser, de sentir et de raisonner, de toucher les environnements éthérés et tangibles qui nous entourent impliquent donc d'avoir possession de compétences physiques et mentales comprises dans la fourchette de la normalité. On considère donc que si l'on veut vivre – et vivre pleinement – entre les acteurs que sont les individus et leurs environnements (à savoir notre société), force est de le faire avec deux bras, deux jambes, cinq sens et possession de quotients intellectuels, émotionnels et psychiques conventionnels.

11 |

introduction

Les normes étant l'héritage d'une société, et ces sociétés diffèrant de par le monde, il est alors nécessaire de poser un cadre quant aux prochaines analyses et réflexions de ce mémoire.

A savoir donc que notre référenciel sera celui de la société française.

Page 12: L'Homme et sa mémoire

Des réalités alternatives en rupture

Lorsqu'une personne ne présente pas, ou plus, un ou plusieurs critères l'inscrivant dans la "réalité de référence", alors se crée pour celle-ci une rupture, plus ou moins grande, plus ou moins franchissable, entre elle et la société. C'est notamment le cas des personnes présentant un handicap, qui vivent dans une réalité alternative bousculée par son contraste avec la norme. Et comme l’euphémisme et ses œillères sucrées n’ont pas leur place entre ces lignes, utilisons de suite le terme plus dur et adéquat d’exclusion sociale. Car c’est bien de cela dont nous parlons et dont souffrent bon nombre de personnes handicapées, injustement à l’abandon.

« une situation dans laquelle la personne est exclue du groupe dominant, c’est-à-dire composé d’individus qui considérent posséder

introduction

les caractéristiques reconnues comme étant la norme de leur groupe. Nous sommes, là, à la racine de l’exclusion sociale, c’est le refus de la différence qui pousse à exclure l’étranger, le handicapé, le fou et quelque fois le vieillard... » (1).

D’ailleurs, en ce qui concerne les réalités des personnes présentant un problème d’ordre pathologique – physique ou psychique –, bon nombre confondent marginalité et infériorité. On place ainsi bien (trop) souvent la "réalité de référence" au-dessus de ces "sous-réalités" alternatives déficientes.

(1) HAMONET Claude (2010), Que sais-je ? Les personnes en situation de handicapchapitres 7, page 102

| 12

Page 13: L'Homme et sa mémoire

(2) les « troubles associés » représentent l’ensemble des troubles se faisant symptôme del’état pathologique d’une personne. Par exemple, quelqu’un ayant la maladie d’Alzheimerprésente des troubles de la mémoire, souvent associés à des troubles du langage, parfoisassociés à d’autres troubles encore.

Focus sur la mémoire

J'ai choisi de me focaliser sur les troubles de la mémoire, qui sont des troubles associés (2) très récurrents chez les cérébro-lésés. De plus, suite aux observations et entretiens obtenus avec certains professionnels de la santé (en particulier des neuropsychologues et ergothérapeutes), il m’est apparu que les personnes présentant des troubles de la mémoire sont très en souffrance, et particulièrement contraintes dans leur quotidien ; il y a donc pour un designer clairement matière à trouver des solutions innovantes.

13 |

introduction

Page 14: L'Homme et sa mémoire

En tant qu’homme...

Ma visions des choses, même si elle n'a rien de révolutionnaire, est de considérer la réalité des personnes présentant des troubles de la mémoire non comme une dégénérescence de la "réalité de référence", mais comme un fonctionnement alternatif, simplement avec des mécanismes différents.

En tant que designer...

Mon positionnement consiste à mettre deux réalités sur un même niveau – à savoir la "réalité de référence" et celle de personnes présentant des troubles de la mémoire –, puis à venir se placer entre elles pour les interfacer et créer des connexions pertinentes entre leurs mécanismes respectifs (1) (2).

introduction

(1)

(2)

voir page 15, schéma A.

voir page 15, schéma B.

| 14

Page 15: L'Homme et sa mémoire

A. positionnement design

B. interfacer les réalités

DesignerENVIRONNEMENT

RÉALITÉPAT-IENT

réalité"de référence" d’une personne présentant des

troubles de la mémoire

réalité

15 |

introduction

Page 16: L'Homme et sa mémoire

Afin de finaliser l’expression de mon positionnement, j’ai matérialisé celui-ci sous la forme d’une problématique dont les termes et l’intelligibilité me guide-ront pour aborder le projet.

Ma problématique :

introduction

| 16

« Comment créer des connexions entre une réalité dite "de référence" (car majoritaire et adaptée à son

environnement) et la réalité d’une personne présentant des troubles de la mémoire ? Ceci pour réduire les

accidents entre cette personne et son environnement. »

Page 17: L'Homme et sa mémoire

La place du design dans le monde de la santé

Stéphane Vial résume bien les choses en disant que « Le design est né avec l’industrialisation du XIXème siècle.Il a grandi avec la société de consom- mation du XXème siècle. Il mûrit aujourd’hui avec la dynamique d’innovation du XXIème siècle. » (1). Ainsi, suite à la production massive de l’ère industrielle, de nombreuses décennies ancrèrent le rôle du designer dans sa démarche du XXème siècle, à savoir un design de consomation visant à donner aux produits industriels une valeur ajoutée en termes esthétique et fonctionnel. Voilà le stéréotype tel qu’il substiste dans les esprits aujourd’hui. Cependant, et même si les choses n’ont pas changé du tout au tout, notre métier tend à muter depuis le début du deuxième millénaire dans une « dynamique d’innovation », à savoir comment trouver des solutions

innovantes à des problèmes, tout en prenant en compte les contraintes issues des besoins mercantiles et humains de la société. Une définition finalement assez vague qui, si elle l’est déjà pour moi, étudiant en la matière, l’est d’autant plus pour ceux dont la conscience ignore ou effleure le métier de designer : ce qui est le cas du monde de la santé.

Ainsi je n’ai pas été étonné, lorsque j’ai débuté la création de mon réseau d’experts (thérapeutes référents pour mon projet de fin d’études) de n’essuyer que stupeur et incompréhen-sion. « Vous avez dit venir de quelle école déjà ? » « Un designer, quel rapport ? ». J’ai dû me battre pour avoir l’opportunité d’expliquer le bien fondé de ma démarche, sûr de sa pertinence.

Et j’espère que la lecture de ce mémoire apportera sa part de réponse quant à la place du design dans le monde la santé.

(1) VIAL Stéphane (2011), La part du désir et du rêve dans l’innovationhttp://www.reduplikation.net/fr/posts/part-du-desir-et-du-reve-dans-linnovation

17 |

introduction

Page 18: L'Homme et sa mémoire

LAMÉMOIRE

Page 19: L'Homme et sa mémoire

LAMÉMOIRE

la mémoire

Page 20: L'Homme et sa mémoire

1.

| 20

La mémoire, du point de vue médical, est le domaine des neurosciences, comme le sont la neurologie et la neuropsychologie. Paraissant aussi évidente que pertinente la nécessité de définir l'essentiel de la nature et du fonctionnement de cette mémoire pour mieux la comprendre, la chose sera faite par le biais de cette discipline.

Trois types de mémoire

Le processus de mémorisation se compose de trois étapes successives, chacune correspondant à un type de mémoire : la mémoire sensorielle, la mémoire à court-terme et la mémoire à long-terme ; dans cet ordre (1). Ainsi, lorsque des informations extérieures sont captées par un ou plusieurs de nos sens, celles-ci passent par la mémoire sensorielle – si rapidement d’ailleurs qu’on résume souvent ce passage par le terme plus connu de perception.

Ensuite, une fois perçue, la sélection d’informations faite par la mémoire sensorielle (on voit que s’opère déjà un premier tri) passe dans la mémoire à court terme. Celle-ci permet de retenir temporairement les choses « C’est un visage croisé dans la rue ou un numéro de téléphone entendu qui se dissipera rapidement à tout jamais si on ne fait pas un effort conscient pour s’en rappeler » (2). La mémoire à court-terme est d’une grande utilité au quotidien. Par exemple, pour lire un livre, il est nécessaire de se souvenir des premiers mots de la phrase pour en dérouler le sens et la comprendre. Mais ce n’est pas tout, il faut également accéder au processus de lecture appris et inscrit dans la mémoire à long-terme. Ainsi, ces deux mémoires sont amenées à travailler de concert pour effectuer des traitements cognitifs sur les éléments temporairement stockés (on appelle d’ailleurs également la mémoire à court-terme : mémoire de travail).

(1)

(2)

voir page 21 : schéma A.

PETIT Laurent (2006), Que sais-je ? La mémoirechapitres 2, page 28-29

Page 21: L'Homme et sa mémoire

la mémoirea. la mémoire : quézako ?

21 |

Mémoire à court-termeou

Mémoire de travail

Mémoire à long-terme

Mémoire sensorielle

extérieur

perception

A. modèle structurel de la mémoire

Page 22: L'Homme et sa mémoire

| 22

La dernière étape pour l’information est une contrée cognitive salvatrice où fleurissent les promesses de pérennité : la mémoire à long-terme.

Trois grands processus

Elle « sert non seulement à emmagasi-ner tous les évènements significatifs qui jalonnent notre existence, mais aussi à retenir le sens des mots et les habiletés manuelles apprises. Sa capacité semble illimitée et elle peut durer des jours, des mois, des annés, voire toute une vie ! » (1). On la décompose en trois grands processus (2). Premièrement, l’encodage, est le passage de la mémoire à court-terme à la mémoire à long-terme (durant lequel on va critériser au mieux l’information, par exemple pour retenir le mot citron, on va lui attacher les indices rond, jaune, fruit, acide...). Ensuite, le stockage, est la consolidation de

l’information dans la mémoire à long-terme. On peut ainsi distinguer un souvenir qui vient tout juste d’être encodé (soit la mémoire des faits récents), encore fragile, d’un souvenir consolidé par le processus de stockage (soit la mémoire des faits anciens). Enfin, dernière étape, la récupération (ou restitution), consiste à aller chercher, consciemment ou non, une information dans la mémoire à long-terme, et ainsi de s’en souvenir. A savoir que mieux l’information a été critérisée lors de l’encodage, plus il est facile de la récupérer.

Cependant, la mémoire à long-terme « est loin d’être infaillible, déforme parfois les faits, et sa fiabilité tant à décroître avec l’âge. » (1).

(1)

(2)

PETIT Laurent (2006), Que sais-je ? La mémoirechapitres 2, page 32

voir page 23 : schéma B.

1.

Page 23: L'Homme et sa mémoire

la mémoirea. la mémoire : quézako ?

mémoire à court-terme

conscience

encodage

récupérationstockage

B. les trois grands processus de la mémoire à long-terme

23 |

Page 24: L'Homme et sa mémoire

| 24

J’ai décrit la mémoire d’une manière rationnelle et aseptisée, comme étant « la capacité d’acquérir, de conserveret de restituer une information » (1).A la rigueur de cette définition neuros-cientifique, nous pouvons confronter la note plus ronde d’une vision psycholo-gique de la mémoire, soit « la possibi-lité d’adapter son comportement en fonction de l’expérience passée » (1). Une définition plus chaleureuse, plus humaine et inspirante, qui soulève l’implication du temps, de la confronta-tion et de la complémentarité d’un passé linéaire, d’un présent instantané et d’un futur plein de possibilités. Des notions intéressantes par lesquelles ma démarche design entrevoit déjà une porte, une opportunité.

(1) PETIT Laurent (2006), Que sais-je ? La mémoireavant-propos, page 5

1. la mémoirea. la mémoire : quézako ?

Page 25: L'Homme et sa mémoire
Page 26: L'Homme et sa mémoire

| 26

Le rôle de la mémoire est donc extraordinaire, tant celle-ci plonge ses racines dans notre vie et s'y enchevêtre comme elle grandit à nos côtés. Elle est le souvenir, une accumulation d'informations – ou expérience – à laquelle nous nous référons constamment pour comprendre et appréhender l'extérieur et l'intérieur, l'environnement et l'être profond. Elle sait accrocher à chacun de ces souvenirs un repère dans le temps et l'espace, nous inscrivant ainsi dans une temporalité personnelle, elle-même en cohérence avec la temporalité collective qui nous lie tous. Elle est à la fois le passé, le présent et le futur, et nous promet une place sur le cours du temps. Elle est une reconnaissance de nous-même et du reste du monde.

Mais la mémoire est-elle tout ?Ou plutôt, que sommes-nous sans la mémoire ?

Le détonateur accident

Le bon fonctionnement de la mémoire peut-être touché, détérioré, par l'apparition de lésions cérébrales (TC, AVC (1), maladie d'Alzheimer), voire par l'absorption de certains produits ou par une atteinte psychique (quelle que soit la cause de l’apparition des troubles, appellons ce détonateur : accident). On parle alors d'amnésie, qui peut-être partielle ou totale selon l'ampleur du trouble. Distinguons également l'amnésie rétrograde et l'amnésie antérograde ; la première étant la difficulté d'accéder aux souvenirs datant d’avant l'accident ; la seconde, la difficulté d'enregistrer de nouveaux souvenirs depuis l'accident (2).

Par intérêt pour les contraintes qu’elle implique, j’ai choisi de me focaliser sur l’amnésie antérograde, et donc sur le cas des personnes présentant des difficultés d’enregistrement.

(1)

(2)

TC : Traumatisé Crânien ; AVC : Accident Vasculaire Cérébral

voir page 27 : schéma A.

1.

Page 27: L'Homme et sa mémoire

la mémoireb. les troubles de la mémoire

27 |

amnésie rétrograde

apparition des troublesde la mémoire

----

accident

difficultés d’accéderaux souvenirs d’avant l’accident

difficultés d’enregistrerde nouveaux souvenirs

amnésie antérograde

A. amnésies rétrograde et antérograde

Page 28: L'Homme et sa mémoire

Souffrir de difficultés d’enregistrement pathologiques impacte bien entendu le quotidien de la personne, mais dans quelle mesure ? Surtout, peut-on isoler des souffrances génériques, les plus transversales possible entre toutes les réalités présentant des troubles antérogrades de la mémoire (qu’elles proviennent d’un TC, d’un AVC, d’un syndrome de Korsakov ou de la maladie d’Alzheimer), et quels que soient les troubles associés ? Après entretiens avec différents neuropsychologues – en particulier Pauline Renaudin (1) – j’ai isolé deux points de convergence forts : la désorientation et l’anosognosie.

La désorientation

Se distinguent trois types de désorientation. Les désorientations temporelle (quand suis-je ?) et spatiale (où suis-je ?) forment ce que dans la santé l’on appelle communément

la désorientation temporo-spatiale. Nous allons comprendre dans celle-ci une désorientation soit temporelle, soit spatiale, soit les deux, afin d’être exhaustif. Ainsi la personne ne se repère plus ni dans le temps (année, date, heure) ni dans l’espace, perdant ainsi des notions élémentaires pouvant la condamner à l’errance. Il y a égale-ment la désorientation allopsychique, qui est la difficulté à reconnaître les personnes autour de soi (qui sont-ils ?). Enfin, un dernier type de désorientation que je nomme désorientation des intentions (pourquoi suis-je là ?), lorsque la personne n’a plus aucune idée de la tâche qu’elle était en train d’exécuter.

Toutes ces désorientations ont pour conséquence une perte d’autonomie évidente pour ceux qui en souffrent, ainsi qu’une certaine incompréhension de la société ambiante.

(1) Pauline Renaudin, neuropsychologue au Centre Hospitalier de Fougère

1.

| 28

Page 29: L'Homme et sa mémoire

la mémoireb. les troubles de la mémoire

29 |

L’anosognosie

Etymologiquement, anosognosie est composé de nosos - la maladie -, de gnosis - la connaissance - et du a privatif ; ce qui signifie l’absence de connaissance de la maladie. La personne anosognosique n’est donc ici pas consciente de présenter des troubles antérogrades de la mémoire.

Les conséquences en sont un manque d’investissement dans la thérapie : puisque la personne ne pense pas être malade, alors elle ne voit aucun intérêt à se soigner. Egalement une incompré-hension de la personne, qui ne comprend pas la lubie de son entourage à vouloir la voir malade, mais également de l’entourage, qui n’appréhende pas l’absurdité de nier l’évidence.

Page 30: L'Homme et sa mémoire

LES ACTEURSSATELLITES

Page 31: L'Homme et sa mémoire

les acteurs satellites

LES ACTEURSSATELLITES

Page 32: L'Homme et sa mémoire

| 32

Nous avons évoqué les souffrances avec lesquelles doit composer une personne présentant des difficultés d’enregistrement pathologiques, mais elle n’est généralement pas seule pour les affronter. Parce que la thérapie est nécessaire et que le système de santé français est d’une exceptionnelle accessibilité ; parce qu’on a souvent quelqu’un pour nous aimer, ou qu’on l’attend.

L’entourage proche de la personne, à savoir la famille et les amis, constitue généralement l’un des plus importants acteurs gravitant autour de la personne,certainement le plus important.

Un milieu stimulant

Pour avoir la chance de cotoyer la famille d’une personne ayant des troubles antérogrades de la mémoire, je pense avoir compris certains de ses

2. les acteurs satellitesa. les proches

caractéristiques et intérêts. Ainsi, la première chose fondamentale à comprendre est que l’environnement proche, intime, correspond au quotidien, à un milieu de vie concret. La thérapie, les soins, ne sont pas une fin en soi et ne visent qu’à aider la personne à mieux appréhender chaque jour pour les vivre pleinement. La personne est alors beaucoup plus volontaire dans cet espace affectif où chaque action est motivée par l’intérêt réel d’effectuer les choses et le plaisir de partager aux côtés de gens important pour soi ; bien loin des exercices plus scolaires de la thérapie.

A savoir également que les proches sont la plupart du temps des experts affectifs, et bien souvent techniques, de la personne. La connaissant mieux que quiconque et prenant un soin tout particulier à lui venir en aide. C’est donc un acteur extrêmement fiable sur lequel je pourrai m’appuyer.

Page 33: L'Homme et sa mémoire
Page 34: L'Homme et sa mémoire

| 34

J’ai dit précédemment « qu’on a souvent quelqu’un pour nous aimer », des proches pour nous aider, nous protéger. Ce n’est pourtant malheureusement pas toujours le cas, et pour une personne présentant un handicap, la famille, les amis, sont bien souvent l’ ultime bastion avant l’exclusion sociale.

Exclusion

On en revient à l'essentiel : la place, dans notre société, d'un individu, d'un être humain, présentant des troubles de la mémoire. Comment celui vivant dans une réalité alternative trouve-t-il sa place dans notre "réalité de référence" ? Dans le domaine du travail, en France, la sphère administrative procure aux personnes en situtation de handicap un nombre d'aides assez conséquent : pour la recherche d'emploi (ANPE, Cap emploi) ; pour des formations

2.professionnelles ; l’accès aux contrats aidés (1) ; des aides financières de l'Etat incitant à l'embauche, à l'adaptation du poste de travail, à l'accompagnement ou au maintien dans l'emploi de personnes en situation de handicap. Il existe également des obligations comme celle qui atteste que tout employeur occupant au moins 20 salariés, est tenu d'employer des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de leur effectif total.

Toute ces mesures législatives luttent contre l'exclusion mais restent le reflet d'une triste réalité, celle que nombre d'employeurs ont besoin de carottes ou d’obligations pour accepter du person-nel handicapé. Sans cela, à même compétence et niveau de diplôme, un travailleur valide a beaucoup plus de chance d'être embauché qu'un travail-leur handicapé, en particulier pour un emploi durable.

(1) contrat aidé : contrat de travail pour lequel l'employeur reçoit une aide financière qui réduitle coût du travail

Page 35: L'Homme et sa mémoire

b. la société

35 |

D’ailleurs ces carottes ne fonctionnent pas si bien puisque « le nombre de demandeurs d’emploi atteint des chiffres vertigineux (20 à 50 % selon les façons d’apprécier et le chômage et le handicap) » (2).

Incompréhension

En se ressérant sur des relations sociales plus intimistes, moins socié-tales, on s'aperçoit que les incompré-hensions sont une extrême source de souffrance. Lorsque l'on nage dans sa réalité, avec ses règles, il est parfois difficiles ne serait-ce que d'imaginer, encore moins de comprendre, celui qui nage ailleurs et voit différemment les choses. On a du mal à expliquer, à justifier, à respecter, à accepter. Lorsque l'un est irrationnel pour l'autre, la communication réclame de l'ouver-ture, de la patience et de l'amour.

Un trouble invisible

Enfin, pour recadrer un peu sur les troubles de la mémoire, qui sont des troubles cognitifs, il faut savoir que ceux-ci font partie de la famille des troubles invisibles. A savoir qu'ils ne sont pas lisibles corporellement et qu'à première vue, les gens n'étiquettent pas immédiatemment la personne comme présentant un handicap. Et il y a de réels inconvénients à ne pas être stigmatisé dans une certaine mesure, comme ne pas être efficacement reconnu socialement, administrative-ment et ne bénéfier que plus difficile-ment de la compréhension d'autrui. Néanmoins, les troubles et leur entrave sont bien là, eux... Au final, sans entourage, sans réel soutient, la chute vers l'exclusion est d'autant plus vertigineuse.

La société ne fait donc aucun cadeau, comment amener la réconciliation ?

les acteurs satellites

(2) HARMONET Claude (2010), Que sais-je ? Les personnes en situation de handicapchapitres 7, page 104

Page 36: L'Homme et sa mémoire
Page 37: L'Homme et sa mémoire

c. les thérapeutes

Pour une personne présentant un handicap, la voie la plus évidente vers la réconciliation avec l’environnement est la thérapie. Et pour ce qui est des difficultés d’enregistrement, de nombreuses professions médicales et paramédicales sont susceptibles d’apporter leur soutien. J’en ai cepen-dant sélectionné trois qui m’ont paru constituer un noyau thérapeutique intéressant.

Neuropsychologie

Le neuropsychologue a pour but l’étude de la relation entre le cerveau et le comportement. Lorsqu’il aborde un nouveau patient, celui-ci commence par établir un bilan, composé d’un entretien et de tests, afin évaluer les fonctions cognitives de la personne. Il établit ensuite un diagnostic, s’appuyant sur le bilan et permettant de déterminer la cause et la nature du problème. Enfin

démarre la rééducation, consistant à mobiliser les forces compensatoires développées par la personne et à pallier au mieux ses faiblesses, ceci pouvant passer par l’utilisation de prothèses extérieures (qui m’offre une opportunité assez limpide d’incorporer des outils extérieurs, élaborés dans une démarche design).

Neurologie

A la différence du neuropsychologue qui a effectué ses études en faculté de psychologie, le neurologue a lui suivi le cursus médecine. Il est donc docteur et habilité à préscrire un traitement médicamenteux. Il est également amené à établir bilans et diagnostics par le biais d’examens médicaux complé-mentaires (IRM, scanner, etc.).

les acteurs satellites2.

37 |

Page 38: L'Homme et sa mémoire

c. les thérapeutes

Ergothérapie

Le but premier de l’ergothérapeute est de redonner de l’autonomie au patient dans sa vie quotidienne. Ainsi, un point d’honneur est mis à inscrire au mieux la thérapie dans le concret, pour permettre à la personne d’éviter les accidents dans la vie de tous les jours. Ceci passant par un aménagement tangible de l’environnement (par exemple, une cuisine aux fonctionnali-tés adaptées au handicap) et par l’automatisation des activités à l’aide de techniques spécifiques (par exemple, on apprendra à une personne déficiente visuelle à ne pas amener la cruche à son verre, mais bien le verre sous le bec de la cruche, afin de ne pas renverser d’eau).

De la cohésion

Seuls trois métiers ont été mis en avant dans ces lignes, cependant, il reste à préciser que tous les acteurs de la santé sont censés travailler dans une certaine cohésion. Ainsi, même si le kinésithérapeute ne va pas traiter directement les troubles de la mémoire (mais plutôt un trouble associé d’ordre moteur), celui-ci va néanmoins s’appliquer à répéter l’heure, la date, l’année à chaque début de séance ; mettre les rendez-vous chaque fois les mêmes jours de la semaine, à la même fréquence ; organiser les exercices dans le même ordre... Et il en est de même pour les infirmières, l’orthophoniste, les auxilières de vie, etc.

Cette cohésion s’étend d’ailleurs bien évidemment à la famille, qui mettra toute son énergie et sa volonté pour stimuler au mieux la personne dans son quotidien.

2.

| 38

les acteurs satellites

Page 39: L'Homme et sa mémoire
Page 40: L'Homme et sa mémoire

| 40

J’ai parlé de réalités et de personnes présentant un handicap. J’ai décrit les experts de la santé qu’elles côtoient. Interrogeons-nous donc maintenant sur leur relation et sur le rôle de patient. A savoir donc, dans qu’elle mesure une personne s’inscrit-elle dans son contexte thérapeutique ?

Une attitude réactive

Le patient est sans cesse sollicité, stimulé par ses thérapeutes. Et, même si celui-ci fait preuve de beaucoup d’énergie et d’investissement, il ne fait généralement que répondre à des impératifs, des demandes, des conseils. Ainsi, il n’est que réactif (et je ne tiens absolument pas à dénigrer cette démarche qui est incontournable et remarquable). Comment lui est-il alors possible de devenir plus actif dans sa thérapie ?

E-patient

La logique de e-patient est celle du patient Engagé. Ainsi, l’idée que celui-ci soit acteur de son traitement a de plus en plus de force, surtout depuis l’avènement des forums et, plus généralement, du Web 2.0. Cette idée heurte parfois les médecins qui se sentent dépossédés de leur pouvoir. Mais le phénomène de l'e-patient semble aujourd'hui irréversible.

L'étude de Michael Bartl (1), même si focalisée sur les patients présentant de l'ostéoporose, est révélatrice de l'accueil fait par ceux-ci au concept d'e-patient. Cet article s'articule autour de quatre points : l'appréhension, la participation, la motivation et le rôle de ces patients dans le cadre d'une démarche proactive de gestion de leur thérapie.

(1) BARTL Michael (2009), Patients as Partners – Co-Creation in Health Carehttp://www.michaelbartl.com/co-creation/article/patients-as-partners-%E2%80%93-co-creation-in-health-care/

2.

Page 41: L'Homme et sa mémoire

Plusieurs éléments intéressants sont soulevés : - Les rôles donnés à l'e-patient sont le conseil aux autres patients, la gestion de la santé personnelle et la participa-tion à la recherche médicale et aux études cliniques. - Près de 80% des participants ont montré la volonté d'être activement impliqués dans la gestion de leur maladie (ostéoporose), alors que seulement 20% n'ont montré qu'un intérêt faible ou absent. - Les motivations personnelles sont la volonté : d'acquérir des connaissances ; d'être à jour avec les développements récents de la médecine ; de découvrir de nouvelles méthodes sur la préven-tion de la maladie, son diagnostic et son traitement. Il existe également quelques motivations plus altruistes : le soutient du développement en matière de soins de santé ; l'amélioration de la vie d'autrui. Les motivations intéressées par une rémunération financière ou une

baisse des coûts des soins sont minoritaires.

Finalement on ne parlera pas de rivalité mais bel et bien d'un statut actif du patient complémentaire aux soins apportés par les thérapeutes. Cette logique e-patient est une perspicacité, une opportunité qui nécessite à la fois la volonté, la proactivité du patient et les bonnes dispositions du professionnel de la santé.

d. le patientles acteurs satellites

41 |

Page 42: L'Homme et sa mémoire

e. schéma gravitationnel2.

| 42

patient

famille

collègues

employeur

autrui

troubleinvisible

neuropsy.

kiné.infirmière

ergo.neurologue

assistantesociale

amis

proches santé

social

A. schéma gravitationnel des acteurs autour du patientA. (par souci de lisibilité, les liens du patient n’apparaissent pas, mais celui-ci est bienA. entendu lié à tous les acteurs autour de lui)

Page 43: L'Homme et sa mémoire

La volonté de répondre au plus grand nombre dans les limites de mon sujet, couplé à une logique de marché et de viabilité économique du produit, m’obligent à aborder les choses de cette manière. Et c’est loin d’être inintéressant.

Fort de tous les constats faits jusqu’à maintenant et conscient de la place du designer dans tout ça, la probléma-tique de départ peut clairement s’affiner en un axe de travail plus précis et conducteur :

f. le designer dans tout ça

En m’entretenant avec les experts de mon réseau, je me suis aperçu d’une chose intéressante : nous n’avons pas la même approche, le même regard sur les choses.

Pour un thérapeute, chaque cas est unique et son approche thérapeutique est en partie remise en cause pour chaque patient. A l’inverse, j’ai choisi une vue interpersonnelle, plus en marge des attentes d’un individu précis, pour me focaliser sur les besoins transver-saux entre les personnes présentant des difficultés d’enregistrement.

les acteurs satellites

43 |

« Créer un outil permettant d’améliorer l’autonomie d’une personne présentant une désorientation due à

des troubles antérogrades de la mémoire »

Page 44: L'Homme et sa mémoire

LA MÉMOIRENUMÉRIQUE

Page 45: L'Homme et sa mémoire

la mémoire numérique

LA MÉMOIRENUMÉRIQUE

Page 46: L'Homme et sa mémoire

| 46

3.

1960psychologie

cognitive

1945Memex(Bush)

Page 47: L'Homme et sa mémoire

47 |

la mémoire numériquea. une dimension historique

En venir à parler de la « mémoire numérique » semble s’imposer comme une évidence tant les notions véhiculées par les termes mémoire et numérique apparaissent inhérentes à la démarche d’un designer d’interactivité travaillant sur le thème de la mémoire. Mais dans une société où l’utisation des technolo-gies est bien trop souvent un raccourci prématuré pour répondre aux besoins, n’y a-t-il pas un argument plus profond pour justifier qu’on aborde la question ?

Liés dans l’Histoire

Depuis les recherches d’Hippocrate (1), et même bien avant, l’homme ne cessa d’étudier le fonctionnement du cerveau. Et c’est de ces études qu’émergea l’informatique au milieu du vingtième siècle, comme peut l’illustrer la création du Memex en 1945 (2), un ordinateur analogique fictif capable de stocker des contenus (textuels, vidéos...), mais

également de créer des liens entre ceux-ci. Ce dispositif était à l’époque imaginé comme une métaphore de la mémoire, et influença l’informatique morderne en posant, par exemple, les bases de l’hypertexte.

En 1960 émergea la psychologie cognitive. Cette discipline considérait le cerveau « comme une machine à traiter l’information sur le modèle des ordinateurs suivant des procédures successives : saisies et codage de l’information selon un code symbo-lique, stockage, rappel, décodage et sortie. » (3). Ce qui amena de nouvelles perspectives dans la compréhension du cerveau humain, et fut donc une avancée significative pour les sciences cognitives.

Cerveau et informatique furent donc bel et bien étroitement liés au cours de l’Histoire, légitimant ainsi que l’on s’intéresse à la mémoire numérique.

(1)

(2)

(3)

Hippocrate est l’un des premiers scientifiques à admettre le cerveau comme centre de lapensée humaine.

pour memory extender, soit littéralement gonfleur de mémoire.

PETIT Laurent (2006), Que sais-je ? La mémoirechapitres 2, page 20-21

Page 48: L'Homme et sa mémoire

Quelques dispositifs numériques permettent déjà d’aider les personnes présentant des troubles de la mémoire. Faisons un petit tour de cet existant :

Ovni-One

Ovni-One fonctionne comme un post-it numérique, composé d’uniquement deux fonctions : un bouton REC pour enregistrer un message de quelques secondes ; une bouton LECTURE pour écouter le message enregistré.

analyse : on peut extraire de cet objet son exemplaire simplicité d’usage.

Mnémozyne

Mnémozyne est une application pour smartphone permettant de géolocaliser une tâche à effectuer. Par exemple, si je lui indique que je veux aller chercher du

pain, Mnémozyne se déclenchera lorsque je passerai à proximité d’une boulangerie pour me le rappeler.

analyse : la notion de spatialité est intéressante, une tâche inscrite dans le temps mais également dans l’espace.

Mem-X Mem-X permet à l’entourage du patient d’enregistrer des messages de rappel, qui seront associés à une alarme se déclenchant à une heure précise.

analyse : deux choses interessantes dans cet outil. Tout d’abord la dimen-sion émotionnelle d’une voix familière venant vous rappeler les choses ; mais également l’existence de deux niveaux d’interface, un plus complexe destiné à l’entourage pour enregistrer les messages, un autre très simple pour les écouter, en appuyant sur un bouton.

3.

| 48

Page 49: L'Homme et sa mémoire

49 |

la mémoire numériqueb. quelques exemples

B. Mnémozyne (2)A. Ovni-One (1)

C. Mem-X (3)

(1)

(2)

(3)

http://www.pearl.fr/bureau/petites-fournitures/divers/pense-bete-vocal-ovni-one_PE1563.html

http://rnt.over-blog.com/article-mnemozyne-85789621.html

http://www.mem-x.com/

Page 50: L'Homme et sa mémoire
Page 51: L'Homme et sa mémoire

Made in digital

Nous continuons aujourd’hui, et de plus en plus, à délocaliser les informations de notre mémoire cognitive vers des plateformes numériques. Celles- ci permettent en effet d’enregistrer et de lire ces informations avec une grande facilité, certainement plus confortable-ment que s’il s’agissait de tout mémori-ser. Un effort que l’on s’épargne naturellement, sachant que toutes ces petites choses sont bien au chaud quelque part, prêtes à être consultées à la demande.

Et ça grouille...

De plus en plus d’informations ! Des images, des vidéos, des textes, des documents de travail, des données personnelles... A l’heure du web 2.0 et des volontés participatives de tout un chacun, les univers connectés et locaux

grouillent de vers numériques. Cette masse de données éthérogène interroge peut-être sur ses débordements (intrusion dans la vie privée, désinfor-mation, obsolescence...) mais prouve également ses vertus en termes d’accessibilité et d’usages toujours plus poussés et intuitifs. Ainsi, les technolo-gies avançant, il est aujourd’hui possible d’écrire et lire des informations en sollicitant tous ses sens, et même plus (tactile, mouvement, synthèse vocale, reconnaissance faciale, tracking des yeux, etc.).

Toutes ces possibilités multimodales d’interactions sont à garder en mémoire et permettront des réponses et des usages adaptés pour élaborer un outil d’aide aux personnes présen-tant des troubles antérogrades de la mémoire.

3.

51 |

la mémoire numériquec. une question d’actualité

Page 52: L'Homme et sa mémoire

Le paradoxe

Je parlais à l’instant de cette tendance à délocaliser la mémoire vers des plate- formes numériques, qui impliquerait donc un attendu désintéressement pour la mémorisation cognitive. Pourtant il n’en est rien, et paradoxalement il existe bel et bien aujourd’hui un engouement pour ce qui est d’améliorer sa capacité à enregistrer de nouvelles informations.

De l’engouement

En effet, un engouement qu’illustrent les succès de produits commes les programmes d’entraînement cérébral du docteur Kawashiwa (sur Nintendo DS), ou encore les livres pour améliorer sa mémoire qui pullulent dans les librai-ries. Pourquoi ? Certainement parce que les gens ont l’impression de moins savoir apprendre, alors qu’il y a de plus en plus de choses à retenir.

De la transversalité

Qu’elles soient les entraves de personnes présentant des troubles antérogrades de la mémoire, ou les préoccupations actuelles du grand public, les difficultés d’enregistrement se placent comme un pont, un lieu commun entre deux réalités, deux cibles. Ainsi l’on s’aperçoit qu’il est possible de créer un outil à cheval entre un marché spécifiques et un marché de masse, destiné dans un premier temps aux patients, et dans un second temps au grand public.

Ainsi créer un outil transversal entre ces deux marchés permettrait non seulement une meilleur viabilité économique (puisque l’on connecte un marché de masse à un autre de niche), mais également une utilisation commune plus répandue, déstigmati-sante pour les personnes en difficulté pathologique qui l’utilisent.

3.

| 52

la mémoire numériqued. engouement et paradoxe

Page 53: L'Homme et sa mémoire
Page 54: L'Homme et sa mémoire

INTERFACERL’ENVIRONNEMENT

Page 55: L'Homme et sa mémoire

interfacer l’environnement

INTERFACER

L’ENVIRONNEMENT

Page 56: L'Homme et sa mémoire
Page 57: L'Homme et sa mémoire

57 |

Environnement augmenté

A la frontière entre la réalité et notre perception, l’homme a su augmenter son environnement naturel pour lui donner plus de sens ; des augmenta-tions de différentes natures. Elles peuvent être informatives, comme un panneau de signalisation peut nous interdire de nous garer à un endroit précis, nous indiquer une direction à suivre ou encore nous montrer que ce bâtiment correspond au commerce où nous désirons aller. Autre exemple, un simple banc augmentera l’environ- nement d’une manière plus poétique et implicite, en nous incitant peut-être à prendre conscience de notre fatigue, à nous assoir, voire à contempler le paysage auquel il fait face. Une place de parking réservée aux personnes handicapées pourrait prendre une dimension plus éthique, morale, en donnant des scrupules à une personne hésitant à s’y garer. Tant de manières

différentes de faire passer des messages et de guider l’Homme dans son milieu naturel, pour l’aider.

Augmenter l’environnement, ce n’est pas une technologie (1), ce n’est pas de la science fiction... C’est beaucoup plus simple que cela, et ça a du sens.

4.

(1) je fais ici référence à la réalité augmentée, principe consistant à superposer des éléments2D ou 3D entre notre perception et la réalité.

a. la notion d’augmentationinterfacer l’environnement

Page 58: L'Homme et sa mémoire

La fin du cycle

Et la boucle est bouclée, car en évoquant cette volonté d’interfacer l’environnement, on en revient au positionnement fondamental de ce projet : permettre au patient de se réconcilier avec son environnement, éviter les accidents entre ces deux réalités en créant un outil qui viendra se placer entres elles, comme un pont, une couche communicante, comme une interface.

Mais cet outil, ce sera quoi au juste ?

En le définissant maintenant, cet outil serait une prothèse mnésique numé-rique dont l’utilisation serait induite par les thérapeutes lors de la rééducation. Il augmenterait l’autonomie du patient et pallierait au mieux ses difficultés

d’enregistrement en interfaçant son environnement. Cet "interfaçage" serait en grande partie composé d’interactions physiques très simples et intuitives, qui combinées à des technologies numé-riques efficaces et transparentes s’inscriraient dans une logique d’interfaces tangibles. Cet outil mettrait à profit la présence et l’investissement de l’entourage personnel et profession-nel du patient dans ses usages. Il serait flexible pour s’adapter à chaque patient, car chaque cas est unique, et que chaque contexte redéfinit l’utilisation de l’objet ; ainsi cette adaptabilité offrirait au patient la possibilité d’être le plus participatif (et donc autonome) possible, selon ses capacités et ses progrès. Enfin l’outil serait transversal entre un usage destiné aux personnes présentant des difficultés d’enregis- trement pathologiques et un grand public désireux d’éviter les oublis quotidiens.

4.

| 58

Page 59: L'Homme et sa mémoire

« Créer un outil permettant d’augmenter les objets tangibles de l’environnement du patient, ce pour expliciter les usages

contextuelles qu’ils véhiculent »

59 |

Parler d’une interface vers notre environnement tangible m’a amené à réfléchir sur tous ces objets qui le composent. Des objets dont la matéria-lité n’implique pas qu’une fonctionnalité première (ex : un livre, qui est fait pour être lu), mais également un ou plusieurs usages contextuels (ex : ce même livre peut véhiculer l’idée d’être ramené à la bibliothèque avant 17h, ou rappeler une anecdote lors d’une discussion avec un ami). Ces usages contextuels peuvent donc inscrire ponctuellement l’objet dans une tâche, un lieu, une heure... (ramener un livre à la bibliothèque avant 17h).

interfacer l’environnementb. vers un projet concret

Les personnes présentant des troubles antérogrades de la mémoire pourrait donc profiter de ce constat. Dans cette optique, s’il apparaît déjà intéressant d’augmenter un objet pour mettre en avant ses fonctionnalités premières, il s’avère bien plus nécessaire d’expliciter ses usages contextuels, qui sont plus difficilement assimi-lables par les patients.

Il est donc possible d’affiner à nouveau l’axe de travail :

Page 60: L'Homme et sa mémoire

BILAN ETCONCLUSION

Page 61: L'Homme et sa mémoire

bilan et conclusion

BILAN ETCONCLUSION

Page 62: L'Homme et sa mémoire

Depuis le début de ce mémoire et du projet dont il se nourrit, moi et le service / outil que je compte mettre au point nous sommes placés à la croisée de différents acteurs pour enrichir et améliorer le contexte qui les lie. Ces acteurs sont à la fois le patient (soit une personne présentant des troubles antérogrades de la mémoire, qui est l’utilisateur premier de l’outil), ainsi que l’environnement dans lequel il évolue et auquel il se confronte jour après jour. Il y a également l’entourage de cette personne, à la fois médical (thérapeutes) et intime (famille, amis).

Le but final du projet est d’améliorer l’autonomie du patient au quotidien en créant une prothèse mnésique extérieure, un outil lui permettant de ne pas oublier les objets qui l’entoure, leurs usages et les tâches qui leur correspondent.

bilan

Toute une histoire

J’avais au début une certaine appréhen-sion quant à la difficulté à être sur la même longueur d’onde que les acteurs du monde de la santé, en particulier sa sphère professionnelle. Alors comment s’est passé mon travail auprès d’eux ?

Et bien peut-être suis-je tombé sur des gens particulièrement altruistes, passionnés et ouverts, mais mon parcours fut jalonné de bonnes surprises et de personnes compétentes, généreuses en conseils et finalement accessibles. Je me rends compte après coup qu’il m’aurait été impossible de donner une forme réelle et crédible à mon projet sans leurs conseils. J’ai souvent dû me poser les bonnes questions et accepter quelques regards en biais avant de convaincre, mais ce ne fut pas cher payé pour avancer dans la bonne direction.

| 62

Page 63: L'Homme et sa mémoire

Happy end

Avancer dans ce projet fut une réelle aventure, à la fois humaine et profes-sionnelle, qui m’a non seulement permis de mieux comprendre mon métier, mais également ce qui m’y intéresse, la manière dont je veux me l’approprier, et donc quel designer je suis et compte devenir.

Ce qui fut pour moi le plus savoureux fut cette transversalité avec d’autres métiers dont je parle tant. Et faire preuve d’humilité et d’ouverture, au fond, n’est-ce pas ça le métier de designer ? Être capable de travailler dans n’importe quel domaine, l’appréhender et l’analyser au mieux ; s’y faire des alliés en comprenant qu’on ne s’improvise pas sociologue, méde-cin, psychologue, et que déléguer le travail n’est pas une lacune mais au contraire un partage, un apprentissage qui améliore à court-terme un projet, et

63 |

à long-terme la culture du designer. Cette pluridisciplinarité, c’est savoir mener un projet en écoutant, en se remettant en question, en comprenant ses erreurs et en rebondissant pour avancer.

J’aimerais travailler dans de nom-breux domaines différents, pour sans cesse m’imposer de nouvelles contraintes.

J’aimerais partager avec les acteurs de ces domaines, professionnels et usagers, pour sans cesse me cultiver.

J’aimerais conserver encore long-temps cette passion, pour sans cesse prendre du plaisir à créer et être ce que je suis : un designer.

conclusion

Page 64: L'Homme et sa mémoire
Page 65: L'Homme et sa mémoire
Page 66: L'Homme et sa mémoire

bibliographie

| 66

HAMONET Claude (2010), Que sais-je ? Les personnes ensituation de handicap

SACKS Oliver (1985), L’homme qui prenait sa femme pour unchapeau

SCHIROT Patricia (2011), Mémoire

OPETIT Laurent (2011), Que sais-je ? La mémoire

OPIGNIER Nicole (2011), Mémoires et Internet

Page 67: L'Homme et sa mémoire

67 |

webographie

SPIRE Antoine, Les personnes handicapées [...] des monstreshttp://antoinespire.com/Les-personnes-handicapees-sont

CEMERH (2011), Mnémozynehttp://www.ceremh.org/accessibilite/recherche-et-innovation-47/mnemozyne/

PEARL, Ovni-Onehttp://www.pearl.fr/bureau/petites-fournitures/divers/pense-bete-vocal-ovni-one_PE1563.html

MEM-X, Mem-Xhttp://www.mem-x.com/

DEBRONKART Dave (2011), TED- Voici Dave, e-patienthttp://www.ted.com/talks/dave_debronkart_meet_e_patient_dave.html

Page 68: L'Homme et sa mémoire
Page 69: L'Homme et sa mémoire
Page 70: L'Homme et sa mémoire

| 70

remerciements

Comme je l’ai souvent évoqué, mon travail n’aurait pas abouti sans l’aide de toutes ces personnes qui ont su m’entourer, me guider et me soutenir.

J’aimerais tout d’abord remercier Luc Montessinos, Thierry Lehmann et Thierry Mellerin, les encadrants qui m’ont suivi au cours de ce projet, pour leur écoute et leurs conseils avisés. Également tous les experts de la santé du réseau professionnel que j’ai mis en place, sans qui rien n’aurait été possible, merci pour leur ouverture d’esprit et l’énergie qu’ils mettent au service des autres. Enfin, je remercie particulièrement celle qui a su me soutenir au quotidien, parfois me supporter... Merci Émilie.

Page 71: L'Homme et sa mémoire

71 |

réseau professionnel

Alain Lieury, spécialiste de la mémoireex professeur de psychologie cognitive

Laurène Drubigny, neuropsychologue

Pauline Renaudin, neuropsychologue

Gaëlle Menguy, ingénieure d’études

Eric Jamet, directeur

LOUSTIC (Rennes)

Eric Jamet, directeur

Audrey Noel, neuropsychologueLPE (Rennes)

Doc. Boutoleau Bretonnière, neurologueet toute l’équipe

CMRR (Nantes)

Page 72: L'Homme et sa mémoire

Julien CensierDESIGNER D’INTERACTION

[email protected]

06.32.99.65.33

jcensier

Page 73: L'Homme et sa mémoire