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720 SYNTHÈSE médecine/sciences 2001 ; 17 : 720-9 m/s n° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001 L e paludisme reste un pro- blème majeur de santé publique. Les derniers rap- ports de l’Organisation Mon- diale de la Santé (OMS) indi- quent que près d’un milliard de personnes dans le monde sont por- teuses du parasite causal, Plasmodium spp. Chaque année, le parasite cause environ 500 millions d’épisodes fébriles et entraîne la mort de près de trois millions d’individus, le plus souvent des enfants âgés de moins de cinq ans. Plus du tiers de la popula- tion mondiale est à risque, et, dans la majorité des régions infestées, le parasite a développé des mécanismes de résistance à la plupart des médica- ments disponibles [1]. Plasmodium est un protozoaire, euca- ryote unicellulaire. Parmi les cen- taines d’espèces de Plasmodium décrites, quatre infectent l’homme dont une seule, Plasmodium falcipa- rum, peut entraîner la mort. La vie de Plasmodium est un cycle qui se déroule chez deux hôtes, un hôte vertébré et un moustique du genre anophèle (figure 1). Chez l’hôte verté- bré, seule l’infection des érythrocytes est symptomatique. Les symptômes, les classiques accès fébriles et l’ané- mie, sont dus avant tout aux cycles répétés de pénétration-multiplica- L’impact de la génétique inverse dans l’étude de la biologie de Plasmodium et de la physiopathologie du paludisme L’étude de Plasmodium, le parasite responsable du palu- disme, a été limitée dans le passé par la complexité de son cycle biologique et la rareté des outils, en particulier géné- tiques. Au cours de ces dernières années, des techniques de génétique inverse, qui permettent de manipuler les gènes et d’étudier la fonction de leur produit, ont été développées. Ces techniques arrivent au moment où la séquence du génome de l’espèce la plus pathogène pour l’homme est déjà presque entièrement connue, et où débute le séquençage du génome d’espèces plasmodiales modèles. Ces avancées tech- nologiques promettent d’avoir un impact rapide sur notre compréhension de la physiopathologie du paludisme. ADRESSES R. Ménard : Laboratoire de biologie et génétique du paludisme, Institut Pasteur, 28, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris Cedex 15, France. e-mail : rmenard@pas- teur.fr. A. Scherf : Unité de biologie des interactions hôte-parasite, Institut Pasteur, 28, rue du Docteur-Roux, 75724 Paris Cedex 15, France. Robert Ménard Artur Scherf TIRÉS À PART R. Ménard.

L’impact de la génétique inverse dans l’étude de la

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SYNTHÈSEmédecine/sciences 2001 ; 17 : 720-9

m/s n° 6-7, vol. 17, juin-juillet 2001

Le paludisme reste un pro-blème majeur de santépublique. Les derniers rap-ports de l’Organisation Mon-diale de la Santé (OMS) indi-

quent que près d’un milliard depersonnes dans le monde sont por-teuses du parasite causal, Plasmodiumspp. Chaque année, le parasite causeenviron 500 millions d’épisodesfébriles et entraîne la mort de prèsde trois millions d’individus, le plussouvent des enfants âgés de moins decinq ans. Plus du tiers de la popula-tion mondiale est à risque, et, dans lamajorité des régions infestées, leparasite a développé des mécanismes

de résistance à la plupart des médica-ments disponibles [1]. Plasmodium est un protozoaire, euca-ryote unicellulaire. Parmi les cen-taines d’espèces de Plasmodiumdécrites, quatre infectent l’hommedont une seule, Plasmodium falcipa-rum, peut entraîner la mort. La vie dePlasmodium est un cycle qui sedéroule chez deux hôtes, un hôtevertébré et un moustique du genreanophèle (figure 1). Chez l’hôte verté-bré, seule l’infection des érythrocytesest symptomatique. Les symptômes,les classiques accès fébriles et l’ané-mie, sont dus avant tout aux cyclesrépétés de pénétration-multiplica-

L’impact de la génétiqueinverse dans l’étudede la biologiede Plasmodiumet de la physiopathologiedu paludisme

L’étude de Plasmodium, le parasite responsable du palu-disme, a été limitée dans le passé par la complexité de soncycle biologique et la rareté des outils, en particulier géné-tiques. Au cours de ces dernières années, des techniques degénétique inverse, qui permettent de manipuler les gènes etd’étudier la fonction de leur produit, ont été développées.Ces techniques arrivent au moment où la séquence dugénome de l’espèce la plus pathogène pour l’homme est déjàpresque entièrement connue, et où débute le séquençage dugénome d’espèces plasmodiales modèles. Ces avancées tech-nologiques promettent d’avoir un impact rapide sur notrecompréhension de la physiopathologie du paludisme.

ADRESSESR. Ménard : Laboratoire de biologie etgénétique du paludisme, Institut Pasteur,28, rue du Docteur-Roux, 75724 ParisCedex 15, France. e-mail : [email protected]. A. Scherf : Unité de biologie desinteractions hôte-parasite, Institut Pasteur,28, rue du Docteur-Roux, 75724 ParisCedex 15, France.

Robert MénardArtur Scherf

TIRÉS À PARTR. Ménard.

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tion-libération des parasites (cyclesde 24 à 72 heures selon les espèces),et à la lyse érythrocytaire qu’ilsentraînent. La plupart des complica-tions aiguës, en particulier le palu-disme cérébral, sont dues à la modifi-cation de l’adhérence des

érythrocytes infectés aux cellulesendothéliales des veinules post-capil-laires. L’interaction complexe entrele parasite et l’érythrocyte est doncnaturellement au centre de la plu-part des travaux de recherche sur lepaludisme.

Le cycle de vie du parasite l’amène àinteragir avec d’autres types cellu-laires chez les deux hôtes (figure 1). Achaque cycle érythrocytaire, une par-tie des parasites cessent de se multi-plier en se transformant en formessexuées intra-érythrocytaires, quiseront ingérées par un moustique aucours d’un repas de sang. Les zygotesformés dans la lumière digestive dumoustique doivent alors rapidementtraverser l’épithélium intestinal pourproduire de nouvelles formes parasi-taires, les sporozoïtes, dans l’hémo-cœle (cavité) du moustique. Les spo-rozoïtes doivent ensuite traverser lesglandes salivaires du moustique, et,après transmission à un nouvel hôtevertébré, envahir les hépatocytes.Dans ces cellules sont formées denouvelles formes du parasite, lesmérozoïtes, qui seront relâchés etinfecteront les érythrocytes. Achaque phase du cycle, le parasiteprend une forme caractéristique etexprime à sa surface des produitsspécifiques, adaptés à la prochaineinteraction avec l’hôte.

Une nouvelle èredans l’étudede la biologie du parasite

Notre compréhension des interac-tions hôte-Plasmodium à un niveaumoléculaire reste très limitée.Jusqu’au milieu des années 1990,seul un petit nombre de protéinesparasitaires avaient été identifiées.Celles-ci étaient essentiellement desproduits exprimés pendant la phasesanguine du cycle, la seule phase quiengendre de grandes quantités deparasites et se prête à une étude invitro aisée [2]. Une dizaine de pro-duits de stades sanguins du parasiteont été largement étudiés, aux plansépidémiologique, biochimique etsurtout vaccinal. Malgré la quantitéde données accumulées sur ces pro-duits, leur fonction restait toutefoisle plus souvent mal comprise, n’ayantpu être approchée que de façon indi-recte (par immunomarquages et testsd’inhibition à l’aide d‘anticorps oude peptides). Lors des cinq dernières années, desavancées technologiques majeuresont considérablement élargi les possi-bilités d’investigation sur la biologiedu parasite. D’une part, l’améliora-tion des techniques de clonage de

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Figure 1. Cycle de vie de Plasmodium. Le cycle du parasite se déroule chezdeux hôtes: un hôte définitif, un moustique du genre anophèle, et un hôteintermédiaire, un vertébré. Au cours de ce cycle, le parasite prend de nom-breuses formes. Les mérozoïtes envahissent les érythrocytes (1) et se multi-plient en 10 à 20 nouveaux mérozoïtes (2); chacun des mérozoïtes produits,après libération dans le courant circulatoire (3), peut alors infecter un nouvelérythrocyte (cycle de réplication asexué). À chaque cycle érythrocytaire, uneproportion des parasites intra-érythrocytaires se différencient en formessexuées, ou gamétocytes (4), qui ne poursuivront leur développement qu’unefois ingérées par un moustique au cours d’un repas sanguin. Dans l’intestin dumoustique, les gamétocytes sont libérés, se différencient en gamètes (5) etfusionnent en un zygote diploïde (6). Celui-ci se transforme rapidement en unookinète (7). L’ookinète traverse alors la matrice péritrophique et l’épithéliumdu mésentéron du moustique pour s’installer entre la couche de cellules épi-théliales et la lame basale, et se transforme en un oocyste (8). La maturationd’un oocyste engendre, au bout de 5 à 10 jours, 5000 à 10000 sporozoïteshaploïdes. Ceux-ci sont libérés (9) dans l’hémocœle du moustique puis trans-portés jusqu’aux glandes salivaires par l’hémolymphe, le fluide qui baignel’hémocœle. Les sporozoïtes traversent les cellules acinaires des glandes sali-vaires puis le canal salivaire (10), et peuvent alors être injectés à un nouvel hôtevertébré au cours du prochain repas sanguin. Lorsqu’un moustique infectéprend son repas sanguin sur un hôte vertébré, quelques dizaines de sporo-zoïtes sont injectés puis rapidement captés par le foie. Les sporozoïtes pénè-trent dans les hépatocytes (11), et s’y multiplient (pendant 48 h à 1 semaineselon l’espèce plasmodiale) en des dizaines de milliers de mérozoïtes. Ceux-cisont relâchés (12) par les hépatocytes, puis infectent les érythrocytes (1).

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l’ADN de Plasmodium (dont larichesse moyenne en AT est de 80 %et approche 100 % sur de longs seg-ments), et de son séquençage (parshotgun), ont déjà permis la publica-tion de la séquence de 2 des 14 chro-mosomes de P. falciparum [3, 4]. Leséquençage des 12 autres chromo-somes est bien avancé, et près de90 % des séquences codantes de ceparasite (génome de 30 mégabases)sont déjà disponibles dans les basesde données. De nombreux projets deséquençage de fragments d‘ADNcont été entrepris chez diversesespèces et à divers stades de Plasmo-dium, et il est prévu que le génomed’au moins une ou deux autresespèces de Plasmodium soit séquencéen totalité. Par ailleurs, les premierssuccès de transfection de Plasmodiumont été obtenus en 1995, chez P. fal-ciparum [5] puis chez P. berghei [6],une espèce qui infecte les rongeursde laboratoire et constitue le modèled’étude de choix des stades sporo-zoïtes et intrahépatocytaires du para-site. Les premières démonstrationsde recombinaison homologue ontrapidement suivi [7, 8], ouvrant lavoie à la création de mutations diri-gées chez les deux espèces [9, 10]. Ilest donc maintenant possible d’envi-sager une étude fonctionnelle dugénome plasmodial, et une étudemoléculaire de la physiopathologiedu paludisme.

Plasmodium : un contexte génétiquefavorable pour la génétique inverse

La démarche de génétique inversepart d’un gène d’intérêt pour aboutirà la fonction de son produit. Elles’oppose à la démarche de génétiqueclassique, qui part d’un phénotyped’intérêt pour remonter aux gènesqui le codent. La technique de choixpour caractériser la fonction in vivod’une protéine est l’inactivation dugène correspondant par intégrationdirigée d’ADN transformant dans legène cible (figure 2A, 2B). Chez Plas-modium, comme chez d’autres euca-ryotes unicellulaires tels que la levure,l’intégration d’ADN transformant sur-vient exclusivement par recombinai-son homologue, ce qui facilite consi-dérablement le clonage des mutantsd’intérêt. Puisque Plasmodium esthaploïde et que la plupart de sesgènes sont présents en copie unique

dans le génome, un seul événementde recombinaison homologue peutdonc produire un clone dépourvud’une protéine d’intérêt. Sur le plan technique, seuls les stadessanguins de Plasmodium peuvent êtretransfectés (Tableau I). Cela impliqueque les recombinants ne peuvent êtresélectionnés que si leur capacitéd’envahir et de se multiplier dans lesérythrocytes reste intacte. L’inactiva-tion des gènes impliqués dans ces évé-nements est donc impossible. Enrevanche, les gènes exprimés unique-ment aux stades non érythrocytaires duparasite, même essentiels, peuvent êtreinactivés et leur phénotype analysé.

Figure 2. Inactivation (A et B) et modification (C et D) d’un gène par recom-binaison homologue. La séquence codante du gène cible est représentée parune boîte, le promoteur par une flèche, les séquences 3’ nécessaires à sonexpression par une ellipse, la cassette de résistance par une boîte sombre,les régions homologues par des lignes épaisses, et les événements de cros-sing over entre régions homologues par des croix. A. Inactivation d’un gèneà l’aide d’un plasmide d’insertion. La linéarisation du plasmide dans larégion d’homologie (fragment interne du gène) favorise l’intégration du plas-mide dans le locus cible par simple crossing over. Le locus final comportedeux copies tronquées du gène cible. B. Inactivation d’un gène à l’aide d’unplasmide de remplacement. Après coupure aux extrémités distales desrégions d’homologie dans le plasmide, un double crossing over remplace legène sauvage par la copie mutagénisée (échange allélique). C. Modificationd’un gène à l’aide d’un plasmide d’insertion. Si le plasmide est linéarisé dansla région d’homologie en amont de la mutation (L), le locus final contient unecopie du gène qui est de pleine longueur, modifiée et exprimée, et uneseconde copie qui est tronquée et non exprimée. D. Modification d’un gèneà l’aide d’un plasmide de remplacement. Après coupure aux extrémités dis-tales des régions d’homologie dans le plasmide, un double crossing overpermet l’échange de la copie sauvage du gène par la copie modifiée.

Génétique inverseet stadesnon érythrocytairesdu parasite

Oocyste et formation des sporozoïtes

La première protéine identifiée chezPlasmodium fut la protéine circum-sporozoïte (CS) [11]. CS est la pro-téine majoritaire de surface des spo-rozoïtes, la forme parasitaire quienvahit les glandes salivaires dumoustique, puis les hépatocytes dumammifère. Depuis les premièresdémonstrations que des anticorpsdirigés contre la protéine CS peuvent

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inhiber l’entrée des sporozoïtes dansles hépatocytes, chez le rongeur etchez l’homme [12, 13], la plupartdes études sur la protéine ontconcerné son pouvoir vaccinant. Denombreuses études fonctionnellessur la protéine CS ont montré qu‘elleest impliquée dans l’adhérence dessporozoïtes aux glandes salivaires dumoustique via sa région amino-termi-nale [14], et aux héparane sulfateprotéoglycanes (HSPG) des hépato-cytes via sa région carboxy-terminale,un motif de type I de la thrombos-pondine (M1T) [15].L’effet de l’inactivation du gène CS,obtenue chez P. berghei, fut une sur-prise : les parasites CS(–), au lieud’engendrer comme attendu des spo-rozoïtes dépourvus de CS, ne produi-sent pas de sporozoïte [9]. Chez lasouche sauvage, les sporozoïtes sontformés par bourgeonnement à lapériphérie d’une forme large et mul-tinucléée du parasite, l’oocyste,située dans la paroi de l’intestin dumoustique (figure 1). CS est expriméeà la surface de l’oocyste et détermineles points de bourgeonnement des

sporozoïtes. En l’absence de CS, lebourgeonnement est anarchique etl’oocyste dégénère. Cet exemplemontre bien la puissance del’approche génétique, en révélantune fonction de la protéine qui avaitéchappé pendant des années auxinvestigations reposant sur desapproches indirectes. Toutefois, lasimple inactivation du gène a aussises limites. Si le produit, comme CS,a plus d’une fonction importante aucours du cycle, l’inactivation du gènene renseigne que sur la premièrefonction (après le cycle érythrocy-taire). Il est clair que l’analyse com-plète des produits de Plasmodium,dont une fraction est probablementexprimée à plusieurs stades du para-site, nécessite la mise au point de sys-tèmes de mutagenèse conditionnelle.

Mobilité en glissantet pouvoir invasif des sporozoïtes

Les sporozoïtes de Plasmodium (figure3A) expriment deux phénotypes quisont communs et uniques aux stadesinvasifs de parasites du phylum des

Tableau I. Modèles d’étude génétique chez Plasmodium.

1. L’ADN linéarisé n’engendre pas de recombinants ; l’ADN circulaire ne permet l’isolement derecombinants (intégration dans le génome) qu’après de longs protocoles de sélection.2. L’ADN circulaire permet d’obtenir des parasites portant des épisomes ; l’ADN linéarisé permet lasélection rapide de recombinants (intégration dans le génome).3. Adhérence entre les érythrocytes infectés et cellules endothéliales.

Espèce P. falciparum P. berghei

Hôte Homme Rongeurs

Stades transfectés Stades intra-érythrocytaires MérozoïtesADN transformant Circulaire1 Circulaire, linéaire2

Cycle intra-érythrocytaire 48 h 24 hSélection des recombinants In vitro In vivoTemps de sélection d’un clone ~ 4-6 mois ~ 4 semaines

Simple crossover + +Double crossover – +

Cycle érythrocytaire in vitro + –Cycle érythrocytaire in vivo – +Adhérence EI-CE3 + –Stades infectant le moustique +/– +Infection hépatocytaire in vitro + +Infection hépatique in vivo – +

Transfection

Manipulations du génome

Analyse phénotypique

apicomplexes (le plus important desprotozoaires). Ils sont capables depénétrer dans une cellule hôte enl’espace de quelques secondes par unmécanisme locomoteur (figure 3B) etde se déplacer en glissant sur toutsubstrat solide (figure 3C). Pendantcette mobilité en glissant (glidingmotility), la cellule apicomplexe nechange pas de forme et peutatteindre des vitesses considérables(10 µm/s). Une cellule animale ouun protozoaire amœboïde se dépla-cent au contraire en rampant (craw-ling motility), un type de mobilité quimet en jeu la formation continuellede projections membranaires àl’avant de la cellule et des vitessesmoindres (0,001 µm/s pour un fibro-blaste, et 1 µm/s pour la plus rapidedes amibes). Mobilité en glissant etinvasion cellulaire par les apicom-plexes, cellules allongées et haute-ment polarisées, résultent d’un pro-cessus de capping antéro-postérieurde protéines de surface [16]. Desproduits sont d’abord sécrétés sur lasurface du pôle antérieur du parasite,à partir de vésicules cytoplasmiquesspécialisées (voir légende de la figure3A), et s’attachent au substrat ou à lasurface cellulaire. Ils sont ensuitetransloqués jusqu’au pôle postérieurdu parasite, poussant ainsi le parasiteen avant sur le substrat ou dans unevacuole intracellulaire (figure 3B). Sur le plan moléculaire, on sait queces deux processus dépendent del’actine du parasite [17]. Le lienentre la polymérisation d’actine para-sitaire et le mouvement rétrogradedes interactions de surface reste obs-cur, mais implique probablement unmoteur de type myosine. Un nouvellepièce du puzzle est venue de l’ana-lyse de TRAP (thrombospondin-relatedanonymous protein [18]), une protéinetransmembranaire de surface du spo-rozoïte plasmodial et sécrétée à sonpôle antérieur. Son domaine extra-cellulaire contient deux modulesd’adhérence aux cellules ou à lamatrice extracellulaire : un moduleM1T, similaire à celui de la protéineCS, et un domaine A du facteur vonWillebrand (ou domaine I de nom-breuses chaînes α d’intégrines). Laplupart des études sur TRAP avaientconclu, comme pour CS, à son rôledans le pouvoir d’adhérence des spo-rozoïtes aux cellules cibles [19]. Làencore, l’inactivation du gène a

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révélé une fonction différente duproduit : TRAP n’intervient pas dansle pouvoir d’adhérence des sporo-zoïtes, mais est essentielle à leur pou-voir invasif dans les glandes salivairesdu moustique et les hépatocytes durongeur ainsi qu’à leur mobilité englissant [20]. TRAP se présente donccomme un bon candidat pour lier lemoteur cytoplasmique et les interac-tions extracellulaires au cours de lamobilité et de l‘invasion cellulairedes sporozoïtes. La mise au point de techniques demutagenèse subtile chez P. berghei[21] (figures 2C, 2D) a permis deconfirmer cette hypothèse. La délé-tion de la partie cytoplasmique deTRAP abolit toute mobilité/invasiondes sporozoïtes, et des modificationsponctuelles dans sa partie distaletransforment le mouvement norma-lement circulaire des sporozoïtes en

un mouvement pendulaire (figure 3C)[22]. La mutagenèse du moduleM1T et du domaine A de TRAP arévélé que ces deux modules d’adhé-rence sont nécessaires au pouvoirinvasif des sporozoïtes, mais pas àleur mobilité. Ils forment un doublesystème d’ancrage à la surface de lacellule. Les pertes de fonction d’unseul domaine réduisent, mais n’abo-lissent pas, le pouvoir invasif des spo-rozoïtes (chez l’insecte comme chezla souris), alors que les pertes defonction des deux domaines abolis-sent le pouvoir invasif toujours sansaffecter la mobilité en glissant. Cedouble système d’adhérence à la cel-lule apparaît donc comme le ligandmajeur, et peut-être exclusif, de lajonction sur laquelle le parasiteexerce une force pour se propulserdans la cellule (figure 3D). Ce doubleligand assure l’entrée dans toute cel-

lule cible, in vivo chez l’insecte et lerongeur, et in vitro quelle que soit lalignée.Des protéines apparentées à TRAPont été décrites chez de nombreuxparasites apicomplexes, en particu-lier Toxoplasma et Cryptosporidium, res-ponsables d’infections sévères chez lesujet immunodéprimé et le chez lenouveau-né. Elles portent une partiecytoplasmique de longueur sem-blable mais sans similarité deséquence, et des domaines extracel-lulaires portant divers arrangementsde M1T et de domaines A. Deuxarguments issus de la génétiqueinverse confirment que ces protéinessont des homologues fonctionnels deTRAP : (1) l’homologue chez le stadeookinète de Plasmodium, la protéineCTRP, est nécessaire à la mobilité desookinètes et à leur transformation enoocystes (qui nécessite la traversée de

Figure 3. Mobilité en glissant et invasion cellulaire des sporozoïtes. A. Structure d’un sporozoïte de Plasmodium. Lesporozoïte possède les propriétés structurales typiques des stades invasifs d’apicomplexes : c’est une cellule allon-gée (~ 10 µm de longueur) et polarisée, dont le pôle antérieur contient des vésicules sécrétoires appelées rhoptries(allongées) ou micronèmes (circulaires) qui sécrètent leur contenu à l’extrémité antérieure du parasite par un finconduit. B. Invasion d’un sporozoïte dans une cellule hôte. Le sporozoïte forme une jonction entre son pôle antérieuret la surface de la cellule, qui est progressivement transloquée jusqu’à l’extrémité postérieure du parasite. Puisquela jonction est fixe, c’est le parasite qui est poussé dans la cellule à l’intérieur d’une vacuole parasitophore. La péné-tration dépend d’une dynamique de l’actine du parasite, mais pas (ou peu) de la cellule hôte qui reste apparemmentpassive pendant l’entrée du parasite. C. Représentation schématique de la protéine TRAP et rôle dans la mobilité englissant. TRAP possède un domaine extracellulaire qui comporte un domaine A de chaîne α d’intégrine (Do-A) et unmotif de type 1 de la thrombospondine (M1T), et une partie cytoplasmique de ~ 50 résidus dont un tryptophane (W)carboxy-terminal. Sur une lame de verre, le sporozoïte glisse en décrivant un cercle toutes les 20 secondes (et enrelâchant continuellement la portion extracellulaire de TRAP sur le substrat). La modification du résidu tryptophanecarboxy-terminal de TRAP transforme le mouvement circulaire des sporozoïtes en un mouvement en pendule. Lemouvement en avant (0-10 secondes) correspond à la longueur du sporozoïte (1/3 de cercle), et à la translocation deTRAP de son pôle antérieur à son pôle postérieur ; puis le sporozoïte s’arrête, probablement par manque de clivagede TRAP, et le sporozoïte revient alors à sa position initiale, avant que le cycle ne se répète. D. Le M1T et le Do-A deTRAP forment le système d’ancrage du sporozoïte à la cellule cible pendant l’entrée. Le M1T se lie aux chaînes gly-cosaminoglycanes des héparane sulfates de la surface cellulaire (via des interactions ioniques), et le Do-A se lie à unrécepteur inconnu (liaison dépendant d’un ion divalent Mg2+ ou Mn2+). La force exercée par le système moteur cyto-plasmique (représenté par l’actine -lignes parrallèles- et une myosine) peut être transmise via la partie cytoplas-mique de TRAP à ces modules d’ancrage, permettant l’internalisation progressive du sporozoïte.

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l’épithélium intestinal du moustique)[23, 24] ; (2) l’homologue chez Toxo-plasma, MIC2, est une protéine quiest co-localisée avec la jonction para-site-cellule transloquée pendantl’invasion [25] ; son domaine cyto-plasmique est interchangeable aveccelui de TRAP pour la mobilité et lepouvoir invasif des sporozoïtes dePlasmodium [22]. Ces études de génétique inverse sug-gèrent donc que le moteur cytoplas-mique, un lien transmembranaire, etles ligands d’ancrage à la cellule sontconservés parmi les principaux api-complexes pathogènes pourl’homme. Les études futures diront siles apicomplexes utilisent des sys-tèmes moteurs acto-myosiniques dis-tincts de ceux des cellules de l’hôte.Si tel est le cas, ils pourraient alorsconstituer une cible thérapeutiquecontre ce groupe important de para-sites humains.

Génétique inverseet stades érythrocytairesdu parasite

Mérozoïte et invasiondes érythrocytes

L’entrée des mérozoïtes dans les éry-throcytes, phénomène aisémentobservable in vitro, est le processus ducycle parasitaire qui a été le plus étu-dié sur les plans cellulaire et biochi-mique [26]. Le mérozoïte adhèred’abord à l’érythrocyte d’une façonaléatoire (random collision), puiss’oriente pour que son pôle apical seretrouve perpendiculaire à la surfacede l’érythrocyte. La pénétration dumérozoïte dans une vacuole parasito-phore survient alors par transloca-tion typique d’une jonction serrée.De nombreuses molécules produitespar les mérozoïtes ont été identifiées.Certaines sont présentes à leur sur-face, comme MSP-1 (merozoite surfaceprotein I) [27] ; d’autres sont locali-sées dans les vésicules sécrétoires ducomplexe apical (voir la légende dela figure 3A), comme EBA-175 (erythro-cyte binding antigen 175) [28] et AMA-1 (apical membrane protein 1) [30].Dans la majorité des cas, des anti-corps dirigés contre ces protéinesaltèrent le pouvoir invasif des méro-zoïtes, faisant de beaucoup de cesprotéines des candidats vaccins visantà interrompre la phase érythrocytaire

du cycle. Au plan fonctionnel, la mul-tiplicité des protéines parasitairesapparemment impliquées dans l’inva-sion des érythrocytes, ainsi que ladiversité des voies d’invasion pos-sibles [30], contrastent avec la situa-tion décrite chez le sporozoïte.Dans les stades érythrocytaires, lesstades transfectables, l’inactivationd’un gène important est un événe-ment létal. Une étude systématique,chez P. falciparum, de gènes considé-rés comme importants pour l’inva-sion des mérozoïtes a confirmé quela plupart ne pouvaient pas être inac-tivés [31]. Dans le cas de MSP-1, leproduit est probablement essentielpuisque le gène ne peut être inactivéalors que des modifications du gènequi ne le détruisent pas sont pos-sibles [32]. Pourtant, l’absence desélection d’événement d’inactivationne constitue pas une démonstrationdu caractère essentiel du produit,surtout chez P. falciparum, chezlequel les événements de recombinai-son sont rares. Seules des techniquesd’inactivation conditionnelle (pro-moteur inductible couplé à la pro-duction d’ARN anti-sens, ou recom-binaison conditionnelle) pourrontprouver le caractère essentiel d’unproduit de mérozoïte, et surtout pré-ciser sa fonction.Dans certains cas, l’inactivation dugène n’a pas empêché la sélectiondes recombinants, et le produit n’estdonc pas essentiel. Par exemple, desparasites dépourvus de MSP-3, uneprotéine de surface des mérozoïtesqui semble être la cible d’anticorpscytophiles protecteurs [33], ont puêtre obtenus et leur phénotype nediffère pas de celui de la souche sau-vage [31]. De même, dans le cas de laprotéine EBA-175, qui se lie à la gly-cophorine A de la surface érythrocy-taire de façon dépendante de l’acidesialique [34], des mutants ont étéobtenus [35]. Ces mutants EBA-175(–) empruntent une voie d’inva-sion indépendante de l’acide sia-lique, peut-être via les produitsapparentés à EBA 175 dont l’exis-tence a été révélée par le séquençagedu génome de P. falciparum.Il est probable que ces études parinactivation, ainsi que les études àvenir de relations structure-fonctiondes protéines de mérozoïtes, aurontdes implications vaccinales impor-tantes. Par exemple, dans le cas

d’EBA-175 qui n’est pas essentielle àla survie des parasites, son utilisationcomme cible vaccinale pourrait favo-riser la sélection de parasites(viables) dépourvus de la cible. Dansle cas de MSP-1, la protéine est pro-bablement essentielle mais peut tolé-rer de grandes variations structurales(ou son échange par un homologued’une autre espèce) sans altérationde fonction [32], suggérant qu‘unvaccin anti-MSP-1 puisse favoriser lasélection de mutants d’échappement.Une stratégie vaccinale visant às’opposer à l’invasion des érythro-cytes par les mérozoïtes devra com-porter de nombreuses cibles vacci-nales, et les arguments issus de lagénétique inverse (conditionnelle ounon) seront certainement précieuxdans le choix de ces cibles.

Adhérence des érythrocytes infectésaux cellules endothélialesdes microvaisseaux :un processus complexe

Pendant la période de réplicationintra-érythrocytaire, le parasite modi-fie la cellule hôte. Tout d‘abord, lamembrane de l’érythrocyte infectédevient plus perméable à des méta-bolites de faible poids moléculaire,probablement pour faciliter la crois-sance puis la multiplication du para-site [36]. Surtout, le parasite modifieles propriétés d’adhérence des éry-throcytes infectés aux cellules endo-théliales des veinules post-capillaires,ce qui aboutit à la séquestration desparasites dans les tissus profonds. Cephénomène, qui a probablementévolué en réponse à la capacité de lapulpe rouge de la rate de l’hôte àdétruire les érythrocytes anormaux/infectés, est donc un facteur de sur-vie des parasites. La séquestrationentraîne des perturbations microcir-culatoires et des dysfonctionnementsmétaboliques qui sont considéréscomme directement responsables descomplications aiguës du paludisme,en particulier le paludisme cérébral. Une perturbation structuralemajeure de l’érythrocyte infecté est laformation de nombreuses petitesprotrusions denses aux électrons(knobs) à sa surface [37], qui permet-tent l’attachement de l’érythrocyteinfecté à la cellule endothéliale(figure 4). Plusieurs produits parasi-taires ont été localisés sous la mem-

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brane plasmique de ces protrusions,comme la protéine KAHRP (knob-associated histidine-rich protein), pro-

téine majoritaire, et les protéinesPfEMP2 et PfEMP3 (P. falciparum ery-throcyte membrane protein 2 et 3). Une

quatrième protéine des protrusions,PfEMP1, possède un domaine cyto-plasmique et un domaine extracellu-laire composé d’une mosaïque demotifs d’adhérence à divers récep-teurs de la cellule endothéliale (figure4). Il existe dans le génome de P. fal-ciparum une cinquantaine de gènesqui codent pour des protéinesPfEMP1, appelés var, dont la struc-ture générale est conservée maisdont l’agencement des motifs et lesspécificités d’adhérence sont dis-tincts (voir légende de la figure 4).Des anticorps spécifiques de variantspeuvent protéger l’hôte, mais lesparasites n’expriment qu’une pro-téine PfEMP1 à la fois et peuventspontanément en changer à chaquecycle schizogonique de réplication[38, 39]. Ce système de variation anti-génique, dont le mécanisme estinconnu mais est certainement diffé-rent de celui bien décrit des trypano-somes [40], permet au parasite demaintenir une infection chroniqueen dépit de la pression immune del’hôte. Pourtant, le rôle des protrusionsdans l’adhérence des érythrocytesinfectés aux cellules endothélialesn’est pas clair, puisque toutes lessouches parasitaires cultivées in vitroqui « cyto-adhèrent » n’engendrentpas de protrusions. L’inactivation dugène KAHRP [10] a montré : (1) queKHARP est nécessaire à la formationdes protrusions mais pas à l’expres-sion en surface de la protéinePfEMP1 ; et (2) que les protrusionsne sont nécessaires à la cytoadhé-rence (au récepteur CD36) que dansdes conditions de flux qui mimentcelles des veinules post-capillaires.Une fonction de KAHRP et de la pro-trusion pourrait donc être de stabili-ser la protéine PfEMP1, vraisembla-blement en permettant l’ancrage dela protéine au cytosquelette de l’éry-throcyte, pour une interaction solide.Les manipulations du gène PfEMP3[41] ont montré que l’absence de laprotéine n’affectait pas la formationde la protrusion, l’expression dePfEMP1 ou la cytoadhérence, maisque des portions tronquées de la pro-téine pouvaient abolir l’expressionen surface de PfEMP1 et la cytoadhé-rence. L’adhérence des érythrocytes infectéspar P. falciparum aux récepteursendothéliaux est un processus parti-

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Figure 4. Un érythrocyte infecté par P. falciparum et ses multiples voiesd’adhérence à l’endothélium vasculaire. A. Le parasite (P), limité par la mem-brane de la vacuole parasitophore qui s’étend en un réseau membranairetubulo-vésiculaire, entraîne la formation de protubérances à la surface del’érythrocyte qui jouent un rôle majeur dans la séquestration des érythro-cytes infectés dans la microcirculation profonde. B. Une protubérancecontient plusieurs types de protéines parasitaires, notamment PfEMP1-3 etKAHRP. Le domaine carboxy-terminal, cytoplasmique, de PfEMP1 estconservé et ancre probalement la protéine à KAHRP ainsi qu’à divers com-posants du cytosquelette de l’érythrocyte comme l’actine et la spectrine. C.Le domaine amino-terminal, extracellulaire, de PfEMP1 comporte desmodules d’adhérence dont la structure, le nombre, et l’arrangement diffèrentd’un variant à l’autre. Les deux modules de base sont nommés DBL (duffybinding-like domain, homologues aux domaines de la protéine EBA-175 desmérozoïtes) et CIRD (cysteine-rich interdomain region). D. Les récepteursendothéliaux de ces modules incluent CR1 : complement receptor 1 ; HS :héparane sulfates ; AGA : antigène A de groupe sanguin ; CD31/PECAM-1 :platelet endothelial cell adhesion molecule 1 ; ICAM-1 : intercellular adhesionmolecule 1 ; CSA : chondroïtine sulfate A. D’autres récepteurs comme VCAM-1 (vascular cell adhesion molecule 1), ELAM-1 (endothelial leukocyte adhe-sion molecule 1), et la E-sélectine, ont aussi été impliqués. La combinaisonspécifique des domaines exprimés à un moment donné de l’infection déter-mine le phénotype d’adhérence des érythrocytes infectés. D’autres protéinesvariantes sont exprimées à la surface de l’érythrocyte infecté, comme lesproduits CLAG (cytoadherence-linked asexual gene) et RIFINS, qui sont aussicodés par des familles multigéniques. Leur fonction reste inconnue.

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culièrement complexe pour lequel leséquençage du génome du parasitene cesse de proposer de nouveauxligands. Les produits d’autresfamilles multigéniques que les gènesvar, comme les gènes clag, stevor ourifin, seraient aussi impliqués. D’unefaçon surprenante, l’inactivationd’un seul représentant de la familleclag, clag 9, affecte notablement lacytoadhérence [42]. De nombreusesautres études de génétique inverse,pouvant être associées à une techno-logie anti-sens, seront nécessairespour clarifier le rôle de chacun deces acteurs potentiels. Néanmoins,les premiers résultats permettentdéjà d’entrevoir de possibles straté-gies de protection. En effet, même siles adhésines sont la cible d’unevariation antigénique, leur fonctiondépend d’un complexe d’assemblagecomposé de produits plus conservéset codés par des gènes simple copie.Ces derniers pourraient donc être demeilleures cibles que les adhésinespour s’opposer à la cytoadhérence etaux accès de neuropaludisme, voire àd’autres manifestations de formesgraves de paludisme.

Perspectives

La possibilité de manipuler legénome de Plasmodium marque uneère nouvelle dans l’étude de la biolo-gie du parasite et de la physiopatho-logie du paludisme. La techniquedoit certes être simplifiée pour per-mettre sa diffusion à de nombreuxlaboratoires, et certains outils doiventencore être développés pour per-mettre l’analyse de tout produit plas-modial. Cependant, au vu ducontexte génétique favorable(génome haploïde, gènes simplecopie, recombinaison homologueexclusive) et des phénotypes défec-tueux évidents de la plupart desmutants obtenus jusqu’à présent, lagénétique inverse promet d’être lar-gement utilisée chez Plasmodium. Maintenant qu’il est possible d’allerdu gène à sa fonction, le prochaindéfi est de pouvoir remonter du phé-notype aux gènes. Une telledémarche de génétique classique està l’évidence nécessaire pour uneétude complète des divers aspects del’interaction hôte-parasite (pénétra-tion puis développement dans les cel-lules hôtes, cytoadhérence des éry-

throcytes parasités…). Les approchespar mutagenèse aléatoire et isole-ment de mutants défectueux, si utilesau décryptage des mécanismes devirulence des bactéries pathogènes,et récemment mises au point chezdes protozoaires comme Leishmaniaet Toxoplasma [43, 44], n’ont pas étédéveloppées chez Plasmodium. Un sys-tème de mutagenèse au hasard seraitde toute façon limité par des pro-blèmes logistiques inhérents au cyclecomplexe du parasite (en particulierchez le moustique).Il est clair que la séquence dugénome, connue à plus de 90 % pourP. falciparum, va constituer dans cer-tains cas un crible puissant de gènesd’intérêt. Par exemple, la dissectionprogressive du métabolome du para-site a déjà permis de valider de nou-velles cibles thérapeutiques, en parti-culier des voies métaboliques d’unorganite de type chloroplaste, l’api-coplaste [45, 46]. Certains auteursprédisent que la séquence dugénome de P. falciparum permettral’identification systématique d’épi-topes B ou T et leur incorporation en« colliers de perles » dans un largeADN vaccinal, et une nouvelle straté-gie de vaccination dite vaccinomique[47]. En revanche, il semble peu pro-bable que la séquence suffise à iden-tifier les produits impliqués dans lesdivers aspects de l’interaction avec leshôtes. En fait, presque tous lesaspects de la vie de ces protozoairesparasites (invasion, séquestration,multiplication…) sont uniques, et iln’est sans doute pas surprenant queprès de 60 % des gènes de Plasmo-dium n’aient pas de similarité deséquence dans les bases de données(soit deux fois plus que la plupart desorganismes séquencés). A défaut de cribles fondés sur lafonction des produits, restent ceuxfondés sur l’expression des gènes.Les premières applications de latechnologie des puces à ADN ont étérapportées chez Plasmodium, mais neconcernent pour l’instant que lesstades érythrocytaires de P. falciparum[48, 49]. Des techniques permettantl’analyse du transcriptome d’autresstades du parasite, produits en faiblesquantités (en particulier les stadesintrahépatocytaires), nécessiteront lamise au point de techniques d’ampli-fication à partir de matériel trié parFACS ou capturé par microdissection

par laser. Des techniques de clonagede messagers différentiellementexprimés par hybridation soustrac-tive, et des techniques génétiquesmaintenant possibles de piégeage depromoteurs, seront certainementdéveloppées. La combinaison de cesapproches devrait permettre une pre-mière sélection rationnelle, parmi les7 000 gènes du génome, de ceux quipourraient intervenir dans un phéno-type d’intérêt. Puisque la construc-tion et la caractérisation d’un mutantrestent une entreprise chez Plasmo-dium, les cribles devront être sélectifs.Le but est de pouvoir modéliser lesétapes cruciales de processus patho-gènes du parasite, en particulierpour P. falciparum, la seule espèce quipeut tuer l’homme. Les possibilitéstechniques sont malheureusementplus limitées chez cette espèce, lestemps de sélection des mutantsencore très longs et la biologie duparasite chez le moustique difficile-ment explorable. Certaines étapes del’infection devront donc être étu-diées avec d’autres espèces, commeP. knowlesi, qui infecte les primatessimiens et peut être transfectée [50],ou P. berghei, qui infecte les rongeursde laboratoire. Cette dernièreespèce, dont le cycle complet peutêtre maintenu au laboratoire, estaussi un système génétique plus ver-satile et plus aisé. L’étude de l’inter-action entre P. berghei et ses hôtes estsans limite, puisque non seulement leparasite mais aussi le moustique vec-teur [51] et la souris sont génétique-ment modifiables, et que la séquencedu génome des trois partenaires vabientôt être disponible. Avec de telsoutils, la biologie de Plasmodium vapouvoir être disséquée. Puisque cettebiologie est unique, les études à venirdevraient non seulement nous réser-ver des surprises, mais aussi débouchersur des stratégies nouvelles de protec-tion contre cet ennemi mortel ■

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Remerciements

Nous remercions Geneviève Milon, Teresa GilCarvalho, Freddy Frieschknecht, et HiroshiSakamoto pour leurs remarques éclairées surle manuscrit.

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SummaryReverse genetics, biologyof Plasmodium and pathophysiologyof malaria

Malaria remains one of the mostdevastating infectious diseases world-wide. In the past few years, reversegenetic techniques have been deve-loped in Plasmodium, the etiologicalagent of malaria. Reverse genetics,which permits site-directed mutage-nesis, is particularly straightforwardin Plasmodium because its genome ishaploid, most of its genes are single-copy, and integration of exogenousconstructs occurs exclusively viahomologous recombination. Conse-quently, despite the complexity ofthe parasite life cycle, importantinsights into Plasmodium biology andhost-parasite interactions havealready been gained. In addition,the genome of various Plasmodiumspecies is being sequenced, inclu-ding that of P. falciparum, the speciesmost deadly to humans. The combi-nation of these technological break-throughs should have a rapid andimportant impact on our understan-ding of the biology of Plasmodiumand the physiopathology of malaria,and may ultimately lead to new waysto combat the parasite.