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L’industrie de la mode face aux questions d’éthique

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Sommaire

Pourquoi cette étude ? .............................................................................................................. 4

Avant-propos .............................................................................................................................. 6

SYNTHÈSE – L’industrie de la mode face aux questions d’éthique ............................................ 7

Partie 1 : Comprendre l’industrie de la mode aujourd’hui ...................................................... 11

I. Une industrie historique qui a subi des changements brutaux depuis les années 1980 . 11

A. Une industrie très sensible à la mondialisation ............................................................... 11

B. L’ouverture des échanges ................................................................................................. 12

C- Une nouvelle organisation mondiale de la production textile ......................................... 16

Le modèle de la fast-fashion ................................................................................................ 20

Pourquoi cette ouverture ? .................................................................................................. 24

II. Les déséquilibres inhérents à ce modèle de fonctionnement ......................................... 25

A- Le dangereux mélange entre production en masse et de désindustrialisation ............... 25

B- Opacité dans la fabrication des vêtements ......................................................................... 26

C- Une déresponsabilisation des marques de mode ............................................................... 26

III. Les gagnants et les perdants de ces transformations ................................................... 28

A. Les gagnants ..................................................................................................................... 28

B. Au prix des perdants ......................................................................................................... 31

Le piège de la comparaison historique ................................................................................ 33

L’incendie de New York de 1911, ou l’ « instant T-shirt » .................................................... 33

IV. Quels sont les enjeux d’ordre éthiques de l’industrie de la mode? ............................. 34

A- Une distorsion des principes économiques soulève des questions d’ordre éthique ....... 34

B- Cette distorsion se retrouve juridiquement avec la question de la responsabilité .......... 35

C- Une question morale : avec le pouvoir viennent les responsabilités ............................... 35

D- Cohérence avec nos valeurs et notre politique internationale .................................... 36

Les enseignements du Rana Plaza ....................................................................................... 37

Partie 2 : Au-delà des questions morales, les marques de mode ont un intérêt économique à produire de façon éthique ....................................................................................................... 41

La demande du consommateur évolue vers des produits responsables remettant en cause

les stratégies de production exploitant l’homme et l'environnement ....................................... 42

A. Une demande croissante de produits responsables ........................................................ 42

B. Une réponse marketing green ne peut suffire ................................................................. 47

Conséquences du Rana Plaza pour Auchan ......................................................................... 49

Une démarche non éthique représente des risques majeurs pour une marque, en particulier dans le secteur de la mode .................................................................................... 50

A. Les risques d’une chaine d’approvisionnement non éthique ........................................... 50

Des annonces illustrant une chaine d’approvisionnement non maitrisée .......................... 51

B. Une menace majeure sur l’image de marque, capital immatériel de l’entreprise ........... 52

III. L’éthique– une opportunité pour les marques .................................................................. 60

Recommandations du PCN français de l’OCDE .................................................................... 60

A. Une chaine d’approvisionnement responsable ne peut être considérée comme un coût 62

« Respecter les règles ne coute pas plus cher » .................................................................. 63

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B. Les achats – cœur du sujet ............................................................................................... 63

Transformation de la stratégie de Nike ................................................................................ 65

Nike et la transparence ........................................................................................................ 67

IV. Une nouvelle stratégie ........................................................................................................ 68

A. Le monde a changé, il est temps pour les grandes enseignes de repenser leur stratégie .. 68

B. Impulsion de la direction, au plus haut niveau .................................................................... 68

Partie 3 : que faire pour que cela change? .............................................................................. 70

I- Qu’attendre des autorités publiques ? ............................................................................. 70

A. La nécessité d’un cadre juridique ..................................................................................... 71

B. Besoin d’informations et de transparence pour le consommateur ................................. 71

La force des medias ....................................................................................................... 72

Nous, consommateurs, que pouvons-nous faire ? ....................................................... 73

A- Le rôle des consommateurs .............................................................................................. 73

B- Devons-nous payer plus cher nos vêtements ? ................................................................ 73

1- Non, le consommateur ne devrait pas être obligé de payer plus cher pour des produits respectueux. .......................................................................................................... 73

Plus jamais de Rana Plaza, combien ça couterait ? ............................................................. 74

2- Oui, aujourd’hui s’habiller « éthique » coute plus cher car seules des PME ou TPE proposent cette offre ........................................................................................................... 75

C- Avec un budget serré, que faire ? ..................................................................................... 76

1- Repenser sa consommation si possible ........................................................................ 76

Les grandes enseignes proposent une offre aux tarifs les plus bas. Cette offre à bas prix est une démocratisation de l’habillement, c’est un progrès. Cela n’aurait pas de sens de demander aux consommateurs de se priver de cette offre. ............................................... 77

La faiblesse des prix n’est pas la cause des comportements scandaleux des marques. Il est donc légitime pour le consommateur de réclamer un comportement éthique des grandes enseignes, tout en bénéficiant des prix d’entrée de gamme. Comment faire ? .................. 77

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Equipe :

Constance Bost Fondatrice de L’Atelier de Couture

Christa Crusius Caroline Frechard Camille Holtz Mathilde Pollakovsky

Master International Master Securite Master Marketing Master Affaires Public Management International et Etudes Publiques

Contact : Constance Bost [email protected]

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Pourquoi cette étude ? En 2006, je vivais au Vietnam et j’ai vu une manifestation d’ouvriers du textile réclamant des augmentations de salaires. Je me souviens qu’ils avaient obtenu, suite à leur mouvement de grève, l’équivalent du prix d’une canette de coca en plus tous les mois (mon repère de consommatrice de l’époque). Mon placard étant rempli exclusivement de Zara, H&M, Gap, et autres, cela m’a marqué. C’est aussi au Vietnam que j’ai découvert une ONG et son atelier qui conjuguaient confection textile, engagement social et une certaine rentabilité. En 2012, j’ai créé ma marque de mode en partenariat avec eux. Je savais que les grandes marques de distribution textile étaient loin d’être exemplaires, et que les salaires des ouvrières étaient ridiculement bas. Les discours sur la RSE (Responsabilité Sociale de l’Entreprise), et la croyance, sur le long terme, au développement des pays émergents grâce au textile, me rendaient optimiste, et je croyais que, depuis mon séjour au Vietnam, « les choses évoluaient dans le bon sens ». Le 24 avril 2013, effondrement du Rana Plaza, 1127 morts, plus de 2 000 blessés, la crèche du rez-de-chaussée, accueillant les enfants des ouvrières, écrasée. Une horreur intolérable, pour des vêtements… Au-delà de l’indignation immense, les interrogations ? Pourquoi ? Comment est-ce possible d’en arriver là ? Même avec une approche purement cynique, les marques de mode impliquées comme Primark ou Benetton dépensent des millions en communication pour leur image de marque. Quel est leur intérêt de risquer ce capital en n’assurant pas une chaine d’approvisionnement respectable ? Même sans drame aussi terrible, avec Internet, tout se sait, et vite… Mes premières recherches ne m’ont pas permis de répondre à ces questions, et les analyses que je trouvais dans la presse ne correspondaient pas à mon expérience de terrain au Vietnam. Je trouvais la formule « le consommateur doit accepter de payer plus cher », à la fois injuste, culpabilisante et loin d’épuiser la question. Une longue liste de questions, une envie de partager mon expérience et d’agir pour que cela n’arrive plus, m’ont conduit à appeler Sciences-po pour proposer ce sujet d’étude et j’ai eu la chance de travailler avec 5 étudiants. L’objectif de cette étude est de traiter le sujet de la mode aujourd’hui dans sa globalité, comprendre les mécanismes qui ont abouti au désastre du Rana Plaza pour que cela n’arrive plus. Avec les étudiants, nous avons tenté d’apporter une réponse à toutes ces questions. Il s’agit donc d’une étude grand public, et j’espère que les réponses qu’elle apporte contribueront à faire progresser le sujet. Constance Bost

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Avant-propos La mode, parce qu’elle est futile, est le reflet d’une époque. Parler de la mode, des vêtements, c’est parler de nous, de notre société. Les historiens et sociologues savent bien qu’étudier la façon de se vêtir et que son évolution, ou au contraire, sa stabilité, permet de comprendre une époque. Qu’est-ce que l’industrie de la mode a à nous apprendre de nous ?

- La chance de pouvoir s’habiller à des prix dérisoires, et une liberté dans les coupes,

les tissus, les formes, les styles ;

- Une dévalorisation du produit de mode, des quantités de vêtements entassés dans

les H&M et Zara de centre-ville ;

- Une perte des repères, et des prix. Les vêtements très bas de gamme présentés

comme des produits de luxe, et des produits de luxe français « made in China » ;

- Une distance avec le fabricant qui le fait disparaitre. Dans des rayons à perte de vue,

on oublie que derrière, il y a des hommes qui cousent les vêtements, et non les

machines ;

- La victoire du marketing sur le produit lui-même, le savoir-faire, ou la recherche de

l’élégance.

- Une surconsommation, à un rythme effréné, de nouvelles collections tous les mois,

voire toutes les semaines.

Cette étude traite de l’industrie du textile-habillement et touche à des questions de responsabilités de l’entreprise, du politique, du consommateur, des medias… et plus généralement d’une éthique dans la production des vêtements. Les problématiques soulevées vont bien au-delà de cette industrie. Regarder le miroir de la mode permet de voir notre époque, et c’est notre responsabilité collective de changer le reflet si celui-ci ne nous convient pas.

Jeans Primark du Rana Plaza Prix : 12 euros Cout : 1 135 vies humaines

Ce jeans, expose au V&A Museum de Londres fait désormais partie de la collection du musée. Parmi l’impressionnante collection historique de mode, ce pantalon représente le début du 21eme siècle.

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SYNTHÈSE – L’industrie de la mode face aux questions d’éthique TEXTILE – EMBLEME DE LA VIOLENCE SOCIALE DE LA MONDIALISATION

☐ Secteur sinistré en France suite à une ouverture commerciale non préparée aux pays d’Asie. La France n’a pas suffisamment profité des nouveaux marchés des pays émergents pour conserver son industrie face à la concurrence asiatique.

☐ Nouvelle forme d’esclavagisme dans les pays où se concentre la production textile mondiale. Une situation qui ne s’améliore pas avec les années, malgré l’affichage « RSE » des entreprises occidentales : hausse des accidents industriels, risques chimiques majeurs affectant toute la communauté… parmi ces horreurs, le travail des enfants n’est plus le pire.

LE PRIX N’EST PAS LA CAUSE D’UNE PRODUCTION SCANDALEUSE

☐ Les marges des distributeurs ont progressé sur une tendance longue – ce qui invalide les discours évoquant une pression majeure sur les prix de la part des grandes enseignes.

☐ La confection occupe une faible part des coûts et ne peut avoir d’impact majeur.

☐ Les mesures de base de sécurité ne “coutent pas cher”.

☐ Un accompagnement des fournisseurs sur les questions sociales se traduit par des gains de productivité. Il ne s’agit pas d’un coût mais de la création de valeur pour les entreprises.

LE MODELE ECONOMIQUE INDUSTRIEL PERVERTI

☐ Les grandes enseignes de mode – Zara, H&M, Primark…- ne possèdent aucune usine, et sont des entreprises de marketing et de distribution.

Le rapport Risque – Investissement – Revenu ne fonctionne plus selon les principes fondamentaux de l’économie de marché

☐ Exemple: Zara n’a pas d’usine, et n’investit pas dans l’appareil productif. Zara contourne le risque lié à l’anticipation de la demande en exigeant des délais très courts de production, répondant quasiment en temps réel à la demande (probabilité de vente très élevée). Zara profite du revenu le plus important de la chaine de valeur.

Le risque repose donc sur les usines (un capital fixe sans visibilité sur les commandes), et leur revenu n’est pas à la hauteur du risque pour investir.

Le fonctionnement actuel refoule les risques vers l’entité de production la plus petite à travers un système de sous-traitance en cascade. Les revenus suivent un schéma inverse. L’investissement ne peut avoir lieu.

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☐ L’absence d’investissement dans les usines aboutit aux drames dont le Rana Plaza est le triste symbole.

LA RESPONSABILITE D’UNE MARQUE FACE A UN ACCIDENT INDUSTRIEL : UN VIDE JURIDIQUE – PRINCIPES MORAUX NON RESPECTES PAR LES ENTREPRISES

☐ Les grands groupes qui produisent dans un pays dont l’Etat est faible ont une force politique bien plus élevé que l’Etat. Ce pouvoir donne une responsabilité vis-à-vis des populations.

CA Wallmart = 459 milliard $ - PIB Bangladesh = 140 milliards $

☐ Principe de solidarité : quand un accident survient sur la chaine de production, le distributeur du produit, qui tire le bénéfice le plus important, a un devoir de solidarité vis-à-vis des ouvriers.

☐ Besoin d’un cadre juridique pour rendre le débat objectif – la proposition de loi Canfin

☐ Cf. les refus de responsabilité et de solidarité d’Auchan, Carrefour, Benetton…

UN BESOIN DE CONSOMMATION RESPONSABLE NON COMPRIS PAR LES GRANDES ENSEIGNES

☐ Un mouvement sociétal de fond pour une consommation responsable

☐ Les enseignes ont perçu ce mouvement et l’ont traité avec les outils propres à leur cœur de métier : la communication et le marketing

☐ Echec des politiques RSE développée dans ce domaine depuis les années 90

UNE APPROCHE CYNIQUE CENTREE SUR LE BUSINESS RECOMMANDE POURTANT UNE CHAINE DE PRODUCTION ETHIQUE

☐ Risque majeur sur l’image de marque – capital immatériel majeur dans le secteur de la mode.

☐ Risque de rupture de la chaine d’approvisionnement (grèves, accidents, instabilité…)

☐ Les compétences pour couvrir ses risques et assurer une production responsable existent

☐ Une chaine d’approvisionnement responsable permet de créer de la valeur – productivité, fiabilité, image de marque – cf. étude INSEAD

☐ Le cas d’école Nike: de fortes pertes suite à une campagne de dénonciation. L’entreprise a repensé sa chaine d’approvisionnement, et fait des gains de productivité.

PERTE DE REPERE DU CONSOMMATEUR

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☐ Perte de repères sur l’éthique d’un produit – manque de transparence des marques.

☐ Perte de repères sur les prix – des produits bas de gamme présentés comme des produits de luxe ; des produits de luxe français « Made in China ».

☐ Perte de repère vis-à-vis du produit: la distance du fabriquant et l’omniprésence de marques bas de gamme, ont fait oublier les heures de travail que représentent un vêtement et ont fait baisser les prix psychologiques.

QUE FAIRE ? POUR L’ENTREPRISE : COMPRENDRE SON EPOQUE, SON NOUVEAU ROLE ET ETABLIR UNE NOUVELLE STRATEGIE

☐ La responsabilité sociétale est un moteur stratégique. Les entreprises de mode ont intérêt a rapidement couvrir leurs risques éthiques et saisir l’opportunité de la « création de valeur partagée ». Ne pas répondre au « besoin de sens » des consommateurs par des outils marketing, mais par une implication sincère dans la société.

☐ Une approche globale du business et une projection à moyen terme sont nécessaires.

☐ Les grandes enseignes, dans la complexité de leurs procédures centrées sur les profits et la réduction des coûts, perdent de vue le sens de leur business. Ainsi les marques de mode prennent des risques inconsidérés. H&M, Zara, Primark pourraient être les nouveaux Nike de la fin des années 90.

☐ Un boycott peut aller très vite avec les réseaux sociaux, bien plus vite que dans les années 90.

POUR LE CONSOMMATEUR : S’EXPRIMER

☐ Utiliser les réseaux sociaux pour interagir avec les marques et exprimer ses souhaits de mode éthique et transparente.

☐ Une offre de mode valorisant les savoir-faire et les produits existe ; cf. notre sélection de mode éthique sur le site www.latelierdecouture.com

☐ Repenser sa consommation de mode, privilégier de belles pièces durables

☐ Soutenir les ONG en signant des pétitions, relayant leurs informations sur les réseaux sociaux.

POUR LES POUVOIRS POLITIQUES : UNE OPPORTUNITE POUR LA France

☐ La RSE est un domaine d’innovation et de création de valeurs. La France, en tant que pays des droits de l’homme, a l’opportunité de s’affirmer dans ce domaine. Elle a déjà fait preuve d’initiatives reconnues à l’international – normes en préparation sous l’égide de l’Afnor. Un cadre juridique dans le droit français pourrait inspirer une norme européenne.

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☐ Les autorités publiques ont un rôle à jouer pour favoriser l’information du consommateur.

LA FORCE DES MEDIAS

☐ Nike a été contraint de repenser sa stratégie suite à la mobilisation des medias contre les conditions scandaleuses de production.

☐ En l’absence d’action publique, les medias sont le seul contrepoids face aux publicités de mode pour faire prendre conscience des réalités de production aux consommateurs.

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Partie 1 : Comprendre l’industrie de la mode aujourd’hui

I. Une industrie historique qui a subi des changements brutaux depuis les années 1980

Dans cette étude, pour donner une vision d’ensemble du secteur, nous qualifions d’industrie

textile toute la filière, de la filature à la confection. Le textile et l’habillement sont désignés

par commodité sous le terme générique d’« industrie textile ». Malgré des différences entre

les industries de filatures, d’ennoblissement et de confection et certaines problématiques

spécifiques, des grandes tendances similaires nous permettent de penser cette industrie

dans sa globalité.

Fleurons des économies du Nord au 19e et 20e siècle, ayant joué un rôle particulier dans la

révolution industrielle, et le développement des pays industrialisés, ce secteur a subi des

mutations particulièrement brutales depuis les années 80. Ces changements majeurs sont

principalement liés au contexte économique mondial qui a profondément changé. Cette

industrie, que l’on peut qualifier de traditionnelle, n’a pas tant évolué d’un point de vue

technique. En revanche, les bouleversements qu’elle a subis sont principalement de nature

externe. Ce sont les changements de l’économie mondiale qui ont profondément modifié

cette industrie qui a eu le redoutable honneur d’ouvrir la voie à la libéralisation des

échanges mondiaux.

A. Une industrie très sensible à la mondialisation 1. Une industrie intensive en main d’œuvre peu qualifiée et nécessitant relativement

peu d’investissements L’expression secteur ou industrie textile-habillement englobe de façon très large plusieurs activités de la chaine de production allant de la filature à la confection. Malgré la diversité des activités existante, cette industrie est dans l’ensemble intensive en main d’œuvre peu qualifiée. Les innovations techniques ne touchent qu’une faible part de l’industrie qui s’appuie majoritairement sur la main d’œuvre.

- La confection emploie des techniques de production simples – nombreuses opérations de manutention et de manipulation des articles, et efficace à petite échelle : l’automatisation est circonscrite à la coupe et au convoyage. Et même si des innovations ont amélioré l’efficacité de la production aux différentes étapes du processus – coupe automatique introduite en 1969- la chaine d’assemblage reste très intensive en main d’œuvre.

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- Tout en étant intensive en main d’œuvre, la fabrication textile demande un investissement en capital plus important que la confection. Le textile – filature, tissage, ennoblissement – utilise des équipements plus lourds et demande une technicité de plus importante, surtout depuis la création de nouveaux produits – Gore tex, Lycra, tissus « intelligents ». Le parc des machines dans les filatures et les unités de tissage ont nécessité un certain investissement pour se moderniser à mesures des évolutions des besoins en tissus techniques.

2. Une forte sensibilité à la mondialisation

Ainsi, dans son ensemble, la filière textile-habillement est une industrie à forte intensité en main d’œuvre peu qualifiée et, si elle se cantonne au traitement de fibres classiques, n’a besoin que de peu d’investissements. Elle est ainsi très sensible à la concurrence des pays en voie de développement offrant une importante main d’œuvre peu qualifiée à très bas coût. Le capital nécessaire pour lancer une production, notamment dans la confection, fait qu’il n’y a quasiment pas de barrière d’entrée. La fabrication d’habillement est donc très mobile et la production se déplace selon les critères clés suivant qui permettent de minimiser les coûts :

- coûts horaires de la main d’œuvre, - droits de douanes, - proximités avec le client final, la distance étant mesurée par les coûts de transports

(mais le textile n’est pas une marchandise pondéreuse) et surtout par les délais.

B. L’ouverture des échanges

1. Une ouverture progressive des échanges Face à la forte concurrence des pays asiatiques au début des années 70 dans l’industrie textile-habillement, des quotas ont été mis en place pour limiter les importations et permettre à l’industrie textile européenne de s’adapter à cette nouvelle concurrence. Les quotas ont été progressivement levés à partir de 1986, jusqu’à l’être totalement au 1er janvier 2005, comme prévu dans le l’Accord de l’OMC sur les textiles et les vêtements (ATV) signé en 1995. Les dates clés de l’ouverture des échanges dans l’encadré page suivante.

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1974 : signature de l’Arrangement multifibres (AMF) mettant en place un système de quotas

d’importation bilatéraux et sélectifs à l’entrée aux marchés de la plupart des pays

développés.

1986 : début du cycle d’Uruguay dans le cadre du General Agreement on Tariffs and Trade

(GATT) aboutissant à l’ouverture du commerce extérieur international avec l’abaissement

des droits de douanes et la réduction des quotas.

1994 : signature des accords de Marrakech qui avaient prévu, pour le secteur du textile-

habillement, un retour progressif à l’ouverture des échanges entre 1995 et 2005. Ces

accords mettaient fin aux restrictions quantitatives pour l’ensemble des pays de l’OMC.

2001 : adhésion de la Chine à l'OMC.

Janvier 2005 : les quotas sont complètement démantelés.

10 juin 2005 : signature d’un accord prévoyant la réintroduction de quotas sur dix

catégories de produits jusqu’à la fin de 2007.

5 septembre 2005 : signature d’un second accord à Pékin, pour libérer les 87 millions

d’articles bloqués dans les ports européens lors de l’été 2005.

2006 : remise en place de quotas sur une dizaine de catégories de produits.

1er janvier 2008 : suppression des quotas sur la dizaine de produits restants.

Sources : Insee

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2. Le coût horaire du travail dans le secteur textile

Source :Fédération de la maille et de la lingerie fév. 2013

Le coût de la main d’œuvre est considéré en relation avec la productivité pour évaluer le coût que représente la main d’oeuvre pour réaliser un produit. Bien que la productivité soit plus faible dans les pays proposant un bas coût de main d’œuvre, l’écart des salaires avec les pays occidentaux est tel que, dans cette industrie intensive en main d’œuvre, il ne peut être compensé. Par exemple, le coût horaire du travail est plus de 62 fois plus elevé en France qu’au Bangladesh. Dans les conditions techniques actuelles, un tel écart ne peut être compensé par la différence de productivité.

moins de 0.5

0.6

0.6

1.3

2

2.1

2.6

2.9

4.5

7.9

10.2

17.6

18.7

21.9

23.3

31.3

0 5 10 15 20 25 30 35

Bangladesh

Pakistan

Vietnam

Inde

Bulgarie

Chine

Tunisie

Maroc

Turquie

R. Tcheque

Portugal

Etats-Unis

Espagne

Italie

Allemagne

France

Coût horaire dans le secteur textile en 2011 en dollars

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3. La baisse des couts de transports

Evolution du coût des transports

Sources : travaux de Sid’Ahmed Ould Khou, présentés lors de la 16eme journée doctorale en

transport, pour l’Institut des Sciences de l’Homme, du CNRS Lyon.

Le coût de transport – en y intégrant les délais de livraison - est une donnée essentielle dans

le choix de la localisation de la production. Ainsi, la progression des salaires en Chine a rendu

la Roumanie et la Bulgarie attractives, qui ont des salaires bas, et une proximité avec les

marchés européens qui permet d’économiser sur les coûts de transport et surtout de

raccourcir les délais.

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C- Une nouvelle organisation mondiale de la production textile

1. Une nouvelle répartition mondiale de la production « Dès qu’une pièce demande plus de 10 minutes, sa fabrication est délocalisée »

- Jean Yves Le Floch, président d’Armor lux, qui a su conserver sa production en France.

Avec l’ouverture des échanges, la production textile s’est rapidement délocalisée vers les

régions du monde offrant une main d’œuvre abondante et à bas coût, notamment vers les

pays d’Asie. Ainsi, au début des années 2010, l’Asie représente plus de 80% des exportations

mondiales du marché textile-habillement, contre 15% pour l’Europe.

Part des importations et de la production française dans les ventes

d’articles d’habillement et de cuir en France

Source : Insee

Fin des années 50, quand un Français dépensait l’équivalent de 100 euros en habillement, 73 euros étaient pour la production française, et 1,7 euros pour les importations, la somme restante étant la marge. En 2006, la répartition avait radicalement changé : 27 euros pour la production française, et 37 euros pour les importations, le reste étant pour la marge, qui a augmenté de 10 euros. La part des dépenses « made in France » dans les ménages français a quasiment été divisée par 3, et la part des importations a été multipliée par 22. Ainsi, les importations représentent près de 40 % des ventes d’habillement et de cuir en 2006, contre 2 % en 1960.

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Depuis 2000, la Chine est devenue le premier fournisseur d’habillement de la France (en valeur). La production de la branche industrielle de textiles, habillement, cuir et chaussures ne cesse de diminuer : subissant la concurrence internationale et les délocalisations, elle a quasiment chuté de moitié sur la période 2000-2011.

La production localisée dans les pays dits développés correspond dorénavant à celle qui s’est orientée vers des produits haut de gamme, et parfois très techniques, tels le sport, la lingerie, ou les tissus à usage industriel. A l’opposé, on constate la forte croissance de l’industrie de l’habillement au Bangladesh.

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Évolution de l’industrie de l’habillement au Bangladesh

Source : Collectif de l’éthique sur l’étiquette

Source : federation de la maille et de la lingerie 2013

23.1

5.8 6.4 3.7

1.8 1.7

21

6.4 6.2

3.2 1.6 1.5

0.0

5.0

10.0

15.0

20.0

25.0

Chine Bangladesh Turquie Inde Tunisie Maroc

Bangladesh, 2eme fournisseur de l'Europe

Évolution des importations européennes de textile-habillement entre 2010 et 2012 en milliards €

2010 2012

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Source : Eurostats

Structure des couts d’un produit fini acheté au Bangladesh par une entreprise

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

50

2009 2010 2011 2012

Axi

s Ti

tle

Bangladesh, 2eme fournisseur de l'Europe

% du total des importations d'habillement de l'UE

Chine

Turquie

Bangladesh

Inde

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On peut donner une image générale de la répartition géographique de l’industrie textile-

habillement :

- les régions rurales transforment la matière première ;

- les régions en développement, ayant les investissements suffisant pour construire

des usines modernes produisent le textile. ex : Chine

Le textile – filature, tissage, ennoblissement- utilise des équipements lourds et

demande une technicité de plus en plus importante, surtout depuis la création de

nouveaux produits – Gore tex, Lycra, tissus « intelligents » ;

- les régions avec une main d’œuvre importante à très bas coût réalisent les taches de

confection, notamment l’assemblage de tissus pour des produits basiques des

grandes marques de distribution – ex : Bangladesh ;

- les pays développés se concentrent sur les activités de design, marketing,

distribution, et la confection haut-de-gamme ou la production de textiles techniques

et innovants.

Le modèle de la fast-fashion

La fast fashion, dont l’emblème est Zara, mise sur des probabilités de vente élevée, en réagissant à la demande. Les entreprises de la fast fashion privilégient l’importation des produits issus du proche import au coût de fabrication plus élevé avec des marges inferieures, mais avec des frais logistiques moins élevés. Elles misent sur des probabilités de ventes supérieures, plutôt que des longues séries avec des marges plus élevées mais comportant d’importants risques de décote pour parvenir à écouler les stocks. Ainsi, Zara ne produit que 35 à 45 % de ses pièces en Asie, et les approvisionnements en Asie correspondent aux « basiques » de la saison (ex : pull noir en hiver). Mais l’expression « fast-fashion » est aussi employée aujourd’hui dans un sens plus large, décrivant la mode low-cost, avec une pression sur les délais, et un renouvellement continu. Pour décrire les excès de ce business modèle, il est fréquent de trouver à présent l’expression de « mode jetable ».

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1. Nouvelle structure des entreprises de mode occidentale

Dans ce contexte de réorganisation mondiale de la production textile, le modèle «sans

usine» est dominant pour les enseignes de mode européennes et nord-américaines. Au

cours de ces 30 dernières années, on a assisté à une concentration de la distribution, et à un

repli des marques de mode sur les fonctions de marketing, de logistique et de distribution.

a. L’entreprise de mode d’aujourd’hui est « fabless »

Les marques de mode occidentales sont, dans la très grande majorité, des entreprises sans usine de fabrication. Elles suivent un modèle “fabless”. Cette expression désigne les entreprises qui sous-traitent toute la production auprès des usines, ateliers, ou intermédiaires qui les fournissent. Les marques de mode ont ainsi une relation de client-fournisseur avec les fabricants de vêtements. Les marques ont, pour la plupart, externalisé toute la production, et se concentrent sur les activités qui représentent la plus forte valeur ajoutée : - le design et la création : les marques créent les modèles de vêtements, et passent commande auprès de fournisseurs sur la base d’un cahier des charges. Elles achètent les produits finis dont elles n’ont réalisé en interne qu’une création de prototype ; - le marketing : les marques gèrent toute la communication, la commercialisation des produits. Il s’agit notamment du travail sur l’image de la marque et la gestion des campagnes de publicité ; - la distribution : cela représente la gestion du réseau de magasins physiques et en ligne et suppose une grande maîtrise de la logistique.

b. Avec la concentration de la distribution et la mondialisation, une forte séparation

entre les distributeurs et les fabricants.

La distribution des produits textiles aujourd’hui s’appuie principalement sur des grands

groupes. Le marché de l’habillement est occupé en première position par des chaines de

centre-ville (H&M, Zara, Mango, Primark…), et en deuxième position par les grandes

surfaces (Carrefour, Auchan,…).

La concentration de la distribution donne un rôle majeur à ces grands groupes dans

l’industrie textile. Ils représentent les donneurs d’ordre majeurs pour les fabricants. Par

exemple, H&M ou Mango, ne possèdent aucune usine en propre, mais passent commandes

auprès de fabricants de pays émergeants.

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En faisant appel massivement aux fabricants asiatiques notamment, la séparation entre les métiers de la fabrication et de la distribution s’est accentuée, reflétant la distance physique entre le lieu de vente et le lieu de fabrication. Les liens avec les fabricants se sont distendus dans une chaine de production éloignée et complexe. Ce phénomène « d’éloignement » vis-à-vis de la fabrication d’un produit n’a pas touché que de grosses multinationales. On peut citer l’exemple des entreprises comme Benetton ou Mango, avec ces articles de presse parus dans Les Echos en 2000 :

"Benetton ou les réalités de l'entreprise virtuelle"

Les Echos, 21 mars 2000, p.52. Ce court article fait référence à un ouvrage récemment paru sur l'entreprise Benetton (F.Fréry, ESCP). Benetton est une entreprise constituée d'un réseau de sociétés individuelles. Elle travaille ainsi avec 450 sous-traitants, mais n'externalise pas la teinture, son cœur de métier. L'entreprise dite virtuelle est avantageuse en termes de coûts, mais nécessite une parfaite maîtrise de la logistique et des techniques de communication et d'information. Elle peut être un exemple pour les entreprises du commerce électronique.

"Mango va ouvrir une douzaine de magasins cette année en France"

Les Echos, 17 avril 2000, p.18. La chaîne espagnole de prêt-à-porter féminin mise sur un concept universel, à savoir habiller les jeunes femmes du monde entier à des prix attractifs. Elle possède de nombreux magasins en propre et développe la franchise, possède un savoir-faire logistique, et mène une politique publicitaire active. Des produits Benetton et Mango ont été retrouvés dans les décombres du Rana Plaza. L’éloignement géographique mais aussi l’éloignement en termes de compétences contribuent aux dérives d’ordre social et environnemental de la chaine de production. La

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méconnaissance de la confection textile et du métier de fabriquant serait une des causes expliquant le faible engagement des enseignes de mode dans ce domaine. Comme le note le PCN français de l’OCDE : « Les entreprises françaises les plus engagées dans les démarches de conformité sociale sont en général des entreprises de taille intermédiaire dotées d’une compétence industrielle «historique » dans le secteur textile-habillement. »

c. La complexité de la chaine d’approvisionnement

Dans cette nouvelle organisation de la production mondiale, la fabrication d’un vêtement

passe par une multitude d’étapes assurées par des entreprises différentes. L’ONG Yamana a

réalisé un graphique représentant la complexité de la chaine de fabrication.

Représentation de la filière textile par l’ONG Yamana

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Pourquoi cette ouverture ?

L’ouverture des échanges a eu un effet dévastateur pour les fabricants textiles européens et nord-américains. Comment comprendre les raisons de cette ouverture ?

- Des intérêts divergents entre les fabricants et les distributeurs de produits textiles : Les fabricants redoutent la concurrence des pays asiatiques alors que les géants de la distribution souhaitent importer les produits à bas coût. Ces divergences d’intérêts ont pesé lors des négociations.

- Des T-shirts chinois contre des Airbus ;

Si les pertes sont très brutales pour les fabricants textiles européens, d’’autres secteurs ont au contraire bénéficié de l’ouverture. Le dilemme Airbus contre les tee-shirts chinois mis en exergue par Bo Xilai, ministre chinois, fut symptomatique de la place du secteur au sein de l’UE.

- Soutenir les pays les moins avancés ;

Un soutien au pays les moins avances comme le Cambodge ou le Bangladesh qui a profité du programme « tout sauf les armes ».

- Une ouverture par étape ; L’ouverture s’est faite par étape, les accords multifibres ont été signés 10 ans avant leur mise en application. Ce délai devait permettre à l’industrie européenne de se préparer à cette nouvelle concurrence des pays émergeants. On peut regretter que cette période n’ait pas été utilisée pour travailler à la conquête de nouveaux marchés. L’ouverture avec la Chine représente une concurrence très élevée, mais aussi un immense marché d’une classe aisée croissante avec un attrait pour le savoir-faire français.

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II. Les déséquilibres inhérents à ce modèle de fonctionnement

A- Le dangereux mélange entre production en masse et de désindustrialisation

Les grandes marques de distribution d’habillement que nous connaissons comme Zara et H&M sous-traitent toutes leurs productions, mais contrairement aux délocalisations industrielles que l’on trouve notamment dans l’automobile, les grandes entreprises de mode ne créent pas d’usines et n’en possèdent pas sur place. Elles se limitent à passer commande en fonction du marché. Les entreprises de distributions, qui réalisent la plus-value la plus importante, n’investissent pas dans des usines. Les fournisseurs, aux moyens plus limités, n’investissent pas non plus car la volatilité des commandes ne donne pas de perspective de moyen-long terme, rentabilisant les équipements.

Ainsi, les commandes ne se traitent pas dans des usines, mais dans des immeubles d’habitation mal construits, avec du personnel entassé, et un système de sous-traitance en cascade, dissimulé ou non, pour faire face à des pics de commandes. Le concept même d’industrie dans le domaine de la confection est perverti. Celui qui réalise la plus-value la plus forte, le distributeur du produit, ne porte pas les risques de l’investissement dans l’appareil productif.

Malgré la croissance, personne n’a intérêt à investir dans le capital productif du textile au Bangladesh. Les négligences criminelles conduisant à des catastrophes comme celle du Rana Plaza ne sont donc pas étonnantes.

- l’entrepreneur local n’investit pas car :

o Il n’a aucune vision à moyen terme. Il y a une mobilité extrême des commandes. Un gros donneur d’ordre comme Wallmart ou H&M peut du jour au lendemain ne plus passer commande. Le rapport du PNC francais de l’OCDE évoquait les pratiques de « Forum shopping » qui consistent à changer fréquemment de fournisseurs de manière à exercer une pression à la baisse sur les prix et les délais.

o L’entrepreneur, bien souvent au Bangladesh, n’est pas le propriétaire du local

dans lequel les ouvriers travaillent.

- le distributeur, qui tire la plus grosse plus-value, n’a aucun intérêt à court terme à investir dans une usine. Au contraire, la relation client-fournisseur lui donne une totale liberté de changer très rapidement de lieu de production. Ainsi la hausse des salaires des ouvriers du textile en Chine a permis très rapidement de déplacer les

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commandes vers le Bangladesh. Cette structure permet aux multinationales de se désengager très vite, à moindre frais.

B- Opacité dans la fabrication des vêtements La chaine d’approvisionnement est complexe et nécessiterait des méthodes de traçabilité à la hauteur de cette complexité. Aujourd’hui, le consommateur ne peut savoir comment et par qui son vêtement a été réalisé, et la marque de mode qui vend le produit ne saurait répondre à ces questions. La complexité ne peut être une excuse pour l’opacité. Les grands groupes exploitant ces chaines de production pour en obtenir des avantages en termes de prix ont les moyens techniques et humains d’assurer une traçabilité du produit tout au long de la chaine de production. Mais le sujet ne présente pas d’intérêt suffisamment important pour les distributeurs tant que ce n’est pas une préoccupation de leurs clients.

C- Une déresponsabilisation des marques de mode Le monde a changé, et les règles de droit n’ont pas évolué au même rythme, ouvrant des failles béantes sur la responsabilité des entreprises, dans lesquelles les entreprises de mode s’engouffrent. Avec la concentration des distributeurs, et la mondialisation de la production, les règles existantes sur la responsabilité des entreprises ne sont plus adaptées. Une distorsion entre le droit des affaires et la réalité économique s’est opérée. On peut ainsi présenter ce qui permet aux marques de ne pas être tenue responsable devant toute instance juridique quand une usine produisant leurs vêtements s’effondre.

- La sous-traitance Les marques de mode, pour la plupart, n’ont pas d’usines leur appartenant, mais travaillent avec des fabricants avec qui ils ont une relation de client-fournisseurs. Ainsi, quand les droits fondamentaux ne sont pas respectés au sein d’une usine, la marque de mode qui est cliente se présente comme « victime » des actions de son fournisseur qui ne respecte pas ses attentes. Il existe pourtant des principes juridiques qui définissent la responsabilité d’une entreprise vis-à-vis de ses sous-traitants, mais ils ne sont pas contraignants, et restent donc aujourd’hui des normes théoriques qui ne permettent pas d’engager réellement la responsabilité du donneur d’ordres. Les donneurs d’ordres concernés par des accidents dans les usines de confection ont tendance à mettre en avant la responsabilité du fournisseur et se montrent réticents, le plus souvent, à participer à l’indemnisation des victimes et expliquent que leurs fournisseurs les ont trompés et qu’ils ignoraient les raisons de la présence de leurs produits sur les lieux de l’accident.

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- L’internationalisation La responsabilité se pose aujourd’hui de façon internationale, mais les groupes ne possèdent pas de personnalité juridique internationale. - La puissance des groupes Au-delà de l’absence de règles de droits contraignantes adaptées aux enjeux actuels, la puissance des groupes en cause peut aussi être un écueil pour faire respecter le droit. La puissance des multinationales s’exprime en terme juridique – accès aux meilleurs avocats- et en terme politique- force du lobbying.

Le refus de responsabilité de Carrefour et Auchan 2005 – Carrefour et l’effondrement de Spectrum Carrefour qui était un donneur d’ordre de l’usine Spectrum dont le toit s’est effondré le 11 avril 2005 en faisant 64 morts, avait d’abord argué du fait « qu’il était un client et non pas le propriétaire de l’usine » avant de consentir à contrecœur à indemniser les familles des victimes. 2014 – Auchan et le Rana Plaza Communique de presse de l’enseigne du 3 avril 2014, refusant sa responsabilité : « Auchan a bien entendu été bouleversé par cet événement, mais la responsabilité de la catastrophe est celle de ceux qui ont obligé les salariés à travailler dans un immeuble ne respectant pas les normes d’urbanisme locales et présentant des risques visibles d’effondrement. Au final, c’est l’enquête menée par le pays qui définira le nom des responsables. » Auchan a finalement donné son accord en aout 2014 de contribuer au fonds d’indemnisation sous la pression publique.

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III. Les gagnants et les perdants de ces transformations

A. Les gagnants

1. Les consommateurs

Consommation en volume par habitant en France (en euros de 2000)

Source : Insee, comptes nationaux

Une augmentation du pouvoir d’achat du consommateur dans l’habillement. Avec l’augmentation des importations, les prix des vêtements ont baissé, permettant une hausse de la consommation en volume, en même temps qu’une baisse de la part accordée aux dépenses en habillement au sein des ménages.

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La baisse des prix des articles d’habillement a permis une augmentation du pouvoir d’achat

sur cette catégorie de produit pour les ménages résidant en France.

Part de l'habillement dans les dépenses des ménages

1960 2000 2006

9.7% 4.4% 3.9% Source : Insee - Dépenses des ménages en articles d'habillement et de chaussures

De 2001 à 2006, le prix des vêtements et des chaussures importés, corrigé de l’inflation globale, a baissé plus rapidement qu’auparavant : - 3,5 % par an, contre - 1,6 % entre 1960 et 2000. Cela a contribué à réduire de l’ordre de 1,5 point par an l’évolution des prix à la consommation de ces produits, augmentant par voie de conséquence le pouvoir d’achat des ménages résidents en France.

0.0%

2.0%

4.0%

6.0%

8.0%

10.0%

12.0%

1960 1967 1974 1981 1988 1995 2002

Baisse de l'habillement dans la part des depenses des menages

% budget des menages

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2. Les grandes entreprises de distribution textile-habillement

Production, marges commerciales et importations en France dans le secteur textile-habillement-cuir.

Sources : Insee, comptes nationaux

Les marges des entreprises distribuant des produits d’habillement ont vu leurs marges

progresser, malgré des ventes relativement peu dynamiques.

3. Les pays en voie de développement /émergents Une des raisons de l’ouverture des échanges pour les pays les moins avancés, comme le Bangladesh ou le Cambodge, est d’aider ces pays à sortir de la très grande pauvreté. D’un point de vue global, l’ouverture au commerce est un levier de développement pour ces pays. Le Bangladesh a atteint les objectifs du millenium, et toutes les ONG sont d’accord sur le fait qu’un désengagement de leur part dans ces pays serait très dommageable. Le faible taux d’investissement dans le capital productif du pays, et l’esclavagisme de la population rendent cependant difficile de parler de gagnant. Certains économistes mettent en avant le fait qu’en l’absence d’investissement, l’industrie ne connait que de faible progrès en termes de capacité industrielle et de remontée des avantages comparatifs.

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B. Au prix des perdants L’industrie du textile semble être devenue un symbole de la violence sociale.

1. Une perte pour les fabricants textiles, et tous les salariés. Une violence sociale dans la perte des emplois en Europe occidentale et en Amérique du Nord. Un secteur socialement sinistré en France, suivant le modèle européen et américain.

En un quart de siècle, la répartition géographique de la production des industries textiles s’est profondément modifiée. L’emploi dans ces secteurs d’activité a fortement diminué en Europe et en Amérique du Nord. À l’inverse, il a augmenté dans des proportions non négligeables en Asie et dans d’autres régions du monde en développement. D’après l’O.I.T (Organisation internationale du travail), la Chine a quasiment doublé ses effectifs dans l’industrie textile depuis 1980. En Europe, les emplois ont diminué dans des proportions très variables selon les pays. La baisse est souvent supérieure à 30 % et peut atteindre 70 % des salariés du secteur dans les pays nordiques. L’Amérique du Nord enregistre également une baisse des effectifs qui ont été quasiment divisés par deux dans le textile et l’habillement.

L’emploi de la branche « habillement et cuir » diminue quasiment constamment entre 1960 et 2006

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2. L’esclavagisme moderne des pays en développement La confection des vêtements dans les pays en développement se fait dans des conditions effroyables. Cela fait plus de 30 ans que les reportages dénoncent régulièrement cet esclavagisme moderne, qui rappelle les descriptions par Dickens ou Villermé de la misère ouvrière en Angleterre et en France pendant la révolution industrielle. Loin de s’améliorer, ces conditions apparaissent de pire en pire. Si avant le nombre d’heures et le travail des enfants étaient la source principale d’inquiétudes, aujourd’hui, les ouvriers du textile risquent leur vie dans des usines qui sont des pièges mortels, et travaillent au contact de produits toxiques.

Nombre de blessés et tués lors d’accidents industriels dans le textile depuis 2006

Année Entreprise Blessés Morts Cause

2013 Usine Tung Hai 8 Incendie

2013 Immeuble Rana Plaza 1000 1135 Effondrement

2012 Smart Export Garments 7 Incendie

2011 Usine Tazreen Fashion 100 à 300 110 Incendie

2011 Eurotex 50 2 Explosion

2010 That’s It Sports Wear Ltd, Hameem group 100 29-33 Incendie

2010 Garib & Garib 50 21 Incendie

2006 Sayem Fashion 50 3 Incendie

2006 Groupe industriel Imam 57 Explosion

2006 Phoenix Building 50 19-22 Effondrement

2006 KTS Textile Industrie 100 84 Incendie

2006 Jamnua Spinning Mill 20 6 Incendie

Sources : Collectif de l’ethique sur l’etiquette

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Le piège de la comparaison historique

L’incendie de New York de 1911, ou l’ « instant T-shirt »

Suite au drame du Rana Plaza, la comparaison avec l’incendie d’un atelier de confection en plein New York en 1911 a souvent été évoquée dans la presse américaine. Des points communs: 145 victimes, surtout des jeunes femmes, la plus jeune avait 14 ans ; des portes de secours fermées à clés pour éviter les pauses non autorisées ou les vols… Cette comparaison historique ne peut être utilisée pour donner une sorte de linéarité dans le développement industriel, et sous-entendre qu’il s’agit d’une étape inévitable - «L’instant T-shirt » - expression utilisée par un chroniqueur du New York Times pour designer la phase d’essor du secteur textile. La linéarité du progrès que cela sous-entend n’existe pas. Des accidents comme celui de New York en 1911, le Bangladesh en subi de plus en plus, et de plus en plus meurtriers… Entre 2006 et 2012, avant le Rana Plaza, plus de 700 ouvriers du textile ont trouvé la mort dans des usines. L’incendie de Tazreen – plus d’une centaine de morts - était aussi spectaculaire que celui de 1911, sans pour autant permettre un changement profond dans la législation et les pratiques, comme ce fut le cas aux Etats-Unis au début du 20eme siècle. Les accidents au Bangladesh, au Cambodge, au Pakistan etc… interviennent après des politiques de responsabilisation sociale des entreprises lancées dans les années 90. Le progrès social n’est ni linéaire, ni automatique.

3. Un produit qui a perdu sa valeur, dans tous les sens du terme ? Les vêtements à très bas prix, en très grand nombre, sont exposés dans des rayons

immenses. Le produit est éphémère, les remises en rayons se font toutes les semaines,

présentant le vêtement comme un objet périssable, et on parle même de vêtements «

jetables ».

Le produit est dévalorisé, et le consommateur a perdu conscience que la confection d’un T-

shirt prend du temps de travail humain, et n’est pas quelque chose réalisé par une

machine…

L’éloignement physique et psychologique des réalités d’un métier, qui finalement n’a pas

changé depuis des années, a contribué à sa dévalorisation.

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IV. Quels sont les enjeux d’ordre éthiques de l’industrie de la mode?

L’émergence de la question éthique dans l’industrie de la mode s’est faite simultanément aux mutations de ces quarante dernières années. Elle a pris de l’ampleur dans les années 90 avec Nike, qui, bien contre sa volonté, est devenu l’emblème des pratiques scandaleuses de cette industrie. L’apparition de charte éthique chez les distributeurs d’habillement en est une manifestation de ce nouveau sujet. Si l’éthique s’est imposée dans le discours officiel, il ne semble s’agir encore que d’une vague prise de conscience, ou d’un affichage marketing. Les chartes éthiques abstraites ou les codes de conduite ne se traduisent que rarement dans les actes. Les drames humains des ouvriers du textile à travers le monde, mis en avant dans la presse lors d’évènements tristement spectaculaires (effondrement ou incendie d’usine, répression des manifestations des ouvriers dans la violence…) rappellent que les enjeux éthiques ne peuvent se traiter en signant des engagements de principes au sein des entreprises. Ces questions d’éthique dans l’industrie de la mode peuvent être envisagées en termes : - économique (A) - juridique (B) - moraux et politique(C)

A- Une distorsion des principes économiques soulève des questions d’ordre éthique

Le secteur textile-habillement suit un modèle qui ne respecte pas le principe économique fondamental de l’industrie capitaliste : les bénéfices ne reviennent pas à ceux qui portent le risque. Les bénéfices se construisent au cœur d’un labyrinthe mondial de sociétés intermédiaires et de sous-traitance en cascade, et reportent le risque aux échelons productifs les plus bas. Les bénéfices reviennent principalement aux distributeurs des produits finis, et ils ne supportent pas le risque de l’investissement dans l’appareil productif. Cette façon de refouler les risques sur les fournisseurs, tout en profitant des bénéfices, se traduit très concrètement sur les conditions de travail des ouvriers du textile. Personne ne finance les usines nécessaires, ni n’investit dans la formation du personnel. Les commandes sont traitées au coup par coup, dans des immeubles dangereux non adaptés.

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B- Cette distorsion se retrouve juridiquement avec la question de la responsabilité

La sous-traitance de la fabrication permet aux enseignes de mode de ne pas être juridiquement responsables de la production. Ainsi, face aux scandales sur les conditions de travail de certains ateliers, les enseignes de mode répondent en tant que « victime des dissimulations du fournisseur », ou se plaignent d’un Etat qui ne fait pas appliquer le droit du travail. Il existe dans le droit international des principes de responsabilisation des entreprises vis-à-vis de leurs fournisseurs. En l’absence de règles contraignantes, ces principes ne sont pas appliqués. Il ne s’agit pas de reporter la responsabilité sur les grandes enseignes d’habillement, les acteurs locaux, et les États ont leur devoir d’imposer un droit du travail. Cependant, les entreprises du prêt-à-porter ont une responsabilité dans le sens où elles bénéficient du travail des ouvriers du textile et ont un pouvoir d’influence clé sur leurs conditions sociales. Des travaux juridiques en France et au niveau européen sont en cours. L’objectif est de responsabiliser les grandes enseignes du textile. De façon plus prosaïque : responsabiliser les acteurs qui bénéficient du crime.

C- Une question morale : avec le pouvoir viennent les responsabilités

La question morale est centrale. Les grandes enseignes de mode bénéficient de la main d’œuvre et possèdent un pouvoir d’influence majeur sur les salaires et les conditions de travail. H&M est le plus gros acheteur de vêtements du Bangladesh, en 2012 le montant de ses

achats dans le pays a atteint 1,1 milliards d’euros ; le chiffre d’affaire est de plus de 17

milliards d’euros.

Wallmart est aussi un important donneur d’ordres du Bangladesh: - Chiffre d’affaires de 469 milliards USD en 2012 - PIB du Bangladesh de 140 milliards USD en 2012 ;

Dans la négociation des contrats de commande, H&M ou Wallmart ont un pouvoir majeur

sur les conditions de travail des ouvriers qui fabriquent les vêtements.

Un tel pouvoir doit s’accompagner de responsabilités qui ne peuvent etre reportées sur un

Etat moins puissant.

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D- Cohérence avec nos valeurs et notre politique internationale Les pays européens et nord-américain s’affirment comme des représentants des droits de l’Homme. Comment accepter que des entreprises de ces pays occidentaux profitent de la faiblesse des Etats en développement et participent à une forme d’esclavagisme moderne ? Comment accepter que les magasins soient remplis de vêtements produits dans des conditions qui ne respectent pas nos valeurs?

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Les enseignements du Rana Plaza

Le 28 avril 2013, à Dacca, un immeuble abritant des ateliers de confections, le Rana Plaza, s’effondre causant 1138 morts et 2 500 blessés. Les points clés pour comprendre ce drame.

- La suite d’une longue série d’accidents

Le Rana Plaza n’est pas un épiphénomène mais le point culminant d’une longue série d’accidents industriels. Sous la forme d’incendies et d’effondrements, les accidents graves ont été fréquents au Bangladesh ces dernières années. On peut ainsi citer :

o Incendie de Tazreen le 24 novembre 2012 – 117 morts et 200 blesses

o Effondrement de Spectrum le 11 avril 2005 – 64 morts et 80 blesses

o Et après le Rana Plaza, le 8 octobre 2013, l’incendie de l’usine Aswad Mill.

- Un manque d’investissement dans le capital de production

Le Rana Plaza n’était pas une usine à proprement parler. Il s’agissait d’un immeuble d’habitation utilisé par des entrepreneurs qui, à renfort de générateurs d’électricité installés sur le toit, y ont entassé machines à coudre, rouleaux de tissus et ouvriers. Cette situation est l’expression de l’afflux de commandes d’habillement vers le Bangladesh, avec une accélération ces dernières années due à la hausse des salaires chinois. Les commandes ont augmenté, mais les investissements en capital pour construire les usines adaptées n’ont pas suivi. Sans un investissement minimum dans les capacités de production, l’industrie de confection au Bangladesh restera dangereuse pour les ouvriers.

- Un mélange de corruption politique et d’entrepreneurs sans scrupules

Suite à ce drame, la Commission anti-corruption du Bangladesh a mis en lumière le non-respect des règles de sécurité dans la construction de l’immeuble, et l’inaction des pouvoirs publics locaux. « Aucun des codes de construction du pays pour élever le bâtiment ou le transformer en une fabrique de textiles abritant des machines lourdes telles que des générateurs n’a été respecté », a déclaré le porte-parole de la Commission anti-corruption. Mohammad Sohel Rana, à qui appartenait l’immeuble auquel il a donné son nom, était un membre imminent d’un parti politique local.

- L’inefficacité des contrôles des usines

Le Rana Plaza avait été contrôlé par le BSCI – Business Social Compliance Initiative – peu avant son effondrement. Suite au drame, le BSCI a indiqué que les contrôles sur les bâtiments ne faisaient pas partie de leurs compétences mais que cela relevait des pouvoirs publics (en suivant ce raisonnement, on peut établir, entre autres, que le respect du droit du travail ne relève pas non plus de leurs compétences … le principe des contrôles perd alors son sens).

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- Les produits fabriqués au Rana Plaza n’étaient pas que des vêtements à bas prix

Dans les décombres du Rana Plaza, les vêtements retrouvés provenaient principalement de grandes enseignes de distribution offrant des vêtements très bas prix, comme Primark ou des marques vendues dans les grandes enseignes de supermarchés en France. Il y avait également des marques de moyenne gamme qui proposent des prix plus élevés, comme Mango ou Benetton. - L’absence de traçabilité et de transparence sur la chaine d’approvisionnement des

grandes enseignes

Le drame du Rana Plaza a mis en avant le système de sous-traitance en cascade, de sociétés intermédiaires traitant les commandes des grandes enseignes, qui ne savent pas où et comment leurs produits sont réalisés. Certaines entreprises se sont présentées comme victimes de la sous-traitance dissimulée de leurs fournisseurs, affirmant qu’elles ne pouvaient pas savoir que leurs produits étaient fabriqués au Rana Plaza. Que la sous-traitance soit dissimulée ou non, selon les principes directeurs de l’OCDE, il appartient au donneur d’ordre un devoir de vigilance envers les actions de son fournisseur. - Les réactions des grandes enseignes : entre fuite de responsabilité et solidarité

Face au scandale des étiquettes de vêtements retrouvées parmi les cadavres, les grandes enseignes ont eu diverses réactions :

- Le déni

Certaines marques ont niées avant de concéder. C’est le cas par exemple de Benetton, qui a reconnu une commande exceptionnelle de chemises, face aux images des vêtements dans les décombres.

- Le refus de responsabilité

Certaines enseignes ont reconnu la présence de leurs produits sur les lieux, mais refusent toute responsabilité, affirmant avoir été trompée par leurs fournisseurs.

- Un devoir de solidarité reconnu par certaines marques

Savoir quelles étiquettes étaient présentes dans l’immeuble du Rana Plaza le jour où celui-ci s’est effondré n’est pas la question centrale. Des marques ont eu l’honnêteté de reconnaitre avoir déjà fait travailler cette usine, même si le jour de l’accident il n’y avait pas de commandes en cours. Les grandes enseignes comme Zara et H&M ont contribué au fond d’indemnisation des victimes, bien que leurs produits ne fussent pas présents dans les décombres, considérant qu’elles se devaient d’être solidaires des ouvriers du textile qui assurent une part majeure de leur production.

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Dans l’ensemble, la solidarité des enseignes est limitée. Un fond de réparation de 40 millions d’euros a été prévu pour les victimes et leurs familles. Seuls 20 millions ont été reçu pour le moment, plus d’un an après les faits. A l’échelle de la puissance financière des enseignes concernées, les montants demandés par le fonds d’indemnisation sont d’une importance moindre.

- Un manque de considération pour les ouvriers du textile

L’immeuble du Rana Plaza n’était pas seulement occupé par les ateliers de confections. Il y avait également des commerces au rez-de-chaussée et les bureaux d’une banque locale de micro-finance, BRAC. Quand l’immeuble a présenté des signes d’affaissement, et que les murs se sont lézardés, les employés de la banque et les commerçants au rez-de-chaussée ont évacué les lieux. Les employés de banque ont reçu pour ordre de ne pas rester dans l’immeuble. Un ordre inverse a été donné aux ouvriers du textile, après la visite du propriétaire de l’immeuble, sous peine de ne pas être payé. Au-delà des sommes nécessaires à investir dans l’appareil productif du Bangladesh, une considération plus élevée pour la vie des ouvriers éviterait ces drames.

- Un manque de formation ou d’éducation sur les risques

Une éducation sur les risques, et des formations sont indispensables. Au-delà des ordres de la direction, les personnes chargées de l’encadrement des équipes au sein du Rana Plaza sont restes dans l’immeuble, prouvant une inconscience du risque… Il est probable que les cadres ne seraient pas restes dans l’usine s’ils pensaient qu’ils risquaient leur vie.

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Partie 2 : Au-delà des questions morales, les marques de mode ont un intérêt économique à produire de façon éthique

Une chaine de production non respectueuse de l’homme et de l’environnement expose la

marque à des risques majeurs. Les quelques économies réalisées sur avec une production

low-cost, sans considération sur l’impact social et environnemental, ne peuvent couvrir les

risques majeurs auxquels les marquent s’exposent.

Au-delà des questions éthiques, une stratégie à moyen/long terme consistant à prévenir les

risques majeurs pour l’image d’une marque et à assurer la continuité d’une chaine

d’approvisionnement, implique un respect de normes sociales et environnementales.

De plus, les études récentes démontrent qu’une démarche RSE est une opportunité de

croissance.

Loin d’une opposition entre rentabilité et éthique, ces deux concepts sont compatibles et

peuvent même être un facteur de croissance pour une entreprise.

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La demande du consommateur évolue vers des produits

responsables remettant en cause les stratégies de production

exploitant l’homme et l'environnement

A. Une demande croissante de produits responsables

1. Une sensibilité croissante à l’acte d’achat citoyen dans tous les secteurs

Depuis près d’une dizaine d’années, les multiples études de marchés des pays occidentaux mettent en avant l’envie croissante de produits responsables des consommateurs. Si les études peuvent présenter quelques variations dans leurs résultats, elles soulignent de façon unanime les tendances suivantes :

- Une montée de la sensibilité à l’acte d’achat citoyen

- Une conscience de la possibilité d’agir à titre individuel

- Une certaine remise en cause d’un modèle fondé sur la consommation, de nombreuses études mettent en avant le besoin de sens et d’authenticité des consommateurs.

Le succès du groupe Max Haavelaar illustre cette tendance de consommation.

Source :Max Havelaar France, Plateforme pour le Commerce Equitable, PFCE

Max Haavelar est un mouvement international qui regroupe des organisations non

gouvernementales ainsi que des représentants de producteurs équitables. Publié à la fin de

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l'année 2012 le chiffre d'affaire total de ses produits est en augmentation.

Malgré les doutes concernant le label Max Haavelar et les prix plus élevés que la

concurrence, les ventes augmentent.

Source : Rapport Ethicity Greenflex 2014

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Source : Rapport Ethicity Greenflex 2014

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Source : Rapport Ethicity Greenflex 2014

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2. Les préoccupations « citoyennes » du consommateur pour les produits textiles

La mode éthique, une tendance de fond

Depuis plusieurs années, les bilans annuels de la Fédération Française du prêt-à-porter

féminin font état d’une tendance de fond qui tend à la transformation des comportements

d’achat des produits de mode.

Source : Bilan 2010 Fédération française du prêt-à-porter

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B. Une réponse marketing green ne peut suffire

1. Un mouvement profond

Ce souhait de consommation responsable n’a pas échappé aux grandes enseignes, qui pour y répondre, on bien souvent utilisé les outils qu’elles maitrisent le mieux, la communication et le marketing. Mais loin d’être une « mode » ou une « tendance » passagère, la consommation responsable apparait davantage comme un mouvement plus profond de la société, et les réponses en termes de « packaging » ont provoqué une défiance plutôt qu’une adhésion, comme l’illustre les graphiques ci-dessous.

Source : Rapport Ethicity Greenflex 2014

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3. une communication green non suivie sur le terrain, ou insuffisante provoque une indignation d’autant plus forte

Les discours non suivis d’actions provoquent une perte de confiance, et une indignation d’autant plus forte qui se retourne contre l’entreprise. Une démarche responsable doit commencer sur le terrain avant de s’afficher comme outil de communication.

Un consommateur attaque Nike pour non-respect de sa charte éthique

Nike vs Kasky 1998

Nike fut attaqué en justice par un consommateur pour « publicité mensongère », la charte

éthique de Nike ne reflétant pas la réalité des conditions de travail des fabricants.

En 1998, le citoyen Mark Kasky décide de poursuivre la compagnie Nike pour « publicité

mensongère », à la suite de la campagne de relations publiques controversée de cette dernière

sur les conditions de travail chez ses sous-traitants. Pour M. Kasky, qui se fondait sur le code

californien du droit des sociétés, l'information produite par Nike était de nature à tromper le

consommateur.

Le Tribunal californien a d'abord donné raison à Nike, l'information attaquée étant compris

dans ses rapports sociétaux.

Mais M. Kasky porte l'affaire devant la Cour Suprême, qui reconnaît sa démarche comme

légitime en vertu du droit de tout citoyen à se documenter...

L'affaire aboutit donc à une impasse juridique en 2003, jusqu'à ce qu'un arbitrage réussisse à

la clore. Mark Kasky arrête ses poursuites en échange de l'engagement de Nike de verser 1,5

millions de dollars à la Fair Labor Association, association mettant en place des programmes

d'audit et d'éducation.

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Conséquences du Rana Plaza pour Auchan

Prix Pinocchio

Après avoir décidé en 2010 de se positionner comme distributeur engagé, Auchan reçoit le «

prix Pinocchio ». La marque avait dévoilé alors son concept de « discount responsable » à ses

consommateurs, expliquant dans ses communiqués « qu'il est possible pour une enseigne

d'être à la fois discount et responsable ».

Une communication qui aura certainement porté peu de fruits, puisque le prix Pinocchio,

décerné par l'ONG Les Amis de la Terre et le centre de recherche et d'information pour le

développement (CRID) dénoncent les entreprises ne respectant pas leurs engagements

éthiques.

Auchan a reçu ce prix en 2013 pour le refus de verser des indemnités aux victimes du Rana

Plaza.

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Auchan attaqué par 3 ONG pour pratiques commerciales trompeuses Il s’agit de la première plainte déposée en Europe de cette nature. Suite au drame du Rana Plaza, Auchan est attaqué pour pratiques commerciales trompeuses car l’enseigne communique sur le fait d’être un discounter « responsable » et c'est le procureur de la République de Lille qui a été saisi. Les associations Sherpa, Peuples solidaires et le collectif Ethique sur l'étiquette ont porté plainte contre le distributeur. La plainte a été classée sans suite. Que ce soit le prix Pinocchio ou la plainte en justice, ces démarches ont un impact sur l’image de l’entreprise.

Une démarche non éthique représente des risques majeurs

pour une marque, en particulier dans le secteur de la mode

A. Les risques d’une chaine d’approvisionnement non éthique

1. Malgré les crispations sur ce sujet, les indemnités versées aux victimes d’accidents sur la chaine de production ne représentent pas de risque financier

Le coût dérisoire des indemnités aux victimes

« La vie d’un ouvrier textile au Bangladesh vaut un peu plus qu’une pile de chemises dans un magasin français »

Pour les ouvriers du textile, il est indispensable que leur couverture face au risque d’accident soit assurée, et que les indemnités soient versées à un niveau qui assure une réparation équitable.

Ces indemnités représentent des montants dérisoires pour les enseignes impliquées dans les accidents, comme dans le cas du Rana Plaza. Le refus des grandes enseignes de contribuer aux indemnisations n’est pas lié au montant, mais davantage au refus d’assumer une part de responsabilité de l’accident. Il apparait indispensable de clarifier les règles pour protéger les ouvriers.

Il reste fort probable qu’un encadrement plus strict des obligations juridiques à verser des indemnités ne soit pas un facteur clé de changement dans la façon de produire. En effet, le montant des indemnités aux victimes ne seraient être suffisant pour remettre en cause le système de production dans son ensemble.

Un encadrement juridique contraignant à payer des indemnités est indispensable, mais ne paraît être le levier le plus efficace pour un changement en profondeur des pratiques dangereuses de l’industrie textile.

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2. L’instabilité de la chaine d’approvisionnement pour des raisons sociale, sociétale ou environnementale représente un risque financier important

Un accident a des conséquences économiques directes en termes de rupture de la chaine

d’approvisionnement.

Suite au drame du Rana Plaza, les mouvements de protestations des travailleurs qui ont suivi

ont provoqué des fermetures d’usine, un état général de tension du pays et des grèves. Au

niveau international, suite au Rana Plaza, les menaces de l’Union Européenne et des Etats-

Unis de changer leurs politiques d’ouverture aux échanges créent une instabilité juridique et

commerciale. Les risques sociaux d’une chaine d’approvisionnement sont des risques

financiers.

Des annonces illustrant une chaine d’approvisionnement non maitrisée

- Adidas a mis en place en Indonésie un système d’alerte par SMS. Les ouvriers peuvent

envoyer un message de 160 caractères pour dénoncer des droits qui ne seraient pas

respectés. Cette possibilité d’expression peut être perçue comme un progrès par certain,

mais ne représente pas une méthode de mise en place de conditions de travail respectables,

et ne doit en rien déresponsabiliser Adidas dans la mise en place de normes sociales et de

contrôles. Les SMS ne sont pas une solution à part entière et peuvent être compris comme

l’aveu d’une situation à risque pour les ouvriers.

- H&M a annoncé souhaiter directement payer les ouvriers des usines au Bangladesh…

contourner le management d’une usine parait irréaliste… Pourquoi ne pas réclamer à

donner directement de l’argent à l’ouvrier qui a confectionné votre T-shirt la prochaine fois

que vous passez à la caisse chez H&M? Même principe.

- Auchan a arrêté brutalement de travailler avec certaines usines suite au drame du Rana

Plaza pour des raisons de sécurité. Des ONG ont dénoncé ces arrêts, recommandant un

accompagnement des fournisseurs vers les améliorations, pour ne pas laisser les ouvriers

brutalement sans revenu.

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B. Une menace majeure sur l’image de marque, capital immatériel de l’entreprise

1. La marque, un critère clé de la décision d’achat

La marque est un point central dans la décision d’achat. L’idée que le consommateur s’en fait

représente un capital immatériel majeur pour l’entreprise. L’imaginaire de la marque est un

élément clé des ventes, notamment dans le secteur de la mode.

2. La société civile a aujourd’hui la capacité de diffuser ses propres images

Les entreprises exploitent le système de sous-traitance pour produire à très faibles coûts dans

les pays en développement. En cas d’accident, elles peuvent nier toute responsabilité d’un

point de vue juridique. (cf. partie I).

En revanche, le drame de Dacca a montré qu’il devient impossible de ne pas assumer ses

responsabilités face à l’opinion mondiale.

Grace à Internet, la société civile a les moyens de diffuser très rapidement ses propres

messages. ONG, journalistes, consommateurs… Tous ont les moyens de véhiculer l’image

d’une marque comme il le souhaite.

Les comportements scandaleux des entreprises ne peuvent plus être masqués par des

campagnes publicitaires massives.

3. Les réseaux sociaux, une obligation pour les entreprises textiles de repenser leur communication, et plus largement leur modèle de fonctionnement

Toutes les informations circulent sur les réseaux sociaux qui occupent une place croissante

dans les décisions d’achats.

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La force des réseaux sociaux : 58%, c’est la part de web-acheteurs français, actifs sur les

réseaux sociaux, qui déclarent avoir été influences dans leur acte d’achat par leur interaction

avec les marques.

Source : Étude mondiale sur les web-acheteurs de PwC- Novembre 2014 – Consommateurs

connectés : la distribution à l’ère digitale.

La circulation d’informations et d’opinions entre internautes :

Rapport Ethicity – greenflex 2014

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Benetton – Une entreprise qui a toujours communiqué sur ses engagements….

Une chemise étiquetée Benetton retrouvée dans les décombres de l'immeuble Rana Plaza, à

Savar, près de Dacca (Bangladesh), le 27 avril 2013. (MUNIR UZ ZAMAN / AFP)

Suite à l’effondrement de l’usine du Rana Plaza, le groupe italien a d’abord nié avoir travaillé

avec cette usine :

«Aucune des entreprises présentes sur place n'était l'un de nos fournisseurs».

Cette information a rapidement été démentie avec la publication de photos de chemises de

la marque au milieu des ruines de l’usine par l’Associated Press et l’AFP.

Benetton a alors donné une autre explication :

«En ce qui concerne l'accident tragique à Dacca, au Bangladesh, nous tenons à confirmer

qu'aucune des sociétés concernées n'est un fournisseur de l'une de nos marques.

Néanmoins, une commande exceptionnelle a été effectuée et envoyée par de l'un des

fabricants plusieurs semaines avant l'accident.»,

Il devient donc très difficile pour les entreprises de nier leur implication dans le drame, que

rappellent la présence de leurs produits retrouvés dans les ruines des usines.

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Mango Les entreprises peuvent nier leurs responsabilités d’un point de vue juridique. (cf. partie I). En revanche, le drame de Dacca a montré qu’il devient impossible de ne pas assumer ses responsabilités face à l’opinion mondiale.

Grace à internet, la société civile a les moyens de diffuser très rapidement ses propres messages. ONG, journalistes, consommateurs… tous ont les moyens de véhiculer l’image d’une marque comme il le souhaite.

Les comportements scandaleux des entreprises ne peuvent plus être masqués par des campagnes publicitaires massives….

L’attitude de Benetton est un exemple parmi d’autres. La plupart des grands groupes impliqués ont eu une réaction similaire de déni, avant d’être confrontés aux images circulant sur le web : des étiquettes Carrefour, Auchan, Camaïeu, Mango et C&A auraient été trouvés dans les ruines du Rana Plaza...

Il devient donc très difficile pour les entreprises de nier leur implication dans le drame, que rappellent la présence de leurs produits retrouvés dans les ruines des usines.

Autre exemple, les « regrets » de Mango n’ont pas empêché une manifestation devant un magasin de Barcelone

Les « regrets » de Mango sur Tweeter, renvoyant aux explications de l’entreprise sur

Facebook..

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Mango y explique que les vêtements de la marque trouve dans les ruines du Rana Plaza

n’étaient que des échantillons. Si ceux-ci étaient concluants, une commande de 25 000

pièces était prévue, avec un « audit social » intervenant au moment de la commande.

Cette explication n’a pas convaincu, les commentaires Facebook et les articles de presse

soulignant qu’un « audit social » au moment de la commande n’aurait probablement rien

changé, tant la situation sociale et sécuritaire étaient désastreuses au départ….

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Nike – des pratiques qui scandalisent et qui aboutissent à des pertes financières

L’entreprise Nike des années 90 suit un modèle similaire à celui des grandes enseignes d’aujourd’hui :

- l'entreprise ne possède pas d’usine en propre

- sa production sous-traitée au plus faible coût possible, dans des pays en développement, sans aucune prise en compte des conditions sociales ou environnementales

- le cœur de métier de l’entreprise Nike est le marketing et la communication

Le boycott fin des années 90 – Pourquoi Nike en particulier ?

« Nike était visée par les activistes car c'était à l'époque la marque qui enregistrait le plus de ventes et parce qu'elle a initialement nié toute responsabilité de mauvaises pratiques dans les usines sous-traitant ses produits » d’après Rob Harrison, éditeur d'Ethical Consume.

Des pratiques scandaleuses qui aboutissent à des pertes financières

Le graphique ci-dessus représente les ventes de Nike de 1990 à 1999 et permet de visualiser l’impact du boycott fin des années 90.

Sharon Beder, détentrice des World Technology Award for Ethics et prix Michael Daly pour l'excellence en journalisme scientifique, fait de ce cas un emblème en matière de management de réputation. Nike dépense en effet plus que n'importe quelle autre compagnie dans le monde pour promouvoir la réputation de ses produits (1, 13 milliards en 2008).

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C'est en 1991 que sont publiés les documentaires sur les conditions de travail des

Vietnamiens fabriquant les produits Nike (travail des enfants, salaires misérables...), des

critiques qui se développent jusqu'en 1994. On peut voir ci-dessus que les ventes de la

compagnie ont alors tendance à stagner.

Puis, l'année 1997 est un moment clef de l'affrontement entre les communicants de Nike et

leurs critiques.

Nike niait en bloc les critiques de la presse et aurait payé l'Ambassadeur américain pour

visiter les usines d'Asie où la compagnie sous-traitait afin qu'il rapporte celles-ci. L'effet du

rapport de M. Young a été inverse de celui attendu par la compagnie.

Cela ne suffit pas, les critiques fustigent la méthodologie (visites organisées) comme les

conclusions du rapport. Des manifestations anti-Nike ont lieu en octobre 1997 dans 50 villes

américaines et onze à l'étranger. Quelques mois plus tard, les ventes de l'entreprise

s'effondrent. Les bénéfices de Nike sont tombés à 69%, ce qui correspond aux premières

pertes de la compagnie en 13 ans.

« Le produit Nike est devenu synonyme de salaires d'esclave, heures supplémentaires

forcées et autres abus » reconnaît son cofondateur et Président Directeur Général, Phil

Knight, qui embauche un directeur pour la responsabilité sociale de l'entreprise, dont la

division est agrandie à 70 personnes.

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III. L’éthique– une opportunité pour les marques

1. Mettre en place une chaine d’approvisionnement responsable requiert une expertise qui existe Les problématiques touchant aux droits sociaux dans les chaines de sous-traitance internationales ne sont pas dues à un manque de compétence en la matière.

Il existe de nombreux rapports ou études présentant les bonnes pratiques pour assurer une

production respectueuse des droits fondamentaux. Des agences et entreprises spécialisées

sur le sujet offrent une connaissance approfondie. Et il apparait, à la lecture de ces rapports

qui mettent en avant que les bonnes pratiques, qu’il s’agit avant tout de bon sens et d’une

volonté d’appliquer des règles de sécurité fondamentales.

Le rapport du PNC pour l’OCDE, demandé par la Ministre du Commerce extérieur suite au

drame du Rana Plaza, présente une liste de recommandations pour les entreprises

multinationales. Après plusieurs mois de travail et de nombreuses auditions, ce rapport

rappelle les principes fondamentaux pour une chaine de sous-traitance respectueuse.

Recommandations du PCN français de l’OCDE

4 priorités clés : 1) L’analyse des risques (risques pays, risques sectoriels, facteurs aggravant) ;

2) Le renforcement de la traçabilité de la chaîne d’approvisionnement afin d’illustrer les relations d’affaires du donneur d’ordres ;

3) L’approfondissement des audits en insistant sur leur exhaustivité, leur qualité, leur publication, leur périodicité et leur suivi ainsi que sur l’indépendance des auditeurs.

4) Le partage des responsabilités entre le donneur d’ordres et ses fournisseurs en application du concept de « lien direct » établi par les Principes directeurs. 10 recommandations aux entreprises multinationales du secteur - mesures nécessaires et suffisantes : - Recommandation n°1 : Contractualiser les engagements éthiques et le respect des normes internationales de l’OCDE et de l’OIT

- Recommandation n° 2 Cartographier la chaîne d’approvisionnement et identifier les risques

- Recommandation n°3 : Mettre en œuvre des systèmes de gestion des risques pour prévenir la survenance d’incidences négatives

- Recommandation n°4 : Encadrer la sous-traitance pour minimiser les risques

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- Recommandation n°5 : Privilégier une relation d’affaires durable et équilibrée entre le donneur d’ordres et son fournisseur

- Recommandation n°6 : Renforcer les audits sur les aspects sociaux, environnementaux et de sécurité

- Recommandation n°7 : Consulter les parties prenantes locales et valoriser le dialogue

- Recommandation n°8 : Veiller au respect des droits des travailleurs consacrés par l’OIT

- Recommandation n°9 : Veiller à ce que les fournisseurs versent des salaires permettant la satisfaction des besoins essentiels des travailleurs et de leur famille

- Recommandation n°10 : Prendre part avec l’ensemble des parties prenantes à l’indemnisation et à la réparation des dommages lorsqu’un lien direct est établi 5 propositions construites sur des bonnes pratiques : - Proposition n°1: S’engager dans une démarche collaborative, d’amélioration et de suivi avec les fournisseurs

- Proposition n°2 : S’associer aux initiatives pluripartites comme l’adhésion à un accord cadre international pour la filière textile-habillement

- Proposition n°3 : Publier des informations fiables et comparables sur les mesures de diligence raisonnable y compris sur les systèmes de gestion des risques sociaux et environnementaux

- Proposition n°4 : Former et évaluer les acheteurs aux enjeux d’un approvisionnement éthique et durable

- Proposition n°5 : Sensibiliser les consommateurs aux conditions de fabrication des produits textile

On peut citer à titre d’exemple l’entreprise Impact qui a reçu le prix Sustainable business

award en 2014 du Guardian dont le métier est de conseiller les entreprises distributrices de

produits textiles dans la mise en place d’une chaine d’approvisionnement responsable. La

méthode consiste à inclure les parties prenantes locales, comme les syndicats, les ONG, les

politiques locales. L’idée est de rapprocher le monde des conseils d’administration et de la

stratégie d’entreprise avec le monde des sites de production.

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2. Des compétences éloignées du cœur de métier des marques distributrices

Les distributeurs de produits textiles sont aujourd’hui des entreprises spécialisées dans les

questions d’Achat, de logistique et de marketing. Le métier de fabriquant et ses

problématiques propres ne font pas partie de ses compétences, et la distance géographique

avec le recours à la sous-traitance en Asie notamment n’a fait qu’accroitre cet éloignement.

Il semblerait que cet éloignement avec les réalités du terrain puisse être une des causes

d’une gestion superficielle des risques RSE. Il semblerait que la question RSE soit traitée sous

l’angle des compétences déjà présentes chez le distributeur, c’est-à-dire, sous l’angle

marketing. Ainsi, les directions développement durable se présentent comme des outils de

communication sans permettre un impact suffisant sur les lieux de production.

Comme le faisait remarquer le rapport du PCN, les entreprises qui ont un historique dans la

fabrication sont moins exposées à ces problèmes de risques sociaux majeurs sur leur chaine

d’approvisionnement.

A. Une chaine d’approvisionnement responsable ne peut être considérée comme un coût

S’il peut paraitre évident qu’à court terme la mise en place d’une démarche de

développement durable peut être en tension avec les impératifs de court terme, de

rentabilité par diminution des coûts imposés, une vision globale à plus long terme élimine

cette tension et la transforme en opportunité.

L’ensemble de nos recherches a abouti à ce constat : le respect des droits ne coûte pas plus

cher. La RSE comme opportunité de croissance est une idée qui semble s’imposer.

On peut ainsi citer Le rapport Brovelli, remis au 1er ministre et publié en juin 2013, «Responsabilité et performance des organisations » : le MEDEF, en 2012, publiait le guide «Cap vers la RSE », sous-titré « Faire de la responsabilité sociétale de l'entreprise un levier de performance ; la CGPME titrait en 2011 son guide «La responsabilité sociétale des entreprises, une opportunité pour les PME ».

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« Respecter les règles ne coute pas plus cher »

« Respecter les règles ne coute pas plus cher, à condition d’investir dans la formation des

salariés, de réduire les couts liés à une rotation excessive du personnel, et d’obtenir des

gains de productivité. Ces gains permettent de financer les augmentations de rémunération

et d’assurer des salaires décents. A ce titre, les pratiques d’achat sont importantes. Certaines

entreprises intègrent dans la sélection des fournisseurs d’autres critères que le prix tels que

les conditions sociales et environnementales de production. »

Le rapport du PCN français de l’OCDE du 2 septembre 2013

Vers une performance durable et responsable

La responsabilité sociale est un engagement au service d’une performance responsable. Pour autant qu’elle serve des objectifs dont la légitimité est reconnue et qu’elle s’exerce de façon rationnelle, la responsabilité sociale réduit les risques des organisations, renforce les performances et permet une différenciation positive.

Comment quantifier la création de valeur d’une chaine d’approvisionnement responsable ?

Au-delà des questions d’ordre éthique, et de l’avantage d’une offre adaptée à la demande

d’une consommation responsable, une étude réalisée en 2010 par PwC et Ecovadis en

partenariat avec L’INSEAD met en avant la valeur créée qui peut également se quantifier sur

les marchés financiers et auprès des actionnaires. Si tout le monde est gagnant, pourquoi

alors ces bonnes pratiques sont-elles si peu partagées ? L’explication vient probablement

du fait que les responsables de la chaine d’approvisionnement sont récompensés sur leur

performance à réduire les coûts, et non à réduire les risques ou créer de la valeur.

Une nouvelle vision de la mission des Achats est donc un point clé.

B. Les achats – cœur du sujet

Pour maitriser la chaine d’approvisionnement, le service des achats a un rôle clé dans

l’entreprise.

Les Achats conjuguent une mission économique stratégique au sein de l’entreprise et ont un

rôle clef dans le déploiement de sa politique de Développement Durable. Celle-ci ne peut se

traduire dans les faits si les acheteurs ne l’appliquent pas au quotidien dans leurs choix.

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Mettre en place une politique de Développement Durable au sein d’une entreprise ne peut

avoir de traduction dans la réalité si la volonté affichée de s’engager n’est pas compatible

avec les objectifs économiques donnés aux acheteurs. Ainsi :

Les objectifs de court terme et de long terme des acheteurs doivent être cohérents

Si les performances des acheteurs sont uniquement évaluées à court terme, sur la baisse des

coûts et la rentabilité et les délais, cela n’est pas compatible avec une démarche approfondie

de Développement Durable.

Les directions des achats et du développement durable ne peuvent être cloisonnées,

et doivent travailler ensemble, avec une mission commune ;

L’évaluation d’un cout global qui ne met pas en opposition les exigences sociales et

environnementales avec les exigences de prix et de délais

Ajouter des objectifs qualitatifs de développement durable aux objectifs quantitatifs

actuels

Passer d’une culture de gestion du risque à une prévention du risque.

Francoise Quairel, de l’Université Paris Dauphine, a distingué 2 visions distinctes de

l’intégration du développement durable dans la fonction Achats :

- Une vision « messianique » qui inscrit cette relation dans un cercle vertueux :

augmenter la qualité sociale et environnementale des fournisseurs confère un avantage

économique à l’entreprise et inversement il y a un risque important à ne pas être vigilant sur

les pratiques des fournisseurs.

- Une vision « défensive » qui se situe dans un contexte où les parties prenantes sont

puissantes, et ou la responsabilité du donneur d’ordre est mise en cause.

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Transformation de la stratégie de Nike

Couverture du risque social, et opportunité de gains de productivité

Dans une situation de crise, Nike change sa stratégie d’approvisionnement et de communication. L’entreprise adopte dès 1998 un nouveau code de conduite et revoit sa chaine d’approvisionnement en s’appuyant notamment sur une nouvelle politique de contrôle des fournisseurs. Une volonté d’être « plus solidaire » se traduit également par quelques opérations de solidarité sur les lieux de production.

La transformation des pratiques de l’entreprise a été étudiée par R. Loche, T. Kochan, M. Romis et F. Qin, et leurs travaux Au-delà des codes de conduite ont été publiés en 2007 dans la Revue Internationale du travail.

Cette étude montre notamment :

L’importance de reconnaitre et (reconnaitre) ses faiblesses pour les corriger

Suite à l’échec d’une stratégie de dissimulation, Nike a accepté de reconnaitre les faiblesses de sa chaine d’approvisionnement et a opéré un audit général. Richard LOCKE, Thomas KOCHAN, Monica ROMIS et Fei QIN ont eu accès aux bases de données de l'entreprise et notent des écarts considérables entre les différents fournisseurs de Nike : les pourcentages allaient de 20% de respect du code à 90%.

L’importance des contrôles réguliers et des liens avec les fournisseurs

Les chercheurs ont étudié l’impact des contrôles des usines pour qu’elles soient en conformité avec le code de conduite Nike. Pour cela, ils ont choisi de comparer 2 usines au Mexique, dans un environnement similaire. Il ressort que des visites plus fréquentes dans la première usine, ainsi qu'une meilleure communication entre les équipes de Nike et de l'usine améliorait la conformité entre le code de conduite et les pratiques réelles.

Ci-dessous un tableau tiré de l’étude montrant la progression d’un audit à l’autre.

On peut voir que la repetition des audits influe sur la mise en pratique du code de conduite, qui augmentait de 5% lors d'un second audit et de 12% lors d'un troisième. L'étude démontre ainsi qu'il n'existe d'autre alternative à l'entreprise que d'être présente sur le terrain et proche de ses sous-traitants. Passer par un organisme de vérification intermédiaire ne peut être efficace qu'à la condition d'un réel intérêt et engagement de l'entreprise, comme le prouve l'étude de 2007.

L’opportunité des gains de productivité

Cette étude donne également des exemples chiffres parmi les fournisseurs Nike qu’un salaire plus élevé ne signifie pas un cout supplémentaire par vêtement.

Cf. tableaux page suivante

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Nike et la transparence

Depuis 2005, Nike publie sur son site la liste complète de ses fournisseurs.

C'est en 2005 et à la suite d'une campagne de la Clean Clothes que pour la première fois,

Nike a publié la liste de ses sous-traitants. Pour Hannah Jones, alors vice-présidente de Nike,

en charge de la responsabilité sociale, « le groupe estimait qu’en rendant public sa chaîne de

fournisseurs, il allait franchir une étape, faciliter le travail d’audit et l’amélioration des

conditions de travail ». «En partageant cette information, nous contribuerons à élever les

standards pratiqués dans notre secteur. Aucune compagnie ne peut changer seule les

pratiques de tout un secteur mais nous savons que pour répondre aux demandes des

consommateurs sur cette question, il faut travailler avec les parties prenantes».

Cette transparence affichée a toutefois ses limites… Nous avons sollicité Nike au cours de cette étude. Nous souhaitions échanger avec eux sur les changements de l’entreprise au cours des 20 dernières années. Cette demande a été officiellement refusée. Seul le PDG de Nike a le droit de communiquer sur l’entreprise, aucun échange n’a donc été possible.

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IV. Une nouvelle stratégie

A. Le monde a changé, il est temps pour les grandes enseignes de repenser leur stratégie Un mouvement de fond pour une consommation responsable, la communication qui ne se fait plus de façon unilatérale grâce à internet, l’importance des réseaux sociaux pour les achats… Le monde a changé et les grandes enseignes, notamment celles spécialisées dans la mode, s’exposent à des risques majeurs avec des chaines d’approvisionnement non responsables. Le cas de Nike, emblème du travail des enfants, à la fin des années 90 montre qu’un rejet brutal d’une marque est possible, et se traduit en perte financière. Si Zara, H&M et Primark connaissent un franc succès, rien n’exclut un retournement rapide, et que ces noms puissent devenir synonymes d’esclavagisme moderne chez les consommateurs. Sans même prendre en compte les considérations d’ordre moral, les enseignes de mode s’exposent à des risques majeurs qui ne sont pas aujourd’hui intégrés dans le fonctionnement de l’entreprise.

B. Impulsion de la direction, au plus haut niveau

La volonté de mettre en place une chaine d’approvisionnement respectueuse des principes RSE ne peut venir que de la direction d’une entreprise. L’efficacité de sa mise en place et de son suivi dépendent de l’importance consacrée au sujet par la direction. Une stratégie de RSE, pour être efficace, se traite au cœur de la stratégie d’entreprise, et doit être présente à tous les échelons, dans toutes les actions. Rapprocher le conseil d’administration des sites de production n’est possible qu’avec une volonté affirmée de la direction, avec une stratégie RSE au cœur de la stratégie d’entreprise.

Comme l’indique les principes de Vigeo, agence de mesure de la responsabilité sociale en Europe :

Les risques liés à la responsabilité sociale incombent à la fonction dirigeante.

Ils ne sont ni transférables, ni « assurables ».

S’ils sont bien maîtrisés, ils peuvent devenir sources de performance.

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1. La transparence et ouverture

Une stratégie de production éthique ne peut être possible et efficace qu’avec une volonté de

transparence totale envers les consommateurs. Cette transparence permet à la fois de

gagner la confiance des consommateurs, déçue plusieurs fois par des pratiques de

greenwashing. Et cela permet également de repérer plus facilement et rapidement des

éventuels dysfonctionnements. Seule une démarche sincère, acceptant d’afficher ses forces

et ses faiblesses permet un progrès continu et une adhésion générale.

Il n’existe pas à l’heure actuelle de label ou d’agence de notation indépendante capable de

noter les comportements RSE des entreprises.

Il n’existe aujourd’hui aucun label permettant de garantir le respect des droits. Un tel label serait souhaitable. Il est cependant possible pour une entreprise de présenter une traçabilité de ses produits, en indiquant où et quand les produits sont fabriqués, dans quelles conditions etc…

2. Et accepter de ne pas être parfait….

Les entreprises de mode semblent préférer ne pas communiquer, ou maquiller dans un marketing qui ne dupe personne leur faiblesse en termes de RSE. Il apparait cependant aujourd’hui que cette stratégie n’est ni efficace en terme de communication – le manque de sincérité est particulièrement mal pris par les consommateurs – ni en terme de progrès RSE.

Il semblerait qu’accepter ses erreurs, et ses faiblesses, avoir une démarche sincère avec le consommateur serait un premier pas vers une politique RSE efficace.

Cela permet d’échanger sur les faiblesses et d’enclencher une dynamique de progrès avec toutes les parties prenantes, et d’adopter une attitude « messianique » de bonnes pratiques vis-à-vis des fournisseurs.

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Partie 3 : que faire pour que cela change? La seconde partie de cette étude montre que « c’est possible ». Il n’existe pas de freins techniques ou économiques à la mise en place de nouvelles pratiques respectueuses dans l’industrie de la mode dans son ensemble. Comment provoquer ce changement ? Une implication collective est nécessaire pour assurer une nouvelle façon de produire dans le respect de l’homme et de l’environnement. Cela signifie un engagement de la part des femmes et hommes politiques, des médias, et de nous tous, consommateurs, pour faire en sorte que les entreprises offrent les produits que nous souhaitons.

I- Qu’attendre des autorités publiques ? Les recommandations du Point de Contact français de l’OCDE

Le PCN adresse sept observations à l'attention des autorités publiques : Observation n°1 : Soutenir le processus actuel d’élaboration d’une norme internationale sur l’achat responsable

Observation n°2 : Faciliter et garantir la labellisation pour une meilleure information des consommateurs

Observation n°3 : S’associer à la communauté internationale afin de soutenir les réformes en matière de droits des travailleurs au Bangladesh

Observation n°4 : Revoir la réglementation bangladaise qui interdit à une nouvelle usine d’exporter pendant deux ans, jusqu’à l’obtention d’une licence d’autorisation

Observation n°5 : Au Bangladesh, étendre le droit commun du travail aux zones franches

Observation n°6 : Souscrire à des mécanismes assurantiels ou à un fonds d’indemnisation sectoriel

Observation n°7 : Intégrer les problématiques de RSE dans les négociations commerciales

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A. La nécessité d’un cadre juridique

1. Une loi française

Une norme dans le droit français permettrait de rendre le débat sur la responsabilité des entreprises françaises objectif, et de ne plus être dans un débat d’ordre moral. Un cadre normatif pourra donner une direction claire aux entreprises sur leur champ de responsabilité et les moyens qu’elles doivent mettre en place pour se conformer aux exigences. Un cadre législatif serait souhaitable pour déterminer notamment :

- Le devoir d’assurer une chaine d’approvisionnement responsable

- Le devoir de verser des indemnités aux victimes

- Le devoir de transparence vis-à-vis du consommateur sur le mode de production

Auchan a-t-il une part de responsabilité dans le drame du Rana Plaza ? Auchan doit-il verser des indemnités aux victimes ? Le droit français ne répond pas à ces questions aujourd’hui. En 2012, Francois Hollande s’est exprimé à ce sujet : « Je souhaite que soient traduits dans la loi les principes de responsabilité des maisons-mères vis-à-vis des agissements de leurs filiales à l'étranger lorsqu'ils provoquent des dommages environnementaux et sanitaires », François Hollande, le 12 avril 2012. Une proposition de loi sur le devoir de vigilance des entreprises est en cours d’étude.

2. Agir au niveau international

L'activité des multinationales nécessite d'être encadrée pour en limiter les nuisances sociales et environnementales, les codes de conduite volontaires ont montré leur faible efficacité. Il existe des principes internationaux dans ce sens mais qui n’ont pas de valeur contraignante.

B. Besoin d’informations et de transparence pour le consommateur

- Il n’existe pas de label public permettant de garantir au consommateur qu’un

vêtement a été produit dans des conditions respectueuses de l’homme et de

l’environnement. Ou plutôt, il en existe, mais qui sont de nature privée et qui ne

peuvent avoir de valeur de référence absolue.

- A l'initiative de la France, avec l’Afnor, l'élaboration d'une norme internationale sur

les achats responsables est en cours. Cette norme pourrait être une référence

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objective que les entreprises pourraient présenter comme gage de confiance pour les

consommateurs.

Les pouvoirs publics français peuvent encourager la réussite des travaux internationaux en cours, puis mener des campagnes d’information, tant auprès des consommateurs que des entreprises pour que cette norme devienne une référence.

La force des medias Les médias ont un pouvoir d’influence majeur. Dans les années 90, sans le relai d’Internet, les journalistes, en dénonçant les pratiques des entreprises d’habillement, sont parvenus à marquer durablement les esprits. Il en est ressorti la mise en place de code de conduite des entreprises, et Nike, emblème de cette campagne de dénonciation des dérives du prêt-à-porter a profondément changé sa façon de produire. Les codes de conduite des entreprises n’ont pas été efficaces, et aujourd’hui, la situation semble pire encore que dans les années 90… le travail des enfants n’étant qu’un aspect des dérives de cette industrie. L’exposition aux produits chimiques, la pollution des eaux affectant toute la communauté, les usines qui se transforment en piège mortel… Les medias ont le pouvoir de faire changer les choses en dénonçant toutes ces pratiques, en citant les noms des marques, exerçant ainsi une pression importante. Face à l’inaction des pouvoirs politique et juridique, la presse, par ses enquêtes et la diffusion des travaux des ONG, est le seul pouvoir permettant au consommateur de voir ce qu’il y a derrière les photos publicitaires de mode.

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Nous, consommateurs, que pouvons-nous faire ?

A- Le rôle des consommateurs Les consommateurs ont un rôle clé à jouer pour faire évoluer les pratiques des grandes enseignes de mode. Mais dans le domaine du prêt-à-porter, il n’existe pas encore de transparence sur les chaines de fabrication, et le consommateur ne peut effectuer de choix facilement. Si l’on compare avec l’alimentation, il est aujourd’hui possible pour un consommateur de faire un choix entre un produit « bio » certes plus cher, et un produit classique. Aujourd’hui, quand on veut consommer responsable en matière de prêt-à-porter, rien d’évident. Les grandes enseignes, ce qui reste le plus accessible en termes de magasins et de prix, ne pratiquent aucune transparence sur leur façon de travailler. Ainsi, le consommateur ne peut pas s’appuyer sur des critères simples pour s’assurer d’un achat responsable:

- Made in : Les ONG ne recommandent pas de boycott en fonction du pays de

fabrication. Les ouvriers du textile des pays les moins avancés se retrouveraient dans

un dénuement total si les grandes enseignes se retiraient de ces pays Idéalement, les

consommateurs devraient être satisfaits d’acheter un produit bas prix « Made in

Bangladesh » car ils contribuent au développement d’un des pays les plus pauvres du

monde.

- Chartes éthiques: Aujourd’hui, les grandes enseignes ont toutes des chartes

éthiques, des codes de conduite, des systèmes d’audit sociaux en place. Depuis les

scandales des années 90, les enseignes du prêt-à-porter et accessoire ont affiché des

politiques RSE qui n’ont cependant pas été effective sur le terrain jusqu’à présent.

B- Devons-nous payer plus cher nos vêtements ?

1- Non, le consommateur ne devrait pas être obligé de payer plus cher pour des produits respectueux.

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Suite au drame du Rana Plaza, de nombreux articles de presse ont mis en avant la question du prix. Ce lien entre les faibles prix et les conditions lamentables de travail semble aller de soi. Mais quand on étudie la question de près, on comprend que le prix n’est pas au cœur du sujet pour ces grandes enseignes. Avec leur puissance commerciale, le volume très importants des ventes et les économies d’échelles, les grandes enseignes pourraient offrir des prix bas, tout en garantissant des conditions sociales et environnementales acceptables.

- Dans les années 90, c’est Nike qui était épinglé pour ses pratiques, avec le travail des

enfants. Nike proposait des prix haut-de-gamme. Cette entreprise a par la suite

amélioré sa chaine de production sans qu’il y ait d’impact sur ses prix, et le chiffre

d’affaire a même progressé.

- Dans les décombres du Rana Plaza, on a retrouvé des produits Auchan et des

produits Benetton, pas la même gamme de prix.

- Sur un T-shirt de 29 euros, la main d’œuvre représente seulement 18 centimes. Des

dépenses supplémentaires pour la main d’œuvre seraient imperceptibles par le

consommateur.

Plus jamais de Rana Plaza, combien ça couterait ?

- 10 centimes par vêtement : Une étude du Worker Rights Consortium estime que pour une mise aux normes de sécurité des usines selon des critères occidentaux, cela couterait 3 milliards de dollars. Rapporté au nombre de pièces produites, cela ferait 10 centimes par vêtement. Ce calcul a évalué le cout des mises aux normes, sans prendre en compte la création de valeur que cela peut entrainer en termes de productivité notamment. S’il est souhaitable de mettre aux normes les usines du Bangladesh, ce processus impliquant des investissements peut prendre du temps. Il est en revanche possible, et à

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moindre coût, d’empêcher un nouveau Rana Plaza avec des principes de sécurité de base : - Interdiction d’enfermer les ouvriers

- Obligation d’évacuer dès le moindre risque

- Portes de secours non obstruées

- Extincteurs

- Formation du personnel aux règles de sécurité fondamentales…

Il n’y a pas lien automatique entre le prix que l’on paie et l’éthique de la confection. Le prix est une décision stratégique pour la vente. Ci-dessous 3 exemples qui montrent que le prix n’est pas en lien direct avec le cout de confection :

- Une marque peut décider de proposer un produit à très bas prix, sur lequel elle ne

fait qu’une faible marge, mais qui permet d’attirer une clientèle en magasin ou

gagner en notoriété.

- Une marque peut décider de déstocker des produits qui ne se sont pas vendus

comme prévus, et les proposer à bas prix.

- Certaines marques proposent des prix plus élevés pour se placer sur un marché

moyen de gamme. Le vêtement peut être fabriqué au même endroit qu’un vêtement

premier prix. L’entreprise réalise une marge supérieure, qu’elle utilise notamment

pour financer le marketing pour assurer « l’image de marque » du produit.

2- Oui, aujourd’hui s’habiller « éthique » coute plus cher car seules des PME ou TPE

proposent cette offre

Il existe une offre de mode éthique- Nous avons réalisé une sélection : http://www.latelierdecouture.com/guide_mode_ethique.php

Cette offre est assurée par des marques qui sont des PME ou des TPE, et qui proposent des produits de qualité. Ces marques éthiques sont issues de la volonté personnelle d’un créateur de mode ou, d’un entrepreneur, de proposer des produits en accord avec ses convictions personnelles. Et cette démarche, pour une entreprise de petite taille a un coût. Il n’est pas possible pour ces entreprises d’offrir des prix aussi bas que ceux des grandes enseignes. Les petites marques créatives proposant des vêtements « éthiques » ne peuvent réaliser les économies d’échelle des grandes chaines de distributions.

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Une perte de repères du consommateur sur les prix et les produits

Les prix très bas des grandes enseignes ont aboutis à une perte de repères, et une revalorisation du vêtement apparait nécessaire. Les prix très bas ne peuvent être des excuses pour les grandes chaines de distribution pour des pratiques scandaleuses. Cependant, une revalorisation du produit apparait nécessaire. Les grandes enseignes de distribution ont inondé le marché du vêtement de produits à très bas prix, tout en brouillant les repères du consommateur : - Les enseignes comme H&M ou Zara proposent des produits bas de gamme en reprenant

les codes du luxe. Les campagnes de pub H&M, leurs égéries de mode, leurs collaborations

avec des grands noms de la mode, leurs boutiques dans des lieux prestigieux…

Contrairement à Tati – qui offre pourtant des produits de gamme similaire – le

consommateur achète un produit d’entrée de gamme sans en avoir l’impression.

Cela a eu pour effet de faire baisser très fortement les prix psychologique des vêtements. Quand on a l’habitude de voir de très belles photos de mode, avec des prix qui ne dépassent pas souvent les 35 euros pour H&M, un produit a plus de 100 euros parait très cher. - Certaines marques haut de gamme ont également perturbé les repères des

consommateurs en délaissant la qualité de leur produit et en investissant massivement dans

la communication.

- Une absence de cohérence entre les messages publicitaires et le produit : par exemple des

produits présentés comme de luxe français « made in china »

Cette perte de repère est également due à l’éloignement des ateliers de confection. Les

consommateurs ne savent pas comment le vêtement est produit, et la plupart du temps ne

se représentent pas le nombre d’heures de travail que peut représenter un manteau par

exemple.

C- Avec un budget serré, que faire ?

1- Repenser sa consommation si possible

Le prix des produits éthiques est plus élevé, mais la consommation peut être pensée différemment, en misant sur des produits qui durent, et réaliser des économies dans le temps en achetant mieux et moins. S’il existe une marge de manœuvre à ce niveau, le consommateur peut se tourner vers des produits éthiques, en profitant

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notamment des soldes ou des ventes de seconde main. Les belles pièces durent de nombreuses années et ne se démodent pas.

Redonner du sens à la consommation de mode et revaloriser le produit Le renouvellement continu des collections, la surabondance des produits à bas couts, la fast-fashion a modifié notre vision du vêtement qui est aujourd’hui devenu « jetable ». Une consommation responsable tend à repenser son approche au produit. Cela signifie s’informer sur l’entreprise qui le propose, les matières, le savoir-faire. Et penser son achat dans le temps, une belle pièce de mode traverse les tendances passagères avec style. Cela peut signifier acheter moins de vêtements, mais de qualité et de prix supérieure.

2- Continuer d’acheter dans les grandes enseignes et s’exprimer pour faire respecter ses valeurs

Les grandes enseignes proposent une offre aux tarifs les plus bas. Cette offre à bas prix est une démocratisation de l’habillement, c’est un progrès. Cela n’aurait pas de sens de demander aux consommateurs de se priver de cette offre.

La faiblesse des prix n’est pas la cause des comportements scandaleux des marques. Il est donc légitime pour le consommateur de réclamer un comportement éthique des grandes enseignes, tout en bénéficiant des prix d’entrée de gamme. Comment faire ?

1- interpeller les marques

Internet donne une résonnance très forte aux actions individuelles, et le consommateur ne doit pas hésiter à s’exprimer quand ses valeurs ne sont pas respectées. Un simple message sur la page Facebook d’une marque a un fort impact.

2- soutenir les ONG impliquées

Des ONG travaillent sur ses questions au quotidien et ont besoin de soutien pour porter leurs actions. Signer une pétition, les suivre sur les réseaux sociaux, partager les informations qu’elles offrent etc… toutes ces petites actions individuelles ont un impact très fort.

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