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L I B R E PA RC O U R S

Actualité de la recherche sur le livre et la lecture des enfants et des jeunes

A vec sa série « Madeline», Ludwig Bemel-mans a créé une représentation de Parisqui séduit les Américains depuis 1939.L’auteur de Madeline a vécu dans un rap-

port d’étrangeté et de familiarité avec les États-Unis comme avec la France. Né en Autriche en1898, il a émigré à New York en 1914 et il a publiédans son pays d’adoption son œuvre constituée dedessins de presse, de récits de voyage et de livrespour enfants. Il a découvert la France tardivement,lors d’un séjour touristique en 1938, mais jusqu’àl’âge de six ans, il a parlé exclusivement français,la langue de sa gouvernante. Dans une conférencedonnée en 2000 sous le titre « Aller-retour ParisNew York », Michel Defourny a rapproché lesparcours transatlantiques de Bemelmans et deses albums de ceux de Kay Thompson, la chan-teuse américaine qui a créé la série « Eloïse » en

Dans ce numéro dont le dossier est consacréau Royaume-Uni il est intéressant de proposer, en jeu de miroir, un article qui montre quel pouvait être le point de vue d’un auteur-illustrateur américain, LudwigBemelmans, sur le Paris des années 1930, à travers sa série d’albums Madeline. Son évocation, à la fois très documentée etentièrement recomposée, est révélatrice de lafascination qu’il éprouvait pour notre capitale.

LE PARISDE MADELINE

Maître de conférences en littérature comparée à l’université de Pau.

PAR ISABELLE GUILLAUME

←Le Sauvetage de Madeleine(Madeline’s Rescue), LudwigBemelmans, L’École des loisirs.

↖Cezar Petrescu : Fram ursul polar,Anticariatul Tauro.

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1955, et de Hans Augusto et Margret Rey, les au-teurs d’origine allemande de Curious George (1941).Comme celles d’Eloïse et de George, les aventuresparisiennes de Madeline ont remporté un vif suc-cès outre-Atlantique avant de revenir en Francesous la forme de traductions, en 1954 dans la col-lection des « Petits livres d’or » puis, à partir de1985, à L’École des loisirs.

PAYSAGES PARISIENS La place visuelle de la capitale française diffèrecependant dans ces albums. Kay Thompson et sondessinateur, Hilary Knight, ont fait un séjour surplace pour préparer Eloïse in Paris (1957). Mais leurParis en noir et blanc se réduit à quelques monu-ments et à des enseignes luxueuses qui offrent leurcadre à des dessins satiriques. Il fait sourire plusque rêver, en dépit de fonds roses et bleus qui adou-cissent l’ensemble. Par contraste, Bemelmansoffre une vraie présence visuelle à la ville qu’iltraite comme un paysage. Il construit un rapportoriginal entre ses personnages et le décor, qui estparisien dans quatre des cinq volumes publiés deson vivant : Madeline (1939), Madeline’s Rescue (1953),Madeline and the Bad Hat (1956), Madeline and the Gyp-sies (1959). Ces albums se présentent sous la formed’une succession d’illustrations en pleine pageau-dessus d’un texte en vers libres. Des illustra-tions en double page apparaissent avec Madeline’sRescue.La part la plus importante de ces illustrations esten noir et blanc sur fond jaune. L’autre, en cou-leurs. De manière générale, sans être systéma-tique, les images en noir et blanc accompagnentles aventures de l’héroïne et les rebondissementsde l’intrigue, qui est ténue dans ces albums desti-nés à de très jeunes lecteurs. Chaque volume estdoté d’un fil narratif lié au personnage du titre :Madeline, la plus intrépide des douze fillettes quivivent dans une vieille maison aux murs recou-verts de vigne sous la conduite affectueuse de MissClavel. Le premier raconte les conséquences d’unecrise d’appendicite. Le second, d’une chute dans laSeine et de l’adoption d’un chien. Le troisième, duvoisinage d’un chenapan qui va apprendre à aimerles animaux. Madeline and the Gypsies renouvelle cessujets empruntés au quotidien en envoyant la

petite héroïne suivre un cirque ambulant dans untour de la France. Les images en couleurs, moinsnombreuses, sont, à de rares exceptions près, despaysages parisiens où le décor prend le pas sur lespersonnages. Les deux premiers albums sont les plus caractéris-tiques à cet égard. La fillette ne disparaît pas desillustrations en couleurs mais elle se fond dans legroupe présenté, de manière répétée, comme « twelve little girls in two straight lines ». La construction des paysages parisiens confirmeles ressources graphiques de cette transformationdes personnages en figure géométrique. Sur lacouverture de Madeline, la ligne double structurela perspective d’une vue de la Tour Eiffel encadréepar deux rangées d’arbres. Cette droite, récurrentedans la composition des paysages, cède la place aucercle sur la première illustration en double pagede Madeline’s Rescue dont Michel Defourny a ana-lysé la « remarquable composition circulaire ». La place du personnage est paradoxale dans cettevue. L’image est dramatique puisqu’elle montrela fillette, qui vient de tomber du parapet du Pont-Neuf, en train de se noyer. « Poor Madeline wouldnow be dead », annonce le texte. L’héroïne a dis-paru du vaste tableau horizontal qui englobe,entre des troncs d’arbres des berges de la rivedroite, des toits du quai de l’Horloge, les échan-crures en demi-lune du Pont-Neuf et la statueéquestre d’Henri IV, une série d’immeubles duquai Conti, la Seine descendue par un remor-queur, ainsi que des figures pittoresques au pre-mier plan : des agents de la paix, deux pêcheursà la ligne et un peintre. De Madeline, on ne voitplus que les « deux lignes droites » des bras quiémergent à moitié de la Seine. Mais le personnageabsent fournit le centre à partir duquel estconstruit le paysage. Les deux droites verticalesdes bras sont entourées de cercles, figurant les re-mous autour du corps de la fillette, qui structurenttoute l’image. Le traitement de l’espace parisien et la place despaysages accentuent l’effet produit par le récit elliptique et le texte rimé. L’évocation, par lesmots comme par les images, l’emporte sur la nar-ration. Dans cette perspective, des leitmotive,verbaux et visuels, renforcent l’unité de la série.

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↘Le Sauvetage de Madeleine(Madeline’s Rescue), LudwigBemelmans, L’École des loisirs.

↖Madeleine (Madeline), Ludwig Bemelmans,

L’École des loisirs.

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↘Le Sauvetage de Madeleine(Madeline’s Rescue), LudwigBemelmans, L’École des loisirs.

↖Madeleine (Madeline), Ludwig Bemelmans,

L’École des loisirs.

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Ils confèrent un caractère familier et poétique àl’univers de la série. Parmi les lieux parisiens, laTour Eiffel et Notre-Dame reviennent d’une illus-tration à l’autre. L’Opéra, la place Vendôme, lesInvalides, le Luxembourg et son palais, le Sacré-Cœur, les Tuileries et le Louvre, l’Institut deFrance, les Halles, Saint-Germain-des-Prés, laplace de la Concorde, la gare Saint-Lazare com-plètent la liste des sites représentés et montrentque l’originalité de l’artiste ne réside pas dans lechoix de ses sujets. Le Paris de Madeline est com-posé d’une mosaïque de lieux prestigieux vus desÉtats-Unis, d’autant plus facilement identifiablesque des sommaires les situent dans Madeline etMadeline and the Gypsies. Ce Paris de carte postale etde dépliant touristique est un lieu commun desécrans américains à l’époque où paraît la série.Madeline paraît à la fin des années 1930, une dé-cennie qui a coïncidé avec le premier âge d’or duParis de la Paramount et de la MGM. Les volumessuivants sont publiés au cours des années 1950 oùla capitale française triomphe à Hollywood à lasuite du succès d’Un Américain à Paris (1951) de Vincente Minnelli. Les albums de Bemelmans, lesfilms d’Ernst Lubitsch, de Billy Wilder, deux autresémigrés européens, et de Stanley Donen dressentla même cartographie de l’espace parisien. Sur lespages de la série pour enfants comme à l’écrandéfilent l’Opéra, les places Vendôme et de laConcorde, les structures métalliques des gares, leséventaires des Halles et du marché aux fleurs, laSeine et ses péniches ainsi que la Tour Eiffel. Bemelmans installe son pensionnat aux murs recouverts de vigne au pied de cette icône pari-sienne.

PARIS, UNE ŒUVRE D’ART S’il montre Paris à partir d’une sélection de topoï,le créateur de Madeline a pourtant arpenté les ruesde la capitale française. Son inspiration se nourritde souvenirs personnels. À cet égard, la genèse deMadeline est comparable à celle de Hansi (1934) et deThe Golden Basket (1937). Hansi prend pour cadre leTyrol autrichien où l’auteur a passé les premièresannées de sa vie. The Golden Basket, les rues deBruges découverte lors d’un voyage sur le conti-nent. De même, Madeline s’inscrit dans le prolon-

gement du séjour parisien de 1938. De plus, de1953 à 1957, le dessinateur s’est installé en France,près de Notre-Dame puis à Ville-d’Avray. Tout ens’appuyant sur une véritable connaissance d’uneville où il vécu, Bemelmans place son évocation deParis sous le signe du déjà vu et il choisit la styli-sation contre le réalisme. Son trait reconstruit librement la ville et ses perspectives. L’illustrationde Madeline’s Rescue qui représente Notre-Dame depuis la rive droite de la Seine, en contrebas dupont des Arts, en offre un exemple. En faisant dis-paraître la place Dauphine et le palais de Justice qui,dans la réalité, cachent complètement la cathé-drale depuis ce point de vue, Bemelmans interprètede manière personnelle le paysage parisien.Plus généralement, il fait surgir l’insolite dans leslieux qu’il dessine. Les oiseaux dans les allées desTuileries, les chiens sur le parvis de Notre-Dameet à Montmartre dans trois paysages du premiervolume s’inscrivent dans le cadre d’une réalité aisé-ment observable. Mais, dans Madeline’s Rescue, lesanimaux métamorphosent véritablement la ville.Cette transformation, amorcée par l’escargotd’une enseigne célèbre que l’illustrateur déplacepour la disposer dans l’échancrure d’un pavillonBaltard et par les statues canines dont il décore les monuments funéraires du Père-Lachaise, culmine dans l’une des illustrations en doublepage de l’album. Cette image rassemble dans lesjardins du Luxembourg une foule, amusante etsurprenante, de chiens de toutes les races qui ani-ment le paysage, en font éclater la perspective etrenouvellent la vision du lieu montré sous unangle presque onirique.La représentation de Paris relève d’un processusde sublimation qui dit la fascination esthétiqueexercée par la ville et l’ambition artistique du des-sinateur. Comme M. Defourny l’a déjà remarqué,Paris est un « espace scénique » où Bemelmansmet en scène, de manière « chorégraphique »,douze fillettes qui font « le même geste ou adoptentla même position, en un ensemble parfait ». Les deux premières vues de Paris dans Madelineinstallent cette théâtralité de la ville. La premièremontre une femme élégante donnant une frian-dise à un cheval, richement harnaché, devantl’Opéra Garnier. La seconde, en regard, un gen-darme à la poursuite d’un voleur de bijoux place

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Vendôme. « They smiled at the good. And frownedat the bad », commente le texte en soulignant lejugement des fillettes sur ces scènes antithétiques.Mais le rapport entre les images n’est pas seule-ment régi par le manichéisme. Sur la première il-lustration, le dessinateur déplace le spectacle àl’extérieur du bâtiment qui a pour vocation del’abriter. Les deux rangées de petites spectatricessouriantes, sur la droite de l’image, transformentla femme élégante en personnage d’une représen-tation donnée au pied même de l’Opéra. Le chevalattelé, anachronique et étrange, renforce la théâ-tralité de la scène. La vue de l’Opéra brouille ainsi les frontières entrela scène et la ville, entre le spectacle et de la vie,entre le rêve et la réalité. Dans la continuité decette image, la vue de la place Vendôme reproduitle dispositif du double rang de spectatrices regar-dant, depuis la gauche de l’image cette fois, le vo-leur et le gendarme, sur une place circulaire quiévoque un théâtre à l’italienne. Dans Paris où lequotidien devient spectacle, les petites specta-trices entrent en scène à leur tour. Devant leSacré-Cœur qui se dessine dans un halo neigeux,Bemelmans transforme Miss Clavel et ses douzeélèves en autant de gracieuses patineuses qui exé-cutent des arabesques sous les regards attentifsd’un homme et de son chien. Il reprendra cethème du ballet sur la glace, imaginé dès le pre-mier volume, dans Madeline and the Bad Hat où lechenapan qui donne son titre à l’album introduitune note burlesque. Il invente ainsi une ville où l’art sublime la vie.Paris, espace scénique, a aussi inspiré une vasteiconographie et d’innombrables tableaux. Danscette perspective, les paysages de Madelinecontiennent différentes citations. En reprenantdes sujets identiques d’un album à l’autre, en ap-portant une attention particulière aux effets pro-duits par les variations de la lumière et par lesconditions météorologiques, le dessinateuradapte à son univers le principe sériel de ClaudeMonet réalisant des successions de toiles de lagare Saint-Lazare et de la cathédrale de Rouensous des angles ou des éclairages variés.

LA GUERRE AU PAYS DES CONTES Les couleurs passées des paysages des deux pre-miers albums sont celles de la nostalgie. Dans Madeline, paru juste avant le début de la SecondeGuerre mondiale, le dessinateur fixe un Paris quiva disparaître. Dans les années 1950, quand iltransforme son album isolé en volume d’une série,il n’enregistre pas les bouleversements du conflit, niles mutations de l’après-guerre. Dans la continuitédu premier album, il représente le Paris, désormaisrévolu, de l’entre-deux-guerres. L’avion de lignequi survole les remparts médiévaux de Carcas-sonne sur l’une des vues de Madeline and the Gypsiesfait ainsi figure d’élément anachronique. Ce sym-bole du progrès des transports est en décalage parrapport au territoire français figé par le dessina-teur dans un temps disparu. Enclave sublimée, et comme hors du temps à cer-tains égards, le Paris de Madeline abrite, pourtant, destraces des conflits qui ont endeuillé le XXe siècle.Juste après l’Opéra et la place Vendôme, le lecteurde Madeline découvre les Invalides en noir et blancsur fond jaune. La statue de Napoléon que le des-sinateur place au pied du dôme rappelle que le lieuest associé à la gloire de l’armée française et auculte impérial. Mais l’héroïsme militaire n’inté-resse pas Miss Clavel et ses élèves. Tournant le dosà la statue, celles-ci regardent un soldat blessé sur leparvis. « And sometimes they were very sad », com-mente le texte. Le soldat souligne, de manièreédulcorée puisque sa blessure se réduit à unejambe bandée, le coût humain de la guerre. Dansle contexte de 1939, il renvoie à des conflits bienplus proches que les guerres napoléoniennes. Ilrappelle la Grande Guerre et ses millions de muti-lés. Il évoque la guerre d’Espagne à laquelle faisaitdéjà penser The Story of Ferdinand (1936) de RobertLawson et de Munro Leaf, qui a signé Noodle avecBemelmans en 1937. Il annonce la guerre à venirdont les prétentions territoriales d’Hitler et deMussolini constituent les inquiétants prodromesau moment où le dessinateur conçoit Madeline. Leblessé de l’hôtel des Invalides introduit ainsi unenote funèbre dans un décor idéalisé. Cette déplo-ration humaniste des conséquences de la guerreest consensuelle, à la fois, dans l’univers de la lit-térature d’enfance et dans le contexte de l’Amé-

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Petite bibliographie des titres cités publiés en français

Ludwig Bemelmans : Madeleine (Madeline), Cocorico, 1954 (Un petit livre d’or ; 85). épuisé L’École des loisirs, 1985 (Lutin poche). Le Sauvetage de Madeleine (Madeline’s Rescue), L’École des loisirs, 1986 (Lutin poche). Le Noël de Madeleine (Madeline’s Christmas), L’École des loisirs, 1987 (Lutin poche). Madeline et le chenapan (Madeline and the Bad Hat), Circonflexe, 1993, (Aux couleurs du temps). épuiséMadeleine et les Bohémiens (Madeline and the Gypsies), L’École des loisirs, 1999.

Robert Lawson, Munro Leaf : Ferdinand, L’École des loisirs, 1979 (Renard Poche). épuisé

Margret et Augusto Rey : Le Grand livre de Georges le petit curieux, Gallimard Jeunesse, 2007. (Premières éditions française chez Mango en 1999 : plusieurstitres en version séparées)

Kay Thompson, ill. Hilary Knight : Eloïse à Paris, Pont Royal, 1962 épuisé Gallimard Jeunesse, 2007.

rique isolationniste de 1939. Elle fait écho à TheStory of Ferdinand, l’histoire d’un taureau contem-platif, qui a été lu, avant et après la Seconde Guerremondiale, comme un livre prônant la paix. Le souvenir de la guerre et le pacifisme reviennentdans Madeline’s Rescue. Dans ce volume, Miss Clavelet ses élèves cherchent leur chien disparu à traversParis, de la rue Lepic à Saint-Germain-des-Prés, enpassant par les Halles et par le Père-Lachaise. Aupremier plan du cimetière, le dessinateur a placéune tombe, surmontée d’un chien, avec l’inscrip-tion « À perpétuité. Barbusse ». Il a inventé la sculp-ture funéraire et l’épitaphe qui rend hommage àl’auteur du Feu. Prix Goncourt 1916, traduit dès 1917aux États-Unis sous le titre Under Fire, le roman deBarbusse raconte la guerre à hauteur des tran-chées. Les paysages dévastés de la ligne de front seprofilent ainsi derrière le décor parisien sublimé.De plus, Le Feu s’achève sur une dénonciation de laguerre que Barbusse prolongera par un engage-ment pacifiste après l’armistice. Mais la série n’est pas mélancolique. Bemelmansintroduit de l’humour sur ses illustrations et seshistoires, où la vie triomphe de la mort et de la des-truction, sont portées par l’optimisme. Au Père-Lachaise, Miss Clavel et les fillettes ont croisé lesouvenir des soldats de la Grande Guerre, matéria-lisé par la tombe de Barbusse. Leur quête prend finavec le retour du chien qui donne naissance à deschiots. Madeline and the Bad Hat est construit surcette succession de la mort et de la vie. L’album eststructuré par la spectaculaire conversion du che-napan du titre.

Ce mauvais garçon consterne ses petites voisinesen mangeant et en torturant les animaux. QuandMiss Clavel, éducatrice bienveillante persuadée dela bonté des enfants, lui offre une boîte à outils, ils’empresse de construire une machine pour tuerles poulets. « He built himself a GUILLOTINE ! »,explique le texte au-dessous de l’image. La guillotine et la nationalité espagnole du che-napan évoquent la Terreur et l’Inquisition. Par lebiais de ces époques, terribles mais lointaines,Bemelmans reprend la question plus actuelle qu’ilabordait dans des reportages destinés aux adultes.Après la Seconde Guerre mondiale, il a voyagé àtravers l’Europe, réalisant des articles et des des-sins publiés en volume sous le titre The Best of Times(1948). Dans la préface de ce recueil, il écrit  : « I don’t believe there is such a thing as a "badpeople". There are in my opinion only misguidedpeople and rotten government ». Dix ans plus tard,il transpose dans un livre pour enfants cette « opi-nion » inspirée par un contexte historique tragique.Dans l’album, le chenapan est sauvé par ses voisinesd’un danger auquel l’avait exposé sa méchanceté etchange d’attitude. Désormais repenti, l’ancienconstructeur de guillotine devient végétarien. Bemelmans a inventé un univers personnel et ori-ginal en construisant un album pour la jeunesse,non seulement sur la narration des aventures d’unpersonnage, mais sur l’évocation poétique deParis. Dans cet espace sublimé, il inscrit les cica-trices de l’Histoire pour mieux affirmer sa foi dansla puissance de la vie et dans la possibilité de trans-mettre des valeurs humanistes.●

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