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71 Migros Magazine 27, 2 juillet 2007 Vie pratique «Migros Magazine» à votre service Mieux vivre L’herbier à croquer Végétarien à ses heures, mais néanmoins gourmet, le tandem fribourgeois d’ethnobotanistes, François Couplan et Françoise Marmy, s’applique à remettre les herbes folles à leur juste place: dans l’assiette! Tour d’un jardin sauvage. F arceur et taquin, sous son chapeau de feutre, François Couplan adore accueillir les visiteurs en leur faisant goûter des fausses fraises. Petites baies rouges, bombées comme des maras, qui fondent en bouche, le sucre en moins. Des Duschenea indica, précise l’ethnobotaniste. «C’est Françoise qui les a plantées. Moi je m’occupe des mauvaises herbes!» Voilà, les rôles sont clairs et les préjugés restent au vestiaire: Françoise Marmy s’occupe de jardiner, planter, bêcher tandis que Monsieur se penche sur les plantes sauvages. Qui, pour cet ethnobotaniste gastronome, ne sont en rien des mauvaises herbes. Même le disgracieux chénopode et la malodorante rue A Massonnens (FR), François Couplan et Françoise Marmy, ethnobotanistes, ont transformé leur terrain de 6000 m2 en un jardin semi-sauvage.

Ma 27 2 t 2007 M Vie prativr e - couplan.com Mag 07.0… · L’herbier à croquer Végétarien à ses heures, mais ... tous les étés à la montagne, en Savoie.» Une adolescence

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71Migros Magazine 27, 2 juillet 2007

Vie pratique«Migros Magazine» à votre service

Mieuxvivre

L’herbierà croquer

Végétarien à sesheures, maisnéanmoins gourmet, letandem fribourgeoisd’ethnobotanistes,François Couplan etFrançoise Marmy,s’applique à remettreles herbes folles à leurjuste place: dansl’assiette! Tour d’unjardin sauvage.

Farceur et taquin, sous sonchapeau de feutre, FrançoisCouplan adore accueillir les

visiteurs en leur faisant goûterdes fausses fraises. Petites baiesrouges, bombées comme desmaras, qui fondent en bouche, lesucre en moins. Des Duscheneaindica, précise l’ethnobotaniste.«C’est Françoise qui les aplantées. Moi je m’occupe desmauvaises herbes!»

Voilà, les rôles sont clairs etles préjugés restent au vestiaire:Françoise Marmy s’occupe dejardiner, planter, bêcher tandisque Monsieur se penche sur lesplantes sauvages. Qui, pour cetethnobotaniste gastronome, nesont en rien des mauvaisesherbes. Même le disgracieuxchénopode et la malodorante rue

A Massonnens (FR),François Couplanet Françoise Marmy,ethnobotanistes,ont transforméleur terrainde 6000 m2en un jardinsemi-sauvage.

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fétide trouvent grâce à ses yeux.«Elle a mauvaise réputation, onla dit irritante et abortive. Maisc’est une réputation de toxicitéusurpée.» Et de rappeler que lesRomains l’utilisaient en more-tum, puissant aïoli, et que lesItaliens d’aujourd’hui en aroma-tisent leur grappa.

Jardin semi-sauvageDans leur grande ferme retapée,cossue, de Massonnens (FR),Françoise Marmy et FrançoisCouplan ont donc transforméleur terrain de 6000 m2 en unjardin semi-sauvage. Entre rosesanciennes, fusain et chêne batifo-lent coquelicots, tussilages,reines des prés, oxalis, et fanesrugueuses de carottes sauvages,qu’il se met à croquer commeun lapin. «C’est délicieux dansune soupe ou en salade.» Plusloin, il cueille les longuesgraines vertes de la myrrheodorante. «Goûtez! C’est exquismélangé à une salade de fruits!C’est une plante montagnardelocale au parfum d’anis. On amis cette vivace dans notre jardinet elle revient chaque année,toute seule. C’est ainsi quej’aime le jardinage!»

Oui, François Couplan aimela nature dans tous ses états,surtout loin des mains del’homme. Il la croque, la foule,la hume. La voudrait intacte.«L’être humain a pris le pas surla nature. Quand je me promène

dans une forêt plantée d’épicéasalignés comme des allumettes,ça me désole!» S’isole quand ille faut dans sa maison de Haute-Provence, où «l’on entend legrognement des sangliers quandon va aux toilettes au fond dujardin.»

Et s’il pouvait, vivraitpresque au néolithique. «C’est làqu’a eu lieu l’événement majeurqui a affecté la relation del’homme au monde. Jusque-là, ilse contentait de cueillir. Après, ila commencé à cultiver, donc àthésauriser, ce qui a engendré

Pesto de plantain et d’ortie:ciseler finement les plantes,ajouter des noix et des amandeshachées, une gousse d’ail,quelques morceaux de gruyère etmixer le tout. Un filet d’huiled’olive et une pincée de seldonnent à ce pesto une éton-nante saveur. A servir sur du paingrillé.Salade sauvage: quelquesfeuilles d’égopode, de stellaire,et d’oxalis, que l’on peutagrémenter de fleurs de mauve,de pâquerettes et de thymserpolet. Décorer encore avecquelques pétales de roses. Pourla sauce, marier intimement unepurée d’amande, yaourt, jus decitron, huile d’olive et quelquesgouttes de vinaigre balsamique.Voilà une salade toute enlégèreté qui n’a rien à envier àun mesclun!

Recette verte

famine et guerre. Dans lapremière graine mise en terre, ily avait en germe la bombeatomique!», s’emporte l’hommeau chapeau en frottant entre sesdoigts les feuilles d’une tanaisiepour en faire ressortir l’odeur unpeu âcre. «Il y a infiniment plusde saveurs dans les plantes quedans les viandes. En Suisse, ontrouve dans la nature quelque300 végétaux comestibles alorsque le citoyen moyen ne consom-me qu’une trentaine de légumeset de fruits cultivés!» La faute àqui? A l’héritage carné de la

cuisine aristocratique du MoyenAge, dixit François Couplan.

La magie des plantesMais comment ce Parisien né aupied du pilier sud de la Tour Eiffela-t-il viré vert? «J’ai grandi dansla magie des plantes, corrige-t-il.Ma mère alpiniste nous emmenaittous les étés à la montagne, enSavoie.» Une adolescence sousles barricades de Mai 68, et plustard des rencontres botaniques luiont ouvert les yeux sur une autrevoie: oui, il se sentait fait pour lavie au grand air, guitare en

A gauche, unesalade sauvageet à droite un

pesto deplanatain etd’ortie (lire

recette dansl’encadré).

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L’ortie

Grandes vertusnutritionnelles

Françoise Marmy et FrançoisCouplan organisent des stages deplantes sauvages comestibles etmédicinales, dans leur jardinfribourgeois ou plus loin, en Valaiset même dans les Alpes-de-Haute-Provence. Pour une approchesensorielle, historique, anecdoti-que de chaque plante, sansoublier le volet pratique etgustatif, puisque la théoriedébouche toujours sur la prépara-tion d’un repas entièrementvégétal.

Stage d’été à Saint-Luc en Valais,du 9 au 14 juillet.Atelier de préparations médicinalesà Massonnens le 4 septembre.Semaine de survie à Barrême(France), du 23 au 28 juillet, avecrandonnée-cueillette des plantes etnuits à la belle étoile.Stage d’été de gastronomie sauvage,à Barrême (F), du 30 juillet au4 août.Infos sur les stages et les livres:www.couplan.comou au 026 653 19 78.

De la découverte à l’assiette

bandoulière, entre garrigue etlavande sauvages.

Pendant dix ans, il a vécucomme une bistorte, fouetté partous les vents d’ici et d’ailleurs,goûté au bouillonnement newage de la Californie. Il aurait puen rester là, errant et définitive-ment farouche à toute vie rangéeet sédentaire. Mais l’homme en aprofité pour peaufiner sesconnaissances herbeuses, affinerencore son amour pour la florelibre et faire partager son savoirpar le biais de plusieurs ouvra-ges. «Les plantes ne sont pas une

fin en soi, mais une occasion dedécouvrir la nature, donc nous-mêmes et notre place dans lemonde. Et puis, elles sontcomme les enfants, spontanées,désinhibées, taquines. Ons’amuse bien ensemble!»

La cuisine des chefsCette passion vibrante et joyeusel’a amené à côtoyer des chefscuisiniers, à garnir le panier deCarlo Crisci de benoîte urbaine,avec laquelle il aromatise sonpigeon en vessie. Ou à enrichir lefilet de rouget de Marc Veyrat d’un

lierre terrestre parfumé, qui luiaurait fait dépasser ses troisétoiles.

Mais pour l’heure, il estheureux de vivre avec ses deuxenfants, élevés aux orties et auplantain, n’en finit pas de complé-ter son interminable encyclopédiedes plantes comestibles du mondeentier, s’enflamme pour un projetde sauvegarde de la forêt argen-tine, dont il revient catastrophé. Etrêve d’ouvrir bientôt une école àLyon. «Je ne m’intéresse pas auxvégétaux pour faire de l’herboris-terie, mais parce qu’ils ont unerésonance au plus profond de mavie.» Un foisonnement d’enviesdont il parle sans se lasser tout enservant un sorbet au caramel deberce fait maison. Patricia Brambilla

Photos Pierre-Yves Massot / arkive.ch

A lire: «Légumes et fruits oubliés» de FrançoisCouplan, Ed. Edisud, 2007. Et «Dégustez lesplantes sauvages», Ed. Sang de la Terre, 2007

Pour FrançoisCouplan,les plantessauvages nesont en riendes mauvaisesherbes.

Comme la plupart des plantessauvages, l’ortie est un concentrénutritionnel. Elle contient sept foisplus de vitamine C que l’orange ettrois fois plus de fer que lesépinards. Les jeunes feuilles semangent en soufflé ou en soupebien sûr. On peut aussi les croquertelles quelles, crues, après avoirlissé leurs piquants entre deuxdoigts pour les rendre inoffensifs.Une petite piqûre d’ortie au pas-sage? Pas grave, puisqu’elle auraitdes vertus anti-rhumatismales.

Le plantain

La troussede secoursParmi les plantes fréquemmentméprisées, le plantain est en hautde la liste. Erreur! Cette banalequenouille de verdure, qui pousseallégrement dans les décombreset les terres remuées riches enazote, est une véritable trousse àpharmacie de la nature et un trèsbon légume (lire recette de pesto).Il suffit d’écraser ses feuilles pourextraire un peu de leur jusantiseptique et cicatrisant. Trèsefficace contre les piqûres deguêpe, d’ortie ou d’araignée.

L’égopode

Le désespoirdu jardinierTerriblement résistante, l’égopodesait survivre à tout avec sonredoutable et envahissant réseau deracines. Elle fait le désespoir dujardinier et le bonheur de l’ethnobo-taniste gourmand. Riche envitamine C et en selsminéraux, ellea en prime des vertus diurétiques. Adéfaut de l’éradiquer, on peut donclamanger, feuilles et pétiole, ensalade, en gratin dauphinois ou enfarcir un omble chevalier!

L’ortie est très riche en vitamine Cet en fer.

Une saladesauvageagrémentéede fleurs demauve et depâquerettes,décorée depétales deroses.