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Louise Angellier À la recherche de l’anniversaire perdu

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Louise Angellier

À la recherchede l’anniversaire perdu

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Il faisait sombre dans la chambre d’Augusta. La jeune fille se torturait l’esprit chaque nuit avec des questions sans réponses. Lorsque les rayons de la lune peinaient à éclairer son lit et sa petite chambre sous la charpente ; lorsque l’ampoule du réverbère de la rue clignotait incessamment, empêchant ainsi de nombreux habitants de la ville de dormir ; lorsque la voix du haut-parleur, censée transmettre les principales déclarations, s’était tue ; lorsque les yeux ouverts et rivés vers le plafond décrépi, elle atten-dait en vain Morphée ; seulement maintenant, le bal des interrogations commençait. Les « pourquoi ? », les « comment ? », les « que se passerait-il ? », les « que s’est-il passé ? » tournoyaient dans son esprit et l’empêchaient de sombrer au pays des rêves. Les petits yeux de son doudou l’obser-vaient, rieurs. Son chien Hugo ronflait à ses pieds, indifférent aux tourments de sa propriétaire, qui l’avait trouvé il y a déjà bien longtemps au bord d’une route de Chronochoris, la ville où, selon elle, elle habitait depuis toujours avec ses parents et sa sœur.

Augusta était une fille calme, optimiste, très douée en classe, sociable. Elle était grande, ses yeux reflé-taient la pureté et la complexité de son esprit et ses blonds et longs cheveux étaient devenus sa signature. La plupart du temps, elle arborait des vêtements colorés, symboles de sa félicité accoutumée et nouait quotidiennement ses cheveux en une longue tresse qui descendait jusqu’au haut de ses cuisses. Sa chambre était tapissée, du sol au plafond, d’objets venus des quatre coins de la Terre. Des bibelots des souks marocains aux matriochkas multicolores et joufflues ; des « Miss Liberty » miniatures aux boomerangs aborigènes ; des colliers de fleurs hawaïens aux fleurs de cerisiers séchées… Sa chambre recelait de trésors, tous plus incongrus et originaux les uns que les autres. Tous ces trésors, elle les avait trouvés, dénichés ou reçus en présents… Elle les gardait précieusement, en attendant le jour où elle irait elle-même les chercher dans un ailleurs.

C’étaient ces bricoles entreposées qui avaient éveillé sa curiosité, maintenant devenue insatiable. Elle avait remarqué un jour que certains étaient plus abîmés ou plus ternes. D’où pouvait bien venir cette désuétude ? La phrase de Madame de Paille, la directrice de l’école qu’Augusta fréquentait et adjointe du maire de Chronochoris, lui était revenu à l’esprit : « Le Temps » est la raison suffisante de tous les troubles possibles d’une société. Dès l’invention même de cette notion, elle déclencha des horreurs. Chronos, dieu du temps selon les Grecs, dévora ses enfants : seul le temps est capable de telles ignominies. Le temps détériore, ronge, dévore tout ce qu’il rencontre. Le Temps est incontrôlable, il ne peut donc être permis qu’il s’immisce dans nos vies. Il efface nos plus précieux souvenirs et fait sombrer dans l’oubli d’illustres évènements. Mais Chronos est un dieu, un être qui nécessite soit une croyance, soit un doute. Nos têtes chercheuses ont démontré que le « Temps » n’a pas existé, n’existe pas et n’existera pas. Tous les événements se sont déroulés et se déroulent sans interruption : nul besoin de savoir dans quel ordre. « Tout élève ou citoyen surpris à rechercher le temps, une évolution, une période quelconque ou une succession ordonnée se verra dirigé vers les bureaux de la Chronopolis qui traitera l’affaire et jugera le traitement approprié pour lui faire oublier ses investigations hors-la-loi. » Vision bien (trop) mani-chéenne selon nombre de citoyens… Les rouages de son esprit s’étaient donc mis en route. Déterminer que le temps était la cause ultime de l’usure de ses objets marqua la première rencontre d’Augusta avec cette délicate notion.

Augusta habitait dans un des cinq quartiers de Chronochoris, dans celui des « têtes de GMGH ». Cette

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zone de la ville était la moins peuplée : les littéraires étaient mis à la marge de l’activité de la cité… Les livres, les Grands Moments et les Grands Hommes n’intéressaient plus beaucoup de monde ces jours. Les autres quartiers regroupaient les ministères des « têtes meneuses », les centres de rétention et de punition des « têtes chronopoliseuses », les laboratoires des « têtes chercheuses » et les ateliers des « Mélos ». Les Mélos représentaient la plus grande partie de la société mais la moins prestigieuse : leur profession ne nécessitant pas de laborieuse et exigeante formation et s’exerçant manuellement. Le père d’Augusta était employé dans les laboratoires secrets de recherches pour la Chronopolis et sa mère était enseignante de GMGH à l’école que fréquentait sa fille.

Cette discipline était de bien loin, la préférée d’Augusta mais non celle des têtes meneuses. Etudier les Grands Moments et les Grands Hommes passionnait la jeune fille. Elle aimait apprendre que le roi de France Louis XIV et la reine Catherine I de Russie avaient chacun fait construire de somptueux palais, ou que le roi de France Louis XVI et le président chinois Liu Shaoqi avaient tous deux été arrêtés et tués lors de grandes révolutions dans leur pays… Mais ces leçons de GMGH tourmentaient Augusta et continuaient à lui poser de nombreuses énigmes. Elle se souvint d’un jour où elle avait osé demander comment cela se faisait qu’il y ait plusieurs rois de France, dont le nom était suivi d’un nombre. Sa classe entière s’était tournée vers elle et l’avait dévi-sagée. Son enseignant, Monsieur Anthropo, un homme maigre qu’Augusta n’appréciait guère, n’avait pas même daigné lui donner ne serait-ce qu’un mot en guise de réponse. Ses fossettes creusées et ses lunettes noires aux épais verres oblongs lui donnaient l’air sévère et une expression antonyme complet de l’amicalité. Il avait posé son regard autoritaire sur Augusta puis était parti avec un rictus suffisant, chercher madame de Paille. Cette dernière, une fois venue convoquer la jeune curieuse afin de la sermonner vivement, l’avait menacée d’un séjour à Chronopolis si elle récidivait et l’avait punie par un blâme public et des travaux d’intérêts généraux pour que la jeune fille se souvienne que « toute question inappropriée ne resterait pas impunie ». Elle avait donc passée de nombreuses récréations, à nettoyer les bureaux de certains oligarques « têtes meneuses » qui la toisaient de haut. Le blâme public avait engendré pour la jeune fille la plus grande humiliation jamais connue. Ses pa-rents et ses amis l’avaient ensuite ignorée de honte. Toute cette inclémence pour une histoire de rois de France ! Augusta gardait donc depuis ses questions en tête et espérait trouver des réponses dans les livres de la bibliothèque de la ville. Elle aimait s’y rendre après ses sessions de GMGH, cela n’était pas toujours bien vu mais la jeune fille n’en avait que faire.

Après que l’incident fut oublié, non pas ni par elle ni par les registres mais par sa famille et ses cama-rades, Augusta retrouva l’occasion de se rendre dans son lieu favori. Une fois son cours de GMGH fini, elle se dirigea vers la bibliothèque. Les colossales portes d’entrée fermaient ce lieu, dénué de toute surveillance et délaissé des citoyens. Maintenant, les gens ne lisaient presque plus : ils préféraient la technologie et ses engins modernes qui se voulaient tout remplacer. Mais selon la jeune fille, rien ne pouvait remplacer les livres et le plaisir de les lire. Non, rien. Jamais. Cette fois-là, en se rendant à la bibliothèque, Augusta était tendue, de colère contre son professeur, de frustration et d’impuissance. Se rendre dans cet immense lieu où, souvent, elle se retrouvait seule au milieu de héros, de grandes personnes fameuses et d’inconnus, lui procurait une étrange sensation : un mélange de triomphe et de liberté. La bibliothèque était un palais de savoir, un palais si grand que

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personne ne pouvait la contrôler. Elle pouvait s’y perdre sans arrière-pensée, c’était un endroit où elle se sentait en sécurité. Elle ne le savait que trop bien pour l’ignorer : Chronochoris voulait absolument tout contrôler. Les écoles, les recherches, les paroles, les peurs, les ressentis… étaient surveillés pour déceler la moindre trace suspecte de recherche de temps ou d’Histoire. Mais il y avait une chose que personne ne pouvait contrôler : les pensées d’un individu libre. Augusta exultait à l’idée de pouvoir trouver des réponses aux interrogations incessantes qui l’assénaient, et ce sans aucune surveillance ! La directrice du lieu, elle, n’avait pas accepté l’idée d’abandonner tous ces trésors. Elle s’était donc bat-tue pour garder tous ses ouvrages. C’était une femme aux cheveux gris, qui perdait peu à peu ses sens. Elle était toujours là, prête à accueillir chaleureusement sa seule visiteuse régulière. Augusta lui vouait une confiance aveugle : elle était certaine que jamais cette femme ne la trahirait. Elle pouvait donc lui confier ses interrogations afin de recevoir en échange des conseils de lecture pour, qui sait, trouver des bribes de solutions.

La bibliothèque était un lieu insolite, à l’atmosphère feutrée et au parfum unique. Si la connaissance et la curiosité avaient une odeur, c’était bien celle-ci : une odeur de bois séché et de pages jaunies. Une odeur douce de mots murmurés mais âpre de poussières de mots oubliés. Augusta appréciait plus que tout errer, en humant ce parfum, entre les méandres d’imposantes étagères de bois massif où trônaient des livres aux couvertures et aux reliures de cuir. Leurs signets s’effilochaient sous les doigts délicats de l’intéressée. Elle cherchait non seulement des réponses mais également un récit qui la ferait voyager dans la vie oubliée d’un grand Homme ou dans de lointaines îles tropicales. Elle flânait donc aux détours des rayonnages quand soudain, cette fois-là, un épais volume rouge attira son attention. Son dos était poussiéreux et sa reliure commençait à s’abimer. Elle l’attira soigneusement à elle puis souffla sur la couche de poussière. Deux lettres dorées ornaient le devant de l’ouvrage : A.A. Augusta fut très intriguée, elle alla donc demander à la bibliothécaire si ce livre lui rappelait un souve-nir quelconque et ce qu’il renfermait. La femme afficha un sourire tendre et amusé. Elle lui répondit d’un air rêveur : « Ma chère Augusta, la lectrice la plus assidue de tout Chronochoris, cela faisait bien longtemps que je n’avais pas vu ce livre. Il pourra t’apporter beaucoup : autant de troubles avec les têtes meneuses et Chronopolis que de réponses à tes questions. Ce livre constitue peut-être une des plus grandes menaces pour les oligarques qui dirigent notre cité… » Augusta ne comprenait pas très bien comment un simple livre, de simples mots, pouvaient constituer une menace. La bibliothécaire continua, en ayant pris soin de vérifier que personne n’eut pu l’entendre : « Ce livre est un témoignage du passé. C’est un journal rédigé par une jeune fille il y a fort longtemps, à une autre époque. Si tu choisis de le lire, ta vie en sera bouleversée et prendra un tournant décisif. Tu ne pourras pas faire marche arrière et devra affronter seule les conséquences de tes actes. Te sens-tu prête à dévoiler le monde qui t’entoure et découvrir qui tu es ? » La jeune fille répliqua, prise au dépourvu : « Je sais exactement qui je suis ! Je m’appelle Augusta, je vis dans le quartier des têtes de GMGH avec mes deux parents et ma sœur, dévoués au service de la cité. J’aime lire et découvrir des nouveautés. Je me pose beaucoup de questions sur tout ce que je connais et j’espère toujours un peu plus des réponses… » La directrice considéra la jeune fille avec compassion avant de lui répondre : « Penses-tu qu’aimer lire constitue ta véritable identité ? Crois-moi, avec ce livre, tu découvriras peut-être même ton état civil mais il faut que tu saches que cette décision n’appar-

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tient qu’à toi et qu’elle comprend de nombreux risques. Toi seule peux décider… » Augusta ne comprenait plus rien : elle n’avait jamais entendue parler d’un « état civil », et ne savait que faire… Obtenir les réponses à ses questions et risquer un internement de redressement – ou pire – à Chronopolis ? Ou bien rester dans l’ignorance et la curiosité insatiable et vivre une vie paisible, dans le moule voulu par ses dirigeants ? La jeune fille ne résista pas longtemps. Elle voulait effectivement savoir qui elle était, elle choisit donc qui elle deviendrait aux yeux des têtes meneuses : une ennemie. Cela lui faisait froid dans le dos mais le jeu valait la chandelle. Elle remercia la femme en l’embrassant, cette dernière lui murmura à l’oreille : « Sois prudente, ne parle à personne de tes découvertes et ne laisse rien paraitre. » Augusta savait qu’il fallait qu’elle rentre chez elle sinon ses parents allaient se faire un sang d’encre. Elle rangea soigneusement le livre au milieu de ses cahiers dans son sac, jeta un dernier regard à la bibliothécaire de nouveau occupée à épousseter les couvertures désuètes et poussa les lourdes portes de sortie. Sortie de ce monde borné…

Arrivée chez elle, elle accomplit sa routine plus rapidement qu’à l’accoutumée puis alla s’enfermer dans sa chambre pour enfin découvrir ce que recelait ce mystérieux ouvrage. Elle s’affala sur son lit et ouvrit précautionneusement la première page. Cette dernière arborait les mêmes lettres dorées et une inscription calligraphiée « A la postérité ». Augusta s’arma donc de son rechercheur, outil très répandu à Chronochoris, pour comprendre le sens de cette inscription. Elle trouva la définition suivante « nom féminin, du latin posteritas, Ensemble des générations futures » accompagnée d’un avertissement « MOT INTERDIT. RECHERCHE NON-RECOMMANDEE ». Quelques gouttes de sueur perlèrent au front de la lectrice : la bibliothécaire avait donc bien raison, elle tenait entre ses mains un livre du passé, un livre interdit puisque « la notion de passé n’existe pas » selon madame de Paille. Elle tourna la page et commença à lire : « Je prends ma plume afin de raconter ma vie. Peut-être que la vie d’une adolescente n’intéresse guère les lecteurs mais qu’importe je tente ma chance ! Si vous lisez ces lignes, j’ai donc gagné mon pari. Je m’appelle Augusta Angeailé, je suis en plein milieu de l’adoles-cence : vous savez, cette période charnière entre l’enfance et l’âge adulte. Cette période qui fait peur à de nombreuses personnes : l’âge de l’émancipation et de la contestation, l’âge des premières soirées et des premiers amours. Je me rappelle des prières de mes parents étant enfant, quand ils entendaient les récits des épouvantables « crises d’ados » que subissaient leurs amis. Ils se regardaient en se mur-murant : « Pourvu que la nôtre ne nous en fasse pas voir de toutes les couleurs ! » Je ne comprenais pas vraiment mais bien après j’ai deviné qu’ils parlaient de moi. Cela me fait maintenant bien rire ! Personnellement, je vis très bien mon adolescence, que j’ai commencée au Chesnay-Rocquencourt il y a maintenant quelques années. Je crois donc bien que les souhaits de mes parents ont été exaucés… »

Augusta continua sa lecture au fur et à mesure que sa chambre s’assombrissait et que la lune appa-raissait dans le ciel étoilé. Mais rien ne pouvait l’arrêter. Pas même les nombreux mots de vocabulaire qui lui manquaient. Elle lisait à n’en plus finir. L’enfance de l’Augusta du livre était passionnante : elle avait déménagé plusieurs fois, beaucoup voyagé, avait commencé très tôt à s’engager pour différentes justes causes… C’était une jeune fille pleine de vie. Ses aventures faisaient rêver la lectrice : jamais cette dernière n’avait vécu autant de péripéties dans sa vie. Elle était même tombée dans un trou et avait découvert une grotte !

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Au fil de sa lecture, Augusta s’arrêta sur un mot qu’elle n’avait jamais ni lu ni entendu. Elle compta les lettres et les syllabes : quatre syllabes, six voyelles et six consonnes. C’était un mot à la prononciation étrange, qu’un bébé n’aurait pu dire. Ce mot ne ressemblait à aucun qu’elle aurait connu. Le contexte ne lui permettait pas non plus d’en deviner le sens. Il était écrit : « Le douze avril de mes quinze ans fut inoubliable ! Ce fut une extraordinaire fête d’anniversaire ! »Les mots se chamboulaient dans la tête de la jeune fille, cherchant désespérément un sens à tout ceci. Que signifiait cette phrase plus qu’étonnante ? Anniversaire, anniversaire, anniversaire… le mot l’intri-guait… Lassée par tant d’incompréhension, elle réutilisa son rechercheur qui lui afficha cette fois-ci un message d’alerte. « RECHERCHE SUSPECTE. VOULEZ-VOUS CONTINUER ? » Augusta n’hésita pas, elle ne renoncerait pas : elle approuva et lu avec fascination « nom masculin, commémoration d’un évènement célébré au jour anniversaire de la date où il a eu lieu : en particulier, jour anniversaire de la naissance de quelqu’un : fêter son anniversaire. » L’intéressée resta bouche-bée. Tout s’éclaircissait : Augusta ne connaissait pas son anniversaire, il était perdu dans les immenses et inatteignables archives du gouvernement. Les paroles de la bibliothécaire lui revinrent en mémoire, elle venait de découvrir que grâce à ce livre, elle pourrait apprendre sa date d’an-niversaire. Le jour de sa naissance ! Elle ne savait par où commencer… La jeune fille pensa, fatiguée par tant de nouveautés, « il serait préférable de commencer mes investigations demain, après une bonne nuit de sommeil » et s’endormit, bercée par le rêve d’apprendre, enfin, la réponse à ses interrogations.

Le lendemain, Augusta n’arriva pas à écouter les cours magistraux et soporifiques de ses professeurs. Les discussions de ses amis ne l’intéressèrent guère plus, elle alla donc s’enfermer dans les toilettes afin d’avancer en cachette sa lecture de la vie de cette adolescente homonyme. Même son cours de GMGH avec l’étude des coups d’états ne lui permit pas de changer d’idées. Elle n’écouta ni le putsch d’A. Hitler ni le soulèvement nationaliste de F. Franco en Espagne. Avant de rentrer chez elle, elle fit un détour jusqu’au centre de documentation des têtes chercheuses pour demander, par un discret subterfuge, un moyen d’obtenir des informations plus précises sur un évènement particulier. La femme qui lui répondit arborait un chignon parfait et de petites lunettes rondes, à travers lesquelles son regard mit Augusta très mal à l’aise. Elle avait l’impression qu’elle es-sayait de sonder ses intentions, mais la jeune fille cachait bien son jeu. Elle s’était fait la promesse que jamais, au grand jamais, personne ne l’empêcherait de retrouver son anniversaire. La femme au regard perçant lui tendit un papier sur lequel un nom et une adresse étaient griffonnés d’une écriture serrée et maladroite. Augusta lut « Dr. Symvan, service des requêtes particulières, com-missariat trente, quartier de Chronopolis, à ne contacter qu’en cas d’urgence ». Son cas était-il une urgence ? Maintenant qu’elle savait qu’elle pouvait retrouver seule le jour de sa naissance, elle en était devenue si impatiente. Oui, elle jugea que son cas était urgent. Elle remercia la dame et prit congé. Le quartier de Chronopolis se trouvait entre celui des têtes chercheuses et celui des têtes de GMGH. Elle chercha le commissariat trente en remontant laborieusement la grande avenue centrale des commis-sariats. Elle arriva devant un imposant bâtiment d’un gris foncé. Les fenêtres étaient pour la plupart gril-lagées et la porte blindée mesurait sûrement près de dix mètres de haut. Il était inscrit en lettre capitales noires « IGNORER POUR TOUT COMPRENDRE. SE SOUMETTRE POUR ETRE LIBRE. », la devise de l’organisation, surmontée de son logo : un cerveau dans un œil. Il sembla à Augusta entendre un râle lointain sortir par une quelconque fenêtre, mais elle passa outre.

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Elle sonna et attendit. Soudain une voix stridente lui réclama nom, prénom, quartier, profession, et personne demandée. La jeune fille répondit à l’interphone, le plus calmement possible, malgré la chair de poule qui commençait à apparaitre. Puis une sirène puissante et aigüe retentit pendant la lente ouverture de la porte. Arrivée dans un long corridor, elle cherchait désespérément le bureau du Dr Symvan lorsqu’un monsieur aux rouflaquettes et moustache brunes l’interpella. « Que cherchez-vous mademoiselle ? Que faites-vous seule dans un lieu si austère ? Ce n’est pas une place convenable pour une telle personne ! » Mais son ton n’était pas chargé de reproches, il était plutôt bienveillant. « Je cherche le docteur Symvan, je dois lui poser quelques questions… » répondit la jeune fille, plus qu’intimidée. « Vous l’avez devant vous ! Docteur Symvan en personne, mais appelez-moi Paulo, je préfère. Docteur Symvan cela fait trop sérieux ! Permettez-moi de vous guider jusqu’à mon bureau » lui déclama-t-il, en retirant son chapeau. Augusta le suivit, non sans jeter de brefs coups d’œil autour d’elle, mais seules de grosses portes blindées grises bordaient le couloir. Paulo et Augusta arrivèrent devant ledit bureau, paraissant étonnement moins froid que les autres. Ils entrèrent et s’assirent. Augusta exposa prudemment ses recherches, avec l’excuse d’un projet pour l’école. Paulo la regardait fixement, l’air amusé. Lorsqu’elle eut fini sa logorrhée, il étouffa un petit rire. Le regard d’incompréhension d’Augusta le poussa à mettre en paroles ses pensées. « Vous savez, vous n’êtes pas la première personne venue me consulter. Vous me faites penser à moi, toujours à se méfier et à cacher ses véritables intentions. Mon petit doigt me souffle que vos recherches pourraient être considérées comme… suspectes voire interdites. Ne vous inquiétez pas. Je ne rédigerai aucun rapport sur cette entrevue avec vous. Je vais vous confier la documentation adéquate pour trou-ver vos réponses. Cessez de sursauter au moindre bruit ! Contrairement aux idées reçues, les bureaux des commissariats de la Chronopolis ne sont pas surveillés. Ils pensent surement que nous rentrons parfaitement dans le moule et craignons trop nos propres moyens de rétention et de punition… Vous voulez retrouver un évènement, faites confiance au soleil. Armez-vous de prudence, de patience et de détermination. Vous trouverez ce que vous cherchez. » Augusta resta bouche-bée. L’homme se leva, et partit en direction du fond de son bureau. Elle l’enten-dit fouiller dans des papiers. Lorsqu’elle le vit revenir, elle ne sut s’il fallait qu’elle rit ou qu’elle pleure. Il tenait à bout de bras une immense pile de dossiers de documentation qu’il lui tendit, en affichant un large sourire. Tous les dossiers arboraient le logo et la devise de la police. Augusta savait qu’ainsi, elle ne pouvait pas être arrêtée pour disposer de documents interdits et confidentiels. Elle prit le pari de faire confiance à cet étranger, le remercia vivement et chaleureusement. Il la raccompagna jusqu’à la lourde porte d’entrée du bâtiment. Lorsqu’ils se quittèrent, il lui sembla que Paulo lui fit un clin d’œil.

Augusta, plus déterminée que jamais, se lança dans la laborieuse lecture de la documentation. Les innombrables notes en bas de pages l’éclairaient sur le sens des phrases. Tous les mots inconnus, in-terdits… étaient expliqués. Elle lut un premier traité de météorologie, intitulé « La course du soleil » puis un autre sur la lune. Ses connaissances grandissaient en même temps que sa curiosité tarissait. La lumière faiblissait, elle alluma donc une bougie à la senteur de patchouli pour s’encourager. Elle apprit donc qu’une année était décomposée en quatre phases cycliques environ de durée égales. Le jour de sa naissance remontait donc à un nombre inconnu d’années en arrière… Mais combien ? Elle découvrit le climat changeant au fil des saisons : le blizzard, les arbres nus et la neige de l’hiver ; puis la

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renaissance de la nature, les bourgeons et la sortie des rongeurs au printemps ; ensuite la chaleur, les longs jours et les fruits colorés de l’été et enfin, la saison qu’elle jugeait comme la plus belle, les feuilles aux couleurs chaudes, les labours et les vendanges de l’automne.Augusta était comblée : elle comprenait enfin pourquoi elle pensait avoir déjà constaté la perte des feuilles par les arbres, le grand manteau blanc qui recouvrait la ville, la remontée des températures… Malheureusement, la jeune fille ne pouvait se souvenir du nombre d’hiver, de printemps, d’été ou d’au-tomne déjà passés… En continuant sa lecture, elle comprit que chaque saison durait trois mois, sa déduction fit le reste : une année durait donc douze mois. Elle lut avec émerveillement le nom de ces mois. Janvier, premier mois, son nom venant du dieu Romain Janus, dieu Romain à double visages des commencements et des fins. Puis février, dernier mois de l’hiver, de durée différente en fonction des années. (La jeune fille ne comprenait pas comment cela était possible… mais resta patiente.) Mars, inaugurant printemps, du nom du dieu Romain de la guerre. Avril, dans sa belle robe de fleurs, du mot latin aperire, signifiant ouvrir, en rappel des premiers bourgeons. Mai, mois quelconque au climat doux, annonçant l’été. Puis Juin, ouvrant la porte à l’été. Juillet, petit juin. Août, mois chaud précédant l’automne, étymologiquement mois d’Auguste. Septembre, anciennement le septième mois de l’année, d’où son nom, inaugurant l’automne. Octobre, étymologie similaire à Septembre, mois emblématique des diverses fêtes automnales. Novembre, même étymologie, le temps se refroidit, les premières neiges peuvent tomber. Et enfin, Décembre, dernier mois de l’année, premier de l’hiver, mois des fêtes.

En ayant soigneusement lu le « comment savoir le mois actuel, grâce au soleil ? », en s’étant souvenu de la lumière particulière de ces journées, elle avait découvert, avec la plus grande joie, que le mois actuel était avril. Après tant d’émerveillements à la lecture de ces lignes, Augusta tomba des nues quand elle apprit, à l’ultime ligne des dossiers, qu’un mois était composé de trente jours, trente-et-un ou parfois vingt-huit pour février. Comment allait-elle faire pour deviner le jour de son anniversaire ? Elle était découragée… Quand soudain elle aperçut une feuille volante, vraisemblablement une photocopie… Elle regarda : un papier griffonné était agrafé. Il était écrit : « Chère Augusta, je suis comme toi, un jour, partie rechercher mon anniversaire perdu… Un homme m’avait aidé et guidé, je l’ai découvert grâce à lui. C’est mon plus grand secret, mon plus grand triomphe et ma plus grande joie. Je te confie cette liste, tu sauras en faire bon usage. Toute ma considération pour ton courage et ta détermination, bien à toi, Paulo, le dix mars. »Elle exultait intérieurement de connaitre la date du jour. Elle n’en croyait pas ses yeux. Prudemment, elle commença à jeter un bref coup d’œil à la liste en question… Quel étonnement ! Elle tenait dans ses mains tremblantes, la liste de toutes les dates de naissance des élèves de son école. Elle suivit l’ordre alphabétique, arriva sur son nom. La jeune fille inspira profondément, expira en fermant les yeux, puis les rouvrit. Elle était née le dix mars, quinze années auparavant. Son réveil quotidien sonna, elle souffla la bougie de son chevet. Elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Mais qu’importe ! Une nouvelle journée commençait, et c’était son anniversaire.

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À l’occasion de ses 10 ans, la bibliothèque a organisé en 2019 un concours de nouvelles réservé aux franciliens. Les nouvelles devaient se développer autour du thème de l’an-niversaire et comporter quatre mots imposés (bibliothèque, Le Chesnay-Rocquen-court, dix, anniversaire). Les participants étaient répartis en deux catégories : jeunes (jusqu’à 15 ans inclus) et adultes (à partir de 16 ans).

CATÉGORIE JEUNES

2e prix

Paul de Bouvier« Mascarade sicilienne »

1er prix

Louise Angellier« A la recherche de l’anniversaire perdu »

CATÉGORIE ADULTES

2e prix Thibaud Faguer-Redig« Méandres »

1er prix

Frédérique Collombet« Sophie »

La bibliothèque remercie l’ensemble des participantsqui ont réussi à s’ emparer du thème et des contraintes pour les sublimer ! C

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