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1 M2 RI Images et modèles de ville : renouvellement urbain Le projet ZACA à Ouagadougou Documents extraits de : BERTONCELLO B. (2010). « Diaspora, développement et urbanisation : des Burkinabè de l'étranger, acteurs des projets urbains de Zaca et Ouaga 2000 à Ouagadougou (Burkina Faso) », Annales de géographie, 2010/5 n° 675, p. 560-583. BIEHLER A. (2006). « Renouveau urbain et marginalisation. Le cas d'habitants du centre-ville de Ouagadougou -Burkina Faso »,Revue Tiers Monde, 2006/1 n° 185, p. 57-78. GOUVERNEMENT DU BURKINA FASO (2003). Concours international pour l’aménagement de la zone d’activités commerciales et administratives de Ouagadougou – février 2003. Note technique sur le contexte du projet. Ouagadougou : Ministère des Infrastructures, des Transports et de l’Habitat. 28 p. TALIERCIO P. (2008). « Un déguerpissement exemplaire à Ouaga (Burkina Faso) », revue Agone, 38-39 | 2008, [En ligne], mis en ligne le 23 mai 2010. URL : http://revueagone.revues.org/203. Questions : 1. Décrire la localisation du projet ZACA à plusieurs échelles. 2. Présenter les origines et les objectifs de ce projet de renouvellement urbain d’après ces promoteurs. 3. Identifier les acteurs impliqués dans ce projet et leur hiérarchie. 4. Quelles sont les conséquences sociales et spatiales de ce projet ? 5. Quelle image-modèle de la ville ce projet cherche-t-il à donner ? Comment s’inscrit ce projet dans les territoires de la ville ? Question de synthèse : en quoi le projet ZACA met-il en lumière les enjeux contradictoires de l’ordre urbain, entre politique de l’État et pratiques citadines des habitants ? Document 1. BERTONCELLO, 2010.

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M2 RI

Images et modèles de ville : renouvellement urbain Le projet ZACA à Ouagadougou

Documents extraits de : BERTONCELLO B. (2010). « Diaspora, développement et urbanisation : des Burkinabè de l'étranger, acteurs des projets urbains de Zaca et Ouaga 2000 à Ouagadougou (Burkina Faso) », Annales de géographie, 2010/5 n° 675, p. 560-583. BIEHLER A. (2006). « Renouveau urbain et marginalisation. Le cas d'habitants du centre-ville de Ouagadougou -Burkina Faso »,Revue Tiers Monde, 2006/1 n° 185, p. 57-78. GOUVERNEMENT DU BURKINA FASO (2003). Concours international pour l’aménagement de la zone d’activités commerciales et administratives de Ouagadougou – février 2003. Note technique sur le contexte du projet. Ouagadougou : Ministère des Infrastructures, des Transports et de l’Habitat. 28 p. TALIERCIO P. (2008). « Un déguerpissement exemplaire à Ouaga (Burkina Faso) », revue Agone, 38-39 | 2008, [En ligne], mis en ligne le 23 mai 2010. URL : http://revueagone.revues.org/203.

Questions :

1. Décrire la localisation du projet ZACA à plusieurs échelles. 2. Présenter les origines et les objectifs de ce projet de renouvellement urbain d’après ces promoteurs. 3. Identifier les acteurs impliqués dans ce projet et leur hiérarchie. 4. Quelles sont les conséquences sociales et spatiales de ce projet ? 5. Quelle image-modèle de la ville ce projet cherche-t-il à donner ? Comment s’inscrit ce projet dans les territoires de la ville ? Question de synthèse : en quoi le projet ZACA met-il en lumière les enjeux contradictoires de l’ordre urbain, entre politique de l’État et pratiques citadines des habitants ?

Document 1. BERTONCELLO, 2010.

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Document 2. BIELHER, 2006.

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Document 3. BIELHER, 2006.

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Document 4. BERTONCELLO, 2010.

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Document 5. GOUVERNEMENT DU BURKINA FASO, 2003.

1 - LA GENESE DU PROJET

LE MARCHE CENTRAL

Le marché central s'est imposé, depuis sa création en 1920 par l'administration coloniale, comme le

symbole du cœur de la ville de Ouagadougou. L'intérêt porté à cet équipement structurant par les autorités

explique les multiples aménagements qu’il a connus ; la dernière reconstruction date de 1985.

Compte tenu du standing de l'équipement et de son niveau de fréquentation, les autorités ont vu la

nécessité de réaménager les environs immédiats du marché. Cette idée évoluera rapidement pour intégrer

un espace plus large correspondant au périmètre de la zone commerciale. LE PROJET DE RESTRUCTURATION DE LA ZONE COMMERCIALE

La création du projet de "restructuration de la zone commerciale" a été décidé par les coordinateurs du

FASO en Août 1985. La présidence du FASO qui assurait directement la tutelle du projet a chargé la DGUTC

(Direction Générale de l'Urbanisme, de la Topographie et du Cadastre) de l'élaboration d'un dossier

préliminaire d'aménagement. Un mois plus tard, le plan d'aménagement est officiellement adopté.

A coté de cette zone commerciale, le CNR (Comité National de la Révolution) a décidé la création de la Cité

An IV A. L'aménagement de cette cité comportera la construction, le long de l'Avenue Kwamé N'Krumah,

d’un ensemble de villas et des immeubles à 3 niveaux avec des boutiques en RDC et des appartements aux

étages supérieurs, généralement occupés par des services et des bureaux. LE PROJET DE LA ZACA

En 1990, le Conseil des Ministres a adopté le texte portant création de la ZACA sur une superficie de 115

hectares, regroupant ainsi les deux projets (zone commerciale et cité An IVA) à l'intérieur d'un même

périmètre.

Les objectifs généraux du projet étaient de :

- donner un centre moderne et fonctionnel à la ville de Ouagadougou;

- rendre au centre commercial son caractère originel avec des activités commerciales intenses en

lui assurant en même temps une meilleure sécurité des biens et des personnes ;

- contribuer à transformer progressivement les mentalités et à instaurer une culture de

l'aménagement urbain.

L'aménagement du centre de la ville de Ouagadougou a été conduit au départ par le projet d'Aménagement

et de Restructuration de la Zone Commerciale qui a réhabilité essentiellement les alentours du marché

central. Ce projet n'a pas touché au parcellaire et les propriétaires devaient améliorer le standing des

bâtiments et les adapter à la vocation de la zone. La réhabilitation de la voirie s'est limitée à des travaux

de réfection des chaussées et d'aménagement de trottoirs et de parkings.

A partir de 1990, le projet de la ZACA s'est occupé de la restructuration d'une partie du quartier Koulouba

et des alentours de l'Avenue Kwamé N'Krumah. Dans le quartier Koulouba, les propriétaires devaient

présenter dans un délai de deux mois, des plans conformes au cahier des charges de la zone, sous peine de

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déguerpissement. Pour le projet de l'avenue N'Krumah, la population était déguerpie. L'État avait pris

possession des parcelles et réaménagé la zone suivant un nouveau plan. Les recettes de la vente des

parcelles dégagées à des sociétés de services ont permis de financer la viabilisation.

LE PROJET D'EXTENSION DE LA ZACA

Les opérations réalisées ont fait du centre ville de Ouagadougou un lieu caractérisé par un cadre bâti

moderne et approprié au développement des commerces et des services. Cependant, ce cadre prestigieux

ne pouvait rompre avec son environnement immédiat, caractérisé par des constructions délabrées, une

forte densité de population, un développement anarchique des activités informelles, des maux sociaux…

En outre, les mutations en cours dans les environs du centre montrent que l'investissement immobilier a

vite gagné les environs de la ZACA et des rues entières ont été rachetées et reconstruites par des nantis,

voulant profiter de la plus value foncière générée par les projets précédents.

C'est avec les objectifs de coordonner l'action des promoteurs, d'accompagner la dynamique

urbaine dans les environs du centre et de remédier à certaines lacunes constatées dans

l'aménagement de la ZACA que l'extension de la ZACA du centre de Ouagadougou a été décidée par

le décret 2000-522/PRES/PM/MIHU, adopté par le Conseil des Ministres du 02 Novembre 2000.

La superficie de la zone d’activités commerciales et administratives du centre de Ouagadougou est portée

à 200 hectares, soit une extension de 80 hectares environ. Cette extension concerne des zones d'habitat

situées de part et d'autre de l'Avenue Kwamé N'Krumah.

2- LES CARACTERISTIQUES DE LA ZONE D'EXTENSION

LA POPULATION

La zone d'extension de la ZACA regroupe plusieurs communautés d'habitants qui vivent en parfaite

harmonie avec une population étrangère nombreuse. En effet, l'attractivité du centre de Ouagadougou

dépasse les frontières du Burkina Faso et s'étend aux pays voisins.

En terme d'effectifs, les chiffres avancés dans diverses études et rapports varient de 10.000 à 50.000

habitants. En se basant sur une densité moyenne de 150 habitants par hectare, la population résidente est

estimée à environ 12500 habitants. Cet effectif reflète l'importance des moyens à mettre en œuvre et les

financements à mobiliser pour libérer le sol de la zone d'extension et pour reloger la population. LES CONDITIONS D'HABITAT

La zone d'extension compte 1600 parcelles environ, occupées à 90 % et dont une part non négligeable

abrite des activités et des logements. En général, la parcelle comporte plusieurs constructions abritant

chacune une cellule familiale.

L'état des constructions est médiocre, il s'agit pour l'essentiel de bâtisses édifiées en Banco et couvertes

en tôle ondulée, sur des voies de 6 mètres de large. Les mutations en cours concernent l'évolution

qualitative du cadre bâti le long des avenues bitumées avec l'édification de constructions à vocation

exclusive de commerces et de services.

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Par ailleurs, près de la moitié de la population de la zone d'extension est constituée de locataires jeunes et

d'étrangers.

Le niveau d'équipement des logements dans la zone d'extension est résumé dans les points suivants :

• La zone est desservie par l'électricité : plus de la moitié de la population utilise l'électricité pour

l'éclairage, le taux de branchement au réseau peut être estimé à 75 %. Le reste de la population

utilise pour l'éclairage des lampes à pétrole ;

• L'approvisionnement en eau se fait à partir de bornes fontaines pour plus de 50 % de la

population et par branchement au réseau de distribution pour environ 40 % de la population ;

• La plupart des ménages utilisent des latrines ordinaires.

3- LE CADRE INSTITUTIONNEL ET FINANCIER DU PROJET

Le décret n°2002-522/PRES/PM/MIHU portant extension de la zone d'activité commerciale et

administrative de Ouagadougou et création d'un projet d'aménagement de la ZACA situe le projet dans un

cadre réglementaire d'intervention. En outre, la ZACA est déclarée d'utilité publique.

L'ADMINISTRATION DU PROJET

Le projet est administré par un Comité Interministériel de Pilotage (CIP) dont la composition et le

fonctionnement sont fixés par l'arrêté conjoint n°2000-71 du 29-12-2000. Selon le règlement intérieur du

CIP, ce comité a pour mission de fixer les grandes orientations du projet et d'assurer la synergie entre les

actions du projet d'aménagement et les différentes politiques sectorielles mises en œuvre par les autres

ministères.

Les membres du CIP ont été nommés par arrêté du Ministère des Infrastructures, des Transports et de

l'Habitat sur proposition de leurs Ministres respectifs dont ils reçoivent un pouvoir décisionnel

conséquent : ainsi, le CIP assure le pilotage politique du projet de la ZACA.

L'EXECUTION DU PROJET

Le bureau du projet

Le bureau du projet est placé sous la tutelle technique du Ministère des Infrastructures, des Transports et

de l'Habitat. L'arrêté n°2000-72/MIHU fixe l'organisation les attributions et le fonctionnement du bureau

du projet ZACA. Ses missions sont :

- d'assister le Comité Interministériel de Pilotage chargé de l'administration de la ZACA. A ce titre,

il prépare, instruit, ventile les dossiers et documents de travail destinés aux réunions du CIP

dont il est le rapporteur permanent. Il est la structure de suivi de l'exécution des décisions du

CIP. Il peut recevoir mandat du Comité pour accomplir des tâches bien définies ;

- de participer au suivi des différents projets ou programmes inscrits dans le cadre de

l'aménagement de la zone d'activités commerciales et administratives ;

- de veiller au cahier des charges applicables à la ZACA.

- d'assurer la liaison entre les différents services techniques intervenant au niveau de la ZACA et

les propriétaires et locataires de ladite zone.

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Les différentes phases du projet

Le projet se réalise selon le phasage suivant :

- sensibilisation des acteurs et des populations ;

- acquisitions foncières et élaboration de cahiers des charges et du plan d'aménagement par le

bureau du projet ZACA ;

- libération de la zone et commercialisation des parcelles ;

- réalisation des voiries et des réseaux divers ;

- construction des projets.

Certaines opérations peuvent se dérouler simultanément.

Les mesures d'accompagnement

Le gouvernement est conscient que l'opération comporte des contraintes importantes. Des alternatives

sont proposées, au gré des propriétaires :

- le respect des cahiers des charges pour ceux qui veulent rester, étant entendu qu'il n'est pas sûr

qu'il y ait autant de parcelles qu'actuellement à l'issue de l'aménagement, indépendamment du

fait que leur terrain actuel peut se retrouver sur un site classé inconstructible par le nouveau

plan d'aménagement ;

- la cession amiable de terrains par les propriétaires à des prix à négocier entre le projet et les

propriétaires ;

- des attributions de parcelles viabilisées sur différents sites au choix, avec :

construction pour l'intéressé et déduction des coûts et remise du reliquat à l'intéressé ;

construction par l'intéressé dans un délai à définir et déduction du coût de la viabilisation

de la parcelle et remise du reliquat à l'intéressé pour construire ;

remise du prix de cession à l'intéressé qui décide de se réinstaller là où il veut, mais dans

un délai à définir ;

enfin, pour les locataires, un délai sera donné pour trouver un autre logement. LE FINANCEMENT DU PROJET

Le projet de la ZACA est entièrement pré financé sur des ressources nationales (emprunt obligataire et

emprunt auprès de sociétés publiques). Les opérateurs économiques et les promoteurs qui achèteront les

nouvelles parcelles produites vont permettre au projet de récupérer ses investissements initiaux. A terme,

le projet a pour vocation de s'autofinancer.

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Document 6. BERTONCELLO, 2010. Capitale du Burkina Faso, Ouagadougou concentre 1 500 000 habitants (RGPH 2006) soit 42,7 % de la population urbaine du pays. Son taux de croissance annuel de 4,3 % génère à la fois des dynamiques d’extension mais aussi de densification de l’existant pour satisfaire la demande en logements. Alors que le maire de la ville tente d’améliorer l’état des infrastructures et services urbains de base, le gouvernement national intervient à travers la programmation non articulée de deux grands projets urbains localisés de part et d’autre de l’aéroport. Ces deux projets pensés dans des logiques différentes n’ont pas la même histoire mais ils ont pour point commun une conception démesurée, envisagée dans des contextes économiques plus favorables, et en dehors de toute réflexion d’ensemble sur la ville produite et ses futurs usagers. Localisée en centre-ville, l’opération « ZACA » s’apparente à une intervention de rénovation urbaine réactivant les principes hygiénistes d’une démolition de l’existant en vue de la mise en place d’un nouveau projet à forte composante économique. Au Sud Est, le projet « Ouaga 2000 », pensé selon les modalités de création d’une ville nouvelle avec une double fonction résidentielle et politico-administrative, évolue au gré des programmations désordonnées d’équipements de prestige. Dans un contexte de décentralisation et de ressources incertaines, gouvernements local et national sont contraints de mobiliser les ressources financières émanant du secteur privé pour mettre en œuvre les actions envisagées (Bredeloup, Bertoncello, Lombard, 2008). Bien que l’État soit à l’origine de ces deux grands projets urbains, il ne peut les porter seul et développe une mission de promoteur en construisant des discours sur le bien-fondé d’une telle transformation de la capitale dans une dynamique de modernisation et de positionnement international. La ZACA, un quartier voué au commerce et aux services Institutionnalisée le 2 novembre 2000 par un conseil des ministres l’opération ZACA est en réalité considérée comme la continuité du projet de restructuration du centre-ville impulsé par le gouvernement du capitaine Thomas Sankara. Entre 1983 et 1987, le Conseil National de la Révolution propose une série d’actions visant le remodelage de Ouagadougou tant au niveau du centre à travers la programmation d’une zone commerciale, embryon de la ZACA, qu’au niveau des périphéries avec la mise en place de lotissements. Cependant comme le précise S. Jaglin, il n’y a pas eu de « [...] véritable politique urbaine révolutionnaire. Le pouvoir d’État tout entier absorbé par son projet de transformation sociale, n’a pensé la ville que comme territoire d’application de certaines des composantes de ses politiques sectorielles » (Jaglin, 1995), notamment dans le domaine de l’habitat et des services. À l’instar des premières opérations urbaines construites à partir de la pratique du « déguerpissement », l’extension de la ZACA (80 hectares) et la mise en œuvre de son projet d’aménagement ont généré un déplacement de population (12 500 personnes habitaient cet espace avant destruction). Concernant la période révolutionnaire, A. Marie parle de pratiques expéditives et cite l’exemple d’une mise en demeure à déguerpir « assortie d’un délai de deux mois seulement pour récupérer ce qui pouvait l’être, déménager, trouver une solution d’hébergement, de location ou tenter de reconstruire ailleurs... en zone spontanée ! » (Marie, 1989). En revanche, la tabula rasa du XXIe siècle s’accompagne d’une indemnisation des anciens habitants et d’une mise à disposition de deux trames d’accueil dans des quartiers plus périphériques, à Ouaga 2000 mais aussi à Yonko pour les populations moins fortunées. Pour s’assurer la maîtrise du foncier, la ZACA est déclarée zone d’utilité publique, ce qui donne la possibilité de libérer le sol dans un cadre légal d’expropriation. Au-delà d’un enjeu de modernisation, il s’agit, dans une logique de rivalité des capitales de la sous-région, d’ancrer Ouagadougou dans la catégorie des villes attractives pour les investisseurs de toute nationalité. Ce projet de transformation du centre débute en 1985 avec la démolition du marché central justifiée par son manque d’hygiène et son exiguïté puis s’accompagne de la reconstruction d’un nouveau marché à étage inauguré en 1988.

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Le réaménagement du quartier environnant visant à rationaliser l’organisation spatiale du secteur permet l’émergence d’une nouvelle zone commerciale avec un paysage urbain plus inscrit dans le vertical et un renforcement des équipements. M.-P. Bourzai souligne l’unanimité des commerçants quant à l’attractivité de la zone en termes de clientèle et insiste sur la centralité renforcée de ce quartier métamorphosé entre 1985 et 1990. Concernant les nouveaux immeubles à étages, deux faits permettent de relier la migration internationale au processus d’urbanisation. En premier lieu, certains propriétaires des immeubles sont des Burkinabè de Côte d’Ivoire ou d’un autre pays de la sous-région qui a rapatrié leur capital en vue d’un investissement dans des biens fonciers. Cette situation contribue à faire de la location, un mode privilégié d’occupation des locaux. Par ailleurs, les locaux situés en étage ne font l’objet d’aucune demande ; les usages professionnels initialement envisagés sont rares et laissent place à une occupation résidentielle qui brise la mono fonctionnalité programmée dans les documents d’urbanisme. La demande en logement dans les étages provient des « coopérants, célibataires et immigrés de retour au pays qui ont pris des habitudes de vie occidentales », elle contribue à occuper les locaux restés vides d’activité économique et à participer à une animation nocturne du centre-ville une fois les commerces fermés. Le 5 septembre 1990, le conseil des ministres adopte un projet important, celui de la création de la ZACA. En réalité, l’État ajoute à la précédente zone commerciale structurée entre 1985 et 1990, une bande de terrain de 119 mètres de large centrée sur l’avenue N’Krumah reliant l’aéroport au cœur de ville ainsi que le quartier Koulouba. L’aménagement de cette avenue accueillant des immeubles destinés au commerce et aux bureaux mais aussi des banques, constitue en définitive une préfiguration des objectifs de modernisation et de revitalisation déclinés dix ans plus tard dans la zone environnante dégagée de son occupation initiale « de vieilles maisons manquant du minimum sanitaire16 » où de nombreuses activités informelles s’étaient développées « dans une dynamique désordonnée ». Bien avant la mise en place de la dernière phase du projet ZACA, quelques habitants de ces quartiers vendaient leurs parcelles à des acheteurs fortunés qui construisaient des immeubles à des fins commerciales, attirés par la localisation exceptionnelle du secteur. En 2003, la démolition du dernier secteur de la ZACA (de part et d’autre de l’avenue N’Krumah), a épargné quatre-vingt-huit immeubles dont les propriétaires ont décidé de rester et d’appliquer les consignes du cahier des charges. Depuis cette date, le projet est entré dans la phase de délimitation des nouvelles parcelles et de leur commercialisation mais des problèmes de planification, de financement et de vente des terrains du futur « Manhattan version burkinabé » comme le présente la presse, ont retardé le démarrage des travaux. Il faut attendre novembre 2006 pour voir arriver sur le terrain dégagé les matériaux nécessaires à la création d’un canal destiné à drainer les eaux de pluie et de ruissellement avec un démarrage des travaux en janvier 2007. Les travaux de Voirie et Réseaux Divers (terrassement, assainissement...) sont réalisés en 2008 et 2009 ; les premiers grands axes sont recouverts de bitume en 2009 mais les projets immobiliers ne sont toujours pas sortis de terre. La maquette de ce quartier à reconstruire permet d’identifier notamment des espaces commerciaux, un centre culturel et un théâtre de plein air, des centres d’affaires, un complexe culturel polyvalent, un complexe hôtelier. La fonction résidentielle y est mineure ; le cahier des charges imposant des bâtiments d’une hauteur de 3 à 7 étages, autorise la réalisation de logements seulement à partir du 3e étage. Le style architectural imaginé dans ce projet est relativement aterritorialisé et pourrait être assimilé à une production standardisée internationale envisagée pour tout type de programmation urbanistique à vocation tertiaire. F. Ascher qui analyse les effets de la globalisation, précise qu’elle « semble d’une certaine manière « homogénéiser » les pratiques et les statuts en diffusant partout les mêmes objets, les mêmes références, et à peu près les mêmes modes d’organisation ». Parmi les ingrédients de cette programmation, le développement économique occupe la première place, c’est lui qui devrait à terme autoriser un renforcement du positionnement international de Ouagadougou. « Le projet ZACA, est un projet “révolutionnaire” parce qu’il s’agit de créer un pôle au cœur de la capitale de notre pays, un pôle économique des affaires avec toute l’administration qui l’accompagne pour pouvoir en faire le porte-étendard de la nouvelle économie burkinabè. C’est un projet qui va produire des effets d’entraînement suffisamment importants sur l’ensemble de l’économie burkinabè et booster le niveau de l’investissement étranger. Nous avons besoin d’une administration moderne et productive qui soit en rapport avec la dynamique du secteur privé, et cela va de pair avec une zone où les affaires se font dans le même rythme

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et dans les mêmes délais que l’économie mondiale. » L’impératif d’avoir dans une capitale un espace pensé sur un rythme en prise avec celui de l’économie mondiale renvoie à la problématique de la superposition, dans un même secteur, d’un espace résolument tourné vers le monde, aménagé dans une perspective de positionnement international, et d’un espace vécu fonctionnant comme un espace de proximité avec des attentes particulières de la population en matière de cadre de vie. Ces deux espaces bien qu’ancrés dans un même périmètre d’aménagement peuvent s’ignorer, se heurter mais sont rarement préalablement articulés. Dans tous les cas ils constituent une offre relativement adaptée aux projets de migrants ; ce sont des espaces urbains disponibles dans la capitale burkinabè (il s’agit bien d’investir au pays) mais aussi des espaces d’investissement qui ne sont pas envisagés pour être vécus une fois aménagés (et là, l’ouverture sur l’économie mondiale est perçue comme un atout). En définitive le projet ZACA, comme celui de Ouaga 2000, est un outil de marketing permettant de communiquer sur le positionnement attendu de la ville-capitale et d’afficher ses qualités spécifiques. Quelques productions architecturales un peu monumentales ou de forme originale sont les supports d’une image de modernité destinée à renforcer le rayonnement de Ouagadougou. Ici comme au Nord, « la construction des symboles est un ingrédient du façonnement de l’espace » (Manzagol, Sénécal, 2002) mais en l’absence d’un patrimoine bâti à valoriser, et de l’impossible restitution « d’un improbable état disparu » (Chemetov, 2003) ce sont les nouveaux objets architecturaux qui ponctuent la ville créée.

Document 7. BIELHER, 2006.

I. HABITER LA VILLE A UN PRIX. UNE NOUVELLE NORME URBAINE POUR OUAGADOUGOU. 1 - Zanguettin : la marge au cœur de la ville Après l'annonce du projet Zaca, les réactions des habitants des quartiers de Zanguettin, Tiedpalogo, Koulouba, Kamsaoghin et Peuloghin ont été immédiates et vives. L'ampleur de la mobilisation est certainement proportionnelle au choc qui a été éprouvé à l'écoute d'une telle déclaration par « petit écran interposé ». Ce mode d'information a été ressenti par la population comme une preuve du peu de considération que l'État a pour eux, sentiment d'humiliation mû en critique renouvelée dans tous les argumentaires de la population pour le refus du projet. Habiter le centre Habiter le centre-ville et bénéficier de la proximité de nombreux services, administrations et commerces, c'est être privilégié. Les habitants des quartiers concernés par le projet en ont conscience et les paroles de Boumeira 3 en témoignent : «Je réside ici, j'y travaillais jusqu'à ce que le projet voie le jour. Nous avons tout ici pour être contents. Nous avons un marché et le grand marché RoodWoko n'est pas loin d'ici. Il y a des restaurants, des maquis, et des boîtes de nuit où nous pouvons aller danser. Si vous empruntez l'avenue Kwame N'Krumah la nuit, vous avez l'impression que vous n'êtes pas à Ouaga. Elle est animée jusqu'au petit matin. » Tous les entretiens conduits dans ces quartiers reflètent la même fierté d'habiter le centre. À Ouagadougou, l'identité du quartier et celle de ses habitants sont confondues ; c'est pourquoi, même si le caractère insalubre d'une partie de cette zone centrale n'échappe à personne, l'image valorisante d'un quartier festif et commercial rejaillit sur l'identité des habitants. Déjà « dans les années 1930 et 1940, l'essentiel des activités commerciales africaines transitait par les quartiers de Koulouba, Tiedpalogo et Zangouettin » (Fourchard, 2000 : 221). Tiedpalogo et les quartiers contigus étaient considérés comme le centre et le principal espace de sociabilité et de liberté de la ville. Ces quartiers étaient « les quartiers "ambiances" de Ouagadougou » (Fourchard, 2000 : 210) et attiraient des citadins de toute la ville.

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La conscience aiguë d'être au centre accentue l'incompréhension et la colère devant l'absence d'intervention des pouvoirs publics pour améliorer la qualité de vie dans ces quartiers où les habitants ont leurs racines. L'attachement aux quartiers est double ; il est dû au caractère central et aux activités qui lui sont liées, et à un lien personnel de l'ordre de l'appropriation du territoire urbain : il s'agit de « son quartier » entendu par les habitants comme le quartier dans lequel on est né, on a grandi, et où éventuellement on a son activité. Cet attachement vient heurter de front le discours de l'État qui déclare le quartier hors norme, parce qu'il est construit en matériaux précaires et que les cours n'y sont pas toutes reliées aux réseaux d'eau et d'électricité. Pourtant, une certaine ambiguïté n'est pas absente des discours ; certains habitants apprécient les espaces correspondant à la nouvelle norme urbaine. Ils reconnaissent une grande valeur aux quartiers bitumés, toujours propres à leurs yeux, mais refusent d'accepter le jugement émie sur le leur, donc sur eux. « À un étranger, je lui ferai visiter Ouaga 2000 et l'avenue Kwamé N'Krumah. Ce sont les plus beaux endroits de la ville. Ces quartiers sont très propres et les rues sont bitumées. Cela donne une bonne image du pays. Les quartiers populaires sont trop sales, on ne doit pas le faire visiter à un étranger ». Alors qu'elle faisait figure d'exception dans Ouagadougou, l'avenue Kwamé N'Krumah, à la marge de laquelle se trouvent les quartiers déguerpis 5, représente maintenant la norme, diffusée par les visuels apparus en août 2002 dans la presse comme dans la ville sur des panneaux de 4 x 3 rn. L'un d'entre eux présente un homme d'affaires à l'allure dynamique, jeune et vêtu d'un costume, posant devant un immeuble à l'architecture originale de la fameuse avenue, image emblématique de la ville moderne habitée par une population favorisée qui incarne une certaine réussite socioprofessionnelle. Une ville moderne C'est bien d'une ville moderne, digne d'être une capitale, dont parle l'État en 2000. C'était déjà le cas en 1990 lorsque le Conseil des ministres adoptait le texte de création de la première Zaca regroupant à l'intérieur d'un même périmètre deux projets existants : la zone commerciale et la cité AnIVA. Les objectifs étaient alors de donner un centre moderne et fonctionnel à la ville, visant à « contribuer à transformer progressivement les mentalités et à instaurer une culture de l'aménagement urbain ». Le discours et le but restent les mêmes pour la zone d'extension. C'est un défi pour la capitale et une priorité nationale ; le Premier ministre parle « d'aménagements qui se font selon les normes internationales ». Il s'agit, au travers de la valorisation de l'image de la capitale, de redonner une image moderne au pays, d'attirer les investisseurs nationaux et étrangers. De même, dans le discours porté par la presse - abondante au sujet du projet Zaca -, il est souvent question de l'image de la ville. On y expose une vision négative des vieux quartiers centraux ainsi que le souhait de voir apparaître une image plus valorisante pour le pays. Ces propos confirment dans l'opinion publique le caractère « non viable » des vieux quartiers et ainsi leur mise en disgrâce. Par ce discours, relayé dans une campagne de communication élaborée par l'agence Synergie chargée de la concertation et de la communication, l'État a convaincu une partie des habitants des quartiers concernés, mais surtout les Ouagalais, du bien-fondé du projet. Il a ainsi créé l'adhésion à la nouvelle norme, malgré les années de manifestations, voire d'émeutes, que le projet a suscitées dans la ville. Pour preuve les paroles, même teintées d'un brin d'ironie, de l'hebdomadaire satirique burkinabé : « II fallait peut-être bien toutes ces péripéties pour aboutir à cette relative paix des braves, l'heure étant aux négociations. L'effet Synergie y est peut-être pour quelque chose dans le "sens où l'on va". Avec ces belles images du futur qui défilent à la télé ou qui s'étalent en pleines pages des journaux, les résidents de la zone du projet auront de quoi être fiers d'avoir contribué à l'avènement de la nouvelle Ouaga. En cédant leurs parcelles au projet Zaca, ils participent à une belle entreprise humaine et à une grande réussite

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d'urbanisation. Si ce n'est pas du positivisme, ça lui ressemble. À ce rythme et sous réserve que le test soit concluant, bientôt, ce seront les habitants d'autres quartiers populeux qui réclameront des projets Zaca comme on réclame les caniveaux. » La campagne de communication ne vise pas seulement à ancrer dans les esprits une image « moderne » du centre-ville mais aussi à promouvoir un habitat de type villa pour des familles nucléaires. Ce modèle est mis en avant par un des trois visuels de la campagne Synergie représentant une famille (un couple, trois enfants et une grand-mère) devant une villa, image opposée à la réalité des vieux quartiers de la capitale. L'image proposée fait bien sûr penser au slogan « à chaque ménage sa parcelle » qui accompagnait la politique de lotissement du CNR durant les années 1980, censée « provoquer l'émergence de la famille conjugale comme unité résidentielle autonome » (Le Bris et al, 1992 : 257). Ce visuel fut présenté avec un slogan mettant en avant la possibilité pour chacun d'obtenir un logement décent sur la trame d'accueil, sous-entendant que ceux des vieux quartier ne l'étaient pas. Ainsi, nous trouvons face à face un État qui parle de modernité, de progrès, de développement de la capitale et du pays, et une population choquée par le peu de considération dont elle fait l'objet, alors qu'elle a bien conscience d'être au cœur de la ville et de le faire battre. Cette population doit accepter que sa place ne soit plus au centre-ville car son lieu de vie, mais aussi ses façons d'y habiter, sont devenus hors norme. De l'abandon à la marge Si ces quartiers peuvent êtres considérés comme à la marge, c'est-à-dire en dehors de la norme acceptée par l'ensemble de la société, c'est aussi parce qu'ils posent aux autorités municipales les problèmes de sécurité inhérents aux quartiers qui accueillent les lieux de prostitution et le commerce de drogue dont le contrôle est difficile. La présence d'une population appartenant à la « marge sociale », d'exclus, s'additionne à l'état d'insalubrité des quartiers et est incompatible avec l'image de capitale moderne que les autorités souhaitent donner à tous. Nos entretiens avec les habitants montrent qu'eux-mêmes souffraient de cet état de fait : ils avaient souvent l'impression que ces problèmes étaient liés à l'absence d'intervention des autorités, au manque d'entretien de leurs quartiers. Ce constat d'abandon donne plus de poids encore à l'accusation que portent les habitants aux autorités qui auraient mal loti les quartiers dans les années 1950. Les habitants dégagent ainsi complètement leur responsabilité en externalisant la cause de l'état d'insalubrité, et dénoncent un espace désorganisé et dévalué. « Ici, c'est plus propre qu'à Zanguettin parce que cela a été mieux loti, la circulation est plus facile, les 6 mètres sont plus larges, là-bas c'est serré. On dit Zanguettin c'est sale, mais la mairie a abandonné le quartier, comment faire quand il n'y a même pas de fossés ? [...] Le problème aussi à Zanguettin, c'est que c'est beaucoup de locataires, chacun fait ce qu'il veut. » Les propriétaires en difficulté économique vivent souvent de la location d'une partie de leur cour. Les locataires qui, faute de moyens financiers suffisants, sont prêts à s'installer dans des conditions de confort minimum pourvu que le logement soit bon marché et proche des activités rémunératrices, sont nombreux. Cette population, peu exigeante, est aussi peu soucieuse de l'entretien général de son cadre de vie. Citadins sans voix, sans poids, sans moyens, ils voient leurs espaces se dégrader. « Dans ce quartier, il n'y a pas d'espace public. Le seul endroit qu'on pouvait appeler espace public était le square Yennenga. Mais cet espace a été transformé en débit de boisson. Quand on dit aux gens que le maire nous a fait la force, ils ne veulent pas comprendre. Pourtant c'est vrai. Il y a toujours des jardins publics dans les cités ou dans les zones résidentielles où vivent les Blancs et les hommes d'affaires de ce pays. Mais personne ne touche à ces espaces. Comme nous, nous n'avons pas la force, c'est ceux qui sont dans nos quartiers pauvres qu'on transforme. Pourtant c'était un endroit où les enfants partaient jouer au ballon et certain apprenaient leurs leçons. Ce temps est révolu. Les jardins sont privatisés, ce sont ceux qui ont de

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l'argent qui vont là-bas, la mairie a une politique de la sélection, ce ne sont pas les étudiants ou même les petits fonctionnaires qui peuvent aller là-bas. » Le sentiment d'être abandonné est très présent ; cette mise à l'écart du reste de la ville par le biais d'une gestion inexistante des espaces publics s'explique par la caractéristique populaire des quartiers. Il s'agit d'un processus lent, mais ressenti par les habitants comme sciemment choisi par les autorités qui appliquent une politique de non-intervention ou une politique de gestion qui soustrait les espaces.

Document 8. TALERCIO, 2008. Sus au secteur informel

Au titre d’un des dix principes du plan, il s’agit bien d’« accueillir, pour l’encadrer, l’économie marchande informelle ». Principe qui résume à lui seul toute la difficulté des États africains, qui ne savent comment capturer l’activité commerciale bouillonnante de la majorité de leurs citoyens dans une réglementation fiscale à laquelle, faute de moyens et de stabilité, elle ne saurait de toute façon nullement répondre. Une des parades de cette politique semble justement passer à Ouagadougou et dans des villes de moindre importance du Faso par la transformation des marchés de plein air traditionnels en marchés couverts bâtis en dur, par laquelle tout commerçant sort de fait du secteur informel en signant le bail de son emplacement. Mais il reste un certain nombre de commerces informels que cette politique ne concerne pas : cirage de chaussures, vente de bananes, de noix de coco, de gâteaux, d’eau, de thé, de café, d’autocollants, de tissus, de livres et de guides touristiques à la sauvette, majoritairement exercés par des mineurs – qui ne seront semble-t-il pas les bienvenus dans la ZACA. La suite du texte de L’Immobilier est d’ailleurs très explicite et mérite d’être citée in extenso : « On a pensé au secteur informel surtout en matière de restauration. Quand le centre-ville sera rénové, il y aura des restaurants de haut niveau sous les immeubles. Des restaurants populaires ou collectifs seront aménagés pour accueillir plusieurs restaurateurs. La préoccupation est de ne pas oublier le secteur informel, qui participe à l’économie urbaine. Si ce n’est pas réglementé, alors ça va se déployer dans le désordre. Le marché de Zangouétin passera de 2 000 à 9 000 mètres carrés pour accueillir afin de désengorger les alentours des immeubles et les bordures des voies. » Pour démontrer à quel point le projet ZACA n’oublie pas le secteur informel – censé participer à l’économie de la ville alors qu’il en constitue tout simplement l’essentiel –, signalons l’ironie que constitue la mention, en novembre 2004, de l’agrandissement du marché de Zangouétin entièrement rasé depuis août de la même année. En réalité, le secteur informel tel que les Ouagalais ordinaires le connaissent n’a d’ores et déjà pas de place dans la ZACA. Toute la question, que se gardent bien de poser les auteurs du projet, réside précisément dans la surveillance et la répression de son inévitable reflux sur la scène d’un Burkina réservé à une infime minorité de citoyens et de commerçants ; ou, comme le dit encore L’Immobilier, « le projet ZACA, processus d’accompagnement du développement du centre-ville de Ouagadougou et de ses activités, opte pour l’amélioration du cadre de vie au bénéfice des habitants pour créer une ambiance harmonieuse et une interaction synergique aux nouveaux besoins ». Le mot « synergie » n’a pas qu’un rôle décoratif dans cet énoncé : Synergie est aussi le nom de la société de communication qui a réalisé cette brochure.

Résistance

Le coût du projet était estimé en 2007 à 45 milliards FCFA (647 millions d’euros), couvrant le dédommagement des populations déguerpies, la démolition et la mise en valeur du site – hôtel, centre culturel et parkings mis à part, estimés à eux seuls à 77 milliards FCFA. Alors que la population découvre les visuels dans les médias au début de l’année civile 2002, l’Assemblée nationale ne vote qu’en janvier 2003 l’emprunt d’État qui devra financer l’indemnisation et le recasement. Une année, c’est officiellement la durée qu’il aura fallu pour évaluer les besoins à hauteur de 13,6 milliards de FCFA (195 millions d’euros). L’emprunt d’État doit être remboursé par un appel à souscription lancé en octobre 2002. Le souscripteur achète une parcelle de 500 mètres carrés minimum au prix plancher de 100 000 FCFA le mètre carré (152 euros) – les emplacements près des grandes voies et des esplanades étant plus chers. Le souscripteur doit en outre s’acquitter d’une taxe de jouissance de 3 000 FCFA le mètre carré (4,57 euros).

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Comme le soulignait Alain Bagré, alors chef sortant du projet : « Il n’est donc pas donné à tout le monde de s’acheter un terrain à la ZACA. Mais la loi au Burkina ne fait pas de distinction en termes de nationalité, de sexe et de race ; toute personne qui est en mesure de payer peut donc se procurer des parcelles que le projet commercialise.» On voit cependant mal quel habitant de Zangouétin aurait eu l’idée de racheter sa parcelle trois ou quatre fois le prix pour lequel on allait l’exproprier pour y faire bâtir un immeuble au cordeau des nouvelles constructions. Aucun mystère n’aurait donc dû planer sur la destination des terrains libérés de la ZACA, d’une part, et des déguerpis, d’autre part, si on n’avait scrupuleusement différé l’annonce du montant des indemnisations jusqu’à l’épuisement de toute contestation. Selon les différents responsables, une phase de communication et de sensibilisation aurait précédé les premières confrontations avec la population en février 2002. Mais ce n’est pas l’avis des principaux intéressés. Dans LePays du 16 avril 2002, des autorités coutumières du quartier déclarent : « Nous sommes les premiers concernés et nous n’avons jamais été consultés ni associés en quoi que soit. Du projet, nous n’en avons vu ni entendu quoi que ce soit de plus que ce que chacun a vu à la télévision et entendu à la radio. » Selon le directeur de l’agence de communication Synergie, des animateurs ont sillonné la zone six mois durant avec pour objectif de donner toutes informations nécessaires et utiles en rapport avec le projet. Comme il est clair que, du côté gouvernemental comme de la population, l’expérience des déguerpissements effectués sous la période sankariste sert de référence repoussoir, la ZACA est régulièrement annoncée comme un « projet participatif » qui associe les populations dans tout le processus de sa démarche. On prend même le soin d’intégrer d’emblée trois habitants au sein du conseil d’administration. Mais selon le texte « Des intellectuels de la zone contre le déguerpissement », paru dans Le Pays du 28 mars, la population n’a toujours pas eu vent d’un quelconque dédommagement contre son prochain départ. L’inquiétude monte alors dans un climat politique délétère, qui n’exclut pas la possibilité d’être délogé sans contrepartie. Depuis un certain temps déjà, le pouvoir semble sur le point de sombrer dans l’autocratie : censée calmer les esprits après l’assassinat par le feu du journaliste Norbert Zongo, qui mettait en cause un membre de la famille du président, la « Journée nationale du pardon » ne date que de mars 2001. Et c’est dans un contexte économique particulièrement dur, où le prix des denrées de base grimpe à des niveaux records, que des familles pauvres perdent toute confiance dans l’avenir. Comme le dit un proverbe mossi : « Dormir sur la natte du voisin, c’est dormir par terre. » Le 3 février 2002, lors d’une assemblée générale organisée à la maison des jeunes et de la culture du quartier, la direction du projet ZACA, qui semble espérer trouver une représentation unitaire de la population avec qui négocier au mieux de ses intérêts, se heurte d’emblée au refus de toute récupération politique. Le député Mahamadi Kouanda, qui avait voulu prendre la tête d’une fraction des futurs déguerpis, est alors violemment pris à partie par les jeunes du quartier, qui vont majoritairement se rassembler autour de l’imam SaïdouBangré au sein d’une coordination des habitants de la ZACA. Mais l’imam, endossant de plus en plus un rôle temporisateur avant d’entrer dans le jeu du déguerpissement, sera à son tour lâché par une fraction de la coordination. Suite à cette réunion d’information chahutée de février 2002, où les forces de police interviennent pour protéger le député Kouanda, on s’empresse de communiquer sur la création d’une trame d’accueil prévue pour le relogement des futurs déguerpis. Ce qui, en l’absence d’un plan de dédommagement clair, paraît tout à fait dérisoire. Durant les mois de mars et avril 2002 ont lieu différentes manifestations de la coordination – nommée aussi « Nous pas bouger » –, qui campe sur un refus pur et simple du déguerpissement et du projet ZACA non concerté. Dans le même temps, le travail de recensement des parcelles et des propriétaires commence. Apparaît alors un grand nombre de situations juridiquement fragiles : des certificats de propriété perdus, des héritages sans trace, des maisons partagées avec une famille lointaine et souvent polygame, qui commencent à diviser les habitants pris au jeu de la faute administrative et des contentieux familiaux. En juillet, une partie des membres de la coordination organise une première marche nocturne, durement réprimée par la police. Ce qui entraîne une radicalisation et l’apparition du groupe « Al Quaïda », qui va, les jours suivants, brûler des pneus sur la voie publique et continuer à s’opposer à la police. On procède à vingt-huit arrestations. L’imam Bangré – qui échappera aux relocalisations – appelle au calme, avant de se rendre à la logique du déguerpissement : « Au regard de la zizanie qui existe déjà au sein de la population, il n’est plus maintenant question du problème de recensement et de la topographie dans la zone du projet mais plutôt de l’unité d’action en vue de défendre nos intérêts sur notre terrain d’accueil. » Après que vingt-deux prévenus soient relaxés et les six autres condamnés à un mois de prison, se tourne la page de la résistance des habitants à la ZACA.

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Quartier populaire contre banlieue résidentielle

Dans un numéro de L’Hebdomadaire – très riche en révélations –, le directeur de Synergie, M. Désiré Komboïgo, n’avait pas seulement l’occasion de se féliciter pour l’excellent travail de communication de son bureau. En bon pédagogue, il dressait également une typologie des différentes attitudes qui avaient accueilli le projet : « Ceux qui ont vite compris et sont venus s’imprégner des travaux. Ces derniers ont beaucoup influencé le projet afin que l’on prenne en compte la résolution de leurs problèmes et présentement ils sont rassurés et ont le sentiment d’être dans un projet où l’homme compte. Et au-delà du désagrément que cela va causer, ils ont le sentiment d’être respectés. Il y a une autre catégorie de personnes qui se sont trompées et présentement se sont heureusement ressaisies. » À cette étape du processus, il est donc devenu parfaitement clair que la dimension consultative du projet ZACA n’a jamais concerné la requalification du site lui-même mais simplement la façon dont les déguerpis seraient relogés ailleurs. Le cahier des charges des deux quartiers d’accueil achèvera, comme le suggèrent les propos du directeur général de la Sonatur (Société nationale des terrains urbains), de casser les usages ayant cours à Zangouétin : « C’est un quartier résidentiel, et on y est pour résider surtout. Il ne faudrait pas que les gens mélangent, comme dans les quartiers populaires où l’on fait du tout en même temps. Non, ça c’est un quartier résidentiel. Et si vraiment les gens respectent ce caractère résidentiel, les conditions de propreté dans la zone, avec le temps ils se rendront compte qu’ils sont vraiment dans un cadre agréable où il fait bon vivre, c’est ça l’objectif.»

Document 9. BIELHER, 2006. Vers une citadinité La notion de citadinité peut être approchée de différentes manières. Une première serait de la considérer comme une identité urbaine et donc d'observer les pratiques des acteurs de la ville comme les signes d'une appartenance à la ville. L'appropriation de la ville par les habitants engendre leur appartenance au territoire de la ville, leur citadinité. Une seconde serait l'approche de la citadinité comme processus. La citadinisation est ainsi définie « comme étant le procès de socialisation dans un cadre urbain de populations d'origines diverses qui entendent - plus ou moins explicitement - accéder à un statut citadin véritable. Ici, l'étude de la citadinité devient un moyen pour appréhender la façon dont des groupes mettent en œuvre leur "droit à la ville" ». On cherche à « saisir la citadinité comme un ensemble d'actions exprimant différents modes d'intégration politique-socio-économique de populations non encore intégrées, ou médiocrement » (Lussault, Signoles, 1996 : 4) ; il est nécessaire pour cela de savoir comment les "citadinisés" vivent leur situation et comment ils définissent la citadinité : ils constituent ainsi «des instances de validation des comportements citadins "conformes" ». Deux points sont communs à ces deux approches : - toutes deux ont pour objectif de cerner des pratiques sociales territorialement ; - elles débouchent sur la question du politique, « considéré en tant que champ conflictuel où s'énoncent les différents niveaux de règles, de normes, de prescription qui légitiment certains usages et en invalident d'autres. » (Lussault, Signoles, 1996 : 5). Le citadin s'approprie le territoire urbain ; il connaît la ville, l'aime et s'y investit. Il l'habite, il a le « droit à la ville », ce qui sous-entend le droit à l'équipement de manière générale à tous les avantages que la ville peut procurer.