L’Utopie Hissée Haut - Libération

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26/7/2014 Lutopie hisse haut - Libration

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Lutopie hisse hautMARINE DUMEURGER 20 JUILLET 2014 18:06

Lutopie hisse haut (Photo Bernard Demenge. Picturetank)

LES CHEMINSDE LA LIBERT (8)A la fin du XVIIe sicle, dans la baie de Diego-

Suarez, Madagascar, flotte le pavillon noir. Des pirates ont fond lLibertalia, un den delibert et de partage, une rpublique au temps de lamonarchie.

Il tait une fois, sur une cte lointaine de locan Indien, une communaut pirate berce par les

embruns et les vapeurs de rhum. Un lieu part, faonn par les rves et les trsors. La

fascinante Libertalia a-t-elle vraiment exist, ou est-ce seulement une utopie, sauvage et

romantique ?

Son histoire dbute dans un livre, publi Londres dans les annes 1720 : Histoire gnrale desplus fameux pyrates.Mais cette histoire commence aussi par un mystre. Qui est le capitaine

Johnson, qui signe de sa main experte cette bible sur la piraterie ? Plusieurs chercheurs y voient

la plume de Daniel Defoe. Le style est identique, la thmatique proche de ses sujets de

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prdilection. Lauteur deRobinson Cruso a dj sillonn dautres mers imaginaires, et ne signe

pas toujours ses uvres Pour nous raconter ces aventures pirates, lenfant rebelle aux ides

humanistes aurait frquent les tavernes londoniennes de Wapping, Stepney, Shadwell, ces

quartiers marins, qui respirent au gr des rumeurs de la mer.

SAISIR LA FORTUNE

Sous sa plume, Libertalia dessine ses contours. Une aventure phmre, fonde par deux marins: le capitaine Misson, un Franais bien n lhumeur vagabonde,et Carracioli, un prtre

dbauch qui finira dfroqu force de libertinage. Ensemble, prfrant le tumulte une vie bien

ordonne, ils embarquent la fin du XVIIe sicle sur le Victoire, un navire de commerce franais.

Au cours dune attaque anglaise, ils perdent leur capitaine et dcident de saisir la fortune

bras-le-corps.Une nouvelle vie commence, sous les couleurs du Jolly Roger, le mythique

pavillon noir tte de mort.

Des Carabes au golfe de Guine, jusquaux ctes de lAfrique australe, aprs quelques abordages,

ils trouvent Madagascar leur den pirate : une baie au nom suave, assourdie de soleil, Diego-Suarez, un lieu idal pour jouir du fruit de leurs rapines. Le capitaine poursuit : Lle de

Madagascar offre tout ce qui est ncessaire la vie. [] Les mers qui lentourent sont

poissonneuses, les forts giboyeuses et les entrailles de la terre riches de mines dun fer trs

pur.Ici, leur gagne-pain est porte de main : la route des Indes et ses navires commerants,

chargs de soieries, dpices, de pierres prcieuses ou de vins.

Dans ce havre de paix, labri du Vieux Monde, les mutins sorganisent. Ainsi, nous dtaille

lauteur, chaque groupe de dix hommes lit un reprsentant lassemble constituante, charge

de voter des lois. Tout est mis en commun. Les butins sont partags. Les retraites et accidents

de travail - nombreux chez les pirates, qui ont choisi une vie dangereuse - sont couverts par la

communaut. Comme un vrai pre attentif et soucieux, Misson, lu capitaine pour trois ans,

promet de nemployer son pouvoir que dans lintrt de tous. Notre cause est brave, juste,

innocente et noble, car elle se nomme libert.

A lire Johnson, ces pirates-l nont rien de brutes sanguinaires. Sur les bateaux attaqus, ils

pratiquent une piraterie quasi philanthropique, confisquent les biens et le rhum, mais laissent

lquipage libre de les rejoindre, dcident du sort du commandant en fonction de sa rputationauprs de ses hommes et librent les esclaves. A Libertalia, aprs les prils de la mer, il fait bon

vivre. Lalcool coule flots, la vie est joyeuse, mais courte. Les paradis subversifs ne sont sans

doute pas faits pour durer Aprs quelques annes, au plus noir de la nuit,le bastion est

attaqu par les naturels. Hommes, femmes, jeunes, vieillards, tout y avait pass avant

davoir pu se mettre sur la dfensive,relate le capitaine Johnson. Triste fin pour de si beaux

idaux.

Libertalia aurait pu sarrter l. Anantie jamais au fond dun recueil ou enfouie sous les sables

blonds de Madagascar. Mais ctait compter sans le formidable pouvoir dattraction du turbulentJolly Roger

Photo Bernard Demenge. Picturetank


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Pour Pierre Van den Boogaerde, cette

communaut alternative na rien dun

mythe. A ses heures perdues, cet ex-

reprsentant du FMI Madagascar court

aprs les navires pirates. En 2010,

plongeur passionn dhistoire, il publie un

livre sur les paves de lle et y consacre unchapitre entier aux bateaux pirates. Lors

de ses recherches, il consulte cartes et

ouvrages anciens et, dans le grenier des

Archives malgaches, dcouvre un original

du capitaine Johnson et fait connaissance

avec Libertalia.

Mthodique, Pierre Van den Boogaerde

revient sur ce qui le pousse y croire.Dabord, les dates concordent. Entre 1650

et 1730, cest lge dor de la piraterie dans

locan Indien. Les pirates se comptent

alors par milliers. Le XVIIe sicle et tous

ses conflits - guerre de Trente Ans - ont

laiss une horde de mercenaires

dsuvrs. Mobiliss pour piller les

navires ennemis, ces marins chevronnsont fait carrire dans la rapine. Lorsque les

hostilits sachvent, ils deviennent incontrlables. Faute de dbouchs, ils se mettent leur

compte et hissent le pavillon noir. A cette poque, le commerce maritime saccrot. Des convois

fabuleux arpentent les mers. Ils participent la traite ngrire, les soutes emplies de bijoux et

dpices, voguant vers La Mecque ou vers les colonies De son ct, lle rouge, elle, nest pas

unifie. A la fin du XVIIesicle, Madagascar appartient une flope de petits roitelets. En

salliant avec eux, les pirates pouvaient y jouir dune paix royale,dtaille Pierre Van den

Boogaerde. Proche des voies maritimes, lle est loigne du pouvoir des grandes puissances.

Nous sommes certains que des petites communauts pirates, sans doute trs galitaires, sy

sont installes. Une dizaine dentre elles, comme celle de Sainte-Marie, ont laiss des traces,

bien documentes.

Mais il y a aussi un personnage cl : le capitaine Tew. Selon lcrivain Johnson, ce pirate rejoint

Libertalia aprs sa fondation. Cest le seul protagoniste que Pierre Van den Boogaerde a trouv

dans dautres archives. Rentr en 1693 Rhode Island, aux Etats-Unis, le pirate demande son

pardon devant la cour et voque brivement un sjour sur lle rouge. Mme si elles sont

romances, embellies, toutes les aventures voques dans lHistoire gnrale des plus fameuxpyrates sont inspires de la ralit. [] Alors bien sr, il y a cette histoire de paradis pirate,

dutopie, mais il ne faut pas oublier que nous sommes au XVIIIesicle, au temps de Rousseau

et des humanistes. Cette socit idale est un bon moyen de dnoncer celle qui est en place.


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Spcialiste du monde de la mer au XVIIIe sicle, Marcus Rediker atteste lui aussi de lexistence

de bases autonomes Madagascar cette poque. Aux yeux de cet universitaire militant - qui

considre les pirates comme des prcurseurs des mouvements anticapitalistes modernes - ,

Libertalia na pas rellement exist maisincarne les pratiques et les traditions pirates du

dbut du XVIIIe sicle.

UN MONDE INVERS

Il les explique dans son ouvrage,Pirates de tous les pays. La navigation est alors lune des

professions les plus dangereuses. A bord des navires marchands, la vie est dure, les marins

souffrent de la faim, de la maladie, de larbitraire du commandement. Les chtiments sont

courants et odieux. En opposition, le navire pirate est un monde invers. Les mutins y sabordent

lautorit classique, travaillent pour eux-mmes, sentraident, partagent les galres et les gains.

Les mauvais capitaines peuvent tre destitus. Les dcisions sont prises de faon collective. Et

Libertalia srige en rpublique lpoque de la monarchie, en dmocratie lpoque du

despotisme.Un lieu alternatif, o les nationalits se mlangent, o tout est possible, surtoutlespoir. Mais le rve des uns se transforme en cauchemar pour les autres. Aprs bien des

guerres, les grandes puissances parviennent finalement sallier. Au milieu des annes 1730,

elles anantissent ces zones de non-droit pour assurer la scurit en mer. Ce sera la fin de la

piraterie occidentale dans locan Indien.

Pourtant, le mythe libertaire pirate est loin davoir dit son dernier mot Nicolas Norrito fait

partie de ses otages, consentant. Lui aussi a fond Libertalia, son lot libertaire, Montreuil, en

2007 : une petite maison ddition indpendante et anarchiste. On cherchait un nom et on est

tomb daccord sur Libertalia. Cette utopie solidaire et ces robins des mers nous ont plu.Sousles collections Terra incognita ou A boulets rouges, ils publient des ouvrages militants sur les

bagnes, les pirates, traduisent Marcus Rediker et le capitaine Johnson, fascins par toutes ces

histoires de contre-socits. Rgulirement, des gens mappellent. Ils veulent partir sur les

traces de Libertalia, me demandent des contacts. Je ne sais pas quoi leur rpondre

A quelque 8 500 kilomtres, au nord de Madagascar, Diego-Suarez existe toujours. Fru de

culture locale, Cassam Aly, un Malgache, connat bien cette histoire de Libertalia, et confirme :

Aucune preuve historique natteste son existence, pourtant la baie de Diego-Suarez est bien

l, quelque part entre Nosy Be et la baie des Pirates.

Mais Madagascar, les noms sont changeants et souvent trompeurs. Situe au niveau du cap

dAmbre, la ville abrite aujourdhui un bar et une bire nomms Libertalia. Une poigne de

Malgaches ont mme les yeux bleus. Et lon raconte quils seraient des descendants des marinsen

fuite ou de colons, selon les versions.

Alors, Libertalia a-t-elle exist ? Nicolas Norrito hausse les paules. Ce qui mintresse, cest de

comprendre pourquoi la piraterie fait rver, car il existe peu de domaines o la fiction occulte

ce point la ralit. Quelle ait exist ou pas, aprs tout, peu mimporte. Lessentiel, cest que lesgens y croient, car cest porteur despoir.

Sources : Libertalia, une utopie pirate, extrait de lHistoire gnrale des plus fameux pyrates, de

Daniel Defoe, postface de Marcus Rediker, d. Libertalia, 2012, 142 pp. ; Pirates de tous les pays, de


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WINNERPS22 JUILLET 2014 5:5 3

PATRIQ 22 JUILLET 2014 5:2

Le NPA svissait dj l'poque.

J'AIME

Une TAZ la Hakim Bey, qui aura dur 80 ans ...

J'AIME

2 COMMENTAIRES
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