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    Prsentation

    uvre dart lpoque de sa reproductibilit technique , par Walter Benjamin

    duit de lallemand par Frdric Joly

    face dAntoine de Baecque

    duction indite

    ions Payot

    ser, cest ressentir. Et cest une exprience intime, intuitive, des sens et des formes, de lespace et du monde que nous invite jamin dans cet essai de 1939 qui reste son texte le plus populaire. Le philosophe y montre comment linvention de la photograout celle du cinma, en rendant possible la reproduction massive des uvres dart, ont prcipit le dclin de laura , formule dsbre pour un concept devenu central dans lhistoire de lart et la philosophie esthtique, laura dune uvre tant leffet de sa pr

    que, lie un lieu prcis et inscrite dans lhistoire. travers cette crise esthtique, cest de notre socit quil nous parle, une soccun a le droit dtre un hros et de peser sur la vie de la cit, mais une socit qui doit aussi rinventer lespace intime, le rapport au futur et mme lauthenticit.

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    Walter Benjamin

    Luvre dart lpoque de

    sa reproductibilittechnique

    Traduction indite de lallemandpar Frdric Joly

    Prface de Antoine de Baecque

    Petite Bibliothque Payot

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    DITIONS PAYOT & RIVAGES106 boulevard Saint-germain

    75006 Pariswww.payot-rivages.fr

    Couverture : Anne-Laure BaudrillartIllustration : www.annelaurebaudrillart.com

    TITRE ORIGINAL :

    Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbark eit (1939)

    2013, ditions Payot & Rivages,pour la prface et la prsente traduction franaise

    ISBN : 978-2-228-90971-6

    Cette uvre est protge par le droit d'auteur et strictement rserve l'usage priv du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, tigracieux ou onreux, de tout ou partie de cette uvre, est strictement interdite et constitue une contrefaon prvue par les articles L 335-2 et suivants

    Code de la Proprit Intellectuelle. L'diteur se rserve le droit de poursuivre toute atteinte ses droits de proprit intellectuelle devant les juridictiociviles ou pnales.

    http://www.payot-rivages.fr/
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    Prface

    Lart des ravages

    par Antoine de Baecque

    Le film soffre comme un vivier aux pcheurs du pass de lavenir.

    Chris MARKER, propos duJoli Ma

    On trouve dans ce texte fameux de Walter Benjamin 1, cette dfinition du concept daura, dntral dans lhistoire de lart et la philosophie de lesthtique : Nous dfinissons [laura] copparition unique dun lointain, si proche soit-il. Suivre du regard, un calme aprs-midi dtane montagneuse lhorizon, ou une branche projetant son ombre sur celui qui se repose

    nifie respirer laura de ces montagnes, de cette branche2

    . On saisit l le trembl de la pnjaminienne, qui sapparente un vibratopotique, un art de la mtaphore, une exprience is sens et des formes, un ressenti de lespace du monde. Le bien-tre dun homme se reposant rche en montagne, la sieste dans la nature auprs dun ami ou dun tre cher, la dialectique du pdu lointain, la rsurgence prcise du souvenir, lunicit dexception de la chose vcue et surtotet littraire du rendu de la vie, tout cela fait de Benjamin unpenseur crivain dune irrduginalit. Dune audace, galement, qui na que peu dquivalent : qui dautre saurait, oserait cerntif central dune pense laide des mots concrets de la nature, dune mtaphore si traversire,

    urnal intime de petits actes vrais ? Comme il le dit lui-mme, Benjamin cherche respirer lart, connatre avec ses sens, crire, mme sur les concepts les plus abstraits, laide dotions.

    a bataille du tlescopeLuvre dart lpoque de sa reproductibilit technique est un texte problmatiqu

    utomne 1935, Walter Benjamin vit et travaille Paris. Il tente de faire avancer ce quil consmme son grand-uvre,Le Livre des passages, matrice efflorescente de la plupart des textes crits

    cinq dernires annes de son existence. En mme temps, il fait figure de correspondant parisinstitut pour la recherche sociale, dirig New York par Theodor W. Adorno et Max Horkheimer

    dets, et de leur revue,Zeitschrift fr Sozialforschung, dont il existe une dition franaise. Entr

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    assages et ces commanditaires sourcilleux, prend place lhistoire de lcriture et des rcritureuvre dart.

    Tout part des passages parisiens et dun obstacle que rencontre Benjamin : comment dfinofondeur cet art urbain moderne si typique de la capitale franaise dans les deuxime et troisimeu XIXe sicle ? Cette esthtique matrialiste est gouverne par la reproduction mcaniqueproductibilit technique . claircir cette notion est une conditionsine qua non la poursuvail, telle une mise au point, au sens optique du terme : considrer nouveau frais la reproducthnique ouvrira Benjamin une plus juste vision historique de la culture parisienne du XIXesicle

    nale explicitement dans une lettre un ami date doctobre 1935, alors quil se met lcrituuvre dart dabord sous forme de notes, qui vont devenir un texte en quinze points, un avant-pun pilogue , usant dune de ces mtaphores si caractristiques de son style : Je mefforce de dn tlescope par-del la brume ensanglante du dix-neuvime, que je mefforce de dpeindre seloits quil rvlera dans un monde futur, libr de la magie. Je vais videmment commencenstruire moi-mme ce tlescope et, la tche, jai le premier trouv quelques proposndamentales de lesthtique matrialiste. Je suis juste en train de les crire en un courtogrammatique4.

    Le tlescope conu par Benjamin possde un double usage : il lui permet, peu de distance, d

    premier texte,Petite histoire de la photographie

    5

    , puis un second,Luvre dart lpoque productibilit technique. Mais cet instrument, la fin de lanne 1935, nest pas du got dotecteurs, qui lui font quelques reproches vhments, ainsi quun professeur le ferait son lveis gaffeur, inspir mais ruant dans les brancards. En janvier et fvrier 1936, Horkheimer e

    ssage Paris. Il prend connaissance du texte ; sensuivent quelques conversations serres, puour New York, des lettres dune redoutable franchise, crites par Adorno ou par lui respondant parisien qui cherche publier son essai, en allemand et en franais, dans laZeitschrizialforschung. Ce qui embarrasse les New-Yorkais de lcole de Francfort, ce sont des expresitiques trop explicites, tout ce qui pourrait tre compris comme une profession de foi politique gent les remplacements des mots ractionnaires par conservateurs , fascisme par alitaire , guerre imprialiste par guerre moderne , communisme par les fnstructives de lhumanit 6. Benjamin sexcute. Il lcrit Horkheimer : Jai revu [mulations politiques que vous maviez indiques et jai modifi certains endroits la terminologutres, particulirement la fin du premier chapitre, jai modifi le texte mme, parfois aussi ray

    rase. lexception du dernier dont nous avions parl, la notion de fascisme ne sy trouve tout aue dans deux ou trois passages7.

    Do les multiples versions deLuvre dart.Il en existe quatre. La premire, rdige entre ocnovembre 1935. La seconde, en fvrier-mars 1936, aprs discussions et changes avec Adorrkheimer, en vue de sa publication dans laZeitschrift fr Sozialforschung, qui naura lieu q

    on posthume en 1955. Une troisime est rdige directement en franais pour ldition hexagonaurnal pour la recherche sociale , avec laide de Pierre Klossowski, sous la supervision de Rayon, alors directeur du bureau parisien de lInstitut pour la recherche sociale, et du secrtairkheimer Paris, M. Brill, qui manie les ciseaux dAnasthasie avec un zle certain. Achevrs 1936, cette version est conteste par Benjamin (et par Aron), non publie dans limmdiat,

    ratra que cinquante-cinq ans plus tard, en 1991, dans lescrits franais. Enfin, une quatrime ve de 1939, remise plat, repense, rcrite une fois passs et oublis pas tout fait cependant

    nseils, les discussions, les polmiques, les coupes et rcritures des six mois pnibles octobre 1935 mars 1936. Cest gnralement cette dernire version qui sert de suppor

    blications et aux traductions les plus rcentes, notamment celle que propose ici Frdric Joly.

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    aura lpreuveCependant, les rticences formules ds 1936 ne sont pas uniquement lies la termino

    itique un peu crue employe par Benjamin, on sen doute. Il existe un problme de fond rsultanard sur lhistoire de luvre dart, et plus particulirement concernant son orientation. Car le losophe de quarante-trois ans ne braque pas son tlescope vers le futur en se positionnant depu

    ssage parisien des annes 1840. En un mot, son texte nest pas le mode demploi technophogressiste dun perfectionnement de luvre grce aux outils de la reproduction modernrmettraient une large diffusion, voire une dmocratisation de laccs lart. Il ne vise pas ptauration nostalgique dun tat perdu de luvre. Il sagit bien davantage dun regard au prsentlancolique sur ce que la technique fait disparatre jamais : comment lart est entr en crise productibilit de luvre. La mlancolie sourd des lignes controverses deLuvre dart, mai

    rra pourtant que ce regard dsol sait tre crateur.Ce qui sen va, ce qui disparat, quand une machine reproduit une uvre dart, est prcismen

    ra. L rside le problme. On sait Benjamin proche ami de Brecht8 etLuvre darta sans douit sous cette influence dterminante, ce qui explique aussi, et profondment, le scepticisme dAHorkheimer, adversaires du dramaturge, qui ont cherch dbrechtiser le texte de Benjaminrtolt Brecht, la lecture deLuvre dart, est furieux, comme lindique une note de sonJourn

    vailde 1938 : [Benjamin] part de quelque chose quil appelle laura. [] Celle-ci tendrait dpuis peu, conjointement avec le sacr. Benjamin a fait cette dcouverte en analysant le cinmura svanouit cause de la reproductibilit des uvres. Pure mystique ! Malgr la poimystique. Cest donc ainsi quon adapte la conception matrialiste de lhistoire ! Il y a plutt deffrayer9. Pour Brecht, Benjamin verse dans le camp conservateur par pur idalisme, accrocncept mlancolique de laura qui le conduirait regarder vers le pass et rattacher luvre d

    origines cultuelles.Pourtant, l o Brecht, mais aussi Adorno, considrent laura comme un motif de dplor

    njamin y associe une tout autre valeur. Elle est moins dgradation, perte, dprdation, que rup

    se, catastrophe : il ny a pas de jugement moral ou esthtique dansLuvre dart, seulement le cs diffrents tats historiques du statut de luvre lart. Benjamin ne fait que citer un discouploration, datant du milieu du XIXe sicle lui-mme, quil ne partage ni ne juge. Il a lu Baudant au salon de 1859 : Dans ces jours dplorables, une industrie nouvelle se produisit, pluroduisit, qui ne contribua pas peu confirmer la sottise dans sa foi, ruiner ce qui pouvait restin dans lesprit franais10. Il connat cette sentence de Wallace Stevens : La plupart des appdernes destins reproduire la vie, appareil photo compris, ne font en ralit que la rpudier.

    bons le mal ; le bien nous reste en travers de la gorge11. Dans cette mme perspective, il accns la lettre de son essai les mots accusateurs de Georges Duhamel, cinphobe et contempte

    ptime art : Ce quil reproche avant tout au cinma, crit Benjamin propos de Duhamel, cde de participation quil suscite chez les masses. Il prsente le cinma comme un divertisselotes, un passe-temps dillettrs, de cratures misrables, ahuries par leur besogne et leurs soucisspectacle qui ne demande aucun effort, qui ne suppose aucune suite dans les ides, [] nvei

    nd des curs aucune lumire, nexcite aucune esprance, sinon celle, ridicule, dtre un jour ss Angeles12.

    Walter Benjamin dcrit le tournant historique que reprsente le dclin de laura, passage dune uvre dart une autre, comme un dpouillement. Luvre se dfait de son aura, ce qui est auss

    me de libration, au sens de linterprtation marxiste, selon laquelle le capitalisme industriel dp

    rt de son romantisme, de sa sacralit, pour le faire apparatre en sa vrit rifie : une chosoduit, un objet. La gnralisation de la reproduction en art en loccurrence la photographie p

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    ma substitue lunicit de luvre une appropriation par les masses aux fins dun usage de vre de consommation, immdiat. Cependant, crit Benjamin, il manque une chose la reproduct

    us parfaite : lici et maintenant de luvre dart le caractre absolument unique de son existenu mme o elle se trouve. Un peu plus loin, il ajoute : Lici-et-maintenant de loriginal dcin authenticit. Puis : Le domaine entier de lauthenticit se drobe la reproductibilit techniq

    es quatre ges de lart

    Ayant ainsi dfini laura comme lunicit dune uvre dans son espace-temps, le texte dcline qes de lart, considrs chacun en regard de son rapport laura. Pour Benjamin, lart des originvice de pratiques magiques collectives, est avant tout cultuel. Ce que produisent les hommes mire histoire est consacr prendre place au sein dun rituel protecteur, visant leur accordmence de la nature ou des forces divines. Cest ce rituel, et le caractre inapprochable de lrt sacre, qui fondent laura cultuelle : un interdit (du toucher, parfois mme du regard xistence de ces images a plus dimportance que le fait quelles sont vues) dfinit alors le rapp

    uvre dans sa perspective auratique Llan que lhomme de lge de pierre reprsente surois de sa grotte est un instrument magique , rappelle Benjamin.

    Lart de la deuxime poque est musal, dfini par sa valeur dexposition . mesure quatiques artistiques saffranchissent du culte, durant ce long processus de scularisation du rbutant avec la Renaissance italienne, les uvres deviennent exposables. On les montre, horceintes sacres, afin daiguiser et dexciter un got esthtique, un jugement de valeur, une comparre artistes, styles, poques. Mais luvre ainsi expose, en particulier dans les muses, garde i

    n aura : elle conserve une prsence unique et non reproductible dont lautorit plonge celui qui lue dans la contemplation purement esthtique. Le muse dplace laura de luvre : son spectateregarde plus comme un objet cultuel, ni mme tel le symbole dun pouvoir ecclsiastique, princnarchique, mais comme un absolu du beau, une unit idale. Luvre expose devient belleralit sesthtise. Il ne sagit pas dune mtamorphose complte mais dun glissement du sacr d

    culte vers lesthtique.La troisime forme dart est celle de la reproduction mcanique et massive : le cinma e

    mblme et lagent, fond sur un double phnomne de reproduction, lenregistrement mcaniquelit puis la fabrication en srie de copies. Walter Benjamin, semblable un Siegfried Kracauer

    s avant Andr Bazin, invite prendre au srieux les consquences de lapparition dune techniqroduction exacte et surtout mcanique de la ralit, qui change le concept mme de lart. Autre ce nest plus le rituel sacr qui dtermine la valeur de luvre dart, ni sa beaut, mais son rappralit : sa vrit. Toute une srie de consquences en dcoulent, notamment sur le jeu des acnfronts cette liquidation de lunicit de leur performance, et sur la nature contradictoire du ci

    ne peut saffirmer comme art que dans le contraste avec sa nature mcanique profonde. Sa nusoire est une nature au second degr , crit Benjamin propos du cinma : elle est le fruntage, du choix de langle de prise de vue, des gros plans, des ralentis, des surimpressions, tout cre une forme au septime art, mais perturbe sa mcanique purement reproductrice du rel. Benre galement lattention sur lautre procs de reproduction : la diffusion massive des images

    nstitution dun public de masse. Le cinma, selonLuvre dart, ouvre aux spectateurs communaut donc la masse un champ daction insouponn. Il permet une rception collect

    multane, inaccessible ou difficilement accessible aux autres mdiums de reprsentation. La pcinma de Benjamin13nest donc pas rductible une pure pense de la technique, car cest le p

    en est la pierre de touche : lappareil de cinma est destin doter le public dune nourception de la ralit. Comme le sport, le cinma convertit les spectateurs en experts de la ra

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    Par consquent, le cinma devient le lieu privilgi o les masses forment leur conscience polisque, en devenant expert en ralit, le public peut se permettre de changer cette ralit (ou de il peut le faire). Do lespoir plac par Walter Benjamin dans la signification politique du cinmdans la constitution dune communaut spectatrice mancipe. Le quatrime ge de luvre da

    nc politique. Ds lors que le critre dauthenticit est liquid par la reproductibilit technique, etns la masse, toute la fonction de lart se trouve bouleverse. Elle se fonde dsormais, repnjamin, sur une autre forme de pratique : la politique. la foi des croyants, au jugement de gohtes, qui vnraient tout deux laura de luvre, cultuelle ou artistique, succdent le regard

    nversation du public massif des salles obscures, un regard combattant et une conversation qui drps lopinion publique.

    e cinma, art apocalyptiqueLe cinma est lart qui fait des ravages dans lhistoire. Il dtruit, liquide, emporte, renouvelle,

    fois agent destructeur et salvateur. Il est lart de la crise, celui qui provoque la catastrophe : au ryses images galopent les cavaliers de lapocalypse. DansLuvre dart sopre la liquidatiura , selon le terme mme employ par Benjamin. Le film provoque une crise de lart en rompans traditionnels que luvre entretient, dune part, avec la reprsentation du monde et le public, drt, avec luvre elle-mme. Toute la modernit artistique, selon Benjamin, tient dans cette relectucatastrophe cinmatographique : luvre ne peut se perptuer quen sacrifiant son aura traditionne

    Le penseur se dclare prt payer ce prix. Dabord, car toute restauration de lunicit de laurat artificielle ; de plus, le nouvel art oprant cette liquidation lui semble le seul pohniquement, formellement et politiquement, coller la ralit du monde contemporain tel quil in de muer. Benjamin insiste sur ces capacits techniques de la camra et en relve les consqu

    la perception de la ralit : Avec le gros plan, lespace se dilate ; avec le ralenti, ceuvement de se diffracter son tour. [] Il est ainsi bien clair que la nature qui parle la camra

    s celle qui parle lil. Nature autre avant tout parce qu un espace tiss par la conscien

    omme se substitue un espace entrelac dinconscient. [] Cest ici quintervient la camra, avesources propres, ses plonges et contre-plonges, ses coupes et plans de dtail, ses ralentissemeacclrations de laction, ses agrandissements et ses rductions. travers elle, pour la premire

    us faisons lexprience de linconscient optique, comme nous faisons lexprience, traveychanalyse, de linconscient pulsionnel. [] Le film est la forme dart qui correspond la vie dplus dangereuse laquelle doit faire face lhomme aujourdhui. Le cinma entrine, par sa techsa forme, les modifications profondes de la perception. Ainsi, il nest pas seulement le mieux mnregistrer la nouvelle ralit, il possde les capacits den cerner les dangers, la vilargissement ou le rtrcissement, aussi bien limaginaire collectif que linconscient visuel. Ce

    que le cinma se projette dans la pense future : il filme au prsent la crise du pass aussi bienconscient visuel de demain.Benjamin, cependant, nest ni passiste ni futuriste. Sa lucidit est fonde sur le sens du prsent

    te dessine la catastrophe hic et nunc, puisque la destruction de laura engendre dans linstant s formes modernes. Cette position est dabord historique. Walter Benjamin, dans le cru dstence, est pris entre deux apocalypses, pleinement intgres dans son texte : la Grande Guerre codle dvoy de la reproductibilit technique cest la mort quelle a fabrique en masse cisme comme esthtisation dvoye de la politique Tous les efforts pour esthtiser la poliminent en un seul point. Ce point est la guerre , lance-t-il dansLuvre dart. Entre ces

    ueils, le chemin est troit : la catastrophe mme y conduit, sans scurit ni assurance.Mais quest-ce quune catastrophe benjaminienne ? Il faut fonder le concept de progrs sur

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    catastrophe. Que les choses continuent aller ainsi, voil la catastrophe , rpond-il dans un193814. Ailleurs, il indique, sous le sceau du mystre, cette voie troite qui nest ni restaurationdition, ni clbration du patrimoine, ni certitude aveugle place dans le progrs : sont sauvvres lorsquon met en vidence chez [elles] la flure15.Cette flure , ce qui est dessin dans le prsent comme un regard orient la fois vers le pa

    s le futur ce qui diverge dans lhistoire , seul le cinma lenregistre et la met en forme. Carrt apocalyptique par excellence, celui qui dtruit le pass en liquidant la tradition artistique et, dme temps, sauve lhistoire parce quil la projette immdiatement dans le futur. Ce que W

    njamin exprime dans Sur le concept dhistoireen lanant sa cinquime thse par la formule suivune terrible fulgurance : La vritable image du pass se faufile devant nous16. La prsence ssante de limage cinmatographique lui permet dhistoriciser la ralit en la saisissant mnde : il est lart qui dtruit lart, capte linstant de lhistoire, et sauve cette dernire en la prse

    ur le futur par la technique, par la reproduction, en la donnant massivement voir productibilit. Le cinma arrache une poque dtermine au cours homogne de lhistoire. Il rsi recueillir et conserver dans limage luvre dune poque, et dans lpoque le cours entiistoire travers tous ses temps. Chez Benjamin, le cinma a acquis le pouvoir dtre le marqueu

    mps historiques. Voir la catastrophe, tel est, dans lil de Walter Benjamin, le dfi visionnaire quecinma peut relever. Il filme lhistoire qui prend feu, se dfait et se refait.

    Antoine de BAEC

    1. Luvre dart lpoque de sa reproductibilit technique est sans doute lessai de Benjamin qui a bnfici des plus nombreuses ditions et des plmentaires.

    2. Toutes les citations, sauf indication en note, sont tires de la nouvelle traduction propose ici par Frdric Joly.

    3. Pour davantage de dtails, voir les travaux philosophiques de Bruno Tackels, qui a soutenu une thse sur Benjamin, la question de laura et Luvre dartbourg, sous la direction de Philipp e Lacoue-Labarthe, puis a publi chez LHarmattan (Paris, 1999)Luvre dart lpoque de Walter Benjamin. Histoire dau

    prendre et dvelopper cette approche dans Walter Benjamin. Une vie dans les textes. Essai biographique , Arles, Actes Sud, 2009, p. 481-498 et p. 739-788. O, de Rainer Rochlitz, qui a supervis et prsent ldition des uvresde Walter Benjamin en trois volumes dans la collection Folio chez Gallimard (Paris, 2nchantement de lart. La philosophie de Walter Benjamin, Paris, Gallimard, 1992, p. 174-209. Voir galement ldition de Luvre dart lpoque de sa reproiqueralise par Lambert Dousson, Paris, Gallimard, coll. Folio p lus philosophie , 2008.

    4. Walter Benjamin, Correspondance. II : 1929-1940, traduit par Guy Petitdemange, Paris, Aubier Montaigne, 1979, p. 195.

    5. On trouve dans laPetite histoire de la photographiedes formulations trs proches de celles deLuvre dart lpoque de sa reproductibilit technique: rement que laura ? , se demande ainsi Benjamin qui avance les mots repris littralement dans le second essai : Une t rame singulire despace et de t empsrition dun lointain, si proche soit-il.

    6. Lettre de M ax Horkheimer Walter Benjamin, 18 mars 1936, inWalter Benjamin,crits franais, Paris, Gallimard, 1991, p . 132.

    7. Lettre de Walter Benjamin Max Horkheimer, 27 fvrier 1936, ibid., p. 128.

    8. Voir Bruno Tackels, Walter Benjamin, op. cit., p . 433-444.

    9. Bertolt Brecht,Journal de travail, 1938-1955, traduit par Philippe Ivernel, Paris, LArche, 1976, p. 15.

    10. Charles Baudelaire, Salon de 1859, Paris, Honor Champion, 2006, p. 288.

    11. Wallace Stevens, cit par Susan Sontag, Sur la photographie, traduit par Philippe Blanchard, Paris, Christian Bourgois, 1993, p. 236.

    12. Georges Duhamel, Scnes de la vie future, Paris, Mercure de France, 1930, p. 74-75.

    13. Sur Walter Benjamin et le cinma, on peut se reporter Pierre-Damien Huyghe, Lexprience, le film , Tradition, transmission, enseignement. Une relecrnit par Walter Benjamin , Strasbourg, Publications de lcole des arts dcoratifs de Strasbourg, 1997, p. 71-83 ; Maria Muhle, Benjamin, Walter , inAque, Philippe Chevallier (dir.), Dictionnaire de la pense du cinma, Paris, PUF, 2012 ; ainsi que le livre important dirig par Andrea Pinott i et Antonio Somainamin, Aura e choc. Saggi sulla teoria dei media, Einaudi, Torino, 2012.

    14. Walter Benjamin, Charles Baudelaire : un pote lyrique lapoge du capitalisme, traduit et prfac par Jean-Lacoste, Paris, Payot, coll. Petite Bibt 1982, p. 242.

    15. Walter Benjamin,Paris capitale duXIXe

    sicle. Le Livre des passages , traduit par Jean Lacoste, Paris, Le Cerf, 1989, p. 490-491.

    16. Walter Benjamin, Sur le concept dhistoire, suivi de :Eduard Fuchs, le collectionneur et lhistorien, et de :Paris, la capitale du XIXesicle, traduit pa

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    noni, prface de Patrick Boucheron, Paris, Payot, coll. Petite Bibliothque Payot , 2013, p. 59.

    17. Historien, professeur dhistoire du cinma luniversit de Paris-Ouest-Nanterre, auteur notamment deLHistoire-camra, Paris, Gallimard, 2008.

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    Luvre dart lpoque de sa reproductibilittechnique

    Version de 1939

    Nos Beaux-Arts ont t institus, et leurs types comme leur usage fixs, temps bien distinct du ntre, par des hommes dont le pouvoir daction sur lestait insignifiant auprs de celui que nous possdons. Mais ltonnant accroide nos moyens, la souplesse et la prcision quils atteignent, les ides et les haquils introduisent nous assurent de changements prochains et trs profonlantique industrie du Beau. Il y a dans tous les arts une partie physique qui plus tre regarde ni traite comme nagure, qui ne peut pas tre soustrentreprises de la connaissance et de la puissance modernes. Ni la matlespace, ni le temps ne sont depuis vingt ans ce quils taient depuis toujourssattendre que de si grandes nouveauts transforment toute la technique dagissent par l sur linvention elle-mme, aillent peut-tre jusqu m

    merveilleusement la notion mme de lart. Paul VA

    1. Paul Valry, La conqute de lubiquit ,Pices sur lart, Paris, Gallimard, 1934, p. 103-104 [repris dans uvres, tome II, Paris, Gallimard, coll. Biblioiade , 1960, p . 1284].

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    Avant-propos

    Au moment o Marx entamait lanalyse du mode de production capitaliste, ce mode de produit ses dbuts. Marx articula ses visions de sorte quon leur confrt valeur de pronostic. Il remx rapports de base de la production capitaliste, et les formalisa de manire ce que son lecteur quil tait permis dattendre, lavenir, du capitalisme. Il savra quil tait permis den attendr

    ulement une exploitation sans cesse aggrave des proltaires, mais en dfinitive aussi linstauratinditions rendant possible sa propre suppression.Il a fallu plus dun demi-sicle au renouvellement de la superstructure, qui se montre bien plu

    e celui de linfrastructure, pour que soit mis en vidence, dans tous les territoires de la cultuangement des conditions de production. Sous quelle forme ce changement sest produit, il ssible de lindiquer quaujourdhui1. Il est permis dexiger de ces indications quelles aient queur de prdiction. Mais ces exigences rpondent moins des thses sur lart du proltariat apse du pouvoir, et moins encore des thses sur la socit sans classes, que des thses sur les tendolutives de lart dans les conditions de production des temps prsents. Leur dialectique ne se man

    s moins dans la superstructure que dans lconomie. Raison pour laquelle il serait erron de time r la valeur polmique de telles thses. Elles cartent toute une srie de nditionnelles comme la cration et le gnie, la valeur intemporelle et le mystre , notionstilisation incontrle (et pour le moment difficilement contrlable) conduit un traitement la famatriau factuel.Dans les pages qui suivent, les concepts imports dans la thorie de la

    tinguent des concepts plus courants en ce quils sont parfaitement inutilisables pour les viscisme. Ils se montrent en revanche utilisables pour formuler des exigences rvolutionnaires dalitique de lart.

    1. Benjamin considrait aussi tre le premier le faire de faon convaincante, comme en tmoigne cet extrait dune lettre Werner Kraft du 28 octobre 1935 : mier t rouv quelques p ropos itions fondamentales de lestht ique matrialiste. Voir Walter Benjamin, Correspondance. II : 1929-1940, traduit par Guy Petit

    , Aubier-Montaigne, 1979, p. 195. (N.d.T.)

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    I

    Luvre dart a toujours t fondamentalement reproductible. Ce que des hommes avaient fait poujours tre reproduit par dautres. Les lves, dans lapprentissage de lart, les matres, ffusion des uvres, enfin des tiers mus par lappt du gain, pratiquaient effectivement uneroduction. En comparaison, la reproduction technique de luvre dart est quelque chose dind

    mpose par intermittence dans lhistoire, par pousses fort loignes dans le temps les unes des ais avec une intensit croissante. Les Grecs ne connaissaient que deux procds de reproduhnique des uvres dart : la fonte et la gravure. Les bronzes, les terres cuites et les pices de moient les seules uvres dart qui pouvaient tre fabriques par eux en sries. Aucune autre ne poe reproduite dans son unicit et sur un mode technique. Avec la gravure sur bois, la techphique, pour la premire fois, devint reproductible ; elle le fut bien avant que lcriture le devie

    n tour grce limprimerie. Les immenses changements que limprimerie, la reproductibilit techlcrit, a suscits dans la littrature sont connus. Au regard du phnomne qui est ici consid

    chelle de lhistoire universelle, ils ne constituent toutefois quun cas particulier, bien

    rticulirement important. Au Moyen ge, la gravure sur cuivre et la gravure leau-forte viejouter la gravure sur bois, tout comme au dbut du XIXesicle la lithographie.Avec la lithographie, la technique de reproduction atteint un stade fondamentalement nouvea

    ocd, bien plus rapide, qui distingue lexcution du dessin sur une pierre de son gravage dans unbois ou de sa gravure sur une plaque de cuivre, donna pour la premire fois la possibilit phique de mettre ses produits sur le march non pas seulement de faon massive (comme tel tai

    cas), mais dans des prsentations chaque jour nouvelles. Lart graphique, grce la lithographie, fsure daccompagner le quotidien de ses illustrations. Il se mit suivre lallure de limprim. Trst juste quelques dcennies aprs linvention de la lithographie, il fut cependant surpass p

    otographie. Avec la photographie, la main fut pour la premire fois libre des obligations artistplus lourdes du processus de reproduction de limage, ds lors endosses par le seul il r

    bjectif. Lil saisissant plus vite que la main ne dessine, le processus de reproduction de limagmonstrueusement acclr quil put suivre lallure de la parole. Loprateur de cinma, en tournnivelle de la camra en studio, fixe les images aussi rapidement que lacteur dit son texte.

    hographie contenait virtuellement le journal illustr, il en fut de mme de la photographie avec lrlant. La reproduction technique du son fut labore la fin du XIXesicle. Ces efforts convergen

    lorigine dune situation prvisible, que Paul Valry caractrise ainsi : Comme leau, commz, comme le courant lectrique viennent de loin, dans nos demeures, rpondre nos besoins moyeeffort quasi nul, ainsi serons-nous aliments dimages visuelles ou auditives, naissant et svanoumoindre geste, presque un signe1.

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    Aux alentours de 1900, la reproduction technique avait atteint un niveau lui permettant de n seulement de lensemble des uvres dart du pass son objet, et de soumettre leur effet auxandes transformations, mais lui permettant aussi de conqurir une place part entire parmocds artistiques.Pour la prsente tude, rien nest plus instructif que dobserver comment sesnifestations diffrentes la reproduction de luvre dart et lart filmique agissent en retour su

    ns sa forme traditionnelle.

    1. Paul Valry, La conqute de lubiquit , op. cit., p. 105 [et p. 1284 pour ldition Pliade].

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    II

    Cependant, il manque une chose la reproduction la plus parfaite : lici-et-maintenant de lrt le caractre absolument unique de son existence, au lieu mme o elle se trouve. Mais cest sence unique, et uniquement elle, que lhistoire doit de saccomplir, et cette existence, son to

    umet elle. Non seulement doivent tre prises en compte les transformations connues par luvre

    temps dans sa structure physique, mais les divers rapports de proprit dont elle put tre lvent ltre aussi1. Des analyses de type chimique ou physique, qui ne sauraient sappliquerroduction, suffisent retrouver la trace de ses diverses transformations ; la trace des rappo

    oprit, elle, est lobjet dun processus de transmission, dont la reconstitution doit tre entame site dorigine.Lici-et-maintenant de loriginal dcide de son authenticit. Les analyses de type chimique

    ine dun bronze peuvent tre utiles ltablissement de son authenticit ; en consquence, la pun manuscrit identifi comme datant du Moyen ge provient dune archive du XVe sicle, peule ltablissement de cette authenticit. Le domaine entier de lauthenticit se drobe

    productibilit technique et, bien sr, pas uniquement la seule reproductibilit technique2

    .Mais tandis que lauthenticit conservait sa pleine autorit sur la reproduction manuelle, dnralement stigmatise comme contrefaon, il nen alla pas de mme face la reproduction technraison en est double. Premirement, la reproduction technique savre tre plus autonome danports loriginal que la reproduction manuelle. Elle peut, titre dexemple, faire ressortir p

    otographie des aspects de loriginal seulement accessibles la lentille rglable et ses angles ditrairement choisis, mais pas lil humain, ou fixer des images qui se drobent tout bonnemptique naturelle, laide de certains procds comme lagrandissement ou le ralenti. Il sagit mire raison. En second lieu, elle peut de surcrot placer la reprsentation de loriginal dan

    uations qui ne sont pas accessibles loriginal lui-mme. Elle lui donne avant tout la possibilit contr par le rcepteur, que ce soit sous la forme de la photographie, que ce soit sous celle du dicathdrale quitte son emplacement pour tre accueillie dans le cabinet dun amateur dart ; l

    orale, qui est interprte dans une salle ou lair libre, se laisse couter dans une chambre.Les circonstances susceptibles daccueillir le produit de la reproduction technique de luvre

    uvent certes laisser intacte lexistence mme de luvre dart elles nen dprcient pas moinet-maintenant. Si cela ne vaut effectivement en rien pour la seule uvre dart mais, en consqu

    r exemple, pour un paysage qui dfile dans un film sous les yeux dun spectateur, il nen est pas mrt atteinte, travers ce procd, au noyau le plus sensible de lobjet mme de lart, suscemme ne lest aucun autre objet naturel. Il est ici question de son authenticit. Lauthenticit dune

    lincarnation de tout ce qui, en elle, est transmissible de par son origine, de sa dure matrielle

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    uvoir dvocation historique. Ce pouvoir dvocation se fonde sur la dure matrielle de la cec la reproduction, o cette dure matrielle se drobe aux hommes, le pouvoir dvocation histola chose vacille entirement. Rien de plus, toutefois ; mais ce qui se met vaciller ainsi,

    utorit mme de la chose3.Il est possible de rsumer ce qui ressort ici par la notion daura, et de dire : ce qui dprit lp

    la reproductibilit technique de luvre dart, cest son aura4. Le processus est symptomatiqunification excde le domaine de lart.La technique de reproduction, comme on lappelle en gnache lobjet reproduit du domaine de la tradition. En multipliant les reproductions, elle remp

    n apparition unique par des copies produites en masse. Et en permettant la reproduction decontact avec le rcepteur dans la situation qui lui est propre, elle actualise lobjet reproduitux processus conduisent un violent branlement de la chose transmise une dstabilisation dition, le revers de la crise et du renouvellement de lhumanit en cours. Ils se montrent en rlation avec les mouvements de masse de notre temps. Le cinma est leur agent le plus puissanification sociale, y compris dans sa forme la plus positive, et prcisment dans celle-l, ne peunse indpendamment de son aspect destructeur, de son aspect cathartique : la liquidation de la vla tradition dans lhritage culturel. Ce phnomne est des plus tangibles dans les grands

    toriques. Il conquiert des positions toujours nouvelles. Et lorsquAbel Gance, en 1927, sexclamahousiasme : Shakespeare, Rembrandt, Beethoven feront du cinma []. Toutes les lgendes, tmythologies et tous les mythes, tous les fondateurs de religion et toutes les religions elles-mme

    endent leur rsurrection lumineuse, et les hros se bousculent nos portes pour entrer5, il en ars, probablement sans en avoir conscience, une liquidation gnrale.

    1. Naturellement, lhistoire de luvre dart englobe bien plus de choses : lhistoire de Mona Lisa, par exemple, doit se pencher sur la question de savoir combien de fois elle fut copie tout au long des XVIIe, XVIIIeet XIXesicles.

    2. Parce que justement lauthenticit nest pas reproductible, lintroduction forcene de certains procds de reproduction de nature technique a autrenciation et une gradation de lauthenticit. Une fonction importante du commerce de lart a t doprer de telles distinctions. Ce dernier avait un intrt nguer les divers t irages dune p lanche, celle davant et celle daprs la lettre, dune plaque de cuivre, et caetera. Avec linvention de la gravure sur bois, il est perm

    a qualit dauthenticit fut attaque la racine, avant mme davoir pu dployer ses fleurs tardives. Une image de madone du Moyen ge, au moment mmution, ntait p as encore authentique ; elle le devenait au fil des sicles, et le devint surtout, p eut-tre, au cours du XIXe.

    3. La reprsentation provinciale la plus lamentable deFaust a dans tous les cas lavantage, sur un film consacr Faust, de se tenir en concurrence idalsentation de Weimar originelle. Et ce qui, de cette teneur t raditionnelle, peut, au pied de la rampe, se rappeler not re bon souvenir a p erdu toute valeur devant

    ma le fait, par exemple, que derrire Mphisto se cache Johann Heinrich Merck, lami de jeunesse de Goethe, et ainsi de suite.

    4. Walter Benjamin voque pour la premire fois le concept daura en 1931 dans sa fameuse Petite histoire de la photographie. Voir Rainer Ronchantement de lart. La philosophie de Walter Benjamin, Paris, Gallimard, 1992, p . 174-194. (N.d.T.)

    5. Abel Gance, Le temps de limage est venu , in LArt cinmatographique, t. II, Paris, Flix Alcan, 1927, p. 94-96.

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    III

    Les modalits de perception sensorielle des collectivits humaines se transforment aussi, sgues priodes historiques, avec leur mode dexistence entier. Les modalits dorganisation

    rception sensorielle le mdium dans lequel elle seffectue ne sont pas seulement conditionnenature, mais aussi par lhistoire. Le temps des grandes invasions, qui fut celui de lindustrie d

    poque romaine tardive1

    et de la Gense de Vienne2

    , neut pas seulement un autre art coAntiquit, mais eut aussi une autre perception. Les rudits de lcole viennoise, Alos Riegl et ckhoff3, qui slevrent contre le poids de la tradition classique sous laquelle cet art avait t en

    nt les premiers avoir tir des enseignements quant lorganisation de la perception lpoque otait en vigueur. Si vastes qutaient leurs connaissances, elles atteignirent leurs limites, ces sacontentant de donner un portrait formel de la perception propre lpoque romaine tardive. I

    erchrent pas et peut-tre ne pouvaient-ils pas lenvisager montrer les bouleversements sotrouvaient leur expression dans ces transformations de la perception. Les circonstances se mont

    sent plus favorables une telle entreprise. Et si les transformations dans le mdium de la perce

    nt nous sommes les contemporains se laissent comprendre comme le dclin de laura, alors ssible den dmontrer les conditions sociales.Il convient dillustrer la notion daura propose plus haut pour les objets historiques par lide

    a des objets naturels. Nous dfinissons cette dernire comme lapparition unique dun lointaoche soit-il4. Suivre du regard, un calme aprs-midi dt, une chane montagneuse lhorizon, oanche projetant son ombre sur celui qui se repose cela signifie respirer laura de ces montagnte branche. Cette description permet de reconnatre facilement les conditionnements sociauctuel dclin de laura. Ce dernier sexplique par deux circonstances qui sont toutes deux limportance croissante des masses dans la vie daujourdhui. En effet : rendre les choses plus prosoi spatialement et humainement est une demande des masses actuelles5 tout aussi insistantr tendance vouloir vacuer lunicit de chaque ralit travers sa reproduction, daeption de cette reproduction. Chaque jour, le besoin se fait plus imprieusement sentir de se saibjet dans la plus intime proximit, dans limage, ou plutt dans son reflet, dans la reproduction.roduction, indniablement, telle que loffrent le journal illustr et les actualits, se distingu

    mage. Lunicit et la dure sont dans limage aussi troitement intriques que le sont la volatilitouvelabilit dans la reproduction. Lexpulsion de lobjet hors de son nimbe, la destruction de l

    nt la signature dune perception dont le sens de lidentique dans le monde6 sest un tel velopp quelle saccapare galement lunique au moyen de la reproduction. Ainsi se manifeste daistre de lintuitif ce qui, dans le domaine de la thorie, se manifeste comme la valeur croissante

    tistique. Lalignement de la ralit sur les masses et des masses sur la ralit est un processus d

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    rte illimite, tant pour la pense que pour lintuitif.

    1. Allusion au titre du grand ouvrage dAlos Riegl (1858-1905), Die sptrmische Kunstindustrie, Vienne, 1901 parfois traduit aussi en franais par ique du Bas-Empire . Benjamin admire chez Riegl sa manire de dmontrer le caractre historique de toute perception esthtique et danalyser les produits r de leurs conditions formelles de poss ibilit. (N.d.T.)

    2. Die Wiener Genesis , codex biblique enlumin prsentant un extrait du Livre de la Gense dans la traduction de la Septante, et datant de la premire moie. (N.d.T.)

    3. Franz Wickhoff donna en 1895 avec Theodor Gomperz ldition deDie Wiener Genesis et lui consacra une tude fondamentale pour la comprhensioin tardif. (N.d.T.)

    4. Benjamin reprend ici, au mot prs, la dfinition quil donne de laura dans laPetite histoire de la photographie. Sur la dialectique du proche et du lointainmple Bureau des objets trouvs , inWalter Benjamin, Sens unique, traduit et prfac par Frdric Joly, Paris, Payot, coll. Petite bibliothque Payot , 2013

    T.)

    5. Que les choses deviennent, sur le plan humain, plus proches des masses peut signifier : lvacuation de la fonction sociale hors du champ visuel. Rien nn portraitiste daujourdhui, lorsquil peint un chirurgien renomm entour des siens la table du petit-djeuner, saisisse sa fonction sociale avec plus dexactiture du XVIesicle [sic]qui, par exemple comme Rembrandt avecLa Leon danatomie, prsentait au public ses mdecins de faon reprsentative.

    6. Expression tire dun ouvrage de lcrivain danois Johannes Vilhelm Jensen (1873-1950), Exotische Novellen, Berlin, Samuel Fischer, 1909. Jensen est noeur de la nouvelle intitule Gradiva, rendue clbre par lanalyse quen donna Freud en 1907. (N.d.T.)

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    IV

    Lunicit de luvre dart ne fait quune avec son intgration dans la tradition. Cette traditionme est bien srquelque chose dabsolument vivant, quelque chose dexceptionnellement change statue antique de Vnus, par exemple, se situait pour les Grecs, qui faisaient delle lobjet dun

    ns un autre rapport la tradition que pour les clercs du Moyen ge, qui voyaient en elle une

    neste. Mais ce qui simposait aux uns comme aux autres de la mme faon, ctait son unicit ; poe autrement : son aura. Le mode dinsertion originaire de luvre dart dans le rapport la trauvait son expression dans le culte. Les uvres dart les plus anciennes, comme nous le savonnent au service dun rituel, dabord magique, ensuite religieux. Le fait que ce mode dexisatique de luvre dart ne se dissocie jamais entirement de sa fonction rituelle est dsormais

    portance dcisive1. Autrement dit : la valeur unique de luvre dart authentique se fonde dauel, o elle trouve sa valeur dusage originelle et premire . Celle-ci peut tre transmise voe se trouve galement encore dans les formes les plus profanes du culte de la beaut, concemme rituel scularis2. Le culte profane de la beaut, qui prit forme la Renaissance pour res

    ueur trois sicles durant, laissa apercevoir distinctement, une fois cette priode coule, damier pnible branlement dont il fut lobjet, ces fondements. En effet, avec lapparition du pryen de reproduction vritablement rvolutionnaire, la photographie (contemporaine

    mmencements du socialisme), lart sent venir la crise, devenue manifeste cent ans plus tard, ond par la doctrine de lart pour lart3, qui est une thologie de lart. En a ensuite rsult, poure, une thologie ngative qui adopte pour forme lide dun art pur ne rejetant pas seulement

    nction sociale, mais aussi toute dtermination travers un sujet prenant figure. (En posie, Mallacup le premier cette position4.)

    Prendre en compte ces rapports est indispensable si lon entend tudier luvre dart lpoqreproductibilit technique. Car ils prparent laperu suivant, ici dcisif : la reproductibilit techancipe luvre dart, pour la premire fois dans lhistoire universelle, de lexistence paraselle menait dans le rituel. Luvre dart reproduite devient, dans des proportions toujours

    portantes, la reproduction dune uvre dart conue pour la reproductibilit5. De la potographique, par exemple, il est possible de tirer quantit dpreuves ; se poser la question du hentique na pas de sens.Mais ds linstant o le critre de lauthenticit savre inapplicable

    oduction artistique, la fonction sociale entire de lart sen trouve galement bouleverse. Ause fonder sur le rituel, elle se fonde sur une autre praxis : en loccurrence, sur la politique.

    1. La dfinition de laura en tant qu apparition unique dun lointain, si proche soit-il , ne constitue rien dautre que la formulation de la valeur cultuelle dedans les catgories de la perception spatio-temporelle. Lointain est le contraire de proche. Le lointain essentiel est linapprochable. En effet, un trait essentiel d

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    elle est son inapprochabilit. Elle demeure, de par sa nature, un lointain, si proche soit-il . La proximit p ossible avec sa matrialit ne porte p as atteinte sonle conserve une fois app arue.

    2. Dans la mesure o la valeur cultuelle de limage se scularise, les reprsentations du substrat de son unicit deviennent plus incertaines. Lunicit du phnofestant dans limage cultuelle est toujours p lus vince au profit de lunicit empirique du crateur ou de son activit cratrice. Jamais sans un reste, toutefois ; lhenticit ne cesse jamais de renvoyer quelque chose qui excde la simple authentification. (Cela savre particulirement vident chez le collectionneur, qui urs quelque chose de ladorateur de ftiches et qui, travers la possession de luvre dart, contribue activement sa force cultuelle.) En dpit de cela, la foept dauthenticit dans la rflexion sur lart demeure vidente : avec la scularisation de lart, lauthenticit prend la place de la valeur cultuelle.

    3. En franais dans le texte. (N.d.T.)

    4. Sur la place minente de Stphane Mallarm dans la rflexion de Benjamin, tel que lillustre, par exemple, Sens unique, voir Pierre Missac,Passage damin, Paris, Seuil, 1987, p. 32-35 et p. 57-59. (N.d.T.)

    5. Pour ce qui est des uvres cinmatographiques, la reproductibilit technique du produit nest pas, comme par exemple avec les uvres littraires ou pictu

    ition, simposant de lextrieur, de leur diffusion de masse.La reproductibilit technique de luvre filmique est inhrente la technique mme de sa productionermet pas seulement le mode le plus direct de diffusion massive de luvre cinmatographique, elle le commande tout simplement. Elle le commande, car la pfilm est si coteuse quun particulier qui, par exemple, pouvait soffrir un tableau, ne peut plus soffrir le film. En 1927, il a t calcul quun long mtrage, pble, devait at teindre un public de neuf millions de personnes. Avec le cinma parlant, un recul sest t outefois ici produit, p our linstant ; son public sest en effetison des barrires linguistiques, et au moment mme o taient privilgis les intrts nationaux travers le fascisme. Mais plus important que la prise en com qui, au demeurant, est attnu par le doublage , il convient de se pencher sur le lien de ce cinma avec le fascisme. La simultanit des deux phnomnes tr

    ne dans la crise conomique. Les mmes bouleversements qui, en rgle gnrale, ont conduit tenter de maintenir, au moyen dune violence ouverte, les rarit existants , ont amen lindustrie du cinma, menace par la crise, prcipiter llaboration du film p arlant. Le lancement du cinma parlant procuragement temporaire. Et certes pas pour la seule raison que le parlant attira nouveau les masses dans les salles, mais aussi parce quil rendit solidaires capitaux industrie lectrique et capitaux de lindustrie du cinma. De cette faon, il a considr de lextrieur favoris des intrts nationaux, mais il a conrieur internat ionalis comme jamais auparavant la p roduction cinmatographique.

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    V

    La rception des uvres dart adopte divers accents ; se dgagent parmi eux deux ples. Lun a t

    valeur cultuelle de luvre dart, lautre sa valeur dexposition1,2. La production artistique d

    ec des crations mises au service du culte. On pourrait faire lhypothse, au sujet de ces crationr existence est chose plus importante que le fait quelles soient vues. Llan que lhomme de l

    rre reprsente sur les parois de sa grotte est un instrument magique. Il lexpose certes mblables ; mais il est avant tout destin aux esprits. De nos jours, la valeur cultuelle en tant quemble tout simplement exiger que luvre dart soit dissimule au regard : certaines statues de divnt seulement accessibles au prtre dans le sanctuaire, la cella3 ; certaines images de madones ruvertes presque lanne entire ; certaines sculptures, dans les cathdrales du Moyen ge, ne pee aperues du sol.Les pratiques artistiques particulires smancipant du rituel, les occaxposer leurs productions se firent plus nombreuses . Lexposabilit dun buste, qui peut tre enet l, est plus grande que celle dune statue de divinit, qui se voit assigner un emplacement dfin

    ntrieur du temple. Lexposabilit du panneau peint est plus grande que celle de la mosaque ou

    sque qui le prcdrent. Et si lexposabilit dune messe ntait peut-tre pas moins grande queune symphonie, la symphonie fit tout de mme son apparition au moment o son exposabilit promdevenir plus grande que celle de la messe.Avec les diverses mthodes de reproduction technique de luvre dart, lexposabilit de

    vre dart sest accrue dans des proportions telles que le dplacement quantitatif entre ses es4se traduit, comme au temps de la prhistoire, par une transformation qualitative de sa nature. me faon, en effet, que luvre dart, au temps de la prhistoire, tait en premier lieu devenutu de limportance absolue de sa valeur cultuelle, un instrument de magie, que lon ne reconn

    elque sorte que bien plus tard comme uvre dart, ainsi, aujourdhui, luvre dart, en ver

    mportance absolue de sa valeur dexposition, se voit dote de fonctions entirement indites, pquelles se distingue celle dont nous sommes le plus conscients : la fonction artistique, une fonnt il est fort possible que nous la considrions lavenir comme secondaire5. Il est bien certaineure actuelle la photographie et, plus largement, le cinma apportent ce savoir la confirmation lquate.

    1. Lestht ique de lidalisme, dont le concept de beaut est par principe celui dune beaut indivise (et exclut en consquence lide quelle puisse tre divisennatre cette polarit. Elle sannonce tout de mme chez Hegel si distinctement quelle se montre concevable dans le cadre de lidalisme. On avait dj de longuees. La pit les exigeait depuis longtemps comme objets de dvotion, mais elle navait aucun besoin dimages belles, qui la gnaient mme. Limage belle contienent extrieur, mais cest en tant quelle est belle que son esprit parle aux hommes ; or, dans la dvotion, il faut essentiellement quil y ait un rapport une chose

    mme, elle nest quengourdissement de lme. [] Le bel art [] est n dans lglise mme [] encore que lart soit dj sorti du principe de lglise (Hegea philosophie de lhistoire, traduit par J. Gibelin, Paris, Vrin, 1989, p. 313). Un passage du Cours desthtique laisse galement penser que Hegel avait ici di

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    lme : Nous nen sommes plus, crit-il dans ces cours, p ouvoir vnrer religieusement les uvres dart et leur vouer un culte ; limpression quelles produient p lus t empre, plus rassise, et ce qui sveille en nous p ar leur intermdiaire ncessite encore une plus haute p ierre de touche (Hegel, Cours desthtiqueit par J.-P. Lefebvre et V. von Schenk, Paris, Aubier, 1995, p. 17).

    2. Le passage du premier type de rception artistique au second dcide absolument de lvolution historique de la rception artistique. Une certaine oscillationmoins en principe observer, pour chaque uvre dart particulire, entre ces deux modes de rception opposs. Ainsi, par exemple, de La Vierge de saint Sixtde de Hubert Grimme, on sait queLa Vierge de saint Sixtefut lorigine peinte pour tre expose. Les recherches de Grimme taient motives par la question quoi le linteau de bois, au premier plan de limage, sur lequel sapp uient les deuxPutti? Comment Raphal, se demanda ensuite Grimme, avait-il pu avoir lide del de deux tentures ? Lenqute montra que La Vierge de saint Sixteavait t commande loccasion de la crmonie de mise en bire du pape Sixte [Jules II, darimme (N.d.T.)]. La monstration de la dpouille du pape avait eu lieu dans une chapelle latrale de la basilique Saint-Pierre. Tout au long de lexposition soleau de Raphal avait repos sur le cercueil, au fond un fond en forme de niche de la chapelle. Le sujet reprsent par Raphal dans ce tableau, comme surgre-plan de la niche dlimit p ar les rideaux verts, cest la M adone, sur le tap is de nues, savanant vers le cercueil papal. La remarquable valeur dexposition daphal trouva son p lein emploi loccasion des funrailles de Sixte. Peu de temps ap rs, il fut plac sur le matre-autel de lglise du monastre des Chartreux, ison de cet exil se trouve dans le rituel romain. Le rituel romain interdit de vouer un culte, sur un matre-autel, des images ayant t exposes loccasion de fu

    injonction fut, dans une certaine mesure, lorigine dune dprciation de luvre de Raphal. Cependant, afin den tirer un prix consquent, la curie finit pacitement que le tableau puisse tre expos sur un matre-autel. Afin dviter toute polmique, on laissa partir le tableau vers une confrrie dune lointaineince. [Pour une revisitation critique trs fouille de la prsente analyse, voir Hubert Damisch, Thorie du nuage. Pour une histoire de la peinture, Paris, Seuil, 19N.d.T.)]

    3. La cellaest la partie close du temple trusque et plus tard du temple romain. (N.d.T.)

    4. Cest--dire la valeur cultuelle dun ct et la valeur dexposition de lautre. (N.d.T.)

    5. Brecht, sur un aut re plan, propose des rflexions analogues : Si nous ne pouvons p lus app liquer la notion duvre dart la chose qui nat ds que luvreforme en marchandise, il faut alors abandonner cette notion, avec prudence et circonspection, mais sans crainte, si nous ne voulons pas que soit liquide en mnction de la chose, car elle doit passer par cette p hase et cela sans rousp ter : il ne sagit p as dun p etit cart sans consquence hors du droit chemin. Ce qui lui afiera de fond en comble et effacera son p ass, tel p oint que sil fallait rep rendre un jour lancienne notion et cela arrivera bien, pourquoi pas elle nvoquerenir de ce quelle dsignait jadis (Bertolt Brecht, Le p rocs deLOpra de Quat sous , in Sur le cinma, traduit par J.-L. Lebrave et J.-P. Lefebvre, Paris, , p. 214-215).

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    VI

    Dans la photographie, la valeur dexposition refoule sur toute la ligne la valeur cultuelle.le-l ne cde pas sans rsistance. Elle dispose dun dernier retranchement, le visage humainsard ce que le portrait occupe une place centrale dans la photographie des dbuts. La valeur cullimage trouve son dernier refuge dans le culte du souvenir des tres aims loigns ou disparus.

    xpression fugitive dun visage humain, laura, sur les photographies des dbuts, fait signe ponire fois. Cest cela mme qui fait sa beaut mlancolique et comparable nulle autre. Mais omme se retire de la photographie, la valeur dexposition oppose pour la premire fois la vtuelle sa supriorit. Limportance sans pareille dEugne Atget, qui immortalisa les rues parisiees dhabitants du XIXesicle, est davoir donn ce processus son lieu1. On a dit de lui, tr

    oit, quil les photographiait comme une scne de crime. La scne du crime est galement vide desence humaine. Le clich qui en est pris rcolte les indices. Les clichs photographiques, chez A

    viennent des pices conviction du processus historique. Cest cela qui fait leur signification polche. Ils ne tardent pas exiger une rception bien dtermine. La contemplation dtache ne

    nvient pas beaucoup. Ils inquitent le regardeur, qui ressent ceci : pour aller vers eux, simponraire bien prcis. Dans le mme temps, les journaux illustrs se mettent lui servir de guidalit ou non quimporte. La lgende, pour la premire fois, lui est devenue indispensable. Et dent quelle revt un tout autre caractre que le titre dun tableau. Les directives que le rega

    une image, dans le priodique illustr, reoit par le biais de la lgende, deviennent trs vitecises et plus imprieuses encore dans le film, o la conception de chaque image unique est le fr

    succession de toutes celles qui la prcdent.

    1. Nous savons grce Pierre Missac, qui connut Benjamin personnellement, que le philosophe navait quune connaissance partielle de luvre dAtget, puibre de photographies de rues parisiennes prises par ce dernier comprennent, en fait, au moins un personnage. Voir Pierre Missac, Passage de Walter Benjamin1-102 et p. 132. (N.d.T.)

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    VII

    La querelle qui a prospr, au cours du XIXe sicle, entre la peinture et la photographie quaneur artistique respective de leurs productions, parat aujourdhui aberrante et confuse. Mais u

    nstat ne plaide pas en dfaveur de son importance et, au contraire, pourrait plutt la souligner. erelle tait effectivement la manifestation dun bouleversement historique lchelle mondiale q

    t que tel, ntait consciemment compris par aucune des deux protagonistes. Lpoque droductibilit technique privant lart de son fondement cultuel, lapparence de son autonvanouit jamais. Mais le changement de fonction de lart qui en dcoulait ne fut pas aperu pcle. Et il chappa longtemps aussi au XXesicle, qui vit le dploiement du cinma.

    Comme lon avait rivalis en vaine sagacit afin de dcider si la photographie tait un art demander dabord si la nature entire de lart ne stait pas transforme avec linvention otographie , les thoriciens du cinma se posrent bientt, son sujet, les mmes quesmatures.Mais les difficults que la photographie avait causes lesthtique traditionnelle

    jeu denfant compares celles qui lattendaient avec le cinma. Do la violence aveugl

    actrise les dbuts de la thorie du film. Abel Gance, par exemple, compare de cette faon le filmroglyphes : Nous voil, par un prodigieux retour en arrire, revenus sur le plan dexpressioyptiens. [] Le langage des images nest pas encore au point parce que nos yeux ne sont pas ets pour elles. Il ny a pas encore assez de respect, de culte, pour ce quelles expriment1. Svars, quant lui, crit : Quel art eut un rve [], plus potique la fois et plus rel ? Considr cinmatographe deviendrait un moyen dexpression tout fait exceptionnel, et dans son atmosphvraient se mouvoir que des personnages de la pense la plus suprieure aux moments les plus paes plus mystrieux de leur course2. Alexandre Arnoux, de son ct, termine une libre digressio

    cinma muet en posant tout simplement la question : En somme, tous les termes hasardeux que

    nons demployer ne dfinissent-ils pas la prire

    3

    ? Il est trs instructif dobserver combieoriciens sefforcent dattribuer au cinma le terme dart, et combien cet effort les oblige y dec une dsinvolture sans pareille, des lments cultuels. Et pourtant, lpoque o ces spculient publies, des uvres commeLOpinion publiqueetLa Rue vers lortaient dj visibles4

    mpche pas Abel Gance dlaborer la comparaison avec les hiroglyphes, ni Sverin-Mars de pcinma comme on pourrait parler des peintures de Fra Angelico. Il est symptomatique quaujour

    core aussi, les auteurs ractionnaires, tout particulirement, partent en qute de la significatioma en se tournant dans la mme direction : vers la sphre de ce que nous pourrions appeler le alors vers celle du surnaturel. loccasion de ladaptation cinmatographique donne par

    inhardt du Songe dune nuit dt, Franz Werfel affirme que le cinma na jusqu prsent pas eneint lart parce quil sest content de donner une strile copie du monde extrieur, avec ses rue

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    rieurs, ses gares, ses restaurants, ses autos et ses plages. Le cinma na pas encore saisi sa vrnification, ses possibilits relles [] Elles tiennent son extraordinaire capacit d

    pression au ferique, au miraculeux, au surnaturel, grce des moyens naturels et une fornviction sans pareille5.

    1. Abel Gance, Le temps de limage est venu , op. cit., p . 100-101.

    2. Cit par Abel Gance, ibid., p. 100. Sverin-Mars (1873-1921) tait acteur et joua dans plusieurs films dAbel Gance, parmi lesquels Jaccuse (1919) et3). (N.d.T.)

    3. Alexandre Arnoux, Cinma, Paris, G. Crs & Cie, 1929, p. 28. [Alexandre Arnoux (1884-1973) tait romancier, dramaturge et traducteur. (N.d.T.)]

    4. Chaplin tourneLOpinion publiqueen 1923 etLa Rue vers loren 1925. (N.d.T.)

    5. Franz Werfel, Ein Sommernachtstraum. Ein Film von Shakespeare und Reinhardt ,Neues Wiener Journal, cit dansLu, 15 novembre 1935.

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    VIII

    Lacteur de thtre, et lui seul, prsente en personne au public, ltat dfinitif, sa performistique ; en revanche, la performance de lacteur de cinma est prsente au public par lintermun appareillage1. De cette dernire donne, rsultent deux consquences. Lappareillage, qui appoblic la prestation de lacteur de cinma, nest pas tenu de respecter cette prestation comme une to

    us la direction de loprateur, il se positionne sans cesse diffremment par rapport rformance. La succession des prises de vue que compose le monteur partir du matriau qui lmis forme le film mont ltat dfinitif. Ce film comprend un certain nombre de moments fa

    uvements qui, en tant que tels, doivent tre reconnus comme des mouvements de camra sans s prises spcifiques comme les gros plans. Ainsi la performance de lacteur est-elle soumise terie de tests optiques. Telle est la premire consquence du rle de mdiation jou par lappare

    ns la prsentation au public de la prestation de lacteur de cinma. La seconde consquence rsidefait que lacteur de cinma, qui ne prsente pas lui-mme, en personne, sa prestation au public, pssibilit, rserve lacteur de thtre, dadapter sa prestation au public au cours de la reprsent

    public de cinma se retrouve de ce fait mme dans une position particulire : celle dun expert ns faire lexprience dun quelconque contact personnel avec lacteur.Le public ne se lie sur le lidentification lacteur quen se liant sur le mme mode lappareillage. Il endosse dodus operandi de cet appareillage : il teste2. Ce nest pas l une manire de faire laquelleurs cultuelles peuvent tre exposes.

    1. L appareillage (die Apparatur)nest pas l appareil (der Apparat). Cette notion est ici synonyme de structure technique . Lappareillage (de reproe reproductibilit) comprend des appareillages spcifiques ; par exemple, pour le film, lappareillage denregistrement (Aufnahmeapparatur), qui inclut, entareillage de prise de vue ou de son, ou encore la machinerie dclairage. Lappareillage englobe aussi, bien sr, les trs nombreux appareils. Voir sur ce point, dansgneAppareilde la Maison des sciences de lhomme, la relecture critique fconde donne par Jacques Boulet de la traduction que Maurice de Gandillac avai

    vre dartp our Gallimard. (N.d.T.)

    2. La position du cinma [] par rapport aux personnages de laction, par exemple, est galement intressante. [] Toute motivation caractrielle est excleure des personnages nest jamais donne comme tant la raison fondamentale de laction, et nen est que rarement le principal rsultat (Bertolt Brecht, Le ra de Quat sous , op. cit., p . 167). la multip lication des p ossibilits de tester lacteur de cinma quautorise lapp areillage correspond lextraordinaire multioque p ar les conditions conomiques, des possibilits de t ester lindividu. Ainsi des examens daptitude professionnelle qui ne cessent de gagner en imports de lexamen daptitude professionnelle, la performance de lindividu se voit dcoupe en squences. Une prise de vue cinmatographique et un examen dessionnelle se droulent devant une commission de spcialistes. Le resp onsable des prises de vue, dans le st udio de cinma, occupe exactement la place quint lexamen dapt itude, du superviseur des examens.

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    IX

    Il importe peu au cinma que lacteur prsente au public un autre lui-mme ; ce qui importe,il se prsente lui-mme lappareillage. Pirandello a t lun des premiers percevoir

    nsformation de lacteur induite par lpreuve dutest. Que les remarques ce sujet insres danman On tournese contentent de souligner laspect ngatif de la chose ne restreint gure leur port

    restreint moins encore le fait quelles portent sur le film muet. Car le parlant na pas transndamentalement cette donne. Ce qui demeure dcisif, cest que lon joue pour un appareillage oucas du film parlant, pour deux. Les acteurs de cinma, crit Pirandello, se sentent comme en exl non seulement de la scne, mais encore deux-mmes. Ils remarquent confusment, avec une sendpit, dindfinissable vide et mme de faillite, que leur corps est presque subtilis, supprim, sa ralit, de sa vie, de sa voix, du bruit quil produit en se remuant, pour devenir une image mtremble un instant sur lcran et disparat en silence []. La petite machine jouera devant le p

    ec leurs ombres ; eux, ils doivent se contenter de jouer devant elle1. Ce mme tat de fait peufini de la manire suivante : pour la premire fois et cest l luvre du cinma , lhomm

    rouve en situation de devoir agir, certes avec sa personne vivante entire, mais dans le renoncemn aura. Car laura est lie son ici-et-maintenant. Il nen existe aucune reproduction. Laura qui, ne, nimbe Macbeth, ne peut tre spare, aux yeux du public vivant, de celle qui nimbe le com lincarne. Mais la spcificit de la prise de vue ralise en studio consiste en ceci que lappare

    cupe la place du public. Aussi laura de lacteur doit-elle svanouir et avec elle, dans le mmps, celle du personnage interprt.

    Il nest pas tonnant quil faille prcisment un dramaturge comme Pirandello pour, dans le poil dresse du cinma, remonter sans le prmditer lorigine de la crise qui, nous le voyons, toutre. Rien, en effet, nest plus radicalement contraire luvre dart happe par la reproduhnique ou comme le film issue delle, que le thtre. Toute analyse approfondie le confirmeservateurs informs ont depuis longtemps reconnu, comme le fit Rudolf Arnheim en 1932, que darsentation filmique, les effets les plus grands sont presque toujours obtenus lorsquon jouins []. Lvolution la plus rcente consiste traiter lacteur comme un accessoire, que lon c

    ur des motifs bien prcis et [] que lon pose la bonne place2. ce constat est trs troitemeautre.Lacteur, qui arpente la scne, sinstalle dans un rle. Cela est trs souvent refus lacinma. Sa performance nest absolument pas homogne, mais est le rsultat de nombreuses acgulires. Outre les considrations relevant de la contingence location du studio, disponibilitrtenaires, dcor, etc. , les contraintes lmentaires propres la machinerie imposent leur locomposent le jeu de lacteur en une srie de squences susceptibles dtre montes. Et avant

    ose, lclairage, dont linstallation oblige fractionner les prises de vue, ralises dans le stu

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    frents moments, afin de reprsenter un vnement qui, sur lcran, apparat comme une actionide, faite dun seul tenant. Sans parler de montages plus manifestes encore. Un saut par la fentrsi tre tourn en studio en utilisant un chafaudage, mais la fuite qui sensuit tre le cas chant to

    usieurs semaines aprs en extrieur. Cest dailleurs un jeu denfant que dimaginer des cas bienradoxaux encore. Il peut tre exig de lacteur quil sursaute aprs quun coup a t frapp la tressaillement nest peut-tre pas effectu comme souhait. Lacteur nouveau prsent dans le st

    ralisateur peut alors en profiter pour faire tirer un coup de feu dans son dos sans len avertirobtenir leffet recherch. La frayeur de lacteur cet instant peut tre enregistre et monte dans le

    en ne montre plus radicalement que lart a fui le domaine de la belle apparence qui, longtessa pour tre le seul o il pouvait prosprer.

    1. Luigi Pirandello, On tourne(1915), cit inLon-Pierre Quint, Signification du cinma ,LArt cinmatographique, tome II, Paris, Flix Alcan, 1927, p. 14-

    2. Rudolf Arnheim, Film als Kunst, Berlin, Rowohlt, 1932, p. 176-177. Certains dtails apparemment secondaires, au moyen desquels le ralisateur sques thtrales, gagnent dans ce contexte un intrt accru. Ainsi de la tentat ive de laisser jouer lacteur sans maquillage, comme Dreyer, entre autres, le mit enLa Passion de Jeanne dArc. Il consacra des mois trouver quarante acteurs destins composer le tribunal religieux. Il en alla de la recherche de ces acteurs cdaccessoires difficiles se procurer. Dreyer se donna le plus grand mal viter les similitudes dge, de stature, de physionomie (voir Maurice Schu

    uillage ,LArt cinmatographique, tome VI, Paris, Flix Alcan, 1929, p. 65-66). Si lacteur devient un accessoire, alors il nest pas rare que laccessoire, invoffice dacteur. Il nest en tout cas pas except ionnel que le cinma soit amen confier un rle laccessoire. Au lieu de tirer nimporte quel exemple dun nomre eux, contentons-nous den choisir un seul, dune force probante toute particulire. Une horloge fonctionnant naura toujours sur scne quun effet perturbat

    qui est de mesurer le temps, ne peut tre tolr sur scne. Mme dans une pice naturaliste, le temps astronomique se heurterait la temporalit scnique. Il estitions, hautement significatif que le film, lui, puisse loccasion utiliser, de but en blanc, une mesure de temps donne par lhorloge. Cest l un autre trait uant que chaque accessoire singulier peut, dans une circonstance bien prcise, remplir une fonction dcisive. Ne reste plus ensuite quun pas franchir pour pervation de Poudovkine, pour qui le jeu de lacteur li un objet, et construit sur celui-ci ne cesse pas dt re lune des mthodes les p lus puissantes de la cque (Vsevolod Poudovkine, Filmregie und Filmmanuskript ,Bcher der Praxis, tome V, Berlin, Verlag der Lichtbildbhne, 1928, p. 126). Ainsi le film

    mier moyen artist ique en mesure de montrer comment la matire se joue de lhomme. Il peut, pour cette raison mme, tre un remarquable instrument de reprrialiste.

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    X

    La stupeur de lacteur devant lappareillage, telle que Pirandello la dcrit, est lorigine de mure que la stupeur de lhomme face son apparition dans le miroir. Mais dsormais le reflet peu

    coupl de sa personne, il est devenu transportable. Et o est-il transport ? Sous les yeux du pus un seul instant o lacteur de cinma nen est pas conscient.Lacteur de cinma sait, tandis qu

    nt devant lappareillage, que cest au public quil a affaire en dernire instance : au publiheteurs, qui constituent le march. Ce march, sur lequel il ne sexpose pas seulement avec sa travail, mais aussi avec sa peau et ses cheveux, avec son cur et ses reins, lui apparat auss

    ncret linstant de sa performance dcisive pour lui qu un article quelconque en courication dans une usine. Cette configuration naurait-elle pas sa part dans le sentiment opprengoisse nouvelle qui, daprs Pirandello, sempare de lacteur devant lappareillage ? Le ciond au rtrcissement de laura par le faonnage artificiel, lextrieur du studio, dunepersonculte des stars encourag par lindustrie du cinma entretient ce magntisme de la personnalit, ume depuis longtemps dj au charme putride de son caractre mercantile. Tant que lindustr

    ma donnera le ton, le film daujourdhui ne se verra, dans lensemble, attribuer aucun molutionnaire nouveau, ni ne promouvra une critique rvolutionnaire des conceptions traditionnellrt. Nous ne nions pas que le cinma daujourdhui puisse, dans des cas particuliers, aller plus loutenir une critique rvolutionnaire des rapports sociaux, et mme du rgime de la proprit. Mast pas laxe essentiel de la recherche actuelle, et tout aussi peu celui de la produmatographique en Europe occidentale.Cest un fait li la technique du film, exactement comme celle du sport, que dassister en qdemi-spcialiste chacune des performances quils montrent. Il suffit, pour souvrir

    mprhension de cet tat des choses, davoir un jour entendu un groupe de livreurs de journaux, appleurs vlos, en train de discuter des rsultats dune course cycliste. Ce nest pas sans raison qu

    teurs de presse organisent des comptitions pour leurs livreurs. Cest quelles veillent un fort ins leurs rangs. Car le vainqueur, dans ces manifestations, a une chance de passer de livreur de jououreur cycliste professionnel. De la mme faon, les actualits, par exemple, donnent chacun

    ance de quitter le statut de simple passant pour revtir celui de figurant dun film. Il est mme pose voir ainsi transport, sous certaines conditions, dans une uvre dart on pense ici aux

    ants sur Lnine de Dziga Vertov ou Misre au Borinage de Joris Ivens. Tout contemporainendiquer bon droit dtre film . Un regard jet sur la situation historique de la littourdhui claire au mieux cette revendication.Les choses sont ainsi faites en littrature que, des sicles durant, un trs petit nombre dcrivai

    e plusieurs milliers de lecteurs. Un changement se produisit vers la fin du sicle dernier. Av

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    veloppement exponentiel de la presse, qui mit la disposition du lectorat de toujours nouveaux oritiques, religieux, scientifiques, professionnels, locaux, une part sans cesse plus importante torat intgra dans un premier temps occasionnellement les rangs de ceux qui crivent. Ce procmora lorsque la presse quotidienne ouvrit un courrier des lecteurs , et il importe aujourdhunt quil nexiste pas un seul Europen actif qui ne puisse fondamentalement trouver quelque

    ssibilit de publier une exprience professionnelle, une dolance, un reportage, ou autres choses nre. La distinction entre lauteur et le public est ainsi sur le point de perdre son caractre fondame devient une distinction fonctionnelle, voluant au cas par cas, dun cas lautre. Le lecteur est

    ment dispos devenir un qui crit. Devenu, bon gr mal gr, un expert ne serait-ce quexpert he subalterne , dans le cadre dun processus dextrme spcialisation du travail, cest enexpert quil accde au statut de qui crit. En Union sovitique, le travail lui-mme a son mot direprsentation par le verbe constitue une partie du savoir-faire ncessaire son exercic

    mptence littraire ne se fonde plus sur une formation spcialise, mais sur une formytechnique, et devient ainsi bien commun2.Tout cela se laisse sans difficults transposer au cinma, o des changements de perspective qui

    qui est de la littrature, avaient d attendre des sicles pour faire valoir leurs droits, se sont proune dcennie. Car dans la praxis du cinma et, avant tout, du cinma russe , cette perspefrente est par endroits dj devenue effective. Certains des acteurs rencontrs dans le cinma rusnt pas des acteurs au sens o nous lentendons, mais des gens qui jouent leur propre rle et ce, emier lieu, dans le cadre du processus de travail qui est leur. En Europe occidentale, lexploi

    pitaliste du cinma interdit la prise en considration dune revendication lgitime, celle de lhoujourdhui voir son image reproduite. Dans ces conditions, lindustrie du cinma a tout int

    muler lintrt des masses travers des reprsentations illusoires et travers des spculauivoques.

    1. La transformation du mode dexposition travers la technique de reproduction qui se laisse ici constater se manifeste galement en politique. La crise act

    ocraties bourgeoises implique une crise des conditions prsidant de faon dterminante lexposition des gouvernants. Les dmocraties exposent immdiateonne, les gouvernants, certes devant les reprsentants de la nation seulement Le parlement est leur public ! Grce aux innovations de lapp areillage denregistreettent de faire entendre un nombre illimit de personnes lorateur au cours mme de son discours et, ensuite, de le faire voir un nombre illimit de position de lhomme politique devant cet appareillage denregistrement est devenue un paramtre de tout premier plan. Les parlements se dpeuplent en mme t

    htres. La radio et le cinma ne modifient pas seulement la fonction de lacteur professionnel, mais aussi, prcisment, la fonction de tous ceux qui, coernants, se prsentent en personne devant leur appareillage. Si les tches respectives de lacteur de cinma et du gouvernant ont peu voir entre elles, la directgement est la mme pour tous. Il sagit bien ici de contrler et de raliser des performances dans des conditions sociales dtermines. Il en rsulte une nouvelle lection du fait mme de lapp areillage, do la st ar et le dictateur sortent grands vainqueurs.

    2. Le caractre privilgi des techniques en quest ion se p erd. Aldous Huxley crit : Les p rogrs en t echnologie ont conduit [] la vulgarit [] la reproduds mcaniques et la presse rotat ive ont rendu possible la multiplication indfinie des crits et des images. Linstruction universelle et les salaires relativement un public norme sachant lire et pouvant soffrir de la lecture et de la matire picturale. Une industrie importante est ne de l, afin de fournir ces donnes. Or,ique est un phnomne trs rare ; il sensuit [] qu toute poque et dans tous les pays la majeure partie de lart a t mauvais. Mais la proportion de fatrauction artist ique totale est p lus grande maintenant qu aucune autre poque. [] Cest l une simple quest ion darithmtique. La pop ulation de lEurope occeu plus que doubl au cours du sicle dernier. Mais la quantit de matire lire et voir sest accrue, jimagine, dans le rapport de un vingt, au moins, et p

    uante, ou mme cent. Sil y avait nhommes de talent dans une population dexmillions, il y aura vraisemblablement 2nhommes de talent pour une populatons. Or, voici comment on p eut rsumer la situation. Contre une p age imprime, de lecture ou dimages, p ublie il y a un s icle, il sen p ublie aujourdhui vingt, ss. M ais, contre chaque homme de talent vivant jadis, il ny a maintenant que deux hommes de talent. Il se peut, bien entendu, que, grce linstruct ion unived nombre de talents en puissance qui, jadis, eussent t morts-ns, doivent actuellement tre mme de se raliser. Admettons [] quil y ait prsent trois oe hommes de talent pour chacun de ceux qui existaient autrefois. Il demeure encore vrai que la consommation de matire lire et voir a considrablement duction naturelle dcrivains et de dessinateurs dous. Il en est de mme de la matire entendre. La p rosprit, le gramophone et la radiophonie ont cr diteurs qui consomment une quantit de matire entendre accrue hors de toute proportion avec laccroissement de la population, et, partant, avec laccroal du nombre des musiciens dous de talent. Il rsulte de l que, dans tous les arts, la production de fatras est plus grande, en valeur absolue et en valeur relativ

    a t autrefois ; et quil faudra quelle demeure plus grande, aussi longtemps que le monde continuera consommer les quantits actuelles et dmesures en matr et entendre (Aldous Huxley, Croisire dhiver. Voyage en Amrique centrale , traduit par J. Castier, Paris, Plon, 1935, p. 273-275). Cette faon de vfestement pas progressiste.

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    XI

    Le tournage dun film, et particulirement dun parlant, offre un spectacle qui, nulle part auparvait t concevable. Il montre un processus dfait de tout point de vue unique permettbservateur de dissocier, dans son champ de vision, le jeu de lacteur en tant que tel de lappareinregistrement, de la machinerie dclairage, du staff des assistants, etc. ( moins que ladaptati

    pupille entre en concordance avec celle de lappareil denregistrement.) Cette configuration, plute autre, rend superficiel et insignifiant le rapprochement susceptible dtre tabli entre une rne en studio et une scne joue au thtre. Cest le principe mme du thtre que doffrir un

    o il devient demble presque impossible de reconnatre le caractre illusoire des vnemenoduisant sur scne. La scne tourne dans un film en est au contraire dpourvue. Sa nature illusoie nature au second degr ; elle est un rsultat du montage. Cela signifie : dans le studio de cinppareillage sest si profondment immisc dans la ralit que limpression de puret de

    alit, comme si elle stait libre du corps tranger de lappareillage, est le rsultat docdure spcifique, en loccurrence la prise de vue au moyen dun appareil spcialement m

    nt cette fin, et son montage avec dautres prises de vue de mme nature . Cette vision dune rancipe de lappareil est ici devenue des plus artificielles, et le spectacle de la ralit immdiateue au pays de la technique.Le mme trait, qui se distingue lorsquoppos celui du thtre, se montre plus significatif e

    nfront celui de la peinture. Il nous faut ici poser la question : comment se comporte loprateurmra par rapport au peintre ? Quon nous permette, pour y rpondre, une comparaison prcieusppuie sur la notion doprateur, familire la chirurgie. Le chirurgien reprsente le ple dun nt lautre ple est occup par le gurisseur. Lattitude du gurisseur, qui soigne un maladeposition des mains, est diffrente de celle du chirurgien, qui effectue une intervention lintme du corps du malade. Le gurisseur maintient la distance naturelle entre le patient, dos trs dr-mme ; pour le dire plus prcisment : la distance est ici rduite de peu, mais grande est son autchirurgien procde linverse : il rduit de beaucoup la distance le sparant du patient dasure o il fore son intrieur mme , et naugmente que peu son autorit en raison de la prud

    ec laquelle sa main se meut parmi les organes. En un mot : afin de se distinguer du gurisseurve galement encore de la mdecine gnrale), le chirurgien, au moment dcisif, renonce nfronter dhomme homme son malade ; il sintroduit plutt en lui sur le mode opratoirrisseur et le chirurgien se comportent respectivement comme le peintre et loprateur de la camntre observe dans son travail une distance naturelle vis--vis de la ralit donne ; loprateur

    mra, au contraire, pntre profondment dans le tissu de la ralit1. Les images que tous de

    irent sont immensment diffrentes. Celle du peintre est un tout, celle de loprateur la ca

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    ersement morcele, ses parties devant tre rassembles selon une loi nouvelle.Ainprsentation filmique de la ralit est-elle pour lhomme daujourdhui incomparablementhe de significations, car elle apporte une vision de la ralit mancipe de lappareil, quitime dexiger de luvre dart, et ny parvient prcisment que parce quelle pntre cette rla faon la plus intensive au moyen de lappareillage.

    1. Les audaces de loprateur la camra sont dans les faits comparables celles de loprateur chirurgical. Luc Durtain, dans un inventaire des tours iques spcifiquement gestuels, numre ceux qui, en chirurgie, accomplissent certaines manuvres dlicates. Je prendrai pour exemple celle de loto-rhinolary

    le travail en perspective de la chirurgie endonasale : les acrobaties, inverses par le miroir de la chirurgie du larynx ; la minutie, la bijouterie de la chirurgie de, de loprat ion de la cataracte, cette dlicate discussion de lacier avec des tissus presque fluides, jusqu la puissante laparotomie, quelle gamme de subt ilits m

    equise de lhomme, qui veut refaire ou sauver le corps humain (Luc Durtain, Lhomme et la technique , Vendredi, n 19, 13 mars 1936).

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    XII

    La reproductibilit technique de luvre dart modifie le rapport de la masse lart. Desrogrades, hostile un Picasso par exemple, elle devient des plus progressistes, par exemple dChaplin. Lattitude progressiste se caractrise dans le mme temps par le fait que le plaisarder et de ressentir entre en relation immdiate et profonde avec lattitude de qui juge en connai

    reille relation est un indice caractre social de premire importance. En effet, plus limporciale dun art samenuise, plus la critique et la disposition la dilection dans les rangs du pubjoignent comme cela se manifeste avec vidence dans la peinture. Le conventionnel est accueill

    prit critique aucun, tandis que lon critique lindit vritable avec dgot. Au cinma, lattitude cra disposition la dilection du public concident. Et le facteur dcisif en est celui-ci : cest au cin

    us que partout ailleurs, que se manifestent les ractions des individus. Ces ractions, dont la snstitue la raction densemble du public, sont demble conditionnes par un devenir imminent,une massification immdiate. Et tandis que ces ractions se font connatre, elles se contrlenmparaison avec le peintre savre ici aussi encore utile. La peinture avait constamment revendiq

    oit absolu tre contemple par un seul ou un petit nombre. La contemplation simultane de tabr un vaste public, telle quelle fit son apparition au XIXe sicle, est un symptme annonciateur se de la peinture, qui ne fut en aucun cas dclenche par la photographie seule, mais, de ativement indpendante de cette dernire, par la prtention de luvre dart toucher le trs mbre.

    Il savre de cette faon que la peinture nest pas en mesure doffrir un objet pour une rcelective simultane, comme larchitecture la fait de tout temps, comme le fit autrefois lpope, cofait aujourdhui le cinma. Et bien que lon ne puisse gure en tirer de conclusions quant au rle la peinture, cette configuration nen constitue pas moins une fort svre restriction l o la peintuson dune situation spcifique, et pour ainsi dire en dpit de sa nature, est immdiatement confrx masses. Dans les glises et les monastres du Moyen ge, et dans les cours princires jusqu

    XVIIIe sicle environ, la rception collective des tableaux ne se ralisait pas sur le mode multanit, mais de faon extrmement gradue, et se transmettait conformment un