Bonnes feuilles

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TEXTES : CORINNE PRADIER ET ANNE-SYLVIE DEBARD / PHOTOGRAPHIES : VINCENT JOLFRE

Traiter du mystère est osé. Par définition, on ne saitjamais trop où il nous mène. Dans Lieux mystérieux en Auvergne, à paraître fin avril et dont Massif central publie en exclusivité les bonnesfeuilles, Corinne Pradier est sortie des standards et

des sentiers battus. L’écrire fut pour elle source d’une profondeintrospection. Que vient faire le mystère dans son parcoursd’auteur ? Et dans sa vie ? Anne-Sylvie Debard, qui l’accom-pagne depuis 2003 dans son travail, a comme jalonné ce chemi-nement intérieur. Les deux femmes sont entrées en dialogue etont écrit cet ouvrage à quatre mains : l’une narre sa pérégrina-tion, avançant à tâtons au fil d’un parcours presque initiatique ;la seconde, en recul, guide ses pas, parsemant sa progression demots poétiques. Vincent Jolfre, collaborateur régulier de notre

magazine, est venu poser son regard de photographe sur cesendroits énigmatiques, donnant à voir l’invisible, transcendant,à la faveur d’un reflet ou d’une volute de brume, ici lasilhouette d’une chapelle, là le chaos granitique d’une vallée.Au final, Lieux mystérieux en Auvergne est un itinéraire à travers les quatre départements menant à 28 sites, religieux ouprofanes, naturels ou bâtis. L’originalité du propos n’est pastant dans leur description géographique, historique, ni mêmelégendaire, mais dans la réflexion très subjective qu’ils inspi-rent aux deux auteurs. Cet angle d’approche, très personnel,n’enferme pas, au contraire. Il ouvre à la confrontation. Commeune invitation à suivre, à notre tour, ce chemin désormaisbalisé, pour sentir et ressentir l’âme des lieux. Qui sait ? Ilspourraient bien nous parler aussi. ■

❚ La vallée de Chaudefour (Puy-de-Dôme). ❚ L’église romane de Saint-Saturnin (Puy-de-Dôme). ❚ Le sanctuaire de Vassivière (Puy-de-Dôme).

❚ La chapelleSainte-Madeleine

à Massiac (Cantal).

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Lieux

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Sur un plateau battu par les vents à plus de 1000 mètres d’altitude, où les toitsdes maisons sont couverts de « pierres qui chantent », brille un joyau. Voilàquatre cents ans, sur les terres du Velay oriental, les hommes ont creusé descarrières à ciel ouvert dont ils ont extrait la lauze1, une roche magmatiquevolcanique spécifique de certains volcans du Massif central. À Champclause,

dans le Meygal, à force de creuser, ils ont atteint une source d’eau limpide venue rem-plir une vasque profonde de huit mètres, qu’il fallait siphonner pour évacuer la pierre.Lorsque le bruit des charrettes tirées par des chevaux s’est éteint est né celui dont lenom résonne d’un son clair : le lac Bleu. Le chemin qui serpente à travers bois gardejusqu’au plus tard l’instant de la découverte. Dans ce creuset minéral scintille toute lagamme des bleus, de l’ardoise à l’azur, du turquoise au cobalt, de l’indigo à l’opaline…jusqu’au bleu de minuit que l’on rêve nimbé d’une voie lactée. […]

Sur la pellicule apparaissent comme par magie les Nymphéas de Monet, alors qu’aufond des eaux se glisse le corps ondulant d’une truite, telle une virgule bien réelle dansle temps d’un jour qui s’enfuit « vers l’infini ouvert, au-dedans de toi-même2 ».

1. Caractérisée par le son clair qu'elle émet lorsqu'on la frappe, cette pierre fut appelée phonolite,« pierre qui chante ».

2. Bian Shoumin (1684-1752).

Le lac Bleu (Haute-Loire)

La sérénité de ce lieu invite au silence…Alors, la beauté mouvante des reflets nous embarque

dans un voyage, où il est bon de se perdre pour se trouver. Entre réalité et illusion, nous voguons longtemps à la recherche de cet équilibre

quelque part, au-delà du miroir de l’âme.

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Dans la profondeur des gorges del’Alagnon, au voisinage du gouffreNoir, se trouve la Valle Clara, velclarificans, vallée donnant lalumière. En géographie, comme

dans le monde intérieur, la lumière côtoie lesombres, elle « donne à voir ». Par un après-midide mai, je remonte le cours paisible de la rivièrejusqu’à Vauclair où, dans le creux du hameau, secache une chapelle datée de l’extrême fin del’époque romane 3 (1180-1210). […] Me voicidevant une porte donnant sur le côté gauche duchœur. Je peine quelque peu à l’ouvrir. Puis, sou-dain, sans que rien m’y ait préparée, c’estl’éblouissement. Un vertige me saisit tant lecontraste est grand entre la simplicité du dehors etla « sensualité » du dedans, car comment nommerautrement ce qui provoque l’affolement des sens.Autour de moi, tout n’est qu’entrelacs, dorures,courbures, scintillements… […]

Au sortir de la chapelle, mes yeux sont fatigués etje réalise bientôt que j’ai perdu pied. N’en est-ilpas toujours ainsi lorsque l’on cède au chantmélodieux des sirènes? […] Entre deux maison-nées, une chapelle, un verger où une carmélitevint vivre une prière perpétuelle pendant quelquesannées. Puis, un jour son ordre lui intima de partirau Japon, à la « source du Soleil » ! À Vauclair, aucommencement il y a… un éblouissement !

Vauclair(Cantal)

Alors, l’abandon confiant qui guida ses pas vient à notre rencontre. Et, nous devenons, l’espace d’un instant,

habités par cette Paix dont le cœur de chacun reconnaît la joie.

Le silence pour tout bagage, la prière en bandoulière… elle est partie. Pourtant, dans le jardin qui jouxte la chapelle,

la carmélite de Vauclair a laissé un peu de son secret.

3. Je remercie Madame Salat, adjointe au maire de Molompize, pour les informations transmises.

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Lahar…Demain peut-être, les hommes choisiront-ils d’y construire à nouveau un destin ?

Ainsi nos mémoires, à travers l’histoire, survivraient-elles au temps grâce à ces mainslaborieuses qui les restaurent inlassablement, avec au cœur l’urgence de la trace à laisser

pour demain, comme ultime délivrance de ces énigmes passées non élucidées, à peine évoquées, qui nous interpellent sur le sens à donner au passé, à tous les passés.

“4. Au même titre que le rocher Saint-Michel d'Aiguilhe.5. Merci à Sophie Mage « gardienne » de Jonas qui, comprenant notre

démarche, nous éclaira par son attachement réel à ce lieu en nousfaisant cadeau de ses notes juste avant notre départ.

Faire de l’objet qu’on étudie un sujet de soi-même.Dans cet itinéraire, les grottes de Jonas font figured’exception4 car on ne peut y pénétrer sans d’abords’acquitter d’un droit de passage. Un fait d’appa-rence anodine et qui cependant s’inscrit en filigrane

dans sa longue histoire. Je dois bien avouer qu’au départ l’idéeque je me faisais du mystère semblait fort éloignée d’un tellieu. Or, la falaise de tuf rouge du puy de Saint-Pierre-Cola-mine, constellée de cavités, comme arrachée à elle-même, esten soi pur mystère. Comme lui, elle échappe à toute classifica-tion. Alors à quoi bon tenter vainement de se réconforter enéchafaudant une « Histoire » qui tienne debout. Celle de Jonasest semblable à la coulée de cendres dont elle est faite, constel-lée de trous de mémoire qu’il ne sert à rien de vouloir comblerpar l’excès, sous peine de ne plus rien voir. […] Comment par-ler de Jonas sans s’abstraire un temps de tout ce qu’il fut choiside mettre en lumière ou de garder au secret […] ? Commentéchapper au sens de circulation imposé, dit-on, par la topogra-phie? Les hommes d’aujourd’hui seraient-ils plus vulnérablesau précipice ? Face au trouble qui m’envahit au momentd’écrire, je m’en remets à toi qui m’accompagnes et tu me dis :« “Voir” n’est pas “vouloir voir”. Voir est une grâce qui s’in-vite après avoir laissé toute la place à celle qui la précèdecomme essentielle : la volonté. […] » Comment donner à voirlorsque sur le moment on ne voit pas grand-chose sinon deséclats de passé éparpillés dans l’espace et le temps, vidés deleurs objets qui peuplent les musées ou des demeures privées,car l’homme est ainsi fait qu’il se vole lui-même. […] « Lafaçade, tout imposante qu’elle est encore, ne nous donnequ’une bien faible idée de ce que devait être ce palais uniqueen son genre, dont plus d’un tiers a disparu5. » Je pressens queles lieux ont une mémoire bien à eux, différente de la nôtre,qui ne craint ni le désordre ni le vide. Il semble même qu’ilssoient leur propre maître laissant percer çà et là quelque indicepar-delà les affirmations bruyantes et les suppositions muettes.Pourquoi mettre en avant une période d’habitation plus qu’uneautre? Alors que d’évidence cette cité troglodytique fut au car-refour de tant de cultures qui vinrent y trouver refuge […].

Les grottes de Jonas(Puy-de-Dôme)

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Les auteurs

CORINNE PRADIER plonge ses racines maternelles en régionparisienne et paternelles en Haute-Loire. Une identité danslaquelle elle reconnaît puiser la profondeur d’un regard ainsiqu’un recul nécessaire. Après avoir exercé dans les Métiersdu livre, en 2004, elle se consacre à sa vocation d’auteur.Publiée en édition nationale ou presse régionale, son écrituretrouve sa source dans le vécu. Pour en savoir plus : www.sujetlibre.com/

ANNE-SYLVIE DEBARD est franco-suisse. Dans les années 80,elle passe un diplôme d’infirmière en terre helvète puis, dixans plus tard, un diplôme européen de naturopathie. Au fil du temps et de ses rencontres, ce qui constitue le cœur de sa vie s’impose : accompagner les êtres dans leuraccomplissement. Mariée, mère de quatre enfants, elle relie,délie, allie à la Vie, offrant ainsi son espace, tel un pontpermettant à ceux qui lui en font la demande de rejoindred’autres rives.

VINCENT JOLFRE est un photographe au plus près du réel. C’esten travaillant en usine, dans la chaleur des hauts-fourneaux,qu’il choisit d’acquérir les moyens matériels de sa formation.Il travaille ensuite pour la presse régionale (Massif centralmagazine) et, pendant quinze ans, œuvre — en filage continu— comme photographe indépendant des arts du spectacle.Désormais, son regard orienté vers la lumière naturelles’épanouit dans la photo de paysage.

Saint-Michel d'Aiguilhe (43) – Antoune, sur leshauteurs d'Espinasse (43) – le lac Bleu de Champ-clause (43) – le pont du Diable de Chalencon (43)– Notre-Dame d'Estours (43) – la Thuile des Féesde Tailhac (43) – Notre-Dame Trouvée de Lavoûte-Chilhac (43) – la chapelle Sainte-Madeleine deMassiac (15) – Vauclair, au secret des gorges del'Alagnon (15) – la chapelle Saint-Antoine deChastel-sur-Murat (15) – la cascade de Salins (15)– le puy de l'Arbre de Montsalvy (15) – les grottesde Perrier (63) – les grottes de Jonas (63) – la vallée de Chaudefour (63) – le sanctuaire deVassivière (63) – Saint-Saturnin (63) – Orcival (63) –le lac de Guéry (63) – la source des Roches de Chamalières (63) – le puits de Sainte-Flamine, àDavayat (63) – le gour de Tazenat (63) – la chapellede Biollet (63) – la pierre Ginich, au pied du Mon-toncel (63) – la Visitation de Ris (63) – la Sentinellede Tronçais (03) – la fontaine de Viljot (03) – le Triangle de la Burle (43).

• Lieux mystérieux en Auvergne,éd. Ouest-France,avril 2011, 144 p.,15,90 euros.

28 lieux mystérieux

❚ Vincent Jolfre, Anne-Sylvie Debard et Corinne Pradier.

❚ Du haut de la chapelle Saint-Antoine, à Chastel-sur-Murat (Cantal).

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