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2004 - 2014 LIVRE BLANC PRESSE JEUNE ? POUR LA QUEL AVENIR

Livre blanc - Quel avenir pour la presse jeune ?

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Page 1: Livre blanc - Quel avenir pour la presse jeune ?

2004 - 2014

LIVRE BLANC

PRESSE JEUNE ?

POUR LA

QUEL AVENIR

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© Association Jets d’encreDirecteur de publication : Matthieu PORTETextes : Juliette EZDRA, Quentin GRAND, Marie LAROCHE, Anna LENTZNER, Jérémie POIROUX, Chloé RIBANPhotos : Association Jets d’encre / p. 9 Association Amis de Freinet - www.amisdefreinet.orgDessins : Baptiste SANCHEZ (p. 50, 51, 79), Florian DELOBELLE 'Défé' (p. 59), Cled'12 (p. 71, 73)Maquette : Anna LENTZNERImpression : La Petite Presse, 91 rue Jules Lecesne, 76600 Le Havre1ère édition - Octobre 2014 - Dépôt légal à parution

Publication réaliséeavec le soutien de

Dix ans !

Jets d’encre a dix ans. Le projet est né d’une volonté commune des journaux jeunes de se doter d’une association pour défendre leurs droits. Depuis 2004, Jets d'encre aide à la création et au développement de journaux jeunes et à leur mise en réseau partout en France. Et ce, grâce aux centaines de jeunes bénévoles dynamiques et volontaires qui s’y sont succédés.

À l'occasion de cet anniversaire, nous publions ce livre blanc. Pour retracer l’histoire de la presse d’initiative jeune, qui s’écrit depuis plus d’un siècle sous la plume des journalistes jeunes. Pour illustrer ces dix années d’action au service de la presse jeune, au travers des événements organisés par l’association. Pour donner un aperçu des problématiques qui animent aujourd'hui les salles de rédaction.

Dix ans n’ont pas suffi à affranchir les journaux jeunes des obstacles qu’ils rencontrent encore au quotidien : le manque de reconnaissance, de moyens, les pressions extérieures, la difficulté d’accès à l’information sur leurs droits ou encore l’autocensure.

C’est pourquoi Jets d’encre publie dans ce livre blanc 10 objectifs et 25 propositions pour l’avenir de la presse d’initiative jeune. Grâce à elles chacun pourra, à son niveau de responsabilité, s’engager pour garantir aux jeunes les droits fondamentaux que sont les libertés d’expression, d’association et de publication.

L’équipe de Jets d’encre remercie

Armand GOSME et Olivier BOURHIS, président et vice-président fondateurs de Jets d’encre, ainsi que tous les anciens présidents pour leur exercice de mémoire,Jacques GONNET, fondateur du CLEMI et Daniel JUNQUA, ancien vice-président de Reporters sans frontières, tous deux membres d’honneur de Jets d’encre,Nadia BELLAOUI, Secrétaire nationale de la Ligue de l’enseignement chargée de la jeunesse et de la vie associative,Pascal FAMERY, responsable du secteur « journaux scolaires et lycéens » au CLEMI et fondateur de l’association J.Presse, ainsi que Thomas ROGÉ, ancien directeur de J.Presse, pour leurs témoignages,Tous les bénévoles qui ont fait vivre l'association au cours des dix dernières années à grand renfort de café, de nuits blanches et de voyages en train.

AVANT-PROPOS

Le Livre blanc Quel avenir pour la presse jeune ? a reçu le label « 25ème anniversaire de la Convention des droits de l’enfant » délivré par le Défenseur des Droits.

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Sommaire

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Les fonctions de la maquette

Petite histoire de la presse d'initiative jeune

p. 6 à 37

p. 38 à 53

2004 - 2014 :10 ans d'action pour la presse jeune

Comment vala presse jeune aujourd'hui ?

Et maintenant ?10 objectifs et25 propositions

p. 54 à 63

p. 64 à 86

Page 4: Livre blanc - Quel avenir pour la presse jeune ?

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PREMIÈRES REVENDICATIONS PREMIERS JOURNAUX,

2014 : Jets d’encre fête ses dix ans. La presse d’initiative jeune, quant à elle, est beaucoup plus âgée ; on en retrouve des traces jusqu’au XVIIIe siècle1. Pour en comprendre l’histoire et l'évolution, il faut croiser plusieurs dimensions : le contexte sociopolitique, l’histoire de l’éducation aux médias, ainsi que les changements apportés au cadre juridique et réglementaire du droit de la presse et du droit de la minorité. Enfin, l’histoire de la presse jeune resterait incomplète si elle n'évoquait pas celle des organisations et associations successives, dont se sont dotés les journaux jeunes pour se faire entendre.

En France, la liberté d'expression s'appuie sur trois textes fondamentaux : • l'article 11 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen

en 1789 pose un premier socle : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre à l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. »

• Le 29 juillet 1881 est promulguée la loi sur la liberté de la presse. • L'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme en

1948 vient confirmer que « tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considération de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »

1 - Laurence Corroy, La presse des lycéens et des étudiants au XIXe siècle : émergence d’une presse spécifique, Paris, INRP, 2005.

1881

29 juilletLoi sur la liberté

de la presse

PETITE HISTOIREDE LA PRESSE D'INITIATIVE JEUNE

Déclaration desdroits de l'Homme

et du citoyen

1789

Déclaration universelle des

droits de l'Homme

1948

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Une presse engagée

Il est difficile de dater l’origine de la presse lycéenne et étudiante car certains journaux n’ont pas laissé de trace tangible et n’existent plus qu’à travers des témoignages et références qui remontent au XVIIIe siècle. Les premiers journaux archivés datent du XIXe siècle. De nombreux journaux existent alors, et naissent du besoin d’exprimer une parole différente, de s’affirmer face aux adultes. Les premiers textes rédigés par les jeunes sont donc ceux de la révolte contre l’absence de considération ; ils traduisent leur volonté forte de bénéficier d’un droit qui ne leur était jusqu'alors pas reconnu : le droit de publication.

L’exemple du journal Les droits de la jeunesse est sur ce point significatif. Son jeune éditorialiste y proclame le droit de disposer d’un espace dans lequel chacun puisse exprimer ses convictions, ses colères, ses revendications : «  Camarades, ce n’est pas la révolte que nous venons vous prêcher. Nous voulons simplement vous donner un organe.2 » Une volonté que relayent encore aujourd’hui tous les journaux jeunes qui naissent en France ou ailleurs. Et les rédacteurs de ce journal de continuer  : « Ce journal sera votre tribune. Quand on saura que le public est instruit, d’une manière périodique, de tout ce qui se passe chez nous, on commettra moins d’injustice, croyez le bien, à notre égard. » C’est la première revendication d’une presse étudiante et lycéenne engagée pour les droits des jeunes, même si des journaux existaient avant.

2 - Les Droits de la Jeunesse. Organe de la jeunesse des écoles, n°1, dimanche 30 avril 1882, Paris, p.1.

1968

Mai 68

1960

L'Éducation nationale interdit les journaux amateurs et professionnels à l'école

Les médias à l’école : premiers frémissements

Avec les années 1920 arrive le mouvement de la pédagogie Freinet. Célestin Freinet est un pédagogue français qui se fonde notamment sur l'expression libre des enfants. Il va introduire l'imprimerie à l'école puis peu à peu l’idée d'utiliser les médias dans une perspective pédagogique  : élaboré de manière coopérative dans la classe, le journal devient, une fois imprimé, le support d’échanges avec des correspondants. De nombreux enseignants s'inspirent de ce mouvement et sont à l’initiative de journaux scolaires – et cela jusqu’à aujourd’hui. En 1960, une circulaire du ministère de l’Éducation nationale vient interdire « la distribution de tracts, de journaux, brochures, tant à l’intérieur qu’aux abords de l’établissement ». Cette circulaire concerne aussi les journaux professionnels. Elle traduit la volonté de « protéger » les élèves de toute influence politique au moment de leur formation.Des journalistes professionnels de toutes tendances créent en 1966 l’Association Presse Information Jeunesse (APIJ). Elle inscrit «  l’introduction des moyens d’information dans l’enseignement » comme un de ses objectifs prioritaires et propose « une charte de la presse à l’école ». Mai 68 arrive : les journaux lycéens et étudiants fleurissent dans la foulée. Une nouvelle jeunesse s’est faite une place dans l’espace public, demandant à être mieux reconnue et à bénéficier de nouveaux droits. Cependant, le décalage persiste entre la possibilité pour les lycéens d’être à l’initiative de leurs journaux et l’impossibilité pour eux d’en assumer la responsabilité sur le plan juridique.

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Source : Bibliothèque nationale de France

Mouvement Freinet

19201882

Les droits de la jeunesse

1966

Création de l'APIJ

Célestin Freinet1896-1966

Petite histoire de la presse d'initiative jeune

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Le premier numéro de l’Agence de presse lycéenne tient sur deux pages ronéotées. On peut y lire cette déclaration de principe : «  L’Agence de presse lycéenne publiera – et elle se limitera à ce rôle – tous les communiqués et articles qui nous seront envoyés, elle publiera des extraits de journaux lycéens et les fera connaître. »Tout en maintenant jusqu’en 1980 la publication d’un journal devenu Actions presse lycéenne (l’appellation « Agence » étant réglementée), l’APL se transforme en animatrice d’un réseau de journaux lycéens. Elle dispose de correspondants à Fameck, Lorient, Blois, Marignane, Montreuil et Paris.

En novembre 1981, trois journaux lycéens parisiens et le réseau Action presse lycéenne organisent une Rencontre nationale de journaux lycéens à Montreuil. Dix journaux venus essentiellement de région parisienne répondent à l’appel. Certains journalistes et des « spécialistes » de ce mode d’expression sont également présents.

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e En effet, la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ne permet qu’aux personnes majeures d’être directeur de publication d’un journal ; et la majorité est alors encore fixée à l’âge de 21 ans. 1974. Valéry Giscard d’Estaing abaisse la majorité à 18 ans. Cette réforme va avoir un impact important pour les lycéens, car elle les rapproche de la pratique des droits civiques reconnus aux majeurs. Toute la réglementation scolaire semble à adapter pour tenir compte de la présence de lycéens majeurs dans les établissements. Deux ans plus tard, René Haby, ministre de l’Éducation nationale, s’adresse à l’inspection générale de l’Éducation nationale pour promouvoir l’utilisation de la presse à l’école et les partenariats entre les journalistes et les enseignants.

La presse jeune s'organise

Entre 1978 et 1979 est fondée l’Agence de presse lycéenne, dans un important contexte d’agitation lycéenne : mouvements ponctuels de grèves contre « l’austérité » à l’automne 1978, mouvements contre l’introduction de stages obligatoires dans le cursus des lycéens (c'est le projet de loi du ministre Christian Beullac). Cette mobilisation est structurée par le journal lycéen Les Hordes Sauvages, puis par un premier « Congrès national lycéen » qui se transformera en « Coordination permanente lycéenne ». L'Agence de presse lycéenne se fonde sur la volonté de faire circuler une information sous forme de bulletins. Elle se veut indépendante et parallèle aux grands réseaux militants qui s’essoufflent.

Première rencontre nationale de

journaux lycéens

19811974

Abaissement de la majorité

à 18 ans

1976

René Haby promeut l'utilisation de la presse à l'école

1978

Mouvementslycéens contre

l'austérité

1979

Mouvementslycéens contrela loi Beullac

Création de l'Agence de presse lycéenne

1980

L'APL devient animatrice d'un réseau

de journaux lycéens

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C’est le cas de Jacques Gonnet, à l’époque chargé des relations extérieures du Centre national de documentation pédagogique (CNDP – aujourd’hui réseau Canopé). Il prépare un livre sur les journaux lycéens3 faisant suite à sa thèse de doctorat sur ce sujet et porte le projet d’une institution chargée d’étudier et de soutenir l’expression des jeunes à travers leurs propres médias. Ce sera le CLEMI (Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information). La discussion est très dense, on passe en revue la réalité lycéenne dans un contexte politique en pleine mutation  : quelques mois plus tard, François Mitterrand, candidat socialiste, deviendra Président de la République. Les participants s'accordent sur une analyse : les journaux représentent le seul espace d’autonomie des élèves.

La création d'une association baptisée Centre de Documentation et d’Information Lycéen (CDIL) est décidée. Le CDIL se fixe comme premier objectif de repérer et d’archiver les journaux lycéens. Action Presse Lycéenne n’a plus d’activité officielle et disparaît en 1983.

Vers une politique d'éducation aux médias

En 1982 est publié le rapport Gonnet-Vandevoorde (Inspecteur général de l’Éducation nationale) sur l’« introduction des moyens d’information dans l’enseignement »4. Le CLEMI se dessine, doté d’un Comité d’orientation et de perfectionnement comme point de rencontre des deux univers (éducation et presse). Il s'organise autour de deux fonctions principales : la formation des enseignants et le développement de ressources.

3 - Jacques Gonnet, Journaux scolaires et lycéens : le regard des jeunes, Paris, Retz, 1988.

4 - Jacques Gonnet et Pierre Vandevoorde, Introduction des moyens d’information dans l’enseignement : Rapport au ministre de l’Éducation nationale, CNDP, 1982.

Dans le même temps, l’UNESCO adopte la Déclaration de Grünwald qui porte sur l’éducation aux médias et marque un point de départ : « Il ne faut pas sous-estimer ni le rôle de la communication et de ses médias dans le processus de développement, ni la fonction instrumentale qu’exercent les médias pour favoriser la participation active des citoyens dans la société. Les systèmes politiques et éducatifs doivent assumer les obligations qui leur reviennent pour promouvoir chez les citoyens une compréhension critique des phénomènes de communication. »

Jacques Gonnet prend la tête du CLEMI lors de sa création, en 1983. Le CLEMI est alors l’opérateur attitré de l’éducation aux médias en France, rattaché au ministère de l’Éducation nationale et au CNDP. Il existe toujours, au sein du réseau Canopée.

Entre 1984 et 1985, le CDIL organise un concours de journaux lycéens baptisé « Scoop en stock  ». Il s’installe dans ses propres locaux en 1986 et signe une première convention de partenariat avec le CLEMI. Scoop en Stock devient un festival à dimension européenne en 1986. Malheureusement, le projet est trop ambitieux et prend fin. Il se poursuit néanmoins sous forme de concours. Le nouvel éducateur, journal de l'Institut coopératif de l'école moderne, couvre en 1988 les finales du concours « Scoop 88 » : « Les vingt-quatre finalistes obtiennent de la SNCF la gratuité du voyage aller-retour Bordeaux-Paris pour les finales du 26 mars, à condition de réaliser dans le train, pendant le voyage, un journal à distribuer aux voyageurs avant l'arrivée à Paris. Pari difficile mais possible. [...] Gageons que ces jeunes, prenant l'habitude d'entreprendre, de se mesurer aux contraintes de la réalité sans renoncer et sans se réfugier dans les velléités et qui font l'apprentissage des responsabilités vraies, auront acquis des qualités indispensables à la société de demain.5 »

5 - « Quatre heures pour un journal dans le Bordeaux-Paris », Le nouvel éducateur, p.1, n°5, janvier 1989.

Rapport Gonnet-Vandevoorde

avril 1982

Déclaration de Grünwald adoptée par l'UNESCO

janvier 1982

Création duCLEMI

avril 1983

Création du CDIL

1981

Création du concours

Scoop en Stock

1984

Scoop en Stockdevient un

festival européen

1986

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e Petite histoire de la presse d'initiative jeune

Disparition d'Action presse lycéenne

1983

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Entretien avec Jacques GonnetJacques Gonnet a fondé et dirigé le Centre de liaison de l’enseignement et des médias d’information (CLEMI) jusqu’en 2004. Il est aujourd'hui professeur honoraire à l’université Sorbonne Nouvelle - Paris III, ainsi que membre d’honneur de l’association Jets d’encre.

Parlez-nous de votre parcours et de ce qui vous a mené à travailler sur la presse d’initiative jeune.Quand je suis entré au Centre national de documentation pédagogique (CNDP) dans les années 1970, j’ai découvert des textes de l’École nouvelle, de pédagogues comme Célestin Freinet, Ovide Decroly ou Janus Korczak et par ce biais j’ai eu accès à des journaux scolaires et lycéens. Je me suis alors dit : « Pourquoi se priver de ce que les jeunes sont prêts à proposer ? Quand on voit ce que les jeunes écrivent, c’est très impressionnant ! ». À partir de ce moment, j’ai commencé à écrire sur ce sujet et d’une certaine façon le projet du CLEMI est né dans ma tête à cette période. En 1981, le ministre de l’Éducation nationale Alain Savary s’occupait du dossier de la presse à l’école et m’a demandé d’écrire un projet. Dans celui-ci, la mission du CLEMI était d’introduire la presse à l’école dans un souci d’esprit critique, mais il était tout aussi important de faire en sorte que les jeunes puissent poser leurs questions. Dans les autres pays, les opérations d’« éducation aux médias » portaient globalement sur la presse adulte, la radio et la télévision ; l’idée étant d’acquérir un esprit critique par rapport à cela. Bien sûr, je suis d’accord, mais il me semble qu’il manquait l’autre côté du balancier : quelles sont les questions que les jeunes se posent ? J’ai également tenu à ce qu’il y ait un espace de journaux scolaires et lycéens au CLEMI car je trouvais qu'ils devaient absolument être conservés.

Quels sont, selon vous, les intérêts à participer à un journal jeune ?L’intérêt pour les jeunes c’est déjà de se sentir bien dans leur existence. Le journal permet de découvrir son identité, d’être valorisé, de se construire en participant, en faisant des propositions. Ce qui m’a toujours passionné, c’est qu’il y a une dynamique, une effervescence du journal qui fait naître petit à petit des prises de conscience chez les jeunes qui y participent. Le journal est un accélérateur qui va permettre à un jeune de découvrir des choses de la vie, de la société et de lui-même, notamment par l’échange. Les jeunes qui font des journaux ont une sensibilité qui les amène à s’interroger, notamment sur la démocratie. Ils ont un surplus d’énergie et sont dans un rapport au monde

qui a un degré supplémentaire de sensibilité, d’implication, avec une envie de faire bouger les choses. Ils sont porteurs de quelque chose qu’on ne peut pas neutraliser, qui est en faveur des pratiques démocratiques. Tout ce qui est un contre-pouvoir fait vivre la démocratie et le journal lycéen en est un. Les journaux jeunes sont souvent force de propositions, il ne faut pas se priver de cette énergie, de ces jeunes qui écrivent et veulent participer !

Que pensez-vous de la valorisation de l’engagement de ces jeunes qui font des journaux ?Cette question est très importante. Comment faire pour que les adultes prennent en considération les propositions faites dans ces journaux et regardent autrement les jeunes qui les font ? Je crois qu’il faut s’appuyer sur ceux qui ont déjà lu des journaux, qui sont capables de les transmettre et qui sont dans une relation chaleureuse, dynamique et généreuse. Aux autres, il faut dire : « lisez-les ! ». J’ai toujours dit aux chefs d’établissement qu’il faut absolument donner la possibilité aux jeunes qui le veulent de créer un journal. Certains jouaient très bien le jeu, d’autres avaient peur. J’ai connu beaucoup de chefs d’établissement qui ont fait un vrai travail de découverte. Les journaux lycéens ont quelque chose d’original par rapport au reste de la presse et aux enquêtes faites sur les jeunes : il y a un filtre en moins, quelque chose de plus authentique. Cela peut effrayer, je pense donc aussi qu’il faut rassurer ceux qui ont peur des journaux faits par des jeunes.

La censure dans la presse lycéenne existe toujours, plus de 20 ans après la reconnaissance de leurs droits en 1991. Comment réagissez-vous ?Quand j’étais directeur du CLEMI, j’agissais. Avec dix années de recul, je peux dire qu’on n’y échappera jamais, ce n’est pas possible : il y aura toujours de la censure. Le problème est : comment faire pour que lorsque ça émerge, on la neutralise le plus possible et que ça serve par la suite. Ce qui m’intéresse c’est que la réglementation permette à des jeunes de faire des journaux et qu’ils soient dans une situation de responsabilité. Je pense que pour cela Jets d’encre a un rôle essentiel, notamment de médiation et de rappel des règles.

Si vous étiez ministre de la presse jeune, que mettriez-vous en place ?Si j’étais ministre, je retournerais la question en disant : vous, Jets d’encre, de quoi avez-vous besoin ? Et je regarderais à la loupe pour savoir si vous en avez vraiment besoin, quel est votre projet, où vous allez. Je ne serais pas directif, je mettrais tout en œuvre pour faciliter l’existence des journaux jeunes et faire en sorte qu’existe cette flamme qui fait que des jeunes veulent faire des journaux. Permettons à ceux qui ont de l’énergie, du désir, de la volonté et qui ont quelque chose à proposer d’exister !

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La Convention internationale des droits de l’enfant

La France signe puis ratifie la Convention internationale des droits de l’enfant en 1989 : les libertés d’expression, de publication et d’association sont reconnues aux mineurs comme des droits fondamentaux6. Son entrée en vigueur en 1990 amène la France à mettre son droit national en conformité avec l’esprit du texte. Elle fournit la matière juridique qui manquait jusqu’à présent : désormais, les enfant (les jeunes mineurs) sont des sujets de droits et plus simplement des objets de droits.

Deux conventions pour les droits de la presse jeune

En 1988, le CDIL décide de célébrer à sa manière le bicentenaire de la Révolution française qui aura lieu l’année suivante, en essayant de conquérir un nouveau droit et de faire reconnaître les journaux jeunes et notamment les journaux lycéens. Un groupe de travail est mis en place avec Jacques Gonnet (CLEMI), Alain Weber (Ligue des droits de l’Homme), Gilles Manceron (Ligue de l’enseignement/Ligue des droits de l'Homme) et Jean-Pierre Rosenczweig (Institut de l’enfance et de la famille). Le groupe travaille pendant un an, auditionne des lycéens et fait le constat suivant :

• D’un côté, certains journaux lycéens sont très libres, soit parce qu’ils ont conquis leur liberté soit parce qu’on leur a laissé un espace dans l’établissement ;

• De l’autre, il y a des journaux lycéens très contrôlés qui soumettent leur projet de journal au proviseur.

6 - Articles 13 et 14 de la Convention internationale des droits de l’enfant.

DE NOUVEAUX DROITSÀ LA CONQUÊTE Jacques Gonnet, directeur du CLEMI et l’avocat Alain Weber sont alors

chargés de rédiger un rapport sur les journaux lycéens : celui-ci appelle l’institution à mettre en place un statut clair séparant bien les pouvoirs et les responsabilités de chacun : lycéens et chefs d’établissement.

Pour faire suite au groupe de travail, le CDIL décide de convoquer une Convention nationale pour les droits de la presse jeune à l’occasion du festival Scoop en Stock à Poitiers, en avril 1989. Le festival prend pour la première fois la forme d'un rassemblement de journaux jeunes, venus réaliser

un numéro en quelques jours, dans les conditions du direct.

Le CDIL travaille, grâce au CLEMI, en partenariat étroit avec le cabinet de Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale. Cette convention donne lieu à une première déclaration dans laquelle la presse jeune, notamment lycéenne, demande à être reconnue et pouvoir exercer librement. La déclaration s’inscrit sous le double parrainage du bicentenaire de la Révolution Française et de la ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant par la France. Les journaux jeunes demandent également une instance de recours et il est demandé au CDIL de se transformer en une association de défense de la presse jeune. Le CDIL est rebaptisé J.Presse en 1989, pour affirmer le sens de son action.

1989

Ratification par la France de la

Convention internationale des droits de l'enfant

1990

1ère convention nationale pour les

droits de la presse jeune

avril 1989

L'ONU adopte la Convention internationale

des droits de l'enfant

20 novembre 1989

Le CDIL est rebaptisé

J.Presse

Petite histoire de la presse d'initiative jeune

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Déclaration des droits de la presse jeune

La première convention des droits de la presse jeune, réunie à Poitiers les 22 et 23 avril 1989, déclare :

- la presse jeune existe- la presse jeune est libre

Elle constate que l’existence de la presse jeune n’est pas reconnue et que de nombreux journaux sont actuellement confrontés à la censure et à des interdictions arbitraires.

1. La convention demande au ministre de l’Éducation nationale :- de reconnaître cette liberté et d’être garant de son respect

dans les lycées et collèges- d’encourager les chefs d’établissement à favoriser son

développement

2. La convention décide d’engager une réflexion sur l’élaboration d’une charte de la presse jeune.

3. La convention décide la création d’un organisme national de recours rassemblant des autorités morales, des représentants de la presse professionnelle, des juristes et des journalistes lycéens. Il pourra être saisi pour toute difficulté rencontrée dans l’exercice de cette liberté d’expression.

4. La convention propose au CDIL de travailler à la mise en place d’une structure adaptée à la défense des droits et libertés de la presse jeune en France.

Une deuxième convention des droits de la presse jeune est organisée en avril 1990 et reçoit la visite du ministre de l’Éducation nationale, Lionel Jospin. Le ministre reconnaît la presse lycéenne, mais les résolutions de la première convention ne trouvent pas de réponse auprès de lui car il refuse de s’engager sur un nouveau statut.

Lors de cette deuxième convention, la presse jeune adopte son premier code de déontologie : la charte des journalistes jeunes et lycéens. Pour les rédactions lycéennes, il s’agit d’un engagement fort : le texte leur permet d’affirmer leurs valeurs et d’afficher leur solidarité pour revendiquer plus de liberté d’expression, à une époque où aucun texte ne la protège encore.

A l’époque, la question de la création d’un statut spécifique provoque un grand débat parmi les journaux lycéens. Une des craintes exprimées est le danger de figer les choses. Les journaux lycéens finissent par se tourner plutôt vers un code de déontologie, laissant la question du statut à l’institution.

Le droit de publication lycéen reconnu

Dans le même mouvement de ratification de la Convention internationale des droits de l’enfant, le ministre de l’Éducation nationale met au point une « loi d’orientation sur l’éducation » qui place « l’élève-citoyen » au centre du système éducatif. L’article 10 de la loi d’orientation sur l’éducation promulguée en juillet 1989, donne satisfaction aux rédactions lycéennes  : il prévoit que « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté de l’information et de la liberté d’expression7 » et entraîne une modification importante du Code de l’Education. Le changement de vocabulaire est manifeste : l’enfant est considéré comme une personne, à laquelle on accorde des droits et responsabilités spécifiques  ; les « devoirs  » des élèves deviennent des « responsabilités ». La loi est prolongée par un décret d’application.À l'automne 1990, les lycéens sont dans la rue : ils réclament une accélération de la modernisation du système éducatif qu’ils considèrent encore trop étouffant. Les journalistes lycéens sont bien sûr de la partie. Le Président de la République François Mitterrand intervient, et, pour éviter que la situation dégénère, propose aux lycéens, autour d’un « plan d’urgence », la concession progressive de nouveaux droits relevant de la sphère publique.

7 - Article L.511.2 de la loi d’orientation n°89-486 du 10 juillet 1989 (loi d’orientation sur l’éducation).

Mouvements lycéenspour la modernisation

du système éducatifLoi d'orientation sur l'Éducation

1989

2ème Convention nationale des droits de la presse jeune

1990

Lancement de la Carte de presse jeune

par J.Presse

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Le CLEMI est chargé de travailler sur une circulaire concernant les publications lycéennes. La circulaire « Publications réalisées et diffusées dans les lycées par les élèves » est publiée en mars 1991, après des allers-retours entre le CLEMI, J.Presse et le cabinet de Lionel Jospin. Ce texte reconnaît aux lycéens le droit de créer leur propre journal dans leur lycée. Tout en rappelant l’obligation de se conformer aux règles déontologiques propres au journalisme, la circulaire garantit une certaine indépendance aux journaux lycéens, qui peuvent depuis être publiés « sans autorisation ni contrôle préalable8 » du chef d’établissement. Cette circulaire est publiée alors même que l’affaire de Rochefort9 a lieu. Éclate donc au même moment une levée de boucliers des proviseurs à l’encontre de cette circulaire. En réponse, et pour accompagner la circulaire, le CLEMI propose la rédaction d’un Livre blanc des journaux lycéens10 à laquelle sont conviés les principaux acteurs des conventions pour les faire à nouveau travailler ensemble.

8 - « Publications réalisées et diffusées par les élèves dans les lycées », circulaire du ministère de l’Éducation nationale n°91-051 du 6 mars 1991, actualisée par la circulaire n°2002-026 du 1er février 2002.

9 - Voir l’encadré « 4 procès de journaux lycéens en 40 ans », in Les droits et la déontologie des journaux lycéens – brochure pratique d’information sur le droit de publication lycéen, Observatoire des pratiques de presse lycéenne – à consulter sur obs-presse-lyceenne.org.

10 - L’expression lycéenne. Livre Blanc des journaux lycéens, Hachette/CNDP, 1991.

BILAN ET RÉINTERROGATIONS LA DÉCÉNNIE 1990 :

1996 - 1998 : le temps des remises en question

A partir de 1996, plusieurs insatisfactions notables obligent la presse jeune à se réinterroger. La période est en effet témoin de deux échecs révélateurs :

• La circulaire de 1991 montre les limites de son application. Quand bien même peu de proviseurs la respectent, ce sont les élèves qui s’avèrent parfois réticents à l’appliquer ; or rien n’est prévu pour pallier l’autocensure des journalistes jeunes… si bien que beaucoup plaident pour une révision de la circulaire, cinq ans après sa rédaction.

• La troisième convention est un échec : peu de lycéens se sentent concernés et beaucoup déclinent l’invitation. Le concept semble avoir atteint ses limites.

En 1997, le festival Scoop en Stock rassemble à Poitiers plus de 150 équipes, sur trois jours, au lycée du Bois d’Amour. Cependant l'année suivante, la collaboration entre J.Presse et la Ville de Poitiers prend fin pour l’organisation de Scoop en stock. J.Presse est contrainte de repenser les rassemblements qu’elle organise. L'événement est scindé petit à petit en un festival (Pressing !), un concours régionalisé (Scoop en Stock) et un événement militant (Forum des journaux lycéens).

Elle propose donc en 1998 un Forum des journaux lycéens, au lycée Victor Hugo à Paris, où les journalistes jeunes peuvent échanger sur leurs pratiques et assister à des ateliers de formation. Une conférence centrale intitulée « Faut-il avoir peur des journaux lycéens ? » réunit tous les acteurs de la presse jeune, à savoir les participants aux conventions et les rédacteurs du Livre blanc. Un des points de sortie est la création d'un Observatoire des pratiques de presse lycéenne.

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Les diagnostics lancés par J.Presse et le CLEMI révèlent entre 1997 et 1998 que les lycéens ne sont que rarement directeurs de publication (dans 16% des cas, selon un sondage de J.Presse réalisé en mars 2001 et confirmé par le CLEMI). Cela explique que plus de 70% des journaux soient relus avant publication par un membre adulte de la communauté scolaire et censurés dans 40% des cas. Le constat est alors cinglant : il y existe un décalage important entre le discours institutionnel et la réalité des journaux lycéens sur le terrain. Aussi, une collaboration de tous ces acteurs est proposée, au sein d’un organisme national permanent (rassemblant des autorités morales, des représentants de la presse professionnelle, des juristes et des journalistes lycéens). Il veillerait à proposer une médiation entre les intéressés en cas de censure. Destiné à favoriser, par le dialogue et l’information, la mise en place de conditions propices au développement de la presse lycéenne, il regroupe la majorité des syndicats d’enseignants, de proviseurs, de lycéens, les fédérations de parents d’élèves, le CLEMI, ainsi que des membres de journaux participants au Forum. Ce sont les prémices de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne.

Le Réseau national des Juniors Associations

En 1998 est fondé le Réseau national des Juniors Associations (RNJA), qui naît d’une volonté de faciliter l’association des mineurs. J.Presse fait partie des membres fondateurs, aux côtés de la Ligue de l’enseignement et du Groupement d'intérêt public Défi-Jeunes, et assure la présidence du RNJA pour la première année. J.Presse soutient le projet de la Junior Association notamment pour faciliter la création de journaux de quartier et de ville par des jeunes mineurs, qui n’ont jusque là pas de possibilité de structure encadrante.

Le festival Scoop en Stock en 1996, au Parc des Expositions de Poitiers Photo : Mat Jacob - Tendance Floue

L'Observatoire des pratiques de presse lycéenne

Une deuxième édition du Forum des journaux lycéens est organisée en 1999. Les débats sur les sanctions pouvant être infligées, en cas de délit de presse avéré à l’encontre d’un journaliste jeune, relancent réellement les discussions entre les différents acteurs. Les débats sont intenses quant au domaine d’application de la sanction (parcours scolaire par exemple) et à son niveau. La conférence « Peut-on parler de politique dans les journaux lycéens ? » conduit à la transformation du comité de pilotage en « Observatoire des pratiques de presse lycéenne ».

Circulaire du ministère de l'Éducation nationaleinstituant un droit de

publication lycéen

1991

Enquête CLEMI / J.Pressesur l'application concrète du droit de publication lycéen

1997

1ère édition du Forum des

journaux lycéens

1998

2ème édition du Forum des journaux lycéens

1999

Lancement officiel de l'Observatoire des pratiques de presse lycéenne

Création duRNJA

1998

Création du poste deDélégué nationalà la Vie lycéenne

2000

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1999

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Sa première action est de mener une campagne nationale de sensibilisation sur la presse lycéenne. L’Observatoire se fixe ensuite pour mission d’améliorer la circulaire sur quatre points :

• La circulaire de 1991 n’oblige pas le chef d’établissement à notifier par écrit la décision d’interdire ou de suspendre la publication d’un journal lycéen, ce qui lui permet de ne pas se justifier.

• Elle permet également d’interdire la publication alors que l’Observatoire souhaite que cette décision ne porte que sur la diffusion du numéro en question.

• L’Observatoire souhaite que soient précisés les contours de la liberté d’opinion des lycéens.

• Enfin, pour limiter les prises de position abritraires, l’Observatoire souhaite qu’un chef d’établissement qui prend la décision d’interdire ou de suspendre un journal soit obligé de porter la discussion devant le conseil d’administration du lycée.

C’est également à cette époque qu’est discutée la création d’un « dépôt pédagogique » des publications lycéennes pour recenser ces journaux et en conserver la mémoire. J.Presse puis le CLEMI détiennent en effet des collections importantes et anciennes, mais qui ne font pas l’objet d’une conservation et d’une valorisation satisfaisantes.

Grâce à l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne, un rapprochement avec le ministère de l’Agriculture et le secteur privé s’organise pour étudier l’extension de l’application de la circulaire aux lycées privés et agricoles (qui dépendent du ministère de l’Agriculture). En 2001, une enquête sur les médias lycéens est conduite par le CLEMI, à la demande du ministère de l’Éducation nationale. Cette enquête reste le seul recensement officiel effectué à ce jour. Elle révèle l’existence de 481 titres de presse lycéenne.

2002 : une nouvelle victoire

Les quatre propositions de l’Observatoire vont essentiellement trouver des résistances en son sein auprès des représentants de chefs d'établissement. Après des discussions bilatérales et quelques compromis, l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne porte officiellement ses propositions au Ministère de l’Éducation nationale et obtient de nombreuses modifications de la circulaire en février 2002.

Ta.Pages, événement organisé par J.Presse en février 2002, qui rassemble les journaux de quartier et de ville et les journaux lycéens, est l’occasion d’annoncer ces modifications ; le ministre de l’Éducation nationale, Jack Lang, fait le déplacement. En réponse, c’est à une véritable remise en chantier de la charte des journalistes jeunes et lycéens à laquelle les participants sont invités à participer  : modifications du titre, des références relatives au droit à l’information, au droit de réponse contre toute dérive arbitraire, avec l’affirmation nette de la volonté de la prise de conscience de la responsabilité des écrits. Le ministre annonce également sur Ta.Pages la création du dépôt pédagogique auprès du CLEMI pour les journaux lycéens.

1ère et unique enquête officielle

sur les médias lycéens

2001

Ta.Pages, rassemblement de la

presse jeune

février 2002

Modification de la circulaire de 1991 sur le droit de

publication lycéen

février 2002

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La déclaration finale de Ta.Pages propose ainsi : • Une pétition pour l’obtention d’un « statut unique de la presse

jeune » au-delà des cadres de réalisation, qui propose des possibilités d’action différentes (collège, lycée public ou privé, journaux de quartier etc.) ;

• Une charte des journalistes jeunes « commune et rénovée » pour mieux prendre en compte une nouvelle catégorie de journaux jeunes apparus dans la dernière décennie : les journaux de quartier.

Déclaration finale de la rencontre Ta.Pages

Nous, journaux de quartiers et de villes et journaux lycéens réunis à Ta.Pages les 22, 23 et 24 février 2002, nous engageons ensemble à lutter contre la censure dont beaucoup d’entre nous sont victimes chaque jour. Pour cela, nous, journalistes jeunes :

1. affirmons notre solidarité commune au-delà des catégories : villes, quartiers, lycées publics, privés ou agricoles ;

2. adhérons à la charte des journalistes commune et rénovée, garante de nos droits et de nos devoirs ;

3. déplorons l’inégalité de nos statuts et la différence de traitement et de protection qui peut s’ensuivre ;

4. affirmons la nécessité de principes communs et d’un statut unique pour assurer une défense égale de la liberté d’expression de chacun ;

5. exigeons un accès renforcé à une information sur nos droits et devoirs ;

6. demandons l’accession à des moyens financiers et matériels pour nous assurer une liberté et une indépendance effectives, notamment grâce à la mise en place par J.Presse et ses partenaires d’un fonds de soutien à la presse jeune ;

7. réaffirmons notre volonté de nous mobiliser tous ensemble sans pour autant renier nos spécificités et nos différences qui font notre richesse.

L'affaire Ravaillac : les travaux de l’Observatoire suspendus

Tandis que les membres de l’Observatoire, fort de ces succès, réfléchissent à la création et la diffusion d’une brochure explicative des droits et de la déontologie des journalistes jeunes, survient « l’affaire Ravaillac ». En 2002, un conflit surgit entre le lycée Henri IV, à Paris, et le journal des lycéens Ravaillac, à propos d'un numéro consacré à la sexualité. Le chef d'établissement suspend le numéro ; les lycéens attaquent cette décision au tribunal administratif. Le journal Ravaillac gagne en première puis en seconde instance11.

La position prise alors par J.Presse et l’implication directe du rédacteur en chef du journal dans l’Observatoire provoquent de vives tensions au sein de celui-ci : un syndicat de chefs d'étabilssement se retire de l’Observatoire. Suite à ce vif différent, le projet de brochure avorte et les réunions de l’Observatoire sont suspendues. La relance de ce groupe de travail sera une priorité l’année suivante et un des premiers socles d’action de la Commission presse média jeunes (voir ci-après). Les tensions internes à J.Presse sont alors très fortes.

Fin 2002, un fondateur de l’Agence de Presse lycéenne, devenu membre actif de J.Presse, entre au CLEMI et prend la responsabilité du secteur presse scolaire et lycéenne, à la demande de Jacques Gonnet qui a dans l’idée de lier étroitement l’action des deux organisations.

11 - Pour plus d'informations, lire l’encadré « 4 procès de journaux lycéens en 40 ans », in Les droits et la déontologie des journaux lycéens – brochure pratique d’information sur le droit de publication lycéen, Observatoire des pratiques de presse lycéenne – à consulter sur obs-presse-lyceenne.org.

À JETS D'ENCRE DE J.PRESSE

Début de « l'affaire Ravaillac » et mise en sommeil de l'Observatoire

printemps 2002

Début duprocès

septembre 2002

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La fin de J.Presse

En 2002, les événements marquants de J.Presse sont alors : • Ta.Pages, un forum de journaux jeunes ; • Pressing !, l'équivalent de la partie festival de Scoop en Stock ; • Scoop en stock qui perdure sous la forme d’un concours de journaux

régional puis national ; • Press’tival, l’événement de formation du réseau de correspondants

de J.Presse à la fin de l’été.

J.Presse s’est développée avec trois antennes régionales disposant de locaux et de permanents, en Île-de-France, en Bretagne et en Aquitaine.

La dernière édition du festival Pressing  ! a lieu en avril 2003.

Les difficultés financières de J.Presse sont alors importantes (notamment suite à une subvention publique promise pour l’organisation de Ta.Pages en 2002 et jamais versée). Peu après le festival, le conseil d’administration prend la décision de mettre J.Presse en cessation de paiement afin de protéger ses salariés, et la décision se poursuit par la liquidation judiciaire en juin 2003. Seule la collection de journaux est sauvée in extremis et entreposée au CLEMI. J.Presse, créée en 1981, employait six salariés et comptait deux cents adhérents et un réseau d’une cinquantaine de correspondants à sa fermeture.

dèrnière édition dePressing  !

avril 2003

Mise en liquidationjudiciaire de J.Presse

juin 2003

La Commission presse médias jeunes

En 2003, un petit groupe issu du réseau des correspondants et administrateurs de J.Presse se rapproche du Réseau national des Juniors Associations (RNJA) pour mettre sur pied un plan de relance. Ils signent une charte d’engagements réciproques avec Martine Gaudin, présidente du RNJA et secrétaire nationale de la Ligue de l’enseignement : « Le RNJA et les jeunes ont pour projet de travailler ensemble au soutien et au développement de la presse d’initiative jeune dans les collèges, les lycées et les quartiers. Ce projet se concrétisera par des actions menées en 2004, détaillées dans l’article 3, et par la création fin 2004 d’une association de presse jeune en pleine autonomie ». Se crée alors au RNJA la Commission presse médias jeunes (CMPJ), dotée d’une ligne de subvention exceptionnelle du ministère de l’Éducation nationale.

En décembre 2003, le CLEMI publie la première édition de la revue de presse des journaux scolaires et lycéens, en partenariat avec la Commission Presse Média Jeunes du RNJA. Cette revue de presse est réalisée à partir des journaux du dépôt pédagogique.

En février 2004, l’équipe de la CPMJ relance les travaux de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne. Tous les membres, sans exception, reviennent autour de la table. Après une nécessaire période de reprise de contact et de confiance, l’Observatoire, élargi au monde de

l’enseignement privé, se dote d’un texte-cadre, sorte de « profession de foi » rappelant ses missions et les grands principes de son action.

1ère édition de la revue de presse des

journaux scolaires et lycéens

décembre 2003

Création de la CPMJ

été 2003

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Entretien avec Nadia BellaouiNadia Bellaoui est secrétaire nationale de la Ligue de l'enseignement, chargée de la jeunesse et de la vie associative. De 2004 à 2011, elle a présidé le Réseau national des Juniors Associations (RNJA).

Vous avez connu la période transitoire entre J.Presse et Jets d’encre, quels en sont vos souvenirs ?J'ai rencontré J.Presse lorsque j’étais Déléguée générale d’Animafac au milieu des années 1990. J.Presse réalisait chaque année un « journal en direct  » de Campus en été, un événement organisé par Animafac. J’ai vu disparaître le festival Scoop en stock, puis J.Presse elle-même. La fin de J.Presse a été précipitée en 2003 par une subvention ministérielle qui n’a pas été versée. Le cabinet a proposé plus tard à la Ligue de l’enseignement une solution pour sauver le projet associatif de J.Presse. Il s'agissait de verser une subvention exceptionnelle au RNJA pour permettre de relancer une association nouvelle dans la continuité du projet de J.Presse. L’objectif de la Commission Presse Médias Jeunes du RJNA était alors de vérifier si le redémarrage d’une association était bien une demande des journaux jeunes – le public concerné – et si c’était crédible de la porter en association autonome. C’était heureux pour le RNJA d’accompagner le petit groupe de jeunes, puisqu'il est là pour donner sa chance aux jeunes qui s’organisent eux-mêmes. Ce que j’ai beaucoup aimé dans cette période, c’est l’effort très méthodique de ce groupe de jeunes pour poser les bases de quelque chose de transmissible. Au travers de l’attention à la façon dont ils prenaient des décisions, de la construction d’un manifeste, de l’université d’été Press’citron… La nouvelle association explicitait son objet, son périmètre, ses quelques principes fondamentaux ; c’était crédible.

Qu’est-ce que le RNJA a apporté à Jets d’encre ?La dimension associative, au sens du collectif qui dépasse le seul fait de faire un journal. Auparavant, l’identité c’était plutôt le fait d’être journaliste, il y a eu ensuite plus d’équilibre entre l’esprit d’entreprendre et l’esprit militant. L'échange a été assez réciproque : la participation de ce groupe de jeunes (qui n’était ni une Junior Association, ni une association membre) associés aux travaux du conseil d'administration et du bureau, a aidé le RNJA dans son approche de la place des jeunes au sein de sa structure nationale.

Quelle était la spécificité de la CPMJ, par rapport à un cadre classique d’association ou de Junior Association pour le RNJA ?Les grands mouvements d’éducation populaire – ces dinosaures ! – sont très habitués à traiter différemment un objet particulier, dans un cadre particulier. Le groupe de jeunes avait un projet autonome – la gestion du budget leur était confiée – et le RNJA agissait comme une pépinière. La possibilité de travailler ensemble existait et les jeunes étaient associés aux travaux du RNJA. La collaboration s’est très bien passée, même s'il y a eu parfois des incompréhensions fortes de la part des jeunes sur certains sujets.

Vous arrivez en 2004, moment où Jets d’encre prend son envol. De quoi vous souvenez-vous de cette période ?Je me souviens d’une belle promesse, celle d’une structure dirigée par des jeunes. Je trouvais indispensable que la Ligue de l’enseignement garde des liens avec Jets d'encre, indépendamment du RNJA, c’est pourquoi j’étais favorable à ce qu’on soit membre de son Comité des partenaires. Quelques années plus tard, nous avons passé une convention ensemble sur certains sujets. Je trouvais dommage par exemple qu’à la Ligue de l’enseignement on envisage les délégués de classe uniquement comme un public, c’était assez réducteur. C’est avec Jets d’encre qu’est né chez nous la dimension de citoyenneté et de démocratie lycéenne. J’ai toujours assumé que j’attendais des choses de Jets d’encre : on se tourne trop souvent vers les jeunes en se demandant ce qu’on peut leur apporter, mais eux peuvent aussi nous apporter beaucoup ! En retour, je pense que le compagnonnage avec la Ligue de l’enseignement au sein du RNJA a dû aider Jets d’encre dans sa pérennisation. Mais il est absolument indispensable de laisser leur indépendance à ces organisations, quitte à ce qu’elles disparaissent.

Jets d’encre a dix ans cette année. Quelles évolutions voyez-vous ? Mon inquiétude c’était de voir si Jets d'encre allait prendre comme réseau. Comme centre de ressources il n’y avait aucun doute, c’était très convaincant. Mais comme réseau de journaux jeunes, ce n’était pas évident. Aujourd’hui j’ai vraiment l’impression que Jets d’encre est repérée, que le message parle. Et Jets d’encre a réussi à être très percutante sur un certain nombre de sujets précis, comme l’animation de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne ou encore le travail qui a mené à la circulaire d’août 2010.

Un conseil pour les générations de bénévoles à venir ? Expliquer pourquoi, et pas seulement comment. Il ne faut pas seulement se transmettre les méthodes, mais aussi toujours revenir à la question du sens, pourquoi on le fait, qu’est-ce que ça signifie.

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La CMPJ organise en avril 2004 la première édition du festival Expresso, inspiré de « Pressing ! », à Villeurbanne. Le passage de témoin s’effectue entre la dernière équipe de J.Presse, présente parmi les bénévoles, et la future équipe de Jets d’encre. Un débat a lieu entre les participants sur la nécessité de relancer une association pour la promotion de la presse jeune et la défense de ses droits, gérée et animée par des représentants de journaux. Il est convenu de se retrouver pour un second temps de réflexion, en comité plus restreint.

Les prémices de Jets d’encre

Ce sera Press’citron, organisé en août 2004 sur le modèle de Press’tival, résolument tourné vers la création d’une nouvelle association. Trente-cinq participants sont là, issus de la CPMJ et de onze journaux qui avaient pris part au festival Expresso. Les actes de Press’citron font apparaître un premier organigramme, des fonctions, un premier plan d’action et de développement sommaire, les bases d’un manifeste… Un forum Internet est lancé entre les participants pour continuer à échanger, et trois d’entre eux sont mandatés par le groupe pour organiser l’assemblée générale constitutive.

Pendant la période septembre/octobre 2004, est ajouté au projet de statuts le « comité des partenaires », créé pour leur reconnaître une vraie place statutaire, mais distincte du conseil d’administration, et rassurer les contributeurs financiers du projet. Ce projet de « comité des partenaires » est élaboré avec l’aide bienveillante de Jacques Gonnet, jusqu’à son départ du CLEMI en octobre 2004, et Daniel Junqua, vice-président de Reporters sans frontières.

La 1ère édition de l'université d'été Press'citron, à Hourtin en août 2004

29 octobre 2004 : assemblée générale constitutive de l’association. Vingt-six personnes issues du groupe de travail de Press’citron forment les premiers membres et administrateurs de l’association, qui prend le nom de « Jets d’encre », triple référence à l’objet (l’encre pour symboliser l’activité du journalisme), à son dynamisme (choix du mot « jet » pour signifier le caractère très spontané de la presse jeune) et à la diversité de la presse jeune (l’utilisation du pluriel au mots « jets »). La charte des journalistes jeunes est annexée aux statuts comme boussole idéologique de l’association.

Sources : • L’expression lycéenne. Livre Blanc des journaux lycéens, Hachette/

CNDP, 1991. • Olivier Bourhis, « Aujourd’hui, un droit à défendre » in La presse

lycéenne, MédiaMorphoses n°13, INA, 2005.

Relance des travaux del'Observatoire des

pratiques de presse lycéenne

février 2004

1ère édition dufestival Expresso

avril 2004

1ère édition de l'université d'été

Press'citron

août 2004 29 octobre 2004

Assemblée généraleconstitutive de

Jets d'encre

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Les débuts de l'association : entretien avec les présidents fondateurs

Armand Gosme et Olivier Bourhis ont aujourd'hui 30 ans. Président et Vice-Président fondateurs de Jets d'encre, ils reviennent sur la création de l'association et ses débuts.

Ici, à l'assemblée générale de 2005.

Racontez-nous votre parcours depuis votre expérience de journaliste jeune.

Olivier : J’ai commencé en tant que journaliste lycéen au sein de L’Œil du Dragon à Lyon, dont je suis devenu rédacteur-en-chef après des soucis de censure rencontrés par la rédaction. L’ensemble de l’équipe ignorait ses droits et responsabilités. On a été accompagnés par J.Presse pour se doter d’une charte qui nous garantit le respect de nos droits. C’est ce qui m’a rapproché du projet associatif de J.Presse et j’en suis devenu « correspondant » pour la région Rhône-Alpes en 2001, ce qui m’a permis de collaborer à deux projets : l’organisation du festival Pressing ! sur la partie mobilisation des rédactions en 2002 et 2003, et l’organisation d’un concours de journaux au niveau régional.

Armand : Mon expérience de la presse jeune débute au lycée, où j’assiste par hasard à une réunion du foyer socio-éducatif lors de laquelle on fait le constat qu’il ne se passe rien au lycée. L’idée fait son chemin lors de discussions avec une amie, Alice, et nous lançons un journal, Le Postérieur. Le titre nous plaisait car il était mignon et vulgaire à la fois. Pour faire accepter la naissance d’un journal, nous mettons en place un système de relecture des articles par une enseignante. Ce système fonctionne pour deux ou trois numéros, puis en me renseignant sur nos droits, je tombe sur le site Internet de J.Presse et je me rends compte que nous n’avons pas besoin de relecture préalable pour exister. Il s’agissait alors de mon premier contact indirect avec J.Presse. Mon premier contact réel avec J.Presse était en 2001, quand nous avons remporté le prix Île-de-France du concours Scoop en Stock, avant d’intégrer une sorte de pré-réseau francilien appelé « les mercredis de J.Presse ». Nous n’y avons pas assisté plus d’une ou deux fois car nous y voyions alors peu d’intérêt. On a participé ensuite à Pressing ! au printemps 2003 parce que ça avait l’air cool et que ça nous permettait d’aller faire les cons un week-end à Rennes en faisant ce qu’on savait faire. C’est là que j'ai croisé Olivier pour la première fois, de qui je garde des souvenirs très nets : il photocopiait notre journal et gloussait à la lecture d’un de nos articles. À l’époque, nous

n'avons pas la moindre idée que l’association connaît des difficultés, je me dis que c’est une belle structure qui permet à des gens très différents de se rencontrer. Nous nous ressemblions dans notre énergie et notre volonté de faire quelque chose. Comme j’avais, comme tous les journalistes jeunes, une très haute estime de moi-même et de nous-mêmes, j’ai estimé que je devais m’investir dans l’aventure parce que j’avais des choses à y apporter... et trois semaines plus tard, j'apprenais que la structure périclitait. Je n’étais alors pas assez investi pour me lancer dans son sauvetage. Quelques mois passent et je reçois un mail en décembre 2003 qui annonce un nouvel événement à Villeurbanne en 2004 : le premier festival Expresso.

Que s'est-il passé entre la fin de J.Presse et le début de Jets d'encre ?

Olivier : À l’été 2003, nous sommes plusieurs à nous dire qu’il est dommage de terminer l’aventure sur cette décision, qu’il existe une demande pour une association représentative de la presse jeune et qu’il faut qu’on vérifie cette intuition. Cette question devenait entêtante. À cinq ou six, nous donnons suite à la proposition du Réseau national des Juniors Associations d’héberger un groupe de travail, pour se laisser le temps de tester la validité du projet, et réunir les conditions de création d’une nouvelle association autonome. Le projet tenait en trois points : relancer l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne (initié par J.Presse en 1998) et créer un cercle de confiance autour du projet, organiser un évènement mobilisateur pour vérifier la motivation des journalistes jeunes, enfin redéfinir ensemble un nouveau projet associatif en se réappropriant et en transmettant l’héritage militant de J.Presse.On a commencé à préparer l’organisation d’un nouveau festival. Le RNJA avait recruté un chargé de mission pour les besoins du projet baptisé Commission Presse Médias Jeunes (on n’avait pas choisi le nom !). Début 2004, nous avons fait un recensement des rédactions jeunes actives, à partir des anciens fichiers de participants d’évènements de J.Presse. On partait de rien, on n’avait même pas le guide d’organisation de Pressing !. On a reproduit ce dont on se souvenait et on a inventé le reste avec l’appui du RNJA.La première équipe de ce qui allait devenir Jets d’encre était constituée à 10% d’anciens de J.Presse et à 90% de participants à Expresso en 2004, pendant lequel nous avions organisé un débat sur les besoins de la presse jeune. C’est à eux qu’on a proposé de rester en contact, pour faire quelque chose qui restait encore à construire et qui a mobilisé trente festivaliers motivés pour un temps d’approfondissement : la première édition de Press’citron. À la clôture de cet événement, on a demandé à des volontaires de travailler à la finalisation de la rédaction des statuts et la négociation avec les premiers partenaires associatifs. Armand faisait partie de ce groupe.

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Il y a donc quatre moments fondateurs de Jets d’encre : d’abord le festival Expresso où on vérifie qu’il y a une demande ; ensuite Press’citron où on travaille concrètement sur un projet ; puis une réunion avec la Ligue de l’enseignement, le CLEMI, l’Anacej, la Ligue des droits de l’homme, Reporters sans frontières… qui préfigurait le comité des partenaires de Jets d’encre, avec pour but de discuter des conclusions de Press’citron et de poser la place de chacun autour du projet. Enfin, l’AG constitutive, en octobre 2004. Ces moments ont tous apporté une brique à la construction de Jets d’encre.

Armand : Après Expresso, mon intérêt retombe. Je ne participe pas au débat sur l’organisation d’une association. J’identifie moins bien la Commission Presse Médias Jeunes, je me dis qu’il n’y a pas grand-chose à y faire, même si l'envie est toujours là. Puis je reçois un mail m’annonçant la structuration du mouvement de la presse jeune et m’invitant à y prendre part. J'en discute avec mon amie Alice : est-ce que le sujet nous intéresse suffisamment pour qu'on s’investisse au-delà de notre journal ? Alice m’incite à m’investir dans l’aventure de Press’citron. On y est allés, on y a croisé Frank, Naïké... On était critiques et méchants, on a décidé de sortir un journal sauvage pendant la nuit, qu'on avait appelé Le Poil de Cul. Lors d'une discussion sur l’avenir de la structure, Olivier posait alors la question de savoir pourquoi il était important qu’il y ait principalement, sinon exclusivement, des journalistes jeunes dans le conseil d’administration d’une association représentative de la presse jeune, et là, je ne sais plus qui de Alice ou de moi a répondu simplement « parce que la presse jeune, c’est nous ». C’est à ce moment-là que j'ai trouvé le projet intéressant. Je me suis alors porté volontaire pour suivre le projet au sein du groupe restreint.Une première réunion est organisée avec l’ensemble des partenaires. La nature même de l’association et le turn-over des bénévoles ont fait qu’à certains moments le comité des partenaires a été très important et d’autres moins. C’est nécessaire de le préserver, même si son rôle a évolué ou évoluera.

Olivier : Les espaces de dialogue, comme le Comité des partenaires ou l’Observatoire, nous crédibilisaient et faisaient que l’on était écouté.

Armand : Dans un conseil d’administration composé uniquement de jeunes qui ont tenu un journal jeune, il y a une sorte d’alchimie qui fait que ça fonctionne et, de fait, ça a toujours fonctionné. Avec des hauts et des bas, mais ça a toujours fonctionné. C’est grâce à cette « petite élite », des gens qui ont réfléchi à ce que c’était qu’un espace collectif, ce que voulait dire s’engager personnellement dans cet espace collectif quand ils avaient 14 ou 15 ans, qui, à 18 ou 20 ans, étaient parfaitement disposés à devenir administrateurs d’une association nationale. L’Observatoire et les relations avec les partenaires ont

permis de commencer à travailler très rapidement. Mais ce qui tient vraiment, ce sont les dispositions des bénévoles.

Comment s’est déroulée l’assemblée générale constitutive ?

Armand : Je garde deux souvenirs : celui de l’élection – où par hasard, après un échange de regards avec Frank, je me suis porté candidat – et celui d’un débat sur le rôle et le statut à donner à Olivier. Tout le monde était parfaitement conscient qu’il était maître de la situation, mais on avait bien compris aussi qu’il était important de créer quelque chose de nouveau. Dix ans après on peut le dire, Olivier aurait pu à ce moment-là devenir président de Jets d’encre. Le compromis le plus naturellement trouvé a été que je devienne président et qu’Olivier devienne vice-président pour transmettre son expérience.

Olivier : Je me rappelle que lorsque je suis parti de mon poste de vice-président un an après, puisque ça faisait partie du contrat passé avec l’équipe lors de l’AG constitutive, tu m’as écrit une carte en me disant qu’il allait manquer du « vice » dans vos réunions.On arrive sur une AG constitutive pas évidente parce que tout le monde est extrêmement passionné. Moi, je me retrouve coincé entre plusieurs positions : tout le monde me voit prendre la présidence parce que j’étais un peu le fil rouge. En même temps, ça faisait longtemps que j’étais dans ce projet-là, depuis 1998, en comptant L’Œil du Dragon. Je voulais passer la main. Il fallait rendre visible une transmission réussie et je pensais que pour l’incarner, il fallait « changer de tête ». Armand est revenu vers moi en me proposant le deal d’un ticket avec lui : rester un an pour former et assurer une transition. Cette situation de compromis m’allait très bien. En août 2005, je quittais le CA et l’association n’avait plus de liens avec les « anciens de J.Presse » : la boucle était bouclée en quelque sorte.

Si vous deviez résumer votre expérience à Jets d’encre en trois mots ?

Olivier : Des nuits blanches (et pas que pour Expresso), de profondes réflexions militantes, et de vraies amitiés.

Armand : C'était bien. Et le postulat de départ tient toujours. On avait une idée un peu fofolle quand on avait vingt ans et on avait raison parce que ça tiendra. Je suis persuadé que ça tiendra, qu’il y aura des moments très bas et des moments très hauts, mais ça tiendra. J’en suis intimement convaincu. Le fond de l’affaire, une structure pour représenter et fédérer la presse jeune, représentée par des journalistes jeunes, ça tiendra toujours. Je suis fasciné aujourd’hui de voir qu’il y a une forme d’autodiscipline qui fait que le truc tient. Que vous avez pris, que vous avez façonné, que vous repasserez à d’autres.

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DIX ANS D'ACTIONPOUR LAPRESSE JEUNE

DE L'ASSOCIATION 2004 - 2006 : LES FONDAMENTAUX

2004 - 2005 : les premiers pas

L’équipe nouvellement élue commence à affiner le projet associatif : la rédaction d’un manifeste, la recherche d’un local, de subventions, etc. Jets d’encre emménage dans les locaux du Théâtre de la Reine Blanche au 2bis, passage Ruelle (Paris, XVIIIème) en janvier 2005. Elle embauche en février son premier permanent, ex-chargé de mission auprès de la Commission presse médias jeunes du RNJA, et ouvre son site Internet peu après.

L’association adopte un système d’ « administrateurs-référents » d’un dossier ou d’un projet, ainsi que la rédaction de « lettres d’engagement » des administrateurs en début de mandat. Ainsi, son conseil d’administration est à la fois opérationnel et décisionnaire, composé de bénévoles actifs sur le terrain via le pilotage de projets et responsables des orientations stratégiques de l’association.

L'association essuie un premier échec avec l’organisation du festival Expresso en avril 2005, suite à l'abandon de la ville censée accueillir l'événement, quelques semaines avant la date prévue.

Du printemps à l’automne, Jets d’encre se réapproprie l’héritage de J.Presse, travaille à la refonte d’une partie de ses statuts et se lance dans la rédaction collective d’un manifeste à partir des débats du conseil d’administration, de l’assemblée générale et des actes de la première édition de Press’citron. Le premier « plan d’action et de développement » de l’association voit le jour à l’été 2005, orienté autour de deux axes : l’animation et l’extension du réseau et la structuration de l’association. La première assemblée générale ordinaire a lieu fin août 2005.

Jets d’encre devient membre du RNJA au printemps 2005, et brigue le secrétariat général en septembre 2007. Depuis, elle occupe toujours ce poste.

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2005 - 2006

L’activité de l’association se resserre autour de la mise en place du festival Expresso puis de Press’citron en 2006, qui deviendront les deux références événementielles annuelles de l’association. En 2006, le festival Expresso est organisé pour la première fois à Paris grâce au soutien de la Mairie.

Avec l’aide d'un nouveau Délégué national à la Vie lycéenne, nommé en 2003, Jets d’encre organise en février 2006 une conférence de presse lycéenne avec le ministre de l’Éducation nationale Gilles de Robien. Des journaux lycéens de la France entière sont invités à questionner le ministre sur ses annonces : il s'agit d'une reconnaissance forte de la presse lycéenne.

À l’issue de cet événement, l’association (re)lance publiquement la Carte de presse jeune.

> Et l’Observatoire ?

Installée comme « secrétaire » permanent de l’Observatoire depuis sa relance, Jets d’encre en crée le site Internet entre octobre et décembre 2004 et travaille à la finalisation de la brochure explicative sur le droit de publication lycéen, restée à l’état de projet en 2002. Celle-ci est publiée en mars 2005 pour la 16ème Semaine de la presse et des médias à l’école.

C’est le point de départ d’une nouvelle phase réflexive sur la presse lycéenne, axée sur les zones d’ombre de la circulaire de 1991-2002 et, plus généralement, de l’intérêt et des difficultés d’une pratique de presse en amateur au lycée. Le groupe de réflexion se stabilise d’année en année, et trouve peu à peu un bon climat de travail.

2006 - 2007

Pendant l’année 2006-2007, un concours national de journaux scolaires est créé par la Fondation Varenne et le CLEMI, dont Jets d’encre est partenaire. Au vu de son implication, l’association est reconnue coorganisatrice l’année suivante. Jets d’encre met en place une mission de Service civil volontaire sur ce projet à partir de l’année 2009-2010, notamment pour animer le réseau des bénévoles engagés sur ce projet en académies et au national.

Cette année-là, Jets d’encre collabore avec l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (Anacej) sur un guide « Les jeunes font leur presse – Lancer un journal dans sa ville ou son quartier » destiné aux jeunes et aux accompagnateurs, publié à l'occasion du Salon de l'Education.

Emménagement au2bis passage Ruelle,

Paris XVIIIe

janvier 2005

Premier « plan d’action et de développement »

été 2005

Conférence de presse lycéenneavec le ministre de

l'Éducation nationale

février 2004

2ème édition dufestival Expresso

23 et 24 avril 2006

Publication d'un guide pour les journaux de quartier et de ville

avec l'Anacej

novembre 2006

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2007 - 2008

Lors de l’assemblée générale d’août 2007, un nouveau plan de développement biannuel est élaboré, volontairement très ambitieux : il s’agit de ne se fermer aucune porte, après une période difficile sur les plans internes et externes. Après son renouvellement en août 2007, le conseil d’administration cesse d’être presque exclusivement francilien : Jets d’encre affirme son caractère national.

En 2007 sont lancés officiellement les Rézos, initialement au nombre de quatre : en Rhône-Alpes, dans le Nord, en Bretagne et en Île-de-France (sur la base du « pôle francilien », actif dès la création de l’association). La Bretagne et le Nord sont vite abandonnés faute de moyens humains. Le Rézo Rhône-Alpes se développe très fortement et le Rézo Île-de-France vivote jusqu’en 2009 où il sera enfin porté pleinement par un bénévole. Le lancement des « Rézos » répond à deux volontés :

• rapprocher les rédactions jeunes entre elles et leur permettre de monter des projets locaux à leur échelle (quelques années plus tard seront organisés des « journaux inter-rédactions », réalisés en une journée dans les locaux de Jets d’encre) ;

• désenclaver l’association et lui donner une véritable assise nationale.

2007 voit également naître le projet d’une campagne d’incitation à la création de journaux qui s’appuierait sur un kit téléchargeable en ligne, des guides thématiques d’autoformation et une campagne d’affichage. Les trois projets seront réalisés les uns après les autres jusqu’en 2013.

À l’occasion du 10ème anniversaire de la ratification par la France de la Convention internationale des droits de l’enfant, la Défenseure des enfants organise la consultation nationale « Parole aux jeunes ». Jets d’encre réalise dix « journaux en direct » au cours des dix forums thématiques de cette consultation qui ont lieu partout en France. L’association parvient ainsi à mettre en avant sa capacité de mobilisation d’un réseau de journalistes jeunes.

Pendant la campagne présidentielle de 2007, Jets d'encre s'associe avec le CLEMI, Phosphore et Le Mouv' pour animer un blog d'expression lycéenne : tous les journalistes jeunes sont invités à faire entendre leur voix, même si peu d'entre eux peuvent voter.

2008 - 2009

En 2008, le Kit Créer un journal est lancé, reprenant un des classiques de J.Presse. Le projet initial prévoit la réalisation de guides de formation pour approfondir les éléments du kit ; ils ne seront mis en chantier et publiés que quelques années plus tard. Le document est décliné en Kit Créer son journal lycéen, réalisé avec le nouveau Délégué national à la Vie lycéenne, et lancé en novembre 2009.

L’association expérimente des formations auprès d’élus lycéens dans l’académie de Lyon, profitant du dynamisme du Rézo local. Ces formations rencontre un vif succès, et Jets d'encre poursuit cette activité auprès des élus lycéens et de leurs accompagnateurs dans une dizaine d'académies.

DE L'ASSOCIATION 2007 - 2010 : LE DÉVELOPPEMENT

Jets d'encre entre auConseil national

de la vie associative

2007

Lancement des Rézos en Rhône-Alpes, Bretagne

Île-de-France et NordPublication du Kit

« Créer un journal »

2008

Dix ans d'action pour la presse jeune

Jets d'encre rejoint le collectifStop aux clichés sur les jeunes

dans les médias

2007 2007

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Au tournant 2008-2009, l’association accueille un premier bénévole engagé en Service civil volontaire (dispositif qui a précédé le Service civique). Depuis, elle en accueille deux à quatre par année d’activité.

2009 marque aussi la refonte de l’identité graphique de l’association :

2009 - 2010

Jets d’encre s’approprie le thème de la réforme du lycée, lancée fin 2009 par le gouvernement. Une consultation est lancée dans les deux Rézos, auprès des membres de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne, au sein du conseil d’administration et un rapport de constats-propositions est présenté au ministère de l’Éducation nationale.

2010 - 2011

Jets d’encre voit son action reconnue à travers les agréments ministériels « Jeunesse et éducation populaire » en juin 2010 et « Association complémentaire de l’enseignement public » en juin 2011.

Après plusieurs années de rapprochement avec la délégation nationale à la Vie lycéenne au sein du ministère, dont le périmètre s’est étendu, cet investissement permet à l’association de peser sur la rédaction de la circulaire « Responsabilité et engagement des lycéens12 » publiée en août 2010. Elle réaffirme les droits donnés aux lycéens notamment en matière de liberté de publication, fait la promotion du Kit Créer son journal lycéen et reconnaît l’Observatoire comme instance de médiation.

12 - Circulaire n°2010-129 du 24 août 2010 (extraits) - B.O.E.N. du 26 août 2010.

Changement d'identité graphique

et de logo

2009

Rapport de constats et propositions auprès

du ministère de l'Education nationale

2009

L'association est agréée« Jeunesse et

éducation populaire »

2010

L'association est agréée« Association

complémentaire del'enseignement public »

2011

Nouvelle circulaire « Responsabilité et engagement

des lycéens »

2010

Forum des journaux lycéens

20 piges !

mars 2011

Enquête de l'Observatoire

des pratiques de presse lycéenne

mars 2011

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Rencontre du Rézo Île-de-France avec Charb et Patrick Pelloux, du journal Charlie Hebdo, dans le grenier de l'association - février 2010

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À l’occasion de cet anniversaire, l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne décide d’engager en janvier 2011 une consultation auprès des 240 rédactions lycéennes identifiées dans le cadre du «  dépôt pédagogique » de ces publications, géré par le CLEMI. Les données collectées permettent d’actualiser les résultats de l’enquête précédente de l’Observatoire, réalisée en 2007. A l’issue de l’analyse des résultats, les membres de l’Observatoire adoptent quelques recommandations destinées à améliorer le cadre d’existence des journaux lycéens. Les résultats de l’enquête ainsi qu’un appel «  Un journal lycéen dans chaque établissement, c’est l’affaire de tous !14 » sont rendus publics lors du forum 20 piges ! en mars 2011.

Fin 2011, l'équipe de Jets d'encre s'atelle à la finalisation de guides d'autoformation, qui consiste au dernier volet de la campagne d'incitation à la création de journaux élaborée en 2007. Une collection de six guides thématiques, publiée entre 2012 et 2013. Elle développe les questions essentielles qui se posent à ceux qui veulent se lancer dans l'aventure d'un journal.

14 - L’analyse et les conclusions de l’enquête sont disponibles sur www.obs-presse-lyceenne.org/ressources-enquete.

2011 : La campagne des « 20 ans »

En 2011, Jets d’encre lance une campagne d’opinion et d’information à l’occasion du 20ème anniversaire de la reconnaissance du droit de publication lycéen. Cette campagne s'appuie sur :

• un nouveau portail d’informations sur Internet (le site www.creerunjournallyceen.fr) ;

• une campagne d’affichage dans tous les lycées de France (campagne imaginée en 2007, réalisée en janvier 2012 en clôture de l’année anniversaire) ;

• l'élargissement des formations et interventions auprès des élus lycéens (dans dix académies) ;

• l'organisation d’un forum de journaux lycéens 20 piges !, dans la tradition de J.Presse, en présence du ministre de l’Éducation nationale Luc Châtel. En clin d’œil au forum de journaux lycéens Ta.Pages, la table-ronde d’ouverture s’intitule « Faut-il (encore) avoir peur de la presse lycéenne ? »13.

13 - Lire les Actes du forum 20 piges ! sur www.creerunjournallyceen.fr/campagne-20piges.html.

AUX « 10 ANS » 2011 - 2014 : DES « 20 ANS »

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Table-ronde d'ouverture du forum de journaux lycéens 20 piges ! : « Faut-il (encore) avoir peur des journaux lycéens ? »

Dix ans d'action pour la presse jeune

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2012 : Un nouveau rendez-vous événementiel

L’équipe de Jets d’encre lance en mars 2012 les Rencontres régionales des journalistes jeunes à Paris, suite au succès de 20 piges !. Ce nouvel événement veut répondre à la demande de formation toujours pressante des journalistes jeunes et faire réfléchir les participants à leurs propres pratiques sur un fond de militantisme.Tout au long de la campagne présidentielle, Jets d'encre anime avec Animafac et L'Étudiant, le blog « 2012 est à vous ! Les jeunes bloguent la présidentielle » pour encourager les jeunes à s'exprimer.

2012 - 2013 : De nouvelles contributions

Au début de l’été 2012, le ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon lance une consultation sur la « Refondation de l’Ecole », en prévision d'une nouvelle loi d’orientation sur l’éducation. Les syndicats de l’enseignement et les associations sont invités à y répondre ; Jets d’encre actualise pour l’occasion son dossier « réforme du lycée » de 2009 et transmet de nouvelles propositions au ministère, sur lesquelles elle sera auditionnée par la commission parlementaire chargée de préparer « L’acte II de la Vie lycéenne ».L’association adresse également en décembre 2013 une contribution au groupe de travail De nouveaux droits pour les enfants dans le cadre de la préparation du projet de loi sur la famille. La contribution tient en une proposition simple : permettre aux mineurs d'assumer la responsabilité d'un journal, quelque soit son cadre de publication, en modifiant la loi de 1881 sur la liberté de la presse15.

15 - Pour plus d'informations, voir le chapitre « Et maintenant ? », objectif n°9 p.80

2014 : 10 ans !

L’association se tourne vers la célébration de son dixième anniversaire. Elle publie notamment un kit pour débattre de la liberté d’expression, dans son quartier, son conseil de jeunes, sa MJC ou encore son établissement scolaire. Le but de ce kit « incubateur » de débats est de valoriser l’engagement et la parole des jeunes au sein d’une communauté, et mettre en avant la presse jeune comme véritable acteur du débat et de l’espace public.

Suite à l’arrêt du Prix Varenne des journaux scolaires et lycéens, Jets d’encre lance en novembre 2013 un nouveau concours national ouvert aux journaux collégiens, lycéens et

étudiants, mais aussi aux journaux de quartier et de ville. La première édition de Kaléïdo’scoop est un succès, avec 254 participants représentatifs de la diversité de la presse jeune.

Pour fêter cet anniversaire avec ses adhérents, l’association organise la même année deux éditions des Rencontres régionales des journalistes jeunes : à Lyon en février, puis à Paris en avril. Au total, ce sont près de 150 journalistes jeunes qui viennent débattre de leur déontologie et participer à des ateliers de formation.

Jets d’encre organise enfin en mai 2014 la 10ème édition du festival Expresso, à La Courneuve : 40 bénévoles et 230 journalistes jeunes sont présents pour souffler les bougies du festival et de l'association.

1ère édition desR2J2 à Paris

mars 2012

Déménagement au 39, rue des Cascades

Paris XXème

novembre 2012

Jets d'encre rejoint le Forum français

de la jeunesse

septembre 2013

1ère édition du concours

Kaléïdo'scoop

2014

10 ans !

29 octobre

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18 Volontaires en Service civique accueillis depuis 2009

150 réunions statutaires (Conseil d’administration, Bureau, Assemblée générale...)

800 décisions prises à la suite de discussions collectives, productives et intelligentes (la plupart du temps).

77 administrateurs bénévoles entre 16 et 25 ans

500 journaux identifiés chaque année

UNE ASSOCIATION NATIONALEde jeunes dirigée par des jeunes

CARTOGRAPHIE de la presse jeune sur www.jetsdencre.asso.fr/cartographie

Rézo Île-de-France

Rézo Rhône-Alpes4 éditionsÎle-de-FranceRhône-Alpes

221 participantsdébats, échanges, formations

Rézo BZH[coming soon]des formations

75 journaux en direct réalisés pour couvrir les événements de 19 orgnisations

... et en ligne !

www.jetsdencre.asso.frwww.creerunjournallyceen.frwww.obs-presse-lyceenne.org

des kits et des guides

42 filles35 garçons

1 festival national

139 bénévoles organisateurs2 660 journalistes jeunes participants

10 éditions10 nuits blanches

7 187 tasses de café

... et des concours académiques avec le CLEMI à Créteil, Paris, Poitiers, Limoges, Lyon, Rennes, Toulouse, Aix-Marseille, Lille, Bordeaux, Orléans-Tours, Grenoble,...

600 Cartes de presse jeunedélivrées chaque année

1 concoursnational

1 code de déontologie : la Charte des journalistes jeunes

Dix ans d'action pour la presse jeune

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Entretien avec Daniel JunquaDaniel Junqua est journaliste et milite à Reporters sans frontières depuis vingt-cinq ans, il en a été le vice-président de 2003 à 2013. Il a beaucoup aidé au développement de Jets d’encre, dont il est aujourd'hui membre d’honneur.

Comment Reporters sans frontières en est venu à s’intéresser à la presse jeune ?En 1999, le CLEMI a proposé à RSF de faire partie de son comité d’orientation. Il était intéressé par le fait qu’à travers la défense de la liberté de la presse, on traitait à la fois du journalisme et des droits de l’Homme. A l’époque j’étais membre du conseil d’administration de RSF et j’ai rejoint cette instance, pas tout à fait par hasard : je m’intéressais depuis longtemps à l’utilisation de la presse à l’école et à la presse lycéenne. J’avais fait partie d’un mouvement pour la création de l’Association Presse Information Jeunesse (APIJ) avec d’autres journalistes car j’ai toujours pensé que le métier de journalisme comportait une part de pédagogie. Beaucoup de journalistes retiennent essentiellement la question de leurs droits, mais les devoirs sont nombreux : c’est une mission sociale qui nous est confiée, une lourde responsabilité. Nous devons rendre des comptes, expliquer comment on fait les choses et surtout aux jeunes.Dans le même temps, je me suis intéressé à J.Presse. Dans cette politique en direction de la jeunesse, je trouvais essentiel qu’on se rapproche de cette association ; mais celle-ci était en crise et a disparu très vite. J’ai fait partie de ceux qui regrettaient vraiment cette disparition car J.Presse avait toute sa raison d’être, c’était une perte irremplaçable. Lorsque Jets d’encre s’est constituée, mon réflexe a été de soutenir l’association dès le début. Il fallait montrer que le projet était important : d’abord vis-à-vis des jeunes qui pouvaient vite se décourager face à l’ampleur de la tâche, mais aussi vis-à-vis de l’extérieur. Si dès le début des organisations les prenaient au sérieux et s’impliquaient pour soutenir leur démarche, c’était de nature à les conforter et à crédibiliser leur projet auprès des autres.

Comment s’est manifesté le soutien de Reporters sans frontières ?Il s’est concrétisé d’abord sur le festival Expresso. Jets d’encre nous a proposé de faire une épreuve spéciale avec un prix RSF. Nous avons organisé chaque année une conférence pendant le festival pour traiter des pratiques des journalistes, de leurs responsabilités, de déontologie. On a ensuite travaillé ensemble dans le cadre de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne

que j’ai rejoint au nom de RSF au moment de la relance du projet. C’était très intéressant parce que RSF apportait une voix de journalistes professionnels au sein d’un milieu scolaire. On était là pour rappeler que le journal n’est pas qu’un outil pédagogique mais qu’il est d’abord un moyen d’information – d’ailleurs pour qu’il soit un outil pédagogique efficace, il faut que ce soit un vrai journal, qu’on ne soit pas frileux d’aborder certains sujets sinon ça reste un exercice. Je défendais cette ligne tout en comprenant la vision de l’institution scolaire, ses limites, ses craintes. Il y a un véritable lien entre le journalisme et l’école. La presse, c’est la formation permanente du citoyen après l’école : si on veut continuer à réfléchir, à apprendre, il faut des médias.RSF a aussi trouvé une autre dimension de son rôle en intervenant dans des conflits au sein des établissements scolaires, au nom de l’Observatoire. On venait donner notre lecture du conflit, rappeler les principes et les droits des lycéens, chercher la conciliation pour faire avancer les choses. Venant d’un organisme extérieur crédible, c’est plutôt efficace vis-à-vis des enseignants qui ont aussi besoin de formation sur ces questions. Jets d’encre nous a ensuite proposé d’intégrer son Comité des partenaires. On est parfois venu en aide à l’association à des moments difficiles. Pour moi, aider Jets d’encre participe à la défense de la liberté de la presse et donc à la raison d’être de RSF. Puisque Jets d’encre mène le même combat et incarne la liberté de la presse dans les établissements scolaires notamment.

Quels souvenirs gardez-vous de ces dix ans ?J’ai toujours aimé l’ambiance d’Expresso. Il y a une vie sympathique qui s’y déroule. Au fil des années on retrouve des anciens (même si ce sont des anciens très jeunes !). Ca m’a donné beaucoup, même affectivement : il y avait une sympathie, une connivence, une gentillesse. J’étais considéré un peu comme un parrain. J'ai aussi beaucoup aimé l’Observatoire. C’est un lieu avec une ambiance de qualité, des gens très bien disposés. Chacun fait des efforts pour essayer de comprendre et de rejoindre l’autre : les représentants de l’école publique et de l’école privée, les chefs d’établissement, les parents d’élèves, les élèves… Ce n’est pas tellement courant. L’Observatoire est un apprentissage pour tout le monde de la démocratie et du dialogue. C’est un lieu où on apprend à s’écouter, à travailler ensemble.

Un conseil aux futurs bénévoles de Jets d’encre ?Être persévérant. Savoir écouter, tenir compte de ce que pensent les autres. Mais pas au point de devoir céder sur l’essentiel, jamais. Ne pas céder sur la liberté d’expression, la liberté de critique. Si vous cédez sur ça, vous êtes foutus.

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COMMENT VALA PRESSE JEUNEAUJOURD'HUI ?

Internet est très présent dans la vie quotidienne des jeunes, notamment dans leur rapport à l’information et à la communication. Il donne de nouvelles manières de s’exprimer et d’échanger. Pour autant, il serait faux d’y voir un monopole en ce qui concerne l’expression des jeunes. Contrairement aux idées reçues, les journaux jeunes « papier » existent toujours, ils sont même majoritaires. Les journaux « en ligne » commencent à se développer mais restent encore marginaux.

> Ne pas confondre

Internet permet à ses usagers d’être récepteurs et émetteurs de contenu. Les réseaux sociaux en sont la parfaite illustration et sont d’ailleurs massivement investis par les jeunes qui trouvent une manière simple de communiquer entre eux. Internet, vecteur de communication, peut être ainsi qualifié de « média », au sens étymologique du terme. Les médias traditionnels se font les relais de ces nouvelles pratiques, dont ils pointent souvent les risques de dérives : on ne compte plus les reportages sur les « dangers » qu’Internet ferait peser sur les jeunes. Les amalgames sont donc nombreux quand on parle d’expression des jeunes : les blogs, les comptes sur les réseaux sociaux sont devenus les principales références en la matière. Cependant, il ne faut pas les confondre avec l’expression médiatique des jeunes. Un journal jeune « en ligne » est un espace d’expression sur Internet qui s’inscrit dans une démarche journalistique. Il est le fruit d’une réflexion collective sur une ligne éditoriale, véritable reflet de l’identité des jeunes impliqués dans le projet.

> Une dimension collective moins présente

Une autre raison du faible engouement des jeunes pour le support « en ligne » réside dans la moindre dimension collective. En effet, l'utilisation d'Internet est d'abord individuelle. Les jeunes s’y retrouvent pour échanger, partager des informations, jouer ou discuter. Dans le cadre d’une rédaction, le collectif n'apparaît qu'en une somme d'individualités, puisqu'il n'est plus nécessaire de se retrouver physiquement pour

À L'HEURE D'INTERNET LA PRESSE D'INITIATIVE JEUNE

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avancer et construire le journal en ligne. Le journal papier se différencie alors essentiellement par son espace de diffusion plus restreint. L'objet physique que représente le journal papier est un « outil social » : il permet l'échange direct, le contact avec le lecteur. La notion de frontière physique est centrale dans la différenciation entre Internet et le journal papier : ce dernier reflète l’esprit d’un lieu et des jeunes qui le fréquentent, il leur permet d’occuper physiquement l’espace public.

> Le papier, plus libre que le Net ?

Si les journaux « en ligne » commencent à se développer, les journaux lycéens restent très attachés au support papier qui leur garantit davantage de liberté d’expression. En effet, les lycéens, mêmes mineurs, peuvent assumer la direction de publication d’un journal depuis 1991, sous condition que le journal ne soit diffusé que dans l’enceinte de l’établissement, pas dans l’espace public. De fait, les journaux « en ligne » ne peuvent pas bénéficier du cadre de liberté des journaux lycéens : un site Internet est immatériel, accessible par tous les internautes, et ne peut donc pas être « interne à un établissement scolaire ». Voilà pourquoi les lycéens ont plutôt intérêt à réaliser un journal papier qu’un site Internet : leur liberté d’expression est mieux protégée. Il reste encore beaucoup à faire pour garantir une égalité de droit d’expression entre les jeunes, quels que soient les supports et les cadres de publication choisis.

> Un outil complémentaire

Les journaux « en ligne » se développent particulièrement chez les étudiants. Internet leur permet d’élaborer des projets plus ambitieux, du journal inter-facs à la publication nationale, voire internationale – qui restent minoritaires. Internet est utilisé par la majorité des journaux jeunes comme support complémentaire : un compte du journal sur un réseau social pour informer les lecteurs sur la date et le lieu de distribution du prochain numéro, un blog pour diffuser des articles non-publiés sur le support papier ou encore pour conserver les archives numériques du journal.

Le « papier » reste ancré dans les mœurs et n’est pas prêt de disparaître. Mais quel qu’en soit le support, « papier » ou « en ligne », une chose réunit les deux types de journaux : ils sont tous l’objet d’une fierté collective partagée par tous les rédacteurs.

La censure reste encore aujourd'hui un frein à la libre expression des jeunes dans leurs journaux. Elle peut prendre différentes formes et n'est pas toujours identifiée par la rédaction ou même par celui qui en use. Quelle est son ampleur ? Comment la reconnaître ? Ce chapitre s'appuie sur les travaux de recherche de Marie Camier, bénévole à Jets d'encre entre 2009 et 2013, qui a écrit un mémoire sur La censure dans les journaux lycéens, dans le cadre de son Master I d'Information-communication à l'université Sorbonne-Nouvelle - Paris III.

De quoi parle-t-on ?

Francis Balle, directeur de l’Institut de recherche et d’études sur la communication, définit la censure comme l’« opération consistant à supprimer, avant sa publication, dans un livre ou un journal, une opinion, une idée, de la relation d’un événement ou de la relation d’un fait16 ». Thomas Rogé, ancien Délégué national à la vie lycéenne et militant pour la presse d’initiative jeune, différencie la censure en amont du contrôle a posteriori : « La censure serait, par exemple, de se faire voir imposer une relecture préalable du contenu du journal par un adulte de l’établissement et que celui-ci interdise la publication de tout ou même d’une partie, de ce contenu17  ». Jean-Jacques Pauvert offre une interprétation plus large du phénomène, qu’il résume comme « le fait de condamner, interdire totalement ou partiellement, d’une manière ou d’une autre et pour un motif ou pour un autre, publications, émissions, films, indifféremment après ou avant l’accomplissement de l’acte jugé comme censurable18 ».

16 - Francis Balle, Lexique d’information-communication, Dalloz, 2006.

17 - Thomas Rogé, La presse lycéenne, droits et devoirs, SCEREN CRDP, Académie de Grenoble, 2006 (Collection Vie Scolaire).

18 - Jean-Jacques Pauvert, Nouveaux (et moins nouveaux) visages de la censure, Les Belles Lettres, Paris, 1994.

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La presse d’initiative jeune est traversée par cette question de la censure, tant ses relations avec les adultes, notamment dans le cadre scolaire, peuvent être problématiques et nouées d’enjeux importants. Pourtant, à l’exception de l’ouvrage de Thomas Rogé, très peu d’auteurs semblent avoir écrit sur les droits des lycéens et aucun ouvrage n’est consacré à la censure dans la presse jeune, comme si les événements internes aux établissements scolaires notamment, n’en sortaient pas ou n’intéressaient pas. Le terme de « censure » peut paraître fort et peu d'adultes reconnaissent l’avoir pratiquée ; certains lui préfèrent à cet égard la notion de « contrôle ». Il n’en demeure pas moins que la liberté d’expression étant acquise sur le plan juridique pour les jeunes, le fait de l’empêcher ou de tenter de la contrôler par divers moyens relève d’une atteinte à cette liberté individuelle et collective, justifiant l’usage du mot.

> Et dans la presse lycéenne ?

Malgré un cadre juridique encourageant et protecteur dans les lycées, les atteintes au droit d’expression des mineurs sont encore nombreuses et la formation des journalistes jeunes, qui serait un moyen de réponse à ce phénomène, est loin d’être systématique.Une enquête19 de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne, organisme de référence en la matière20 montre qu’en 2010, 73% des journaux lycéens ont un responsable de publication adulte, celui-ci n’a pas été choisi par la rédaction dans 73% des cas. En moyenne, 45% des journaux sont soumis à un contrôle avant publication et ce contrôle concerne même 68% des journaux dont le responsable est un élève. Cela contrevient manifestement à l’esprit de la circulaire de 1991, modifiée en 2002.En 2010, selon la même enquête, 13% des journaux du panel avaient déjà été suspendus par le chef d’établissement  ; dans le détail, cette mesure concernait 32% des publications dont le responsable est un élève (contre 10% des publications dont la responsabilité est endossée par un adulte).

19 - L’analyse et les conclusions de l’enquête sur le droit de publication lycéen, réalisée en 2010-2011, sont disponibles sur www.obs-presse-lyceenne.org/ressources-enquete.

20 - L'Observatoire des pratiques de presse lycéenne est cité par la circulaire n°2010-129 du 24 août 2010 comme voie de médiation en cas de litige.

En outre, le motif invoqué pour ces suspensions relevait généralement du conflit d’opinion avec le chef d’établissement et non du délit de presse, qui est pourtant le seul motif valable de suspension de la diffusion du journal. En 2013, la proportion reste la même avec une dizaine de cas de suspension de la publication se faisant connaître auprès de l’association Jets d'encre, via le service SOS-Censure.

48% des rédactions interrogées reconnaissaient également avoir rencontré des difficultés (84% des rédactions dont le responsable est un élève) dans la réalisation de leur journal : les difficultés relationnelles avec le chef d’établissement, l’administration ou les professeurs, mais aussi les difficultés matérielles sont mises en avant. Enfin, seules 45% des rédactions jeunes interrogées connaissent la circulaire qui réglemente leur droit à l’exercice de la liberté d’expression : un chiffre bien trop faible au vu de l’importance de ce texte qui demeure inappliqué dans de nombreuses de situations.

L’association Jets d’encre milite pour que la liberté d’expression des jeunes soit reconnue, notamment celle des mineurs, qui se heurtent à davantage de difficultés. Elle cherche à encourager les évolutions juridiques favorables à ce droit, reconnu par la Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1990. Jets d’encre, par les actions qu’elle mène et grâce aux nombreux contacts noués avec des responsables éducatifs et politiques, promeut cette presse diverse, impertinente et passionnante, afin que la parole des jeunes soit respectée et valorisée.

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Les différentes formes de censure

La censure s’exerce dès lors que des personnes s’opposent aux idées diffusées par le journal ou au principe du journal même. Elle n’est pas toujours explicite, mais consiste en des pressions auxquelles les rédactions jeunes parviennent rarement à résister. Ces affaires se règlent souvent au sein des structures et établissements dans lesquels les journaux s’inscrivent… sans en sortir. Les archives du service SOS-Censure de Jets d'encre ont permis d'identifier six types de censure.

> L'interdiction de publication

Il arrive que des élèves se voient refuser leur droit de publier un journal dans leur établissement.

Dans un lycée, suite à l’activation trop récurrente de l’alarme incendie, le chef d’établissement décide de suspendre toutes les activités culturelles du lycée, à titre de sanction. Le journal des lycéens s’en retrouve suspendu. Une fois la « punition » levée, la rédaction a pu reprendre son activité.En aucun cas le chef d'établissement ne peut empêcher les lycéens d'exercer leurs droits fondamentaux d'expression, d'association et de publication, même au sein du lycée.

> La censure a priori

Elle s’exerce lorsqu’un adulte exige un contrôle (souvent qualifié de « relecture ») préalable à la publication. Le responsable de publication est la seule personne habilitée à contrôler le contenu d'un journal avant sa diffusion car sa responsabilité est engagée. Cette disposition s'applique également dans le cadre lycéen.

Le nouveau chef d’établissement découvre l’existence du journal lycéen, implanté depuis plusieurs années. Il exige d’être directeur de publication et de relire le journal avant impression. Après saisine du service SOS-Censure, les lycéens lui apportent de la documentation sur leur droit de publication. Celui-ci refuse d'appliquer la circulaire de 1991 car il craint deux choses : les dérapages et les retours des parents d’élèves, ainsi que perdre tout lien avec le journal. Un nouveau rendez-vous permet de mettre en confiance le chef d’établissement et de formaliser la direction de publication donnée par la rédaction à une lycéenne.

Ce contrôle du journal imposé par une figure d’autorité est le cas rencontré le plus souvent. Depuis 1991, les lycéens, même mineurs, ont le droit d’assumer la responsabilité juridique de leur publication, « sans autorisation ni contrôle préalable du chef d’établissement ». Assumer cette responsabilité leur permet de décider en autonomie du contenu éditorial de leur journal et de leur déontologie commune. En refusant cette responsabilité aux lycéens, le chef d’établissement exerce bien une censure et nie leurs droits.

La censure a priori peut aussi se manifester par la demande de réécriture de certains articles et s’apparente alors au « délit d’opinion » : l’adulte craignant les réactions des parents et des professeurs par exemple. Cette forme de censure est souvent liée à un manque de confiance des adultes envers les journalistes jeunes.

Une rédaction se voit refuser la publication du journal par le chef d’établissement car quatre articles lui posent problème : ils traitent de l’UMP, du mariage pour les homosexuels, des caméras de surveillance installées dans le lycée et de l’utilisation du budget de l’établissement. Pour le proviseur, il n’est pas acceptable de parler de politique ou de religion dans l’enceinte d’un lycée. Pour « trouver un terrain d’entente » avec lui, les lycéens cèdent et retirent ou réécrivent les quatre articles. Les quatre articles en question n’étaient pas litigieux. Et contrairement à ce que croyait alors le chef d’établissement, les lycéens ont le droit de parler de politique, de religion, de sexe, etc., dans la limite du prosélytisme politique, religieux et commercial (ainsi que des délits de presse). Ils ont également le droit de donner leur opinion.

> La censure a posteriori

Après la publication d'un journal lycéen, le chef d'établissement peut encore suspendre sa diffusion en cas de délit de presse avéré. Malheureusement, la majorité des suspensions sont abusives et relèvent du « délit d’opinion » ou d'un contenu qui ne plait pas au chef d'établissement, sans fondement juridique.

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> Les pressions morales et matérielles

De nombreux journaux jeunes sont également « tenus » par des pressions morales et financières : l’accès à la photocopieuse pour imprimer leur journal peut être, par exemple, conditionné à l’évitement de certains sujets. Bien souvent, les adultes craignent que des problèmes internes à l’établissement soient soulevés et divulgués, ou que des opinions politiques soient exprimées : c’est bien la peur de la critique et du débat qui semble dominer et la censure apparaît comme un « point de pression difficile à dénouer21 ». Le journal se présente alors comme un enjeu pour les adultes et il est parfois simplement « utilisé » par le personnel de l’établissement dans le cadre de conflits au sein de l’équipe éducative.

Comme de nombreuses rédactions, un journal choisit de publier les « perles » de profs. Le choix est fait de toujours demander l’autorisation des enseignants concernés avant la publication des « perles », afin de ne heurter personne. Après publication, un enseignant demande à ce que sa « perle » soit retirée, c’est-à-dire rayée sur les exemplaires imprimés. Le rédacteur en chef se plaint auprès de l’enseignant ; celui-ci l’emmène chez le CPE qui lui donne une heure de retenue pour « non-respect d’un enseignant ». Ce lycéen finit par céder, parce qu’il est en terminale et que « c’est l’année du Bac, je ne veux pas m’attirer d’ennui ».Les enseignants ne constituent pas un sujet « tabou » et les journaux collégiens, lycéens ou étudiants peuvent en parler22. La « perle » en question ne porte atteinte ni à la vie privée ni à l’honneur de l’enseignant. Il arrive souvent que les jeunes victimes de censure hésitent à se battre pour la reconnaissance de leur droit, en balance avec leur réputation et la pression exercée par les figures d’autorité.

> L'autocensure

Les jeunes, de leur côté, ignorent souvent de leurs droits, ce qui les empêche d’affirmer certains points de vue et les pousse parfois à s’autocensurer face à la menace réelle ou imaginaire que peuvent représenter les adultes de leur entourage. Jean-Paul Valabrega écrit ainsi que la censure moderne « est à situer davantage du côté de la menace que de la défense ou de la sanction encourue [...] Son mode opératoire, autant

21 - Jacques Gonnet, Journaux scolaires et lycéens, Paris, Retz, 1988.

22 - Lire à ce propos le mémo de l’Observatoire « Peut-on parler de ses profs dans un journal lycéen ? ».

que ses effets, se trouve dans le registre de l’implicite, du tacite, en un mot du silence, alors que l’opération de l’interdit appartient au domaine de la parole déclarée », si bien que « d’une façon ou d’une autre, toute censure renvoie à l’autocensure23 ». L’autocensure est, selon Janice Best, la forme d’interdiction qu’il faut craindre par-dessus tout. Elle renforce la toute-puissance du discours dominant, ne permet pas de diversité des opinions et élimine « systématiquement toute déviance par rapport à ce discours24 ».

> L'indifférence

Enfin, s’il est difficile de parler de censure, force est de constater que l’indifférence dans laquelle certains journaux jeunes sont publiés n’est pas favorable à leur développement. En effet, le manque d’encouragement, les nombreux obstacles auxquels sont parfois confrontées certaines rédactions contribuent à miner l’envie et le besoin de prendre la parole.

23 - Jean-Paul Valabrega, « Fondement psycho-politique de la censure », Communications, 9, 1967, pp. 114-121.

24 - Janice Best, La subversion silencieuse. Censure, autocensure et lutte pour la liberté d’expression, Les éditions Balzac, Montréal, 2001, p. 68.

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ET MAINTENANT ? 25 PROPOSITIONS 10 OBJECTIFS ET

Préambule

« La presse jeune existe, la presse jeune est libre. » Cette déclaration des journaux lycéens, en clôture de la première convention nationale pour les droits de la presse jeune en 198925, est toujours d’actualité.

Tout comme le sont les difficultés rencontrées au quotidien par les journalistes jeunes : manque de moyens, de temps, de soutien de l’entourage, de reconnaissance, intimidation, censure assumée. C’est entre autres pour pallier ces difficultés que Jets d’encre existe. L’association s’est fixée comme objectif d’inciter et d’aider à la création de journaux jeunes au travers d’outils destinés à différents publics, d’interventions, de formations, etc. Elle vient en aide aux rédactions en difficultés, notamment via SOS-Censure, un service de médiation et d’expertise juridique saisi par de nombreux journaux.

Au fil des rencontres de journaux jeunes, organisées par l’association comme le festival Expresso ou encore les réunions des Rézos à échelon local, Jets d’encre a développé une expertise de terrain concernant les besoins et les difficultés des rédactions jeunes. Elle s’est donnée pour mission de les faire remonter auprès des autorités compétentes, afin de favoriser l’existence et la création de journaux réalisés par des jeunes.

Les constats qui suivent proviennent de sondages et d’études de cas réalisés par l’association à plusieurs reprises au cours de ces dernières années. Ces propositions émanent des rédactions jeunes elles-mêmes et des membres de l’association, tous issus de journaux jeunes.

25 - À ce propos, lire p. 17.

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La pratique du journalisme jeune en milieu scolaire rencontre encore des freins

Elément fédérateur au sein de l’établissement, les journaux sont des «  ateliers de démocratie26 » qui donnent place au débat et à l’échange entre personnes issues de tous milieux. Il existe une réelle effervescence depuis le début du projet jusqu’à sa mise en place et sa pérennisation. Pour autant, la volonté de mener un projet au sein de l’établissement est souvent freinée par de nombreuses contraintes. En effet, certaines conditions doivent être réunies pour rendre la création (et la pérennisation) d’un journal possible.En premier lieu, il faut pouvoir admettre qu’un groupe de collégiens ou lycéens peut se rassembler pour réaliser une production collective qui sera diffusée dans l’établissement27. En effet, il parait important de développer une vie riche en dehors des cours afin de laisser une place à l’expression, à la création de projets divers et ainsi dynamiser et rendre plus attractif l’établissement scolaire. Dès lors, il est essentiel de laisser les élèves devenir responsables de l’orientation de l’action qu’ils souhaitent mettre en œuvre. L’accompagnement des projets de journaux par les adultes est donc une situation particulière. Il s’agit davantage de soutenir les initiatives, prévenir des risques, leur apporter de la méthodologie et des ressources tout en ayant une certaine distance avec l’objet. Pour permettre la mise en place de cette situation, il est essentiel de favoriser l’initiative aux projets en libérant de l’espace, du temps, du matériel et des financements destinés à la réalisation des actions à l’initiative des lycéens.Ensuite, il est important de souligner que lycéens et encadrants ne vivent pas le projet dans une même temporalité. Les lycéens sont, en théorie, présents dans l’établissement durant trois années. Ils souhaitent donc bien souvent aller vite dans la réalisation d’une idée. Le journal jeune peut ainsi être l’œuvre d’un groupe unique et s’éteindre au bout de seulement quelques mois ou se pérenniser en étant repris de génération en génération.

26 - Jacques GONNET, « Journaux lycéens : un atelier de démocratie », Médiamorphoses, n°13, 2005, pp. 51-54.

27 - Circulaire n°1991-051 du 6 mars 1991 : « Publications réalisées et diffusées par les élèves dans les lycées ».

Objectif n°1 : Diffuser l’information sur le droit de publication des jeunes

La presse lycéenne est aujourd’hui encadrée par des textes favorisant la liberté d’expression et de publication. Pour autant, les difficultés d’accès à l’information et le manque de connaissance en matière d’outils, de droits et de responsabilités restent un frein à la prise d’initiative des lycéens, et plus généralement des jeunes en matière de création de journaux. Les informations existent mais elles ont du mal à atteindre les élèves et plus largement l’ensemble de la communauté éducative sur les droits et les moyens à disposition des journalistes lycéens. Il existe déjà de nombreuses sources de renseignement pour la presse jeune, rassemblées sur la plateforme www.creerunjournallyceen.fr, créée par Jets d’encre. Ainsi il est possible de trouver les informations en menant ses propres recherches mais il est nécessaire d’en faciliter l’accès dans les lycées. En effet, la méconnaissance des libertés d’expression et de diffusion est trop souvent la cause d’une autocensure chez les lycéens.

• Proposition n°1 : Former les chefs d’établissement et les CPE au droit de publication des lycéens et à l’expression des lycéens, en intégrant un module spécifique dans leur formation initiale.

• Proposition n°2 : Intégrer dans le programme des cours d’Éducation civique, juridique et sociale (ECJS) les informations sur les droits des collégiens et lycéens. Ce serait l’occasion de définir les concepts d’engagement, de citoyenneté, d’initiative et de projet, à travers des exemples comme le droit de publication lycéen.

• Proposition n°3 : Intervenir auprès des représentants lycéens sur le thème de la presse jeune afin de leur permettre de jouer pleinement le rôle d’« ambassadeur » au sein des établissements et de diffuser l’information sur la réglementation, les outils, les ressources et les régimes de responsabilités prévus par les différents textes réglementaires.

• Proposition n°4 : Diffuser dans chaque CDI, bibliothèque municipale et autre centre de jeunesse le Kit Créer son journal et son homologue lycéen, le guide Droits et déontologie de la presse jeune publiés par l’association Jets d’encre ainsi que les ressources de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne.

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• Proposition n°5 : Concevoir un document pratique distribué aux élèves en début d’année, les informant de leurs droits et des moyens mis à leur disposition pour l’implication dans un projet. Il s’agirait moins de compiler les références règlementaires que de susciter l’envie de s’engager et de proposer des contacts et sources d’information pour la concrétiser.

Objectif n°2 : Créer un environnement favorable à l’initiative des jeunes en milieu scolaire

Créer un projet au sein d’un établissement permet aux jeunes de prendre des initiatives, de travailler de manière collective, de se responsabiliser et de s’engager. Pour autant, les notions d’engagement et d’investissement, bien que favorisées et valorisées dans les textes règlementaires28 le sont trop peu dans les établissements. Les emplois du temps des lycéens sont chargés et les journalistes jeunes (particulièrement ceux qui prennent les fonctions de rédacteur-en-chef et responsable de publication) ont bien du mal à « trouver un créneau pour se réunir pour faire avancer le prochain numéro. C’est souvent le soir de 19h à 20h, alors qu’on a des devoirs à boucler », comme en témoigne une lycéenne. Et il est quasiment impossible de partir en reportage, « même lorsque c’est très court : on est tout de suite compté comme absent. Il faut parfois s’arranger directement avec les profs qui aiment bien le journal ».Dans son dernier rapport autour du droit à l’expression et à la participation des jeunes, la Défenseure des Enfants relaie d’ailleurs cette proposition issue de la consultation « Parole aux jeunes » qu’elle a menée entre 2008 et 2009 : « Ne pas compter les heures consacrées aux responsabilités comme des heures d’absence29 » (proposition 168). Il ne s’agit pas de remettre en cause le principe de l’obligation d’assiduité, mais d’accepter et « faire de la place » pour les projets des lycéens.Il semble nécessaire, d’une part de rappeler l’importance de la reconnaissance de l’implication des élèves et étudiants, et d’autre part de favoriser cet engagement. Il est également important de présenter l’établissement autant comme un lieu de transmission de connaissances

28 - Circulaire du ministère de l'Éducation nationale n°2010-129 du 24 Août 2010 « Responsabilité et engagement des lycéens » : valorisation et prise en compte de l’enga-gement dans les suivis de parcours.

29 - 200 propositions pour construire ensemble leur avenir, La Défenseure des Enfants, 2009.

qu’un lieu de vie, d’expériences et de liberté d’initiative. C’est à l’établissement de créer les conditions pour que les élèves qui le veulent puissent réaliser un journal.

• Proposition n°6 : Organiser dans l’établissement une « journée des initiatives jeunes »30 à chaque rentrée scolaire pour présenter les divers projets existants. Ainsi, les nouveaux élèves seront accueillis par leurs pairs qui leur présenteront les initiatives existantes ou réalisables au sein de l’établissement. Cette journée sera l’occasion aussi de présenter le référent Vie Lycéenne et le référent culturel comme des accompagnateurs des projets initiés par les jeunes.

• Proposition n°7 : Permettre des aménagements des emplois du temps afin de faciliter la mise en place d’un projet, notamment pour stimuler la rencontre entre les élèves d’un même établissement. Cela peut être fait par exemple en banalisant un créneau commun à tous les élèves et destiné à la réalisation des projets, comme c’est déjà le cas dans certains établissements.

• Proposition n°8 : Mettre en place un espace média, par exemple au sein des CDI, qui serait un lieu de décryptage et de production de journaux et plus largement de médias collégiens et lycéens.

• Proposition n°9 : Créer un palmarès national distinguant les établissements scolaires les plus attentifs et novateurs quant aux questions de projets d'initiative jeune, de vie associative et de démocratie – en contrepied des classements existants ayant pour critères les résultats aux examens.

30 - Actuellement, les « semaines de l’engagement », mises en place depuis septembre 2013 par le ministère de l’Éducation nationale dans les lycées, sont d’abord destinées à informer sur les instances de la Vie lycéenne et prennent parfois la forme d’une « heure de vie de classe » où l’information est avant tout descendante.

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Les trois conditions à la création de journaux jeunes

Objectif n°3 : Inciter à la création de journaux jeunes par des jeunes

En 2011, à l’occasion du 20ème anniversaire du droit de publication lycéen, l’association Jets d’encre a lancé une campagne d’incitation à la création de journaux lycéens avec le soutien du ministère de l’Éducation nationale. Cette campagne a pris la forme d’une affiche envoyée dans chaque lycée en janvier 2012, via le réseau de la Vie lycéenne. Il s’agit maintenant de prolonger le travail mené autour de cette campagne en faisant vivre les outils coréalisés depuis 2010 comme le kit Créer un journal lycéen et la plateforme en ligne éponyme. Ces outils ne sont que trop peu présentés dans les établissements, notamment dans les CDI. Ils sont pourtant très appréciés mais restent encore trop confidentiels pour augmenter le nombre de journaux lycéens en France.

Par ailleurs, nombreux sont les autres lieux de vie de journaux jeunes : collèges, universités, écoles supérieures, quartiers et ville. S’il est plus facile de penser à créer un journal dans un établissement scolaire dont l’identité de lieu et de communauté est forte, la même démarche est moins évidente dans un quartier. Les jeunes ont tendance à se tourner vers un lieu social identifié (le lycée, la ville ou la cité urbaine) plutôt que vers un quartier dont l’identité collective est moins définie. Or, quoi de mieux qu’un journal pour créer du lien entre les habitants d’un même quartier et contribuer à l’identité collective ?

• Proposition n°10 : Soutenir une campagne d’incitation à la création de journaux dans les quartiers et les villes qui pourrait prendre la forme d’affiches envoyées aux structures culturelles, de jeunesse et de dynamique de territoire.

• Proposition n°11 : Encourager les journalistes jeunes à assumer la responsabilité de publication de leur journal, et les adultes à transférer cette responsabilité vers les jeunes, dans une relation différenciée de la traditionnelle hiérarchie maître / élève.

Objectif n°4 : Guider les accompagnateurs

L’essentiel n’est pas qu’un accompagnateur du projet soit très présent ou complètement absent mais bien qu’il puisse se positionner comme un soutien, une ressource, un renfort au projet. Il peut aider les jeunes à réfléchir à la construction d’un projet dans un temps plus long, à impliquer d’autres bénévoles, à le faire évoluer et à cadrer son organisation afin de favoriser sa poursuite l’année suivante.

Pour autant, il parait essentiel de ne pas chercher à faire vivre « à tout prix » un journal ou tout autre projet « sous perfusion » en poussant trop fortement des jeunes à s’y investir. Une telle démarche pourrait finalement nuire au sens même du projet d’initiative jeune. Il n’est pas rare de voir une génération de jeunes qui s’intéresse à d’autres projets que ceux existants. Il est donc important que chacun se sente libre de pouvoir s’engager sur un projet qui le passionne.

Jets d’encre travaille depuis longtemps sur cette question d’accompagnement, essentielle à la bonne marche du projet. Jets d’encre et l’Association nationale des conseils d’enfants et de jeunes (Anacej) ont publié en 2006 un guide destiné aux accompagnateurs de journaux de quartier. Par ailleurs, l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne a récemment publié un mémo qui détaille et explique les différents rôles possibles pour accompagner un journal lycéen.

• Proposition n°12 : Former et sensibiliser les accompagnateurs de journaux jeunes, notamment par des interventions à l’échelon local pour les aider à se positionner comme ressource auprès des rédactions. Créer un guide pratique sur le rôle des accompagnateurs de journaux, diffusé au sein des établissements et des structures de jeunesse.

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Objectif n°5 : Renforcer les moyens mis à disposition des journaux jeunes

La grande majorité des rédactions interrogées par Jets d’encre réalisent leur journal hors-les-murs de toute structure, en dehors du temps scolaire, en mobilisant des moyens de production personnels (ordinateurs, imprimante, scanner, appareil photo, etc.) même quand la structure d'accueil est très bien équipée. En ce qui concerne la presse lycéenne, si les textes ne prévoient pas de « droit aux moyens », il s’agit pourtant d’une situation paradoxale  : comment inciter les élèves à exercer des droits et des responsabilités quand le cadre scolaire ne laisse pas suffisamment de place pour l’engagement ? Comment s’accorde-t-elle avec le statut de « journal interne à l’établissement31 » proposé aux lycéens ? La mise en place d’un environnement favorable fait partie des dispositions règlementaires mais ces aménagements restent peu visibles sur le terrain.

> Le manque de moyens

L’accès à du matériel informatique ou tout simplement à une salle pour se réunir, peut parfois relever du parcours du combattant pour les rédactions jeunes, même en milieu scolaire. Plus grave, il peut aussi être l’objet de pressions de la part du personnel encadrant lorsque le journal prend des positions affirmées ou qu’il recherche son indépendance. L’association Jets d’encre, via son service d’assistance aux journaux « SOS-Censure », reçoit fréquemment des témoignages en ce sens.

> Le financement difficile pour les journaux lycéens

Les rédactions lycéennes interrogées par Jets d’encre rapportent des situations très différentes : prise en charge des frais du journal par l’administration de l’établissement, montage financier complexe (Maison des lycéens, collectivités locales, prix gagnés par le journal), avance des fonds par les lycéens qui se remboursent en vendant le journal à un prix symbolique. Aucune n’a entendu parler du « fonds de Vie lycéenne32 », auquel pourtant les journaux lycéens sont éligibles.

31 - Circulaire n°2002-026 du 1er février 2002, § II, B.O.E.N. du 14 février 2002 : « Création d’un dépôt pédagogique pour les publications scolaires ».

32 - Circulaire n° 2001-184 du 26 septembre 2001, B.O.E.N. du 4 octobre 2001 : « Finalités et modalités de gestion des fonds de vie lycéenne ».

Pour l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne, il n’est pas de journal possible sans moyens ni ressources financières : c’est une contrainte pour la presse professionnelle mais aussi pour la presse lycéenne, d’autant que le mode de financement conditionne pour partie l’indépendance du journal. Pour aider les rédactions, le Kit créer son journal lycéen conçu par l’association Jets d’encre et le Délégué national à la vie lycéenne contient une fiche pratique avec des pistes et indications de recherche de financement. L’Observatoire a également réalisé un mémo qui détaille et explique les conditions des trois sources de financement des journaux : la vente au numéro, le recours à la subvention et le partenariat publicitaire.

• Proposition n°13 : Faciliter l’accès pour les jeunes aux outils nécessaires à la réalisation d’un journal comme un local, du matériel informatique, des logiciels, des moyens de reprographie.

• Proposition n°14 : Créer une bourse municipale dédiée à la création et au développement de journaux d’initiative jeune, quel que soit leur cadre de publication.

• Proposition n°15 : Intégrer à la formation des représentants lycéens et étudiants l’information sur les ressources existantes (fonds de Vie lycéenne, Fonds de solidarité et de développement des initiatives étudiantes). Veiller au positionnement de ces fonds comme lieu de ressources (soutien financier et logistique) aux projets portés par les élèves et les étudiants.

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L’engagement des jeunes n’est pas suffisamment reconnu et pris en compte dans l’espace public

Objectif n°6 : Reconnaître et valoriser l’engagement des jeunes en milieu scolaire et étudiant

Les rencontres organisées par Jets d’encre ont dégagé plusieurs réponses autour de la question de la valorisation de l’engagement des lycéens dans leurs journaux, et plus largement, dans des projets. La majorité explique tout d’abord « ne pas courir après les honneurs » - ils attendent plutôt un « changement de mentalité pour qu’on nous laisse faire nos journaux sans nous mettre des bâtons dans les roues ! ». Une manière d'encourager la valorisation de l’engagement des lycéens d’abord auprès des cadres de l’Éducation nationale, notamment par la formation continue. Ils refusent en tout cas l’instauration d’un système de notation ou de points supplémentaires sur le bulletin scolaire car « il ne faut pas engager la course à celui qui en ferait le plus : l’important c’est le côté "bénévole", "extra". Une note, ça ne dit rien d’un engagement ». Les attentes sont importantes concernant les méthodes de reconnaissance de cet engagement et d’évaluation des compétences qu’il permet de développer.Les journalistes jeunes, sans doute parce que leur propre activité les incite naturellement à réfléchir à l’information et à sa diffusion, sont souvent très critiques de l’image des jeunes telle qu’elle est renvoyée par les médias. Les projets sur lesquels s’engagent les lycéens sont souvent peu connus, alors que les faits divers qui touchent les établissements scolaires et les universités font souvent les gros titres. Pour changer le rapport jeunes / médias et inciter plus de lycéens à s’engager quel que soit le projet qu’ils souhaitent poursuivre, un effort pourrait être mené par les établissements pour communiquer auprès des médias (notamment la presse locale).

• Proposition n°16 : Reconnaître et valoriser le parcours d’engagement des élèves et étudiants dans leur suivi scolaire en réfléchissant à des méthodes d’évaluation qualitatives et en excluant tout système de notation (par exemple en le faisant apparaître dans les commentaires des bulletins de notes et dans le livret scolaire).

• Proposition n°17 : Inciter les établissements à communiquer sur les projets des jeunes via les espaces d’affichage, sites Internet, auprès des médias et de la ville (panneaux, journal local), pour aider les jeunes à valoriser et faire connaître leur engagement.

• Proposition n°18 : Développer un outil pour aider les journalistes jeunes à identifier, valoriser et faire connaître leur engagement dans la suite de leur parcours associatif, scolaire et professionnel.

Objectif n°7 : Prendre en compte la presse d’initiative jeune dans le débat public

Le journal - au lycée, au collège, dans son village, son quartier ou sa commune - est avant tout vécu comme un espace public où chacun à sa manière exprime ce dont il a envie. Reportage, dessin humoristique, interview, billet d’humeur… il a le potentiel d’être investi par tous, sous de nombreuses formes créatives. Né d’abord d’une spontanéité créative, d’une joie d’écrire et de communiquer, il est un acte citoyen en soi. Facteur de dynamisme au sein de la communauté où il est réalisé et diffusé, il pallie souvent au manque d’informations et de communication dont elle souffre. Le journal provoque la discussion, les débats et l’échange entre ses différents acteurs, il permet la découverte de la vie en société. Cet espace d’expression est un accès concret à la démocratie et l’assurance d’être entendu, sinon écouté.

• Proposition n°19 : Diffuser largement l’outil Liberté d’expression, le kit pour en débattre de l’association Jets d’encre afin d’encourager les journaux jeunes à organiser des débats locaux et ainsi mettre en avant leur média comme véritable acteur du débat public.

• Proposition n°20 : Inviter la presse jeune locale aux événements organisés par les acteurs publics (conférence de presse, inauguration, interview), au même titre que les médias professionnels – notamment lorsqu’il s’agit de politiques jeunesse, dont le lectorat des journaux jeunes est directement concerné.

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Objectif n°8 : Faire connaître la spécificité de la presse d’initiative jeune auprès du grand public

Les « journalistes jeunes » membres de l’association Jets d’encre définissent leurs journaux comme « d’initiative jeune » pour signifier à la fois leur volonté d’indépendance et leur capacité à gérer une publication. « Initiative » comme point de départ, lancement d’un journal par un groupe de jeunes ; mais aussi comme appropriation ou réappropriation d’une publication déjà existante. « Presse d’initiative jeune » pour réfuter les expressions de « presse amateur », trop floue tant le facteur jeunesse induit un questionnement particulier, ou bien de « journalistes juniors, en herbe » qui véhiculent parfois des connotations négatives, voire paternalistes.

• Proposition n°21 : Encourager les éditeurs de dictionnaires (Larousse, Flamarion, Robert) à ajouter les deux entrées suivantes, qui définissent un phénomène bien particulier : « presse d’initiative jeune » et « journaliste jeune ».

• Proposition n°22 : Réaliser une enquête officielle menée conjointement par les services des ministères de la Jeunesse, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Culture et de la Communication, pour mieux connaître la presse d’initiative jeune dans toute sa diversité et le nombre de titres existants sur le territoire (la dernière enquête datant de 2001)33.

• Proposition n°23 : Créer une Maison de la Presse d’Initiative Jeune, sous la forme d’un centre de ressources dédié à la valorisation de la presse jeune depuis ses débuts et permettre au grand public de consulter les médias jeunes en libre accès, à partir des collections de journaux conservés par le CLEMI et l’association Jets d’encre dans le cadre du dépôt pédagogique et des concours de journaux.

33 - Enquête sur la presse lycéenne, à consulter en ligne sur http://spme2008.free.fr/medias_scolaires/enquete2001/enquete.html.

Droits civiques des jeunes mineurs : le droit français n’est pas conforme au droit européen

Objectif n°9 : Permettre aux jeunes mineurs d’assumer la direction d’un journal

La Convention internationale des droits de l’enfant, ratifiée par la France en 1989, garantit que « L’enfant a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté de rechercher et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen choisi par l’enfant. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires : a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ; ou b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publique. » En France, seuls les mineurs lycéens jouissent des droits d'expression et de publication garantis par les textes nationaux et internationaux. Nous relevons ici deux problèmes majeurs : la précarité du droit de publication lycéen et l'absence de droit de publication pour les mineurs en dehors du cadre lycéen.

> Un droit « précaire » dans le cadre lycéen

Les textes officiels s’accordent à favoriser l’existence de la presse lycéenne au sein des établissements. Le journal lycéen est reconnu comme un outil qui dynamise les établissements et participe à l’apprentissage de la citoyenneté des jeunes. Pour autant, les lycéens ont toujours des difficultés à connaître et faire valoir leurs droits et libertés d'expression et de publication. Deux facteurs expliquent en partie pourquoi le droit de publication des lycéens est si difficile à garantir :

• Le différentiel d’ambition entre le droit de publication des lycéens et son support juridique : une circulaire. La circulaire donne des indications très concrètes dans l’application du droit de publication des lycéens mais sa nature même n’en donne pas la force politique nécessaire pour une prise en considération optimale.

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• La difficulté d’application du droit commun dans les établissements scolaires : sans cette circulaire, un lycéen majeur pourrait-il publier un journal conformément à la loi de 1881 sur la liberté de la presse, sans en informer le chef d’établissement ?

Il faut chercher à « inverser la tendance » : il n’est pas normal que des lycéens doivent encore se battre pour exercer un droit de publication qui leur est reconnu depuis plus de vingt ans.

> Aucune garantie du droit de publication pour les mineurs

Actuellement, il n’existe aucun texte réglementaire garantissant le droit de publication pour les mineurs, en dehors du cadre du lycée. Dans un collège, un quartier, un conseil d’enfants et de jeunes ou une association, un mineur ne peut assumer la direction de publication d’un journal. En effet, les jeunes désireux de créer un journal en dehors du cadre du lycée sont dans l’obligation de désigner un directeur de publication majeur car leur journal relève du cadre général de la loi de 1881, relative à la liberté de la presse.

Pourquoi un jeune mineur aurait-il moins de droit en dehors du lycée ? La pratique du journalisme n’est-elle pas un enjeu de démocratie, plus que d’éducation ? La règlementation en vigueur limite la participation démocratique des jeunes et a notamment pour conséquences :1. Une discrimination envers les mineurs qui ne passent pas par la

« case lycée » et dont le parcours scolaire est différent. En effet, la scolarité en France n’est obligatoire que jusqu’à 16 ans : de nombreux jeunes arrêtent leurs études en sortant du collège. Au même âge, on reconnaît à certains le droit d’assumer la responsabilité d’un journal, quand d’autres n’en bénéficient pas sous prétexte qu’ils n’ont pas été jusqu’au lycée. Cette inégalité en droits vaut aussi pour les jeunes qui souhaitent publier un journal au sein de leur collège et se voient dans l’obligation de désigner un responsable de publication majeur – souvent un enseignant ou le chef d’établissement.

2. Une discrimination envers les mineurs qui font le choix d’une publication en dehors du cadre lycéen car celui-ci restreint leur lectorat. En effet, le cadre dérogatoire dont bénéficient les journaux lycéens a pour condition une diffusion dans les murs du lycée. Le journal lycéen est simplement toléré dans l’environnement familial et ne peut être diffusé dans la rue, ni être vendu à la criée, ou

dans un cadre autre que celui de l’établissement – ce qui en limite considérablement la portée. Ainsi, les mineurs qui souhaitent s’exprimer dans leur quartier ou leur ville ne peuvent le faire sans désigner un responsable de publication adulte. Si on considère qu’un lycéen est assez responsable pour assumer le contenu de son journal, pourquoi lui interdit-on ce même droit s'il fait le choix d’un autre cadre de publication ?

Créer un projet au sein d’une communauté éducative ou d’un quartier permet aux jeunes mineurs de prendre des initiatives, de travailler de manière collective, de se responsabiliser et de s’engager. Cependant, les notions d’engagement et d’investissement sont trop peu favorisées et valorisées dans les textes règlementaires en dehors du cadre lycéen. En conséquence, les collégiens doivent demander l'autorisation au principal pour créer un journal et trouver un adulte majeur pour en assumer le contenu à leur place. Ces jeunes mineurs ne peuvent pas non plus s'associer librement pour animer leur quartier par l'intermédiaire d'un journal. Il est important de permettre à tous les jeunes d’être égaux face au droit de publication. En quoi le parcours ou l’environnement scolaire serait un facteur déterminant dans la capacité à créer un journal jeune ? Dans une société d’égalité, chaque jeune doit pouvoir être responsable d’un journal quelque soit le choix de vie qu’il fait.

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> Droit d’ouvrir un compte en banque, mais pas de publier un journal ?

L’âge de 18 ans reste la référence légale correspondant à l’acquisition de l’ensemble de ses droits et responsabilités pour atteindre la majorité. Pour autant, il existe de multiples seuils postérieurs (attendre 23 ans pour candidater à l’élection présidentielle, par exemple), ou inférieur (le droit de demander l’émancipation à 16 ans ou de souscrire à un « Livret jeune »). En outre, un mineur de 13 ans peut être condamné à une peine jusqu’à l’emprisonnement. Dans sa volonté de protection des jeunes majeurs, le droit français reconnaît des pré-majorités économiques et pénales. Néanmoins, il ne permet pas l’exercice de sa citoyenneté sous une forme participative et collective à travers notamment le droit de publication. Si le cadre législatif français propose des aujustement de la majorité pour exercer certaines actions, pourquoi pas pour assumer la responsabilité d'un journal ?

> Reconnaître la place des jeunes dans l'espace public

Pour reconnaître l'implication des mineurs et favoriser cet engagement, il faut d'abord reconnaître leur droit de participation à la vie locale. De quoi a-t-on peur en refusant de donner aux mineurs, adolescents et jeunes adultes le cadre législatif d’une expression dont ils font déjà usage  ? Les jeunes, et particulièrement les mineurs, prennent déjà la parole et trouvent des supports d’expression libres et en apparence sans limite, comme les réseaux sociaux. Revendiquer une responsabilité de publication d’un journal, c’est aussi défendre une responsabilité sur tous les supports d’expression publics.La prise en compte des pratiques d’expression et de participation des jeunes doit passer par la reconnaissance de droits civiques permettant l’exercice de leurs pratiques. On ne peut envisager d’attendre des jeunes qu’ils participent au débat public sans leur donner le droit et les moyens de choisir la façon d’y participer et sans leur permettre d’animer ce débat.

• Proposition n°24 : Abaisser le droit de publication à 16 ans révolus, par la modification de l’article 6 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse34.

34 - « Le directeur et, éventuellement, le codirecteur de la publication doivent être majeurs, avoir la jouissance de leurs droits civils et n'être privés de leurs droits civiques par aucune condamnation judiciaire. »

Objectif n°10 : Permettre aux mineurs de créer leur association en toute autonomie

Voici un extrait de la contribution du Réseau national des Juniors Associations (RNJA) « Reconnaître aux mineurs le droit d’association : un enjeu majeur ! », transmise au groupe de travail De nouveaux droits pour les enfants dans le cadre de la préparation du projet de loi sur la famille (novembre 2013). L'association Jets d'encre, membre du RNJA, soutient cette démarche - de nombreux journaux jeunes étant concernés par le droit d'association des mineurs.

En France, les principales difficultés faites aux mineurs qui veulent créer et administrer leur association reposent, d’un point de vue légal, sur une contradiction : les jeunes mineurs « sont incapables de contracter dans la mesure définie par la loi35 », et l’association est définie comme un « contrat d’association ». Or, la liberté d’association existe depuis la loi 1901 et celle des mineurs a été réaffirmée par la Convention internationale des droits de l’enfant en1990, comme un droit fondamental. […]Alors que notre jeunesse plébiscite le monde associatif comme vecteur d’action et de transformation sociale, alors que les politiques publiques dédiées aux jeunes les appellent à « participer », les incitent à s’engager, à prendre des responsabilités pour grandir en autonomie, les textes et leurs interprétations ont tendance à compliquer, à freiner voire à fermer l’accès des mineurs aux responsabilités dans le champ associatif. […]Il faut sortir d’une conception qui consisterait à «  prioriser  » certains Droits de l’Enfant sur d’autres : la participation, la liberté d’expression ne sont pas un luxe, mais des droits fondamentaux au même titre que ceux d’être protégé, éduqué… et qui permettent justement la prise de conscience collective des difficultés vécues par les enfants et les jeunes. Au delà du pouvoir de dénoncer, reconnaissons aussi aux enfants et aux jeunes le droit de proposer.

• Proposition n°25 : Supprimer le critère d’âge minimum pour créer et administrer une association. Amender le Code civil, chapitre de la minorité, pour faire reconnaître « le mandat associatif ».

35 - Article 1124 du Code civil.

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SYNTHÈSE POUR LES PLUS PRESSÉS

Objectif n°1 : Diffuser l’information sur le droit de publication des jeunes

• Proposition n°1 : Former les chefs d’établissement et les CPE au droit de publication des lycéens et à l’expression des lycéens, en intégrant un module spécifique dans leur formation initiale.

• Proposition n°2 : Intégrer dans le programme des cours d’Éducation civique, juridique et sociale (ECJS) les informations sur les droits des collégiens et lycéens. Ce serait l’occasion de définir les concepts d’engagement, de citoyenneté, d’initiative et de projet, à travers des exemples comme le droit de publication lycéen.

• Proposition n°3 : Intervenir auprès des représentants lycéens sur le thème de la presse jeune afin de leur permettre de jouer pleinement le rôle d’« ambassadeur » au sein des établissements et de diffuser l’information sur la réglementation, les outils, les ressources et les régimes de responsabilités prévus par les différents textes réglementaires.

• Proposition n°4 : Diffuser dans chaque CDI, bibliothèque municipale et autre centre de jeunesse le Kit Créer son journal et son homologue lycéen, le guide Droits et déontologie de la presse jeune publiés par l’association Jets d’encre ainsi que les ressources de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne.

• Proposition n°5 : Concevoir un document pratique distribué aux élèves en début d’année, les informant de leurs droits et des moyens mis à leur disposition pour l’implication dans un projet. Il s’agirait moins de compiler les références règlementaires que de susciter l’envie de s’engager et de proposer des contacts et sources d’information pour la concrétiser.

Objectif n°2 : Créer un environnement favorable à l’initiative des jeunes en milieu scolaire

• Proposition n°6 : Organiser dans l’établissement une « journée des initiatives jeunes » à chaque rentrée scolaire pour présenter les divers projets existants. Ainsi, les nouveaux élèves seront accueillis par leurs pairs qui leur présenteront les initiatives existantes ou réalisables au sein de l’établissement. Cette journée sera l’occasion aussi de présenter le référent Vie Lycéenne et le référent culturel comme des accompagnateurs des projets initiés par les jeunes.

• Proposition n°7 : Permettre des aménagements des emplois du temps afin de faciliter la mise en place d’un projet notamment pour stimuler la rencontre entre les élèves d’un même établissement. Cela peut être fait par exemple en banalisant un créneau commun à tous les élèves et destiné à la réalisation des projets, comme c’est déjà le cas dans certains établissements.

• Proposition n°8 : Créer un palmarès national distinguant les établissements scolaires les plus attentifs et novateurs quant aux questions de projets d'initiative jeune, de vie associative et de démocratie – en contrepied des classements existants ayant pour critères les résultats aux examens.

• Proposition n°9 : Mettre en place un espace média, par exemple au sein des CDI, qui serait un lieu de décryptage et de production de journaux et plus largement de médias collégiens et lycéens.

Objectif n°3 : Inciter à la création de journaux jeunes par des jeunes

• Proposition n°10 : Soutenir une campagne d’incitation à la création de journaux dans les quartiers et les villes qui pourrait prendre la forme d’affiches envoyées aux structures culturelles, de jeunesse et de dynamique de territoire.

• Proposition n°11 : Encourager les journalistes jeunes à assumer la responsabilité de publication de leur journal et les adultes à transférer cette responsabilité vers les jeunes, dans une relation différenciée de la traditionnelle hiérarchie maître / élève.

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Objectif n°4 : Guider les accompagnateurs

• Proposition n°12 : Former et sensibiliser les accompagnateurs de journaux jeunes notamment par des interventions à l’échelon local pour les aider à se positionner comme ressource auprès des rédactions. Créer un guide pratique sur le rôle des accompagnateurs de journaux, diffusé au sein des établissements et des structures de jeunesse.

Objectif n°5 : Renforcer les moyens mis à disposition des journaux jeunes

• Proposition n°13 : Faciliter l’accès pour les jeunes aux outils nécessaires à la réalisation d’un journal comme un local, du matériel informatique, des logiciels, des moyens de reprographie.

• Proposition n°14 : Créer une bourse municipale dédiée à la création et au développement de journaux d’initiative jeune, quel que soit leur cadre de publication.

• Proposition n°15 : Intégrer à la formation des représentants lycéens et étudiants l’information sur les ressources existantes (fonds de Vie lycéenne ; Fonds de Solidarité et de Développement des Initiatives Etudiantes). Veiller au positionnement de ces fonds comme lieu de ressources (soutien financier et logistique) aux projets portés par les élèves et les étudiants.

Objectif n°6 : Reconnaître et valoriser l’engagement des jeunes en milieu scolaire et étudiant

• Proposition n°16 : Reconnaître et valoriser le parcours d’engagement des élèves et étudiants dans leur suivi scolaire, en réfléchissant à des méthodes d’évaluation qualitatives et en excluant tout système de notation (par exemple en le faisant apparaître dans les commentaires des bulletins de notes et dans le livret scolaire).

• Proposition n°17 : Inciter les établissements à communiquer sur les projets des jeunes via les espaces d’affichages, sites Internet, auprès des médias et de la ville (panneaux d’affichage, journal local), pour aider les jeunes à valoriser et faire connaître leur engagement.

• Proposition n°18 : Développer un outil pour aider les journalistes jeunes à identifier, valoriser et faire connaître leur engagement dans la suite de leur parcours associatif, scolaire et professionnel.

Objectif n°7 : Prendre en compte la presse d’initiative jeune dans le débat public

• Proposition n°19 : Diffuser largement l’outil Liberté d’expression, le kit pour en débattre de l’association Jets d’encre afin d’encourager les journaux jeunes à organiser des débats locaux et ainsi mettre en avant leur média comme véritable acteur du débat public.

• Proposition n°20 : Inviter la presse jeune locale aux événements organisés par les acteurs publics (conférence de presse, inauguration, interview), au même titre que les médias professionnels – et notamment lorsqu’il s’agit de politiques jeunesses, dont le lectorat des journaux jeunes est directement concerné.

Objectif n°8 : Faire connaître la spécificité de la presse d’initiative jeune auprès du grand public

• Proposition n°21 : Encourager les éditeurs de dictionnaires (Larousse, Flamarion, Robert) à ajouter les deux entrées suivantes, qui définissent un phénomène bien particulier : « presse d’initiative jeune » et « journaliste jeune ».

• Proposition n°22 : Réaliser une enquête officielle menée conjointement par les services des ministères de la Jeunesse, de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur, de la Culture et de la Communication, pour mieux connaître la presse d’initiative jeune dans toute sa diversité et connaître le nombre de titres existants sur le territoire (la dernière enquête datant de 2001).

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• Proposition n°23 : Créer une Maison de la presse d’initiative jeune sous la forme d’un centre de ressources dédié à la valorisation de la presse jeune depuis ses débuts, et permettre au grand public de consulter les médias jeunes en libre accès, à partir des collections de journaux conservés par le CLEMI et l’association Jets d’encre dans le cadre des concours de journaux et du dépôt pédagogique.

Objectif n°9 : Permettre aux mineurs d’assumer la direction d’un journal

• Proposition n°24 : Abaisser le droit de publication à 16 ans révolus, par la modification de l’article 6 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Objectif n°10 : Permettre aux mineurs de créer leur association en toute autonomie

• Proposition n°25 : Supprimer le critère d’âge minimum pour créer et administrer une association, afin de revenir à l’état antérieur de la loi et rester fidèle à son esprit de liberté d’organisation comme à son histoire. Amender le Code civil, chapitre de la minorité, pour faire reconnaître « le mandat associatif ».

Des questions ?Envie de créer un journal ? Contactez-nous !N’hésitez pas à contacter Jets d’encre pour poser vos questions, approfondir les thèmes abordés dans ce livre, nous faire part de votre expérience, participer aux évènements de l’association, à nos formations...

Ce sont vos contributions et vos engagements qui permettent à l’association de continuer d’exister et de mener ses actions en faveur de la liberté d’expression des jeunes !

Venez faire un tour sur notre site Internet pour plus d’informations :

www.jetsdencre.asso.fr

Demandez nos autres publications> Le Manifeste de l'association Jets d'encre et la Charte des journalistes jeunes à lire sur www.jetsdencre.asso.fr

> Faut-il (encore) avoir peur de la presse lycéenne ? Actes du forum "20 piges !"à l’occasion du 20ème anniversaire du droit de publication lycéen, 2011

> Ressources de l’Observatoire des pratiques de presse lycéenne à consulter en ligne sur www.obs-presse-lyceenne.org

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Avec ou sans moyens, avec ou sans aide, mais toujours avec la rage et le plaisir de s’exprimer, les jeunes prennent la parole et créent des journaux dans les lieux de vie qui sont les leurs : au collège, au lycée ou à la fac, dans leur quartier ou leur ville.

Spontanée ou plus réfléchie, cette presse originale reste encore confrontée à de nombreuses barrières - de l’indifférence à la censure - qui sont autant d’atteintes à la liberté d’expression des jeunes.

C’est pour cela que Jets d’encre consacre son activité à la défense et à la reconnaissance des journaux réalisés par les jeunes de 12 à 25 ans.

Réseau indépendant de rédactions jeunes, Jets d’encre existe grâce à elles, pour elles et avec elles : l’association est animée par des jeunes de moins de 25 ans issus de la presse jeune, et la moyenne d’âge de son Conseil d’Administration est de 20 ans.

Association Jets d’encre39 rue des Cascades 75020 Paris | Tél. : 01.46.07.26.76

[email protected] | www.jetsdencre.asso.fr

Association de loi 1901 à but non lucratif agréée« Jeunesse et Education populaire » et « Education nationale »