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Village et urbanisation: Problèmes sociologiquesAuthor(s): Placide RambaudSource: Études rurales, No. 49/50, L'urbanisation des Campagnes (Jan. - Jun., 1973), pp. 14-32Published by: EHESSStable URL: http://www.jstor.org/stable/20120401 .
Accessed: 25/06/2014 00:47
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PLACIDE RAMBAUD
Village et urbanisation
Probl?mes sociologiques
Urbaniser les campagnes1. Ces termes sont tant?t une formule utopique, tant?t un moyen propos?
aux ruraux pour rattraper leur retard sur l'?volu
tion des villes, tant?t une volont? de prot?ger les villes contre certains de
leurs dangers internes en appelant les agriculteurs ? travailler ? la sauve
garde de F ee environnement naturel ?. Mais le vocable est toujours pour ainsi dire urbano-centr?. Il connote une d?pendance des villages par rapport ? la ville et il fixe l'urbain comme sens de leurs transformations. Serait-ce
la fin de l'opposition de leurs int?r?ts par laquelle K. Marx et F. Engels
expliquaient, en 1846, la s?paration de la ville et de la campagne et en elle ee la plus grande division du travail mat?riel et intellectuel ?2 ? Sans doute
depuis cette ?poque, les situations ont-elles quelque peu chang?, entra?nant des modifications dans les m?thodes d'analyse elles-m?mes. En effet, la
probl?matique de l'urbanisation des villages traduit la troisi?me ?tape ? laejuelle semble ?tre parvenue la pens?e sociologique. La ville a d'abord
?t? con?ue comme le terme d'une ?volution continue vers lequel s'orientait
la soci?t? rurale ou comme un type id?al oppos? ? elle. Elle est ensuite
devenue une unit? spatiale et sociale sp?cificrue que l'on a d?finie par elle-m?me sans la rapporter ? la soci?t? rurale. Enfin, la ville, ayant fait
l'objet d'?tudes nombreuses et solides, constitue maintenant la r?f?rence
qui sert ? penser la soci?t? rurale et son avenir. C'est pourquoi, il convient
en premier lieu de pr?ciser les sens du terme ee urbanisation ? qui traduit une action de la ville sur le village. Il appara?tra alors comment des repr? sentations id?ologiques risquent de mal orienter analyses et pratiques. Cette double critique une fois ?tablie, il sera possible de proposer une
m?thode pour appr?hender les processus d'urbanisation avant de dresser
le sch?ma de leurs diversit?s en un essai de typologie.
1. Au terme ? campagne ? il convient de substituer, pour la d?marche sociologique, celui de ? village ? qui signifie l'organisation sociale d'o? proc?de l'am?nagement du milieu naturel pour constituer la campagne.
2. K. Marx et F. Engels, ? L'id?ologie allemande ?, in uvres philosophiques, trad, fran?aise, Paris, A. Costes, 1953, t. VI, p. 201.
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VILLAGE ET URBANISATION 15
Difficult?s d'une d?finition
Les risques ?pist?mologiques sont nombreux si l'on prend globalement la ville comme agent de l'urbanisation et le village comme son objet. Le
premier provient de la difficult? ? caract?riser sociologiquement la ville ou l'urbain1. Le second consiste en une trop facile r?duction de la disconti nuit? existant entre village et ville, surtout quand la dichotomie rural
urbain est confondue avec l'antith?se soci?t? traditionnelle-soci?t? moderne ou avec l'opposition activit? agricole-activit? industrielle. Dans ce sch?ma
?volutionniste, le village est marqu? par son retard par rapport ? la ville et cela notamment ? cause du travail agraire. L'urbain est, en revanche,
pos? comme synonyme de modernit?, gr?ce surtout ? l'industrie. Il est
pens?, implicitement tout au moins, comme l'aboutissement de l'histoire. L'urbain signifie alors l'abolition de toute distance, envers de la concentra
tion2. Ou encore ce l'essence de la ville est le choix. Le v?ritable citoyen est
celui qui peut choisir et le fait ?3. Une telle th?orie dilue la diff?rence qui distingue la ville et le village comme unit?s spatiales ; elle confond trop ais?ment industriel, urbain et moderne ; elle ne donne pas de contenu
social r?el au village et ? la ville, ni ? leurs rapports r?ciproques. Li?e aux changements des situations, la notion d'urbanisation a ?t?
progressivement construite, d'abord selon des sens distincts, qui sont ensuite devenus cumul?s et compl?mentaires ; d'abord attribu?e seulement ? la ville, elle a ensuite ?t? appliqu?e ? la mutation des villages. Elle
signifie en
premier lieu une concentration de peuplement dans un espace,
au-del? d'une certaine densit?. La dimension et la densit? ? partir desquelles une unit? spatiale peut ?tre dite urbaine sont difficiles ? d?limiter et
variables. Elles impliquent toujours, et ceci est
important, une concentra
tion des techniques, des moyens de production, des pouvoirs, des besoins.
D?s lors, l'urbanisation commence quand il y a un
regroupement aux points
de responsabilit? d'une activit?.
C'est pourquoi l'urbanisation est aussi la diffusion d'un syst?me d'attitudes et de conduites, n? dans un groupe sp?cifique, la soci?t? urbaine. En effet, la ville n'est pas seulement une unit? spatiale, elle est aussi
productrice d'une culture avec ses relations sociales, ses normes, ses
valeurs propres, avec un mode d'organisation et d'?volution particulier. L. Wirth4, tenant compte des acquis de F. T?nnies et de G. Simmel5
1. Cf. par exemple E. E. Bergel, Urban Sociology, New York-Toronto-London, McGraw-Hill, 1955, pp. 3-14 ; P. K. Hatt & J. A. Reiss, eds., Cities and Society. The Revised Reader in Urban
Sociology, New York, The Free Press of Glencoe, 2? ?d., 1957, pp. 17-21. 2. H. Lefebvre, La r?volution urbaine, Paris, Gallimard, 1970, pp. 155-161. 3. R. E. Pahl, ? The Rural-Urban Continuum ?, Sociolog?a ruralis, 1966, VI (3-4), p. 11. 4. L. Wirth, ? Urbanism as a Way of Life ?, American Journal of Sociology, 1938, XLIV (1),
pp. 1-24. 5. G. Simmel, ? Die Grossst?dte und das Geistesleben ?, Jahrb?cher der Gehestiftung, 1903, 9,
pp. 187-205 ; traduction partielle in F. Choay, Uurbanisme, utopies et r?alit?s. Une anthologie, Paris, ?d. du Seuil, 1965, pp. 409-421.
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notamment, a cherch? ? caract?riser la ville comme unit? ?cologique originale cr?ant une culture urbaine sp?cifique. Volume du peuplement, densit? et h?t?rog?n?it? sociale, au fur et ? mesure qu'ils grandissent,
d?veloppent la division du travail, rar?fient la communication directe, mettent chacun dans l'obligation de d?fendre ses int?r?ts par la m?diation de repr?sentants, juxtaposent des milieux diff?rents. En ville, les relations
sociales, surtout tiss?es par la concurrence, sont utilitaires et ont pour
corollaire la superficialit?, l'anonymat, l'anomie. L'h?t?rog?n?it? sociale
y facilite la mobilit? professionnelle. Les associations volontaires fond?es sur l'identit? des int?r?ts pr?dominent sur les similitudes exprimant la
p?rennit? d'un statut. La nature impersonnelle
et fonctionnelle des rapports
sociaux a pour symbole l'?conomie mon?taire et pour effet l'accroissement
de la libert? individuelle. Sans doute, nous le verrons, la cr?ation de ces
aspects culturels ne doit-elle pas ?tre attribu?e uniquement ? la ville comme
entit?. Mais elle permet d'expliquer certaines formes prises par l'urbanisa tion des villages qui ne s'identifient ni ? une simple modernisation ni
? l'acc?l?ration d'une ?volution quasi naturelle.
Affirmer la sp?cificit? de l'unit? spatiale qu'est la ville avec ses crit?res
g?ographiques ou d?mographiques mesurables interdit de penser l'urbani sation comme une diffusion de la ville ? travers tout le territoire et de la r?duire ? un processus ?conomique
comme l'industrialisation, et oblige
? poser la sp?cificit? de l'unit? spatiale qu'est le village. Cependant, R. Dewey1 a remarqu? qu'il peut y avoir une expansion de la culture urbaine
hors de la ville sans que pour autant elle d?truise la dualit? des forme ?colo
giques constitu?es par le village et la ville. Il y a bien variation concomitante entre le changement des relations sociales ou des expressions culturelles
et la transformation des unit?s ?cologiques, sans qu'il soit possible de dire crue l'une est le produit direct de l'autre2. Maintenir l'originalit? des unit?s
spatiales et affirmer la tendance ? l'identit? culturelle pour comprendre l'urbanisation oblige ? chercher l'explication de ses processus au-del? de cette double r?alit?.
En effet, le clivage ville-village n'est pas premier ; ce sont des groupes sociaux qui l? urbanisent, ici sont urbanis?s, et produisent des formes
spatiales sp?cificpies et des cultures particuli?res. Entre les deux, le d?calage
temporel et la diff?rence ne se r?duisent pas ? un retard dans une ?volution
lin?aire. L'urbanisation de la ville, A. Pizzorno l'a d?montr? historique ment3, est essentiellement un processus de diff?renciation entre groupes sociaux. Elle n'est pas le changement d'un petit groupe en un grand, mais
la formation de groupes avec de nouveaux rapports entre eux et des modes
de vie particuliers4. Il en est ainsi pour le village ; son urbanisation ne p?n?tre
1. R. Dewey, ? The Rural-Urban Continuum : Real but relatively Unimportant ?, American
Journal of Sociology, I960, LXVI (1), pp. 60-67. 2. P. Rambaud et M. Vincienne, Les transformations d'une soci?t? rurale. La Maurienne
(1561-1962), Paris, A. Colin, 1964, pp. 187-248. 3. A. Pizzorno, D?veloppement ?conomique et urbanisation, Actes du 5e Congr?s mondial de
Sociologie, Washington 1962, Louvain, Association internationale de sociologie, 1962, II, pp. 91-123. 4. Cf. aussi H. J. Gans, ? Urbanism and Suburbanism as Ways of Life : a R??valuation of
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pas identiquement dans tous les groupes et elle cr?e, notamment ? travers
la division du travail, de nouveaux groupes professionnels. Elle introduit ainsi certains aspects propres au
d?veloppement ?conomique, sans
que l'on
puisse toutefois confondre unit? spatiale et d?veloppement. Du d?veloppement et de l'urbanisation, la diminution du nombre de
travailleurs de la terre au profit de la population citadine ou rurale est un
indice, hauss? parfois au rang d'une condition. Bergel, par exemple, propose d'appeler ville toute localit? o? la majorit? des habitants s'adonnent ? des activit?s autres qu'agricoles1. Il y a l? un effet des transformations des
r?gions rurales en r?gions urbaines et le degr? d'urbanisation est mesur?
par le rapport num?rique entre habitants des villes et population agricole. Ce rapport est ?videmment significatif, mais, pour ?tre compris, il ne peut ?tre isol? de l'ensemble des facteurs et des ph?nom?nes ?voqu?s pr?c? demment. La diminution du nombre d'agriculteurs peut indiquer le d?p? rissement d'une soci?t? plus que son urbanisation ; un taux ?lev? de travail
leurs de la terre n'est pas n?cessairement un handicap pour la diffusion du ph?nom?ne urbain.
Enfin, la notion d'urbanisation recouvre l'ensemble des processus par
lesquels un milieu rural se rapproche de la parit? sociale et ?conomique avec les villes voisines, tant dans le revenu par travailleur que dans la mobilit?
professionnelle, dans les chances de culture que dans la gestion des affaires. Le moyen g?n?ralement affirm? para?t ?tre l'ce int?gration ? de l'agriculture et de la soci?t? rurale ? l'?conomie et ? la soci?t? globales. Prises globa lement, les ?conomies riches montrent une corr?lation positive entre le
d?veloppement ?conomique mesur? ? travers le revenu par habitant et le degr? d'urbanisation, lui-m?me en ?troite d?pendance de la croissance
technique et de la diversit? industrielle. Et l'on peut parler tant?t du
parasitisme ou de la colonisation des villes par rapport aux campagnes environnantes, tant?t de leur insularit? st?rilisante, ou encore de villes urbanisantes associant les villages dans une croissance g?n?ralis?e, selon
la pertinente typologie ?tablie par E. Juillard2. Mais comment expliquer l'inf?riorit? du niveau de vie des agriculteurs par rapport ? celui des citadins sans faire r?f?rence aux
conceptions que des groupes urbains ?laborent
de leur profession, de leur culture ou de leur r?le dans la soci?t? ? Mis en
accusation pour le freinage qu'ils sont cens?s opposer au d?veloppement, les travailleurs de la terre
?prouvent ces diff?rences comme une frustration
ou m?me une injustice. Et les agriculteurs fran?ais, par exemple, expriment
ainsi leur revendication : ce La parit? n'est pas un privil?ge, c'est la r?ali sation de la justice sociale. ? C'est que prise en sa globalit?, la ville, et son
prolongement l'urbanisation, cache la diff?renciation et l'in?galit? des
groupes sociaux qui la constituent ; elle masque aussi la strat?gie de leur
Definitions ?, in A. M. Rose, ed., Human Behavior and Social Processes, London, Routledge & Kegan Paul, 1962, pp. 625-648.
1. Cf. E. E. Bergel, op. cit., p. 8. 2. E. Juillard, ? L'urbanisation des campagnes en Europe occidentale ?, ?tudes rurales,
1961, 1, pp. 18-33.
2
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action sur le village. Dans la ville renti?re du sol, ce ne sont pas les citadins
qui ach?tent les terres, mais la bourgeoisie urbaine et le poids ?conomique de sa propri?t? n'a pas de commune mesure avec celui que les agriculteurs
?migr?s tiennent de leurs parcelles conserv?es. L'urbanisation du village, de certains groupes dans le village, n'est pas le produit de la ville comme
unit? morphologique, mais de tels ou tels groupes urbains, dont il s'agit
d'analyser les buts, les moyens et les rapports qu'ils instaurent avec les
villageois. De m?me la parit? souhait?e est entre certains groupes ruraux
et certains groupes citadins.
En d?finitive, l'urbanisation est un processus de diff?renciation
d'une soci?t?, dont l'opposition apparente ville-village n'est qu'un effet
second. En Occident, les rapports entre groupes sociaux ainsi constitu?s sont g?n?ralement dissym?triques et le d?veloppement du village est
toujours sous quelque aspect sa mise en d?pendance de la ville. Diff?ren
ciation, d?veloppement, d?pendance sont des termes indissociables de celui
d'urbanisation. Ce dernier renvoie ? des types d'espace et d'organisation sociale cr??s par une soci?t? selon les injonctions de son syst?me ?cono
mique, les pr?rogatives accord?es par son pouvoir politique, les implications de son
syst?me culturel ou ses volont?s concernant l'urbanisme. Dans cha
cun de ces ?l?ments ou dans leur combinaison peuvent s'infiltrer des repr? sentations plus
ou moins exactes de l'ensemble. Elles contribuent alors
parfois ? fausser les analyses et les pratiques. Il est important de les d?celer
pour mieux saisir comment agissent les processus d'urbanisation.
Repr?sentations pr?-scientifiques de l'urbanisation
Des repr?sentations collectives, des ce images belliqueuses ?\ produites intentionnellement ou utilis?es inconsciemment par des groupes sociaux
pour servir leurs objectifs font partie int?grante des processus d'urbani
sation m?me si elles en orientent ind?ment l'?tude ou les r?alisations.
Selon leur contenu, elles peuvent ?tre class?es en trois groupes : les unes
s'organisent autour d'une conception illusoire de l'espace ; d'autres survalo
risent ou d?valorisent la ville ou le village et introduisent entre eux une
m?fiance r?ciproque ; les autres enfin isolent un facteur du processus d'urba
nisation pour le rendre ? lui seul explicatif. Nous nous attachons seulement
ici ? sugg?rer les ?tudes qu'il serait souhaitable d'entreprendre pour mieux
conna?tre la production de ces images et leur efficience sur les rapports
ville-village.
Spontan?ment, l'espace est encore le plus
souvent pens?
comme un
contenant par rapport ? ses contenus. F. Perroux a montr? le caract?re
illusoire d'une telle conception alors que l'espace est plus correctement
d?fini par un
champ de relations, ?conomiques ou autres2. L'am?nagement
1. J. Jung, L'am?nagement de l'espace rural : une illusion ?conomique, Paris, Calmann-L?vy, 1971, p. 65.
2. F. Perroux, L'?conomie du XXe si?cle, Paris, PUF, 3e ?d., 1969, pp. 178-190.
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VILLAGE ET URBANISATION 19
de l'espace rural n'est-il pas souvent d?termin? par une telle pr?supposition
conceptuelle ? Il en est de m?me pour cette autre position qui consid?re
l'espace comme le lieu de la production des choses ou de rapports sociaux et non pas aussi comme un
produit de ces rapports sociaux eux-m?mes,
valeur constitu?e par la soci?t? pour traduire ses finalit?s et d?s lors cat?
gorie n?cessaire de toute analyse ?conomique
ou sociologique.
La ville et le village font ?galement tour ? tour l'objet d'une survalori
sation ou d'une d?valorisation sociale qui ne sont pas une
simple opinion, mais une pratique ?conomique et politique, latente, souvent voulue ? des
fins pr?cises. Le village est parfois pens? comme l'anti-soci?t? industrielle.
On lui attribue une capacit? de maintenir les traditions, de favoriser les
relations personnelles d'interconnaissance. On lui reconna?t ais?ment une
taille ce humaine ? qui facilite la gestion des affaires ou le contr?le de la per sonnalit? de chacun. Les p?riodes de crise favorisent de telles appr?ciations.
Malgr? les critiques qui lui sont adress?es, la ville est g?n?ralement iden
tifi?e ? la modernit?, au terme de l'?volution vers lequel tend la soci?t?.
Aux ?tats-Unis, la m?fiance ? l'?gard de la ville est entretenue par des
associations religieuses, des groupes politiques ou financiers qui, par l?, d?fendent un type de moralit? ou des int?r?ts ?conomiques. La m?fiance
agricole ? l'?gard de la ville provient d'une division du travail fortement
in?galitaire. La d?fiance des urbains ? l'?gard des villageois ou des agri culteurs peut symboliquement ?tre r?sum?e dans le terme de ce paysans ?
qui sert ? les qualifier. A travers ce vocable qui n'est pas encore devenu un
concept scientifique, th?oriciens ou praticiens interpr?tent souvent des
diff?rences comme des retards d'?volution et jugent des originalit?s comme un frein au d?veloppement. Analyses de presse, projets politiques, choix
?conomiques, ?crits romanesques r?v?leraient abondamment ces repr?sen
tations collectives qui orientent les formes d'urbanisation. Il serait int? ressant de conna?tre les groupes sociaux producteurs de telles images
et
leurs objectifs. Deux exemples suffiront ? en montrer l'importance. En
France, l'institution scolaire pr?sente aux enfants, dans ses manuels de
lecture, un mod?le encore ? peu pr?s exclusivement rural de soci?t?, les m?tiers y sont
rustiques et le travail industriel presque absent et source
de mis?re1. En URSS, la d?fiance ? l'?gard de la paysannerie et du village ont pendant longtemps marqu? la politique ?conomique2.
Plus subtiles, parce que porteuses d'une part d'exactitude, d'autres
repr?sentations identifient le processus d'urbanisation ? l'un de ses facteurs
apr?s avoir r?duit l'urbain ? l'un de ses ?l?ments, une fonction pr?domi nante le plus souvent. Elles assimilent g?n?ralement la corr?lation entre
deux variables ? un rapport causal. Le cas le plus significatif est celui qui confond urbanisation et industrialisation. Sans doute l'industrie peut-elle induire des processus d'urbanisation ; elle provoque alors dans les villages
1. Cf. S. Mollo, ? Participation de l'?cole ? la formation culturelle de l'enfant ?, in P.-H. Chom BART de Lauwe et al., Images de la culture, Paris, Les ?ditions ouvri?res, 1966, pp. 51-64.
2. Cf. B. Kerblay, ? Le pouvoir sovi?tique et la paysannerie ?, Sociolog?a ruralis, 1972, XII (2), pp. 167-180.
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une croissance technologique, la migration professionnelle des agriculteurs,
l'apparition de nouveaux march?s. Mais cette concentration de travail ne
transforme pas n?cessairement le village
en une ville structur?e spatia
lement et socialement. De m?me, souvent la diffusion culturelle, ?conomique ou politique du ph?nom?ne urbain est ind?pendante de l'industrialisation.
Dans la France contemporaine, urbanisation et implantation rurale
d'industries demeurent relativement distinctes. En 1966, 20 % des ?tablis
sements comptant plus de dix salari?s sont install?s dans des communes
rurales (moins de 2 000 habitants agglom?r?s) et occupent 15 % des
salari?s. Leur taille et le nombre moyen de leurs emplois sont semblables
? ceux des villes de plus de 20 000 habitants (cf. Tableau).
Rapport entre urbanisation et implantation rurale
d'industries, en France
Nombre de salari?s (en %)
?tablissements moyenne par
de 10 ? 49 de 50 ? 199 + de 200 entreprise
Communes rurales 77 19 4 51
Villes de + de 20 000 hab. 74 20 6 (70)
Les cas sont nombreux o? l'implantation d'une industrie, m?me impor
tante, ne parvient pas ? elle seule ? promouvoir un d?veloppement ?cono
mique, culturel et politique, indicateur d'une v?ritable urbanisation. Celui
de Gela en Sicile, analys? par E. Hytten et M. Marchioni, a valeur
d'exemple1. Si isoler le fait industriel pour d?finir l'urbanisation est un proc?d?
courant, bien d'autres existent qui sont charg?s d'id?ologies parfois contraires. Citons une certaine conception des
agriculteurs comme
gardiens
de la nature dans la mesure o? cette fonction n'est pas int?gr?e ? une
politique ?conomique ; de m?me la sauvegarde de l'environnement, pens?e de mani?re ethnocentrique par des groupes d'affaires, ou comme
simple
prolongement de besoins urbains ? satisfaire ; ou encore certaines formes
de d?centralisation ?conomique ou politique. C'est pourquoi, les processus d'urbanisation doivent ?tre analys?s comme la cr?ation par une soci?t?
des espaces dont elle a besoin, ? travers les rapports in?galitaires entre
des groupes sociaux villageois et urbains. L'urbanisation du village est
corr?lative ? une urbanisation de la ville.
1. E. Hytten & M. Marchioni, Industrializzazione senza sviluppo. Gela : una storia m?ridionale, Milano, Franco Angeli, 1970, 147 p.
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VILLAGE ET URBANISATION 21
L'urbanisation cr?e des espaces socialement diff?renci?s
Dans sa complexit?, la notion d'urbanisation suppose des unit?s
spatiales, la ville et le village, solidement diff?renci?es dans leur organi sation sociale. Elle recouvre l'ensemble des rapports de compl?mentarit? ou de conflit, toujours in?galitaires, qu'entretiennent entre eux leurs divers
groupes sociaux au travers de leurs syst?mes ?conomique, culturel, politique et
urbanistique. Dans cet enjeu, l'espace,
ses caract?res plastiques,
son
utilisation, sa signification, est un des ?l?ments importants. En lui se
traduisent les mutations d'une soci?t?.
L'urbanisation, processus de d?veloppement ?conomique
La ville et le village repr?sentent deux types de rapports entre une
soci?t? et son espace, deux mani?res de ma?triser celui-ci techniquement et de l'organiser ?conomiquement. Ce sont deux formes spatiales des
groupes avec des relations obligatoires entre elles. Processus de d?velop pement ?conomique, l'urbanisation modifie la production, les ?changes et la consommation du village ; d?s lors elle instaure une interd?pendance croissante entre fonctions, groupes villageois
et citadins ; il s'ensuit une
transformation des structures sociales.
Saisie au niveau de la structure de production, l'urbanisation du village se r?alise en Occident sous trois formes distinctes. Elle peut concerner tout
d'abord le travail agraire pour le situer dans de nouveaux rapports sociaux ;
elle accompagne parfois la mise en place d'un travail industriel gr?ce ? l'implantation rurale d'?tablissements ; elle peut aussi se traduire dans
l'expansion du non-travail et appara?tre comme la pr?dominance de la consommation dans les villages devenus r?sidences secondaires de citadins
ou de retrait?s. Nous analyserons principalement la mani?re dont les pro cessus d'urbanisation influent sur le travail
agraire. L'?conomie agricole
est une ?conomie spatialement diffuse avec disper
sion de l'habitat. En Occident, elle s'organise en entreprises individuelles vou?es ? peu pr?s exclusivement ? la production alimentaire. L'urbani sation provoque une concentration des techniques, des activit?s, des pou voirs dans l'espace villageois. Cette accumulation rend possible
et n?cessaire
une division accrue du travail, m?me ? l'int?rieur de l'agriculture. Elle favorise la s?paration de la famille et de l'entreprise malgr? l'importance laiss?e ? leur unification. Des groupes ruraux et urbains sont impliqu?s
diversement dans ce processus pour en ?tre les acteurs, les b?n?ficiaires
ou les laiss?s-pour-compte. Entre eux, les rapports sont de plus en plus ?troits et rigides, mais aussi dissym?triques. En apparence, la division du travail persiste entre la ville et le village qui la nourrit. Cependant des activit?s secondaires et tertiaires sont de plus
en plus n?cessaires au travail
agraire ; elles sont g?n?ralement concentr?es en ville. L'industrie fournit
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les techniques ; la ville produit les connaissances et transmet les informa
tions ; la politique oriente la finalit? des entreprises ; l'?conomie contrac
tuelle r?organise jusqu'? la conception du travail. D'une certaine mani?re, c'est en ville qu'est g?r? le travail agraire. L'urbanisation est ainsi un
aspect du d?veloppement, d'un d?veloppement d?pendant. Groupes indus
triels, financiers, intellectuels, depuis la ville, participent ? cette concen
tration technique qui se solde par une haute productivit?. Sans doute,
beaucoup d'agriculteurs cherchent-ils encore ? maintenir leur ind?pendance, d'autres h?sitent devant une rigoureuse sp?cialisation du travail. L'urbani sation c'est aussi l'?cart accru entre les deux types d'entreprises.
La complexit? introduite par la division du travail, la fragmentation des r?les, l'importance prise par les rapports fonctionnels, la multiplication de l'appartenance ? des groupes divers obligent les agriculteurs ? cr?er des
associations pour regrouper des int?r?ts analogues, professionnels ou ?cono
miques. Leur croissance est forte dans les villages, reliant ceux-ci ? leurs
relais citadins pour constituer des organisations qui tendent ? devenir
bureaucratiques. En 1967, 47 % des entreprises agricoles de la Communaut?
?conomique europ?enne ?taient membres de coop?ratives ou d'organismes de m?me nature ; le taux atteignait 83 % en France, 80 % aux Pays-Bas. Les 88 600 entreprises dont le responsable a pour activit? principale l'agri culture, dans la Suisse de 1969, ?taient enserr?es dans quelque 22 000 ce soci?t?s ? locales et 850 associations cantonales ou intercantonales.
L'Union suisse des paysans les regroupe ; elle est dot?e d'un office scienti
fique et elle soutient des institutions destin?es ? maintenir les traditions
culturelles du village et ? y d?velopper une industrie domestique. Ce
quadrillage professionnel et
?conomique, arc-bout? sur les villes, est un
second ?l?ment du processus d'urbanisation dont le fonctionnement et les effets sont encore mal connus. Il contribue ? transformer l'espace clos du
village en un espace ouvert, d?fini par un champ de relations et qui tend
? devenir analogue ? celui de la ville.
Le village agricole, certains groupes en lui tout au moins, est ainsi
constitu? comme ?l?ment d'un syst?me de solidarit? organique au double
titre de la division du travail et des associations qu'elle suscite. Ce r?seau
favorise la possibilit? de mobilit? professionnelle et sociale des agriculteurs ; c'est le troisi?me aspect de l'urbanisation. La migration des agriculteurs
vers les villes demeure encore un facteur important de l'urbanisation con?ue comme une concentration de peuplement dans un
espace urbain. Cependant
de plus en plus d'autres formes de mobilit? s'affirment qui sont ? la fois
condition et effet du d?veloppement ?conomique. La multiplication du
double travail, souvent impos? par la n?cessit?, est cependant une ?tape efficace de l'ascension sociale. Dans l'Europe des Six, en 1967, 22 % des
chefs d'exploitation agricole travaillaient plus de la moiti? du temps hors
de leur entreprise ; cette situation se trouvait surtout dans les petites unit?s, mais en Italie, par exemple, elle concernait 16 % des entreprises sup?rieures ? 100 ha. En France, plus d'un sur trois des travailleurs de ce type sont
ouvriers ou contrema?tres en usine, manifestant un des effets des implan
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VILLAGE ET URBANISATION 23
tations industrielles en milieu rural. Une autre forme de mobilit? est
proprement intra-agricole ; elle se traduit par le changement d'entreprise.
La nouveaut? est que les agriculteurs utilisent ce moyen pour diriger des
unit?s de plus en
plus grandes ; elle est aussi dans une lente am?lioration
de la qualification professionnelle li?e ? ce ph?nom?ne. Ce processus de
concentration est fr?quent, il concerne 27 % des exploitations fran?aises. De plus, l'accroissement des activit?s secondaires et tertiaires n?cessaires
? l'agriculture ?largit les secteurs
para-agricoles qui constituent un nouveau
terme pour la mobilit? professionnelle et sociale des travailleurs de la terre.
Cependant la v?ritable mobilit?, significative de l'urbanisation du village, est le passage d'une profession urbaine ? celle d'agriculteur. Elle est rare,
mais elle seule contribue ? r?v?ler et ? constituer le m?tier agricole ? parit? avec les autres. De cette raret?, la disparit? des revenus n'est pas la seule
explication ; la conception que la soci?t? se fait de la mobilit? et de sa
fonction, la hi?rarchie qu'elle conf?re aux m?tiers et les possibilit?s de
promotion qu'elle suscite sont aussi ? prendre
en compte.
Sous l'emprise de l'urbanisation, deux types de villages agricoles se
dessinent, l'un marqu? par l'immobilit? professionnelle, la faible concen
tration technique, l'ind?pendance des entreprises, l'autre enserr? dans des
associations fonctionnelles, soucieux de sp?cialisation et de division du
travail, travers? par les multiples mobilit?s professionnelles et sociales.
Tous deux sont fa?onn?s en d?finitive par le d?veloppement ?conomique
qui les place en d?pendance de la ville, de groupes urbains, mais de fa?on inverse pour ainsi dire. Une dissym?trie semblable et cumulative s'instaure
de ce fait au niveau des ?changes. Face ? une production agricole dispers?e,
?miett?e, le march?, principalement urbain, est de plus en plus centralis? ; il est le seul r?gulateur des quantit?s, de la qualit?, des prix et est largement
r?glement? par le pouvoir politique. A cette gestion du travail agraire par le march? citadin s'ajoute une autre pression de l'?change in?galitaire.
L'agriculture fournit des produits bruts ; pour les rendre consommables, il faut y investir du travail secondaire et tertiaire dont l'origine urbaine
transforme la n?cessaire interd?pendance en rigide d?pendance o? la
demande qualitative domine l'offre quantitative. Effet de ces processus,
le travail agraire s'organise en associations pour conqu?rir une difficile et ambivalente parit? ; les groupements de producteurs
sont un exemple
singulier de l'urbanisation des ?changes. Enfin ? l'unicit? du produit agricole
s'oppose la diversit? croissante du produit citadin dont l'agriculteur est
r?duit ? n'?tre qu'un simple consommateur, seul pouvoir qu'il d?tienne sur lui.
Production et ?change d?terminent la structure de consommation, elle-m?me model?e par l'urbanisation. La disparit? de la consommation
entre la ville et le village est connue, fortement tributaire du niveau des
revenus. Encore plus significative appara?t l'in?galit? des biens de consom
mation indivisibles que sont par exemple les ?quipements collectifs. Certes, la revendication villageoise est intense, sous la pression des mod?les urbains, concernant les routes, les ?coles, le logement, les institutions de loisir. Sa
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24 P. RAMBAUD
satisfaction est pens?e, r?alis?e, financ?e selon les normes et la temporalit? fix?es par des pouvoirs qui accordent toujours priorit? aux villes. Or un
des traits caract?ristiques de la ville est cette capacit? de cr?er des biens
collectifs, ce spatialement indivisibles ?, qui conf?rent une plus grande valeur aux biens individuels, accroissent les possibilit?s de choix, facilitent
la mobilit? sociale ou la circulation des connaissances1. L'urbanisation est
aussi cette incorporation de biens collectifs aux produits individuels du
village, ? son espace notamment. Des indicateurs synth?tiques seraient
? chercher pour la mesurer en comparaison
avec celle des villes.
L'urbanisation provoque un d?veloppement ?conomique, d?pendant et
in?galitaire, des structures de production, d'?change et de consommation.
Suscit?e par des groupes urbains, elle b?n?ficie ? des groupes ruraux qu'elle cr?e et diversifie tant dans leurs fonctions que dans la richesse accumul?e.
Les groupes ruraux sont les r?pondants des groupes urbains. La structure
sociale urbaine se r?fracte dans la structure sociale villageoise o? des pou voirs ?conomiques nouveaux dominent les moins urbanis?s2. Des forces
agricoles s'organisent pour pallier, domestiquer l'emprise de la ville ou
collaborer ? son installation ; ce faisant elles contr?lent les travailleurs
?conomiquement moins puissants, socialement moins int?gr?s aux processus
d'urbanisation. Dans la France agricole, 9 % des chefs d'entreprise exercent
une responsabilit? professionnelle hors de leur exploitation. La taille de
leur entreprise est trois fois sup?rieure
en moyenne ? celle des autres
exploitations. La fr?quence de leur responsabilit? cro?t avec l'importance
?conomique de leur atelier et pr?s d'un sur deux assume un r?le dirigeant
quand les entreprises d?passent 200 ha. Mais cette accumulation du pouvoir
?conomique et de la responsabilit? professionnelle est d?termin?e de fa?on d?cisive par la formation re?ue, g?n?rale et technique. Les dirigeants des
organisations agricoles sont, proportionnellement, trois fois plus nombreux
crue la moyenne des agriculteurs ? avoir b?n?fici? d'un enseignement de
niveau secondaire ou sup?rieur3. D?veloppement ?conomique
et culture ne
sont jamais dissoci?s.
Urbanisation et culture
Forme spatiale originale, syst?me ?conomique dominateur, la ville est
aussi le lieu d'une culture sp?cifique, c'est-?-dire de valeurs, de relations
sociales, de normes, de pens?es, d'une logique propre d'organisation. Sans
doute est-ce partiellement un abus de langage que de la qualifier d'urbaine
1. Cf. J. Remy, La ville : ph?nom?ne ?conomique, Bruxelles, Les ?ditions Vie ouvri?re, 1966, 297 p.
2. Les polders hollandais ou les villages allemands reconstitu?s apr?s la derni?re guerre en sont
des mod?les. 3. ?tudiant le village sovi?tique de Terpenie, Ju. V. Arutjunjan montre comment ? l'?galisation
entre la ville et la campagne, entre la classe ouvri?re et la paysannerie ? s'accompagne aussi, du
moins dans une prendere ?tape, de ? distinctions ? l'int?rieur des classes, li?es ? la nature du travail
et au niveau de la qualification professionnelle ?, l'instruction ayant une signification sociale par ticuli?re ; cf. Ju. V. Arutjunjan, ? Essai d'?tude sociologique du village ?, trad, du russe, Archives
internationales de Sociologie de la Coop?ration et du D?veloppement, 1972, 31, juil.-d?c, pp. 87-145.
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VILLAGE ET URBANISATION 25
ou d'industrielle. En tout cas, n?e en ville, elle p?n?tre les villages, les
transforme, tend ? les uniformiser. La ville la produit et d?tient les moyens
de sa diffusion. Nous retiendrons seulement deux aspects de ce processus
d'urbanisation qui sont loin d'?tre exclusifs.
L'?cole, tout d'abord, en est une des institutions les plus importantes, encore que la presse, la t?l?vision, la communication interpersonnelle, le
travail aient leur propre efficacit?. Dans le d?veloppement ?conomique, le
d?veloppement scolaire est un moment essentiel. Pour l'apprentissage des
codes sociaux, pour la qualification professionnelle des travailleurs et la
mobilit? sociale, l'?cole demeure un lieu privil?gi?. Or les villages connaissent en ce domaine une forte in?galit? qui ne se r?sorbe qu'avec lenteur et selon des voies qui, en d?finitive, risquent de les desservir. En France, 2,3 % des
agriculteurs ont une formation
g?n?rale de niveau secondaire ou sup?rieur,
alors que la proportion s'?l?ve ? 3,1 % pour les ouvriers, ? 12,9 % pour les commer?ants et 23,7 % pour les employ?s (16 % pour l'ensemble des
actifs). La formation professionnelle est plus rare encore ; elle est le fait de 1,4 % des agriculteurs (de 4 % pour l'ensemble de la Communaut?
?conomique europ?enne)1. Des explications existent-elles qui soient li?es aux processus d'urbanisation et contribuent ? les d?finir?
Le syst?me scolaire semble bien ?tre ? l'origine de cette disparit?. Les zones urbaines ont un taux de scolarisation sup?rieur ? celui des zones
rurales, d? en partie ? l'implantation des ?tablissements. Mais la carte
scolaire n'est pas seulement une forme de planification g?ographique. Les
objectifs de l'enseignement sont d?finis en relation avec les demandes ou
les besoins pr?sum?s de la production. Formation scolaire et politique
?conomique ne sont jamais tout ? fait s?par?es. La carte scolaire et le contenu de l'enseignement traduisent cumulativement une
politique s?lec
tive de l'espace o? les secteurs ruraux apparaissent d?favoris?s, l'espace
et l'agriculture n'?tant pas encore des cat?gories de l'?conomie politique. Les m?thodes ?ducatives pourraient fournir une seconde explication. Tout
semble se passer comme si le syst?me scolaire avait pour but d'?liminer une proportion socialement n?cessaire d'enfants plut?t que de les former tous en tenant compte d'abord de leurs aptitudes. Les agriculteurs sont,
ici encore, en situation d'inf?riorit?, le travail agraire ?tant g?n?ralement consid?r? comme n?cessitant une moindre qualification. Enfin, et le fait n'est pas n?gligeable, une ?conomie de relative pauvret? impose ? beaucoup d'enfants d'agriculteurs un travail pr?coce, plus pr?coce que dans les autres
professions.
Dans ces in?galit?s scolaires, la disparit? des infrastructures se surimpose aux rapports dissym?triques entre groupes villageois et urbains ; elle oblige ? une critique de la notion de culture. S'il existe une culture ce urbaine ? ou ce industrielle ?, ne
pourrait-on pas parler aussi d'une culture ce villa
geoise ? ou ce
agraire ? ?
Syst?me de valeurs, forme de relations sociales,
1. En 1968, 21 % des travailleurs fran?ais ?g?s de plus de 14 ans ont d?clar? avoir un dipl?me professionnel ; la proportion ?tait de 18,3 % chez les ouvriers et de 5,1 % pour les chefs d'entreprise agricole.
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rapports des hommes avec la nature, normes de r?f?rence, expressions de la sensibilit?, accumulation de la m?moire collective, conception du travail, tout semble indiquer l'existence d'une telle culture, ? condition du moins de ne pas identifier culture et production litt?raire. Elle est prise dans les
processus d'urbanisation, pour en devenir un ?l?ment, selon une double
modalit?. Tout d'abord, la ville, et en elle la technicjue et l'industrie fond?es sur
une logique de l'identit?, tend vers une homog?n?it? destructrice des par ticularismes et des cultures villageoises, cultures dans lesquelles pourtant les citadins cherchent parfois ? retrouver des mod?les rustiques de relations
sociales ; ils en font aussi des supports pour une critique contre la civilisation
technicienne. On assiste ? une folklorisation des cultures locales, transfor m?es en
objets de consommation ou de spectacle, reni?es par leurs cr?ateurs
eux-m?mes. Cependant,
ici et l?, des mouvements leur redonnent sens et
solidit?. Ce qui est en jeu c'est alors la cr?ativit? villageoise comme une
forme possible de la diversit? sociale. L'urbanisation est aussi cette capacit? de favoriser l'existence de telles cultures pour accro?tre l'aire des choix souhait?s. Elle n'?vite les archa?smes que lorsqu'elle accompagne un
d?veloppement ?conomique du village ou, pour employer un terme encore
trop neuf, une ce villagisation ? du d?veloppement. Dans la conscience de ces groupes cr?ateurs s'affirme d'ailleurs presque toujours
une vis?e
politique, latente ou exprim?e,
une reeju?te de
quelque autonomie face
? l'emprise de la soci?t? globale. C'est qu'une authentique acculturation entre groupes ruraux et groupes urbains concerne l'?conomie et le travail,
les relations sociales, le rapport des hommes ? l'espace, le syst?me des
valeurs, mais aussi le mode de gestion politicrue.
L'urbanisation, mode du politique
Cette diversification sociale, conjointement ?conomique et culturelle, est au c ur des processus d'urbanisation ; ils la rendent possible et la
paralysent ? la fois, en sens contradictoire. C'est qu'ils sont l'effet de
rapports in?galitaires ou
oppos?s entre groupes urbains et groupes villa
geois dans lesquels est toujours impliqu? le politique, cet ensemble
d' ce actions qui visent le maintien ou la modification de l'ordre ?tabli a1.
En Occident, le village et la ville se d?finissent aussi par certaines origi nalit?s de leur syst?me politicrue. Il serait trop simpliste de voir l'un marqu? par une incessante volont? d'autonomie et l'autre par une insidieuse ten
dance ? la domination. Cependant l'urbanisation est prise entre ces mou
vements quasi antith?tiques. S'il est vrai qu' ce il n'y a point de politique sans un ennemi r?el ou virtuel ?2, elle en est un des champs les plus fructueux
? observer.
Le pouvoir politique est une organisation qui op?re dans un espace
1. G. Balandier, Anthropologie politique, Paris, PUF, 2e ?d., 1969, p. ix.
2. J. Freund, L'essence du politique, Paris, Sirey, 1965, p. 1.
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VILLAGE ET URBANISATION 27
d?limit? et contribue ? le d?finir en d?fendant la collectivit? contre les menaces ext?rieures, en assurant
l'int?gration et la coop?ration interne de
ses membres, au besoin par le recours l?gitime ? la contrainte physique. Il est aussi fondamentalement une volont? de domination qui prend comme forme la relation commandement-ob?issance, mais surtout
exprime une dissym?trie des rapports sociaux, elle-m?me traduction de l'in?galit? entre groupes. Par nature, le pouvoir politique cherche ? ?tendre le champ de sa domination tandis que les gouvern?s s'efforcent d'en restreindre les
limites. L'activit? politique consiste ? former, ? maintenir, ? bouleverser ? la fois l'espace concern? et les rapports de domination qui le constituent. Le clivage n'est pas n?cessairement entre ville et village, mais leur diff? rence en est une
expression souvent conflictuelle et l'urbanisation se r?alise
aussi au travers de ces actions qui d?finissent le politique. Pour la comprendre, il convient de poser une premi?re question : les
soci?t?s industrielles, et leur pouvoir politique, veulent-elles vraiment des unit?s sociales spatialement diff?renci?es ? Il ne semble pas ; celles-ci sont
moins voulues que tol?r?es comme une quasi-donn?e de fait et, ici, c'est le
d?coupage de l'espace qui est en cause. Pour ne
prendre que l'exemple
fran?ais, l'espace villageois est, dans sa d?limitation, tr?s ancien. P?riodi
quement, son irrationalit? est affirm?e en fonction des exigences du d?ve
loppement ?conomique ou de l'efficacit? administrative. Pour le rendre
viable, on lui impose, ? l'instar de la ville, une certaine concentration de
peuplement et de moyens de production. Pour contourner les r?sistances,
divers modes de regroupement sont imagin?s
ou pratiqu?s. Cette urbani
sation politique r?v?le la collusion qui existe entre l'accumulation des
techniques, les pratiques centralisatrices de l'Etat et le ph?nom?ne urbain face aux tendances autarciques
et diversifiantes du ph?nom?ne villageois1. De ce point de vue, les crit?res retenus par le pouvoir pour d?finir l'espace rural sont tr?s significatifs. En France, c'est encore moins de 2 000 habitants
agglom?r?s, crit?re en vigueur depuis 1846 ; en Suisse, c'est d?j? moins de 10 000. Ici et l?, la commune politique villageoise n'a pas une teneur
identique ; une comparaison m?thodique des deux pays montrerait mieux
pourquoi la France n'a pas une politique du village, compl?mentaire de sa
politique urbaine.
Les d?coupages de l'espace sont ?minemment politiques et depuis 1789 l'histoire montre une
longue s?rie d'h?sitations concernant la commune,
le d?partement, la r?gion. En les remodelant, l'urbanisation traduit les
changements introduits dans les rapports sociaux que refl?te la domination
proprement politique. Par la conception qu'ils se font de l'espace et de la
politique, les agriculteurs contribuent ? poser le village dans une complexe d?pendance ? l'?gard de la ville pour participer aux bienfaits de l'urba nisation. Nous retiendrons un seul aspect de ces processus, la mani?re dont
1. Dans un autre contexte, la reconstruction de villages plus concentr?s en URSS ob?it aussi ? des justifications th?oriques, politiques et ?conomiques ; elle se heurte ? des r?sistances dans ces trois domaines ; cf. B. Kerblay, ? Le village russe va-t-il dispara?tre ? R?flexions sur l'avenir de l'habitat rural ?, Cahiers du Monde russe et sovi?tique, 1969, X (1), pp. 5-20.
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le pouvoir politique national se r?fracte dans le pouvoir local. Tant?t le d?tenteur du pouvoir villageois est directement nomm? par l'?tat, comme aux Pays-Bas ; tant?t il est ?lu, mais sa gestion est soumise ? un pouvoir de tutelle. Partout les ressources financi?res lui sont octroy?es, le plus souvent en proportion du volume d?mographique. De plus, en France, on
assiste ? une sorte de ce villagisation ? du pouvoir politique ; ministres,
d?put?s, s?nateurs s'efforcent de cumuler un pouvoir national et un
pouvoir local ; beaucoup cherchent ? ?tre maire d'une ville bien s?r, mais aussi d'un
village. D?fense d'int?r?ts ?conomiques, emprise politique, m?diation avec
la ville se conjuguent pour caract?riser ces processus de l'urbanisation.
La participation croissante de citadins, qu'ils soient anciens ruraux ou
r?sidents secondaires, ? la gestion municipale des villages en est un autre
aspect. Tel petit village agricole dont le maire est urbain d'origine et de
r?sidence, industriel et ministre peut ?tre pris comme symbole, d'autant
que ce dernier a conquis la responsabilit? municipale afin de sortir le village
plus rapidement de son ?conomie agricole. Le nouvel urbanisme auquel il est
progressivement soumis est une mani?re de synth?se des transformations
voulues ou impos?es.
Urbanisation et urbanisme villageois
Pour conqu?rir sa solidit? et affirmer son identit?, tout groupe se cr?e un espace dans lequel il exprime ses projets et ses conflits. Ce modelage de
l'espace a nom urbanisme ; il est un syst?me de symboles qui r?v?lent et
cachent ? la fois l'ensemble des rapports ?conomiques, culturels et politiques qui le constituent comme entit? sociale. Il y a un urbanisme villageois,
ancien, que l'urbanisation transforme ou parfois copie en le privant de ses
fonctions premi?res. Deux types extr?mes, l'un d'acculturation, l'autre de
cr?ation, suffiront pour pr?senter de ce point de vue les modalit?s d'expan sion du ph?nom?ne urbain ; ils synth?tisent l'ensemble des processus
analys?s jusqu'ici. Bien des villages modifient lentement leur architecture, leur plan,
l'int?rieur de leurs maisons sous l'effet de mod?les urbains emprunt?s, mais
domestiqu?s. Ces changements s'inscrivent comme un ?l?ment dans une
nouvelle hi?rarchie de valeurs et dans une meilleure adaptation ? l'?cono
mie. Les villageois traduisent ainsi la ma?trise qu'ils gardent des apports de la ville. Tout autre est l'urbanisation que l'on pourrait appeler de profit et dont certaines stations touristiques sont la forme achev?e1. Les mod?les et normes de son architecture sont import?s de la ville ; les promoteurs sont urbains ; les gestionnaires ?conomiques ou politiques r?sident en ville.
L'urbanisme y est strictement fonctionnel ; il vise ? une exploitation indus
trielle de l'espace, des loisirs et des besoins citadins. Sous le terme de ce
villages nouveaux ? faits de maisons ce toutes diff?rentes, construites selon
1. Cf. P. Rambaud, ? Pour une sociologie des stations de sports d'hiver ?, Urbanisme, 1970,
116, pp. 30-31.
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VILLAGE ET URBANISATION 29
les d?sirs de ceux qui les habitent ?, se cachent de subtiles id?ologies qui facilitent les sp?culations financi?res. Ils sont la simple cr?ation d'une ville dans la campagne. Entre ces deux extr?mes se d?ploie une sorte d'urba nisation libertaire o? P?closion des r?sidences secondaires
? en France,
elles sont sup?rieures
en nombre aux exploitations agricoles
? ob?it aux
seules r?gles fix?es par le hasard des origines ou par l'exotisme des go?ts individuels.
Th?oriquement, les pouvoirs publics interviennent dans ce r?am?na
gement de l'espace pour prot?ger les zones plus d?favoris?es ou pour
corriger des m?canismes ?conomiques trop pr?gnants. Plans d'occupation des sols, plans d'am?nagement rural, plans d'urbanisme cherchent ? coor
donner l'action et les int?r?ts des agents ?conomiques concern?s, proposent les r?gles pour une gestion des conflits li?s ? ces mutations, d?limitent les
espaces ordonn?s selon leurs diff?rentes fonctions. Ils sont de v?ritables actes politiques, volontaires et collectifs ; mais comme tels ils sont le produit des oppositions en lesquelles s'affrontent in?galitairement les groupes en
pr?sence. Leur multiplicit? de formes et la raret? de leur efficacit? peuvent ?tre prises comme des indices qui traduisent la diversit? des processus d'urbanisation.
L'urbanisation une et diverse : essai de typologie
L'urbanisation appara?t comme un pouvoir conqu?rant de la ville pour transformer le village et le situer en de nouvelles positions de d?pendance.
Mais ce serait une erreur d'analyse que de ne pas y saisir le
d?veloppement
provoqu? et que l'on mesure g?n?ralement par une productivit? accrue, un revenu par habitant am?lior?, une consommation multipli?e,
un taux
de scolarisation amplifi?. Elle repr?sente une sorte de rapport agressif
de groupes urbains ? l'?gard de groupes villageois pour en faire leurs r?pon
dants, les inciter ? conqu?rir la parit? avec eux, les enr?ler dans cette logique de l'identit? qui d?finit la technique industrielle. Cependant, la strat?gie de leur action est diverse, de m?me que l'accueil ou la r?sistance que lui offre la structure du village dans son ?conomie, sa culture, son
syst?me
politique, son urbanisme. Les processus d'urbanisation qui
sont fondamen
talement une r?organisation sociale de l'espace
se classent ainsi en divers
types selon que domine l'un ou l'autre de ces quatre champs d'action, selon
la mani?re dont ils se combinent entre eux pour op?rer sur les formes sociales et spatiales du village.
L'?conomie, son organisation
et son utilisation de l'espace, pos?e comme
premi?re dans l'analyse, peut dans la r?alit? avoir une importance moindre
que la culture ou le politique. Quand le travail agraire est pr?dominant, l'urbanisation se traduit en des formes singuli?res de concentration tech
nique, de division du travail, d'associations professionnelles, de mobilit? sociale. L'urbanisme villageois ne se modifie gu?re, seule la campagne
productive est r?organis?e en fonction des n?cessit?s techniques et de la
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30 P. RAMBAUD
demande ?conomique. Le syst?me culturel villageois peut conserver, parfois m?me consolider son originalit?. Les rapports villageois avec la ville sont
agraires pour ainsi dire ; commer?ants, techniciens, industriels en sont les
principaux protagonistes. Le champ du politique est tout entier mis au ser
vice de cette ?conomie. Diff?rente, l'urbanisation, cons?cutive ? l'implanta tion d'industries, impose au village des symboles particuliers, introduit de
nouvelles hi?rarchies ?conomiques, d?veloppe des id?ologies salariales. La
multi-activit?, en un premier temps, complique la division du travail et
laisse la campagne inchang?e. L'urbanisme signifie les indiff?rences ou au
contraire les tutelles de l'usine. Le syst?me culturel local se fragmente, facilement entra?n? par les possibilit?s offertes par des revenus accrus.
L'organisation politique se divise, exprimant g?n?ralement une opposition latente entre
agriculteurs et ouvriers. Ceux-ci y deviennent aussi les
m?diateurs, les repr?sentants d'autres forces, d'autres id?ologies organis?es en ville, ouvri?res
principalement. Avec l'urbanisation du non-travail,
dont les stations de tourisme ou les villages de retraite sont le type le plus
r?pandu, la consommation prend le primat sur le travail. L'urbanisme et
l'architecture sont les premi?res expressions de ce ph?nom?ne. Dans cette
copie villageoise de la ville, la culture ? valeurs, relations sociales, r?gles
de fonctionnement ? est emprunt?e ? la ville, mais v?cue sous le mode
de la compl?mentarit? ou de la compensation de d?sirs insatisfaits aupa ravant. Le plus souvent, les agents du pouvoir politique local sont import?s, car le pouvoir est d?pendant pour les capitaux n?cessaires ? la cr?ation de ces villes ? la campagne. La concentration des techniques y diff?re de
celle du village agraire ou du village industriel. Les nouvelles professions instaurent une solidarit? avec des groupes urbains tr?s diff?rents de ceux
qu'int?ressent l'agriculture ou l'industrie.
Les processus d'urbanisation o? l'?conomie domine, qu'elle soit de
travail ou de consommation, se r?alisent ainsi selon trois types. La concen
tration du peuplement, des techniques, des pouvoirs de d?cision ne se fait
pas au b?n?fice ni au d?triment des m?mes groupes. Les relations sociales entre village et ville diff?rent aussi, chacun ayant ses mod?les, ses normes, sa d?pendance. En chacun, le syst?me culturel, politique ou urbanistique occupe une place seconde dans la hi?rarchie des transformations, avec
d'ailleurs un r?le et une efficacit? d'importance diverse. Tout autre est
l'urbanisation politique ; elle se soumet les autres termes, y compris
l'?conomique au point de ralentir son d?veloppement. De ce type, on cite
g?n?ralement comme exemple extr?me celui de l'URSS dans la p?riode ant?rieure ? 1958. Mais l'histoire r?cente de l'Occident montre aussi de
tels processus, m?me s'ils sont g?n?ralement plus diffus. Les r?pondants,
les b?n?ficiaires ou les laiss?s-pour-compte villageois s'ins?rent dans un
syst?me de valeurs o? l'?conomique occupe une moindre place. Les finalit?s de l'urbanisation y sont avant tout politiques ; d?coupage de l'espace et
institutions sont d?termin?s par des instances et des normes o? le pouvoir est l'acteur principal.
Enfin un dernier type d'urbanisation s'op?re ? travers la diffusion pr?
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VILLAGE ET URBANISATION 31
dominante du syst?me culturel urbain. En France, elle s'est r?alis?e
pendant longtemps sous un mode quasi isol?, tout au plus ?tay?e par
quelques objectifs politiques. L'institution scolaire, primaire notamment, a repr?sent? ?minemment ce type de processus, indiff?rent ? l'?conomique ou ? l'urbanisme, et cependant fortement urbanisant selon une rigide domi nation de la ville. Les changements de mentalit?, les mutations culturelles
anticipent souvent ainsi les transformations ?conomiques.
Jamais chacun des quatre termes que nous avons retenus pour analyser l'urbanisation n'agit de fa?on strictement insulaire, mais l'un peut ?tre
pr?dominant au point de caract?riser l'ensemble du processus. Dans tous
les cas, l'urbanisation appara?t s?lective, diversifiant, opposant les groupes sociaux concern?s ? l'int?rieur du village pour les relier ? des groupes urbains en un rapport de d?pendance multiple. Tous les villageois ne sont
pas ?galitairement b?n?ficiaires et les nouvelles disparit?s engagent des conflits sp?cifiques. Des r?sistances, des efforts de contre-acculturation
modifient, r?orientent parfois l'urbanisation. Il est rare que l'ensemble ne
s'inscrive pas jusque dans la forme spatiale du village. Il y a bien une logique de l'urbanisation caract?ris?e par la domination de la ville, par la concentra
tion allant du technique au politique, par l'identit? impos?e. Selon les
groupes urbains qui en sont les agents, selon leurs objectifs, selon la consis
tance du village, elle se fragmente
en types divers cr?ant des unit?s sociales
et spatiales compl?mentaires qui concourent au d?veloppement d'une soci?t?. Les indicateurs dont la pr?cision, le sens et la hi?rarchie permet traient de mieux constituer ces types restent ? construire.
*
Diversification, domination, nouvelle solidarit? organique et fonction
nelle dans la d?pendance pourraient faire appara?tre l'urbanisation unique ment sous un mode dramatique. Elle est toujours cependant porteuse de
d?veloppement, m?me si celui-ci ne se r?alise pas ?galement au b?n?fice
de tous ni dans tous les aspects de vie sociale. Elle est concurrence pour la ma?trise de l'espace ? travers une redistribution g?ographique et profes sionnelle de la population, voulue toujours plus
ce rationnelle ? en fonction
de crit?res souvent contradictoires. Entre le village et la ville, l'opposition ? r?sorber, la parit? ? conqu?rir passent par une diff?renciation spatiale et sociale, essentielle dans l'urbanisation. Le village qui y parvient est celui
qui est conscient de sa puissance ?conomique, culturelle ou politique. L'histoire de l'Occident en fournit d'abondants exemples. Les exp?riences contemporaines du combinat agro-industriel yougoslave, de l'agroville
toujours en projet en URSS, de l'agrindus isra?lien qui cherche ? fusionner
agriculture et industrie en renfor?ant le village, ont en Europe de nombreux ?chos1. C'est que toutes posent le probl?me en termes d'int?gration du
1. Sur la recherche en cours en Roumanie, cf. 1.1. Matei, ? Aspects du processus d'urbanisation du milieu rural ?, Revue roumaine des Sciences sociales, s?rie ? Sciences sociologiques ?, 1969, 13, pp. 37-47.
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32 P. RAMBAUD
village et de la ville et non pas d'int?gration du village ? la ville ou de
l'agriculture ? l'industrie. La s?mantique signifie ici une diff?rence de
politique ?conomique. La diversit?, semble-t-il, n'est pas d'abord pens?e avec les vocables g?n?raux de ville et de village, mais d'acteurs sociaux
cherchant ? supprimer les d?s?quilibres mieux d?finis dans leur contenu et dans leur origine. Dans l'attrait de ces mod?les, la parit? des revenus n'est
pas seule retenue ; le partage du pouvoir politique, la co-gestion des surplus ?conomiques et l'originalit? culturelle comptent tout autant. Sans doute
l'interd?pendance entre village et ville est-elle d'autant plus solide qu'elle est moins in?galitaire, mais l'?galit? ne se r?alise pas toujours dans le m?me
ordre ; la pr??minence ?conomique de l'un peut ?tre ?quilibr?e par la
pr?dominance politique de l'autre. Dans cette recherche d'une soci?t?
int?gr?e, l'utopie l'emporte toujours quelque peu sur la r?alit?. L'urbani sation du village n'est qu'un volet de l'urbanisation de la ville. Elle est
une incessante r?organisation des espaces sociaux dans toutes leurs dimen
sions. Elle concernera de plus en plus le champ entier des relations qui constituent une soci?t?.
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