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LA FAMILLE LUNDI 11 AVRIL 2016 Gérard Diez La Presse en Revue LA PRESSE EN REVUE... I) Qui est Frédéric Lordon, l'économiste qui séduit le mouvement Nuit debout ? SOMMAIRE 1) Le mystère se lève 2) Elle le rappelle très justement 3) Le chouchou de Martine Aubry 4) L'obscurité du FN... 5) Ils veulent gain de cause 6) Je n’ai pas changé je suis toujours ce jeune homme étranger... Place de la République le 9 avril 2016 Paris Photo. G.Diez Depuis des années, cet économiste appelle à prendre la rue pour fonder une "République sociale". Ses interventions lors des Nuits debout à Paris ont galvanisé le public, mais il refuse d'en être le représentant. L'économiste et philosophe Frédéric Lordon photographié à Paris le 11 janvier 2011. (BALTEL/SIPA)

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LA FAMILLE LUNDI 11 AVRIL 2016

Gérard Diez La Presse en Revue

LA PRESSE EN REVUE...

I) Qui est Frédéric Lordon, l'économiste qui séduit le mouvement Nuit debout ?

SOMMAIRE

1) Le mystère se lève2) Elle le rappelle très justement3) Le chouchou de Martine Aubry4) L'obscurité du FN...5) Ils veulent gain de cause6) Je n’ai pas changé je suis toujours ce

jeune homme étranger...

Place de la République le 9 avril 2016 Paris Photo. G.Diez

Depuis des années, cet économiste appelle à prendre la rue pour fonder une "République sociale". Ses interventions lors des Nuits debout à Paris ont galvanisé le public, mais il refuse d'en être le représentant.

L'économiste et philosophe Frédéric Lordon photographié à Paris le 11 janvier 2011. (BALTEL/SIPA)

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Elise Lambert

Surtout, ne lui dites pas que c'est une rock-star. De son propre aveu, Frédéric Lordon "chante très très mal", et "joue encore moins bien de la musique". Pourtant, jeudi 31 mars à la tombée de la nuit, le chercheur a délivré le discours rassembleur que les centaines de manifestants place de la République attendaient. Sous la brume parisienne, il réussit à mettre des mots sur ce que personne ne définit encore bien. Une occupation de la place sans limites, à moitié préparée, à moitié spontanée.

"Il est possible qu'on soit en train de faire quelque chose, déclare-t-il d'une voix éraillée, une feuille de notes à la main. Nous sommes rassemblés ce soir pour imaginer la catastrophe, apportons-leur la catastrophe !" clame-t-il, sous les approbations de la foule.

La veille déjà, dans un amphithéâtre bondé de la fac de Tolbiac, le membre des "Économistes Atterrés" s'était fait remarquer face aux manifestants contre la loi Travail, rapporte Arrêt sur images. Comme une amorce à son discours place de la République, l'audience avait repris après lui :"Tous ensemble, tous ensemble, grève générale !"

En quelques jours, l'économiste philosophe est devenu la voix remarquée des Nuits debout. Mais impossible d'en discuter avec lui. Réfractaire aux "médias dominants", le chercheur a "une sainte détestation" du genre portrait, qu'il trouve affligé de "tares intrinsèques définitives". Francetv info a tenté à plusieurs reprises de le rencontrer, en vain.Ponts et chaussées, MBA et HEC

En 1962, rien ne prédestine Frédéric Lordon à la lutte des classes. Né dans une famille bourgeoise de l'Ouest parisien, son père est dirigeant d'entreprise et sa mère femme au foyer. En 1985, il sort ingénieur de la prestigieuse Ecole nationale des Ponts et chaussées avant de poursuivre à l'Institut supérieur des affaires, devenu depuis un MBA (Master of business administration) à HEC.

C'était au milieu des années 1980. J'avais fort intention de devenir un 'winner' et de gagner plein d'argent. Frédéric Lordon France Culture

A la fin de ses études, il rompt brutalement avec son ambition d'être patron. "Ça me semblait un peu vain. Il m'a semblé plus intéressant de prendre la voie des livres", confie-t-il en 2013 sur France Culture. L'éternelle compétition entre "futurs winners" d'HEC le pousse à changer de trajectoire. Electeur de droite, il passe chez les communistes et se tourne vers la recherche. Désireux de prendre un point de vue critique sur le monde social, il choisit l’économie.

"Un étudiant extrêmement brillant"

Le jeune thésard se lance dans la lecture approfondie de Karl Marx, Pierre Bourdieu, Louis Althusser, Baruch Spinoza, sa grande révélation. Robert Boyer, principal acteur de l'Ecole de la régulation et directeur de sa thèse à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) s'en souvient très bien : "C'était un élève extrêmement brillant, très perfectionniste." Le jour de sa soutenance, au sujet obscur pour les non-initiés - "Irrégularités des trajectoires de croissance : évolutions et dynamique non-linéaire. Vers une schématisation de l'endométabolisme"- il exige que la séance se tienne à huis clos afin d'éviter toute gêne.

"C'est de loin la meilleure soutenance que j'aie jamais entendue", atteste son ancien professeur. Exigeant, ultra-motivé, Frédéric Lordon tranche tout de suite avec ses camarades :

Frédéric n'avait rien à voir avec tous ceux qui arrivaient là avec la seule ambition d'avoir un prix Nobel et de gagner plein d'argent.

Au sein du milieu universitaire, le jeune homme fait parler. "On le décrivait comme un étudiant absolument remarquable", raconte Jacque Sapir, économiste, ancien proche de Frédéric Lordon. "Des étudiants capables de faire correctement leur travail, il y en a des tas. Mais capables de déminer un sujet et d'y amener quelque chose de nouveau, c'est un sur vingt. Il était de ceux-là."

L'auteur de La démondialisation l'invite à des séminaires en Russie, en compagnie de Michel Aglietta, Robert Boyer ou encore Hervé Lorenzi. Bon vivant, amateur de bonne bouffe, Frédéric Lordon régale le groupe de "blagues très potaches comme très intellos". Signe du respect qu'il inspire, "même ceux qui étaient en désaccord avec lui écoutaient attentivement son raisonnement."

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Frederic Lordon, auteur de la piece de theatre "D'un retournement a l'autre" et Gerard Mordillat realisateur du film "Le grand retournement",

lors de l'avant premiere au Cinema des Cineastes a Paris le 1er août 2013. (REVELLI BEAUMONT/SIPA)

Sectaire, et alors ?

Clivant, se qualifiant lui-même de "sectaire", Frédéric Lordon se positionne pour une sortie de l'euro, contre le capital actionnarial, pour la suppression de la Bourse et le retour à une souveraineté populaire. Face à ceux qui l'accusent de faire le jeu du FN, il balaye le rapprochement. "Dans un monde bien ordonné, cette question ne devrait pas être posée", pondère-t-il sur France Inter, en avril 2014. "La sortie de l'euro emporte des enjeux suffisamment élevés pour qu'on ne les soumette pas aux pollutions du FN (…) J'exècre ce parti."

Le chercheur au CNRS n'aime pas le débat contradictoire. "C'est une conception si déformée qu'on ne s'en aperçoit même plus, déclare-t-il en octobre 2015 devant un parterre d'étudiants de l'Essec. Le débat contradictoire court à la foire d'empoigne, où toute rationalité s'évanouit en cinq minutes."

https://youtu.be/Hy7LJ4FHBQM

"Le débat, c'est dans les têtes que ça se passe"

A choisir, il préfère débattre avec des intellectuels de son bord. "Le lieu du débat n'est pas sur l'estrade, c'est dans les têtes à la base de monologues unilatéraux." En juillet 2012, lors des Rencontres déconomiques" d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône), il est tenté par un affrontement avec le Cercle des économistes, ses ennemis jurés qu'il qualifie de "pitres", avant de se reprendre. "Se castagner en direct est un plaisir d'esthètes (...) mais ces messieurs nous ont ignorés pendant des décennies alors on n'allait pas arriver avec claquement de doigts. Chacun a sa fierté mal placée", dit-il en souriant.

Hors de question aussi de pardonner à ceux qui auraient viré de bord avec la crise. "Les retournements de veste en loucedé, ça me fout les baloches, j'ai mauvais caractère mais je ne pratique pas le pardon des péchés", assène-t-il.

Les retournements de faux culs, c'est une solution aux problèmes climatiques. Vous branchez une dynamo dessus et vous avez de quoi éclairer des pâtés de maison entiers. Ça vole au vent, c'est agréable. Frédéric Lordon Lors des Rencontres déconomiques

Lors de ses interventions et sur son blog La pompe à phynance, hébergé par Le Monde Diplomatique, il accuse tour à tour Jacques Sapir de ne pas assez tenir compte de l'Histoire, l'économiste Thomas Piketty de préserver le capital et l'ancien journaliste du Monde Laurent Mauduit, cofondateur de Mediapart, d'avoir soutenu les idées du libéralisme.

"C'est normal, les fils doivent tuer les pères", s'amuse Jacques Sapir. "ll a quelque chose de mélenchonien, c'est la beauté du cassage de gueule, il vitupère, il s'emporte, décrit Laurent Mauduit. Mais quelqu'un qui contribue au débat public sans arrière-pensée, il faut toujours le saluer. »

Une réponse à l'humeur de la foule

Sans attache, Frédéric Lordon attire comme il divise. Approché par les frondeurs du PS, le Front de gauche et le cabinet d'Arnaud Montebourg, alors ministre de l'Economie, il refuse toute implication. Pour lui, chacun sa place. Au chercheur d'écrire des livres, à ceux qui veulent, de s'emparer de ses idées. "C'est inenvisageable pour lui d'être lié à un parti", confie-t-on dans son entourage. "Il réfléchit énormément à tout. Puisque sa parole est minoritaire, elle doit être parfaite." Lorsqu'il est invité à une matinale de radio, il la prépare pendant une semaine. S'il répond à une interview à la télévision c'est pas moins de vingt minutes. A l'écrit, il relit tout.

Dans les milieux altermondialistes et radicaux de gauche, cette indépendance fédère. "Il présente un mélange de radicalité et de réalisme politique qui plaît", décrit le créateur du compte Twitter Fan2Lordon.

Il est cohérent, rigoureux et politiquement clair, alors que nous sommes dans une période de grande confusion politique.

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II) Filippetti " Le gouvernement n’est plus de gauche "

Fan2Lordon francetv info

"Il a une lecture intransigeante et implacable de l'économie qui rencontre l'humeur des foules", rajoute la comédienne Judith Bernard, qui a adapté son livre D'un retournement à l'autre au théâtre en 2010. C'est un excellent orateur à l'humour ravageur. Son style jongle entre archaïsme et argot."

https://youtu.be/z5sJEY6tU98

David Kantik @David_KantikIntervention de Frédéric Lordon à l'Assemblée générale de la Nuit debout le 3 avril https://youtu.be/z5sJEY6tU98 via @YouTube

Aux Nuits debout, seul sur l'estrade, sans contradicteur, il rassemble. En voyant ses interventions, le fondateur d'Arrêt sur images Daniel Schneiderman a eu ce sentiment."Je connaissais le Lordon économiste et philosophe, mais pas le tribun avec le souci de s'adresser au grand public. »

Le miracle de la loi El Khomri

Mais jusqu'où Frédéric Lordon ira-t-il ? Lui qui ne jure que par l'horizontalité du pouvoir. "C'est un vrai dilemme", atteste Judith Bernard, "il ne veut pas être leader mais a toujours refusé d'être un intellectuel enfermé dans sa tour d'ivoire". Si les manifestations contre la loi El Khomri lui ont ouvert une "brèche miraculeuse" pour pouvoir s'exprimer dans un mouvement qu'il apprécie, "il se rendra invisible si on veut faire de lui un porte-parole".

"ll veut vivre son mai-68, qu'il le vive", observe Jacques Sapir. "Il a raison. Il vaut mieux avoir des remords que des regrets." En attendant, l'économiste reçoit de nombreux soutiens. Certains lui écrivent qu'ils sont passés de la droite à la gauche grâce à lui. "Ça le touche mais il est dans l'impasse", confie son entourage. Préserver sa virginité intellectuelle lui dicterait de ne rien faire. Mais c'est là tout l'opposé de ce qu'il préconise.

francetvinfo.fr

Philippe Reinhard

Ministre de la Culture deux ans durant au cours du quinquennat de François Hollande, Aurélie Filippetti a rejoint les frondeurs socialistes.

La loi Travail doit-elle être retirée ou vous satisfaites-vous des gages donnés par le gouvernement ?

Ce projet de loi procède d'une philosophie que je conteste. S'il devait être adopté, cela mettrait les salariés en concurrence et, ce faisant, cela permettrait un chantage à l'emploi. Tel qu'il est, ce projet de loi revient, en fait, à donner un permis de délocaliser aux grandes entreprises multinationales. Je déplore que ce soit un gouvernement de gauche qui propose une loi sur le travail qui est, en fait, une loi contre les travailleurs.

Le phénomène « Nuit debout » est-il une manière de faire de la politique autrement ? N'est-ce pas dangereux pour les corps intermédiaires, et, d'abord, pour les élus ?

Je ne trouve pas cela dangereux. C'est, au contraire, un mouvement salutaire. Si ce mouvement surgit, c'est parce que la nature a horreur du vide, et que les partis sont discrédités. Il y a, aujourd'hui, de moins en moins de gens qui ont envie d'adhérer à des partis politiques. Il est donc bien que des mouvements se créent pour assurer ce relais citoyen.

Quel est aujourd'hui l'avenir de la gauche de la

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LAPRESSEENREVUE.EU

III) Le lobbying de Martine Aubry contre le gouvernement (et son SMS d'encouragements à Jean-Claude Mailly de FO)

de la gauche, à commencer par celui des frondeurs socialistes ?

Je n'aime pas l'expression de la gauche de la gauche. Aujourd'hui, c'est le gouvernement qui n'est plus de gauche. Je ne me considère pas comme quelqu'un appartenant à la gauche de la gauche, mais simplement comme quelqu'un de gauche.

Cela veut-il dire que vous n'appartenez pas à la majorité ?

J'appartiens à la majorité des Français qui ont élu François Hollande en 2012, mais qui ne se reconnaissent plus dans la politique qui est menée. C'est le gouvernement qui s'est lui-même mis en minorité par rapport à ceux qui l'ont porté au pouvoir en 2012.

Souhaitez-vous une primaire à gauche ?

Je suis favorable à une primaire afin que nous réglions de manière démocratique la question de la désignation du candidat, ou de la candidate, à la prochaine élection présidentielle. On ne peut pas se satisfaire d'une reconduction automatique du président sortant quand il est contesté comme il l'est aujourd'hui.

Sébastien [email protected]

LOBBYING - Silencieuse depuis son "trop, c’est trop" sur la réforme du code du travail destiné à François Hollande et Manuel Valls pour manifester son opposition à la loi El Khomri, Martine Aubry œuvre en coulisses. Comme révélé par Europe 1 ce mercredi 6 avril, et également évoqué dans Le Canard Enchaîné, la maire de Lille a en effet envoyé un petit SMS d’encouragements à Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de Force ouvrière. C’était le 31 mars, jour de la grande mobilisation contre la loi travail. Le contenu du SMS en question :

Bonne manif aujourd’hui !

Une manière pour l’ancienne patronne du PS de soutenir la mobilisation sans pour autant trop se mouiller dedans. Surtout que, si FO demande le retrait pur et simple de la loi portée par Myriam El Khomri, officiellement, Martine Aubry ne souhaite que son amélioration.

Selon l’hebdomadaire satirique, Martine Aubry assume ces encouragements qu'elle justifie par la frilosité de la CFDT :

J’ai toujours eu de bonnes relations avec Jean-Claude Mailly. La ligne de la CGT n’est pas claire, Laurent Berger et la CFDT sont mous du genou. C’est la ligne de FO qui est la bonne.

Or, c’est avec la CFDT et Laurent Berger que

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IV) Au tribunal, Mediapart face à la méthode FN

Manuel Valls et son gouvernement recherchent un compromis pour faire adopter cette réforme du code du travail alors que FO s'oppose frontalement à la réforme promise par François Hollande et son gouvernement. Martine Aubry, elle, joue un autre cheval et fait ainsi du lobbying, surtout visé contre le Premier ministre.

Comme le révèle Antonin André sur Europe 1, l’édile nordiste va ainsi lancer de nouvelles initiatives et faire des propositions prochainement pour contrer "le discours de la peur du Premier ministre Manuel Valls". Et François Lamy, bras droit de Martine Aubry désormais expatrié dans le Nord, de confier, selon Le Canard Enchaîné :

Nous n’arrêterons pas de critiquer le gouvernement tant que Valls restera Premier ministre.

Manuel Valls doit en être RA-VI.

lelab.europe1.fr

Par Ellen Salvi

Le directeur de la publication de Mediapart, Edwy Plenel, a comparu vendredi 8 avril devant le tribunal correctionnel de Paris. Un proche de Marine Le Pen, élu FN au conseil régional d’Ile-de-France, l’accuse de diffamation. Démonstration, sous le regard de Marianne, des méthodes employées par l’extrême droite vis-à-vis des journalistes.

Il fait non de la tête. Non, non et encore non. Rien de ce qui est avancé par les journalistes de Mediapart et leur conseil, Me Emmanuel Tordjman, ne trouve une oreille attentive auprès de Me Frédéric Pichon. L’avocat d’Axel Loustau, ancien du Groupe Union Défense (GUD) devenu conseiller régional FN d’Ile-de-France, tout juste propulsé à la tête de la fédération FN des Hauts-de-Seine, n’en démord pas. Il le dit et le répète : son client a été diffamé par Edwy Plenel, le

directeur de la publication de Mediapart. Et aucun argument ne le convaincra du contraire.

Ce qui se joue ce vendredi 8 avril après-midi, dans la XVIIe chambre du tribunal correctionnel de Paris, est bien plus qu’une simple affaire de presse. C’est une démonstration, faite sous le regard de Marianne, des méthodes employées par l’extrême droite vis-à-vis des journalistes en général et de ceux de Mediapart en particulier, qui sont interdits de meetings frontistes depuis maintenant quatre ans. Axel Loustau est absent de son propre procès, retenu, dit-il, par une séance au conseil régional d’Ile-de-France où se vote le budget. Mais son portrait se dessine à travers les débats.

Marine Le Pen avec Axel Loustau (à droite), en novembre 2013, à Paris. Dossier Figaro Magazine (mai 2014). © Julien Muguet / IP3 Press / MaxPPP

Pour comprendre les raisons qui nous ont conduits ici, il faut remonter au début de l’année 2015. À l’époque, deux confrères, Marine Turchi et Karl Laske, enquêtent depuis plusieurs mois sur le financement du Front national. Ils s’intéressent tout particulièrement à “Jeanne”, le microparti de sa présidente Marine Le Pen, dont Axel Loustau est trésorier depuis 2012 – ce qui lui a d’ailleurs valu d’être mis en examen pour “escroqueries” en mars 2015 dans l'affaire des financements de campagne du FN.

Le 30 janvier 2015, à l’issue de vaines tentatives de contact téléphonique, les deux journalistes se rendent dans le seizième arrondissement de Paris, au siège de diverses sociétés de Loustau (lire notre enquête ici), dans l’espoir de lui poser quelques questions. Ce dernier étant absent, ils laissent leur carte de visite et rebroussent chemin. Au moment où ils gagnent la bouche de métro la plus proche, ils sont pris à partie par plusieurs individus, parmi lesquels ils reconnaissent le fameux Axel Loustau.

La suite a été racontée à maintes reprises sur

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Mediapart (ici et là). Elle est de nouveau relatée aux juges ce vendredi par Marine Turchi, citée comme témoin par la défense. « Un membre du groupe, grand, avec le crâne rasé, était particulièrement excité. Il s’est adressé à moi. Il avait l’air de me connaître puisqu’il a dit mon nom et qu’il m’a tutoyée. Il hurlait : “Marine ! Je vais te tuer ! Je vais t’attendre en bas de chez toi ! Je vais te retrouver !” Il a ensuite essayé de me mettre un coup, je l’ai esquivé. Mon collègue Karl Laske m’a alors poussée à l’intérieur d’un bar pour me protéger. »

Cet homme, que nos deux confrères ne reconnaissent pas tout de suite, s’appelle Olivier Duguet. Lui aussi est un ancien du GUD. Lui aussi fut trésorier du microparti de Marine Le Pen, avant que Loustau ne lui succède à ce poste. Lui aussi fait partie de la “GUD connection”, ce groupe d’amis qui ne se sont jamais quittés depuis vingt ans. S’il identifie Marine Turchi ce jour-là, c’est sans doute parce qu’elle a révélé, un an plus tôt, sa condamnation pour une escroquerie à Pôle emploi. La scène qui se déroule dans le quartier huppé de la porte de Saint-Cloud est d’une rare violence. Pourtant, ce n’est pas elle qui vaut à Mediapart de se retrouver devant les juges de la XVIIe chambre.

Olivier Duguet (à gauche) et un autre membre de la “GUD connection”, Frédéric Chatillon. © Capture d'écran d'un documentaire de Canal Plus

Quelques jours après ces événements, alors qu’un signalement a été déposé par la journaliste, Edwy Plenel est invité sur le plateau du Grand Journal de Canal +. Au milieu de plusieurs autres sujets d’actualité, il évoque l’épisode. « La responsabilité d’un directeur de publication, dans un journal qui prend des risques, c’est d’être le bouclier de l’équipe qui travaille, explique-t-il un an plus tard à la barre. Mon rôle, c’est de les protéger, par ma parole, par mon exposition médiatique. »

L’extrait vidéo est diffusé dans la salle d’audience. Deux fois. On y voit Plenel faire état

des menaces qui ont été proférées. Il dit « ils » pour parler du groupe. Il cite le nom d’Axel Loustau. Il ajoute « avec un autre » pour évoquer Duguet. Or, c’est précisément pour cette raison qu’il est attaqué en diffamation : Loustau n’a pas lui-même prononcé les menaces. Lui « les a en effet silencieusement accompagnées, cautionnées, soutenues », écrit Karl Laske dans une attestation versée au dossier. « Il faut nous comprendre, on est harcelés à cause de vos articles… Et mon ami est un peu nerveux… », s’était justifié l’élu frontiste auprès des deux journalistes.

Une pression constante sur les journalistes

« Le but recherché, c’est de salir, par voie d’association, le Front national », s’agace l’avocat du conseiller régional FN, prenant soin d’omettre que Duguet fut lui aussi le trésorier du microparti de Marine Le Pen. Me Pichon insiste sur le classement sans suite de la plainte déposée en mars 2015 par Marine Turchi, preuve selon lui que les faits n’ont pas été établis. Le procureur rappellera un peu plus tard que pour être constituée, une menace de mort doit être soit réitérée, soit matérialisée par un écrit, une image ou tout autre objet.

Axel Loustau lors du “Jour de colère” à Paris, le 26 janvier 2014. © M.T. /Mediapart

Pendant près de deux heures, l’avocat de la défense et celui de la partie civile s’opposent plusieurs articles de loi.

Le premier soulève deux éléments de nullité, rejetés par le procureur et finalement joints au fond par les juges. Derrière les arguties juridiques, se dessine en creux la vision toute personnelle que l’extrême droite se fait de la liberté de la presse.

Attaquer, encore et toujours. Faire passer pour du « harcèlement » la base même du travail journalistique, qui consiste à aller interroger des personnes par respect du contradictoire. Les enregistrer à leur insu. Distiller sur les réseaux sociaux des allusions menaçantes. Exercer une pression constante sur les journalistes. « Depuis deux jours, alors que je travaille sur une autre enquête où il est notamment question de monsieur Loustau et de membres du GUD, j’ai reçu pas moins d’une quarantaine de textos de menaces,

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raconte Marine Turchi. J’ai déposé plainte à la BRDP [brigade de répression de la délinquance contre la personne]. »

Tout élu de la République qu’il soit, tenant à ce titre d’un devoir d’exemplarité, Axel Loustau n’a jamais démenti ni condamné les propos tenus par son ami Olivier Duguet le 30 janvier 2015. Il est même allé un peu plus loin quelques heures plus tard quand, interrogé par Karl Laske sur l’identité de l’agresseur, il a répondu : « Le jeune Maghrébin qui a fait le boulot s’appelle Hisham, il habite à Pigalle et ce jeune homme est adhérent au Front national. Vous voulez rencontrer Hisham, Karl ?? »

« “Faire le boulot” ! On comprend aisément ce que cela veut dire, s’exclame l’avocat de Mediapart. Monsieur Loustau est l’auteur moral des faits ! » Me Pichon essaie tant bien que mal d’expliquer que ce message répondait à une tout autre question, que le fameux Hisham est en réalité un agent de sécurité, que cela n’a rien à voir avec le contexte… La réponse est un peu courte. D’autant que l’avocat de Mediapart poursuit en dressant un portrait au vitriol de la partie civile.

Il dégaine une attestation signée par notre consœur du Monde, Caroline Monnot, qui raconte comment, en mai 2010, lors d’un défilé organisé par l’extrême droite radicale, elle et l’un de ses collègues, Abel Mestre, furent pris à partie par « une quinzaine de personnes ». « Monsieur Loustau, qui semble diriger la manœuvre, vient se coller à nous. Il est très nerveux, le visage marqué par un curieux tressaillement. “Vous n’avez rien à faire ici”, nous lance-t-il, avant de nous cracher dessus. »

Me Tordjman rappelle ensuite que le trésorier de Jeanne a déjà été « arrêté pour des violences envers les journalistes » lors de débordements survenus en marge des manifestations contre le mariage pour tous, en 2013. Il parle de ses attaques réitérées sur Twitter. De ce jour où il diffusa sur le réseau social des documents de justice sur lesquels figuraient des informations personnelles concernant Marine Turchi. De cette autre fois où il publia rien moins que la photo de la journaliste, assortie de son nom et d’un petit Smiley, deux jours avant le procès d’un autre membre de la “GUD connection” qu’elle devait couvrir. « Pourquoi faire cela si ce n’est pour dire “c’est elle” ? Quand vous la verrez, vous la reconnaîtrez et vous pourrez aller la voir », plaide le conseil de Mediapart.

Dénonçant « la version de la journaliste oie blanche », Me Pichon rappelle que son client a porté plainte après la parution d’un autre article de Marine Turchi, révélant une photo sur laquelle on voit Loustau faire un salut fasciste – sans toutefois préciser que cette mise en examen est automatique en matière de presse. Revenant sur l’affaire qui nous occupe, il ajoute qu’en tout état de cause, « on a le droit de dire que monsieur Loustau a un passé sulfureux, mais [pas celui] de dire qu’il a proféré des menaces de mort ».

Le passé de son client, l’avocat le connaît bien. Ancien chef du GUD, il a lui-même une vision assez nette des méthodes employées par ce groupe de militants d’extrême droite. Mais là n’est pas la question. « Peut-être qu’on veut noircir le tableau pour rendre antipathique M. Loustau, dit-il. Mais la question n’est pas son passé estudiantin, la question est de savoir s'il y a diffamation dans les propos de monsieur Plenel. On n’a pas le droit de dénaturer les faits. »

Un argument qui semble faire mouche auprès du procureur. « Mediapart est un média louable, important pour la démocratie, souligne celui-ci dans son réquisitoire. Mais il impute à monsieur Loustau des propos qu’il n’a pas tenus. En ce sens, il y a eu diffamation. » Les juges ont plus de deux mois pour en décider. L’affaire est mise en délibéré au 17 juin.

mediapart.fr

V) Debouts nuits et jours contre la loi travail

avec AFP - humanite.fr

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PhotoDominique Faget/AFP

Au moins 200 manifestations ont rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes ce samedi en France pour obtenir le retrait du projet de réforme du Code du travail. L'intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL et FIDL, a déjà prévu de nouvelles actions le 28 avril. Le mouvement citoyen Nuit Debout a essaimé samedi soir dans près de 60 villes.Après les rassemblements du 31 mars, les cortèges de samedi ont rassemblé près de 200 000 personnes pour le retrait du projet de loi El Khomri dans tout le pays (120 000 personnes selon le ministère de l'Intérieur) : 110 000 personnes ont défilé à Paris, 4 000 à Rennes dont beaucoup de jeunes, à Toulouse, ils étaient 12 000, 8000 à Grenoble (lire notre reportage) 8 000 à Lyon, 10 000 à Bordeaux, 45 000 à Marseille. Des heurts ont opposé des manifestants aux forces de l'ordre samedi à Nantes, à l'occasion d'une nouvelle mobilisation contre la loi travail qui rassemblait, dans une ambiance très tendue, 2 600 personnes selon la préfecture, 15 000 selon la CGT, et au cours de laquelle des journalistes ont été pris à partie. En marge des manifestations, de violents incidents ont éclaté lorsque des groupes de personnes aux visages masqués s'en sont pris aux forces de l'ordre à Rennes ou à Paris.

Pour la CGT, « cette nouvelle journée de mobilisation, la première un samedi, depuis le début de la bataille pour le retrait du projet de loi travail, se situe en pleine période de congés scolaires. Néanmoins, le nombre de manifestations recensées, plus de 200 montre que la détermination ne faiblit pas. Ce samedi 9 avril aura permis à des milliers de citoyens et de salariés n’ayant pu se mobiliser jusque-là, de s’inscrire dans le mouvement pour le retrait de la loi et pour un code du travail du 21ème siècle. Nul doute que la prochaine journée nationale d’action et de grève interprofessionnelle du 28 avril sera un nouveau temps fort. » "Je dis solennellement au gouvernement : commencez bien à réfléchir", a déclaré sur France Info le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly. "Nous nous inscrivons dans la durée." "Ce qu'a réveillé la loi, c'est le refus de la précarisation et du bizutage social", a déclaré le président de l'Unef, William Martinet.

Fabienne CHICHE coordinatrice 94 NGS, Liem Hoang Ngoc fondateur Nouvelle Gauche Socialiste et JLMélenchon candidat présidentielle Samedi

9 mai 2016 Place de la République Paris. Photo G. Diez

Le secrétaire national du Parti communiste français, Pierre Laurent, a mis en garde le gouvernement dans Le Parisien de samedi, l'exhortant à retirer son projet. "Avant qu'il ne soit trop tard pour lui, le gouvernement ferait bien d'écouter ce qui se dit dans les rues", a-t-il dit. La commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale a modifié le projet pour tenter d'amadouer l'opposition à la fois des syndicats et des petites et moyennes entreprises.Mais les opposants continuent à exiger le retrait du projet et le mouvement "Nuit debout" essaime au-delà de la place de la République à Paris, où il est installé depuis le 31 mars, dans de grandes villes de province. Après les consultations de mercredi entre les organisations de jeunesse et les ministres du Travail, de l'Education nationale et de la Jeunesse, le gouvernement prépare des propositions qui doivent être dévoilées lundi par Manuel Valls à l'occasion d'une nouvelle réunion, cette fois à Matignon.

D'ici à l'ouverture des débats le 3 mai à l'Assemblée nationale, une nouvelle mobilisation contre la réforme du code du travail est prévue le 28 avril.

Nuit debout dans près de 60 villes

"Quelque chose est en train de se lever", a lancé à Paris face à la foule l'économiste Frédéric Lordon Place de la République à Paris, où le mouvement est né le 31 mars. Après avoir manifesté dans la journée, Gérard, 62 ans, intéressé par "ces types

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LAPRESSEENREVUE.EU

VI) Oui, Alain Juppé a changé: il est pire qu’avant

de mouvements citoyens, qui se font en dehors des partis", a rejoint la cinquième "Nuit debout" à Nantes et ses quelque 300 participants, ses barnums, ses banderoles, ses prises de parole, ses commissions "Education", "Démocratie", "Sémantique /dictionnaire debout". A Reims, c'était une première. "Occuper la place de nuit, c'est aller contre le couvre-feu intellectuel. C'est aussi le seul temps restant dans nos vie modernes pour parler des problèmes de notre société. Et rester debout, c'est ne pas demeurer assis, courbé, prostré", fait observer Antoine Farcette, 23 ans, étudiant en droit. A Tulle, en Corrèze, une centaine de personnes se sont rassemblées à l'endroit même du premier discours de François Hollande en tant que président de la République. "J'étais là le 6 mai 2012, ce n'est pas pour la politique qu'il mène qu'on a élu François Hollande", explique Stéphanie, une quadragénaire venue participer aux débats. A Toulouse, les "Nuit Debout" se sont retrouvées sur la place du Capitole, tandis qu'à Marseille, le mot d'ordre était de ne pas rentrer chez soi et de "faire tourner le micro" au sein de ce mouvement qui s'assume sans leader. En fin de soirée à Paris, plusieurs centaines de personnes ont décidé d'aller "prendre l'apéro chez Valls", convergeant vers le domicile parisien du Premier ministre, actuellement en visite officielle en Algérie, avant d'être bloquées par les forces de l'ordre qui ont utilisé des gaz lacrymogènes.

Thomas Guénolé France

Alain Juppé à la mairie de Bordeaux, en 1996 | DERRICK CEYRAC/

Favori de la primaire de droite, Alain Juppé séduirait jusqu’à l’électorat de gauche. Un contresens, puisque ses propositions montrent qu’il s’est radicalisé depuis son passage à Matignon il y a vingt ans.

Une part substantielle de l’électorat de gauche envisage de participer à la primaire de droite prévue cet automne afin de voter pour Alain Juppé, et certains sympathisants de gauche semblent même envisager de voter pour lui lors de l’élection présidentielle de 2017. Venant d’électeurs de gauche, même modérés, même sociaux-libéraux, c’est d’autant plus surprenant que l’Alain Juppé de 2016 a empiré par rapport à celui de 1995. Voici pourquoi.

1.Il cherche à minimiser son passé clientéliste et népotiste

De 1983 à 1995, alors qu’il était à la fois secrétaire général du RPR (l’ancêtre du parti Les Républicains) et maire adjoint de Paris en charge des finances, il a pris une part active à un système illégal visant à financer des emplois au RPR avec l’argent de la mairie et avec l’argent d’entreprises désireuses de passer des contrats de marchés publics avec la Ville. Il s’agissait donc d’un mécanisme de corruption, de clientélisme et de détournement d’argent public.

«Alain-Juppé-a-payé-pour-Chirac»: c’est un refrain bien connu. L’intéressé cherche lui-même à accréditer cette légende de l’exécutant désintéressé. Pour ce faire, il répète à l’envi que dans son jugement de 2004, la cour d’appel de Versailles souligne qu’il «n’a tiré aucun enrichissement personnel de ces infractions».

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C’est vrai, mais c’est avoir la mémoire sélective à double titre: et c’est là qu’intervient le mensonge.

D’une part, Alain Juppé fait semblant d’oublier que les juges ne se sont pas contentés de souligner son absence d’enrichissement personnel. Il escamote opportunément cet autre passage de l’arrêt de la cour d’appel qui insiste sur sa duplicité, son immoralité politique et son obstination à mentir répétitivement à la justice:

«Il est regrettable qu’au moment où le législateur prenait conscience de la nécessité de mettre fin à des pratiques délictueuses qui existaient à l’occasion du financement des partis politiques, M. Juppé n’ait pas appliqué à son propre parti les règles qu’il avait votées au Parlement. Il est également regrettable que M. Juppé, dont les qualités intellectuelles sont unanimement reconnues, n’ait pas cru devoir assumer devant la justice l’ensemble de ses responsabilités pénales et ait maintenu la négation de faits avérés.»

D’autre part, cette légende du fidèle exécutant désintéressé est, au sens strict, un mensonge. Elle serait véridique si Alain Juppé n’avait pas profité lui-même du «système Chirac» de clientélisme et de détournement de ressources publiques à l’époque en vigueur à la mairie de Paris. Or, c’est faux: il en a personnellement profité, de même que sa famille. En 1993, alors qu’il était maire adjoint en charge des finances, il a donné l’ordre à ses services de diminuer le loyer de son propre fils, Laurent, qui était logé dans un appartement propriété de la Ville de Paris. Cela s’appelle du népotisme.

Plus grave: lui-même locataire d’un appartement propriété de la Ville de Paris, il payait un loyer de seulement 12.000 francs (2.100 euros) pour une surface de 189 mètres carrés. C’est d’ailleurs à cette époque que, interviewé sur cette affaire par Patrick Poivre d’Arvor, il se dit victime d’une entreprise de déstabilisation et assène: «Je reste droit dans mes bottes». Une procédure avait été ouverte et n’avait débouché sur aucune poursuite; en revanche, Alain Juppé comme son fils avaient dû quitter les appartements concernés.

Tout cela remonte à plus de vingt ans. Il est donc sans doute temps de tirer un trait sur le passé d’Alain Juppé en termes d’affaires. En revanche, en cherchant de nos jours à minimiser ce qu’il a fait et à faire oublier qu’il avait lui-même profité matériellement du «système Chirac» à la mairie de Paris, le personnage politique a empiré par

rapport à 1995.

2.Il s’est radicalisé sur l’économie

L’âge avancé a un avantage en campagne électorale: il permet de jouer favorablement sur l’allure générale d’un grand-père affectueux et plein de sagesse. En l’occurrence, c’est donc l’opposé de l’image sèche, cassante, autoritaire et sans empathie qui prévalait d’Alain Juppé lorsqu’il était Premier ministre de Jacques Chirac.

Or, cette image d’un Alain Juppé cuvée 2016 bienveillant, modéré, est fausse à double titre.

Alain Juppé, alors Premier ministre, à Québec le 11 juin 1996 | ADNDRE PICHETTE/AFP

D’une part, il conserve les mêmes priorités de réforme que du temps de 1995. Par exemple, lorsque le 2 octobre 2014, il fut l’invité de l’émission Des paroles et des actes, prié d’indiquer quelle serait la réforme prioritaire s’il devenait chef de l’Etat, il répondit qu’il s’agirait de celle de l’assurance-maladie. Or, c’était déjà son point de vue il y a vingt ans. C’est d’ailleurs pour cette raison que le célèbre «Plan Juppé» de 1995 concernait principalement l’assurance-maladie. Il prévoyait des sanctions pour les médecins dépassant les objectifs de dépenses d’assurance maladie, la hausse des tarifs d’accès à l’hôpital, la hausse des cotisations maladie pour les retraités et les chômeurs ainsi que la baisse des remboursements de médicaments.

Pour rappel, ce «Plan Juppé», qui incluait en outre la fiscalisation des allocations familiales et l’allongement de la durée de cotisation de retraites pour les fonctionnaires, provoqua le plus grand mouvement de grèves de France depuis Mai-68. Certains défilés attinrent plus de 2 millions de participants. Les grèves mobilisèrent surtout le secteur public mais en fait, elles touchèrent même une partie du secteur privé.

D’autre part, non seulement Alain Juppé a

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conservé ses priorités politiques mais en fait, il s’est même radicalisé. Deux indices clairs en attestent.

Premier indice, qualitatif: parmi les rares sources d’idées dont il se réclame publiquement se trouve le livre La France est prête: nous avons déjà changé de l’essayiste Robin Rivaton. Or, la thèse centrale de ce livre est la suivante: la population française serait collectivement demandeuse d’une transformation radicale du pays dans le sens du libéralisme économique. Dans cette nouvelle société, l’Etat serait massivement moins présent.

Chacun aurait à compter davantage sur lui-même pour s’en sortir. Les solidarités seraient locales et surtout privées, plutôt que relevant de la protection sociale obligatoire.

La fiscalité favoriserait davantage les plus riches, pour qu’ils ne s’exilent pas et parce que les Français accepteraient mieux les très grands écarts de revenus.

Du reste, Robin Rivaton a en commun avec Alain Juppé de considérer, dans la lignée de Margareth Thatcher, qu’«il n’y a pas d’alternative» au système actuel de la mondialisation inéquitable. Il est donc allé jusqu’à forger dans ce livre un néologisme qui est un argument d’autorité: le «lib-réalisme».

Ainsi, l’affaire est entendue: soit vous approuvez les thèses du libéralisme économique et la mondialisation inéquitable, soit vous manquez de sens du réalisme. Cette façon de voir les choses est glaçante si l’on se souvient, par exemple, que ce système fonde la production de la plupart de nos vêtements bon marché sur l’esclavage et le travail des enfants (par exemple au Bangladesh).

Second indice, quantitatif celui-là: Alain Juppé a annoncé que s’il est élu président de la République, la masse de nos dépenses publiques annuelles sera amputée de 150 milliards d’euros durant son quinquennat.

Or, ces dépenses s’élèvent, si l’on prend les chiffres de l’année 2014, à 1.185 milliards d’euros toutes administrations confondues. En d’autres termes, Alain Juppé prévoit d’amputer nos dépenses publiques de 12%.

Bref, que ce soit sur la radicalité des thèses auxquelles il adhère ou sur l’ampleur de la politique d’austérité budgétaire qu’il prépare, le personnage politique a empiré par rapport à 1995.

3.Il s’est converti aux thèses sécuritaires

Sans doute le succès d’image d’Alain Juppé chez une partie de l’électorat de gauche s’explique-t-il par l’ombre portée de Nicolas Sarkozy. L’ancien Premier ministre devrait cette popularité au simple fait d’être le principal concurrent à droite d’un ex-chef de l’Etat bien plus exécrable pour le «peuple de gauche». Plus largement, une partie de cet électorat imputerait donc par défaut à Alain Juppé diverses qualités contraires à ce qu’il déteste chez Nicolas Sarkozy.

Pourtant, cette croyance en un Alain Juppé modéré par contraste avec un Nicolas Sarkozy lepénisé est infondée. Si l’on s’intéresse au livre Pour un Etat fort qu’il a récemment publié, l’on y constate en effet sa conversion explicite à plusieurs propositions-clés de la droite sécuritaire.

En matière pénale, comme Nicolas Sarkozy, Alain Juppé veut rétablir les «peines plancher», qui font interdiction aux juges de prononcer des peines plus légères qu’elles. Il compte supprimer le système des réductions automatiques de peines. Il veut également supprimer les peines de substitution –par exemple le bracelet électronique– pour toute peine supérieure à un an de prison, et à six mois si le condamné est un récidiviste. Le reste est à l’avenant.

Par ailleurs, en matière d’immigration, Alain Juppé veut durcir encore les conditions du regroupement familial. Il veut interdire l’acquisition de la nationalité française aux étrangers nés en France mais dont les deux parents étaient à leur naissance des immigrés illégaux. En outre, alors qu’elle exclut déjà, entre autres, les examens médicaux pour les femmes enceintes, il compte restreindre encore le contenu de l’aide médicale de l’Etat aux immigrés illégaux.

A moins de faire l’effort de se souvenir des lois sécuritaires adoptées par le gouvernement de l’homme de 1995, l’on ne lui connaissait pas de telles positions avant la parution de ce livre. Là aussi, donc, le personnage politique s’est radicalisé.

4.Ne faire qu’un mandat l’encouragerait à la radicalité

Afin de limiter l’impact négatif de son âge avancé sur ses chances de victoire, Alain Juppé a pris

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l’engagement de ne faire qu’un seul mandat s’il accède à la présidence de la République. C’est une promesse très bien accueillie dans l’opinion publique. Beaucoup y voient la garantie que l’élu fera toutes les réformes promises, sans chercher à trahir ses promesses ou à mettre de l’eau dans son vin en vue d’une réélection.

Au regard de sa radicalisation en matière de politique économique et d’austérité budgétaire, il faut cependant avoir à l’esprit la contrepartie logique de cet argument. Il signifie en effet que, ne cherchant pas du tout à être réélu, Alain Juppé irait jusqu’au bout de son programme radical de conversion de la France au libéralisme économique. Circonstance aggravante, les institutions de la Vème République étant ce qu’elles sont, rien ou presque ne pourrait l’en empêcher, et ce, pour cinq années entières.

CQFD. Au vu de l’ensemble de ces éléments, il est tout à fait étonnant, et pour tout dire consternant, qu’une part substantielle de l’électorat de gauche –même modéré ou social-libéral– puisse envisager sérieusement de donner son vote à Alain Juppé.

Thomas Guénolé

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Bonjour lapresseenrevue,

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