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L‘Ordinateur à 1’Ecole Primaire: Les Déterminants Sociaux de son Acceptabilité Elisabeth Lage Ekole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, France 1. Objectifs de l’étude Cette recherche, financée par la C.E.E., est menée simultanément dans trois pays: Grande Bretagne (Département de 1’Education de l’université de Technologie ‘de bughborough), Bel- gique (Laboratoire de Pédagogie Expérimentale de l’université de Liège) et France (l’équipe française, dirigée par Jacques Perriault, comprend: M. P. Bonicoli, D. Colardyn, E. Lage, M. Meyer, C. Sautron). Elle a pour objectif de cerner l’utilisation effective d’un ordinateur par les enseignants du primaire, néophytes en informatique au départ. De par l’importance accordée à l’informatisation dans la société française, fortement accentuée par les mass-media et le lien entre le plan ((informatique pour tous)) et l’introduc- tion de l’ordinateur dans l’enseignement primaire, notre problématique dépasse le cadre strict de l’école, pour englober le contexte générai, dans lequel cette nouvelle technologie prend place dans l’enseignement. La dynamique de ce processus dépend de partenaires tels que: l’autorité de tutelle, les syndicats d’enseignants, les enseignants enthousiastes et ceux déçus par l’informatique scolaire, les parents et les élèves. Face à la complexité de la situation, nous avons adopté une double démarche: approche globale du milieu, à la manière d’un ethnologue et approche plus expérimentale de quelques comportements précis de l’enseignant et des élèves, face à l’ordinateur. L‘approche globale, que je développerai ici, avait pour objectif de fournir des variables intermédiaires, explicati- ves, permettant de mieux saisir le processus qui aboutit à l’usage effectif de l’ordinateur, ou bien au refus de celui-ci, dans l’enseignement primaire, au niveau du CM2. Les résultats con- cernant l’usage effectif de l’ordinateur seront développés par Danielle Colardyn. 2. Méthode d’investigation Dans l’étude du milieu, nous avons utilisé des techniques d’observation, d’entretiens indi- viduels et collectifs, de sociométrie, ainsi qu’un questionnaire et une épreuve de formation d’impressions, selon la procédure élaborée par S. Asch. Nous avons ainsi recueilli des don- nées concernant l’enseignante qui a accepté de collaborer à l’étude: ses motivations à tenter l’expérience, le vécu de sa formation à l’informatique, réalisée dans le cadre de l’étude, sa perception de l’ordinateur, ses satisfactions et difficultés dans l’utilisation de celui-ci. De même, nous nous sommes entretenus avec la directrice de l’établissement sur son expérience et ses perceptions relatives à l’informatique, sans oublier d’observer le collectif des enseignants de l’école. Les parents ont été consultés au début et à la fin de l’expérience. Les élèves ont répondu à une épreuve de choix sociométriques, à un questionnaire explo- rant leurs centres d’intérêt, leur rapport aux objets techniques et leur perception du rôle de l’ordinateur à l’école et dans la société. L‘épreuve de la formation d’impressions cernait leur représentation de l’intérêt pour l’informatique selon que celui-ci était attribué à une fille ou à un garçon, afin d’élucider les aspects normatifs dans ce domaine. De nombreux contacts avec les enfants ont permis de contrôler nos interprétations des données.

L'Ordinateur à l'Ecole Primaire: Les Déterminants Sociaux de son Acceptabilité

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L‘Ordinateur à 1’Ecole Primaire: Les Déterminants Sociaux de son Acceptabilité

Elisabeth Lage Ekole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris, France

1. Objectifs de l’étude

Cette recherche, financée par la C.E.E., est menée simultanément dans trois pays: Grande Bretagne (Département de 1’Education de l’université de Technologie ‘de bughborough), Bel- gique (Laboratoire de Pédagogie Expérimentale de l’université de Liège) et France (l’équipe française, dirigée par Jacques Perriault, comprend: M. P. Bonicoli, D. Colardyn, E. Lage, M. Meyer, C. Sautron). Elle a pour objectif de cerner l’utilisation effective d’un ordinateur par les enseignants du primaire, néophytes en informatique au départ.

De par l’importance accordée à l’informatisation dans la société française, fortement accentuée par les mass-media et le lien entre le plan ((informatique pour tous)) et l’introduc- tion de l’ordinateur dans l’enseignement primaire, notre problématique dépasse le cadre strict de l’école, pour englober le contexte générai, dans lequel cette nouvelle technologie prend place dans l’enseignement. La dynamique de ce processus dépend de partenaires tels que: l’autorité de tutelle, les syndicats d’enseignants, les enseignants enthousiastes et ceux déçus par l’informatique scolaire, les parents et les élèves.

Face à la complexité de la situation, nous avons adopté une double démarche: approche globale du milieu, à la manière d’un ethnologue et approche plus expérimentale de quelques comportements précis de l’enseignant et des élèves, face à l’ordinateur. L‘approche globale, que je développerai ici, avait pour objectif de fournir des variables intermédiaires, explicati- ves, permettant de mieux saisir le processus qui aboutit à l’usage effectif de l’ordinateur, ou bien au refus de celui-ci, dans l’enseignement primaire, au niveau du CM2. Les résultats con- cernant l’usage effectif de l’ordinateur seront développés par Danielle Colardyn.

2. Méthode d’investigation

Dans l’étude du milieu, nous avons utilisé des techniques d’observation, d’entretiens indi- viduels et collectifs, de sociométrie, ainsi qu’un questionnaire et une épreuve de formation d’impressions, selon la procédure élaborée par S. Asch. Nous avons ainsi recueilli des don- nées concernant l’enseignante qui a accepté de collaborer à l’étude: ses motivations à tenter l’expérience, le vécu de sa formation à l’informatique, réalisée dans le cadre de l’étude, sa perception de l’ordinateur, ses satisfactions et difficultés dans l’utilisation de celui-ci. De même, nous nous sommes entretenus avec la directrice de l’établissement sur son expérience et ses perceptions relatives à l’informatique, sans oublier d’observer le collectif des enseignants de l’école. Les parents ont été consultés au début et à la fin de l’expérience.

Les élèves ont répondu à une épreuve de choix sociométriques, à un questionnaire explo- rant leurs centres d’intérêt, leur rapport aux objets techniques et leur perception du rôle de l’ordinateur à l’école et dans la société. L‘épreuve de la formation d’impressions cernait leur représentation de l’intérêt pour l’informatique selon que celui-ci était attribué à une fille ou à un garçon, afin d’élucider les aspects normatifs dans ce domaine. De nombreux contacts avec les enfants ont permis de contrôler nos interprétations des données.

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3. Un apersu des resultaîs

Nous nous contenterons de signaler les résultats les plus saillants. L‘écart est grand entre l’introduction de l’informatique à l’école, telle qu’elle a été conçue par les technologues et les intérêts comme les possibilités des enseignants face à ce dispositif. De nombreuses diffi- cultés, liées au fonctionnement du matériel, aux logiciels, aux contraintes d’horaire, de pro- gramme et d‘investissement que demande la formation font qu’un enseignant, laissé seul face au dispositif d’informatique scolaire est peu enclin à s’y intéresser et encore moins à l’utili- ser en classe. L‘adoption de l’ordinateur dépend souvent d’une présence discrète et institu- tionnellement invisible d’un mari, frère, soeur, enfant, compétents en informatique et jouant le rôle d’intermédiaire entre l’enseignant et l’outil de manière qui semble plus adéquate que celle prévue par l’institution. C’est dire que celle-ci n’a pas tenu compte des besoins réels des enseignants et qu’il est difficile de baser la réussite nationale du projet sur des réseaux familiaux ou amicaux informels, qu’il s’agisse de la formation ou de l’encadrement indis- pensable au début de la pratique de l’ordinateur en classe.

L‘adoption de cet instrument dépend aussi de la conviction plus ou moins forte que cet instrument est utile, en fonction de l’aide qu’il peut fournir dans le travail propre de l’ensei- gnant, tel que le suivi des élèves, la correction des copies, etc. Les produits existant dans ce domaine ne semblent pas faciles d’utilisation.

Cependant, un enseignant initié à l’informatique peut trouver dans l’ordinateur un sup- port de pédagogie dynamique permettant un enseignement individualisé et une réalisation de projets collectifs, dont la qualité de présentation, obtenue grâce à l’ordinateur, est très gratifiante. Alors, la conquête de l’outil peut s’accompagner d’un épanouissement profes- sionnel. Dans les conditions actuelles, il s’agit toutefois d’une minorité de cas. Les résultats obtenus dans les trois pays sont convergents sur ce point. La pression sociale à s’informati- ser ne peut remplacer une analyse pertinente de la situation et une conception de produits bien adaptés aux usagers car les enseignants, comme d’autres professionnels d’ailleurs, dis- posent de multiples moyens, pour y résister.

Les parents suivent l’introduction de l’informatique à l’école avec intérêt. La diversité de leurs réactions, facilitant l’accès des enfants à l’informatique ou bien la craignant, voire la contrôlant, montre à quel point l’ordinateur peut être un révélateur de relations interper- sonnelles, en tant qu’objet d’investissements affectifs et symboliques importants qui média- tise de différentes manières, selon la situation et la ’culture familiales, les relations entre générations.

La plupart des élèves sont prêts à progresser rapidement en informatique et attendent beaucoup, dans ce domaine, de leurs enseignants. Ils souhaitent que l’ordinateur rende leur travail plus distrayant que ne le fait l’enseignement traditionnel.

D’après le questionnaire et l’épreuve de formation d’impressions, les élèves de 10-11 ans revendiquent l’égalité des sexes face à l’outil informatique. À cet âge, l’ordinateur semble être avant tout un instrument fonctionnel plus qu’un objet d’investissement symbolique, comme il peut le devenir à l’adolescence. L‘image d’un garçon ou d’une fille «branchés» n’est pas très prégnante pour eux. Ils associent l’intérêt pour l’informatique avec le dynamisme et l’aisance matérielle des parents, surtout s’il s’agit d’une fille.

Un tiers des enfants possèdent un ordinateur chez eux et semblent l’utiliser surtout dans le domaine des jeux. Bien que cet objet leur paraisse très désirable, ils n’exagèrent pas son importance sociale ni dans le présent ni dans l’avenir, ce qui montre leur relative indépen- dance par rapport aux mass-media d’autant plus estimable qu’ils sont des téléspectateurs assi- dus. Ils jouent un rôle dynamique dans le processus d’informatisation de l’école et l’intérêt qu’ils manifestent pour l’ordinateur contribue de manière décisive à la satisfaction que I’ensei- gnant retire de son investissement dans ce domaine.