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L'ORIGINE DES INÉGALITÉS Religion et innovation à l'âge du cuivre Pascal Barbe et Stéphane Callens De Boeck Supérieur | Innovations 2008/1 - n° 27 pages 11 à 25 ISSN 1267-4982 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-innovations-2008-1-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Barbe Pascal et Callens Stéphane, « L'origine des inégalités » Religion et innovation à l'âge du cuivre, Innovations, 2008/1 n° 27, p. 11-25. DOI : 10.3917/inno.027.0011 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 02h58. © De Boeck Supérieur Document téléchargé depuis www.cairn.info - National Chung Hsing University - - 140.120.135.222 - 13/04/2014 02h58. © De Boeck Supérieur

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L'ORIGINE DES INÉGALITÉSReligion et innovation à l'âge du cuivrePascal Barbe et Stéphane Callens De Boeck Supérieur | Innovations 2008/1 - n° 27pages 11 à 25

ISSN 1267-4982

Article disponible en ligne à l'adresse:

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Barbe Pascal et Callens Stéphane, « L'origine des inégalités » Religion et innovation à l'âge du cuivre,

Innovations, 2008/1 n° 27, p. 11-25. DOI : 10.3917/inno.027.0011

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L’ORIGINE DES INÉGALITÉS.RELIGION ET INNOVATION

À L’ÂGE DU CUIVREPascal BARBE

Stéphane CALLENSCentre EREIA, Université d’Artois

[email protected]

INTRODUCTION

La question sur l’origine de l’inégalité reçoit des réponses contradictoires.Apparition de l’arme et affirmation d’une hiérarchie sociale semblentconjointes : des conquêtes et des résistances aux conquêtes devraient doncexpliquer les naissances des organisations sociales hiérarchisées, selon JaredDiamond (1997). Un autre type de réponse invoque de mauvaises institu-tions, sur le modèle du pacte social injuste apporté par le « fer et le blé » dansle célèbre Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommesde Rousseau (1755).

Une question proche, celle de la datation de l’apparition de l’inégalité,quant à elle, peut recevoir une réponse plus consensuelle. Le « fer », c’esttrop tard – les sociétés maîtrisant la métallurgie du fer sont toutes complexeset hiérarchisées – et le « blé », c’est trop tôt, les premiers agriculteurs restentégalitaires. Un premier ensemble d’innovations majeures, celui des débuts del’agriculture, n’apporte pas en règle générale de hiérarchie sociale. Undeuxième ensemble d’innovations majeures démarre avec les métallurgies del’or et du cuivre pour se poursuivre avec celles du bronze et du fer. Dès laphase initiale de cette deuxième grande transformation technologique, hié-rarchie et inégalité sociales sont présentes. Les civilisations précolombiennesétaient déjà très hiérarchisées, alors qu’elles ne connaissaient que la métallur-gie de l’or et du cuivre. En Europe, la nécropole de Varna (Bulgarie) datant del’âge du cuivre contient 6 kilos d’or très inégalement répartis dans 294 tom-bes. D’autres régions du monde, comme l’Ouest de l’Europe ou la Chinereçoivent de façon plus tardive une métallurgie sans connaître une période detransition longue comme dans le cas des Balkans. Le contraste n’en est que

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d’autant plus fort entre des sociétés néolithiques peu hiérarchisées et peu spé-cialisées et des sociétés de l’âge du bronze spécialisées et hiérarchisées.

L’archéologue ou l’anthropologue associe le constat de l’apparition debiens luxueux pour une élite avec un ensemble de faits tels que le passage dela tribu à la chefferie, du clan à la classe, un début de centralisation géographi-que avec parfois une petite bureaucratie, une justification par la religion d’unehiérarchie cléricale, tandis que la production agricole s’intensifie, ainsi que ladivision du travail (Diamond, 1997, résumé du tableau des pages 268-269).De Rousseau à Diamond, la méthodologie utilisée pour répondre à la ques-tion de l’origine des inégalités a été d’abord anthropologique. Les approchesprivilégiées peuvent être celles d’une anthropologie normative, comme celledu Bon Sauvage de Rousseau, ou d’observation, comme Jared Diamond, spé-cialiste de la Nouvelle-Guinée. L’archéologue a l’avantage d’avoir accès auxarchives des toutes premières formations de l’inégalité, bien que l’interpréta-tion des relevés obtenus soulève de grandes difficultés. Cependant, unemodification importante de ce désavantage des méthodes archéologiques estissue de la découverte fortuite en 1991 de la dépouille et des outils d’unhomme de l’âge du cuivre dans un état de conservation exceptionnel : le« maitre du feu » Ötzi.

Le corps momifié d’Ötzi a été daté de l’âge du cuivre 1, vers -3300 av. J.C.Il s’agit d’un homme du chalcolithique doté d’une hache de cuivre, d’unpetit couteau de silex, d’un arc en cours de fabrication, de petits outils, ainsiqu’un porte-braises. Le Cuivre constitue la première métallurgie véritable,avec un côté magique de la transformation d’une roche mélangée à du char-bon de bois, qui devient un métal rouge. Ötzi a une hache composée d’uncuivre presque pur avec des traces d’arsenic, élément chimique qui se retrouvedans sa chevelure, signe d’une activité métallurgique. Son habillement et seschaussures lui ont permis de circuler à plus de 3200 m d’altitude. Sa mort aété causée par une flèche dans l’omoplate amenant une hémorragie fatale.Ötzi maîtrise des savoirs efficaces. Il porte des séquelles de travaux métallur-giques, la métallurgie du cuivre à l’arsenic étant spécifique au début des âgesmétalliques. Il porte sur lui des champignons, des polypores du bouleau, quiont des vertus thérapeutiques adaptés à la pathologie dont il souffrait. Desscarifications faites sur certaines parties du corps ont servi à lutter contre ladouleur. Il s’agit d’une personne de haut rang, doté d’un équipement sophis-tiqué et d’une hache de cuivre. Une compétition politique locale l’a sansdoute amené à être pourchassé et abattu d’une flèche dans le dos. L’âge duCuivre 1 est l’époque d’une transition d’une société égalitaire néolithique àune inégalité des statuts sociaux. Ötzi le puissant est assassiné ; la société dudébut de l’âge du Cuivre a une structure égalitaire qui résiste, en incorporantsans doute les notables dans son économie sacrificielle.

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VIOLENCE ET HIÉRARCHIE

Les réponses à la question de l’origine de l’inégalité s’appuient généralementsur une histoire de la violence. Deux principaux schémas d’évolution sontutilisés. Dans la tradition de Rousseau, une phase de non-violence s’achèvepar un péché originel institutionnel, comme la propriété dans le Discours surl’origine et les fondements de l’inégalité de 1755. Dans la tradition de Hobbes, laviolence est première, si bien qu’une explication de l’inégalité s’appuie surune logique du plus fort. Pour Diamond qui se situe dans cette perspective,le niveau technologique de l’armement est décisif. Si les conquistadores bat-tent les Aztèques, ce serait, selon Diamond, à cause des canons et d’unemétallurgie sophistiquée, d’un système immunitaire renforcé par des domes-tications plus nombreuses et plus anciennes (Diamond, 1997).

Effet Hobbes, effet Rousseau

Dans l’ouvrage de Rousseau, le « fer » vient avant « le blé », c’est-à-dire quel’humanité est souffrante depuis les premiers métallurgistes apportant unedéfinitive corruption des mœurs par leur technologie. Une inégalité écono-mique injuste est issue de cette révolution technologique, se substituant àune égalité naturelle, selon le schéma de Rousseau. La période finale desociétés néolithiques se caractérise par l’impossibilité d’intensifier des res-sources agricoles alors que la population continue à croître : les premiersagriculteurs défrichent et s’installent sur les meilleurs terrains jusqu’à ce quetous les terrains soient occupés. Les restrictions à la mobilité accroissent lestensions. La seconde grappe d’innovations majeures, celles des premiersmétallurgistes, vient soulager ces tensions : perfectionnement d’un droitprivé du contrat, roue, traction animale, navigation à voile, stabulation,araire, agriculture de montagne et des zones lacustres, écriture, métallurgie,nouveaux outils, construction en briques, amélioration des procédés de tis-sage. D’autre part, de nombreuses preuves existent de conflits armés dans lesdifférentes phases de la protohistoire, et par conséquent, cela invalide engrande partie les tentatives de faire revivre une conception du Bon Sauvage.

La thèse de Diamond semble être moins délicate à soutenir dans le cas del’Europe chalcolithique. Une conquête de l’Europe par des envahisseursPontiques aurait remplacé les sociétés égalitaires par des sociétés guerrièresinégalitaires. Les premiers agriculteurs défrichent, les premiers métallurgistesprospectent. La progression des installations des métallurgistes dans lesAlpes peut s’expliquer par la recherche du minerai à la source de leur acti-vité. Raids et razzias sont cependant fréquents et interviennent sans aucundoute dans cette période de l’âge du Cuivre. La mort d’Ötzi témoigne cepen-dant directement de la faible valeur au combat des armes de cuivre, et même

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d’un alliage supposant une bonne maîtrise de cette métallurgie. Elle témoi-gne aussi contre les approches modérant l’aspect violent des temps protohis-toriques, et directement contre Rousseau, puisque la guerre totale dans lessociétés protohistoriques se déroule dans des espaces non appropriés commela haute montagne.

Les schémas d’évolution du Bon Sauvage ou de la Conquête ne peuventrendre compte que d’une tendance générale. Ceci rend difficilement comptedu caractère contagieux et brusque de la propagation de la violence collec-tive, et de l’allure générale non linéaire des courbes établies sur longuespériodes. Les études sur la fréquence des guerres dans des sociétés premièresselon le type d’organisation politique et le type d’activité économique indi-quent que la transition métallurgique améliore fortement la stabilité dessociétés de type néolithique (un effet Hobbes : un pacte social qui fait passerde la plus mauvaise situation à la meilleure) mais qu’elle ne parvient pas àrétablir un état de paix antérieur à la révolution néolithique. Pour le typed’organisation politique, le maximum de guerres se situe avant la transitionmétallurgique, le maximum de paix, après.

Tableau 1 – L’effet Hobbes

Source : Keeley, 2002.

Le passage de la situation de chasseur-cueilleur à une première agricultureest la pire dégradation en matière de violence collective : un effet Rousseauqui n’est pas entièrement compensé par l’intensification de l’agricultureapportée par la transition métallurgique. Pour les sociétés premières, l’effetHobbes est d’importance moindre que l’effet Rousseau. Les sociétés premiè-res les plus portées sur les conflits armés comportent les caractéristiquessuivantes : ce sont des sociétés agricoles traditionnelles pratiquant une agri-culture de type extensif avec élevage ou jachère dépourvue de toute formed’organisation des pouvoirs.

Type d’organisation politique première

Guerre continue Guerre fréquente Paix

Tribu(avant)

80 % (maximum pour tout type d’organisation

sociale première)8 % 12 %

Chefferie(après)

50 % 33 %17 % (maximum pour

tout type d’organisation sociale première)

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Tableau 2 – L’effet Rousseau

Source : Keeley, 2002.

Du prestige de la lignée à la hiérarchie

Le fond protohistorique n’apparaît pas dans le vocabulaire de la guerre et del’armement, ni dans les caractéristiques des croyances religieuses favorablesà la guerre et l’homicide : tous ces apports proviennent des sociétés histori-ques (Vennemann, 2003 ; Jensen, 2006). En fait, l’âge de Cuivre est un âgede prêtre, et ses plus grands trésors, comme celui de Nahal Mishmar, sont desobjets cérémoniels. Ötzi n’est pas un guerrier, il a cherché à se fabriquer unarc, mais a été abattu avant d’avoir une arme équivalente à celle de son ouses agresseurs. Mircea Eliade avait dressé un profil du Forgeron, qui s’inter-cale entre le Shaman et le Prêtre, dans l’histoire de la fonction religieuse,profil qui correspond bien au cas d’Ötzi (Eliade, 1977).

Les historiens de la Rome Antique ont décrit les Celtes avec un fonction-nement du druide lui permettant de retirer un droit de sacrifier à une per-sonne. L’apparition de cette forme d’incapacité juridique est importantepour la question de l’origine de l’inégalité. L’économie de ces sociétés estd’abord sacrificielle : qu’une personne puisse perdre son statut trahit l’exis-tence d’une hiérarchie et institue de fait des classes différentes de personnes.Les sociétés néolithiques premières sont d’abord construites autour d’unexercice domestique de la religion. Chaque maison a son culte des ancêtres,généralement sous la responsabilité de la maîtresse de maison. Ces cultesdomestiques persisteront jusqu’au Moyen-Âge, affaiblis progressivement parla hiérarchie – au sens premier du mot, l’existence d’un commandementsacré.

Type d’organisation économique première

Guerre continue Guerre fréquente Paix

Chasseurs-cueilleurs 20 % 50 %30 % (maximum pour

tout type d’organisation sociale première)

Élevage, jachère(avant)

86 % (maximum pour tout type d’organisation

sociale première)11 % 3 %

Agriculture intensive(après)

47 % 47 % 6 %

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Tableau 3 – Inégalités et relations entre religion et innovation à l’époque d’Ötzi

Trois formes d’inégalités peuvent être distinguées à l’époque d’Ötzi etcorrespondent sans doute à des étapes de l’affirmation d’un pouvoir sacré. Lepremier niveau d’inégalité correspond au prestige inégalement partagé departicipation à des grands rituels religieux. Le deuxième niveau à une pre-mière forme de spécialisation religieuse, mais respectant une polyactivitégénérale. Le troisième niveau à une hiérarchie la plus simple possible, ilexiste un chef prêtre et un seul. L’existence de pouvoirs différenciés, d’uneclasse sacerdotale pourraient constituer des niveaux d’inégalité supérieurs àceux qui sont envisagés ici, où subsistent les principes généraux d’organisa-tion des petites sociétés néolithiques : des maisons qui sont souvent des lieuxde naissance et parfois de sépulture, la pratique de rites sacrificiels, y comprisdes sacrifices humains dans la période, des rituels collectifs plus importantsen certaines occasions.

Schématiquement, trois innovations majeures, la roue, le métier à tisserde haute lice, la métallurgie de l’or et du cuivre correspondent à ces trois for-mes d’inégalité. Les contextes technologiques et sociétaux diffèrent, ainsique leur localisation géographique. La roue est attestée dans la culture desgobelets à entonnoir dans la grande plaine Nord européenne (Allemagne etPologne), deuxième moitié du quatrième millénaire avant J.-C. La métallur-gie de l’or et du cuivre a connu une première phase de développement dès lemilieu du cinquième millénaire dans les Balkans. Le perfectionnement dutissage vient d’horizons méditerranéens.

Type d’inégalité

Site de référence

Religion et innovation

Type d’organisa-tion économique

Innovationde référence

Inégalité de type 1 : le marqueur de lignée

Communeà l’époque néolithique, conduit au mégalithismePar exemple : Locmariaquer (Morbihan)

Le marqueur de lignée est un instrument de prestige attaché à un rite. Par exemple, une hache d’apparat utilisée lors d’un rite aux débuts des moissons, ou un charriot solaire

Agriculture extensive

La roue : attelage de bœufs, araire, joug, chariot

Inégalité de type 2 : l’innovation consacrée

Par exemple, Chalain 19 (Jura)

L’innovation intensifie l’agriculture et forme un nouveau symbolisme religieux

Situation d’introduc-tion d’innovation qui intensifie une agriculture rudimentaire

Le métier à tisser de haute lice

Inégalité de type 3 : la hiérarchie simple

Site de référence : Vucedol(Vukovar, Croatie)

Une religion savante de métallurgistes avec panthéon et cosmologie.

Des ressources diversifiées. La spécialisation reste limitée

La métallur-gie du cuivre et de l’or

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Dans les sociétés néolithiques, une compétition de prestige existe entredes maisons ou des clans différents. Les tombes mégalithiques les plus impo-santes sont plutôt aménagées près des meilleures terres, tandis que les ter-rains plus ingrats, occupés bientôt par des éleveurs de porcs ou de moutons,auront des sépultures plus modestes. Des objets cérémoniels, comme leshaches de prestige destinées à certains grands rituels collectifs, sont particu-lièrement recherchés, source de prestige pour toute la lignée. Ces marqueurssociaux peuvent déjà séparer des autres des personnes accédant à un rôlemajeur dans les rites collectifs. Les représentations d’objets techniques sonttrès nombreuses durant l’âge du Cuivre, et servent de repères pour des ins-criptions rupestres où se superposent des figurés cadastraux du néolithique,les symboles d’objets techniques du chalcolithique, et un retour des figurésde l’orant à l’âge de bronze. Dans le néolithique de l’arc atlantique ou celuide la culture des gobelets à entonnoir, les symboles d’objet technique ontune place importante, comme la hache-charrue du menhir de Locmariaquerou le chariot solaire du vase de Bronocice. Cette poterie constitue la plusancienne représentation connue d’un véhicule à roue. Une panoplie compo-sée d’un baudrier, d’un arc, de deux flèches et de deux haches est représentéesur le bloc 24 du dolmen de Gavrinis. Ces attributs de prestige servent soit àconsacrer un espace ou un rite, à insérer un ancêtre dans la lignée, et à magni-fier la lignée tout entière. Des stèles-menhirs attachées à un ancêtre sontréemployées dans le dolmen, la tombe collective de la lignée. La figurationnéolithique des objets techniques reste proche de celle d’un blason clanique.

Les stèles d’Ossimo datent d’un sanctuaire utilisé pendant l’âge du Cuivre2 et encore utilisé dans la période Cuivre 3, la stèle 7 présente une figurationexplicite d’une triade divine, centrée sur un dieu solaire, accompagné d’unedéesse féminine reconnaissable par une représentation de ses bijoux et d’untroisième personnage masculin identifié par un manteau décoré de bandesverticales et de franges latérales. Les productions artisanales servent à iden-tifier de façon conventionnelle un membre du clan divin. Le manteau frangéest plusieurs fois représenté en compagnie d’un troupeau de biches mené parun grand cerf : ce membre du clan divin possède sans doute un mythe danslequel la figure de ces animaux permet d’en résumer le récit.

Une conclusion de Jean Guilaine, « un lignage plus important avec par-fois un bâtiment prestigieux mais sans doute pas un clergé » (Guilaine,1994), vaut sans doute pour cette inégalité de deuxième niveau. Le site deChalain dans la vallée de l’Ain témoigne d’une transition entre deux régi-mes d’occupation de ce site lacustre, d’une agriculture rudimentaire à l’adop-tion de l’araire, du débardage avec un attelage de bœufs et du tissage avec unmétier de haute lice. La maison du métier à tisser se singularise dans sonarchitecture et son organisation. Il y a eu un sacrifice humain de fondation,

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et de la découpe rituelle de grands animaux, ce qui témoigne d’une spéciali-sation religieuse partielle. Il est probable que la production artisanale de tis-sus de lin avait aussi une finalité cérémonielle. Une innovation majeurecomme la traction animale a été d’abord adoptée seulement par quelques-uns uns. Il faudra trois siècles pour que toutes les conséquences de l’innova-tion se fassent sentir (Petrequin, 2005).

Le troisième niveau d’inégalité est celui d’une spécialisation religieuseattestée. La société de référence est celle de la culture de Vucedol, dont lesite se trouve près de l’actuelle Vukovar en Croatie. Au troisième millénaireavant notre ère, il s’agissait d’une communauté fabricant des outils à partird’alliage de cuivre à l’arsenic. La cité est menée par un chef-prêtre. Unecérémonie d’initiation des jeunes enfants était réalisée avec du cuivre enfusion versé sur le front. De grandes cérémonies ont laissé une vaissellerituelle qui comporte en particulier la plus ancienne représentation connued’un calendrier en Europe. Les activités restent peu spécialisées comme danstoute société néolithique. La polyactivité est plus différenciée, une diversifi-cation qui permet de mieux gérer les aléas agricoles. Ce type de société sedéplace en raison de la recherche et de l’épuisement des ressources en mine-rai, et peut donc essaimer très loin, car ce sont des minerais très particuliersqui sont recherchés – la spécialisation métallurgique est très forte, il s’agituniquement d’un certain type de minerai de cuivre qui est prospecté.

La mort d’Ötzi est sans doute à replacer dans ce contexte de formationd’une hiérarchie. La société néolithique a pu dans une certaine mesure per-mettre à ce que des magiciens voient leur puissance s’accroître dans le cadred’une compétition entre des maisons. La transition vers un pouvoir sacrésupérieur est une source potentielle de conflits majeurs, qui semblent biens’être généralisés à la fin de la période du Cuivre 1, l’époque d’ Ötzi.

CONVENTIONS RELIGIEUSES

Nous partons d’une idée de Thomas Schelling : l’extrême (eschatos en grec)génère des conventions constitutionnelles, par exemple, l’arme nucléairequi génère une convention de non-prolifération. Dans son discours de récep-tion du Prix Nobel de sciences économiques en 2005, il évoque la termino-logie de « tabou », d’une convention religieuse qui se trouve de fait mise enœuvre dans ces situations extrêmes. Lorsqu’un armement d’un niveauinconnu jusqu’alors se met en place, les protagonistes agissent en dévelop-pant des armes d’un niveau moindre en se comportant de telle sorte que cesont ces conflits du niveau inférieur qui vont se produire et se produisent defait. Les couloirs des états majors sont pleins de propos qui disent qu’il ne

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faut pas respecter le tabou, mais en pratique, les demandes budgétaires de cesétats majors s’inscrivent dans les schémas conventionnels de conflits armés.

Ce type particulier de conventions permet d’expliquer une vitesse trèslente de diffusion de l’innovation. Les données disponibles laissent soupçon-ner deux périodes d’introduction du cuivre, deux périodes séparées par unecrise guerrière (Guilaine, 1994). L’arc date environ de 10 000 ans, et il a étéprobablement l’instrument du repli et de la quasi-disparition des premiersoutils-armes en cuivre comme le laisse supposer les circonstances de la mortd’Ötzi. Le « maître du feu » n’a pas eu le temps de confectionner un arc et sapuissance qui devait être très redoutée n’en a pas moins été abattue à distancepar un archer. Les sociétés néolithiques sont basées sur des conventionsdomestiques et de domestication. La grande déesse néolithique transforme legrand fauve en animal de compagnie, une violence sauvage guerrière ne peutqu’y faire problème. La délimitation d’un espace régulé, là où le pouvoirsacrificiel suit des règles et dicte des formes d’affrontement, et de confins apu prendre différentes formes. La question est en particulier celle d’un maldéveloppement européen vis-à-vis de la Mésopotamie et de l’Egypte,l’Europe qui connaît très tôt la roue et le métal mais développe très peu desorganisations urbaines et politiques.

De la galerie des ancêtres au clan des dieux

Les stèles anthropomorphes de la région au pied du massif de l’Ötz peuventêtre réparties en plusieurs types. Il semble qu’une série de six statues trouvéeà Arco, au nord du lac de Garde, proviennent d’un même sanctuaire. La plusgrande des statues, Arco I, est composée de la représentation d’une divinitésolaire présentant une panoplie de quatorze outils-armes de quatre types dif-férents (7 dagues, 1 marteau, 3 haches, 4 faux-hallebardes). A l’âge de Bronze,toute la région des Alpes du nord et de ses piémonts va être couverte detoponymes dédiés au grand dieu Lug (comme la ville de Lyon, anciennementLugdunum), grand dieu fédérateur polymathe, réunissant les savoirs, les pou-voirs et les différentes fonctions sociales. Ce dieu souverain est à la tête d’unclan solaire : deux statues féminines, deux statues difficilement interpréta-bles, et sans doute une statue de guerrier au marteau complétant la série dusanctuaire d’Arco.

Les autres sites où des statues du même type que la grande stèle d’Arcoont été découvertes se situent le long du chemin qui monte au massif del’Ötz, en particulier à Laces, à l’embranchement du chemin menant au gla-cier où a été trouvée la momie d’Ötzi. Ces statues-stèles seraient datées del’époque du Cuivre 2, c’est-à-dire qu’elles seraient bien postérieures à Ötzi. Ilest supposé qu’à l’époque du Cuivre 1, les sanctuaires étaient réalisés à partir

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de statues de bois dont on a retrouvé quelques trous de fondation. L’épisoden’est pas documenté, mais il s’agit semble-t-il d’une évolution lente des pro-totypes divins et des représentations mégalithiques. Il est fait l’hypothèseque deux facteurs ont été sous jacents à cette transformation :

– La reconnaissance de la connaissance, des conséquences utilitairesde certains savoirs. Parmi les dieux archaïques de la Mésopotamie,nous trouvons aussi un dieu polymathe, Enki-Ea, un dieu ami deshommes qui sauve l’espèce humaine de la destruction par le Déluge.

– Ce dieu polymathe mésopotamien est lié à un réseau fédérateur, leréseau d’irrigation. Dans le cas des piémonts alpins, la période de l’âgede Cuivre est celle de la mise en place du pastoralisme. Les sanctuairesse trouvent systématiquement sur les chemins d’accès aux alpages et detranshumance des troupeaux. Ces longues routes n’appartiennent pasà un clan particulier, et seraient un lieu privilégié pour des cérémoniescollectives en continuité avec les grands rites du mégalithisme.

Dans les sites rupestres, l’âge du Cuivre 2 correspond à l’apparition de l’asso-ciation du soleil avec des outils ou des animaux. La société reste peu spécialisée,la rudesse des temps fait que la diversification d’une polyactivité se montre plusadéquate qu’une spécialisation professionnelle. Les prototypes divins se diffé-rencient grâce à un symbole unique, comme par exemple l’association d’unsoleil et d’un manteau, mais sont aussi sous la coupe de grands dieux polyactifs.L’horizon du Cuivre 3 représente un soleil qui couronne un petit bonhommestylisé, et correspond à la période de très large diffusion dans tout le continenteuropéen de cultes funéraires nouveaux (vases cordés et campaniformes).Métal, roue, tissu : la région des Alpes centrales à l’âge du cuivre est celle quiconnaît la première rencontre de toutes les innovations majeures de cette tran-sition de la fin du néolithique. Cette avance technologique se traduit enEurope dans une modification religieuse, où un dieu souverain polymathe sup-plante la traditionnelle déesse de la fertilité des premiers agriculteurs.

L’impossible contrat de Hobbes en Europe

Un pacte de Hobbes fonde l’Egypte pharaonique, réunissant des sites néoli-thiques de la haute Egypte et un centre du commerce du cuivre, Maadi(aujourd’hui faubourg du Caire) en basse Egypte. Les premiers rois réunissenthaute et basse Egypte en fédérant dans un panthéon complexe les divinitéslocales. Une garde royale unifie le royaume. Les objets en cuivre sont desobjets de consommation courante. Dans l’Egypte prédynastique (périodeNagada I), il y a un commerce sur des longues distances comme dans les siteseuropéens. Il évolue cependant autour d’un marché spécialisé à Maadi dès la

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période Nagada II (contemporaine de l’épisode Ötzi) – alors que ce type derelations marchandes intensifiées ne se fera que dans la période celtique (parexemple, Argenton sur Creuse qui était le marché de l’argent).

La violence est un phénomène contagieux, contagion qui est une condi-tion habituelle de solutions plus centralisées. L’Europe du cinquième millé-naire avant J.-C. a disposé d’agglomérations dans un territoire qui correspondà l’actuelle Ukraine et la basse vallée du Danube. La sécurité collective vaêtre apportée par un réseau de villages fortifiés, stratégie plus décentraliséequi n’a pas pu faire émerger l’Europe d’alors, et a fait subsister un niveauélevé de violence. Dans l’anthropologie contemporaine, il est indiqué pour-quoi une société de guerriers ne peut pas souscrire un pacte de Hobbes. Leshaman, le chef de guerre trop puissant concentre les attaques. Il se main-tient à la fois un régime de vendetta incessante, et une égalité de conditionlibre entretenue par la disparition sélective des puissants lors de ces multiplesconflits (Descola, 2006). Pierre Clastres avait développé l’idée de l’impossibi-lité de la formation de l’Etat à partir des sociétés premières d’un type guerrier.

Une forte conflictualité entre de petites chefferies fournit un premieréquilibre de ces sociétés premières guerrières : mais à partir des prémissessemblables – croissance endogène néolithique et choc technologique métal-lurgique – Nagada indique la possibilité d’une fédération entre la partiemétallurgique et la partie céréalière – symbolisée dans la coiffe du Pharaonqui réunit symboliquement la haute et la basse Egypte. Une armée sacrée,celle d’Horus, combat les ennemis et fédère le pays.

Ce qui différencie semble-t-il les deux équilibres guerriers est l’existenceou non d’un front technologique. La fédération politico-religieuse des pre-miers rois égyptiens a aboli toute espèce de différenciation technologique. Lafédération religieuse et linguistique des européens de l’âge du Cuivre laisse sub-sister des différences technologiques pendant de longues périodes. La situationen Europe a été celle d’innovateurs marginalisés, contenus dans les confins.La situation de front technologique a pu perdurer très longtemps – et sansdoute dans une fin « révolutionnaire », une diffusion éclair des procédésmétallurgiques succédant à de très longues périodes de stagnation.

Pour avoir une situation de type féodale, il faut avoir un flux très faible decommunication interrégionale : la vallée du Nil canalise les communica-tions et les intensifie, circonstance favorable pour la fédération autour d’unearmée royale. Le culte unificateur, se prolonge dans une armée qui monopo-lise la chasse aux ennemis sous l’effigie du dieu attaché à la personne royale.L’Europe connaît aussi des transformations religieuses qui ont une portéeunificatrice à l’époque de l’âge du Cuivre. La diffusion très lente des innova-tions y perpétue une fragmentation technologique, qui s’est révélée être enlongue période, une source majeure d’instabilité pour le continent européen.

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La fragmentation technologique peut provoquer un effet dissuasif, le paysou la tribu en retard technologique est dissuadé de mener une razzia, et uneffet belliqueux, le pays ou la tribu en avance peut être tenté d’en tirer avan-tage. Tant que la tribu ou le pays bénéficiant de l’avance technologique estde taille démographique petite, l’équilibre se fait en rejetant les innovateursaux confins avec une supériorité des effets dissuasifs. Il est rompu dès que lesinnovateurs sont suffisamment nombreux. Les forgerons innovateurs ontsans doute été les énigmatiques indo-européens qui ont provoqué une grandeunification linguistique du quatrième au premier millénaire avant J.-C. Leurconvention constitutionnelle est du type « dumézilien » avec une sacralisa-tion d’une hiérarchie sociale mettant au rang le plus élevé ceux qui ont lemonopole sacrificiel ou orant, puis viennent dans un statut ambigu, les guer-riers, et enfin les artisans. Les premiers puissants ont sans doute été liés à laprise de conscience de l’efficacité de savoirs pratiques, prise de consciencequi caractérise l’âge du Cuivre.

Le pacte Dumézilien

Colin Renfrew avait proposé de faire coïncider unification linguistique etfront pionnier, le front de défrichement de la forêt primaire par les colonsagriculteurs : les premiers agriculteurs auraient formé une pression démogra-phique suffisante pour imposer une langue unique, le proto-indo-européen(Renfrew, 1990). Ils ont en face des chasseurs-cueilleurs moins nombreux,suppose-t-il. Il est bien connu qu’ils forment une mosaïque linguistique qui seserait effacée devant la langue des agriculteurs. L’hypothèse de Colin Renfrewfait vieillir le proto-indo-européen de 4000 ans environ, cela mais ne corres-pond en rien avec les données linguistiques, mythologiques et archéologi-ques. Citons par exemple un des multiples arguments qui s’opposent à la thèsede Renfrew : la langue proto-indo-européenne ne contient pas de termes pourles céréales et les techniques agricoles courantes – par contre beaucoup determes pour les milieux sylvestres. Les locuteurs du proto-indo-européenapparaissent comme des néolithisés (religion sacrificielle) vivant dans desconfins, porteurs d’une partie de la grappe d’innovation majeure de l’âge ducuivre (métallurgie, traction animale, intensification de l’élevage, boissonsfermentées et conditionnées, droit privé). La seule manquante est l’écriturequi est liée à un fort flux de communication (Egypte, Mésopotamie) etd’échanges commerciaux. Les travaux de Theo Vennemann identifient aumoins deux groupes linguistiques chez les néolithiques européens : une formeancienne du basque (les mots « Alpes », « Ebre/Elbe », « Cannes » sont d’ori-gine basque) et un groupe méditerranéen, chamitique – apparenté aux languesdu Proche-Orient.

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Ainsi, contrairement à la thèse de Renfrew, l’unification linguistiquesemble liée à une situation de front technologique de l’époque de la révolu-tion métallurgique, et non de celle de la révolution néolithique. Les premiersmétallurgistes sont rejetés, contenus dans des confins peu favorables à l’agri-culture, comme les milieux alpins, par les agriculteurs néolithiques. Cespopulations marginalisées peuvent s’unifier linguistiquement, se concentrerderrière le front technologique, qui finit par avancer de façon brutale, parfoisaprès une très longue période de temps. Par exemple, la culture de Vucedolest celle qui a fourni les Italiotes qui se sont installés dans toute la péninsuleitalienne à l’âge de Bronze.

Le pacte triparti des sociétés indo-européennes a une structure de pactede service : le service offert est celui des guerriers, il est mis sous la coupe dusacerdoce ou d’un chef-prêtre, et les usagers forment une troisième partie.Un tel pacte de service est avantageux pour les trois parties :

– pour le sacerdoce, qui est très menacé par l’existence d’arme. Le con-texte d’ostracisme des puissants « magiciens » est bien réel, comme entémoigne la mise à mort d’Ötzi. Un tel pacte lui offre la sécurité de leurpersonne qui devient sacrée.– pour les artisans, éleveurs, agriculteurs, qui se retrouvent moinsdirectement en première ligne dans les conflits, et ils bénéficientd’une protection aussi bien spirituelle (du chef-prêtre) que matérielle(les guerriers).

– pour les guerriers, ils bénéficient d’un statut d’exception, leur com-portement asocial est tout de même intégré ex ante à l’ordre social parun pacte.

CONCLUSION : RÉVOLUTION DES TECHNIQUES, RÉVOLUTION DES SYMBOLES: COMPARAISON DE LA RÉVOLUTION NÉOLITHIQUE ET DE LA RÉVOLUTION DE LA MÉTALLURGIE

D’où vient l’inégalité ? D’effets de pouvoir induits par la reconnaissance dela connaissance qui ne se produit qu’au moment de la révolution de la métal-lurgie. La révolution néolithique a institué des formes simples de pouvoirs,une compétition de lignées, sans s’appuyer sur les pouvoirs induits par dessavoirs utiles techniques. La révolution néolithique a été conduite par unerévolution des symboles (nouvelles pratiques religieuses : sacrifice, autel,offrande, prière à une déesse mère et à un parèdre taureau) qui précède la

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maîtrise du vivant, celle du cycle de reproduction des céréales et des ovica-pridés (Cauvin, 2000).

Dans la révolution métallurgique, la transformation des symboles sembletoujours retardée. Quelques symboles novateurs s’introduisent lentementdans une religion néolithique et modifient dans la longue durée la structurede ses panthéons. Le bouleversement des références symboliques et leur dif-fusion dans l’ensemble de l’Europe se produit en fin de la grande période detransition qu’a été l’âge du Cuivre. Le schéma temporel de la révolutionmétallurgique est inversé par rapport à la révolution néolithique avec sa pré-coce révolution des symboles.

La révolution néolithique limitait l’inégalité sociale à des différences deprestige de lignée. Ces différences pouvaient prendre des formes spectaculai-res, comme en témoigne le gigantisme de certaines structures mégalithiques.Puis viennent roue, métal, tissu : des personnes sont reconnues socialementpar une différence de leur pratique technologique, cette modification de larelation entre savoir et pouvoir a lieu dans la période où a vécu Ötzi. Les stè-les anthropomorphes du Haut Adige témoignent que pour des générationspostérieures à Ötzi, de nouvelles conventions religieuses se sont formées,insistantes sur l’aspect dissuasif de l’outillage de cuivre. La révolution métal-lurgique a amené une complexification des assemblages de pouvoirs, instau-rant pour une très longue période des formes pérennes de hiérarchie sociale.

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