24
EHESS L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord Author(s): Pierre Carrière Source: Études rurales, No. 52 (Oct. - Dec., 1973), pp. 57-79 Published by: EHESS Stable URL: http://www.jstor.org/stable/20120456 . Accessed: 25/06/2014 00:21 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études rurales. http://www.jstor.org This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

EHESS

L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du NordAuthor(s): Pierre CarrièreSource: Études rurales, No. 52 (Oct. - Dec., 1973), pp. 57-79Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20120456 .

Accessed: 25/06/2014 00:21

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

EHESS is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Études rurales.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

PIERRE CARRI?RE

L'insertion dans le milieu rural languedocien

des agriculteurs rapatri?s d'Afrique du Nord

La dislocation de l'empire colonial fran?ais au lendemain de la Deuxi?me

Guerre Mondiale a provoqu? le repli vers la m?tropole de toute une soci?t?

coloniale, donnant naissance ? l'un des plus prodigieux d?placements de

capitaux et d'hommes que la France ait connus au cours de son histoire.

D'ordre politique dans ses motivations, ce reflux, qui est ? mi-chemin entre

la migration volontaire et le d?placement forc?, a entra?n?, dans des

circonstances souvent dramatiques, le d?part pr?cipit? et sans espoir de retour d'une population compl?te,

toutes classes d'?ges et

cat?gories profes sionnelles m?l?es, emportant, ? d?faut des biens meubles et immeubles

auxquels il fallait renoncer, le souvenir d'une terre que ces

migrants avaient

cru devoir leur appartenir ? jamais, en m?me temps que le savoir-faire et l'esprit d'entreprise des pionniers que la plupart avaient ?t?. En dix

ann?es, la France a d? ainsi accueillir sur son sol plus de 1 500 000 personnes revenues, pour la plupart, de l'Afrique du Nord, l'Alg?rie ayant, ? elle seule, vu partir, surtout entre mai et ao?t 1962, pr?s d'un million de ses habitants

d'origine europ?enne. B?n?ficiant d'une aide dispens?e par la puissance publique

? que ses

attributaires estim?rent d'autant plus insuffisante qu'elle fut parfois fort

maladroitement allou?e ?, ces Rapatri?s s'install?rent parmi

une popula

tion m?tropolitaine beaucoup plus d?concert?e par ce r?sultat, inattendu

pour elle, de la d?colonisation, qu'hostile ou, au contraire, secourable ? ces

nouveaux venus. Ceux-ci se fix?rent de pr?f?rence dans la France du Midi, alors m?me que la plupart des offres d'emploi ?manaient de la France du

Nord et de l'Est, tant ils ?taient sensibles ? l'attrait d'un cadre de vie

semblable ? celui qu'il leur avait fallu quitter, mais aussi parce qu'il ?tait

plus facile, pour eux, de se loger dans ces r?gions d'?migration chronique et dont beaucoup se d?peuplaient. La persistance de liens familiaux unissant ceux des colons qui descendaient de cultivateurs languedociens conduits,

jadis, en Afrique du Nord par la crise phyllox?rique, ? leurs parents rest?s au pays, l'habitude prise

au Maghreb, souvent, d'envoyer les grands enfants

terminer leurs ?tudes ? Montpellier, la possibilit? offerte, aussi, de parti

ciper ? l' uvre d'am?nagement entreprise

en Languedoc-Roussillon

au

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

58 P. CARRI?RE

d?but des ann?es 60, ? la diligence de la puissance publique, ont fait de

cette R?gion de programme une terre d'accueil privil?gi?e pour les Rapa tri?s. Ainsi, sur les 928 620 Rapatri?s d'Alg?rie entr?s en France entre les recensements de 1962 et 1968, qui seuls, parmi ces migrants, ont pu ?tre

recens?s, et qui repr?sentent 1,9 % de la population fran?aise de 1968, 84 748 se sont ?tablis en Languedoc-Roussillon, de pr?f?rence dans l'H?rault

(39 988, soit 7,2 % de la population du d?partement), le Gard (18 655 et 3,9 %) et les Pyr?n?es-Orientales (16 198 et 5,7 %), plut?t que dans

l'Aude (9 140 et 3,2 %) ou la Loz?re (767 et 0,1 %). Parmi ce groupe imposant de Rapatri?s d'Alg?rie install?s en Languedoc

Roussillon entre 1962 et 1968 ne figuraient en 1968 que 26 620 actifs, tant il y avait parmi eux de jeunes (34,8 % avaient moins de 24 ans) mais

aussi de personnes ?g?es (18,3 % de plus de 65 ans). Ces actifs peu nom

breux ? ils ne repr?sentent que 31,2 % de l'effectif total des migrants

quand la population fran?aise, en son entier, compte alors, en son sein,

40,8% d'actifs ? appartiennent, dans la proportion de 40%, ? l'ensemble

form? par les membres des professions lib?rales, les cadres moyens et

sup?rieurs et les employ?s, tandis que les ouvriers et le personnel de service, un peu plus nombreux, constituent 42 % d'un groupe d'actifs dont 12 % des

membres sont des patrons de l'industrie et du commerce. C'est dire que

les cultivateurs ne forment, parmi eux, qu'une minorit? : 1 672 actifs

agricoles revenant d'Alg?rie se sont ?tablis en Languedoc-Roussillon entre 1962 et 1968, ce qui ne repr?sente gu?re plus de 1 % des actifs agri coles pr?sents dans la r?gion en 1968 et l'on compte, parmi eux, 1 008 chefs

d'exploitation et 664 salari?s agricoles. Peu nombreux, d?munis de tout, ceux de ces

agriculteurs qui ont choisi de poursuivre

en Languedoc

Roussillon l'exercice de leur m?tier n'en ont pas moins eu sur l'?volution

de l'agriculture de notre r?gion une influence d?cisive dont il nous faut, maintenant, ?valuer la port?e.

Les agriculteurs rapatri?s d'Afrique du Nord

en Languedoc-Roussillon

Le repli vers la m?tropole de la soci?t? coloniale n'a d'abord concern?, de 1954 ? 1961, qu'une minorit? de personnes bien inform?es qui surent

? temps r?aliser leur capital et, rentr?es au

pays, n'eurent aucun mal

? r?ussir leur installation. Celles qui se fix?rent au sol en Languedoc Roussillon le firent ? titre individuel, le plus souvent ? l'int?rieur de la zone que la puissance publique ?quipait pour l'irrigation en Costi?re

gardoise o?, disposant de capitaux, elles firent uvre novatrice, au m?me

titre que ces agriculteurs d'?lite, migrants fortun?s venus d'autres r?gions fran?aises pour cr?er l? une agriculture de type industriel [5], sans qu'il y ait

ici rien de sp?cifique de cette migration de masse qu'a ?t? le rapatriement.

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 59

Les sources et la m?thode de V?tude

Ce dernier s'est d?roul? dans des circonstances si dramatiques que l'administration, parant au

plus press?, n'a gu?re eu le temps d'en assurer

le contr?le ni m?me de dresser la simple statistique des entr?es. Aussi les

renseignements sont-ils rares concernant les voies suivies par les immi

grants durant les premi?res semaines de leur retour en m?tropole,

ou m?me

relatifs ? la mani?re dont ceux-ci per?urent les premiers secours et allo

cations attribu?s par la puissance publique ? ceux qui rentr?rent apr?s le 10 mars 1962, lorsque l'exode devint massif.

Les formalit?s ne commenc?rent vraiment pour les Rapatri?s que

lorsqu'ils sollicit?rent l'octroi par les pouvoirs publics d'une aide ? la

r?installation, les dossiers qu'ils durent alors constituer ?tant, pour le

chercheur, une source pr?cieuse de renseignements. Par le vote de la loi du 26 d?cembre 1961 et la publication du d?cret du 10 mars 1962 puis, surtout, de l'arr?t? du 8 juin 1962, les pouvoirs publics d?cid?rent d'accorder une aide aux

agriculteurs rapatri?s d?sireux de reprendre en

m?tropole l'exercice de leur m?tier. Le l?gislateur avait exclu du b?n?fice de l'aide publique ceux des anciens colons qui disposaient des sommes n?cessaires ? leur r?installation, soit qu'ils aient per?u des indemnit?s de

dommages de guerre, de spoliation, d'?viction ou de rachat, soit qu'ils aient vendu tout ou partie de leurs biens outre-mer et transf?r? les capitaux correspondants hors du territoire de d?part. De ce fait, tous les agriculteurs rentr?s en m?tropole avant mars 1961 ne b?n?fici?rent d'aucune aide

publique, sauf exception, ?chappant ainsi ? l'enqu?te, d?s lors que celle-ci se fonde sur l'exploitation de documents administratifs.

Pour obtenir l'aide publique, les Rapatri?s durent, au pr?alable, faire reconna?tre leur qualit? d'exploitants agricoles et

acqu?rir ainsi leur

statut de ee migrant ?. D?s lors, ils pouvaient pr?tendre ? une aide dont les modalit?s d'attribution et le montant vari?rent selon l'organisme public charg? d'en assurer la r?partition. Install? par l'Association nationale de

migration et d'?tablissement rural (ANMER), l'agriculteur rapatri? b?n? ficia d'une subvention de reclassement dont le montant fut fix? ? 20 000 F dans les d?partements de l'H?rault et des Pyr?n?es-Orientales, les plus dens?ment peupl?s, ? 30 000 F dans les d?partements de l'Aude et du Gard et ? 50 000 F dans le d?partement de la Loz?re o? l'on souhaitait attirer de nombreux exploitants. Ils re?urent aussi des pr?ts sp?ciaux ? long terme, attribu?s par les caisses du Cr?dit agricole, d'un montant maximum de 170 000 F, remboursables en trente ans, avec diff?r? d'amortissement de cinq ans et portant un taux d'int?r?t de 2 %. Les pr?ts ? moyen terme consentis pour faire face aux frais d'?quipement et de mise en valeur

portaient un int?r?t de 3 %. S'il eut recours, pour s'installer, ? une Soci?t?

d'am?nagement foncier et d'?tablissement rural (SAFER) ou ? une Soci?t?

d'am?nagement r?gional (SAR), l'agriculteur rapatri? per?ut une subven tion pour reclassement de 50 000 F au maximum, tandis que le montant

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

60 P. CARRI?RE

des pr?ts ? long terme fut port? ? 200 000 F au maximum, l'ensemble des

pr?ts et subventions accord?s ? chacun ne pouvant d?passer 250 000 F,

quand la limite sup?rieure ?tait de 220 000 F dans le cas pr?c?dent : il ?tait

donc avantageux pour un Rapatri? d?sireux de s'?tablir en Languedoc Roussillon de faire appel aux services d'une soci?t? d'am?nagement. Ceux

des Rapatri?s qui ne purent obtenir la qualit? de ee migrants ? eurent droit, de leur c?t?, ? l'attribution d'un pr?t de 100 000 F au maximum, rembour

sable en vingt ans avec un diff?r? d'amortissement de trois ans, et portant un taux d'int?r?t de 3 %. Ils purent aussi obtenir du Cr?dit agricole des

pr?ts ordinaires, ? moyen terme, portant int?r?t de 5,25 %. Dans tous les cas, les agriculteurs rapatri?s b?n?ficiant de pr?ts et

subventions de reclassement s'engag?rent ? assurer

personnellement la

direction de leur exploitation, les groupements d'entreprises n'?tant

autoris?s que dans le cas o? chacun des chefs d'exploitation, et il ne pou vait y en avoir plus de six dans chaque cas, s'engageait ? participer en

personne au travail en commun. En outre, chaque candidat ? l'installation

devait apporter, subvention de reclassement comprise, au moins 20 % du

capital d'installation. On comprend d?s lors pourquoi quelques-uns seule

ment des agriculteurs rapatri?s, la minorit?, purent acqu?rir une exploi tation dans notre r?gion, les plus ?g?s ou les plus d?munis de ces migrants se voyant contraints de changer d'activit?.

Ainsi, 906 chefs d'exploitation seulement re?urent du minist?re de

l'Agriculture l'autorisation de s'?tablir en Languedoc-Roussillon en b?n?

ficiant de l'aide publique pr?vue par le l?gislateur. Ce sont les dossiers ayant servi ? justifier l'attribution de cette aide qui, conserv?s par les soins des

Associations d?partementales pour l'am?lioration des structures des

exploitations agricoles (ADAS E A) de chacun des d?partements de notre

r?gion, ont fourni la mati?re de cette enqu?te. Les renseignements obtenus

relatifs ? la personne du chef d'exploitation, ? l'exploitation abandonn?e

par celui-ci outre-mer, l'exploitation reprise dans la r?gion, l'aide financi?re

demand?e et obtenue, ont ?t? compl?t?s par une enqu?te directe conduite

aupr?s de 98 chefs d'exploitation repr?sentatifs des diff?rentes cat?gories

d'agriculteurs rapatri?s [1]. Ce faisant, il est clair que l'enqu?te ne porte que sur ceux des agri

culteurs repli?s qui ont ?t? consid?r?s par l'administration comme des

Rapatri?s, et non sur l'ensemble des cultivateurs de l'ancien empire colonial

install?s dans notre r?gion, et qui seraient, selon les autorit?s de la R?gion, deux fois plus nombreux que les premiers. Faute de documents, il n'est

donc possible d'?tudier qu'une partie de l'aide que l'agriculture de notre

r?gion a re?ue du fait du repli de la soci?t? coloniale vers la m?tropole.

Les biens fonciers abandonn?s en Afrique du Nord

Tels qu'ils apparaissent d'apr?s leurs dossiers de reclassement, la plupart des chefs d'exploitation ayant obtenu une aide ? la r?installation : 822

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 61

sur 906 viennent d'Alg?rie, alors que les agriculteurs originaires du Maroc ne sont que 47 et que 37 de ces cultivateurs ont quitt? la Tunisie (cf. Fig. 1).

Les exploitations qu'ils sont d? abandonner au Maghreb, de superficie tr?s variable, mais beaucoup plus vastes que celles du Languedoc, puisque leur superficie moyenne atteignait 120 ha en Alg?rie et 160 ha au Maroc, ?taient particuli?rement nombreuses dans les plaines c?ti?res humides :

Mitidja, plaines d'Oran, de Skikda, d'Annaba, dont les sols fertiles se pr? taient au

d?veloppement des cultures mara?ch?res intensives, ainsi que

6

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

62 P. CARRI?RE

de l'agrumiculture, dont les produits ?taient destin?s aux march?s urbains tout proches ou ? l'exportation. Les cultivateurs d'origine europ?enne avaient aussi introduit ces m?mes cultures intensives sur les exploitations

qu'ils avaient am?nag?es au long des principales vall?es irrigu?es : celle de

l'oued Ch?lif en Alg?rie, de la Medjerda et du Mell?gue en Tunisie, de l'oued

Sebou au Maroc. Glacis d'?rosion et coteaux bordant ces plaines portaient

de grandes exploitations viticoles, particuli?rement nombreuses dans les

r?gions de Mascara, M?d?a, Sidi-bel-Abb?s, justement c?l?bres pour la

qualit? du vin qui y ?tait produit. Plus rares ?taient les colons install?s sur les hautes plaines int?rieures, cultivant les c?r?ales et ?levant du b?tail aux environs de Tiaret, S?tif, Constantine ou dans le Maroc int?rieur.

Les petites exploitations n'?taient pas rares parmi les entreprises aban

donn?es par les 906 migrants, puisque 9,2 % d'entre elles, situ?es ? l'int?

rieur des ceintures mara?ch?res p?ri-urbaines ou dans les zones les mieux

irrigu?es, comptaient moins de 10 ha chacune. Les exploitations de 10

? 50 ha, qui repr?sentaient 28,4 % des exploitations recens?es, ?taient

consacr?es aux vergers et au vignoble. Sur les exploitations cultivant

entre 50 et 500 ha, de loin les plus nombreuses : 53,4 % de ces entreprises

disposaient de cette surface, la vigne se m?lait aux c?r?ales, tandis que la

culture des c?r?ales associ?e ? l'?levage ovin ou, plus rarement, bovin,

triomphait sur les terres de 9 % des exploitations disposant chacune de plus de 500 ha de terres cultiv?es.

La plupart des chefs d'exploitation ?taient int?gralement propri?taires du sol qu'ils cultivaient et qu'ils avaient re?u en h?ritage ou acquis sur

un march? foncier rest? longtemps tr?s ouvert. Pourtant, 8 % des chefs

d'exploitation dirigeaient des entreprises agricoles d?tenues en m?tayage et 8,2 % ?taient des fermiers. Enfin, 5,3 % des chefs d'exploitation g?raient des entreprises appartenant ? des soci?t?s familiales, bancaires ou indus

trielles, voire au domaine public.

Les hommes

Si l'on en juge d'apr?s la consonance de leur nom de famille, 73,7 % de

ces chefs d'exploitation install?s en Languedoc-Roussillon descendent

d'?migrants fran?ais, tandis que 12,6 % d'entre eux, venus avant tout

d'Oranie, sont d'origine espagnole, les descendants d'Italiens, arriv?s de

l'Est alg?rien ou de Tunisie, formant 12,5 % d'un groupe o? se trouvent

aussi 1,2 % d'autochtones francis?s.

Au moment de leur installation en Languedoc-Roussillon, ces chefs

d'exploitation sont, dans leur majorit?, tr?s jeunes : 31,8 % d'entre eux

ont moins de 35 ans, la plupart (51,7 %) ayant entre 35 et 55 ans, si bien

que ceux qui ont plus de 55 ans ne repr?sentent que 16,5 % des chefs

d'exploitation rapatri?s quand on compte plus de 50 % de chefs d'exploi tation de plus de 55 ans en Languedoc-Roussillon au m?me moment.

Si les agriculteurs rapatri?s sont aussi jeunes, c'est que ceux d'entre

eux qui avaient atteint un

?ge avanc? n'ont pas voulu ou pu courir le

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 63

risque inh?rent ? une r?installation, d'autant que toute avance de fonds leur a ?t? refus?e et que le remboursement des pr?ts consentis aux autres

devait ?tre assur? avant que les b?n?ficiaires n'atteignent l'?ge de 70 ans.

En outre, bien des jeunes rapatri?s sollicit?rent l'octroi d'une aide ? la r?installation sur des exploitations qui furent, en fait, regroup?es avec

celles de fr?res ou de parents dans des ensembles dirig?s par le plus ?g? des membres de ces associations familiales, si bien que le groupe des chefs d'exploitation rapatri?s d'Alg?rie est moins jeune qu'il ne para?t ? premi?re

vue.

Les familles de ces cultivateurs rapatri?s n'?taient, au moment de

leur installation, gu?re plus nombreuses que celles des agriculteurs de la

r?gion : 18 % de ces chefs d'exploitation repli?s n'?taient pas mari?s ou

n'avaient pas d'enfants, tandis que les p?res d'un enfant repr?sentaient 18 % de leur groupe, ceux de deux enfants 35 %, ceux de trois enfants 20 %. En revanche, leur niveau de formation ?tait de toute ?vidence sup?rieur ? celui des chefs d'exploitation d?j? en place lors de l'arriv?e des Rapa tri?s. Ainsi 46 % seulement de ces Rapatri?s n'avaient fr?quent? que des ?tablissements d'enseignement primaire, tandis que 41 % ?taient entr?s dans le cycle secondaire et 13 % avaient re?u un

enseignement sup?rieur,

agronomique le plus souvent. Or, selon les r?sultats de l'Enqu?te sur la structure des exploitations agricoles de 1967, il s'av?re que 89 % des

exploitants du Languedoc-Roussillon n'avaient re?u, ? cette date, qu'une

formation primaire, 9 % une formation secondaire et 2 % une formation

sup?rieure. Nul doute que, de ce fait, les agriculteurs rapatri?s n'aient ?t? particuli?rement aptes ? faire uvre novatrice et pr?ts ? introduire sur leurs exploitations nouvelles des syst?mes de cultures tr?s intensifs.

LES EXPLOITATIONS DES AGRICULTEURS RAPATRI?S

La recherche de forts rendements et d'une productivit? du travail ?lev?e

s'imposait ? eux d'autant plus imp?rativement que les exploitations qu'ils venaient

d'acqu?rir ?taient beaucoup moins vastes que celles qu'ils avaient

d? abandonner outre-mer.

Caract?res g?n?raux

C'est que la d?couverte d'une exploitation libre ? la vente fut une entre

prise longue et co?teuse pour les Rapatri?s. Les terres vacantes ne man

quaient pas mais elles se trouvaient surtout dans les r?gions agricoles les

plus d?favoris?es, si bien que la concurrence fut vive entre acqu?reurs dans les bons pays. Aussi, le prix de la terre ne cessa-t-il d'augmenter, gagnant entre 200 et 250 % de 1960 ? 1966 dans le Gard et l'H?rault o? se pressaient les candidats, la hausse restant inf?rieure ? 200 % dans les

Pyr?n?es-Orientales, l'Aude et la Loz?re. Il fallut, pour mod?rer cette

flamb?e du prix de la terre, donner aux SAFER les moyens d'action n?ces

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

&.Jk

rfr&?

.? .Jilt'*

* * .*%*

^JNSfi

ear

3K?* i; 7? <

? *#**:

is??

-.?. : "* " ' "' -' ? ..

" ^ JSTSfre? ?+^SSSr**^"^5^^^^

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

12 3 4

15 30 45 60 Km.

1111

Chefs d'exploitation rapatri?s

1 2 4

5 10 20

5 10 20 40

Limites

7 Commune 8 D?partement 9 Fronti?re

Fig. 2. ? R?partition g?ographique des chefs

d'exploitation agricoles rapatri?s d'Afrique du Nord en Languedoc-RoussiDon

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

66 P. CARRI?RE

saires pour cr?er des exploitations destin?es aux Rapatri?s. En d?pit de cette aide, les Rapatri?s durent patienter de longs mois avant d'obtenir

le droit de s'installer sur une exploitation : dans notre r?gion 38 % furent r?install?s au cours de la premi?re ann?e de leur s?jour en m?tropole, 45 % durant la deuxi?me, 11,5 % durant la troisi?me et les autres au long de la quatri?me ann?e. Encore fallait-il ne pas craindre de courir les bureaux et de contracter de lourds engagements financiers, et devait-on disposer de 20 % du prix d'achat de l'exploitation convoit?e, toutes exigences qui ?cart?rent de la comp?tition pour le sol de nombreux agriculteurs rapatri?s.

Dans la proportion de 80 %, les agriculteurs rapatri?s install?s en

Languedoc-Roussillon ont acquis leur exploitation sur le march? foncier, la SAFER n'ayant pu mettre ? la disposition des autres que 185 exploita tions am?nag?es par ses soins. La part relative prise par chacun de ces deux

modes d'achat varie de d?partement ? d?partement selon la plus ou moins

grande ouverture du march? foncier et en fonction du degr? d'activit? de

la SAFER contrainte, par ses statuts, d'intervenir en priorit? dans les secteurs o? d'importants investissements publics ?taient en cours et ceux-ci

concernaient avant tout la moiti? orientale de la plaine littorale. Ainsi

67 exploitations seulement qui ne rassemblaient que 599 ha furent acquises par les Rapatri?s dans le d?partement des Pyr?n?es-Orientales, dont

47 obtenues par l'interm?diaire de la SAFER qui en dota 13 de serres.

La pression sur la terre ?tait ici trop forte pour qu'une place notable soit

laiss?e aux Rapatri?s, d'autant que la SAFER n'avait pu obtenir dans ce

d?partement l'octroi du droit de pr?emption. Au contraire, dans l'Aude, de nombreuses exploitations ?taient en vente, la plupart situ?es en dehors du domaine viticole, si bien que les Rapatri?s n'eurent gu?re besoin de recourir aux services de la SAFER : pour 292 installations portant sur

14 610 ha, la SAFER n'est intervenue que dans 29 cas.

Bien que la SAFER ait proc?d? ? 41 installations de Rapatri?s dans

l'H?rault et ? 68 dans le Gard, la plupart des nouveaux venus dans ces deux

d?partements achet?rent leur exploitation sur un march? foncier relati

vement ouvert, si bien qu'au total 286 Rapatri?s contr?lant ensemble

7 400 ha prirent la t?te d'une exploitation dans l'H?rault, imit?s par 259 de

leurs coll?gues dans le Gard qui y acquirent 6 421 ha. Au total, la superficie moyenne des 906 exploitations obtenues par les

Rapatri?s s'?tablit ? 32,04 ha, alors que la superficie moyenne des exploi tations autochtones n'?tait que de 11,4 ha en 1963. Toujours sup?rieure ? celle des exploitations autochtones, la surface des exploitations acquises par les Rapatri?s varie de d?partement ? d?partement : 8,9 ha contre 7,2 dans les Pyr?n?es-Orientales, 24,8 ha contre 11,3 dans le Gard, 25,9 ha contre 7,3 dans l'H?rault et 50,2 ha contre 13,1 dans l'Aude.

Conduites en faire-valoir direct, ces exploitations qui repr?sentent moins de 1 % des exploitations du Languedoc-Roussillon mais disposent de 2,6 % de la superficie agricole utile de cette r?gion, se pr?tent ? l'adoption de syst?mes de cultures fort variables d'une r?gion agricole ? l'autre, et que les dossiers d'installation nous permettent de reconstituer (cf. Fig. 2 et 3).

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 67

Les Rapatri?s dans la plaine littorale

Plus de la moiti? des agriculteurs rapatri?s, 469 sur 906, encourag?s en

cela par les Soci?t?s d'am?nagement qui les aid?rent ? s'installer, se sont

?tablis sur 7 055 ha dans la plaine littorale o? ils allaient pouvoir pratiquer des cultures famili?res : viticulture, mara?chage de plein champ, ou adopter, quand ils disposaient de peu de terres, des cultures ? technologie plus avanc?e qu'ils contribu?rent ? introduire ou ? propager dans notre r?gion :

arboriculture fruiti?re et cultures sous serres.

C'est dans la plaine du Roussillon qu'ils eurent le plus de difficult?s

? se faire une place parmi la foule des petits exploitants autochtones qui

s'y disputent un sol rare et fort cher. Les 58 agriculteurs rapatri?s qui s'y sont install?s ne poss?dent que 263 ha, c'est-?-dire moins de 1 % de la SAU

de la plaine. Ils ne sont que tr?s rarement parvenus dans les 19 communes

o? ils se trouvent, ? s'assurer le contr?le de 2 % de la SAU communale, tant la superficie de leurs exploitations est r?duite : la superficie moyenne de ces derni?res n'est que de 4,5 ha, quand celle de l'ensemble des exploi tations de la plaine roussillonnaise est de 4,7 ha. C'est bien pourquoi les

agriculteurs rapatri?s pratiquent peu la viticulture, ne consacrant ? la

vigne que 32 % de leurs terres, quand, dans l'ensemble de la plaine, les

ceps occupent 66 % de la surface cultiv?e. Sur une seule exploitation, g?r?e en commun par trois fr?res rapatri?s d'Alg?rie, la vigne occupe la

majeure partie du sol, mais c'est que la place

ne manque pas ici par excep

tion : 56 ha situ?s, de plus, dans l'aire d'appellation ? vins de Rivesaltes ?.

Tous les autres agriculteurs rapatri?s sont, avant tout, des arboriculteurs

? les vergers occupent 39 % de leurs terres mais seulement 5 % de celle

de la plaine dans son ensemble ? et des mara?chers qui, souvent, poss?dent

des serres : 14 exploitations en sont dot?es et consacrent 28 % de leur

superficie cultiv?e aux l?gumes quand ceux-ci n'occupent que 8 % de celle de toute la plaine. Bien qu'anciens viticulteurs, les agriculteurs rapatri?s ont donc adopt? des syst?mes de culture plus intensifs que ceux pratiqu?s par leurs coll?gues autochtones, et s'ils sont parvenus sans

peine ? ma?triser

ces techniques nouvelles qu'il leur a fallu mettre en uvre, ils ont, en

revanche, beaucoup de difficult?s pour ?quilibrer une gestion grev?e par de lourdes d?penses d'installation, alors m?me que les prix des fruits et

l?gumes livr?s sur le march? sont plus sensibles aux variations de la

conjoncture que ne l'?tait le cours du vin.

Comme la pression fonci?re ?tait moins vive dans les parties audoise et h?raultaise de la plaine littorale que dans sa section roussillonnaise, 276 agriculteurs rapatri?s, c'est-?-dire 32 % des rapatri?s install?s en

Languedoc-Roussillon, s'y sont ?tablis dans 61 communes. Les 62 chefs

d'exploitation rapatri?s du Narbonnais poss?dent ensemble 1 144 ha, ce qui

repr?sente une superficie moyenne d'exploitation de 18,4 ha, ?gale ? celle de l'exploitation ce de r?f?rence ? de la plaine viticole ? 2 UTH, tandis que dans la plaine h?raultaise 214 rapatri?s cultivent 3 043 ha, c'est dire que

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

68 P. CARRI?RE

chacun y dispose, en moyenne, de 14,2 ha, alors que la superficie moyenne de l'exploitation autochtone n'est que de 5,7 ha en 1962.

Aussi les agriculteurs rapatri?s font-ils ? la vigne meilleur accueil encore que leurs coll?gues autochtones, lui laissant 63 % du sol dans le

Narbonnais et 82 % dans la plaine h?raultaise, quand ceux-ci ne lui

accordent, respectivement, que 60 et 70 % de leur surface cultiv?e. La

vigne occupe plus de 50 % de la surface cultiv?e sur 192 exploitations appartenant ? des Rapatri?s, sur lesquelles elle est conduite soit en mono

culture (136 exploitations), soit en association avec l'arboriculture (41 exploi tations), le mara?chage (10 exploitations) ou la polyculture (5 exploitations).

La premi?re place revient aux cultures ? fort produit brut ? l'hectare

dans 84 exploitations, dont 10 sont conduites en monoculture arboricole, tandis que 46 associent vergers et cultures mara?ch?res ou vignobles, 10 le mara?chage et la viticulture, 18 ?tant sp?cialis?es dans la culture sous

serre de l?gumes ou de fleurs : la n?cessit?, ici aussi, a transform? les

agriculteurs rapatri?s en novateurs.

Mais c'est sans aucun doute dans la plaine littorale gardoise que les

agriculteurs ont fait le mieux la preuve de leur aptitude ? l'innovation en

adoptant rapidement la pratique de l'agriculture irrigu?e que l'action des

soci?t?s d'am?nagement rendait possible. Ici, 135 agriculteurs rapatri?s se sont install?s dans 22 communes, Beaucaire, Bellegarde et Saint-Gilles

ayant accueilli 65 d'entre eux. Ensemble, ces rapatri?s disposent de 3 043 ha, ce qui repr?sente 4,7 % de la superficie cultiv?e dans cette r?gion agricole, pourcentage qui n'est atteint nulle part ailleurs en Languedoc-Roussillon. C'est que les exploitations acquises

sont non seulement nombreuses mais

vastes, la plupart (93, dont 50 cr??es par la SAFER) disposant de 20 ? 50 ha de terres cultivables.

L'arboriculture irrigu?e de type industriel y tient, de loin, la premi?re

place dans le syst?me de cultures, puisque les vergers se voient r?server

pr?s de 40 % de la superficie cultiv?e par les Rapatri?s, quand ils n'occupent que 4 % de la superficie de la plaine gardoise dans son ensemble. Rares sont les exploitations

sans verger : 17 sont conduites en monoculture arbo

ricole, 52 associent arboriculture et viticulture, 21 l'arboriculture et le

mara?chage, 15 l'arboriculture et la polyculture. Pommiers, p?chers et,

plus rarement, abricotiers forment ici de beaux vergers dont les fruits

sont, pour une part, livr?s ? l'?tat frais, et pour l'autre transform?s par

l'entreprise Conserves-Gard dont les Rapatri?s ont ?t? parmi les premiers actionnaires.

Sur les exploitations de ceux-ci, la vigne n'occupe que 32 % des terres

cultiv?es, alors que les ceps sont pr?sents sur 46 % des sols de la plaine

gardoise. Mais la vigne est, chez les Rapatri?s, mieux conduite que chez

les autochtones, les c?pages recommand?s et la taille haute ayant rapi

dement pris, chez ceux-l?, la place des plants traditionnels et de la taille

basse que ceux-ci conservent.

Parmi les autres cultures associ?es ? la vigne et aux vergers auxquelles

les agriculteurs rapatri?s r?servent 24 % des superficies qu'ils poss?dent, les

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 14: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 69

cultures mara?ch?res de plein champ occupent souvent la premi?re place.

Cependant, 3 exploitants install?s dans la commune de Vauvert sur de vastes

exploitations cr??es apr?s dess?chement des marais et disposant

chacun, respectivement, de 117, 100 et 70 ha, s?ment le bl?, le seigle, le

ma?s et les plantes fourrag?res n?cessaires ? l'alimentation du troupeau

qu'ils entretiennent aux fins de production de viande.

Les Rapatri?s dans les plaines et sur les collines int?rieures

La petite r?gion agricole de la vall?e du Rh?ne, au relief d?j? vallonn? et o? l'arboriculture est une pratique d?j? ancienne ? les vergers y

occupent 11 % de la surface cultiv?e au moment o? s'y installent les

Rapatri?s ? n'a accueilli que 48 de ces derniers ?tablis dans 12 communes.

La taille moyenne de leurs exploitations, ?gale ? 17,8 ha, reste de beaucoup

sup?rieure ? celle de l'exploitation moyenne autochtone, ceci en raison surtout de l'action de la SAFER qui a ?tabli 17 de ces migrants.

L'arboriculture fruiti?re n'est, ici, pratiqu?e que sur 34 % de la super ficie cultiv?e par les Rapatri?s car l'irrigation n'est possible que dans la

basse vall?e du Gardon, ainsi que sur les terroirs occupant l'extr?mit?

septentrionale de la Costi?re gardoise, rattach?s arbitrairement ? cette

r?gion agricole. En revanche, la vigne joue ici le premier r?le, occupant 54 % des surfaces poss?d?es par les Rapatri?s

: c'est que leurs terres se trouvent

dans une aire d'appellation d'origine contr?l?e (Lirac, Tavel). Non loin de l?, dans les r?gions agricoles dites ? des Garrigues et des

Soubergues gardoises et h?raultaises ?, les Rapatri?s ont ?tabli 139 exploi tations disposant, ensemble, de 7 024 ha de terres, soit un peu moins

de 2 % de la superficie agricole de ces r?gions, dont les sols cultivables sont consacr?s, traditionnellement, partie ? la vigne, partie ? la poly culture.

La plupart des Rapatri?s, soit 66 exploitants, sont install?s, ? proximit? imm?diate de la plaine littorale, dans 29 communes des Garrigues gar doises, sur 2 514 ha. L'arboriculture, ? laquelle ces cultivateurs con

sacrent 41 % de leur surface cultiv?e, tient la premi?re place ici encore car

l'irrigation reste

possible, mais la vigne vient au second rang dans le

syst?me de culture, occupant 31 % de la surface utilis?e. Les c?r?ales et

les plantes fourrag?res se

partagent le reste des parcelles, la r?colte servant

? l'alimentation d'ovins qui utilisent les terres vacantes en qualit? de

parcours pastoraux ou, plus rarement, de bovins engraiss?s ? l'?table.

L'arboriculture est, par contre, pratiquement absente des Soubergues, celles-ci se trouvant en dehors de la zone am?nag?e pour l'irrigation. Aussi les 56 chefs d'exploitation rapatri?s install?s dans les Soubergues de

l'H?rault sur 3 536 ha n'utilisent-ils que 2 360 ha consacr?s, dans la propor tion de 44 %, ? la vigne. Rares sont les exploitations

? on en compte 9 dis

posant chacune de 5 ? 15 ha ? consacr?es ? la monoculture de la vigne, la

plupart associant ? un petit vignoble la pratique d'une polyculture ? domi nante c?r?ali?re.

7

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 15: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

70 P. CARRI?RE

Cette m?me association s'est impos?e ? la plupart des Rapatri?s ?tablis

dans la r?gion agricole dite ? r?gion viticole de l'Aude ? o? 86 chefs d'exploi tation, install?s dans 29 communes, disposent de 4 587 ha dont 3 500 ha

cultiv?s, soit un peu moins de 2 % de la superficie agricole utile de cette

r?gion. Comme la plupart de ces cultivateurs ont d? s'?tablir en dehors de

la r?gion viticole dont les terres changent peu de mains, la vigne tient dans

leur exploitation moins de place (39 % du sol cultiv?) qu'elle ne le fait dans

l'ensemble de la r?gion (50 %). En revanche, les vergers, encore refus?s par la plupart des agriculteurs autochtones ? ils n'occupent que 0,5 % de leurs

exploitations ? sont adopt?s par les agriculteurs rapatri?s d?s qu'il leur

est possible d'irriguer en pr?levant de l'eau dans les rivi?res ou dans la

nappe phr?atique, si bien que 7 % des terres poss?d?es par les Rapatri?s leur sont consacr?s.

Les Rapatri?s et les terroirs de la bordure montagneuse

Alors que les plaines et les collines int?rieures ont accueilli 273 chefs

d'exploitation rapatri?s disposant, ensemble, de 12 467 ha, 164 exploita tions seulement qui ne rassemblent que 9 508 ha ont ?t? acquises par ces

migrants ? la surface des plateaux qui entourent la plaine ou au fond des

vall?es montagnardes des Pyr?n?es-Orientales et du sud du Massif Central.

Les terroirs audois du Pays de Sault, du Raz?s, du Lauragais et de la

Montagne Noire ont accueilli 142 agriculteurs rapatri?s qui y poss?dent 8 880 ha, dont 1 500 seulement peuvent ?tre mis en culture, les autres ?tant

occup?s par des bois ou des landes. Dans la proportion des trois quarts, ces

exploitations disposent de plus de 50 ha chacune et leurs responsables y ont

am?nag? de vastes parcelles de culture o? alternent bl? dur, bl? tendre,

orge, avoine, sorgho, colza et tournesol, l'?levage ?tant ici toujours associ?

? la culture proprement dite. Rares sont les exploitations appartenant aux

Rapatri?s et situ?es sur les terroirs cultivables les plus ?lev?s de notre

r?gion : une seule dans les Causses, 6 dans les C?vennes, 3 en Margeride Aubrac : les Rapatri?s ont donc ?t? peu sensibles ? l'invitation qui leur

?tait faite par les pouvoirs publics de s'?tablir dans celles des r?gions

agricoles que les cultivateurs autochtones abandonnent le plus volontiers.

Les Rapatri?s et l'agriculture du Languedoc-Roussillon

Lourdement endett?s par les investissements fonciers et mobiliers qu'il leur a fallu effectuer, mais vivant avec l'esp?rance d'obtenir des pouvoirs

publics une juste indemnit? pour les d?dommager des biens abandonn?s

outre-mer, les agriculteurs rapatri?s ont d?, sur leurs exploitations jug?es

trop exigu?s au regard des habitudes pass?es, s'ing?nier ? atteindre des

produits bruts ?lev?s ? l'hectare, pratiquant par n?cessit?, mais aussi par

go?t et esprit d'initiative, les formes les plus modernes d'agriculture. Bien

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 16: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 71

s?r, l'agriculture d'entreprise n'a pu triompher que chez ceux de ces culti

vateurs qui disposaient, ? d?faut de capitaux personnels presque toujours absents, de la meilleure formation et de l'esprit pionnier le mieux ancr?, si

bien qu'? c?t? de brillantes r?ussites il y eut aussi des exp?riences sans

gloire, voire m?me des ?checs. Pourtant, les Rapatri?s, bien que peu nom

breux, n'en ont pas moins particip? de mani?re d?cisive ? la modernisation

de l'agriculture languedocienne [3] et une enqu?te conduite aupr?s de

98 chefs d'exploitation, venant compl?ter l'examen des dossiers d'installa

tion, permet de d?finir les principaux aspects de la part qu'ils y ont prise.

Les Rapatri?s et la viticulture

Forts de l'exp?rience acquise, la plupart des chefs d'exploitation rapa tri?s sont rest?s viticulteurs et cultivent ensemble, au moment de leur

installation, 6 272 ha de vigne, ce qui repr?sente 1,4 % de la surface du

vignoble languedocien. La vigne occupe donc 21,6 % des terres cultiv?es

par les Rapatri?s, alors que le vignoble est pr?sent sur 28,6 % de la surface

agricole utile de la r?gion (39,5 % de celle-ci s'il n'est tenu compte que des quatre d?partements viticoles, Loz?re non comprise).

Si la r?gle est, pour ces viticulteurs rapatri?s, la mise en culture d'exploi tations familiales dont la gestion ne se distingue gu?re de celle adopt?e sur

les entreprises autochtones de m?me superficie, quelques Rapatri?s en

revanche dirigent des exploitations viticoles de grande superficie sur

lesquelles ils mettent en uvre des techniques tr?s ?volu?es. Certains ont

constitu? des grands domaines pour le compte de soci?t?s familiales ? ainsi telle exploitation de 300 ha, dont 125 ha de vigne, situ?e sur la commune

de Bellegarde et appartenant en commun ? douze chefs de famille appa rent?s qui ont acquis douze lots aupr?s de la SAFER dont ils ont confi?

la gestion ? l'un d'eux agissant comme g?rant de la soci?t? familiale ainsi

form?e, ou encore ce domaine de 85 ha situ? ? Aum?s, hier mal cultiv? et

convoit? par la SAFER, acquis par cinq fr?res et g?r? par l'un d'eux qui y a

plant? 60 ha d'un vignoble de qualit?. Dans d'autres cas, la grande exploi tation r?sulte de la fusion volontaire d'entreprises appartenant ? des

exploitants apparent?s les uns aux autres et qui les cultivent en commun :

ainsi l'exploitation viticole de 48 ha sise ? Vauvert et mise en valeur par trois fr?res associ?s dans un GAEC de fait. D'autres, enfin, ont acquis ? bon compte de grands domaines incultes situ?s en garrigue et y ont, apr?s d?frichement, cr?? de toutes pi?ces un vignoble : c'est le cas de ces 70 ha de

vigne, am?nag?s en terrasses par un

exploitant rentr? du Maroc et gagn?s

ce ? force de machine ? sur les calcaires marneux de la commune de Combail laux livr?s jusque-l? au ch?ne kerm?s.

Ces grands exploitants, mais aussi la plupart des autres que la SAFER aida de son mieux, ont remodel? le parcellaire de leur exploitation, cr?ant

des unit?s de culture suffisamment vastes pour permettre l'utilisation des

machines agricoles. Presque toujours, les plantations sont r?alis?es avec

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 17: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

&.Jk

rfr&?

.? .Jilt'*

* * .*%*

^JNSfi

ear

3K?* i; 7? <

? *#**:

is??

-.?. : "* " ' "' -' ? ..

" ^ JSTSfre? ?+^SSSr**^"^5^^^^

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 18: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

SAU Rapatrie

SAU communale

nombre de communes

par cat?gorie

li -10 -15 -20 -25 -30 -?0 %

superficie poss?d?e par cat?gorie

Limites

1 Commune 2 D?partement 3 Fronti?re

Fig. 3. ? Implantation des agriculteurs

rapatri?s dans les communes du Languedoc Roussillon

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 19: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

74 P. CARRI?RE

?cartement de 2,25 ? 3 m?tres entre les rangs, avec utilisation de plants recommand?s choisis ce greff?s-soud?s ? et plant?s sous film plastique noir, afin de supprimer les travaux de d?sherbage entre les souches. Conduites sur fil de fer, ces vignes hautes ?tablies souvent, par la force des choses, en

terroirs de coteaux servent ? la production de vins de qualit? que les grands

exploitants pr?parent dans leurs propres caves qu'ils ont su ?quiper au mieux.

Les grands exploitants rapatri?s ont ?t? les pionniers de cette r?novation

du vignoble languedocien que les techniciens pr?conisaient depuis longtemps sans

grand succ?s aupr?s des agriculteurs autochtones. Participant volon

tiers aux travaux des CETA viticoles, substituant le capital au travail, confiant la tenue de la comptabilit? de leur exploitation aux Centres de

gestion, commercialisant eux-m?mes leur r?colte, ils ont cr?? une forme

d'agriculture familiale ?volu?e qui est d?j? une agriculture d'entreprise dont les agents mettent en uvre des techniques de production tr?s

avanc?es et n'h?sitent pas ? traiter avec les repr?sentants du commerce

int?gr? pour ?couler leurs produits.

Les Rapatri?s et Varboriculture

Ceux des agriculteurs rapatri?s qui ont pu constituer de

grands vergers en Languedoc ont pris l'initiative de progr?s techniques encore plus r?vo lutionnaires pour notre r?gion que ceux apparus dans la conduite du

vignoble. Encore que certains d'entre eux aient eu l'occasion de pratiquer

l'agrumiculture au

Maghreb, les agriculteurs rapatri?s n'en ignoraient pas moins les techniques de l'arboriculture temp?r?e. Ils les assimil?rent tr?s

vite, sur le tas en quelque sorte, se tenant inform?s des actions de vulga

risation et d?veloppement organis?es par les pouvoirs publics ou les orga nisations professionnelles agricoles. Aussi, d?s leur installation, annonc?rent ils leur intention de cultiver 2 881 ha de vergers, entendant ainsi r?server

? ces derniers pr?s de 10 % de leurs terres, alors m?me que les vergers

n'occupaient gu?re que 2 % de la superficie agricole du Languedoc-Roussil lon en 1963 et 3,3 % en 1968. S'il leur fut difficile de s'?tablir dans les r?gions d'arboriculture irrigu?e traditionnelle, sises dans la plaine du Roussillon, ils purent participer de mani?re d?cisive ? la cr?ation d'une arboriculture industrielle d'abord dans les zones ?quip?es pour l'irrigation par aspersion dans la Costi?re gardoise [6], ensuite sur les terres vacantes de la basse vall?e de l'Aude o? ils ont cr?? les premiers vergers modernes.

Quelques-uns des agriculteurs rapatri?s ont acquis des vergers en pleine production qu'ils ont agrandis ou am?lior?s par la suite, mais la plupart ont cr?? leurs propres vergers sur des exploitations de faible superficie

auxquelles l'arboriculture intensive offrait la possibilit? d'obtenir un produit brut agricole ?lev?, en p?riode de bonne conjoncture au moins. Les plus favoris?s furent ceux qui purent acqu?rir des exploitations cr??es par la SAFER dans la zone d'action de la Compagnie d'am?nagement du

Bas-Rh?ne-Languedoc et b?n?fici?rent, de ce fait, de subventions publiques

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 20: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 75

pour frais de mise en valeur [2], Certains parvinrent ? cr?er des vergers tr?s vastes, soit par cumul d'exploitations achet?es ? la SAFER par deux

conjoints ou par de proches parents ? telle cette exploitation de 50 ha

acquise par deux fr?res et leurs ?pouses en

quatre lots ce administratifs ? et

situ?e sur la commune de Marsillargues ?, soit par plantation de terres en friche acquises ? bon compte. Irrigu?s par aspersion, tous ces vergers b?n?ficient de fa?ons culturales conduites de mani?re rationnelle. Si le

pommier est pr?sent partout, il ne l'emporte r?ellement sur les autres

fruitiers que dans l'Aude et se trouve ailleurs toujours associ? au p?cher surtout et, plus rarement, au

poirier et au cerisier. Dans leur d?sir d'?taler

sur la plus longue p?riode possible les op?rations de cueillette, les Rapatri?s n'ont pas craint d'introduire dans leurs vergers apr?s les avoir acclimat?es,

outre les vari?t?s am?ricaines, des esp?ces exotiques : p?chers n?o-z?landais,

pruniers japonais. En outre, ils ont, d?s le d?but de leur conversion ? l'arbo

riculture, apport? une grande attention ? la commercialisation de leurs

produits qu'une seule coop?rative, la puissante Coop?rative agricole du

Lauragais, acceptait de mettre en march? ? l'?tat frais. Apr?s avoir cherch?

? se doter de leurs propres chambres froides, ainsi que de petites stations

personnelles de conditionnement, ils en sont bient?t venus ? se grouper entre voisins ? et cela leur ?tait facile lorsqu'ils avaient ?t? install?s par la SAFER sur des lots contigus

? pour cr?er des stations fruiti?res collec

tives qui, bient?t ouvertes aux agriculteurs autochtones, furent confi?es

en gestion ? des Soci?t?s d'int?r?t collectif agricole. Ayant ainsi contribu? de mani?re d?cisive ? la concentration de l'offre des produits agricoles que la concentration de la demande sur les march?s de consommation rendait

souhaitable, les Rapatri?s ont aussi accept? de passer des contrats de livrai son avec les conserveries coop?ratives

ou priv?es pr?sentes dans la r?gion.

Les Rapatri?s et les autres sp?culations agricoles

Si, en mati?re d'arboriculture, les Rapatri?s ont souvent agi de la m?me mani?re que les autres novateurs venus, depuis diff?rentes r?gions arbo

ricoles fran?aises, cr?er, comme eux en Languedoc-Roussillon, des vergers,

ceux-l? s'entraidant davantage que ceux-ci, en mati?re d'agriculture de

serre ou de cr?ation d'?levages industriels, ils ont ?t? longtemps les seuls

pionniers.

Ce sont des agriculteurs rapatri?s qui ont pris l'initiative de cr?er une

agriculture de serre en Languedoc-Roussillon [4]. Ecart?s de la C?te

d'Azur par la chert? des terrains, install?s par la SAFER sur des lots

exigus, d'anciens mara?chers maghr?bins ont pris le risque de pratiquer la

culture de l?gumes, puis de fleurs, sous serre chauff?e. Dans cette entre

prise, ils firent ?talage de leur virtuosit? technique, optant pour l'ins

tallation de serres de verre, qu'ils dot?rent de chauffage ? circula

tion d'eau chaude ou d'huile, cultivant des plantes d?licates sur des sols

artificiels, se risquant m?me ? la pratique de la culture sans sol. D?sireux de se

pr?ter main-forte les uns les autres pour r?ussir, ils adopt?rent tant?t

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 21: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

76 P. CARRI?RE

la formule d'une association de fait, telle celle qui unit les six serristes rapa tri?s de Z?ralda ? Maurin, tant?t celle du GAEC retenue par quatre serristes de Corneilha del Vercol, se contentant parfois de cr?er une coop? rative de vente commune ? plusieurs exploitations serricoles rest?es

ind?pendantes les unes des autres. Encore peu nombreux, ces agriculteurs

tr?s sp?cialis?s parviennent ? commercialiser leur production en emprun tant des circuits courts qui les mettent en rapport soit avec les d?tail

lants de la r?gion, soit avec les centrales d'achat du grand commerce

int?gr? fran?ais. C'est aussi le d?sir d'accro?tre la valeur ajout?e aux produits de l'exploi

tation qui a pouss? plusieurs polyculteurs rapatri?s ? s'adonner aux formes

modernes de l'?levage. Ceux des Rapatri?s qui, dans le Lauragais ou le

Raz?s, ont opt? pour l'?levage laitier, ont introduit la race hollandaise

et conduisent leur ?levage en stabulation libre. Le lait produit ? raison de

4 000 litres par t?te et par an dans les meilleurs ?levages est confi? ? des

coop?ratives de ramassage, parmi lesquelles la Coop?rative du Lauragais tient la premi?re place. Ce sont les Rapatri?s qui ont, dans la m?me r?gion,

entrepris les premiers l'?levage de ce veaux de batterie ?. Les veaux, de race

normande ou hollandaise, leur sont livr?s ? l'?ge de 8-10 jours par des

naisseurs du nord de la France. Elev?s au lait en poudre en ?table obscure, les veaux sont revendus ? 3 mois, au poids moyen de 140 kg, et leur viande

est commercialis?e sur le march? national ou international par des SICA

aquitaines. D'autres agriculteurs rapatri?s s'adonnent ? l'?levage d'embouche de

bovins sur prairies irrigu?es dans des exploitations de la plaine gardoise. Ces pionniers d'un ?levage nouveau b?n?ficient de l'aide technique accord?e

par les soci?t?s d'am?nagement qui souhaiteraient voir se d?velopper une

semblable sp?culation grosse consommatrice d'eau, fournissant un produit

assur? d'une vente facile et laissant aux agriculteurs

un sous-produit, le

fumier organique, indispensable au maintien de la fertilit? des sols irrigu?s. Les formes les plus ?volu?es de cet ?levage triomphent soit dans des ?tables

collectives communes ? plusieurs exploitations, soit dans de grands domaines acquis par des Rapatri?s fortun?s. L'un d'eux, repli? du Maroc, a ainsi investi 3 000 000 F dans une exploitation de 117 ha am?nag?e dans

une portion du marais dess?ch? de Vauvert, les travaux d'assainissement

ayant ? eux seuls immobilis? 1 170 000 F. Cet exploitant cultive 25 ha de

sorgho, 38 ha d'orge, 54 ha de bl? et, tandis que le bl? est livr? ? une coop? rative de ramassage ou c?d? conform?ment ? un contrat ? une maison

sp?cialis?e dans le commerce des semences, l'orge et le sorgho servent

? l'alimentation du b?tail. C'est que l'exploitant engraisse ? l'?table chaque ann?e deux cents jeunes veaux achet?s en bas ?ge ? des naisseurs du Massif

Central. Les animaux sont ensuite vendus ? la SICA ce Cheville langonaise ?

alors qu'ils ont atteint le poids de 500 ? 600 kg. Il faut, pour y parvenir,

ajouter aux c?r?ales produites sur l'exploitation des aliments industriels

acquis sur le march? par l'interm?diaire du groupement de producteurs

auquel adh?re l'exploitant.

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 22: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 77

*

Pour faire face ? leurs engagements financiers, les agriculteurs rapatri?s,

?chappant ? toute contrainte du milieu, ont ?t? les plus efficaces des novateurs dans une r?gion dont l'agriculture commen?ait ? se moderniser sous l'influence de l'?volution des march?s, mais aussi des actions d'am?na

gement entreprises ? la diligence de la puissance publique. Ayant acquis

aupr?s des soci?t?s d'am?nagement ou, le plus souvent, sur le march?

foncier des exploitations plus vastes, en moyenne, que celles de leurs

coll?gues autochtones, sans parvenir cependant, sauf exception, ? constituer

de grands domaines, ils en ont remodel? le parcellaire et introduit des

m?thodes de travail rationnelles pour conduire des cultures assurant un fort

produit brut ? l'hectare. Bien arm?s par la formation scolaire qu'ils avaient

re?ue et l'exp?rience acquise au Maghreb, ils parvinrent ? ma?triser rapi dement, avec le concours des sp?cialistes du d?veloppement agricole, des

techniques ?volu?es qui ne leur ?taient pas famili?res : irrigation par

aspersion, cultures sous serres, arboriculture de pointe, ?levage industriel.

Excellents gestionnaires, ils surent aussi rompre avec les m?thodes tradi tionnelles utilis?es pour la commercialisation des produits agricoles et

participer activement ? la cr?ation de circuits commerciaux nouveaux.

D'abord d?concert?s par tant d'audace, les agriculteurs autochtones qui furent un temps les t?moins sceptiques de l'installation des Rapatri?s n'allaient pas tarder ? adopter, ? leur tour, des innovations qui r?ussissaient

? leurs propagateurs.

Ceux-ci ont-ils su pour autant se fondre dans la soci?t? rurale langue docienne ? La m?fiance manifest?e, au d?but, par les agriculteurs locaux envers ces nouveaux venus n'a pas tard? ? se

dissiper au fur et ? mesure

de l'?tablissement de relations de travail mettant en contact les d?tenteurs des traditions locales et ces techniciens de l'agriculture venus d'ailleurs, les

jeunes se liant plus facilement que les vieux. Tr?s rapidement, ceux des

Rapatri?s qui s'install?rent modestement au sein de communaut?s villa

geoises vivantes y furent adopt?s, d'autant plus vite que, recourant aux

m?thodes culturales locales, ils ne purent faire preuve de capacit? d'inno vation. Install?s sur des exploitations plus vastes, les vrais novateurs,

tout en exer?ant une influence certaine sur les techniques culturales

pratiqu?es par les agriculteurs locaux, ne s'en distinguent pas moins de

ces derniers, qui en sont quelque peu jaloux, par leur mode de vie. C'est

que ces moyens et grands exploitants rapatri?s n'habitent pas au

village, mais vivent sur leurs exploitations dans des demeures confortables ou m?me

luxueuses. Les ouvriers permanents, peu nombreux, tout comme les

ouvriers saisonniers que l'on recrute souvent au Maghreb,

sont log?s

? proximit? imm?diate de l'habitation du chef d'exploitation, si bien que de v?ritables hameaux se constituent ainsi, dont certains peuvent abriter

jusqu'? cent personnes en p?riode de grands travaux d?s lors que l'exploi tation appartient

en commun ? plusieurs cultivateurs. Vivant ? l'?cart de

8

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 23: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

78 P. CARRI?RE

la communaut? villageoise, ces chefs d'entreprise

se rendent souvent

? la ville, non seulement pour y traiter de la gestion de leur exploitation, mais aussi pour y prendre des loisirs. L'ouverture d'esprit dont ils t?moi

gnent par l? les a conduits aussi ? donner leur adh?sion aux Centres de

gestion, ainsi qu'aux diff?rentes institutions de d?veloppement agricole, tout comme ? exercer des responsabilit?s dans les organismes collectifs de

commercialisation des produits agricoles et jusque dans les conseils d'admi

nistration des Caisses de Cr?dit agricole ou m?me des Soci?t?s d'am?na

gement. Si la plupart de ces exploitants militent dans les Comit?s de d?fense

des agriculteurs rapatri?s qui ont rejoint la FNSEA, rares sont ceux qui

participent ? la vie politique active ou ont fait acte de candidature ? l'exer

cice d'une fonction municipale. C'est que demeure pendante pour eux la redoutable question de leur

endettement. Pour s'installer en Languedoc-Roussillon,

ces agriculteurs

ont, en moyenne, contract? chacun 250 000 F de dettes qu'ils pensaient

pouvoir ?teindre rapidement puisque la loi du 26 d?cembre 1961 annon?ait le vote d'une loi nouvelle fixant ce le montant et les modalit?s d'une indem

nisation en cas de spoliation et de perte d?finitivement ?tablie des biens ?

outre-mer. La plupart de ceux-ci ont ?t? nationalis?s depuis sans que leurs

anciens propri?taires aient ?t? indemnis?s. Aussi ces derniers n'ont-ils cess?

d'exercer une pression

sur les pouvoirs publics fran?ais pour obtenir d'eux

d'abord, le 31 mars 1970, la suspension provisoire des obligations contrac

t?es aupr?s des organismes de cr?dit ayant pass? des conventions avec

l'?tat, puis, le 15 juillet 1970, le vote d'une loi d'indemnisation. Rejet?e

par la plupart des Rapatri?s qui la trouvaient trop peu g?n?reuse, cette loi

n'avait pas ?t? mise en application

au moment de notre enqu?te du prin

temps 1971, si bien que l'avenir des exploitations appartenant ? ceux-ci

restait encore incertain. Pourtant, ? cette date, ces exploitations avaient

bien support? l'?preuve du temps puisque sur les 906 entreprises cr??es, 17 seulement avaient ?t? revendues et 9 se trouvaient en vente ? il est

vrai que la loi met de nombreux obstacles aux transactions portant sur

des exploitations aussi lourdement endett?es ?, tandis que leurs propri?

taires avaient renonc? ? exploiter dix d'entre elles et que douze avaient

cess? d'exister, leur tenancier ayant demand? et obtenu l'octroi de l'indem

nit? viag?re de d?part. L'opinion unanime ?tait, parmi les exploitants

rapatri?s, qu'avec une bonne indemnisation la r?ussite d'une entreprise

importante pour la modernisation de l'agriculture du Languedoc-Roussillon ?tait assur?e.

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 24: L'insertion dans le milieu rural languedocien des agriculteurs rapatriés d'Afrique du Nord

LES RAPATRI?S EN LANGUEDOC 79

BIBLIOGRAPHIE

La source principale des renseignements recueillis provient de l'examen des dossiers d'installa

tion des agriculteurs rapatri?s conserv?s par les services des ADASEA qui ont bien voulu

nous les communiquer. Des ?tudiants de ma?trise travaillant sous la direction de M. le Professeur

Le Coz et de l'auteur ont visit? les exploitations des Rapatri?s et consign? leurs comptes rendus

dans:

[1] C?r? (D.), Noguera (M.) & Planch?n (R.), ? Les agriculteurs rapatri?s d'Afrique du Nord en Languedoc-Roussillon ?, Universit? Paul Val?ry, Montpellier, 1971, 2 vol. multigr.

La modernisation de l'agriculture languedocienne ? laquelle les Rapatri?s ont intimement

particip? est ?voqu?e de mani?re plus pr?cise dans :

[2] Carri?re (P.), ? L'action fonci?re de la Compagnie d'am?nagement de la r?gion du Bas

Rh?ne et du Languedoc ?, Bulletin de VAssociation des g?ographes fran?ais, Paris, 1966,

pp. 32-51.

[3] Carri?re (P.), ? Agriculture et croissance ?conomique en Languedoc-Roussillon ?, Bulletin

de la Soci?t? languedocienne de g?ographie, Montpellier, 1969, pp. 285-324.

[4] Ballester-Bascoul (S.), Carri?re (P.) & Mourot (E.), ?

L'agriculture de serre en Lan

guedoc oriental ?, Bulletin de la Soci?t? languedocienne de g?ographie, Montpellier, 1970,

pp. 293-313.

[5] Lacombe (P.), ? Les strat?gies d'adaptation des exploitants agricoles ? la croissance ?cono

mique, application au Languedoc-Roussillon contemporain ?, Facult? de Droit, Montpellier, 1972, 2 vol., 515 p. multigr.

[6] Lacombe (P.) & Vergnes (A.), ? La croissance des exploitations agricoles par modification

de leur syst?me de culture dans le d?partement du Gard ?, INRA, Montpellier, 1970, 2 vol., 220 p. multigr.

This content downloaded from 62.122.78.91 on Wed, 25 Jun 2014 00:21:42 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions