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Louis XIV et Mlle de La Vallière

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Page 1: Louis XIV et Mlle de La Vallière
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LOUIS XIV ET

Mlle DE LA VALLIÈRE

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Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris la Russie.

Copyright by Éditions du Siècle, 1933.

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GONZAGUE TRUC

LOUIS XIV ET

M l l e D E L A V A L L I È R E

" L'HISTOIRE VIVANTE "

É D I T I O N S DU SIÈCLE CATALOGNE & C 7, RUE SERVANDONI, 7

PARIS

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IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE 100 exemplaires sur papier alfa, dont 90 numérotés de 1 à 90 et 10 exemplaires Hors Commerce.

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I

PRÉSENTATION

Le portrait de Mignard, reproduit par l'archiviste Jules Lair en tête de sa magis- trale étude, déjà explique et s'explique : sous les boucles blondes un front pur pro- pice aux claires pensées, un nez très fin, des yeux à demi baissés où cependant reposent dans toute leur lumière la tendresse, la fran- chise et l'ardeur, chaste jusqu'en ses excès, d'une passion qui saura ne pas s'arrêter à la terre, une bouche ferme et sincère, de belles épaules un peu fuyantes, des mains divines dont l'une ramène le vêtement sur le sein; dans tout cet ensemble stylisé un charme souverain, une noblesse naturelle et l'accent d'une vertu gardée jusque dans la chute.

Peu d'hommes ayant lu dans leur enfance le Vicomte de Bragelonne qui n'aient consenti

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pour La Vallière à une certaine faiblesse de cœur. En vain Dumas la leur a peinte inconstante, fragile et coupable d'avoir mis en terre le pauvre Raoul. Le bon géant n'a pu se défendre contre la vérité. Il a aimé lui aussi celle à qui, par la voix de d'Artagnan, il faisait infliger sur une tombe une si cruelle leçon. Il l'a laissée tendre, touchante, repen- tante et proie d'un cœur qui hésita un moment sur la terre avant de trouver son vrai chemin vers le ciel.

On a trouvé dans le château de Reugny de naïves peintures et des inscriptions bien surprenantes. Un des tableaux représente la vallée, l'église, ce château et des villa- geois y dansent ou s'y divertissent; des personnages allégoriques se dressent aux côtés de la cheminée. Un homme vêtu comme au siècle passé présente cette devise : Cineres mediteris et urnam; en face un Amour auprès d'une femme dit : Sit tibi surda Venus. Une autre devise, découverte la dernière, porte : Ad principem ut ad ignem amor indissolubilis.

On s'étonne et on a raison de s'étonner : « Tu méditeras sur les cendres et l'urne... Vénus te demeure sourde ! Au prince comme au feu des autels un amour qui ne se dissou- dra point. » Ces maximes toutes générales

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et lieux communs de la piété n'émurent guère l'enfant qui les put déchiffrer et sans doute s'effacèrent de sa mémoire. Elles inscri- vaient pourtant devant elle sa destinée. Que l'imagination s'abandonne : elle trouve ici une pâture légitime. Elle voit la petite Louise s'égayer aux jeux des paysans qu'elle retrouvera tantôt dans sa demeure, paisible et pure, alors qu'au-dessus de sa tête sa sentence, sa perte et son salut s'inscrivent en des paroles qu'elle ne comprend pas.

L'histoire, qui recueille le vrai, le faux et ne respecte rien, a épargné cette figure. Même ceux qui sont demeurés froids devant elle ou lui ont été défavorables, un Saint- Simon, une Montpensier, ne l'accablent point. On la plaint plus qu'on ne la juge et, quand il faut prononcer, on accorde qu'elle a été entraînée ou manœuvrée. Les libelles eux- mêmes ne vont pas plus loin. Quant aux indifférents ou aux amis, ils sont unanimes. Jamais on n'a vu tant de grâce et tant de malheur; jamais on n'a été aussi désintéressé là où l'intérêt parle seul communément; jamais on n'a vu la pénitence laver mieux un crime presque innocent. On ignorait ce que cette pénitence, dans sa rudesse, avait comporté d'austère douceur.

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Et puis, le temps devait produire des spectacles si différents! A côté de cette victime, quelle triomphatrice altière s'éleva, près de cette innocence, quelle malice! Tout le monde s'accorda aux propos de cette amie impartiale, Mme de Sévigné, qui ramasse et résume l'opinion et qu'il faut bien citer ici, après tant d'autres :

« On dit que la belle beauté [Mme de Fontanges] a pensé être empoisonnée; et que cela va droit à demander des gardes ; elle est toujours languissante, mais si tou- chée de la grandeur qu'il faut l'imaginer précisément le contraire de cette petite vio- lette qui se cachait sous l'herbe, et qui était honteuse d'être maîtresse, d'être mère, d'être duchesse : jamais il n'y en aura sur ce moule... »

Nous n'admirons plus pour les mêmes raisons Louise de La Vallière et il nous choque plutôt qu'elle ait été mère, duchesse, et le reste. La morale dans ce qu'elle com- prend d'accidentel dépend pour une part de l'état social. Ceci doit excuser Mme de Sévigné, admirant une grandeur en fonction d'une certaine bassesse et la même raison légitime notre complaisance moins équi- voque. Nous louons surtout une amante d'avoir aimé en des circonstances qui, de

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coutume, tuent l'amour, et traité son maître, dans son cœur, comme s'il eût été son égal. Mais la même séduction qui entraînait les contemporains s'exerce aussi sur nous, et c'est la personne que nous chérissons dans l'héroïne, en dépit de la grandeur et de l'infamie.

Il n'y aura qu'à suivre et à laisser parler l'événement pour la partie narrative et nous serions vraiment malheureux si une telle matière venait à se glacer en nos mains. Mais nous voudrions aussi tenter davantage et nous souvenir du principal. Le plus bel amour de Louis XIV, les amours de Louis XIV et de Mlle de La Vallière, c'est bien là notre sujet : nous ne l'arrêtons pas sitôt et nous le poursuivons jusqu'en ses consé- quences dernières, jusqu'à la bure du Carmel et à ces méditations de sœur Louise de la Miséricorde où se découvre le sens, peut-être la fin, d'une vie dont on sépare un peu trop des aspects dissemblables. « J'espère avec la grâce de Dieu », écrit l'humble religieuse au confident le plus cher, « réparer par une longue pénitence les fautes dont il a été le témoin... » Elle fut exaucée à souhait : trente-cinq années de cloître! Oserions-nous passer légèrement sur la retraite où elle

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trouva sa raison d'être et la clef de son être futur.

Nous ne devrons point nous flatter d'ap- porter encore ici des pièces inédites et des révélations piquantes ou sensationnelles. Il nous suffira de tâcher de saisir dans sa pro- fondeur un caractère dont on a fait surtout ressortir jusqu'ici les parties externes et brillantes. La vie de La Vallière n'est que trop romanesque; on peut bien facilement y ajouter, et il n'est pas sûr que les témoins les plus scrupuleux s'en soient privés... Nous avons sur le sujet beaucoup plus de « mémoires » que de pièces d'archives. Nous nous murmurons donc avant de commencer : « Prudence », et nous nous permettons de nous étonner, voyant l'historien qui sera notre guide, ce même Jules Lair, utiliser des sources où titres et noms nous semblent hasardeux déjà et qu'il ne nous paraît pas entourer d'une réserve suffisante. Nous aurons, pour les années de pénitence, un substantiel et récent volume de J.-B. Eriau, encadrant une précieuse édition des Réflexions sur la Miséricorde. Faut-il dire que, poursuivant surtout une étude d'âme, nous demanderons d'abord aux textes émanant de la pénitente de nous renseigner sur cette âme ?

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II

PRÉLUDES

Un des ancêtres des La Vallière, Perrin Le Blanc, fut lieutenant sous Jeanne d'Arc. Il fit souche et de lui s'engendrèrent les La Baume Le Blanc, fixés dans les environs de Paris, à Choisy, puis dans le Bourbonnais, enfin en Touraine, où en 1542 Laurent II, de Choisy, achetait le domaine de La Vallière, assez exigu déjà et qu'il n'accroissait pas beaucoup en y ajoutant la Roche et le Puy sur la paroisse de Reugny.

Un autre Laurent, troisième du nom, au commencement du XVII siècle, continuait cette descendance d'épée. Il était marquis de La Vallière, baron de la Maison-Fort et autres lieux, gouverneur d'Amboise et, aux armées, « capitaine-lieutenant de la mestre de camp de la cavalerie légère ». Il s'était distingué à Brai et à Avein, en 1634

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et en 1635, dix ans plus tard à Rocroi. De lui et de dame Françoise Le Provost

de la Coutellaye, naissait à Tours, en l'Hôtel de la Crouzille, le 6 août 1644, une fille, baptisée le lendemain à Saint-Saturnin et prénommée Françoise-Louise. Le parrain était Pierre Le Blanc, seigneur de la Roche, Conseiller au Présidial, la marraine Louise de La Baume Le Blanc, veuve d'un capitaine de chevau-légers. Tout se passait en famille.

L'enfant atteignait à peine sa septième année lorsque son père mourut. La mère, qui en était à son deuxième mari, en prit un troisième dans Jacques de Courtardel, premier maître d'hôtel de Gaston d'Orléans et marquis de Saint-Rémy en 1655. La desti- née, encore obscure, s'orientait.

La petite Louise avait jusque-là vécu soit à Reugny, soit à Amboise. Elle put voir dans ce dernier lieu, en 1651, le jeune Roi, sa mère et son ministre, revenir sur Paris d'où ils avaient été chassés par l'émeute. La majesté lui apparut ainsi pour la première fois en des circonstances difficiles et elle ne dut guère soupçonner qu'elle en partagerait un jour la splendeur.

Au séjour de ce château dominant de vastes et belles lignes de la Loire, mais un

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peu hérissé, la famille préférait celui de La Vallière. Non plus ici la forêt ou les plats herbages : ces vallonnements infinis et modé- rés de la Touraine, ce sourire des mille plis du sol; non plus le large fleuve mais la rivière sautillante qui amène au moulin l'eau sonore. Des prés, des vignes, de grands bois essaimés, proche, sur l'autre versant, le clocher pointu de l'église villageoise.

Un petit château, un petit château con- venant à un petit seigneur : des fenêtres Renaissance, des portes romanes, un épais mur d'enceinte et de très beaux arbres. Les maîtres amènes et ces villageois que nous avons vus dansant... Des images à la Rous- seau, déjà.

La jeune Louise ne put s'attarder dans ce paysage pacifique. Son père n'était pas riche et le troisième mari de sa mère devint pauvre. En 1655, Saint-Rémy venait s'établir à Blois auprès de Gaston d'Orléans. Il agissait à sa mesure et fort convenablement. Il avait une fille et Louise un frère de deux ans plus âgé qu'elle. Une autre fille naquit et on adopta un orphelin. Le mari obtint jusqu'à mille écus de pension pour les deux enfants de sa femme. Cela ne suffit point à relever ses affaires et on le voit, dans le même temps,

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en proie à mille difficultés de trésorerie. Il y avait à Blois, avec Monsieur, Margue-

rite de Lorraine, sa seconde femme, ses filles, Elisabeth, Marguerite, et Françoise- Madeleine. Louise et la fille de Saint-Rémy furent demoiselles d'honneur des princesses.

Que faire, en une Cour où le frère d'un roi expie dans l'inaction de l'exil sa turbulence ? Louise y passa de sa onzième à sa seizième année. C'était encore le temps des précieuses et des héroïnes. On lisait, puis on rêvait à ses lectures quand on ne tentait pas de les mettre en action. La bibliothèque rose tenait alors dans les copieux volumes de d'Urfé, de la Calprenède, de Gomberville et de Mlle de Scudéry. Elle nous semble fade : elle restait terriblement dangereuse à des âmes ingénues qui n'avaient d'autre pâture, dépis- taient au long des pages une actualité encore vivante et voyaient passer, éblouies, les modèles de tant d'imitations.

Mlle de Montpensier arrivait elle-même, en personne! Elle traînait à sa suite une troupe de comédiens. Elle contait la Fronde, on devine en quels termes; sur un autre ton elle découvrait, à ces provinciales ébahies, les secrets galants d'une autre Cour! Quelles images, quels songes, quelle fièvre dans ces

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molles langueurs du ciel tourangeau !.. Et voici mieux. A la fin d'un jour du prin-

temps de 1659, le jeune maître parut et passa. Il se rendait à Saint-Jean-de-Luz pour y épouser Marie-Thérèse. Il chassa autour de Chambord, au grand dépit de son oncle, et s'en vint le soir coucher à Blois. Il y eut l'effervescence qu'on imagine; il y eut aussi des larmes. La cousine Marguerite avait rêvé ce que rêvent toutes les cousines ; elle se voyait déjà reine de France. Louise de La Vallière essuya-t-elle de beaux yeux dépités ? Il suffit qu'elle l'ait pu.

Est-ce à ce moment que se noua cette idylle ou ce semblant d'idylle avec Brage- longne ou Bragelonne dont Dumas a tiré un trop bon parti ? Non, elle n'enterra pas ce jeune capitaine. On sait seulement qu'il y eut quelques billets inoffensifs.

Un simple témoignage n ous renseigne sur un autre point : celui de Gaston d'Orléans; écoutons le grave abbé Lequeux qui le rapporte :

« ...De jeunes personnes de la société et de l'âge de Mlle de la Vallière », écrit-il, « ayant montré dans une occasion beaucoup de légèreté, ce prince qui en fit connaître son mécontentement dit publiquement :

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« Pour Mlle de la Vallière, je suis assuré « qu'elle n'y a pas de part : elle est trop sage « pour cela... », elle a depuis avoué elle-même que ce témoignage éclatant rendu à la régu- larité de sa conduite par une bouche si res- pectable fut pour elle une blessure mortelle. Elle en conçut des sentiments si flatteurs de complaisance en elle-même, qu'elle n'a jamais douté que cette secrète présomption n'ait été, par une juste mais terrible punition de Dieu, la cause funeste de ses malheurs et de ses chutes... »

Peu importe l'occasion qu'on n'a point trouvée. Il y a, dans ces simples paroles d'un prêtre, une vérité divine et une réalité humaine, un principe et la ligne principale d'un caractère ou d'un destin. Il est vrai que nous sommes toujours frappés dans notre orgueil et dans ce que nous avons de plus cher pour apprendre qu'il y a quelque chose de plus cher encore; il est vrai que, méditant sur elle-même, une pécheresse a découvert le secret de son péché dans l'essence dernière — ou avant-dernière — de son être. Mlle de La Vallière, fille d'hon- neur de Monsieur, a savouré l'encens de ce médiocre personnage. Elle a été flattée qu'on louât en elle une sagesse accompagnée

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de modestie. Elle n'a pas pris garde que, s'approuvant ainsi, elle oubliait de s'armer, de s'armer contre soi, et qu'elle se préparait dans sa vertu même sa pire ennemie. Une exquise sensibilité, en effet, qu'elle dérobait

. à Dieu, peut-être par nonchalance, pour la laisser aller à l'homme était abandonnée de Dieu et tombait au pouvoir de l'homme; l'amour, qui l'animait toute et l'a toujours définie, avant de fructifier en elle en fruits divins, devait la briser à la torturante épreuve des vaines amours.

Une autre incertitude nous surprend à ce point, à propos de son esprit et il est dou- teux qu'elle soit jamais levée. M. J.-B. Eriau dit de la jeune fille, à propos de l'affaire Bragelonne, que « son éducation la sauve- garda, de même que les conseils du chape- lain, son compatriote, l'abbé de Rancé, naguère converti ». Quelle fut cette éducation dont nous ne savons rien et dont nous ne voyons guère la place dans une enfance et une jeunesse besogneuses ou trop agitées; quelles impressions, quels propos, quels conseils marquèrent cette fraîche intelli- gence ? Les Lettres au maréchal de Belle- fonds et les Réflexions nous révèlent, à notre surprise et nous le dirons mieux, un écrivain

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de choix et une âme pénétrée de la lettre comme de l'esprit de la doctrine où elle se réduisait. Faut-il retarder les acquisitions de cette culture dont nous avons les preuves sans en avoir conservé les traces à la veille du repentir, l'attribuer aux leçons publiques d'un Bourdaloue, au commerce plus intime, plus direct de Bossuet ? Ou à l'âge des romans des influences et une activité plus sérieuses nous échappent-elles ? Toujours est-il que nous devrons découvrir dans cette religieuse qui fut une favorite, une hauteur, une finesse de pensée, une sûreté d'expression qui la mettent pour le moins, — et la vie spiri- tuelle en plus — au niveau d'une Sévigné ou d'une Maintenon.

Gaston d'Orléans mourut le 2 février 1660 et sa veuve se trouva installée dès le mois suivant, à Paris, au palais du Luxembourg. Madame douairière eut, comme tant d'autres de son rang, le deuil rapide et léger. Elle avait laissé là le corps de son mari et aban- donné la chambre mortuaire même au pillage. Elle s'était mise en route, moins de quinze jours après, dépassant son train dans sa hâte

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et devançant ses filles. A vrai dire les cir- constances la pressaient. Elle voulait se rendre maîtresse la première d'un logis qu'on eût pu lui contester, bien qu'alors il portât son nom. Saint-Rémy qui, naturellement, avait suivi avec les siens, continua sa charge de maître d'hôtel dans une maison diminuée. Les yeux de Louise de La Vallière rencon- trèrent des visages et des spectacles nou- veaux.

Elle dut voir, le 25 août, l'entrée solennelle du Roi ramenant d'Espagne la royale épouse et assister au déploiement de ce cortège que Mme Scarron regardait passer d'une fenêtre et qui se gravait si bien dans sa mémoire. Mariage politique où l'étrangère engageait un peu trop de sa personne et d'où le prince ne tardait pas à s'évader, sollicité par mille intrigues et préparant d'âpres tortures à sa compagne d'apparat. Mlle de La Vallière, avant d'aborder la cour, s'engageait aux jeux d'un cercle plus restreint. Nous pouvons prendre quelque idée de ces divertissements préliminaires. Mademoiselle était l'animatrice. Elle prêtait ses violons. On ouvrait le bal malgré la bouderie de Madame. On pratiquait le colin- maillard et cligne-musette. Point de cartes,

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ajoute Lair, citant l'abbé de Choisy : « Ce n'était point la mode. On riait cent fois davantage... » Les violons, « ordinairement, on les faisait taire pour danser aux chansons... » Tout ne garda pas cependant une telle innocence. La jeune Marguerite, après ce que nous appellerions des flirts trop poussés, dut être mariée de force, et toute la maison s'amusa ou se scandalisa de la débauche sénile d'un parent des hôtes, prince lorrain. Le 16 avril 1661, un autre mariage avait lieu. Le frère du Roi, Philippe, épousait Henriette d'Angleterre. Événement décisif et fatal pour Louise qui ne s'y attendait pas et reçut ainsi de la Providence un cruel bienfait : par l'entremise d'une extravagante femme d'un ancien fonctionnaire de Gaston d'Orléans, Mme de Choisy, elle était choisie pour entrer dans le corps brillant des filles d'honneur de la nouvelle Madame. On sait les heures, les jours et les années qui s'appro- chaient. Toujours besogneuse, Françoise Le Provost dut obtenir par voie judiciaire l'autorisation d'emprunter pour équiper ses deux enfants, son fils devant suivre l'armée. Les attaches de Louise et de sa famille sem- blent rompues. Elle n'oubliera personne et il saura lui souvenir de son frère. Mais elle reste

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bien seule en un poste des plus brillants et des plus périlleux.

Essayerons-nous de tracer, au seuil de sa funeste gloire, un crayon de cette beauté, qui aujourd'hui passerait encore pour une enfant. Dans sa dix-septième année, elle est grande, mince, voire maigre, diront les mécontents. Elle sait faire d'une légère boiterie, qui la laisse bonne danseuse, une grâce de plus. A cheval, elle monte très bien, d'une ligne parfaite.

La tête est exquise : les dents seules laissent à désirer; les yeux bleus, infiniment doux, n'atteignent point sans blesser; les cheveux, d'un blond très clair, nuancent à peine la blancheur du teint; la bouche voluptueuse semble accusée un peu. Citerons-nous ici Bussy ?

Que Déodatus est heureux De baiser ce bec amoureux Qui d'une oreille à l'autre Alleluia

Plaisanterie amusante et grossière que l'auteur paya trop cher, puisqu'elle fut la cause de la persistance de son exil Elle dit un semblant de vérité. A voir le portrait de Mignard, on se dit que Déodatus ne fut pas

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malheureux en effet. La voix qui sortait de ces lèvres un peu fortes était, nous dit Jules Lair, « d'une douceur inexprimable... et ceux qui l'entendirent ne l'oublièrent jamais » ... « Un bon peintre », ajouta l'historien, « a terminé ce portrait par une touche qui lui donne l'expression définitive. Elle n'était pas, dit-il, de ces beautés toutes parfaites qu'on admire souvent sans les aimer. Elle était fort aimable, et ce vers de La Fontaine :

Et la grâce, plus belle encore que la beauté,

semble avoir été fait pour elle. » Il semblait dès lors que la jeune Louise

n'eût qu'à paraître. Elle s'en gardait bien, et il fallut des circonstances de comédie pour l'amener sur la scène du drame où elle devait être triomphatrice et victime.

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ÉDITIONS DU SIÈCLE

L'HISTOIRE VIVANTE Collection publiée sous la direction de JEAN HÉRITIER

JACQUES BAINVILLE : Bismarck.

GLEB BOTKINE : Grandeur et Misère des Romanoff.

FERNAND HAYWARD : Garibaldi.

MARCEL CHAMINADE : La Monarchie et les Puissances d'argent.

HENRI DUTRAIT-CROZON : Gambetta et la Défense natio- nale.

JEAN HÉRITIER : La Révolution républicaine (Bou- langer, Dreyfus, Tanger).

PHILIPPE DE ZARA : Mustapha Kemal, dictateur.

BERNARD FAY : Washington et la Révolution française.

CATALOGNE et Cie, 7, rue Servandoni, PARIS (6e) 1933. — Fontenay-aux-Roses. — Imp. Louis BELLENAND ET FILS. — 47.310.

6e Mille

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