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Dominique et compagnie Amanda Valentino Melissa Kantor Le signal

M. Thornhill, le directeur adjoint du Amanda Valentino ... · voiture? et accessoirement, pourquoi notre amie nous avait-elle désignés comme boucs émissaires pour subir à sa place

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Dominique et compagniedominiqueetcompagnie.com

Amanda ValentinoMelissa Kantor

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torM. Thornhill, le directeur adjoint du

collège, a été violemment agressé dans son bureau. Moi, Hal, je suis convaincu que cette agression a un lien avec la disparition d’Amanda. D’ailleurs, Callie, Nia et moi sommes convoqués par la police pour être interrogés.

Amanda continue à semer des indices troublants. Mais dans quel but ? Est-elle en danger ? Que cherche-t-elle à nous dire ?

Si toi aussi tu as connu Amanda, si tu désires en savoir plus sur elle, alors joins-toi à nous. Ensemble, nous poursuivrons nos recherches pour percer le mystère de sa disparition.

Hal (avec Callie et Nia).

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Le signal

Stella lennon

Par Melissa Kantor

traduit de l’anglais (USa) par Sidonie Van den Dries

DoMinique et CoMpagnie

Le signal

Couverture :Conception de Polly Kanevsky et Dale Robbins

Réalisation graphique de Danielle Dugal

Publié avec l’accord de HarperCollins Children’s Books, une marque de HarperCollins Publishers.

titre original : Signal from Afar – The Amanda Project

tous droits réservés© 2009 Fourth Story Media

traduction française© 2011 Bayard Éditions

Pour le Canada© Dominique et compagnie 2011

adaptation par Danielle Patenaude

ISBn : 978-2-89512-945-5Dépôt légal : mai 2011

Le signal

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Vu de l’extérieur, le bureau du directeur adjoint n’avait rien d’une scène de crime. en même temps, sa porte était fermée. Peut-être que de l’autre côté, c’était le chaos. Peut-être que le sol était jonché de verre brisé, taché de sang, et qu’un contour à la craie indiquait l’endroit où thornhill était tombé sous les coups de son agresseur, quelque part entre dix-huit heures le vendredi soir (lorsque sa secrétaire, Mme leong, l’avait quitté) et sept heures le samedi matin (quand M. Richards, qui venait le consulter à propos des uniformes de soccer, l’avait trouvé inanimé sur le sol de son bureau, la tête en sang).

on était lundi midi à présent. assis dans le couloir devant le bureau en question, j’attendais que la police m’interroge.

C h a p i t r e u n

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Ça me laissait tout le temps de me faire des films. Imaginer thornhill gisant dans une mare de sang m’a donné un haut-le-cœur. en cherchant des yeux de quoi me distraire, je suis tombé sur un truc que j’avais dessiné pour faire plaisir à mon prof d’arts plastiques : l’affiche de Comme il vous plaira, la pièce de Shakespeare que la troupe de théâtre du collège montait cette année. Je me suis dépêché de regarder ailleurs. Je déteste voir mes œuvres une fois qu’elles sont terminées. Même si je suis à peu près satisfait d’un dessin, à la seconde où je décide d’y mettre la dernière touche, tous ses défauts commencent à m’apparaître comme pour me narguer.

Cette affiche m’a rappelé le jour où amanda avait lâché sa petite bombe en m’annonçant qu’elle allait refuser le rôle de Rosalind. elle avait prévu de dire à Mme Garner − la prof de théâtre − qu’elle ne pouvait finalement pas jouer dans la pièce, faute de temps.

– Je ne comprends pas. Pourquoi tu as passé l’audition si tu ne voulais pas de ce rôle ?

Debout devant elle, les mains sur les genoux, je reprenais mon souffle (dans une posture assez macho, je dois l’avouer).

C’était un matin d’hiver, au lever du jour. J’étais parti courir seul dans la campagne glaciale, sous un ciel blafard. Arrivé à l’extrémité du sentier qui débouche sur la colline du Pommier sauvage, je m’étais retrouvé nez à nez avec Amanda. Nous étions amis depuis plusieurs mois et je commençais à m’habituer à la voir surgir à l’improviste, dans les endroits les plus inattendus.

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Elle était adossée contre un arbre et portait une robe vert pâle. Une couronne de pâquerettes ceignait ses cheveux. Je me demandais où elle avait bien pu trouver des pâque-rettes en plein mois de février, quand elle m’a posé une couronne identique sur la tête.

– Tiens ! On n’a qu’à dire que ce sont des lauriers.Elle s’est mordu la lèvre inférieure et m’a observé un

instant.– Remarque, les pâquerettes font aussi bien l’affaire, vu

que tu n’es pas un poète, mais un artiste peintre.– Vu que je ne suis ni l’un ni l’autre, ai-je rectifié.Amanda adorait me provoquer en affirmant que j’étais

un artiste hyper doué. Comme je ne partageais pas cet avis, c’était toujours l’occasion de se chamailler. Je la soupçonnais même de m’avoir inscrit au concours national des jeunes créateurs – que j’avais remporté – juste pour avoir le dernier mot dans notre petite dispute.

– « Si tu entends une voix intérieure te dire : “tu es inca-pable de peindre”, alors peins par tous les moyens, et cette voix sera réduite au silence *. »

Une telle confiance en moi prêtait à sourire. Sur le ton de la plaisanterie, j’ai répliqué :

– N’essaie pas de m’impressionner avec tes citations, Amanda Valentino.

– N’essaie pas de me faire partager tes doutes, Hal Bennett.– Touché.

* Vincent Van Gogh.

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– Je dirais même plus : coulé !J’ai secoué la tête en riant. Amanda m’a souri et des

dizaines de petits plis se sont formés aux coins de ses immenses yeux gris vert. D’un geste ample, j’ai indiqué sa robe, sa couronne et ses sandales, ainsi que l’arbre contre lequel elle s’appuyait :

– On te croirait tout droit sortie de la mythologie grecque.– J’adore les dieux grecs. Pas toi ?– Euh... Je n’avais rien contre les dieux grecs. Seulement, je ne

m’étais jamais posé la question. Zeus. Poséidon... Ces gars sont cool, c’est sûr. Mais de là à les adorer...

Amanda s’est éloignée en balançant les bras, comme pour rythmer ses paroles :

– Ils sont tellement humains avec leurs crises de jalousie, leurs déguisements pathétiques...

Elle s’est arrêtée, a plaqué les mains sur ses tempes :– Là, tu les vois.Puis elle a couvert ses yeux de ses longs doigts fuselés :– Et là, tu ne les vois plus.J’ai ri.– Tu as intérêt à répéter cette petite scène de disparition

avant d’avouer à Mme Garner que tu renonces au rôle de Rosalind. Elle va péter les plombs.

Nous nous sommes remis en marche. Seul le craque-ment des feuilles gelées sous nos pieds troublait le silence. Amanda a inspiré une grande bouffée d’air brumeux. Elle a attendu quelques secondes avant d’expirer en frissonnant.

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– Tu vois, c’est précisément ce que je reproche à toutes les Mme Garner de l’univers. Elles passent leur temps à cher-cher des excuses pour piquer des crises.

J’ai compris ce qu’elle voulait dire, même si je connaissais peu Mme Garner. Je n’avais eu qu’un bref échange avec elle, le jour où je lui avais montré mes esquisses pour les affiches de Comme il vous plaira. Cela m’avait pourtant permis de me faire une petite idée du personnage. Elle m’avait posé une main sur le bras et m’avait regardé avec une gratitude infinie, comme si je venais de lui donner un rein, avant de souffler : « Hal Bennett, tu m’as sauvé la vie ». Elle en avait les larmes aux yeux. Du coup, je m’étais senti obligé de lui tapoter dou-cement l’épaule, comme pour la réconforter après lui avoir annoncé une nouvelle difficile à encaisser. Je n’osais pas ima-giner dans quel état elle était le jour où Amanda avait passé l’audition. Cette dernière avait causé un véritable cataclysme en soufflant le rôle de Rosalind à Heidi Bragg, star de la scène, du petit écran (non, j’exagère !) et incontestable idole des élèves de 9e année * à Endeavor.

– Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? Pourquoi tu ne veux plus jouer dans la pièce ?

À vrai dire, je me fichais éperdument de savoir si Amanda jouerait le rôle de Rosalind ou si elle proposerait à Mme Garner de l’attribuer à une autre apprentie comédienne. Par contre, je commençais à avoir le sentiment désagréable que sa pré-sence à Orion − et donc dans ma vie − avait quelque chose de

* au Québec, la 9e année correspond au secondaire 3.

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provisoire. Quand Amanda avait passé les auditions pour la pièce, j’y avais vu comme une promesse : elle serait à Endeavor au moins jusqu’au soir de la représentation. Apprendre qu’elle jetait l’éponge avant même le début des répétitions m’angois-sait un peu. Après ce rôle, à quoi d’autre allait-elle renoncer ? Notre amitié avait-elle une date de péremption, elle aussi ?

– Pourquoi je ne veux plus jouer dans la pièce ? a répété Amanda.

Elle a levé le menton afin de croiser mon regard.– Je crois que le théâtre n’est pas mon d’art de prédilection.– Et c’est quoi, ton art de prédilection ?J’avais prévu de lui poser cette question sur un ton badin.

Manque de chance, ma voix m’a trahi et c’est sorti affreuse-ment sérieux. Consternant.

Amanda a plongé ses yeux dans les miens.– La vie, a-t-elle répondu.En s’éloignant à reculons, elle a ajouté :– Le monde est une vaste scène de théâtre, Hal !Une seconde plus tard, elle a relevé les pans de sa jupe

et s’est sauvée en courant, telle la nymphe des forêts qu’elle m’évoquait ce matin-là.

– On fait la course ? m’a-t-elle lancé par-dessus son épaule.J’avais beau être le meilleur sprinteur de l’équipe d’athlé-

tisme d’Endeavor, elle avait pris trop d’avance pour que je puisse la rattraper.

J’ai secoué la tête, essayant de chasser amanda de mes pensées. Il fallait absolument que je me concentre. D’un

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instant à l’autre, un policier allait m’appeler pour m’interro-ger. Vu mes activités douteuses de ces quinze derniers jours, j’avais intérêt à préparer mes réponses.

Une semaine avant l’agression de thornhill, un samedi matin, Callie leary, nia Rivera et moi-même avions profité d’une heure de retenue pour entrer par effraction dans le bureau du directeur adjoint. l’idée était de trouver un début de réponse à la question qui nous préoccupait : pourquoi thornhill était-il convaincu qu’amanda Valentino était l’auteu r des graffitis dont un joyeux plaisantin avait décoré sa voiture ? et accessoirement, pourquoi notre amie nous avait-elle désignés comme boucs émissaires pour subir à sa place les foudres du directeur adjoint ?

et la liste de nos infractions ne s’arrêtait pas là ! l’avant-veille, c’est-à-dire le matin où thornhill avait été retrouvé assommé dans son bureau, nia, Callie et moi avions forcé la serrure de sa voiture pour la fouiller. Cette fois, il s’agissait de vérifier si l’enveloppe que Callie et moi avions cru aperce-voir dans le véhicule était une lettre d’amanda à thornhill. Réponse affirmative.

Si, sur le moment, cette fouille m’avait paru judicieuse − pour ne pas dire indispensable − elle me semblait désor-mais d’une crétinerie absolue.

enfin, comme j’étais le seul de notre trio à être convoqué dans les bureaux de l’administration aujourd’hui, je pou-vais toujours tenter de me persuader que la police d’orion n’avait pas eu vent de nos méfaits...

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J’en étais là de ma réflexion quand Callie a poussé la porte vitrée. J’ai grimacé en silence. Son arrivée était clairement un mauvais présage. avions-nous laissé des empreintes digitales dans la voiture ? Des traces de notre passage dans le bureau de thornhill ? Forcément !

Malgré tout, j’étais content de la voir. elle m’a souri de loin. en traversant le bureau pour venir s’asseoir à côté de moi, elle a soufflé sur une mèche rousse tombée devant ses yeux. J’ai remarqué que ses cheveux recommençaient à bou-cler, comme l’été avant notre entrée au collège. À l’époque, on était amis : on arpentait la forêt ensemble pour pêcher, escalader les rochers et explorer des grottes secrètes. Bien sûr, c’était avant qu’elle ne devienne une iGirl, membre à part entière de cette assemblée de sorcières qui gravite autour de Heidi Bragg et qui fait la pluie et le beau temps à endeavor.

la nouvelle coiffure de Callie était-elle liée à sa récente rupture avec Heidi, ou n’était-ce qu’un changement provi-soire. Quoi qu’il en soit, elle était ravissante.

– Salut, lui ai-je lancé.– Salut !nous avions parlé à voix basse. Pourtant, pour une fois,

Mme leong n’était pas assise à son bureau, fixant sur nous son œil de cerbère. Callie a posé son sac par terre avant de me consulter :

– C’est mauvais signe, non ?– Quoi ? le fait qu’on soit convoqués par la police après

avoir commis plusieurs actes de délinquance caractérisée ?

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Je me suis plié en deux et j’ai fait semblant de rattacher mes lacets, pour le cas où l’autre secrétaire, assise au fond du bureau, nous aurait épiés.

– arrête ! ai-je soufflé. on est des génies du crime. la preuve : ils ne se sont même pas aperçus que nia était notre complice.

– euh... justement...Comme Callie ne terminait pas sa phrase, je me suis

redressé, curieux. elle a indiqué des yeux la porte donnant sur le couloir. Suivant son regard, j’ai aperçu nia derrière la paroi vitrée, qui tendait la main vers la poignée. elle a écar-quillé les yeux en nous voyant, mais elle est entrée dans le bureau et s’est approchée de nous sans rien dire. Si Callie était particulièrement jolie aujourd’hui, nia était carrément époustouflante. elle portait une veste noire courte et cintrée légèrement bouffante au-dessus de la taille et un corsaire vraiment cool. les talons de ses chaussures en cuir à lacets claquaient sur le linoléum et ses lunettes fifties mettaient en valeur ses grands yeux marron.

Je ne suis pas du genre à m’attarder sur les vêtements des filles, mais franchement, ces derniers mois, nia avait changé de look de façon si spectaculaire qu’il aurait fallu être aveugle pour ne rien remarquer. Pour faire bref, disons qu’elle avait troqué ses vêtements informes contre des trucs branchés qui la métamorphosaient en top model.

nia s’est assise à côté de Callie. elle a croisé les jambes et tiré une bouffée d’une cigarette invisible avant de déclarer, hyper décontractée :

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– Ça me fait plaisir de vous voir.la secrétaire assise au fond de la pièce s’est levée. elle

a dis paru dans une petite alcôve à droite de son bureau. Une seconde plus tard, j’ai distingué le léger vrombissement d’un télécopieur.

– euh..., c’est peut-être le moment d’accorder nos vio-lons..., a suggéré Callie à voix basse.

nia a arqué les sourcils :– À quoi tu penses ? À nos motivations pour fouiller la voi-

ture de thornhill ou à la façon dont on s’est procuré la clé de son bureau ?

aïe... J’avais complètement oublié cette histoire de clé.– Pas tout à fait, a enchaîné Callie, imperturbable. Plutôt

à quelque chose du genre : « où étais-tu entre vendredi soir dix-huit heures et samedi matin sept heures ? »

– tu crois que « j’ai ratissé orion toute la nuit à la recherche d’amanda Valentino » n’est pas un alibi valable ? a ironisé nia.

Je me suis rappelé notre quête infructueuse. le vendredi soir, nous avions effectivement sillonné la ville pendant des heures sans rien trouver – sinon la preuve que nous n’étions pas les seuls à chercher amanda, ainsi qu’une série d’indices qu’elle nous avait laissés, histoire de nous dire « continuez à chercher ».

Une porte s’est ouverte sur notre droite. Comme reliées par un fil invisible, nos trois têtes se sont tournées à l’unisson. Ce n’était pas la porte du bureau de thornhill, mais celle de la pièce voisine, que j’avais toujours prise pour un placard. Quand Mme leong s’est faufilée dans l’entrebâillement, j’ai aperçu

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une table et deux chaises à l’intérieur. Ce réduit possédait- il une porte donnant sur le bureau de thornhill ?

Soudain, j’ai été obsédé par une pensée, si violente qu’elle me causait presque une douleur physique : je devais coûte que coûte entrer dans le bureau du directeur adjoint.

J’éprouve parfois des sortes de pressentiments, très puis-sants. et le plus étrange, c’est que quand ça m’arrive, je ne me trompe jamais. C’est ce qui s’est passé, par exemple, le jour où j’ai deviné que les dessins d’amanda sur la voiture de thornhill n’étaient pas de simples graffitis, mais un message à notre intention. Pareil pour l’agression de thornhill : je n’avais pas cru une seule seconde à la thèse du parent d’élève excédé qui aurait perdu la boule, car j’avais depuis le départ la certitude que cet acte était lié à amanda.

notez comme j’évite soigneusement de prononcer le mot « médium ».

Mme leong est passée devant nous, le visage ruisselant de larmes.

J’ai hésité à confier mes impressions à Callie et nia et à leur demander de l’aide. Pouvais-je leur parler de mes pré-monitions sans qu’elles me prennent pour un dangereux psychopathe ? Finalement, j’ai décidé d’attendre qu’une de mes amies soit appelée dans l’antre du policier pour me ruer dans le bureau voisin, sans les associer à mon délire. Manque de chance, la secrétaire qui envoyait une télécopie a choisi ce moment précis pour sortir de l’alcôve et venir s’asseoir tout près de la porte de thornhill.

Pour le plan a, c’était mort.

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Un téléphone a sonné et la secrétaire a décroché. Profi-tant de sa distraction, je me suis tourné vers les filles et d’une voix basse, pressante, j’ai lâché :

– Ça va vous paraître con, mais je dois absolument entrer dans le bureau de thornhill.

nia a haussé les sourcils.– encore une impression de déjà-vu ?l’inquiétude a chiffonné le visage de Callie.– Hal... tu crois vraiment que...Je m’étais remis à fixer la porte de la petite pièce. Soudain, la

poignée a pivoté sur son axe. les secondes m’étaient comptées.– Je n’ai pas le temps de vous expliquer, ai-je dit précipi-

tamment. J’ai besoin de passer quelques minutes seul dans le bureau. est-ce que vous pourriez créer une sorte de...

la porte s’est ouverte avant que j’aie pu achever ma phrase.– Henry Bennett ?Un policier d’orion, qui ressemblait à s’y méprendre à

un flic de série télé, est apparu dans l’embrasure. C’était un géant, un mètre quatre-vingt-quinze au bas mot, vêtu d’un uni -forme brun clair impeccable, le crâne rasé comme s’il allait embarquer avec les Marines. À sa hanche, j’ai aperçu un revol -ver dans son étui.

– Hal..., a répété Callie d’une voix implorante.– Je sais ce que je fais, ai-je marmonné entre mes dents.Je me suis levé et j’ai balancé mon sac à dos sur mon épaule

en songeant que je venais de proférer le plus gros mensonge de ma vie. Une quinzaine de jours plus tôt, entrer en douce dans le bureau de thornhill pendant qu’il surveillait les élèves

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en retenue dans la bibliothèque, à l’autre bout du collège, m’avait paru terrifiant. est-ce que j’allais vraiment le faire sous le nez d’un représentant de la loi ? D’un colosse dont les biceps énormes menaçaient de faire péter les coutures de son uniforme xxl ?

la gorge sèche, j’ai contourné le policier pour rejoindre le siège qu’il venait de m’indiquer. la pièce, dépourvue de fenêtre, n’était guère plus grande qu’un placard. Une table carrée entourée de quatre chaises occupait presque tout l’espac e. toutefois, je ne me suis pas attardé sur ces dimen-sions lilliputiennes, ni sur l’odeur de mauvais café qui flottait dans l’air. la seule chose qui m’intéressait, c’était la réponse à ma question. elle se trouvait pile derrière ma chaise.

Une porte.Une porte qui, étant donné l’emplacement du bureau de

thornhill, ne pouvait mener qu’à un endroit.– Bon, Henry Bennett...– Hal, ai-je rectifié. Personne ne m’appelle Henry.Ce n’était pas tout à fait exact : quand mes parents sont

en pétard contre moi, ils emploient ce nom-là. Cela dit, au cours de notre entretien, j’allais probablement raconter des salades à l’inspecteur nick Marciano (son nom figurait sur son badge). Je n’étais pas à un mensonge près.

– Hal, a-t-il répété.De toute évidence, il se fichait royalement de mon pré-

nom. Il s’est renversé sur le dossier de sa chaise, a croisé les bras et regardé en l’air, comme s’il lisait son texte sur le néon qui grésillait au plafond.

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– alors, Hal...Sa voix était décontractée, presque amicale.– À ton avis, pourquoi je vous ai fait venir ici, toi et tes amies ?– euh... vous vous sentiez un peu seul ?en une fraction de seconde, l’inspecteur Marciano a perdu

sa décontraction et s’est métamorphosé en méchant flic. Il a pointé un doigt menaçant sous mon nez :

– ne fais pas le malin avec moi, Hal Bennett ! Un homme a failli être tué dans cette pièce vendredi soir.

Il indiquait la porte dans mon dos.– Quelqu’un a saccagé les caméras de surveillance, est

entré dans le bâtiment et a attaqué le directeur adjoint, Roger thornhill. Je veux que tu me dises ce que tu sais sur le sujet.

– Pourquoi voulez-vous que je sache quelque chose sur l’agression de M. thornhill ?

Cette fois-ci, j’étais sincère. Je savais un certain nombre de choses sur thornhill que je n’aurais pas dû savoir. et j’avais également fait certaines choses que je n’aurais pas dû faire. Mais j’ignorais totalement qui l’avait agressé, et pourquoi.

– Pourquoi, en effet, Hal Bennett ? Pourquoi les trois per-sonnes qui ont créé le site Web de...

Il a consulté la feuille posée devant lui avant d’achever :– ... de « l’affaire amanda », posséderaient-elles des infor-

mations sur l’attaque dont a été victime Roger thornhill ?J’étais tellement surpris que j’ai failli m’étrangler :– Quoi ?Je m’attendais à être interrogé sur la voiture de thornhill,

éventuellement sur les bandes de vidéosurveillance qu’on

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avait piratées dans son ordinateur. les flics auraient pu s’en apercevoir en expertisant la machine – en admettant qu’ils aient les moyens de faire ce genre de trucs au poste de police d’orion. Mais jamais je n’aurais imaginé qu’ils puissent établir un lien entre le site Web de l’affaire amanda et l’agres-sion du directeur adjoint. C’était carrément surréaliste.

l’inspecteur Marciano a paru se délecter de ma surprise.

– tiens, on dirait que j’ai fait mouche...

Sa voix était à la fois pleine de menaces et d’une douceur écœurante : un couteau à cran d’arrêt trempé dans du miel.

– oui, Hal...

Il y avait quelque chose d’inquiétant dans sa façon de prononcer mon nom. Je regrettais presque de ne pas l’avoir laissé m’appeler Henry.

– tes amies et toi, vous avez cru pouvoir nous duper, n’est-ce pas ? Vous avez pensé...

– non ! C’est insupportable !

la voix provenant du couloir était suraiguë, hystérique. Pourtant, c’était celle de Callie, j’en étais certain. Par réflexe, j’ai failli pousser l’inspecteur Marciano pour voler au secours de mon amie. Heureusement, au moment où les muscles de mes jambes se contractaient, j’ai compris ce qui se passait.

C’était la diversion que j’attendais.

– Détends-toi. Ça va aller.

les paroles de nia se voulaient apaisantes, mais sa voix était aussi stridente que celle de Callie.

– Callie, non !

– Mesdemoiselles, je vous en prie ! s’est écriée la secrétaire.

l’inspecteur Marciano s’est levé d’un bond. Une demi-seconde plus tard, il sortait.

– Que se passe-t-il ?avant que la porte se referme derrière lui, j’ai entendu

le début de la réponse de nia : « Callie a complètement... » J’avais déjà bondi sur mes pieds et j’étais prêt à quitter la pièce, moi aussi. Seulement, j’avais choisi une autre porte.