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L'INSTRUMENT DE LA VOLUPTÉ Une iconographie du luth Le Séraphin III : les musiques Résumé : Il est bien difficile de dire si la métaphore de lyre n’est seulement qu’une image poétique, ou l’expression d’une performance de la poesia per musica, avec une lira ou un luth. Qu’est-ce qu’un cantore al liuto ? un citharède, un frottoliste, un poète, un musicien, un improvisateur ? Pour être des cantori al liuto, Tromboncino et Marchetto Cara étaient avant tout des musiciens quand Séraphin était d’abord un poète. Abstract : It is hard to say whether the lyre metaphor is merely a poetic image, or the expression of a performance of poesia per musica, with a lira or a lute. What is a cantore al liuto ? A citharedo ? a frottolist ? a poet ? a musician ? an improviser? To be cantori al liuto, Tromboncino and Marchetto Cara were musicians above all, when Serafino was first and foremost a poet. Plan : I. Jouer avec les doigts ? II. Le Séraphin musicien III. Poesia per musica IV. Ascanio Sforza et la musique V. Le luth à Milan 1450-1550 VI. Les cantori al liuto

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L'INSTRUMENT DE LA VOLUPTÉ Une iconographie du luth

Le Séraphin III : les musiques Résumé : Il est bien difficile de dire si la métaphore de lyre n’est seulement qu’une image poétique, ou l’expression d’une performance de la poesia per musica, avec une lira ou un luth. Qu’est-ce qu’un cantore al liuto ? un citharède, un frottoliste, un poète, un musicien, un improvisateur ? Pour être des cantori al liuto, Tromboncino et Marchetto Cara étaient avant tout des musiciens quand Séraphin était d’abord un poète. Abstract : It is hard to say whether the lyre metaphor is merely a poetic image, or the expression of a performance of poesia per musica, with a lira or a lute. What is a cantore al liuto ? A citharedo ? a frottolist ? a poet ? a musician ? an improviser? To be cantori al liuto, Tromboncino and Marchetto Cara were musicians above all, when Serafino was first and foremost a poet. Plan :

I. Jouer avec les doigts ? II. Le Séraphin musicien

III. Poesia per musica IV. Ascanio Sforza et la musique V. Le luth à Milan 1450-1550

VI. Les cantori al liuto

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La musique de Séraphin Sous l’expression commode de cantori al liuto, se cache le mystère de leur statut, de leur musique, de leurs modes d’expression et de composition. À plusieurs titres, Séraphin constitue un cas d’école. D’abord, il joue avec certitude du luth, là où la plupart des « improvisateurs » de son temps se servent de la lira, à condition de penser que lira ne désigne jamais le luth… Cortese, dont il a fréquenté le cercle à Rome, le classe parmi les chanteurs ad lembum, et il interprète un pâtre, en tenant le luth1. Dans les Collettanee de 1504, les auteurs des poèmes latins disposent de toutes les synecdoques des anciens pour désigner l’instrument de musique : outre la lira (lyra) et les cethra, chelys, testudo et barbiton, souvent plus spécifiquement réservés encore au luth, mais aussi le plectre, le bois, l’ivoire, les cordes. Valerius heremitanus de Bologne réussit l’exploit de caser plectra, lyra, chelys, cythara et pecten en seulement 8 vers. Dans les poèmes en vulgaire, on ne sera pas surpris de ne jamais trouver liuto, qui désigne l’objet, mais la lira et la cethra, parfois legno (le bois) qui avaient l’avantage de rester dans le champ poétique tout en désignant des instruments contemporains. Rien ne nous empêche de penser que Séraphin jouait aussi de la lira. Les deux se complétaient plutôt qu’ils ne s’opposaient. À l’inverse, un indiscutable joueur de lira, San Secondo, qui a pu servir de modèle pour l’Apollon du Parnasse de Raphaël, est classé dans les cantori al liuto dans le Lucidario d’Aaron en (1545). « La lyre et cassée, la cethra est coupée2 », dit un poète juif de Mantoue, suggérant que le musicien usait des deux instruments comme cet autre : « Noble au plectre et brillant à la lyre3 ». Les poètes semblent toutefois opposer la lyre des musiciens mythologiques, jouée avec le plectre, au luth de Séraphin, touché avec les doigts : « Ne sais-tu pas qu’il est mort, celui qui jouait de son plectre d’ivoire, celui-ci ne fut pas inférieur à Alcée et personne n’animait son luth éloquent d’un pouce aussi léger4 » ou bien : « Linus, Orphée, Amphion, Apollon et Thamyras, chacun d’eux touche la lyre avec le plectre… On admire Séraphin jouant adroitement du luth5. » Paradoxalement, ce sont les latinistes qui apportent le plus de précision sur le mode de jeu du luthiste qui joue avec ses doigts. Ils reproduisent sans aucun doute des expressions des auteurs anciens (dans les Elégies de Tibulle par exemple) : Séraphin chantait tous ses doux chants en tirant avec grâce sur les cordes frappées par le pouce, « Il touche sa douce lyre de ses doigts », « La cithare touchée d’une main douce », « Personne ne bougeait les cordes d’un pouce aussi léger », « Il touchait les cordes tristes de la cithare avec le pouce6 » etc. Mais ce faisant, ils soulignent aussi une nouvelle manière de jouer le luth : « Sur les cordes doucement touchées du pouce ; il commençait par les ébranler se servant de sa main comme d’un plectre7 » ou cette remarque explicite du très jeune Molza (1489-1544) alors étudiant à Bologne : « Il touchait de ses doigts, à la manière d’un plectre d’ivoire, les cordes sonores de la lyre dorée8. » En effet, la technique du luth se modifie radicalement à la fin du XVe siècle, et l’iconographie sur ce point est particulièrement explicite. La plume est remplacée par les doigts de la main. La technique de la main droite, une alternance dans les traits du pouce et de l’index, est d’ailleurs directement issue de la technique du plectre, mais elle permet désormais d’accompagner le chant avec au moins deux voix, la ténor et la contra. Séraphin, dont la carrière de musicien commence dans les années 1480, est donc bien un luthiste capable de jouer les tablatures

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de Bossinensis. En cela il s’apparente aux cantori al liuto clairement identifiés comme des musiciens, des compositeurs et sollicités comme tels, les Tromboncino et Cara, et tous les frottolistes de la fin du siècle. Ce glissement de la lyre au luth a-t-il un sens ? Passe-t-on du domaine de l’improvisation, celle des cantari et des cantimbanca, au monde de la civilité courtoise, de la poésie en musique et de la composition frottolistique ? Pourquoi ces deux acceptions de la poésie chantée s’excluraient-elles ? Si pour nous, de fait, Séraphin est un poète, il est avant tout pour ses contemporains un chanteur compositeur qui interprètent ses « chansons » en mariant le luth et la voix. Ses interprétations ardentes, le ton pathétique pour chanter la mort érotique, et bien sûr, la douceur conventionnelle de la musique, retiennent l’attention des panégyristes. Sasso nous le montre interprétant un de ses strambotti sur la traditionnelle insomnie amoureuse : « Ecco la notte ». Il en existe par ailleurs une version musicale de Hieronymo del Lauro9. Mais Séraphin connaît la musique. Il l’étudie avec un Guillelmo identifié avec Guillaume Garnier qui est à Naples, selon Gafforius, entre 1476 et le printemps 1479, quand il rejoint la chapelle papale : « Il en fit en peu de temps tel profit qu’il emportait la palme sur tout autre musicien italien. » Gafforius est arrivé à Naples la même année que Séraphin en compagnie de Prosper Adorno10 en fuite. Il avait apprécié la science de ce compositeur qu’il appelait « éminent contrapuntiste » et « très savant dans l’art de musique ». Un manuscrit11 du théoricien est d’ailleurs dédié au comte de Potenza, le premier protecteur de Séraphin. Une lettre envoyée au Sforza de Frater Christoforus (4 novembre 1490) confirme que Séraphin notait la musique qu’il composait : « Si le poète Séraphin avait fait quelque chose de nouveau, j’userai de toute ma diligence pour en obtenir les notes et les paroles12 ». Outre quelques références à la musique dans les textes13 de Séraphin, son statut de musicien14 ne fait pas de doute. Néanmoins, nous n’avons conservé aucune musique qui lui soit sûrement attribuable, à moins de reconnaître dans les compositions des compositeurs qui ont choisi ses textes, l’écho des propres musiques du poète. Une trentaine de ses strambotti sont disséminés dans les manuscrits15 et les impressions de Petrucci16 où ils sont mis en musique par les frottolistes du temps17. Quoique certains auteurs parlent de sa manière de jouer en improvisant18, Colocci (1474-1549) indique explicitement en 1503 qu’il ne composait pas à l’improviso, « encore qu’il eût l’esprit vif », et Calmetta témoigne qu’avec le luth dans les mains, il faisait semblant d’inventer ce qu’il avait déjà composé. Dans son Viridario, Achillini indique à deux reprises comment étaient réparties les voix de la polyphonie entre le chanteur et l’instrument : « Une nymphe a un instrument dans les bras, elle chante et avec la musique se fait le ténor et la contra. » et Arianne « s’assied près de Thésée et elle chante seule mais avec le luth, elle fait le ténor et la contra19 ». C’est exactement la technique qu’a adoptée François le bosniaque pour réduire sur le luth en 1509 et 1511 ses « ténors et contrebasses mis en tablature avec le soprano en notes pour chanter et jouer sur le luth20 ». Il faut remarquer que c’est également généralement les dénominations des trois grosseurs que vendent les marchands de boyaux, comme dans cette lettre envoyée de Milan en 1471 :

Nous voulons que par ce cavalier on envoie une boite de bonnes cordes de luth, en les prenant de chaque sorte, c’est-à-dire des ténors, des contricante et des chanterelles21.

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Joueuse de luth, Bartolomeo Veneto, Brera, Milan (1520)

L’ajout de la sixième corde, invention donnée aux allemands par Tinctoris, avait pour but d’embrasser toute la tessiture du spectre vocal, l’ambitus du luth permettant alors de recouvrir la totalité de la composition polyphonique. Le livre de musique flottant devant la célèbre joueuse de luth de Bartolomeo Veneto contient une composition à trois voix. Beaucoup de frottole sont écrites à trois voix, et quand elles sont à quatre voix, le luthiste écarte la quatrième, généralement une voix de remplissage, en n’en conservant que les courtes imitations qui permettaient au luth de jouer de ces fioritures. Que ce soit dans le répertoire bourguignon ou espagnol, cela semblait être le format international de la chanson légère. En 1491, peu de jours avant les noces de Béatrice et du More, le 11 février, le capitaine Galeazzo Visconti accompagne, avec le bouffon Diodato, la duchesse dans une partie de plaisir à Cusago, une résidence ducale près de Milan. Il écrit à Isabelle, la sœur de Béatrice, qu’ils ont chanté des barzelette à trois voix :

Ce matin, Vendredi, la duchesse avec toutes ses dames et moi, nous sommes montés à cheval à XV heures et nous sommes allés à Cuxago ; et pour bien aviser votre seigneurie de tous nos plaisirs, je l’avertis que dès le début du voyage il m’a fallu monter dans le carrosse avec la duchesse et Dioda et là, nous avons chanté plus de XXV chansons bien

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accordées à trois voix, c’est-à-dire Dioda au ténor, moi tantôt à la basse ou au soprano, et la duchesse au soprano.

Poesia per musica Les Colletanee sont comme l’acmé d’un style poétique, d’une poesia per musica soulignée historiquement par l’avènement de l’édition poétique et musicale. Quelques incunables de la dernière décennie du XVe et les recueils poétiques de strambotti, sonetti, barzellette qui fleurissent dans les deux premières décennies du XVIe sont en mettre en regard des éditions de frottole de Petrucci (1504-1514). Séraphin est comme le parangon du genre et son nom suffit à qualifier ce type de poèmes. À titre d’exemple, les Sonetti de Seraphin22 ne sont ni des sonetti, ni essentiellement de Séraphin. Calmetta nous a prévenu que tout ce qui se publiait à Rome lui était attribué et qu’il était imité de tous les citharèdes d’Italie. L’inflation éditoriale de ses œuvres obéit au même principe générique. À partir de l’édition princeps collationnée par Flavio en 1502, qui dit avoir rassemblé les membres épars de son œuvre dispersée dans toute l’Italie, le nombre de poèmes ne cesse de croître au fur et à mesure des rééditions, jusqu'à celle de Giunta qui a quasiment doublé le contenu de la recension initiale. Cette vogue du genre est indissolublement liée à la vie littéraire, festive et sociale des grandes cours italiennes autour desquelles gravitaient les poètes et dont le parcours de Séraphin fournit à lui seul un panorama évocateur : Naples, Milan, Urbin, Mantoue… Fortement bousculées par l’intervention française, puis impériale, ces cours ont été le creuset de cette poésie musicale. Structurée dans un modèle parfaitement courtois autour de la dame23, l’activité poétique (encomiastique, érotique, bucolique) était tournée vers son exaltation dans les jeux, les plaisirs et les divertissements d’une cour qui se vivait, comme dans les romans de chevalerie, comme le pendant idyllique des guerres d’Italie. La poésie chantée a été un des marqueurs de la vie curiale, essentiellement féminine. Ce n’était certes pas un phénomène nouveau. La culture provençale, andalouse, germanique, sicilienne avaient consacré l’alliance de la poésie et de la musique avec la courtoisie. Mais plusieurs facteurs renouvèlent le genre. Tout d’abord, l’avènement de l’édition marque la volonté de toutes les élites de copier et diffuser cet « idéal » littéraire et courtisan. D’autre part, et Isabelle d’Este en fut l’archétype, le chant au luth ou à la viole devient un des accomplissements de la dame et du cavalier. Le Courtisan de Castiglione ne fait qu’entériner ce qu’il a vu et vécu dans les cours de Mantoue et d’Urbin. La poésie chantée n’est plus seulement une pratique ménétrière, elle devient un art de vivre et de se divertir. Enfin et surtout, la musique de la frottola, plus homophonique, souvent bâtie sur un ténor et un cantus parallèles, et sur les sauts harmoniques de la basse, s’adaptait à ces nouvelles données sociales de l’activité musicale. L’écriture à quatre voix de la frottola ne correspond en général qu’à une convention d’écriture : elle est pensée comme une pièce qui s’accompagne sur le luth qui prend la basse harmonique et la voix parallèle au chant. La tessiture ramassée, les notes répétées, parfois proches de la récitation, la structure répétitive calquée sur les distiques du strambotto ou les octaves des stances, sont les empreintes sures d’un art de la poésie chantée. Il est insuffisant de les considérer sous l’angle uniquement musical, puisque cette simplification du discours musical, au regard de la science polyphonique des « français » par exemple, correspond sans nul doute aux aspirations curiales : chanter soi-même une poésie qui exalte l’amour courtois,

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dans une économie de moyens qui laisse toute sa place au concetto du texte. Le « citharède » n’avait pas besoin d’être ni un compositeur ni un musicien. Dans le recueil du bolonais Cesare Nappi (1440-1518), les titres des timbres sont proposés avant les poèmes24. Il lui suffisait d’appliquer le timbre idoine à la métrique de son poème. L’antique récitation des octaves dans les romances a pu induire le chant du strambotto grâce à même la structure maîtrisée de l’octave. Petrucci en 1505 avait inséré des airs pour chanter les sonnets25 calibrés pour le quatrain et le tercet et les manuscrits de luths contiennent des airs pour chanter les octaves des strambotti et les tercets26 qui structuraient aussi bien les églogues, les capitoli ou les epistole. Maints recueils imprimés de la fin du XVIe et du début du XVIIe ont systématisé cette pratique. Calmetta, dans une lettre à Isabelle indiquait que le tercet s’adapte facilement à la musique, et que les citharèdes qui les chantent n’ont pas à inventer d’autres airs27. Cortese ne dit pas autre chose : « Finalement ces modes constituent généralement la manière de chanter les chansons qui procèdent principalement de la métrique des octaves et des tercets. »

Ascanio Maria Sforza et la musique. Comme François Gonzague l’ancien (1440-1483) avant lui, ou Hippolyte Ier d’Este (1479-1520) après lui, Ascanio Maria Sforza (1455-1505) fait partie de ces cardinaux mécènes, qui mènent grand train et aiment la musique. La Vita a pu laisser croire que le cardinal était indifférent aux arts et traçait le portrait d’un patron irrité par un Séraphin peu enclin à suivre ses directives. L’anecdote est écrite par Calmeta à un moment où les Sforza sont exilés et ont perdu le pouvoir à Milan.

Cette vision ne saurait faire oublier que le cardinal a employé rien moins que le parangon des strambottistes et le plus grand des compositeurs de la Renaissance, déjà pour ses contemporains, Josquin des Prés. Il a également commissionné le Liber musices28 de « Florentius musicus », considéré comme un des plus beaux manuscrits de théorie musicale de la fin du XVe. L’auteur, rencontré à Naples lors du deuxième exil, ce qui renvoie encore à Séraphin, y explique la main guidonienne, les principes du contrepoint, recense les inventeurs de la musique ou déroule le traditionnel laus musicae. Le prestige de ce magnifique objet devait rejaillir sur la personnalité de celui qui l’avait commandité et qui le possèdait. Le manuscrit s’ouvre sur deux pages magnifiquement ornées : les lettres d’or sur fond d’azur, les entrelacs fleuris, les amorini désignent le prestigieux enlumineur florentin Attivante degli Attivanti (1452-1525). Dans les frises florales, les armoiries d’Ascanio sont surmontées du galero, et quatre médaillons encadrent des musiciens, un joueur d’organetto, et des chantres. Leur fait

face un personnage barbu qui tient le plectre dans la main droite et brandit un luth en guise d’avertissement. Comme le luth, dont la tablature deviendra au XVIe siècle

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synonyme de savoir et d’apprentissage, la musique est une science dont il faut apprendre les fondements pour la comprendre29. Cette connaissance de la musique se rapporte à la culture attendue des grands prélats telle qu’elle est exposée dans le de Cardinalatu de Cortese. Ascanio, qui en 1492 était devenu vice-chancelier (il aurait été le principal bénéficiaire des simonies de Rodrigo Borgia), c’est-à-dire le numéro deux de la curie, y sert évidemment de modèle comme prince de l’Eglise éclairé30. C’était encore lui rendre hommage que d’évoquer l’art de Séraphin. Élève de Filelfo, qui incluait la musique dans son programme éducatif31, Ascanio pratiquait sans doute la musique. À l’instar de sa sœur Ippolita Maria (1446-1484), duchesse de Calabre, qui jouait le luth ou de son frère Ottaviano Maria (1458-1477) qui apprenait la violetta, il jouait certainement des claviers. Ainsi, il réclame son clavicorde resté à Milan, alors qu’il s’est réfugié à Ferrare en 1480. Quand il est malade, en 1497, le roi de Naples lui envoie un médecin, un cuisinier et un claviorganum32. Au même moment, le pape Borgia lui envoie « la sua musica a cantare et sonare ». Au-delà de ses vertus thérapeutiques reconnues, la musique était une des composantes sûres de la courtoisie du prince, fût-il prince de l’église. On relève aussi plusieurs musiciens dans son entourage, des tambourins et des chantres. Le sicilien Piero Giannetti, secrétaire d’Ascanio, lui adresse plusieurs poèmes en latin et nous apprend les noms de deux « citharèdes » à son service dans les apostilles d’un de ses poèmes : l’allemand Henri et le vieux Bachieca33. Le premier peut chasser les soucis de l’esprit grâce à son instrument et le deuxième est savant dans l’art d’Apollon34. S’il s’agit de luthistes, l’indication du poète confirme la remarque de Cortese sur l’origine allemande de ces musiciens qui révolutionnaient alors l’art de jouer le luth. Comme souvent, il peut aussi s’agir d’un duo constitué, entre celui qui joue le ténor et celui qui improvise, que ce soit à la vièle ou au luth.

Le luth à Milan 1450-1550 Séraphin séjourne à Milan, à partir de 1490, dans la suite d’Ascanio Sforza. On imagine mal que le cantore al liuto n’ait pas participé aux festivités du mariage du More (le frère d’Ascanio) avec Béatrice d’Este en 1491. Calmetta compare la cour (1491-1497) de la sœur d’Isabelle à un paradis pour les artistes, les peintres, les musiciens, les poètes. Ce serait là que Séraphin aurait compris la manière de chanter ses poèmes sur le luth comme le catalan Cariteo, à la « manière espagnole 35». Cette affirmation, qui lui permettait de ne pas oublier Naples dans son histoire de la poésie courtisane italienne, demande à être nuancée. D’abord parce que déjà au mitan du XVe, le luth était à Milan comme dans le reste de la péninsule, associé à la chanson. Ensuite parce qu’il faut sans doute chercher les fondements de la grande école milanaise du luth, au siècle suivant, dans la présence ininterrompue des luthistes, souvent germaniques, à la cour des Sforza. La nobiltà di Milano (1595 et 1619) de Paolo Morigia (1525-1604) cite encore le modèle des luthistes de la Renaissance, Francesco da Milano « qui fut un merveilleux instrumentiste sur le luth » parmi les musiciens de son temps36. Francesco est donc de Milan, comme Joan Ambrosio Dalza37, Giovanni Angelo Testagrossa38 de Pavie, comme Lorenzo le fameux luthier installé à Venise, et Giovanni Maria39 qui est originaire de Crema. Citons encore

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le sulfureux soldat Pietro Paolo Borrono40, Jacomo Albutio da Milano41 ou le Bagino qui a laissé un saltarello42 et qui est cité avec Giovan Maria Giudeo comme un parfait joueur de luth43. Si les princes d’Europe recrutent pour leur chapelle des chantres dans les maîtrises du Nord de la France et des Flandres, ils font venir des instrumentistes d’Allemagne pour les fastes de leur cour. Les trompettes et les musiciens de alta viennent de Nuremberg, Augsbourg, Constance, Bâle… Avec eux, les luthistes et leur nouvelle manière de jouer l’instrument44 ont tenu un rôle prépondérant dans l’éclosion d’une musique nouvelle. Conrad Paumann (1410-1473) passe pour avoir inventé la tablature allemande. Un des plus grands luthistes de la transition, Giovan Maria (Hebreo ou Allemani), qui se mettra au service des Médicis, est localisé à Milan avec Bagino45. Stefano Todesco46 (1455, 1463), Mattheo todesco (1454,1455, 1462) ou Janes todesco (1469) servent tour à tour les ducs de Milan. On ferait le même constat avec les luthistes de Florence, de Ferrare ou de Venise : bien avant Pietrobono (dont la mère était allemande), Leonardo Todesco en 1416, et Niccolò Todesco47 officiaient à Ferrare. Florence engageait un autre luthiste allemand en 1427. Le surnom est affublé à de nombreux luthistes encore au début du XVIe : « Zuan todisco48 », « Gioan tedesco49 » « Todeschin50 ». Les archives révèlent parfois l’indocilité, parfois l’intempérance légendaire de ces ménétriers allemands. En 1454, Mattheo todesco se fait tirer l’oreille pour revenir au service de Francesco :

Notre joueur de luth51 m’a demandé la permission de se rendre à la fête du Protecteur, et nous en étions d’accord, nous promettant de revenir à nous par la suite. Mais les jours ont passé, sans qu’il revienne. Nous lui avons fait dire qu’il devait retourner près de nous. Mais il semble qu’il s’en soit moqué. Aussi nous voulons que vous retrouviez le dit musicien et que vous nous l’envoyez, en lui procurant une monture s’il n’en a pas, quitte à lui donner un de vos chevaux. Et si jamais il ne voulait pas venir ni de son plein gré, ni à votre instance, nous voulons que vous le fassiez mettre sur un cheval et que vous l’accompagner jusqu’à nous, par amour ou par force, et pour cela vous pouvez vous servir de nos cavaliers.

L’année suivante, Matheo a engagé son luth, sûrement pour payer ses dettes, et donc l’intendant réclame ce luth qui garde sa dénomination lombarde (llagut, laguto, leguto) :

Matheo l’allemand, notre joueur de luth52, nous a fait comprendre que cela fait déjà plus de six mois qu’il a engagé un luth et que jamais il n’y a eu moyen de le récupérer. Comme le temps approche de quelques fêtes que nous voulons faire et pour lesquelles nous aurons à employer le dit Matheo, nous voulons que dès réception de la présente, et sans faute, tu donnes le dit luth au porteur notre cavalier, lequel te donnera l’argent que tu as prêté au dit Matheo.

Deux jours plus tard, Francisco de Eustachio indique au duc que le luthiste a menti53. L’été précédent, il était effectivement logé chez lui et il a voulu lui vendre le luth pour un florin mais craignant de déplaire au duc (à qui devait appartenir l’instrument…), il l’a refusé. Le luthiste l’a vendu quand même pour un florin à un autre, Johannespetro de Vailate qui lui-même l’a vendu à un juif pour deux ducats d’or. Sans doute Matheo faisait-il partie en 1460 des trois allemands joueurs de luth et de viola54 que le duc met à disposition de sa femme, Blanche Marie Visconti (1425-1468). En 1462, Mathias est à

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Venise ; il paraît toujours aussi indépendant mais ses qualités de musiciens ne font pas de doute, si l’on en croit l’ambassadeur de Francesco à Venise, Antonio Guidobono :

Matheo thodesco le joueur de luth est ici. Quand il plaira à votre excellence que je fasse en sorte qu’il vienne à Milan, je m’emploierai à le faire venir. Je crois pourtant qu’il faudrait le faire accompagner de quelque cavalier… il me semble qu’il n’a jamais aussi bien joué que maintenant55.

Un témoignage hilarant confirme la mauvaise réputation des ménétriers allemands, souvent moqués dans les chansons de carnaval. En 1475, Giovanni de Castelnovate, sénéchal du Francesco enjoint un duo de bas instruments à se rendre au palais pour le lendemain. Il leur fait envoyer des chevaux pour qu’ils ne manquent pas aux cérémonies à Abbiategrasso où résidait Bonne de Savoie (1449-1503), femme de Galéas Marie.

Giovanni de Castelnovate commande à maître Johanes Todesco, joueur de luth et son compagnon qui joue de la viola qu’ils soient demain ici près de nous avec leurs instruments… et on leur dira que, pour demain, ils ne doivent pas s’enivrer, et que, pour le reste de l’année nous leur donnons licence de faire comme il leur plaira, pourvu que demain ils soient sobres56.

Dans ce duo de bas instruments, du chitarrino et du luth, de la viola et du luth ou de deux luths57, le luth jouait généralement le ténor, sans doute avec la contra si on en juge aux tablatures de Spinaccino et aux tablatures d’orgues contemporaines. C’est une formule attestée en Allemagne, en France ou en Bourgogne. En 1461, les ambassadeurs de Florence, en route vers la cour de France, s’arrête à Milan et gratifient un joueur de luth « et un autre qui tient le ténor, ils sont au seigneur », et encore un « joueur d’un grand instrument, sont avec lui des joueurs de luth58 ». En 1463, Stephan de Munich, peut-être le Stefano Todesco qui avait étudié avec Pietrobono à la demande de Francesco en 1455, faisait partie d’un duo avec Hans Berthold de Bâle59. En 1469, maître Janes Tedesco reçoit la solde pour son duo avec le joueur de viola60. Pour autant, les musiciens italiens, ne sont pas absents des archives. Dès 1450, Francesco Sforza donnait la citoyenneté milanaise à Lorenzo de Canepanova (Pavie) qui en 1473 était « citaredo ducale ». En 1471, Galéas Marie réclame à la cour « Lorenzino », luthiste de Pavie au châtelain Giovanni degli Attendoli mais il n’est pas là et le gouverneur en a averti son frère61. En 1490, les maîtres de luth milanais Silvestro de’ Ferrari et Francesco de Magistris62 actifs à Gênes, prouvent la permanence d’une école lombarde qui fleurira avec les maîtres de la génération suivante. Paradoxalement, c’est sous Galéas Marie (1466-1476), que les documents se rapportant au luth se font les plus rares. L’éducation musicale de ce prince est pourtant attestée63, et il a entretenu une splendide et dispendieuse chapelle ducale. En 1474 Josquin, Loyset Compère, Alexander Agricola et le très recherché Jean Cordier en sont les chanteurs ! Avant lui, Francesco avait pu apprécié le talent et la virtuosité de Pietrobono64 et il écrivait à Borso que « par ses grandes qualités d’instrumentiste, nous croyons qu’il n’a pas son pareil dans le monde65 ». Le duc écrit plusieurs lettres au virtuose pour lui recommander les élèves qu’il lui envoie : Stephano « sonatore66 », Gasparre67 ou Antonio

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de Brescia68. Il insiste personnellement, jouant de son autorité de prince, pour que le maître fasse cas de ses protégés. Antonio, écrit-il, se plaît beaucoup au jeu du luth, Gasparre a la volonté d’apprendre : « Il vous fera honneur et encore à nous car nous aurons à cœur d’avoir à notre cour un de vos disciples… ». Le prince est soucieux de disposer d’un jeune homme69, avenant et doué pour la musique, qui pourra distraire les dames et enseigner la musique aux enfants. Ornement de sa cour, le prince veut s’assurer que le jeune musicien chanteur en est digne70. Remarquablement, ce jeune homme, page ou serviteur, qui doit savoir chanter et jouer le luth, ressemble à l’écuyer des Tarots ou aux damoiseaux des majoliques ferrarraises, des gravures germaniques ou florentines, voire aux anges musiciens des futures sacre conversazioni. En 1461, l’ambassadeur de Francesco à Venise, Antonio Guidobono, a déniché un adolescent de la région de Crémone. Celui-ci appartient au seigneur Roberto Sanseverino71 (1418-1487) qui le lui a confié pour lui faire enseigner le chant « par raison et en pratique » (il sait lire la musique et il possède une technique vocale.) Il vante ses qualités de musicien et ses aptitudes pour le jeu des instruments comme pour le chant car il a une bonne voix de gorge. Il enverra l’enfant accompagné d’un cavalier et il espère ce faisant ne pas se fâcher avec Roberto et sa femme Johanna :

Votre excellence ferait bien de retenir cet enfant pour lui, parce qu’elle en aura une grande satisfaction et je crois qu’en quatre ou six mois au plus d’apprentissage, il sera devenu un bon joueur de luth qui s’accorde très bien avec le chant72.

L’ambassadeur souligne que le luth était particulièrement adéquat pour accompagner le chant. Il avait en tête assurément les chansonnettes vénitiennes, les justiniane, que leur créateur était censé avoir chantées sur le luth. Avant 1475, Cicco Simonetta73 (1410-1480) demandait encore à Girardo de’ Colli74, autre ambassadeur milanais à Venise, de recruter un jeune garçon :

Avec les conseils et le savoir de Maxerato, tu t’efforceras de trouver quelque garçon entre XII et XV ans, guère plus, bien de sa personne et d’un bon esprit… Et en particulier, qu’il sache bien jouer du luth et chanter avec et sans le luth75.

L’adolescent devra être intelligent et discret, mais, précise-t-il, point trop amène76. On peut y voir la préoccupation d’un père qui, soucieux d’avoir un musicien susceptible d’apprendre quelques chansons à ses enfants (ses filles ?), souhaite qu’il ne soit pas trop désirable. Quant à sa discrétion, le secrétaire redoutait sans doute que les vénitiens placent un espion chez lui. Il recommande même à l’ambassadeur de prétendre que le garçon n’est pas pour sa maison. La requête de Simonetta confirme l’importance de la musique (et du chant au luth en particulier) dans l’éducation courtoise d’un ou d’une jeune aristocrate. Il veut encore obtenir du chanteur Filippo Maserato un recueil contenant toutes les canzone de Leonardo Giustinian et il ajoute : « Incluez la musique de deux ou trois canzone que l’on puisse comprendre la façon de chanter vénitienne77. » Le recueil des chansons de Giustinian fait en effet partie de l’inventaire de sa bibliothèque en 1476, aux côtés des œuvres du Burchiello et de recueils de laudes. Il est logique d’en déduire que le secrétaire du duc entendait que le luthiste vénitien soit capable de chanter ce répertoire à la mode.

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Venise, grande pourvoyeuse de musiciens, de cordes, de luths, (puis de livres de musique au XVIe), était donc déjà, par sa facture, sa culture, son commerce, la ville du luth. En octobre 1471, le duc Galéas Marie Sforza (1444-1476) requiert l’envoi de bonnes cordes de luth à Hercule de Magno Maino78 qui est alors en poste à Venise comme agent des Sforza. Il veut un échantillon de trois diamètres différents79. Cette commande pouvait servir pour un musicien au service de la cour, des pages musiciens ou, comme souvent, pour un cadeau galant80. En 1476, quelques mois avant son assassinat, le duc envoie des cordes à Caterina Toscana Billia81 :

12 bottes de cordes de luth82 que je vous prie de donner à la domina Caterina toschana et dites-lui qu’elles sont de la variété qu’elle voulait c’est à dire des canti et cantarelle.

En 1494, Ludovic le More83 demande à son secrétaire Bartolomeo Calco84 (1434-1508) d’envoyer deux luths de Venise et lui recommande de les faire porter de manière à ce qu’ils ne soient pas gâtés par le voyage. Il fera parvenir l’argent au luthier par son ambassadeur85. Plusieurs décennies avant les tablatures de Bossinensis (1509), le luth est donc « marié » avec la voix et Séraphin pouvait aussi s’inspirer de ces traditions pour inventer un nouveau genre auprès du napolitain Cossa. En 1468, la fille de Francesco, Ippolita Maria Sforza (1446-1484) était à Pavie. Une lettre de son frère Ludovico évoque les fêtes et les chasses organisées en son honneur. Le soir, dans la chambre de la duchesse de Calabre, on fait chanter la « Bolonaise » sur le luth86. Encore en 1507, Diomède da Po chante sur le luth87 un sonnet à la gloire de Louis XII lors de l’entrée triomphale dans Milan. Le chroniqueur Jean Marot (1450-1526) raconte cette entrée dans « Le voyage de Gênes88 ». Au poème encomiastique de Diomède, un genre que Séraphin a cultivé, répond l’énumération des instruments, amplification classique à la gloire du prince :

Trompes et buccines Clairons et doulcines Luth, rebecs, orguines Tabours, chalemines Sonnent qui mieulx mieulx Chansons, motets, hymnes Louanges divines En voix argentines Des gestes insignes Du Victorieux

Les Cantori al liuto, Bartolomeo Tromboncino et Marchetto Cara

En approchant les cours de Mantoue, de Ferrare, ou d’Urbin, le Séraphin pouvait confronter sa « nouvelle manière » de chanter avec celle des chanteurs au luth de sa génération qui ont alimenté les recueils de frottole. Bartolomeo Tromboncino (1470-1535) et Marchetto Cara (1470-1525) appartiennent à la même génération et servent tous

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deux les Gonzague à Mantoue, centre névralgique de la création et de la diffusion de la frottola. Comme Michele Pesenti89 (1470-1524), ils viennent de Vérone90. L’école des Accoliti formaient depuis le milieu du XVe siècle les servants de la cathédrale de Vérone aux lettres et au chant91. Les registres de l’école conservent les paiements des chanteurs et des musiciens qui y enseignaient92. Les frottolistes Pellegrino Cesena93, Antonio Rossetto94, ou Giovanni Brocco95 pourraient bien avoir été de leurs élèves. Vasari96 fait de Matteo dal Nassaro (1485-1547), lui aussi de Vérone, un des élèves des deux frottolistes. Tous deux cités par l’Arétin dans sa comédie Marescalco97, tous deux classés parmi les cantori al liuto dans le Lucidario d’Aron (1545), Tromboncino et Cara sont les principaux contributeurs des éditions de frottole de Petrucci entre 1504 et 1514 et les compositeurs les plus présents dans les manuscrits du début du XVIe (190 pièces pour Tromboncino et près de 120 pour Cara). La prédominance du premier pourrait tout aussi bien être due à sa présence à Venise. On le voit par exemple demandé un privilège pour ses œuvres au sénat de Venise encore en 1521 alors que paraissait à Rome, chez Giunta, le livre de frottole sur le luth qui réunissait encore les deux musiciens98. Ils profitent tous deux de la protection de leurs maîtres et du rôle prépondérant qu’ils jouent dans la diffusion de la poésie courtoise. La mise en musique des barzellette, recherchée par les poètes, sanctionnaient le succès du texte qui pouvait alors venir s’insérer dans l’églogue ou le spectacle aulique. Cara est resté attaché à Mantoue jusqu’à la fin de sa vie. Il apparaît dans la correspondance des Gonzague dès 149499. A maintes occasion, il reste toutefois étroitement attaché à François et plus tard à son fils Frédéric. Le 15 janvier 1495, il écrit au marquis qu’il voulait envoyer la musique composée sur les strambotti reçus mais sa mauvaise santé l’en avait empêché ; il enverra les airs dès qu’il sera remis100. Le 24 janvier François envoie à la marquise, alors près de sa soeur Béatrice prête à accoucher à Milan, un « strambotto avec le chant noté de Cara. » Ainsi, Isabelle pourra-t-elle le lire et le chanter. Le lendemain, François et le duc de Calabre assistaient au spectacle du Séraphin. On peut supposer une collaboration entre le poète luthiste et le musicien, se partageant les parties du spectacle. Cara suit François dans ses pérégrinations militaires et quand le musicien retourne à Mantoue, Isabelle veut le garder auprès d’elle. Elle demande à François de ne pas lui en vouloir parce qu’elle l’avait retenu auprès d’elle, arguant que les fatigues de la guerre ne lui donnaient certainement pas l’occasion de goûter la musique. Elle le prie d’ailleurs de le lui renvoyer dès que possible101. Là encore, le Séraphin était aussi avec le marquis et a joué devant le roi de France. Et les deux musiques de Cara sur les textes du Séraphin pourrait attester de leur proximité102. Lors de sa captivité à Venise, en décembre 1509, François sollicite la venue de son chanteur préféré pour soulager ses peines103. Le 16 décembre Marchetto a reçu l’autorisation de visiter le prisonnier et le 28 décembre il n’a pu le voir que trois ou quatre fois à cause de la mauvaise volonté des vénitiens. Le 15 janvier, le luthiste Testagrossa et Cara étaient auprès de lui. Le mariage de sa fille Eléonore avec le neveu du pape, Francesco Maria della Rovere, faisait alors augurer une libération rapide. Le 30 janvier, les deux luthistes étaient de retour à Mantoue mais François était toujours retenu à Venise. Un autre épisode, situé fin 1512, montre l’attachement du marquis à son chanteur. Le jeune Maximilien Sforza, en passe de reconquérir le duché de Milan demande expressément à François de lui envoyer le duo de Marchetto et de son élève, Roberto Avanzini104. François veut garder, pour les fêtes de Noël, son chanteur qui est

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dorénavant son nouveau maître de chapelle. Il prétend même que Cara est inquiet de la situation militaire à Crémone et craint l’artillerie française. Le 26 novembre, les deux musiciens se sont bien présentés au nouveau duc de Milan. Cara avertit son maître que celui-ci a si bien apprécié leur prestation qu’il veut les amener de Crémone à Milan pour y faire son entrée : « Il est tant dédié et incliné à la musique que nous n’avons jamais de repos, ni de jour ni de nuit »105. Sans doute, faut-il chercher dans ce goût prononcé pour les fêtes et la musique, le choix ironique que fera Alciat d’offrir un luth en guise d’emblème à Maximilien. Le 4 décembre, de Crémone, Cara écrit au marquis qu’il a reçu ses instructions : il suivra le nouveau duc de Milan, le temps que François l’y a autorisé puis il reviendra le servir. Le duc est à Milan le 31 et le duo arrive le 4 janvier 1513. Le 7 janvier, le duc redemande la permission de garder les deux musiciens ; il apprécie leur musique et veut leur faire un beau présent. Il voudrait qu’ils restent au moins jusqu’à l’arrivée d’Isabelle qui vient visiter son neveu et que Coscia entendra chanter sur le luth. Le 18 janvier, Cara écrit au marquis qu’ils seront de retour à Mantoue d’ici 4 ou 5 jours. Mais le 23 janvier, le secrétaire du duc indique à François qu’ils n’ont pas reçu l’autorisation de Maximilien pour partir. Cependant, dans sa lettre du 2 février, il décrit le banquet et la mascarade qui est donné au palais d’Isabelle pour le duc et le vice-roi de Naples, et les deux musiciens sont déjà partis depuis plusieurs jours. Cette séquence montre à quel point il était important pour le prince de s’entourer des meilleurs artistes dans le but donner de l’éclat à sa cour et à sa suite. L’enjeu diplomatique était à la mesure de l’investissement artistique. Après une dizaine d’années de domination française, Maximilien voulait restaurer ce qui avait fait la grandeur de la cour du More et de Béatrice, ses parents : les fastes des fêtes et des spectacles. Mais se joue entre les deux princes une partie de poker menteur dont les musiciens sont les pions. À Urbin, Elisabetta n’hésite pas à solliciter sa belle-sœur de Mantoue pour obtenir des musiciens qui marqueront son prestige. Elle le fait avec le Séraphin106 ou avec Cara. Elisabetta et Guidobaldo sont chassés d’Urbin par le duc de Valentinois le 21 juin 1502. Isabelle envoie Cara et sa compagne chanteuse, Giovanna, à Venise ou s’est réfugiée la duchesse. Lorenzo de Pavie la renseigne : « Marchetto et Giovanna sont ensembles et au vrai la duchesse en éprouve un grand plaisir. Ils chantent vraiment bien, heureux celui qui peut les entendre. Les gens de Venise concluent n’avoir rien entendu de meilleur107 ». Marchetto écrit à la marquise le 8 novembre pour dire que la situation des exilés est difficile. En 1505, la duchesse sollicite à nouveau Isabelle108. Profitant de ce que l’acteur Fra Serafino se rend en Allemagne, elle demande que ce frère puisse prendre, à son retour, Marchetto et Giovanna pour les amener à Rome où elle désire se rendre. De manière remarquable, les performances de Marchetto sont généralement associées à un duo109. Au duo avec sa compagne chanteuse, se substitue celui avec son élève, le luthiste Roberto Avanzini110. Cette paire est citée dans le journal de Sanudo (28 février 1522). Les musiciens sont payés 55 lire et 16 soldi à leur retour du camp de Pavie d’où Frédéric mène la guerre contre les Français111. Ces duos, luth et voix, ont sans aucun doute constitué un idéal de performance de la frottola. Cara cumulait les trois fonctions de chanteur112, de luthiste113 et de compositeur114. Castiglione le cite dans le Courtisan, comme modèle d’un idéal courtois du chant, centré sur la douceur, rappelée trois fois, de l’expression érotique. Il oppose l’art de Cara à la manière de chanter de Bidon d’Asti115, « artificielle, prompte, véhémente, esmeuë & de mélodies tant différentes »116 :

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Nostre Marquetto Cara, en sa manière de chanter n’esmeut pas moins, mais c’est avec une harmonie plus molle & plus douce, laquelle par une voye paisible, & plaine d’une piteuse douceur, attendrit & pénètre les cœurs, imprimant d’une douce manière, en iceux, une passion délectable117.

Même si la douceur a toujours été un critère universel de la musique, elle devient le critère constitutif du chant accompagné au luth, aussi instrument de la douceur. Johannes Martini écrit en 1492 à Isabelle d’Este qu’il a trouvé un chanteur capable de chanter « sotto voce », c’était donc un critère important pour interpréter ce répertoire de la complainte amoureuse. Et quand Bembo, qui était resté à Mantoue du 20 au 27 juin 1505 et se souvenant qu’il avait alors entendu, un soir, la marquise chanter, lui envoie des sonnets et des strambotti nouveaux, c’est pour qu’elle puisse les chanter de sa « voix pure et douce »118. Sa « main belle et gracieuse » est encore une évocation de la performance intime du luth. L’opposition Cara/ Bidon, n’est pas sans rappeler celle de Calmeta qui distingue les citharèdes qui diminuent à qui mieux mieux du chant du Séraphin, plein et simple. Sans doute aussi, ce paragone, qui sonne comme la justification de la culture de la frottola à la cour de Mantoue, dont Castiglione était un affidé, se double d’un contraste entre la frottola et le chant polyphonique, entre italianità et musique des franco flamands119. Les polyphonies à quatre voix de Petrucci peuvent correspondre à un format stéréotypé des éditions de la polyphonie vocale, mais les frottole étaient généralement pensées à trois voix : le soprano pour le chant, et le ténor et la contra pour le luth : le ténor (et l’alto) introduisant des jeux rythmiques et la basse assurant la base harmonique. Achillini dans le Viridario décrit une nymphe120 puis Ariana121 qui chantent en s’accompagnant d’un luth qui joue la ténor et la contra. La voix d’Alto est souvent une voix de remplissage, d’écriture, qui utilise de courtes imitations. L’intitulé du livre de frottole édité à Rome vers 1520 par Giunta exprime bien ce procédé : « Frottole de Monsieur Bartolomeo Tromboncino et de monsieur Marchetto Carra avec les ténors et les basses mis en tablature et avec les soprani en chant figuré pour chanter et jouer avec le luth ». Le 2 avril 1535, Bartolomeo Tromboncino envoie une frottola au théoricien Giovanni di Lago. À cause de la nature de son correspondant, il est attentif à la différence des genres :

Vous m’avez demandé un brouillon de « Se la mia morte brami » et je vous l’envoie avec grande joie, en vous avisant que je l’ai écrit seulement dans sa version pour le luth et la voix, c’est à dire sans alto. Pour cette raison, l’alto manquant produirait un sérieux défaut pour qui voudrait le chanter a capella.

Le chant au luth, symboliquement et musicalement, était donc un aboutissement idéal de la mise en musique, et non un pis aller, ou une simple réduction de la partition initiale adaptée aux idiomatismes de l’instrument. Tromboncino, comme Cara étaient avant tout des « compositeurs au luth ». Logiquement, ce sont leurs frottole qui dominent très largement les deux recueils pour voix et luth du Bossinensis. Tromboncino signent une trentaine de pièces et Cara la moitié dans le livre de 1509, réédité vers 1515122.

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Lorenzo Costa, National Gallery Londres, fin XVe

La tradition bourguignonne de la chanson profane à trois voix123 se prolonge dans les chansons à trois voix éditées par Attaignant et reprise dans la Très brève et familière Introduction de 1529. A partir de cette base, les compositeurs ajoutaient une voix d’alto, indiquée « si placet » qui se rajoutait à l’entrelacement du contrepoint. Plusieurs chansons du premier recueil de luth français appartiennent à ce genre : « Ces facheux sotz » ( ) « Amour vault trop », « Amy souffrez »… Cara a amplement profité de sa situation de musicien et de courtisan. Idéalement connecté aux plaisirs des princes, dans l’intimité de leurs concerts et des divertissements privés, il s’assurait leur amitié124 et leur protection. Le marquis le récompense avec des terres en 1499 et 1505. En 1507, il reçoit en cadeau une maison, via Pusterla d’une valeur de 600 ducats et semble gagner une particule125. Après la mort en 1509 de Giovanna de

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Maraschi, sa compagne chanteuse, Isabelle lui donne, en 1512, une de ses filles d’honneur en mariage, fille de Leali, un des intendants des chasses du marquis. En 1525, Frédéric lui octroie, avec Testagrossa, la citoyenneté de Mantoue. L’année suivante, il est mort puisque sa veuve se remarie ; il possédait alors deux maisons et deux domaines près de Mantoue. Cara semble se mettre davantage à la disposition d’Isabelle à partir du moment où Tromboncino semble avoir quitté le service des Gonzague126. Carretto qui demandait jusque-là des compositions de ce dernier, sollicite maintenant celles de Marchetto : « J’envoie une belzeretta nouvelle et je prie qu’elle daigne la donner à notre Marchetto »127, « J’envoie une belzeretta nouvelle que j’espère digne d’être confiée à notre Marchetto »128, une « belzeretta nova » pour Marchetto129, idem en 1507, 1513 et 1516 : « J’envoie le capitolo en dialogue de trois personnes et je prie votre excellence qu’elle daigne lui faire faire un chant par Marchetto, quant il aura l’opportunité de le faire ». Cara confirme à Frédéric, alors en France, qu’il a écrit ce dialogue en août de cette année-là. En 1514, c’est François qui sollicite son compositeur pour « faire quelque chant nouveau, avec son habituelle excellence » sur « quelques belles choses nouvellement composées mais pas encore imprimées. ». Cara propose à Frédéric un dialogue à 5, inédit130. Le musicien, dont la renommée est maintenant établie par les impressions de Petrucci, est réclamé par les courtisans d’Isabelle. En 1510131, Cesare Gonzague écrit à la marquise : « La grâce que je désire obtenir de votre excellence est qu’elle daigne commander à Marchetto de faire un air à ce madrigaletto que j’envoie ci-inclus, et de le faire de telle sorte que le chant supplée à l’insuffisance du texte. » Il réclame aussi la musique de « Cantai mentre il core »132, un sonnet de son ami Castiglione. En 1515, durant le séjour de la marquise à Naples, le marquis de Betonto avait exprimé le désir d’obtenir des chansons de Cara. Elle lui envoie quelques-unes de nouvelles en échange de capituli de Sannazaro. En 1518, Mario Equicola sollicite Marchetto pour envoyer les musiques qu’il a composées sur les textes de Bandello et l’année suivante, Isabelle envoie un chant de Marchetto au cardinal Luigi d’Aragon (1475-1519), revenu de son voyage européen. Elle lui demande d’excuser le retard parce « que les excellents musiciens prennent le temps nécessaire pour composer et corriger leurs compositions. » Cette lettre confirme le goût des grands prélats aussi pour la musique profane. En novembre 1514, Isabelle assistait à un concert133 en présence du cardinal Hyppolite, son frère, du cardinal d’Aragon et le cardinal Bibbiena (1470-1520). Ce dernier envoie de Bologne un de ses protégés, Giovanni Domenico, pour suivre l’enseignement de Marchetto134. Les compositions de Cara et celles de Tromboncino reflètent-elles les goûts de leurs maîtres respectifs ? Le premier insérant dans la barzelletta des citations de chansons populaires135 et le second illustrant plutôt les textes littéraires des poètes qui gravitent autour d’Isabelle. Effectivement, celui-ci met en musique Correggio, Tebaldeo, Carretto Politien mais aussi l’Arioste, Castiglione, Sannazaro, Michel-Ange et des textes en latin136. Dans les imprimés entre 1500 et 1530, Tromboncino a publié une trentaine de pièces sur les canzoni et de sonetti de Pétrarque137 et Cara seulement 2.

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Disperata di Nocturno Neapolitano, Pérouse 1520

Tromboncino est le fils de Bernardino Piffero ; avec sa brigata de trombones et de trompettes, celui-ci était déjà au service des Gonzague depuis 1477 et en 1495, il enseignait encore la musique aux enfants. Bartolomeo profite aussi de la générosité des Gonzague. En 1497, il recevait 50 ducats d’or. Mais un événement tragique va contrarier une carrière toute tracée. En revenant de Casale, en juillet 1499 (voir plus loin), il surprend sa femme Antonia avec un amant, Zoanmaria de Triomfo. Il la tue d’un coup de poignard. Isabelle prévient François qu’il s’est réfugié dans l’église de saint Barnabé et elle le prie d’être clément avec son musicien. Cela ne trouble pas le commerce d’Isabelle et de Carretto qui continuent de le solliciter pour composer des barzellete138. La marquise le régale encore de 168 lire de Mantoue en 1501, et quand Tromboncino, ayant vendu sa maison, se réfugie à Venise, François lui reproche son ingratitude : « Ayant été des mieux payés par nous, ayant joui de faveurs, de bontés et de libertés plus qu’aucun de nos autres courtisans ». Pourtant il doit rester encore au service des Gonzague puisqu’il apparaît parmi les musiciens de Mantoue au mariage de Lucrèce en janvier 1502. S’il sert encore la marquise épisodiquement, il entre au service de Lucrèce Borgia à partir de 1505, à Ferrare. Il est le mieux payé de ses musiciens avec 150 scudi annuels. C’est sans doute pour elle qu’il compose des chansons en espagnol139. Quand, à la suite des difficultés du duché face aux prétentions de Jules II, Alphonse d’Este débande sa chapelle et congédie ses musiciens, le cardinal Hippolyte le prend à son service, alors qu’il dispose déjà de luthistes140 et de frottolistes/luthistes avec Alexandre Demophonte et Michele Pesenti, qui servait de chapelain, de chanteur, gérait les instruments et achetait des livres de musique. En janvier 1514, pour les fêtes de carnaval, le duc de Milan aime entendre chanter Tromboncino, Pozino et Papino da Bozzolo141. En janvier 1516, Maximilien a été chassé de Milan et le jeune Frédéric de Gonzague s’amusent près de François Ier. Il danse, fait du cheval et écoute chanter Tromboncino. En 1518, Tromboncino est à Venise et donnent de

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leçons de chant et de luth aux femmes de la noblesse. Il ne peut, dit-il à Giacomo de’ Tebaldi, ambassadeur ferrarrais, revenir facilement à Ferrare parce qu’il a loué une maison à Venise et qu’il a déjà commencé à enseigner les gentildonne de Venise et s’il s’absentait, ne serait-ce qu’une semaine, il perdrait tout ce qu’il a engagé. Il espère apurer les dettes qu’il a contractées auprès des juifs de Venise, qui ont des droits sur tout ce qui lui appartient. Il espère aussi pouvoir souffler un peu et rendre visite à sa femme. Le courtisan jure qu’il irait jusqu’en Inde pour le service de Lucrèce alors pourquoi pas Ferrare, mais sa pauvreté ne lui permet pas de quitter Venise et il ne peut satisfaire les demandes de la duchesse. Privé de la rente du musicien de cour, contraint de trouver d’autres sources de financement, il dépose en 1521 une demande de privilège auprès du sénat vénitien pour ses « Canzoni, madrigali, soneti, Capitoli, et stramboti, Versi latini et ode latine et vulgar barzelete frotole et dialoghi », toute l’étendue de la poesia per musica. Curieusement, Casio dans ses Cronica (1525, plus certainement 1528) lui consacre un sonnet en guise d’épitaphe, jouant sur son nom et les trompettes du jugement dernier.

Qui chantera maintenant pour nous avec une voix divine ? Qui composera avec de si célestes notes ? Qui jouera d’une lyre si mélodieuse ?

Apprenant sans doute son erreur due à la rumeur, il le ressuscite dans un deuxième sonnet :

Ses douces notes, et le style gracieux et limpide La lyre, le plectre, et sa voix agréable Résonne déjà dans les oreilles de chacun.

Contrairement à Cara, sa participation, en tant que musicien à la représentation courtoise, aux divertissements, aux églogues et aux concerts, est documentée ou suggérée par ses compositions. En Mai 1499, il part de Mantoue et se rend à Vicence pour chanter des vêpres. En juin, il est arrivé à Casale, près du marquis de Montferrat qui avait sollicité sa présence à Isabelle dans une comédie, « pour chanter quelques vers composés à cette occasion ». C’est une comédie de Carretto, peut-être les Noces de Psyché et de Cupidon, ou la Comédie de Béatrice (à moins qu’il ne s’agisse d’une seule et même œuvre.) Le 23 juin le poète écrit à Isabelle qu’il a confié toutes les belzerette de la comédie au musicien, et dans les actes se chanteront certaines chansons nouvelles : « J’ai donné quelques dialogues avec des belzerette au Tromboncino, qui étant d’une manière nouvelle, je crois plairont à votre Seigneurie ». Plusieurs passages des Noces se prêtaient à la musique. L’air de Pan, signé de Tromboncino « Crudel fugi se sai » paraît à Rome en 1518, peu avant l’édition de l’œuvre. Malgré le crime perpétré à son retour de Casale, et sa fuite dénoncée par François l’année suivante, il est tout de même à la tête des chanteurs mantouans lors des noces de Lucrèce Borgia et Alphonse d’Este, le frère d’Isabelle, en février 1502. Isabelle relate les festivités à son mari. Les ambassadeurs présentent leurs cadeaux au couple puis était donnée une comédie, l’Asinaria de Plaute. Elle était précédée d’une barzelletta chantée par Tromboncino en l’honneur des nouveaux époux. Entre les actes, les musiciens jouent des intermèdes, d’abord celui des hommes sauvages avec un lion et une panthère au son des sonnailles et des flûtes, puis après le troisième

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acte, une musique du Tromboncino avec « Paola, Pozino et compagnie ». Isabelle note avec une certaine satisfaction que les musiciens mantouans l’emportent dans le cœur du public sur ceux de Ferrare. Au troisième intermède, Alphonse tient sa partie parmi les six violes. Le spectacle se clôt avec la traditionnelle moresque. Sanudo dans son journal, au 7 février 1507, parle d’une « musique mantouane de Tromboncino, Paula, Pocino et compagnie » pour les intermèdes de l’Asinaria de Plaute, et le lendemain le premier interlude chanté avant la Casina de Plaute est l’hommage aux époux chanté par le Tromboncino142 : L’année suivante, il est à nouveau à Ferrare pour participer à d’autres représentations. Jacopo di Secondo, le célèbre joueur de viole, classé parmi les cantori al liuto par Aron, est accompagné par quatre luthistes vêtus de satin noir et de brocarts dorés (prêtés pas César). Tromboncino y mène un groupe de chanteurs. L’essentiel de ses barzellette pouvaient aisément trouver leur place dans la complainte du berger amoureux, le réconfort de l’ami, les protestations de la nymphe. Sa canzoni di Aristeo devait s’insérer dans la fable d’Orphée plusieurs fois représentées à Mantoue. « Queste lagrime mie » est la chanson de Jola dans l’églogue de Castiglione et de Cesare Gonzague, donnée à Urbin en 1506. Le Dialogo d’amore de Correggio que Tromboncino a mis en musique et que le bosniaque a posé sur le luth, pouvait se prêter à une mise en scène entre l’amant et l’Amour, facile à intégrer dans toutes les trames de la comédie. La relation de la donna au musicien est du même ordre que celle qui la lie au poète qui chante la dame, sa beauté et ses vertus. Elle entend jouir de la primauté voire de l’exclusivité de ses compositions. Isabelle le rappelle à Cara143 : elle lui reproche que ses airs soient connus avant même d’avoir été exécutés à la cour. Pour être également qualifiés de cantore al liuto, Cara et Tromboncino sont avant tout des musiciens, des compositeurs que les poètes sollicitent quand le Séraphin est quant à lui un poète et un dramaturge. Mais sans aucun doute, ce qui les rassemble l’emporte sur ce qui les distingue : ils sont tous des chanteurs au luth au service de la dame. Rien n’indique que la musique du Séraphin soit si différente de celle des frottolistes, qui transcrivent leurs compositions en s’appuyant sur la technique importée par les instrumentistes germaniques.

René Vayssières 1 « Leuto in brazo ». 2 « Rotta é la lyra, troncata é la cethra » 3 « Plectro nobilis lyraque clarus » mais ici le plectre peut désigner tout simplement l’archer de la lira. 4 « Si nescis periit, qui pectine lusit eburno. / Non fuit Alceo minor hic : & pollice movit/ Argutam nullus jam leviore chelym. » 5 « Linus Orpheus, Amphion, Apollo / Et Thamyras, tangit pectine quisque lyram …Psalentem Seraphin dexteriore chely/ Miratur… » 6 « Caliopeque prior gratissima carmina dictat : Atque lyram digitis percutit alma suis. » ; « Dulcia cantabat Seraphinus carmina nervis / Pollice percussis cuncta lepore trahens » ; « Et cythara, placidae solicitudo manus. » ; « Quo nemo movit leviori pollice cordas » ; « Quis cytharae querulas pulsabit pollice chordas ». 7 « Tentatis pollice cordis:/ Plectrigera has coepit sollicitare manu » 8 « Ecce modo ut digitis modo pectine tangit eburno/ Auratae Seraphin consona fila Lyrae… ». 9 Canzoni, sonetti … Antico, Rome (1517). 10 Adorno, avec l’aide des Sforza, avait chassé Ibletto de Fieschi en 1477 qui a recueilli Séraphin à Rome.

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11 Theoricum opus musice discipline British Library, Hirsch IV. 1441 12 « Si Seraphino poeta haveva ancora facto cosa nova usaro omne diligentia per haverla notata et le parole. » 13 « Soneto artificio sopra la musica (ut re mi fa sol la) » ou la villota : « la mi sol fa re » 14 « Il Musico Aquilan » ; il adresse même un sonnet à Josquin. 15 Ul729 est une anthologie réunie pour Elisabetta (avant 1500) ; BnF res Vm7 676 (c. 1500) : « Ite sospiri » « Soffrire io » ; « Morte che fai » ; « riguarda il viso mio », « Dal cello non hebe mai » ; « o vui che seguitate il van Cupido » ; « merzé merzé per Dio » ; British library cod. egerton 3051 (c.1500) 16 Livres V, VI, XI, Bossinensis, Antico (1513 et 1517). 17 Marchetto Cara, Girolamo del Lauro, Onofrio Mantuuano, Onofrio Patavino. 18 Par exemple Girolamo Casio dans les colletannee : « in scritto o all’improvviso » ou Cassio de Narni (1480-1536) dans son Morte del Danese publié en 1521 (stance 126 canto IV libro II p 79) qui le compare à l’Unico aretino : « compose assai, & disse quel che volse »), 19 « Ecco una nympha in braccio ha uno instrumento / canta, e col suon si fa tenor e contra…Poi sola canta e sede a Theseo contra ma col leuto fa tenor e contra. » 20 « Tenori e contrabassi intabulati col sopran in canto figurato per cantar e sonar col lauto ». 21 « Volemo che per questo cavallaro ne mandi una scatola de bone corde da leguto, tolendole dogni rasone, zoè tenori, contricante et cantarelle » Ex Mediolano die XV octobris 1471 ». Le 13 janvier 1444, Alphonse V à Naples commande des cordes à Valence : « tantes cordes de laut com porets haver ço ès primes, punters e bordonets ». On trouve encore des bordone, des mezzane, et des sotanele. 22 Chez Misinta ; Brescia (1500) 23 Isabelle d’Este à Mantoue, sa sœur Béatrice à Milan, sa belle-sœur Elisabetta à Urbin, … 24 Comme « Io ardo in foco » écrit en imitation d’un « strambotto cum el canto ». 25 Modo da cantar sonetti. 26 Cesare Barbetta en propose dans son livre de 1585 : « Arie con le quale si puo cantare Stanze o verso d’ogni sorte ». On trouve des arie da cantare ottave ou des arie da cantare terza rima dans Bottigari (1574), Raffaele Cavalcanti (1591 et les additions manuscrites du Fronimo de Galilei. Une vingtaine de manuscrits comprennent encore ces « aria per stanze », aria d’ottava rima », aria da cantare », « Aria de capitoli », « intavolatura per cantare l’ottave sopra il liuto », « La terza rima » etc. Dalza en 1508 propose une « calata da strambotti ». 27 Lettre du 5 novembre 1504 de Calmeta à Isabelle d’Este : « perché, avendo cum la musica conformitade, quando li citaredi vengono a cantarla, a li ascoltanti per la prolissitade non abbiano fastidio a generare ». 28 MS 2146 de la Trivulzienne, écrit entre 1484 et 1492 29 Le personnage, qui appartient au vocabulaire iconographique de l’enlumineur, ne saurait représenter ni Vinci, comme le prétendait Carlo Trivulzio, propriétaire du manuscrit au XVIIIe, ni David, ni Boèce. 30 « quo magis in hoc genere erat ascanius Sfortia ». 31 De morali disciplina libri quinque (1473) édité en 1552 chez Scotto à Venise Francisci Philelphi de disciplina libri quinque. 32 « Un clavicimbalo nel quale e inserto uno organo che e molto suave instrumento ». 33 « Enricus cytharoedus germanicus » et « Bachieca senex cytaroedus ». 34 « Est tibi germanis cytharoedus missus ab oris/ qui fidibus curas pellere mente potest./ est et apollinea perdoctus in arte Bachieca. » Pierii Jannecti Siculi elegiarum libellus , (bibli vaticane, codex Barberini 1776). 35 En 1473, pour se refaire, un chanteur napolitain Reynero, de la chapelle offrait à Galeas Marie 3 chansons espagnoles notées qui devaient être chantées doucement : « tre canti spagnoli…faciateli cantare dolcemente et sotto voce ». 36 « Francesco detto Milano, che nel Leuto fù miracoloso suonatore » ; Michel Angelo Nanternicosi « nel comporre come nel suonare di Chitarrone » ; « Gran suonatore di Leuto viene stimato Luigi Diano detto communemente Luigino » ; « Gio. Ambrosio Colonna detto lo Stampadormo di nome e di valor grande è hoggi qui nel leuto. Ha questi ancora raccoltate e stamparte diverse opere conformi alla sua professione » ; « Silvio Villanova è stato stimato il primo suonatore di Leuto che fusse nello stato di Milano ». 37 Intabulatura de Lauto Libro quarto padoane, calate a la spagnola a la taliana tastar de corde con li soi recercar drieto, frottole per lo excelente musico e sonator de Lauto Joanambosio Dalza ; milanese acomplacentia de quelli desiderano dare principio a tal virtu » 38 Une lettre du marquis de Mantoue au More (17 août 1498) indique que magistro Augustino da Pavia est

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le père de Zoh. Angelo Testagrossa, « mio musico ». De toutes les conjectures (Gaffurio, Josquin, Simon de Quercu, Atalante Migliorotti…) qui ont été proposées pour identifier le musicien de l’Ambrosienne, d’Ambrogio de Predis, parfois attribué à Léonard, la moins recevable est celle qui voudrait y reconnaître le luthiste en lisant les inscriptions sibyllines de la carta (« Cant. Ang. ») comme l’abréviation de « cantor Angelus » pour Angelo (Testagrossa). Outre que Testagrossa n’est pas cantor, mais instrumentiste de renom, le tableau ne correspond en rien au portrait physique peu flatteur qu’en font Antonio Cammelli, le Pistoia, « Ad un diletto amico, eccellente musico, che avea nome Angelo ma il volto nero » et Luca Gaurico dans son Tractatus Astrologicus (1552) : « Ioannes Angelus Testagrossa Papiensis, caput habebat magnum, nasum parvum, & simum, facies carnosam, erat corpulentus, & aspectu deformis » 39 Intabolatura de lauto (1546) ; Intabolatura de lautto libro settimo (1548) ; Ein neues sehr künstlichs Lautenbuch 40 Casteliono (1536) 41 La intabolatvra del lauto de diversi autori ; Scotto (1563). 42 Milan, (1536) « saltarello chiamato Baggino » 43 Henrico Boscano, Isola beata (1513) 44 Selon Tinctoris, Cortese (Giovan Maria Hebrei et Balthasar Germanus), Galilei ((« Fu portato a noi questo nobilissimo strumento da Pannoni con il nome di laut. »)… 45 Isola Beata (1513) 46 « Stephano teutonico cithariste » 47 « Cantor et pulsator ». Il reçoit 100 ducats en 1441 pour recruter des trompettes en Allemagne. En 1445, il achète un chitarrino pour 6 ducats. En 1460, le marquis de Mantoue désire avoir un bon chanteur qui enseigne un de ses donzello. Il a recours à Nicolo à Ferrare qui lui propose un Giovanni Brith habile dans le « cantare moderno, massime delle arie veneziane » 48 Dans Caio Caloro Ponzo (c. 1500) 49 Dans le Monte Parnasso de Coriolo. 50 Dans une gravure du Trionfo di Fortuna de Fanti (1527). 51 Lettre du 28 août 1454 : « quello nostro sonatore da liuto todesco ». 52 Lettre à Francisco de Eustachio, à Pavie du 28 mars 1455 : « Matheo todesco nostro sonatore de laguto » 53 « Uno laguto de magistro Mattheo todesco » 54 Lettre à Petro de Galarate du 23 août 1460 :« Mandiamo li tre todeschi sonatori de leijuto et de viola per dar piacere alla illustrissima madonna nostra consorte » ; 55 Lettre du 4 août 1462. 56 Lettre du 16 avril 1475 : « Johanni de Castronovate comanda al magistre Johanes Todesco, sonatore de leguto, ed al suo compagne che sona la viola ». La même année, un « Stefano de Alemania pifero et sonatore de la viola », sans doute un des membres du duo, avait encore un contentieux avec le tavernier de la « taberna Pescharie ». 57 L’iconographie consacre également la harpe et le luth. 58 À un « suonator di liuto…sonò alli Imbasciadori » 2 florins ; à un « suonatore di liuto… et uno altro gli tiene il tinore, stanno col Signore » 2 florins ; à un joueur « d’uno instrumento grande, sonò colli sonatori del liuto », 8 grossi de Florence. 59 « Magistro Ianni Bertoldo de Basilea, et Stefano de Monachis, alamanis citharistis, et familiaribus nostris ». 60 19 février 1469 : « a magro Janes elargivansi L.14, soldi 6, denari 8 mensili, altrettanto al suo compagno suonator di viola » 61 Lettre du 15 janvier 1471 : « Lorenzino sonatore de layuto » ; ce « Bolognino » Attendogli avait remis la citadelle de Pavie aux Sforza en 1449. 62 Dans les actes notariés de Gregorio Ferro, à Gênes : « Silvester de Ferrariis de Mediolano qm. Cristoffori magister lautorum a sonando a Janua » ; « franciscus de Magistris de Mediolano qm. Jacobi, magister lautorum a sonando in Janua ». La précision « a sonando » se justifie dans le port de Gênes, pour ne pas confondre l’instrument avec l’embarcation méditerranéenne, le lauto/ liuto/ llagut. 63 Il apprend des chansons françaises en 1452, il a 8 ans, avec Guiniforte Barzizza. 64 Dans la Sforziade, il jouait fictivement pour le banquet de 1441 à l’occasion des noces de Francesco et de Blanche Marie.

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65 Lettre du 17 novembre 1456 : « si per le sue virtute maxime nel sonare, che crediamo il mondo non habia il suo paro ». 66 Lettre du 18 décembre 1455. 67 Lettres du 4 et du 12 avril 1457 : « El frate da Lonate nostro cortesano manda da voy Gasparre suo garzone presente latore, per emprendere sonare de layuto » 68 Lettres du 24 octobre 1461 : « Antonio da Bressa per volere imprendere presso de vuy al mestiere de sonare il lijutto ». 69 « regazo », « garzone », « doncello »… 70 En 1477, Ludovic envoie un joueur de luth pour qu’il se fasse entendre de Squarcialupi à Florence. Déjà, Galeazzo Maria avait entendu Maestro Antonio (Squarcialupi ?) chanter sur la cetra (23 avril 1459). 71 Sanseverino est le neveu (il est le fils d’Elisa Sforza, sœur de Francesco. Il a épousé Giovanna da Corregio) et compère de Francesco dans la condotta. D’autres capitaines, Montefeltre, Malatesta, Gonzague s’entourent de musique aussi. Au siècle suivant, les héritiers de Roberto seront des mécènes des chanteurs et des luthistes. 72 « Uno bon sonatore de liuto, che molto si convene cum al cantare » 73 Cicco Simonetta a été le secrétaire de Francesco puis de Galeazzo Maria Sforza. Il avait été chargé de constituer la chapelle musicale de Galeazzo Maria, écrivant même à Ferdinand en 1471 pour s’excuser de ce que le duc avait débauché ses meilleurs musiciens. Lors de la régence de Bonne de Savoie, il fut arrêté et exécuté par le More. 74 Girardo de Colli est ambassadeur à Venise de 1471 à 1475. 75 « Questo pucto bisogna che sappia sonare bene de liuto, et cantare con dicto liuto et senza liuto. Sicché sappia fare caduno exercitio da per sé et separato et bene luno et l’altro ». 76 « Non de molta bellezza » 77 « Intendere l'aere venetiano ». Voyez la note 9 78 Ercole est le neveu d’Agnese del Maino (…- 1465) maîtresse de Filippo Maria Visconti et mère de Bianca Maria Sforza. Dans un manuscrit de Carlo Trivulzio, on trouve deux barzellette d’Hercules Maynus (1483). Il est assassiné en 1493. 79 Lettre du 15 octobre 1471 :« una scatola de bone corde da leguto, tolendole d’ogni rasone, zoè tenori, contricante et cantarelle ». Les dénominations des grosseurs de cordes se calquent sur les trois voix de la chanson, la ténor, le chant et la contra. 80 Voyez Baptista Bassano à Elisabeth en 1552 ou Henri IV à la comtesse de Grammont en 1586. 81 En 1477, celle-ci fait une donation pour une chapelle de santa Maria coronata. 82 Lettre du 28 juin 1476 : « corde da leguto » 83 En 1492 le More remerciait François de Gonzague, son beau-frère de lui avoir prêter Narciso de’ Mainardi, un des luthistes chanteurs de la cour de Mantoue « che del cantar suo ne ebbero turri piacere assai ». Isabelle réclame un luth aussi bon que celui de son musicien. Narcisso sert les Gonzague jusqu’en 1529. 84 Calco, secrétaire du More, correspond avec le Politien ; c’est lui qui fait venir Vinci et Bramante à la cour de Milan. 85 Lettre du 20 août 1494 : « due liuti comprati a Venetia ». Le luthier est sans doute Lorenzo de Pavie qui a construit une viola et un clavicorde pour Béatrice. 86 Lettre du 24 janvier 1468 : « cantare la Bolognesa sul laguto ». La même année un autre frère, Sforza Maria Sforza, duc de Bari, en ambassade à Ferrare écrit à Galéas Marie : « Au dîner nous avons eu divers plaisirs de clavecins, de luths et de bouffons et de maître Jean l’aveugle qui récite merveilleusement encore mieux que d’habitude « de clavicembali, de liuti de buffoni et de magro Zohanne orbo ; quale dixe maravigliosamente, più de l’usato »). 87 « Si sentì cantare in un liuto da Diomede da Po l’infrascripto sonetto : salve salve rex regum sub sidera »). Il laissera également une épitaphe de Gaston de Foix mort à Ravenne en 1512. 88 Magnifiquement enluminé par Bourdichon BnF 5091. 89 Il nous reste 36 frottole de Pesenti. 90 Une lettre de Bernardo Bembo, podesta de Vérone du 3 septembre 1502, à François "Per ser Marco cantore vostro famigliare et nostro veronese ». Plus généralement, la frottola se développe autour de la terra fermata vénitienne : Francesco d’Ana et Andrea de Antiquis, de Venise ; Honophrius Antenoreus, Nicolò Pifaro patavino et Antonius stringarius de Padoue, etc.). 91 «ammaestrati in lettere, canto e costume».

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92 On pense aux luths dans les tarsie de Giovanni da Verona. 93 « Presbiter Peregrinus Cesena veronensis » était nommé le 15 mai 1495 comme maître de « canto figurato » des enfants (pueri cantores) ; archive de la cathédrale de Padoue. 94 Antonius Rossetus, chapelain des Accoliti, cité dans les statuti de 1495 95 Johannes Brocchus, archiprêtre d’Arbizzano. 96 Vasari : « ma alla musica ancora, nella quale fu eccellente, avendo in quella per maestri avuto Marco Carrà et il Tromboncino veronesi, che allora stavano col marchese di Mantoa. » 97 Publiée en 1533, mais écrite vers 1526, à un moment où il était au service de Jean des bandes noires, à Mantoue. La comédie met en scène un maréchal ferrant de Frédéric. 98 Frottole de Misser Bortolomio Tromboncino et de Misser Marchetto Cara con tenori et bassi tabulati et con soprani in canto figurato per cantar et sonar col lauto, Rome, chez Giunta. 99 Lettre du musicien Bernadino d’Urbino à Isabelle 24 mai 1494 : « uno strambotino de Marcheto facto poci dì a Mantua ». Le courtisan envoie le strambotino qui ne semble pas le convaincre et une calata qui se chante beaucoup à Rome dit-il. Sans doute encore la manière simple et « popularisante » de la frottola n’a pas encore convaincu. 100 A plusieurs reprises, il fait allusion à sa mauvaise santé. Le 31 juillet 1505, Marchetto et sa compagna ont obtenu l’autorisation de s’éloigner de Mantoue pour des raisons de santé. Ils auraient besoin de davantage de temps mais reviendront à Mantoue si les Gonzague l’exigent. Le 14 septembre 1514 il écrit à Frédéric qu’il est malade. 101 Lettre du 10 août 1495. 102 « Del mio sì grande e del tu amar sì poco » et « guardando alli occhi toi ». 103 Lettre du 4 décembre 1509. 104 Lettre du 18 nov 1512. 105 Lettre de Cara au marquis du 27 novembre 1512. 106 Lettres du 2 du 30 septembre 1497. 107 Lettres du 4 et du 28 septembre 1503. 108 Lettre du 20 octobre 1505. 109 Ce qui n’exclut pas évidemment sa participation aux grands ensembles. Le 15 mai 1523, Isabelle écrit à Cara "...insieme col Pozzino, Zoppino e M. Augustino de la Viola con suoi figlioli veniate dimane matina qui a Marmirolo a disnar con noi facendo intendere alli preditti che portino li loro instrumenti da sonar et da cantar..." 110 Le 11 Janvier 1515, Isabelle réclame la viola qu’elle a prêté à Marchetto pour la donner à Roberto. 111 Ils y ont croisé un autre chanteur au luth, Coscia ambassadeur de Monferrat. 112 Dans le Monte Parnasso de Philippo Oriolo da Bassano, écrit entre 1519 et 1522, Cara est mentionné pour la beauté de son chant. 113 28 avril 1499 : « Marchus de Cara civis veronensis musicus » ; « lira et cantibus » … « dulcedine cantus et lire » … « pericia et gratia componendorum cantuum ». 114 Bartoli le place en 1567 parmi les grands compositeurs avec Josquin, Brumel, Obrecht, Isaac… 115 Antonius Colebault, chanteur de la chapelle du duc de Ferrare et de la chapelle de Léon X. 116 Bidon, « qui n’a pas son pareil au monde » chante « in gorga & voce » dit Casio dans sa Cronica. 117 Traduction de Chappuys : « Né men commove nel suo cantar il nostro Marchetto Cara, ma con più molle armonia ; ché per una via placida e piena di flebile dolcezza intenerisce e penetra l’anime, imprimendo in esse soavemente una dilettevole passione. » 118 Lettre du 1er juillet 1505. 119 Josquin, Obrecht et Brumel se succèdent à la chapelle de Ferrare de 1503 à 1505 quand Bidon y était chanteur. 120 « In braccio ha un instrumento, canta, e col suon si fa tenor e contra ». 121 « Ma col leuto fa tenor e contra » 122 12 et 7 pour le livre de 1511. Notez une pièce de Cara et deux pièces de Tromboncino dans le Capirola. 123 Voyez les chansons du « luthiste » Van Guyseghem. 124 « A R.me Marchetto de Cara musico, M.e Amice noster charissime » et en 1525 Frédéric l’appelle « omnium horarum amicum », ami de toutes les heures. 125 « Musicus noster excellens » « al nobile Marchetto de Cara ».

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126 Lettre du 30 avril 1503 : Le secrétaire du marquis, Tolomeo Spagnolo, envoie les chants à Isabelle, Marchetto s’excusant de les avoir fait trop rapidement pour lui obéir. Depuis le départ de la marquise, il n’avait rien composé de nouveau. La marquise s’assurait d’être bien la seule destinataire de son travail. 127 Lettre du 28 janvier 1503. 128 Lettre de 1504. 129 Lettre du 28 janvier 1505. 130 « un duo a cinque a botte e risposte che mai fu fatto simil cosa ». 131 Lettre du 2 décembre 1510. 132 Antico, 1514. 133 « In canti et suoni de varie sorte » avec de nombreux seigneurs, Laurent de Médicis, Franceschetto Cibo etc. 134 Lettre du 17 décembre 1515. 135 « De la da po, de za da po » dans « Amerò, non amerò », « O tiente alora » dans « Per fugir d’amor le ponte », « Tuolo in man » dans « Poich’io vedo », etc. Tromboncino insère la chanson populaire « che fa la ramacina » dans « poché volse la mia stella » mis en tablature dans Dalza et Capirola et « Hor ch’io son » : « avec voglio el Turluru » 136 Correggio : « aqua, aqua » ; Tebaldeo : « Vox clamantis in deserto », Veronica Gambara : "Or passata è la speranza" ; Carretto : 6 pièces dont « se gran festa » ; Politien : « La non vol esser più mia » ; Cara a également mi un texte de Politien en musique : « Io non l’ho oerchè non l’ho » ; l’Arioste : tiré du Roland furieux, « Queste non sono più lacrime che fuore » pour voix et luth (Giunta 1520) ; Castiglione : « Queste lagrime mie », tirée du Tirsi (Petrucci livre XI) ; Sannazaro : « Se per colpa del vostro altiero sdegno » ; Bembo : « Gioa m’abonda al cor tanta e si pura » ; Michel-Ange : « Com'arò dunque ardire », 1519), et Ovide : « adspicias utinam » tiré des Héroïdes. Cara met en musique le « dulces exuviae » de Virgile. 137 Citons entre autres : « Virgine bella », « Occhi mei lassi », « che debbo far » (Bossinensis, 1509), « Zephiro spira » (Bossinensis, 1509), « s’il dissi mai ch’io venga », « Ite caldi miei sospiri” (Bossinenis, 1511), “Hor che'l ciel et la terra”, “Movesi il vecchierel”, “Non al suo amante”, “Ben mi credea passar”, … 138 Lettres des 4 oct 1499, 11 nov 1499, 21 nov 1499, 19 janvier 1500, 15 nov 1500. 139 « Muchos son que van perdidas » 140 Janes de Pre Michele de 1508 à 1517, Giovanni Maria Alemanno Ebreo présent en 1503, 1506 et 1507, Testagrossa en 1513 et 1515, mais aussi peut-être des luthistes : Zoan Battistea de lauti, ou Vincenzo Lauti. 141 Lettre à Isabelle du 26 janvier 1514. Avec Nicolò da Padoa, luthiste et frottoliste et la chanteuse Dalida, amante du cardinal, tous trois étaient au service de Lucrèce en 1507. Pozino est un chanteur et Papino, Dionixio da Mantoa un frottoliste. Tromboncino était revenu au service de Lucrèce en 1513. 142 « Una musica del trombonzino, ne la qual si cantò una barzeleta in laude de li sposi » 143 Lettre du 24 mars 1524.