Lugrin, Gilles (2006) - De La Poétique à L_analyse Du Discours Publicitaire - L_hypertextualité, Entre Intertextualité Et Architextualité

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    Travaux neuchtelois de linguistique, 2006, 44, 133-149

    De la potique lanalyse du discourspublicitaire: lhypertextualit, entreintertextualit et architextualit*

    Gilles LUGRINUniversit de Lausanne, Laldim (Suisse)[email protected]

    This contribution firstly redefines the three notions of intertextuality, hypertextuality, and

    architextuality. Secondly, it illustrates the pertinence of these three types of relations

    basing itself on a corpus of advertisements found in the written press. The various

    examples used demonstrate the advantage of viewing these three types of relations as

    complementary, as capable of shifting from one to another. Finally, if the transfer of these

    categories from the field of poetics to that of advertising discourse is interesting, it is

    because, as we have abundantly demonstrated elsewhere (Lugrin, 2006), advertising

    discourse is a machine that recyclesand therefore relaysthe surrounding culture.

    Cette contribution se propose dans un premier temps de redfinir les trois

    notions dintertextualit, dhypertextualit et darchitextualit dans le cadre

    plus tendu des relations interdiscursives (point 1). Dans un deuxime temps,

    en les faisant fonctionner sur un corpus de publicits de presse crite, nous

    illustrerons la pertinence de ces trois types de relations (point 2-3).

    1. Intertextualit, hypertextualit et architextualit

    Ds 1930, M. M. Bakhtine juge inacceptable lanalyse de la langue comme un

    systme abstrait. Le rejet de la conscience individuelle de lnonciation et

    ladoption du concept de "dialogisme" le conduisent faire de linteraction

    verbale llment central de toute thorie portant sur le langage:

    Le locuteur nest pas un Adam, et de ce fait lobjet de son discours devient,

    immanquablement, le point o se rencontrent les opinions dinterlocuteurs immdiats

    (dans une conversation ou une discussion portant sur nimporte quel vnement de la viecourante) ou bien les visions du monde, les tendances, les thories, etc. (dans la sphre

    de lchange culturel) (Bakhtine, 1984: 302).

    De l ressort que toute production monologale, quelle quelle soit, est par

    essence dialogique dans la mesure o elle est dtermine par un ensemble

    de productions antrieures et o elle se prsente ncessairement comme une

    * La prsente contribution sinscrit dans une recherche finance par le Fonds National Suisse dela recherche scientifique (FNS, requte n 1214-063943.00) intitule "Genres et transtextualit:

    lexemple du discours publicitaire" et mene par lauteur.

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    parole adresse, rpondant des attentes, impliquant des efforts dadaptation

    et danticipation et pouvant sintgrer dans le circuit du dire et du

    commentaire:

    Toute nonciation, mme sous sa forme crite fige, est une rponse quelque chose et

    est construite comme telle. [] Toute inscription prolonge celles qui lont prcde,engage une polmique avec elles, sattend des ractions actives de comprhension,

    anticipe sur celles-ci (Bakhtine & Volochinov, 1977: 106).

    Le terme de dialogisme sest par la suite charg dune pluralit de sens qui,

    bien que "parfois embarrassante" (Todorov, 1981: 95), parfois "auberge

    espagnole" (Authier-Revuz, 1982: 102), parfois encore "enjeu daffrontements

    significatifs" (Angenot, 1983: 103), permet de pointer un certain nombre de

    faits discursifs intressants. On peut en son sein distinguer les relations

    dialogiques interlocutives des relations dialogiques interdiscursives (Moirand,

    in Dictionnaire danalyse du discours2002: 176-178).

    1.1 Dialogisme interlocutif et dialogisme interdiscursif

    Le dialogisme interlocutif dsigne les noncs qui intgrent, prvoient,

    anticipent les rponses, objections, remarques qui pourraient tre formules

    par un co-nonciateur rel ou virtuel. Cette forme de dialogisme peut tre

    subdivise selon quelle reste latente (constitutive) ou quelle se manifeste

    ouvertement (montre). Le dialogisme interlocutif constitutifpermet de prendre

    en compte la nature construite du discours publicitaire en fonction dune cible

    pr-dtermine laquelle il sadresse. Le dialogisme interlocutif montr

    permet quant lui de saisir les interpellations au lecteur par des artificesdivers.

    Le dialogisme interdiscursif regroupe pour sa part les noncs antrieurs

    ou contemporains avec lesquels le texte entre en rsonance. Cette catgorie

    peut aussi tre complte par la subdivision entre htrognit montre et

    htrognit constitutive(Authier-Revuz, 1982, 1985; Moirand, 1988), selon

    que les noncs sont dsigns dune manire ou dune autre, ou quils se

    prsentent comme des formes dallusions lches, non motives (non

    dlibres, non intentionnelles, non conscientes).

    Le dialogisme interdiscursif dsigne donc linterdiscours, entendu dans son

    acception large (ensemble des units discursives avec lesquelles un discours

    entre en relation). Mais, par commodit, nous entendrons par la suite par

    "interdiscours" les relations dialogiques interdiscursives constitutives, qui se

    distinguent des discours reprsents1, cest--dire des relations dialogiques

    interdiscursives montres: "Lusage a tendance employer intertextequand il

    1 Le dialogisme interdiscursif montr regroupe lensemble des discours reprsents (Todorov,1981: 110; Fairclough, 1988; Roulet, 1999): intertextualit et discours rapports.

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    sagit de relations des textes sources prcis (citation, parodie) et

    interdiscourspour des ensembles plus diffus" (Maingueneau, in: Dictionnaire

    danalyse du discours 2002: 329). Nous rservons donc lintertextualit aux

    chos libres mais montrs dun (ou de plusieurs) texte(s) dans un autre texte.

    interdiscursif

    interlocutif

    montr(discoursreprsents)

    constitutif

    montr

    constitutif(Interdiscours)

    Dialogisme

    Fig. 1 Distinction entre dialogisme interdiscursif constitutif et dialogisme interdiscursif montr

    La frontire entre les deux formes de dialogisme interdiscursif nest pas aussi

    tranche que ce schma peut le laisser entendre au prime abord. Il serait en

    effet abusif de tracer une ligne de dmarcation franche entre dialogisme

    interdiscursif constitutif et dialogisme interdiscursif montr, "do la production

    de caractrisations mtaphoriques: dialogisme voil, masqu, cach ou

    exhib, etc." (Moirand, in: Dictionnaire danalyse du discours2002: 178). On

    gagne les penser sur un continuum, reprsent dans le schma ci-dessus

    par la flche bi-directionnelle (Lugrin, 2006: 73-80; 197-249).

    1.2 Lintertextualit et lhypertextualit chez G. Genette

    Lors de son introduction par J. Kristeva dans les annes soixante (et sa

    diffusion par le groupe Tel Quel), la notion dintertextualit sest demble

    charge dune pluralit de sens. Depuis, elle a connu des thorisations aussi

    varies que divergentes, parmi lesquelles celles de R. Barthes, de M.

    Riffaterre ou dA. Compagnon, plaant toute tentative dlaboration dune

    dfinition exhaustive et dfinitive face de srieuses difficults 2.

    Aprs une dizaine dannes de travaux multiples et parfois divergents sur

    lintertextualit, lentreprise gnrale de clarification thorique nous sembletre venue non de la critique littraire mais de la potique, qui cherche

    prcisment transcender la singularit des textes. On doit G. Genette lune

    des tentatives les plus abouties de lapproche transtextuelle des textes: sa

    2 Confronte une multitude de dfinitions instables, lintertextualit flotte entre un trs grand

    degr de gnralisation et des dfinitions limitatives et partiales du phnomne, ce qui conduit

    dans certains cas une dilution, notre sens contre-productive, de la notion d"intertextualit":si elle relve du dialogisme, elle nest confondre ni avec lui, ni avec linterdiscursivit, ni

    encore avec la polyphonie. Il nest toutefois pas question, dans le cadre limit de cette

    contribution, de rouvrir un dbat qui a dj donn lieu une abondante littrature.

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    potique transtextuelle couvre les diffrents rapports quun texte entretient

    avec une srie dautres textes. Il ne considre plus lintertextualit comme

    llment central du texte "mosaque", mais comme une relation parmi

    dautres, organises par lauteur de manire assez systmatique:

    Cest cette transcendance textuelle du texte que je baptisai alors "transtextualit":lhypertextualit explicite et massive est une de ces faons, la citation ponctuelle et

    lallusion, gnralement implicite, qualifies cette poque d"intertextualit", en font une

    autre, le commentaire, [] rebaptis mtatexte, en est une troisime, les relations

    "architextuelles" entre les textes et les genres auxquels on les assigne plus ou moins

    lgitimement en sont une quatrime, et je venais den rencontrer une cinquime []. Les

    uvres hypertextuelles ne manquent presque jamais de se proclamer telles par le

    moyen dun auto-commentaire plus ou moins dvelopp, dont le titre est la forme la plus

    brve et souvent la plus efficace, sans prjudice de ce que peuvent encore indiquer une

    prface, une ddicace, une pigraphe, une note, un prire dinsrer, une lettre, une

    dclaration la presse, etc. [] ensemble de pratiques dites paratextuelles []

    (Genette, 1999: 21-22).

    Ainsi, avec Palimpsestes (1982), on passe dune dfinition trs extensive de

    lintertextualit (Kristeva, Barthes) sa forme thorique restreinte, dfinie

    ct dautres phnomnes transtextuels.

    Dans ce cadre gnral, la distinction entre intertextualit et hypertextualit,

    souvent dlaisse par la critique, mrite notre sens une attention

    particulire. G. Genette distingue quatre formes dintertextualit. La citationse

    repre de manire immdiate grce lusage de marques typographiques

    spcifiques: guillemets (Compagnon, 1979: 101-105), italiques, dcrochement

    du texte, etc. Si la citation est la figure emblmatique de lintertextualit,

    labsence totale de marques la dplace en principe vers leplagiat. Ce dernier

    est en effet une citation non dclare comme telle, o toute trace

    dhtrognit a t efface. La rfrence renvoie le texte une source

    signale par un nom dauteur, un titre, un personnage, etc. Lallusionfait enfin

    rfrence de manire plus ou moins lche un texte antrieur, sans en

    expliciter la source. Relevant dune certaine subjectivit, elle peut ne pas tre

    perue, ou ltre l o elle ne se trouve pas. Au final, il semble quil y ait une

    gradualit entre une forme clairement reprable, la citation, et trois formes

    identifiables des degrs divers:

    identification

    dclar

    citation rfrence allusion plagiat

    nonambiguit

    Fig. 2. Les diffrents degrs didentification des formes dintertextualit

    Si lon suit les propositions de G. Genette, cest la nature de la relation qui

    oppose lintertextualit lhypertextualit. La premire, simple relation,

    dsigne la co-prsence de deux textes (A est prsent avec B dans le texte B).La seconde, transformation, est la drivation dun texte (B drive de A mais A

    nest pas effectivement prsent dans B): "Jappelle [] hypertexte tout texte

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    driv dun texte antrieur par transformation simple (nous dirons dsormais

    transformation tout court) ou par transformation indirecte: nous dirons

    imitation" (Genette, 1982: 16). La distinction entre les notions dintertextualit

    et dhypertextualit est donc une question de nature: alors que la premire

    sinscrirait dans une relation de co-prsence, la seconde passerait par unerelation de drivation. Pour lauteur, lhypertextualit rend compte de

    lvocation soit dun texte antrieur sans le citer directement (parodie), soit

    dun style imit sans quun texte ne soit jamais cit (pastiche)3.

    1.3 Lintertextualit et lhypertextualit repenses

    Si nous partageons avec G. Genette la thse selon laquelle un texte peut

    engager deux types de relations "libres" avec dautres textes, les relations

    intertextuelles et les relations hypertextuelles, celles-ci gagnent tre

    repenses.Il parat dabord profitable dabandonner la catgorie de la rfrence. Les

    quatre catgories se dfinissent comme suit: la rfrence comme "emprunt

    non littral explicite", la citation comme "emprunt littral explicite", le plagiat

    comme "emprunt littral non explicite" et lallusioncomme "emprunt non littral

    non explicite" (Bouillaguet, 2000: 31). Or, si on peut admettre que le caractre

    littral ou non dune relation est somme toute relativement ais tablir, le

    caractre explicite ou implicite ne parat pas pertinent. Nous prfrons donc

    parler dun axe graduel allant des formes les plus conformes (citation) aux

    formes les plus lches, variablement explicites (allusion). Lallusionest unetransformation identifie partir dindices varis, parmi lesquels les donnes

    rfrentielles (nom de lauteur, titre de luvre).

    Il parat ensuite utile de redfinir le plagiatcomme une relation intertextuelle

    dissimule intentionnellement, visant tirer bnfice dune telle dissimulation.

    Cest dans la nature crapuleuse de lemprunt, qui diffre considrablement

    selon les pratiques discursives, en fonction de la perception variable de la

    protection intellectuelle ou symbolique, et non dans sa conformit (citation,

    allusion), quil convient de rechercher le critre discriminant duplagiat(Lugrin,

    2006: 326-337).

    Il parat enfin possible de considrer laparodiecomme une forme particulire

    dallusion intertextuelle. En effet, si la co-prsence caractrise la citation, si

    limitation est propre au pastiche, la transformation dtermine tant la parodie

    3 G. Genette enrichit ces deux catgories centrales. Il propose dabord de distinguer laparodieetle pastiche du travestissement burlesque, qui dsigne la rcriture, dans un style bas, dune

    uvre dont le sujet est conserv (Genette, 1982: 80-81). Il largit ensuite ces catgories sur labase dautres rgimes, en partant dune logique structurelle deux entres (transformation,

    imitation) et dune logique fonctionnelle trois entres (ludique, satirique, srieux) (Genette,

    1982: 44).

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    que lallusion. Or, pour que lopration lorigine de la relation (co-prsence,

    transformation, imitation) soit un critre discriminant permettant de distinguer

    lintertextualit de lhypertextualit, il faut rsoudre lapparent chevauchement

    de lallusionet de la parodie. Lorsque lon soustrait la parodie son rgime

    ludique (pour reprendre les catgories de G. Genette), elle ne conserve plusque sa nature transformationnelle. De ce point de vue, elle sapparente une

    forme hypertrophie dallusion. La parent entre allusion et parodie est

    vrifie dans la mesure o les deux relations portent sur des relations de texte

    texte. Laparodie, redfinie comme une allusionludique, peut donc, de notre

    point de vue, tre abandonne en tant que catgorie hypertextuelle (Lugrin,

    2006: 242-244).

    Au final, la distinction entre co-prsence et transformation dune part et

    imitation dautre part se fonde sur la nature de lhypotexte, singulier dans le

    premier cas (ou discours comptables), pluriel dans le second cas (ou disonsillimit). La premire relve dune relation de texte texte(s), relation

    caractrise par le prfixe "inter". La seconde relve dune relation de texte

    "famille de textes", relation caractrise cette fois par le prfixe "hyper".

    Lintertextualit se subdivise donc en co-prsence (citation) et en

    transformation (allusion) et lhypertextualit dsigne les imitations, dont il faut

    encore visiter les manifestations possibles.

    Si lintertextualit dcrit donc les relations des hypotextes sdiments, si

    linterdiscursivit prend en compte les relations avec des ensembles plus

    diffus, lhypertextualit dcrit des relations avec des ensembles certes diffus,mais plus ouvertement contractuels. La distinction entre intertextualit

    (citation, allusion) et lhypertextualit (imitation) se fonde sur une "mdiation",

    lacquisition dune "comptence gnrique" que seule la seconde ncessite:

    Limitation est sans doute elle aussi une transformation, mais dun procd plus

    complexe, car pour le dire ici dune manire encore trs sommaire il exige la

    constitution pralable dun modle de comptence gnrique [], et capable

    dengendrer un nombre indfini de performances mimtiques. Ce modle constitue donc,

    entre le texte imit et le texte imitatif, une tape et une mdiation indispensable, que lon

    ne retrouve pas dans la transformation simple ou directe (Genette, 1982: 14-15).

    G. Genette propose de distinguer lhypertextualit de linterdiscursivit enconvoquant le critre de la "relation privilgie". Dans la relation

    hypertextuelle, lauteur envisage "la relation entre le texte et son lecteur dune

    manire plus socialise, plus ouvertement contractuelle, comme relevant

    dune pragmatique consciente et organise" (soulign par nous, Genette,

    1982: 19). Ds lors, si tout texte est par essence interdiscursif (dialogique), il y

    a relation hypertextuelle lorsque le texte fait intentionnellement appel si lon

    se place du ct de la rception, lorsque le lecteur prte une intention

    lauteur , implicitement ou explicitement, une famille de textes.

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    1.4 De limitation stylistique limitation gnrique

    Lhypertextualit et larchitextualit sont lies, la premire tant une source de

    formation et dvolution de la seconde: "[] Larchitextualit gnrique se

    constitue presque toujours, historiquement, par voie dimitation [], et donc

    dhypertextualit" (Genette, 1982: 17; 287). Mais la notion de style ne doit pas

    tre confondue avec celle de genre. Le style, dans son acception

    contemporaine, prend en compte les faits de texture micro-smiotiques:

    On opposera [] la texture la structure, unit macrolinguistique par excellence. Je

    dfinirai le style et le fait de style comme des faits de texture, cest--dire des

    phnomnes linguistiques identifiables un niveau micro-structurel (Adam, 1994: 18-20).

    Limitation peut donc tre de nature stylistique ou plus largement gnrique.

    Dans le premier cas de figure, l"espace de rgularit" fait intervenir des

    aspects purement micro-smiotiques. Dans le deuxime cas de figure, en

    revanche, l"espace de rgularit" fait intervenir dautres dimensions.

    R. Vion propose de distinguer au sein dun discours le genre dominant des

    genres domins. Il envisage lventualit de "lintersection de plusieurs

    genres", o "la coexistence ne soppose pas au fait que lun des genres

    domine tout en servant de prtexte des activits qui dpendent dun autre

    genre" (Vion, 1999: 104):

    Cette "double nonciation" confre une dimension parodique et/ou ludique ces

    dveloppements discursifs. Ainsi en est-il des petites annonces et des fausses recettes

    de cuisine de Pierre Dac (Vion, 1999: 104).

    Les genres subordonns, connaissant une "dimension parodique et/ouludique", doivent avoir quelques liens avec les faits dhypertextualit. Mais

    bien quil puisse y avoir des croisements de genres, un discours reste toujours

    fidle un genre dominant:

    [] Tout discours, aussi complexe quil puisse paratre, relve dabord dun genre

    dominant []. Dans le cadre de [la] relation tisse au niveau du genre dominant, le

    locuteur pourra, localement, faire apparatre tout un ensemble de genres subordonns

    qui procderont par embotement et / ou successivit (Vion, 1999: 111).

    Si divers genres peuvent donc simmiscer dans un texte, ils restent cependant

    subordonns au genre dominant. La notion de matrice discursive paratparticulirement bien adapte pour dcrire discursivement lintroduction dun

    genre subordonn dans un texte. Elle se fonde sur "la constatation empirique

    que chaque texte singulier peut toujours tre apprhend et dcrit comme

    unique, comme irrductible dautres, mais que certains textes prsentent

    des affinits, de nature diverse, entre eux" (Beacco, in: Dictionnaire danalyse

    du discours, 2002: 366). Cette notion a lavantage de permettre denvisager

    lintroduction dun genre dans un texte:

    Ce terme de matrice, comme celui de srie, constitue un autre clairage conceptuel de

    celui de genre discursif. Il prsente la caractristique dtre neutre par rapport une

    thorie gnrale de lanalyse du discours et sert reprsenter les textes commeconditionns par des modles communicatifs socialement tablis mais dont la nature

    exacte nest pas interroge. Cette suspension provisoire de la problmatique des

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    relations texte-contexte conduit envisager les discours, dans une phase descriptive de

    lanalyse linguistique, comme des produits et non comme des productions (Beacco, in:

    Dictionnaire danalyse du discours, 2002: 367).

    Ltape de mdiation dont parle G. Genette sapparente lidentification des

    similitudes constitutives de la matrice, fonde sur les divers critres de

    typologisation des genres (Lugrin, 2006: 144)4.

    En rsum, lhypertextualit dsigne pour sa part les relations de texte

    "famille de textes", soit un genre (matrice fonde sur un panachage de

    critres de typologisation des genres), soit un style (matrice fonde sur des

    similitudes de nature micro-smiotique). Lorsquil y a superposition dune

    relation intertextuelle et dune hypertextuelle (cest--dire lorsque la relation

    hypertextuelle est une consquence directe de la relation intertextuelle), on

    considrera lensemble comme une relation intertextuelle. Un texte connat

    enfin des relations architextuelles et interdiscursives: le dialogisme

    interdiscursif constitutif se subdivise en interdiscursivit lorsque la relation est

    libre de toute contingence et en architextualit lorsquelle passe par

    limportation dun cadre scnique5. Lensemble de ces propositions peut tre

    reprsent comme suit:

    co-prsence (citation)transformation(allusion)

    Intertextualit Hypertextualit

    fragmentdetexte cadrescnique

    "familledetextes"

    Architextualit

    imitation matricielle(genre subordonn et/ou style)

    Interdiscursivit

    encyclopdie

    langue

    Fig. 3. Les diffrentes formes de relations dialogiques interdiscursives

    2. De lintertextualit larchitextualit en publicit

    Bien que la distinction entre relations intertextuelles et relations

    hypertextuelles soit opratoire, deux iconotextes6, respectivement pour les

    4 Lorsque les similitudes constitutives dune matrice seront de nature micro-smiotique, onparlera dimitation stylistique.

    5 "[La scne englobante et la scne gnrique] dfinissent conjointement ce quon pourraitappeler le cadre scnique du texte. Cest lui qui dfinit lespace stable lintrieur duquel

    lnonc prend sens, celui du type et du genre de discours" (Maingueneau, 1998: 70).

    6 Introduite par M. Nerlich (1990), la notion d"iconotexte" dsigne un message mixte, unensemble formant une unit signifiante part entire, dans laquelle le linguistique et liconique

    se donnent comme une totalit inscable, mais dans laquelle ils conservent chacun leurspcificit propre "Liconotexte publicitaire de presse criteest form dun ensemble dlments

    linguistiques, plastiques et iconiques graphiquement regroups et complmentaires, borns

    la limite matrielle de laire scripturale vi-lisible de la double page" (Lugrin, 2006: 66).

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    pastilles Ponceletet pour les machines crire Olivetti, dmontrent que ces

    relations gagnent parfois tre penses de manire complmentaire (point

    2.1). De mme, les relations hypertextuelles peuvent glisser

    exceptionnellement vers des faits darchitextualit, rengociant ds lors le

    genre dominant de liconotexte (point 2.2 & 3).

    2.1 De lintertextualit lhypertextualit: le "Jaccuse" dE. Zola

    En 1898 (Intransigeant, 25 janvier 1898), un iconotexte pour les pastilles

    Ponceletcitait le titre sous lequel avait t publie, dans ldition du 13 janvier

    1898 du journal LAurore, la clbre lettre ouverte dEmile Zola au Prsident

    Flix Faure (prsident de la rpublique de lpoque) dans le cadre de lAffaire

    Dreyfus.

    Fig. 4. Iconotexte pour les pastilles Poncelet citant le titre sous lequel a t publie la lettre ouverte

    dE. Zola

    La lettre dEmile Zola faisait partie, du moins lpoque de la publication de

    cet iconotexte, du savoir encyclopdique partag par tous les lecteurs

    franais. La popularit de ce titre tait telle que le publicitaire de 1898 na pas

    estim ncessaire den mentionner la source, ou du moins la polyphonie. Bien

    que lintertextualit apparaisse libre de toute dtermination gnrique, elle

    peut nanmoins convoquer l"espace de rgularit" du texte convoqu: la

    citation localise dans le titre est le point de dpart dune relation

    hypertextuelle qui opre sur lensemble de l"espace de rgularit" de

    liconotexte.

    La matrice gnrique de la lettre sert de moule au rdactionnel, sans que le

    genre dominant publicitaire nen soit altr:

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    142 Lhypertextualit, entre intertextualit et architextualit

    JACCUSEde criminel celui qui ne connat pas la Pastille Poncelet; cest une ignorance quidun moment lautre peut lui coter la vie. Tout le monde doit employer la PastillePoncelet qui soulage en une heure et qui gurit en une nuit. Cette Pastille, sous le

    moindre volume, renferme un trsor de vertus curatives. Chaque anne un millionde guris."Massin (Ardennes), 19 mars 1898.

    "Monsieur Emile Poncelet,pharmacien-chimiste.

    "Permettez un pauvre garde-chasse, ex-"pos nuit et jour toutes les intempries,"de vous fliciter sur les merveilles opres"par vos Pastilles Poncelet; si je ne les"avais pas connues, depuis longtemps je"serais hors de service. Chez moi elles"oprent instantanment, chez ma femme"un peu plus lentement, mais srement.

    "Toute ma reconnaissance mon sauveur."DAVREUX, garde-chasse".

    Si vous doutez, essayez, vous nuserez plus rien dautre. Partout 1 fr. 50 la botenickel rectangulaire avec signature Em. Poncelet, grave et imprime.

    Toutefois, sil y a la fois citation dans le titre et imitation matricielle gnrique

    dans le rdactionnel, il ny a cependant pas de contamination (ou

    prolongement) du fait dintertextualit de lintitul dans le rdactionnel,

    lexception du liage des premiers mots ("de criminel celui qui"), sans

    autonomie syntaxique.

    Un iconotexte pour les machines crire Olivetti (Defrance, 1984: 166)manifeste une textualit beaucoup moins composite. Le titre de la lettre

    reprend lintitul sous lequel avait t publie la lettre dE. Zola, mais le

    publicitaire des annes quatre-vingts7 semble avoir estim les guillemets

    ncessaires pour signaler la citation.

    Fig. 5. IconotexteOlivettiimitant la lettre dE. Zola

    7 La date nest pas prcise par A. Defrance, mais on peut admettre, en croisant la date de lapublication de larticle et le produit vant, que liconotexte a t diffus dans les annes quatre-

    vingts.

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    Gilles Lugrin 143

    Le rdactionnel, beaucoup plus fidle dans sa structure la lettre dE. Zola,

    blme la machine lectriquepour louer la machine lectronique:

    "Jaccuse"

    "Jaccuse les machines crire lectriques de faire un bruit de mitraillette. De casserles ongles des secrtaires sympas. De ne pas avoir de mmoire et dobliger tapertous les jours les mmes formules de politesse.Jaccuse les machines lectriques de ne pas centrer parfaitement un titre, justifierautomatiquement droite, mettre en colonne les chiffres, sans aucun calcul.Jaccuse les machines lectriques de chauffer aux heures de pointe, ce qui vouslaisse brise, chiffonne, broye, pantelante et quelques soirs hurlante.Jaccuse les machines lectriques de ne pas permettre de choisir au clavier diffrentsmodes dcriture. De ne pas avoir llgance de corriger avant limpression les fautesde doigts.Jaccuse les machines lectriques de ne pas possder dcran de contrle. Denavoir aucune vitesse de frappe, et de ne mme pas faire le geste doffrir unemarguerite aux gentilles secrtaires.

    Jaccuse enfin les machines lectriques dtre depuis les annes 60 aussi immuablesque des monuments et de navoir en consquence aucun avenir dans le traitement detexte.En foi de quoi, je lance lhorizon de tous les bureaux de France: Vive la machine crire lectronique."

    Le pronom de la premire personne du singulier est conserv tout au long du

    rdactionnel, contrairement au rdactionnel Poncelet, privilgiant la forme

    impersonnelle (sauf dans le discours rapport). Suite une cascade de

    "Jaccuse", conforme celle caractrisant la fin de la lettre dE. Zola (raison

    probable pour laquelle la rdaction de LAurorea pris la dcision de titrer cette

    lettre de la sorte), le dernier paragraphe ponctue le texte en ces termes: "En

    foi de quoi, je lance lhorizon de tous les bureaux de France: Vive la

    machine crire lectronique". Dans ce dernier paragraphe, la proximit des

    lexmes "France" et "Vive la" renvoie la locution fige "Vive la France",

    renforant le caractre allusif du texte.

    Beaucoup plus homogne, cet iconotexte combine la citation du titre, lallusion

    du texte et limitation matricielle gnrique de la lettre. La cohrence

    densemble est ainsi renforce par la contamination (ou le prolongement) du

    fait dintertextualit de lintitul dans le rdactionnel.

    En somme, le type (co-prsence, transformation, imitation) dune relation et

    son degr dexplicitation ne sont pas dterminants dans lampleur que peut

    prendre le phnomne. Les implications dune relation intertextuelle sur le

    texte peuvent se borner la partie voque ou dteindre sur son ensemble.

    2.2 De limitation matricielle larchitextualit: la juxtaposition dematrices gnriques

    Les iconotextes Poncelet et Olivetti incorporent la matrice gnrique de la

    lettre, sans altrer toutefois le statut gnrique publicitaire. En revanche, dansun iconotexte pour le chocolat dessert Nestl, limitation matricielle de la

    recette de cuisine (voir Adam, 1999: 69) en rengocie le statut gnrique.

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    144 Lhypertextualit, entre intertextualit et architextualit

    Dun point de vue pragmatico-nonciatif, au cadre scnique publicitaire vient

    se juxtaposer le cadre scnique de la recette: il y a "galit" gnrique,

    liconotexte tant la fois recette etpublicit.

    Le bananierDessert pour 10 portions

    Prparation: 15 minutesCuisson: 30 minutes

    Ingrdients: 2 bananes, 200g de Nestl Dessert, 4 ufs,100g de sucre, 50g de farine (+ 1 cuillre soupe pour le moule),

    150g de beurre (+ 1 noix de beurre pour le moule).

    Matriel: un moule carr, rectangulaire ou manqu.

    1. Prchauffez le four Th. 4 (160C) 2. Dans une casserole, sur feu doux,faites fondre le chocolat avec le beurre. Mlangez. 3. Ajoutez un un les ufs,

    le sucre et la farine en mlangeant chaque fois 4. Beurrez et farinez votremoule et versez la moiti de la prparation 5. Pelez les bananes, coupez-les en

    rondelles et disposez-les dans le moule 6. Versez le reste de la prparation et

    faites cuire votre gteau environ 30 minutes 7. Laissez refroidir avant de dguster.

    Fig. 6. Iconotexte publicitaire en forme de recette pour le chocolat dessert Nestl

    Cette "galit" est nuancer dans la mesure o le contexte publicitaire

    hirarchise les deux dimensions pragmatiques que sont la recommandation

    dachat et les consignes de la recette. La recette est certes utilisable, mais elle

    reste subordonne la recommandation dachat (et notamment lingrdient:

    "200g de Nestl Dessert"). Pour saisir cette nuance (juxtaposition mais

    subordination), il faut prciser la distinction, lintrieur du cadre scnique,entre scne englobante et scne gnrique (Maingueneau, 1998: 69-76): la

    scne englobante donne son statut pragmatique au discours selon le type de

    discours (publicitaire, administratif, philosophique); la scne gnrique est en

    revanche lie au contrat attach un genre ou un sous-genre (lditorial, le

    sermon, le guide touristique, la visite mdicale). La nature publicitaire (scne

    englobante) nest ici pas altre. La juxtaposition sopre sur la scne

    gnrique, la fois publicit de produit et recette de cuisine. En cela, nous

    allons le voir, le fonctionnement de liconotexte Nestl se distinguede celui de

    lapublicit rdactionnelle.

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    Gilles Lugrin 145

    3. Confusion gnrique et superposition de cadres scniques

    La publicit rdactionnelle va au-del de limitation matricielle. Lenvisager

    laune de lhypertextualit et de larchitextualit permet de complter nos

    analyses des lettres (intertextualit -> hypertextualit) et de la recette

    (hypertextualit -> architextualit), en prsentant un cas o le genre de

    lhypotexte ne se contente pas de se juxtaposer celui de lhypertexte, mais

    sy superpose. On peut opposer un iconotexte Accor un iconotexte

    McDonalds et montrer ainsi la diffrence entre une imitation matricielle

    (Accord)et une relation architextuelle (publicit rdactionnelle).

    3.1 Limitation matricielle de larticle de presse

    Il convient dans un premier temps de se dpartir de lide quil y aurait

    publicit rdactionnelle ds lors quune publicit rcupre certaines

    caractristiques de larticle de presse. Ainsi, un iconotexte pour les htelsAccor imite la matrice du fait divers sportif, sans en altrer le statut scnique

    publicitaire.

    Fig. 7. Iconotexte pour les htelsAccorimitant la matrice du fait divers

    Le fait divers est "une rupture dans le droulement quotidien, un surgissement

    qui interpelle dune manire ou dune autre" (Dubied & Lits, 1999: 53).

    Distinguant les "petits faits divers" des "grands" (Dubied & Lits, 1999: 56), les

    auteurs disent des premiers quils sont brefs et quils rpondent aux questions

    qui, o, quand, pourquoi, comment et quoi. Dans le rdactionnel de

    liconotexteAccor, tous ces lments du fait divers sont runis:

    SUPERCHERIE DEJOUEE EN SNOWBOARD

    Imposture manque hier aprs-midi dans la comptition de snowboard o la femme duvainqueur de lan pass, Bob Bullock, a pris le dpart sa place. Arrive 3

    e mais

    dmasque lorsquelle sest remaquille avant la photo du podium, Jennifer Bullock aexpliqu son geste par lamour immodr de son mari pour le petit-djeuner de lhtelAccor Vacances. "Depuis ce matin il est devant le buffet, il veut absolument toutessayer" a-t-elle dclar la presse. Aprs enqute, nous rvlons ci-contre lescoordonnes de ces mystrieux htels daltitude Accor Vacances au petit-djeunervisiblement irrsistible.

    La tricherie est dabord thmatise par deux lexmes: "supercherie","imposture". Le caractre "extraordinaire" du fait divers est explicit

    indirectement par une qualification du produit vant ("ces mystrieuxhtels"),

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    146 Lhypertextualit, entre intertextualit et architextualit

    double par "lamour immodr" pour "le petit-djeuner de lhtel". Quant aux

    questions qui, o, quand, pourquoi, comment et quoi, elles trouvent leur

    rponse dans le rdactionnel. Plus encore, le quandest livr par un dictique

    marquant lantriorit ("hier aprs-midi"), conforme lactualit de larticle de

    presse.La nature journalistique est cependant assez rapidement trahie. En premier

    lieu, lhumour, doubl dune allitration, merge du texte, dabord par la

    manire dont la supercherie a t djoue ("dmasque lorsquelle sest

    dmaquille"), ensuite par lhyperbole lie au produit ("lamour immodr de

    son mari pour le petit-djeuner"; "petit-djeuner visiblement irrsistible"). En

    second lieu, la nature publicitaire transparat dans limportance accorde au

    "petit-djeuner" et "lhtel Accor Vacances", notamment par "lenqute" dont

    ils profitent. En troisime lieu, enfin, le statut publicitaire se dvoile sans

    ambigut par la prsence des principales adresses des htels Accor. Si lamatrice du fait divers est donc manifeste, il y a aussi une volont dclare

    dinscrire lensemble dans le discours publicitaire.

    3.2 Publicit rdactionnelle et confusion de genre

    Le principe essentiel de la publicit rdactionnelle est le dguisement de la

    finalit publicitaire sous les traits de linformation (Lagneau, 1971: 92). G.

    Pninou, qui considre le discours publicitaire comme une forme de discours

    identifie comme tel ds le premier contact, signale ainsi le cas particulier de

    lapublicit rdactionnelle, qui masque sa nature publicitaire. Dans ce cas, lepritexte viendrait contrarier la stratgie de masquage de la publicit

    rdactionnelle (Pninou, in: Sfez, 1993: 1107). Reste que ce qui prdomine

    dans les premiers instants de contact avec la publicit rdactionnelle, cest

    une confusion gnrique reposant sur lappropriation publicitaire du pritexte

    journalistique.

    Un iconotexte McDonalds8 est de ce point de vue exemplaire: la mise en

    forme des divers constituants (photographie, tableaux, encadr, texte)

    correspond aux pages rdactionnelles du magazine. Seule linscription

    pritextuelle "publi-communiqu" informe du vritable statut de cet iconotexteen pleine page.

    8 Faute de place, nous navons pas retranscrit ici lensemble du texte. Une version estconsultable en ligne, ladresse:

    http://www.comanalysis.ch/PublicationsCA/THESE/Marque.htm

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    Fig. 8. Publicit rdactionnelleMcDonalds

    Tout semble en revanche soutenir une distribution des rles nonciateur / co-

    nonciateur diffrente de celle attendue dans la publicit: le dplacement de

    lnonciateur (McDonalds) en position de rfrent ("McDo"), la construction

    textuelle dune fausse identit de lnonciateur et la complicit quinstaure letexte entre cet nonciateur fictif et les lecteurs.

    Labsence de signature permet au texte de construire lidentit dun

    nonciateur non dsign explicitement. Le rel nonciateur, McDonalds,

    apparat maintes reprises sous une forme abrge "McDo". Lemploi de ce

    terme McDonalds ne sauto-dsignerait jamais officiellement par ce

    diminutif le dplace en position de rfrent, au mme titre que son "Happy

    Meal".

    A la lecture du lead-chapeau, la place laisse libre par McDonalds semble

    tre investie par un journaliste trs proche de son lectorat: "Le week-end ou lemercredi, si on demande leur avis nos chers petits, on se retrouve

    invariablement chez McDo. Que lon proteste ou que lon se fasse une raison,

    il y a deux ou trois choses savoir sur leur menu de prdilection". Envisager

    mme lide quon puisse protester reflte une ouverture desprit quil est rare

    de rencontrer en publicit. On notera de plus que, dans cette introduction, rien

    ne nous dit encore si ces "deux ou trois choses savoir" sont de lordre du

    positif ou du ngatif. Laccent est mis sur de linformation objective, au

    dtriment dune quelconque promotion laudative.

    Lutilisation complmentaire des pronoms "on" et "nos", rcurrents tout au long

    du texte, cre une connivence entre la figure construite du journaliste et les

    parents-lecteurs. Ces derniers sont par ailleurs les seuls conserver leur

    place dorigine dans la distribution des rles labore par le texte. En effet,

    tout au long de larticle, une seule phrase dissocie lnonciateur fictif de son

    lectorat: "Vous ne pensiez tout de mme pas faire de McDo leur cantine

    quotidienne!" Argument qui simule l aussi une information non partisane la

    cause McDonalds Le dplacement de lnonciateur rel (McDonalds) en

    position de rfrent ("McDo"), la construction textuelle dune fausse identit de

    lnonciateur (journaliste factice) et la complicit quinstaure le texte entre cejournaliste et ses lecteurs, conduisent la (con-)fusion des instances.

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    148 Lhypertextualit, entre intertextualit et architextualit

    Ce brouillage subtil de lnonciateur permet McDonalds de lever les

    suspicions qui pourraient peser sur un argumentaire qui lui aurait t

    directement attribu. Ce procd est conforme la principale fonction de la

    publicit rdactionnelle, qui tente de profiter de la confiance alloue par le

    lecteur au contenu rdactionnel (impartial) de son magazine pour vanter unproduit de manire partiale et partisane.

    Dans cet iconotexte, ce nest donc plus la scne gnrique qui est complte

    (comme dans le cas de la recette), mais la scne englobante qui est

    compromise: le cadre scnique publicitaire se voit dans ce cas partiellement

    mais volontairement clips par et au profit du cadre scnique journalistique.

    La matrice publicitaire est dailleurs abandonne au profit de celle de larticle

    journalistique. Il y a donc finalement une perturbation du statut pragmatico-

    nonciatif de liconotexte.

    4. Epilogue

    Ces exemples dmontrent en somme lintrt heuristique des catgories qui

    ont t prsentes et discutes ici, puisquils permettent dobserver de

    manire fine et systmatique des glissements de lune lautre dans un

    iconotexte. Plus pragmatiquement, ces catgories permettent de saisir le

    degr de cohrence (Olivetti) ou de confusion dun iconotexte (McDonalds).

    Mais si le transfert de ces catgories, de la potique au champ de lanalyse du

    discours publicitaire, parat intressant, cest que, comme nous lavonsabondamment montr ailleurs (Lugrin, 2006), le discours publicitaire est une

    vritable machine recycler et donc relayer la culture environnante. La

    publicit vampirisant tout ce qui lentoure (Jost, 1985), elle "nest plus un

    dialecte marginal, mais un supra-langagequi emprunte aux arts graphiques et

    la littrature, la posie et la technologie" (Cathelat, 1987: 238). Le

    discours publicitaire, zone dinconsistance dans lunivers des discours,

    participe de plus, par bribes, ldification de la culture ambiante. Au-del de

    sa fonction minemment marchande, elle construit des objets de sens qui

    parfois sautonomisent, en constituant un corpus de rfrences communes aucorps social, que lon partage, que lon schange et que lon critique.

    Au final, travers les relations intertextuelles, hypertextuelles et

    architextuelles, la publicit participe donc mdiatiser la culture du plus grand

    nombre et enrichir, ponctuellement, le paysage culturel qui lentoure.

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