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L’occupation américaine et les larmes de sang prédites par Hannibal Price (4 de 5) Par Leslie Péan, 27 juillet 1915 La finance n’est pas le seul domaine que les forces d’occupation ont investi avec férocité et cynisme. Elles l’ont fait aussi dans le champ électoral. Au niveau présidentiel d’abord. C’est le choix par l’amiral Caperton de la doublure Dartiguenave au lieu de Rosalvo Bobo. Après 40 ans de présidents noirs, les Américains jouent la carte mulâtre. Leurs psychologues estiment que Dartiguenave est un meilleur chien couchant. Une pratique perverse qui continuera avec Louis Borno, Sténio Vincent puis Élie Lescot. Tous s’y prêtent afin de se sentir exister comme êtres humains. On est loin du temps où, dans un créole rèk, Boyer Bazelais disait à Boisrond Canal : Swa pa ka sèvi doubli pou sak kòlèt (la soie ne saurait servir de doublure dans un sac de jute). D’où le schisme au sein du Parti Libéral et la guerre civile de la Rue Pavée entre mulâtres. Le balancier du néant reprendra dans l’autre direction à partir d’Estimé. L’expérience de la corruption des « cumberland » entourant les zélections de 2010 est largement documentée. Le mal est aussi concentré au niveau des législatives. Pour comprendre comment les forces d’occupation ont détraqué le processus électoral des législatives de 1917, nous citons des extraits de notre ouvrage Comprendre Anténor Firmin : une inspiration pour le XXIe siècle publié en 2012 aux Presses de l’Université d’État d’Haïti. Un moyen de multiplier l’accès à une autre parole et de la diffuser dans une conjoncture où tout est fait pour entraver la connaissance et propager des illusions. Les élections législatives de 1917 « Bernardin Bernadotte, représentant du candidat Justin Barau à l’Arcahaie, est harcelé systématiquement depuis le 30 décembre 1916 par deux concurrents ligués contre lui, Georges Nicolas Léger et Louis Cassagnol, qui demandent d’annuler les élections législatives dans la commune de l’Arcahaie pour cause de fraudes dans les listes électorales. Ils se présentent avec un officier américain et demandent au magistrat communal le droit d’examiner les listes électorales. Devant le refus des autorités de les lui communiquer, Cassagnol avise les autorités de la Capitale que 27 électeurs avaient été inscrits par le juge de paix en dehors des heures réglementaires prévues. M. Aclocque, substitut du commissaire du Gouvernement, est envoyé le jeudi 11 janvier 1917 à l’Arcahaie pour mener une enquête qui révélera que les allégations de Cassagnol 1

L’occupation américaine et les larmes de sang prédites par Hannibal Price-4 de 5

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La finance n’est pas le seul domaine que les forces d’occupation ont investi avec férocité et cynisme. Elles l’ont fait aussi dans le champ électoral. Au niveau présidentiel d’abord. C’est le choix par l’amiral Caperton de la doublure Dartiguenave au lieu de Rosalvo Bobo. Après 40 ans de présidents noirs, les Américains jouent la carte mulâtre. Leurs psychologues estiment que Dartiguenave est un meilleur chien couchant. Une pratique perverse qui continuera avec Louis Borno, Sténio Vincent puis Élie Lescot. Tous s’y prêtent afin de se sentir exister comme êtres humains. On est loin du temps où, dans un créole rèk, Boyer Bazelais disait à Boisrond Canal : Swa pa ka sèvi doubli pou sak kòlèt (la soie ne saurait servir de doublure dans un sac de jute). D’où le schisme au sein du Parti Libéral et la guerre civile de la Rue Pavée entre mulâtres. Le balancier du néant reprendra dans l’autre direction à partir d’Estimé.

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Loccupation amricaine et les larmes de sang prdites par Hannibal Price (4 de 5)

Par Leslie Pan, 27 juillet 1915

La finance nest pas le seul domaine que les forces doccupation ont investi avec frocit et cynisme. Elles lont fait aussi dans le champ lectoral. Au niveau prsidentiel dabord. Cest le choix par lamiral Caperton de la doublure Dartiguenave au lieu de Rosalvo Bobo. Aprs 40 ans de prsidents noirs, les Amricains jouent la carte multre. Leurs psychologues estiment que Dartiguenave est un meilleur chien couchant. Une pratique perverse qui continuera avec Louis Borno, Stnio Vincent puis lie Lescot. Tous sy prtent afin de se sentir exister comme tres humains. On est loin du temps o, dans un crole rk, Boyer Bazelais disait Boisrond Canal : Swa pa ka svi doubli pou sak klt (la soie ne saurait servir de doublure dans un sac de jute). Do le schisme au sein du Parti Libral et la guerre civile de la Rue Pave entre multres. Le balancier du nant reprendra dans lautre direction partir dEstim.

Lexprience de la corruption des cumberland entourant les zlections de 2010 est largement documente. Le mal est aussi concentr au niveau des lgislatives. Pour comprendre comment les forces doccupation ont dtraqu le processus lectoral des lgislatives de 1917, nous citons des extraits de notre ouvrage Comprendre Antnor Firmin: une inspiration pour le XXIe sicle publi en 2012 aux Presses de lUniversit dtat dHati. Un moyen de multiplier laccs une autre parole et de la diffuser dans une conjoncture o tout est fait pour entraver la connaissance et propager des illusions.Les lections lgislatives de 1917

Bernardin Bernadotte, reprsentant du candidat Justin Barau lArcahaie, est harcel systmatiquement depuis le 30 dcembre 1916 par deux concurrents ligus contre lui, Georges Nicolas Lger et Louis Cassagnol, qui demandent dannuler les lections lgislatives dans la commune de lArcahaie pour cause de fraudes dans les listes lectorales. Ils se prsentent avec un officier amricain et demandent au magistrat communal le droit dexaminer les listes lectorales. Devant le refus des autorits de les lui communiquer, Cassagnol avise les autorits de la Capitale que 27 lecteurs avaient t inscrits par le juge de paix en dehors des heures rglementaires prvues. M. Aclocque, substitut du commissaire du Gouvernement, est envoy le jeudi 11 janvier 1917 lArcahaie pour mener une enqute qui rvlera que les allgations de Cassagnol taient fausses. Mais Cassagnol ne savoue pas vaincu et utilise les bons offices du lieutenant amricain Brown pour tenter nouveau dannuler les lections. Bernadotte est convoqu au Commissariat de police, o lofficier amricain Brown menace de le torturer et de lui forcer boire des boquittes deau, [le fameux supplice du waterboarding] (simulation de noyade) condamn par la Convention de Genve du 27 juillet 1929]. Il est questionn sur les soi-disant prix pays par Justin Barau pour acheter chaque vote et enfin sur les hypothtiques envois de fonds de Justin Barau au juge de paix et ses supplants pour organiser sa campagne.

Suite aux protestations du candidat Justin Barau contre les manuvres dloyales de son concurrent Georges Lger, candidat la dputation pour lArcahaie, Stnio Vincent, secrtaire dtat de lIntrieur, envoie le long tlgramme suivant au magistrat communal.

"Gouvernement et Occupation affirment une nouvelle fois leur volont de garantir la libert et la sincrit des prochaines lections. Que les citoyens de lArcahaie se rassurent! Quils se ressaisissent ! Quils aillent lurne librement en toute scurit sans se laisser intimider par qui que ce soit et quils votent carrment pour le candidat de leur choix sous la protection des lois. Vous porterez immdiatement ce tlgramme la connaissance du peuple de votre commune tant lArcahaie que dans les quartiers de Cabaret et de La Gonve."Mais malgr ce tlgramme, Bernardin Bernadotte nest pas au bout de ses peines. Le ciel lui tombe sur la tte dans la soire du 13 janvier:

"Ce soir-l mme, dit Bernadotte, onze heures et demi, le sergent Dgant dfona une porte de la maison de M. Bernardin Bernadotte pour y donner lentre un officier amricain. Le sergent monta au grenier rveiller M. Bernardin Bernadotte et le contraignit descendre au 2 tage o lofficier amricain avait dj commenc des fouilles. Tout fut boulevers. Les papiers et les minutes du notaire furent jets aux quatre coins de la maison. Les lettres, les cartes dlecteurs, les valeurs trouves furent confisques. Et aprs plusieurs scnes de violence, les visiteurs nocturnes se retirrent pour aller continuer leurs uvres chez le juge de paix et chez le magistrat communal. Ce dernier, ayant su que des visites nocturnes se faisaient, abandonna sa maison, laissant sa famille aux prises avec les inquisiteurs et partit cette nuit mme dans un canot pour Port-au-Prince, o il eut mettre au courant le secrtaire dtat de lIntrieur de ce qui se passait chez lui."Ayant cr une situation de prcarit partir dintenses pressions des autorits militaires amricaines, les autorits qui devaient crer le bureau lectoral ont pris la fuite et ce sont les personnalits la solde du clan Lger/Cassagnol qui prennent en main lorganisation lectorale le 15 janvier, jour du scrutin. La caricature lectorale sera impose et Georges Nicolas Lger sera lu dput de la capitale..La mascarade du plbiscite de 1918 La cohabitation entre les Marines amricains et la nouvelle Chambre lue le 15 janvier 1917 se rvle aussi difficile quelle avait t en juillet 1915. Le major Smedley D. Butler des Marines tait pourtant assur de la collaboration du minuscule 1% des Hatiens portant des chaussures, contre les 99% qui allaient pieds nus. Le Cercle Bellevue avait bien accueilli lamiral Caperton et lavait remerci davoir mis lorchestre du bateau de guerre USS Washington sa disposition pour animer son grand bal du 11 dcembre 1915, loccasion de son dixime anniversaire. Dans le schma propre la comdie, constatant que les Amricains ne mettent pas la main la poche pour faire pencher la balance dans le sens voulu, lopposition se durcit. Ballots entre le fantasque et le sinistre, les Amricains revendiquent haut et fort le droit dtre absurde en procdant la premire dissolution du Snat le 5 avril 1916 et de la Chambre des dputs le 17 mai 1916.

Les lections lgislatives de janvier 1917 ne changent pas la donne fondamentale. Patriotes et dmocrates refusent de voter la nouvelle Constitution donnant aux trangers le droit davoir des biens fonciers en Hati. Alors, nouveau, le 19 juin 1917, les Amricains interviennent manu militari dans une sance de lAssemble nationale anime par son prsident Stnio Vincent. Qui organise le marcage de la futilit, cachant sa fourberie avec des pointes dobscnit. Un an plus tard, le 19 juin 1918, une mascarade de plbiscite est organise par les Amricains et le gouvernement Dartiguenave dans laquelle la majorit des bulletins distribus ne comportent que le oui avec quelques non pour donner le change. Selon les auditions au Congrs amricain en 1922, il y eut 98,294 bulletins favorables et 769 contre, soit moins de 5% de la population. ( suivre)

Justin Barau, Mmoire la Chambre des Dputs : Contestation de la validit des pouvoirs de Mr. Georges Nicolas Lger, Imprimerie Chenet, Port-au-Prince, 1917, p. 8.

Ibid. p. 8.

Leslie Pan, Comprendre Antnor Firmin: une inspiration pour le XXIme sicle, Port-au-Prince, Presses de lUniversit dtat dHati, 2012, p. 162-164.

Hans Schmidt, The United States Occupation of Hati, 1915-1934, Rutgers University Press, 1971, p. 80.

United States Congress,Inquiry Into Occupation and Administration of Haiti and Santo Domingo, Volume 1, Senate Select Committee on Haiti and Santo Domingo, Washington, D.C., 1922, p.26.

United States Congress,Inquiry Into Occupation and Administration of Haiti and Santo Domingo, Volume 2, Senate Select Committee on Haiti and Santo Domingo, Washington, D.C., 1922, p. 1469.

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