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L'Hôtesse de l'air, tome 1ekladata.com/y2EFXQ1m3WPcZ2t2uajuw_Lb0nA/L_39_hotesse_de... · 2016. 8. 5. · cabine est autorisé à pousser un passager. Hon ! Être hôtesse de l’air,

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Édition:NadineLauzonDirectionlittéraire:Marie-EveGélinasRévisionlinguistique:GervaiseDelmasCorrectiond’épreuves:JulieLalancetteCouverture:ChantalBoyerMiseenpages:ClémenceBeaudoinPhotodel’auteure:SarahScott*JESSKIKA*Cetouvrageestuneœuvredefiction;touteressemblanceavecdespersonnesoudesfaitsréelsn’estquepurecoïncidence.RemerciementsNous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activitésd’édition.Nous remercions leConseil desArts duCanada et la Société de développement des entreprises culturelles duQuébec (SODEC) dusoutienaccordéànotreprogrammedepublication.GouvernementduQuébec–Programmedecréditd’impôtpourl’éditiondelivres–gestionSODEC.Tousdroitsde traductionetd’adaptationréservés ; toutereproductiond’unextraitquelconquedece livreparquelqueprocédéquecesoit,etnotammentparphotocopieoumicrofilm,eststrictementinterditesansl’autorisationécritedel’éditeur.©LesÉditionsLibreExpression,2014LesÉditionsLibreExpressionGroupeLibrexinc.UnesociétédeQuébecorMédiaLaTourelle1055,boul.René-LévesqueEstBureau300Montréal(Québec)H2L4S5Tél.:514849-5259Téléc.:514849-1388www.edlibreexpression.comDépôtlégal–BibliothèqueetArchivesnationalesduQuébecetBibliothèqueetArchivesCanada,2014ISBN:978-2-7648-0911-2DistributionauCanadaMessageriesADP2315,ruedelaProvinceLongueuil(Québec)J4G1G4Tél.:450640-1234Sansfrais:1800771-3022www.messageries-adp.com

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Àmamère,Francine,pourm’avoirrépétédesmilliersdefoisquelesrêvespeuventdevenirréalité.

Àmonpère,Jean,pourm’avoirdémontréconcrètementqu’ilfauttravailleretpersévérerpouraccomplirdegrandeschoses.

«Quandlecheminestdur,leDurcontinuesonchemin…»

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–M

Chapitre1

AéroportdeMontréal(YUL)

esdames et messieurs, ceci est une annonce d’embarquement pour le vol VéoAir 762 àdestinationdeRome.Nousinvitonsmaintenanttouslespassagersàseprésenteràlaporte61.

C’estétrange.J’ail’impressionqueçafaituneéternitéquejen’aipasentenducemessage.Pourtant,j’ai déambulé des milliers de fois dans les couloirs de cet aéroport. L’habitude m’a sans douteimmunisée contre certains bruits. Avec le temps, ils se sont transformés en une douce ambiancesonoreàpeineperceptible.Jenelesremarquemêmeplus.Quoique,aujourd’hui,lasituationdiffèrelégèrement.D’un sourdmurmure à un cri strident, je perçois tout. Je suis nerveuse, car d’ici unedemi-heurejem’envoleraiversRome.D’ordinaire,toutescesannoncesretentissantesn’arriveraientguèrejusqu’àmoi,carjeneseraispasassisesurl’undecesbancsinconfortablesàréfléchiravantdemonteràbordd’unavion.Enfait,j’attendraisplutôtàl’intérieurdel’appareill’arrivéedespassagersetjen’auraisprobablementpasletempsdepenser.C’estquejesuisagentedebord.Maiscommeplusieursm’ontdéjàdemandé,incrédules:«Quoi?

Agentdebar?Tuesserveuse,tutravaillesdansunbar?»,jepréfèredirequejesuis«hôtessedel’air».Lesconfusionssontainsiévitéesetc’estdeloinbeaucoupplussexyque«agentdebord»qui,àmonavis,sonneuntantinetmasculin.Dansle temps,êtrehôtessedel’airrimaitavec«jenetombepasenceinte, jenegrossispaset je

voussersduPepsisansbroncher.Bref,jesuisparfaite».Etpuis,commetoutévolue,leschosesontchangé.Dorénavant,hôtessedel’air,aliasagentdebord,rimeavec«j’aidesbébés,jepeuxgrossir,etnemedemandezpasunsurclassementgratuitenpremièreclassecarlaréponseseranon,c’estmoileboss!».Décidément, le boulot a vraiment évolué !En revanche, un aspect reste inchangé : lemystère du

métier. Intrigant ?Évidemment !Monbureau est situé à 36000pieds dans les airs et se déplace à850kilomètresàl’heure.Ilestconduitpardeuxbonshommeshabillésdevestonsnoirsauxmanchesgarnies de larges lignes jaunes inspirant le respect. Ils jasent de femmes et emploient des termestechniquesquejenecomprendspas.Dans l’avion, derrière cette porte blindée qui leur fait dos, s’affairent de petites, moyennes et

grandes abeilles surnommées « agents de bord », « hôtesses de l’air », « stewards » ou « PNC »(personnelnavigantcommercial).Nouslesappelonslesjuniors,lesséniorsoulesvieillessacoches.Ellesbavardententreelles,sechicanentparfois,seconfient leursproblèmesouseméprisentselonleur ancienneté.Elles sont belles oumoches,massothérapeutes ou sportives, femmesd’affaires oucuisinières.Ellessepromènentdansuneénormeruchedemétalvolanterempliedepersonnagesdetoutessortes :deshommes,desfemmes,desenfants,desvieillards,desexilés,desprisonniers,desvoleurs. Certains de ces passagers sont gentils et courtois, mais d’autres sont furieux, malades,nerveuxoucomplètement intoxiquéspar l’alcool. Ilyenamêmequidonnent l’impressiond’avoirlaissétoutbonnementleurcerveauaucomptoird’enregistrementavecleursbagages.De plus, ces messieurs-dames parlent parfois. Entre eux, bien sûr, mais ils s’adressent aussi à

l’occasionàdespetitesabeillestellesquemoi.Lorsqu’ilslefont,ilsdemandent,exigent,chialentetinterrogent. «C’est quoi ton pays préféré ? » «Ah !Ça ne doit pas être évident pour fonder unefamille ! » « Ils sont comment les pilotes ? » « C’est quoi la pire chose que tu aies vécue dans

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l’avion?»Passionnant!Parlerdemonmétierdivertitmespassagersetlesfaitrêver.Parpolitesse,jerépondstoujoursavec

unsourireàleursnombreusesinterrogations,etquelquefoismêmeavecunenthousiasmeinexpliqué.Àl’occasion,jemesurprendsavecdesrépliquescomme:«Wow,vousêtesvraimentlepremieràmeposerlaquestion!»,alorsquecen’estévidemmentpaslecas.Maispourêtrehonnête,j’airarementledésirderépondreàcetinterrogatoirerépétitif.J’enaidéjàsuffisammentpleinlesbrasdejoueràlabêtedecirqueenvolenmelaissantobserver

dansl’alléependantdesheuresparmespassagers.Onmeregardemangermonsandwichetonmescruteàlaloupelorsdesdécollages.Onmetirelajupettepourattirermonattentionouonmedérobemesmagazineslaissésunesecondesurlecomptoir.Etenbonus,onmefaituneinterviewsurmonmétier.Toutcomptefait,jedevraispeut-êtreallermereposeràRomequelquesjours.

***

Cesoir,jenesuisqu’unepassagère.J’accompagneJohn,l’hommequej’aime,pouruncourtséjourde trois journées en Italie. Il est pilote et il est déjà à bord de l’avion que je devrais prendre. Parcontre, moi, j’attends toujours sur ce banc inconfortable. C’est étrange, lorsque j’ai accepté soninvitation,j’étaisconvaincuequelessoixante-douzeprochainesheuresseraientlesplusbellesdemavie, et maintenant je ne sais plus. Je suis perdue dans mes pensées et je refuse de bouger. J’ail’impression que mon univers changera à jamais si je mets les pieds dans cet avion. Je préfèreréfléchirencoreunpeuavantdemonteràbord.Ilmerestedutemps,de toutefaçon, lespassagersfontencorelafileavecleurscartesd’embarquementetleurspasseports.

***

Bien quemonmétier regorge d’anecdotes divertissantes, être hôtesse de l’air, c’est plus que ça.Pourtoutdire,jesauvelemonde.Bon,jen’aipasencoreeuàsauverlaviedequiquecesoit,maisneserait-ce pas l’une demes tâches premières si jamais, par extrêmemalchance, l’avion s’écrasait ?J’avouequejenesouhaitepasdutoutqueçaarrive,maisd’unecertainefaçonj’aimebienpenserquejeseraiscellequipourraitfaireladifférencelorsd’unaccident.J’ouvriraislaporterapidementetjem’écrierais:«Sautez,glissez,dégagez!»Enunclind’œil,toutlemondeseraithorsdedanger.Ça,c’estmon scénario idéal.Mais personne ne peut prévoir comment il réagira une fois devant cetteéprouvanteréalité.L’autrescénariopourraitêtrelesuivant:j’ouvriraislaporteetjem’assureraisquelaglissièreest

bel et bien gonflée, je regarderais dehors puis à l’intérieur de la cabine pour regarder à nouveaudehors.Légèrementhésitante,jejetteraisencoreuncoupd’œilàl’intérieur,làoùlesflammesetlafuméecréeraientuntumulte,etdanstoutcebordeljem’écrieraisfinalement:«Venez,suivez-moi,paricilasortie!»Laparfaitehéroïne,non?Bon, il faut admettre qu’on a tous voulu un jour sauver lemonde à notre façon. Les petits gars

veulentêtredespompiersoudespolicierspouraiderlesplusfaiblesouarrêterlesméchantsbandits.Lespetitesfilles,elles,souhaitentdevenirvétérinairesouprofesseurespoursoignerlesanimauxous’occuperdesenfants.Jenefaisdoncpasexception,carj’essaieégalementdecontribueraubien-êtredemessemblables.Dans tous les cas, s’il devait y avoir une catastrophe, je souhaite de toutmon cœur participer à

l’évacuationdemespassagers.Pourlessauver,bienentendu,maisaussipouruneautreraison.Lorsd’une urgence, lorsqu’une personne se fige devant la porte et refuse de sauter sur la glissière,l’hôtessedel’airdoitcarrémentlapousserhorsdel’avion.C’estleseulmomentoùlepersonnelde

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cabineestautoriséàpousserunpassager.Hon!Êtrehôtessedel’air,c’estavanttoutveilleràlasécuritédesespassagers(policière).Ensuite,c’est

s’amuser à leur plaire pour qu’ils reviennent voler sur nos ailes (séductrice). Mis à part ladistributiondecaféetdethé(serveuse),jesuislàpourpanserlesblessures(infirmière),écouterlesinquiétudesetlesconfidences(psychologue)et,tantqu’àyêtre,empêcherlapropagationd’infectionscontagieuses à bord (bactériologiste), régler les chicanes (gardienne d’enfants), faire des souriresforcés (comédienne)etdire :«Ah ! Jecomprends,monchermonsieur,vousavez raison», et ce,mêmesimonsieuratort.Toutçapourprévenirlesincidentsquipourraientnousmettreendanger.Etvoilà,c’estexactementcequejedisais,jesauvelemonde!Maisencore?En hiver, je voyage vers des destinations ensoleillées comme la Jamaïque, le Mexique ou la

Républiquedominicaine.MespassagersseprénommentCindy,PaulineouRoger,et je leursersduPepsioudu7Up.Durantcettepériode,jepasselamajoritédemontempsdansl’avion,loindesplagesidylliques. Ces vols sont en quelque sorte des vols d’agaces, comme j’aime bien les appeler. Parexemple,jevolependantquatreheuresversCancúnet,unefoisl’avionatterriettouslespassagersdébarqués,jerestedansl’appareil.Jenedescendspasaveceuxpourmefairebronzersurlesplagesde sable fin.Non, car jedois ramenervers leCanadadesvacanciersmaintenant tout brûléspar lechaud soleil mexicain. Pendant que l’avion se fait refaire une beauté pour le trajet de retour, jem’installeàl’extérieur,dansl’escalier,etjemefaisdorerausoleilunevingtainedeminutes.Ensuite,c’est reparti, d’autres passagers embarquent et bye bye Cancún. Si je suis encore plus chanceuse,quelquesagentsdebordayantbeaucoupd’anciennetédanslacompagnieaérienneresterontquelquesjoursauchaudet seront remplacéspard’autres séniorsqui auront égalementpasséquelques jourssouslestropiques.Enété,aumoins,jemegâte.JevoyageàParis,Madrid,Londresouailleurs,etcommelesvolssont

beaucouptroplongspourrevenirauCanadaimmédiatement,j’aileplaisirdepasserlanuitsurplace.Je fais donc le plein de confit de canard en France et j’achètemes souliers en Espagne. Je rentred’Italie avecdes tonnes et des tonnesdeparmesan, despâtes et de l’huilede truffe.Mespassagerss’appellentdésormaisArnaud,FabrizioouAgathapoulos,etjeleursersduvinrougeetdesjusplutôtquedesboissonsgazeuses.D’ailleurs, j’airemarquéunphénomèneuniversel liéà laconsommationdesjus.Àtoutcoup,été

comme hiver, de par le monde, d’une culture à l’autre, ce phénomène se répète et m’irritesincèrement.Jeneparlepasicidujusd’orangeoudujusdepommequi,laplupartdutemps,nemecontrarientvraimentpas.Parcontre,jen’aiaucunplaisiràservirdujusdetomate.Jedétesteça.Jel’avoue,lejusdetomatemerépugne.Voicipourquoi.Selonmoi,personneneboitdujusdetomateàlamaison.Parsanature,iln’estpasdésaltérant.On

enprendlorsqu’onafaim,ouonlecommandeentabled’hôteaurestaurantquandonn’aimepaslasoupedujour.Jenecroiraijamaisqu’unbonjusdetomateestlaboissonidéaleàboireentouttemps.Non!Pourtant,lorsqu’onpartenvoyage(etjem’incluslà-dedans),ondiraitquec’estsoudainementle rafraîchissement lepluspopulaire.Et le jusde tomateestcommelapeste.Quandquelqu’una lemalheur d’en demander un verre, c’est inévitable, tous les autres passagers en veulent aussi. Çam’énerve!C’estsimple,siM.A,assisauhublot,penseaufameuxjusdetomateetoseendemander,c’estbien

certainqueMM.BetC,danslamêmeallée,enréclamerontaussi.EnsuitesuivrontMmesDetE.Unpeuplustard,MllesF,GetHdelarangéeenarrière,quiaurontégalemententenduentrelesbranchesqu’onservaitdujusdetomateàborddecetavion,envoudrontaussi.Sijesuischanceuse,jeréussiraipeut-êtreàn’endonnerqu’unedizaine,sinonlemotseserarépanduàlavitessedel’éclairet,d’icià

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la fin du vol, nous n’aurons plus de jus de tomate pour le trajet de retour. Merci beaucoup,monsieurA!

***

Finalement, je crois que la question de savoir si je dois embarquer ou pas dans cet avionm’angoisseplusquejenel’auraisimaginé.J’attendsdepuisplusd’uneheuremondépartversRome,maisjen’arrivepasàmedécider:jeparsoujereste?C’estquoimonproblème?Jesuisunejeunefemmedetrenteansquis’envaenItalieavecl’hommequ’elleaime.Iln’yariendemallà-dedans!Normalement, je devrais être debout, comme les autres passagers, à piétiner pour monter dansl’avion,maiscurieusementjenesuispasdutoutcertainedevouloirymettrelespieds.Moiquiessaietouslesjoursdemaîtrisermonempressementsansyarrivervéritablement,jeveuxmaintenantresterassiseàattendre?C’estlemondeàl’envers!Toute cette impatience qui serpentait dans mes veines hier, avant-hier ou le jour d’avant vient

soudainementdedisparaître.Mêmecesboufféesd’exaspérationquimepoussentnormalementàmeprécipiteràlarescoussedemespassagersmarchantlentement,troplentementversleurssiègeslorsd’unembarquementnesefontpassentir.Jesuislààréfléchirdansl’aired’attentedel’aéroportetjenesaistoujourspasquoifaire.Jeseraismêmeprêteàresterassiselesmainscroiséestoutelanuitàregarder les passagersmonter à bord un à un. Pour une fois, j’aurais le temps de faire un choixéclairé.Ilestbienévidentque j’ai la têteailleurs. Jeprends le tempsd’observerminutieusement tousces

hommes et ces femmes qui remettent leurs cartes d’embarquement à l’agente au comptoir. Je vaismêmejusqu’à lescompter.J’aivraimentbesoinde tempsavantdemedécider.Mais jenevoudraistoutdemêmepasenarriveràentendreprononceraumicro:«Attention,appelfinal!MmeScarlettLambertestinvitéeàseprésenterimmédiatementàlaporte61.Appelfinal!»Detoutefaçon,bienquejesoisimpatientedenature,j’aimeêtreladernièreàembarquer.Jepréfère

rester assise sur ce banc plutôt que d’avancer à pas de tortue vers la porte de l’avion. Agir ainsiménage mes nerfs, car je déteste par-dessus tout attendre en file indienne. C’est simple : avoirl’impression que rien ne bougem’exaspère.Bien sûr, les gens avancent,mais rarement assez vitepourmoi.Quelleestlavitessed’embarquementadéquatepourmesatisfaire?Difficileàdéterminer,maisdisonsqu’ellen’estpassouventaurendez-vous.C’estqueplusieursfacteursentrentenlignedecompte. Par exemple, sur une échelle de 1 à 10, la vitesse d’embarquement varie selon le typed’appareil, lenombredepassagers,d’enfants,depersonnesâgéeset,ultimement, lanationalitédespersonnesquimontentàbord.Sil’avionestremplideJaponais,lepointages’élèveratrèsrapidementpouratteindreunscoreparfaitde10sur10.Commepassagère,jen’hésiteraispasuneseulesecondeàmemettreenfileaveceux.Parcontre,sicesontdesItaliensquivoyagent,là,c’estuneautreaffaire.Sij’étaisl’unedeshôtessesdel’airquiopèrentcevolversl’Italie,pendantl’embarquement,j’auraisletempsdemerefaireunebeautédanslestoilettes,deprendreuncaféàl’arrièredel’appareilavecunecollègueetdelireledernierchapitreduplusépaisdesromans.Rares sont les vols remplis d’Italiens qui obtiendront un pointage plus élevé que 5 sur 10. Les

Italiens ne peuvent pas aller plus vite, car ils parlent à toute la famiglia en chemin ! Ils ontprobablementrencontrélepadrinod’unteldansl’aired’attenteoulamammad’unautreàlaboutiquehorstaxes.Difficilealorsdenepasfaireunbrindejasetteavecleurnouvelamitoutensedirigeantvers leur siège.Nuldoute, le tempspasseplusvite, etmême si j’essayaisde les fairebougerplusrapidement, l’un d’euxme répondrait quelque chose quime serait totalement incompréhensible engesticulant.Etlà,toutelaparentés’enmêlerait.

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Jenebougerai pasd’un centimètre tant que la dameau comptoir ne ferapas son annonce finaled’embarquement.D’ailleurs,jesensqueçaapproche.Jedoisprendreunedécision.Enpréparantmesbagagescematin,jesavaiscequejevoulais.Maintenant,jenesaisplus.Finalement,jem’approchelégèrementdelaported’embarquement.Unpasenavant,c’estdéjàça!

Depuisunebonnequinzainedeminutes,j’entendslamêmephraseprononcéesurlemêmetonparladameaucomptoir:«Mercietbonvol!»Jelatrouvetrèsjoyeuse,celle-là.Elleadûêtreengagéerécemmentpourêtreaussirayonnantedebonheur.Jeluidonnedeuxmois,pasplus.Pire,lorsquelesvolsversleSudcommencerontverslemoisdenovembre,àpeinedeuxsemainessuffirontpourqueson humeur change. Comme d’habitude, munie de son grand sourire, elle imprimera les cartesd’embarquementdespassagers.Croyantavoirbienfait,elleleurremettrajoyeusementleurspapiersenleursouhaitantbonvoyage.Etpuis,sanscriergare,unhommebedonnantdéjàbourrégueulera:«Heille,toé!Ch’téditquejevoulaisunsiègeauhublot,pislà,tum’asdonnéunsiègeaumilieu.Mablonde estmêmepas assise avecmoé ! »Et la blondede renchérir enmâchant sagomme : «Pusjamais VéoAir, pus jamais ! » Ouais, cette employée souriante va le perdre bien vite, son beausourire,c’estgaranti.

***

Depuis un moment, je ne fais qu’observer alentour au lieu de réfléchir vraiment à mon choix.Pourquoi j’hésite ? Je devrais être heureuse de partir en voyage avec John.N’ai-je pas désiré cethommedèslepremierregard,dèslepremierjour?

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I

Chapitre2

Montréal(YUL)–SanJosé(SJO)Dix-huitmoisauparavantl n’y a rien de plus satisfaisant que de rester blotti sous de chauds draps de flanelle lors d’unefroidenuitdefévrier.Leplaisirestpalpable,maisaussi trèsvolatil,surtout lorsquele téléphone

sonneà4heuresdumatin.Danscecas,aurevoirlesrêvesépiquesetbienvenuelecauchemar!Cematin-là,j’étaissurappel.Danslejargondel’aviation,c’estcequ’onappelle«êtreenréserve».

Je jouaispour ainsi dire lemême rôleque celui d’une rouede secours lorsd’une crevaisonpourpermettre à la voiture de se rendre à bon port. En fait, pour chaque type d’aéronef, un nombreminimum d’agents de bord est requis. Si l’un de ceux à qui un vol est déjà assigné tombesoudainementmalade,c’estmoi,lapetitehôtessedel’airsansancienneté,qu’ontentedejoindre.Jesuisdoncappeléequelquesheuresavantledépartduvoletobligéedemedépêcherpourmerendreàl’aéroport.Pasdemomentdedétenteoudetempspourmeprélasserdansmonlit.Voilàpourquoi,cejour-là,jeneressentaisaucunplaisiràl’idéededécrocherletéléphonequirésonnaitdanslesilenceglacialdemachambre.C’est drôle comme les chosespeuvent changer enpeude temps.Ça faisait deux ans et demique

j’étais agente de bord et je dois avouer que toute l’excitation éprouvée lors demes premiers volss’évanouissaitchaquefoisqu’unesonnerieretentissaitparcesfroidsmatinsd’hiver.Lorsdemonpremiercourrier,j’étaistrèsexcitée,carjevenaistoutjusted’emménageràMontréal

avec ma bonne amie Béa qui, elle aussi, avait été engagée comme agente de bord. Après notreformation,pourépargnerunpeu,nousavionsconvenudecohabiteretd’accueillirégalementparminous un autre collègue et maintenant ami, Rupert. Nouvel appartement, nouveaux colocataires,nouveau job. J’avaisdequoiêtreexaltée.Pourcouronner le tout, jem’étaisenvoléepourLondreslorsd’unchaudaprès-midid’été.Rienàvoiravecceque jem’apprêtaisàvivreen répondantàcesatanéappel.En fait, leschosesn’avaientpas tellementchangépourmoidepuiscettepremière journéeen tant

qu’agentedebord.J’étais toujourscélibataireet j’habitaisencoreavecRupertetBéadanslemêmeappartement.JevolaisencorepourVéoAir,saufquec’étaitmaintenantl’hiveretquejevenaisdemefaireréveillerenpleinsommeil.Etjesavaisquelorsquejerépondraisàmonami/ennemicrewsked,ilm’enverrait sansdoute auMexiquepour faire un aller-retour au lieudem’assigner unvol versLondres.Crewsked,surnomdonnéauBureaud’affectationdeséquipages,estchargédegérerlepersonnel

navigant. Il s’assure de remplacer un agent de bordmalade par un autre. Il réserve les chambresd’hôtellorsquenouspassonslanuitàl’étranger.IlnousappelleàParispournousdirequel’avionestenretardoubienretrouvemonportefeuillesi je l’oublieà l’aéroportetmelefaitparvenirparavionàl’hôtel…Crewskedaaussi lepouvoirdenousenvoyerquatrejoursàAthènesouenaller-retouràOrlandodansunappareilremplid’enfantsbruyants.Mieuxvautdoncêtresonamiquesonennemi.Avant d’attraper le combiné, je me pris à espérer que la chance me sourirait. Ce n’était pas

impossible, car la compagnie savait peut-être que je venais d’avoir vingt-neuf ans et pourraitm’assignerunvolversleSudpourquejedormesouslestropiques.Leplusbeaudescadeaux!Mais

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peu importe la destination où onm’enverrait ou l’heure à laquelle on venait dem’appeler, jemedevaisderépondre.Jesortisunbrashorsdemacouetteetdécrochai.—Oui,allo?J’avaisessayéd’ymettreunpeud’intonationpournepassemblertropendormie.—Bonjour,j’aimeraisparleràScarlettLambert,s’ilvousplaît.Procédureoblige,moninterlocutricedevaitd’abords’assurerquec’étaitlabonnepersonneaubout

dufil.—Oui,c’estmoi,répondis-je.—Bonjour,Scarlett,c’estNancy,del’affectationdeséquipages.Nancymeparlaitdoucement,àvoixbasse,commepournepasmebrusquer,oupeut-êtresesentait-

ellegênéedemeréveilleràcetteheure-là.Lemalétantdéjàfait,j’espéraisqu’ellemediraitleplusrapidementpossibleoùj’allaispartirdansquelquesheures.—J’auraisbesoinde toicematinpourunaller-retouràSanJosé,décollageà7heures, retourà

18h45.Tutravaillesàl’allerettureviensendeadhead.—OK.Merci.Bye.Jen’étaispasdugenreàfairerépéteretj’avaistouteslesinformationsdontj’avaisbesoin.Jesavais

quejedevaisêtreàborddel’appareilà6heuresdumatin,soituneheureavantledépart,etquejenepartais pas pour longtemps. Je n’emporterais qu’une simple valise à roulettes (carry-on) avec unlunchpournepasavoiràdégusterlesdélicieuxrepasdel’avion,quisontremplisdesodiumetquidonnentde la cellulite.Et comme jene travaillaisquedurant levoldeMontréalversSan José, auCosta Rica, je partirais vêtue de mon uniforme et je mettrais dans ma valise des vêtementsconfortablespourletrajetderetour.Ce vol qu’on venait de m’assigner était loin d’être un vingt-quatre heures à Punta Cana, mais

revenirendeadhead,cen’étaitdéjàpassimalqueça.Enfait,commelesvolsentreleCanadaetleCostaRica sontbeaucoup trop longspourque lesmêmesagentsdebordopèrent le trajetdans lesdeuxsens,crewskeddésignedeuxéquipages.Àl’aller,pendantquelepremieréquipages’affaireàservir les passagers, lesmembres du second s’assoient dans l’avion et se reposent.Au retour, lesrôles s’inversent. Bref, revenir ou partir en passager, ou faire une mise en place vers une autredestinationsanstravaillerdurantlevol,c’estcequ’onappellefaireundeadhead.Cesoir-là,jereviendraisdoncduCostaRicaenfaisant«latêtemorte».Moncerveauseraitalors

misenveilleuseetjepourraisregarderunfilmouboireunverredevin.Entoutcas,c’étaitmieuxdetravaillerpendantcinqheuresàl’alleretderevenirenpassagerquedefairelecontraire.Jeremerciaicrewskedintérieurement.Aprèsavoirréponduàl’appel,jenedevaispastarderàmeleversijevoulaisavoirletempsdeme

préparer adéquatement sans trop me presser. Normalement, lorsque je suis seule à l’appartement,j’aimebienmettredelamusiquepourmeréveiller,mêmes’ilest4heuresdumatin.Cejour-là,jemerésignai à émerger du sommeil en silence, car Rupert et Béa dormaient dans leurs chambres quidonnaientdirectementsurlapièceprincipale.Béaétaitencongépouraumoinsdeuxjours,carellevenaitderentrerd’unesériedevols laveille.QuantàRupert, ilétaitégalementenréserve,maisiln’avaitpasencoreétéappelé.Je sautai leplusvitepossiblehorsdu lit et ramassaima robedechambre. Il faisait si froiddans

l’appartementque je risquais l’hypothermie.Si jen’allaispas sous ladouched’iciune seconde, jeresterais congelée toute la journée.D’ailleurs, je ne savais pas pourquoi il faisait si froid. J’avaispourtantmontélechauffageavantdemecoucher.CedevaitêtreRupertquiavaitencorejouéaveclethermostat.Mêmeaprès tout ce tempsde cohabitation, il n’arrêtait pasdemedireque je chauffais

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tropetquelemontantdenotrefactured’électricitéétaittropélevé.Aumomentoùjemeposaistoutescesquestionsinutilesàproposduchauffage,Rupertfitsonapparitiondanslesalon.J’étaissurprisedelevoirdeboutàcetteheure-là.—Tunedorspas,Rupert?luidis-je,encoreàmoitiéendormie.—Crewskedvientdem’appeler.Ilsm’ontdonnéunvol,merépondit-ilensegrattantlatête.Ilavaitlescheveuxtoutébouriffésetsesyeuxétaientencorecollés.Letorsenusansaucunfrisson,

ilremontasoncaleçonetmeregardaentrerdanslasalledebain.J’étaisimpatientedemeréchauffersousladouche,maiségalementcurieusedesavoiroùilallaitpartir.—Tut’envasoù?chuchotai-je.—Je fais justeunaller-retouràSanJosé,mais je reviensendeadhead aumoins,me répondit-il

sansexcitation.Il était déçuet je le comprenais.Tout commemoi, il aurait préféré être appelépourunvolvers

Punta Cana afin de passer la nuit sur place et prendre du bon temps à la discothèque de l’hôtel.Évidemment, j’auraisaimépouvoirallerdanseravec lui,mais je savaisqueRupertaurait souhaitédormirenRépubliquedominicainenonpaspours’éclatersurlapistededanseavecsacolocataire,maispourrencontrerdebeauxagentsdebordeuropéensfraîchementinstallésauresort.Ilestvolage,ce Rupert, mais il demeure discret de ce côté-là. Il préfère s’amuser avec des hommes d’autrescompagniesaériennesplutôtquedejouerauconquérantavecdesagentsdeborddeVéoAir.Fautedefaireletourdelacompagnie,seshistoiresfontletourdumonde.Riendemoins.Décidément,Rupertavaitvraimentl’airmoinsenchantéquemoidepartiràSanJosé.Àvoirlatête

qu’ilfaisait,jemedevaisdel’encourager.—Nesoispastropdéçu,jeparsavectoietonpourraserelaxerensembleauretour.J’essayaisd’avoirl’airheureusedevoleravecmonami,maishonnêtementjecraignaisunpeude

fairepartiedumêmeéquipagequelui.Enfait,Rupertestletyped’agentdebordquiportemalheur,cartoutluiarrive.Soitsonavionestenretard,soitunpassagertombegravementmaladeetl’appareildoitatterrird’urgence,soitsesbagagessontperdus,etj’enpasse.Detouslesmembresd’équipagedeVéoAir,iln’yenapasunquiaitvéculamoitiédecequeRupertaexpérimentéendeuxansetdemi.Quelquesmoisauparavant, ilavaitétéappelépourunvolversFrancfort,enAllemagne.Iln’était

pascenséêtresurcevol,maisàladernièreminuteuneagentedebordétaittombéemaladeetcrewsked avait contacté Rupert-porte-malheur. L’avion devait décoller vers 9 heures du soir. Une foisl’embarquement terminé, l’homme qui remplissait les réservoirs d’eau de l’appareil avait fait unemauvaisemanœuvre avec son camion et accroché le fuselage de l’avion. Il avait créé une légèrebossequinepouvaitêtreignorée.Lecommandantavaitdoncétéaviséetn’avaiteud’autrechoixquede retarder le vol, le temps de réparer le bris. Comme la pièce était facile à remplacer, le retardn’avait duréqu’uneheure,mais je suis certaineque siRupert n’avait pas été à bordde l’avion, lecamionn’auraitpaseffleurélemoindrecentimètredefuselage.Maisattention, l’histoirene s’arrêtepas là.L’avionavait enfindécolléet avait atterri àFrancfort

sansincident.Rupertyavaitpassévingt-quatreheures,letempsdefaireunesiesteetdemarcherunpeudanslaville.Ilétaitallémangeravecl’équipagedansunpetitrestaurantprèsdel’hôtelets’étaitcouché tôt afin de récupérer son sommeil perdu. Le lendemain, il repartait vers le Canada. Deuxheuresaprèsquel’avioneutdépassélescôtesirlandaises,à36000piedsd’altitude,enpleinau-dessusde l’océan Atlantique, une femme était arrivée à l’arrière de l’appareil, là où Rupert s’affairait àpréparerleschariotsderepas.Elleavaitperduconnaissanceetluiétaittombéedanslesbras.Aprèsl’avoirdéposéesurlesol,illuiavaitsoulevélesjambespourl’aideràreveniràelle.Normalement,la techniquedes jambes en l’air fonctionnedans99%des casd’évanouissement,mais là, ladame

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n’avaitpasreprissesesprits.Rupertavaitdemandél’aided’unautreagentdebordetappeléaussitôtledirecteurdevol.Dansletempsdeledire,lasituations’étaitdégradéeetlafemmeavaitcesséderespirer. Aucun médecin n’était à bord. Le point d’atterrissage le plus proche étant maintenantbeaucouptroploin,ilneservaitàriendes’yrendre.Ilfallaitagirvite.Unagentdebordavaitalorscommencélesmanœuvresderéanimation.Oxygèneetdéfibrillateuravaientétéutilisés.Sanssuccès.La dame étaitmorte. L’avion avait poursuivi sa route en direction duCanada. La femme avait étédéposéesurdessièges libresà l’arrièrede l’appareil, levisage recouvertd’unmasqueàoxygène,telleunemalade.L’équipageavaitcontinuésonserviceauxpassagerscommesiriennes’étaitpassé,etce,pendantlesquatreheuresrestantes.Heureusement,aucunvoyageurnes’étaitaperçudequoiquecesoit.Unefoisl’avionarrivéàMontréal,lessecoursétaientvenusrécupérerlecorpsdeladame.Comme

elleavaitétéassisependantplusieursheuresdanslamêmeposition,sesmembresavaienteuletempsdeseraidir.Lesambulanciersavaientdûluicasserlesarticulationsdesjambespourréussiràdéposersoncorpssurlacivière.Rupertenétaitrevenutraumatisé.Jel’avaisétéégalement.Leporte-malheuravaitfrappéfort.Voilà l’une des raisons pour lesquelles je n’étais pas très enjouée à l’idée de partir avec lui.

Néanmoins,jenepouvaisrienychanger,alorsj’essayaiautantquepossibledenepasm’inquiéter.Jesautaienfinsousladouche.Ensentantl’eauchaudesurmoncorps,jememis,commed’habitude,àrêvasser.Lorsquejeprends

unedouchequandjesuisencoresomnolente,jepensetrop.Lesremisesenquestionsesuccèdent.Sije m’écoutais, je changerais de vie. Je partirais à l’aventure au bout du monde loin de mesresponsabilités.Etpuis,uneheureplustard,unefoisàl’aéroport,jeredevienssereine,jeréalisequej’aimemonjobetqu’ilmeconviententouspoints.Cematin-là,lesmêmesréflexionsmetrottaientdanslatête.«Scarlett, tuveuxvraimentfaireçatoutetavie, televerà4heuresdumatinetavoir l’estomacà

l’enverspendantdesheures?»«Scarlett,tuasvingt-neufansettuestoujourscélibataire!Tuvisavecungaidevingt-cinqansqui

vad’aventureenaventureetunefilledevingt-sixansquin’estpasprêtenonplusàseranger.Cenesontsûrementpaseuxquiteprésenterontl’hommedetavie.Versquoitut’enlignes,là?»« Scarlett, reviens à toi, arrête de trop penser, tu sais qu’aussitôt que tu mettras les pieds dans

l’aviontutesentirasànouveaudanstonélémentetheureused’yêtre.»Mieuxvalait faire tairemonimagination,carde toutefaçon,aprèsavoirenduré lefroidhivernal

dansmavoitureetlanoirceurnocturnesurlaroute,j’allaisretrouverlesouriredèsmonarrivéeàl’aéroport.Mepréparerétaitdécidémentplusconstructif,alorsjemeconcentraisurmatoiletteplutôtquesurlesmauvaisesidéesquimepolluaientl’esprit.AprèsavoirlaissélasalledebainàRupert,jemedirigeaiversmachambre.Jen’aijamaisétéle

genredefillequiprendsontempspoursemaquiller,s’habillerousecoiffer.Jeconserveplutôt lamêmeroutinepourgagnerdutemps,surtoutlorsqu’ilest4heuresdumatinetqu’ilmefautquitterl’appartementauplusvite.Je montai mes longs cheveux bruns en chignon à l’aide d’un « beigne » que j’avais acheté en

Angleterre l’étéprécédent.Cepetit truc faitdesmerveilleset estdevenu l’accessoire indispensabledanslatroussecapillairedetoutesleshôtessesdel’air.Ilsuffitdepassersaqueuedechevalàtraversl’ouvertureet, ensuite,decoiffer sescheveux tout autour.Lechignonaalors l’airplusgroset estparfaitementégal.Unefoiscetteétapedûmentaccomplie,j’appliquaiuntraitdecrayonnoirsurmespaupièresetmis

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dumascaraachetéàlaboutiquehorstaxesdel’aéroport.J’enfilaiensuitemonjumpernoir,lapièced’uniformequejepréfère,carsiparmégardeundégâtsurvient,machemiseblanche,cachéedessous,n’en subit pas les conséquences.Néanmoins, je dois avouer que j’aimebien ce vêtement pour uneautreraison:lederrièrequ’ilmefait.Voyons ! Je ne suis pas dupe. Je sais que les uniformes font fantasmer. Quiconqueme dirait le

contraire,jel’enverraispromener.JemesouviendraitoujoursdelaréponsedeBéalorsquejeluiaidemandécequ’ellepensaitdenotrefuturuniformelorsdenotreformationinitiale:«Jemefousdeceàquoiilressemblera,ununiformed’hôtessedel’air,c’esttoujourssexy,etjevaism’assurerdebienprofiterdecetavantage.Lespilotesnesegênentpas,alorsjevaisfairepareil!»Elleavaitbienraison: lesfilles tombentcommedesmouches lorsqu’ellescroisentdespilotesse

promenantfièrement,parésdeleursgalonsauxépaules,alorspourquoinepasséduireleshommesavecnotresourireetnotreélégantderrière?Entoutcas,Béas’ensert.Elleesttoujoursaccompagnéede richesmecsqui l’emmènent ici et là, surdesyachts àNiceoudansdes restos aux trois étoilesMichelin.Béaestuneprofessionnelleducharmeavecousansuniforme,maispasmoi.Jesaisseulementque

matenuemevabien.Jel’enfilaicematin-làennepensantàriend’autrequenepasarriverenretardàl’avion.D’ailleurs,ilétaittempspourRupertetmoidepartir.Soigneusement,j’enroulaimonfoulardautourdemoncouetmisàmatoiletteladernièretouchequiallaitfairedemoiunevéritablehôtessede l’air irrésistible : un rouge à lèvres rose fuchsia appelé « Envoûtée ». Allais-je en hypnotiserquelques-uns?

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C

Chapitre3

Montréal(YUL)–SanJosé(SJO)–Montréal(YUL)

ommeRupertetmoiavionsétéappelésàladernièreminute,nousnousétionsprésentésenretardà l’aéroport cematin-là et nous avionsmanqué le briefing du commandant à l’équipage. Par

obligation,Justin,ledirecteurdevol,nousavaitfaitunrésumédesconditionsdevolànotrearrivéeàlabarrière.Nousavionsété informésqu’ilyavaitdespossibilitésde turbulencespour lapremièreheuredutrajet,quecedernierdureraitcinqheuresetquinzeminutesetque,commenousétionslesderniersarrivés,nousnepouvionspaschoisirnospositionsdansl’avionselonl’ordred’ancienneté.Nousétionsdonccondamnésàprendrecequ’ilrestait.Rupertseraitchargédefairel’embarquement,uneplacepeuenviéeenraisondesbonjoursetdesau

revoirqu’elleimpliquait,etjeseraisresponsabledelagalleyarrière,cettecuisineoùsesituent leschariotsderepasetdeboissons.Durant levol,Rupertetmoieûmes le tempsde jaserunpeu.Ils’était faitunmalinplaisirdeme

donnerdejuteuxdétailssurcertainsmembresdel’équipagequejeneconnaissaispas.Ilfautdireque,malgré le fait que Rupert soit un porte-malheur indésirable, il est le meilleur potineur de lacompagnie.Un rapide tête-à-têteavec luiavantchaquevolmepermet toujoursde savoiràqui j’aiaffaire.—Allez,Rupert,potine-moiça.—Hum,toutescesbelleshôtessesontunebonneréputation,misàpartpeut-êtreSuziequiacouché

aveclamoitiédelacompagnie,medit-ilavecdésinvolture.—Suzie?C’estlaquelle,ça?—C’estcellequichialaitaprèsl’embarquementparcequ’ilfaisaittropchauddanslacabineetqui

chialaitencorequandonadécolléetquandonacommencéladistributiondesboissons.—Ahoui,jevoisquic’est.Elleacouchéavectoutlemonde?Despilotes,jesuppose?—Àtonavis?Etilsavaienttousdesblondes,c’estçalepire.—Jen’enrevienspas!Commentunefemmepeut-ellefaireçaàrépétitionsansmêmeavoirune

petite pensée pour les copines de ces gars-là ? Si on s’entraidait un peu entre filles et qu’on necouchaitqu’avecdesgarscélibataires,jamaispersonneneseferaittromper!—Benvoyons,Scarlett,nemefaispascroirequetun’asjamaiscouchéavecunpilotequiétaiten

couple…Suzien’estsûrementpaslapremièreniladernière.Vousautres,lesfilles,vouslestrouveztousbeauxmêmequandilssontlaids.—Rupert!Onvitensembledepuisbientôttroisans,tudevraissavoirquejen’aijamaisfaitça!dis-

je,insultée.—Tun’enaspasembrassédeuxoutroisquandonacommencé?—Oui,maisjelesaijusteembrassésparcequej’étaissoûleetjen’aisuqueplustardqu’ilsétaient

encouple.En toutcas,aujourd’hui, jeconnais lachanson,alorsaucunechanceque jecoucheavecl’undecespilotesprétentieux.Rupert était fier de ma réponse. Il était sûrement ravi que je ne sois pas comme cette Suzie

mangeusedepilotes.Ilauraitpusecontenterdesourire,maisilmeposaunedernièrequestion:—Etsitutombaisenamouravecl’und’eux,lestrouverais-tuencoreaussiprétentieux?—Alorslà,çanerisquecertainementpasd’arriver!répondis-je,complètementconvaincue.

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***

Aprèscetteséanceéclairdebavardage, jemeremisaussitôtau travail.PlusnousapprochionsdenotredestinationetplusjepensaisqueRupert-porte-malheuravaitlimitésoninfluencemaléfiquesurnotre avion en cette journée de février. Je m’en réjouissais déjà. Mon énergie avait peut-êtreneutralisélemauvaissort.Une fois la descente commencée, le commandant nous avisa que les vents auCosta Rica étaient

légèrementdetraversetqu’ilyavaitdeschancesqueçabrasseàl’atterrissage.Nousrangeâmesalorstousleschariotsetfîmeslesdernièresvérificationsencabineàl’avanceafindenousasseoirleplusrapidementpossible.J’avoueque,durantmacourte carrière, jen’avais jamais senti laqueued’unavionvalser autant.

J’avais d’ailleurs la certitude que cette danse était inhabituelle, car à mes côtés était assise unecollègue expérimentéequi semblait vraiment stresséepar la situation. J’aurais cruqu’après quinzeannéesdemétierelleauraitétépluscalmequemoi,maisaucontraire,c’étaitplutôtelle,l’angoissée.En fait, on ne peut pas savoir comment on réagira lors d’une situation d’urgence avant d’en

rencontrerune.J’imagineaussiqu’avecl’expérienceonconnaît lesconséquenceset lespossibilitésqu’unetellevalsepeutcomporter.Pourmoi,cen’étaitriend’autrequedefortsventspoussantdanstouslessenslacarlinguedemonavion.Jen’enétaispasaffolée.J’aimaismêmeça.Audébut,entoutcas.Lorsquenousfîmesnotreapprochefinale,monattitudechangeadutoutautout.J’avaismaintenant

peur, car je réalisais que ce balancement était plutôt extrême. Ayant déjà vu sur Internet desatterrissages effectués de peine et de misère avec des vents de travers, je pouvais visualisermentalement la position de l’avion. Le nez de l’appareil ne devait être aligné avec la piste quepartiellement.Depuismonmini-hublot,jeconstataiquelaqueuesemblaitquantàellehorspiste.Maisjevoulaiscroirequ’àladernièreminutelepiloteredresseraitletoutetposeraitcegrosoiseauausolavec succès. Restait quandmême que ces oscillations commençaient sérieusement àme donner lanausée.Jen’osaismêmepasimaginerl’étatdespassagers:mauxdecœurassurésetsansdouteaussiquelquesdéversementsindésirés.Il me fallait rester tranquille. Je demeurai bien agrippée à mon strapontin, ce siège rabattable

réservé aux agents de bord.Ma collègue, de son côté, était assez comique avec ses «Oh » et ses«Ah»émisentrechaquecoupdevent.Ilfautdirequenousétionsassisesdanslaqueuedel’avionetqu’il était donc normal que nous ressentions davantage les secousses. Quand les roues touchèrentenfinbrusquement,pournepasdireviolemment, lesol,nousétionsbouchebée.Lesilencerégnaitdans lacabine.Pasd’applaudissementscommeà l’accoutumée.Demonhublot, jepouvaisvoir lesborduresde lapiste s’éloigner et se rapprocherdangereusement. Jen’aimaispas cequi sepassait.Allions-nousquitterlapiste?Laqueuedel’appareilbougeaittropàmongoût.Unesecondepassa.Deux.Trois.Peut-êtreplus.Çameparutuneéternité.Etpuis lavalsecessa.L’avionétaitdésormaisbien droit.Ma collègue reprit son souffle etmoi également. Était-ce lamalédiction deRupert quivenaitdenoussecouer?Sansaucundoute,etj’espéraisquelemaléficeserésumeraitàcela.

***

Ledébarquementterminé,jepouvaisenfinretirermonuniformepourm’asseoirpaisiblementdansl’avioncommeunesimplepassagère. J’allaisme reposeretvisionnerun film. Jeprofiteraisdecedeadhead et prendrais un bon verre de vin pourme détendre. Jem’avançai vers les toilettes de lapremière classe pour m’y changer. Je m’étais précipitée à l’avant, car je n’utilise jamais celles à

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l’arrièredel’avion.Surtoutaprèsunvoldeplusdecinqheures.Jepréfèreallerdansdestoilettespluspropres, et malheureusement pour les gens de la classe économique, ce sont souvent celles de lapremière classe qui répondent le mieux à ce critère. C’est uniquement parce qu’elles n’ont étéutiliséesqueparunequinzainedepersonnesqu’ellessontencoreàpeuprèsnettesetnonparcequeceuxquiyontaccèssontpluspropres.Unefoisàl’avant,j’aperçuslepremierofficierprèsdesescaliers.Ilprenaitunpeud’airfrais.Avec

seschaussuresàsemellesépaisses, ilmesuraitprobablement5piedset4pouceset ilse tenaitbiendroit,letorsegonflé.Ildevaitavoirvingt-cinqans,toutauplus.Commeilavaitl’airjeuneetqu’ilétait certainement peu expérimenté, je me dis que c’était sûrement lui qui avait effectué cetatterrissagetumultueux.Jem’approchaietluidemandaid’untonaimable:—Ouf!Onaétésecouéstoutàl’heure.Quiaatterri?—C’est quoi, cette question-là ! Ça ne se demande pas, ça ! T’as pas vu les vents dehors ?me

répondit-ild’unairhautain.—Justement,jelesaisentis,lesvents,etc’estpourçaquejeteledemande.Onauraitaimésavoir

cequis’estpassé.Jen’avais pasbesoindeparler davantage avec lui.C’était évident qu’il avait fait atterrir l’avion.

Sinoniln’auraitpasréagidelasorte.Encoreunefois,çameprouvaitquel’egodespilotesétaitgros.Insultéparmoncommentaire,ilmetournaledos,mesignifiantqueladiscussionétaitterminée.Jemeretournaimoiaussi,indifférenteàsonattitude,etpartismechangerdanslestoilettes.Lorsque je sortis, lecommandantdebord,que jen’avaispas rencontréàcausedemon retard le

matin même, demanda à tout le monde de venir à l’avant pour qu’il nous fournisse quelquesexplicationssurcetatterrissagemouvementé.Jem’assissurunsiègedepassageretl’écoutai.—J’aimeraisd’abordm’excuserauprèsdeceuxquisesontfaitbrasserenarrière.Lesventsétaient

trèsfortsetnousnepouvionsmalheureusementpasfaireautrement.J’avoue que je fus surprise par son humilité. Rares étaient les pilotes qui avaient le courage de

s’excuser ainsi. Ce commandant venait de me faire ravaler les propos que j’avais tenus quelquesheuresauparavantausujetdespilotesprétentieux.Entoutcas,ilyenavaitunquifaisaitexceptioncejour-là.Aprèsnousavoirexpliquécequ’étaientlesventsdetravers,ilnoussouhaitaunbonvolderetouret

regagna la cabine de pilotage. Je n’avais jamais vu ce commandant auparavant. À mon grandétonnement,iléveillaitmacuriosité.Biensûr,ilavaitétégentilennousfournissantdesexplications,mais il y avait autre chose qui retenait mon attention. Il avait l’air timide et discret. Il avait l’airinaccessible,etça,c’étaitintrigant.

***

Durantlevolderetour,Rupertmefitlaconversationpendantuneheuretoutenbuvantunverredevinrouge.Illesirotaitdepeurd’êtresoûltropvite.C’étaittoujourscommeça.Iln’avaitqu’àavalerdeux verres pour que l’alcool luimonte aussitôt à la tête. Je préférais donc le laisser boire à sonrythme.Comme j’étais crevée et que je savais qu’aprèsunpeudevin jem’endormirais rapidement, j’en

profitai pour demander immédiatement à Rupert s’il connaissait le commandant de bord avec quinousvolions.—Non,curieusement,jen’aijamaisentenduparlerdelui,medit-il.Cette réponse me surprit, car mon fidèle compagnon connaissait tout sur tout le monde, même

quandce«toutlemonde»n’étaitpersonne.

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—C’estquoisonnom?luidemandai-je.—JohnRoss.Dumoins,c’estcequiestécritsurlerésumédenotreitinérairedevol.Pourquoi?

Qu’est-cequetuluitrouves?Iln’ariend’impressionnant,àpartpeut-êtreunbeausourire.—Jene lui trouve riende spécial.C’était juste pour savoir, lui répondis-je, désireusede cacher

monjeu.Je refusaisd’admettrequecethommem’attirait. Il avait certesunphysiqueavantageux,mais ily

avait autre chose.Était-ce son attitude de gars inaccessible ou son sourire timide ?En tout cas, jen’allaispasl’avoueràRupert,surtoutaprèsladiscussionquenousavionseueàproposdespilotes.La conversation n’alla donc pas plus loin. Je n’y tenais pas. Quelque peu troublée par l’intérêtinattenduquececommandantdebordéveillaitenmoi,jedécidaiqu’ilvalaitmieuxquejem’endormeauplusvite.

***

Ànotrearrivéeà l’aéroport,Rupert etmoipassâmes lesdouanes rapidementetnousdirigeâmesversl’arrêtdel’autobusquinousamèneraitaustationnementdesemployés.J’étaiscontentequenoussoyonsrentréssansvéritablesanicroches.«VoleravecRupertn’estpassipirequeça,aprèstout!»pensai-je.Pendant que nous attendions à l’extérieur, j’en profitai pour écouter mes messages sur mon

téléphoneportable.Le premier était deBéa, quim’informait queRachel nous avait invitées à souper chez elle avec

notre autre amie Paule. Sachant que je serais fatiguée au retour de mon vol, Béa lui avait plutôtproposédevenirà lamaison.Parcontre,cequeBéaavaitvolontairementomisde luimentionner,c’étaitquej’auraisdetoutefaçonrefusédemedéplacerchezellepournepasêtreobligéed’entendresonbébépleurertoutelasoirée.Aprèsunvol,c’étaitinévitable,j’avaisbesoind’unpeudesilence.Ilfautl’admettre,desbébésdansunavion,çapleure.Ilssonttoutcoincés,ressententlanervositéde

leursparentsetontmalauxoreilles.Leurscrisrésonnentdanslacabinetelsdesrugissementsdelionetiln’yaaucunendroitoùs’isoler.Larègled’orestd’endurerpatiemmentimpatiemment.Etpuisunbébé, ça reste un bébé.On ne peut pas lui en vouloir de pleurer lors de la descente à cause de lapressionexercéesursestympans.Malgrétout,aprèsunvol,jepréfèredeloinlecalme.Étantégalementagentedebord,Béacomprenaitbiencetétatd’âmed’aprèsvoletavaitdonceula

trèsbonneidéed’inviterlesfillesàl’appartement.Rienneservaitdeluiconfirmerqueleprogrammemeconvenait,carilétait19heures.RacheletPauledevaientdéjàêtrearrivées.J’avertisRupertqu’ilallaityavoirdesfemmescheznouscesoir.Ilsecontentadehocherlatête,indifférent,puisqu’ilavaitd’autresplanspourlasoiréeavecunex-petitami.J’écoutaiensuitelesecondmessage.Commed’habitude,mamèreavaitparlébrièvementsurmonrépondeur.N’aimantpas«jaseràune

machine», elle se refusait àme laisserdesmessagesdignesdecenom.Soit ellen’en laissait toutsimplementpasetrappelaitsansarrêtjusqu’àcequejeréponde,soitelleenvoyaitunmessagerapideetfroidàglacerlesang.Unmessageeffroyabledugenre:«Quelqu’unestmort,appelle-moi!»Mamère ne se doute probablement pas que l’une demes peurs est de partir travailler et de ne

pouvoir être là s’il devait arriver unmalheur à unproche.Mais ferait-elle plus attention si elle lesavait?Cettefoisencore,sontonétaitsec:—Scarlett!(Pasde«bonjourmachérie»oude«alloScarlett»,non,juste«Scarlett».)C’estta

mère.Appelle-moi!Cen’était pas le bonmomentpour lui parler, saufqu’encoreune fois elle venait dem’inquiéter.

Commelebusn’étaittoujourspaslà,jelarappelai.

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—Allo?—Salut,maman,c’estmoi.—T’étaisoù?medemanda-t-elle enpanique, commesi ellene savaitpasque j’étaishôtessede

l’airetquejepartaissouventàladernièreminute.—JesuisalléeauCostaRicaaujourd’hui.—Oh!Chanceuse!—Jenesuispasrestéelà-bas.C’étaitunaller-retour.Jen’airienvu,précisai-je.—Ah!Chanceusepareil!insista-t-elle.Apparemment,ellenevoulaitriencomprendreàmonjob,alorsj’acquiesçai.—Maman,est-cequetuavaisquelquechosed’urgentàmedire?Parcequejeviensd’arriveretque

jedoisraccrocherdanspaslong.—Ah!Non,non.Jevoulaisjustetejaser.—Ehbien,jeterappelleraidemain,OK?—Enpassant, tononcleAlberta laissé ta tantePaulinepouruneautre femme,enchaîna-t-elleen

ignorantmonintentiondemettrefinàlaconversation.Tonpèreetmoin’enrevenonstoujourspas.Aprèstoutcequ’elleafaitpourlui.Leursenfantsvenaientdepartirdelamaison.Ellerecommençaittoutjusteàrespirerquandiladécidédelalaisserpouruneautre.Iln’apasdecœur!Mamèrecontinuaavecfouguesonmonologueàproposd’oncleAlbertetdetantePauline.Elleétait

enragée.Ellen’avait pasbesoind’endireplus sur le sujet, car je savaisdéjà cequ’ellepensait dudivorce.Pourlemoment,jen’avaispasd’énergieàluiconsacrerpourcomprendrelaraisondecettetristeséparation,nipourécouterl’opinionnégativequ’elleavaitdemononcle.Ànouveau,jetentaidemettrefinàlaconversation.—Tuas raison,maman, c’est unehorrible histoire.Mais là, comme je te l’ai dit, je n’ai pas de

tempspourjaser.Jeterappelledemain.—OK,mafille,àdemainalors.Mamèrevenaitdeprendresonpetit tonpiteux,probablementdéçuedenepaspouvoirmeparler

davantage.Aumoins,ellen’avaitplusdepaniquedans lavoixetmonangoisses’étaitévaporée.Jeraccrochaietm’apprêtaisàconsultermescourrielssurmoniPhonequand,soudain,monregardseporta vers le reste de l’équipage qui avançait vers l’arrêt d’autobus. Parmi eux se trouvait moncommandantdebord.Àsavue,jerépétaiinstinctivementsonnomdansmatête:«JohnRoss.»Jenepouvaistoujourspascroirequ’ilm’attirait.Unpilote!C’étaitimpossible!Jemeressaisisaussitôtetnousmontâmestousàborddubus.Rupert parlait avec un collègue, alors j’en profitai pour observer discrètement mon beau

commandantquis’étaitassisaufonddel’autobus,perdudanssespensées.J’espéraisquenosregardsse croiseraient, même si je me savais incapable de soutenir le sien, noir et profond.Incontestablement,ilmetroublait,etilnes’enrendaitmêmepascompte.Jepassaisinaperçue.Toutlelongdutrajet,ilnemeregardapasuneseulefois.Rien.Niente.Nada.Frustrant!Lorsque nous arrivâmes au stationnement, il sortit au premier arrêt. Il se leva, se tourna vers

l’équipageetnoussouhaitaunbonretouràlamaison.J’auraisaiméqu’ilmedise«Aurevoir»,maisje devais me rendre à l’évidence : ses paroles ne m’étaient pas personnellement adressées.Apparemment,mon rouge à lèvres « Envoûtée » n’avait pas fait effet ce jour-là, quoiqu’il s’étaitestompédepuisfortlongtemps…

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E

Chapitre4

Montréal(YUL)AuretourdeSanJosé(SJO)

narrivantàlamaison,jesaluairapidementmesamiesetfilaisanstarderàlasalledebain.C’étaitunrituel.Enrevenantd’unvol,mêmesij’avaisdesinvités,jedevaissautersousladoucheillico

presto.Lesbisousdebienvenueetleverredevinpassaientaprès.D’ailleurs,lesfillesnedésiraientprobablement pas tant que çame faire la bise, car l’odeur d’un avionqui pénètre dans la peau estofficiellementdégoûtante.Aveclesannées,elleestdevenuel’unedesodeursquejedétesteleplusaumonde. J’exagère à peine. Un seul mot ne suffirait pas pour décrire cette puanteur. En fait, mescheveux, mes vêtements et ma peau empestent la vieille poussière sèche qui s’est imprégnéed’effluvesderepasbrûlés,devapeursdevomissuresetd’exhalaisonsdepiedshumidesmélangésàquelques flatulences de passagers évacuées au cours du vol. Loin d’être appétissant !Vite, sous ladouche!Quelquesminutes plus tard, propre et parfumée, j’enfilai des vêtements confortables et rejoignis

enfinmescopines.Béas’avançapourmedonnermonverredevin.Elleétait,commed’habitude,trèsbelleetstyléeavecsescheveuxcourtsmodeléssurlatête.Elleportaitdelonguesbouclesd’oreillesfabriquées par desMassaïs qu’elle avait rencontrés en Afrique lors d’un safari avec l’une de sesrichesconquêtes.—Tiens,Scarlett.Prendsunebonnegorgée,çavatedétendre.C’étaitcomment,tajournée?—Çaabienété.Jevousraconterai,maisavant,jevaisfairelabiseauxfilles.C’estgentildevous

êtredéplacéescesoir,dis-jeenregardantPauleetRachel.Je tenais à souligner que j’appréciais leur geste, car depuis que Paule avait une petite fille

maintenantâgéededeuxansetqueRachelavaitunbébédebientôtdixmois,c’étaittoujoursBéaetmoiquidevionsallerchezelles.J’étaisd’ailleurssurprisequ’ellesaientacceptél’invitation.—Quigardelesenfantscesoir?demandai-je.—Lesgars.Ilssontsortisensemblelasemainepasséeetilsnousendevaientune,m’expliquaPaule

avecunsourire.—Tantmieux,alors!Profitons-en!PauleetRachelétaientbeaucoupplusprochesdepuisqu’ellesavaientunefamillebienàelles.Béaet

moiaussinousétions rapprochéesdepuisquenous travaillionsdans l’aviation.Nos réalitésétaientdifférentesetc’étaitcompréhensiblequenousayonschacuneplusd’affinitésavectelleoutelleautreselonnoscentresd’intérêt.Seulement,jen’avaisjamaispenséquenoscheminspourraientseséparerautantaprèslanaissancedeleursenfants.J’avaisl’impressionquePaulemeregardaitdehautdepuisqu’elleétaitmaman.Desoncôté,Racheln’avaitpastropchangé,maisellefaisaitdescommentairesteintésdeméprisetdereprocheàproposdemonstyledevieetdemoncélibat.Béa,poursapart,semblaitsoustraitedecettesituation,etce,mêmesielleétaittoutcommemoicélibataireethôtessedel’air. Jesavaisque,d’unecertainefaçon, j’étaisdifférente,mais jen’avaispasnonplus ledésirdechanger, et Rachel essayait souvent de me faire entendre raison. Ce soir-là, encore une fois, laconversations’engageadanscettedirection.—Tuesalléeoùdéjàaujourd’hui?medemanda-t-elle.—Rupertetmoi,onestallésauCostaRica, répondis-jeavecunepointededégoûtdans lavoix,

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commepoursignifierquej’avaistrouvédésagréabledevoler.—Ah!C’estcoolleCostaRica!Est-cequ’ilfaisaitchaud?s’enquitPaule.—Çaavaitl’airtrèshumide,maisjenesuispasrestéelongtemps.Justeletempsdesortirlatêteà

l’extérieurdeuxminutesetderefermerlaporteaussitôtpourrespirerl’airsecpressurisé,répliquai-jepiteusement.J’avaisprisl’habitudedeparlerainsidemontravaildevantlesfilles,carjepercevaistoujourschez

elles une envie à l’égard de mon emploi. En dénigrant mon métier, je sentais qu’elles ne mejalousaient plus autant et qu’elles se disaient qu’il était plus agréable pour elles de s’occuper descouches et des biberons que de voyager dans le monde entier. D’ailleurs, j’avais la curieuseimpressionquec’estcequ’ellesessayaientdemefairecomprendre.—Alors,Scarlett,as-turencontréquelqu’unrécemment?medemandaPaule.—Lesfilles,vouslesauriezsij’avaisrencontréquelqu’un.— Oui, sûrement, mais tu ne penses pas que si tu continues d’être aussi exigeante envers les

hommestunetrouveraspersonne?meditRacheld’untonmoralisateur.—Premièrement,jenecherchepas,jelaisseleschosessefaireparelles-mêmes.Etdeuxièmement,

enquoisuis-jesiexigeante,Rachel?Parcequejenecouchepasavecn’importequi,çafaitdemoiunefilleexigeante?Béaestaussicélibataire,quejesache,etvousneluimettezpassurledossoncélibatcommevouslefaitesavecmoi!m’exclamai-je.Fatiguée par le vol et lassée des critiques répétées de mes copines, j’avais bien l’intention de

remettrelespendulesàl’heurecesoir,àcetteminutemême,àcettesecondeprécise.Maintenant.—Béan’estpascommetoi,Scarlett.Ellerencontrepleindemondeetelleatoujoursunenouvelle

conquêteaubras.Aumoins,elleessaie.Toi,tunefaisrien,renchéritRachel.Maintenantimpliquéedansl’histoire,Béan’eutd’autrechoixqued’intervenir:—Wô,lesfilles,jen’essaiepas,jeprendsdubontemps.C’estmonchoixd’abaissermesexigences

pourm’amuser.Sijecherchaisl’hommedemavie,peut-êtrequejemelaisseraisguiderparcertainscritèresmoiaussi,maiscen’estpaslecaspourlemoment.JenecomprendspasenquoilefaitqueScarletttiennecompted’unminimumdegalanterieoudecioudeçaestunproblème.—Tuas justevingt-sixans,Béa, tuesplus jeunequeScarlett et tues loind’êtreaussiexigeante

qu’elle.Tuenasfréquentédesgarsquin’ouvraientpaslesportesetilsn’étaientpassiidiotsqueça.Nouslesavonsrencontrésetilsétaienttrèssympas…remarquaPaule.—Etçan’apasfonctionné!lacoupaBéa.—Calme-toi.OnessaieseulementdecomprendrecequiclochechezScarlett,répliquaRachel.Cettedernièresetournaaussitôtversmoi.—Sitescritèresserésumentàlagalanterie,pourquoiturefusesderencontrermonbeaucousin?Il

lesouvre,lesportes,etilestcélibatairedepuisplusd’unan,meprécisa-t-elle.—Parcequ’ilalaissésafemmealorsqu’ilsavaientunenfantensemble!Voilàpourquoi!Venais-jevraimentdedireça?Jamaisjenem’étaisexpriméesurcettequestionlorsqueRachelme

parlait de son cousin Marc. Je me contentais de l’écouter. Je connaissais son histoire et je ladésapprouvais. Ilavait trompésa femmeplusieurs foisavecdifférentes filles.Ellenes’enétaitpasdoutée.Etpuis,un jour, il l’avait laissée.C’était pour cette raisonque jenepourrais jamais sortiravecceMarc.Jeseraislaplusjalousedesfemmes.Pourquoicethommeseraitfidèleàunefillequ’ilconnaissaitàpeinealorsqu’ilnel’avaitpasétéaveclamèredesonenfant?Jegardaimespenséespourmoi,maisRachelentendaitbienmefairelaleçon.—OK.Pourmoi, c’est ça, être exigeante. Tu viens d’avoir vingt-neuf ans et bientôt tu en auras

trente.Leshommesdenotreâgeontdéjàunpassé,Scarlett.Etpuis,au-delàdetesmystérieuxcritères,

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commenttuespèresrencontrerquelqu’unalorsquetuestoujourspartie?Rachel ne m’avait jamais autant rabaissée. Pourquoi voulait-elle absolument que je fréquente

quelqu’un?Êtrecélibatairefaisaitsipitiéqueça?Onauraitditquec’était lecas,parcequePaulehochait la têteàchaqueparolequ’elleprononçaitensigned’approbation.Béaavaitquantàelle lesyeuxsortisdesorbitesetlesjouesrougesdecolère.Elledevaitespérerquejemettraisunpointfinalàcesfâcheuxpropos.—Benlà,lesfilles,jen’enrevienspas!Mêlez-vousdoncdevosaffaires!Jesuisexigeante?J’ai

déjàétéencouplependantcinqansaucasoùvousl’auriezoublié!Jenerejettepas lesbonsgars.Reste seulement à les rencontrer. Je suis prête à attendre. Et puis j’ai tout demême dénichémonemploiderêveetilmeconvientparfaitement.Aumoins,j’aimemonjob.Sivotrevieparfaiteavecdes couchesvousplaît, tantmieuxpourvous autres. Jenevous faispas lamorale, alorsneme lafaitespasnonplus!Je ne pouvais pas croire que mes amies me disent des choses pareilles. Elles me connaissaient

depuis longtemps. Elles devaient bien savoir que j’avais toujours aimé voyager et que j’étaisbeaucoupplusépanouiedepuisque j’étaisdevenuehôtessede l’air.Pourquoi insinuaient-ellesqu’ilvalaitmieuxquejemetrouveunjobquelconqueafinqu’unnouvelamoureuxpuisseentrerdansmavie?—Net’énervepascommeça,Scarlett,cen’estpascequ’onvoulaitdire.Jevoulais justetefaire

comprendrequejenecroispasàl’amouravecungrand«A»etqu’ilfautparfoisdonnerunechanceauxcoureurs,affirmaPauledoucement.Comment pouvais-je suivre ses conseils alors qu’elle-même n’avait jamais donné la moindre

chance aux coureurs ? Paule avait rencontré son mari à dix-huit ans, ils s’étaient aimés, étaientdevenusdebonsamis,s’étaientinstallésdansunconfortbiendouilletet,avecletemps,elleavaitdûsecontenterdecequ’ilrestait.Malheureusement,l’amournesemblaitplusyêtre.Jepréféraisdonccontinuer de rêver au grand amour.Au pire,me dis-je, cet amour avec un grand «A » que nousconnaîtrionsmonfuturamoureuxetmoisetransformerapeut-êtreenunamouravecunmini«a».Jenedésiraispasleurfaireentendreraison.PauleetRachelvivaientdansuneautreréalitéqueBéa

etmoi.Parcontre,jesouhaitaistoutdemêmemettreleschosesauclair.—Lesfilles,jecomprendsvotrepointdevue.Rachel,tuasrencontrétonchumsurunsiteinternet.

C’estunemanièredeprocéderet j’admireceque tuas fait,maispourmapart, choisirmonchumdansunmenunemebranchepas.Jen’ycroispas.J’aidénichéunmétierquej’aime.L’hommedemavieviendraunjour,maisjen’aipasl’intentiondepartiràlachasseparpeurd’êtreseule.Jemaintiensmesexigences.Désolée.J’avais piqué leur curiosité. Ellesme demandèrent de décrire davantage ces fameuses exigences.

Ellessemblaientenfindisposéesàtenterdecomprendremonpointdevue.Connaissantdéjàmalistesecrète,Béaabaissalementonpourm’inciteràladévoiler.Sijevoulaisquemesamiescessentdemejuger,peut-êtredevais-jeleurrévélerquelques-unsdecescritèresdesélectionquimetenaienttantàcœur.Jemelançai:—Pourêtrehonnête,etbienquevouscroyiezqu’êtrecélibataireàmonâgeestunehonte,jereste

convaincuequ’ilvautmieuxêtreseulequemalaccompagnée.DepuisqueBéaetmoitravaillonsdansunavion,vousn’imaginezpasàquelpointnousavonsététémoinsdecomportementsindividualistesau sein des couples. Franchement, je n’aimerais pas devoir porter mon bébé et toutes les valisespendantquemonchumserendàsonsiègelesmainsdanslespoches.Toutcommejenevoudraispasnon plus qu’il porte tout tout seul. Un couple est une équipe et on devrait toujours s’entraider etconsidérerl’autre.Rachel,peut-êtrequ’enapparencetoncousinMarcestincroyablementséduisantet

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qu’ilouvrelesportes,maiscegenredegalanteries’apprend.Cen’estpasparcequ’unhommetientlaporteàunefemmequ’ilestnécessairementmoinsindividualiste.Moi,cequejeremarque,cesontcesgestesquinoustrahissent,ceuxqu’onfaitinconsciemmentetquidénotentclairementunmanquederespectetdeconsidérationpourl’êtreaimé.JemedemandeparexemplesitoncousinMarcpasseraitlePepsiàsablonde…—Maisdequoituparles?s’exclamaPaule.C’estvraiquelesfillesneconnaissaientpaslesexpériencesauxquellesBéaetmoisoumettionsnos

passagerspourrigolerunpeu.J’expliquaiendeuxmotsquetoutavaitcommencéparhasard,lorsquenous avions remarqué certains gestes récurrents effectués par desmembres de la gentmasculine.Nous avions alors décidé de tester d’autres hommes pour voir s’ils agiraient pareillement. Jedemandai à Béa de décrire ce test tout simple en me disant que, si ma colocataire appuyait cettethéorie,RacheletPaulecommenceraientpeut-êtreenfinàcomprendremonpointdevue.—Bon,c’estuntestquenousavonsappeléle«TestduverredePepsipourlacourtoisie».Comme

Scarlettl’adit,nousn’avionsjamaispenséàtesternospassagers,maisilssesonteux-mêmessoumisàl’expérienceetnousyavonsprisgoût.Maintenant,lorsquenoustravaillonssurlemêmechariotetqu’un passager remplit les conditions nécessaires, nous le mettons en observation. La théorie estrarementdémentie,assuraBéa.— J’aime bien le nom que vous avez donné à votre théorie révolutionnaire, mais c’est quoi

exactement?l’interrompitRachel,impatiente.—C’estsimple.Nousaffirmonsqueleshommesdenotregénération,quis’avèrentdoncêtredes

prétendantspotentielspourScarlett,sontengénéralmoinsattentionnésenversleurdulcinéequeceuxquisontplusâgésoudenationalitéespagnole,italienneoufrançaise,parexemple,déclaraBéa.—C’estunpeufort,votrethéorie,maisj’avouequecertainsgarsdenotreâgesontmoinsenclinsà

payerl’additionaurestaurant,remarquaPaule,quisemblaitassezd’accordavecnous.—Etcommentfaites-vouspourtestervoscobayes?JenecroispasqueVéoAiraimeraitapprendre

quevousfaitesdesexpérimentationspendantvosheuresdevol,ditRachel,amusée.— Eh bien, expliquai-je, nous les testons à leur insu lorsque nous les servons. Pour faire

l’expérience, nous devons d’abord choisir des candidats. Premièrement, le candidat doit être unhommeetildoitêtreaccompagnéd’unefemme,qu’ellesoitsonépouse,sacopineousamaîtresse.Deuxièmement, ilsdoiventêtre installés l’unàcôtéde l’autre.Troisièmement, il fautque l’hommesoit assis près de l’allée et que sa compagne soit ainsi plus éloignée de l’hôtesse de l’air.Quatrièmement,lecoupledoitboirelamêmechose.—OK,maisquelestlerapportentrelacourtoisieetlePepsi?demandaRachel,quin’arrivaitpasà

comprendrelesensdetoutecettehistoire.Jetâchaideclarifier:—Imaginequetonchumettoi,vousêtesdansl’avion.Moi,jesuisvotrehôtessedel’air.Tonchum

s’appelleJonathan,commedanslaréalité.Detouteévidence,ilremplitlepremiercritèrequiveutquelecandidatsoitunhomme.Critèreno1respecté!Ensuite,vousêtesensembledansl’avion.Quevoussoyezmariésouconjointsdefait,jem’enfiche.Ilvoyageavectoi,c’estçal’important.Critèreno2respecté !Toi,Rachel, tu es assiseducôtéhublot et Jonathanest assisprèsde l’allée.Critèreno 3respecté!Lorsquejepasseavecmonchariotpourvousoffriruneboisson,jevousregardetouslesdeuxetvousdemandecequevousaimeriezboire.Vousmerépondezunanimement :«DuPepsi.»Critèreno4respecté!Etvoilà,tonJonathanestéligible!Letestpeutavoirlieu.—Etsijeneboisquedel’eau?blaguaRachelavecunsourireencoin.—Quetuboivesdel’eau,ducaféoujenesaisquoid’autre,l’importantestquetonJonathanprenne

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lamêmechosequetoi.Sinonl’expériencenefonctionnepas,répliquai-je.—OK,OK.Alors,dis-moi,qu’est-cequemonchumvafairedesihorrible?—C’est làqu’il prouvera savraienature, répondis-jed’unairgrave.Une foisquevousm’avez

demandéduPepsi,jeverseladiteboissondanslepremierverre.Commejesuisdansl’allée,ilm’estnaturellementplus facilede ledonnerà lapersonnequiest assiseprèsdemoi, carellem’estplusaccessible.Etcommeça,j’évitederenverserduliquidesurlespassagers.C’estunelogiquequimesembleévidente.Jeparsduprincipequetoutlemondedevraitcomprendreçaetfaireladistributionparlasuite.«Malheureusement,cen’estpaslecasdetous,etsurtoutpasdetonJonathan, poursuivis-je.Jelui

donnedonclepremierverredePepsi,parcequ’ilestassisducôtédel’allée,maisaussiparcequ’ilest soumis à l’épreuve. Je teste la considération qu’il témoigne à sa douce Rachel. Il t’aime, sansaucundoute,maissait-ilvraimentquetuexistes?«Ehbien,ilsembleraitquenon!TonchumprendlepremierverredePepsidanssesmainsetilne

te le passe pas. Il le garde pour lui. Ce verre t’était pourtant destiné, belle éloignée. Pendant queJonathanse trempe les lèvresdans lePepsiglacé, toi, tun’as toujours rienàboire.Finalement,aurisque d’accrocher la tête de ton cher amoureux, j’allongemon bras vers toi afin de te servir lesecondPepsi.Etvoilà, toncopainvientd’échouerau«TestduverredePepsipourlacourtoisie».Alors,Rachel,aimerais-tuêtreaccompagnéeparceJonathanquejeviensdedépeindre?—Biensûrquenon!Maismonchumn’estpascommeça.Je te trouveduredepenserquesiun

hommenepassepasleverredePepsiilneméritepaslamoindrechanceenamour,rétorquaRachelqui,encoreunefois,n’arrivaitpasàvoirlebigpicturedel’expérience.—Est-ce que j’ai dit ça ? Je ne fais que t’exposer les observations queBéa etmoi avons faites.

C’était un exemple stupide pour te faire comprendre que les hommes d’aujourd’hui me semblentcentrés sur eux-mêmes et que c’est peut-être pour çaque je neperdspasmon temps avec certainsd’entreeux.Àpetiteéchelle,cen’estpasbiengrave,cen’estqu’unverredePepsi,maisensociétéouencouple,nepenserqu’àsoipeutfairedegrosdommages.Jemetiensloindecegenred’hommeparcequejecherchel’amouretnonpasàmedivertiraveclepremiermâleassisauborddel’allée.—C’estridiculecommetest,Scarlett.Entoutcas,monJonathan,jel’aimecommeilest,s’obstina

Rachel.Décidément, elle ne voulait rien comprendre. Je venais de lui dire que j’avais pris son chum en

exemplepour l’aiderà s’imaginer la situation. Jen’avais soudainementplusaucundésirdeparler.Béaleremarquaetsemitàraconterseshistoiresavecderichesconquêtespourdétournerl’attention.Elle commença par décrire comment elle avait rencontré Damien, un milliardaire français. En

escaledanslaVillelumière,elles’étaitassiseaucomptoird’uncaféparisien,unlivreàlamain,etils’était tout simplement installé à ses côtés. Béa avait cet air espiègle qui attirait les hommes. Sonregard perçant et sa bouche pulpeuse incitaient les gens à lui parler instinctivement.Damien avaitquarante-cinq ans et était bel homme. Il lui avait offert du champagne toute la soirée. Ils avaientdiscutédetoutetderien.Avantdeluidireaurevoir,illuiavaitproposédevenirsursonyachtancréàCannes.PourBéa,c’étaituneoccasionenor.Elleavaitaccepté l’invitationet,quelquessemainesplus tard, elle passait six jours de rêve avec ce riche inconnu sur un énormebateau aubordde laMéditerranée. J’admirais Béa pour son audace et je n’étais pas la seule. Paule et Rachel étaientabsorbéesparsonrécit.—Wow,Béa,jen’enrevienspasquetupuissesêtresiouverte.Quellehistoire!Voilàcequ’ilfaut

danslavie,êtreouverte,affirmaRachelqui,sansnuldoute,melançaitunmessagedétourné.—Commentpouvais-tusavoirquecethomme-làétaitcorrect?demandaPaule,effarée.Tuaurais

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putefairevioleroutuer!— Tu as raison, mais dès la première seconde où je lui ai parlé, j’ai su qu’il était une bonne

personne.Cethommetranspiraitladouceur.Etjusqu’ici,monflairnem’ajamaistrompée.Béaétaitconvaincuedesonaffirmationetellen’avaitpastort.Lasemainequ’elleavaitpasséeen

France avait été extraordinaire, rien n’avait cloché. Cette confiance inexpliquée qu’elle avaitinstantanément ressentie à l’égard de Damien, j’étais moi aussi persuadée de l’avoir éprouvéequelquesheuresplustôtenverscebeaupilote.MoninstinctmedisaitqueJohnavaitunboncœur.Jenesavaispass’ilétaitgalantetjenem’ensouciaisguère.Sonénergiem’attiraitetjenepouvaispasexpliquer pourquoi. À cet instant, perdue dans mes pensées, je souhaitais sincèrement pouvoirconfirmermonimpressiondansunavenirrapproché.

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J’

Chapitre5

Montréal(YUL)–Nantes(NTE)

avaispassélesjourssuivantsàlamaison.Bienque,entantqu’agentedebordde«réserve»,jerecevaisunsalairepourunminimumd’heuresvolées,jen’avaispasétéappeléedurestedumois.

D’uncôté, jem’enréjouissais,car jen’avaispaseuàeffectuercesheuresdevoletellesm’étaienttoutdemêmepayées.Maisdel’autre,j’auraisaimévolerdavantagepouravoirlachancederevoirmonmystérieuxpilote.Etpuisjecommençaisàmetournerlespoucesànerienfaire,carétantsurappel je devais demeurer disponible. Je ne pouvais donc pas m’éloigner trop longtemps del’appartement afin d’être enmesure deme rendre à l’aéroport enmoins de trois heures si j’étaiscontactée.Févriers’était terminé rapidementet j’avaisvolédavantagedurant lemoisdemars. Je fusmême

appeléepoureffectuerdesvolsdepuisHalifaxpendantunesemaine.J’aimecettevilleetseshabitants.C’estpeut-êtrelamerquiapportecetaspectsereinetchaleureuxàcecoindepays.Jem’ysensmieuxquedansbeaucoupd’autresvillesdanslemonde.Ilyadesendroitsquivouscharmentsansraisonévidente.CertainsdemescollèguesdétestentMadrid,parexemple.IlspréfèrentBarceloneetjepeuxfacilement comprendre pourquoi. Elle borde lamer et, grâce à ce cherGaudi, l’architecture est àcouperlesouffle.J’aimebiencetteville,maisjepréfèreMadridpourseshabitantsquifontlafêteàtoute heure du jour, pour son odeur de jambon et pour toutes sortes de raisons que je ne peuxexpliquer.C’esttoutsimplementindescriptible.Nuldoute,sonauramefaitvibrer.Commelorsqu’ontombeamoureux,çanes’expliquepas,çaseressent.

***

Aprèsquej’euspassél’hiveràfairedesallers-retoursdanslamêmejournée,labellesaisonarrivaenfinavecsesvolslong-courriersàl’étranger.Pourlapremièrefoisentroisans,j’obtinsunhorairedevolfixe.Jesavaismaintenantàl’avanceoùj’allaispartir.Jepouvaisenfinplanifiermavie!Loind’avoiruneroutinedebureautelleque«jetravaillede9heuresà17heuresdulundiauvendredi»,j’avaistoutdemêmelachancedeprévoirmesactivitésensachantlesjoursoùjeseraisabsente.Enayantunhoraire,jepouvaismêmeéchangerdesvolsavecd’autresagentsdebord.Si,parexemple,jen’avais obtenu que des vols vers Londres et qu’une collègue désirait se rendre dans la capitalebritannique et moi dans une autre destination, j’avais la possibilité de modifier légèrement monhoraireàmaconvenance.C’est ce queBéa avait fait pour voler avecmoi en cemois demai.Afin de fêter notre premier

horaire fixe, elle avait échangé un vol pourm’accompagner à Paris, viaNantes. En résumé, nouseffectuerionsunvolentreMontréaletNantes,enFrance,etparlasuitenousnousrendrionsentrainvers la Ville lumière. Nous dormirions à Paris et, le lendemain, nous opérerions un vol versMontréal.C’était un courrier réparti sur trois jours, mais en réalité nous n’allions nous absenter qu’une

quarantained’heures.Nousétionsjeudietledécollageétaitprévupour18heures.NousatterririonsàNantesvers6h30lelendemainmatinetprendrionsaussitôtletrain.NousarriverionsàParisversles11heures, uneheureparfaitepour faireune sieste satisfaisante et pouvoir ensuitedégusterunbonrepassanspresse.Toutallaitpourlemieux.

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Afinquenousayonslachancedetravaillerensemble,Béaavaitchoisiunepositionducôtédroitàl’arrièrede l’appareil.Elleétaitdoncchargée,encasd’urgence,d’ouvrir laportearrièredroiteetelle devait s’occuper des passagers assis de ce côté de l’avion. Pourma part, j’avais choisi d’êtreresponsable de la porte droite située juste au-dessus des ailes.De cette façon, je pouvais travailleravecBéa,maisavec l’aidede l’hôtesseducôtégauche, jeveillaisaussisur lagrandemajoritédespassagersdurantl’embarquement.Cequimedéplaisaitdanstoutça,cen’étaitpasd’êtreentouréedepassagers,maisplutôt cequemaposition centrale impliquait. J’avoueque certainesdes tâchesquim’incombaientnem’enchantaientpasspécialement.Lorsdecetembarquement,j’étaisdeboutaumilieudelacabineavecmacollègueducôtégauche.

Nelaconnaissantpas,j’hésitaisàluifairelaconversation.Jenesavaisquedire,misàpartluiposerquelquesquestionsdebase.—Désolée,jenemesouviensplusdetonnom,luidis-jepourbriserlaglace.Je l’avaisvraimentoublié,etce,àpeinedixminutesaprèsquenousayonsfaitconnaissance.J’ai

toujours eu cette gênante habitude d’oublier le nom de mon interlocuteur lors de la premièreprésentation.Parbonheur,macollèguen’étaitpassoupeaulait.—Ah!Net’enfaispas!Jem’appelleNicole.Toi?—Scarlett,répondis-je,heureusedeconstaterqu’ellenonplusnesesouvenaitplusdumien.Çafait

longtempsquetuesdanslacompagnie?—Onzeans.—Wow!Onzeans!J’imaginequetuaimesvraimentçaaprèstoutcetemps.— Le job en tant que tel est OK, c’est le style de vie qui est incroyable. Quand je vole, j’ai

l’impressionqueletempspassesivite.Jeneréalisepasquejesuisaubureau.Çadoitvouloirdirequej’aimeencoreça.Surtoutquejepeuxfairetoutesmesheuresleplusvitepossibleet,ensuite,êtreencongépourlerestedumois.Jetemetsaudéfidetrouverunjobquitedonnedeuxsemainesdecongéparmois,tun’entrouveraspas!Elle avait bien raison : depuis que je travaillais dans l’aviation, le temps passait vite.Moi aussi

j’étaistombéeamoureusedecemétier.Loindem’êtreamourachéedemespassagersoudemesmauxde pieds intolérables causés par de longues heures à rester debout, j’adorais tout de même maprofession.Lorsquejepartaisvoler,curieusement,j’avaisl’impressionquejerevenaisaussitôt.C’estvraiquejen’effectuaisquasimentjamaisdetrajetslong-courriersdehuitjours,maismêmedanscescas-là,sil’équipageétaitagréable,letempsfilaitàlavitessedel’éclair.Nepasregardersamontreenétantaubureauvalaitunprixd’or.—C’estencourageant!J’espèrequej’apprécieraimonjobautantquetoidansdixans,répliquai-je

avecunsourireavantdem’éclipserpouraiderunpassageravecsonbagage.

***

Aider lespassagersàplacer leursbagagesàmaindanslescompartimentsn’estpasunetâchequim’importune.Jepréfèred’ailleursm’encharger,carjesaisrapidementoùlesmettrepournepastoutencombrer.Plusviteunbagageestrangé,plusvitelepassagerestassis,plusvitel’alléeestdégagée,plus vite les autres voyageurs prennent place et plus vite l’avion peut décoller. Mieux vaut êtreproactive.Vient ensuite le temps de refermer les compartiments et de m’assurer que tout est prêt pour le

décollage.Durantcettetournée,jenepeuxignoreraucunedemestâches,mêmecellesquejeneporteguèredansmoncœur,enl’occurrencelesbriefingsfaitsauxparentsaccompagnésd’unbébé!Il y a beaucoup d’agents de bord qui adorent les nourrissons, qui les cajolent et même qui les

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bécotent.Maismoi,ScarlettLambert,jeneporteaucunintérêtauxbébésdespassagers.Jelestrouvemignons,certes,saufquelesbébésdesautresnem’attirentpas.Jesuisprêteà lesentendrepleurerparobligation,maisdelàà jouerà l’hôtessedel’airsalvatricequidétientLEremèdepourcalmermonsieurbébé,nonmerci!Parcontre,commejesuisresponsabledelasécuritédetous,jemefaisundevoirdem’assurerque

bébéseraprêtpourledécollagedanslesbrasdemamanoudepapa.Cejour-là,commeàl’accoutumée,jem’avançaiversl’unedesfamillesquiavaientprisplacedans

l’avion.Jeregardailepèreetlamèredroitdanslesyeuxetleurdemandaisanschichis:— Bonjour, avez-vous reçu les instructions pour savoir comment tenir votre enfant lors du

décollageetdel’atterrissage?—Non,merépondirent-ils,peuattentifsàmaquestion.—D’accord, je vais vous expliquer comment faire, alors, affirmai-je, décidée à leur livrermon

discoursleplusrapidementpossible.Jemebaissaiàlahauteurdelamèrepournepasparlertropfort.Jememisàluifairemonexposé,

carc’étaitellequitenaitlepoupon.Jepriségalementbiensoindeparlerde«l’enfant»sansplusdeprécisions.Àmoinsqu’unnourrissonaitdesbouclesd’oreilles et soithabillé tout en rose, jen’aiaucunflairpourdéterminerlesexedesbébés.Ayantdéjàétécomplètementàcôtédelaplaque,jeneprendsdorénavantpluslerisquedemetromper.Unepetitefilles’appellemaintenantun«enfant».Unpetitgarss’appellemaintenantun«enfant».Pasdegenre.Pasdesexe.Toutlemondeestcontent.—Premièrement,vousnedevezpasattachervotrebébéaveclaceinturedesécurité.C’estàvousde

tenirvotreenfant.La femmeme regardait tranquillement.Le bébé aussi était calme et bavait à peine.Mêmepas de

pleurs.Jusque-là,toutallaitbien.—Vousdevezletenirdansvosbras,contrevotrecorps,sonvisageversvous,lesjambesdechaque

côtédevotrebuste,danslapositiondurot,ajoutai-je.Àcetinstant,sanscriergare,lafemmeouvritsonchemisieretsortitsongrosseinmoelleuxrempli

delait.Commej’étaisaccroupieàlahauteurdesapoitrine,jevisparfaitementlemamelonbrunprêtà accueillir la bouchedubébé qui, pourtant, n’avait pas encore chigné pour demander à boire.Lafemmecontinuaitàmeregarderdanslesyeuxtoutenpointantmachinalementsonénormeloloverslabouchedesonenfant.Gênée,jetâchaidereprendremondiscourscommesiderienn’était.«Ilnemeresteplusquequelquesphrases»,medis-je.—Si,parmalchance,unedécompressionsurvenait,desmasquesàoxygènetomberaientau-dessus

devossièges…Lebébécommençaàtéterenproduisantunfortbruitdesuccion.Jepouvaisentendrelefiletdelait

pénétrerdanssaminusculeboucheécarlatedenourrissonet j’avaisunmalfouànepasposermesyeuxsurleseindecettefemme.Lebébésuçaitàlaperfection,maislamèrenesemblaitpassatisfaite.Elleenlevaalorssontétondelabouchedel’enfant.J’avaismaintenantunevuepanoramiquesursonmamelonhumide.Jepoursuivismonproposàlahâte:—…Donc,s’ilyavaitunedécompression,vousdevriezmettrevotremasqueenpremieretensuite

aidervotreenfant.J’avais presque terminé. Plus qu’une explication et je pourrais m’enfuir à tout jamais. Je me

préparais à clore mon exposé quand mes yeux se posèrent encore une fois sur cette extrémitémammaire humide. Mon regard oscillait entre les yeux de la mère et son sein qu’elle tripotait.J’espéraisqu’ellecomprendraitqu’unsein toutmouillémedérangeaitetqu’elleaurait trèsbienpupatienteraulieudemelefairejaillirenpleinefigure.Jeconclusavecundébitaccéléré:

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—Pourterminer,latableàlangerestsituéedanslestoilettesarrière.Jevousdemandedejeterlacouchedanslapoubelleplacéeàcôtédulavaboetnondanslacuvette.Merci!Quelsoulagement!Jepouvaismaintenantpartiretneplusrevenir.Jemerelevaiavecl’impression

que la mère voulait me rendre mal à l’aise. J’étais peut-être paranoïaque, mais n’empêche qu’aumomentoù jem’étais redressée ellen’avait pashésitéune seconde à rebrancher la bouchede sonbébé sur sa tétine dégoulinante de lait frais.C’en était trop. «La prochaine fois,medis-je tout ensachantque jen’oserais jamais le faire, je leurdiraidepatienterunecourteetmodesteminuteparrespectpourmesyeux!»L’allaitementnem’avaitjamaisautantoffusquée.Ilfaudraitdesjoursàmesrétinespours’enremettre…Jeme dirigeai versmon strapontin. J’étais encore sous le choc lorsque j’entendis l’annonce du

commandantauxpassagers.—Bonjour,mesdamesetmessieurs,monnomestJohnRossetjeseraivotrecommandantdebord

aujourd’hui.JeseraiassistéparlecommandantensecondPhilippeBurns.Aunomdetoutl’équipage,jevoussouhaitelabienvenueàborddecevolVéoAir322àdestinationdeNantes.Letempsdevolaujourd’huiestdesixheuresetdixminutes,àunealtitudedecroisièrede37000pieds.JusteavantladescenteversNantes, jevous reviendrai avec les conditionsmétéorologiques.D’ici là, profitezdutrèsbonserviceàbord.Mercietbonvol!Avais-jebienentendu?Lecommandantquim’avaittantintriguéequelquesmoisauparavantpilotait

l’aviondanslequeljemetrouvais?Commentavais-jepunepasleremarquer?Jemesouvinsalorsquelespilotesnes’étaientpasprésentésdirectementàl’équipagecejour-là.C’étaitchosecourante.Ilarrivait souvent, pourdes raisonsd’efficacité, que lebriefing du commandant ne soit donnéqu’audirecteur de vol pour être ensuite partagé avec le reste de l’équipage. Je n’appréciais guère cetteprocédure,désirant toutdemêmevoir levisagedeceluiqui tenaitmavieentresesmains,mais jel’acceptais,carjesavaiscombienundécollageàl’heurepouvaitnousépargnerbiendesennuis.Brusquement, j’oubliai ma mésaventure avec la femme au gros mamelon. Mon attention était

désormaisdirigéeversquelqu’und’autre:mondiscretcommandant.Paréeaudécollage,jem’assissurmonstrapontin, le sourireaux lèvres, impatientede revoirceluiquiavait faitbattremoncœursansmêmes’enapercevoir.«Peut-êtrequ’ilmeremarquera,cettefois-ci»,mepris-jeàespérer.

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E

Chapitre6

NantesdeadheadParis(NTEdhCDG)

nsortantdel’avion,jemontaiaveclerestedel’équipagedansunautobusprivéquiallaitnousconduireàlagareafindeprendreunTGVpourParis.Jepusvoirpourladeuxièmefoisdema

vieceluiquimecaptivait tant. Jene l’avaispasaperçucettenuit-là,car ilmesemblaitqu’iln’étaitsortiducockpitqu’uneseulefoispourallerauxtoilettes.J’étaisalorsàl’arrièreavecBéaàrangerdes chariots. En entendant la sonnerie unique caractéristique d’un appel du poste de pilotage, jem’étaisdoutéequel’undespilotesallaitfairesonentréedanslacabine.Maisjemevoyaismalcessertouteactivitéetcourirversl’avantpourvérifiersic’étaitbienmoncommandantquisortaitdupostepourfaireunbrindejasetteàl’équipage.SurtoutqueBéaignoraitencorequej’étaisfascinéeparl’undeces«prétentieux»pilotes.Elleauraitsansdouteridel’ironiedusortetm’auraitrappelémadureopinion sur eux. J’avais donc décidé de demeurer à l’arrière pour vaquer à mes occupations.Inévitablement,j’allaisvoirJohnaprèslevol.Ilmesuffisaitd’userd’unpeudepatience.Nous étions maintenant tous assis tranquilles dans l’autobus. Étrangement, les pilotes nous

accompagnaientjusqu’àParis.Biensouvent,unefoisàdestination,lespilotesetlerestedel’équipageseséparent.Moncommandant,parexemple,aurait trèsbienpupasser lanuitàNantessansnousetrejoindresonlieud’affectationlelendemain.Maisàmongrandplaisir,cen’étaitpaslecascejour-là.Parcontre,Johnetsonpremierofficiern’effectueraientpaslemêmevolderetourquemoiversMontréal.IlsserendraientplutôtàTorontoaccompagnésd’unautreéquipage.J’étaistoutdemêmeheureuse,carj’auraispeut-êtrel’occasiondeluiparler.Unefoisàlagare,nousnousdirigeâmestousensembleverslewagondenotretrain.Jem’assisà

droitede John,de l’autre côtéde l’allée.Béaparlaquelquesminutes avec lepremierofficierpuiss’assoupit. Elle semblait le connaître. Ça pourrait m’être utile. D’autres membres d’équipagebavardaientdiscrètementpendantque,moi,j’observaismonvoisinducoindel’œil.Ilregardaitparla vitre les terres verdoyantes défiler au loin. Je trouvais étrange qu’ilme plaise autant, car il necorrespondaitpasàmonidéal.Riendetoutcelanetournaitrond.Oùétaitpasséemonattirancepourles grands bruns bien bâtis et bavards ? Aux oubliettes, certainement, car John était discret etsilencieux.Sescheveuxétaientchâtainclairetiln’étaitnitrèsgrandnitrèsmusclé,maisildégageaitunevirilité impossibleà ignorer.Sesmainsétaientmassives, fortesetpuissantes.Mon imaginationfaisaitdéjàdessiennes.Sonregardétaitnoiretprofond,maisdoux.Saprestanceetsoncharisme,quej’étais peut-être la seule à percevoir, m’envoûtaient. Il devait être dans la trentaine avancée. Jefantasmaissurunhomme.Unvrai.Ilavaitl’aircrevéetilnem’avaitmêmepasremarquée.Pourtoutdire,nousn’avionséchangéniun

sourire ni même un regard depuis que je l’avais aperçu pour la première fois au Costa Rica.Décidément,jen’avaisaucunmoyendeluiparler.Ilétaittempsdedormir.«UnefoisàParis,medis-je,jenelaisseraipasmachancemeglissersifacilemententrelesdoigts.»

***

Comme d’habitude, un chauffeur nous attendait à notre arrivée à la gare Montparnasse. Nousmontâmes dans un nouveau bus, tous impatients de parvenir enfin à notre hôtel. Je me réveillaibrusquementlorsquelebuss’immobilisasurlequaidesGrands-Augustins,l’unedesrueslongeantla

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Seine.Lafatiguem’avaitemportéeàmoninsu.J’étaispourtantrestéeassisebiendroite,maismatêtes’étaitposée sur le rebordde lavitre et j’avais sentimabouche s’entrouvrir légèrement.Ma joue,mouléedanslecoindelafenêtre,avaitdécidéd’épouserjoyeusementcetteforme.Unelargemarquecreusaitmapommette.«Trèsglamourqued’êtrehôtessedel’air.Oui,trèsglamour»,medis-je.Ilfautdirequ’avantd’êtredansl’aviationjeneconnaissaispasl’épuisement.J’avaisbiensûrdéjà

passé des nuits blanches à faire la fête avec des amis,mais ce n’était pas de la fatigue, loin de là.Aprèsunvol,etsurtoutunvoldenuit,jepeuxm’endormirenunclaquementdedoigts.Jen’aimêmepasbesoind’unlitnid’unoreiller.Seulementd’unappui.Êtreagentdebord,c’estaccepterd’êtresifatiguéquelorsqu’onestsecouéonneseréveillemême

pas.Souvent,l’équipagesedonnerendez-vouspourlesouper.Sanssurprise,certainsneseprésententtoutsimplementpasaupointderencontre.Nonqu’ilsnedésirentpasnousvoirniqu’ilsneveulentpasmanger,c’estseulementqu’ilsontpassétoutdroit,lafatiguelesayantemportés.Toutenm’évertuantàeffacercetteprofondeempreintedecoindevitresurmajoue, jepensaisà

unemanigancepourapprochermonpilote.Johnétaitaucomptoirdel’hôtelavecledirecteurdevolet l’aidait à récupérer les clés des chambres. Je vis alors Béa qui jasait encore avec Philippe, lepremierofficier.Jem’avançaiverseuxpourécouterlaconversation.Soudain,machanceseprésentasansquejel’aieprovoquée.—Vousprévoyezallermangerquelquepartcesoir?demandaPhilippeàmacraquanteBéa.—Ehbien,jenesaispas,dit-elle,incertainedecequ’elledevaitrépondre.Sachant très bien qu’elle et moi mangerions ensemble et présumant que je ne souhaitais

probablementpasdégustermonrepasavecun«prétentieux»pilote,elleposason regardsurmoidans l’espoir de lire une réponse sur mon expression faciale. J’acquiesçai alors d’un aircomplètement détendu. Surprise et incrédule devant ma soudaine ouverture d’esprit, Béame posadirectementlaquestion:—Qu’est-cequ’onfaitcesoir,Scarlett?Ellem’adressaunsourireétrange,l’airdedire:«Tuchoisis,maisj’aimeraisvraimentqu’ilvienne

parcequ’ilm’intéressecelui-là.»— Eh bien, oui, on pourrait aller souper ensemble, dis-je. Le commandant viendrait aussi, je

suppose?m’empressai-jededemanderinnocemmentaupremierofficier.—Biensûr,nousavonsdéjàconvenudenousretrouververs18heuresdanslehall.Çavousva?—C’estparfaitpournous!affirmai-je.Onsevoità18heures,alors.Bonnesiesteetàtantôt!JemetournaiversBéapourm’assurerqueçaluiconvenait.Elleavaitl’airtrèsheureusequej’aie

acceptécetteproposition,mais jecomprisaussiàsonregardque je luidevaisdesexplicationssurmonrevirementsubit.Nousprîmeslesclésdenoschambresrespectivesetnousmontâmesdansl’ascenseur.—Qu’est-cequi t’a pris tout à l’heure,Scarlett ?m’interrogea-t-elle sur le tonde la confidence

pourquejeluidévoilemonsecret.—Tuvasriredemoisijeteledis!m’exclamai-jeenricanant.—Ben non, franchement ! Je ne suis pas dupe. Je sais que tu n’apprécies pas la compagnie des

pilotes,etlà,tuasacceptél’invitationenunriendetemps.Qu’est-cequisepasse?insista-t-elle.Jegardailesilence,cequiapeuraBéa.—Tun’aspasunœilsurPhilippe,parhasard?—Bennon!Jetelelaisse.C’estplutôtl’autrequimeplaît!déclarai-jeenfin.—Wô!Qu’est-cequi t’arrive?Tuesdevenue folleouquoi?Toi,unpilote !Suzie, sorsdece

corps!blaguaBéa.

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Elle n’en croyait pas ses oreilles. Moi, Scarlett, m’intéresser à un commandant ? Étais-jesoudainement possédée par Suzie, la mangeuse de pilotes ? Béa se bidonnait. Ma confession laravissait, c’était le moins qu’on puisse dire. La porte de l’ascenseur s’ouvrit sur mon étage. Jem’empressaialorsdeclorelesujet:—Écoute,Béa,jeneleconnaispasetjeneluiaimêmepasencoreadressélaparole.Ilmeplaîtet

jenesaispastroppourquoi,alorsjetedemanderaisdenepasfaireallusioncesoiràcequejeviensdetedire.Onpasseunebellesoiréeetonverracommentleschosesvonttourner.Peut-êtrequ’aprèstroismotsilnemeplairamêmeplus.OK?—Bien sûr, Scarlett, je garde ça pourmoi. Je ne vais tout demême pas gâcher l’une des rares

occasionsoùunhommeteplaît,merassura-t-elle.Vafairetasieste.Toutvabiensepasser.Àtoutàl’heure!Jelaremerciaietrejoignismachambreaussitôt.Lorsquej’yentrai,l’airconditionnéétaitaumaximum.Étantdéjàgeléejusqu’auxosàcausedela

fatigueetde l’air froidde l’avion, je lebaissai auplusvite.Puis, commeaprèschaquevol, jemepréparaipourladouche.Jejetaimesvalisessurlebureauetsurleporte-bagagesquisetrouvaitprèsdumur.Jeprisbiensoindenerienmettreausolmisàpartmestalonshauts.Cetapispouvaitbiensemblerpropre,maisilnel’étaitprobablementpas.J’enlevaiensuitemonuniformeetl’accrochaisuruncintreafinqu’ilnesefroissepas.Jesautaisousladouche.L’eauchaudemefitleplusgrandbien.Jememisalorsàpenser,avecle

peud’énergiequ’ilmerestait,àlasoiréequejem’apprêtaisàvivre.J’avaishâtedeparleràJohnetd’ensavoirdavantageàsonsujet.Jesongeaiàcettesoiréejusqu’aumomentdememettreaulit.Jefermai les rideaux afin d’empêcher la lumière éblouissante du jour parisien d’entrer dans machambre et réglai le réveil de mon iPhone pour 16 heures. Dormir quatre heures me semblaitraisonnable,carplusjerestaiscouchée,plusilm’étaitdifficiledemerendormirensuitepourlanuit.Confortablementbordéeparlesdrapsblancsdulit,jesombraidansunprofondsommeil.

***

—Coin-coin!Coin-coin!Coin-coin!Lepetitcanardmeréveilla.Commentnepasouvrir lesyeuxenentendantune telle sonnerie? Je

n’avaispaslechoixderéglermonréveilenmode«canard»,parcequ’unedouceharpenem’auraitmêmepasfaitbroncher.—Allez,lève-toi,medis-jetouthaut.De peine et demisère, je sortismes jambes lourdes du lit. Jeme sentais commedroguée par la

fatigue. Par contre, je savais qu’après ma demi-heure de jogging je retrouverais toute l’énergienécessaire pour profiter de la soirée. Je m’habillai rapidement pour entreprendre ma routineparisienne.Je me souviendrai toujours de mon entrevue d’embauche chez VéoAir, durant laquelle

l’intervieweurm’ademandépourquoijedésiraisdeveniragentedebord.Parmitouteslesréponsesquejeluiaidonnées,l’uned’ellesaétéquejen’aimaispaslaroutine.Cemétierétaitassurémentfaitpourmoi.Pourtant, toutêtrehumain,aussivolagequ’il soit, abesoind’une routine.Notrecorps l’exigeau

boutd’unmoment.ÀRome,j’aimaroutine,àVancouveraussi.ÀPariségalement.Jel’apprécie.Jelademande.Etc’estpourçaque,normalement,nousconservons lesmêmeshôtelsd’équipage.Ainsi,nouspouvonsnoussentir,d’unecertainefaçon,àlamaison.Ce jour-là ne faisait pas exception. Notre hôtel étant situé dans l’un des plus beaux quartiers

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parisiens,Saint-Germain-des-Prés,jenepouvaispasm’enplaindre.JepartisjoggersurleborddelaSeine.Béanem’accompagnaitpas.Ellepréféraitleyoga.Quelquesminutessuffirentàmerevigorer.À mon retour, je sautai à nouveau sous la douche et, après m’être habillée confortablement, jedescendisdanslehalldel’hôteletdégustaiunexpresso.Jepartisensuitedéambulerdanslesruellesavoisinantes pour faire mes courses. Je n’avais qu’une heure devant moi, il me fallait donc êtreefficace.JepassaifaireuntouràlalibrairieTaschensurlaruedeBuci.J’adoreleursbouquins,carcertainscontiennent lesœuvresdesplusgrandsphotographesenformatgéant.D’autresportentsurdesthèmesaussiinsolitesquelesgrossespoitrines.Unarrêtétaitdoncobligatoire.Je me dirigeai ensuite vers quelques-unes de mes boutiques favorites pour voir s’il y avait de

nouveauxarrivages.Jedénichaidejolispantalonsaustylebohèmeàtrèsbonprix.EnpassantsurleboulevardSaint-Germain,j’admirail’églisequisetrouvaitàmadroite.Puisjemeperdisuninstantdanslesruestransversalesavantdemerendreàl’épicerie.Jepassaidevantlaboutiquedessucculentsmacarons Ladurée sur la rue Bonaparte. À voir la file d’attente, je n’eus d’autre choix que depoursuivremarouteetjegagnaileMonoprixafindemeprocurerunesaladepourlevolderetour.J’enprofitaipourm’acheterdesdélicieuxyogourtsetquelquesfromagesfrançais.Enattendantàlacaisse,jeregardaimamontre.Ilétait17h30.Jedevaisviteretourneràl’hôtel;ilnefallaitsurtoutpasquejeratemonrendez-vous.

***

Aprèsavoirdéposémanourrituredanslemini-réfrigérateurdemachambre,j’enfilairapidementmon nouveau pantalon bouffant. Il avait été confectionné dans un tissu léger et soyeux, et surl’étiquette était inscrit FABRIQUÉ EN FRANCE. Voilà l’une des raisons pour lesquelles j’avaisprécisémentoptépourcemodèle-là.Ilmedonnaitaussiunlookàlafoisdécontractéetstylécommejel’aimais.Jel’agençaiavecmont-shirtpasse-partout.Jejetaiensuiteunderniercoupd’œilàmonrefletdanslemiroirafindem’assurerquemapromenadenem’avaitpasébouriffélescheveux.Toutétaitparfait.Jemesentaismoi-mêmeetc’étaitl’important.Jedescendisalorsdanslehall.Àmonarrivée,Béaétaitdéjàlà,assisesurunsofableuciel.Ellesemblaitenvoûtéeparlesparoles

desonbeaupilotePhilippequidiscutaitavecJohn.Jem’avançaiavecunsouriretimide.—Allo,vousautres!Biendormi?demandai-jeinstinctivement.Jenem’attendaispasàuneréponsedétailléedeleurpart,carposercettequestionàunagentdebord

ouàunpiloterevientà leurdemander le traditionnel«Çava?»dontpersonnenesesouciede laréponse.—Oui,bien.Toi?dirent-ilsàl’unisson.— Oui, merci ! répondis-je machinalement. En passant, je m’appelle Scarlett, ajoutai-je en

regardantlepremierofficieretlecommandant.—Salut,Scarlett.Moi,c’estPhilippe.JemetournaialorsversJohnpourqu’ilseprésenteàsontour.—Moi,c’estJohn.Enchanté,Scarlett,medit-ilavecleplusbeaudessouriresqu’ilm’aitétédonné

devoir.—Oùavez-vousprévuallermanger?demandai-jeaupremierofficier,tropgênéepourm’adresser

aucommandant.—Onavaitpenséallerdansunrestoquejeconnaisbien.C’esttrèsbonetilyauneterrasse.—C’estvraiqu’uneterrasseseraitcoolavecletempsqu’ilfait,remarquai-je.—Parfait,alors.Allons-y!déclaraPhilippe.Nouslesuivîmessansrienajouter.Pourévitertoutproblème,unleaderdevaitprendreleschoses

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enmains.Combiende fois nous étions-nousdonné rendez-vouspourmanger tous ensemble avantquel’équipagefinisseparsediviserouvisiterplusieursadressesafindesatisfairetoutlegroupe?Ducoup,lorsquel’undenousaffirmaitconnaîtreunresto,personnenes’aventuraitàlecontrediretant qu’il maintenait ses convictions. Comme un troupeau de moutons, nous le suivions vers ladestinationsuggérée.Parcontre,s’ilfallaitqu’ilsemetteàdouterdesonchoixd’établissementpourplaireàtoutlemonde,alorslàlechaoss’installaitaussitôt.«Benlà,c’estencorelointonresto?»«Moi, jeconnaisunendroitpascher.»«J’auraisaimémangerdelapaella.»«Honnêtement,destapas,çanemetentepastrop.»Lesdoutesvenaientsemerlapaniqueet,commedansunavion,celle-ciétaitcontagieuse.Heureusement, ce n’était pas le cas ce jour-là. Tout allait pour le mieux, car notre leader avait

confianceensescapacitésdeguideculinaire.Uneconfianceexagérée,commecelled’unpilote.Ah!Maistiensdonc,c’estqu’ilétaitpilote,voilàpourquoi!Tandisquenousnousdirigionsvers lerestaurant,deuxgroupesseformèrentnaturellement.L’un

étaitformédeBéaetPhilippe,etl’autre,deJohnetmoi.EnmarchantsurleboulevardSaint-Michel,je remarquaique John s’était placéducôtéde la rue. Jene savaispas s’il l’avait fait exprès,maisj’appréciaiscettegalanterie.Béaétait à l’avantavec lepremierofficier.Nous les suivionsdeprès,maisjenepouvaispasentendreleurconversation.Johnetmoinousmîmesàparlerdetoutetderien.Ladiscussionétaitamicale.Jeluiposaimaquestionbrise-glacefavorite:—Çafaitlongtempsquetuesdanslacompagnie?—Dixansdéjà,ettoi?—Troisans.Jetrouveaussiqueletempsapassévite.TufaisaisquoiavantVéoAir?lerelançai-je

avecmadeuxièmequestionbrise-glace.Tout lemonde a un passé et j’ai toujours été intriguée par celui demes pairs. Certains ont des

enfants,une famille,etpuisun jour, réalisantqu’ilsont toujoursvouluêtreagentsdebord, ilsontpostulé.D’autresontétéinfirmiers.Fatiguésdusystèmedesanté,ilsontdécidédeprofiterdelavietout en prenant soin des autres. Parmi mes collègues, il y a aussi une styliste et une championnesportivecanadienne.Lesagentsdebordsont issusdemilieuxplusdifférents lesunsquelesautres.Plusieursontdesdiplômesuniversitairesendroit,enadministrationouenenseignementettravaillentdansl’aviationparchoix.Peut-êtrelespassagersposeraient-ilsunregarddifférentsurnouss’ilslesavaient…Pourlespilotes,avantVéoAir,laplupartavaientvoléloindanslatoundra,làoùiln’existequedes

caribousetquelquesarbresrabougris.D’autresavaientpilotédesjetsprivéspourderichesclientsenpaysétrangers.Ilyavaitaussilesretraitésdel’arméequi,poursetenirenforme,volaientmaintenantàtempspleinsurnosailes.Qu’enétait-ildeJohn?—Ehbien,j’étaisdansleNord,medit-il.J’aipassédesannéesàpiloterpourunepetitecompagnie

là-bas. J’accompagnais souvent des géologues qui devaient analyser la composition du sol. Ensurvolantlesterres,ilspouvaient,avecleurmachine,savoirsiellescontenaientdel’orouunautremétal.Moi,jevolais,c’estcequim’importait.Jen’avaisjamaisentenduparlerdecettetechnique.Bienquetoutçasoitinstructif,jenedésiraispas

vraimentenapprendredavantagesurlesujet.Jesouhaitaisplutôtensavoirplussurlui,sursavie.—Intéressant.Tupassaiscombiendetempsperdudanslesbois?Tudevaistrouverletempslong…— Je restais trois mois là-bas et, ensuite, je rentrais deux semaines chez moi pour retrouver

l’espècehumaine.Aprèstroismois,j’avaisbesoindevoirdumonde,desfemmes,jenepeuxpaslecacher.Malgré tout, j’adoraisvolerdans leNord.C’était le calmeplat.La saintepaix.Rienque lehurlementdesloups.Çan’avaitpasdeprix.

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En l’écoutant, je m’imprégnais de ses mots et de ses pensées. Étant originaire des Laurentides,j’adoraismoiaussilanature.D’ailleurs,jemedemandaisd’oùilvenait.—Ross,c’estdequellerégion,ça?—D’Irlande.Monpèreestirlandaisetmamèreestquébécoise.—Ah!C’estpourça,tonpetitaccent?—Àpeineperceptible,non?dit-il,visiblementfierdebienparlerlefrançais.—Oh!Oui!Tuparlestrèsbien!J’espèrequejenet’aipasinsulté,répliquai-je,inquiète.—Justeunpeu!blagua-t-ilenaffichantunsouriredésarmant.L’entendre parler me confirmait tranquillement le bien-fondé de mon attirance inexpliquée.

J’espérais tellement que rien ne clocherait d’ici à la fin de la soirée, car pour une fois quelqu’unm’intéressait.—Scarlett,çavientd’où,ça?merelança-t-il.—D’unemoderidiculedesannées80!—Jenecomprendspas…—Justement,moinonplus!ris-jeavantd’apporterplusd’explications.Mamèreestquébécoiseet

elleneparlepas l’anglais.Monpèrenonplus.Malgréça, ilsontdécidédemedonnerunprénomanglophonepourfaire«international»!Sérieusement,qu’est-ceque«Scarlett»peutbienfaireavec«Lambert»?C’estunhorribleagencementdeprénometdenomdefamille.Tunetrouvespas?—Euh ! J’aimebien«Scarlett » et «Lambert » aussi.Mais ensemble, tu as raison, cen’est pas

l’idéal.—C’estça!C’esthorrible!—Etc’estunemode,ça?—Jenesaispaspourquoi,maisdesJohnnyDrouinetdesKevinPomerleau,j’enavaispleindans

mesclassesdeprimaire.Lesgensdevraientréfléchirunpeuplusavantdenommerleursenfants!—Wow !Tu es véritablement révoltée !En tout cas, tu es devenue internationale,mademoiselle

Scarlettl’hôtessedel’air,m’annonça-t-ilavecunéclatderire.—C’estvrai!Mercidem’encourager,monsieurlepilote!fis-jeavantderougirdegêne.Aprèsseulementquelquesminutesdemarche,nousarrivâmesdevantunrestaurantnomméLePré

Verre.Nousnous installâmesà la terrasse.Béa s’assitdevantmoi,Philippeàmescôtéset Johnenfacedelui,dansmadiagonale.Nouscommandâmesd’abordunebouteilledevinrougesuggéréeparnotreserveur.Aprèsquelquesgorgées,jemedégênaienfin.Jen’avaispasàêtretimide,d’autantqu’iln’yavaiteuaucunrapprochement.Jen’arrivaispasàsavoirsil’attiranceétaitréciproque.JevoyaisbienqueBéaplaisaitàPhilippe,maisàl’inverseJohnnem’avaitdonnéaucunsigneprécis,bienquejesentaisquelachimieétaitlà.Pendantlesouper,sanssurprise,nousparlâmesd’avions,depassagersetdepotinsconcernantnos

collègues. John riait avec nousmais demeurait discret, n’intervenant que pour donner son avis ouajouter une information pertinente. À unmoment donné, peut-être en raison de notre trop grandeconsommationd’alcool,laconversationbifurquaversuneautredirection:ledémondemidi.— Est-ce que c’est vrai que les hommes commencent à vouloir aller voir ailleurs lorsqu’ils

approchent de la quarantaine ? demanda Béa dans le but évident de tâter le terrain auprès de sonPhilippe.— Euh, John pourrait peut-être vous en parler ? rétorqua le premier officier pour esquiver la

question.De toute façon, nous apprendrions plus tard que Philippe n’avait que trente-quatre ans et était

célibataire, alors comment aurait-il pu répondre ?Wô là !Un petit instant ! Si Philippe refilait la

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question à John, est-ce que ça voulait dire que ce dernier était en couple ? Jem’alarmai.Déjà, jesentaisladéceptionm’envahir.J’allaisavoirmaréponseincessamment.—Ah!Ledémondemidi!Ehbien,j’aitrente-neufanset,curieusement,plusjemerapprochede

quarante,plusj’ail’impressionquejepensedifféremment,affirmaJohn.Je venais d’apprendre son âge, et selon moi, vu sa belle gueule, il était impossible qu’il soit

célibataire.Jedevaisenavoirlecœurnet.—Etçafaitlongtempsquetuesavectablonde?luidemandai-jesansretenue.«Voilà,d’iciuneseconde,j’auraitouslesdétailsdesavie»,pensai-je.—Huitans.Cen’estpastantmafemmenimesenfantsquimefontvivrecefameuxdémondemidi.

C’estplutôtunmélangedetoutcequisepassedansmavie,nousconfiaJohnnaturellement.Jevoulaism’évanouir.Unefemme?Maisoùétaitpasséesonalliance?Peut-êtrenelaportait-ilpas

parpeurdelaperdre?Peuimporte,toutl’intérêtquejetémoignaisàmonbeaucommandantn’avaitd’autre choix que de disparaître immédiatement. Non seulement il était en couple depuis huit ans,mais il venait dementionner qu’il avait des enfants. Des enfants ! Pas un,mais DES enfants ! Le«des»évoquantofficiellementlepluriel,Johnenavaitdoncaumoinsdeux.Possiblementplus!Ledésastre!Commentavais-jepum’intéresserautantàunhommedontjeneconnaissaisrienetqui,desurcroît, étaitunpilote?Malheureusement, l’attirancenes’expliquantpas, jenepouvaisnullementm’envouloird’avoirétéséduiteparlui.Jeseraisdéçueunejournéeoudeuxet,ensuite,jepasseraisàautrechose.Enfin,c’estcequej’espérais.J’avais soudainement le goût de retourner à l’hôtel, mais Béa, après m’avoir jeté un regard

chagriné,entrepritdesoutireràJohnunquelconqueaveud’infidélitépourrestaurermonhumeur.Meconnaissant,elleauraitdûsavoirquetoutesmesespérancesétaientmaintenantanéantiesetque,mêmes’ilétaitprêtàbatifoler,jenem’embarqueraisjamaisdansunetelleaventure.Néanmoins,ellelançaavecladéterminationd’unSherlockHolmes:— À ce qu’on dit, le démon de midi n’a rien à voir avec le fait de penser différemment. Les

hommesveulent toutsimplementcourir lagalipetteavecdes fillesplus jeunes. Ilsveulentsauter laclôture,voilàtout!Pastoi,John?—Euh,lacrisedelaquarantainepeutimpliquerundésird’allervoirailleurs,maispasforcément.

Enfait,pourmapart,jeremetsbeaucoupdechosesencause.J’ail’impressionquejen’enaipasfaitsuffisamment dans le passé et je veux seulement que les prochaines années s’écoulent autrement.Certainssouhaitentseremettreenformeous’adonneràdesactivitésquileurplaisent.Mettonsqu’encequimeconcernejeveuxpenserplusàmoi,affirma-t-ilsincèrement.J’appréciaissonhonnêteté.Iln’avaitpasesquivélaquestion,carildevaitsedouterqueBéaetmoi

allionsfouinerdavantages’ilnedisaitrien.Etiln’avaitpastort.Nousétionsagentesdebord,ilnefallaitpas l’oublier.Entremembresd’équipage,nousabordions souventdes sujets trèspersonnels.Nousétions,enquelquesorte,unegrandefamille.Seulbémol:cettefamillenegardaitrienpourelle.Ellerépétaittoutaussitôtl’avionatterri.Entoutcas,Johnn’avaitrienconfiédetrèsjuteux.Toutallaitdoncresterbientapisouscettetableparisienne.Etpuisiln’avaitrienditdecompromettantàproposdel’infidélité.J’enétaissatisfaite.Aumoins,j’avaiseulebéguinpourungarscorrect.LaconversationfutpriseenchargeparPhilippe,soudaindécidéànousfairepartdesonavis.—Eh bien,moi, je crois qu’aller voir ailleurs de temps en temps peut sauver bien des couples,

déclara-t-il,letorsegonflé.J’aidéjàtrompémonex-blonde,etquandjeleluiaidit,elleacomprisparce que ça avait positivement joué surmon humeur.Une fois par-ci par-là, ça ne fait demal àpersonne.Je ne pouvais pas en croiremes oreilles. Voilà que Pilote-salopard voulait nous convaincre des

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effetspositifsdel’adultère.Sic’étaitsonopinion,iln’étaitpasfaitpourBéa,carellecroyaittoutdemêmeà la fidélité.Elleme regarda, indifférenteà sespropos. Jecomprisqu’ellevenaitdeclasserPhilippe au rang de ses nombreuses conquêtes nocturnes. Une nuit en valait peut-être la peine.Maximumdeux.Jenepusm’empêcherd’attiserlefeulégèrement:—Enpassant,tun’esplusavecelle!(«Idiot!»)Alorsjenevoispascommenttupeuxaffirmerque

tromper l’êtreaiméà l’occasionsauvedescouples.Etpuis, tuaspenséàsonhumeuràelleen luiavouant ton infidélité ? Au lieu de te demander ce qui ne fonctionnait pas entre vous deux, tu aspréférémettreleproblèmesurlecomptedetalibido.C’estvraimentlâchedetapart.Décidément, ce débat n’allait pas améliorer la soirée. Je regardai notre serveur et lui demandai

l’addition. Jevoulaisdéguerpir auplusvite. Je laissaiPilote-salopard se justifierpendantquelquesminutes. Béa ne cherchait pas à en rajouter. John, pour sa part, écoutait son premier officier etrigolait avec lui de sa philosophie libertine. Je comprenais bien le regard qu’il posait sur lui. Iln’adhéraitpasàsaconceptiondesrelationsamoureuses,maiscommePhilippes’exprimaitavecuneassuranceetuneconfiancedémesurées,çal’amusait.Sonpremierofficieragissaitenquelquesortecommelegarsquidétailleseshistoiresdeculdansunvestiairedehockeypour impressionner lesautresjoueurs.C’étaitdivertissant,maisstupide.Machambred’hôtelm’attendait.Lorsquel’additionarriva,JohnsechargeadepayerlesbouteillesdevinavecPhilippe.Cefuttrès

apprécié,carbienquelespilotesgagnentlargementplusquelesagentsdebord,ilsn’offrentquetrèsrarement le vin. Ce soir, pilote n’était pas synonyme de radin. Nous nous dirigeâmes alors versl’hôtel.Malgré tout, j’aurais aimé prolongerma soirée avec John,même si aucun rapprochementn’étaitpossible.Sonénergiem’hypnotisait.Àmongranddésespoir…Quandnousparvînmesdevantlaportedel’hôtel,PhilippeproposademarcherprèsdelaSeine.«Si

Johny va, j’irai », pensai-je.Hélas, il refusa, préférant retourner à sa chambre afin de se reposerpourlevoldulendemain.N’ayantplusd’intérêtpourcettepromenadeauborddel’eau, jedéclinaiégalementl’invitationetjelaissaiBéadanslesbrasdePilote-salopard.Je pénétrai dans le hall de l’hôtel en m’assurant bien de devancer John de quelques pieds pour

montrermondésintérêtàsonégard.Jefilaidirectementverslesascenseursenm’imaginantqu’ilmesuivrait.Maissachambreétantsituéedansuneailedifférentedubâtiment,cenepouvaitêtrelecas.Jel’entendisalorsmesouhaiterbonnenuitdesavoixfermeetenvoûtante.Incapablederépondrequoiquecesoit,jenedisrien.Ducoindel’œil,jepusvoirsasilhouettefigéederrièremoidansl’attented’un « bonne nuit » réciproque. Devant mon silence, il finit par tourner les talons. À cet instant,sachantquejen’auraispasl’occasiondevoleravecluilelendemain,j’imprimaidansmessouvenirscette ombre remplie de charme qui s’éloignait. Seul l’avenir me dirait si je la reverrais bientôt.Malgrémoi,j’espéraisquecejourviendrait,etvite.

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A

Chapitre7

Montréal(YUL)–Paris(CDG)–Québec(YQB)–Toronto(YYZ)–Barcelone(BCN)

yantététrèsoccupéeàvolertoutl’été, j’avaisenfouimonbéguinpourmoncommandantloindansmespenséeset jenem’attendaispasàcequ’ilresurgissedesitôt.Enseulementquelques

mois,j’avaisvoyagéaussiloinquelaTurquieetj’avaisvisitélesplusbellesvillesd’Europe.Avecunhorairedéfiniquimefaisaitpartirjusqu’àunesemaineentière,j’avaisperdulanotiondutempsetjefonctionnaismaintenant avec la bonne vieilleméthode des dates du calendrier pour planifiermessorties.—Tueslibresamediprochain?medemandaientmesamis.—Non,sic’estunsamedi,c’estcertainquejetravaille.—Alorsjeudiprochain?merelançaient-ils.—C’estquelledate,ça?Le19?Oui,jepensequejesuislibre.Etpuis,enregardantmonagenda,jeréalisaisquejerevenaisle19à18heures.Jeseraissûrement

trèsfatiguéeaprèsmonvol.Etcomme,desurcroît,unretardpouvaitsurvenir,jepréféraisfinalementnerienplanifier.Je n’avais pas revu Paule et Rachel, mes copines mamans, depuis notre dernière rencontre en

février.Ellesavaientbienorganiséunbarbecuedurantunchaudweek-enddejuillet,maisencoreunefoisjevolaisetjen’avaispufaireactedeprésence.J’étaisloind’enêtrepeinée.Quant à Béa, elle avait revu son pilote trois fois,mais avait ensuite cessé toute liaison lorsque,

durantunvol,unecollègueavait racontéqu’elles’était«amusée»avecuncertainPhilippeBurns,premierofficierdesonétat.Béan’avaitpas faitdescandale,maisnedésirantpasêtre l’hôtessedel’airno50surlalonguelistedesestrophées,elleavaitaussitôtcoupélespontsavecPilote-salopard.Jem’enétaisévidemmentréjouie.Rupert-porte-malheur, lui, nous fit rire tout l’été avec ses histoires rocambolesques.Un jour, un

passagermalade avait déversé tout son repas digéré sur sonbel uniforme en se dirigeant vers lestoilettes.Uneautrefois,Rupertavaitdûs’interposerentredeuxpassagèresfrustréesquiétaientprêtesàsebagarrerpourl’accoudoirqu’ellesnevoulaientpaspartager.Ilyavaitaussieucettesituationoùunhommeétaittellementsoûlqu’ils’étaittransforméenfouàlier.Lesprocédurespourprotégerlepostedepilotageavaientdoncétéappliquéesetl’avionavaitatterriàmi-parcoursenIslandepoursedébarrasserdupassagernuisible.Je ne pourrai jamais prouver scientifiquement que Rupert attire le malheur sur les avions qu’il

prend,mais jesuisconvaincuequ’ilenfutà l’origineence jourdumoisd’aoûtoù il fitpartiedemonéquipage.Quiplusest,moncharmantpiloteallaitêtretémoindenotremésaventure.

***

Pour moi, une valise en soute est synonyme de frustration constante. Après un vol, je suissuffisammentfatiguéepourm’offrirleluxedenepasattendrel’arrivéedemagrossevaliseauxcôtésdemespassagers.Évidemment,selonlesdestinations,lesagentsausolpeuvents’assurerderetirerenprioritélesbagagesdeséquipagesetnouslesrefilerenbasdel’escalieroudansunsecteurquinousestréservé,maiscommejen’aiaucuneenvied’angoisseraveclapertedemeseffetspersonnels(etçaarrive!),jepréfèren’emporterquemoncarry-onetleprendreavecmoiàborddel’avion.Cejour-

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là,j’avaisdoncconvenuavecRupertqu’ilferaitdemêmepourquenouspuissionsnoussuivrel’unl’autresansdevoirattendre.Naturellement,ilavaitrouspété.—Maisjevaisdevoirroulermonlingeetjenepourraipasemportermesdeuxpairesdejeans!—Benvoyons,Rupert,simoij’airéussiàcompressertousmesvêtements,tudoisbienêtrecapable

delefaireaussi!rétorquai-je.Etpuistun’asbesoinqued’unepairedejeans,pasdedeux!—Ouais,maislà,jenepourraimêmepasrapporterdesouvenirs!s’était-ilobstiné.—Faisdonccequetuveux,c’est toiquivasstressersi tuperdstavalise.Onnefaitpasjusteun

Parisdirect,cettesemaine,tulesais.Pourladeuxièmeportionducourrier,onpartdeQuébec,onfaitunstopàTorontoetensuiteonfileàBarcelone. Ilva falloirattendre tagrossevaliseàPearsonetl’enregistrerdenouveauaucomptoir.Etça,c’estsielleestlà!J’étais décidée à le convaincre de voyager léger pour son bien, le mien et celui de mon futur

équipage,carc’étaitconnu,Rupertperdaitsesvalises.Ilavaitcédéauboutd’unedemi-heure.Nous partîmes unmercredi soir, pour ne revenir à notre basemontréalaise que le lundi suivant.

C’était un périple de six jours qui comprenait plusieurs vols et qui nous faisait traverser l’océanAtlantiquequatrefois.Lesdétailsdesvols,jenelesconnaissaispasetjecomptaissurmescollèguespourmelesexpliquer.NiRupertnimoin’avionsimpriménotreitinéraireetjenesavaisdoncpasàcemoment-làquemoncherJohnRosss’ajouteraitàmonéquipage.Pour toutdire, nousn’étionsquequatre ànous suivre tout le longde ce courrier.Àchaquevol,

nousnousjoindrionsàdesagentsdeborddifférents,cequivoulaitdireque,pendantsixjours,nousdevrionsnousadapteràtoutessortesdepersonnalités.Aumoins,jeconnaissaisbienlesdeuxautrescollèguesquinousaccompagneraienttoutletempsetjesavaisqu’aucunproblèmenesurgiraitavecelles. Ilyavaitd’abordAnna,unebellebrune,gentilleetdélicatequin’élevait jamais le tonetquis’entendaitavectoutlemonde.EtilyavaitIshma,unejolieIndiennenemesurantpasplusque5piedset3pouces.Elleportaitdestalonstellementhautsqu’unsimplecoupdeventlafaisaittrébucher.Elleavait l’airdouce,maisne s’en laissaitpas imposer.Elle sepermettait toujoursdemedemanderdefermerlescompartimentsàbagagesàsaplace,carelleétaittroppetitepourlefaire,mêmeavecsestalons.Sijen’étaispasdanslecoin,elledevaitsautillerdrôlementpouryparvenir.QuantàRupert,lederniermembredenotrequatuor,cen’étaitcertainementpasluiquiallaitsemerlapagailledanslegroupe,carilétaitunfidèleserviteurdesespassagers.Lors de la première portion du courrier, nous effectuâmes un vol vers Paris. Nous y passâmes

quelquevingt-quatreheureset,dèslelendemain,nousretraversâmesl’AtlantiqueendirectiondelavilledeQuébec.Jusque-là,touts’étaitbienpasséetRupert-porte-malheurétaitrestésagementblottidanssacachette.C’étaitinespéré,maisçan’allaitpasdurerlongtemps.Aulendemaindenotrearrivéedanslacapitalenationale,ilnousfallaitdéjàrepartir.Nousdevions

quitter l’hôtelà15heuresafindegagner l’aéroport.Le téléphonesonnacommeprévuà14heuresdansmachambrepourmeréveiller.Lavoixenregistréeannonça:—Bonjour,icivotreréveil.Hello,thisisyourwake-upcall.Jeraccrochaiaussitôt.Commed’habitude,j’avaisessayédefaireunesiesteavantmonvol,maisvu

quenousétionsenpleinjour,lesommeilnem’avaitpasemportée.J’étaistoutdemêmerestéesousles couvertures àme relaxer.Après l’appel automatisé, jeme levai promptement et sautai sous ladouche.C’estlàquelesmalheurscommencèrentàs’enchaîner.—Dring!Dring!Dring!Dring!Dring!Dring!Étantsousl’eau,jetendislamainverslecombinéquisetrouvaitdanslasalledebain.Commeje

venaisderépondreàl’appelduréveil,jecomprisrapidementquejen’entendraispasunemachineauboutdufil.

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—Oui,allo?—Bonjour,Scarlett,c’estcrewsked.C’estpourt’informerqu’ilyaunretardd’uneheuresurton

vol.Ledépartdel’hôtelestmaintenantprévupour16heures,m’annonçauneemployée.Malheur no 1 ! Je n’étais pas surprise, ni déçue, ni rien. Des retards, ça arrivait. J’aurais aimé

recevoir l’appel avant ma sieste ou avant ma douche, mais bon, j’allais me préparer et restertranquilledanslachambreenattendantlenouveaudépart.À16heures,jedescendisdanslehallpourrejoindremestroiscollègues,etnouspartîmesensuiteendirectiondel’aéroport.Cequimedégoûtaitn’étaitpasce retard,mais le faitquenousdevionsentamernotre journéede

travail dans un avion sale. Malheur no 2 ! En fait, l’appareil arrivait de Paris et continuait versToronto.Quelquespassagersdescendaient àQuébec et d’autrespoursuivaient levoyage avecnousjusqu’enOntario.Quatremembresd’équipagedébarquaientégalementetétaientremplacésparnotrequatuor. Nous allions donc travailler une heure avec le reste de l’équipage arrivant de Paris et,ensuite, en rejoindre un autre à Toronto pour effectuer un vol en direction de Barcelone. J’étaiscomplètementmêlée.Mieuxvalaitmelaisserporterparlecourant.Ilvasansdirequecenefutpasunplaisird’embarqueràborddecetavion.Lespassagers,exténués,

n’affichaientpasuneminetrèschaleureuseetjen’osemêmepasparlerdel’odeurderenferméquiflottaitdans lacabine.Et les toilettes?Commentunagentdebordpeut-ilêtre remplide joieetdegaieté quand, avant d’entamer son vol, il doit ramasser sur le plancher de vieux bouts de papierhygiéniqueimbibésdepipi?L’aviationrequérantunetonne,voireunemégatonne,deflexibilité,jefis mon travail sans rechigner. Jusque-là, je n’appréhendais toujours pas la longue journée quim’attendait.N’embarquant pas d’autres passagers vers Toronto, nous attendions leOK du commandant pour

fermer la porte. Soudain, le directeur de vol fut appelé dans le poste de pilotage. Il en ressortitlégèrementcontrarié.—Problèmehydraulique.Retardd’aumoinsuneheure,nousdit-il.Malheurno3!Ilfitalorsuneannonceauxpassagersafindelesinformerdelasituation.Rupertvint

àl’avantdel’avionpourmeparler.—J’aidiscutéavecIshmaetAnnaetellesdisentqu’onvadevoircouriràToronto,parceque,si

nousnedécollonspasd’iciuneheure,onrisquedemanquernotrevolversBarcelone.Rupertgigotait.Ilétaitquasimentpaniqué.Commelasituationnepouvaitêtrechangée,j’essayaide

lecalmer:—L’équipagen’auraqu’àcommencerl’embarquementsansnous.Cen’estpasplusgravequeça.

De toute façon, crew sked sait qu’on est pris ici, quelqu’un du département n’a qu’à appeler desréservess’ilsneveulentpascréerderetard.Aprèspresqueuneheure,leschosessemblèrentévoluer.Unmécanicienvintparleraucommandant

etj’entendisun«OK».Nousallionspouvoirpartir.Nousfermâmesladernièreporteetdécollâmes.Envol,nous regardâmesnotre itinéraireet réalisâmesqu’en fait l’avionquidevaitnousameneràBarcelone était celui dans lequel nousnous trouvions.Personnenepourrait doncpartir sansnous.C’étaitdéjàça.Une fois l’avion atterri à Toronto, les passagers débarquèrent en un rien de temps. Il était

maintenant 19 h 30. Les autres membres d’équipage nous quittant, nous les saluâmes rapidement.Comme ce vol avait pour origine la ville de Paris, nous devions nous aussi passer les douanescanadiennes.Désormais, jenem’inquiétaisplusdenotreretard,carl’appareildevaitêtrenettoyéetravitaillé. Nous aurions, en théorie, tout le temps nécessaire pour traverser les douanes et nousredirigervers labarrière.D’ailleurs, jemedemandaisà laquellenousdevionsnousrendre,cardu

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pontdedébarquementjenepouvaisvoiraucunnuméro.Pour le savoir, je regardai le tableau indicateur dans l’aire d’attente où se trouvaientmes futurs

passagers.Curieusement,ledécollageétaitannoncépour23heures.J’eninformaimescollègues:—Euh, c’est quoi notre numérodevol pourBarcelone ?Parceque, sur le tableau, il est inscrit

23heurescommeheurededépart…—Attends,jevaisvérifier,meditdoucementAnna.Ellepritalorsl’uniquecopiedenotreitinéraireetregardalenumérodevol.—642,répondit-elleenfin.—Hum, c’est bien lemême que celui sur le tableau, sauf quemaintenant le vol est prévu pour

23heuresetnon20heures.C’estquoileproblème?m’exclamai-je.Rupert,quiétaitdéjàsurlesnerfs,s’agitaencoreunefoisetnousditdel’attendre.Ilsemblaitdécidé

àéclaircirauplusvitecemystère.Ilsepostadevantl’immensevitretransparentequiséparaitlesdeuxaires, celle de l’arrivée et celle du départ. Il s’adonnait à être juste à côté du comptoird’enregistrement. Il cogna brutalement sur la vitre pour attirer l’attention de l’agente derrière lecomptoir.Songeste la fit sursauteretellese retourna,curieusedesavoirquiosait l’importuner. Ilapprochasonvisagetoutprèsdelavitreetcriatrèsfort:—PourquoilevolpourBarceloneestmaintenantà23heures?L’agente leva lesyeuxaucielet luisoupira, telleuneévidence,cequenous tousnevoulionspas

entendre:—Retard!Ilsontrepousséledépartdetroisheurespourréglerunproblèmemécanique.Malheurno4!Jenelecroyaispas.Encoreunretard!Moiquipensaisqueleproblèmehydraulique

avaitétérégléàQuébec…Nousétionsdéjàfatiguésetnousn’avionsmêmepascommencénotrevraivol. Rupert était rouge écarlate. Anna, muette. Ishma avait mal aux pieds avec ses talons. Notrejournéequi,d’unecertainefaçon,n’avaitpasdébutés’annonçaitillégalementlongue.Nouspassâmeslesdouanesencalculant.Selon notre convention collective, si nous dépassions un certain nombre d’heures en service, il

n’étaitplus légalpournousdevoler. Il fallaitparler immédiatementàcrewsked. «Peut-êtrequ’ilsnousontdéjàremplacésetquenousdormironsàTorontocettenuit»,pensai-je.Lorsque nous arrivâmes dans la salle d’équipage, nos futurs collègues étaient déjà là. Je ne

connaissaispersonne,maiscommetoutlemondeneparlaitqueduretardduvol,nousfîmespeudeprésentations.Étantnovicesencequiconcernaitlesrèglesdenotreconvention,nousfaisions,d’unecertaine façon, confiance à notre compagnie. Ishma, à peine plus expérimentée que nous, contactacrewsked pour s’enquérir de la situation. La conversation entre son interlocutrice et elle s’anima.Ishmanousinformaquecrewskedn’avaitpasappeléd’autresagentsdebordpournousremplaceralors qu’il était évident que, avec cette nouvelle heure de départ, nous dépassions notre temps deservice.On nous demandait d’effectuer le vol quandmême. Pour que nous puissions prendre unedécisionéclairée,Ishmademandaderecevoirunnouvelitinérairedevol.Enattendantd’ensavoirdavantage,jemedirigeaiverslestoilettes.Enressortant,jepassaidevantla

pièceréservéeauxpilotes.Saisie,jemefigeaibrusquementdevantlaporte.Làétaitassisquelqu’unquim’étaitfamilier.J’entraiinstinctivement.—Salut,John!dis-jetimidement.Ilrelevalatête.Sonregardinondalemien.Jesentisquecettevisite-surpriseluiplaisait,carilme

sourit.Mesjambesseramollirent.—Hey,toi!Commentvas-tu?medemanda-t-il.—Hum,plusoumoinsbien,notrevolaétéretardédetroisheures.Onvadépassernotretempsen

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devoiretcrewskednenousapasremplacés,luiconfiai-je.—Commentça?Tun’iraispasàBarceloneavecmoi,parhasard?s’enquit-il,l’airheureux.—Euh!Ondiraitbien.Maisjenesaispasvraimentcommentcettehistoirevaseterminer…J’étaissoudainementunpeuplusmotivéeàl’idéed’effectuercevol,mêmesidanslescirconstances

nousnedevionspaslefaire.— Je ne comprends pas pourquoi ils ne vous ont pas remplacés, parce qu’ils ont appelé un

troisièmepilotepourqu’onsoit«légal»pourpartir,remarqua-t-il.Jen’enrevenaispas!Jecomprenaisqu’unpiloteaitbesoinde toutesaconcentrationpourvoler,

maiscen’étaittoutdemêmepasuneraisonpournégligerlesagentsdebordqui,euxaussi,seraientcrevésd’iciàladescenteversBarcelone.Silesyndicatavaitfixéunnombred’heuresmaximumenservice,cen’étaitpaspourrien.Malgrélaprésencedemonbeaucommandant,j’étaisbiendécidéeàréglercetteaffaire.Si,selonlaconvention,jenedevaispaspartir,jen’iraispas,etce,mêmesiJohnétait là. Je me dirigeai vers mon groupe. Ishma, Anna et Rupert venaient de recevoir la fameusetélécopie.—Crewskednousaenvoyéunitinérairedevolavecundépartprévupour20heures.Cen’estpasla

vraieheurededécollage.IlfautsavoirquandonvaarriveràBarcelonepourdécidersionrefusedefairelevol!meditIshma.—Jevaisallervoirlecommandant!répondis-jed’unairfaussementcontrarié.Je retournai auprès de John. J’étais heureuse de pouvoir lui parler deux fois en l’espace d’une

minute.Jeluidemandailetempsdevolprévujusqu’àBarceloneetrevinsavecl’information.—Lecommandantm’aditqu’ondevraitatterrirlà-basà12h50,déclarai-je,nesachantpasquoien

penser.Rupert posa alors ses deux mains sur ses tempes et baissa les yeux au sol. Il calculait. Anna

observait legroupeavecunregardvide.Moiégalement.Jusqu’àmaintenant, jen’avaisjamaiseuàcomprendremesloissyndicales.Jeconnaissaisquelquesrègles,bienentendu,maisjenesavaistropque faire dans ce genre de cas. Pendant cemoment de silence, je tentai tout demême de saisir lasituation.«À14heures,j’aiprismadouchecommeprévu.À15heures,j’étaiscenséealleràl’aéroport,mais

je suis finalement partie à 16 heures. À 17 heures, il y a eu un autre retard. Puis un autre. Il est21heures.Çafaitdéjàseptheuresqueje“travaille”,maisenfaitjen’aipasencoreeffectuémonvraivoldehuitheures.Ayoye!Çaveutdirequejevaistravaillerunejournéededix-septheures?Jesuismêlée!»medis-jeavantd’êtreinterrompuedansmespenséesparleverdictdeRupert.—Onn’estpaslégal!Il fallait rappeler crew sked. Ils avaient encore du temps pour contacter des agents de bord de

remplacement.D’ailleurs,pourquoinel’avaient-ilspasdéjàfait?Ishmapritlecombinédutéléphoneetcomposale9pourjoindredirectementl’affectationdeséquipages.Lamêmeemployéeréponditàl’autreboutdufil.—Vanessaàl’appareil,j’écoute.— Oui, c’est Ishma, à Toronto. Nous sommes programmés sur le vol de Barcelone qui part à

23heures.Nousavonscalculénotretempsendevoiretiln’estpasréglementaire,alorsnousrefusonsdefairelevol,déclara-t-ellesolennellement.—Ilesttroptardpourappelerdesréserves.Vousallezavoirvotreprime.Ilfautquevouslefassiez,

intimaVanessad’untonautoritaire.—Nous allons dépasser nos heures en service.Nous sommes crevés.Nous sommes en droit de

refuseretnousrefusons,renchéritIshma.

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— OK. Je vais vous remplacer, répondit son interlocutrice, contrariée. Restez dans la salled’équipage,jevaisvousrappelerpourvousdireoùvousallezdormir.Ishmaraccrochaetnous résuma laconversation.D’unecertaine façon, j’étais soulagéequeçase

termine ainsi, car nous étions déjà exténués. Jem’imaginaismal en train de servir des Espagnolsbruyantsetderamasserdesplateauxsalesdurantlaprochainenuit.Enattendantdesavoirdansquelhôtelnousdormirions,jem’assissurunbancpourmerelaxer.JevisalorslasilhouettedeJohndanslapièced’àcôté.Unsentimentdedéceptionm’envahit.Maisjemedisqu’ilétaitpréférablequejenevolepasavec lui. Jenedésiraispasêtre tourmentéedavantage.Déjàqu’unsimple regardavait faitfléchirmesjambes…Surlebancétaientassisàmescôtésdesmembresd’équipage.L’und’euxseprésentaàmoicomme

étantledirecteurdevol.Ils’appelaitRobertoetparlaitenanglais.Ilserenseignasurlasituation.Ilavaitl’aird’accordavecnotredécisionetnousrassuragentimentennousdisantquenousétionsendroitderefuserd’effectuerlevol.Soudain,letéléphoneretentit.Ishmadécrocha.—Bonjour,c’estIshma.—Oui, c’estVanessa, decrewsked, j’aimerais parler àRoberto, tondirecteur devol, déclara la

voixféminine.Robertoagrippalecombiné.Jel’observais,intriguéeparlaconversation.Aprèsuncourtinstant,sa

gestuelle changea radicalement. Quelques minutes auparavant, ce même Roberto semblaitsympathique,compréhensifetagréableàcôtoyer.J’avaisappréciésasolidaritéànotreendroit,maiscurieusement je ne ressentais plus autant d’empathie de sa part. Son regard complice envers notregroupevenaitdesetransformerenunregardterrifiant.J’avaismaintenantpeurdecequ’ilallaitnousdire et je doutais que son opinion soit restée lamême.Après quelquesOK, il raccrocha d’un airdécidéetnouspointadurementdudoigt.—Thefourofyouarecomingwithme!Youareoperatingtheflight.Endofstory!GOTIT?Robertonenousposaitévidemmentpasunequestion.Iln’yavaitpasmatièreàdiscussionetj’avais

trèsbiendéchiffrésonmessage.Enclair,çavoulaitdire:«Vosgueulesetaudiablelafatiguepourcesoir!»Nousétionsabasourdis!Décidément,personnenenousavaitécoutés.Malheurno5!No6 !No7!No8!Aprèsnousavoirordonnédelesuivre,Robertoramassasavaliseettoussespapiersets’écria,tel

unchienenragé:—Let’sgo!Everybodyontheplane!NOW!Lerestedel’équipageluiemboîtalepas.Encoresouslechoc,jelesuiviscommelesautres,carje

ne voulais pas perdre mon emploi. D’ailleurs, peut-être Vanessa avait-elle menacé Roberto en cesens?Jenesavaispasquelavaitétésonargument,maischosecertaine,ilavaitfonctionné.Mespiedsavançaient, poussés par la peur. Je ne connaissais pas mes droits. Rupert non plus. Anna suivaitderrière et Ishma marchait de peine et de misère avec ses talons trop hauts. Légalement, nouspouvionspartir,maisenmêmetempsnousétionsconscientsquerefuserd’effectuerlevolrisquaitdecréerunretardsupplémentaire.Nouspoursuivîmesnotrecheminenécoutant lesmembresdenotreéquipageexprimerleursopinionssurlasituation.—Sivousentrezdanscetavion,vousnepourrezpasenressortiretvousserezobligésdefairele

vol,ditl’un.—Vousavezledroitdepartir.Ilfautrespecterlaconvention!ditunautre,prosyndicaliste.Ni les autres ni moi n’avions la volonté d’empirer la situation. Nous n’avions jamais voulu

offusquerquiquecesoit.Nousavionsfaitleschosescorrectementetsignalénotrerefusdecontinuerlorsqu’il était encore temps, en vain.Maintenant, nous étions tirés contre notre gré par une corde

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invisibleverscetaviondemalheur.Monamourpource jobvenaitsoudainementdes’évaporer.JeméprisaisRobertod’agirainsi.JeméprisaisVéoAir,l’aéroport,lesavions,tout!Malgrécela,nousmontâmesàbord.J’avaisleslarmesauxyeuxensongeantquejenedormirais

pascettenuitetquejem’envoleraispourBarcelone.C’étaientdeslarmesd’impuissanceetderage;iln’yavaitplusdeplacepourl’argumentation.Jedéposaimavalisedansuncompartimentàbagagesetcommençaimes vérifications d’avant vol. Je tâtai à peine sous les sièges. J’oubliai de vérifiermatroussedepremierssoins.Jenerecherchaipasd’armesàfeudanslespochettes.Toutçan’avaitplusaucuneimportance.Jem’enfoutais!Commed’habitude,jepartissignerlafeuilled’urgencepourcertifierquemesvérificationsavaient

étéeffectuéesselonlesrègles.Lorsquej’arrivaienavant,Robertotenaitlepapierdanssesmainsetmeletendit.Avantd’yapposermasignature,jeleregardai,décidéeàl’affronter.— Je pourrais ne pas signer cette feuille si je le voulais ! déclarai-je dans le but de lui faire

comprendrequesescrisetsesordresn’avaientrieneuàvoiravecmadécisiond’embarquerdanscetavion.Roberto me scruta en arquant son sourcil gauche, puis il me lança avec un je-m’en-foutisme

exagéré:—Sorry,Idon’tspeakFrench!—Whatdoyoumeanyoudon’tspeakFrench?Jen’enrevenaispas!Ilneparlaitpasfrançais!Jesentaismonterlatensionentrenousdeux.Jeme

disquej’auraispeut-êtredûmetaire.Maisjen’enavaispasenvie.J’allaisluitenirtête,oudumoinsessayer.Enentendantmaquestionchargéededéfi,ils’approchaplusprèsdemoietdéposasesdeuxmainssurundossierdesiège.Ilfronçalessourcilsetrépliqua:—No,Idon’tspeakFrenchbutIspeakPolish,GermanandSpanish.Youhaveaproblemwiththat?Jemourais d’envie d’entamer une discussion à ce sujet. Car oui, son ignorance du françaisme

posaitbienunproblème.Iltravaillaitpourunecompagnieaériennecanadienneoùl’unedeslanguesofficielles était le français !Dans lemilieu du voyage, et surtout dans l’aviation, peu importe lesnombreuses langues qu’onparlait, connaître auminimum les deux langues officielles de sonpaysétaitnécessaire.Lemomentétanttoutefoismalchoisipourendébattre,jeluirépondisqueçanemedérangeaitpas.Parcontre,voulantavoirlederniermot,jeluirépétaimapremièreaffirmation:—Well,IjustwantyoutoknowthatIcouldrefusetosignthissheetifIwantedto!Commejem’endoutais,moncommentaireeut l’effetd’unebombenucléaire.Sesyeuxdevinrent

rondscommedesboulesdebillard,aupointquejepouvaisvoirdesveinulesrougeâtresyapparaître.Roberto se transformait en un véritablemonstre de l’air. Soudainement, il posa son regard sur savictime–enl’occurrencemoi–etrugitdetoutesapuissanceenallongeantsesgriffes:—Signthisfuckingsheet!NOW!Jerestaiimpassibleetbiendroite,maisàl’intérieurj’avaisvraimentpeurdecethomme.Malheur!

Malheur!Malheur!Jerenchérisencore,maiscettefois-cienfrançaispourêtresûrequ’ilnesaisiraitpaslesensdemaréplique.Etpeut-êtreaussipourlenarguer.—Jevaislasigner,tafeuille,maisjetedéfendsdemeparlerainsi!Jem’exécutaietm’éloignaiauplusvitepourmecacher.Jemedépêchaid’aller rejoindreRupert

pourluiraconterlascène.Àmonarrivée,Rupertsemblaitavoirreprisdelavigueur.Ils’affairaitdéjààcompterlesplateaux

danslagalleycentralesituéeentreladeuxièmesériedeportesdel’avion.Aprèsm’avoirécoutée,ilmeflattaledosetmeditquetoutallaitbiensepasser.Jen’enétaispassicertaine,maisj’abaissailatête en signe d’approbation. J’avais de nouveau les larmes aux yeux. Je posai mes coudes sur le

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comptoirdanslebutdereprendremesesprits.JemeconcentraietvisionnailesterrassesbondéesdeBarcelone.Jem’imaginaiavecmonverrederiojaàlamain.Quelréconfort!Commej’étaisballottéeparmespensées,unemainseposasurmonépaule.Croyantquec’étaitencoreRupert,jelaserraidetout mon cœur. J’entendis alors derrière moi une voix amicale qui était loin d’être celle demoncolocataire.—Çavabienaller,Scarlett…Je reconnus très bien cette voix tendre et rassurante.Mes jambes fléchirent encore une fois. Le

commandantRoss sentit assurémentmadéfaillance.Les frissonsquemedonnaitRoberto-monstre-de-l’airn’égalaientmanifestementpasceuxprovoquésparmonbeaupilote.Ilcontinua:— Je sais que ce n’est pas évident présentement et que vous seriez en droit de partir. Pour vous

remercierdepoursuivrelarouteavecnous,j’aimeraisvousinviteràsouperlorsquenousseronsàBarcelone.Qu’est-cequetuendis?Lapropositionétaitplusqu’alléchante,elleétait irrésistible.J’étaisravie,maisjemegardaidele

luimontrer.Jeséchaimeslarmes.J’étaisprisedanscetavion,alorsmieuxvalaitenêtreprisonnièreaux côtés d’un attachant John Ross. Je souris et puisai au plus profond de moi toute l’énergienécessairepourlesprochainesseptheuresetquarante-cinqminutesdevol.

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D

Chapitre8

2000piedsau-dessusdeBarcelone(BCN)

ansunavion,certainsindividussedonnentcommemissionpremièred’emmerderlepersonnelàbord. En fait, je fais référence ici à ces « sympathiques » passagers qui sauront se faire

remarqueretquis’arrangeronttoujourspournousdistrairedurantlevol.C’estimmanquable,mêmeendormi,lesyeuxfermésetblottisousunecouverture,l’und’euxtrouveralemoyendenousénerver.Ilaura lesdeuxpiedsdansl’alléeetnousdevronsleréveilleràchacundenospassages,oubienilviendra à l’arrière des heures plus tard nous signaler que nous l’avons oublié lors du repas.Évidemment,ceseraNOTREfauteetjamaislasienne.Biendespassagersonteneffetlafâcheusehabitudederejeterlafautesurl’agentdebord.Cedoit

être beaucoup plus facile de vivre avec soi-même lorsqu’on n’a rien à se reprocher, non ? Ilspréfèrentnousaccuseretnouspointerdudoigt:«Vousm’avezoublié!»ou«Vousn’êtespaspassédansl’alléeavecledutyfree!»Maisoùestdoncl’intérêtdes’enprendreànousdelasorte?Ilsuffitdedemanderetjereviendraileurvendreduparfum,toutsimplement.Pasdequoim’attaquer,carj’aidespreuvesdemoninnocence.C’estd’ailleursmoiquisuispasséedansl’alléeunpeuplustôtalorsque,étrangement,cettedameautonaccusateuravaitlesyeuxgrandsouvertsetjasaitavecsoncopain.Je l’ai vue zieuter mes parfums Chanel et Givenchy. Mais bon, la mémoire étant une faculté quioublie,jeneluimentionnepascelégerdétail.Lespassagers«je-me-moi»,commej’aimebienlesappeler,semanifestentgénéralementtrèstôt

lors d’un vol. Je dirais même qu’ils signalent leur présence dès l’embarquement. Bizarrement, levol642deTorontoàBarcelonenesemblaitconteniraucundecesindividus.C’était trèsbienainsi,caraprèslasériedemalheursquenousvenionsdevivrejen’étaispasd’humeurpourlescaprices.Detoutefaçon,cejour-là,j’avaissansdoutedéjàreçumapartdemaléfices«rupériens».Enfin,c’estcequej’espérais.Malgré le retard de trois heures, les passagers avaient sagement gagné leurs sièges lors de

l’embarquement. Aucun ne semblait avoir trimballé sa maison dans l’avion. Les compartimentsétaientpresquevidesquandnous lesavions fermés. Jen’avaismêmepaseuà jouer à l’hôtessedel’airhaltérophilequisoulèvetouslesbagagesdecabinedesespassagersprinciers.Jen’avaispasnonplusréponduàdesdemandesexcessivesdeleurpartpendantlevol.Ainsi,lorsquejem’assissurmonstrapontinenvuede l’atterrissageàBarcelone, j’avaispresque, jedisbienpresque, le sourire auxlèvres.Unefoisbienattachée,jememisàréfléchiràlasoiréequejepasseraisavecJohn.«Iln’yapasde

malàêtreamis»,mementis-jeàmoi-même.Penseràluim’aidaitàcombattrelesommeil.Commej’étais assise devant les passagers, il était important que j’aie l’air éveillée. Et je ne pouvaisévidemmentpasm’endormir,carmatâcheprincipaleétaitd’êtreàl’affûtd’unéventuelincident.Ladescentesefitrapidement.Enregardantparleshublots,jepouvaisvoirlaMéditerranées’étendreauloin.J’entendisalorsletraind’atterrissagesedéployer.Lesrouesétaientmaintenantsorties.Soudain, une femme assise trois rangées devant moi se leva brusquement et marcha dans ma

direction.Ellen’avaitpasl’airspécialementmalade.SonteintétaitroseetelleétaithabilléeàlaCocoChanel.En fait, elle avait seulement l’air d’une passagère « je-me-moi ». Jemedoutais bien qu’ilaurait étémiraculeux qu’aucun de ces spécimens ne semanifeste d’ici à la fin du vol. Par contre,

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trentesecondesavantl’atterrissage,lemomentétaitparticulièrementmalchoisi.Jerestaiassisesurmonstrapontin.Jen’allaistoutdemêmepasmeblesserpourcetteMmeCoco.

Commeelleavançaitversmoi,jemedisquej’allaisl’arrêteraupassage.Ellemeregardaitàpeineetfixaitlestoilettesquiétaientsituéesjustederrièremonsiège.Jel’interpellaienanglais:—Ma’am,we’llbelandinginasecond,pleasegobacktoyourseat.MmeCocoChanelmetoisa,biendécidéeànepasretourneràsonsiègeafindemettresonplanà

exécution.Toutenposantsamainsursabouche,ellemedit:—I’mgonnapuke!Vomir? Jene lacroyaispas.Ellen’étaitpasmalade,c’étaitévident.Ellevoulait justeutiliser les

toilettes,là,maintenant,à2000piedsau-dessusdusol,à300kilomètresàl’heure.Jen’allaistoutdemêmepaslalaisserpasseralorsquec’étaitmondevoirdeveilleràcequ’elleneblessepassajoliepersonne.Jeluidemandaiplusfermementderetourneràsaplace:—Ma’am,youneedtobeseatedforlanding.MmeCocomefixasournoisementetjouaalorslerôledelafemmepiteuseetindisposéetoutenme

réaffirmantqu’elleallaitvomir.Àcetinstant,jefusprised’undésintérêtsoudainpoursasécurité.Jel’avaisinforméedesprocéduresetellerefusaitdelesrespecter.«Qu’ellesecognelafiguresurlacuvettedestoilettes!»pensai-je.Jeluifissignedepasserenlevantlesyeuxauciel.—Justgo!lançai-jeavecindifférence.J’avais l’impression de ne plus être moi-même. Non seulement la sécurité de cette femme ne

m’inquiétaitplus,maisjesouhaitaispresquequ’elleseblesse.J’avaisvraimentbesoinderepos.Alorsque je m’apprêtais à regarder à l’extérieur pour voir si la piste était proche, nous atterrîmesdoucement, sans choc. J’étais déçue. Un bon coup de vent aurait été apprécié. J’entendis alors lachassed’eaudelatoilette.MmeCocoressortitducabinetaprèsyêtrerestéeàpeineuneminute.Ellepassa devantmoi et, comme si atterrir dans les toilettes n’était pas suffisant, elle se retourna et seplanta face à moi. Comme j’étais assise sur mon strapontin, sa hauteur lui donnait un air desupériorité.Ellemepointadudoigtetgronda:—Don’tyoudarespeaktomelikethatagain!Jen’encroyaispasmesoreilles.C’étaitmoil’agentedebordetlafigured’autoritédanscetavion,

etvoilàqueMme-je-me-moim’ordonnaitdeneplus jamais luiparlersurce ton?Ellevoulaitmefairelaleçon?Jen’étaispasprêteàsortirmesgriffes,alorsjemejustifiaid’unevoixcalmemaisferme:—Ididthatforyourownsafety,ma’am.Cette dame avait probablement unproblème avec l’autorité et avait très certainement agi comme

unereinetoutesavie,carellerenchérit:—Irefusetobespokentothisway!Là,c’enétait trop !Elleavaitosé se leverpourutiliser les toilettesenpleinedescente.Elleavait

atterriàl’intérieur.Ellen’avaitpasvomi,j’enétaiscertaine,carj’avaislatêtecolléeàlacloisonducabinetet j’avaispuentendre lemoindrebruit s’enéchappant.MmeCocoétait ensuite sortieaprèsquelquessecondeset,aulieuderetourneràsonsiègesansriendire,elles’étaitpostéeenpleinmilieude lasortied’urgence,devant lespassagersquiétaientassisenfacedemoi.Etmaintenant,ellemesermonnaitdevanteuxcommesijen’étaisqu’unefillette,etce,alorsquenousroulionsrapidementsurlapiste.Jeperdispatience.Aussitôt, jeme transformai enunevilaine créature.Unedragonnede l’air était née.Mesnarines

s’écartèrent.De la fumée s’en échappait. Je crachais du feu. Jeme détachai et bondis littéralementdevant elle. Je dépassais désormaisMmeCoco d’aumoins trois têtes. Elle n’était qu’une brindille

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pourmoi, unemiette de pain. Je redressai le torse et les épaules.Mes yeux devinrent rouges.Mavision s’aiguisa. Je pouvais voir lamoindre particule de poussière flotter dans la cabine.La bellehôtesse de l’air compréhensive avait disparu. J’étais désormais le diable en personne. Je nechuchotaisplus.Jehurlaiplutôtsansretenue:—ENOUGH!Gobacktoyourseat,NOW!Ma voix porta dans tout l’avion. Rupert, qui était assis à la porte voisine, me regarda avec un

mélangedestupeuretd’admiration.J’avaiscriétellementfortpourqu’elleparteserasseoirquemagorgeensouffrait.MmeCoco,minuscule,levasesyeuxversmoi.Elleavaitl’aird’unpauvrechienbattu.Sescernessemblaients’êtreaccentués.Ellehésitauninstant.Sesjambestremblaient.Sonpoilétaithérissé.Ellecherchauneréplique,envain.Ellefitdemi-tourensilenceetretournaàsonsiège.J’avaisgagné.Pourlemoment,entoutcas.L’appareilétanttoujoursenmouvement,jemerassissurmon strapontin. J’espérais que l’histoire s’arrêterait là. J’étais exténuée. J’avais vécu mon lotd’épreuves pour la journée.Mais je connaissais bien les «Mme Coco » et je savais que celle-làn’allaitpastirersarévérenceaussivite.Cen’étaitquel’entracteduspectacle.

***

—Mesdames et messieurs, VéoAir vous souhaite la bienvenue à Barcelone. Il est présentement13heuresetlatempératureextérieureestde28degrésCelsius.Nousvousdemandonsderesterassisavecvotreceintureattachéejusqu’àl’extinctiondesconsigneslumineuses.L’avions’immobilisaenfin.Jemedétachaiaussitôt,impatientedemelever.Jedésarmaimaporteet

m’assuraiqueRupert,monhomologuedel’autrecôté,enavaitfaitautantaveclasienne.Mesyeuxbrûlaient, j’étais sur le point dem’évanouir de fatigue. Bientôt, je pourrais m’étendre dans un litdouilletetronfleràmaguise.Maisjemedoutaisqu’avantdedormirjedevraisneutraliserpourdebonmonadversaire.Lespassagersallaientdébarquersouspeu.Rupertouvritsaporte.Uneannoncesefitentendre:—Mesdames etmessieurs, vous pouvezmaintenant sortir de l’appareil en utilisant la deuxième

porteducôtégauche.Merci!Jememisalorsàsaluermespassagersavecleplusgranddessourires.J’essayaisd’avoirl’airzen

et souhaitais de tout cœur queMmeCoco ait repris ses esprits. Je ne désirais pas que la partie sepoursuive.Elle avait joué avecmes nerfs et jem’étais emportée. J’étais prête à passer outre à sesagissementsetj’espéraisqu’elleferaitdemêmeengardantlesilencejusqu’àcequ’ellesoithorsdemavue.Jem’efforçaisdenepasregarderdanssadirection.Commesonsiègen’étaitsituéquetroisrangéesplusloin,ilm’était toutefoisdifficiledenepasremarquersonprofilaltierquisedessinaitdevantmoi.MmeCocoavaitredressésesépaules,soulevésonmentonetbienreboutonnésaveste.Jelasentais

prêteàbondirpar-dessus lespassagerspourm’atteindre,moi,saproie.Ellen’avaitpasdéposé lesarmes comme je l’espérais. Au contraire, elle était chargée à bloc, visiblement décidée à lancerl’offensive.Les passagers sortant de l’appareil au compte-gouttes, je regardais Mme Coco s’approcher

tranquillement. Je n’avais aucune idée de ce qu’elle tramait. J’appréhendais une crise. Il ne restaitdésormais qu’un passager entre elle etmoi.Ce dernierme remercia et tourna à gauche, dévoilantainsiderrière luimachère ennemie.MmeCoco s’avançacommeprévu sur le cheminet, avantdebifurquerverslasortie,elles’immobilisa.Ellebloquaitmaintenantlepassageauxautresvoyageurs.Elleattendituninstant,puiselleexplosa:—Iwanttoseethecaptain!Iwanttocomplainaboutthesituation!Whatisyourname?

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Je n’allais tout demêmepas lui fournirmon nompour qu’elle travestisse les faits en sa faveur.D’ailleurs,monniveaud’empathieétaitdepuis longtempsàsec. Jeprisalorsunairarrogantet luidis:—Sorry,butIwon’tgiveyoumyname.Monrefusdeluidonnermonnomlafitenragerdeplusbelle.Toutencontinuantdebloquerl’accès

àlasortie,elleinsista:—Iwanttoseethecaptainrightnow!Ellevoulaitseplaindreaucommandant!Elleneconnaissaitde touteévidencerienauxrèglesde

l’aviation,carunpiloten’estpaslàpourécouterlesplaintesdespassagers,maispourlesconduireàdestination.S’ilyadesagentsdeborddansunavion,c’estjustementpourgérerlescriseshumaines.Maiscommeellesouhaitaittantvoiruncommandant,jemedisquej’allaisluienprésenterunsur-le-champ.—Alright, you may see the captain. However, you will have to wait for all other passengers to

deplane.Haveaseat,luidis-jed’untonferme.Ellepritplacesurunsiège,follederagequejelafassepatienteravantdevoirle«commandant».

Enattendant,jecontinuaiàsaluermespassagersavecunmerveilleuxsourire.—Thankyou!Àbientôt!Gracias!Enjoy!Merci!Hastaluego!L’avion se vida enfin. Je fis signe à Mme Coco de me suivre et me dirigeai vers l’avant de

l’appareil.Jeluiordonnaides’asseoiràlarangée4,justederrièrelasectiondespremièresclasses.Elle s’exécuta. Je m’avançai alors vers Roberto-monstre-de-l’air et lui expliquai rapidement lasituation.Jesavaisquejen’avaisrienàmereprocher,carjen’avaisaccompliquecepourquoionm’avait engagée : faire respecter les règles de sécurité. Et puis les agents de bord appliquaienttoujoursentreeuxlaloinonécritedelasolidarité.Bienqu’ilsesoitcomportécommeunehorriblecréature, Roberto allait faire fi de notre léger conflit d’avant-vol et s’allier instinctivement àmoidevantlapassagère.Lavictoireétaitàmaportée.IlsedirigeaversMmeCocoquiattendaitsursonsiège.Jelesuivisdeprès.—Whatisgoingon,ma’am?luidemanda-t-ilpourconnaîtresaversiondesfaits.— I went to the restroom and that girl was impolite with me ! répondit-elle, la voix tremblante

d’émotion.—Ma’am,wastheseatbeltsignon? laquestionna-t-ild’unairinnocenttoutensachantque,sila

consignedesceinturesdesécuritéétaitallumée,MmeCocos’avéreraitêtreentort.—Hum,hum,it’sthatnobodyhaseverspokentomelikethatbefore!Iwanttomakeacomplaint

and…Robertol’interrompit:—Wastheseatbeltsignonwhenyougotuptousetherestroom?MmeCocobégayait.Ellerefusaitderépondreàlaquestion,maisRoberto,dorénavantsurnommé

Roberto-fidèle-complice,insistadeplusbelle:—Wastheseatbeltsignon,ma’am?Ellecédaenfin:—Yes,itwasonbut…Décidément,ellenevoulait riencomprendre. Ilétait tempsd’en finiraveccettesituationdevenue

ridicule.Ill’acheva:—Mycolleaguewasjustdoingherjob.Now,Iwillaskyoutoleavethisplane.Haveaniceday!MmeCocoétaitenragée.Robertovenaitde luicouper laparoleetde luiannoncerquej’avaiseu

raisond’userd’unpeud’autoritéenverselle.Ill’escortajusqu’àlasortie.Furieuse,elleposalepied

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surlapasserelled’embarquement.Depuisl’intérieurdel’appareil,jepouvaisl’entendresedéfoulerethurlerdecolère.Etpuislescriscessèrent.L’orages’étaitdissipé.Jerécupéraiavecjoiemavalise,prête à laisser ces dix-sept dernières heures de malheur derrière moi. J’entrouvris la porte de lapasserelle qui donnait sur l’escaliermenant au tarmac.Le soleilm’éblouit.Distinguant à peine lesmarches,jem’arrêtaibrusquement,letempsquemavues’adapteàlalumièredujour.Etjelevistoutenbas.Johndéposasavalisederrièrenotreautobusprivé,seretournaversl’appareiletm’aperçut.Ilm’adressaunmagnifiquesourireetmefitsignedelerejoindre.Ilnemanquaitquemoi.Siprèsdelui,j’oubliaivitelesdernièresheurescauchemardesques.Jen’avaisjamaisétéaussiavidedemangerdestapas.

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I

Chapitre9

Montréal(YUL)AuretourdeBarcelone(BCN)lmitsamainsurmanuqueetlaglissadansmachevelure.Ilmetiraversluiavecforce.Sonregardperçant sondait le mien. Ses pupilles noires et profondes atteignaient mon âme. Je me sentais

faiblir.Ilmepossédait.Telunaimant,j’étaisattiréeversluietmabouches’entrouvritinstinctivement.J’étaisprêteetillesavait.Ilmedésiraittoutautant.Noslanguess’impatientaient.Soncorpssecollaenfinaumien.Nousnefaisionsqu’un.Etpuis,brusquement,laportedemonappartements’ouvritetjemeréveillai.Béarevenaitdesoncoursdeyogarevigorée.Etmoiquim’étaisassoupiesurlesofaàmonretour

de Barcelone, j’étais vidée de toute énergie. Rupert dormait sur l’autre divan. Les vingt-quatredernières heures avaient passé si vite. Dans mes rêves, je m’étais efforcée de me remémorer lesrécentsévénements,nonsansmodifierquelqueséléments.Dixminutessupplémentairesdesommeiletj’auraisétéauxanges.Malheureusement,Béavenaitdemerameneràladureréalité.Johnn’étaitpas là. Il n’étaitpasdansmesbras,maisdansceuxd’uneautre femme.Sa femme.Malgré labellesoiréequenousavionspasséeensemble,lasituationrestaitlamême.Jenepourraisjamaisêtreaveclui.Jedevaisl’oublierimmédiatement.Jemefrottailesyeuxetm’assisbiendroitesurmoncoussindouillet.Rupertbâillait.Aprèss’être

excusée de nous avoir réveillés, Béa se dirigea vers la cuisine pour boire de l’eau. Je ne pusm’empêcherdepiquersacuriosité:—Tusaisavecquij’aipassélasoiréeàBarcelonehier?Elleavalaunegorgéeetmejetauncoupd’œilintrigué.—Non,qui?dit-elled’untonexagérémentintéressé.—J’étais tellementheureusequ’il soit là !déclarai-jeenmegardantbiendedévoiler lenomdu

mystérieuxinconnu.—Tuneveuxpasdire que tu as passé la soirée avecmonsieur Inaccessible ? demanda-t-elle en

agrandissant ses beaux yeux noirs et en pointant discrètementRupert du doigt afin de savoir si cedernierétaitdéjàauparfum.J’acquiesçaid’unhochementdetêteetenchaînai:—Ilconnaîttoutel’histoire.Ilétaitavecnous,alorsc’étaitdifficiledejouerlacomédie.Ilapromis

qu’ilnediraitrien.MonbéguinpourJohndoitresterunsecret,hein,Rupert?Je savais quemon colocataire demeurait le plus potineux des agents de bord, mais il lui fallait

comprendre que les histoires concernant Béa et moi devaient rester confidentielles. Il approuva,légèrementoffusqué:—Franchement,Scarlett!Fais-moidoncconfiance!Jenediraiàpersonnequetufantasmessurce

gars-là. Qu’est-ce que les gens pourraient penser de toi s’ils savaient que Scarlett-l’idéaliste s’estamourachéed’unpilotemariéetpèredefamille?ajouta-t-ilpourmetitiller.Jemecontentaiderigoler.Endedans,jesavaisqu’ilavaitraison.Jem’étaisvraimentéprised’un

homme à l’opposé demon idéal.C’était à n’y rien comprendre.Le commentaire deRupert venaitd’attirerdavantagel’attentiondeBéa.—Est-cequeçavoudraitdire,Scarlett,quetuaslaissédecôtétesprincipespourt’amuseraumoins

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unenuitavecquelqu’unquiteplaît?mequestionna-t-elleavecunepointed’excitation.Béas’imaginaitdéjàlescénariorépandudel’adultère,maiscen’étaitpastoutàfaitcedontilétait

question.Ilfallaitquejeluirelatemasoirée.Jeluiproposaidevenirs’asseoiravecRupertetmoi,carjemedevaisd’éclaircirlemystère.Jem’apprêtaisàracontermonhistoirequandmontéléphonemecoupadansmonélan.C’étaitma

mèrequim’appelait.Jenerépondispas,parcequejesavaisqu’ellemebombarderaitdequestionssurmon dernier voyage et que je devrais interrompre la communication pour pouvoir poursuivre laconversation avec mes deux amis. Je me dis que je la rappellerais lorsque j’aurais fait le pleind’énergie.Enreposantmontéléphonesurlesofa,jenotaiquej’avaisquatreappelsmanquésdepuisuneheure.MoniPhoneétantenmodevibration,jenelesavaispasentenduspendantmonsommeil.Lesquatreprovenaientdechezmesparents.Passurprenant!Quandmamèrevoulaitquelquechose,elle s’acharnait. D’une certaine façon, j’avais l’impression qu’une partie de ma personnalité luiressemblait.Lorsquejemefixaisunbut,jemebattaispourl’atteindre.Aufonddemoi,j’espéraisqueJohnn’endeviendraitpasun.Quellesenseraientalors lesconséquences?J’aimaismieuxnepasypenserpourlemoment.Béas’impatientait,alorsjem’empressaidesatisfairesacuriosité:—Nousnoussommesd’abordrendusdans levieuxBarcelonepourprendreunapéro.Lasoirée

s’annonçait très bonne, car notre groupe s’entendait àmerveille. Il y avaitAnna, Ishma,Rupert ettroispilotes,dontJohn,bienentendu.—C’étaientquilespilotes?demandaBéapourmieuxcomprendreladynamiquedugroupe.—Euh!Jenem’ensouvienspastrop,maisjecroisqu’ilss’appelaientAntoineetCharles.—Hum,connaispas,dit-elle.Désoléepourl’interruption.Jet’écoute,là!—Honnêtement,Béa,j’étaistellementcontentequeJohnsoitavecnousquejenemepréoccupais

pas vraiment des autres. Je ne voulais parler qu’avec lui, précisai-je avant d’être interrompue parRupert.—Jeteledis,Béa,jen’avaisjamaisvuScarlettcommeça.Jeluiaiparlédeuxfoispendantqu’elle

discutait avec ce John et ellem’a complètement ignoré. J’aurais pu lui crier après qu’elle ne s’enseraitmêmepasrenducompte!—Voyons,tuexagères!C’estvraique,lorsqu’ilmeparlait,j’étaisunpeutropintéressée,maisj’ai

quandmêmejouéàl’indépendante,dis-jepouressayerdemeconvaincrequej’avaislemoindrementréussiàcachermonjeu.—Peut-êtreaudébut,durantl’apéro,maisaprès?Pendantlesouper?Dansl’ascenseur?rétorqua

Rupertpourmerafraîchirlamémoire.—Wôlà!Tuvasmevolermonpunch!Laisse-moiterminermonhistoire,mêmesitulaconnais

déjà,protestai-je.Unefoissermonné,Rupertserecouchasurledivanetcroisasesbrasderrièresatêtecommepour

signalerqu’ilseretiraitdeladiscussion.Ilavaitvraimentl’airdes’emmerder.«Qu’ilailleailleurs,s’iln’estpasintéressé!»pensai-je.Maisilnebougeapasd’unpoil.Jereprismonrécit:—Nousavonspartagéunpichetdesangriasuruneterrasse.Après lepremierverre,Rupertétait

déjà«cocktail»etmoi,prochedel’être.C’étaitcompréhensible,aprèslanuitquenousavionsvécue,ajoutai-jeenlançantunclind’œilcompliceàRupert.—Qu’est-cequis’estpassé?demandaBéa.—Ah!Unretard,maisnousteraconteronstoutçaplustard.Ilnefaudraitsurtoutpasinterrompre

laprécieusehistoiredeScarlett,réponditRupertpourmepiquer.J’ignoraisoncommentaireetcontinuai:—J’étaisdéjàtrèsfatiguée,alorsj’airapidementressentileseffetsdel’alcool.Enfait,nousétions

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tousunpeudanslemêmeétat,donct’imagineslesconversations!m’exclamai-jeenmeremémorantlascène.—Vousneparliezpasdesexe,j’espère?mequestionnaaussitôtBéa.—Ha!Ha!Non!Pascettefois-ci.Justed’implantsmammaires!—OK…dit-elle.Lesgarsvoulaientsavoirsivousaviezlesseinsrefaits?—C’étaitridicule,cetteconversation-là!Jenepouvaismêmepasparticiper!intervintRupert.—Voyons!Tuastrouvéçadrôle.Etonn’enapasparlélongtemps.—D’ailleurs,jenesaismêmepaspourquoiilaétéquestiondesimplants,renchérit-il.—C’étaitquoilaconversation,aujuste?demandaBéa,intéressée.—Jepensequec’estIshmaquiamenélesujetendisantquesonchumadoraitsesseinsrefaits.Etlà,

l’undespilotesaditqu’ilaimaitçaaussi,etainsidesuite.—N’importequoi!s’exclamaBéa.EtJohn,lui?Ilpréféraitquoi?—Oh, John ! répondis-je, rêveuse. Il est restémuet pendant presque toute la discussion.En fait,

c’estmoiquiaidûluidemandersonopinion.—C’estbon,ça!Unpilotediscret.J’aimeça.Etalors,ilaréponduquoi?—Iladitqu’ilaimaitlesfemmesaunaturel.—C’esttout?—Ouais.Riendeplus.—Excellent!—Pourquoi?luidemandai-je,étonnéeparsonsoudainenthousiasme.—Ben,iln’yapasplusnaturellequetoi,Scarlett!Avectoi,c’estwhatyouseeiswhatyouget!— Donc tu penses que c’est possible que je lui plaise ? m’enquis-je, remplie d’un sentiment

d’insécurité.—Oui,maiscontinuetonhistoireetonverraensuite,medicta-t-elle.Jem’exécutai:—Aprèslesimplants,ladiscussionachangédutoutautout.Nousnousposionsdesquestionsde

base,genre«caféouthé?»ou«vinrougeouvinblanc?».Desquestionsbêtespourremplirlessilences.—Pantoute!m’interrompitRupert.Aumoins,jepouvaisparticiper!—Ouais,c’estvrai,confirmai-je.Ettantmieuxqu’onaitabordécessujets-là,parcequec’estàce

momentquej’aieuunesensationétrange.—Qu’est-cequis’estpassé?—Ehbien,onauraitditquejedevinaisàl’avancetoutcequeJohnallaitrépondre.Jemesentais

danssatête.Jenepeuxpasexpliquerexactementcequis’estpassé,Béa,çanem’étaitjamaisarrivé.— J’ai déjà lu quelque part que les âmes sœurs sont tellement connectées par l’esprit que,

quelquefois,ellesn’ontmêmepasbesoindeparler,ellessecomprennentenpensée.Voilàuneréflexionbienirrationnelle,maisj’aimaisl’idéequeJohnetmoipuissionsêtrefaitspour

êtreensemble.Ruperts’empressadecrevermabulledecourtbonheur:—MonDieu,lesfilles,vousn’avezpasdebonsens!Âmessœurs!Connectéesparl’esprit!C’est

delabullshittoutça!Jen’étaispasd’accordaveclui,maisjen’avaispasl’énergiepourlecontredire.Etpuisjesavais

pourquoiilétaitchoquéparcespropos.Rupertnes’étaitjamaisremisdesonpremieramouret,nevoulantpasl’admettremêmeaprèstoutescesannées,ilpassaitdeconquêteenconquêtepouroublier.Mieux valait ne pas lui rappeler ces lointains souvenirs. Jeme contentai de rouler des yeux poursoulignermonoppositionetcontinuai:

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—Après l’apéro,nousavons trouvéunpetit resto toutprèsdu lieuoùnousétions.Riende troprecherché.C’était charmant commeendroit.Lumières tamisées, belle ambiance, pleindemonde. Iln’yavaitqu’uneseuletablelibreaufondduresto.Nousnousysommesalorsinstalléssansvraimentchoisiràcôtédequions’assoyait.Enfin,jepense…Jefisalorsunepause,songeuse.Puis,pourtenirBéaenhaleine,jelaquestionnai:—Ehbien,devinequis’estassisdevantmoi?—John!s’écria-t-elle.—Exactement!confirmai-jeavecunsourireencoin.—Ettucroisqu’ils’estassislàparhasard?demanda-t-elle,commesilaréponseallaitchangerla

donne.—Oui,sansdoute.Ilnerestaitqu’unechaiselibreetc’étaitcelleenfacedemoi.—Jenesuispassicertainedeça,moi!Jel’aivuteregarderàParisetilétaitloind’êtreindifférent

àtoncharme.Tunevoisrienaller,c’estévident.Rupert,qu’est-cequetuenpenses?—Ah!Maintenant,vousvoulezsavoirmonavis,lesfilles?répliqua-t-il,encorecontrariéd’avoir

étéunpeudélaissé.Décidément, Rupert était à fleur de peau. C’était sûrement la frustration d’après-vol qui se

manifestait.Etjelecomprenais,carj’étaismoiaussiàprendreavecdespincettesauretourd’unvol.Jelerassurai:—Biensûrquej’aimeraisavoirtonopinion,voyons!Tuétaislàavecmoi,alorstuascertainement

remarquéquelquechose.Non?—Ehbien,situveuxmonavis,jepensequetuesfolledelui!rit-ilauxéclatsenseredressant.—Euh…Oui!Ça,jelesavaisdéjà,Rupert.Etc’esttoutcequetuasremarqué?—Pourvrai,Scarlett,àvoircomment il te regardait, jepensequ’il t’aimebien,mais ilest resté

tellementconventionnelquec’estplutôtdifficiled’enêtreconvaincu.—Donc,s’ilétaitassisdevantmoi,cen’étaitquelefruitduhasard?demandai-je,déçue.—Jen’ensuispassicertainequeça,moi!insistaBéa.—Ouais,tuaspeut-êtreraison.Leproblème,c’estqu’àBarceloneetàParis,Johnetmoin’avons

parléquecommedescollègues,alorsjen’aiaucunepreuvedequoiquecesoit.Je sentais bien qu’il y avait eu une attirance réciproque, mais je n’arrivais pas à en avoir la

confirmation,mêmeaprèsnosdeuxrencontres-surprises.Etpuis,mêmes’ilétaitintéressé,iln’avaitpasl’airdugenredegarsprêtàtransgresserlesrègles.S’ilavaitprisplacedevantmoi,c’étaitjusteparcequelasoiréeseraitplusagréableainsi.—C’estvraiquetonJohnn’apasl’aird’unPilote-salopard,maisjenediraispasqu’ilneteparlait

quecommeàunecollègue,déclaraBéa.Ellen’avaitpeut-êtrepastort,maisjusqu’alorsJohnnem’avaitdonnéaucunindicemepermettant

depenserlecontraire.J’étaisprobablementlaseuledesdeuxquivoyaitunechimieentrenous.Sansdouteuneconnexionàsensunique.L’idéequ’iln’yavaitaucunepossibilitéavecluimerendaittriste.Enmême temps, bien que cela jouait contremoi, j’appréciais le fait qu’il nem’ait pasmontré designesd’ouverture.Jen’auraispasvoulud’untricheur,d’untrompeuroud’uninfidèle.Danstouslescas,j’étaisfoutue.Jepoursuivismonhistoire:—Lerepasétaitdélicieux.Johnetmoiavonsmêmepartagéuneentrée.C’estlàqueRupertm’ajeté

unregardinvestigateurquim’afaitrougir.—Ha ! Ha ! Ha ! s’esclaffa Rupert en regardant Béa. Je n’avais pas le choix d’allumer, c’était

beaucoup trop évident.Mêmeaprès trois annéesde colocation avecmoi,Scarlett refuse encoredeboiredansmabouteilled’eau,etvoilàque je lavoyais rireauxéclatsavec lecommandant touten

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pigeantdanssonassiette.Lemondeàl’envers!Béaéclataderire.—Tut’estrahie,Scarlett!dit-elle.Lesautresagentsdebordontremarquéquelquechose?—Non,jenecroispas.Maisdetoutefaçon,qu’est-cequeçaauraitbienpufairequ’ilsremarquent

notrecomplicité?Nousn’étionspasentraindenousembrasser,quejesache!—Eneffet,cen’étaitpasde leursaffaires.MaisJohnest tellementbeaugossequ’ilsauraientpu

t’envier,rigolaBéa.—Ha!Ha!Ha!Rupert,peut-être!—Iln’estpasmongenre!répliquacedernier.J’avouequ’ilesttrèscharismatique,maisjepréfère

lesgrandscostauds,lesdursàcuire.—Ilestàmoi,detoutefaçon,répondis-jeinconsciemment.Ouf!Avais-jevraimentditça?«Ilestàmoi»?SiJohnétaitmien,jelepartageaispourlemoment

avecune autre femme. Je ne pouvais pas croire que jem’imaginais le posséder, et ce, sansmêmeavoir touché ses lèvres. Même si c’était exactement ce que je voulais, le posséder, même si jesouhaitais l’avoir juste à moi, il me fallait me rendre à l’évidence : c’était impossible. Laconversationayantquelquepeudévié,jerevinsauvifdusujet:—Aprèslerepas,nousnoussommestousdirigésversl’hôtel.Évidemment,jemarchaisàcôtéde

John.Nousdiscutionsdetoutetderien.C’étaitfaciledeluifairelaconversation.Iln’apasabordélesujetde sa femmeetde sesenfants, et jen’aipasvoulu lui enparlernonplus.S’iln’avaitpasétéintéressé,peut-êtreyaurait-ilfaitallusion?Jenesaispasetjeneveuxpaslesavoir.Nousavonsfaitunarrêtpourmangeruneglace.Ilapayémoncornet,maispasceluidesautres.Jefisunepausepourrespirer.Béaenprofitapourrécapitulermespropos:—Donc,ilapayétacrèmeglacée,maispascelledeRupertnidequiquecesoitd’autre?Ilvoulait

êtregentilavectoi,c’estévident.Jelesavaisqu’ilt’aimaitbien!—Tusautesviteauxconclusions,tunetrouvespas?rétorquai-je.—Non!Pasdutout!Pourquoicen’estpasl’undesdeuxautrespilotesquiétaientavecvousquia

payétoncornet?OubienpourquoiJohnn’apaspayéceluideRupert,d’Annaoud’Ishma?insista-t-elle.—Pourmemontrerunpeud’intérêt?suggérai-je.—Voilà!C’estundétail,maistoiquin’arrêtespasdedirequeleshommesinvitentrarement,ilt’a

prouvé le contraire, affirmaBéa, toutheureusedevoirquemoncommandant s’était préoccupédemoiletempsd’unecrèmeglacée.— En tout cas, c’était apprécié et je l’ai remercié. Il avait l’air très heureux de m’inviter pour

3euros,dis-jeàlablague.Rupert,encoresousl’effetdelafrustrationd’après-vol,semitaussitôtàjugernosraisonnements

defemmes.—Bah!Vousn’êtespaspossibles,lesfilles!Hilarantes,même!Ungarsn’aqu’àvouspayerune

glacepourvouscharmer!s’amusa-t-il.Jem’abstinsdemejustifier,carjesavaisqu’iladoraitluiaussicespetitesattentionsprodiguéesà

l’êtreaimélorsqu’ilétaitencouple.Jelesommaidesetaireetils’étenditunesecondefoisdetoutsonlongsurlesofa.Béamesuppliadecontinuermonhistoire.Lafinapprochait.—En fait, c’est de retour à l’hôtel que j’ai commencé à faiblir. Je n’avais pas de preuves, bien

entendu,mais j’avais de plus en plus l’impression qu’il y avait une vraie complicité entre John etmoi…—Siçapeutt’encourager,m’interrompitBéa,jepensequetun’aspasrêvé.

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—Mêmesic’était lecas, jenepouvaisrienfaire!J’avais lesmains ligotées!Jen’allais toutdemêmepasluifaireunclind’œiletluidire:«Hey!SexyJohn,tumerejoinsdansmachambre?»—Pourquoipas?s’exclamaRupert.—Benvoyons!Çan’aaucunsens!Jesaisbienquejesuisdifficileetque,normalement,personne

nem’intéresse,maiscen’estpasune raisonpoursautersur lepremierquimeplaît, surtoutquandl’heureuxéluestunpilotedequaranteans,mariéetpèredefamille!—Ouin…soupirèrentmescolocataires.—Etpuis,misàpartlagalanteriedelacrèmeglacée,Johnnem’adonnéaucunsigne.Uneattirance

imaginaire,cen’estpasassezpouragir!déclarai-je,démoralisée.Mesdeuxamismeregardèrentaveccompassion.Sij’avaispurevenirenarrière,j’auraissouhaité

nejamaisavoirrencontréJohn.«Jen’auraispaslecœurenmiettesàl’heurequ’ilest»,pensai-je.Jepoursuivis:—Arrivésàl’hôtel,noussommestousentrésdansl’ascenseur.Jeréfléchissaisencoreàl’étrange

chimie que j’avais ressentie entre John etmoi. Jeme demandais si j’avais rêvé. L’ascenseur s’estalorsarrêtéauniveau1.RupertestdescenduavecIshma,etensuitelesdeuxpremiersofficierssontdescendus au niveau 2. À présent, il ne restait qu’Anna, John et moi à l’intérieur. La porte s’estrouverteauniveau3.—J’espèrequ’Annaadéguerpiauplusvite!s’écriaBéa,impatiente.—Ehbien,moi,jepensaisqueJohnsortirait.J’étaisdéjàprêteàluidire:«Bye,àdemain.»Mais

non!C’estAnnaquiestdescendueet laportes’estaussitôtreferméederrièreelle. Iln’yavaitplusqueJohnetmoidansl’ascenseur.J’étaistellementsurprisequejesuisrestéebouchebée.— Tu veux dire que tu étais gênée, précisa Rupert en se basant sur la version que je lui avais

précédemmentracontéedansl’avion.—Complètement intimidée.Et luiaussi l’était,parcequ’ilnedisaitpasunmot.J’aivitecompris

quenousétionslesseulsàdormirauniveau4.Justeluietmoi!Personned’autre.Béamecoupa:—Donctupouvaiscoucherdanssachambresansquepersonnetevoieyentrer?S’ilteplaît,dis-

moiquetul’asfait!Jesouris.—Enfait,lesilencequirégnaitdansl’ascenseurasoulevéundoutedansmonesprit.Parceque,si

j’avaisétéavecIshma,Annaoumêmelesdeuxautrespilotes,quelqu’unauraitforcémentprononcéunmot,unephrasepourallégerl’atmosphère.Maislà,rien!JenerespiraisplusetJohnnonplus.Jevousledis,ilyavaitunedecestensionsindescriptiblesdansl’air.L’effetdel’attirance?Jenesauraisdire,mais j’avais l’impression que les secondes s’étaient arrêtées et que cette foutue porte n’allaitjamaiss’ouvrir.Sijenesortaispasauplusvitedelà,j’allaisêtreattiréeversluicommeunaimant.Rupertm’interrompitsoudainement:—Tuveuxplutôtdirequetuallaistrahirtesfoutusprincipessiturestaistroplongtempsdanscet

ascenseur…Iln’avaitpas toutàfait tort.J’aimaispeut-être lesrisques,mais jen’étaispasprêteà trahirceen

quoi je croyais tant : la fidélité. Pourtant, les sentiments se bousculant enmoi, j’avais éprouvé undésir inexplicable d’exprimer mon attirance envers lui. Ma spontanéité n’allait pas tarder à toutcontrôler.Jem’interrompisquelquessecondespourreprendremonsouffleetcontinuaimonrécit:—Laportenes’étaitpasencoreouvertesurleniveau4,alorsj’aidécidéd’observersonlangage

corporel. Il restait bien droit, confiant, un sourire en coin. Il était si beau, simasculin.Mais il ne

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faisaittoujoursrienpourmesignalerunequelconqueattiranceenversmoi.—Ouais,ditBéa,maisceschoses-làsesentent,Scarlett!Tun’asrienremarqué?—Ouietnon!Jesentaisbienquenousétionstouslesdeuxmalàl’aise,maisilrestaitmuet.Pasun

mot!Jemesuisraisonnéeàfairecommeluietneriendire.—Jetecomprends,m’encourageaBéa.Jepoursuivis:—Uneéternitéplustard,l’ascenseurs’estenfinarrêté.J’avaistellementhâtedesortirdelàqueje

mesuisfaufiléedanslafentedelaportepourmerendreversmachambre.Ilafaitlamêmechoseets’estdirigéàmadroite,àtroischambresdelamienne.Nouscherchionsnerveusementnosclésetjepouvais sentir cette chimie entre nous deux. Et puis, neme demandez pas pourquoi, j’ai perdu laraison.Jefisencoreunepause,cettefois-cipourreprendremesesprits.J’avaishontedecequej’avaisdit.

J’auraispu faire tellementmieux. J’hésitais à exposermonhumiliation àmes amis,maisBéam’yobligea:—Allez,Scarlett,qu’est-cequis’estpassé?Çanepeutpasêtresipirequeça,voyons!Avouernos

faiblessesenverslesexeopposén’estjamaisunehonte.Allez!—Bon,OK!Enfait,jevenaisderécupérermaclédansmonsacquandj’aivuducoindel’œilque

Johndéverrouillaitsaporte.Avantd’entrerdanssachambre,ilatournésatêteversmoi.Jel’aidoncregardéetjel’aientendumedire:«Bonnenuit!Àdemain!»Jevoulaisluirépondre,maisaulieudeluisouhaiterdebeauxrêvesj’aiditautrechose…—Maisencore?fitBéa,quiétaitsuspendueàmeslèvres.—Ben,j’airépondu:«Tum’énerves!»etjesuisentréedansmachambreauplusvitecommeune

lâche!—Wow!Tun’yvaspasavecledosdelacuillère,toi!—C’étaitspontané,commed’habitude.Aucuneidéedecommentj’aipusortirça!J’avais en effet une vilaine tendance à agir sans réfléchir. Une fois l’erreur commise, je devais

ensuite rectifier le tir,cequiétait trèsembarrassant.Ce« tum’énerves»nedevaitpasêtreprisaupieddelalettre,maisilétaitdéjàtroptardpournuancermespropos.Detoutefaçon,vulesourirequeJohnm’avaitfaitenentendantcesmots,ilavaitsansdoutecomprisquej’avaisunfaiblepourlui.J’enétaismêmecertaine.En entrant dans ma chambre, j’avais été envahie par un sentiment de ridicule mais aussi de

soulagement.Spontanément,jem’étaiscognélatêteaumur.Leboumavaitretentidanstoutelapièce.Jen’osaismêmepasimaginerlesondesdechocquiétaientparvenuesjusqu’auxchambresvoisines.«Pourvuqu’ellesnesesoientpaspropagéesjusqu’àlatroisièmechambred’àcôté»,avais-jepensé.Il me fallait me contrôler ! Je voulais cet homme ! Pas dans deux jours ni dans une semaine,

maintenant!L’impossiblequinousséparaitnem’importaitplus.Jebouillonnaisendedans.Jem’étaisalorsmiseà inspirerprofondément et àparcourir la chambrede longen large.Mespieds frottantcontre le tapis produisaient une fumée poussiéreuse sur mon passage. J’avais passé en revue lespossibilitésquis’offraientàmoi.1.J’allaisimmédiatementcogneràsaportepourleséduire.2.Jel’appelaisdanssachambrepourévaluermeschancesderéussite.3.Jerestaislàànerienfaire.J’avaischoisilatroisièmeoption.Béas’enoffusqua.—Scarlett!Ilnet’auraitpasditnon,c’estunhomme!Tunevaspeut-êtrepaslerevoiravantdes

mois,ettulesais.Malgrétout,tuaspréférénerienfaire?megronda-t-elle.

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— Oui ! Exactement ! J’ai préféré ne rien faire ! Je n’aurais pas été bien avec moi-même,autrement!Ilestmarié,Béa!J’auraiscouchéaveclui,etaprès?Rien!C’estmoiquiauraiseulecœurbrisé.Etpuis,s’ilavaitvouluqu’ilsepassequelquechose,ilauraittentésachance,parcequejevenais de lui faire comprendre qu’il m’attirait, expliquai-je, convaincue d’avoir pris la bonnedécision.—Tuas raison.Desavancesd’hommesmariés, j’enai eudesdizaines, et ce, sans leur faire les

yeuxdoux.Quandilsleveulent,ilspassentàl’action,dit-elle.Béaétaitàlafoisfièredemoietdéçuequ’ilnesesoitrienpassé.Pourmapart,j’étaischagrinée,

maisaussisoulagéed’avoirétéfidèleàmesconvictions.JenesavaispasquandjereverraisJohnetmieux valait que cemoment n’arrive pas de sitôt. Il était temps pourmoi de rencontrer des gensnouveauxetdem’amouracherd’unautrehommeauplusvite.Jemejuraialorsd’acceptertouteslesinvitationsquiseprésenteraientàmoi.Certainementunsoupirantallaitconquérirmoncœur.Lejeuenvalaitlachandelle,ilsuffisaitd’essayer.

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J

Chapitre10

Montréal(YUL)

el’avaisnommé«Lejeuduflirtextrême».J’étaisbiendécidéeàm’amuseravecleshommesetàlaisserpourunefoismesprincipescontraignantsdecôté.Cettecurededésintoximproviséeavait

pour but de me faire oublier le beau John Ross. Le choix des prétendants possibles était plutôtillimité, étant donné la courte liste de conditions auxquelles ils étaient soumis. Premièrement, lescandidats devaient être célibataires. Tous ceux étant divorcés, en instance de divorce ou en breakn’étaientpasadmissiblesàmesséancesdeflirt.Etdeuxièmement,ilsdevaientêtreâgésentrevingt-cinqetquarante-cinqans.Enrésumé:j’étaisprêteàrencontrern’importequi.Vu les nombreux candidats qui s’offraient à moi, les mois qui allaient suivre s’annonçaient

divertissants. J’étais prête à lancer les dés coûte que coûte. Qui sait, les sentiments de tendresseobsessionnellequej’éprouvaispourPilote-inaccessibleseraientpeut-êtrereléguésauxoubliettesunefoispourtoutes?Jel’espérais.Béa m’avait donc présenté des candidats au cours du mois de septembre. Bien qu’aucun n’ait

vraimentretenumonattention,jem’étaisprêtéeaujeucommeunegrandeetj’avaisacceptéquelquesinvitations.Cesrencontresn’avaientmenénullepart,maiscelaavaittoutdemêmecontribuéàallégermonmoral.J’avaisprisgoûtaujeuetjedésiraiscontinuer.C’estalorsquej’avaisreçuuncourrielinespéréd’uncollègueséniorappeléGuy.Ildisait:«Salut

Scarlett,nousnenousconnaissonspas,maisj’auraisunvolàt’échanger.Situesintéressée,c’estunNice72heures…»WOW!Unsoixante-douzeheuresàNice !Évidemmentque je levoulais !Enlisantdenouveausonmessage,j’avaisétéprised’unesoudaineinquiétude.Guyn’avaitsûrementpaspenséjusteàmoietavaitdûenvoyerdescourrielsàd’autresagentsdebordpourfairecetéchangeauplusvite.Jem’étaisdoncempresséede luirépondre,car jenevoulaispasmefairecouper l’herbesouslepied.Cet échange tombait juste à point, carmaintenant que j’avais adoptémanouvelle philosophie du

«flirtextrême»cespetites«vacances»pourraientcontribueràmefairerencontrerdescandidatsdel’autre côté de l’Atlantique. Qui sait ? Impatiemment, j’avais attendu sa réponse et, au bout d’unejournée, j’avaisapprisque l’échangeavaitétéaccepté !Pourune raison indéterminée,Guyprenaitmon Paris, pas de dodo, deadhead aussitôt à Istanbul, dix-neuf heures de repos, du vendredi audimanche (Beurk !), et moi, son soixante-douze heures direct à Nice (Yé !). J’avais l’impressiond’avoirgagnélegroslot,carmêmeaprèsunpeuplusdetroisannéesàvolercommeagentedebordjen’avaisjamaisvuuntelitinéraires’affichersurmonhoraire.Cesoir-là,jemepréparaidoncenpensantàNiceetàsaplagedegalets.J’espéraisqu’encemois

d’octobreilferaitassezchaudpourquejepuisseprofiterdelamerMéditerranée.J’avaisdéjàhâted’arriveretjen’étaismêmepasencorepartie.Enregardantmamontre,jeréalisaiqu’ilmerestaitunedemi-heureavantdemerendreàl’aéroport.

Jem’installaialorssurmondivanavecmonordinateuretconsultairapidementlalistedesmembresd’équipage quim’accompagneraient.Malgrémoi, j’espérais y voir apparaître le nom de John. Jem’en voulais d’y avoir même pensé, mais heureusement aucun nom ne m’était familier. J’étaistoutefoiscurieusedesavoirquiétaientSamanthaetCécile.Leursprénomsmedisaientquelquechose.Uneseulepersonnepouvaitm’éclaireràcesujetet,parchance,ellesetrouvaitdanslapièced’àcôté.

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—Rupert,est-cequetupeuxvenirici,s’ilteplaît?l’interpellai-je.Je regardai encore une fois l’écran de mon ordinateur et lus les numéros d’ancienneté qui se

trouvaientàcôtédechaquenom:2,20,25,45,68,70etlemien,1014!J’avaisofficiellementaffaireàunegangdevieillessacoches!J’eussoudainementpeur.Depuis que j’étais dans l’aviation, j’avais entendu des rumeurs de toutes sortes. Plusieurs parmi

elles concernaient des agents de bord ayant beaucoup d’ancienneté. Nous les appelions « lessacoches»,etd’aprèscequ’onm’avaitdit,ilyenavaitdesbonnesetdesmauvaises.Jesavaisquelaréputationdecertainsdecesagentsdebordétaitvéridique,carj’avaistravailléavec

plusieursd’entreeux.Heureusement,j’étaistombéesurdebonsgroupes:deshommesetdesfemmesqui volaient depuis unevingtained’années et qui adoraient leur job.Par amourpour lemétier, ilsavaientserviunnombreinimaginabledepassagersetavaientendurélafuméedecigarettelorsqu’ilétait encorepermisde fumeràbord.Mêmeaprèsdesmilliersd’heuresdevol, ils étaient toujoursaussisouriantsetefficaces.«D’exceptionnellessacoches»,disait-on.Malheureusement,toutechosepossèdesoncontraire.Lejouretlanuit.Naîtreetmourir.Lefroidet

lechaud.Lesbonnesetlesmauvaisessacoches.Lesvigoureusesetlesmollasses.Àl’inversedessacochesvigoureuses,lesmollassesagissentdansleurpropreintérêt,dudécollage

jusqu’à l’atterrissage.Ce sont là aussi des hommes et des femmes qui volent depuis une vingtained’annéesetquiontservidesmilliersdepassagers.Parcontre,cesagentsdebordn’aimentplusleurmétier et ne le gardent que par nécessité. Ils n’apprécient pas non plus les passagers, et une seulerequêtedelapartdecesderniers lesenrage.Ilsnesourientpasetpréfèrents’asseoirsur lesbancsd’équipagedèsqu’ilsontfinileservicedansleuralléeplutôtqued’offrirleuraideàleurscollèguesdel’autrecôté.Desmauvaisessacochessanstonus!J’espéraisqu’aucuned’entreellesnesetrouvaitsurmonitinérairedevol.L’inquiétudem’envahitdeplusbelle.—Rupert!Qu’est-cequetufais?Viensici,etvite!m’affolai-je.Encoreàmoitiénu,moncolocsortitdesachambre.—Qu’est-cequetuasàcrierdemême?Iln’yapaslefeu!melança-t-il.—Lefeu?Non,maispresque.JeparscesoiràNiceetjeviensderegarderlesnomsdesagentsde

bordquivolentavecmoi.Ilssonttousséniors!J’aibesoindesavoirsitulesconnais.J’aipeurquecesoitdessacochesquinefontrien.—Ah!Jevois.Laisse-moijeteruncoupd’œil,medit-il.Rupertétaitderrièremoi.Ilsepenchaetposasatêtesurmonépauleenobservantl’écrandemon

ordinateur.—LedirecteurdevolestYvesMartin.Numéro2danslacompagnie.Ilestsuper.Ilvat’aimer.Ilest

unpeusérieux,maisilesttravaillantetilsaitsefairerespecter,m’expliqua-t-il.Quelsoulagement!Undirecteurdevoldevaitmontrerl’exempleetcréerunebonneambiancede

travail.Si,parmalheur,unemauvaisesacochesetrouvaitdansl’équipe,ellen’oseraitsûrementpastraînerdelapatteavecundirecteurpareil.«Quoiquelesrumeursexistentbienpouruneraison»,medis-je.Rupertcontinua:—Gillesesttrèsgentilaussi.Ilvapeut-êtreteparlerpendanttoutlevoldesfleursqu’ilcultivedans

saverrière,maisilyapirequeça.QuantàMartine,elleestdoucecommeunagneau,alorstun’asrienàcraindre.Elleapportetoujourssonlunchàbordetçaachaquefoisl’airdélicieux.Jusqu’àmaintenant,jesentaisquej’étaistombéesurungroupedebonnessacoches.J’avaispresque

hâtedelesrencontrer.Jedevaisbientôtpartir.J’encourageaiRupertàterminersonexposé.—Chanceuse!TuvolesavecMarieAllard.Unange!Elleesttoujoursprêteàdonneruncoupde

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main.Tuvasl’adorer.—Ouais.Jevoisquetout lemondea l’aird’êtresympathique.C’estsuper!TuconnaisCécileet

Samantha?lequestionnai-jepourfinir.—CécileDuquet?EtSamanthaBlindfort?s’empressa-t-ildemedemander.Son regard venait de changer. Il avait l’air étonné de m’entendre prononcer ces prénoms. Je

consultaidenouveaulalistedesmembresd’équipage.—Oui.Exactement.DuquetetBlindfort,confirmai-je.—OhmyGod!OhmyGod!OhmyGod!s’exclama-t-ilvivement.Intriguéeparsaréaction,jefermaiimmédiatementmonportableetmelevaipourluifaireface.—Scarlett,cesdeuxfemmessont…sont…Ah!Jenesaispascommentt’expliquer…Jenevoyaispasoùilvoulaitenvenir.Ilsemblaitàlafoissurprisetmalàl’aise.J’avaisbesoinde

plusdedétails.—Rupert,qu’est-cequis’estpasséavecCécileetSamantha?Tun’asquandmêmepascouchéavec

elles?dis-jespontanément.—Voyons,Scarlett!Moi,coucheravecdesfemmes?—Qu’est-cequ’ellest’ontfait,alors?—Ehbien,c’estplutôtcequ’onafait…—OK!Qu’est-cequevousavezfait?lepressai-je.—Desvilaineschoses!dit-ild’unairgêné,toutenarborantunsourireencoin.—Comme…?—J’étaisjeune,stupideetsoûl,cesoir-là!sejustifia-t-ilsansmedonnerdavantagededétails.—Rupert, on a tous été naïfs à nos débuts chezVéoAir. Je vais comprendre.Allez, que s’est-il

passé?insistai-je.—Hum,jenesaispassijedevraisteledire!metitilla-t-il,soudainementamuséparmacuriosité.Ses cachotteries commençaient sérieusement àm’énerver. Pourquoi ne voulait-il pasme dire ce

qu’ilavaitfait?J’étaissacolocatairedepuistroisans!—Rupert!Dis-le-moi!C’estfatigant,cesuspense.Jesuistonamie.Çanedoitpasêtresipireque

ça. Je vais le leur demander ce soir pendant le vol si tu neme le dis pas, lemenaçai-je pour luisoutirersonsecret.—Net’avisepasdeleurdemanderquoiquecesoit.Etneleurmentionnesurtoutpasquejesuiston

ami.Sijeteracontel’histoire,tunedevrasjamaisyfaireallusiondansl’avion,m’avertit-il.—Pourquoi?Ellestedétestent?—Non !Mais ce qui s’est passé ce soir-là a créé toute une commotion.Depuis, elles ont laissé

courircertainesrumeurs,maismoijen’enaijamaisparlé.J’aidécidédecacherlavérité.Personnenedoitsavoir.—Rupert-le-potineurquigardeunsecret!Pourquoiest-ilsiprécieux?m’enquis-je.—Parcequ’ilimpliqueunpiloteetquel’histoireatournéauvinaigreaveclui.—Wô!C’estintéressant!C’estqui,cepilote?— Tu te rappelles le beau pilote qui, il y a quelques années, a démissionné sans raison après

seulementtroismoischezVéoAir?—CeluiquiadécidédenepaseffectuerunvolderetourdepuisParissanss’expliquer?demandai-

je,deplusenplusintriguée.—Oui,lui.—Tun’étaispaslà,justement?—Oui, et c’estprécisémentpour çaque je connais la raisonde sondépart, répondit-il, toujours

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aussiévasif.—Maisraconte,voyons!Vite,Rupert,s’il teplaît!Jedoisêtrepartiedansquinzeminutes.Je te

jurequejenedirairienàpersonne.MêmepasàBéa,lançai-je,fatiguéequ’ilmefasselanguir.—ÀBéa,çava,maisàpersonned’autre!insista-t-il.—Promis!Juré!Craché!Je me rassis sur le divan et Rupert partit enfiler un chandail. Il revint aussitôt dans le salon et

s’installa àmescôtés.Sonhistoire avaitvraiment l’air étrangeet j’espéraisqu’ilme ladéballeraitrapidementpournepastropmeretarder.Ilselança:—Bon,jeterappellequ’àmesdébutsdansl’aviationj’aifaitdesconneries.Toi,tuasembrassédes

pilotesquiavaientdesblondes,etmoij’aifaitd’autreschoses.OK?—Oui,Rupert,jenetejugeraipas.Promis!lerassurai-jeavantqu’ilcontinue.— L’histoire se passe à Paris quelques mois après mon premier vol. Certains membres de

l’équipages’étaientrassemblésdansunechambred’hôtelaprèslesouper.Ilyavaituncommandant,unpremierofficier,Cécile,Samanthaetmoi.—Ellesressemblentàquoi,cesfemmes-là,pourquejemefasseuneidée?— Cinquantaine, cheveux blond platine, trop maquillées. Elles devaient être belles lorsqu’elles

étaientjeunes,maislàellesontjustel’aird’avoirtropfaitleparty.—Hum,jevois.Etc’étaitquil’autrepilote?—Ah!Ça,parcontre,jeneteledispas!répliqua-t-ilaussitôt.—Benlà!Ilfaudraitsavoir!Tumeledévoiles,tonsecret,outunemeledévoilespas?—Non!Jenetedispassonnom.Detoutefaçon,çanechangerarienàl’histoire,affirma-t-il.Jelelaissaipoursuivre.— Plus la soirée avançait et plus l’alcool coulait à flots. Quand nous avons été bien soûls, la

questiondusexeestarrivéesurlatable.—Quellesurprise!fis-jeironiquement.—Ehoui!Unsujetquirevienttoujours.Nousaurionspunouscontenterd’enparler,maisCécileet

Samanthaonteuunebienmeilleureidée.Rupertfitunepausevolontaire.—Allez!Àquoiellesontpensé?l’interrogeai-je,impatiente.—Elles nous ont proposé de participer à un concours de fellation ! s’exclama-t-il enme tapant

brusquementsurl’épaule.—Tumeniaises?Ellessontdoncbienperverses!m’exclamai-jeàmontour.—Çaoui,jetel’accorde!J’étais sous le choc. Jamais je n’aurais pu participer à une telle compétition pour prouver ma

performanceaubâton.Quoiquej’auraispeut-êtreaiméregarderlascèneparunebrèchedansunmur.Enmêmetemps,j’étaiscurieusedeconnaîtrelasuitedel’histoire.IlfallaitqueRupertlatermineauplusvite.Unpeudecirculationsurlarouteetj’arriveraisenretardàl’aéroport.—Lecommandantétaitmariéet,enentendantcetteproposition,iladécidédepartir,reprit-il.—Très responsabledesapart. Ila sûrementmanquéquelquechose.CécileetSamanthadevaient

êtredéçuesqu’ilnerestequetoietlepremierofficier,non?—Enfait,jepensequ’elless’enfoutaient.Puisquelebeaupiloteétaitnouveaudanslacompagnie,

elles le voulaient rien que pour elles depuis le début de la soirée. Elles allaient enfin pouvoirs’amuseraveclui.—Ettoi,danstoutça?Tunet’estoutdemêmepaslaisséamadouerpardeuxmadames?demandai-

je,perplexe.

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—Évidemmentquenon ! J’aimoi aussipensé àpartir,mais lepremierofficier était vraiment àmongoût,alorsj’aiproposédejoueràl’arbitrepourobservercequiallaitsepasser.—Ouin,tuasdûterincerl’œil!—Mets-en !meconfirmaRupertavecunpetit souriregênéavantdecontinuer.Cécilea sortiun

bandeaudesonsacàmain.Commesielleavaitplanifiélecoup.Elleacouvertlesyeuxdupilote.Ilétaitdéjàprêtàcommencerleconcoursetavaitbaissésonpantalon.Danslecampdesrouges, ilyavaitCécileDuquet,etdansceluidesbleus,SamanthaBlindfort.—Oh!Arrête!Arrête!C’estdégradantcommehistoire.Jen’enrevienspasqu’ellesaientfaitça

pourimpressionnerungars,déclarai-je,scandalisée.—Tuveuxquej’arrête?Lameilleureparties’envient,Scarlett,m’appâtaRupert.—Bennon!Continue,voyons!C’estsûrquejeveuxconnaîtreledénouement!—Samanthaacommencé.Elles’estmiseàgenouxetafaitexactementcequ’ilfallait.Lepilotese

délectait.Elleacontinuéjusqu’àcequejecèdeletouràCécile.C’étaitmaintenantàellededonnertoutcequ’elleavait.Lepremierofficierétaitauxanges.J’aifinalementsifflélafindelapartie.Lerésultatsemblaitserré.—Quiagagné?demandai-je.—Lepiloten’arrivaitpasàsedécider,alorsilaréclaméuneprolongation.—Ah!Lesalaud!m’exclamai-je,outrée.—Brillant,tuveuxdire?mecorrigea-t-il.—Ouais,unrusépetitrenard…Ilfallaitvraimentquejeparte.JecommençaiàenfilermonmanteaupendantqueRupertcontinuaità

merelaterlacompétition.—Samanthaaalorsrecommencédeplusbelle.Elleyprenaitgoût.Puissontempss’estécoulé.Une

dernièrechanceétaitaccordéeàsonadversaire.Ilfallaitjouerletoutpourletout!—Etlepilote,danstoutça?Ilnedevaitpasluiresterlongtempsàtenir,dis-jedepuisl’entrée.—Ah!Ilétaitenextase.Samanthaavaittoutdonné.Maisc’estquandsonadversaireaprislerelais

qu’il avraiment ressentiun réelplaisir.Çayallaitpar là !Duvraiprofessionnalisme.Lepremierofficieraexploséendeuxsecondes!affirmaRupert,levisagetoutrouge.—Voyons!Pourquoit’esrougecommeça?C’estCécilequiaétédéclaréereinedelafellation?Jen’avaispasterminémaphrasequeRupertéclataitderire.Ilétaitpliéendeux.Jenecomprenais

paspourquoiilriaitainsi,maisjen’avaisplusdetempsàperdre.J’ouvrisalorslaporteafindeluisignalermondépartimminent.Me voyant partir sans même attendre le dévoilement de l’heureuse gagnante, Rupert tenta de

reprendre son sérieux en respirant profondément. Puis, après s’être calmé, il esquissa un sourireembarrassé,mefitunclind’œilcompliceetditenfin:—Etsic’étaitunroiquiavaitremportéleconcours?

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L

Chapitre11

Montréal(YUL)–Nice(NCE)

orsque jemontai dans l’appareil, les pilotes n’étaient pas encore là. Seulement deux agents debordmasculinsétaientarrivés.J’endéduisisqu’ils’agissaitd’YvesetdeGilles.Ilsavaienttous

les deux l’air très sympathiques, comme Rupert me l’avait précisé. Yves était grand et mince etarboraitunebarbe. Ildevaitêtredans lacinquantaine.QuantàGilles, il semblaitunpeuplusâgé :cheveuxgrislissés,manièresefféminées.Ilparlaitdéjàdesesfleurslorsquejemeprésentaiàlui.Je ne m’entretins que brièvement avec eux, préférant m’asseoir sur un siège dans la troisième

rangée en attendant l’arrivée du reste de l’équipage. J’avais ridiculement hâte de voir à quoiressemblaientCécileetSamantha.Je me remémorai les dernières paroles de Rupert : « Et si c’était un roi qui avait remporté le

concours?»C’étaitdoncvrai,cetterumeurde«concoursdepipe»mettantenvedetteunpilote!Jen’arrivais pas à croire que Rupert y avait participé. Le premier officier pouvait bien avoirdémissionnésur-le-champ!Quellehontepourlui!Unefoissoulagé,ilavaitprobablementsoulevésonbandeaupourféliciterlatalentueusechampionneetrapidementréaliséquemoncherRupertavaitoutrepassésonrôled’arbitre.Quelchoc!Lesdeuxreinesdelacompétitionavaientdûbienrire…Aumoins, l’autre pilote avait été raisonnable en s’en allant avant même que le concours commence.«MonJohnaussiseraitparti»,pensai-je,convaincue.Pendant que je réfléchissais à cette histoire,mes autres collègues arrivèrent.Elles riaient de bon

cœur.Jelesobservai.Deuxjoliesfemmesauxtraitsfinsetauxcheveuxbiencoifféss’assirentdanslarangée devant moi. Comme elles parlaient de leurs enfants, j’en conclus que l’une était Marie etl’autre,Martine.QuantàCécileetSamantha,iln’yavaitpasdedoute,ellesvenaientdeprendreplacedans lapremière rangée.Leurschevelures respectivesétaientd’unblondplatineexemplaireet leurteintbruniparlesrayonsUVleurenlevaitlepeudeclassequileurrestait.Leursvisagespoudrésnementaientpas.Elles enavaientvécu,des expériences,dans leurvie.Et l’uned’elles étaitd’ailleurspassionnante!«Siseulementellessavaientquejesais»,medis-je.Le directeur de vol, à qui le commandant avait fourni personnellement les conditions de vol,

commençasansplusattendresonbriefing:—Bonsoir à tous ! Je peux voir que vous vous connaissez déjà, alors on va laisser tomber les

présentations…Était-ce parce que j’étais assise dans le fond qu’on m’avait ignorée ? Je m’étais pourtant bien

présentéeaudirecteurdevolenarrivant. Il fallaitque jememanifeste immédiatementpournepasprojeterunemauvaiseimageetavoirensuiteàensubirlesconséquences.Commejemepréparaisàparler,l’unedesblondesplatineinterrompitYvesenmepointantdesonlongindexenduitdevernisrouge.—Pardon,Yves,maiselle,jenelaconnaispas,dit-elled’untonméprisant.J’avaisl’impressiond’êtreuneintrusedanssonavionetquemapeauclaireetjeuneladérangeait

prodigieusement. Tous les yeux se tournèrent alors dansma direction comme si personne n’avaitencoreremarquémaprésence.Yvessereprit:—Ahoui!Désolé!J’avaisoubliélap’titenouvelle.Hého!Nouvelle?C’estvraiquejen’étaispasdanslemilieudepuisvingtans,maisj’yévoluais

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quandmêmedepuisquelquesannées.Lemomentétanttoutefoismalchoisipourm’offusquer,jeprisleplussympathiquedessouriresetm’exprimaiavecconfiance:—Bonjour,moi,c’estScarlett!Je regardai alors lesdeux femmesdevantmoipourqu’elles seprésentent à leur tour.Ensuite, je

tournailatêteversledirecteurdevoletrépétaisonnompoursignalerquejem’ensouvenaisbien.JefisdemêmepourGilles,puisjeposaienfinlesyeuxsurlesdeuxblondesplatine.JemedemandaisquiétaitSamanthaetquiétaitCécile.Jesoupçonnaisquel’indexaccusateurappartenaitàSamantha.L’autreblondem’adressaungrandsourireetmedit:—Jem’appelleCécile.Enchantéedefairetaconnaissance,Scarlett.Jeluirendissonsourireetdirigeaimonregardverssavoisine.—Bonjour,Scarlett,jesuisSamantha,fit-elled’unairdésintéressé.Lesprésentationsétantterminées,Yvess’empressadereprendrelaparole:—Maintenantque tout lemondeseconnaît, jevais fairevite, car jedois lancer l’embarquement

danslesquinzeprochainesminutes.Commençonsparlespositions.«Quelle surprise !»pensai-je ironiquement.C’étaitchosecommune.Avantmêmed’entendre les

détailsduvol,chaqueagentdebordchoisissaitsapositiondansl’avionparordred’ancienneté.Étantla plus junior de l’équipage, je devrais me contenter du dernier choix, mais ça ne voulait pasnécessairementdirequ’iln’allaitpasmeplaire.Gillescommença.SuivirentMartineetMarie.PuisCécile,plusséniorquesa«meilleureamie»,

choisit de travailler à l’arrière avec Marie. Samantha avait maintenant le choix entre les deuxpositions restantes.L’une impliquaitde travaillerdans la cabine,maisausside s’asseoirdevant lespassagers aumilieu de l’appareil. Et l’autre permettait de s’asseoir complètement à l’arrière, sanspassagers,etdejaseravecsescollègues,maisnécessitaitaussidepréparertousleschariotsderepasetdeboissons.Àvoir saparfaitemanucure, jedoutaisqueSamantha se risqueà travaillerdans lagalleyarrièreetàsouleverdescontenantslourds.Ellepleureraitsansdoutesiellesecassaitunongle.Ellechoisitcommejelepensaislapositionassisedevantlespassagersetj’obtinscelledanslagalleyarrière.Ledirecteurdevolcontinuasondiscours:— Ce soir, nous opérons le vol 234 vers Nice, avec un temps de vol prévu de sept heures et

cinquante-cinqminutes.—Grrr!seplaignitSamantha.Voilàquinemesurprenaitpas.Ellem’avait tout l’airdugenred’agentedebordfaisantpartiedu

secondgroupedesacoches.Lesmollasses,quisetuaientrarementàl’ouvrage.C’estvraiquepresquehuitheuresdevolétaientuneduréeanormalementlonguepourunNice.Septheuresetdemieauraientétéraisonnables,etjecomprenaissadéception.Trenteminutesdeplussignifiaientpourmoiquej’enauraispourpluslongtempsàcombattrelesommeil.MaisjedoutaisqueSamanthas’exclamepourlamêmeraison.Pourelle,cettedemi-heuresupplémentairevoulaitplutôtdirequ’elledevraittravaillerpluslongtemps.Yvesignorasaréactionetpoursuivit:—Levolestplein.Troisfauteuilsroulantsetdeuxbébés.—Grrr!grognadenouveauSamantha.Lareinedugroupedevaitmaintenantseplaindreparcequ’ilyauraittropdepassagersàservir.Elle

auraitsansdoutepréféréquel’avionsoitvidepourdormirdurant tout levol.Maissanspassagers,aurait-elleencoreunemploi?Ellen’avaitsûrementpaspenséàcelégerdétail.Elles’empressadedemander:—Benlà!Est-cequ’onaaumoinsnossiègesd’équipage?—Oui,Samantha.Ne t’inquiètepas.Vousavezvos siègesà l’arrièrepourvous reposer lorsdes

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pauses,précisaYves.Ellesecalmaenfinetlaissaledirecteurdevolterminersonbriefing.Curieusement,jen’avaispas

entenduCécilebronchercommesajumelleplatine.Jel’avaispeut-êtrejugéetropvite.Cécileoscillaitpossiblement entre les deux groupes.Vigoureuse ou sans tonus, selon les jours. Je le saurais bienassezvite.

***

Leservicede repas s’était fait enun tourdemain.Leschariots étaient remplisdeplateaux sales.J’étaisdégoulinantedesueuràforced’avoirouverttouscesfourspourrécupérerlesplatschaudsdespassagers.Jen’avaispaseuuneminutepourmerelaxer.Jenemesouvenaispasd’avoirdéjàétéaussioccupéeparlepassé.Lesautresagentsdebordavaient-ilsbiendéposélesplateauxsurlestablettes?Ou les avaient-ils seulement jetés à la figure des passagers pour aller plus rapidement ? J’étaisperplexe.Cécilearrivaàl’arrièrepourmangersonrepas.Jelaquestionnai:—Jen’aivraimentpasarrêtépendant le service.Est-cequec’estmoiouvousavez servi tout le

mondeenuntempsrecord?—Ouais,plusviteilssontservis,plusviteondébarrasseetplusviteonpeutdormir,m’expliqua-t-

elle,commesilachoseétaitévidente.—Ah!Jevois…Je n’avais pas rêvé. Je venais dem’échiner à la tâche pour permettre au reste de l’équipage de

dormirpluslongtemps!Jeravalaimacolèreetsortislechariotdesrepasquinousétaientréservésafinquemescollèguespuissentmanger.Àpeine lecompartimentétait-ilouvertqueSamanthas’yprécipita.Elle sortitunplateau,puisun

autre,etfitsonagencementpersonnel.Jecomprisquelasaladeauxpoischichesneluiplaisaitpas,car elle la remplaça par la laitue. Pour les feuilles vertes, la sauce à l’italienne déposée sur sonplateau semblait ne pas l’intéresser. Elle prit celle aux tomates séchées sur un autre plateau. Parcontre, le dessert lui convenait. J’avais l’impression d’observer une louve en train de chasser unebiche.Sesjolislouveteauxattendaientpatiemmentenretraitleurpartdufestin.La louve finit par s’asseoir pourmanger son repas. J’aurais bien aimé qu’elle s’installe sur les

siègesd’équipage,loindemavue,maisellepritplutôtplacesurlestrapontinàl’arrièredel’avion.Je la voyais me scruter d’un regard hautain entre chaque bouchée. Je ne m’en formalisai pas etcontinuaiànettoyerlescomptoirshumides.Soudain,ellesedécidaàmeparler:—Scarlett,c’estça?—Oui,c’estça,confirmai-je.—Çafaitlongtempsquetuesdanslacompagnie?—Unpeuplusdetroisans.—Tuasunchum?Jen’étaispassurpriseparsesinterrogations.Jelesappréciais,même.Samanthavoulaitassurément

mefairelaconversation.Sadernièrequestion,clé,pouvaitouvrirladiscussionsurdifférentssujets:où avais-je rencontré mon mec, qui était-il, que faisait-il, quels étaient nos projets…Malheureusementpour elle, il faudraitqu’ellemequestionne sur autre chose, car jen’avais rienàdireàcepropos.—Non,personne,répondis-je.—Ahouin…Unebellefillecommetoi!Célibataire!Commentça?medemanda-t-elle,commesi

j’avaisuneexplicationlogique.—Hum,apparemment,jesuistropdifficile,avouai-jeentouteconscience.

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—Voyonsdonc!Tuasquelâge?Vingt-six?—Non,vingt-neuf,luidis-je,raviedeparaîtreplusjeune.—Bah!Sij’avaistonâge,jecroqueraisn’importequietjenemesoucieraispasdemedénicherun

mari.—Ouais,maisjevaisbientôtavoirtrenteans!—Voyons,mabelle!Thirty is thenewtwenty!Amuse-toidoncavantqu’ilnesoit trop tard,me

conseilla-t-elle.M’amuser ?OK !Mais croquer ?Wô ! «Certainement pas comme elle ! » pensai-je. Samantha

n’avaitpastort.Ilfallaitquejemelaissealler.Etc’estcequej’essayaisdefaireavec«Lejeuduflirtextrême».Jen’avaistoutsimplementpasencorerencontréquelqu’unquim’allumaitassezpourallerplusloin.«MisàpartJohn»,medis-je.Maisça,jen’avaispasledroitd’ypenser.J’aimaisbiencetteSamantha, en findecompte.Unecroqueused’hommes,peut-être,maisaussiune femmequi savaits’amuser!

***

Le vol s’était bien déroulé et mon équipage avait travaillé vigoureusement, mis à part les deuxsacochesmollasses qui s’étaient endormies pendant presquedeuxheures sur les sièges d’équipagesanslaisserlesautress’yreposer.Malgrél’attitudeégoïstequeSamanthaavaitadoptéetoutaulongdu vol, j’avais quandmême aimé notre conversation. Et puis les fâcheuses habitudes qu’elle avaitacquisesaufildesannéesn’allaientsûrementpaschanger.Rienneservaitdoncdes’enindigner.J’avais passéunepartie duvol à discuter de tout et de rien avecMarie etMartinedans lagalley

arrière.Ellesm’avaientfélicitéepourma«zénituded’esprit»concernantmoncélibatetm’avaientaussipréditquecetteattitudeattireraitinévitablementdeshommessurmonchemin,etce,sansquejelèvelepetitdoigt.Etsiellesavaientraison?

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–M

Chapitre12

Nice(NCE)

esdamesetmessieurs, jevous souhaite labienvenueàNice. Il est présentement7heuresdumatin et la température extérieure est de 15 degrés Celsius. Nous vous demandons de

demeurerassisavecvotreceintureattachée…QuinzedegrésCelsius!C’étaitunpeufroidpouralleràlaplage.Quoiqu’ilétaitencoretôtetque

j’étaisicipourtroisjours.Lajournéeallaitsansdouteseréchauffer.«Unetempératureparfaitepourvisiterlaville»,medis-jeenrécupérantmoncarry-on.Lespassagersayanttousdébarqué,jem’avançairapidementverslasortie.J’avaishâtedem’asseoir

dansl’autobusd’équipage.Lesyeuxmepiquaient.«Lesvolsdenuitpeuventbiens’appelerdesred-eyesenanglais!»pensai-jeenposantlepiedhorsdel’avion.Jefuslapremièreàensortir.J’étaisétonnéequeSamanthanem’aitpasprécédée.Elleauraitétédugenreàpartiravantlespassagerspourêtrecertainedemonterlapremièredansl’autobus.Enarrivantauxdouanes françaises, je remarquaique lespassagersmebloquaient la route. Je les

contournai,remontailafilejusqu’audouanieretattendisquecelui-cimeregarde.Ilmevitetmefitsignedepasserimmédiatement.Jesoulevaimacarted’identitépourmembresd’équipageafinqu’illaregarde,maisilsecontentad’abaisserlatêteensigned’approbation.Àpeineyavait-ilposélesyeux.«Quec’estagréabled’arriverenFrance!»pensai-je.Commej’avaisprisl’habitudedevoyagerléger,jen’attendispasdevaliseaucarrouselàbagages.

Jerepérairapidementl’indicationdelasortieetm’ydirigeaisanstarder.J’approchaialorsdedeuxgrandes portes coulissantes argentées. Le matériau opaque m’empêchait de voir de l’autre côté,reflétant plutôt mon image. Plus je m’avançais et plus ma silhouette se dessinait fièrement, de lacourburedemeshanches jusqu’à lacarruredemesépaules.Macoiffuresemblaitencore intacteetlisse, car son éclatmiroitait dans la glace.Mes lèvres rougeâtres coloraientmon visage.Derrièremoi,pasâmequivive.Detouslespassagersetmembresd’équipage,j’étaislapremièreàutilisercesportes.Finalement, ces éblouissants miroirs s’ouvrirent et j’accédai à l’aire d’arrivée. Soudain, j’eus

l’impressiond’êtreunecélèbrestardecinémaarrivantàNicepourassisterauFestivaldeCannes.Lespaparazzism’attendaient.Desbouquetsdefleursm’étaientofferts.Onmedemandaitdesautographes.Touscesgensn’étaient làquepourmoi!Ilnememanquaitqu’unepairedelunettesfuméessur leboutdunezpourquejememetteàsaluermesfans.Hélas, je rêvais. Personne nem’attendait.Malgrémon désolant anonymat,mes faux admirateurs

s’écartèrent surmonpassage,me frayant ainsi un chemin. Je fendis la foule d’un air supérieur enregardantautourdemoi.Etlà,brusquement,monattentionfutattiréeparlevêtementrougeportéparl’und’eux.Machinalement,jelevailesyeuxpourregarderlevisagedelapersonneauchandailrouge.C’était

unhomme.UnAdonis.Sescheveuxbrunstombaientsursesépaules.Ilavait l’aird’unsplendideetdélicieuxhippie.Ilm’observaitluiaussi.Cethommemedisaitquelquechose.Commentpouvais-jeleconnaître?J’étaisàNice!Del’autrecôtédel’Atlantique!Ilmefixaitencore,etplusj’avançaisverslui,plussonvisagemesemblaitfamilier.J’arrivaiàses

côtésetjemesouvinsenfin.

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—Euh…Arnaud?Salut!dis-jeenétatdechoc.—Scarlett?C’esttoi?Salut!merépondit-il,nonmoinssurpris.J’étais figée.Devantmoi se tenait le plusbeaugarsque j’aie côtoyépendantmapremière année

d’université.Ilétaitfrançaisetavaitparticipéàunéchanged’unanauCanada.Àl’époque,jen’auraisjamaisvouluvivreunequelconquehistoireavec lui,car jesavaisqu’ilétaitunvéritableCasanova.Telle la Scarlett réservée que j’étais alors, j’avais refusémaintes fois ses avances. Et puis il étaitretournévivreenFrance. Jen’avais jamais regrettédenepasavoirété l’unedesdizainesde fillesayant finidans son lit.Parcontre,maintenantque j’étaisengagéedans«Le jeudu flirt extrême»,j’étaissoudainementprêteàfairelesaut.—TuhabitesàNice?luidemandai-jevivement.—Enfait,jevisàMonaco.Toi,tufaisquoiici?«Quellequestion!»pensai-je.Commesimonuniformeet le foulardautourdemoncouétaient

monstylevestimentairedetouslesjours!Jem’empressaitoutdemêmedeluirépondregentiment:—Ben,jetravaille…Jesuishôtessedel’air.—Wow!Tubossesdansunavion?—Exactement,tuastoutcompris,dis-je,embêtéededevoirconfirmercetteévidence.Toi,tuviens

chercherquelqu’un?Manifestement, j’avais emmené dans mon avion la personne qu’il attendait. Qui était-ce ? Une

ancienne conquête ? Un ami ? Sa copine ? Cette dernière option me décevrait. J’étais impatiented’entendresaréponse.—Unclient,medit-ilenpassantsamaindanssachevelure.J’étaissoulagée.Lavoieétaitlibre.Etàvoirleregardqu’ilposaitsurmoi,jesentaisqu’ilavaitla

mêmeidéequemoientête.Jevisalors lesautresmembresd’équipagesortirpar lesportesargentées.Samanthadevançait le

groupe.Ellepassaprèsdemoietm’aperçuten traindediscuteravecArnaud.Ellenes’arrêtapas,maismefitunsourireencointoutenmelançantunclind’œilcomplice.Jecomprislemessage.—Arnaud,jedoispartir,monéquipageestarrivé,affirmai-jepouraccélérerlaconversation.Àmongrandsoulagement,jen’euspasbesoind’endiredavantage,carilpritlesdevants.—TuesàNicepourlongtemps?medemanda-t-il.—Troisnuits.—Ehbien,ceseraitdommagedenepaspouvoirse revoir !Écoute, je te laissemonnumérode

portable.Appelle-moiplustardetjeviendraiteretrouvercesoir,peuimporteoùtuseras,OK?—Parfait!Àcesoir!dis-jeavantderejoindrel’équipagedansl’autobus.

***

J’étais àpeineassisequehuitpairesd’yeux, incluant ceuxdespilotes, se tournèrentversmoi. Jesoulevai les épaules sans rien dire. J’étais bouche bée devant les hasards de la vie. Si j’avais eu àm’inventerunepersonnesurquitomber,Arnaudauraitétéledernieràquij’auraispensé.Lesilencerégnaitdansl’autobus,maisçanedurapaslongtemps.—Ouin,ouin,ouin,çaal’airquelap’titenouvelleadescontactspartoutdanslemonde,metaquina

Samantha.— Euh… Franchement, je ne sais pas quoi vous dire. J’ai connu ce gars il y a dix ans. Je ne

m’attendaisvraimentpasà lerencontrer toutbonnementà7heuresdumatinenatterrissantàNice,dis-je,commepourmejustifierd’êtrelavictimeduhasard.—Tuvaslevoircesoir,j’espère?

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À entendre le ton de Samantha, je pensai immédiatement que, si ce n’était pasmoi qui profitaisd’Arnaud,elles’arrangeraitpourlefaireelle-même.Sonairmefitsourire,maisjenerépondisrien.—Entoutcas,Scarlett,tunepeuxpasdirequetonauranetel’apasservisurunplateaud’argent!

ajoutaMarieenréférenceauxproposqu’elleavaittenusunpeuplustôtavecMartine.—Wô,lesfilles!Onsecalme!Jevaisl’appeleraprèsmasiesteetonverras’ilvientmevoir.C’est

unvieilamid’universitéetnousallonsjusteprendredenosnouvelles,déclarai-jeenycroyantplusoumoins.—Bah!Monœil!lançaCécile.Ilestbeaucommeuncœur,tunevasquandmêmepastecontenter

dejaser!—Hum, onverra.Cegars-là est le pire coureur de jupons que j’aie jamais connu, rétorquai-je,

encoreincertainedesavoircommentenvisagerlasoirée.—Uncoureurde jupons, c’est parfait,Scarlett !Tunepouvais pasmieux tomber !On sait déjà

commentlasoiréevaseterminer.Amuse-toipourmoi,lap’tite!s’exclamaSamantha.Maintenant, tout l’équipage savait avec qui je passerais possiblement la nuit. Quel malaise ! Ils

étaienttouslààrigoleretàm’imagineraulitavecArnaud-l’Adonis!Ilsm’encourageaientmêmeenchœur!—Comeon,Scarlett!Comeon!criaient-ilsenfrappantdesmains.Décidément,j’avaisstimulél’espritd’équipe.Jeméritaisbienunprixpourcela,mêmesiç’avaitété

involontaire!Enlesentendant,jenepusm’empêcherd’éclaterderire.—Bon,bon,calmez-vous!Jevaisfairedemonmieuxpournepastropvousdécevoir!déclarai-je,

amuséeparlatournuredesévénements.—Goodgirl!melançaSamanthaavantdefermerlesyeux.J’inséraimesécouteursdansmesoreilles,allumaimoniPodetfermailespaupièresàmontour.

***

—Oui,allo?—Arnaud?—Oui,lui-même.—Salut!C’estScarlett!—Ah!Scarlett!Salut…—Jetedérange?—Enfait,jesuisavecunclient.Est-cequetupeuxmerappelerdansuneheure?—Hum…Oui,pasdeproblème.Àplustard,alors.«Quandtuserasprêt,rappelle-moi,toi!»grognai-jeaprèsavoirreposélecombiné.Sontonavait

été«net,frette,sec».Vraimenttoutlecontrairedeceàquoijem’attendais.Ilnem’avaitmêmepassaluéeen raccrochant. Jedétestaisqu’ungars fassecegenredechose, surtoutquandc’était luiquiavaitproposéqueje lecontactepourqu’onfixeuneheurederencontre.Nevoulantpasentirerdefaussesconclusions,jedécidaidelerappelerplustardetenprofitaipourallercourirlelongdelaPromenadedesAnglais.Àmon retour dans la chambre, je prismadouche, puis tentai un deuxième appel. Juste avant de

composer le numéro, jeme promis que, si Arnaud ne décrochait pas, l’histoire s’arrêterait là. Jen’avaispasl’intentiondeforcerleschoses,maisj’espéraistoutdemêmequ’ilrépondrait.—Dring!Dring!Dring!Lasonnerieretentissaitàl’autreboutdelaligne.—Dring!Dring!Dring!

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Çasonnaitencore.—Dring!Dring!Dring!Toujourspasderéponse.Jeraccrochai.GRRRR!J’étaisfollederage!C’étaitluiquiavaitproposédevenirmevoiretvoilà

qu’iljouaitàl’indépendant.Jenevoulaispasluicouriraprès.Enmêmetemps,qu’avais-jeàperdre?Ma dignité ?Même pas ! Je reniaima promesse faite deux secondes auparavant et composai unetroisièmefoissonnuméro.—Dring!Dring!Dring!«J’ail’aird’uneaccro!»pensai-je.—Dring!Dring!Dring!«Çacommenceàêtrehumiliant,là!»—Dring!Dring!Dring!Etildécrochaenfin.—Allo?—Salut,Arnaud,c’estScarlett!—Salut,Scarlett!répondit-ilavecunpeuplusd’entrain.Voilàquiétaitunbrinrassurant.Peut-êtrem’étais-jeaffoléepourrien,finalement.—Tupeuxparler,maintenant?demandai-jeironiquement.—Oui,oui,t’inquiète.—Tuestoujoursdisponiblepourvenirmevoir?—Ouais,maisjenepourraiterejoindrequevers23heures.«Eille!Ilmeniaise,j’espère!Vingt-troisheures!C’estuneheureavantminuit,ça!m’emportai-je

intérieurement.Pourquoinepasmediredirectementqu’ilneveutpasmevoirdutout?Oubienqu’ilveut juste entrer dans mon lit ? » J’étais bouche bée. Je ne savais pas quoi lui répondre, car sij’acceptais,jesavaisoùçafinirait.Enconstatantmonsilence,Arnauds’efforçademeconvaincre:—C’est vraiment dommage, Scarlett,mais je dois dîner avecmon client ce soir. Je vais quand

mêmeessayerd’arriveravant,d’accord?—OK!Texte-moiquandtuaurasterminéetjeviendraiterejoindreàl’hôtel.JesuisauMercure

surlaPromenadedesAnglais,tuvoisoùc’est?—Ouais,parfaitement.Àcesoir,alors.—Àcesoir,dis-jeavantderaccrocher.Jenepouvaispascroirequ’ilavaiteuassezdeculotpourm’offrirdeleretrouveràuneheureaussi

tardive.Manifestement, ilnevoulaitpasjusteprendredemesnouvelles.Etdepuisquej’avaisparléaveccetteSamanthaBlindfort,j’avaismoiaussilegoûtdem’amuser.CetterencontrenocturneavecArnaud-l’Adonis, coureurde jupons,nepouvaitquecontribueràmacurededésintox. Je repris lecombinéetcomposailenumérodechambredeSamantha.—Ouiiii!répondit-elleavecprécipitation.—Samantha,c’estScarlett.Tudormais?—Non,non,mabelle.Qu’est-cequ’ilya?—Jevoulaissavoirsivousaviezprévuallersouperquelquepart,cesoir.—Ouais,onserejointà6heuresdanslehall.Tuveuxvenir?—Oui,jeserailà.—Maistunevoispastonétalon?s’exclama-t-elle.—Ouais,maisl’étalonveutvenirplustard…expliquai-jeensous-entendantl’évidence.—C’estsuperpourtoi,parcequ’unvraiétalonnedépensepasdel’énergiepourrien,Scarlett.Illa

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gardepourêtreperformant,dit-elleencroyantsûrementmerassurer.—Hum,àplustard,Samantha!—Àplustard,mabelle.Voilà qui était loin d’être réconfortant. Un étalon ? Non ! Je savais très bien ce que les étalons

faisaientauxjumentslorsd’unaccouplement.C’étaitgros,duretçaallaitdroitaubut,sansfla-fla.Cen’étaitpasdutoutcequej’avaisentête.J’avaissoudainpeurdusortquim’attendait.«Tuparanoïes,Scarlett!Arnaudestdouxcommeunagneau!»tentai-jedemeconvaincreavantdetâcherdedormirpourrécupérerdesforces.

***

—Coin-coin!Coin-coin!Coin-coin!fitlepetitcanardduiPhone.Ilétaitdéjàpresque18heures.Jemelevaiaussitôtetm’habillaivitepourrejoindrel’équipagedans

lehall.Lorsque j’arrivai, tousm’attendaient etnouspartîmes sans tarder.Nousmarchâmesvers levieuxNice,làoùMariedisaitconnaîtreunbonrestaurant.Nousyparvînmesauboutdedixminutesetentrâmesàl’intérieur.JeprisplaceprèsdeSamantha,carj’avaisétrangementbeaucoupdeplaisiràl’écouterparler.Céciles’assitànoscôtés.Aprèsquenousayonsbuquelquesverresduvinmaison,laconversations’orientaànouveaudansmadirection.—Scarlett aunedate ce soir avec sonmec ! annonça fièrementma collègueplatine au reste du

groupe.—C’estsuper,ça!s’exclamèrent-ils.—Ouais,dis-je,gênée.—Ilnepouvaitpassouperavectoi?demandaladouceMarieaveccuriosité.—Bennon !C’est inacceptable, hein ? fis-je, conscienteque siArnaudavait vraimentvoulume

voirilseraitvenumangeravecmoi.—Ehbien,çaenditlongsursesintentions,répondit-elle.—Etqu’est-cequeçapeutbienfaire?s’exclamaCécileencoupantlaparoleàMarie.Legarsne

veutriend’autrequeçaetilnepassepasparquatrecheminspourleluidire.C’esttout!—Ilauraitaumoinspujouerlagame,dis-je,déçue.—Scarlett!Àquoias-tupenséquandtul’asvuàl’aéroport?medemandaCécile.—Ben…hésitai-je.—Ausexe!Voilààquoituaspensé!dit-elleenm’enlevantlesmotsdelabouche.—Ouin,reconnus-je,unpeumalàl’aise,commesic’étaituncrime.—Iln’yariendemallà-dedans!s’exclama-t-elledeplusbelle.Lesexe,c’estsibon!J’étaissouslechoc.JesavaisqueCécileraffolaitdesplaisirscharnels,maisdelààcequ’ellemele

confirmeentredeuxcoupsdefourchette!Personneneparlaitplus,misàpartYvesetGillesqui,aubout de la table, discutaient d’un tout autre sujet. J’en étais d’ailleurs soulagée.Marie était restéemuettedepuisqu’elles’étaitfaitcouperlaparoleetMartine,elle,semblaitentotalaccordavecCécile.Samantha,poursapart,préparaitsaréplique.—Miam!C’estvraiqu’iln’yariendemieuxquedubonsexe!—Leproblèmen’estpaslà,Samantha!C’estjustequ’Arnaudauraitpuaumoinsmefairecroire

l’espaced’unesoiréequej’étaisunique,expliquai-je.—Ah!Jevois!Tuesuneromantique.—Ben,unpeu.—C’estunhommequ’iltefaut,alors,pasunétalon!—Oui,peut-être,maiscrois-moi,j’aiaussibesoind’unétalon,affirmai-je,convaincuededevoir

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mechangerlesidéesunefoispourtoutes.—Wô!Elleestvoraceetexigeante,lap’tite!déclaraCécile,impressionnéeparmoncommentaire.—Ah!Allez,lesfilles!Laissez-latranquilleàlafin,intervintMariepourveniràmarescousse.—OK!OK!Ontelâche,Scarlett!Maisest-cequejepeuxaumoinstedonnerundernierconseil?

mesuppliaSamantha.—Oui!acquiesçâmes-nousenchœur.Ellepassaalorssesdoigtsdanssachevelureblondplatine,commepoursoulignerl’importancede

sarévélationimminente.Elleposaensuitesesdeuxmainsàplatsur la table,dechaquecôtédesonassiette,etmechuchotaamicalement:—Àchaqueâge,ilfautprofiterdecequis’offreànous.Àvingtans,c’estletempsdedanseretde

flirter.Àtrenteans,dejouirdesabeautéetdesonentièreféminité.D’icicinqans,ceseralesbébés.Ilseraalorstroptardpourtoi.Monconseil:c’esttontour,Scarlett!Nelelaissepaspasser,parcequ’ilnereviendrapas.Ets’ilfautpourçaqueturencontresunétalon,alorsvas-y!Queljudicieuxconseil!Samanthaavaitbienraison.J’avaislachancedem’amuseravecunhomme

etd’êtreencore librede le faireàmaguise.Dansquelquesannées, les« flirtsextrêmes» seraientchoses du passé, alors autant en profiter maintenant. Comme je m’en convainquais, je reçus unmessagetextesurmontéléphone:«Salut,Scarlett.Enroute.Serailàdans15minutes.Arnaud.»«Justeàpoint»,pensai-je.Jepayaietquittai le restaurantausond’un«Bonnechance» lancéà

l’unisson.

***

Lorsquej’arrivaidevantl’hôtel,Arnaudm’attendait.Ilmefitlabiseetmeproposad’allerprendreunverredansunpubqu’ilconnaissait.J’acceptaideboncœur.Nousprîmesunetabledansuncoinsombre de l’établissement. La serveuse vint alors nous demander ce que nous aimerions boire. Jechoisisunverredevinrougeet lui,unebière.Nous trinquâmeset,aussitôtnotrepremièregorgéeavalée,Arnaudmeditsanslamoindregêne:—Alors,aprèsnosverres,onvadanstachambreouchezmoi?Moncœurfituntoursurlui-même.«Sérieusement?Paslapeinedemecourtiser,surtout!»me

dis-je,unbrincontrariée.—Hum,Arnaud,tunepourraispasêtreunpeuplusromantique…—Voyons,Scarlett,nemedispasquecen’estpascequetuavaisentête?Je ne répondis pas tout de suite.Même si, franchement, c’était exactement ce à quoi je pensais !

Désormais, il n’existait plus de règles. Ayant temporairement abandonné tous mes principes, jen’avais pas le droit de m’offusquer de quoi que ce soit. Je décidai de me soumettre au jeu sansréserve.—Machambre,alors!déclarai-jesolennellement.—Hum,j’aimeteslèvres,dit-ilaussitôtenmordillantlessiennes.Ohlà!J’avaisl’impressiond’avoiralluméunbrasier.JesentaisArnauds’enflammersursachaise

tandisqu’ilm’examinaitsous toutes lescoutures.Jenepusm’empêcherdemedemanderquelétaitmon rang sur sa longue liste de conquêtes. Serais-je la cinquantième ? La centième ? La deuxcentième?Jepréféraisnepastropypenser.J’admiraialorssabeautéetenconclusque,malgrésonattitude qui m’agaçait, je devais le voir comme un élément indispensable à mon évolution. Sanshésitation, je lui proposai de gagner immédiatement ma chambre. Il me regarda, complètementsurpris,etm’embrassasansavertissement.—Délicieux,murmura-t-ilaprèsunlongbaiser.

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Eneffet,cen’étaitpasmaldutout.Pourquoim’enétonner?Ildevaitêtredoué.C’étaitsaspécialité.Fougueusement,ilm’embrassauneautrefois.—Ayoye!Ayoye!m’exclamai-je.Tumemordsunpeufort,là!—Ah!Désolé!C’estquejeteveuxtellement!sejustifia-t-il.—Ouin,jevoisça…Décidément, Arnaud était dominé par ses pulsions sexuelles, car en m’embrassant il perdait

totalement le nord. Je n’étais plus sûre de vouloir l’inviter dansma chambre.Si certaines femmesappréciaient la douleur pendant l’amour,moi, je n’en raffolais pas.Ou bien était-cemonmanqued’attrait pour sa personnalité qui affectait tout le reste ?Pour en avoir le cœur net, je l’embrassaiencore.—Tuvois!Jenemordsplus,medit-il.—Hum,eneffet.N’ayantmaintenantplusaucuneraisonderevenirsurmaproposition,jemedirigeaiavecluivers

monhôtel.Mesdoutess’étaientapaisésetcommençaientàs’envolercomplètement lorsqueArnaudmepoussacontrelemurd’unédificecommercialdonnantsurunesombreruelle.—Ah!Scarlett!Jeteveux!Là!Maintenant!medit-ilenmemordantcettefoisl’oreille.—Voyons,Arnaud!Ilyadespassants.Onvaarriverdansquelquesminutesàl’hôtel,calme-toi!le

suppliai-jetoutenlerepoussant.—Tuestropcanon,Scarlett!Montre-moitesnichons!m’ordonna-t-il.L’étalonenluiallaitbondirsursajument.Jelesentaisdurcontremacuisse.Ils’yfrottaitcomme

s’ilallaitjouird’uninstantàl’autre.Jenecomprenaispassaréaction.Etmoiquicroyaisqu’avoirdel’expérienceapportaitunminimumdemaîtrisedesoi.Merde!Jen’avaispasaffaireàuncoureurdejupons,maisàunobsédésexuel!Arnaud-le-pervers!Ilétaithorsdequestionquecetanimalviennes’accouplerdansmachambre!Jelerepoussaiviolemment.—Arnaud!Çasuffit!Jen’aipluslegoût!criai-je.—Voyons,tunedemandesqueça.—Jet’aiditquejen’avaisplusenvie!—Tuessérieuse?—Oui!—Jen’enrevienspas!Tun’esqu’uneallumeuse,melança-t-ilméchamment.—Jem’enfous!Jen’aipluslegoût!Etjem’éloignaiaussitôtdeluipourgagnerlarueprincipale.Comment cette situation avait-elle pu se retourner contre moi ? J’avais été remplie de bonnes

intentionsdepuis ledébutde la soirée.Auboutd’uneoudeuxminutesdemarche, je fisvolte-facepourvoirsiArnaudmesuivait. Iln’étaitpas très loinderrière.Toujoursaussidésireuxd’atteindresonobjectif,ils’empressades’excuser:—Désolé,Scarlett!Jepensaisquetuaimaisça!Jeneparlaipas.—Allez,poulette!Justeunpetitcoup!Jegardailesilence.—Ah!Putaind’allumeuse!hurla-t-ilàpleinspoumons.Toujoursmuette,jemeretournai,affichaiunsouriretriomphantetrentraiàl’intérieurdel’hôtel,

convaincued’avoirprislabonnedécision.

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J’

Chapitre13

Montréal(YUL)–Orlando(MCO)

avaisdécidédemettre«Lejeuduflirtextrême»decôtépourlapériodedesfêtesafindefairelevide.AprèsmarencontreratéeavecArnaud,j’avaisdemandéàBéaetàRupertdeneplusjouer

auxentremetteurspourunmoment,carj’avaisbesoindedigérerlapilule.Ilnefallaitpasquejemedécourage.Quelquepart dans cemonde, il devait bieny avoir quelqu’unpourmoi. J’étais encorerésolueàcontinuermonjeu,maisunepauseétaitnécessaire.Jem’étaisditquejelereprendraisdèsjanvier.Sij’avaissucequelaprochainerencontremeréservait,j’auraisrenoncéimmédiatementàcestupideengagement.J’en étais à ma septième journée consécutive de vol depuis le 19 décembre et je n’avais

malheureusementpaspumerendrechezmesparentspourNoël.Mamèreenavaitététrèspeinéeetmoiégalement,maisjesavaisqu’obtenirdesjoursdecongéacceptablespendantlapériodedesfêtesétaitquasiment impossible lorsqu’onavaitencorepeud’ancienneté.Avantmonvol,encematindu25décembre,jeluitéléphonai.—JoyeuxNoël,maman!—Scarlett!JoyeuxNoëlàtoiaussi!Tonpèreetmoiaurionstellementaiméquetusoisavecnous

hier.Toutelafamilleétaitlà,ilnemanquaitquetoi.—Oui,jesais.J’auraisaiméêtrelàaussi.—Tuauraispudireàtespatronsquetuétaismalade,voyons!medit-elled’unevoixautoritaire.—Non,maman,tusaisquejen’aimepasça.—Mêmepourtafamille?—Maman!Jenet’appelaispaspourquetumeculpabilises.Jesuisdéjàcrevéeetjenesuismême

pasencorerendueàl’aéroport,alorss’ilteplaît,arrête!répondis-je,légèrementcontrariée.—Ah!Désolée,mafille.Tuvasoùaujourd’hui?—Hum…Jenesaispas.Jen’aipasregardéladestination,justelenumérodevol.— Je te souhaite un bon vol, alors ! Et joyeux Noël ! Je t’aime, dit-elle d’un ton empreint de

tendresse.—JoyeuxNoël.Je ne pouvais pas lui en vouloir d’être aussi directive. Elle me voulait près d’elle. C’était

compréhensible.Mamèrevenaitparcontredepiquermacuriosité.Jefouillaidansmonsacàmainetdépliai mon itinéraire de vol. En fait, depuis quelques mois, j’avais pris la mauvaise habitude devérifierlesnomsdemescommandantsavantchaquevolenespéranttombersurceluiquim’obsédaittant.«Pasaujourd’huinonplus»,m’étais-jeditunpeuplustôtennelevoyantpassurmonitinéraire,et j’avaisalorsoubliéde regarderoù j’allaispartir.Dans lavoiture, je lus ladestinationàcôtédunumérodevol:MCO.Soudain,jeréalisaidansquelpétrinj’étais:unOrlando,lejourdeNoël!Àl’aide!

***

Plusieursparcsd’attractionsexistentdans lemonde.L’undesplusconnus,DisneyWorld,sesituetoutprèsdelavilled’Orlando,enFloride.C’estunénormecomplexedeloisirsoùonpeutvoirtousles personnages fictifs de notre enfance, comme Mickey Mouse, Cendrillon et la Belle au Bois

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Dormant. DisneyWorld attire tout le monde, moi y compris. Orlando est donc officiellement ladestinationrêvéepourlesfamilleset,surtout,pourlesenfants.J’adoreWaltDisneyetjeraffolemêmedeMinnieetdeMickey.Leproblèmen’estpaslà.Làoùje

m’affole, c’est plutôt enme rendant àOrlando.Dans l’avion lui-même.Dans les airs. Au sol. Audébarquement.Partout!Careffectuerunvolendirectiond’Orlando,c’estdéjàêtreàDisneyWorld.C’est voir des enfants courir, crier, lancer leurs jeux au visage de leurs parents, c’est les gronderpour qu’ils s’attachent, c’est sourire sans arrêt, car on ne peut évidemment pas être bête avec desbambins.C’esttoutçaàlafoisetplusencore.Entantqu’agentdebord,ilfautêtregonfléàbloccôtéénergie,cequi,encettebellejournéedeNoël,étaitloind’êtremoncas.Néanmoins, je tentai de rester positive. Peut-être seraient-ils tous très fatigués au lendemain du

réveillon, sages commedes images et heureux de rencontrer sous peuPinocchio etGeppetto ? Jegarai ma voiture, récupérai mon carry-on, pris une profonde respiration et m’acheminai versl’aéroport.Unefois la fouilleeffectuée, j’allai rapidementdans l’undescafésquise trouvaientdans lazone

internationale. Ilmefallait ingurgiterunremontant.Undoubleexpresso latte ferait l’affaire.Jemedirigeaiensuiteversl’avion.Arrivée dans l’aire d’attente, j’avançai d’un pas décidé vers la porte d’embarquement.

Normalement,jeneprêtaispasattentionauxpassagersassissurlesbancs.J’entraisplutôtdirectementdansl’avionensachantquejelesverraispendantdesheuresàbord.Pourtant,cejour-là,jejetaiunregarddiscretsur lafouleavantdem’engagersur lapasserelle.Et là, je lesvis tous. Ilscouraient,criaient,pleuraient.Commentsefaisait-ilqu’ilsnesoientpasentraindedormir?J’étaisterrorisée.«Scarlett,cenesontquedesenfants,ilsneteferontpasdemal»,medis-je.Évidemmentquejen’allaispasêtretuéeoumartyriséepardesbambins.Ilsétaientinoffensifs.Ce

quiallaitm’abattre,c’étaitplutôttoutcequ’unvolàOrlandoimpliquait:desenfantsrois,desparentsimpatients, desdemandes infinies.Si onbrassait et qu’on incorporait le tout dansun court lapsdetemps, on obtenait la bande-annonce d’un film d’action. En fait, enmatière de durée, un vol pourOrlando, c’étaitun touch-and-go.Un « posé-décollé » sur deux pistes différentes. J’avais le tempsd’attachermaceinture,deladétacher,deboireunverred’eau,decourird’unbordetdel’autreetdemerasseoirpourl’atterrissage.Aprèsavoirécoutélebriefingducommandanteteffectuénosvérificationsd’avantvol, lesautres

agents de bord et moi prîmes nos positions respectives. Les passagers commencèrent à monter àbord.Jen’apercevaispasdenourrissondansmasection,cequimerendaitheureuse.«Aumoins,medis-je,jen’auraipasàdébitermondiscoursdesécuritépourlesbébés.»C’étaitdéjàça!L’embarquementsefaisaittrèslentement.Quesepassait-il,àlafin?Jem’avançaijusqu’aumilieu

del’avionpourinvestiguer.Ah!Voilàcequin’allaitpas.Lesenfantsprécédaientleursparentsdansl’allée!Jem’approchaidupremierdesbambins.Commentunboutdechoudedeuxanspouvait-ilprogresseradéquatementdansuncouloirétroitentirantunemini-valiseàroulettesSpider-Manetens’arrêtantentrechaquerangéedesièges?C’étaitimpossible!Jeregardaisamèrequiétaitderrièreluietdemandaiàvoirsacarted’embarquementafindelesdirigerauplusviteversleursplaces.Ellefouilladanssapochedemanteauetmelatendit.—32D!C’estplusaufond.Suivez-moi!dis-je,déjàdésespérée.Sachantquel’enfantenavaitlongàmarcheretqu’ilcontinueraitd’avanceràpasdetortue,jeme

baissaiàsahauteuretluidemandaigentimentdemeprêtersamini-valisequi,selonmoi,étaitaussiencombrantequ’inutile.En fait, jene luidonnaiguère lechoix,car je la ramassai sansattendresaréponse.Ilmeregardaavecsesbeauxyeuxdouxetnebronchapas.«Parfait!medis-je.Uneaffaire

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deréglée!»—Suis-moi,petit!l’exhortai-jed’unevoixenjouée.Jetournailestalonsetavançaidansl’avion.Quelquesrangéesplusloin,jemeretournai.L’enfant

étaitencoreloin.Lafamillesuivaitderrière,ainsiqu’ungroupedepassagersimpatientsd’atteindreleurssièges.Jem’accroupislégèrementtoutentenantsonbagagedansunemain.Lesgenouxpliés,jefrappai à quelques reprises ma cuisse de ma main libre pour l’inviter à venir vers moi. J’avaisl’impressiond’êtrecingléeetd’appelerunchiendansunealléed’avion.—Allez,petit!Encoreunpeu!insistai-je.Il cessaalorsde regarderautourde lui etmarchadansmadirection.«Nousallonsyarriver !»

Derrièrelui,lamèreânonnait:—Allez,fiston!Vavoirlamadame.Oui,c’estça.Unpeuplusloin,monchéri.Oh!J’avaisunedecesenviesderoulerdesyeux!«Commentsefait-ilqu’elleneprennepasson

enfant dans ses bras pour aller s’asseoir à sa place ? » pensai-je. Je continuai à bougonnerintérieurementpendantqu’elleencourageaitsonbravefils,résolueàluimontrercommentcheminerdanslecouloird’unavion.Priseaupiège,jen’eusd’autrechoixquedepoursuivremachorégraphie.Paschassésdroitdevant,

cinqrangéesetSTOP!Demi-pirouetteetHOP!—Parici,petit!Encoreunpeu!répétai-je.Puisjerecommençai.Paschassésdroitdevant,cinqrangéesetSTOP!Demi-pirouetteetHOP!—Nousysommespresque!J’approchaisdubut.Paschassésdroitdevant,cinqrangéesetSTOP!Demi-pirouetteetHOP!—Nousyvoilà(enfin)!déclarai-je,soulagée.La mère s’installa. Le père et l’enfant firent de même. Je remis alors la valise Spider-Man et

retournai à mes quartiers dans la queue de l’avion. Les autres passagers circulaient enfin et mescollèguesprirent la relève.Jedemeuraipostéeà l’arrièrepour le restede l’embarquement, toutengardantunœilvigilantsurlacabine.Rapidement, nous pûmes fermer la porte. C’était surprenant de voir à quelle vitesse les enfants

avaient sagement rejoint leurs places.Mais je pouvais tout demêmeentendre leurs voix stridentesrésonnerd’unboutàl’autredel’appareil.«Toutvabiensepasser,Scarlett.Iln’yariendepluscourtqu’unaller-retouràOrlando»,m’encourageai-je.

***

Nousétionssurlapisteetvenionsdefaireladernièrevérificationdanslacabine.Lessiègesétaientremontés. Les écouteurs, retirés. Les bagages, rangés. Les ceintures, attachées. Prête pour ledécollage,jepouvaismaintenantm’installersurmonstrapontin.Àmescôtés,uneautreagentedebordétaitassisesursonsiège.Elles’appelaitDebbie.Jenel’avais

jamais rencontrée auparavant. Belle femme, sans doute dans la mi-trentaine, elle avait l’air sagecomme une image. Son ton était à la fois doux, vulnérable et apaisant. Elle semblait discrète etbienveillante,cequimepoussaàluiconfiermessoucisimmédiats:—Jen’ai jamais fait unvolversOrlando le jourdeNoël. Jenem’attendaispas à cequ’il y ait

autantd’enfants.J’espèrequeleservicevabiensepasser.—Qu’est-cequetuveuxdire?medemanda-t-elle,l’airdenepassavoircommentinterprétermon

affirmation.—Avecunvol aussi court, nousn’avonsdéjà pas beaucoupde tempspour servir les passagers.

Alorslà,avectouscesenfants…Çarisqued’êtreundéfi,expliquai-je.

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—Ha!Ha!Tuveuxdirequesilesparentsdécidentdetraiterleursenfantscommedesrois,çavanousprendreuneéternitéàlesservir?—Ouais,exactement!confirmai-je.Jedétestepatientercommeunedindedansl’alléeenattendant

quemamanproposelemenuentieràsespetitsprincesetprincesses!CommeDebbiesemblaitpartagerlamêmeopinion,jecontinuaiàvidermonsac:—Quandonavanceavecnotrechariotrangéeparrangée,lesparentspourraientaumoinstenterde

penseràceque leursenfantsvontboireau lieud’attendre ladernièreminute.Chaquefois,c’est lamêmechose.Jeleurdemandecequ’ilsveulent,etlà,lamèresetourneverssonenfantetluidéfileleschoix.Çamerendfolle!Amuséeparlesujet,moninterlocutricerenchérit:—C’estça!Ellesepenchevers luiet luiproposedu lait,du jusdepomme,du jusd’orange,de

l’eau!Etlà,lepauvrenesaitjamaisquoirépondre.Ilhésite.Ilnousregarde,ilregardesamèreetilfait…—Eeeeeeeuuuuhhhhh!terminai-jeenriant.Nousrigolâmesainsipendantquelquesminutes,puisl’annoncedudécollagesefitentendre.Les moteurs se mirent à bourdonner. Un puissant bruit parcourut la cabine. L’appareil vibrait

légèrement,commes’il s’apprêtait àexploser. Jebaissaialors lementonversmapoitrineetposaimesdeuxmainssurmesgenoux.L’intensitédubruitsourdàl’extérieuraugmentaet,brusquement,nouscommençâmesàavancer.Le

paysagedéfilaitparlehublot.Nousprenionsdelavitesse.Jedemeuraisolidementassiseaucasoùundécollage interrompu surviendrait. L’horizon s’étirait maintenant en une étroite bande blanche,comme si l’un de ces enfants à bord l’avait peinturé. Et puis, rapidement, nous nous envolâmes.«Quelleagréablesensation!medis-jeavantd’entendretouslesgaminscrierdecontentement.CettejournéedeNoëlneserapeut-êtrepassipirequeça!»Durantlamontée,nousreprîmeslaconversation.—Tunedoispasavoird’enfantsituaspeurd’euxcommeça,remarquaDebbie.—Non,pasencore.Maisj’aimeraisbeaucoupenavoirunjour.Plusieurs,même.Quandcesontles

tiens,c’estdifférent.Toi,tuenas?—Oui,deuxfils,affirma-t-elle,lesyeuxpétillants.—Ilsontquelâge?—Monplusgrandaseptansetmondeuxièmeenacinq.Ilssontadorables.Jelesaimetellement!

Et j’essaie tant bien que mal de ne pas les élever comme des enfants rois, précisa-t-elle avec unsourire.—Tun’espasaveceuxpourNoël.C’estdommage,luidis-je,compatissante.—Aumoins, j’étais làhier.Etpuisnousnerentreronspas trop tard,cesoir.Leurpères’occupe

d’eux.C’estmieuxquejenesoispaslà,jecrois.Étrange…Commentpouvait-ellepenserquedenepasêtreavecsesenfantsetsonmarilejourde

Noëlétaitpréférable?Jedésiraisensavoirplus.Elleavaitelle-mêmeamenélesujet.Peut-êtreavait-ellelegoûtdeseconfier?—Pourquoidis-tuça?Çanevapasbiendanstoncouple?Jeme doutais bien que le problème concernait sa relation amoureuse. Sans hésiter, elle se lança

dansuneexplication:—Monmari etmoi nous sommes distancés depuis quelque temps.Ondirait qu’on s’est oubliés

quand le petit dernier est arrivé. Et puis on a essayé d’avoir d’autres enfants, mais j’ai fait deuxfaussescouches.Çanousaaffectés.C’estpeut-êtrelaraisondenotreéloignement.Jem’ennuiedelui,

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mais jenesaispascomment le luidire.Quelquefois, jenesaismêmeplussi j’ai legoûtqu’onseretrouve,etjepensequeluinonplus,d’ailleurs.—Jevois,répondis-jed’untonrespectueux.Tul’aimesencore?—Oui, je l’aime.Je trouveseulementqu’onestdevenusdifférents,et jenesaispassionpeutse

rapprocher.—Ehbien, si tu l’aimes, il faut travailler sur ton couple.Tunepeuxpas abandonner.Tu as des

enfantsaveclui,c’estunebonnemotivation,ça.Parle-lui.Jenesavaistropquedire.Monexpérienceenconseilconjugalétaitlimitée.Jeluisuggéraid’être

honnêteavecsonmarietdeluiavouersesinquiétudes.C’étaitselonmoilameilleurefaçondefaire.—Onverra.Aumoins, nous nous occupons bien des enfants. Je préfère laisser les choses aller

pourlemoment,déclara-t-elle,découragée.Soudain,laconsignedesceinturesdesécurités’éteignit.Ilétaittempsdecommencerleserviceaux

passagers. Avec seulement deux heures et quarante-cinq minutes de vol, nous n’aurions peut-êtremêmepasl’occasiondemangernotreproprerepasetnousdevrionsalorslefaireunefoisausol.Jemelevaietentreprismabesogne,oubliantlesconfidencesdeDebbie.

***

Lapremièreportionduvols’étaitrelativementbienpassée.JetravaillaisavecunagentdeborddunomdeTodd.Ilétaittrèsbeau.Ilavaitdemagnifiquesyeuxvertsàvousfaireramollirlesjambes,etildébordaitdecharismeetdegalanterie,cequi,bienentendu,étaitappréciédansunavion.Durant leserviceauxpassagers, iln’avaitpascessédem’aiderdans toutceque j’entreprenais. Il

couraitàl’arrièrepourchercherplusdejuspourlesenfants.Ilsoulevaitlesbacsremplisderepas.Ilme faisait mes cafés en urgence. Il avait même donné un coup de main à l’agente de bord quitravaillaitseuledanslagalleyarrière.Ilétaitpartoutàlafoistoutenaccomplissantsesproprestâchesàlaperfection.Jenepouvaisêtreenmeilleurecompagnie.Nousavionsétéefficacesetavionsréussiàterminernotrealléebienavantnos«rivales»del’autre

côté.Cen’étaitpasparcequenousétionsexagérémentrapides.Enfait,c’étaitplutôtellesquiétaientlentes.Unefoisarrivéeàl’arrière,j’avaiscomprisquemachèreDebbieavaittraînédelapatteduranttoutleservice,faisantragersapartenairedechariot.Ilarrivaitsouventquelerythmedesagentsdebordneconcordepas.Cetécartd’efficacitésuffisaità

créerdes tensions.Tel partenairequi jasait trop avec lespassagers titillait nosnerfs.Tel autrequiservait deux passagers pendant qu’on en servait dix était agaçant. Tel autre enfin qui poussait lechariotalorsqu’onn’étaitpasencoreprêtpouvaitnousfairepéterlesplombs.Chacunavaitsaproprelistenoired’agentsdebord.Moiycompris.Jemedemandaissimonnomfiguraitsurl’unedeceslistes.«CeluideDebbieestprobablemententraindes’inscriresurcelledesacoéquipière.»Le serviceétant terminé,nouseûmes la chancedenousasseoirdixpetitesminutespourmanger.

J’avaisfaimetjedésiraisavalerunvrairepas,etnonledéjeunerprévusurcevol.Jedécidaialorsdepigerdanslesrepasd’équipagequinousétaientréservéspourletrajetderetour.Toddsetenaitàmescôtéset,mevoyantfouinerdans lecompartiment, ilprit lepartidem’imiter.Je lus lesétiquettesàvoixhautepourqu’ilfasseunchoix:—Pouletaucurry,bœufStroganoff,lasagnevégétarienne,saladedujardin.Comme nous n’avions pas beaucoup de temps pour réchauffer les plats chauds, il opta pour la

salade.«Bonchoix!»pensai-je.Jeprislamêmechosequeluietrefermailaporteducompartiment.La descente étant imminente, Todd et moi nous installâmes sans plus attendre sur les siègesd’équipagepourmangerrapidementnotrerepas.C’estlàquel’imprévusurvint.

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Les autres agents de bord avaient eux aussi terminé leur service. Ceux qui n’avaient pas faims’étaientdirigésvers l’avantdel’appareilpourfaireunbrindejasette.Quantauxautres, ilsétaientvenusàl’arrièrepourprendreunebouchée.Jelesentendaisparleretfouillerdanslescompartimentsàrepas.—Jevaisprendredescéréalesetunrepaschaud.Tumedonnesl’omelette,s’ilteplaît?ditl’un.—JepréfèrelesCornFlakes.Çateva,lesRaisinBran?dituneautre.Les portes des compartiments claquaient, s’ouvrant et se refermant. Soudain, une voix paniquée

s’exclama:—Oùsontlessalades?Jemefigeai.Iln’yavaitquedeuxsaladesàbordetellesétaiententraindesefaireengloutirpar

deuxmembres d’équipage, dont l’un était nul autre quemoi. Je regardai Todd, apeurée. Il tournaalorslatêtedansuneautredirection,mâchonnanttranquillementunetomate.Lecomprenantàl’aiseavec son choix, je réalisai que j’étais tout aussi en droit que lui demanger ces feuilles vertes. Jecontinuaiàbrouter.—QuiaprisMAsalade?s’exclamacettefoislavoix,enragée.—Jenesaispas,répondituneautre.—Jet’avaisditdemelamettredecôtéetellen’estpluslà!Ohlàlà!Quelqu’unavaitréservéunesalade?Jenemesouvenaispasd’avoirvuunnomécritsur

l’uned’elles,alors je regardaimoncouvercleetceluideToddpourvoirsiquelquechosem’avaitéchappé. Non, rien. Aucune inscription. Et les salades étaient rangées exactement là où elles setrouvaientnormalement.Laresponsabledesrepasavaitfailliàsatâche.Ilfautdirequ’elleavaitbiend’autreschatsàfouetter.Laconversationcontinua.—J’aicomplètementoublié,Debbie.Jesuisdésolée,déclaralafautivepiteusement.Debbie ? La gentille Debbie ? C’était donc elle, l’accusatrice ? Je pouvais bien ne pas l’avoir

reconnue, armée de cette voix ferme et menaçante. Où était passé son ton doux et vulnérable ?J’entendis alors des pas pesants se diriger vers moi. Ne sachant trop pourquoi, j’étais apeurée.J’avalaiauplusvitemadernièrebouchéeetattendis,telleunecondamnée,l’arrivéedemonbourreau.Uneombreseprofilaàmadroite.Jelevailesyeuxdanssadirection.—C’esttoiquimangesmasalade?Jen’enrevienspas!megrondaDebbie.Elle essayait de contenir sa colère pour ne pas alerter tout l’avion. Sa voix avait tout demême

montéd’uncranetelleétaitassurémentperceptibleàplusieursrangéesdelà.Jedevaismejustifier,mais je ne comprenais pas pourquoi. Todd mangeait lui aussi une salade, et pourtant elle ne luidemandaitaucuneexplication.— J’ai pris la salade dans le compartiment où sont rangés tous les repas d’équipage. Ton nom

n’était pas inscrit dessus. Elle était avec les autres plats. Je suis désolée, mais la prochaine foisfaudrait que tu le dises pour que personne ne te la prenne, déclarai-je, à la fois confiante etcompatissante.J’étaisfièredemaréplique.Jen’avaisrienàmereprocher.Commesij’avaischoisidélibérément

deluivolersonrepas!Commentosait-ellemeparlerainsi?Ellemesermonnaitcommeuneenfant,mais ignorait toujoursTodd qui avait la bouche pleine de laitue.Elle ne sembla pas appréciermaréponse,carelledevintrougeécarlate.—Toi,là!Viensdanslagalleyquejeteparle!melança-t-elle.Cettesituationcommençaitàêtreridicule.JeregardaiToddafind’avoirsonopinion.Ilhaussales

épaulespoursignalersonincompréhension,puismeconseillad’aller lacalmer.Jen’arrivaispasàsaisirlesraisonsdecettesoudaineattaquecontremoi.Ellem’avaitsemblésigentilleaudécollage.Et

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puis pourquoi moi et pas Todd ? Je me doutais que ça avait quelque chose à voir avec monancienneté.Toddétantagentdeborddepuisdix-septans,ellen’auraitjamaisosél’importuner.Jeprisune profonde respiration, déposaimon plat vide sur la tablette du siège voisin et partis rejoindreFreaking-Debbieàl’arrière.Aussitôtquejefusdel’autrecôtédesrideaux,ellemepritàpartie:—Çafaitquoi,deuxansquetuesdanslacompagnie?Maximumtrois?Moi,çaenfaitdix,ma

belle!Alorstuneviendraspasmedirecommentjedoism’organiserpourmettremonlunchdecôté.OK,lajunior?Sonargumentnetenaitpaslaroute.J’étaiseneffetdébutantedanslacompagnie,maisjesuivaisles

mêmesformationsannuellesqu’elle.Malgrétout,j’étaispétrifiée,incapablederétorquerquoiquecesoit.«Lesrépliquesdoiventveniravecl’expérience!»pensai-je.Leslarmesmontaientpeuàpeuàmesyeux.Jevoulaisàtoutprixéviterdavantaged’humiliation.Ilmefallaitconclureauplusviteafindepouvoirfiler.— Écoute, tu as plus d’expérience que moi, j’en conviens. Je suis désolée, Debbie, mais mon

intentionn’étaitpasdetevolerta(foutue)salade,répondis-jesèchement.Jebaissaialorslatêtepournepluscroisersonregardetmedirigeaiverslestoilettesoùjelaissai

échapperquelqueslarmes.Jemesentaisstupidedepleurerpourunesituationaussianodine,maisenmêmetempsilnem’étaitjamaisarrivédemechicaneravecunecollègue.Apparemment,ilyavaitundébutàtout.Une fois mes larmes séchées, je retournai dans la cabine. Nous étions désormais en cours de

descente et je devais vérifier ma section avant l’atterrissage. Je mis de côté cette mésaventure etm’exécutai.J’étaissurprisequelesenfantsaientétéaussisagespendantcevol.«Laprochainefois,medis-je,jememéfieraiplusdemessemblablesquedestout-petits.»

***

Ledébarquementétantterminé,nousrécupérâmesnosvalisesetsortîmesdel’appareil.«Ah!QuejedétestevolerauxÉtats-Unis!C’esttoujourstropcompliqué»,pensai-je.LesAméricainsontsansdouteraisond’êtreaussivigilants,maisleursrèglesrestenttoutdemêmecontraignantesparrapportauxautresdestinationsoùunéquipagefaisantunaller-retourpeutdemeurerdans l’avion.Déjàquenousavionspeudetempsausolpournousreposer,ilnousfallaittraverserlesdouanesaméricaineset repasser l’immigration pour retourner à l’appareil. Pendant ce temps, la sécurité aéroportuairefouillaitl’aéronefpours’assurerquenousnecachionspasquelquechosededangereux.EncebeaujourdeNoël,jen’avaisaucuneenviedeparcourirl’aéroportdelongenlarge.J’aurais

préféré fermer les yeux et tenter d’oublier mon altercation avec Freaking-Debbie. Mais, n’ayantd’autrechoixquedemesoumettreauxlois,j’avaissuivilerestedel’équipagehorsdel’avion.Tandisquejemarchais,Toddvintmevoirpoursavoirsijemesentaisbien.Jeluiracontaicequi

s’étaitpassédanslagalleyarrière.Ilmeconseilladenepasm’enfaireetmeditqu’ilprendraitsoindemoipourlevolderetour.«Ahmerde!Levolderetour!»Debbieétaitassisesurlestrapontinvoisindumien.Sachantque,unefoislaported’unavionfermée,lestensionspouvaients’amplifier,j’étaisrésolueàneriendirepournepasaggraverlasituation.Jeneprononceraispasunmotpendantl’avancée sur lapistenipendant ledécollageet je resteraisensuiteplanquéeducôtédemonallée.«Toutvabiensepasser.»Deretourdansl’appareil,nousembarquâmesdenouveauxpassagers.Lecontentementselisaitdans

leursyeux.Lesvacancesavaientsansdouteétéextraordinaires.C’estvraiqueDisneyWorldrendlesgensheureux.Etpuis,c’étaitNoël,aprèstout.Poureux,iln’yavaitaucuneraisond’êtretriste.Leur

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bonheurfitlemienetjeretrouvaiunpeud’énergie.Laportedel’avionseferma.Nousvérifiâmesnossectionsetnousassîmessurnosstrapontins.Je

memisalorsàregarderparlehublotenévitantdetournerlatêteducôtédeDebbie.Nosépaulessetouchaient.Unetensionrégnaitentremachemiseetsaveste.Ilfallaitdécollersanstarder.Soudain,Debbies’adressaàmoi.Sontonétaitredevenudoux,commeaumomentdudécollageà

l’aller.Freaking-Debbie avait disparu. J’inclinai la tête pour l’écouter tout en regardant bien droitverslacabine.— Je voulais m’excuser pour tout à l’heure, me dit-elle. Nous avons le vol de retour à passer

ensembleetjeneveuxpasqu’ilyaitdemalaiseentrenousdeux.Moinonplus,jen’appréciaisguèreunetelleambiancedetravail,alorsj’acquiesçai.Çanevoulait

pasdirequej’allaisoubliercetépisode,maisj’étaisprêteàjouerlacomédiepourlebiendetous.Latension s’évapora aussitôt et j’en fus soulagée, car je n’aimais pas avoir des différends avecmescollègues.Letrajetderetours’effectuaenunéclair.Levoln’avaitduréquedeuxheurestrente,alorspersonne

n’avaiteuletempsdes’asseoirpourserelaxer.Unefoisl’avionatterri,lespassagersdébarquèrentparlaporteavant.Tandisquel’appareilsevidaitpeuàpeu,jerécupéraimoncarry-onetenfilaimonmanteaud’hiver.J’avaistellementhâted’arriveràlamaison.L’avion étantmaintenant vide, tous les agents de bord se regroupèrent. Le directeur de vol nous

remerciapournotrefabuleuxtravailetnoussouhaitaunjoyeuxNoël.Impatientsdepartir,nousluiretournâmessesvœuxetsortîmesdel’avionenunriendetemps.Jefusl’unedespremièresàposerlepiedsurlapasserelle.Affaméedesilence,jemepressailelongducouloir.Malgrécela,j’entendaislesvoixdesautresagentsdebordderrièremoi,dontcelledeDebbie.—Ravied’avoirvoléavectoi,machère!Bonnesoirée!dit-elleàunecollègue.—Oh!Leplaisirétaitpourmoi!N’oubliepasdesaluerJohndemapart!réponditl’autre.«Quellecoïncidence.»Apparemment,Debbieetmoiavionsaumoinsunechoseencommun:son

marietmonbéguininaccessibles’appelaienttouslesdeuxJohn.Çamefitrigoler.Jecontinuaimoncheminetpassaienfinlesdouanes.Jemontaiensuitedansl’autobusquiallaitme

mener à ma voiture. Une fois assise sur un siège, je fus prise d’une panique soudaine. Était-cepossiblequemonJohnsoitceluideFreaking-Debbie?Non!Ilnefallaitpas!Jedevaissavoir, là,maintenant.Moncœurbattaitlachamade.Jesuaissousmachemise.J’avaischaudetfroidàlafois.Etsic’était

lecas?SiJohnétaitbienlemarideDebbie?Sijem’étaisengueuléesanslesavoiraveclafemmequej’enviaisdepuisdesmois?Freaking-Debbiedeviendraitalorsofficiellementmapireennemieets’inscriraitdesurcroîtsurmalistenoire.J’ouvris lapochettedemavalise.J’auraismaréponsed’iciquelquessecondes.J’inséraimamain

toutaufondetattrapaimonitinérairedevol.Jeledépliaienletenantfermemententremesdoigts.Monregardbalayaavecattentionchaquelignedudocument.Jen’enavaisplusrienàcirerdunomducommandant.Cequejerecherchaisétaitdelaplushauteimportance.Uneinformationprécieusequiallaitpeut-êtrebouleversermavie,moncœur.Etpuisjelevis.Unmot,uncourtmotdequatrelettresquimefoudroya.Jetranspiraistantquema

chemise blanche était trempée. Je voulais détacher mon manteau. Me refroidir immédiatement.«Respire,Scarlett,respire!»m’ordonnai-je.Assisesurcesièged’autobus,jelusunesecondefoissonnom:ROSS.DEBBIERICHARDROSS.

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Q

Chapitre14

Montréal(YUL)

uel beau cadeau de Noël ! J’avais reçu une belle surprise emballée dans du papier rose etentourée d’un joli ruban en velours rouge. En l’ouvrant, j’avais découvert un présent

empoisonné. Ilm’avait presque dévorée tout rond dans l’avion etm’avait transpercé le cœur dansl’autobus.Freaking-Debbie était la femme de John Ross. La femme de mon beau commandant ! Le seul

hommequiétaitparvenuàfairebattremoncœurviolemment.J’avaismaintenant toutes lesraisonsd’oublierJohn.Jamaisjenepourraisêtreaveclui.Ilavaitdeuxenfantsavecelleetilenavaitmêmedésirédavantage.FonderunefamilleavecDebbieavaitétéinévitablementunedécisionréfléchie.La seule collègue avec qui jem’étais querellée était lamère de ses enfants. Enfin, disons plutôt

qu’ellem’avait réprimandée. Jamais jenevoudraism’immiscerdans savie et risquerdeme faire«ramasser»uneautrefois.Enplus,ellem’avaitexpliquécombienelleaimaitJohnetsafamille.Encore sous le choc, je pris la route en direction de mon appartement. J’avais l’esprit ailleurs.

Commentavais-jepum’imaginerconquérir lecœurd’unhommedont la femmes’avéraitêtreunecollègueavecquiilavaiteudeuxenfants?Quiétais-jepourm’êtreimaginéeentraind’embrasser(etunpeuplus)unhommemarié?J’étaissiheureusedenepasm’êtreempresséedecogneràlaportedesachambreàBarcelone…Plusquejamais,j’étaisdécidéeàreprendre«Lejeuduflirtextrême»làoùjel’avaisabandonné.À

cetinstant,jemejuraique,aussitôtlerushdesfêtesterminé,MlleScarlettsedévergonderait.Pariciladébauche!

***

Quelquessemainesaprèslanouvelleannée,jereçusuncourrielinattendu.

De:BrunoBergeron<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:22janvier2012Objet :NouvellesBonjourScarlett,Çafaitlongtemps!Commentvas-tu?Jenesaispassituestoujourscélibataire,maisj’aimeraisbienterevoir.Jeserai

depassageàMontréallasemaineprochaine.Nouspourrionspeut-êtreallerprendreunverre?Voicimonnuméro:604-387-4433.J’attendsdetesnouvellesavecimpatience!Bruno

Quelle surprise !Après presque deux ans sansme voir,BrunoBergeronm’écrivait. Il était sans

doutedevenucélibataireetmettaità joursoncarnetd’adressesde fillespossiblement intéressantes.Dansmessouvenirs,j’avaispassédubontempsaveclui,alorspourquoirefusersoninvitation?Deplus, j’avais lavolontéde tenirmonengagementconcernant le« flirtextrême». Ilmefallaitdoncaccepter.J’avais rencontré Bruno àmes débuts dans l’aviation. Il était l’un des premiers pilotes avec qui

j’avaisvolé.IlétaitbaséàVancouveretmoi,àMontréal.Durantmespremiersmoisentantqu’agente

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debord, j’avais effectué quelques vols depuis l’Ouest canadien.Les villes du côté duPacifiquenedesservantpastoujourslesmêmesdestinationsquecellesdel’Est,j’avaiseulachancedeposerlespiedsenAllemagneetauJapon.Commelesvolsvers l’Europeétaientbeaucoupplus longsdepuisl’Ouest,ilm’étaitarrivéd’entrerdanslecockpitpourjaseraveclespilotesetm’exposeràlalumièredujour.C’est ainsique, lorsd’unvolversMunich, jem’étais liéed’amitié avecBruno,quivenait d’être

embauché en tant que premier officier.Comme la plupart des routes aériennes entreVancouver etl’Europepassaientpar leNord,nousavionsunevue imprenablesur lesglaciersduGroenland.Lepaysage était à couper le souffle.Contrairement àBruno, c’était la première fois que je voyais cedécormajestueuxdepuislepostedepilotage,maisilavait toutdemêmefaitminedes’émerveilleravecmoi.Ilétaitgentil,etunefoisenAllemagnenousétionsallésmangeravecl’équipage.Aumomentdenotrerencontre,Brunoavaitunecopine.Ilnes’étaitdoncrienpasséentreluietmoi.

Toutefois,s’ilm’avaitfaitdesavances,jelesauraisacceptées,caràl’époquejen’avaispasencorecôtoyésuffisammentdepilotespourlestrouverprétentieux.Sur la base de ces souvenirs, ce verre qui m’était offert ne pouvait être qu’apprécié. Nous

convînmesdoncqu’ilm’appelleraitdèsqu’ilatterriraitàMontréal.Cequ’ilfit.—Salut, Scarlett, je suis auSheraton à côté de l’aéroport. Je n’ai pas de voiture, alors ce serait

sympasitupouvaispassermechercher.Ensuite,oniraprendreunverreprèsdel’hôtel,meproposa-t-iltimidement.Naturellement, j’acceptai. Il n’était quedepassage àMontréal, alors jemevoyaismal refuser sa

demande.«Jen’auraiqu’àl’appelerunefoisarrivéeàl’hôteletilmerejoindradanslavoiture»,medis-je.Avantquejeparte,Béam’obligeaàemporterduvin.Ellevoulaitquetoutsoitparfait.— Voyons, Béa, nous allons dans un bar, je n’ai pas besoin d’une bouteille de vin, lui dis-je,

convaincuequejenelaboiraispas.—On ne sait jamais où la soirée peut temener, Scarlett !Garde-la donc au cas où tu en aurais

besoin,meconseilla-t-elle,touténervéepourmoi.Çafaitlongtempsqu’ilnes’estrienpassédanstavie,alorsilnefaudraitsurtoutpasgâchercettechance.Béaavaitraison.Jen’avaispasététouchéeparunhommedepuistroplongtemps.Cen’étaitpasles

occasionsquiavaientmanqué,maiscomme toujours jem’étaisdéfilée. Jemedisqueces temps-làétaientrévolusetque,commemacoloc,j’allaism’amuseraveclesexeopposé.J’espéraistellementque Bruno me plairait. Et puis, même si certains aspects ne m’emballaient pas chez lui, un peud’alcoolsechargeraitd’embellirmaperceptiondeschoses.J’étaisdécidéeàmelaisserporterparlecourant.

***

En route pour l’hôtel, je fis l’erreur de m’imaginer le scénario parfait. J’arriverais dans lestationnement et j’appellerais Bruno pour qu’il descende. Il entrerait dans la voiture et je seraisimmédiatement séduite en le voyant.Nous serions aussitôt à l’aise ensemble, commepar le passé.Nous irions dans un pub tout près. Nous prendrions une bière et, ne voulant plus partir, nouscommanderionsunpichet.Lasoirées’étirerait,puisnoussentirionsledésirmonterennousetnousdemanderions l’addition. Il paierait la note et, une fois de retour à l’hôtel, il m’inviterait dans sachambre.Avantd’accepter,jel’embrasseraispour«testerlamarchandise».Seslèvresépouseraientlesmiennesà laperfectionet jen’hésiteraispasunesecondeà lesuivrepourpoursuivre lasoirée.Nousouvririonsmabouteilledevinetcontinuerionsàboire.Jen’auraisplusnipudeurnigêne.Jeseraisenfinprêteàavoirduplaisir!Lachimieseraittellequej’enredemanderais.Encoreetencore,

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jusqu’aupetitmatin.Lescénarioidéal.Ilnemerestaitqu’àsouhaiterquemonvœuseréalise…J’arrivai enfin dans le stationnement de l’hôtel. Un peu timide, je décidai d’envoyer un texto à

Brunoplutôtquedel’appeler:«Jesuisenbas,jet’attendsdanslavoiture.Tudescends?»Aussitôtaprèsavoirappuyésurlebouton«envoyer»,jeréalisailagrosseerreurquejevenaisde

commettre. Pourquoi avais-je posé une question ? J’étais agente de bord et je savais bien qu’il nefallait jamaisfaireçasiondésiraitobtenir laréponsequ’onvoulait.Lorsquejedevaisdéplacerunpassagerversunautresiège,jamais,augrandjamais,jenedisais:«Pardon,madame,accepteriez-vousdechangerdeplace,carj’aiunpassagerquinesesentpasbien,blablabla?»Àtoutcoup,laréponseauraitété«non»!Règleno1del’hôtessedel’air:nejamaisposerunequestion!Aulieud’interroger,ilfautpoliment

imposersavolonté:«Madame,jesuissincèrementdésolée,maisjedoisvouschangerdesiègepouraider un couple et leur bébé. Je vous remercie. Puis-je vous donner un coup de main avec vosbagages ? » Dit ainsi, j’obtenais à tout coup ce que je désirais. Il n’y avait pas de place pourl’argumentation.À l’inverse, cemessage que je venais d’envoyer ouvrait une immense porte à ladiscussion, ce qui, possiblement, modifierait le déroulement de la soirée. Impatiente, j’attendisnerveusementlaréponsedeBruno.Dixsecondesplustard,j’obtinscellequej’avaisredoutée:«Jenesuispastoutàfaitprêt,montedonc,machambreestla1102.»Je relus cette phrase. Elle était affirmative, aucun point d’interrogation. Décidément, Bruno était

plusintelligentquemoi.J’allaisdoncfairecequim’avaitétédicté:monteràsachambre.Grrrrr!Monscénarioparfaitsemodifiaitcontremongré.Jeramassaimonsacàmaincontenantlabouteilledevin,sortisdelavoitureetmarchaiverslaporteprincipale.Ayant l’impressiondenepluscontrôler lasituation, j’étaisdésormaisstressée. Jemedoutaisque

nouspasserionsprobablementplusrapidementaudessertmaintenantquej’avaisacceptédemonteràsachambre.VulessouvenirsquejegardaisdeBruno,jen’avaisaprèstoutaucunproblèmeavecça.Ilmesuffiraitd’engloutirundemi-litredevinettoutseraitréglé.«Audiablelebar!»medis-je.Monhôteavaitsansdoutelamêmeidéeentêtequemoi.J’allaisledécouvrirsouspeu.

***

J’arrivaiauonzièmeétageetmedirigeaiverssachambre.Jemepostaidevantlaporte1102,pasencoreprête à entrer.Qu’allais-je rencontrer de l’autre côté ? « Il s’enpasse, des choses, endeuxans ! » pensai-je. Je ne devais pasmedécourager. J’étais là pourm’amuser et je comptais bien lefaire.Jeprisdegrandesinspirationsetcognaienfin,lecœurbattant.Laportesedéverrouilla.J’arrêtaibrusquementderespirer.J’étais impatientederevoirmonvieil

amipilote.Magorgedevintsècheetmonpoulss’accéléra.Laportes’ouvriteneffleurant lespoilsdrusdutapisbeige.Etpuis je levis.Brunose tenaitbien

droit devant moi, visiblement heureux de me retrouver. Ses yeux pétillaient et je pouvais mêmeapercevoirunfiletdesueursursonfront.Ilmevoulaitdéjà.Moi?Finalementpas!J’avaisl’impressiond’avoiruninconnusouslesyeux.Lesimagesdubeaupiloted’ilyavaitdeux

ans s’étaientenvolées.Brunoétaitpetit.Troppetitpourmoi. Ilportaitun jeans taillehauteet avaitinsérésont-shirtblancdanssonpantalon.Çalerapetissaitencoreplus.Onauraitditquej’avaisunnain devantmoi. Bruno était unHobbit ! Plus je le regardais et plus je réalisais que j’avais rêvé.Brunoétaitlemêmequedanslepassé.Enfait,c’étaitmoiquiavaischangé:l’admirationaveuglequej’éprouvaisenverslespiloteslorsdemapremièreannéedansl’aviations’étaitvolatiliséedepuisbienlongtemps.J’étaispriseaupiège!—Bonjour,mademoiselleLambert.Toujoursaussibelle,dit-ild’unairconfiant.

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Que pouvais-je bien répondre à ça ? «Bonjour,monsieurBergeron, je ne vous retourne pas lecompliment»?Jemecontentaiderougiravecunsourire.Ilmefitsigned’entreretajouta:—J’airegardésurInternetlesbarsauxalentoursetiln’yarienàpartuneCageauxSports.Jen’ai

pasenvied’uneambianceaussibruyante,jepréféreraisunendroittranquille,alorsj’aipenséqu’onpourraitrestericisic’estOKpourtoi.Je lesavais!Brunoétaitunpetit futé.Monplan tombaità l’eau.Jemedemandaisi j’arriveraisà

rester fidèle au but que je m’étais fixé avant d’entrer. Je regardai mon interlocuteur. Je voulaistellementme faireplaisir.C’étaitprimordialpourmonbien-être. J’enavaismaintenant l’occasion,alorspourquoiétais-jesihésitante?Brunonedevaitpasêtresipirequeça…Jel’examinaiavecplusd’attentionafindeprendreunedécision.Son regard était profond. Sa mâchoire était robuste et il arborait une barbe de quelques jours.

J’aimelesbarbes,c’étaitundébut.Sachevelureparaissaithumide.Ilavaitsansdouteprisunedouche.J’en étais rassurée. Son visage était potable. Je pouvais faire avec. Quant à sa petitesse, ce n’étaitqu’unlégerdétailquipouvaitrapidementseréglerunefoisàl’horizontale.J’étaisdécidée!J’allaismelaisserbercerparl’assurancedeBruno-le-Hobbit!Jeluiannonçailanouvelle.—Ouais,tuasraison.C’estvraiqu’iln’yarienautour.Etçatombebien,parcequej’aiapportéune

bouteilledevin,affirmai-jetimidement.Jedevaisaccepterlasituation.Jel’avaismoi-mêmesouhaitée.«Assume,Scarlett!Assume!»Brunosortitlesverresetj’ouvrislabouteille.Ils’étenditsurl’undeslitsdelachambreetmoisur

l’autre.Nousparlâmesdesévénementspasséstoutenbuvantnotrepotionmagique.Jesouhaitaisquel’alcool fasse son effet incessamment. Mais, gorgée après gorgée, ma perception demeurait lamême:Brunonem’attiraitpas.«Bois,Scarlett!Bois!»J’avalaimondeuxièmeverredevinenuntempsrecord.J’eussoudainementlaparolefacile.C’était

aumoins ça. « Et puis nous sommes encore installés sur nos lits respectifs, pensai-je. Je pourraitoujoursmedéfilersijelesouhaite.»Detoutefaçon,j’enavaisl’habitude,non?—Alors,tuasunchum,Scarlett?sedécida-t-ilàmedemander.Pourquimeprenait-il?J’étaisévidemmentcélibataire!Jenemeseraispasdonnétoutcemalsiun

hommem’attendaitàlamaison.—Non,Bruno,jen’aipersonnedansmavie.Toi?Toujoursaveccettefilleavecquitusortais?Jen’auraispasdûluirépondreaussivite.Etsurtoutpas luidemanders’ilétait libre.Ilallaitsans

doutes’imaginerdeschosesobscènes.—Biensûrquenon,Scarlett.Pourquoit’aurais-jeinvitéeicisij’étaisencouple?répliqua-t-il.«Euh…Parcequetuesunpilote!»Jesentaisquelaconversationallaitsedirigerversdessujets

plusintimes,commejel’avaishonnêtementdésiréplustôt.Qu’allais-jefaire?Jen’avaisplusenviedejouer.J’étaisunestupidecélibataireentraindeboiretropdevindanslachambred’hôteld’ungarsquimedévoraitdesyeuxetquiétaittoutaussiseulquemoi.Maisilnem’attiraitpasdutout.J’avaisdécidémentbesoind’unepause.—Jepeuxutilisertestoilettes?demandai-jeavecempressement.—Oui,pasdeproblème,répondit-il,unpeudéçuquejecoupelefildesonstratagème.—Jen’enauraipaspourlongtemps,lerassurai-je.Quelplaisir je ressentisune foisdans la salledebain !Enfin seule ! Ilme fallait reprendremes

esprits et oublier cette pression écrasante sur mes épaules. Je m’imaginai ce que Rachel et Paulediraientsiellesétaientlà.Ellesriraientsansdoutedemonridiculeetmeconseilleraientdefermerlesyeuxetdem’amuserquandmêmeavecBruno-le-Hobbit.Etellesauraientraison,carj’étaisd’abordunefemmeetj’avaisdesbesoinsphysiquesàcombler.J’iraisjusqu’aubout.

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Je me penchai alors vers le miroir et fixai mon reflet dans la glace. Mon regard étincelait dedétermination. J’appliquai un baume à la framboise sur mes lèvres afin d’incarner mon rôle deséductrice. Désirant éponger un surplus de gloss, je me dirigeai vers le siège des toilettes pourprendreunmorceaudepapierhygiénique.C’estlàque,subitement,jelesvisflotter.ATTENTION !HAUT-LE-CŒUR !Desmiettes ! Plusieursmiettes ! Des grosses et des petites !

Valsant partout dans la cuvette des toilettes. Dans ses toilettes ! J’étais terrorisée et complètementdégoûtée par ces corps brunâtres fraîchement expulsés d’un certain Bruno-le-Hobbit ! Ou plutôtdevrais-jedireBruno-le-brun?Lemêmequim’attendaitimpatiemmentdel’autrecôtédelaporte.Jen’yarriveraispas.Impossible!Pasaprèscequejevenaisdevoir.D’unbond,jemeredressai.J’allaismedéfiler.Encore.Jeprisunegranderespirationetactionnaila

chassed’eau.Ilnefallaitsurtoutpasqu’ilpensequecesimmondesmiettesbrunesm’appartenaient.Jemelavaiensuitelesmainsetretournaidanslapièceprincipale,prêteàdéguerpirsur-le-champ.Lorsque je le rejoignis,Brunoétait toujoursétendusur le lit. Ilmeregardaitdroitdans lesyeux,

souhaitantmefairefondrededésirpourlui.Maisc’étaitdéjàtroptard.—Bon,Bruno,l’heurefile.Jedoispartir.J’auraisvraimentadoréresterpluslongtemps,maison

remettraça,déclarai-jeàlahâte.Jemedirigeaiverslelitpourrécupérermonmanteau,maisjemedoutaisbienquemonhôteneme

laisseraitpasm’éclipsercommeça.—MademoiselleLambert!Vousn’allezpasmedirequevousêtesvenuejusqu’icipourmeglisser

entrelesmains?melança-t-ilmielleusement.Il se levaetvintmerejoindreentre lesdeux lits. Il se tenaitbiendroitdevantmoi,unsourireen

coin. « Peut-être que si je l’embrassais un peu ilme laisserait partir ? »me dis-je.Quelle naïve !Commentcetteidéeavait-ellebienpumetraverserl’esprit?C’estalorsqu’ilinclinasoncorpsversmoietque,detoutsonpoids,ilmejetaavecbrusqueriesur

le lit. Ses mains étaient posées de chaque côté de mon visage et ses jambes me coinçaientpuissammentcontrelui.Ilmefixaittoutendégageantunevolontéincontrôléedemedominer.« Je suis venue ici pour ça, pensai-je. Peut-être devais-je au moins essayer ? L’appétit vient en

mangeant,non?»Jelevaialorsmatêteverslasienneensigned’approbation.Jeluioffrisgentimentmabouchepourfaireunessai.Ilentrepritplutôtdel’assaillir.Maboucheétaitsouslechoc.J’avaisl’impressiond’êtreagresséeparunelanguepiquantepointant

vers le fond de ma gorge. Au lieu de m’approcher de Bruno, je reculais afin d’éviter d’êtretranspercée.—Humm,tuembrassessibien,medit-il.Jenerépondispas.C’étaituneabomination.Riendetoutcelan’étaitagréable.Jeluidonnaitoutde

mêmeuneautrechance.Envain.Carauboutdequelquestentativesd’invasionbuccaleilentraplusagressivement à l’intérieur de ma bouche. Bruno semblait avoir perdu le contrôle et respiraitétrangement. Entre chaque baiser, il exhalait un souffle saccadé et faisait vibrer ses lèvres commepourmesignalersonexcitationgrandissante.J’étaisdégoûtée.Riennes’améliorait.CesonqueBrunoproduisaitétaitloind’êtreexcitant.J’avais

plutôtl’impressiond’écouteruneémissiondeNationalGeographicetd’entendreuntigreémettrecefeulementutilisélorsd’unerencontreavecundesessemblables.—FFFFFFEEEEEUUUHHHH!FFFFFEEEEEUUUUHHHH!laissait-iléchapperentresesdents.Sansdouteconvaincuquej’adoraissaperformance,ils’empressadesoulevermonchandailetde

tâtermapoitrine.—FFFFEEEEEEUUUHHHH!FFFFFEEEEEEUUUUUHHHH!continuait-il.

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Cesonmerendaitfolle!Plusjeparticipaisàl’actionetplusceFEUHétaitprononcé.Brusquement,monattention fut dirigéeversmamain.Bruno la tenait fermement et la guidait vers sonpantalon.«Non!Jeneveuxpas!»m’écriai-jeintérieurement.Jevis alors réapparaître en esprit le contenubrunâtrequi serpentait harmonieusement dans l’eau

brouilléeetsaledestoilettes.C’enétaitassez!Bruno-le-brunn’iraitpasplusloinavecmoi.«Qu’ilrâle avec quelqu’un d’autre ! » Sans plus d’hésitation, je repoussai le tigre agonisant, me levai,attrapai monmanteau et, avant de franchir le pas de la porte, telle une tigresse désillusionnée, jedécidaideluidonnerunpetitconseil:—Laprochaine foisque tu invitesune fille àmonterdans ta chambre, assure-toique tadate ne

verrapastagrossecommission!

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AChapitre15

prèsmesdécevantesexpériencesavecArnaudetBruno,jedécidaidemettrefinau«Jeuduflirtextrême».Plusjamaisjen’allaism’obligeràfréquenterdeshommesquinemeplaisaientpas.

Je retournai donc à mes réconfortantes habitudes auprès de mes amis, de ma famille et de mescollègues. Mon existence était bien plus agréable et beaucoup moins stressante ainsi. Je devaisaccepterl’évidence:çanemeservaitàriendeforcerleschoses.Laviesechargeraitd’arrangerlasituation.Enfin,jel’espérais.Monanniversairenepouvaitpasmieuxtomber.C’étaitcommesij’entamaisunnouveauchapitreen

melaissantbercerparlavie.Cejour-là,lorsquej’ouvrislaportedemonappartement,mesamism’attendaient.—SURPRISE!s’écrièrent-ilsenchœur.Jefigeaiàl’entrée.JemedoutaisqueBéaprévoyaitunefêtepourmestrenteans,maisjenepensais

pasqu’elleinviteraitautantdemonde.Rupertétaitaccompagnédetoussesamisgais,dontuneséried’anciennes conquêtes.Béa avait invité sonmilliardaire français,Damien. Je ne savais pas qu’ellel’aimait autant.Quelques-unsdemescollèguesyétaient, ainsiquePaule etRachel.Tout cemondeétaitlàpourmoi!—Bonnefête,mafille!s’exclamamamère.—Maman?Papa?Vousêtesvenusdunordjustepourmoi?demandai-je,souslechoc.—Trenteans,Scarlett,cen’estpasrien!Maisonneresterapas longtemps, tusaiscomment ton

pèren’aimepassortirdesonbois.—Ohoui,jelesais!Jesuissicontentequevoussoyezlà!Jetenaisàleursoulignermonappréciation:jesavaiscombienildevaitavoirétédifficilepourma

mèredeconvaincremonpèredevenirenville.Elle s’ennuyait tellementdemoiqu’elleavait sansdouteinsisté.Alorsquejeparlaisavecelle,PauleetRachelnousrejoignirent.—Bonnefête,Scarlett!mesouhaitaPaule.—Bonnefête!répétaRachel.—Merci,lesfilles,dis-jesincèrement.—Trenteans,c’esttouteuneétapedansunevie!s’exclamaRachel.—Ouais,lafameusecrisedelatrentaine.Quandlesfemmesremettenttoutenquestionetressentent

l’appeldelamaternité…ajoutai-je.Curieusement, j’avais l’impression d’avoir vécu cette remise en question il n’y avait pas si

longtemps. L’année de mes vingt-neuf ans, qui venait de se terminer, avait été une dure période.J’avais désespérément tenté deme dénicher un partenaire etm’étais engagée à rencontrer presquen’importe qui.Maismonplande vie idéal était tombé à l’eau,même si j’avais tenté d’ouvrirmeshorizons.Rienn’avaitfonctionnécommejel’avaisimaginé.Maintenantquej’avaisacceptéça,ilétaittempsdetournerlapage.J’étaisprêteàavancerversl’inconnu,unjouràlafois,etàl’apprécier.Rachelsepermitalorsdejouerànouveauàl’entremetteuse.—Scarlett,jenet’aipasencoreprésentémoncompagnonpourlasoirée,Marc.Monchumvoulait

rester avec notre petit homme, alors je l’ai invité, précisa-t-elle, probablement inquiète de maréaction.«Ellem’énerveavecsoncousin»,pensai-je.EllesavaitquejenevoulaisriensavoirdeceMarcet

voilàqu’elle tentaitencoredeme leprésenter.Pournepas lamettremalà l’aise, je la réconfortai

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avantdelesaluer.—C’estunpartysurprise,Rachel!Lesinvitésfontpartiedelasurprise!affirmai-jeavecironie.Jeregardaiensuitesoncousinavecunfauxsourire:—Salut,Marc.—Bonnefête,Scarlett!dit-ilgentiment.Mamère,quiétaittoujoursparminous,s’infiltradanslaconversation.—C’estquicebeaujeunehomme?demanda-t-elleàRacheltoutenleregardantcommes’ilétaitun

sacàmaindansuncatalogueSears.—Marcestmoncousin,madameLambert.Ilvitdansvotrecoin,àMont-Tremblant.—Intéressant,ajoutamamère,déjàentraindetomberamoureusedelui.Tufaisquoidanslavie,

moncher?— Je suis dans la restauration, répondit-il avec fierté. Je possède un café très à lamode dans le

villagedeTremblant.—Encoreplusintéressant!renchérit-elleavantdesetournerversmoi.Scarlett,onpourraitaller

prendreuncaféàTremblantlaprochainefoisquetuviendrasmevoir!Jen’encroyaispasmesoreilles.Voilàquemamère s’ymettait aussi.EtRachel, toute souriante,

semblaitpenserqu’elleavaitmiséjuste.Jesavaisquemamèreétaitinquiètedemoncélibat,maisjene m’attendais pas à ce qu’elle m’organise une date avec le premier venu. Il me fallait clore ladiscussion:ilétaithorsdequestionquejepassemontrentièmeanniversaireaveclui.J’avisaiMarcetRachelquej’allaisreveniretdemandaiàmamèredemesuivredansmachambreenprétextantquej’avaisunesurprisepourelle.Innocemment,ellemesuivit.Unefoislaportebienreferméederrièrenous,j’explosai:—Maman,tuasl’airdepenserquejefaispitiéparcequejesuiscélibataire,maisjesuisheureuse,

alorsarrêted’essayerdemeprésentern’importequi,OK?hurlai-jepresque.—Jem’excuse,Scarlett, jenepensepasque tu faispitié. Je saisbienqu’aujourd’hui lesgensse

casentplustard.C’estjustequejeletrouvaisintéressant,cep’titgars-là.Pastoi?—Non,iln’estpasfaitpourmoi,annonçai-jesansvouloirenrajouter.—Ah ! Comment ça ? Tu le connais à peine. Il est très séduisant et vous iriez bien ensemble,

affirma-t-elle,déçuequejen’appréciepassasuggestion.Mamanétaittenace.SijeneluidisaispasimmédiatementlaraisondemondédainpourMarc,elle

s’acharneraittoutelasoirée.C’étaitmonpartyetj’avaisl’intentiondem’amuser,alorsjemedécidaiàluiexposerlesfaits.—Ilétaitmarié,ilaunenfantetilatrompésafemmeplusieursfois,voilàpourquoi!—Oh ! Je ne savais pas… Jamais je n’accepterais que tu sois avec un homme comme ça, sans

honneur,sansvaleur,sanscœur!Qu’avais-je fait ? Je savais que maman était scandalisée par ce genre de tricherie. Je venais

d’allumerunénormefeu.Ilfallaitquejel’arrête.—Bon,çava.Deserreurs,çapeutarriver.Marcn’estsansdoutepasunbongars, j’enconviens,

maisjepensetoutdemêmequ’onpeutavoirunesecondechancedanslavie.Comment pouvais-je dire ça ?Moi qui prônais toujours la fidélité, j’étais en train de parler de

secondechance?Quiplusest,jen’éteignaispaslebrasier,jel’alimentais.—Ahbienlà,Scarlett,franchement!Iln’yapasdesecondechancequandonchoisitdemarierune

femmeetd’avoirdes enfants.Onassumeetonprend ses responsabilités.Une famillen’estpasunobjetaveclequelonpeuts’amuserpours’endépartirensuitecommeunvieuxchandail!Sesargumentsétaientforts.Lesmiens,faiblesetsanstonus.Jenesavaisquerépondreetn’euspasà

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lefairecarmonpèrearrivaàmarescousse,ouvrantlaporteentrombe.—Agathe!Ont’entenddel’autreboutdelapièce.Çasuffit!LaisseScarletttranquille.C’estsafête,

là.Ons’envabientôtdetoutefaçon,dit-ilenregardantmamèredurement.Papa agissait souvent ainsi. Il laissait ma mère m’attaquer et, quand la situation dégénérait, il

intervenaitpourlacalmer.Pourtant,iln’yavaitpassilongtemps,j’adhéraisàladoctrinedemamère.Jene comprenaisd’ailleurspas la raisondema soudaineouvertured’esprit.Eny réfléchissant, jesavais,maisjenevoulaispasypenser.Pasmaintenant,entoutcas.Unefoismesparentspartis,jerejoignismesamisetmemisàboireallègrement.Marctentabiende

reprendrelaconversation,envain.Quelquesverresplustard,jem’avouaienfinlepourquoidemesproposcontradictoirestenusplustôtavecmamère.Aufonddemoi,blottieprèsducœur,maraisons’appelaitJohn.

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Chapitre16

PuertoPlata(POP)–Montréal(YUL)

a réalitépeutparfoisêtredifficileàaccepter.De retourde leursvacances,une foisàbord, lespassagersseplaignentsouvent:ilsmaudissentlelundisuivantetbénissentleshôtelstoutinclus.

La plupart préféreraient rester allongés une année entière sur une plage des Caraïbes. Ils seraientenfinheureux,seloneux.Mais ilyenad’autres,une infimeminorité,quiapprécient le retourà lamaison,contentsde retrouver leurspetitsbonheurs,qu’ilsnechangeraientpour rienaumonde. Ilsont hâte de revoir leurs enfants, leur chien, et même de retourner au travail. « Bénis soient leslundis!»disent-ilspeut-être.Ilyaaussiceuxqu’unrienrendheureux.Ilspeuventsurprendreparleursingularité,maissurtout

ilsfontréfléchir.Certainsréussissentmêmeàéveillerenmoidesdésirsquej’avaisenfouisauplusprofonddemonêtre.CommecettepassagèretrèsparticulièresurunvolauretourdePuertoPlata…

***

Nous étions en avril et volions vers le Canada. Les mois précédents avaient été fort occupés.N’ayant pas encore suffisamment d’ancienneté pour passer quelques jours dans le Sud, j’avaiseffectué des allers-retours tout l’hiver. Au moins, je revenais à la maison chaque soir et je nesubissaispaslesméfaitsdudécalagehoraire.Jesavaisquelesvolsoutre-merapprochaient,alorsjenem’enfaisaispastropavecça.J’avaismêmeréussiàconserverunjoliteintbronzéenm’asseyantdanslesescaliersàl’extérieur

de l’avion pendant les minutes de pause au sol. Parfois, sur les vols de retour, mes pommettesrougissaient,mefaisantpresqueressembleràtouscespassagersbrûlés.Cejour-là,auretourdePuertoPlata,j’étaisoccupéeàservirlesboissonset,commejefaisaisface

aux passagers depuis mon côté de chariot, j’avais une vue panoramique sur la cabine et sur descentaines de têtes. Souvent, j’en profitais pour flairer l’humeur demes protégés. J’observais leursfrontsplissés,leurssourcilsarquésoul’inclinaisondeleurstêtes.Étaient-ilsentraindelireunlivreouderegarderunfilm?Semblaient-ilssoucieuxoureposés?Mais,avanttout,étaient-ilsbrûlésoucalcinés?AuretourduSud,jeprenaisunmalinplaisiràobserverlebronzagedemespassagers.Jecroyais

sincèrementavoirtoutvu,maisj’avaistort.Ilyatoujourspire.Jevenaisdeservir ledernierpassagerà la limitedemonchariot. J’avisaimacollèguequenous

pouvionsavancerpournousoccuperdenouvellesrangées.Nousarrêtâmesplusloinetjemetournaiverslespassagersquisetrouvaientàmadroite,côtéhublot,pourleurdemandercequ’ilsdésiraientboire.Lepassagerdufondmeréclamaunverred’eau.Jeregardaiensuitelapassagèrecôtéallée,et là,

j’eusl’impressiondevisionnerunfilmd’horreur.—JevaisprendreunPepsi,medit-elle.Jefigeaiuninstantavantd’assimilersarequête.Commentcettefemmepouvait-ellecommanderun

Pepsid’untonaussicalme?Sonteintétaitnoir,rouge,brunetblanc.Toutçaenmêmetemps!Àsaplace,j’auraiscriépouravoirdescompressesd’eaufraîche,unbarildeglace,despansementsetdela crème antibiotique à profusion. Cette passagère n’était pas brûlée mais plutôt carbonisée,

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«pleumée»,tropcuite.Lapauvre!Ilfallaitquejeluioffremonaide.—Pardon,madame,est-cequevousvoussentezbien?Ladamelevalesyeuxversmoi.Soncous’étira.J’aperçusdeslambeauxdepeausèchetombersur

sonbeauchandailnoir.Ellemeregardaavecungrandsourirequilaissavoirsesdents,trèsabîmées.«Quellemalchanced’avoiruneaussimauvaisedentition»,pensai-je.—Oui,oui, jemesensbien.J’ai justeoubliédemettredelacrème,répondit-elleenhaussant les

épaules.Sonmouvementfittomberd’autreslambeauxdepeaumais,cettefois-ci,ilsprovenaientdesesbras.

Jeressentissoudainementbeaucoupdecompassionpourl’hommeassisauhublot.Unenouvellefois,jem’assuraiquelagrandebrûléen’avaitbesoinderien.—Unecompressed’eaufraîchesurvotrecoupdesoleilpourraitvousapaiser,luiconseillai-je.—Ah!OK!Merci!Jeprisuneservietteabsorbantedansmontiroiretydéposaidesglaçons.Jel’aspergeaiensuited’un

peud’eauetlaluitendis.Avectoutescesattentions,j’enavaisoubliésonbreuvage.—Quevoulez-vousboire,madame?—VousavezduPepsi?s’enquit-elle.—Oui,bienentendu.Je saisis alors un verre vide sur mon chariot. J’avais l’impression d’avoir passé une éternité à

servir cettepassagère.Maintenant, il était tempsd’être efficace. Juste comme jedirigeaismamainversletiroirdeboissonsgazeuses,lagrandebrûléem’interpellaencore.—VousavezvraimentduPepsi?—Oui,nousenavons,confirmai-je.—DuvraiPepsi?dit-elle,deplusenplusexcitée.—Oui,duvraiPepsi.Qu’est-ce qui était si difficile à comprendre ? Parlais-je une langue qu’elle ne connaissait pas ?

Dansmon chariot, j’avais du Pepsi !Du vrai Pepsi de lamarque Pepsi !Qu’aurais-je pu préciserdavantagepourqu’ellemecomprenne?Enfait,rien.Ladamen’avaitpasperdul’ouïe.Non,elleétaitseulementépriseduPepsietheureusedeleretrouver.—Hiiiiiii!JesuistellementcontentedeboireenfinduPepsi!Hiiiii!Mme Pepsi s’exclamait de joie. Ses jambes et ses bras s’agitaient, c’était l’hystérie totale. Je ne

comprenaispascommentuneboissongazeusepouvaitrendreunepersonneaussiexaltée.—VousaimezlePepsi,àcequejevois.Çafaitlongtempsquevousn’enavezpasbu,c’estça?la-

questionnai-je.—C’estça ! J’avaisapportémesdeux litresdePepsimais,aprèsunesemaine, ilnem’en restait

plus.J’aiétéobligéedeboirelemauditCokemaisondel’hôtel!Dégueulasse!Et moi qui avais prisMme Pepsi en pitié lorsque j’avais vu ses dents cariées. J’en connaissais

maintenant l’origine. Encore sous le choc, je devais jouer la comédie, le temps de lui servir saboissonpréférée.Jem’empressaideramasserunecanetteetcommençaiàverser le liquidedans leverre.Lagrandebrûléedevenaitdeplusenplushystérique.—Hiiiiii!Hiiiiii!Hiiiiii!Jedevaisdirequelquechose.Unmotgentilafindenepasavoirl’airdelajuger.—Ah!C’estvraiquec’estbon,lePepsi…J’avaisl’impressiond’avoirétévictimed’unmauvaistour.Maisnon.Etcurieusement,saréaction

futpourmoiunerévélation.Mon Pepsi à moi, celui que je voulais consommer avidement, avait déjà croisé ma route. Il

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s’appelaitJohnRoss.Deboutdansmonallée,toutenservantMmePepsi,jemejuraialorsqu’unjourje tenterais au moins de goûter à ma boisson préférée. Ne serait-ce que pour une nuit, histoired’étancherunpeumasoif.

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Chapitre17

Montréal(YUL)–Madrid(MAD)–Toronto(YYZ)–Dublin(DUB)

esvolsoutre-meravaientmaintenantcommencéetj’avaisdéjàvoléplusieursfoisendirectiondeParis et Barcelone. Par contre, en cette soirée du début de juillet, je travaillais sur un long-

courrierdesix jours.D’abord, j’iraisàMadridet, le lendemain, jepasserais lanuitàToronto.Lejoursuivant,jem’envoleraispourDublin,enIrlande,etypasseraiségalementunenuitpourreveniràMontréal le lendemain.C’étaitunbeau trajetcar jeneferaisquedesvolsdirects.Aprèsquatreanscomme agente de bord, je commençais à obtenir demeilleurs vols. J’étais donc très heureuse departir,etcesnouvellesconditionsmeremplissaientd’énergie.Unefoisarrivéedanslasalled’équipage,j’appuyaimavalisecontrelemuretallaiimprimermon

itinéraire. Il était importantd’enavoirunecopiepapier cary étaient affichés lesdétailsde chaquevol : heures précises de décollage et d’atterrissage, numéros de vol, nom des hôtels où nousséjournions,demêmequelalistedesmembresd’équipageprévuspendanttoutlecourrier.Aussitôtledocument imprimé, je leconsultai rapidement.Une informationme fit sursauter.Le soufflecoupé,j’enlaissaiéchapperleboutdepapier.Puisjeprisuneprofondeinspiration,ramassaimonitinérairedevol,lepliaienquatreetleglissaidansmonsacàmain.Jemedirigeai ensuitevers la sécurité réservée auxmembresd’équipage.Tout enmarchantdans

l’aéroport,j’eusl’étrangel’impressionquemonénergiememanquait.Chancelante,j’arrivaisàpeineàposerunpieddevantl’autre.Finalement,auboutd’uneminute,jem’approchaidesdeuxhommesenuniformebleumarine qui contrôlaient le passage. Ilsm’apparaissaient flous. Ilsme regardèrent etprononcèrentunmotquej’entendisauralenti.—Booooooonsoooooir!Je me sentais prête à m’évanouir. Avais-je été mordue par un serpent venimeux entre la salle

d’équipageetlasécurité?Depeineetdemisère,jeleurrépondisetapposaimonindexsurlecapteurd’empreintesdigitales.Lalumièreviraauvertetjepassaidel’autrecôté,dansl’aireinternationale.J’enavaispouràpeinedixminutesdemarcheavantd’atteindrel’appareil.Nesachantplusoùpuiser

mesforces,jemerendisauxtoilettesdesfemmes.J’avaisbesoindem’aspergerdel’eaufraîchesurlafigure.«Audiable,lemascaraquicoule»,medis-je,etjeplongeaimonvisagedansl’eauglacéequiremplissaitmesmains.Quelquespurificationsplustard,mafièvreétaittombée.J’effaçaialorslestracesnoiressousmes

yeux, séchai ma peau et fis le nécessaire pour recouvrer mon éclat. Je rejoignis la barrièred’embarquementàl’heureprévue.Àmonarrivée,touslesmembresd’équipageétaientdansl’avion.J’étaisheureusedevoirquejeles

connaissais, je n’aurais donc pas à fournir d’effort pour me rappeler leurs noms. J’avaissuffisammentlatêteailleurs.Jesortismoncarnetblanccontenantlesannoncesauxpassagers.NousvolionsversMadrid,enEspagne,aussiavais-jeétéassignéecommeétantl’agentedebordqualifiéedans la langue du pays. Je devrais traduire en espagnol chacune des annonces tout le long du vol.Normalement, j’appréciais cette tâche, car elle me permettait de mettre en pratique les cours quej’avais suivis à l’université enÉtudes internationales.Pourtant, ce soir-là, je la considérais commeunelourdecorvée.J’espéraisreprendremesespritsauplusvite.L’embarquementcommençaet lespassagersentrèrentdans lacabine.Jeme tenaisdeboutprèsde

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ma porte et, pour ne pas tomber, je gardais la main posée sur l’appuie-tête de mon strapontin.Camille,macollègueducôtédroitdel’appareil,mefitsignedelarejoindreaumilieudelacabine.Elle aidait une vieille dame à prendre place. Je m’avançai vers elle en oubliant un moment monobsédantmalaise.—Jenecomprendsriendecequ’elledit,Scarlett !Elleparle tropvite!Tupeuxtraduire,s’il te

plaît?melançaCamille,déjàlesnerfsàvif.—Oui,oui,pasdeproblème,luidis-je,etjeprislerelais.Jeregardailavieilledamequisetenaitcourbéedansl’allée.Elleportaitunbonnetenlainesurla

tête.Elleagrippaitfortementsonsacencuirbrund’unemainet,del’autre,tenaitunecanne.—¿Disculpeseñora,senecesitaayuda?luidemandai-jegentiment.—¡Sí! ¡Claro que sí! ¡Mimarido está enfermo y no estamos sentados juntos! ¡No se puede!me

rabroua-t-elle,frustréedenepasêtreassiseavecsonmarimalade.Leproblèmen’étaitpastrèsdifficileàrésoudre.J’attendraisquetouslespassagersaientprisplace

etjeferaislesmodificationsnécessairespoursatisfaireladame.Ilmesuffisaitdeleluiexpliquer.—¡Bien!Nohayningunoproblema.Yovoya…euh!Voya…euh!hésitai-je.Quesepassait-il?Jen’arrivaisplusàm’exprimer!C’étaitimpossible,jeconnaissaisparfaitement

cettelangue!Jetentaiànouveaumachance.—Loquequeriadeciresque…euh!eteuh!répétai-je,embarrassée.Mon malaise me faisait oublier mon espagnol. J’étais terrorisée ! Dans une minute, je devrais

m’exprimeraumicroetdicter les règlesdesécuritéà tous lespassagers.«Jen’auraiqu’à les liremotàmotettoutirabien»,pensai-je.Jesoupiraietreprismesesprits.Jeparvinsfinalementàexpliqueràladamecommentjecomptais

régler son problème et lui conseillai de s’asseoir à sa place en attendant. Elle me remercia ets’installa,ledoscourbé,auborddel’allée.Soudain,j’entendisl’annonced’embarquementprononcéeenfrançaisetenanglaisparledirecteurdevol.Jefusalorsprised’unenervositéincontrôlable,etdessueursfroidesinondèrentmanuque.Je courus jusqu’àmon strapontin et ramassaimon carnet d’annonce. Barry, le directeur de vol,

terminasondiscours.C’étaitàmontourdefairelemien.Jeprisl’interphoneetpressaisurleboutonrouge qui allait diffuser ma voix dans toute la cabine. J’étais paniquée. « S’il faut encore que jebafouillecommeunedébutante,dequoijevaisavoirl’air?»Jen’avaisplusletempsderéfléchir.Jemelançai:—Señorasyseñores,lesdamoslabienvenidaabordodeestevuelodeVéoAircondestinoaMadrid.

Enpreparaciónpara…Jefussoudainementabsorbéeparmespensées.Encoreunefois.«Cen’estpasletempsderêvasser,

Scarlett!Continue!Parle!»—…eldespegue,lespedimosquepongansu…Jem’arrêtaiunefoisdeplus.Quellehorribleannonce!J’étaissansdoutelapiredeslectricesque

macompagnieavaiteulemalheurd’engager.Enplus,lacabineétaitremplied’Espagnolset,pourlapremièrefoisdemavie,j’avaisl’impressionqu’onm’écoutait.Ilmefallaitredresserlasituation.—…equipajedecabinadebajodelasientodelanteroodentrodeloscompartimientossuperiores.

Noestápermitidofumarduranteelvueloylasbotellasdebencolocarsedebajodelasiento.¡Gracias!J’étaissoulagée.Enfinuneannonceterminée!Maintenant,jedevaisreprendremesesprits.Jepartis

fermer les compartiments des bagages et faire les changements nécessaires pour réunirma dameespagnoleetsonmarimalade.Leschosessemblaientenfin revenirà lanormale,et jemedirigeaià l’arrièrede l’appareilpour

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prendre un verre d’eau avant le décollage. Camille parlait avec Esther d’un voyage au Pérou. Entempsnormal,j’auraisétélapremièreàm’introduiredanslaconversationmais,cettefois-ci,jen’enavais pas envie. J’avais d’autres soucis. Je bus mon verre d’eau et retournai m’asseoir sur monstrapontin.Une fois assise, j’essayai de ne pas regarder les passagers qui se trouvaient devant moi. Je les

voyaisme fixer,mais je n’avais pas le désir de leur parler. J’avais besoin d’être concentrée pourrevoirmesprocéduresde sécuritéencasd’urgence,maisaussipourpenseràmes inquiétudes.Cemomentétaitlemienetjenecomptaispasmelaisserenvahirparl’entourage.Jefixaileplafond,leregardvide.J’orientaiensuitemesyeuxverslefonddelacabine,puisversletapisdel’allée,etenfinverslehublotpourvoirlapiste.Bref,jeregardaispartoutsaufdevantmoi.Nous roulionssur lapiste,et lecommandantn’avaitpasencore fait l’annoncedudécollage. J’en

avaispourquelquesminutesàpouvoirjouerl’indifférente.Jecontinuaisdefixerlesalentours,sansexpression. Du coin de l’œil, je pouvais voir la dame assise en face demoi. Elleme dévisageaitdepuistroisbonnesminutes.Jelasentaishésitanteetjesavaisqu’elleneseretiendraitpaslongtemps.Comme je l’avais prédit, elle posa ses deuxmains sur ses genoux et avança son torse dansma

direction afin d’attirer mon attention. La voyant inclinée à quarante-cinq degrés, je n’eus d’autrechoixquedelaregarderpoliment.Ellem’interpella.—Est-cequevousrestezdesfoisdanslesautrespays?medemanda-t-elle,heureused’avoirenfin

réussiàmeposersaquestion.—Oui,lorsquenousvolonsenEurope,nousrestonsaumoinsunenuit,précisai-jeavecunléger

sourire.—Ouais,çadoitpasêtreévidentcommejob,hein?ajouta-t-elle.—Çadépenddesvolsetdespassagers,luirépondis-je.—Pis…Tun’aspaspeurdelaturbulence?As-tudéjàpognéunegrossepoched’air?insista-t-elle.Lefameuxmythedespochesd’air!J’enavaissoupédecettequestion.J’avaislegoûtd’expliquerà

cette dame toute l’insignifiance de son interrogation.Ça n’existe pas, des poches d’air !Un avionn’avancepasdans l’airpour toutàcouparriverdansun trousansair !L’airestpartout, entourantcomplètementlaTerre.Iln’yaquedescourantsd’airchaudetfroid,commelameravecsesremoustourbillonnants.Jemecontentaidelarassurer.—Non,madame,jen’aijamaisrencontrédelagrosseturbulence,quedelapetite,etc’esttoujours

toutàfaitnormal.—Ah!conclut-elleenfinavantdedirigersonregardversl’extérieur.J’entendisalorsl’annonceducommandantetnousnousenvolâmes.

***

Deuxminutesaprèsledécollage,Barryrecommençasesannonces.Jerécupéraimoncarnetblancetjem’arrêtaiàlasection«Aprèsledécollage».Lesyeuxrivéssurleslignesquej’avaisàlire,jememisdenouveauàangoisser.Jevoyaisladamedevantmoiquim’observaitattentivement.Cettefois-ci,j’espéraisdébiterlesconsignesdesécuritédansunespagnolimpeccable.Barrytermina.C’étaitàmontour.Jesaisislemicro:—…lespedimosquepermanescansentadosconelcinturondeseguridadabrochadohastaquela…Jem’arrêtaibrusquement.Maisquem’arrivait-il?Jamaisjen’avaishésitéàprononcercemotdanslepassé.Ilétaitpourtant

facileàdire.«SEÑAL!S-E-Ñ-A-L!»répétai-jeintérieurementavantdeleprononceràvoixhaute.J’étaisrougedehonte.J’avaisl’aird’uneétudianteàsonpremiercoursdelangue.Jeterminaimon

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discours en bégayant et me jurai qu’immédiatement après l’extinction du signal des ceintures jem’arrangeraispourenfiniraveccettehumiliation.Quelquesminutesplus tard, jepusme lever. Jedevaisme rendreà l’arrièrepouraccomplirmes

tâches,mais au lieude cela jemontai à l’avantpourparler audirecteurdevol.Barry était encoreassis à son strapontin et fouillait dans ses documents. En voyant ma tête, il se leva d’un bond ets’inquiéta.—Ma pauvre Scarlett ! Tu es blanche comme un drap. Ça ne va pas, hein ? me demanda-t-il,

préoccupé.—Non,Barry,vraimentpas!confiai-je,paniquée.—Cesontlesannoncesquitestressent?—Non, c’est autre chose,mais çavient chambouler tout le reste. Jenepeuxpas continuer àme

ridiculisercommeçadevantlespassagers.C’estcommesij’avaisoubliécommentmarcher!dis-je.—Écoute,j’avouequ’aujourd’huitesannonceslaissentàdésirer,alorsnelesfaisplus,m’ordonna

monsauveur.Jenel’écriraipassurlerapportdevol.—Oh!Merci!Tum’enlèvesungrospoids,là!Demain,jeteprometsqueçairamieux,assurai-je,

soulagée,etjeretournaiàmesoccupations.Mevoyantconfuseetempotée,Camilleentrepritdetravaillerdeuxfoisplusfort.Pendantleservice

derepas,elles’installadefaçonàtournerledosauxpassagersetainsipouvoirenservirdixalorsquejen’enservaisquetrois.Jenemereconnaissaisplus.Pourquoicevolmemettait-ildanscetétat?IlfallaitquejeparleàBéaauplusvite.Elleseulepouvaitmesoigner.Après l’atterrissage, je saluaimes passagers dans un état comateux. J’avais hâte dem’entretenir

avecmameilleure amie.C’était décidé, j’allais l’appeler, oùqu’elle soit.Une fois l’avionvide, jeramassaimavaliseetsortisdel’appareilentraînantdelapatte.Camille,parsolidaritéouparpitié,m’attenditetm’accompagnajusqu’àl’autobusd’équipage.—Tuvasvoir, çava te fairedubienunebonnesieste.Ensuite,on se rejoindrapour l’apéro.La

sangriavateredonnerdupep!m’encouragea-t-elle.—Ah!Merci,Camille,tuesfinemais,honnêtement,jepensequec’estmieuxquejeresteseulece

soir,répondis-je.Je n’arrivais pas à croire ce que je venais de lui répondre. Passer la soirée seule à Madrid ?

Normalement,jepartageaistoujoursdedélicieuxtapasavecmonéquipage.Cettevilleétaitfaitepourlafête.Maisjen’enavaispasledésir.JevoulaisréfléchiretsurtoutdiscuteravecBéa.Lorsque j’arrivai au point de rencontre, l’équipage était regroupé à l’arrière de la camionnette.

Chacun remettait sa valise au chauffeur, qui les rangeait stratégiquement dans le compartimentarrière.Àmontour,jem’approchaipourylaisserlamienneetentraiensuitedanslevéhicule.Unefois assise, je mis mes écouteurs sur mes oreilles et me laissai absorber par une mélodie pourdécompresser.J’avaisenfindu tempspour réfléchir.«Quelplaisirquedepenser !»medis-je.Enregardantlesmontagnesaridessurlaroute,monmalaises’estompaenfin.Monpetitcœursesentaitmieux.L’espoirlecomblait,leremplissait,etilbattaitdeplusbelle.J’ouvrismonsacàmainetyramassaimonitinérairedevol.Jeledépliaietreluscequim’avaittant

chavirée.VÉOAIR144Toronto(YYZ)–Dublin(DUB)–commandantdebord:JOHNROSSVÉOAIR419Dublin(DUB)–Montréal(YUL)–commandantdebord:JOHNROSS

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J

Chapitre18

Madrid(MAD)

evenaisdesortirde ladoucheet j’avaisenfiléunconfortableensembleencotonouatégris.Lafatiguemedonnaitfroid.J’ouvris laportedubalconpourfaireentrerunpeudechaleurdansla

pièce.J’entendaislaviemadrilènes’activerdehors.J’adoraiscebruit.Iln’étaitpastoutàfaitl’heurede la sieste et quelques commerçants fermaient déjà leurs portes. Je percevais le grincement despanneaux coulissants qui s’abaissaient devant les vitrines. Des conversations entre amisrebondissaient jusqu’à moi. Je suivrais le rythme des citadins et ferais la sieste. À mon réveil,j’appelleraisBéa.Pourlereste,l’ambiancedelavillesecontenteraitdemeredonnerl’énergiedontj’avaisbesoin.Lorsque j’ouvris les yeux, il était 18 heures. L’envie de dormir encoreme rongeait mais il me

fallaitmelever.C’était lafaimquim’avaitréveilléeet j’avaisenvied’allermarcher.Maisavant, jevoulaisparleràmacoloc. Jem’assisauborddu lit, sortismon iPhoneetouvrisune sessionavecSkype.Jel’appelaisursontéléphoneportable.Unesonnerieeuropéenneretentit.Béaneréponditpas.Jecherchaidansmesdocumentspourvoirsij’avaisprisennotesonhoraire.J’entrouvaiunecopie

danslapochettedemavalise.Eneffet,elleretournaitàMontréaldemain.ElleavaitatterriàToulouseenmêmetempsquejemeposaisàMadrid.Elleétaitpeut-êtredanssachambreentraindeseprépareravantd’allermangeravecl’équipage.Jedénichailenumérodel’hôteloùelleséjournaitetcomposailenuméro.—LeNovotelToulouse,bonsoir!réponditlaréceptionniste.—Bonsoir,j’aimeraisparleràBéatriceHamelin,s’ilvousplaît.—Oui,bonsoir,madame!Àquidésirez-vousparler?demanda-t-elle,légèrementconfuse.Cedevaitêtremonaccentquébécoisqu’ellenecomprenaitpas.Jerépétaimarequête.— J’aimerais parler àBéatriceHamelin. Elle fait partie de l’équipage deVéoAir, précisai-je en

articulantdavantage.—D’accord.Uninstant,madame.Jevoustransfère.Aurevoir!La sonnerie retentit. Personne ne décrochait. Le timbre persistait. Peut-être Béa était-elle sous la

douche?Auboutd’unmoment,jelâchaipriseetraccrochai.Elledevaitêtresortie.Jelarappelleraisplustard.Jechangeairapidementdevêtementsetsortislenezsurmonbalcon.Lesruellesétaientbondéesde

monde.Lavillerevivaitetlesoleiln’étaitpasencorecouché.Ilétaittôt;àcetteheure,lesrestaurantsn’étaient pasouverts. J’avais donc toutmon tempspourmarcher dans la ville avant dem’installerconfortablementquelquepart.Aussitôt sortie de l’hôtel, je me dirigeai vers la Puerta del Sol, là où les festifs Madrilènes se

réunissenthabituellementpourcélébrerlenouvelan.CetteplaceestleTimesSquaredelavilleetestentouréedeplusieursruellestoutesaussianiméeslesunesquelesautres.JelatraversaiendirectiondelaPlazaMayor.Toutenmarchant,j’essayaisdedemeurerconcentréesurmadestinationpournepasmeperdre.Jetenaisfermementmonsacàmainsousmonbras,conscientedunombreélevédepickpockets.Jemedirigeai ensuite vers le quartier deLaLatina.Lorsque j’arrivai enfin là où je désiraisme

rendre,monespritétaitencoreembrouillé.J’entraidansuncharmantcafé-barpourm’yprocurerun

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mojito à la crème glacée. Le serveur me le remit dans un contenant pour emporter et je partism’asseoirsurunbancpourobserverlespassants.Mapremièregorgéefutl’unedesplusdélicieusesexpériencesgustativesquej’aieulachancedevivre.Uneglaceàlamentheavaitétémélangéeàdeuxoutroisoncesderhumbrun.Étonnamment,plusjebuvaisetplusmesidéesdevenaientclaires.«Quevas-tufairequandtuverrasJohndansdeuxjours?»medemandai-je.J’avaisrêvédecejour

descentainesdefoisetm’étaisimaginéeentraindel’embrasser.Etpuissonvisages’étaiteffacépeuà peu. J’étaismême convaincue quemon beau commandant n’avait été qu’un fantasme éphémère,englouti par le passé.Mais à voir comment le nom de JohnRossm’avait chavirée en lisantmonitinérairedevol,ilétaitdécidémentincrustédansmapeau.Pourquoimoi?Jenepouvaispastomberamoureused’unhommemarié!J’avaismaintenantbulamoitiédemonmojito.Lafaimfaisaitgargouillermonestomac.Jemelevai

etmedirigeaiverslaruellequej’avaisempruntéepourarriverjusque-là.J’avaisremarquéplusieursbarsàtapasenchemin.Lorsquejeprisplacesurl’undessixbancsenboisprèsducomptoird’unetaberna,jepensaisencoreàlui.«Scarlett, tu t’étaisditque tuferaisquelquechosesi tu le revoyaiset, là, tuneveuxplus?»me

questionnai-je.C’étaitvrai.AprèsBarcelone,j’avaisentrepris d’oublierJohn.Parcontre,jem’étaisensuitejuréeques’ilrecroisaitmoncheminetquej’étaisencoreaussitroubléeparluij’allaisagir,etce,mêmes’ilfallaitquejetrahissecertainsdemesprincipes.« Les choses ont changé depuis, Scarlett. Tu ne peux plus penser juste à toi. Tu as rencontré sa

femme!»merabrouamonsubconscientd’unevoixangélique.«Ons’enfoutd’elle!Ellet’apresquesautéàlafiguredansl’avion.Suistoncœuretpenseàtoi!»

m’ordonnaunevoixdémoniaque.Mesvoixintérieuressebousculaient.Ellesétaientencompletdésaccord.Mapetitevoixangélique

mevoulaitraisonnable,m’obligeantàignorermesémotions.Lavoixdémoniaque,elle,medictaitdeprofiterdel’occasionetd’êtreenfinégoïste.Jenesavaispasquiavaitraison.«Maisest-cequeJohnvavouloirdemoi?»medemandai-je.« Il n’amontré aucun signe ladernière fois àBarcelonealorsqu’il en aurait eu l’occasiondans

l’ascenseur.Ilneferarien,Scarlett,tutefaisdesidées!»«Allume,Scarlett!Johnrêvaitdet’avoirdanssonlit.IltedévoraitdesyeuxàParisetàBarcelone.

S’ilteregardeencorecommeça,ceseratonsigneettudevrassaisirl’occasion.»J’étaisconfuse.Riendetoutçanem’éclairait.Jecommandaiunverredevinrougeetquelquestapas

etcontinuaiàm’interroger.«Maispourquoicen’estpas luiquim’approche?S’ilveut trompersa femme,c’està luideme

fairedesavances!»«Scarlett,cethomme-làadesbonnesvaleurset ilneveut toutsimplementpas les trahir. Ilades

enfantsetilassumesesresponsabilités.Ilneferajamaislepremierpas.Iln’yamêmepaspensé»,m’expliqualavoixangélique.«Pfft!Johnyacertainementpensé!Regarde-toi,tuescraquante!Faislepremierpas,maScarlett,

ettuvasvoirquetuneseraspasdéçue.Ilattendjusteça!Commeça,ilnepourrapass’envouloird’avoirprovoquédélibérémentleschoses»,m’expliquaàsontourlepetitdémon.La voix démoniaque commençait réellement à me charmer. Elle m’entraînait dans le vice. Des

images de John et moi couchés l’un contre l’autre prenaient forme dans mon esprit. Je pris unegorgéedevinrougeetengloutisunmorceaudefromageavecdujambonencontinuantmaréflexion.«Mais si je décide de faire les premiers pas et qu’il acceptemes avances, j’aurai encouragé un

hommemariéàtrompersafemme!»merévoltai-je.

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«Exactement,Scarlett,ettuneveuxpasavoirçasurlaconscience.Ilyaassezd’hommessurcetteplanètepournepasavoiràvolerceuxdesautres»,meditl’angeprotecteur.« Excuse-moi ! Si jamais il se passe quelque chose entre John et toi, c’est bien parce que ton

commandantt’auralaissélechamplibre.Tuneluiauraspastorduunbras.Laculpabilité,cen’estpastoiquil’auras!»rétorqualedémon,quivenaitderemporterlapartie.J’avaismaréponse.J’avaisenviedevivreàfondlesémotionsfortesquemeprocuraitunesimple

pensée pour lui. Toute cette anticipation ne faisait qu’embrouiller mon esprit inutilement. J’étaisdécidée.Moncœurmedicterait lameilleurechoseàfaire.Jemelevai,payai l’additionetrentraiàl’hôtel.

***

Aussitôtquejefranchislepasdelaportedemachambre,jesautaisurmoniPhoneetouvrisunenouvelle session Skype. J’avais besoin d’encouragements et je savais que Béa était la meilleurepersonnepourça.Elledevaitêtrederetouràsachambreet jerisquaisdelaréveiller.Jecomposaimalgrétoutlenumérodesonhôtel.Unhommerépondit.—LeNovotelToulouse,bonsoir!—Bonsoir,monsieur,puis-jeparleràMmeBéatriceHamelin,s’ilvousplaît?dis-jepolimentd’un

accentfrançaisimpeccablepourêtrebiencomprise.—Oui,certainement.Jevoustransfèreàl’instant,madame!—Merciinfiniment,monsieur!Aurevoir!J’avaishâtedeparleràBéaetd’avoirsabénédiction.Cettefois-ci,elledécrochalecombiné.—Oui,allo?dit-elled’unevoixendormie.—Ah!Désolée,Béa,est-cequejet’airéveillée?—C’estqui?—C’estScarlett!Tusais,tacoloc!— Scarlett ? Pourquoi tu m’appelles ici ? Tout va bien ? me demanda-t-elle, un soupçon

d’inquiétudedanslavoix.—Oui,oui,çava.Jet’appelledeMadrid.Jesuisinquièteàproposd’untrucetj’aimeraisavoirton

avis.Maissituestropendormie,onpeutseparlerdemainàtonretour.—Non,non!Jeviensdemecoucher.Levoldécolletarddemain.J’aitoutmontemps.Qu’est-ce

quisepasse?— Eh bien, demain je vole à Toronto, et le lendemain, j’opère un vol vers Dublin et ensuite

Montréal,dis-je.Rienqu’àypenser,monmalaisereprenait.Peut-êtreétait-ceplutôtl’alcoolquej’avaisconsommé

entropgrandequantité?Béavoulaitsavoirlasuite.—Ouais,c’estquoileproblèmeaveccethoraire-là?Ilestbeau.Desvolsdirects,c’estsuper,me

rassura-t-elle.—Non,non,lesvolssontbeaux.Cen’estpasçaquim’inquiète.—Qu’est-cequit’embêted’abord?demanda-t-elle,insistante.—En fait,mon beau commandant sera surmon vol de Toronto-Dublin et il va passer la nuit à

l’hôtelavecmoi.—Hein !Tu veux dire que vous avez décidé de vous revoir et qu’il va dormir avec toi dans ta

chambre?Wow,Scarlett,c’estmalade!s’exclama-t-elle,folledejoie.—Non,Béa!Jerecommence.Johnseralecommandantsurmonvolettoutl’équipagedormiraau

mêmehôtel.Ilaurasachambreetmoilamienne.

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—OK ! C’est quand même une bonne nouvelle, tu ne trouves pas ? Tu auras enfin ta chance,Scarlett!Fonce!meconseillaBéa,pleined’entrainetdeconfiance.—Tucrois?—Oui!C’estridiculedelaisserpartirunhommequinousperturbeautant,Scarlett!Peuimporte

d’oùilvient,peuimportesavieetsonpassé.Tudoissuivretoncœur!chantaBéa.—Est-cequ’ilvoudrademoi?—Tuvasleliredanssesyeux.Etjepensequeoui,merassura-t-elle.J’étais soulagée. J’avaismaintenant son approbation. Je pouvais dormir en paix. Aumoment où

j’allaislaremercieretraccrocher,j’entendisunevoixd’homme.CettesacréeBéa!Elleavaitramenéquelqu’unàsachambre.—Tun’espasseule,coquine?demandai-jecurieusement.—Non,jesuisavecDamien.Ilestvenumerendrevisitepourunenuit.—Damien?LeFrançaisauyacht?—Oui,répondit-elletimidement.—Ah!Ilfallaitmeledire,voyons!dis-je,aussitôtembêtéed’avoirracontémesstupidesangoisses

depiloteaussiouvertement.—Iln’arienentendu,Scarlett.Etjetel’auraisditsiçal’avaitdérangé.Dorsbienetnet’inquiète

plus.Son ton était si rassurant que dès qu’il parvint àmes oreilles ilm’apaisa.Mes paupières étaient

lourdes.Ilétaittempsdem’assoupir.—Merci,Béa.DissalutàDamiendemapartetbonnenuit!luisouhaitai-jetendrement.—Bonnenuit,Scarlett,etbonnechanceàDublin!Je fermaima session Skype et réglaimon réveil pour le lendemain. J’éteignis la lumière etme

glissai sous les draps. Juste avant de m’endormir, une pensée me traversa l’esprit : « Les deuxprochainsjoursdurerontuneéternité.»

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U

Chapitre19

Toronto(YYZ)–Dublin(DUB)

nsiècles’étaitécoulédepuismonarrivéeàToronto.J’avaiscomptélesheures,lesminutes,lessecondesetlesmillisecondes.Monimpatiencem’avaitempêchéedebienmereposerlorsdema

siested’avant-vol.Jenetenaisplusenplace,etdèsquejem’asseyaissurlecoindemonlit,majambedroitefaisaitdessiennes,s’agitantdehautenbas.Cematin-là,lorsquej’étaissortiedemachambrepourallerchercheruncafélatteprèsdel’hôtel,

j’avais souffert d’hallucinations. Dans la file d’attente du Starbucks, un homme à l’allure trèssimilaire à celle de John m’avait pratiquement fait faire un arrêt cardiaque. Réalisant que ça nepouvait être lui, j’avais reprismes esprits et, une foismon café récupéré, j’étais partie au centrecommercial. J’avais essayé unmagnifique chandail dansma boutique préférée et, en sortant de lacabine,j’avaisencorefaillifaireunesyncopeenpensantavoiraperçuJohndansuneautreboutique.Moncœurenavaiteumarredes’activerpourrienetilm’avaitsuppliéederetourneràl’hôtelsur-

le-champcar ilnetiendraitpaslaroute.Je luiavaisobéi.Bientôt,meshallucinationsdeviendraientréalité.

***

Lorsque notre autobus nous déposa devant l’aéroport, mon cœur recommença à s’affoler. « Lepauvre!Ildevras’yfairecarcen’estqu’undébut»,pensai-je.Aprèslepassagedelasécurité,Barry,ledirecteurdevol,nousavisaqu’ildevaitpasseràlasalled’équipagepourrécupérerdesdocuments.Il nous précisa l’heure à laquelle nous devions tous être à bord et nous laissa à nos propresoccupations.L’équipage sedivisa.Certainsagentsdebordpartirent faireunarrêt auDutyFreeetd’autres, au

Starbucks. Camille et moi n’avions envie de rien alors nous décidâmes de nous rendreimmédiatementàl’avion.—IlparaîtqueDublinestvraimentcoolcommeville.Jen’ysuisjamaisallée.Toi?medemanda-t-

elle,énervée.—Unefois,mecontentai-jederépondre.—Pis?Tuconnaisuneplacepourallersouper?Sortir?Unpubtraditionnel?Unsilences’ensuivit.Jenerépondaispas.Jecomprenaislesensdesaquestionmaisjen’arrivais

pasàtraiterl’information.J’entendaisseulementdesmotsprononcésl’unaprèsl’autre.Sortir.Pub.Traditionnel. Et puis, en bruit de fond, le son produit par ses talons aiguilles qui martelaient leplancher.Camillem’interpellaànouveau.—Hého,Scarlett!Tum’écoutes?—Désolé,Camille,jepensaisàautrechose.Tudisais?—Ah!Oublieça!J’auraibienletempsdetejaserdurantlevol.Ç’al’airquecequitemettaità

l’enverssurlevoldeMadridn’estpasencoreréglé,hein?medemanda-t-elleàlafoisparcuriositéetparsympathie.—Non,pascomplètement,avouai-jesansendiredavantage,etnouscontinuâmesnotrecheminsans

parler.J’aimaisbienCamille.Elleétaitcharmante,sourianteet,surtout,ellesemêlaitdesesaffaires.Elle

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respectaitsescollègues,attendantplutôtqu’ilsseconfients’ilsledésiraient.Elleavaitétéengagéeunpeu après moi et devait avoir vingt-quatre ans. Très féminine, elle se maquillait toujours à laperfection. Ses hauts talons aiguilles en cuir vernis noir lui allaient comme un gant. À la voirdéambulersurlapasserelleendirectiondel’avion,jesouhaitaiavoirautantdeprestancequ’elle.Merde, la passerelle !Nousy étionsdéjà.Allais-je avoir la forcedemonter àbordde l’avion ?

J’avaischaud.Tropchaud.«Cen’estplusletempsdefairelalâche»,mesermonnai-jeetjeposailepiedàl’intérieur.JesuivisCamilleversl’avantdelacabine.Despremièresrangées,nouspouvionsentendre des hommes parler dans le poste de pilotage. « John est déjà arrivé ! »Ma collègue sedirigeaverslagalleyavantetjel’entendisjaseraveclesdeuxpilotes.—Salut!Jem’appelleCamille.Lerestedel’équipagen’estpasencorearrivémaisçanedevrait

pastarder.Une pause suivit. Puis un homme parla. Je ne pouvais entendre ce qu’il disait. Camille, de son

humeurresplendissante,conclut:—Oui,OK!Parfait!Àtantôt!Puisellevints’asseoiràmescôtés.Maintenantqu’elles’étaitprésentéeànospilotes,jemedisque

c’était lamoindredeschosesquejefassedemême.D’ailleurs, jen’enpouvaisplusdepatienter.Jemelevaietm’approchaidupostedepilotage.J’entendaisdiscuter.JenereconnaissaispaslavoixdeJohn.Aprèsunan,j’avaissûrementoubliéà

quoielleressemblait.Commeuneespionne,jerestaiscachée,ledoscollésurlesfoursmétalliques.«C’estvraimentridicule!J’aitrenteans,voyons!»Jedécidaideprendremoncourageàdeuxmainsetentraidansleposte.—Allo!dis-jeensouriantd’unaircomplètementdécontracté.Lesdeuxpilotestournèrentlatêtedansmadirection.Jeregardairapidementlepremierofficieret

m’empressaideposerlesyeuxsurlecommandantdebord.Àsavue,monsouffles’arrêtad’uncoup.Johnétaitdevantmoi.—Salut!merépondirent-ilsenparfaitesynchronisation.Lepremierofficieraffichaunsourirediscretenmesaluantmaisjel’ignoraitotalement.Quantau

commandant,ilmefitleplusbeausourirequej’avaisvudemavie.Cesourireétait,deloin,encoreplus ensorcelant que ceux de Paris. Même plus électrisant que le dernier qu’il m’avait fait avantd’ouvrir la porte de sa chambre à Barcelone. Les sueurs froides m’envahirent. Mes jambesramollirent. Il fallaitéviterd’êtredémasquée.Jem’empressaidedireunephraseinsignifiantepourpouvoirensuitem’éclipser:—Vousêtesarrivésbientôt?bafouillai-je.Qu’avais-je dit ? Je priai pour quema question passe incognito. John allait captermonmalaise.

Certainement, une tellemaladresse n’allait pas lui passer sous le nez.Àmongranddésarroi,monbeaucommandantprofitadecetteoccasionpourmetaquiner:—Bientôt?Je devais répondre et reprendre immédiatement le contrôle de la situation. Le sourire de John

m’hypnotisait.Sonvisageetsonregardaussi.Sonodeurmerendaitfolle.Jebafouillaiencore:—Euh!Jeveuxdire:çafaitbientôtquevousêtesarrivésdansl’avion?Maisoùétaitdoncpassémonvocabulaire?Bientôt?JevoulaisdireLONGTEMPS!Cen’étaitpas

compliqué!L-O-N-G-T-E-M-P-S!Monvisageviraaurougeécarlate.Johndevaitêtrecontentdemevoir perdre ainsi tous mes moyens devant lui. En constatant que les deux pilotes se moquaientgentimentdemoi,jememisàrireégalement.Jesoulevailamaindansleurdirectionpoursignifierqu’ilsn’auraientaucuneautreexplicationdemapartetpartism’asseoirsurunsiègedepassageren

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attendantlerestedel’équipage.J’étais embarrassée d’avoir agi de manière aussi confuse mais, bon, je devais vivre avec. « Je

finiraibienparm’habitueràsaprésence»,medis-je.Illefallait,parcequej’enavaispourdeuxjoursaveclui.Alleretretour.Justeàypenser,jemesentaisàlafoisterroriséeetprivilégiée.Unefois l’équipagearrivéàbord,Barryeninformalespilotes.Johnsepostadevant lapremière

rangéedesiègesetcommençasonbriefing:—Bonjour à tous !Voici StéphaneCormier, le premier officier, dit-il en levant lamain dans la

directiondupilote.Moi,jesuisJohnRoss,ajouta-t-il,l’airconfiant.L’équipagelessaluatouslesdeuxetilcontinua:— Aujourd’hui, nous opérons le vol 144 vers Dublin avec un temps de vol de 6 h 30. Pas de

turbulenceprévue.En terminant sa phrase, ilme jeta un coupd’œil rapide. Je buvais ses paroles.Après nous avoir

fourni quelques détails, il posa à nouveau ses yeux surmoi et nous souhaita un bon vol avant deretournerdansleposte.Barrypoursuivitaveclesinformationscomplémentaires.Commeàl’habitude,ilnousfitchoisirnospositionsdansl’avion.Lorsquemontourarriva,j’avais

lechoixentretroisd’entreelles,dontl’uneimpliquaitdetravailleravecBarryàl’avant,enpremièreclasse.MêmesijeneraffolaispasdepréparerdesBloodyCaesaroud’offrirdupoivrefraîchementmouluàmespassagers,jechoisiscettepositionpouruneraisonquemoiseuleconnaissais.En fait, comme elle impliquait de passer tout le vol à l’avant de l’appareil et d’être, par le fait

même, près du poste de pilotage, j’avais comme tâche supplémentaire de veiller au confort despilotes. Je leur apporterais leurs repas, préparerais leurs cafés etm’occuperais de satisfaire leursmoindrespetitscaprices.Par le passé, j’avais rarement choisi cette position car, bien entendu, je ne voulais pas servir de

prétentieux pilotes.Camille, quime connaissait, fut surprise parmon choix etme fit une grimacedéçue.Jecomprisqu’elleauraitaimétravailleravecmoietjeluisuggéraidevenirmerendrevisitependantlevol.Lebriefingterminé,Barrylançal’embarquement.Jemetenaisdansmagalleyetpréparaisquelques

verresdechampagnepourmesprécieuxinvités.J’avaishâtedelesvoir!Quiallais-jeservir?UneMmeCoco?Jepriaipourquecenesoitpaslecas.Jemedirigeaiensuitedansl’alléepouraiderunepassagère.Àmonretour, j’avaisunevueimprenablesurlepostedepilotageetdoncsurmonbeaucommandant.Jel’espionnaidiscrètementenespérantnepasmefairepiéger.Juste comme je venais de tourner la tête vers la porte d’embarquement, j’entendis John

m’interpeller.« Il a sansdoutecaptémondésirde luiparler»,medis-je. Je flottais surunnuage.J’avançaiversluietmeprésentaidevantlaporte.Qu’allait-ilmedire?«Ah!MadélicieuseScarlett,jesuissicontentde tevoir !»ou«Depuisunan, j’attendscemoment,Scarlett, j’espèrequec’estréciproque.»Oui!Oui!C’esttrèsréciproque!Tum’obsèdes!—Est-cequetupourraisdemanderaudirecteurdevoldevenirmevoir,s’ilteplaît?Jedoislui

parler,medit-ilsansexpression.Quelledéception!Jelesavais!Jerêvaisencouleurdepuisledébut.Etmoiquinepensaisqu’àlui!

Ilfallaitquejeprennesurmoietquejememetteauboulot.Évidemmentquesaprioritén’étaitpasdes’amuseravecl’unedesesagentesdebord.Ilavaitunavionàpiloter.Peut-êtreserait-ilplusréceptifunefoisàDublin?Jel’espéraisettransmislemessageàBarry.L’embarquementétaitmaintenantterminé.J’avaiscommencéàservirlesflûtesdechampagneàmes

passagers et leur avais offert des journaux. La porte venait de se fermer. Ma collègue Dianes’approchaetmeremitunefeuille.

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—Barryfaitdireque lachanteuseHelenaHébertestassiseenclasseéconomique,à9K,etqu’ilaimeraitquetuaillesluisouhaiterlabienvenueenluidisantqu’onvabiens’occuperd’ellependantlevol.—Euh…Cen’estpasàluidefaireça?—Oui,maisiln’apasletempspourlemoment,précisa-t-elleavantderetourneràsesoccupations.Grrr!Jedétestequandquelqu’unfaitça:déléguer!Barryétaittropoccupé,vraiment?Ildevait,

toutcommemoi,nepasvouloirjouerautêteuxets’étaitempressédemerefilercettetâcheingrate.C’étaitlui,ledirecteurdevol,etc’étaitmoiquidevaisagirentantquemaîtressedecérémonie?Jeregardailafeuillequem’avaitdonnéeDiane.HelenaHébert!Jehaiscettechanteusequébécoise.D’ailleurs,pourquoivolait-elledepuisToronto?

Peut-être était-elle devenue internationale et divisait son temps entre le Québec francophone et leCanadaanglais?Honnêtement,jem’enfoutais.Toutcequejesavais,c’estquejenesupportepasdedevoir faire des courbettes à des artistes juste parce qu’ils s’appellent Untel ou Unetelle. Bon, jedevaisseulementaccomplirlatâchequ’onm’avaitdonnée.Jemedirigeaidoncverslesiège9K.Lorsque j’arrivaià laditerangée, je réalisaique lesiègeenquestionétaitvide.Personne!«Yé!

pensai-je,ellen’estpas là,c’estuneerreur !»JecherchaiBarrypour luidirequ’ilavait reçuunemauvaiseinformation.—Hey,Barry!l’interpellai-je.TonHelenaHébertn’estpasàbord.Lesiège9Kestvide.—Impossible!Jel’aivuetoutàl’heure,c’estmoiquiairécupérésonbilletd’embarquement.—OK…elledoitêtreauxtoilettes.Jevaisattendrequ’ellereviennealors,dis-je,convaincueque

c’étaitlecas.—Oui,OK!Merci!répondit-ilavantd’aviserlepersonneldecabined’armerleurportepourle

décollage.Jem’exécutaietmepostaidansl’alléependantquelavidéodesconsignesdesécuritéétaitprojetée.

Je restais bien droite et tentais d’afficher un sourire courtois. Plusieursme regardaient au lieu deregarder devant eux.Dansma tête, jem’amusai à prononcer les consignes enmême temps que lecommentateur:«Danslecasd’unedépressurisation,unmasqueàoxygènetomberaautomatiquementà votre portée. Tirez le masque pour libérer l’oxygène et placez-le sur votre visage. Respireznormalement…»À chaque mot réussi, je me félicitais. Qu’est-ce qu’il ne faut pas faire pour se désennuyer ! Je

continuaimonpetitjeutoutenobservantunàunlespassagersdansmasection.«Lemasquepeutnepassegonflermaisundébitd’oxygèneesttoutdemêmeprésent.Ajustezvotre

masqueavantd’aiderlesautres…»«Encoreunpointpourmoi!»pensai-jeencontinuantd’examinermespassagers.Lafemmeau2B

me sembla familière.Elleportait un énormechapeaubeige.Elle était trèsbelle et parlait avec sonvoisin.Elledevaitavoirtrente-cinqansetj’avaisvraimentl’impressiondelaconnaître.Intriguée,jevérifiaisonnomsurlemanifestedespassagers.En feuilletant le document, je repérai rapidement la section de la première classe. Aucun nom

n’apparaissait au siège 2 B. Je comptai alors les passagers sur ma liste. Quinze. Je retournai meposterdansl’alléepourcompterlenombreexactdepassagersassisdansmasection.Résultat:dix-sept.Detouteévidence,çaneconcordaitpas.Commelemanifesteprimaitsurtout,j’endéduisisquedeuxdemespassagerss’étaienttrompésdesiège.L’und’entreeuxétaitsanslemoindredoutecettefausse actrice de cinéma. «Elle peut bien se cacher derrière son sombrero ! »Comme j’allais eninformerBarry,jecomprisenfin.Cette femme quim’était familière était Helena Hébert ! Je ne la connaissais pasmais je l’avais

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aperçueàlatélévisionetc’étaitpourçaqu’ellemedisaitquelquechose.Maiscommentpouvait-elles’êtretrompéeainsi?Le9Kétaitsituéenclasseéconomique!Rienàvoiravecle2Benpremièreclasse!Àlavoir jaseravecsonvoisin, j’enconclusque luiaussis’était introduitdansmasection.J’eninformaiimmédiatementmondirecteurdevol.—Barry,j’aitrouvéoùestassiseHelenaHébert.—Super!Alorstuesalléelavoir?medemanda-t-il,soulagé.—Non,pasencore.Enfait,ilsembleraitqu’ellesoitassisedansmasection,à2B,luiavouai-je,un

peuchoquée.—Hum,bizarre.J’aibienvusonbilletetelleétaitassiseavecsoncopainà9J-K.MmeSombrerovoyageait avec sonamoureux !Étaient-ils tous lesdeuxdes idiotsou totalement

aveugléspar l’amourpournepas s’être renducompteque2B-Cne ressemblait en rienà9 J-K?Apparemment,deuxtêtesnevalaientpasmieuxqu’une!J’étaisimpatientedeconnaîtrelaraisondecechangementdeplace.Décidé,Barryselevaetsedirigeaverselle.—Bonjour,madameHébert.Jeneveuxpasvousparaîtreinsultantmaisvotrenomn’apparaîtpas

surma liste en première. Puis-je voir votre billet d’embarquement ? s’enquit-il avec une extrêmepolitesse.Àlevoirmettredesgantsblancsaveccetteapprentievedette,j’enrageai.J’avaishâted’entendresa

réplique,carjenelavispassortirsonbilletmaisplutôtarboreruneminedésolée.D’unegentillessedébordante,elles’expliqua:— En fait, la fille au comptoir d’enregistrement nous a dit qu’il y avait des sièges libres en

premièreetnousasuggérédenousyinstaller.J’aidoncsuivisonconseil.Barryhésitait.Jepouvaisbienvoirqu’ilnesavaitpasquoiluirépondre.CetteHelenausaitdeson

charme.Mondirecteurdevolétaitcomplètementdéstabiliséparelle.MmeSombreroétaitentouréed’angeslumineuxvirevoltantetchantantseslouanges.EtpuisBarrycéda:—Bon,c’estd’accordpourcettefois-ci,madameHébert,maisj’aimeraisseulementvousdirequ’il

n’esthabituellementpaspermisde s’approprierde tels sièges, clarifia-t-il afinde s’assurerqu’unetellesituationnesereproduiseplus.Ilrevintdanslagalleyavant,oùjel’attendaisdepiedferme.—Tumeniaises,j’espère?explosai-je,insultée.—Non,c’estcorrect,jelalaisses’asseoirenpremière,Scarlett.Jeneveuxpasdeproblèmesavec

lesmédias,m’expliqua-t-il.—Benvoyons,Barry!Cen’estpasparcequ’elleestpopulairequ’ilfautlalaisserprofiterdesa

célébrité!C’estinjuste!Etjesuissûrequecen’estmêmepasvraiquelafemmeaucomptoirluiaditça!continuai-je,révoltéedecefavoritismeinjustifié.—Jecomprends,Scarlett,maislà,j’aipriscettedécisionetonvafaireavec,OK?Jevaismettre

touslesdétailsdel’événementdanslerapportdevol.Aumoins,lacompagniesauracequ’elleafait.Cette affirmation me calma un peu et je partis vérifier la cabine une dernière fois avant de

m’asseoir surmon strapontin pour le décollage. «De toute façon, c’est Barry qui la servira, pasmoi!»Puismespenséesfurentredirigéesversmonobsession:Johnmeparlait.Savoixrésonnaitdansmesoreilles.Ils’adressaitàmoi.Enfin,enquelquesorte.—Inpreparationfortakeoff,flightattendantstoyourjumpseats.Enpréparationpourledécollage,

agentsdebord,àvosstrapontins.Haveagoodflightetbonvol!J’abaissai monmenton vers ma poitrine, posai mes mains sur mes genoux et laissai mon beau

commandantmesouleverdanslesairs.

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***

Nous étions en vol depuis trois heures et demie. Je devais entrer dans le poste de pilotage pourrécupérer les plateauxde repasque j’avais servis à John etStéphanequelque temps auparavant. Jeleurapportaisenmêmetempsleurcafé.J’avisaiBarryquej’allaisentrerdansleposteetfermailesrideauxdelagalley.Jecomposaiensuitelecoded’accèsetattendisquel’undespilotesdéverrouilleélectroniquementlaporte.Jelapoussaifortementetentraienrefermantderrièremoi.—Vousavezbienmangé?—Hum,tusaiscommec’estbon,labouffed’avion!meréponditStéphane,unpeudégoûté.—Ouais,çafaitlajobaumoins!répliquai-jeenramassantlesdeuxplateaux.Jen’avaispasenviedeparleraveclepremierofficier.J’auraisplutôtaiméentendrelavoixdeJohn,

maisilsecontentadesourireànotrebrèveconversation.Jeregardaiensuiteparlejudasdelaporteafindem’assurerqu’iln’yavaitpersonnede l’autrecôtéquipourrait s’introduiredans leposteetsortisporterlesplateaux.Ensuite,jeramassailesdeuxcafésetentraiànouveauenrefermantencoreunefoisderrièremoi.JedonnailepremiercaféàStéphaneenprenantbiensoindeleluiremettresursadroitepouréviter

defaireunhorribledégâtetd’abîmerlesinstrumentsencasdesecousse.JefisdemêmepourJohn,en le lui donnant sur sa gauche. Il me remercia avec un «Merci,Miss » quime fit rougir. Il neremarqua rien car il faisait encore nuit et seule la lumière projetée par la centaine de boutonsilluminait leposte.Pourdemeurerunpeuplus longtempsprèsde lui, jedemandaiàStéphanesi lejour se lèverait bientôt. En fait, je m’étais adressée au premier officier uniquement pour ne pasparaître trop intéressée.Je faisais toutcequiétaitenmonpouvoirpouravoir l’air indépendanteetregardaisdoncàpeineJohn.Unegamestupide,j’enconviens,maisjenepouvaispasm’enempêcher.CommejepensaisqueStéphanerépondraitàmaquestion,Johnluivolalaparole:—D’ici trenteminutes, tu verras le soleil se lever devant nous. Je t’appellerai si tu veux venir

prendredesphotos,m’offrit-ilgentiment.—Ohoui!J’aimeraisbeaucoupça.Sijenesuispastropoccupée,répondis-jeenespérantqueçane

soitpaslecas.Comme dix minutes avaient déjà passé, je demandai à John de rappeler Barry pour l’aviser de

guetter laporteafinque jepuisse sortir.Lesprocéduresde sécurité recommencèrentalorsdeplusbelle.Essoufflant?Toutà fait !Procédureno 1 : appeler le commandantpourdirequ’onentredans le

postedepilotage.Procédureno2:s’assurerqu’aucuncingléneveutdétournerl’avion.Procédureno3:composer lecode.Procédureno4 :appeler ledirecteurdevolpoursortirdupostedepilotage.Procédureno5:regarderdanslejudaspourvoirsipersonneneveutpénétreràl’intérieurduposte.Procédure no 6 : sortir au plus vite. Procédure no 7 : refermer d’un bon coup la foutue porte.Procédureno8:merde,j’aioubliéd’apporteruncaféaucommandant!Etçarecommence.Bref,çan’enfinitplus.Lorsque j’arrivaidans lagalley,Barry etCamille jasaient.Elle lui posait lamêmequestionqu’à

moiauparavant.—Çaseraitcoold’allersouperavecl’équipage.C’estmapremièrefoisàDublin.Apparemment,

c’estLAplacepourallerdansunpub.Tuconnaisunresto?—Oui, j’en connais quelques-uns. Je suis partant pour sortir.On regardera ça une fois rendu à

l’hôtel,luirépondit-il,enthousiaste.Voilà qui était parfait. Déjà, desmembres d’équipage planifiaient de sortir souper ensemble. La

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soiréerisquaitd’êtreplusaniméeainsi.J’espéraisqueJohnetsonpremierofficiersejoindraientànous.«Jetâteraileterrainentempsetlieu»,medis-je.JemedemandaiscommentallaitMmeSombrero.J’interrogeaiBarry.—Ah!Parle-moienpas!Ellen’estpasendurable!Unevraieprincesse!chuchota-t-il.—Jetel’avaisditqu’ellesecroyaittoutpermis!Soncopainestaussipirequ’elle?J’étaiscurieusedesavoiravecquiellevoyageait.—Non,ilesttrèsgentil.IlvitàDublinetilnecomprendpaslefrançais.—Ahouin?Madameestinternationalealors!Etcommeilnesaisitpasnotrelangue,ilpensepeut-

êtrequesadouces’estfaitinviterenpremière!— Tellement ! D’ailleurs, je pense même qu’il lui a dit quelque chose comme : « Wow, tu es

vraimentconnuedanstonpays!»—Qu’est-ce qu’il ne faut pas entendre ! Tu la trouves encore aussi charmantemaintenant ?me

moquai-je.—Jeladéteste!Jen’achèteraiplusjamaisundesesCD.—Tuauraisdûlesavoir,Barry.Commentçasefaitquetun’aspasflairésonattitude«jesuisune

chanteusecélèbreavecmonsombrerosurlatête,obéissez-moi!»?—Ouin…Cesontsescheveuxblondsquim’ontfaitcraquer.—Hé oui ! Toujours seméfier des blondes ! conclus-je en rigolant et enme levant pour aller

récupérerlesdéchetsdansmasection.Ilnerestaitquedeuxheuresetdemiedevol.Lesoleilétaitentraindeselever.Unappeldupostede

pilotagesefitentendre.Jedécrochaiaussitôt:—Oui,allo,Scarlettàl’appareil.—Salut,Scarlett,c’estJohn,toncommandant,quiparle.Était-il en train de me taquiner ? Je ne savais pas trop. Peut-être était-il en fin de compte un

prétentieuxpilote?Impossible!Jemecontentaiderépondreavecconfiance:—Oui,John…Jesaisquitues,affirmai-jeenprononçantparfaitementchaquemot.—Jeteniaise,Scarlett,dit-il,amusé.Jevoulaisjustetedirequelesoleilselève,alorssituveux

venirprendredesphotos,tueslabienvenue.Je regardai l’heure et démarrai les fours pour chauffer les casseroles des repas. J’avisai ensuite

Barry que j’allais prendre des photos dans le poste de pilotage avant de commencer le service dupetit-déjeuner.Jecomposailecode,ouvrislaported’uncoupdehancheetentrai.—Wow,c’estdoncbenbeau !m’exclamai-jecommesic’était lapremière foisque jevoyaisun

leverdesoleildepuislepostedepilotage.—Ouais,c’estmagnifique!confirmalepremierofficier.—Cesontlesnuagesquifonttouteladifférence,tunetrouvespas?medemandaJohn.—Oui,tuasraison,ilssonttoutcotonneux!Jusqu’àmaintenant,j’aimaisbiennotreinteraction.Ilm’avaittaquinéeetnem’avaitpasignoréeen

répondantàmescommentaires.Quisait,j’avaispeut-êtreunechance?Jem’assisalorssurl’undesstrapontinsquiétaientà l’intérieurduposteetcommençaiàphotographiersansdireunmot.Aprèsquelques clichés, Stéphane communiqua avec le contrôleur aérien et je décidai de flatter l’ego deJohn.—Àquiilparle?chuchotai-jepournepasdérangerlepremierofficier.—AucontrôleuraérienenIrlande.—Ahoui?Etpourquoi?demandai-jecommesijeneconnaissaisrienàl’aviation.—Pourluisignalernotreposition.

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—Hum, lecontrôleuraérienest làpourêtrecertainqu’onn’entrepasencollisionavecd’autresavions,c’estça?— Oui, entre autres. C’est aussi lui qui nous donne l’autorisation pour changer d’altitude, par

exemple.—Wow!Ilfautquetuensachesdeschoses,hein?—C’estdrôlequetudisesçaparcequejeparlaisjustementavecunagentdebordl’autrejouràce

sujetet ilm’asorti l’éternel«vousautres, lespilotes,vousêtespayés tropcherpour fairecequevousfaites».Çam’afaitrire.—Qu’est-cequetuveuxdire?—Onnemepaiepaspourcequejefaismaispourcequejesais.—Ah,tuasraison!Décidément,jesavaiscommentfairebomberletorsed’unhomme,etçafonctionnaitcarJohnme

parlaitdefaçonbeaucoupplusfluide.Jeleremerciaidem’avoiréclairéesurlemondedel’aviationsansqu’ilsedoutequejeconnaissaisdéjàtouteslesréponsesàcesquestions.Lesoleilétantmaintenantbienlevédevantnous,jemedevaisderetournerautravail.Unefoisque

jefusdeboutprèsdelaporteblindée,Johnm’interpellaunedernièrefois:—Stéphaneetmoiparlionsd’unbonrestoqu’ilconnaîtàDublin.Vousêteslesbienvenussiçavous

tentedenousaccompagner,dit-ilenutilisantle«vous»poursignifierl’équipage.—Jesaisdéjàquequelquespersonnesveulentsortir,alorsçadevraitfonctionner.Jevais leuren

parler,répondis-je,touténervéed’allersouperaveclui.—Super!Ildécrochalecombinédel’interphonepourcommuniqueràBarrymasortieduposte.—Merci!Àtoutàl’heure!Barryetmoicommençâmesleservicedupetit-déjeunercarilnerestaitquedeuxheuresdevol.Il

fituneannoncepourréveillerlespassagers.«Mesdames et messieurs, bonjour. Sachez qu’il ne reste que deux heures avant notre arrivée à

Dublin. Il estprésentement9heures,heure locale.D’iciquelquesminutes,nouspasseronsdans lesalléespourvousoffrirunpetit-déjeunercontinental…»Quejedétestaiscetteannonce!Unevraiefanfaremilitaire!Laminuted’avant,c’étaitlecalmeplat,

et là, l’action recommençait.Des passagers àmoitié endormis bâillaient en laissant s’échapper demauvaisesodeursdanslacabine.D’autresétaientplutôtfousderagedes’êtrefaitbrusquerparcettefoutuetrompetteetmefusillaientduregard.«Désolée!Nousn’avonspaslechoix!»pensai-je.Ilfallait aussitôt débuter car le service en première classe était beaucoup plus élaboré que celui enclasseéconomique.Les plateaux distribués, nous servîmes des pains chauds, de la marmelade et du café. Mme

Sombrero,quivenaitdese réveiller, soulevaalors sonmastodontedechapeauetmedemandaunetassedecafé.—Pourriez-vousdéposervotretassesurmonplateau?lapriai-je.Elledéposasatasseetjeversaileliquide.Unefoislatasseremplie,j’avançaimonplateauverselle

pourqu’ellepuisselarécupéreretluiconseillaid’êtreprudente:—Attention,lecaféesttrèschaud.Ellerouladesyeuxetpritimmédiatementunegorgée.—Aïe!Aïe!s’écria-t-elle,réveillantlacabineenentier.C’estbrûlant!—Vousallezbien,madame?m’empressai-jedeluidemander.—Non!Jemesuisbrûlélalangue!Tum’asserviducafébouillant!

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Si j’avais pu lui déversermon pot de café sur la tête, je l’aurais fait. J’en avais tellement envie.«Sonchapeaubeigeseraitplusbeauenbrun.»Ilfallaitlacalmer.—Pardon,madameHébert. Je ne savais pas qu’il était aussi chaud.Désirez-vous unverre d’eau

glacéepourvoussoulager?proposai-je,nesachantquediredeplus.—Non!Riendutout!Mescordesvocalessontenflées!Toutçaàcausedetoi!m’accusa-t-elle.Quelleinsolence!Sescordesvocales?Selonmoi,ellechantaitdéjàcommeunpieddetoutefaçon.

Ce malencontreux incident ne pouvait qu’être une belle occasion pour envisager une nouvellecarrière.Pourquoinepasconsidérerlethéâtre?Elleavaittoutàfaitl’aird’uneactrice,carsapetitescèneavaitattirél’attentiondetouslesspectateursenpremièreclasse.Enl’entendantm’accuserainsi,jemesentissoudainementbrave.Jedevaiscontinuermonserviceet,

quoiquejefasse,jesavaisquecegenredepassagerneseraitjamaissatisfaitdemesexcuses.«Tantqu’àyêtre,autantluiendonnerpoursonargent!»—Encoreunefois,pardon,madameHébert,dis-jed’untonextrêmementcompatissant.Je fis semblant d’avancer dans l’allée pour servir le passager derrière ellemais jem’arrêtai. Je

reculaid’unpaset,toutentenantmonpotdecaféd’unemainetmonplateaudecrèmedel’autre,jemepenchaitranquillementverssonoreillepourluichuchoter:—Detoutefaçon,madame,chaudoubrûlant,çanevousferapaschantermieux.Jeneregardaimêmepassaréaction,maisjesavaisqu’elleétaitbouchebée.Soncopain,assisàses

côtés,n’avaitbiensûrriencomprisdenotreéchangeetellesegardabiendeleluiexpliquer.Ellenedésiraitsansdoutepasseridiculiserdavantage.Jel’ignoraipourleresteduvol,neluioffrantriendeplusquecequ’ellemedemandait.Enterminantmabesognedanslagalley,j’étaisenvahieparunetriomphantefierté.J’avaisclouéle

becàMmeSombrerosansempirer la situation. Jecommençaià fredonner toutbasennettoyant lecomptoirsale.Enm’entendantchanter,Barrym’interpella:—Tuasl’airjoyeuse.Jepeuxsavoirpourquoi?—D’icitrenteminutes,2Bserafinalementhorsdemavue!m’exclamai-jeengesticulant.Cen’est

pasunebonneraisonpourchanter,ça?—Ohoui!Çal’est!UnebonneGuinnessetelleneseraplusqu’unvieuxsouvenir!—Pourmoi,uncidreBulmers!ajoutai-jeavantdecontinueràfredonner.Perdue dansmes pensées, je dédiai cettemélodie à la soirée dont j’avais tant rêvé.Allait-elle se

terminercommejeledésirais?Johnmedonnerait-ilunsignetangibledesonintérêtpourmoi?

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–T

Chapitre20

Dublin(DUB)

outlemondequivoulaitvenirsouperestlà?demandaBarryaugroupe.—IlmanqueDiane,répondis-je.

— Elle s’en vient, précisa Camille. Elle m’a appelée juste avant que je descende pour me direqu’ellen’étaitpasencoreprête.—OK!Onl’attend,ditBarry.Ilyavaitdecesagentsdebordquiarrivaienttoujoursenretard,quoiqu’ilsfassent.Dianeétaitl’une

deceux-là.Dansl’avion,nouslacherchionspourcommencerlesservices.Àl’hôtel,ellefaisaitsoncheck out à la dernière seconde. L’équipage était déjà assis dans l’autobus depuis dix minuteslorsqu’elle montait finalement à bord, les cheveux encore mouillés. Toujours la même raison :l’insomnie.Quoirépondreàça?Cettecalamités’étaitunjouroul’autreabattuesurchacund’entrenous.Tousavaientdéjàsouffertdeproblèmesdesommeilet,sachantcommentilpouvaitêtrepénibledecompterlesmoutonsenpleinmilieudelanuit,nousnepouvionsluientenirrigueur.Cettefois-ci,parcontre,jemedemandaisbienquelleseraitsaraison.Ellefinitparapparaître,joggantversnous.—Désolée, tout lemonde ! Jeme suis endormieenarrivant et le réveil n’apas sonnéà l’heure

prévue,dit-elle,essoufflée.—Pasdeproblème!nousdîmesenchœur.—Alors,oùallons-noussouper?demandaBarry.—Stéphaneconnaîtunrestotoutprès,siçavoustente,réponditJohn.—Ouais, et c’est situé juste en face d’un petit pub traditionnel. Nous pourrions y aller ensuite,

proposaStéphane,nousvendantimmédiatementl’idée.—Parfait!Ontesuit,ditBarryaunomdetous.Ensortantdel’hôtel,noustraversâmesdel’autrecôtédelarueetentrâmesdansleparcoùj’avais

faitmonjoggingunpeuplustôt,aprèsmasieste.Ils’appelaitStStephen’sGreenetétaitl’undesplusgrandsparcsdelaville.Nousempruntâmeslesentiercentral.Devantmoi,jeremarquaiqueCamilleparlaitaveclepremierofficier.Ilsavaient l’airdebiens’entendre.J’espéraisquecettesoiréefassepartiedecellesdontj’allaismesouvenir.Quelquesmètresplusloin,nousarrivâmesaucentreduparc.Unebellefontained’eaujaillissaitet

desenfantss’ychamaillaientpourrigoler.Johnsetrouvaitàmadroiteetnousn’avionspasencoreéchangéunmotdepuisnotredépartdel’hôtel.—Quec’estbeau,desenfants!Sansaucunemalice.Ilsnepensentqu’àjouer,dit-ilavecémotion.—Ilstefontpenserauxtiens?demandai-je,curieusedesavoirdequoiavaientl’airsesenfants.—Biensûr!C’estdifficiledenepasypenserquandonestloind’eux,meconfia-t-il.—Tutesenscoupabledepartir?—Toujours!S’ilfallaitqu’ilm’arrivequelquechose…—Tuveuxdireunaccidentd’avion?—Oui, entre autres. C’est d’ailleurs stupide de penser ça parce que je suis le premier à savoir

combienmamachineestsécuritaire.—Justement,John!L’avionestlemoyendetransportleplussûrquiexiste!Jepensequ’onatous

lesdeuxplusderisquedemourirfrappésparunevoitureirlandaiseenoubliantderegarderdubon

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côtédelaruequedes’écrasersurlapiste!m’exclamai-jeenpointantlaruelleàproximité.Johnsouritets’assuraquenoustraversionsprudemment.Ilposasamainderrièremondosetme

laissapasserdevantlui.Jelesentaisattentifàmespas.«Quellegalanterie!»pensai-je.—De toute façon, à voir comment tu as fait atterrir cet avion, je n’aurai jamais peur pourma

sécurité!ajoutai-jeenletaquinant.—Sijecomprendsbien,tutesensensécuritéavecmoi?medemanda-t-ild’untonmielleux.Wô là ! Ilme faisait dire des choses que je n’avais pas dites ! Était-il en train d’essayer deme

séduire?Voulait-ilvraimentsavoirsijemesentaisensécuritéavecluiouétait-ilironique?Iljouaitsûrementaumême jeuquemoiet ilne fallait surtoutpasque lechatsortedusac.Jamais jene luidévoileraismespenséesprofondes,tantetaussilongtempsquejenerecevraispasunsignetangibledesapart.Iln’étaitpasquestionquejemeridiculiseenrépondantsérieusementàcettequestion.Jecontinuailestaquineries.—Oh!Tellement,John!Tuesleseulavecquijemesensenconfiancedansunavion!Sanstoien

avant,jesuisperdue!Jen’arriveplusàtravailleretmespassagersensouffrent!Voleauprèsdemoi,John!Vole!chantai-jesurletrottoirdeMerrionRow.Mapetitescènecaptatoutesonattention.Ilsemblaitm’admirer.Plusjegesticulaisetplusilsouriait.

J’étaisdonc loindevouloiren finiravecmesmimiquesmais, fauted’imagination, jecessaienfin.Johns’arrêtanet,commepourmesermonner.— Belle comédie, Scarlett ! Mais totalement irréelle. Je ne te crois pas ! dit-il en feignant la

déception.Nousriions tous lesdeuxauxéclats lorsquenousarrivâmesdevant le restaurant.Lorsquenousy

entrâmes,uneambiancebranchéerégnait,cequinousconfortadansnotrechoix.Unejeunefemmenousaccueillitdepuissoncomptoir.—Goodevening!—Hello!Wewouldliketoknowifyouhaveavailabilityforapartyofsix?ditlepremierofficier.—Hum!LetmecheckwhatIcando,réponditlajeunefemmeavantdesedirigerversl’arrièredu

restaurant.Uneminuteplustard,ellerevintnousvoir.—Pleasefollowme!annonça-t-elleavecenthousiasmeennousguidantjusqu’ànotretable.Nous la suivîmes, bien heureux d’avoir obtenu une place dans ce restaurant bondé de monde.

J’auraisaimém’asseoirtoutprèsdeJohn,maisjenevoulaispasnonplusparaîtretropintéressée.Jedécidaideprendreplaceaumilieudela tableetdoncd’avoir leplusdechancespossiblequ’ilsoitassisàproximité.ÀmagauchesiégeaitCamilleetàmadroite,Diane.Stéphanes’installaenfacedeCamilleetBarry,devantDiane.QuantàJohn,ilpritplacedevantmoi.«Yé!»Rienn’auraitpumerendreplusheureuse.Camille,amuséeparnotredrôlededisposition,pritlaparole:—Ouais,onn’auraitpaspuêtreplusordonnésqueça!—Cetagencementmeconvientparfaitement,réponditStéphaneenluisouriant.Ce commentaire la fit rougir et nous fit rigoler.En entendant cette remarque, jemedemandai si

JohnavaitpensélamêmechosequeStéphaneenmevoyantassisedevant lui.Jeredressai la têteetson regard croisa le mien. Ses yeux pétillaient autant qu’avant et je n’arrivais pas à savoir s’ilsbrillaientnaturellementouuniquementlorsqu’ilsétaientposéssurmoi.J’étaisintimidée.Ilavaitl’airsiconfiant.Jenepouvaispassoutenirsonregardbienlongtemps.Jebaissailesyeuxverslemenu.

***

Troisbouteillesdevinplustardetledessertterminé,aucund’entrenousn’avaitledésird’allerse

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coucher.Lasoiréeétantencorejeune,nousnousdirigeâmesverslepubquiétaitsituéjusteenface,leO’Donoghue’s. En entrant, nous vîmes deux hommes qui étaient installés au fond de la salle etjouaientdelamusiqueirlandaisetraditionnelle.Nousallâmesaussitôtaucomptoirpourcommanderàboire.Johnsepenchaalorspourmeparler.—Tuveuxboirequoi?mesouffla-t-ilàl’oreille.Sa proximité suffit à faire accélérer mes pulsations cardiaques. Heureusement que les sons

folkloriquesdébordaientd’intensitécarnuldoutequeJohnauraitentendumoncœurs’emballer.Àmontour,jemepenchaiversluipourluicommuniquermonchoix.—Uncidre,dis-jeavantdedirigermonregardailleurspournepasluimontrermagêne.Ils’approchaducomptoiretcriaauserveursarequête.Ilrevintensuitelesmainschargéesdedeux

pintes, l’une contenant de la bièreGuinness et l’autre, du cidre. Je le remerciai et l’avisai quenoscompagnonsavaienttraversédanslapartiemoinsbruyante.Nouslesrejoignîmes.Unefoisassissurnosbancsrespectifs,jemeremémorailesparolesdeBéa:«Tuvasleliredans

sesyeux»,m’avait-elledit.Elleavaitpeut-êtreraisoncar,peuàpeu,j’avaisl’impressionqueJohnmedévoilaitdans son regardsonattirancepourmoi. Jenepouvaisexpliquerpourquoi,mais je lesentais.Ce regardposésurmoi ressemblaitétrangementàceluideParisetdeBarcelone,saufquecettefois,unpointdifférait:saprofondeur.Sesmagnifiquesperlesnoiresmetransperçaientlecœurentrechaqueclignementet,deminuteen

minute, d’une conversation à l’autre, elles brillaient davantage. Par contre, j’attendais toujours unsigne.Sansindicetangible,jen’étaispasprêteàavouermasoifdelui.«Allez,fais-moiunseulpetitsigne,John!Unseul!»luicommandai-jementalement.Jeprisunegorgéedecidreetm’adressaiàlui:—Tesparentssesontrencontréscomment?demandai-je.—Hum,drôledequestion,dit-il,surpris.Pourquoituveuxsavoirça?—Parcuriosité.Jemedemandaispourquoi tonpère irlandaisauraiteu legoûtdedélaissercette

délicieusemusiquepourallervivreauQuébec.—Paramour,Scarlett.Seull’amourpeutnousfaireprendredetellesdécisions.Johnmesouritetcontinua.—Àdix-huitans,mamèreestvenueavecunecopineenIrlande.C’estlàqu’ellearencontrémon

père.L’ététerminé,ellel’aramenéavecelleetilssesontmariésl’hiversuivant.—Wow!Unvraicoupdefoudre!m’exclamai-je,rêveuse.—Oui,c’estlemot!Leplusbeaudansleurhistoire,c’estqu’ilssontdécédésensemblelejourde

leuranniversairedemariage,unpeuavantNoël,meconfia-t-ild’untonserein.—Oh!MonDieu,John!C’esttellementtriste!Tuasperdutesparentsenmêmetemps!Tuavais

quelâge?—Ilssontdécédésquandj’avaisquinzeansdansunaccidentdevoiture,ajouta-t-il,toujoursaussi

calme.Son histoire m’attristait profondément. Quelle horrible cruauté du destin ! Le pauvre John ! Je

l’aimaisencoreplus.J’auraisvoulul’embrassertendrementpourleconsoler.Jedevaisavoirunetêted’enterrementcarc’estluiquicommençaàmeréconforter.—Voyons,Scarlett !Tudevraisvoir la têteque tuas !Ne t’inquiètepas, lesbeaux souvenirsne

s’envolerontjamaisetjen’airetenuquelesmeilleurs.—Oui,sûrement…Maisqu’est-cequit’estarrivéensuite?«Merde,Scarlett, tu n’en finis pas avec tes questions ! »megrondai-je. Je nepouvais pasm’en

empêcher.Monbeaucommandant!Quelletristehistoire!Jevoulaissavoirlasuite.

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—Lasœurdemamèreetsonmariontprissoindemoi.—C’estpourçaquetun’espasretournéenIrlande?demandai-je.—C’estça.Aprèslamortdemonpère,j’aiperducontactavecmafamilleirlandaise.Jeviensici

seulementlorsqueletravaill’oblige.Wow!C’était laconversation laplusprofondeque j’avais jamaiseueavecuncollègue. Ilparlait

avectantdesérénité…J’éprouvaismaintenantuneréelleadmirationpourcethomme,etjemesentaisprivilégiée.Johnsedévoilaitàmoi,assissuruninconfortablebancenboisdansunpubirlandais.Ildevaitmefaireconfiancepours’ouvrirautant.Saprésenceetsesparolesmefascinaient.D’ailleurs,quelqu’unavait-ilremarquécetteévidenteproximité?Etsionl’avaitconstatée?CommentréagiraitFreaking-Debbiesiellesavait?Personnenedevaitapprendremonbéguinpourlui.Jefisrapidementuntourdetable.Camille parlait encore avec Stéphane, ce qui ne me surprenait pas. Ils n’avaient pas l’air de se

préoccuper dema présence, ni de celle de John. Barry et Diane s’étaient éclipsés. Tout était souscontrôle.Pourfairediversion,jem’inquiétaidel’absencedemesdeuxcollègues:—Voussavezoùsontpasséslesautres?—Ilssontallésfumer,précisaCamille.Jecroisqu’ilsveulent,aprèslebar,allerprendrel’airdans

leparcenfacedel’hôtel.—Ahoui?demandai-je,unpeudéçuequelasoirées’achèveaussivite.—Ilestdéjà11heures,maisçapourraitêtrecooldesebaladerdansleparcavantdesecoucher.Ça

voustente?Déjà11heures!Letempsavaitpassésivite!Camilleattendaituneréponsedenotrepart.Jen’avais

paslegoûtdebougerdelà,etce,mêmesimonderrièresouffraitdumanquedeconfortdubanc.Sinous partions, peut-être que John en profiterait pour retourner à l’hôtel comme il l’avait fait àParis… Je devais gagner du temps. Peut-être qu’avec une Guinness de plus il me montrerait unepreuvedesonintérêt?Nedésirantpasdévoilermesintentions,jelelaissaidécider.—Hum,jeprendraisbienuneautreGuinness.Ensuite,onverrapourleparc,dit-ilenmeregardant

enquêted’approbation.—Oui,jesuisd’accord.JeproposaialorsàJohndepayerlaprochainetournée.Ilacceptaetm’accompagnapourrécupérer

lesverres.Denouveauassissurnotrebûche,j’enprofitaipourluiexprimermareconnaissance:—En tout cas,merci dem’avoir raconté l’histoire de tes parents.C’est vrai que c’est une belle

histoired’amour.— Bien content qu’elle t’ait plu. Tu crois au coup de foudre, Scarlett ? murmura-t-il pour que

personned’autrenel’entende.Quellequestion!«Biensûrquej’ycrois!Jel’aivécuavectoi!»pensai-je.Jemecontentaidelui

répondresimplement:—Oui,j’ycrois.Ettoi?—Biensûr,c’estcommeçaquemesparentssesontrencontrés.—Tuenasdéjàvécuun?lerelançai-je.—Oui.—Avectafemme,j’imagine?Pourquoi j’avais posé cette question ?Bien sûr que c’était avec sa femme, sinon il ne serait pas

mariéavecelleàl’heurequ’ilest!Jen’avaispaslegoûtd’entendreparlerdeFreaking-Debbie!EtsurtoutpasdelabouchedeJohn.Jedevaiscorrigerlasituationimmédiatement.—Ah!Désolée,John,c’étaitunequestionstupide.Évidemmentquec’estavecelle,dis-jeenroulant

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lesyeux.—Hum,situledis,dit-ilensoupirant.Quoi?«Si tu ledis»?Riendeplus?Aucunautredétail?Commentpouvait-ilmelaisserainsi

dans le doute ? De la vraie torture mentale ! Devais-je en conclure queFreaking-Debbie et Johnn’avaientpasétéfrappésparlafoudre?Etsicen’étaitpasellel’heureuseélue,quiétait-ce?Moi?Voilàque j’hallucinaisencore.Etmonsigne tangibledans toutça? Iln’étaitnullepart !Argh! JecalaimoncidreenunriendetempsetaperçusBarryetDianes’avancerversnous.—Nousallonscontinuerlasoiréedansleparc.Vousvenez?demandaDiane.—Oui!Onestprêts!confirmaCamilleenparlantaussipourStéphane.Commejevenaistoutjustedeterminermapinte,jen’avaismalheureusementplusaucuneexcuse.Et

puisj’avaiségalementbesoind’air.J’espéraisquemonbeaucommandantenauraitbesoinautantquemoi.—Ouais,jesuisprêteaussi.Çavanousfairedubiendeprendreunpeud’air,dis-jepourvendre

l’idéeàJohn.—OK!Allons-y!lança-t-il,décidé,enselevantd’unbond.Noussortîmesdupub.JeledevançaietmarchaiseulederrièreCamille.J’étaisdéçuedelatournure

de la soirée et je n’avais plus envie deparler.Malgré notre profonde conversation sur le coupdefoudreetlesautressujetstrèspersonnelsquenousavionsabordés,rienneconfirmaitsonattirancepour moi. « Tu vas le lire dans ses yeux ! » Mon œil, Béa ! Ses yeux étaient tout simplementmagnifiques. Rien de plus ! Je n’avais aucun repère. « Pourquoi aller au parc ? Pour investiguerencoreetencore?J’abandonne!»décidai-jeensuivantlegroupesurlecheminduretour.

***

Perduedansmespensées,jerevinssoudainementàlaréalitélorsqu’unechaleurentouramamain.Jebaissailatêtepourlaregarder.Desdoigtsfermesetpuissantss’étaientintroduitsentrelesmiens.Johnmetenait lamain!J’étaisfigéeet j’arrivaisàpeineàfaireunpasdevantl’autre.Ilralentitsacadence, en m’obligeant à l’imiter. Puis il s’arrêta. Je fis de même. Mon cœur était sur le pointd’exploser.Qu’allait-ilfaire?M’embrasser?Là,devantlerestedugroupe?Ilnefallaitpaséveillerlessoupçons.«Etpuis,tantpis!pensai-je.Fais-le,John!Embrasse-moi!»Ilmefixadroitdanslesyeuxpourcaptermonattention.Pourtant,j’étaistrèsattentiveàsesgestes

depuisunbonmoment.Depuisuneéternité,même.J’attendaisqu’ils’avanceversmoipourl’imiter.«Saboucheseramienned’iciuneseconde»,rêvai-je.Etpuisilbougeadélicatementleslèvres.«Çayest,Scarlett!Tuasenfinréussi.»Desfeuxd’artificess’allumèrentàl’intérieurdemoi.Moncorpsseréchauffait,bouillonnait.Johnouvritlabouche:—Jesuisvraimentcontentque tusois là,Scarlett,murmura-t-ilavantde relâchermamainetde

continuersaroute.Quoi?C’esttout?Pasdejeudelangue?Mêmepasunpetitbaiser?Quelledéception!Comment

espérait-ilque jecomprenne lesensdesonmessage?Ilétaitvraimentcontent.Donc j’avais le feuvert ? Je n’en étais pas convaincue. Je recommençai àmarcher, les épaules basses. Lorsque nousarrivâmesenfinàl’entréedeStStephen’sGreen,labarrièreétaitfermée.—Ah!Merde!Ilestsûrementtroptard,s’exclamaDiane.— Il y a de la lumière à l’intérieur, peut-être que l’entrée située devant notre hôtel est encore

ouverte,suggéraBarry.—Ouais,j’espère,renchéritCamille.Nous longeâmes leparcpour rejoindre l’autre entrée. Johnmarchait toutprèsdemoi.Aucunde

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nous deuxne parlait.Les derniersmots qu’il avait prononcés retentissaient dansma tête. « Je suisvraimentcontentquetusoislà,Scarlett.»Jelesrévisaisunàun,syllabeparsyllabe,lettreparlettre.Quepouvais-jebienendéduire?Etpuis,sanscriergare,jecompris:lejugementavaitétérendu!Jel’avais,monsigne!Johnvenaitdemel’exprimer.Jen’avaispluslechoix,jedevaisagir.Moncœursemitàbattrelachamade.Toujoursplusfort,iltentaitdes’échapperdemapoitrine.Je

transpiraisdepeur.Cetinfimeindicenemepermettaitenriend’évaluermeschancesderéussite.Unedéfaiteétaitenvisageable.Jeredoutaiscettepossibilité.Auboutdequelquesminutes,nousarrivâmesàlabarrière.Elleétaitégalementfermée.—Bon,alors,qu’est-cequ’onfaitmaintenant?demandaDiane,décidéeànepasallersecoucher.—Onpourraitalleraupubjusteàcôté,iln’estmêmepasminuit,proposaStéphane.En regardantBarryetCamille, jecomprisqu’ilsapprouvaientcetteproposition. Jenesavaisque

direcarJohnnes’étaitpasencoreprononcé.Jedésiraisattendrequ’illefasseavantdeprendreunedécision.—Jevaisrentrer,dit-il.Jevoussouhaiteunetrèsbellefindesoirée.Ilsaluatoutlemonde,meregardaettraversalarueendirectiondel’hôtel.«Wô!Jenel’aipasvue

venir,celle-là!»pensai-je.VoilàqueJohnmeglissaitentrelesdoigtssansquejepuisserienfaire!Detouteévidence,j’avaisencorehalluciné.Iln’yavaiteuaucunsigne.J’étaisdémolie.Jecommençaiàmarcheraveclerestedugroupe.Depuislafenêtredel’hôtel,jevisJohnemprunter

l’escalierpourmonteràl’étage.Jemeremémoraialorstoutcequis’interposaitentreluietmoietmedisquec’étaitsûrementmieuxainsi.Jepassailafaçadedel’immeubleetcontinuaid’avancerverslaruelleadjacente.Entrechaquepas,des imagesmerevinrent.Paris.Barcelone.Sesconfidences.Sonregard. Sa main dans la mienne. Cette chimie inexpliquée entre nous deux. Soudain, une voixm’interpella.Jel’entendisclairements’adresseràmoi.«Scarlett!Tun’aspasrêvé.Johnteveut.Saisistachance!C’estmaintenantoujamais!Vas-y!»Mesdoutesvenaientdedisparaître.Jedevaisretourneràl’hôtel.Jem’arrêtaibrusquement.—Hey,lagang!Jesuisfatiguée.Jenevousaccompagneraipas,finalement.Onsevoitdemain!

Bye!Aussitôtdit,jeleurtournailedossansmêmeattendreunaurevoir.Jemarchaisd’unpasprécipité,

toutenévitantdecourir,depeurd’êtredémasquée.J’atteignislaporteprincipaleenuntempsrecord.J’avaisl’impressiondem’êtretransforméeenuneredoutableprédatrice.Maproieétaitproche.Je

la flairais. J’empruntai à mon tour les escaliers. En montant, je sautai quelques marches, ce quim’essouffla rapidement.Jepassai leniveau1.J’entendaisdespasdevantmoi,mais jen’apercevaistoujourspasJohn.Jesautaiencorequelquesmarches.Lespassemblaientproches.J’étaisàboutdesouffle.Ilfallaitquejeralentisse.Jenedésiraispasavoirl’aird’unanimalaffaméenpleinechasse.Jerespiraiprofondément,réussissantàpeineàreprendremonsouffle.Jemontaiensuiteunpeuplus

haut et, voyant les escaliers s’ouvrir sur le niveau 2, je l’aperçus enfin. Johnme vit également. Ilsemblaitsurpris.—Finalement,jevaisallermecouchermoiaussi,dis-je,haletante.Je le rejoignis. J’espérais tant qu’il me dise : « Scarlett, j’aimerais te serrer dans mes bras,

t’embrasserettefairel’amourtoutelanuit!»maisilnefitévidemmentriendecela.Ilsecontentademesourire.Jerestaimuette.Nouspassâmesunepremièreporte,unedeuxièmeetencoreuneautre.Mon cœur n’en pouvait plus d’attendre. Mes artères pompaient. D’ici une seconde, l’une allaitlittéralementexploseretjesuccomberaisàunehémorragieinterne.Johns’arrêtaàsachambre.—Bonnenuit,Scarlett,àdemain,mesouhaita-t-ilgentiment.

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«C’estmaintenantoujamais!»mesoufflaunepetitevoix.Jedevaisl’écouter.«Moninstinctnepeutsetromper»,pensai-je,etjemeplantaidevantsaportepourl’empêcherd’entrer.—John!Tunepeuxpaspartircommeça!Ilsepassequelquechoseentretoietmoi.Jen’arrivepas

àl’expliquermaisjelesais.S’ilteplaît,dis-moiquejenesuispasfolle!Voilà ! Le chat était sorti du sac. Jem’étaismise à nu, là, en pleinmilieu du couloir de l’hôtel.

Qu’allait-ilmerépondre?Àmagrandesurprise,jenedétournaipasmonregarddusiencommejel’avaisfaittantdefoisauparavant.Moninstinctdechasseprimait.Désormais,magêneosaitaffrontersoncharismeetsaprestance.Ilbaissalesyeuxensoupirant.Unsoupirdesoulagement?Dejoie?D’exaspération?—Bonnenuit,Scarlett,répéta-t-il.Argh!Argh!Argh!«Bonnenuit»?Uncoupdepoingenpleinefigure,tantqu’àyêtre!Quelle

humiliation ! Je soupirai àmon tour. Ilnemanquaitque lesdeuxbecs sur les jouespourqu’ilmemettecomplètementK.O.Etc’estexactementcequ’ilentrepritdefaire.Argh!Johns’approchademoietavançasonvisageverslemienpourm’embrasserplatoniquementsurla

jouegauche.Jefixaislesol.Ilreculasatêtepours’occuperdemasecondejoue.Etpuis,enroute,ilfitunehalteinattendue.Curieuse,jelevailesyeux.Etjesentissadélicieusebouchecouvrirlamienne.Johnm’embrassait!ENFIN!Notrepremierbaiser!Leplusbeaudesbaisers!Etpeut-êtreaussiledernier?Non!J’envoulaisencore!—John!Allonsdanstachambre,ilnefaudraitpasqu’onnoussurprenne,murmurai-je.Ilmeregarda,lesyeuxpétillants.Savirilitéledominait.Tantmieux,carjevoulaisjustementêtre

dominée.Lesdoutesn’existaientplus.Pasce soir-là en tout cas. Ilpassa la clémagnétiquedans laserruredelaporte.J’entendisledéclicetnouspassâmesenunriendetempsdel’autrecôté.La chasseuse que j’étais il y avait quelques instants à peine n’existait plus. Les rôles venaient de

s’inverser.Àmongrandplaisir,j’étaismaintenantlaproie.—Scarlett !Sais-tudepuis combiende temps j’attends cemoment ? rugit-il tout enmepoussant

passionnémentcontrelemur.—Depuistoutàl’heure?répondis-je,perplexe.Ilsourit.—DepuisParis,medit-iltoutens’appropriantdenouveaumabouche.—Moiaussi,soufflai-jeavantd’êtreattiréesurlelit.Avais-jebienentendu?Johnmedésiraitdepuistoutcetemps?Ehbien,sicettenuit-làétaitlaseule

qu’ilm’étaitpermisdevivre, j’entendaisbien la savourerdans lesmoindresdétails. Jecontemplaimon trophée,pris sa tête entremesmainset, tout engardantmacible envue, lui commandaimesdésirs.—Jeteveuxtellement,dis-jeavantd’êtredéshabilléecommejel’avaistantespéré.

***

John, torse nu, m’attirait contre son sexe encore dissimulé sous son pantalon. Il m’excitait, merendaitfollededésir.Depuisdéjàunbonmoment,j’étaisnue,toutémoustillée.Mapatienceavaitseslimites.Je levoulaisenmoi,etuniquementcelamecomblerait.Pourtant, ilnesemblaitpasencoreprêt, repoussant ma main à chacune de mes tentatives pour baisser sa fermeture éclair. Lecommandantenluivoulaitgarderlecontrôle.Sesyeuxperçantsobservaientmesréactions.Rienneluiéchappait.Avecforce,ilsaisitmonmenton

pourquej’arrêtedebouger.Jecessaidepenser.Intrigué parmon corps, il dirigea sa bouche versma gorge puis versma poitrine. Je sentais sa

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barbem’érafler délicatement la peau. Ilme dégustait sensuellement, tout enme soulevant vers luiavecforce.Enleregardantmedévorerainsi,j’enfonçaidemanièreincontrôlablemesonglesdanssapeau.—Prends-moi,John.Aussitôtmon vœu exprimé, John braqua les yeux surmoi.Une seconde passa. Peut-être deux. Il

esquissaun léger sourire,approchasonbeauvisagedumienetm’embrassa. Ilme faisaitpatientermaisjesavaiscequisetramait.Seslèvresm’hypnotisaientetpendantquemonimaginationfaisaitdessiennes, il s’éloigna demoi pour se tenir bien droit près du lit. Ilm’admirait. Je fis demême. Jesentais grandir son désir. Puis il détacha ses jeans, qui tombèrent sur le plancher. Il approcha soncorpsdumien,avançasaboucheverslamienneetm’exauçaenfin.Alléluia!

***

Lesoleilvenaitdeseleveretunedoucelueurroséetraversaitlachambre.Jen’avaispasrêvé.Johnétait bien là, près demoi, m’enlaçant tendrement. Je n’éprouvais pas le désir de partir mais il lefallait.Pluslongtempsjeresteraisallongéeprèsdeluietplusintenseseraitcesentimentd’incarnersamaîtresse.Jemeretournaipourleregarderdormir.Jesavaisquecemomentprivilégiéentre luietmoiétaitsansdouteledernier.Jeposaidélicatementmeslèvressurlessiennesenguised’aurevoiretmeglissaiensuitehorsdulitensilence.J’enfilaimesvêtementset,surlapointedespieds,jeregagnaimachambre.J’auraisaimésavoircequ’iladviendraitdenous,maisj’avaispréférésortirencatiminipouréviter

deleluidemander.J’avaisétésonamantel’instantd’unenuit, jen’avaispasledroitd’enréclamerdavantage.Aucunregretnem’habitait.Pasencore.J’espéraisqueJohnn’éprouveaucunremords.Ladouceurdesesbaisersnepouvaitpasmentir,maisjevoulaisenavoirlaconfirmation.J’avaisunvolderetouràopéreraveclui;jen’avaisdoncqu’àattendrelebonmomentpourluiparler,enespérantbiensûrqu’ilseprésente…

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N

Chapitre21

Dublin(DUB)–Montréal(YUL)

ousavionscommencéledernierservicedeboissonsavantl’atterrissageàMontréal.Duranttoutlevol,j’avaisflottésurunnuage.Ànotrearrivéedanslelobbydel’hôtel,Johnm’avaitdemandé

si j’avais bien dormi. En entendant mon « merveilleusement bien », il m’avait souri et m’avaitrépondu que lui aussi. Ses yeux brillaient et lesmiens également. Jeme sentais triomphantemaisconscientequejen’avaisriengagné,etquejen’ygagneraisrien.Néanmoins,jevoulaisprofiterdubonheurquecettenuitm’avaitprocuréet,pournepascréerde

malaise entre nous deux, j’avais opté pour une autre position dans l’avion et avais travaillé avecCamilleenclasseéconomique.Mespassagersétaientchoyésparmajoieextrêmecarjeleursouriais,rigolais et répondais à leurs moindres caprices. Mon état d’esprit frôlait la frénésie. J’en fusconvaincuelorsquej’eusàservircequim’irritaittant:lejusdetomate.—Qu’aimeriez-vousboire?demandai-jeaumonsieurassisausiège18A,prèsduhublot.—Qu’est-cequevousavez?Entempsnormal,cettequestionm’auraitagresséeauplushautpoint.«Bordel!Çafait troisfois

que jepassedans l’allée en sixheures, j’ai encore lamêmechoseque la foisd’avant, et lamêmechose que l’autre fois d’avant, et la même chose que l’autre fois d’avant l’autre fois ! » J’auraisensuiteregardél’hommeavecunsourireexaspéréetluiauraisénuméréquelquesitemsdemanièreexpéditive:«Eau,jus,boissonsgazeuses,caféetthé.»Parcontre,cejour-là,cenefutpaslecas.—J’aidesjus,desboissonsgazeuses,del’eau,ducaféetduthé,dis-jelentement.—Vousavezquoicommeboissonsgazeuses?medemanda-t-ilencore.—Du7UP,duPepsi,duGingerale,duDietPepsi.—Vousavezquoicommejus?D’ordinaire, j’aurais prononcé précipitamment deux choix : pomme et orange. Et j’aurais, bien

entendu, évité de mentionner le jus de tomate, consciente de ses répercussions inévitables.Étrangement,cenefutpaslecas.—J’aidujusdepomme,dujusd’orangeetdujusdetomate.—Ah!Jevaisprendreunjusdetomatealors,déclaraM.A.—Trèsbien,dis-je,toutsourire.Jeservisleditliquidesansbroncheretleluioffris.Jepassaiauxpassagersvoisins.—Etpourvous?demandai-jeenregardantlecoupleassisàBetC.—Hum,pourquoipasunjusdetomate?Allons-ypourdeux!Toujours sur mon petit nuage, je servis deux verres de jus de tomate, tout en en éclaboussant

légèrementsurmachemise.J’essuyailestachesd’uncoupdeserviettesansm’eninquiéteretremislesdeuxverresàMmeBetM.C.Jemechargeaiensuitedespassagersassisaumilieudelacabine.—Qu’aimeriez-vousboire?—Unjusdetomate,meditlademoiselleassiseen18D.—D’accord,unjusdetomatepourvous!m’exclamai-je,annonçantofficiellementquenousavions

dujusdetomateàbord.JeversailejusdansunverreetleremisàMlleD.Jeservisensuitelevieilhommeassisderrière

elle.

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—Qu’aimeriez-vousboire?—Unjusdetomate,répondit-il.Toujoursaussisereine,jecommençaiàverserleliquide.Soudain,moncartondejusdetomatese

vida et me laissa avec un verre à moitié rempli. Normalement, j’aurais soupiré et j’aurais toutsimplementavisélepassagerquejen’avaisplusdejusdetomatedansmonchariotetluiauraisoffertunjusdepommeouautrechose.Aucontraire,jechoisisledurlabeur.—Camille,tuasdujusdetomate?demandai-jeàmacollègue.—Non,jevienstoutjustedelevider.Sans doute était-ce le résultat demon annonce publique. Il était encore temps, et ce, sansmême

mentir,d’aviserM.19Dquej’étaisàcourtdejusdetomate.Maisnon!J’étaisdécidéeàsurmonterlesobstacles.J’interpellaimacollèguedansl’alléevoisine:—Diane!Pasderéaction.—Diane!Diane!Diane!Elle ne m’entendait pas du tout. J’aurais dû m’en douter. Elle était toujours perdue, celle-là. Je

m’adressaiàsoncollègue:—Éric!Ilsetournaversmoi.Jeremuaileslèvrespourexprimermarequête.«Jusdetomate»,murmurai-

je.Enfin,jevenaisderetombersurterreenréalisantquecesmotsnedevaientpasêtreprononcéstropfort. Éric saisit le sens dema demande etme remit discrètement le carton du précieux liquide. JeservisM.19Detrevinsàlaréalité.«Commentvais-jeparleràJohn?Etquevais-jeluidire?»Jenepouvaisrienluidemander,rien

qu’il nem’eût déjà donné. Je terminaimon service etme résolus à ne rien tenter. J’en avais déjàbeaucouptropfaitdetoutefaçon.«Etpuis,siJohnenveutplus,iln’auraqu’àmeledire.»

***

—Qu’avez-vousachetépourcinquantedollars?medemandaladouanière.—Del’huiled’oliveetunchandail.—C’est tout ? insista-t-elle d’un ton investigateur à la « je ne te crois pas, espèce d’hôtesse qui

voyagepartout!».—Oui,confirmai-je.ElleinscrivitungrosR11enhautdemacartededéclarationetmelaremit.Jen’allaispasmefaire

fouiller.D’ailleurs,c’étaitlaseuleinscriptionquejecomprenais,n’ayantjamaisréussiàéluciderlasignificationdecescodesfatidiques.Jedescendisàl’airedesbagagesetmedirigeaiverslasortie.Jemarchais rapidement, car John était passé devantmoi aux douanes.Nous n’avions pas échangé unseulmot.Quedessouriresquinevoulaientsûrement riendire. Ilmedevançaitdequelquesmètresseulementetmarchaitlentement.Peut-êtrem’attendait-il?Entoutcas,nousnoussuivionsdeprès.Lorsquenousarrivâmesàl’autobusdesemployés,nousétionsseuls.«Quellebellecoïncidence!

pensai-je.Nousaurons le tempsdenousparler.»Nousprîmesplace l’unenfacede l’autre.J’étaisnerveuse.Quepourrais-jebienluidire?«John,j’enveuxencore»?Etensuitequoi?«Jeveuxêtretonamanteetpasserendeuxième»?Était-cevraimentcequejevoulais?Non!Biensûrquenon!Commelaporteallaitsefermer, jevisentrerStéphane,lepremierofficier.«Etmerde,ilvatout

gâcher!»Ils’assitàcôtédeJohnetsemitàluifairelajasette.—Wow!Quelbeauvolonaeu!Pasunegrainedeturbulence,onamêmeétécapablesd’atterrirà

l’avance.

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—Ouais,secontentaderépondreJohntoutenmeregardant.—Turetravaillesquand?l’interrogeaànouveauStéphane.—Dansunesemaine,répondit-il,sanslequestionneràsontour.«Ah!Qu’ilm’énerve,ceStéphane!»JehaussailesépaulesendirectiondeJohnpourluisignifier

monindifférencefaceauxproposdesonpremierofficier.Ilmefitunsourirediscret.—Ouin,tueschanceuxd’avoirunesemainedecongé.Moijetravailledemain,continuaStéphane.—Ah!Ouais,c’estdommageça,ditJohn,désintéressé.—Enplus,jeretourneàDublin!—Hum.Detouteévidence,moncommandantavaitlesidéesailleurs.Etàlevoirmefixer,jesavaisoùelles

setrouvaient.Stéphane,neremarquantrien,monologuaduranttoutletrajet.J’espéraisseulementqueJohndescendeaumêmearrêtquemoipourquejepuisseluiparler.Lorsque nous entrâmes dans l’aire de stationnement, ilme fixait toujours intensément. Il profita

d’unmomentdedistractiondelapartdesoncoéquipierpourmefaireunderniersourire.Unsourireempreintdedésolation.Etpuis,discrètement,ilbougealeslèvrespourmedirequelquechose.Jelussonmessage.«Tuesbelle»,prononça-t-ilsansunson.Jecomprisqu’ilneregrettaitrien.Jeserrailes lèvrescommepour luisoulignerqu’iln’yavait riendeplusàdire. Ilavaitsavie,etmoi jenepouvaispasyentrer.Jenelevoulaispas.Pascommeça.Lebusfitsonpremierarrêt.Laportes’ouvritmaispersonnenesortit.Jeréalisaialorsque,bientôt,

ce seraitmon tour,ou le sien.Qui sait quand je le reverrais ?Unmois, sixmois, unan,peut-êtredeux?Jen’enavaisaucuneidée.Etçam’attristait.Brusquement,lebuss’arrêtaaudeuxièmearrêt.C’étaitlemien.Johnrestaassis.J’avaislegoûtde

demeurer dans l’autobus et de l’accompagner jusqu’à sa voiture mais j’étais déjà debout. Je nevoulaispaséveillerdavantagedesoupçons.Stéphaneselevaégalement.Ilnoussaluaetsortitaussitôt.Jeréalisaialorslapossibilitéquis’offraitàmoi:jepouvaismerasseoir.J’hésitais.Cen’étaitplusàmoideprovoquerleschoses.J’avaisfaitmapart.JesaluaiJohntelleunecollègueetmedirigeaiverslasortie,maisavantquejepuissedescendrela

porteserefermadevantmoi.Nem’ayantpasaperçue,lechauffeursepréparaitàrepartir.«Retournet’asseoir,Scarlett !C’estunsigne!»me lançamapetitevoix.«Scarlett,c’està luideprendre lesdevants,va-t’en!»medictaunesecondevoix.J’hésitaisencore.«Sors!»m’ordonna-t-elleencore.—Hey!Monsieur!J’aimeraissortir!Ouvrezlaporte!criai-jedepuislemilieudubus.Johnm’observait toujourssansdireunmot,etmesouritunedernière foisavantdemeregarder

descendredubus,laminebasse.En posant le pied à l’extérieur, je ressentis un vide extrême. Celui qui m’obsédait depuis si

longtempss’éloignaitdemoiencoreune fois. Jenesavaispasquand je le reverrais. Jen’étaispasprête à compter les jours ou lesmois avant de revoirmonbeau commandant. Pas plus que j’étaisprête à m’engager dans une nouvelle cure de désintox. Il fallait me rendre à l’évidence : j’étaisassoifféedeJohn.Jevoulaisboirechaqueparcelledesoncorps,desespensées,desespropos.Sonabsencem’était déjà insupportable et je venais à peine de le quitter. J’en avais assez d’attendre. Jedevaistrouverunesolutionàmasouffrance.Àprésent,monseulbien-êtreimportait.Ilétaithorsdequestionquejeviveuneautreannéesanslui.Nonmerci!

***

Lorsque je franchis le pas de la porte,Béam’attendait avec impatience. Ellem’avait laissé deuxmessages surmaboîtevocale,m’implorantde l’appeleraussitôtque j’auraisatterri afinque je lui

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racontetoutcequis’étaitpassé.Jeluiavaisalorsmentionnéquejeluidiraistoutunefoisrendueàl’appartement,cequejefis.Aprèsdelonguesetprécisesexplications,Béameserradanssesbras,mefélicitantpresqued’avoirtrahimesconvictionspoursuivremoncœur.Elleétaitfièredemoi.Pourmapart,jenesavaistropquoipenser.Jesavaisseulementquej’avaisJohndanslapeauetquej’étaisbiendécidéeàassouvirmesdésirs.Jedemandaiconseilàmameilleureamie:—Béa,qu’est-cequejefaismaintenant?—Est-cequetucroisqu’ilveutterevoir?—Jenesaispas.Pourlemoment,toutcequejesais,c’estquej’enveuxplus.—Ilfautquetuluiparlesetquetuluidisescequeturessens.—Qu’est-cequeçavachangeràlasituation?—Benlà,Scarlett!Tuviensdemedirequetuenveuxplus.Ilestmariéetilvasûrementlerester.

Maissituenveuxplus,ilfautquetusachessiluiaussienveutplus.Ensuite,jenesaispas,moi…tuverrasentempsetlieu.Non?—Tuasraison,approuvai-je.—Tuassonnumérodetéléphone?—Non.—Sonadressedecourriel?—Non.Béaréfléchit.—Ilyatoujourslecourrieldejob,m’informa-t-elle.—Oui!Commentjefaispourleconnaître?—Riendeplusfacile!C’estnotrenomcomplet,séparéparunpoint,[email protected].—Super!Tuesgéniale,Béa!m’exclamai-jeenm’assoyantdevantmonordinateurportable.Par où pouvais-je bien commencer ? « Je m’ennuie de toi, John » ? « Je considère devenir ta

maîtresse»?«Jesuisentraindefoutreenl’airmesprincipesetmesrèglesdebonneconduitepourtoi»?Jedécidaidelaissermoncœurmedicterlesmots.Souvent,j’entiraislesmeilleursrésultats.Unefoislecourrielterminé,jelelusàhautevoixàBéa.De:[email protected]À:[email protected]:07juillet2012Sujet :…SalutJohn,Jenesaispassijefranchislalimitepermiseent’écrivantcecourriel.J’aiessayédenepaslefairemais,vraiment,c’est

plusfortquemoi.J’aiattenduunanavantdeterevoiret jenepeuxpasattendreuneautreannée.Jesuisbouleverséecommejel’aiétéaprèst’avoirvuàParisetàBarcelone,maislàc’estencorepireparcequejesaiscequejemanque.Jepenseàtoietjemedemande:allons-nousrevivreunjourcettedernièrenuitensemble?Scarlett

JeregardaiaussitôtBéa,espérantrecevoirsonapprobation.—Excellent!C’esttouchantetçavadroitaubut,merassura-t-elle.—Ahoui?—Oui!Allez,envoie!m’ordonna-t-elle.—Tuescertaine?hésitai-jeencore.—OUI!Centpourcentcertaine!Envoie!J’avançaimoncurseurverslebouton«envoyer».Jefermailesyeuxet,toutensouhaitantnepas

faireunegrossebêtise,jepressaisurlatouchefatidique.

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P

Chapitre22

Lyon(LYS)

leurer.Quec’estdrainantdepleurer!Surtoutlorsqu’onpleureplusieursfoisparjour,pendantunmois. Parce que c’est exactement ce que je venais de faire : pleurer toutes les larmes demon

corpspourunhomme.PourceJohnRossquin’avaitmêmepaseulagentillessederépondreàmonmessage. «Le salaud ! Ils sont touspareils, ceshommes ! avais-jepensédesmilliers de fois.Dèsqu’ilsontobtenucequ’ilsveulent,ilsnousjettentàlapoubelle!»J’étaisdémoliemaisjen’avaispasvraiment ledroitde l’être.Malgrécetteseulenuitensemble, jevivaisunevéritablepeined’amour.Cetétatd’âmetombaitmalcarjevolaisintensémentdepuisunmoisetcen’étaientpaslesmeilleuresdestinationsquim’accueillaient,cequi,dejourenjour,empiraitmonétat.Cetrop-pleind’émotionsatteignitsonparoxysmeunmoisaprèsl’envoidemoncourrielsansréponse.Nous venions d’atterrir à Lyon. Je détestais cette destination et j’avais tenté tant bien que mal

d’éviterdevoirapparaîtreleslettresLYSsurmonhoraire.Jen’avaispasréussi.Laraisondecetteappréhensionnerésidaitpasdanslavilleelle-même.Pasdutout.NousmangionstrèsbienàLyonetles vins du Rhône étaient délicieux. Ce profond dédain prenait plutôt racine dans l’hôtel où nousséjournions:leChâteauPerrache.Pourêtrehonnête,jelecroyaishanté.Toutessortesd’histoiresàsonsujetcirculaientauseindela

compagnieaérienne.Certainscollèguesdisaientavoirvuunefemmelesregarderenpleinmilieudela nuit, d’autres avaient aperçu une ombre humaine dans la télévision enneigée, et d’autres encoreremarquaient,àleurréveil,desobjetsdisposésauxmauvaisendroits.Toutcequejesavais,c’estquecethôtelm’horrifiaitàunpointtelquejeneparvenaisjamaisàyfermerlesyeux.Mondésirdepleurer ressurgit lorsque j’entraidans lehallce jour-là.Lamoitiédecette tristesse

avaitpourcauseunhommeetl’autremoitiéémanaitdeceterrifianthôtel.Celieumefaisaitpeur.Etpour cause : il avait déjà été réquisitionné par les autorités allemandes durant la SecondeGuerremondialepourenfairelesiègedelaGestapo.Lachambreoùj’allaisdormiravaitpeut-être,sil’onsefiaitàl’histoire,ététémoindenombreuxinterrogatoiresfaitsauxopposantsdurégimehitlérien.Pire, un juif avait peut-être été torturé oumême tué dans cette pièce.Mon imagination faisait dessiennes.J’entrai dans la douche. Je sentais l’avion ; il fallaitme purifier. Sous l’eau, je réfléchissais ou,

plutôt, je me faisais des remontrances : « Scarlett, tu aurais dû savoir que John n’allait pas terépondre.Pourquoil’aurait-ilfait?Ilnepeutpas.Iln’ajamaispu.C’estuniquementparcequetuétaislà,cejour-là,àDublin,qu’ils’estlaissétenter.Unpeud’alcoolacontribuéàtonsuccès.C’esttout.Ilfautquetul’oubliesmaintenant.C’estchosedupassé.Aumoins,tuyaurasgoûté.»Leproblèmerésidaitjustementlà!J’yavaisgoûté.J’avaistouchéseslèvres,soncorps.J’avaissenti

cettefouguequim’avaitprocuréuntelsentimentdebien-êtrequejen’arrivaisplusàm’enleversonsouvenirdelatête.Mondésirn’avaitqu’augmenté.Ilétaitloind’êtreassouvicommejel’avaispensé.Jesavaisque lePepsipouvaitcréerunedépendance,mais j’étais loindemedouterqueJohn,monPepsiàmoi,obséderaitmespenséesaussitôtconsommé.J’étaisfollementéprisedelui.Jepleuraiunemillièmefoisenfermantlesrobinets.Lorsquejeposailepiedsurletapis,monattentionsedirigeabrusquementailleurs.Devantmoi,le

miroirétaitembué.Unélémentutiliséàtoutcoupdanslesfilmsd’horreur.Soudain,j’hallucinaiun

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doigt invisible tracer un cœur dans la vapeur d’eau.Mes larmes coulèrent de plus belle. Pourquoimoi?Àcetinstant,jesouhaitainejamaisavoirrencontréJohn.Jamais!Lanuittombée,jetentaidedormir,maisenvain.Jen’yarrivaispas.Peut-êtreétait-ceparcequela

lumièreétaitdemeuréeallumée?Jenevoulaispasl’éteindrecarlanoirceurmeterrifiait.Lachaleurdumoisd’aoûtm’étouffaitetl’airconditionnén’arrivaitpasàrafraîchirlapièce.Jedécidaidoncdemeleveretdescendisenpyjamafaireuntourdanslehall.Mespasfaisaientcraquerleboisancienduplancherdescouloirs.Ayantl’impressiond’êtresuivie

parquelqu’un,j’accéléraimacadenceetatteignislaréceptionenuntempsrecord.— Bonjour, monsieur, est-ce possible d’utiliser les ordinateurs à cette heure ? demandai-je à

l’hommederrièrelecomptoir.—Biensûr,madame,merépondit-ilavantdemedirigerversuneminusculepièce.Jepensaisvisiterdesbloguesdevoyagepourmefairerêveretmechangerlesidéesmais,avantça,

je décidai de regardermes courriels. Je n’avais probablement aucun nouveaumessage car j’avaisvérifiémaboîtedemessagerieavantdepartirdel’aéroport,maisc’étaitdevenuunehabitudedelefaireenouvrantunordinateur.J’accédaiàmaboîte.Àmongrandétonnement,deuxnouveauxmessagess’affichèrent.Jecessaide

respirer.EnfinunmessagedeJohn!Mieux:deux!Moncœursemitàpomperoutrageusementetjecommençaiàtranspirer.Jen’avaisrienluetdéjàj’étaisheureuse.J’avaisenfinuneréponse!Quellequ’ellesoit,jel’accepterais.J’ouvrislepremiermessage.De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:14août2012Sujet :Re:…Scarlett,Jeprendscecourrielalorsquejeparsenvol.Désolépour ledélai, jeneregardecescourrielsqu’unefoisparmois.

Pourrépondreàtonmessage,oui,jesuisencorebouleversédenotresoiréeensemble,etoui,jepenseàtoi.Jen’avaispasprévucequiestarrivéentrenousetladernièrechosequejeveux,c’esttefairemalettefairecroireàdeshistoiresqui teblesseraientdavantage.Mesenfantssontmapriorité,et j’auraisdû fairepreuvederetenuepouréviter toutcela.Facile,mediras-tu,maiscen’estpaslecas.Tuesarrivéeparsurprisedansmaviepouruneraisonquej’ignoreencore.Maiscrois-moi,j’aibeaucoupàperdredanstoutcelaetj’enprendsl’entièreresponsabilité.Scarlett, j’espère tevoirbientôtpour tedire toutçadevivevoix.Jepenseà toiet tesouhaite tout lebonheurquetu

mérites.John

J’étais soulagée. Cette réponse n’était pas celle que j’avais espéré, mais je devais l’accepter.

J’appréciaisqueJohnmesoulignesesinquiétudesfaceàl’impossibilitédelasituation.Ilnepouvaitpasm’endonnerdavantage.Jeneluienvoulaispas.Aumoins,jesavaisqu’ilpensaitàmoietm’avaitrépondu. D’ailleurs, il l’avait fait aussitôt qu’il avait lu mon message, contrairement à ce que jecroyais.Jerelustroisfoissoncourriel.Etpuissoudain,jemerappelaiquej’avaisunautremessage.Commentavais-jepul’oublier?Sansplusattendre,j’enprisconnaissance.De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:15août2012Sujet :PenséesScarlett,toutaulongdelatraversée,j’aipenséàtoi.Jeveuxconnaîtretespensées.J’imaginequ’onvasûrementse

revoiravantunan.John

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Ilvoulait«connaître»mespensées?Onallait«sûrement»serevoiravantunan?J’attendaisce

momentdepuisunmois,etmaintenantque j’avaisenfinceque jevoulais, jenesavaispasquoi luirépondre.Enfait,jen’avaisqu’àrépondreàsademande.Toutsimplement.De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:15août2012Sujet :Re:PenséesSalutJohn,Tuvoulaisconnaîtremespensées,alorslesvoici…Aprèsnotrenuitensemble,j’aipenséàtoisansarrêt.Unmoisplustard,jereçoisdetesnouvelles.Jem’étaisfaiteà

l’idéequecettenuitavectoiseraitlaseuleetuniqueetquec’étaitmieuxcommeça.Mêmesijesaisqu’ilestpréférabledenepasallerplusloin,jesuispersuadéeque,lorsquejetereverrai,ceseralamêmehistoire.Onvasedésirerautant.Jesuiscomplètementd’accordaveclefaitquetuastoutàperdredanscettesituation,etjeneveuxpasbrisertavieni

celledetafamille.Tumeparlesencodealorsj’aiunpeudedifficultéàsavoircequetuveuxvraiment.Tonpremiermessageestclair,tu

nevaspaslaissertafemmepourmoi.Ça,jelesaisetjeneveuxpasnonplusqueçaarrive.Laquestionestplutôt:TOI,qu’est-cequetuveux?Tondeuxièmemessagemeditquetuveuxencoredemoi.Moiaussijeteveux…J’attendraidetesnouvelles.Scarlett

Lorsque je pressai sur « envoyer »,mon cœur se remplit de bonheur. J’ignorais quelle serait sa

réponseàmonmessage,maisjesavaisqueJohnvoulaitsincèrementmerevoir.Moiaussi.J’avaissihâtedeleregarderetdel’embrasser.Restaitàsavoirquand.Cettenuit-là,jeretournaiaulitsereineetdormisenfincommeunbébé.ÀmonretouràMontréal,j’avaisreçuunnouveaucourrieldeJohn.DemonJohn.Cemessages’avéreraitêtrelepremierd’unelonguesériequi,peuàpeu,allaitmerendreencoreplusfolledelui.Etluidemoi?De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:16août2012Sujet :Re:Re:PenséesScarlett,Jesuisconscientquetun’espasheureusedanstoutcelaetjetiensàm’excuserencorepourt’avoirfaitpatientersans

le savoir pendant unmois.Sache que cette situationmebouleverse autant que toi et que tout ce que je sais pour lemomentc’estquejetedésireetquej’aiduplaisiravectoi.C’estlapremièrefoisquejetrompemafemmeetjedoisvivreavec.J’aitoujoursévitédememettredansdessituationscompliquées.Jeneveuxsurtoutpasteblessermaisjeveuxterevoircarjesaisqueceseraencoremeilleurquelapremièrefois,suis-jeassezclair?John

De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:17août2012Sujet :TrèsclairSalutJohn,Jeteremerciedet’excuserpourm’avoirfaitpatienterpendantunmois.JToutestmaintenantplusclair.Àquandnotre

prochainerencontre?Scarlett

De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:17août2012

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Sujet :Jaser?J’aimerais entendre ta voix… Est-ce qu’on peut se parler ? Si c’est OK pour toi, j’aimerais t’appeler ce soir. Ton

numéro?John

Ohlàlà!Nedevions-nouspasnousfixerunrendez-vousuniquementpours’amuseraulit?Voilà

queJohnm’affirmaitvouloirentendremavoix!J’étaisperdue.Jemouraisd’enviedeluiparlermaisje me sentais fragile de m’aventurer dans une telle proximité. Si nous commencions à échangerquotidiennement des courriels et des appels, allais-je être capable de me contenter de quelquesplaisirscharnels?J’endoutais.Néanmoins,désirantégalemententendreletimbredesavoix,jeluilaissaimonnumérodetéléphone.Commeprévu,jereçussonappeldanslasoirée.—AlloScarlett.—SalutJohn,répondis-jetimidement,lecœuraffolé.—Comments’estpasséetajournée?—Trèsbien.JesuisalléemefairebronzerprèsducanalLachineavecmonamieBéa.Toi?—Jemesuisbaignéaveclesenfants.—Ah,jevois.Ettafemme?demandai-jespontanément,sansréfléchir.—Elleestpartietravailler.Est-cequ’onpeutparlerd’autrechose?—Évidemment!Jene savaispaspourquoi j’avaisamenéce sujetdès ledébutde laconversation.Quellehorrible

erreur!J’avaisprismadécision.Sexepoursexe.Rienqueça.Lesdoutesetlaculpabilitén’avaientpluslieud’être.C’étaittroptard.Jechangeaidesujet.—Quandcrois-tuqu’onpourrasevoir?—Ehbien,j’airegardétonhoraireetjenevoispasdecompatibilitéaveclemienpourlasemaine

prochaine.Tutravaillesbeaucoupetmoiaussi,dit-il,déçu.—Ouais,jesais.—Jepensequelemieuxseraitd’essayerdedemanderlesmêmesvolslemoisprochain…—Bonneidée!Onfaitça,affirmai-je,heureusequ’unetelleoptionsoitpossible.—Onsetientaucourantalors,belleScarlett.—Tusaisquoimedirepourmefairerougir,hein?—Jenelefaispaspourça.Jepensesincèrementquetuesbelle.J’aiunedélicieuseimagedetoien

tête,dansmonlitàDublin,continua-t-ild’unevoixgraveetpuissante.—Oh!Ettucroisquejen’enaipasunedetoi?—Jel’espèrebien.Çagarderatespenséesoccupéesjusqu’ànotreprochainerencontre.—N’endoutepasuneseconde.—Lesmiennesaussiresterontoccupéesavectoi.Cette dernière affirmation souleva enmoiun réel inconfort.Qu’en était-il de sa relation avec sa

femme?Quesepassait-ilentreeuxaulit?J’étaisjalouse.Jetentaitoutdemêmedenepaslelaisserparaître.Lorsquenous terminâmes la conversation,mon envie de le revoir avaitmontéd’un cran.C’étaitmauvaissigne.

***

Aulendemaindenotreentretientéléphonique,jereçusunnouveaumessage.Johnétaitsicharmantetattentionné.Sans lesavoir, il s’approchaitdemon idéal.Pourtant, lasituationétait loinde l’être.J’avaisl’impressiond’êtretombéedanslessablesmouvantsetjen’arrivaispasàm’ensortir,etce,mêmesi seulesmeschevillesenétaient recouvertespour lemoment.Déjà, j’étais incapabledeme

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raisonnerpourcessertoutecommunicationaveclui.J’envoulaisencore.De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:18août2012Sujet :ParisBonmatin,Contentdet’avoirparléhiersoir.J’aifaitdebeauxrêvesenpensantàtoi…EssaiededemanderParispourlemoisde

septembre.Avectonancienneté,tudevraispouvoirl’avoir.Sinon,Lyon.John

De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:19août2012Sujet :PasLyon!SalutJohn,J’aidemandéd’avoirParismaispasLyon.Jedétestecethôtel!Ilfaittropchaud,l’airconditionnénemarchaitpasetily

adesfantômes…JesouhaitequeParisfonctionne.Àbientôt,Scarlett

De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:20août2012Sujet :Hou!Hou!Jevaisteprotéger,belleScarlett.Maissitun’aimespasLyon,c’estOK.Pariscesera.JequittepourIstanbulcesoir.Je

t’écriraidepuislaTurquie.Jet’embrasse,John

De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:23août2012Sujet :HoraireJ’aireçumonhoraireetj’aieudeuxParismaistun’espassurmesvols.Ondevratrouveruneautresolution.Tune

m’aspasencoreécritdepuisquetuesparti.Jen’aimepasça…Scarlett

De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:24août2012Sujet :NouvellesSalut,Jevoisquetuattendsdemesnouvellesquotidiennement…etj’enattendsaussidetoi!LeréseauWiFicoûtaitlapeau

desfessesàl’hôtelalorsj’aidécidédem’enpasserpourunejournéeetdetefairelanguirdemoi.DommagepourParis.Est-cequetueslibrele28?Dorsbien.Jet’embrasse,John

De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:25août2012Sujet :LSalut,Tuespardonnépourl’attente.Jesuishabituée.J’espèrequetonvols’estbienpassé.C’estbeauIstanbul,hein?JesuisdéçueaussipourParisetjenepeuxpasle28.

Peut-êtrequec’estmieuxainsi…Scarlett

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De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:25août2012Sujet :Mieuxainsi?Tupensesvraimentcequetuviensdem’écrire?Moinon.Jeteproposeuneautreoptionalors.J’aieuunvolpourRome72heuresaumilieudumois.Tum’accompagnes?J’ai

vuquetuétaislibre…John

Quelle proposition alléchante ! Rome, ma ville préférée ! Et tellement romantique… J’étais, en

effet,disponiblepourl’accompagner.Parcontre,j’hésitais.Partiravecluisignifiaitaussimentirtoutaulongdelatraverséepournepasmefairedémasquerparlesautresmembresdel’équipage.UnefoisàRome,ilnousfaudraitêtreprudentspourquepersonnenenousvoie.Sanscompterquej’allaispassertroisjourscompletsaveclui.Etsiaprèsdeuxheuresilnepouvaitplusmesupporter?Pire,sicestroisjourss’avéraientmerendrefollementplusamoureusedeluiquejenel’étaisdéjà?Jedevaisréfléchir avant de prendre une décision. Je restai donc muette durant quelques jours, ce qui,curieusement,affolaJohnplusquejenel’auraisimaginé.De:JohnRoss<[email protected]>À:Scarlet t Lambert <[email protected]>Date:30août2012Sujet :C’estàmontourd’attendreScarlett,tumebrasseslatêteplusquetupeuxlepenser.Alorsqu’onnes’estpasencorerevus,jepenseàtoitousles

joursetjesuishonnêteavectoi.Tucroisquec’estplusfacilepourmoid’êtredanscettesituation?Ehbiennon!Tumerendslamonnaiedemapiècepourlepremiermoisenmefaisantattendresansréponse.Tudevraissavoirquejenejouepasàunjeuavectoi.Jeveuxterevoiretj’essaiedumieuxquejepeux.J’attendstoujoursuneréponsepourRome.Johnxxx

De:Scarlet t Lambert <[email protected]>À:JohnRoss<[email protected]>Date:30août2012Sujet :RomeSalutJohn,Tumebrasseslatêteaussi,situveuxsavoir.Non,jen’essaiepasdeterendrelamonnaiedetapièce.Jenejouepas

degamemoinonplus,maisilnefautpasoublierquelaraisonpremièredenosfuturesrencontresdevaitêtrepurementphysique,sansattachement,et làçan’apas l’airdes’enlignerpourça.Jeneveuxpasm’embarquer là-dedans. Ilmesemblequec’esttoiquiasmisçaauclairdèsledépart.Jen’aipasencoreprismadécisionpourRome.J’airegardétonéquipageetjeconnaispresquetoutlemonde.Nous

devronsêtreprudentspournepaséveillerlessoupçons.Maissij’yvais,çavaêtreparfaitpourqu’onpuisseprofiterl’undel’autreautantqu’onleveut…Jeterevienslà-dessus…Scarlettxxx

Pendantdesjours,j’hésitaiàdonneruneréponsedéfinitive.EtpuisBéaréussitàmeraisonner:—Scarlett,turêvesdeJohndepuistroplongtemps.VaàRome,sinontuvastoujourstedemander

commentçaseseraitpasséettuvasleregretter,m’avisa-t-elle.—Jesais,Béa,maisj’aipeur.—Peurdequoi?—Peurderevenirencoreplusfollementamoureusedelui.Jeneveuxpasêtreunemaîtresse,niune

belle-mère,nibriserunefamille.

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—Personneneveutça,Scarlett,maistunesouhaitespasallerpassertroisjoursderêveavecceluiquihantetespenséesdepuisunan?—Oui…—Alorsvas-y!Parsaveclui.Fais-toitraiterenprincesseetprofites-en.Ensuite,situneveuxpas

t’embarquerdansunehistoirerocambolesque,tudevrascouperlesponts,carplustucontinuerasetplusceseratoiquisouffriras,meconseilla-t-elle.—Tuasraison.C’estcequejeferaialors!MaisseulementaprèsRome,répondis-je,convaincue

d’avoirlaforced’agirainsiletempsvenu.JeprisletéléphoneetappelaiJohn.Madécisionétaitprise.J’allaisl’accompagneràRome!

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–M

Chapitre23

AéroportdeMontréal(YUL)

esdames et messieurs, ceci est une annonce d’embarquement pour le vol VéoAir 762 àdestinationdeRome.Nousinvitonsmaintenanttouslespassagersàseprésenteràlaporte61.

Ilmesemblequ’ilesttôtpourcommencerl’embarquement…Ledépartestprévupour22heures.Jeconsultemamontre.Ouf!Eneffet,c’estl’heure.Jen’aipasvuletempspasser.Distraite,sansaucundoute.Encettechaudenuitdeseptembre,sileplanrestelemême,jem’envoleraisousuncielétoilévers

l’Italieavecmonbeaucommandant.Jesuisnerveuseet,honnêtement,jenesaisplustropquoifaire.Enarrivantauterminaltoutàl’heure,jemesuisaussitôtdirigéeversl’airedesdépartspourlesÉtats-Unis. Johnm’y attendait sur unbanc.Lesprobabilités quenous rencontrionsnos collègues étaientmincescarlesdépartsinternationauxsetrouventdansunsecteurdifférent.J’étaisfébriledelerevoir.Lorsquejel’aiaperçu,mesjambesontfaiblipourlamillièmefois.—Salut,John,ai-jedit.—Ah!BelleScarlett,a-t-ilsoupiré.Jemesuisassiseàsescôtéssans le toucher. Ilaposésamainsur lamienneet ilm’asouri. J’ai

rougi.—Tudevrast’yfaire.Tumeverraspendantlestroisprochainsjours,m’a-t-iltaquinégentiment.—Jesais.Jesuisnerveuse,c’esttout.—Net’inquiètepas,toutvabiensepasser,m’a-t-ilréconfortéeenmeserrantlamain.—Tucrois?John,nousnousconnaissonsàpeine.Etsiçanesepassepascommenouslepensions

etquetumedétestesaprèsuneheure?—Impossible!s’est-ilexclamésansendouterlemoindrement.Johndégageunetelleassurancequetoutesmesinquiétudess’envolentlorsquejeluiparle.Auprès

delui,jesuisrassurée.Loindelui,c’estl’opposé:jem’affole.J’aipeurdeluidonnermoncœuretque lui se refuse à me donner le sien. Je ne voulais pas lui exprimer mes craintes et je me suiscontentée de lui sourire. Son visage s’est approché du mien et nous nous sommes embrasséstendrement.—Jedoismerendreàl’avion,Scarlett.OnserevoitàRome.Lesseptprochainesheuresserontles

pluslonguesdetoutemacarrièredepilote!m’a-t-ilditavantdepartir.Jesuisrestéeassiseseulesurcebanc,uncourtinstant,pensive.VoirJohnm’aprocuréunsigrand

bonheur,etlorsqu’ils’estéloignédemoi,j’airessentitoutlecontraire.Sondépartm’arappelémadureréalité.Dansquatrejours,jesouffriraidesonabsencetoutcommejel’aifaitpendantunanetdurantcemoissansréponse.Vais-jerevenirdeRomebouleverséeouenfinrassasiéeetsatisfaite?Jenedevraispasmeposertropquestions.Aprèscetterencontreéclair,jemesuisdirigéeverslasalled’équipagepourrécupérermesbillets

stand-by. Lorsque j’ai ouvert la porte, quelques membres de l’équipage étaient encore là. Je lesconnaissaistousetilm’aétédifficiledepasserinaperçue.—Allo,Scarlett!m’ainterpelléeDiane,l’hôtesseinsomniaque.—Salut!—Hey!Salut!aajoutéTodd,lebelagentdebordauxyeuxvertsenramassantsoncarry-on.

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— Allo, Todd ! l’ai-je salué, heureuse de le voir tout en me rappelant que notre dernier volensembleremontaitàmarencontreavecunecertaineFreaking-Debbie.—Tuvasoù?m’ademandéDiane,toujoursaussicurieuse.—Rome.Jeparspourtroisjoursvisiteruneamie,ai-jementi.Encoreunefois,jevenaisdetrahirmesprincipescarmoi,ScarlettLambert,jenemensjamais.Il

sembleraitqueJohnainvolontairementchamboulémonsystèmedevaleurscarm’inventerunmotifpourcevoyagem’estvenuspontanément.JesuispresqueconvaincuequejevaisenItaliepourvisiterunevéritableamie.Aprèsavoirramassémonbillet,j’aisouhaitéunbonvolauxagentsdebordetjesuisdescenduem’enregistreraucomptoirdeVéoAir.Mon billet récupéré, j’ai passé la sécurité. En déambulant dans l’aire internationale, j’ai

recommencéàdouter,àmesermonner,àm’envouloir.«Scarlett,tuterendscomptequetuparsaveclemarid’unecollègue?Tuesengénéralunebonnepersonne,maislà,tunel’espasdutout.»Jeneveuxpasm’envouloirdesuivremoncœur.J’ailedroitdelefaire,maisilm’estdifficilede

l’accepter.EtsijetombevraimentamoureusedeJohnàRome?Parceque,jedoismel’avouer,lesprobabilitésqueçaarrivesontremarquablementélevées.Vais-jepouvoirensuitecessertouterelationcommemel’aconseilléBéa?Jen’osepasrépondreàcettequestion.Jesuisdésormaisassisedansl’aired’attentetoutprèsdelabarrière61etjerefusedebouger.J’ai

prisplacesurunbancenretraitdesautrespassagers.Ainsi,jepeuxréfléchiràmaguise:j’embarqueoupasdansl’avion?Lesjambestremblantes,j’observelesalentours.Parmilafoule,desItaliens.Beaucoupd’Italiens.Ilsparlentfort,s’agitent,incapablesdedemeurer

assisplusd’uneseconde.Quellesurprise!Pendantuninstant,ilsmefontaumoinsrigoleretoubliermesinquiétudes.Jetournelatêtepourregarderl’appareil.Mesyeuxsedirigentrapidementverslepostedepilotage.

Demonbancinconfortable,jepeuxapercevoirlafenêtreouverteducôtédupiloteetunfaisceaudelumières’enéchappe,dessinantleprofild’unhomme.Moncommandantestlà,àquelquesmètresdemoi.Seulsdescentainesdepassagers,uncomptoir,uneagenteausol,unepasserelleetdixansdevienousséparent.Jenesaisplusquoifaire.Jen’enauraipasfiniavecluiaprèsRome.Jelesens.J’enailaconviction.L’embarquementvientd’êtrelancé.Unefiledegenss’allongejusqu’àmoi.Jedemeureassise.Jene

suispasprête.J’aibesoindetempspourréfléchir.Depuistoujours,j’airêvédefonderunefamille,d’avoir des enfants et d’être avec le même homme toute ma vie. Monter à bord de cet avion nem’apporterariendecela.Commentpuis-jem’êtreimaginéeheureusedansunetellesituation?Biensûr, je peux partir pourRome et profiter de John trois jours durant.Mais ensuite, j’en reviendraidémolie.Sijel’aimeautantquejelepense,jevaisenredemander.Jelevoudraijusteàmoi.Pourtant,êtreavecluisignifieégalementdevenirbelle-mèrededeuxenfantsqu’ilaeusavecuneautrefemme.Detouteévidence,jevoistroploinenavant.John,lui,doits’imagineruniquementdansunlitavecmoi. Pourquoi ne puis-je pas, une fois dans ma vie, penser comme un homme et vivre la viesimplement, étape par étape ? Oh là là ! Je viens de revenir à la réalité en regardant la file depassagerss’écourter.L’agenteaucomptoirparleaumicro.—Mesdamesetmessieurs,ceciestledernierappelpourlespassagersvoyageantàdestinationde

RomesurlevolVéoAir762.Veuillezvousprésenterimmédiatementàlaporte61.Appelfinal!Letempspresse:qu’est-cequejefais?Ilesthorsdequestionquej’embarquedanscetavionavec

autant d’hésitation.Me connaissant, je vais gâcher notre séjour à Rome si je n’ai pas la certituded’avoirfait lebonchoix.«Respire,Scarlett,etfermelesyeux.»Àprésent, jenevoisquedunoir.«Concentre-toi!»

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J’imaginemaintenantnotrehistoire.CelleentreJohnetmoi.Jemeremémorelapremièrefoisqueje l’ai vu auCostaRica. Il avait l’air tellement inaccessible. Je l’ai désiré depuis le premier jour.Assise dans cet aéroport, un an et demi plus tard, j’ai enfin obtenu ce que je voulais. Je n’ai qu’àsauterdanscetavionpoursavoiroùledestinnousmènera.Ilesttempsdefaireconfianceàlavie.Çanesertàriendevouloirtoutcontrôler,detoutsavoiràl’avancepourmeprotéger.Jedoisvivrecettehistoire,sinonjeleregretteraipourlerestedemesjours.Unevoixfémininesefaitentendreànouveauaumicro.«NousdemandonsàMmeScarlettLambertdeseprésenterimmédiatementàlaporte61.Merci.»J’ouvrelesyeuxetjeregardeladameaucomptoir.L’aired’attenteestmaintenantvide.Jemelève

d’unbond.Mesjambesnetremblentplus.Monespritestclair.Jemonteraiàbordetpersonnenem’enempêchera.Personne.Jetendsmonbilletd’embarquement.—MadameLambert?medemandel’agenteausolenlerécupérant.—Oui,c’estmoi,désoléepourlecontretemps,dis-je,souriante.—Pasdeproblème,madameLambert.Lecommandantvenaitdem’aviserqu’iln’allaitpaspartir

sansvous.Vousleconnaissez?—Oui,etjel’accompagneàRome.

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J’

Remerciements

aimeraisd’abordremerciermafamille,mamère,monpère,masœuretmonfrère,d’avoircruenmoi.Merci àmamère dem’avoir quasiment forcée à créer un blogue qui auramené à la

publicationdece livre.Merciàmasœur,Dominique,dem’avoirunjouroffertunguided’astucesutilespourêtrepubliée.Lacourteinscriptionquetuasécriteàl’intérieur,«pourqueturéalisestonrêve»,m’aencouragéeàpersévérer.MerciàGroupeLibrexdem’avoirdonnémapremièrechancecommeécrivaine.Jevousavaismoi

aussidansl’œiletjesuiscontentequelesétoilessesoientalignées.Merciégalementàmonéditrice,NadineLauzon,poursapatiencefaceàmesnombreusesinsécuritésetpouravoirsumedirigerdansleboncheminlorsquelesidéesmanquaient.Tescommentaires,tafranchiseettessuggestionsm’ontété indispensables. Merci à Marie-Eve Gélinas d’avoir pris le relais sans me brusquer. J’ai eul’impressiondetravailleravecuneamie.Merciàmescollèguesagentesdebordet,avanttout,amies:JolyaneCloutier,pouravoir lumes

chapitreslesunsaprèslesautresetpourm’avoirsoutenuelorsdesmomentsdifficiles.Tuastoujoursété àmon écoute et je t’en remercie.Merci àAnnie-PierCoutu, SarahRoy-Tanguay etMarie-ÈveGaranddecroireenmesnombreuxprojets,aussifarfelussoient-ils.Merciaussi,Marie-Ève,pourlestraductions.JevoudraiségalementremerciermononcleMarcdem’avoiraidéedeboncœuravecsestalentsde

graphistedansmesprojets.MerciàRobertPiché,collègueetami,d’avoirréponduavecprécisionàmesinterrogationstechniquesconcernantlaréalitédespilotes.MerciàPatrickLeimgruberd’avoircalmémesangoisses.Quelquefois,ilfautfairelegrandsautetselaisserporterparlecourant.MerciàAnamCarapourm’avoirpermisd’écrirepaisiblementdansundécorderêve.Lamern’apassonpareilpourinspirer.J’aimeraisaussiremerciertousleslecteursdemonbloguequi,parleurscommentaires,ontorienté

mesécritsversunedirectionplushumoristique.UnmerciparticulieràYvesdeDestination-Terre,quimesuitetm’encouragedepuisledébut.Merciégalementàmespassagers,quimeréserventtoujoursquelquessurprisesd’unvolàl’autre.MmesCocoetPepsin’existeraientpassansvous!Pourterminer,merciàtousmescollèguesdansl’aviationpourêtreaussidivertissantslesunsque

les autres et pourm’avoir raconté vos histoires rocambolesques sans vraiment savoir où elles seretrouveraient.Peut-êtreavez-vousreconnucertainesd’entreelles…

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