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REIN ET PATHOLOGIES REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - AVRIL 2013 - N°451 // 55 article reçu le 19 novembre 2012, accepté le 4 janvier 2013. © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. SUMMARY Acute renal failure This review summarizes the current knowledge about acute renal failure (ARF). It begins by reminding the different etiologies and the biological elements to differentiate the diagnosis between functional and organic ARF. It stresses the importance to classify ARF according to its magnitude, taking into account both serum creatinine concentrations and in urinary output modifications. It emphasizes the importance of new very interesting biological markers such as NGAL (neutrophil-gelatinase associated lipocalin) in order to have an early diagnosis of ARF before the modification of serum creatinine, although the use of these markers at present time are restricted to certain high risk patients. Finally, it underlines the importance of evaluating the kidney function 2 months after the time of ARF, in order to detect those who having recovered a normal renal function from those who having begun or deteriorated a chronic renal disease, who should be managed according to appropriate guidelines. Acute renal failure (ARF) – functional ARF – organic ARF – classification of ARF – post-ARF management – preventive measures – biological markers for early diagnosis. RÉSUMÉ Cette revue fait une synthèse des connaissances actuelles sur l’insuffisance rénale aiguë (IRA), en commençant par un rappel des différentes étiologies possibles et du diagnostic biologique différentiel entre IRA fonctionnelle et organique. Elle met en avant l’importance d’établir une classification des IRA en fonction de la gravité, en tenant compte à la fois des variations des concentrations de créatininémie et de production d’urine. Elle souligne également l’émergence de nouveaux bio-marqueurs très intéressants comme la NGAL (neutrophil-gelatinase associated lipocalin) pour établir un diagnostic précoce d’IRA avant l’augmentation de la créatinine sérique, même si la place de ces bio-marqueurs reste actuellement réservée à la prise en charge de certains patients à haut risque. Enfin, elle fait le point sur la nécessité d’évaluer la fonction rénale dans les 2 mois qui suivent tout épisode d’IRA chez tous les patients, afin de pouvoir détecter ceux qui ont récupéré en totalité et ceux qui débutent ou aggravent une maladie rénale chronique, afin de pouvoir les prendre en charge selon les recom- mandations de bonnes pratiques cliniques. Insuffisance rénale aiguë (IRA) – IRA fonctionnelle – IRA organique – classification des IRA – suivi post-IRA – mesures préventives – biomarqueurs du diagnostic précoce. Bernard Lacour a, *, Ziad Massy b L’insuffisance rénale aiguë d’une insuffisance rénale chronique. Dans la majorité des cas l’atteinte de la fonction rénale est réversible. En règle générale, la diurèse est faible, inférieure à 500 ml/24 h (soit inférieure à 20 ml/h) et on parle d’IRA oligo-anurique. Lorsque l’IRA est anurique, elle doit être différenciée d’une rétention d’urines, qui correspond à une situation dans laquelle les reins fonctionnent norma- lement mais la vidange de la vessie ne peut pas se faire. Dans certains cas, la diurèse est conservée, alors qu’un dysfonctionnement tubulaire existe et on parle d’IRA à diurèse conservée. Selon le mécanisme étiologique, on distingue : les IRA pré-rénales ou fonctionnelles, qui constituent 25 % des IRA et sont la conséquence directe d’une insuf- fisance de perfusion rénale, le rein ne recevant pas un apport de sang suffisant ; les IRA post-rénales ou obstructives, qui sont dues à un obstacle sur les voies urinaires, les voies excrétrices intra- rénales ou intra-tubulaires. L’obstacle doit être bilatéral ou sur rein unique pour conduire à une IRA ; les IRA rénales ou organiques, qui constituent 65 % des IRA et sont dues à une lésion qui touche l’une des composantes du tissu rénal. Les causes les plus 1. Définition et étiologies L’insuffisance rénale aiguë (IRA) correspond à la perte bru- tale des fonctions du rein, qui se traduit par une accumula- tion des déchets organiques normalement éliminés par les reins et par des troubles de l’homéostasie hydrominérale et acido-basique. Elle peut survenir sur des reins sains ou elle peut correspondre à une poussée aiguë dans le cadre a Service de biochimie générale Hôpital universitaire Necker – Enfants Malades 149, rue de Sèvres 75730 Paris cedex 15 et UMR 1154 – Université Paris Sud – Châtenay-Malabry b Service de néphrologie Hôpital Ambroise-Paré Université Paris Ile-de-France-Ouest (UVSQ) 9, av. Charles-de-Gaulle 92100 Boulogne Billancourt et INSERM U-1088 – UPJV Amiens [email protected] * Correspondance [email protected]

L’insuffisance rénale aiguë

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REIN ET PATHOLOGIES

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - AVRIL 2013 - N°451 // 55

article reçu le 19 novembre 2012, accepté le 4 janvier 2013.

© 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

SUMMARY

Acute renal failure

This review summarizes the current knowledge about acute renal failure (ARF). It begins by reminding the different etiologies and the biological elements to differentiate the diagnosis between functional and organic ARF. It stresses the importance to classify ARF according to its magnitude, taking into account both serum creatinine concentrations and in urinary output modifications. It emphasizes the importance of new very interesting biological markers such as NGAL (neutrophil-gelatinase associated lipocalin) in order to have an early diagnosis of ARF before the modification of serum creatinine, although the use of these markers at present time are restricted to certain high risk patients. Finally, it underlines the importance of evaluating the kidney function 2 months after the time of ARF, in order to detect those who having recovered a normal renal function from those who having begun or deteriorated a chronic renal disease, who should be managed according to appropriate guidelines.

Acute renal failure (ARF) – functional ARF – organic ARF – classification of ARF – post-ARF

management – preventive measures – biological markers for early diagnosis.

RÉSUMÉCette revue fait une synthèse des connaissances actuelles sur l’insuffisance rénale aiguë (IRA), en commençant par un rappel des différentes étiologies possibles et du diagnostic biologique différentiel entre IRA fonctionnelle et organique. Elle met en avant l’importance d’établir une classification des IRA en fonction de la gravité, en tenant compte à la fois des variations des concentrations de créatininémie et de production d’urine. Elle souligne également l’émergence de nouveaux bio-marqueurs très intéressants comme la NGAL (neutrophil-gelatinase associated lipocalin) pour établir un diagnostic précoce d’IRA avant l’augmentation de la créatinine sérique, même si la place de ces bio-marqueurs reste actuellement réservée à la prise en charge de certains patients à haut risque. Enfin, elle fait le point sur la nécessité d’évaluer la fonction rénale dans les 2 mois qui suivent tout épisode d’IRA chez tous les patients, afin de pouvoir détecter ceux qui ont récupéré en totalité et ceux qui débutent ou aggravent une maladie rénale chronique, afin de pouvoir les prendre en charge selon les recom-mandations de bonnes pratiques cliniques.

Insuffisance rénale aiguë (IRA) – IRA fonctionnelle – IRA organique – classification des IRA – suivi post-IRA –

mesures préventives – biomarqueurs du diagnostic précoce.

Bernard Lacoura,*, Ziad Massyb

L’insuffisance rénale aiguë

d’une insuffisance rénale chronique. Dans la majorité des cas l’atteinte de la fonction rénale est réversible.En règle générale, la diurèse est faible, inférieure à 500 ml/24 h (soit inférieure à 20 ml/h) et on parle d’IRA oligo-anurique. Lorsque l’IRA est anurique, elle doit être différenciée d’une rétention d’urines, qui correspond à une situation dans laquelle les reins fonctionnent norma-lement mais la vidange de la vessie ne peut pas se faire. Dans certains cas, la diurèse est conservée, alors qu’un dysfonctionnement tubulaire existe et on parle d’IRA à diurèse conservée.Selon le mécanisme étiologique, on distingue : les IRA pré-rénales ou fonctionnelles, qui constituent

25 % des IRA et sont la conséquence directe d’une insuf-fisance de perfusion rénale, le rein ne recevant pas un apport de sang suffisant ; les IRA post-rénales ou obstructives, qui sont dues à un

obstacle sur les voies urinaires, les voies excrétrices intra-rénales ou intra-tubulaires. L’obstacle doit être bilatéral ou sur rein unique pour conduire à une IRA ;

les IRA rénales ou organiques, qui constituent 65 % des IRA et sont dues à une lésion qui touche l’une des composantes du tissu rénal. Les causes les plus

1. Définition et étiologies

L’insuffisance rénale aiguë (IRA) correspond à la perte bru-tale des fonctions du rein, qui se traduit par une accumula-tion des déchets organiques normalement éliminés par les reins et par des troubles de l’homéostasie hydrominérale et acido-basique. Elle peut survenir sur des reins sains ou elle peut correspondre à une poussée aiguë dans le cadre

a Service de biochimie généraleHôpital universitaire Necker – Enfants Malades149, rue de Sèvres75730 Paris cedex 15et UMR 1154 – Université Paris Sud – Châtenay-Malabry

b Service de néphrologieHôpital Ambroise-ParéUniversité Paris Ile-de-France-Ouest (UVSQ)9, av. Charles-de-Gaulle92100 Boulogne Billancourtet INSERM U-1088 – UPJV [email protected]

* [email protected]

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fréquentes sont des nécroses tubulaires aiguës, toxiques ou ischémiques.Le tableau I rassemble l’ensemble des étiologies des insuffisances rénales aiguës.

2. Diagnostic

2.1. IntroductionLe diagnostic repose sur l’imagerie, qui doit être réalisée sans utiliser de produits de contraste iodés, et la biologie. Il faut toujours se rappeler que les examens biologiques sanguins et urinaires peuvent ne révéler aucune anoma-lie dans les 24 premières heures de constitution de l’IRA. Le tableau clinique et l’anamnèse peuvent apporter des renseignements très précieux (présence de maladies, trai-tements en cours, chronologie de l’apparition de l’IRA…).Le diagnostic repose sur : la notion d’une fonction rénale normale au préalable

(ou altérée mais stable et significativement moins altérée qu’au moment de l’IRA), l’absence d’anémie et d’hypocalcémie, qui signifierait

un état d’insuffisance rénale chronique, la présence de reins de volume et d’épaisseur corticale

normaux à l’échographie, à l’exception de certaines causes d’IRA. D’autres imageries (scanner, artériographie) seront occasionnellement nécessaires.

2.2. La démarche diagnostique doit rechercher des causes pré-rénalesEn dehors d’une sténose de l’artère rénale, qui doit systématiquement être éliminée, on doit rechercher un terrain particulier qui est le plus souvent asso-cié à une réduction du volume du milieu extracellulaire : une cause de déshydratation extra-

cellulaire en raison de pertes cutanées (brûlure, sudation), digestives (vomis-sements, diarrhée, fistules) ou rénales (traitement excessif par diurétiques, polyurie du diabète décompensé, polyurie après toute levée d’obstacle, néphrite interstitielle chronique, insuf-fisance surrénale) ; une cause d’hypovolémie, appelée

communément « troisième secteur », telle qu’un syndrome néphrotique sévère, une cirrhose hépatique décompensée, une insuffisance cardiaque congestive, une hypotension artérielle dans les états de chocs cardiogéniques, septiques, ana-phylactiques ou hémorragiques ; une cause hémodynamique avec chute

de la pression de filtration glomérulaire liée à des traitements par des bloqueurs du système rénine-angiotensine (inhibi-teurs de l’enzyme de conversion, anta-gonistes du récepteur de l’angiotensine II et/ou des anti-inflammatoires non sté-roïdiens ou des anti-calcineurines).

Dans tous les cas, on observe une diminution importante du débit sanguin rénal et donc du débit de filtration glomé-rulaire. L’IRA est réversible dès que le débit sanguin rénal est restauré. En revanche, en l’absence d’une correction, l’IRA devient organique.L’examen clinique doit rechercher une hypotension arté-rielle, une tachycardie, une perte de poids, l’existence d’un pli cutané, et un souffle abdominal.Le diagnostic biologique des IRA fonctionnelles repose sur un ensemble de modifications de paramètres rassemblés dans le tableau II : une augmentation des concentrations plasmatiques

d’urée et de créatinine, l’urée étant proportionnellement beaucoup plus augmentée que la créatinine, en raison d’une réabsorption importante de l’urée par les cellules tubulaires lorsque le débit urinaire est faible ; une natriurèse effondrée (Na < 20 mmol/l avec une frac-

tion d’excrétion du sodium < 1 %) avec un rapport Na/K urinaire < 1 correspondant à une forte stimulation du sys-tème rénine-angiotensine dans le but de corriger l’hypovo-lémie en réabsorbant au maximum le sodium filtré ; une osmolarité urinaire élevée (> 500 mOsm/l) avec un

rapport OsmU/OsmP > 2 ; un rapport Urée urinaire/Urée plasmatique > 10 et un

rapport Créatinine urinaire/Créatinine plasmatique > 30 ; une acidose métabolique et une hyperkaliémie, qui est

liée à l’acidose et à la diminution du DFG.

Tableau I – Étiologies des IRA.

1.IRA pré-rénales

ou fonctionnelles

Baisse du flux sanguin rénal= rein « ischémique »

par diminution de la volémie

Pertes digestives, urinaires ou cutanéesHémorragies3e secteurHypo-albuminémie

Déséquilibre de la régulation de la FG

= rein « instable » vasoconstricteurs/dilatateurs

Baisse du débit cardiaque- Insuffisance cardiaque- Tamponnade, embolie pulmonaireVasodilatation périphérique- Choc septique- Choc anaphylactiqueVasoconstriction rénale- Infection- Syndrome hépatorénal- Médicaments (AINS, ciclosporine, cisplatine)Diminution du flux sanguin rénal- Sténose de l’artère rénale

2.IRA « rénales » ou organiques

Lésions anatomiques vasculaires Vaisseaux extra-rénaux- Thrombose, embolie, dissection, traumatismeVaisseaux intra-rénaux- Vascularites : Wegener, Takayasu, PAN - Autres : micro-angiopathie thrombotique

Lésions anatomiques glomérulaires

GNA endo ± extra capillaireGN rapidement progressive

Lésions anatomiques interstitielles Infection hématogène ou ascendanteToxicité médicamenteuse immuno-allergiqueHypercalcémie, hyperuricémie, hyperoxalurie

Lésions anatomiques tubulaires Toxiques, médicaments, hémolyse, myolyseInfection, choc

3.IRA post-rénales ou obstructives

Obstacles intrinsèques LithiaseNéoplasieAdénopathies

Obstacles extrinsèques TuberculoseEndométrioseFibrose rétro péritonéaleTraumatisme

AINS = anti-inflammatoires non stéroïdiens ; PAN = périartérite noueuse ; GNA = glomérulonéphrite aiguë.

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REIN ET PATHOLOGIES

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Le traitement consiste à restaurer une volémie efficace dans les IRA fonctionnelles par déshydratation extracellulaire et hypovolémie. Dans le cas particulier des IRA fonctionnelles consécutives à la prise de médicaments, l’IRA s’améliore après l’arrêt des traitements.

2.3. La démarche diagnostique doit rechercher des causes post-rénalesOn doit rechercher des obstacles à l’écoulement de l’urine qui entraînent une augmentation de la pression hydros-tatique de l’urine dans la capsule de Bowman et par voie de conséquence une diminution de la pression efficace de filtration dans les glomérules.Les causes peuvent être : la présence de calculs rénaux, une pathologie tumorale (adénome prostatique, cancer

de la prostate, cancer du col utérin, tumeur de la vessie, cancer du rectum, de l’ovaire ou de l’utérus).L’examen clinique doit rechercher des douleurs lombaires avec hématurie, des épisodes de diurèse à éclipse et doit comprendre un toucher pelvien.L’échographie est l’examen de choix pour établir le dia-gnostic. La radiographie de l’abdomen sans préparation peut permettre de visualiser la présence de calculs dans le cas des lithiases radio-opaques.Le traitement de l’IRA repose sur l’élimination de l’obstacle qui s’opposait à l’élimination de l’urine par la pose d’une sonde urinaire ou d’une sonde double J et un traitement étiologique par la suite.

2.4. La démarche diagnostique de l’IRA organiqueL’examen doit rechercher des antécédents de mala-die générale (comme un lupus ou un diabète), la prise de médicaments néphrotoxiques (anti-inflammatoires non stéroïdiens ou AINS, diurétiques, antagonistes du récepteur de l’angiotensine II, produits de contraste iodés, anticancéreux), un tableau de rhabdomyolyse ou d’hémolyse, une HTA ou des antécédents cutanés d’allergie. Une échographie rénale doit être systéma-tiquement faite.Les IRA organiques sont le plus souvent liées à une nécrose tubulaire aiguë (80 % des cas), mais elles peuvent être en rapport avec d’autres types d’atteintes parenchymateuses. Les principales causes d’IRA organiques sont : les nécroses tubulaires aiguës liées à un choc qui a

généré une ischémie (choc septique, hypovolémique, hémorragique, anaphylactique ou cardiogénique), à une toxicité médicamenteuse directe (aminosides, produits de contraste iodés, anti-inflammatoires non stéroïdiens, cispla-tine, amphotéricine B, céphalosporines de 1re génération, ciclosporine et tacrolimus), à une précipitation intra-tubulaire (acyclovir et autres inhibiteurs des protéases, méthoth-rexate, sulfamides, crixivan, chaînes légères d’immuno-globulines, myoglobine, hémoglobine en cas d’hémolyse intravasculaire) ; les néphrites interstitielles aiguës infectieuses (pyé-

lonéphrites aiguës, leptospirose, fièvre hémorragique virale) ou immuno-allergiques (sulfamides, ampicil-line, méthicilline, anti-inflammatoires non stéroïdiens, fluoroquinolones) ;

les néphropathies glomérulaires aiguës rapidement pro-gressives avec les glomérulonéphrites post-infectieuses, les glomérulonéphrites endo- et extra-capillaires (lupus, cryoglobulinémie, purpura rhumatoïde, syndrome de Goo-dpasture), les glomérulonéphrites nécrosantes (maladie de Wegener, polyangéite microscopique) ; les néphropathies vasculaires aiguës avec le syndrome

hémolytique et urémique, les situations d’emboles de cristaux de cholestérol, les thromboses et embolies des artères rénales.Le diagnostic biologique des IRA organiques repose sur un ensemble de modifications de paramètres rassemblés dans le tableau II : une augmentation en parallèle de l’urée et de la créa-

tinine. Au début de l’installation de l’insuffisance rénale aiguë, les patients peuvent ne présenter qu’une discrète augmentation des concentrations plasmatiques de l’urée et de la créatinine. L’augmentation de la créatinine est donc tardive par rapport à l’installation de l’IRA et se manifeste alors qu’une partie de la fonction rénale est perdue. Dans ce contexte, différentes études ont fait émerger plusieurs bio-marqueurs de l’IRA très intéressants, comme la NGAL (neutrophil-gelatinase associated lipocalin), en particulier en chirurgie cardiaque, dans le sepsis, en transplantation rénale et lors d’utilisation des produits de contraste radiologiques. En effet la NGAL permet d’établir un diagnostic précoce, en moyenne 48 h avant l’augmentation de la créatinine, et donc de mettre en place des mesures thérapeutiques appropriées pour protéger la fonction rénale et améliorer le pronostic. Cette stratégie est très importante dans les services d’urgence pour la prise en charge des patients à risque qui doivent être traités par des médicaments potentiellement néphrotoxiques ; une natriurèse qui n’est pas effondrée (Na > 20 mmol/l)

avec un rapport Na/K urinaire > 1 ; une osmolarité urinaire basse (< 500 mOsm/l) avec un

rapport OsmU/OsmP < 2 ; un rapport urée urinaire/Urée plasmatique < 3 et un

rapport créatinine urinaire/créatinine plasmatique < 30 ; une hyperkaliémie très fréquente chez les patients en

hyper-catabolisme.Ensuite, selon le contexte, on doit rechercher des signes d’atteinte tubulaire ou glomérulaire (protéinurie glomé-rulaire, leucocyturie, hématurie, présence de cylindres

Tableau II – Diagnostic biologique différentiel

d’une IRA fonctionnelle ou organique.

Paramètre IRA fonctionnelleIRA organique

(NTIA)

Urée plasma

Créatinine plasma Peu ou normale

Urée/Créatinine plasma > 100 < 50

FE Na < 1 % > 1 %

Na/K urines < 1 > 1

Urée urine/plasma > 10 < 10

Créatinine urine/plasma > 30 < 30

Osmoles urine/plasma > 2 < 2

NTIA = néphropathie tubulaire interstitielle aiguë ; FE Na (excrétion fractionnelle du sodium) = clairance Na/clairance créatinine = (U Na x P créatinine)/(P Na x U créatinine).

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granuleux, la présence d’anticorps anti-cytoplasme des polymorphonucléaires présents au cours des vascularites.En cas de doute, une ponction biopsique rénale doit être réalisée afin de pouvoir rechercher des atteintes micros-copiques glomérulaires, vasculaires ou interstitielles.Il est maintenant recommandé de définir l’IRA sur la pro-duction d’urine et sur les changements de concentration de la créatininémie. Les deux critères doivent être pris en compte pour évaluer la sévérité de l’IRA et permettre d’établir une classification en 3 stades [1]. Stade 1 défini par l’un des critères suivants :- augmentation de la créatininémie

(entre 1,5 et 1,9 fois la valeur de base),- augmentation de la créatininémie (> 26,5 μmol/l),- production d’urine < 0,5 ml/kg/h pendant une

période de 6 h. Stade 2 défini par l’un des critères suivants :- augmentation de la créatininémie

(entre 2,0 et 2,9 fois la valeur de base),- production d’urine < 0,5 ml/kg/h pendant 2 périodes

de 6 h. Stade 3 défini par l’un des critères suivants :- augmentation de la créatininémie

(> 3 fois la valeur de base),- augmentation de la créatininémie (> 353 μmol/l),- mise en route d’un traitement de remplacement rénal,- production d’urine < 0,3 ml/kg/h pendant une

période de plus de 24 h,- anurie pendant une période supérieure à 12 h.

3. La prise en charge des

patients atteints d’IRA organique

La prise en charge des patients atteints d’IRA organique inclut un traitement symptomatique et préventif des compli-cations en luttant contre l’hyperkaliémie, l’acidose métabo-lique et la surcharge hydro-sodée ; elle dépend de l’étiologie. En effet, un traitement antibiotique sera instauré pour les néphrites interstitielles aiguës infectieuses, un traitement par corticostéroïdes et/ou immunosuppresseurs pour les néphrites interstitielles aiguës immuno-allergiques ou certaines néphropathies glomérulaires aiguës rapidement progressives. Les néphropathies vasculaires aiguës avec syndrome hémolytique et urémique seront traitées par l’apport de plasma frais congelé et/ou plasmaphérèse et l’eculizumab qui est un anticorps dirigé contre la protéine C5 du complément.Parfois, il peut être nécessaire d’avoir recours à des séances d’hémodialyse en urgence (hyperkaliémie, œdème aigu pul-monaire avec hyponatrémie sévère, ou encore acidose méta-bolique sévère). Dans les néphropathies tubulo-interstitielles aiguës, la suppression de la cause (toxique ou hémolyse) et un traitement symptomatique des désordres hydro-élec-trolytiques doit permettre une récupération de la fonction rénale. Celle-ci se fera en quelques semaines (la régénération tubulaire nécessite 21 jours). Dans les glomérulonéphrites et les vascularites, un traitement immunosuppresseur doit être envisagé. Le pronostic de ces IRA glomérulaires et vasculaires est plus réservé et le sera d’autant plus que le diagnostic aura été fait tardivement.

4. La récupération après IRA

Au cours d’une IRA, on distingue classiquement 3 phases. La première phase est oligurique et correspond majori-tairement à une atteinte glomérulaire. La seconde phase est caractérisée par une reprise de diurèse avec diurèse très importante, qui s’explique par l’amélioration de la fonction glomérulaire alors que la fonction tubulaire reste altérée. Enfin, on a une phase de convalescence pendant laquelle la récupération de la fonction rénale peut être totale.De toute façon, les bonnes pratiques de prise en charge des patients en IRA recommandent de revoir les patients 2 mois après l’épisode d’IRA afin d’évaluer la guérison totale de l’épisode ou de détecter un tout début de mala-die rénale chronique ou une aggravation d’une maladie rénale chronique préexistante [1]. En effet, les études épidémiologiques récemment publiées montrent que de nombreux patients qui survivent à une IRA, développent ou aggravent une maladie rénale chronique. C’est la raison pour laquelle la prise en charge des patients doit s’étendre bien au delà des conditions d’IRA et doit inclure une surveillance d’un tout début de développe-ment d’une maladie rénale chronique. Le délai après lequel l’évaluation doit être réalisée dépend de critères de jugement cliniques, mais il apparaît que la fonction rénale doit être réévaluée au maximum 2 mois après la sortie de l’hôpital chez les patients à haut risque. Ensuite, les patients doivent être gérés selon les recommanda-tions appropriées si une maladie rénale chronique est mise en évidence.

5. La prévention de l’IRA

Compte tenu de la gravité de l’IRA, la prévention est extrê-mement importante. La prévention de la néphropathie iodée passerait par la perfusion de soluté salé hypotonique, l’utilisation de la N-acétylcystéine per os le jour précédent et le jour de l’injection, et l’arrêt des diurétiques et des AINS. La prévention de la néphrotoxicité médicamenteuse par une bonne adaptation posologique est capitale. La progression dans la compréhension des mécanismes de toxicité permettra d’avoir des formes médicamenteuses plus adaptées, comme c’est le cas pour les aminosides où des formes non absorbables au niveau tubulaire diminuent d’emblée leur toxicité tubulaire.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de

conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références

[1] The ad-hoc working group of ERBP : Fliser D, Laville M, Covic A,

Fouque D, Vanholder R, Juillard L, Van Biesen W. A european renal

best practice (ERBP) position statement on the kidney disease impro-

ving global outcomes (KDIGO) clinical practice guidelines on acute

kidney injury : Part 1 : definitions, conservative management and

contrast-induced nephropathy. Nephrol Dial Transplant 2012;0:1-10

(ref doi : 10.193/ndt/gfs375).