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GREMESE GREMESE les fils de la lune Simonetta Santamaria Luigi Boccia i i J j j J

Loups-garous

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Avec les sorcières et les vampires, les loups-garous ont toujours été des protagonistes indiscutables de l’univers fantastique, mais ils ont souvent généré de fausses idées quant à leurs origines ainsi que des mythes erronés.

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GREMESE

GREMESE

les fils de la lune

Simonetta Santamaria Luigi Bocciai

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IntroductionLes lycanthropes : une légende millénaire 8

Chapitre unLes origines du mythe 10

Chapitre deuxLes épidémies de lycanthropisme 22 La chasse aux « bêtes criminelles » 25 La Bête du Gévaudan 29 La Bête Milanaise 37

Chapitre troisLes caractéristiques du loup-garou 42 La transformation 45

Chapitre quatreLes origines du Mal de Lune 50 La théorie de la science 52 La Janara 54

Chapitre cinqSe libérer de la bête 56 Les remèdes naturels 56 L’intervention de l’Église 62

Chapitre sixLa lycanthropie clinique 64

Chapitre septLes « animaux garous » 72 Danemark 73 Europe de l’Est 73 Afrique 75 Amérique 78 Asie 79

sommaire

Chapitre huit Le loup-garou dans la littérature 80 Les années vingt 90 Les années trente 93 Les années quarante 94 Les années cinquante 95 Les années soixante 96 Les années soixante-dix 97 Les années quatre-vingt 102 Les années quatre-vingt-dix 105 Les années deux mille 105

Chapitre neufLe loup-garou au cinéma 110 Les années quarante : l’origine de la Bête 111 Les années cinquante : l’époque du changement 114 Les années soixante : le premier film en Technicolor 115 Les années soixante-dix : le lycanthrope endormi 119 Les années quatre-vingt : Landis et Dante

imposent le loup-garou 126 Les années quatre-vingt-dix : « Wolf »

et la crise d’identité 130 Les années deux mille : le lycanthrope retrouvé 133

Chapitre dixLe loup-garou dans la bande dessinée 142

Chapitre onzeJouer au loup-garou 158

Chapitre douzeLes lycanthropes dans la musique 168

Lectures conseillées 180

AnnexeÀ la chasse au loup-garou 187

Introduction

LeS LycanthropeS:une Légende

miLLénaire

Tandis que les vampires envahissaient les coutumes et la société, leurs éternels antagonistes, les lycanthropes, attendaient tapis dans l’ombre la prochaine pleine lune afin de pouvoir surgir et capter notre attention. Le mythe des suceurs de sang, né de la plume de Bram Stocker, a été

depuis repris et décliné à toutes les sauces, que ce soit dans la littérature ou le cinéma, par la publicité ou les jeux, en passant par les jouets, vêtements et bijoux. Le vampire s’est imposé au monde, capturant l’esprit des jeunes gens (en pleine révolution hormonale). En revanche, aucune mutation ou révolution pour le lycanthrope. Les diverses modes et tendances ne sont pas parvenue à façonner son image. Celle d’une bête féroce. Grâce à une étrange et imprécise alchimie, il est même resté intact face à l’industrie cinématographique hollywoodienne, n’a pas été dompté par la littérature mainstream, et est encore aujourd’hui ce qu’il était à la naissance du mythe : l’animal sauvage par excellence, relégué aux confins des sous-bois du folklore. Pourtant, même si, dès les années vingt, le cinéma lui a dédié une filmographie à faire pâlir d’envie toutes les autres « stars » du fantastique – et on y trouve bien sûr tout autant de versions pour adolescents que de chefs-d’œuvre – de nombreux faits ont été oubliés. L’un des objectifs de cet ouvrage est donc de faire taire les fausses croyances que les films ont répandues pour redonner au loup-garou son visage du folklore originel, bien plus intéressant d’un point de vue anthropologique que le mythe cinématographique, nous vous l’assurons.La lycanthropie ce n’est pas uniquement les pleines lunes, les

métamorphoses, les chasses et les meurtres bestiaux. Elle a derrière elle des millénaires de récits et d’interprétations qui, comme le vampirisme, trouvent leurs racines dans l’antiquité. Mais, si les vampires ont été édulcorés jusqu’à pouvoir porter un smoking, manger végétarien et briller au soleil, pourquoi n’en est-il pas de même pour les lycanthropes ? Tout simplement parce qu’on n’y est pas parvenu. Ce tempérament animal qui les conduit à se couvrir de poils et à oublier toute humanité pour laisser parler leur nature sauvage ne pouvait supporter d’être adouci : un loup ne peut devenir une tendre peluche ni même un vigoureux mannequin portant du Armani ou du Dolce & Gabbana. Il ne peut rendre une femme éperdument amoureuse (à part dans la fable de La Belle et la Bête) car, lors de ses transformations, il perd toute conscience et s’abandonne à ses instincts prédateurs. Aucun sentimentalisme, donc. Chasser pour se nourrir. Tuer pour vivre. Et cette sauvagerie nous plaît. Cette odeur âpre de poils sales et de sang séché. Nous l’aimons car elle ne s’est pas pliée aux

modes de la société de consommation et est restée intacte en attente de la prochaine

pleine lune, de la prochaine victime à dévorer. Elle ne s’est pas parfumée, n’a pas cherché à changer ses habitudes alimentaires à la lumière d’une

conscience humaine qui ne lui appartient pas.

Mais il est maintenant

temps, ami lecteur, de vous présenter le

lycanthrope. Tendez-la main vers cette créature

fascinante, elle ne va pas vous mordre. Du moins, pas

cette fois.

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Chapitre un

Les orIgInes

du mythe

Le lycanthrope – du grec λúκος (lýkos), « loup », et aνθρωπος (ànthropos), « homme » –, appelé également loup-garou est, avec le vampire,

l’une des créatures fantastiques de la mythologie et du folklore qui appartiennent au monde de l’imaginaire. Un monstre sacré de la littérature et du cinéma d’horreur. Une icône de la culture populaire

« L’empereur SigiSmond fit débattre devant Lui La queStion deS LoupS-garouS, et iL fut unanimement réSoLu que La tranSformation deS LoupS-garouS était un fait poSitif et conStant. »JacqueS coLLin de PLancy, Dictionnaire Infernal

Adam donne un nom aux animaux. Illustration du Bestiaire d’Anne Walshe (Copenhague, Kongelige Bibliotek Gl. kgl. Saml. 1633 4e), une œuvre anglaise en latin créée entre 1400 et 1425. Dans les bestiaires, les animaux prenaient un sens symbolique ou religieux ; le loup, par exemple, avait souvent une valeur négative, puisqu’il était associé au démon.

moderne, de la musique aux bandes dessinées ou jeux vidéos. Le vampirisme aussi bien que la lycanthropie représentent dans l’histoire de diverses cultures « deux aspects du mythe de la transformation de l’homme en un « autre » négatif qui est, pour le loup comme le vampire, un buveur de sang humain » : c’est ainsi qu’Alfonso Maria di Nola définit ces deux phénomènes de mutation dans l’Introduction à l’ouvrage d’Erberto Petoia, Vampiri e lupi mannari. Le célèbre anthropologue établit à l’origine de telles transformations, qui ont fait l’objet de siècles de débats juridiques et théologiques, des problèmes complexes d’interprétation autour d’une interrogation fondamentale : « Pourquoi dans de nombreuses traditions antiques et modernes, les sociétés humaines ont-elles dû recourir à une mythologie – et aux comportements qui y sont liés – présumant de la transformation d’une créature en bête féroce ou en fantôme spectral », toujours à la recherche de cadavres, chair humaine et sang ?Tout débute par des croyances qui veulent que les hommes puissent se changer en animaux (loups, tigres, ours ou léopards). Cette foi en la mutation zooanthropique se retrouve dans toutes les cultures. Le phénomène est riche et nous ne voulons pas faire de ce livre un ennuyeux traité d’anthropologie, mais dans les mythologies et récits faisant référence à de

tels événements, revêtir la peau d’un animal entraîne presque une transformation. Les peuples germaniques, par exemple, portaient des fourrures et/ou des ceintures en peau de loup (ou parfois d’humain) pour prendre les traits de cet animal.Dans les anciennes traditions latines, les Hirpi

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En haut : le roi Lycaon, transformé en loup par Zeus, gravure du xvIe siècle. Ci-contre : Gravure du xvIIIe siècle représentant une attaque de lycanthrope. In The Werewolf Delusion, de Ian Woodward (1978).

Sorani (loups du Soracte), adoptaient l’aspect et les coutumes des loups. Ces prêtres se trouvaient sur le

mont Soracte, près de Rome, où se dressait un temple consacré au dieu Soranus, plus tard assimilé par les Romains à Apollon. Selon la légende, cette tradition naquit lorsque les bergers de la région, pour éradiquer une épidémie de peste provoquée par l’haleine de loups qui avaient volé de la viande grillée sur un autel sacrificiel, décidèrent, après avoir consulté l’oracle, de se faire semblables à des loups ; c’est de là qu’ils prirent leur nom. Leur habitude de danser sur des charbons ardents en honneur du dieu Soranus aurait, elle aussi, servi à évoquer les viandes rôties dérobées. Chez les Gaulois (au sens romain : les peuples Celtes qui vivaient en Gaule, correspondant aux actuelles France, Belgique, Suisse, Pays-Bas, et une partie de

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Le Dictionnaire Infernal, du démonologue français Jacques Collin de Plancy, publié pour la première fois en 1918. L’œuvre, en plus d’offrir une description précise de différents types de démons, cite plusieurs cas de lycanthropie rencontrés en Europe entre le xIve et le xvIIe siècles.

En bas : la Louve capitoline, sculpture en bronze représentant la louve qui, selon la légende, aurait allaité Romulus et Remus (Musée du Capitole, Rome, ve siècle av. J.-C.)

l’Allemagne et de l’Italie septentrionale), on pense à la figure du Druide, prêtre qui revêtait des peaux de loup et des amulettes faites avec les os ou les dents du fauve pour entrer en contact avec les divinités : lorsqu’il était possédé par l’esprit de l’animal, il se comportait comme ce

Gravure de B. Picart du xvIIIe siècle, représentant l’histoire de Lycaon, roi d’Arcadie : dans ce mythe, la lycanthropie et considérée comme le fruit d’une punition divine.

La figure du lycanthrope a été caractéristique de la mythologie de nombreux peuples à diverses époques. La mythologie grecque, par exemple, est riche d’épisodes significatifs, à commencer par la légende de Lycaon, roi d’Arcadie, qui fut transformé en loup par Zeus à cause de sa cruauté et de son irrespect : il lui aurait en effet servi à déjeuner la chair d’un esclave. C’est pourquoi le dieu le changea en loup destiné à se nourrir de chair humaine. un fil conducteur relie une légende à l’autre, un nom à l’autre. Comment ne pas remarquer la ressemblance de sonorité entre Lycaon et lycanthrope ? La racine grecque est la même ; et si le mythe du loup-garou venait justement de là ? en réalité, il existait en Arcadie, une région rurale, une sorte de culte totémique du loup dédié à Zeus Lycaïos ; il consistait en des rites périodiques visant à conjurer la sécheresse dont l’apogée était un sacrifice humain. Ceux qui, durant les rituels, se nourrissaient de la chair des victimes sacrificielles, étaient destinés à se changer en loup les nuits de pleine lune. Ce qui, notez bien, était une expression de pouvoir divin et ne comportait aucune connotation négative. Le tournant vers une représentation maligne et démoniaque arrivera plus tard, durant le moyen âge chrétien, lorsque s’installera la figure du loup prédateur d’agneaux, et donc d’âmes. L’Inquisition établit que le lien du lycanthrope avec la pleine lune était un signe indiscutable de sorcellerie. dans le même temps commencèrent à se diffuser divers bestiaires, qui présentaient des animaux réels ou imaginaires accompagnés de nombreuses interprétations moralisantes et de

LeS LycanthropeSdanS Le mythe

Peinture murale de la tombe de Sennedjem (Deir el-Medineh, xIIIe siècle av. J-C.), sur laquelle figure un prêtre qui prépare une momie. Il porte le masque d’Anubis, gardien des nécropoles et du monde des morts, souvent représenté avec un corps d’homme surmonté d’une tête de chien, loup ou chacal.

références évidentes à la Bible. L’une des œuvres les plus célèbres du moyen âge était l’«etymologiae», une encyclopédie en vingt livres écrite par l’évêque espagnol Isidore de séville ; dans le Livre XI, «de homine et portentis», tout particulièrement, l’auteur affirme que l’homme est le point de référence auquel on doit rapporter les diverses typologies des monstres, classées selon leurs caractéristiques. en 1214, l’écrivain et philosophe anglais gervais de tilbury, dans ses «divertissements pour un empereur» ou «otia Imperialia», aborde le thème des métamorphoses de manière scientifique, sans aucune référence au divin ou au diabolique : « en Angleterre est advenu et advient souvent de maint homme qui se mue en loup».mais revenons-en au monde grec. Les dieux Apollon et Artémis naquirent de Léto, qui se changea en louve afin de pouvoir leur donner naissance en sécurité. Apollon avait d’ailleurs la possibilité de prendre diverses apparences et l’une de ses métamorphoses préférées était justement le loup : on lui dédia un bois sacré près de son temple à Athènes, où Aristote aimait enseigner à ses disciples. La figure du loup fut ainsi associée à la sagesse. toujours dans la mythologie grecque, on trouve la louve mormo (ou mormôlycé), divinité infernale nourrice de l’Achéron, fleuve qui mène à l’au-delà. C’est ainsi que le loup devint un pont entre les mondes, comme en témoignent de nombreuses urnes funéraires étrusques retrouvées

en Italie représentant une tête de loup. d’ailleurs Aïta, le dieu étrusque des enfers, possède des oreilles de loup.Le loup revêt une importance fondamentale même dans des cultures très éloignées de la nôtre. en Égypte, osiris fut tué par son frère seth et découpé en

L’Etymologiae d’Isidore de Séville, manuscrit de la fin du vIIIe siècle (Bruxelles, Bibliothèque Royale Albert I MSII 4856). En bas : Représentation de la tribu indienne des Pawnee, qui se déclarait descendante des loups.

morceaux mais, grâce aux pouvoirs de sa sœur et épouse Isis, il revint à la vie sous la forme d’un loup. même Anubis, la divinité égyptienne qui protégeait les nécropoles et le monde des morts, était représenté avec un corps d’homme et une tête de loup ; dans un second temps, on le définit comme le « dieu chacal » afin de mieux souligner son lien étroit avec la mort en l’associant à un animal se nourrissant de charognes. sa tête noire symbolise d’ailleurs la putréfaction de la chair.on retrouve aussi un culte totémique chez certaines tribus asiatiques : le chef mongol gengis Khan se prétendait descendant du Loup Bleu céleste.La mythologie norroise met en scène Fenrir, un loup gigantesque et féroce né de l’union du dieu Loki et de la géante Angerboda. Contraint par les dieux à vivre enchaîné pour l’éternité, il ne sera libéré qu’au ragnarök, la fin du monde, et pourra laisser exprimer sa colère : il attaquera alors les divinités et dévorera odin.La «Völsunga saga», un texte islandais du XIIIe siècle, raconte la transformation d’hommes en loups. Les héros sigmundr et sinfjötli parlent la langue des loups et la comprennent tous deux.«Le slovo d’Igor», poème épique russe du XIIe siècle, parle du prince sorcier Vseslav de Kiev (1044-1101), qui le jour gouvernait la ville et rendait la justice et, la nuit, errait

sous la forme d’un loup ; avant le chant du coq, il courait de Kiev à tmoutarakan et coupait la route au grand Khors, ancien dieu slave de la lune ou du soleil. Voici le verset 91 : « Bien qu’il

Léto et ses enfants, Apollon et Diane (nom latin d’Artémis), dans une sculpture de William Henry Rinehart (Metropolitan Museum of Art, New York, 1874). Selon le mythe, elle se transforma en louve au moment de l’accouchement. Ci-dessous : vseslav de Polock, prince-

sorcier capable de se changer en loup.

ait eu un cœur de sorcier dans ce double corps, il n’en connut pas moins des mésaventures. » Ce « double corps » pourrait être une référence évidente à la double nature du prince, à la fois homme-sorcier et lycanthrope.L’humaniste et ecclésiastique suédois olaus magnus dans son «historia de gentibus septentrionalibus», ou «description des pays du nord» racconte comment, la nuit de noël, se rassemblent des hommes qui « en cette même nuit, voient leur cruauté croître férocement, et contre les hommes et contre les animaux, qui ne sont pas par nature féroce, si bien que les habitants de ces régions souffrent bien plus des dommages de ces derniers que de ceux que causent les véritables loups. Voilà pourquoi ils s’attaquent avec une incroyable férocité aux maisons des hommes, qui sont dans la forêt, et s’efforcent d’en briser les portes afin de dévorer les hommes et les bêtes qui s’y trouvent. » Le lycanthrope possède donc une férocité supérieure à celle du loup et conserve quelques caractéristiques propres à sa personnalité, telles le plaisir de fréquenter les bars à vins : « ils y boivent de nombreuses bouteilles de cette boisson ou d’autres, et laissent ensuite les bouteilles vides empilées au milieu de la cave. et c’est en cela qu’ils diffèrent des véritables loups ».enfin, la tribu indienne des Pawnee se disait descendante des loups, si bien qu’ils se couvraient de poils pour partir à la chasse, pour des raisons plus symboliques que de mimétisme. Les colons affirmaient que la lycanthropie était un châtiment de dieu sur ceux qui avaient mêlé leur sang à celui des peaux-rouges. Les natifs américains soutenaient au contraire qu’il s’agissait d’une malédiction amenée par les nouveaux arrivants.

Try feeding Fenrir, illustration de Louis Huard publiée dans The Heroes of Asgard – Tales from Scandinavian Mythology, de Annie et Eliza Keary (Londres et New York, Macmillan, 1891). Célèbre loup de la mythologie norroise, Fenrir fut enlevé nouveau-né par les dieux d’Asgard et nourri par Týr, fils d’Odin, jusqu’à devenir une créature gigantesque à la force démesurée.

dernier, hurlant et grognant. Même après la conquête romaine de la Gaule cisalpine, on continua à respecter le loup. On rencontrait dans la société romaine les luperques, des prêtres qui portaient des peaux de loup durant les Lupercales, rituels de purification et de fertilité. Ces festivités étaient en l’honneur de Faunus, dieu des bois et des troupeaux, qui protégeait le bétail des attaques de loups. Les Lupercales étaient célébrées dans le « Lupercal », une grotte située au pied du mont Palatin où, selon la légende, une louve aurait allaité Romulus et Remus. Au cours des célébrations, les luperques exécutaient une course autour du col : elle symbolisait un enclos magique, dessiné par

les conjurations des premiers bergers pour défendre leurs troupeaux des prédateurs.Au cours de son histoire, Rome entra en contact avec divers peuples profondément liés à la figure du loup, dont les Hirpins ou les Lucaniens, tous deux originaires de la péninsule italienne. Le nom Hirpin dériverait de hirpus, signifiant « loup » en osque, une langue sabellique : le fauve était

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Il y a quelques années

a été publié à la une du

« Wall Street Journal »

un article relatant qu’ une

femme d’Haïti avait été

arrêtée car elle « transformait

des enfants en animaux puis les

dévorait ». On y mentionne également un

homme de Port-au-Prince sauvagement tué

à la machette car on le considérait comme un

lycanthrope. Le journal anglais « Financial Time »

racontait, lui, en 1986 qu’« un groupe de Malaisiens furieux

ont battu à mort avec des bâtons un chien qu’ils prenaient

pour le membre d’un groupe de voleurs qui se transformaient

en animaux pour se livrer à leurs méfaits ».

Un guerrier viking. Lors des combats, ils prenaient un aspect terrifiant, se couvrant de peaux d’animaux et se comportant de manière impitoyable et irrationnelle. Page ci-contre : en haut, Werwolf von Neuses, une représentation de l’histoire du loup de Ansbach, qui attaqua et tua de nombreux habitants de cette ville allemande en 1685 (dans Wolfgang Schild, Die Geschichte der Gerichtsbarkeit. Vom Gottesurteil bis zum Beginn der modernen Rechtsprechung, Hambourg, Nikol verlagsgesellschaft, 1997). En bas, Romulus et Remus, par Peter Paul Rubens (Pinacoteca Capitolina, Rome, vers 1616).

considéré comme leur animal sacré puisqu’il les aurait guidés à la conquête de leur territoire, sur les chaînes des monts Picentins, en Campanie. Le terme Lucanien dériverait également du terme grec λúκος qui, comme nous l’avons déjà évoqué, signifie « loup ». Il ne faut pas oublier les Daces (du phrygien daos, loup), peuple conquis par l’Empire romain au iie siècle apr. J.-C. ; habitant les rives septentrionales du Danube, ils prétendaient être issus de l’union surnaturelle d’un loup et d’une princesse. Changeons d’époque et de latitude pour rencontrer, dans les terres sombres de la Scandinavie, les berserk, une lignée de féroces guerriers vikings. Après avoir abandonné leur aspect humain, ils prenaient l’apparence d’ours ou de loups et hurlaient et grognaient durant les combats. Uniquement vêtus de peaux d’animaux, ils étaient insensibles à la douleur et se comportaient de manière impitoyable et irrationnelle. Lors des batailles, ils perdaient tout contrôle : ils pouvaient par exemple avoir la bave aux lèvres et mordre le bord de leur bouclier tels des chiens enragés.La métamorphose animale, en tant qu’événement horrible qui transforme un individu normal en un être ambigu et généralement dangereux pour la communauté, prends des traits différents selon les contextes culturels et les zones géographiques. La croyance dans les loups-garous se rencontre majoritairement dans les cultures occidentales et est un thème récurrent des mythologies mycénienne, grecque et romaine. Le loup est l’emblème de l’animal féroce et destructeur, les bergers et habitants des villages préhistoriques européens devant se défendre de ses attaques : c’est un prédateur, un semeur

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de mort parfois cannibale, mais également un rival avec lequel l’homme partage son milieu naturel et ses proies. Un rival bien plus habile car plus rapide, aux sens plus développés, nyctalope et dotés d’« armes » naturelles terribles qui sont ses crocs et ses griffes. Cet animal d’origine paléoarctique – qui a migré de l’Eurasie à l’Amérique du Nord en traversant le détroit de Béring durant les glaciations, pour se répandre ensuite en Europe et dans le sous-continent indien – représente une menace constante pour l’homme et devient ainsi le protagoniste des mythes de transformations maléfiques qui perdurent dans toute la tradition légendaire et populaire, passant du statut d’animal totem à celui de manifestation diabolique. Pour les historiens de la zoologie, le loup est l’animal sauvage qui a le plus marqué notre civilisation de la Grèce antique à nos jours.

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La cérémonie du jugement des morts, illustration tirée d’Égypte, Orient, Grèce de Maurice Meuleau, Bordas (1965). Dans l’Égypte antique, le « dieu chacal » Anubis, avait le devoir de peser les âmes des morts pour en contrôler la pureté : si la balance demeurait équilibrée, ces derniers étaient conduits dans l’au-delà par Osiris. Maât, protectrice de l’ordre cosmique et de la vérité, présidait au jugement pour établir le destin du défunt ; cette déesse est représentée avec une couronne de plumes d’autruche, symbole de justice et d’équité. Page ci-contre : un druide accompagné d’un ours. Prêtres de la religion celte, les druides revêtaient souvent des peaux de loups pour entrer en contact avec le monde divin.