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Le visuel: perspective, dimensionnalité, proportions, et l’individu Guy Lanoue, Université de Montréal, 2009-17 Détail, La Joconde, Leonardo Da Vinci, c.1505, et Photoshop, c.2010

L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

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L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté. Guy Lanoue, Université de Montréal, 2009-14. - PowerPoint PPT Presentation

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Page 1: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Le visuel:perspective, dimensionnalité, proportions, et l’individu

Guy Lanoue, Université de Montréal, 2009-17

Détail, La Joconde, Leonardo Da Vinci, c.1505, et Photoshop, c.2010

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La perspective est l’arrangement géométrique des composants d’une image. Il n’y a pas de perspective «naturelle». Elle est créée selon un ensemble de règles qui sont liées à des thématiques importantes de la vie sociale: l’esthétique, l’individualité, et surtout l’image de la communauté et la façon dont elle est constituée. La perspective est appuyée par un jeu de lumière et d’ombre, par l’emplacement des composants à l’intérieur de la composition, par leur largeur relative, et par le gestalt de la perception, qui est une synecdoque pour le résultat de la synthèse de tous les éléments.

Ici, on voit à droite une boite «impossible», un exemple de la construction de l’image selon les règles

de la perspective. En haut, le secret de sa construction: ce n’est pas une boite. C’est une illusion

rendue possible grâce au gestalt .Source: Al Seckel, The Ultimate Book of Optical

Illusions, 2006, pp.220, 234.

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Seulement le dernier en bas à droit utilise la perspective centrale (ou convergente); ceci transforme les images définies par les 4 bords des deux dimensions principales en cubes

ayant trois dimensions et six faces; l’utilisation d’un point de convergence centrale situé à la face antérieure en effet met en relief la face de l’avant-scène et donc la position du

spectateur vis-à-vis de l’image.

Divers systèmes de perspective

Voir le site excellent préparé par Paul Calter, prof. invité à Dartmouth (cliquez sur le menu): http://www.dartmouth.edu/~matc/math5.geometry/descrip.html (visité le 10-10-2010)

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Dans Remediation, (MIT Press, Cambridge, 1999), J.D. Bolter et R. Grusin suggèrent que les artistes (traditionnelles ou œuvrant dans de médias digitales) utilisent la perspective linéaire pour placer le spectateur dans le même espace que les objets visionnés (p.20) pour produire un effet « immédiat ». Martin Jay (« Scopic Regimes of Modernity », pp.3-23, en Hal Foster (ed.), Vision and Visuality, Bay Press, Seattle, 1988) lie la perspective linéaire à une dynamique de pouvoir, car en imposant un régime parfaitement géométrique sur les composants, le sujet cartésien (c.-à-d., un Soi actif apparemment à l’épreuve des conventions historiques; cogito ergo sum) interprète cette organisation de l’espace comme un système logique, ce qui correspondrait, selon Jay, à l’émergence de l’idéologie centralisatrice des États européens post-Westphaliens (l’accord qui met fin à la Guerre de Trente ans en 1648; c.-à-d., la souveraineté et la légitimité se manifestent par un contrôle totale du territoire, qui devient signe de sa puissance).

Mais est-ce aussi simple? Je crois que la perspective linéaire soit liée à l’émergence de l’individualité cartésienne en organisant les composants de l’image selon le point de vue du spectateur. L’image construite n’est pas « transparente », comme disent Bolter et Grusin (une position qui prend pour acquis que cette perspective est « naturelle »), ni « parfaite » (comme semble suggérer Jay) . L’image déclenche un dialogue de l’imaginaire: le spectateur « parle » à l’image: le loin et le près dans la « vraie » vie du spectateur deviennent l’avant-plan et l’arrière-plan de l’image. La taille des composants signale « loin » et « proche ». Le spectateur construit une narration sur l’espace, et surtout sur un espace égocentrique, construit autour de l’acte de visionner (ici, je m’inspire de Jay). La géométrie renforce le trope politique de l’espace, mais met l’accent sur le spectateur qui l’a construit.

Selon cette graphique, le système westphalien aurait diminué le conflit entre États (jaune) en augmentant le conflit intra-étatique (ethniques, etc.). http://www.cato-unbound.org/wp-content/themes/unbound/media/images/AMack1.JPG; Peace Research Institute, Oslo, 2009.

Trois explications

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À la Renaissance, l’utilisation d’édifices et d’autres éléments architecturaux devient rapidement la marque de commerce de la nouvelle perspective, comme si l’artiste voulait à tout prix proclamer son adhésion aux nouvelles règles esthétiques des proportions naturelles.

La perspective linéaire (ou «centrale» ou « conique » ) expérimentée et perfectionnée par le Florentin Filippo Brunelleschi en c.1425,* transforme les images encadrées par un rectangle deux dimensionnel en un simulacre d’un cube ayant 3 dimensions et 6 faces; l’utilisation d’un point de convergence centrale situé à la face antérieure du cube imaginaire met en relief la face qui représente l’avant-scène et donc privilégie la position spatiale du spectateur vis-à-vis de l’image. Elle déclenche une conversation entre proche et loin, utilisant le spectateur comme point de référence.

Les raisons pour cette invention sont complexes (voir la leçon La Grande Famine); ce qui est pertinent est que cette organisation géométrique des composants d’une représentation visuelle déclenche un dialogue silencieux entre l’arrière-plan et l’avant plan, le loin et le proche: c’est le spectateur le vrai sujet des images qui adoptent cette géométrie (désormais standardisée et somatisée).

*Certaines images antérieures (p.e., Donatello, fin 14e siècle) semblant s’inspirer de la perspective linéaire, mais Brunelleschi est le premier, que je le sache, à décrire les règles de cette géométrie.

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Impressionné par sa visite à Rome en l’année sainte de 1300, Giovanni Villani a décidé d’écrire une chronique de sa ville en plusieurs volumes (le dernier est apparu en 1346, deux ans avant sa mort). Ceci est remarquable pour les détails qu’il y incorpore. Villani était bourgeois et un partenaire de la Banque des Peruzzi et plus tard des Bardi, donc bien placé pour décrire la ville, son commerce et ses conflits. Par exemple, il mentionne que la ville a 80 banques, 80 juges, 600 notaires, 146 boulangeries, 60 médecins, et 100 magasins d’épices (http://www.elfinspell.com/VillaniContents.html; les premiers neuf livres en anglais; http://www.letteraturaitaliana.net/pdf/Volume_2/t48.pdf présente 13 livres en italien). L’oeuvre est ouvert, dans le sens que son frère et son fils ont continué à ajouter des parties après la mort de Villani. Villani ne parle pas d’une

La collection Chigiano L VIII 296 della Biblioteca Vaticana contient 253 images qui illustrent des épisodes décrites par Villani. Ici, la reconstruction des murs de la ville de Gualdo Tagino (Ombrie, près de Pérouse), après la Bataille de Taguinae (552) où les Byzantins vainquaient les Ostrogothes. Bizarrement, l’artiste inconnu a choisi la Baptistère de Florence comme pìèce centrale de la composition.

crise provoquée par la famine de 1315 qui a dévasté l’Europe du nord et qui a obligé les marchands florentins qui y vivaient de se rapatrier, car l’Italie a été épargné par le désastre écologique du nord: son grain venait de la Sicile. Cependant, Villani trace un portrait détaillé du commerce à Florence et de la crise sociale du début du 14e siècle qui à mené à la Renaissance quand les marchands oeuvrant dans le nord sont rentrés dans leur ville.

Prélude : le contexte florentin du 13e- 14e siècle

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Vers la fin du 12e siècle, quelques familles-mercantiles de Florence cessent d’accompagner leurs marchandises vers les villes du nord et établissent des filiales permanentes à Bruges, Londres et Paris, parmi d’autres. Avant, les marchands du Sud fréquentaient les foires de l’Europe septentrionale, mais il y avaient toujours des risques: les prix d’achat et de vente du début du voyage n’étaient pas toujours en vigueur à l’arrivée, et donc les marchands assumaient des risques financiers et ne pouvaient pas prévoir la demande. Mieux établir des entrepôts à l’étranger et ouvrir une succursale permanente: les biens pouvaient donc être transportés à l’année longue et non seulement à la saison des foires, des dates connues aux brigands. Selon Hunt et Murray (A History of Business in Medieval Europe, 1200 – 1500, Cambridge, 1999), la situation politique instable à Florence aurait poussé ces marchands-voyageurs vers la solution succursale. Nous sommes dans la période de la lutte des Guelfes et des Gibelins. Les premiers appuyaient la papauté, qui soutenait les ‘Welf’ (Guelfes, un lignage bavarois) dans leurs revendications de contrôler la Saint Empire Romain. Leurs rivaux les Hohenstaufen représentaient les intérêts féodaux – le statuquo agricole – tandis que les Guelfes et la papauté favorisaient (ironiquement) les villes et les marchands.

Florence au 14e siècle. Les villes italiennes commencent à être des centres financiers et ne dépendent plus de l’agriculture.

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Plusieurs innovations émergent du mercantilisme florentin. Plutôt que payer les achats (ou compter les profits) avec des transferts d’or ou d’argent qui peuvent être volés par des brigands, les banquiers florentins innovent: ils utilisent des titres négociables, une créance de somme d’argent payable au porteur; autrement dit, un précurseur à l’argent papier. Une 2e innovation est l’idée de l’entreprise étendu: ils engagent des personnes fiables qui n’étaient pas membres de leur famille. Trois, ils inventent des systèmes de comptabilité complexes (comptabilité en partie double), qui leur permet de suivre les activités à distance, et souvent menées à terme dans des divises non convertibles (chaque ville avait sa propre divise). Il est aussi plus difficile voler avec ce système. Ces innovations permettent aux Florentins de créer des réseaux étendus au cours du 13e siècle, surtout en Europe septentrionale où la lancée économique générale était plus marquée comparer au sud, qui était trop agraire pour bénéficier de la reprise du commerce.

Le Banquier et sa femme, Quentin Metsys, Flandres, 1514, actuellement dans la collection du Louvre. L’œuvre montre un couple bourgeois d’Anvers; même s’il on ne le savait pas des historiens, le fait que l’homme compte des pièces de monnaie le situe au nord de l’Europe. Un banquier italien serait représenté avec des billets de banque. L’épouse ‘pieuse’ lie un livre religieux illustré (la Vierge Marie) mais en fait son regard est attiré par l’argent.

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Au 13e siècle émergent de grandes entreprises, les premières sur le planète: Bardi, Peruzzi et Acciaiuoli. Ces compagnies intégraient toutes les fonctions: il se finançaient, ils exportaient et importaient (de tout, mais surtout le grain), ils employaient des sous-contracteurs pour travailler le produit brut (laine), ainsi que créer des fabriques où ils travaillent eux-mêmes la laine. Dans un sens, ce n’est pas surprenant que ces compagnies émergent en Italie, où les grandes villes (Florence, Venise, Gènes, Sienne, Milan) étaient relativement autonomes. Les marchands étaient donc capables de s’occuper des affaires internationales qui, en Europe septentrionale, étaient dominées par les autorités politiques. Les voyages vers le nord étaient longs et parfois dangereux : deux ou trois mois pour Florence – Londres, par exemple. Ceci bloquait leur capital (sous forme d’inventaire). Plus simple avoir des entrepôts à l’étranger et de s’autofinancer plutôt qu’emprunter de l’argent des tiers. Ils se diversifiaient pour minimiser le risque en se lançant en d’autres domaines (laine, grain et épices, p.e.),

et en engageant des tiers pour qu’ils produisent pour eux. Les épices provenant du Moyen Orient étaient particulièrement couteuses, dans le sens que les pays de cette région ne voulaient pas importer de la laine ni de la bière européenne, alors les marchands italiens devaient les échanger contre de l’argent et de l’or: un autre raison pour devenir banquier. Ces compagnies échangeaient leurs surplus: p.e., la laine contre le grain du sud, qui était à son tour exporté vers le nord.

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L’Europe septentrionale était un terrain fertile pour investir les profits italiens, car les élites du nord cherchaient à financer leurs plans

d’expansion territorial et à investir d’avantage dans l’agriculture : défrichage de nouvelles terres, achats de nouvel équipement, etc. Plusieurs

villes étaient en croissance due à la reprise économique du 12e-13e siècle, et les rois accordaient des chartres à ces villes qui leurs donnait une quasi-

autonomie tant qu’elles payaient des impôts (les villes étaient petites et pas grandes génératrices de revenu comparées à l’agriculture). Les banquiers

Florentins avaient déjà des contactes avec le nord, d’où les Florentins importaient leur laine. Ils ont pu facilement exploiter le vide dans la société septentrionale créé par le dédain aristocratique envers l’activité mercantile:

les grands marchands du nord voulaient se transformer en aristocrates, tandis que les aristocrates florentins se transformaient allégrement en

marchands. Des familles banquières telles que les Peruzzi avaient déjà des représentants dans le nord de l’Europe au 13e siècle; cette famille gère la 2e

banque plus importante de l’Europe.

Un descendant de la famille Peruzzi (Mario) émigre aux États-Unis en 1894, où il crée, avec un autre immigrant italien la compagnie Planters Peanut. Avant, les arachides étaient considérés uniquement comme un aliment des pauvres ou de la nourriture de bétail. Peruzzi choisie ‘Planters’ pour évoquer la vieille aristocratie du Sud des États-Unis. Ce n’est pas un hasard que leur symbole Mr Peanut ait un chapeau à cylindre, un monocle, et de gants blancs – tous des symboles d’élites, selon des stéréotypes qui circulent parmi les classes pauvres.

Mr Peanut en 1917

Une banque florentine, 14e

siècle

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L’industrie textile était tellement profitable que les marchands en 1182 avaient fondé une association (une guilde), qui rapidement devient la base de leur pouvoir politique. Au début du 14e, Florence produisait quasi 10% de toute les vêtements de laine en Occident. Les dirigeants importaient de la laine de haute qualité de l’Angleterre, car la laine locale était inférieure. Ils ont donc pu dominer les producteurs de l’Europe septentrionale (p.e., Flandres). La famine du début du 14e siècle (1315) en Europe septentrionale (qui avait aussi touché Florence pour 2 ans, selon les chroniques de Giovanni Villani,* mais la ville était assez riche pour acheter du grain de l’étranger) a freiné la période de reprise économique du siècle précédent qui avait créer une catégorie de banquiers florentins qui avaient investi de l’argent en Europe septentrionale. Les trois grandes compagnies avec des activités dans le nord – Peruzzi, Bardi Acciaiuoli – avaient fermé leurs portes en 1346.

De la Chronique de Giovanni Sercambi de Lucca, 14° siècle: deux milices s’affrontent à Bologne. Pour compliquer les choses, les Guelfes étaient divisés en deux, les ‘Noirs’ (pro-papauté) et les ‘Blancs’ (contre l’autorité du Pape).

* Voir: Kenneth Bartlett, The Civilisation of the Italian Renaissance; A Sourcebook, Toronto, 2011; et John Larner, Culture and Society in Italy 1290-1420, London, 1971.

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Une conséquence de la croissance du commerce est que les élites municipales de chaque ville étaient obligées à créer des conditions propices pour le commerce local et surtout pour les marchands-visiteurs venus d’autres villes du réseau économique. Traditionnellement, les marchands-voyageurs ne sont pas protégés par les autorités centrales (les rois), car ils n’ont aucun statut en dehors de leurs villes d’origine, et parce que les rois s’intéressent surtout dans l’économie agraire, la base de leur richesse. Cependant, les marchands s’attendaient à trouver des conditions de stabilité où ils peuvent effectuer leur commerce sur une base juste et réciproque, de la même manière qu’ils s’engagent à créer des conditions favorables pour les marchands étrangers en visite d’affaire dans leur ville. Bref, la complexité des arrangements économiques qui ont assumé un aspect international crée un besoin pour un certain degré d’homogénéité dans les villes de l’Europe septentrionale. Les marchands s’engagent dans la politique locale et finissent par créer des communautés dans notre sens du mot: ils organisent un service de sécurité, ils créent des marchés airés et hygiéniques, ils s’assurent que les auberges qui accueillent les étrangers sont propres, ils garantissent qu’il y a une alimentation adéquate pour la ville et les visiteurs, etc. Dès le 12e siècle et certainement au cours du

13e, les marchands-bourgeois-banquiers se constituent en conseil municipal.

Piazza della signoria, Florence. La signoria est la mairie bourgeoise établie avec la République (1115 – 1527.

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Un des effets moins connu mais néanmoins important est le retour des marchands italiens à Florence, qui n’ont plus un raison d’être pour rester dans le nord. La crise met fin à leurs activités. Pourtant, la ville n’a pas stagné dans le leur absence. Pour compliquer les choses, la crise de 1315 ne frappe pas immédiatement le sud de l’Italie, d’où la ville prend son grain. Florence est prospère. Voilà ce qui attend les partenaires florentins qui rentrent de l’Europe septentrionale après le crashe du 14e siècle: des élites locales sont bien enracinées. Les places au banquet sont déjà occupés. Et, n’oublions pas, les actionnaires des grandes compagnies ne sont pas tous apparentés; aucune raison de céder sa place aux rapatriés.

En 1315 se déclenche une tragédie, mais au début elle ne semble pas autant dramatique que le sera La Peste de 1348-9 qui décimera l’Europe une génération plus tard. Une ensemble de facteurs, toujours indéterminés, agissent ensemble pour produire des années de famine (voir, William Chester Jordan, The great famine : northern Europe in the early fourteenth century, Princeton University Press, Princeton, 1996): excès de pluie, mauvaise gestion des terres nouvellement défrichées à la fin du 13e sìècle, communications régionales trop lentes pour accomoder la croissance démographique impressionnante du 13e siècle. En évaluant les effets, les chercheurs souvent les confondent avec les résultats dramatiques de La Peste, qui a certainement déséquilibré l’économie jusqu’à l’époque du colonialisme européen (fin 16e) qui a injecter des sommes massifs d’or et d’argent dans l’économie européenne.

Une illustration médiévale d’une Biblia Pauperum (‘Bible des pauvres’, où le texte est communiqué par des images à la population largement analphabète), réalisée à Erfurt (Allemagne) au temps de la crise. La mort (mors) est assise sur un manticore (comme le sphinx, le corps d’un lion avec une tête humaine, parfois représenté avec des ailes), dont la queue termine dans une boule de feu, l’enfer, où la faim (fames) pointe à sa bouche ouverte. L’illustration est sur la couverture du livre de Jordan (ibid.).

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Nous n’avons pas les chiffres exactes, car pas tous les registres n’ont pas survécu depuis le début du 14 e siècle, mais nous savons que ce sont les effets de la grande famine qui ont eu un impacte directe sur les fortunes des grandes compagnies florentines. Les données de 1331-35 indiquent que la Peruzzi a subi « a stunning loss » (Hunt & Murray, ibid, p.119). Les compagnies Bardi, Acciaiuoli et une 4e, Buonaccorsi, ont souffert grâce à, « a fundamental deterioration of the international grain trade on which their prosperity had always been founded » (ibid.). Hodge et Murray citent des guerres dans les décennies 1320s et ‘30s (qui ont été alimenté par la famine), de mauvais récoltes, et une inondation en 1333 (en Florence). « The terrible famine of 1329, far from being a boon to grain distributors, was so severe and widespred that that the great grain companies were forced into a classic price squeeze » (ibid), c-à-d, elles étaient contraintes à

fournir du grain à des anciens prix, mais les sources locales ne pouvaient pas satisfaire la demande. Elles ont donc été obligées d’aller acheter du grain à l’étranger, payer pour le transport, et vendre à des prix de faveur que les autorités leur ont imposé par nécessité politique.

De Lucas Cranach, 1534, illustration réalisée pour la Bible publiée par Hans Lufft. Cette image ne se réfère pas à la famine de 1315, mais à la 6e des 10 plaies d’Égypte, sans doute une allégorie pour La Peste de 1348-9. Le paysage est plus allemand qu’égyptien.

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“The success of the [artisan] sector lay in its ability to satisfy that demand, especially for the wide range of luxury products at the top end of the market desired by the rich, so that only a small percentage of [their] profits were spent on foreign-made goods. As a result, the profits brought home from abroad were, in effect, reinvested in human capital.” – Richard A. Goldthwaite, The Economy of Renaissance Florence, Baltimore, 2009, p.341.

Goldthwaite. Le retour de ces personnes aggrave la crise sociale: les pauvres veulent des droits, mais les riches veulent s’établir. La noblesse se réfugie en campagne, les marchands restent en ville (mais ce sont ces derniers qui sont les vrais protagonistes ici). Bref, Florence avant La Peste (1348) est lieu d’une guerre de pouvoir et de statut parmi les élites, ce qui augmente la demande pour des biens de luxe qui les permettent d’afficher leur importance et leur puissance économique: palais, vêtements somptueux, meubles, bijoux, églises et art. La Renaissance est née.

Palazzo Davanzati, érigé dans la 2e moitié du 14 siècle par la famille Davizzi, marchandes de laine richissimes. En bas, panneaux décoré, baptistère de Santa Maria.

La crise met fin au boom économique de l’Europe septentrionale, et les banquiers italiens (et leur argent) rentrent à Florence; p.e., les Peruzzi font faillite en 1343, suivi par leurs collègues et compétiteurs les Bardi. Ils ne sont pas les seuls: 4 ou 5 banques florentines avec des investissements au nord de l’Europe font faillite entre 1342 et 1346, selon

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Combien de personnes étaient impliquées dans ce retour à Florence? On ne sait pas, car on ne connait pas le nombre exacte des employés de ces grandes compagnies. Cependant, on sait qu’en 1300 la compagnie Peruzzi avait 17 partenaires (Hunt et Murray, A History of Business, 1999, p.105), dont 7 membres de la famille et dix associés. Le Peruzzi était la 2e compagnie plus importante de Florence, après les Bardi, qui avait un chiffre d’affaires 50% plus grand que les Peruzzi. On peut supposer que les Bardi étaient un partenariat de 25 associés. La 3 e compagnie du triade, les Acciaiuoli, était de la taille des Peruzzi (ibid., p.104), disons 15 associés, un total d’approximativement 55 actionnaires pour ces trois compagnies. Je pense qu’il soit raisonnable qu’il ait le triple de ce nombre pour les compagnies secondaires mais également importantes sur le plan local: un réseau de 150 marchands élites avec des sommes importantes de capital, sur une population de 120k en 1300 (dont 50-60% constituaient le marché de travail: P. Malanima, « Labour, Productivity, Wages in Italy 1270-1913», 2004, http://www.iisg.nl/hpw/conference.html, 17-07-17.

Un magasin, Florence, 14e siècle (Biblioteca Riccardiani, Florence)

Les détails : les 17 partenaires de Peruzzi avaient 133 employés (48 à l’étranger en 1335; Hunt & Murray), tandis que Bardi en avaient 346 (nombre à l’étranger inconnu). Ajoutons 130 employés pour Acciaiuoli (censée être de la même taille que Peruzzi, avec 43 à l’étranger), pour totaliser 700 employés, dont la moitié gagnait 70 florins d’or par année (Hunt et Murray, p. 108). Un employé de banque quelconque gagnait de 20 à 50 florins par année, un médecin 40 (http://economics.yale.edu/sites/default/files/florence_wages-caferro.pdf). Si la moitié des employés de ces compagnies gagnait 3 à 4 fois le salaire d’un fonctionnaire de classe moyenne, ceci signifierait aujourd’hui que 350 personnes avaient un salaire annuel de 250k$, mais dans un contexte d’une structure pyramidale massivement dominée par une base relativement pauvre. Aujourd’hui, seulement 7% de la population du Canada gagne 250k; en 1350 à Florence, ceci auraient certainement été une proportion minuscule. Si nous ajoutons ce total aux 1000 employés qui travaillaient à l’étranger et qui ont rentré à Florence après la crise, et les 150 partenaires, ceci signifie approximativement 1500 personnes auraient lancé la demande pour des objets de luxe pour afficher et renforcer leur, statut chancelant, incluant le décor de leurs maisons et les édifices publics qu’ils ont fait construire.

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Pour ajouter à la confusion, entre 1378 et 1382 il y a une révolte de la part des ouvriers simples et moins nantis qui n’ont pas le droit de former des guildes comme leurs collègues qui travaille dans des professions plus techniques et jugées plus importantes pour le pouvoir économique de la ville. Le révolte des ciompi (le mot est censée être une corruption de l’ancien français, ‘compagnons, allons à boire’ – dubitable) est éventuellement dompté, mais le fait que les classes inférieures ont pu déstabiliser le pouvoir municipal pour 4 ans ajoute à la confusion et affaiblie la position des bourgeois-banquiers rapatriés. En fait, la « révolte » était une demande d’admission de la part des classes moyennes aux système de guildes pour les permettre de participer au conseil municipal. Le fait que l’agitation ait durée 4 ans indique le degré de confusion et de conflit au sein de l’élite. La diabolisation de ciompi – dans l’histoire écrite par les marchands vainqueurs – est également preuve que le sommet de la pyramide sociale était assez fragile: toute menace est supprimée, mais difficilement. La situation confuse ajoute aux difficultés des bourgeois rapatriés, qui, eux-aussi, sont des « parvenus » qui cherche à déstabiliser une situation déjà rendu fragile par la crise.

Il tumulto dei ciompi (Le désordre des Ciompi), imaginé par l’artiste Giuseppe Lorenzo Gatteri, années 1850s. Civici Musei di Storia ed Arte di Trieste.

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Il Cassone d’Adimari, portrait d’un mariage célébré en 1420 à Florence unissant deux familles importantes, les Adimari et les Ricasoli. Les derniers sont une famille notable depuis le 9e siècle et le sont toujours. Les panneaux ont été créés en c.1450 par l’artiste florentin Lo Scheggia (Giovanni di Ser Giovanni) et illustrent la richesse des marchands et leur désire d’épater le public et surtout leurs rivaux. Le panneaux était affixé à un meuble de lit plutôt qu’à une malle comme on pensait jadis, d’où le titre – cassone/malle. À gauche, deux détails. Notez (en bas) que la perspective centrale est signalée par les éléments architecturaux, transformant l’union géométrique de l’arrière et l’avant plan en métaphore de l’union de ces deux familles. Ici, nous avons un élément additionnel: l’union des deux côtés gauche/droit joints par la tente renforce la trope de l’espace loin/proche.

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https://www.slideshare.net/marionpal/renaissance-architects-influences-works

Le Baptistère florentin (qui est attaché à la cathédrale Santa Maria, dont la coupole a été projeté par Filippo Brunelleschi – voir PPT Architecture) est utilisée par l’artiste en 1420 pour illustrer qu’il soit possible de reproduire fidèlement 3 dimensions en deux (l’expérience de Brunelleschi a été décrite par l’architecte Leon Battista Alberti dans son œuvre De Pittura, 1434-36, le premier livre de l’histoire de l’art; c’est la confirmation que la révolution de Brunelleschi était établie avant ces dates).

proportions de l’objet 3-dimensionnel si l’artiste respectait les lois euclidiennes, car il superposait l’image peinte sur l’image vue par l’œil. En fait, je pense qu’en obligeant le spectateur de voir l’image avec un seul œil, Brunelleschi a « triché », car il a annulé l’effet de la vision stéréoscopique, et le spectateur a donc naturellement vue le Baptistère aplatie et conforme au portrait qu’il avait produit.

Brunelleschi a démontré que son dessin du Baptistère s’alignait parfaitement avec l’originale quand la personne visionnait l’original à travers un trou dans le portrait du Baptistère en regardant simultanément la réflexion du portrait projeté sur un miroir. Cette démonstration était censé convaincre qu’il était possible, en utilisant une géométrie précise, de produire des images qui conservaient la dimensionnalité des objets vus par l’œil humain; donc la perspective centrale est aussi prétendument ‘naturelle’. Ni les dessin ni l’appareil ont été conservés.

Autrement dit, Brunelleschi a utilisé le principe de la camera oscura, un précurseur à l’appareil photographique., car il regarde à travers un petit trou qui fonctionne comme un foyer, comme la pupille de l’œil. Le spectateur visionne l’édifice à travers un trou dans l’image elle-même. Il a démontré que le dessin en 2 dimensions pouvait respecter les

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Sumérien (2600 av. J-C.)

À gauche, « l’Étandard d’Ur », détail, découvert en 1920 par Leonard Wooley; coffre avec nacre, calcaire et lapis-lazuli (importé du Pakistan). Notez que ce n’est pas géométrie (la perspective) qui communique une idée du social. Ici, ce panneau sumérien utilise la répétition de poses et de formes relativement proportionnelles l’une à l’autre. Plus important, la répétition des éléments est un moyen relativement simple mais efficace pour «créer» une communauté: une forme de gemeinschaft (selon Tönnies) ou de solidarité mécanique (selon Durkheim), où ce sont les ressemblances qui unissent les individus l’un à l’autre pour définir une image de la communauté. Pourtant, on voit ce qui semble être trois classes sociales distinctes: rois ou prêtres en haut, travailleurs au centre, et esclaves en bas. Les proportions semblables indiquent que les Sumériens voulaient communiquer que les classes étaient intégrées dans une seule entité sociale.

D’autres géométries, d’autres façons de converser

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Égyptien – bas relief renversé ou négatifL’orientation de l’image fusionne deux points de vue en découpant le corps en trois

parties: le haut du corps est présenté de face, le bas du corps en profil trois-quarts, et la tête et les jambes sont représentés en profil. L’emphase semble sur le haut du corps

Page 22: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Égyptien – sculpture réaliste (Jeune fille portant des offres et une cruche d’eau)

La capacité de créer d’images «naturelles», comme cette statue charmante d’une jeune fille, suggère que la perspective de profil qu’on associe à l’art égyptien n’est pas une manifestation d’un manque de talent; c’est un choix voulu. La statue de la jeune fille est basée sur un motif répété maintes fois dans l’art égyptien. Celle-ci provient du 12e dynastie, c.1700 av. J-C.

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Égyptien – NéfertitiL’exemple le mieux connu de la représentation naturelle en Égypte

http://www.edu.pe.ca/rural/class_webs/art/images/Nefertiti.jpg

L’épouse principale d’Akhenaton et possiblement la belle-mère de Toutankhamon (1370 – 1330? av. J-C.). L’expression naturelle souligne que la perspective adoptée dans d’autres contextes (que les Égyptiens utilisaient pour leurs monuments) soit une décision consciente, de représenter visuellement des dimensions de l’objet qui sont normalement cachées à l’œil nu s’ils avaient adopté un seul plan dimensionnel, le profil.

Page 24: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Égyptien – peinture murale

Notez la délicatesse des oiseaux au centre: la perspective irréelle et posée utilisée pour les humains est une convention iconographique, qui permettait aux Égyptiens de souligner l’agir des protagonistes – orientant les figures ainsi, ils peuvent présenter les deux bras en action (de profil, seulement un serait visible). Donc, on dédouble la représentation de l’agir, un thème renforcé par les jambes en mouvement, même s’elles sont présentées de profil: la figure avance avec un pas décisif tandis que ces bras sont en action. Les proportions diverses représentent l’importance relative des personnages: dieux grands (à gauche et à droite) , hommes moyens, et femmes assises et donc « petites ».

Page 25: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Égyptien – détail réaliste de la peinture murale

(La chasse aux oiseaux) Le choix de représenter les humains en combinant les perspectives de profil et de trois quarts doit être analysé dans le contexte esthétique où les représentations naturelles des oiseaux établit un contraste entre l’humain et la nature. Les humains agissent, comme les oiseaux en vol, mais la rigidité de l’humain suggère une activité contrôlée, consciente. Les Égyptiens ont-ils adopté cette composition pour suggérer que les humains vivent dans une civilisation « construite » et donc rigide, en contraste avec la fluidité des formes naturelles? Cette géométrie rigide cache-t-elle une dimension derrière l’emphase publique sur la corporalité rigide et un peu «militarisée»? Peut-être, étant donné que leur religion invoquait l’existence d’un paradis lointain et pas accessible à tous: plus est distante la dimension surnaturelle, plus l’humain doit-il agir seul. Ce sont les premiers ébats d’une idéologie censée unir les personnes en communauté.

Page 26: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Grecque – 4e av. J-C.Notez les ressemblances à la perspective égyptienne, qui fusionne la perspective du

devant et de profil, typiques de cultures qui veulent mettre

l’accent sur l’agir et donc sur la force corporelle et l’agir

militaire.

Page 27: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Grecque – l’influence orientale (6e siècle av. J-C.)Les proportions irréelles du corps donnent une impression que la force physique est secondaire à la qualité composée du jeune athlète: sa puissance vient de l’intérieur. L’effet est rehaussé par les traits féminin du visage (on voit la même expression dans l’art étrusque: en bas, un sarcophage de Cervetri, 520 av. J.-C. ). Les chercheurs parlent de l’orientalisation de l’art grec (i.e., venu de l’Orient), mais il est aussi possible que cette influence ait passé par l’Étrurie à l’ouest, grâce à leurs liens d’échange.

Page 28: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Grecque – 5e siècle av. J-C.Le discobole (copie romaine)

Notez le réalisme et l’attention au détail comparé à l’image précédente; la musculature détaillée donne l’impression que les muscles et donc le corps éprouvent un moment de tension; l’athlète ici est carrément sur le point d’agir; l’action et non l’esprit inné domine cette composition. Les proportions harmonieuses du corps (les circonférences du mollet, du cou et du biceps sont identiques) signalent l’intégration: les parties composantes du corps se ressemblent. L’homme corporel est imparfait, mais sa représentation peut incarner un idéal équilibré. La statue est renommée comme incarnation de la symétrie. Myron d’Éleuthères, 450-460 av. J.-C.

Page 29: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Grecque – 4e siècle av. J-C.L’accent sur le corps est devenu une trope; notez que les fesses arrondies et les jambes en flexion sont censées communiquer que le « vrai » individu est caché par une façade, les vêtements transparents ou moulus, et que même au repos le corps communique l’idée de

mouvement potentiel, de l’énergie intérieur.

Page 30: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Chinois, 5e-6e siècle

Ici, on voit toute une autre sensibilité au corps et aux attributs qui définissent le statut et l’identité. Le corps est caché, et l’accent est définitivement sur les vêtements «féminins» (mais ils ne le sont pas, car on voit une femme en arrière-plan qui est vêtue plus sobrement). Dans la sculpture occidentale, les plis de vêtements expriment la puissance du corps qu’ils sont censés cacher; il s’agit d’un jeu de métaphores basé sur la distinction façade – noyau/structure portante/intérieur – extérieur. Ici, le vrai sujet est les vêtements, pas le corps: l’accent est placé sur la façade avec laquelle on se présente dans le monde social. En fait, la «politesse» formelle et ritualisée est à la base de cette vision de la communauté. Ici, le corps caché déplace la métaphore: ce n’est pas la puissance qui crée la communauté mais sa « façade ». C’est la « culture » et non la nature qui tisse ensemble la communauté. La Chine de l’époque est gouverné avec l’aide d’une bureaucratie rigide, dont le statut est communiqué par les vêtements décorés.

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Chinois – paysage, 8e siècle

Notez qu’ici la distance relative des divers plans où sont situés les composants de l’image (montagnes, forêt, arbres, etc.) est établie non par la manipulation de la grandeur relative de ces plans géométriques, mais par l’utilisation de la lumière comme une frontière qui les découpe. La lumière devient un sujet actif qui définit la composition. Notez aussi que le paysage plus petit est à l’avant-plan, et les formes massives en arrière et en haut. Cette perspective renversée (selon les normes occidentales!) établit un dialogue entre grand et petit, qui sont de métaphores pour la puissance et la faiblesse, et donc de métonymies d’un système de classe et de la communauté politique.

Page 32: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Chinois – 10e siècle Les montagnes se transforment en ondes; une tension interne à cette image apparemment bucolique est

créée en contrastant haut et bas, et gauche et droit (le «loin» est à droit, le «proche» est à gauche; la tension est en haut représentée par les montagnes et les nuages qui assument la forme d’ondes, alors que le ruisseau

est calme et bucolique; le haut et le bas sont donc unis par le «vrai» sujet, l’eau)

Page 33: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

L’art est un « commentaire » sur les paradoxes des modèles tsimshian et kwakiutl. Ces derniers ont de clans « poreux » (voir PPT Les Tsimshian), et la géométrie de l’imaginaire déclenche un dialogue où ils s’engagent à recomposer les composants isolés par les couleurs fortes et par le placement de chaque composant sur une plan dimensionnel unique par rapport aux autres composants. Les Tsimshian, par contre, présentent des ensembles plus composés, car leur modèle de leur société souligne formellement la séparation de ses composants (les clans). Leurs formes sont est plus arrondies, et la géométrie des plans dimensionnels est moins aigue.

Souvent décrite comme basée sur symétrie bilatérale (où les deux moitiés de l’image sont des miroirs l’une de l’autre), l’art de la région est plus complexe. On parle également de représentation fendue, où les deux moitiés de l’image se rejoignent sur l’axe central (le « nez » de l’animal, comme dans cet exemple tsimshian, un ours). En réalité, il s’agit de la perspective « aplatie », où le museau est au centre, et les pattes aux marges de l’image. Ici, le dialogue implicite avec le spectateur l’engage à recomposer

http://www.serdar-hizli-art.com/anthropology_of_art/1722c660.jpg

les éléments du centre avec ceux aux marges pour créer un axe proche-loin (le museau au centre est « proche », la queue et les pattes sont « loin )»; ceci est une métaphore puissante de l’organisation sociale, où les villages sont « ici » et autonomes, tandis que les clans sont « là », où chaque clan « ici » a aussi des représentants parmi les villages avoisinants.

Côte ouest du Canada

Boite décorée haida en pierre (argilite) pour conserver le poisson séché, avec géométrie aplatie (les 4 pattes sont aux 4 coins)

Page 34: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Europe septentrionale – époque de bronze (celtique)

Ici, les bras et le corps sont déformés et mal proportionnés, «mous» et donc inutiles: ils sont incapables d’établir des liens à l’Autre (le message est souligné par la jambe pliée, et donc incapable de marcher), mais les cornes suggèrent que l’humain est branché à la dimension surnaturelle. L’image est de Cernunnos, le dieu cornu des Gaulois, qui se trouve sur le chaudron de Gundestrup (en fait, fabriqué d’argent et non de bronze), 1er siècle av. J.-C., trouvé dans une tourbière de Danemark.

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Gréco-romain – 1er siècle

Notez le réalisme des proportions et de l’expression très individuelle, 15 siècles avant l’invention de la perspective centrale; on se croit devant un portrait fidèle d’une personne qui a vraiment vécu. Aucune tentative d’embellir (!), mais on croit comprendre qu’il existe un rapport entre la vie intérieure de la personne et son visage, sa forme publique. La photo apparait pire qu’elle l’est en réalité, car il s’agit d’une mosaïque.

http://www.civicart.org/images/sappho_lg.jpg

À droite, une mosaïque romaine, cette fois d’un personnage légendaire. Notez que même dans le cas du légendaire (ici, la poétesse Sappho), les Romains insistent à souligner l’individualité.

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Romain (1er siècle A.D.) – statue de Octave-Augustus

On voit ici bien représentée l’idée que pour les Romains l’humain compte plus que les objets qui l’entourent, et que le corps doit s’harmoniser avec l’esprit intérieur. On voit bien le caractère inné de cet homme calculateur et puissant (Octave – Auguste, premier empereur). Il porte une armure richement décoré, et il est en pose « héroïque », mais c’est son visage qui domine le portrait. Autrement dit, ce n’est pas uniquement la perspective qui peut véhiculer l’importance du « naturel ». Ici, la dynamique entre « âme » et « apparence » établie une conversation impliquant la distance symbolique.Artiste inconnu, Musées du Vatican.

Page 37: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Romain – 1er siècle A.D.

Notez ici l’emphase sur les proportions naturelles et «belles» du corps pour communiquer l’harmonie corporelle. À différence des notions grecques, le corps communique sa puissance par une pose asymétrique et non par la tension interne des muscles (parfois un peu trop gonflée dans l’art grec). Cette pose souligne deux choses: l’agir, mais l’asymétrie de la pose suggère que l’individualité signalée par le tonus musculaire n’est pas hermétique: l’individu n’agit pas seul; il est en déséquilibre.

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Romain, paysage (relief)

Notez les proportions irréelles des édifices, mais les proportions naturelles des figures humaines; c’est un peu l’inverse de la perspective utilisée à l’époque médiévale; les Romains croyaient que la civilisation est faible, artificielle, et donc «féminine». Elle doit être renforcée et appuyée continuellement par une intervention «forte» et donc «masculine», la vertu civique (de vir, homme).

Page 39: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Romain byzantin (Ravenne) – mosaïque, 5e siècleNotez que Jésus est plus beaucoup grand que Lazare; étrangement, il est de la même

taille que le disciple à sa gauche, mais porte une auréole plus grande

Page 40: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Byzance – mosaïque. Perspective aplatie et réduite; ceci semble « naturelle », mais elle ne l’est pas, car il s’agit d’un technique pour souligner la dimensionnalité de la

tête, qui semble avoir 3 dimensions, tandis que le corps est aplati et deux dimensionnel.

Page 41: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

ByzancePerspective aplatie, emphase sur les yeux et la tête; on voit deux points de vue: aplatie, qui

mettent en évidence des parties de la tête normalement cachées par la perspective centrale, et «normale» pour les corps. La tête (métaphore du haut, du pouvoir) est donc soulignée.

Page 42: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Une autre expression pour cette géométrie aplatie est la perspective renversée, car plus loin sont censés être les objets, plus grands apparaissent-ils (le contraste est avec la perspective centrale,

http://www.atelier-st-andre.net/fr/images/esthetique/apercus/desannon.gifhttp://www.mlahanas.de/Greeks/Medieval/Art/BArt3.jpg

qui devient le point de référence canonique). Ici, à gauche, on voit les lignes diverger plutôt que converger vers l’arrière-plan. À gauche, l’Annonciation du Ohrid (Ochrid, ville macédoine), icône du 14e siècle dont l’artiste est inconnu, comme pour la majorité des icônes.

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http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/d/d8/Lorenzetti_Ambrogio_annunciation-_1344..jpg/527px-Lorenzetti_Ambrogio_annunciation-_1344..jpg

En fait, certains experts attribuent l’invention de ce système géométrique à un autre artiste, Ambrogio Lorenzetti (d.1348), dans son dernier œuvre important, l’Annonciation (1344), mais uniquement parce qu’il avait incorporé et représenté des tuiles du plancher de façon parfaite, surtout que leur arrangement trois dimensionnelle est accentué par le fond doré sans traits distinctifs. Comparez à la diapo précédente, de la même époque.

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Codex Ménesse (début 14e siècle, Zurich, un manuscrit de chansons d’amour « illuminé » [illustré]) représentant le Conte Von Brandebourg battu par sa femme à une partie d’échecs; notez que les corps sous les vêtements semblent flous et sans musculature, en contraste avec le dessin romain (ou grec), qui souligne la puissance du corps au repos en utilisant les plis des vêtements à des fins stratégiques, pour montrer l’aspect dynamique du corps, qui devient une métaphore de l’individualité vis-à-vis la communauté. L’échiquier aurait pu être l’occasion parfait pour utiliser la perspective géométrique (comme le tuiles de la diapo précédente, mais il est dessiné sur un autre plan dimensionnel).

Gothique-médiévale (début 14e siècle)

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Notez la grandeur relative de chaque personnage: la taille indique son importance dans un système de signification politique et social; il n’y a ici aucune logique géométrique à l’intérieur du cadre. Autrement dit, le rôle de chaque élément n’est pas déterminé par un système esthétique en tant que tel. Par exemple, les saints en bas de l’image sont en premier plan par rapport à la Vierge (on voit ceci par leur rapport à l’édifice), mais ils sont plus petits, car ils sont moins importants selon une pensée qui place la pureté et le pouvoir dans un rapport pyramidal, un peu comme un système de castes.

Époque médiévale (italien)

Page 46: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Gothique, fin de l’époque médiévale (14e siècle) – perspective renverséeLes objets plus larges (le bord de la piscine) sont «en arrière» et non en avant-plan,

comme serait typique de la perspective centrale; ici, pour mettre l’accent sur les trois personnages humains qui sont le vrai sujet.

Page 47: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Gothique-fin de l’époque médiévale

Perspective renversée et exagérée (l’arrière-plan se distingue de l’avant-plan); il n’y a pas de

perspective convergente, à juger du bras gauche du lit.

Page 48: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Gothique – 12e siècle

Ici, nous avons quelques indices que l’artiste ait utilisés une forme primitive de la géométrie convergente pour l’arrière-plan (notez la fenêtre à droit), mais la géométrie de la table et l’orientation des corps (c.-à-d., l’organisation spatiale de l’avant-plan) sont en contraste avec les proportions naturelles de la perspective convergente. La table est tellement déforme que les plats et les cruches n’y adhèrent pas. Il y a même un site qui attribut un commentaire autoréférentiel au roi, censé exclamer que les plats tombent dû a la façon dont la table a été dessinée!

Page 49: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Gothique-fin de l’époque médiévale

Combinaison de perspective renversée pour les personnages de petite taille de l’avant-plan et de perspective centrale (les trois arches en l’arrière plan sont orientées vers le même point de convergence). L’effet est rehaussé par les 7 colonnes visibles, qui relient l’avant et l’arrière plan. Dormition de la Vierge, Prague, artiste inconnu, c.1340-60. Le motif standardisé, aussi connu comme Mort de la Vierge, est populaire à l’époque. Le style semble une fusion de l’Occident (p.e., l’œuvre de Fra Angelico, d.1455) et l’Orient, car les auréoles prononcées semblent influencées par l’iconographie orthodoxe et byzantine.

http://mfas3.s3.amazonaws.com/objects/SC134039.jpg

Page 50: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Gothique-fin de l’époque médiévale(style « gothique international » )

On voit des tentatives de respecter les canons de la perspective centrale, surtout dans les détails architecturaux du château (le Louvre, en fait) et dans l’organisation spatiale des sillons. Même si la taille des personnes semble respecter la perspective convergente, la géométrie n’est pas parfaite, car le mur à remparts séparant le château des champs ne suit aucune règle connue de la perspective. De plus, les proportions des personnes par rapport au château semblent exagérées. La voute céleste a sa propre géométrie parfaite et aristotélicienne. Détachée du bas, elle représente le calendrier astrale (p.e., les signes zodiacaux sont associés au mois d’octobre). L’avant- et l’arrière plan sont tellement distants l’un de l’autre qu’on ne voit pas un engagement visuel menant à un dialogue loin-proche, bien qu’il y ait un lien métonymique, car les paysans de l’avant-plan travaillent pour les bourgeois de la ville qu’on voit se promener devant les murs pour établir le lien, justement. Du Les Très Riches Heures du duc de Berry , c. 1410-1440 en Limbourg, Belgique; un livre d’heures qui permet au fidèle de suivre la liturgie quotidienne, qui varie selon le mois; scène représentant « octobre ».

Page 51: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Fin de l’époque médiévale – Giotto (1330, Florence)

Page 52: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Notez que les proportions des figures humaines sont plus respectées que celles des formes architecturales, comme dans l’illustration précédente

Fin de l’époque médiévale –

Giotto, 1306 (La présentation de la

vierge)

Page 53: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Notez la tentative d’imposer une proportion naturelle aux formes architecturales de l’arrière-plan, surtout au toit. Les personnes s’harmonisent avec cette géométrie, mais semblent néanmoins dominées par les éléments de l’immobilier.

Fin de l’époque médiévale – Giotto (1330?) – La mort de St-François

Page 54: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Fin de l’époque médiévale

Notez la perspective renversée pour souligner l’importance des témoins situés en arrière-plan. Simone Martini (d.1344) de Sienne, Le Portement de Croix, c.1333, fa partie d’un polyptyque (œuvre composé par plusieurs panneaux) exécuté pour un cardinal de la famille papale Orsini. Le tableau a aussi été décrit comme ayant aucune « profondeur réelle » par l’historien de l’art Erwin Panofsky (La Renaissance et ses avant-courriers dans l’art en Occident , Paris, 1960) inventeur du concept d’habitus plus tard cité et popularisé par Pierre Bourdieu. Pour Panofsky, la perspective est une « forme symbolique » car elle représente visuellement une philosophie de l’espace, réel et symbolique, qui unie le sujet le l’œuvre à la dimension du vécu.

Page 55: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Fin de l’époque médiévale

Giotto (d.1337), Entrée à Jérusalem c.1305. Fresque, Cappella degli Scrovegni, Padoue. Bien que la géométrie de l’image ne soit pas précis, les proportions des personnages montrent une sensibilité assez moderne, car ils sont liés l’un à l’autre. La taille des deux enfants (?) à droite et à gauche en arrière-plan qui détachent des rameaux d’olivier, est en harmonie avec les figures à l’avant-plan. La patte de l’âne donne un sens de mouvement naturel. La même image figure dans La légende de St-Francis, à Assise, également par Giotto.

Page 56: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Renaissance (Sandro Botticelli, La primavera, fin 15e siècle)Sujets mythologiques, arrière-plan statique est déconnecté de l’avant-plan pour souligner l’importance

relative des protagonistes; l’absence des points de référence architecturaux souligne l’harmonie du corps. La « géométrie » est dominée uniquement par les proportions harmonieuses du corps, mais notez que la taille des

figures n’est pas proportionnelle (la femme au centre et en arrière, qui regarde vers le spectateur et donc « sabote » les prémisses de la perspective centrale, est plus grande que les figures de l’avant plan).

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Le passage à un nouveau système de perspective au début de la Renaissance n’est pas, à première vue d’œil, si révolutionnaire. À gauche, un modèle pour les portes du Baptistère de Florence soumis par Lorenzo Ghiberti (qui en 1401 a gagné la compétition pour y poser de portes nouvelles); à droite, le même thème – le sacrifice d’Isaac – interprétée par Filippo Brunelleschi (perdant, mais qui en revanche a réalisé la coupole de la cathédrale de Florence et, quelques années plus tard, inventé la perspective conique). Ghiberti arrange ses personnages de façon équilibrée, en proportion géométrique (avec la relief, c’est l’unique moyen de le faire), mais ….. (prochaine diapo)

Page 58: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

… ses protagonistes sont en des poses statiques qui ne se « parlent » pas; Isaac attend passivement sa mort, et Abraham ne communique aucune intention par sa pose. Par contre, le Isaac de Brunelleschi semble réagir à la menace de son père, qui le tien par le coup pour s’assurer que le coup mortel soit rapide. Les deux protagonistes sont liés l’un a l’autre par l’action initiée par un. Pour Ghiberti, et pour sa sensibilité plus classique, les personnes incarnent des forces (et donc assument des poses et de gestes) qui leur sont imposés par une puissance extérieur (pour Ghiberti, Dieu, évidemment). La dynamique n’est pas motivé par la volonté de l’individu. Pour Brunelleschi, Abraham craint adoucir la mort de son fils, et le fils se soumet (il offre son cou) mais mal volontiers, semble-t-il, car son corps suggère qu’il est dans une pose de fuite, de tension. Pour Ghiberti, l’Homme incarne une nature morte sans vitalité; pour Brunelleschi, la nature de l’Homme est d’agir.

Une autre différence: Brunelleschi n’a pas peur de laisser vide une partie du fond, mais pour Ghiberti l’arrière plan est excessivement rempli de protagonistes inutiles, secondaires: une allusion que l’action est dominée par cette force extérieure (le fond domaine l’avant-plan, dans un sens), car aucun protagoniste agit sur l’autre ou avec l’autre.

Donc, le nouvel emphase sur l’individualité attesté par l’adoption de la perspective centrale est miroité par le poids accordé à l’action individuelle, incarnée par les protagonistes, dont les mouvements sont harmonieusement liés l’un à l’autre. Parfois appelé « humanisme », ceci est typique de la nouvelle sensibilité qui se concrétise avec la Renaissance.

Page 59: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

À gauche, la taille des personnages semble respecter les règles de la géométrie centrale, mais un examen plus minutieux des angles des bâtiments et des toits nous montre que William Hogarth (1697-1764, inventeur de la satire visuelle contemporaine) n’a aucunement respecté ces règles. Intitulé Satire on False Perspective (1754), gravure conçue comme une réponse à un texte produit par son ami John Joshua Kirby, un artiste qui popularisait les règles mathématiques de la perspective centrale. Il y a, selon certains chercheurs, au moins 10 géométries différentes utilisées, pour ne pas mentionner les autres erreurs de perspective, par exemple le fil de la canne à pêche de l’homme en avant-plan passe en arrière de celle de l’homme assis au centre; le cygne à gauche du bateau en arrière-plan est plus gros que l’homme dans le bateau., l’homme sur la colline allume sa pipe d’une chandelle tenue par une femme qui se penche de la fenêtre à droite, l’horizon à l’arrière-plan est incliné à un angle alarmant, etc.

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Renaissance – début 16e siècleL’utilisation d’édifices et d’autres éléments architecturaux devient rapidement la marque de commerce de la nouvelle perspective, comme si l’artiste voulait à tout prix proclamer son adhésion aux nouvelles règles esthétiques des proportions naturelles. À gauche, un détail de La tempête (La tempesta) de Giorgione (1508). Réputé d’être la première représentation occidentale moderne de la nature. L’étude radiographique de l’image a montré que, originellement, le soldat à gauche (dont on voit seulement une partie ici) était une femme nue. Un commentaire sur la civilisation «mâle» et la campagne «femelle»? Voir le PPT Le féminin.

Page 61: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Renaissance – début 16e siècleBellini – L’Extase de St-Jérôme

Page 62: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Renaissance – Da Vinci

Page 63: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

http://i.crackedcdn.com/phpimages/article/3/7/2/31372.jpg?v=1

Page 64: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Chasseurs dans la neige (1565), Pieter Brueghel l'Ancien. À part de la taille des composants qui suggèrent une grande distance, l’artiste renforce la perspective avec l’utilisation de tonalités différentes de blanc (allant vers le gris dans l’arrière-plan). Le corbeau fournie une contraste qui souligne la grande distance de l’arrière-plan. Merci à D. Lucking, Shakespearean Perspectives, Amsterdan, 2017, p.2, qui a noté que le grand écrivain était sensible à la puissance de cette (relativement) nouvelle géométrie pour communiquer l’idée de solitude et de perte.

Page 65: L’interprétation du visuel: la perspective et l’image de la communauté

Les règles de la perspective centrale ne sont pas coulées en béton. Les images ne sont pas produites de façon mécanique. Plusieurs artistes expérimentent pour produire des effets autant tacites que subtiles. Ici, The Triumph of Cleopatra, William Etty, 1820-21. Notez que les proportions ne respectent pas la perspective centrale : p.e., l’homme noir à la poupe, bien qu’à l’avant plan, est plus petit que Cléopâtre; le baldaquin est orienté dans la mauvaise direction par rapport au bateau; la perspective utilisée pour le navire est trop raccourci comparée

à celle utilisée pour représenter les personnes; les lignes du baldaquin ne s’alignent pas avec celles tu temple; le lit de Cléopâtre n’est pas aligné avec le bateau; la taille des putti – les « cupidons » - est grotesquement exagérée; la composition trop serrée au centre est déséquilibrée; la statue du lion n’est pas alignée avec sa piédestal. Ce ne sont certainement pas des erreurs. Etty a voulu introduire une note de tension en présentant un fait historique (Cléopâtre rencontre Marc Antoine) sous la guise d’un mythe classique, sans doute pour souligner que les conséquences du moment éphémère perdurent dans le temps.

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http://www.artcorner.com/wp-content/uploads/2010/09/madmen_cooper_rothko4-300x187.jpg

Untitled Red, de Mark Rothko, dans la série télévisée Mad Men (saison 2, épisode 7). Le principal Bert Cooper achète cette œuvre comme investissement, mais ses employés de l’agence publicitaire des années 1960 pensent qu’il s’agit d’un test psychologique, où ils sont invités de partager leurs opinions sur la création expressionniste abstraite, dont les qualités sémantiques ambigües, pour ne pas dire silencieuses, sont censées fonctionner comme un miroir de l’inconscient. Rothko était un russe américanisé, un des artistes modernes les plus renommés. Il s’est suicidé en 1970. L’œuvre choisie semble être un Rothko authentique, mais je ne peux l’identifier avec précision, car je ne le trouve pas dans son catalogue complet.

http://artofmadmen.files.wordpress.com/2010/08/bruce-rothko.jpg?w=220&h=260

Avec le jeu de rectangles «forts» encadrés par un cadre absent, il est possible que Rothko tentât de saboter l’opposition standardisée intérieure-extérieur. Celle-ci, depuis la Renaissance, avait défini l’idée du cadre, liant à l’intérieur du cadre les deux dimensions principales, haut-bas et gauche-droit. Encadré dans ces deux dimensions, c’est la 3e – avant-plan et arrière plan – qui devient le sujet de la « conversation » métonymique entre l’observateur et l’œuvre.

L’art « contemporain »

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Le street art est difficile à caractérisé, car il est souvent fortement politisé, de grande taille (qui brise le rapport normalisé entre représentation réduite en taille et sujet « vrai » plus grand), et adapté aux formes que l’artiste trouve sur place (les courbes de la rue, les angles des édifices, etc.). Le soi-disant « cadre » qui normalement signale que le spectateur est entré dans monde de l’imaginaire esthétique, est ici absent. La « rue » devient un composant actif dans la conversation. Cet art est souvent recyclé, se référant à des images connues mais déracinées de leur contexte et mis en « conversation » avec d’autres composants disloqués (incluant « la rue »). Le composant individuel est en conversation avec son référant et avec les composants non-artistiques (la rue, justement). Les composants sont souvent isolés l’un de l’autre en étant placés dans leur propre dimension planaire (à gauche) et par l’utilisation de couleurs fortes qui isolent les composants. Le spectateur est donc invité à recomposer les composants séparés par la couleur, par l’orientation planaire distincte, ou par l’idée de l’original.

À gauche, Berlin; à droite, Denver; en bas à gauche, source inconnue.

Street art

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Des œuvres d’Aakash Nihalanim qui semblent saboter la rigidité de la géométrie architecturelle conventionnelle.

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Le street art est donc une machine temporelle, car « l’original » à lequel l’image se réfère est non seulement absent, il est souvent repêché de la culture pop, domaine noté pour le recyclage de matériel vieux. L’image de référence peut daté d’une ou deux décennies, définissant ainsi un autre écart temporel qui définit un autre espace où le spectateur peut créer une narrative sémiotique.

Paris, 2013: Jimi Hendrix; en bas: Serge Gainsbourg

Style psychédélique, années 1960: en bas: Londres 2015, The Beatles

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Le street art joue beaucoup sur le trompe l’œil, et peut donc déclencher des « conversations » entre l’image et le spectateur, car ce genre déplace la vraisemblance normalement située dans le monde phénoménale à l’imaginaire esthétique. L’image  « originale », pour ainsi dire, n’est plus le point de référence qui établit le « vrai ». L’ambiguïté entre « vrai » et « faux » crée une rupture de la signification, et c’est dans cet espace que le spectateur bricole une narration tacite pour ré-contextualiser l’image. Ici, à différence des images précédentes, la référence est à l’idée du cadre contextuel (« rompu », car il n’a pas pu contenir son sujet) et non au contenu sémantique de l’image en tant que tel. De plus, cet art l’hyperréaliste renforce l’écart entre le référent prétendument « vrai » et la représentation  fausse ». Plus l’image et son contexte (thématique, social, historique) sont-ils distantes, plus importante devient l’interprétation du spectateur. Cet art fonctionne comme le branding (voir PPT Publicité postmoderne).

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L’art « touristique »

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Souvent, ces mémoires et souvenirs prennent une forme hautement ritualisée qui les identifie immédiatement comme des souvenirs individualisés faisant partie du domaine intime et non public. Ces souvenirs sont donc isolés des forces et dynamiques propres à la «grande» histoire officielle de la communauté. Les partager est un geste d’intimité.

Ici, on voit une photo typique qui évoque des souvenirs, le passé individualisé; l’effet nostalgie fonctionne en personnalisant de scènes « officielles ». Ici, les personnes sont dominées par l’arrière plan ou elles l’annulent. Il faut de l’information supplémentaire pour déchiffrer l’image, et donc le spectateur peut créer sa propre narrative se basant sur l’image et sur l’information qu’il reçoit du touriste.

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Le pyramide de Caius Cestus, Rome, érigé en 12 av. J.-C. Voici le texte qui accompagne la photo sur le site WEB: « It’s a wonderful place, with extra interest granted by the fact that it’s loomed over by Caius Cestius’s pyramid, built after his death in 12BC. He had a thing for Egypt. His slaves built it in 330 days, apparently. He freed them on his death; whether they built it when still ‘under contract’ I don’t know (and can’t be bothered to Google just yet). Beside the pyramid is a little cat sanctuary, and a couple of little feline charmers accompanied us on part of our stroll. » Den%26sa%3DN%26rls%3Dcom.microsoft:fr-ca:IE-SearchBox%26rlz%3D1I7ADRA_fr%26tbm%3Disch&um=1&itbs=1 (25-10-2011)

Il est clair que la conversation autour ce ces photographies naïves est en fait très complexe, car les deux personnes – le touriste et l’observateur – érigent des conversation autour du même objet mais arrivent à des narrations divergentes: même si la personne reconnait le pyramide, l’observateur n’a aucune façon d’inclure les chats dans le récit sans l’information supplémentaire du touriste..

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Synthèse:

1)Les Sumériens utilisent la répétition mécanique des composants individuels pour souligner l’unité de l’ensemble.2)Les Romains, les Grecs et les Égyptiens utilisent le corps pour ‘parler’ visuellement de la société, qui semble émergée de l’agir de l’individu: on doit créer l’environnement.3)Les Égyptiens place le corps en torsion, pour aligner différents parties vis-à-vis le spectateur; l’accent est sur les bras et les épaules, qui souligne l’agir et la prouesse du pharaon souvent représenté comme chasseur ou militaire.4)Avec l’émergence de l’empire, les Romains individualisent les visages pour souligner le rôle de le personnalité ou l’esprit ‘cachée’; l’individualité émerge de l’intérieure de la personne. Puisque invisible, ils peuvent définir cette qualité comme ils veulent: - âme, esprit, psyché: c’est l’invention du Moi. Le contrôle de cette qualité devient la base de la citoyenneté: l’individu existe uniquement comme composant d’une communauté imaginée.5)L’art des tribus de la Côte ouest sépare la périphérie du centre; une métaphore de leur organisation sociale, c’est aussi un art ‘fractal’, ou chaque composant est aussi une version réduite de l’ensemble. Les tribus européennes (Celtes) mettent l’accent sur l’hybridité (homme-animale) pour souligner le branchement: métaphore de leur système territoriale. 6)La Renaissance utilise la géométrie ‘parfaite’ de l’architecture (l’environnement construit) pour métaphoriser l’ordre sociale, et utilise la rapport spatial de arrière- et avant plan pour déclencher un dialogue entre proche et loin. Ceci transforme le spectateur en le protagoniste principal du système visuel.7)L’art contemporain utilise un langage purement esthétique: masse, forme, densité de la couleur, emplacement. 8)Le Street Art ignore la géométrie de l’environnement construit que la Renaissance avait établi comme norme pour y substituer sa propre géométrie: des couleurs fortes soulignent la présence de plans géométriques uniques: les transformations émerge d’une seule image (même idée que l’art fractal mais exprimée de façon unique)9)La photographie touristique annule soit l’avant ou l’arrière plan pour créer l’obligation d’y ajouter de l’information supplémentaire de la part du touriste/photographe, qui renforce son rôle créatif.