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79 L’Hôtel de Ville de Verviers fait peau neuve… Philosophie de restauration et réalité d’un chantier 79-85 Daphné Martinot SPW – DGO4 Département du Patrimoine Direction de la Restauration du patrimoine Attachée Marie-Ange Closon-Remy SPW – DGO4 Direction extérieure de Liège II Attachée Les Cahiers nouveaux N° 80 Décembre 2011 Historique et évolution du monument Situé au point culminant du Centre ancien, l’Hôtel de Ville actuel domine la place du Marché en son centre, laissant ainsi contempler ses façades. Il fut l’objet de plusieurs reconstructions en 1370 et 1775. Initialement, le bâtiment de 1655 s’implan- tait plus au sud de l’édifice actuel et se présentait comme une grosse bâtisse carrée à un seul étage sur un rez-de-chaussée occupé par des bou- tiques de drapiers. 01 La brève description de Saumery en 1743 ne nous livre que très peu d’informations : il était «solide- ment bâti et n’offrait rien de remarquable». 02 Par chance, les Archives de l’État à Liège dispo- sent du cahier des charges initial et la Ville de Verviers, des chroniques archivistiques très inté- ressantes et détaillées sur les chantiers d’aména- gements de l’édifice dès le début du 20 e siècle. En septembre 1773, le Conseil privé du prince- évêque de Liège, François-Charles de Velbrück (1719-1799), décide de reconstruire un Hôtel de Ville plus spacieux et plus monumental, ce qui entraîne en juin 1775 la démolition de plusieurs immeubles situés entre le marché et l’ancien cimetière. Les plans du bâtiment sont confiés à l’architecte liégeois Jean-Baptiste Renoz (1729-1786), en collaboration avec le maître-maçon verviétois Arnold Douha 03 et le sculpteur ornemaniste liégeois Antoine-Pierre Franck (1723-1796) pour les sculptures (statues, bas-reliefs, armoiries du fronton extérieur…). Renoz se serait inspiré L’Hôtel de Ville de Verviers aujourd’hui. Photo Guy Focant, © SPW Nom Hôtel de Ville de Verviers Adresse : Place du Marché 4800 Verviers Classement comme monument Arrêté royal du 15 mars 1934 en raison de sa valeur artistique, archéologique et historique Patrimoine exceptionnel depuis le 5 septembre 2002 Objet des travaux Restauration des façades Maître de l’ouvrage Commune de Verviers Auteur de projet : Commune de Verviers – Thierry Davia, chef du bureau technique des travaux Entreprise Galère SA Certificat de patrimoine 11 février 2009 Permis d’urbanisme 10 août 2009 Coût du projet 2.299.303,68 HTVA Montage financier SPW-DGO4 – Département du Patrimoine, Direction de la Restauration du patrimoine : 95% des postes subsidiables (montant total du subside, TVA), Province de Liège 5%, Commune 0%

L’Hôtel de Ville de Verviers fait peau neuve…

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L’Hôtel de Ville de Verviers fait peau neuve…Philosophie de restaurationet réalité d’un chantier

79-85Daphné MartinotSPW – DGO4Département du PatrimoineDirection de la Restauration du patrimoineAttachée

Marie-Ange Closon-RemySPW – DGO4Direction extérieure de Liège IIAttachée

Les Cahiers nouveaux N° 80 Décembre 2011

Historique et évolution du monument

Situé au point culminant du Centre ancien, l’Hôtel de Ville actuel domine la place du Marché en son centre, laissant ainsi contempler ses façades. Il fut l’objet de plusieurs reconstructions en 1370 et 1775. Initialement, le bâtiment de 1655 s’implan-tait plus au sud de l’édifice actuel et se présentait comme une grosse bâtisse carrée à un seul étage sur un rez-de-chaussée occupé par des bou-tiques de drapiers.01

La brève description de Saumery en 1743 ne nous livre que très peu d’informations : il était «solide-ment bâti et n’offrait rien de remarquable».02 Par chance, les Archives de l’État à Liège dispo-sent du cahier des charges initial et la Ville de Verviers, des chroniques archivistiques très inté-ressantes et détaillées sur les chantiers d’aména-gements de l’édifice dès le début du 20e siècle.

En septembre 1773, le Conseil privé du prince-évêque de Liège, François-Charles de Velbrück (1719-1799), décide de reconstruire un Hôtel de Ville plus spacieux et plus monumental, ce qui entraîne en juin 1775 la démolition de plusieurs immeubles situés entre le marché et l’ancien cimetière.Les plans du bâtiment sont confiés à l’architecte liégeois Jean-Baptiste Renoz (1729-1786), en collaboration avec le maître-maçon verviétois Arnold Douha03 et le sculpteur ornemaniste liégeois Antoine-Pierre Franck (1723-1796) pour les sculptures (statues, bas-reliefs, armoiries du fronton extérieur…). Renoz se serait inspiré

L’Hôtel de Ville de Verviers aujourd’hui.Photo Guy Focant, © SPW

NomHôtel de Ville de VerviersAdresse : Place du Marché 4800 Verviers

Classement comme monumentArrêté royal du 15 mars 1934 en raison de sa valeur artistique, archéologique et historiquePatrimoine exceptionnel depuis le 5 septembre 2002

Objet des travauxRestauration des façades

Maître de l’ouvrageCommune de VerviersAuteur de projet : Commune de Verviers – Thierry Davia, chef du bureau technique des travaux

EntrepriseGalère SA

Certificat de patrimoine11 février 2009

Permis d’urbanisme10 août 2009

Coût du projet 2.299.303,68 HTVA

Montage financierSPW-DGO4 – Département du Patrimoine, Direction de la Restauration du patrimoine : 95% des postes subsidiables (montant total du subside, TVA), Province de Liège 5%, Commune 0%

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pour le plan de certaines planches du «Recueil Élémentaire d’Architecture» (1757) de J.F. de Neuforgge (1714-1791).

La première pierre est posée le 13 septembre 1775 et l’inauguration a lieu le 18 mai 1780. Selon le cahier des charges de l’époque, les briques étaient de fabrication locale, fournies par le Sieur Nicolas Willem ; les pierres devaient être soigneusement dégrossies, «sans défaut, sans limes ni délis, bien travaillé au fin ciseaux…»04 et livrées par le Sieur Nicolas Simonis.D’un point de vue stylistique, l’Hôtel de Ville de Verviers présente toute la rigueur du style classique : symétrie et harmonie des proportions avec une distribution claire des espaces et des vo-lumes. Le monument long de neuf travées et large de trois est constitué de trois volumes disposés en T sur un plan massé.

Le bâtiment s’élève sur un haut soubassement à refends avec quatre façades en appareil mixte de brique et calcaire, délimitées par des pilastres à chapiteau corinthien. Ces façades sont éclairées sur deux niveaux de baies cintrées à larges clés pourvues de draperies au premier ; les fenêtres du second sont à linteau droit ponctué de clés à têtes d’hommes et de femmes alternées, finement sculptées et pourvues de guirlandes de lauriers. Les grilles d’appui en fer forgé sont constituées d’une succession d’oves allongés, entourés de rosaces renouvelées en 1951. Les baies des portes d’entrée principales sont égale-ment cintrées avec imposte ornée de deux aigles se faisant face sous une guirlande.En façade principale, l’avant-corps est flanqué de deux larges perrons latéraux, refaits en 1895, couronné par un fronton courbe au tympan jadis richement sculpté et frappé des armoiries du prince-évêque.L’édifice est coiffé d’une imposante toiture à la Mansart piquée d’épis de faîtage, interrompue d’un campanile octogonal percé d’abat-sons en 1799 et garni de quatre cadrans d’horloge installés en 1796, sous un dôme à huit pans, garni d’une sphère radiée, remplacée en 1865. La toiture du volume principal est percée de lucarnes ornées de guirlandes et pourvue de quatre souches de cheminées, dont deux hautes et surmontées de girouettes ajourées du millé-sime 1777.05 06

Transformations anciennes

Les principales transformations anciennes concernent le tympan du fronton, les escaliers des perrons latéraux, la peinture des façades et les châssis de fenêtres.

Les grandes modifications du tympan du fronton

Initialement, il était décoré en 1777 d’un bas-re-lief représentant les armoiries du prince-évêque François-Charles de Velbrück. Celles-ci furent martelées peu après 1790. Le fronton fut mis à nu au profit d’une inscription «Maison Commune», traitée en léger trompe-l’œil. Effacée en 1814 sous

le Régime hollandais, l’inscription laissa place aux armes peintes du Royaume des Pays-Bas.Après 1830, les armoiries furent remplacées par la devise «Publicité, sauvegarde du peuple» peinte sous la courbure du fronton, faisant ainsi allusion aux séances du Conseil communal ren-dues publiques.Ensuite, d’après la gravure de Hoolans, un des premiers documents iconographiques daté de 1857, on peut y voir un tympan orné d’un motif allégorique en camaïeu représentant deux per-sonnages féminins encadrant les armes de la Ville représentées par une branche de chêne, surmon-tant un phylactère à l’inscription «Vert et Vieux» et traité en bas-relief.

En 1885, lors de la remise en peinture de la façade, le motif allégorique disparaît au profit des armoi-ries. Le nouveau motif est polychromé et flanqué de deux grandes branches de chêne. En dessous, dans un phylactère, on retrouve la devise «Vert et Vieux». Au-dessus, la grande devise «Publicité, sauvegarde du peuple» est peinte en lettres dorées et en léger relief. Après 1919, les deux branches de chêne sont supprimées et remplacées par des guirlandes. Toutes ces modifications sont d’ailleurs illustrées dans les sources d’archives.

Entre 1953 et 1956, on procède au décapage complet du tympan du fronton pour y placer un bas-relief sculpté monumental en pierre calcaire de Savonnières de Lorraine par le sculpteur Louis Dupont. S’inspirant d’un bas-relief en stuc de A.-P. Franck situé à l’intérieur, en haut de la première volée d’escalier, il représente les armes de la Ville de Verviers entre deux putti, surmontées d’une couronne que l’on peut voir encore aujourd’hui.

01DETROOZ R.J., Histoire du marquisat de Franchimont et particulièrement de la ville de Verviers et de ses fabriques, t. II, Liège, 1809, p. 100-101.

02DE SAUMERY P.-L., Les Délices du Païs de Liège ou description géographique, topographique et chorographique des monumens sacrés et profanes de cet évêché-principauté et de ses limites, t. III, Liège, 1743, p. 247-250.

03DOIZE R.L, L’architecture d’inspiration française à la fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle dans la principauté de Liège, Bruxelles, 1934, p. 16.

04WODON B., L’hôtel de ville de Verviers : un milieu, une construction, un style du dernier quart du XVIIIe s., dans Bulletin de la Commission Royale des Monuments, Sites et Fouilles, t. 11, Liège, 1982 ; WODON B., L’hôtel de ville de Verviers, Namur, 1998 (Carnets du Patrimoine, 8) ; WODON B. & TOURNEUR F., Verviers. L’hôtel de ville, dans DE DEVESELEER J. (dir.), Le Patrimoine exceptionnel de Wallonie, Namur, 2004, p. 406-409.

05COLLECTIF, Le Patrimoine monumental de la Belgique, vol. 11 : Entité de Verviers, Liège, 1984, p. 165-169.

Gravure de J. Hoolans (1857), premier témoin iconographique reproduisant l’Hôtel de Ville avec sa teinte claire.Collection Musées communaux, VerviersPhoto Guy Focant, © SPW

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Depuis cette époque, la devise «Publicité, sauve-garde du Peuple» se situe sous la corniche avec lettres en bronze.

Les perrons

Des travaux ont été entrepris aux escaliers des perrons latéraux (1825 et 1826). Ensuite, ils ont été tous les deux reconstruits en 1895 en petit granit avec le maintien des murs d’échiffre anciens et le remplacement des nouvelles rampes au modèle différent de celui des garde-corps des fenêtres.

La teinte des façades

L’aspect général de l’édifice a quelque peu changé depuis le 19e siècle. À ce propos, il est difficile de connaître exactement le(s) traitement(s) de fini-tion des façades au moment de la construction. D’un point de vue strictement historique et sur base des documents d’archives07, ni le cahier des charges de 1774, ni les comptes ne mentionnent un poste de mise en peinture des façades. Le pre-mier document iconographique que nous ayons de l’Hôtel de Ville est le dessin et la lithographie très légèrement colorée de J. Hoolans de 1857 mon-trant le bâtiment avec une couleur claire.Les photos de l’Institut royal du Patrimoine ar-tistique de Bruxelles (IRPA) de 1942 et ainsi que certaines cartes postales datant du tout début du 20e siècle (1907) reflètent une situation qui n’est pas nécessairement celle d’origine mais montre l’Hôtel de Ville de couleur claire également. Il apparaît d’un part, que les briques et les pierres de taille sont recouvertes d’un traitement enduit ou d’un badigeon de tonalité apparemment semblable. Toutefois, il est possible que la mise en peinture ne date pas d’avant 1830, date de l’inscription de la devise sur le fronton.

En 1885, le Conseil communal adopta un devis pour le «peinturage à l’huile» de l’extérieur de l’Hôtel de Ville.08 On sait également que lors des travaux de réno-vation de 1951, les maçonneries de briques des façades furent rejointoyées, réparées au mortier de ciment et repeintes.

Les châssis

La plupart des châssis de fenêtres, à l’exception d’un situé au premier étage de la façade arrière, ont été renouvelés en 1877. Ils ont ensuite fait l’objet de quelques modifications entre 1910 et 1930 en maintenant toutefois les croisillons anciens.

Restauration : motivation du demandeur

L’Hôtel de Ville a d’abord été classé comme «monu-ment» par arrêté royal le 15 mars 1934 en raison de sa valeur artistique, archéologique et historique et, ensuite, élevé au rang de patrimoine exceptionnel de Wallonie depuis le 5 septembre 2002.Défraîchi avec le temps, la Ville souhaitait s’occuper prioritairement de la restauration des façades. C’est la raison pour laquelle elle a introduit en février 2000 une demande de certificat de patrimoine. Alors que celui-ci était en cours, la Ville a voulu attendre la reconnaissance comme patrimoine exceptionnel (deux ans) avant de poursuivre la procédure.Dès la première réunion, les grandes options de res-tauration étaient claires pour l’ensemble du comité d’accompagnement.09 Il s’agissait de restaurer les châssis anciens et d’en identifier les différentes typologies. Il fallait également traiter l’ensemble des ferronneries, refaire un enduit dans les règles de l’art et réparer les nombreuses altérations des pierres.

À cette fin, plusieurs études préalables ont été nécessaires : une étude des traces de polychro-mie en façades comprenant le fronton, les menui-series et les enduits, ainsi qu’une étude litholo-gique des différentes pierres mises en œuvre. Ces études ont été réalisées respectivement par Dominique Bossiroy, géologue à l’Institut scienti-fique de Service public (ISSeP) pour les polychro-mies, et par Francis Tourneur, docteur en géologie et secrétaire général de l’asbl «Pierres et Marbres de Wallonie» pour l’étude lithologique.Bien que la Ville souhaitât rapidement redonner toute sa splendeur à son Hôtel de Ville, le projet de restauration a pris du retard. En mars 2004, des travaux de «maintenance» ont dû être entrepris en urgence car certaines pierres des corniches et des façades étaient instables. La pose de filets de protection devenait impérative.In fine, le certificat de patrimoine a été délivré en septembre 2008. Après quelques remises en question d’ordre philosophique et technique de dernière minute, le permis d’urbanisme a été délivré à la Ville en août 2009.

Projet

Les premières réunions de certificat de patri-moine se sont échelonnées durant quatre années. Elles ont permis d’élaborer les différents plans et

06PUTERS A., L’architecture privée dans la région verviétoise, VIe partie : Style Louis XVI, Dison, 1968, p. 90 ss.

07ACV, Vol. 15 ; Archives de la Ville de Verviers, Anc. Reg., V15 et 119 bis.

08PIRENNE M., Les constructions verviétoises du XVe au XXe s. et trois monographies : l’hôtel de ville, le perron, l’hôtel de ville actuel, Verviers, (G. Leens), 1927, p. 187-261.

09Le comité d’accompagnement est composé d’un représentant de la commune en charge du projet, de l’auteur de projet, des représentants du SPW-DGO4, d’un membre rapporteur de la Commission royale des Monuments, Sites et Fouilles (CRMSF) et d’experts éventuels lors de la présentation des résultats des études préalables.

Carte postale ancienne, témoin iconographique reproduisant l’Hôtel de Ville avec sa teinte claire du début du 20e siècle.Collection Dominique Bossiroy

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de bouchardage dans les écoinçons des parties creuses. Ce type de traitement, assez soigné, est utilisé le plus souvent pour donner du relief à la pierre. D’ailleurs, la présence de ces finitions a perduré encore au 20e siècle sur les constructions néo-classiques.

Au vu de ces résultats, le comité d’accompagne-ment a poursuivi ses recherches. Des teintes de gris et de blancs ont cependant pu être retenues.

Il est certain qu’une étude comparative avec d’autres bâtiments construits par J.-B. Renoz comme le château de Beaumont à Liège et le Waux Hall de Spa (aux façades récemment restaurées) et d’autres constructions contemporaines en province de Liège, aurait permis d’infirmer ou de confirmer les hypothèses proposées sur la mise en peinture complète des édifices dès leur origine. Le comité d’accompagnement s’est accordé fina-lement, lors d’une des dernières réunions, sur la remise en peinture de l’ensemble des pierres pour des raisons techniques et esthétiques. Vu leur mauvais état de conservation, les pierres seraient ainsi protégées et, visuellement, l’ensemble des façades traité harmonieusement.Un badigeon de chaux a été retenu, permettant non seulement de reminéraliser superficiellement les pierres de taille mais aussi de laisser appa-raître toutes les traces de fines ciselures pré-sentes sur les pierres.

Le fronton

À cette complexité philosophique pour le traite-ment de finition des façades, s’ajoutait également le choix du traitement du fronton. Les différentes phases successives évoquées plus haut pouvaient justifier plusieurs approches. Le tympan du fron-ton de 1953 ne correspondait plus à la situation originelle. Les pierres sculptées en Savonnières, bien qu’en bon état, constituaient une rupture dans l’homogénéité originelle que le comité d’ac-compagnement souhaitait restituer dans le cadre de ce patrimoine exceptionnel.

Quatre options ont été dès lors envisagées :— aplanir ce fronton pour faire disparaître visuel-lement le relief de Dupont ;

— revenir à une phase antérieure suffisamment documentée, c’est-à-dire une peinture en trompe-l’œil qui aurait correspondu à la seconde interven-tion chronologique sur le fronton ;

— utiliser la surface «aplanie» pour intégrer une nouvelle œuvre artistique ;

— maintenir le bas-relief de Dupont, bien qu’en inadéquation avec le projet initial de l’architecte Renoz mais en bon état de conservation !

En conclusion des différents débats, les teintes suivantes et l’option pour le fronton ont été défi-nies comme suit :

— le blanc utilisé pour l’enduit, indéniable valeur chromatique à la fin du 18e et au début du 19e siècle ;

— des tons gris nuancés adaptés aux pierres de taille et aux châssis ;

élévations de la situation existante et de com-mander les premières études préalables.

Résultats des études préalables

Les pierres

«L’hôtel de ville comportait 4 grands types de pierres :— du «calcaire de Vesdre», de teinte beige et d’as-sez mauvaise qualité dans le soubassement, les pilastres d’angle et bandeaux ;

— du «calcaire de Meuse», à grain plus serré et à patine plus grise, pour les pourtours des baies (portes et fenêtres) et ses décors raffinés ;

— du «petit granit» pour les réparations aux perrons (marches, paliers, couvre murs et murs d’échiffre) ;

— de la pierre de Savonnières pour l’élément sculpté intérieur du fronton.»10

Il est également précisé que «le comportement en œuvre de ces trois pierres bleues est sensiblement différent : les calcaires de Meuse et le petit granit ne posent quasiment pas de problème si ce n’est les éclats, écornures ou terrasses argileuses loca-lisées ; les calcaires de Vesdre sont par contre de beaucoup moins bonne tenue et surtout de qualité très variable. D’autres, nombreux, sont recoupés de fréquentes terrasses argileuses plus ou moins zigzagantes, creusés, parfois profondément. Ces défauts peuvent être esthétiques mais aussi présenter des inconvénients techniques (…) d’élé-ments dont la durabilité même est mise en jeu.»

Les polychromies

Le résultat de l’étude des polychromies nous a appris que, tant sur les boiseries que sur les éléments de ferronnerie, peu de niveaux pictu-raux étaient présents : «Cela pourrait trahir des décapages répétés et profonds qui empêchent dès lors de retrouver une succession complète des traitements successifs. Il est donc probable que nos prélèvements et relevés stratigraphiques ne reflètent pas la totalité des stades chroma-tiques de ces éléments. Il est donc incertain que le premier niveau identifié reflète l’état original de ces éléments de façade.»11

Pourtant, l’analyse stratigraphique nous a révélé un enduit «primitif» de couleur beige légèrement orangé sous une série d’autres couches de badi-geons de chaux colorés gris et blanc.

Le rapport précise également : «sur les seuils et les piédroits, nous relevons d’épaisses couches de peinture jusqu’à dix niveaux trahissant que ces élé-ments de pierres ont été peints et ce, pendant un certain laps de temps. Néanmoins, nous ne trou-vons aucun argument permettant de définir si oui ou non ces éléments étaient peints à l’origine. Nous distinguons des finitions de surfaces particulières sur ces matériaux pierreux qui seraient probable-ment masquées si les pierres étaient peintes.»

En effet, on observe la présence (sur la plupart des pierres de taille) de traces de fines ciselures,

10TOURNEUR F., Pierres de taille des façades de l’hôtel de ville, Rapport du 19.06.2006.

11BOSSIROY D., Hôtel de ville à Verviers. Recherche du traitement des façades. Auscultation du fronton, Rapport n° 1065/2001 ; Identification de traitements picturaux sur divers éléments de la façade (châssis, porte, ferronnerie), Rapport n° 988/2005.

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beaucoup d’entreprises ont été forcées de diminuer leurs prix. Ce fut le cas pour l’Hôtel de Ville où, non seulement les prix ont été sacrifiés et l’effectif initial prévu en personnel a été doublé. On compta-bilisera jusqu’à cinq tailleurs de pierre en perma-nence sur le chantier taillant le calcaire et le petit granit sur place. Les délais ont été aussi raccourcis de manière significative… Du jamais vu !

Les travaux ont été répartis en 3 phases succes-sives, définies comme suit :Phase I : façade principale et perron (incluant le fronton) ;Phase II : façades latérales ;Phase III : façade arrière.

Les différents délais étaient les suivants :

Phase I : fin 2009, soit 330 jours ouvrables ;Phase II : avril 2010, soit 270 jours ouvrables ;Phase III : avril 2011, soit 270 jours ouvrables.

Le chantier a débuté le 3 novembre 2009. L’ordre des différentes phases a finalement été modifié.

Restauration des perrons

Le chantier a commencé par la restauration des perrons. Bien que de nombreuses marches aient été déplacées, la stabilité des pierres du perron subsistait en meilleur état que prévu, le début de chantier s’annonçait bien !Cependant, vu les quantités impressionnantes de remplacement de pierres prévues dans ce chantier, la Direction de chantier a imposé que les nouvelles pierres soient réceptionnées auto-matiquement avant leur mise en place afin de s’assurer de la qualité du banc de pierre. Plusieurs expériences de chantier ont montré la nécessité de recourir à ces étapes préalables car, une fois les pierres mises en place, il est difficile de les refuser, surtout quand toutes proviennent d’un banc de pierre de mauvaise qualité.Passée la période hivernale, le chantier a repris mi-janvier 2010 avec la réalisation des rosaces des garde-corps. La plupart étaient fendues ; il a donc été décidé de les refaire entièrement. Un moulage in situ a été réalisé puis retravaillé en atelier pour éliminer les traces superficielles de fonderie. C’est un total de 350 pièces qui a ensuite été doré à l’or 18 carats !L’échafaudage a été posé d’abord en façade ar-rière, permettant ainsi à l’entreprise de travailler sur les perrons à l’avant, et ensuite sur la façade arrière. Aucune altération supplémentaire n’est apparue à la suite de l’accessibilité liée aux écha-faudages. Comme souvent, des ardoises et des parties de corniche étaient en plus mauvais état que prévu, mais rien d’exceptionnel tant du point de vue financier que structurel.L’étude sanitaire des pierres réalisée en nacelle par Thierry Davia, chef du bureau technique de la Ville de Verviers, lors de la procédure de certificat de patrimoine a permis d’éviter de «mauvaises surprises» sur la qualité des pierres. L’estimatif des quantités de pierres de remplacement était très proche de la réalité du chantier. Ce préalable

— un ton gris plus foncé pour le soubassement afin d’asseoir visuellement le bâtiment ;

— le maintien du fronton et de sa devise dans leur configuration actuelle.

En plus de ces choix cornéliens, s’est ajoutée alors la réalité financière qu’un tel projet représente. Financièrement, la Direction de la Restauration du patrimoine ne pouvait supporter la totalité du montant sur une seule année budgétaire. Le dossier administratif a donc été organisé en «tranches conditionnelles» sans aucune garantie pour les tranches postérieures. Un accord de principe a donc été apporté et a permis de relan-cer le certificat de patrimoine avec une confiance toute relative, les principes de financement étant ainsi quelque peu clarifiés (novembre 2007).

La commune a alors émis le souhait de réaliser une bâche sérigraphiée représentant en façade principale l’image du bâtiment évoquée dans l’en-cadré, p. 85. Un accord de principe est rapidement donné par le cabinet du Ministre du Patrimoine.

À la veille de la clôture du dossier, l’opportunité de placer ou non du double vitrage a été repropo-sée au débat, à la demande de la Ville. En effet, l’aspect énergétique étant de plus en plus d’actua-lité, la Ville souhaitait ré-envisager cette option. De nombreuses recherches sur l’utilisation d’un simple vitrage plus isolant ont été entamées. Au vu des résultats peu probants sur ces vitrages et aux performances encore mal connues aujourd’hui, le comité a choisi de maintenir partout du simple vitrage soufflé. Encore aujourd’hui, la position de la Direction de la Restauration du patrimoine pré-conise «de privilégier la restauration au remplace-ment et donc le maintien du simple vitrage lorsque les châssis sont anciens et que l’ensemble est suf-fisamment homogène que pour être conservé».12 Les châssis anciens sont des éléments à valeur patrimoniale tendant de plus en plus à disparaître. De plus, le double vitrage ne permet pas de main-tenir les proportions des petits-bois. Ces derniers auraient eu des proportions plus importantes (largeur et épaisseur) et auraient donc alourdi l’esthétique du châssis. Il importait donc, dans le cadre de cette restau-ration d’un patrimoine exceptionnel de conserver cette spécificité stylistique propre au 18e siècle. Il a d’ailleurs été convenu avec la Ville que, dans le cadre de la restauration intérieure de l’Hôtel de Ville, la création d’un double châssis serait prise en compte financièrement par la Direction de la Restauration du patrimoine de manière à ré-pondre aux préoccupations énergétiques.

Le chantier

Par rapport à la première estimation avancée par la Ville de Verviers et basée sur les prix en vigueur, le résultat des adjudications arrivait à un montant très étonnamment inférieur. Cette différence a trouvé son explication dans l’état de la crise financière de l’époque (décembre 2008). Pour conserver un plein emploi et assurer un carnet ren-table de commandes, il est plus que probable que

12MARCHAL M., Les châssis anciens vont-ils tous disparaître ?, dans La Lettre du Patrimoine, 19, 2010, p. 3.

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habituellement très difficile à établir est pourtant un gage de sécurité nécessaire dans la maîtrise des coûts pendant la phase chantier.

Les vitrages

L’étude des vitrages a ensuite commencé. Chaque vitrage a été étudié individuellement : une gom-mette de couleur sur chaque vitre permettait de préciser son ancienneté, son état de dégradation et la conformité de sa teinte. Il s’agit d’un travail minutieux réalisé sur environ 1.400 carreaux.

Le report des informations ainsi récoltées a per-mis au comité d’accompagnement de maintenir essentiellement les vitrages originaux en bon état dans les trois châssis de la salle des pas-perdus du rez-de-chaussée. Les châssis, quant à eux, ont été démontés et restaurés dans les règles de l’art.

Le choix des tonalités

La présentation de différents échantillons a fait l’objet de plusieurs réunions de chantier. L’approbation des nuances de gris et de blancs a été, étonnement, plus difficile que prévue.Outre le choix de la teinte, quasi-blanche mais lumineuse pour l’enduit, les nuances de gris, pour les châssis, pour les encadrements de pierre, pour les pierres de soubassement et de corniche mais aussi pour les menuiseries de fenêtres et de portes ont abouti à autant de propositions et combinaisons différentes qu’il y avait de membres dans la direction de chantier !13 Heureusement, un consensus a été trouvé, mais non sans mal !

Le choix des teintes du campanile s’est également révélé complexe. Ce dernier était couvert de zinc, mais réalisé en imitation du style du corps principal

De haut en bas :Détail d’une clé à tête humaine : le badigeon, projeté en très fine épaisseur, permet de protéger la pierre et laisse encore apparaître toute la finesse de cette sculpture.Photo Guy Focant, © SPW

Test de gris : de gauche à droite, teinte des châssis, teinte des pierres et teinte de l’enduit ; le soubassement sera dans une teinte de gris encore plus foncée (non réalisée à ce jour).Photo Daphné Martinot, © SPW

Étude des vitrages sur châssis ancien. Chaque vitre porte une gommette de couleurs différentes : vert (verre antique à conserver), rouge (verre cassé ou float) et blanc (verre sablé).Photo Daphné Martinot, © SPW

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du bâti, c’est-à-dire : anglée de pierres et menuise-ries en bois. Un autre trompe-l’œil faisait égale-ment partie de la réflexion : les guirlandes de fleurs autour des abat-sons étaient en bois alors qu’aux étages inférieurs elles étaient en pierre. Dès lors, la question se posait : fallait-il peindre ces guirlandes de bois dans la teinte des menuiseries ou alors appliquer la teinte associée à la pierre ?La direction de chantier a finalement opté pour une teinte de pierre sur ces guirlandes en bois, suivant ainsi ce que J.-B. Renoz s’était donné tant de mal à imiter. De nombreuses simulations furent examinées et comparées aux photos anciennes.

Réflexion globale et prise de conscience

Une telle restauration, au caractère a priori peu extraordinaire, s’est révélée en réalité beaucoup plus complexe que prévue. Aussi bien d’un point de vue philosophique que technique, une restau-ration reste toujours le résultat de nombreuses réflexions et de nombreux compromis. Il n’y a pas un seul type de restauration mais une succession de décisions qu’il faut assumer et expliquer aux générations futures. Dans tous les cas de figure, les informations complètes manquent souvent et l’interprétation que nous en faisons aujourd’hui pourra sans doute être un jour contestée.Prudemment, c’est fort de ses expériences res-pectives que le comité d’accompagnement prend ses décisions et tente de donner une vision la plus cohérente qui soit, documentant de manière la plus précise possible chaque choix et chaque geste technique.Après tout, toute restauration ne reflète-t-elle pas un peu la subjectivité d’une époque ?

13La direction de chantier se compose du chef des travaux, M. Davia, des conducteurs de chantier de l’entreprise, M. Junta et M. Egon, des représentants de la DGO4, Mme Martinot et Mme Closon, et d’un membre de la CRMSF, M. Tourneur.

Bâche sérigraphiée

À la fin de la restauration des perrons, on a pu seulement installer l’échafaudage de la façade principale sur laquelle devait être fixée la bâche sérigraphiée. Cette dernière a été mise en place en juin 2010 et a été retirée plus d’un an après.

De nombreux bâtiments comme le Musée Magritte, la Grand’Place de Bruxelles, ont pu bénéficier de ce type de mise en valeur. D’autres grandes villes prestigieuses recou-rent déjà à ce type de bâche depuis des années comme Milan, Venise, Rome… C’était donc la première fois en Wallonie qu’une telle instal-lation était présentée.

Par cette initiative, la Ville de Verviers sou-haitait maintenir une image satisfaisante lors du chantier. Cette bâche a été réalisée dans le cadre d’une démarche que l’on pourrait qualifier de «marketing urbain», elle a permis d’exprimer et de renforcer des composantes symboliques de l’image de la ville et de contri-buer ainsi à la prise de conscience collective de la richesse architecturale du patrimoine. Ce type de support médiatique à large spectre est aussi un outil touristique et s’inscrit dans la volonté de la Ville de Verviers de redynami-ser son image. Le Ministre du Patrimoine a d’ailleurs sou-haité participer à cette première expérience en intervenant dans son coût.

Il est certain que ce type d’intervention ne peut se faire pour tous les chantiers. Sur un patrimoine exceptionnel et, dans une ville en quête de renouveau culturel et de séduction, cela paraissait tout à fait justifié !

Bâche sérigraphiée.Photo Daphné Martinot, © SPW

Inauguration officielle de l’Hôtel de Ville de Verviers le 23 septembre 2011 à l’initiative de la Ville, avec show gratuit présenté par Luc Béwir et son équipe.Une belle opportunité de faire participer les habitants à la redécouverte des lieux et de célébrer la ville.© M. Pirenne