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Mavie,monexetautrescalamités

MARIEVAREILLE

CityRoman

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©CityEditions2014Couverture:Shutterstock/DimitrisK.ISBN:9782824641188CodeHachette:7277776Rayon:ThrillerCollectiondirigéeparChristianEnglish&FrédéricThibaudCatalogueetmanuscrits:www.city-editions.comConformémentauCodedelapropriétéintellectuelle,ilestinterditdereproduireintégralementoupartiellementleprésentouvrage,etce,parquelquemoyenquecesoit,sansl’autorisationpréalabledel’éditeur.Dépôtlégal:mars2014ImpriméenFranceSommaire

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Sommaire

SarahLamouretJacksonPollockCentquatre-vingt-dix-huiteurosÇaarrive,ceRoyalCheese?LaméthodeChloéLapinaupaind’épicesThéoriedel’amour,parChiaraCastelliniDémonstrationdelathéorieduchaos,parNicolasDolgisLadix-septièmerupturedeDanetSerenaThéoriedelacharcuterie,parVittoriaCastelliniWhateverFollefilatureenFratelliRossettiThéoriedelaprisededécisionrationnelle,parJulietteCharpentierToutlemondesefaitlarguer(mêmeSarahLamour)Quatremillehuitcentquatre-vingt-quinzeeurosettrente-deuxcentimesCartesdevisiteetosso-bucoàlamilanaiseLespeinesdecœurdeVittoriaCastelliniToutemavie,j’airêvéd’êtreunehôtessedel’airThéoriedel’antiromantisme,parl’inconnuduvolQatarAirwaysQR016(àdestinationdeDoha)Rencontreavecletroisièmetypeduservicebagagesdel’aéroportinternationaldeMalé,RépubliquedesMaldivesRéfutationdelatrèsthéoriquethéoriedelafidélitéconjugale,parNicolasDolgisRoméoetJuliette,revuetcorrigéparMarkLenaultVousmeprenezvraimentpourunegourdasseEmbrasse-moiDéfinitiondel’esthétisme,parKurtAndersonRecettedel’écrevisseàl’étouffée,parJulietteCharpentierToutesleschosesvaêtreallright,honeySixmois.SIXMOIS?!Lesdentsdelamer,interprétationlibreparJulietteCharpentierMark1,Nico0–balleaucentreProfitebiendelaplongée(troispetitspoints)SueursfroidesSanitasperaquam(spa)Delanécessitédelirelapressepeople,parJulietteCharpentierBye-bye,babyL’amourrendaveugle,applicationpratiqueparAlphonse-AmédéeCaroline,tagueule«Rienneseperd,riennesecrée,riennesetransforme»(réfutationdelaloideLavoisier,parJulietteCharpentier)TheEnd

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Àmesparents,pourleurconfianceetleursoutieninébranlablesdanschacundemesprojets,ycomprislesplusstupides.

Lifebeginsattheendofyourcomfortzone.NEALEDONALDWALSCH

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SarahLamouretJacksonPollock

De:[email protected]:13/10/2013–7:34:06Objet:ChèqueChèreJuliette,Lechèqueestpartilasemainedernière;jesuissurprisequevousnel’ayeztoujourspasreçu.J’enprofitepourvousdirequeNicolasm’aenvoyélelienFacebookdesphotosdevotreweek-end à Saint-Malo et j’ai pu voir que vous aviez bien profité des sablés bretons. Je passeraidéjeunerchezvousdimanche.Embrassezbienmonfilschéripourmoi.AnitaP.-S.–Si jamais ça vous intéresse, uneamiem’aconseilléun trèsbonclubde sportdans leonzième.Juliettefaillitencrachersoncaféaulaitsurleclavier.EllecliquasurRépondre:

De:[email protected]À:[email protected]:13/10/2013–8:01:47Objet:Re:ChèqueTrèschèreAnita,Jevaistrèsbien,merci,etvous?Nicolasseraravidevotrevisitededimanche(pourmapart,j’aiàpeuprèsautantenviedevousvoirquedem’immolerparlefeuplacedelaConcorde).Encequiconcernel’adressedevotreclubdesport,jevoussuggèredevousla...

Elles’interrompitetpouffadevantl’écran.Nicolaspassalatêtedansl’ouverturedelaporte.—Yapasdecafé?Elleluisourit.Ilétaitbeauavecsesyeuxbleusencoreendormis.Pourlui,elleétaitcapabledetout

supporter,mêmelesmailsodieuxdesafuturebelle-mèreauréveil.—J’arrive,monamour.Jerépondsjusteàtamère.Jenepensaispasquetutelèveraissitôt.—J’airendez-vousavecChloé.Juliettefronçalessourcils.—Encore?Ilrefermalaporteavecunsoupiretelleeffaçalaréponseprécédentepourécrire:ChèreAnita,Mercipourvotree-mail.Nousn’avonspasencorereçulechèque.Peut-êtres’est-ilperdu?Pasdeproblèmepourdimancheetbonnejournée.Juliette

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Ellehésita,haussalesépaulesetenvoyal’e-mail.Çal’agaçaitqueNicolasfassel’effortdeseleveraussitôtpourvoirChloé.D’habitude,iln’émergeaitpasavantdixheures.Ellejetauncoupd’œilàsamontre.

Sonboss,Hervé,surnommé«DarkVador»,carilrespiraittrèsfortquandils’énervait,allaitencoreluidemanderd’untonlourddesous-entendussielleavaitprissamatinée.Cen’étaitvraimentpaslejour.Illuiavaitdéclarélaveillequ’elleseraitpromuedanslasemaine.Plusexactement,illuiavaitdit:

—J’ensuisàquatre-vingt-quinzepourcentsûr.C’étaitstupidequandonyréfléchissait.Quiannonceàunemployéqu’ilsera«peut-être»promu?Elle fonça à la cuisine, prépara le café pendant queNicolas bâillait devant le grille-pain.Elle lui

sortit leNutella, le lait, lepaindemieetdéposaunbaiser sur ses lèvres.Dans la salledebain, elleentreprit dediscipliner sesbouclesbrunes àgrand renfortdemousse coiffante,puis elle s’interrompitpourexaminer son refletavecattention.Avec lescheveuxblondset lisses,elleauraitpu ressembleràSarahLamour.Ilyavaituneressemblance,unepetite.Aumoinsauniveaudessourcils.

C’était d’autant plus étrange que Juliette était née le même jour que Sarah Lamour. Certes, SarahLamour ne connaissait pas Juliette, et le monde entier connaissait Sarah Lamour, l’actrice françaisedevenuestarhollywoodiennedepuisqu’elleavaittournédansDieus’habilleenZaracinqansplustôt,maisJuliettenepouvaits’empêcherdepenserquelamêmedatedenaissanceetcettevagueressemblancene devaient rien au hasard. C’était un signe. Le signe qu’elle aussi, aumême titre que l’actrice, étaitpromiseàunavenirglorieux.

Sesyeuxtombèrentsurleréveilposésurlatablettedulavabo.Ilindiquaithuitheuresquinzeetellerepritsonsèche-cheveuxd’ungestedécidé.Sielledevaitêtrepromue,ellenepouvaitplusseprésenterauboulotcoifféeaudéfibrillateur.

SelonNicolas, ses cheveux au réveil formaient « un ensemble désordonné ressemblant demanièrefrappanteàunetoiledeJacksonPollock».Lapremièrefoisqu’illuiavaitsorticetteblague,elleavaitéclatéde rire,puiselleavait couru rechercher«Polok» surGoogle.C’est épuisantdevivreavecunintellectuel.

Àpeuprèscoiffée,ellesemitàlarecherched’unetenueappropriéeàsonfuturnouveauposte,unetenue qui disait je-suis-professionnelle-crédible-et-sympathique-avec-un-petit-côté-femme-fatale-mais-bonne-élève-qui-a-confiance-en-soi.Illuifallutvingtminutesd’investigationetd’essayagespouraboutiràlaconclusionqu’unetelletenuen’existaitpas,dumoinspasdanssonplacard.

Après s’être changée deux fois, elle se décida pour la petite robe Maje achetée quelque tempsauparavant. Trop courte ?Un peu,mais ça passerait. Elle partit en courant, non sans avoir embrasséNicolas,toujoursencontemplationdevantlegrille-pain.Enbasdel’escalier,ellecroisasonimagedanslemiroirduhalld’entrée.Non,robeofficiellementtropcourtepourlafutureresponsablegrandscomptesdusecteurYvelines.Ellefitdemi-tour,remontalesmarchesquatreàquatreetenfilauntailleurtropserré.C’estvraiqu’elleyavaitétéunpeufortsurlessablés.

—C’estencoremoi,monchéri!Jerepars!cria-t-elle.Ellecourutjusqu’àlastationLouiseMicheletmanquadesefaireécraserparlecamiondelivraison

Monoprix.Arrivéesurlequai,elleconsultasamontreetpoussaungrossoupir.Elleétaitvraimenttrèsenretard;d’habitude,elleétaitàl’heure.

Enfin,presquetoujours.Etpuis,quandonfaitbiensontravail,onn’apasd’horaires,onn’aquesapassion.C’étaitbienle

genre d’idioties qu’Hervé, aliasDarkVador, débitait quand il fallait rester plus tard pour finaliser uncontrat.

Detoutefaçon,c’étaitunemauvaisejournée, iln’yavaitqu’àliresonhoroscopedujourà l’avant-

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dernière page du20Minutes :Ciel astral embrumé, votre dispersion intellectuelle sera source denégligence.

Laperteduchèque laperturbait. Juliettenevoyaitpasd’inconvénientà toutpayerenattendantqueNicolas finissesa thèse,mais, sans lesquatrecentseurosmensuelsversésparAnitaàsonfils,c’étaitcompliqué de vivre à deux avec son salaire de commerciale. Elle se faufila dans l’open space etempruntaunlongdétourpouréviterlebureaud’Hervé.

Elleseglissadevantsonordinateurensoufflantcommeunemarathonienne.CarolineArembertlevalatêtedubureaud’enface,sesyeuxbrunsamusésparl’expressionpaniquéedeJuliette.Avecunsourire,ellepointadudoigtlasallederéunionsursagaucheensecouantlatête,cequivoulaitdire:«T’inquiète,il n’est pas encore sorti de sa réu. » Juliette, rassurée, fit mine de tenir l’anse d’une tasse à caféimaginaire,etCarolinehochalatêteensigned’assentiment.

CarolineArembertn’étaitjamaisenretard.Elleétaitréputéepoursonorganisationgermaniqueetlesheures supplémentairesqu’elle enchaînait sans jamais rechigner.Endépit de cesdéfautsnotoires, ellerestaitlacollèguepréféréedeJuliette,celleavecquiellecritiquaittouteslesautres.

Devantlamachineàcafé,CarolineétudialevisagerougedeJulietteetsourit.—Pannederéveil?Jen’aipasdemonnaie.Tumeprêtesquarantecentimes?Malgré son sens de l’organisation, Caroline n’avait jamais de monnaie pour son café. Juliette lui

tenditquarantecentimes,puisellessemirentàcasserdusucresurledosdeDarkVadorqui,paraît-il,s’était fait remonter les bretelles par la direction pour des histoires de coûts de fonctionnement tropélevés.

—Tuterendscompte,ditCaroline.Si luidoitréduire lesdépenses,radincommeilest,cequeçadoitêtredanslesautresdépartements?

— On ne va même plus avoir le droit d’emmener les clients au restaurant, répondit Juliette enappuyantàregretsurlatoucheCAPPUCINOSANSSUCRE.

Juliette travaillaitdans ledépartementProduitsd’entretiend’undes leaders françaisdusecteurdesfournitures de bureau : CleanOffice. Un des rares intérêts de son poste de commerciale consistait àemmenersesclientsaurestaurant.

Principalementparcequ’unefoisqu’onavaitcrié«J’aiundéj-cli»dans l’openspace,onpouvaitdisparaîtredubureaudemidiàseizeheuressansavoiràrendrecomptedesonemploidutemps.Ilfautdireque,quandonvenddudétergent etdes sacs-poubelle àdes entreprises, il estprimordialdebiengaver ses clients, ne serait-ce que pour lesmaintenir éveillés pendant une négociation à fairemourird’ennuin’importequi.

—Allez,courage.QuandjeseraipromueresponsablegrandscomptessurlesYvelines,DarkVadorn’auraqu’àbiensetenir,ditCarolineenremuantsoncafé.

Juliette lui fit signe de se taire d’un geste brusque. Elle venait d’apercevoir Christelle Crogue, lafouinedudépartementComptabilité.ChristelleCrogueportaitsontailleurmarrondestrèsmauvaisjours.

Lesmauvais jours,elleportaitdugriset,enquatreansdeboîte,Julietten’avaitpaseu le loisirdevoiruneseulefoislacouleurdesbonsjours.

—DarkVador?demanda-t-elleenhaussantunsourciltropépilépourêtrehonnête.C’estd’Hervéquevousparlezcommeça?

Dansunmomentdepanique,Julietteentrepritd’avalerculsecsoncafébrûlanttandisqueCaroline,imperturbable,répondaitavechauteur:

—Biensûrquenon,etçanevousregardepasdetoutefaçon.Christelle Crogue ouvrit la bouche pour répondre, se ravisa et leur tourna le dos pour glisser ses

piècesdanslamachine.

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Carolineattenditqu’elles’éloigneetmurmura:—C’estça,vacafter.Quandjeseraipromue,tuferasmoinslamaligne.—Tuveuxdire«si»tuespromue,corrigeaJuliette,unpeugênée,enjetantlegobeletenplastiqueà

lapoubelle.—Jeseraipromue,t’inquiète.Àpropos,enparlantderestau,tun’aspasdeuxmoisderetarddanstes

notesdefrais?Juliettelevalesyeuxaucielsansrépondre,etCarolineéclataderire.—OK,jevois.Tuveuxuncoupdemain?Julietteétait ennuyée :Carolinen’étaitvisiblementpasaucourantqu’ellene seraitpaspromueou,

plusexactement,qu’ellen’avaitplusquecinqpourcentdechancesd’êtrepromue.Hervé luiavaitditqu’il avait beaucoup hésité, mais Juliette avait un an d’expérience de plus dans l’entreprise et descomptesclientspluscompliquésàgérer.C’estdoncellequ’ilavaitchoisie.

Elleauraitvouluavoirlecouraged’enparlerfranchementàsonamie.EllesavaitbienqueCaroline,capablede réciter chaquecompositiondesproduitsd’entretienducataloguedeCleanOfficepar cœur,méritaitcettepromotion.C’étaitd’ailleurscequeJulietteavaittentéd’expliquerlaveilleàDarkVador,mais,l’airexcédé,ill’avaitmiseàlaportedesonbureauenluidisantquec’étaitàluidedéciderquiseraitpromueetquineleseraitpas.

L’openspaceétaitcalmequandellesserassirentàleursplaces.LanettetédubureauimpeccablementrangédeCarolinecontrastaitaveclecapharnaümquirégnaitsurceluideJuliette.Lesticketsdecaissepoursesnotesdefraiss’amoncelaientdansuntiroirmalfermé;elleallaitencoreêtreàdécouvertle10dumois.

ElleconsidéraavecenvieledossieràjourdeCaroline,quiyajoutaitsystématiquementsesnouveauxticketsdecartebleuelejourdeladépense.Touteslesdeuxsemaines,unmessageautomatiqueOutlooklui rappelaitqu’elledevait remplir ses formulairesde remboursement.Elle lesdescendait ensuiteà lacomptadansunepochettetransparenteétiquetéeàsonnom.

Juliette avait essayéde copier ce système.Elle avait abandonnéauboutde trois jours et repris saméthode à elle, qui consistait à balancer au fond d’un tiroir les tickets de carte bleue chiffonnés quitraînaientaufonddesonsac,engénéralavecquelquespapiersquin’avaientrienàvoiretdesticketsdemétrousagés.

Elle les traitait tous les deux mois par paquets de cent en bataillant pour se rappeler à quoi ilscorrespondaientetquelclientilspouvaientbienconcerner.

Ensoupirant,ellecommençaàfaireletrietàagraferlesticketssurlesformulaires.Vivementqu’ellegagneauloto!

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2

Centquatre-vingt-dix-huiteuros

—JulietteCharpentier,dansmonbureau,toutdesuite!Juliettebonditdesachaise,surpriseparletonimpératifd’Hervé.L’appelait-ilpourlapromotion?Le

niveausonoredesarespirationpasséenmodeDarkVadorn’étaitpasbonsigne.Elletentaun«Bonjour!»guilleretenentrantdanslebureaud’Hervé,maisellefutaccueillieparle

visagefermédeChristelledelacompta.Qu’est-cequeChristelleCrogueetsontailleurmarronavaientàvoiravecsapromotion?

—Jepensequevoussavezpourquoivousavezétéconvoquée,Juliette?Lavoixd’HervéétaittellementfroidequeJuliette,prisedecourt,balbutiauneréponseinintelligible.

Laquestionétaitdetoutefaçonrhétorique,etill’interrompitd’unsignedemain.—Paslapeinedevousjustifier;nousattendonslesressourceshumaines.Puisilsemitàpianotersursonclavierd’ordinateur,commesiJulietteetChristellen’avaientpasété

présentes.Julietteentrepritdeserongerl’ongledupoucepourpasserletemps.Sejustifierdequoi?Rien de ce qu’elle avait pu faire depuis le début de la semaine n’expliquait sa présence dans ce

bureau et l’attitude glaciale d’Hervé. Il ne l’aurait pas convoquée avecChristelle et lesRHpour sonretarddemardi.Aprèsunsoupir,elleentamalamaingauche;Hervé,lefrontplissé,fixaitsonécranavecbeaucoupdeconcentration.

Le chèque d’Anita n’était toujours pas arrivé. Est-ce queNicolasmettait l’argent de côté pour luiacheterunebaguedefiançailles?Iln’allaitplus tardermaintenant,elle lesentait.Biensûr, il faudraitqu’il finisse sa thèse d’abord. Il deviendrait professeur de philosophie, il publierait des écrits surHeidegger et la phénoménologie de l’étant et ils achèteraient une petite maison avec un jardin enbanlieue,où ilsvivraientavec leurs troisenfants,Éric,JeanetMarie.Lesamedisoir, ils iraientdînerchezleursamis;l’été,ilspartiraientàCavalaire-sur-Mer,l’hiver,àl’Alped’Huez,et...

—Pouvez-vousm’expliquerlaraisondecesourirestupide,mademoiselleCharpentier?Leresponsabledesressourceshumainesvenaitd’entrerdanslebureaud’Hervé;laportesereferma

avecunclaquement.Ilavaitl’airaussipeuaimablequelesautres.TouslesyeuxétaientfixéssurJulietteavecdésapprobation.

Elle sursauta, rougit et murmura un bonjour. Sans la regarder, le nouvel arrivant fit un signe àChristelle,quiluitenditunefeuilledepapier.Juliettereconnutaussitôtunformulairedenotedefraissurlequelétaitagraféunticketdecaisse.

—Alors,commeça,onfaitdefaussesnotesdefrais?Juliette regarda la feuille qu’il lui tendait. Il y avait bien sa signature, il y avait bien un ticket de

caisse.UnticketdecaisseMaje,pourl’achatd’unerobeàcentquatre-vingt-dix-huiteuros.Cetterobe,décidément, ne lui causait que des problèmes. Elle reconnaissait le ticket ; elle savait à quoi ilcorrespondait;elleavaitachetécetteroberécemmentavecCaroline.Cequ’ellenecomprenaitpas,enrevanche,c’étaitparquelmiracleils’étaitretrouvéagraféàunformulairederemboursement.

—C’estbienvotreticketdecartebleue?demandaChristelleenpointantleticketdudoigt.

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—Oui,mais...—Maisquoi?l’interrompitHervé.Vousn’êtespasaucourantdelasituationéconomique?Onvous

demandedefaireattentionsurlesdépensesetvouspensezquevouspouvezfairepasservossoldessurledosdel’entreprise?

—Techniquement,cen’étaitpasvraimentdessoldes…C’estjustequelarobeavaitundéfautet...—Vousvousfoutezdenousenplus?Hervéavaitprisuneinquiétantecouleurvioletteetsoufflaitdeplusenplusfort.Julietteperdaitpied.Leformulairesoussesyeuxétaitrempliavecsoin,lemontant,lecodeducompte

d’undesesclients,sasignatureetladatedulundiprécédent.Ellesesouvintdelapiledeticketsdecartebleue froissésqu’elleavaitdû traiterencatastropheetellecommençaitàcomprendre.Elledéglutit. Ilfallaitqu’ellesecalme,qu’elles’explique.Toutallaitbiensepasser;c’étaitunmalentendu.

—Jemesuistrompée.Leticketdevaitêtredanslapile,j’aivouluallervite...— Cent quatre-vingt-dix-huit euros, cent quatre-vingt-dix-huit euros, l’interrompit Dark Vador en

brandissant la feuille sous sonnez.Et après, onmedemandede réduire lesdépensesdudépartement,maisc’estàcausedecetypedecomportementmalhonnêtequ’onm’accuse,moi,d’avoiruntraindeviedispendieux!

Christelle,droitecommeunidanssontailleurcouleurcrotte,hochaitlatêteavecvigueur.—Jesuisdésolée,c’estuneerreur,jenevoulaispas...DarkVadorretiraseslunettes,souffladelabuéesurlesverres.Lesmainstremblantes,illesessuya

avecunmouchoirenpapieretlesreposasursonnez.PuisilfitunsignedetêteauresponsableRHquiposadevantelleunefeuilleetunstyloetluiditd’untonterne:

—J’aiunebonnenouvelle.Juliette,leslarmesauxyeux,sedemandaunemicrosecondesilapromotionétaitencored’actualitéet

ilpoursuivit:— Nous acceptons votre démission immédiate et sans préavis et nous ne poursuivrons pas cette

affaireplusloin.

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3

Çaarrive,ceRoyalCheese?

Ses doigts moites crispés sur le stylo Bic, Juliette jeta un regard affolé aux trois cerbères quil’entouraient.Ce n’était pas possible ; c’était un cauchemar. Personne ne se faisait licencier pour unepetite erreur de note de frais. Contrairement à certains de ses collègues, elle n’avait jamais faitrembourser ses dépenses personnelles par l’entreprise. Envahie par un immense sentiment d’injustice,ellepritunegrandeinspiration,reposalestyloetéloignalafeuille.

—Non, ce n’est qu’une erreur, je suis désolée et ça ne se reproduira plus, mais je ne peux pasdémissionnerpourça.

—L’entreprise ne tolère pas les voleurs, réponditChristelle en repoussant la feuille vers Juliette.Nousavonsreçudesconsignes trèsstrictes :c’est tolérancezéropour toutcequiconcernece typedefraude.

Lesmots«voleur»et«fraude»luifirentl’effetdedeuxgifles,etleslarmesdébordèrent.—Maisvousnecomprenezpas?Jemesuistrompée.S’ilvousplaît,jevoudraisjuste...—Épargnez-nousunescènegrotesquequinevousmèneranullepart,l’interrompitsèchementHervé.DansleregarddeChristelle,ellecrutvoirunelueurd’hésitationetquelquechosequiressemblaità

delapitié,maislalettrededémission,ànouveaudevantelle,attendaitsasignature.— J’espère que vous êtes consciente des opportunités que votre malhonnêteté vous fait gâcher,

continuaDarkVador.SiChristelle, fortede sonprofessionnalisme,n’étaitpasvenuemevoircematinaveccedocumenthonteux,cerendez-vousauraiteupourobjetvotrepromotionetnonvotrerenvoi.

Ilfalluttrente-cinqminutespourconvaincreJuliettequ’ellen’arriveraitpasànégocieruncompromis.Ellerefusait,pleurait,implorait,maisilsrestèrentinflexibles.Hervéfinitparempoignerlecombinédesontéléphoneetmenaçad’appelerlasécurité.

À l’idée d’être jetée dehors comme une criminelle, elle se décida enfin à signer, les mainstremblantes,leslarmesdégoulinantsurlafeuille.Ilsnelalaissèrentmêmepasremonteràl’étagepourrécupérersesaffaires.

LeresponsableRHallacherchersonmanteauetrassembladansuncartonseseffetspersonnels.Ellese contenta dehocher la tête enpleurant pendant qu’il énumérait les différents éléments : trois photosd’elleetNicolasquitrônaientàcôtédel’ordinateur,unmugMickeyébréché,sacrèmeaumielpourlesmains,unmascara,unplandeParis,unepairedechaussettes,deuxbrossesàcheveux,untubedemoussecoiffante,unobjetenplastiquenonidentifiéquiavaitdûêtreunpeignedansuneautrevie,unTampax,cinq boîtes deChocoCookie chocolat au lait et trois boîtes deChocoCookie chocolat noir.On lui fitremplir de la paperasse qu’elle ne lut pas, on lui parla de solde de tout compte et d’idiotiesadministratives,maisellen’écoutaitpas.Elleneputdireaurevoiràpersonneet,aufond,c’étaitmieux.Ellen’auraitpassuquoileurdire;elleavaithonte.

Une fois dehors, sur le parvismorosede laDéfense, elle s’assit sur unbanc et se remit à pleurercommeuneMadeleine.Elleauraitvouluappelerquelqu’un,maiselleétait incapabledeprononcerunephrase intelligible. Le menton dans les mains, elle regardait les passants en costumes et tailleurs

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sombres:ilsparlaientautéléphone,ilssortaientdéjeuneroudescendaientauStarbucksprendreuncaféavantderetournerdansleurtourdeverre,inconscientsdeleurbonnefortune.

Hier,ellenelesvoyaitpas;ellefaisaitpartiedumêmeclan.Aujourd’hui,elleauraitdonnén’importequoipourêtreàleurplace.ElleentamaunpaquetdeChocoCookiechocolataulait.«SiChristellen’étaitpasvenuemevoircematin,cerendez-vousauraiteupourobjetvotrepromotionetnonvotrerenvoi.»

Salope.Juliettemorditdanssonbiscuiten reniflant.Qu’est-cequ’elleallait faire?C’étaitunecatastrophe.

Ellenepourraitpluspayerleloyer,elleneserait jamaisréembauchée,toutlemondelaprendraitpourunevoleuse.EtNicolas?Ses larmes redoublèrent.PauvreNicolas,elleallait ledécevoirune foisdeplus.Aprèstoutescesannéespasséesensemble,ellelelaissaittomber...

Nicolas et Juliette s’étaient rencontrés à la fac. À l’époque, après avoir successivement essayé etabandonnédiversescarrièresdanslacuisine,legraphismeetl’éducationnationale,elles’étaitdécidéepourdesétudesdecomptabilité.Elleétudiaitdoncdesmatièresavecdesnomsatrocescomme:« lesimmobilisations corporelles », « les flux de trésorerie » ou « constatation des éléments des étatsfinanciers».

Jusqu’à ce jour, Nicolas n’avait jamais eu que deux passions dans la vie : la philosophie et laphilosophie.Ilétudiaitladéfinitionduconceptdelamoraleetdel’impératifcatégoriquechezKantetsamise enperspective avec l’analysed’Aristote dansL’ÉthiqueàNicomaque. Ils n’étaient a priori pasvouésàserencontrerdansunesalledeclasse,mais,parunheureuxhasarddudestin,ilsparlaienttouslesdeuxanglaiscommedesvachesespagnoles.

C’est ainsi qu’ils s’étaient retrouvésunmercredi après-midi côte à côte sur le bancd’un cours derattrapage,àrépéterconsciencieusementdesâneriesdugenreThecitywhereIliveiscalledParisanditisverybeautiful.Brianétaitinthekitchen,Nicolasétaitenretard.

Il était arrivé sans stylo et avait fait tomber l’intégralité de ses affaires en ouvrant son sac à dos.Julietteavaitlevélesyeuxsurcegarçonpâleauxgrandsyeuxromantiquesquiremettaitprécipitammentdanssonsacunsandwichthon-mayonnaiseàmoitiéentaméetelleavaitétéfrappéeparlafoudre.

Unefoudregenrelittéraire,quivouslaisselaboucheouvertecommeaprèsunuppercutdansleventre,hébétépourlesdixannéesàveniretprêtàsouffrirlemartyre,leslions,lacroixetlepoisonplutôtquederesteruninstantloindel’élu.Ilestvraiquel’élun’avaitpastoutdesuiteréalisélabeautédumoment.

AprèsunbrefsourirederemerciementàJuliettequi lui tendaitunstylo,symboled’unehistoirequis’annonçaittorride,ilavaitmordudansladeuxièmemoitiédusandwichauthonpréparéparsamamantoutenrépétantlabouchepleineThissummer,IwilltraveltoLondonandseetheQueenofEngland.

Il avait fallu un an pour queNicolas soit lui aussi frappé par la foudre ou, tout aumoins, par unelégèredécharged’électricitéstatique.

UnanetunecampagneacharnéedeJulietteàgrandscoupsdecafésbusàlacafétéria,dediscussionsde philosophie incompréhensibles auxquelles elle faisait semblant de s’intéresser, de coups de fil, decinémasetdegrandesdéclarationsparlettre,téléphone,fax,textos,e-mails...

Touteslestechnologiesettouslesmoyensétaientbonspourséduirel’hommedesavie.Ellel’avaitvouluetellel’avaiteu,et,plusdesixansaprèsleurpremièrerencontre, ilsn’avaientjamaisétéaussiheureux.

Maintenant, elle qui le protégeait, qui ne vivait que pour lui, voilà qu’elle l’abandonnait.À caused’elle, ilnepourraitpascontinuersa thèsedephilosophie.Ilfaudraitqu’ilabandonnesapassionpoursubveniràleursbesoinsetildeviendraitserveurchezMcDonald’s.

Ilpasseraitsesjournées,transpirantsousunevisièreenplastiquerouge,àplongerdesfritesdansdesbacsd’huilebouillanteouàempilerdanslebonordredescouchesdefromagecongelésurdessteaksde

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vachesfolles,pendantquesonbosshurleraitderrièresondos:«Alors,çaarrive,ceRoyalCheese?»Toutcequ’ilsauraient lesmoyensdemanger,ceseraient lesrestesdeBigMacetdesundaescaramelpérimésqu’ilrapporteraitlesoirpournourrirsafamille.

Juliette,pourseprépareràl’idéedecetavenirhuileux,entamaundeuxièmepaquetdeChocoCookie.Commeiln’existepasdechagrinsquirésistentàbeaucoupdebeurre,defarine,desucre,quarante-huitpour cent de chocolat au lait et quelques zestes de carbonate d’acide d’ammonium et de diphosphatedisodique,quelquesbiscuits(ettroiscentcinquantemillecalories)plustard,ellefinitparsecalmerunpeu.

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4

LaméthodeChloé

Soncartonsouslebrasetlespaupièresgonflées,elledécidadeprendrelebusaulieudumétroetseplantaàl’arrêtsouslesregardsindifférentsdesraresusagers.Nicolasseraitchezeux,latêtedansseslivres,illaconsolerait.Elleavaitdésespérémentbesoinqu’illaprennedanssesbras.Ilcommençaitàfairefroid.L’automneetlesfeuillestombaientsurlestrottoirsternes,Parisenfilaitpeuàpeusescouleursd’hiver,ungrissale,tachédumarrontristedesfeuillesmalramasséesquipourrissaientsurlebitume.

Lesjournéessanspluiesefaisaientaussiraresquelestaxisaprèslederniermétro,etlecielprendraitbientôtdumatinausoiruneteinteblancsale,couleurpollution.

IlnoieraitdanslabrumelessommetsarrogantsdestoursEiffeletMontparnasse,etferaitdisparaîtrecommeparmagielaGrandeArchedelaDéfense.

JulietteadoraitParis.Elleavaitétéélevéeàl’airdeBordeaux,incomparablementpluspurqueceluideParis,affirmaient sesparentsquand ilsvenaient lavoir.Elleavait rêvédeParis toutesonenfance,maissesparentsnel’yavaientjamaisemmenée.IlfautdirequeM.etMmeCharpentiernevoyaientpasl’intérêtdevoyagerquandonpeutrestertranquillechezsoi.Àdix-huitans,JulietteétaitpartieétudieràlafacàParissuruncoupdetêtequiluiressemblaitpeu.

Depuis,sesparentsvivaientdanslacraintedel’appelfatidiqued’uncommissairedepolicequileurannonceraitqu’ilyavaituncorpsàlamorgueetqu’ilfallaitqu’ilsviennentidentifierleurfille,torturéeetdépecéeparunpsychopathesurlaligneDduRER.Scénarionéanmoinspeuprobable,puisqueJuliette,enbonnefilledesamère,neprenaitjamaislemétroaprèsvingt-deuxheurestrenteetn’adressaitjamaislaparoleauxinconnus.

Levisageécrasécontrelavitredubus,elleregardaitlesimmeublesdéfiler.D’habitude,elleprofitaitdesontrajetpourrêvasseraujouroùNicolaslademanderaitenmariage,planifiersonagenda,organiserdesdînersoudéciderdujourdelasemaineoùelleiraitàsoncoursdezumba,maiscettefois,incapabledepenseràautrechosequ’àsonlicenciement,elleregardaitlesfaçadessanslesvoir.

Presséederentrer,elledescenditàLouiseMichel.IlshabitaientàLevallois-Perret,lequartieridéalpourunjeunecouplequiprévoyaitd’avoirbientôtdesenfants,avaitaffirmélafilledel’agenceenfaisantunclind’œilàJuliette.Commen’importequelcoupledecetâgequiemménage, ilsavaientrempli lespièces minuscules de Billy, Vilshult et Färgrik à dix-neuf euros quatre-vingt-dix-neuf et ils avaientmaintenantl’impressiondevivrefigésdanslepapierglacéd’uncatalogueIKEA.Ellearrivaitauboutdesa rue quand elle vitNicolas sortir de leur immeuble. Elle voulut l’appeler, lui faire signe,mais, aumomentoùelle s’apprêtaitàcrier sonnom,elle laissa retombersamain. Justederrière lui sortaitunefilleblondeenjeandéchiréquiriaitauxéclats.

Une bouffée de jalousiemonta aux joues de Juliette. Elle avait toujours eu dumal avecChloé, etc’étaitbienladernièrepersonneavecquielleavaitenviedeparlerdesonlicenciement.Nicolasl’avaitrencontréeilyapresqueunanàuneconférencedephilosophie,et,leursujetdethèseserejoignantsurcertains points, ils avaient décidé de travailler ensemble. Juliette n’y aurait bien entendu vu aucuneobjection siChloéavait euunebarbe,mesuréunmètrequatre-vingt-trois etpesécent cinquantekilos.

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MaisChloéavaitunvisagedepoupéeenporcelaineetlebeausourireperpétuellementheureuxd’unangesousProzac.Elleavaitvingt-cinqansetenparaissaitdix-huit,elleétaitmince,drôleetpouvaitparlerdePlaton, Épicure et de tous les héros deNicolas avec autant de chaleur que Juliette parlait du dernierTwilight.

NicolasetChloés’éloignèrentsans lavoir. Ilsparlaientavecanimation.Juliettes’envoulait,mais,c’étaitplusfortqu’elle,ellen’aimaitpasChloé.Pendantuntemps,elleavaitpenséqu’ellefiniraitpardevenir l’amiedeChloéouà tout lemoinspar lasupporter.C’estcequis’étaitpasséavecCaroline ;alors,pourquoipasChloé?

C’était en effetNicolasqui avait présentéCaroline à Juliette et,même si ça lui paraissait absurdeaujourd’hui,avantdelaconnaître,JulietteavaitdétestéCaroline.Elleétaitterrifiéeàl’idéed’affrontercelle que Nicolas appelait « son meilleur pote » et qu’il connaissait depuis la maternelle. Carolinehabitait lamaison voisine de la sienne et, quand ses parents avaient divorcé, elle était venue habiterquelquetempschezsonmeilleurami.

IlluilisaitJulesVerneàlalampedepochesouslesdrapspourqu’ellearrêtedepleurer.Quand,encinquième, quelqu’un avait griffonné sur la porte des toilettes CAROLINEAREMBERT = GROS CAMEMBERT,Nicolasavaitséchélecoursdemathspourallergratterleslettresuneàuneavecuncouteaudecuisinequ’ilavaitpiquéà lacantine, jusqu’àceque l’inscriptionsoit illisible.Juliette,vingt-deuxans,sortaitavecNicolasdepuisàpeineunmoisetavaitécoutélesrécitsdecetteamitiéenfantineavecunsourirepoliderrièrelequelbouillonnaientdesenviesdemeurtre.

Elle avait décidé d’accompagner Nicolas chaque fois qu’il voyait sa meilleure amie, histoire demarquersonterritoire.PuiselleavaitvulescheveuxplatsetternesdeCaroline,seslunettesdetravers,sescourbestropflouesmaldissimuléessousunsweat-shirtàcapuchenoirtailleXL,etelleavaitoubliésoninquiétude.CarolineavaitalorslevésurJuliettesonsourirelumineuxetluiavaitdit:

—Salut,Juliette,çamefaitvraimentplaisirdeterencontrer.Puiselleavaitajoutéenrougissant,aprèsunsilence:—Tuesencoreplusjoliequecequ’ilm’avaitdit.Juliette,dévoréeparlaculpabilité,avaiteuenviedesemettredesbaffes.Nicolas avait annulé la rencontre suivante à la dernière minute, parce que sa mère lui avait pris

rendez-vous chez le dermato pour faire vérifier ses grains de beauté. Juliette et Caroline s’étaientretrouvéesentête-à-têtedevantleursCocaLight.Ellesavaientétémalàl’aiselesdixpremièresminutes,puis elles avaient passé trois heures à critiquer Anita. Elles s’étaient fait mal aux abdos à force derigoler.Ellesétaientdevenuesamies,puiscollèguesquand,quelquesannéesplustard,Julietteavaitfaitpasser le CV de Caroline à son supérieur pour l’aider à trouver du travail. Leur amitié s’étaitdéfinitivementsoudéeaufildespausescafé.JulietteétaitdevenuelaconseillèreshoppingetmaquillagedeCaroline;Carolinefaisaitpasserl’airderiendesmessagesàNicolasquandilcherchaituncadeaupourJulietteetlacouvraitquandellearrivaitenretardchezCleanOffice,n’hésitantpasàraconteràDarkVadorlespiresmensongesaveclevisageleplusinnocentquandc’étaitnécessaire.

MaisChloé,contrairementàCaroline,nefaisaitpaslemoindreeffortpourserapprocherdeJuliette.Ellesemblait laconsidérercommeunanimaldomestiquepossédéparNicolas,ne luiposait jamaisdequestionssurelle,partaitdanssespenséeschaquefoisqueJulietteparlait,voire,quittaitlapiècequandJulietteyentrait.Parfois,Julietteavaitl’impressionqueChloélaméprisait,enparticulierquandChloéposaitdesquestionsdutype«Quepenses-tudeSchopenhauer?»etqueJuliette,pensantfaireunebonneblague,répondait«Àtessouhaits!»

Ellerestaplantéesurletrottoiràlesregarders’éloigner,puisdisparaîtreaucoindelarue.Elleavaitpeur d’entrer dans l’appartement vide et de se remettre à pleurer des seaux, toute seule aumilieu du

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salon. Ses copines travailleraient encore quelques heures avant la fin de l’après-midi. Sa mère, ellen’osaitpasl’appeler,carelleferaitunecrisecardiaque.Juliettesavaitbienqu’iln’yavaitqu’unechosequipourraitlacalmerunpeu.

Elles’arrêtadevantsaporte,hésita,composalecode,puis,auderniermoment,changead’avis.Ellefitalorsdemi-touretredescenditpresqueencourantlarueHenri-Barbussejusqu’auMonoprix.

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5

Lapinaupaind’épices

Il était à peine quinze heures, et lemagasin était vide.Une petitemusique d’ambiance adoucissaitl’atmosphèreaseptisée.Juliettedéambulaitentrelesrayonsenréfléchissantàcequ’elledevaitacheter.Elle avait besoin de pimenter un peu cette journée lugubre.Elle s’arrêta devant le rayon épices et fitglisser son doigt sur les pots en verre remplis de graines, de fruits secs et de poudres aux couleurschaudes.Pourellequiavaittoujoursrefusédemonterdansunavionetquin’avaitjamaisvouluvoyagerplusloinqu’Amsterdam,lerayonépicesdeMonoprixconstituaituneaventuredesplushasardeuses.Elleremplitsonpanierenplastiquerouged’étoilesdebadiane,devanilleenpoudre,decannelleenbâtonsetde capsules de cardamome verte. Les tubes qu’elle pouvait ouvrir et respirer, elle les reniflait sansscrupules;ceuxqui,unefoisdébouchés,gardaientunoperculeprotecteurenaluminium,ellelesreposaitavecregret.Elleprenaitson temps,sélectionnait lesélémentsunparun,ne lesposantdanssonpanierqu’unefoisacquiselacertitudequ’ilss’entendraientbienaveclesautresingrédients.

Aufuretàmesuredesrayons,sonpanierseremplissaitdebriquesaveclesquelleselleconstruiraitsesrecettes.

Aprèsplusd’uneheurepasséeàarpenterlesrayons,ellepassaàlacaisse.Quatre-vingt-troiseurosettrente-cinq centimes, annonça la caissière. C’était complètement déraisonnable pour quelqu’un sanssalaire,mais,avecl’ombred’unsourire,Julietteluitenditsacartebleue.

Elledéposalessacsdanslacuisine.Elles’attendaitàtrouverlatabledelasalleàmangercouvertede feuilles griffonnées et de livres ouverts, comme souvent quand Nicolas et Chloé travaillaientensemble,mais toutétait impeccable, sansune tracededoigts sur leboisverni et,dans l’appartementpropreetrangé,onpercevaitmêmeleronflementrégulierdelamachineàlaver.

Juliette,surprise,trouvalelitfaitavecdesdrapspropres.C’étaitrarequeNicolasprennel’initiativedechangerlesdrapssansqu’elleleluidemande,etunsourireattendriluivintauxlèvres.

Aprèss’êtrelavélesmains,elles’attelaàlatâche.Danslefondd’unecocotte,elleversadusucreetdel’eau.Ellen’avaitjamaisbrûléuncarameldesavieetellen’avaitd’ailleursjamaiscompriscommentonpouvaitbrûlerducaramel.Ilsuffisaitd’avoirunthermomètre,demettreunpeudejusdecitronetdenepaspartirregarderTopChefenlaissantlefeuàfond.

Quandlesucredevenuliquidepritunejoliecouleurblonde,elleéteignitlegaz.Elleyjetaunsoupçondecannelle,devanilleetd’autresépicesqu’elleneconnaissaitpas,maisqu’ellevoulaitessayer.Ellesepencha sur la casserole, respira le fumetqui s’endégageait avecun sourire satisfait, ajoutaunananascoupéenquatre,puislaissamijoter.Ellepouvaitpasseràlasuite.

Lasuite,c’étaitunlapin,dupaind’épices,desoignons,unepoignéedepruneaux,dulard,unbouquetd’herbesdiversesetquelquescarottes.Riendetrèscompliqué.Julietten’aimaitpassuivrelesrecettes;elleaimaitexpérimenter,trouverdesmariagesdegoûtsinattendus.

Quand elle mangeait, elle enregistrait les saveurs, notait les accords, inspirait les parfums etmémorisaitquelquepartuneinformationtelleque«Lechocolatiraitbienaveclacôtedeporc»etelleressortaitl’idéeaumomentpropice.Ellegoûtait,savaits’ilmanquaitdusucré,dusalé,del’acideoude

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la douceur et elle ajoutait l’ingrédient manquant. Neuf fois sur dix, ça marchait, les convivess’extasiaient,lecontenudesplatss’évaporaitdanslesassiettessaucéesjusqu’àladernièregoutte.Unefoissurdix,c’étaitraté,etlesinvités,embarrassés,avalaientpolimentunemixtureàlacouleurloucheethochaientlatêteenaffirmantquec’étaittrèsoriginal,maisqu’ilsétaientaurégime.

Elle cuisinait depuis qu’elle était petite. C’est sa grand-mère qui lui avait appris. Son père, JeanCharpentier,étaitpropriétaired’uneagenceimmobilièrequiavaitfait faillitequandelleavaithuitans.Ellesesouvenaitencoredesdisputes,des larmesdesamèrequiavaitdûlesfairevivre tous les troispendantdelongsmoisdedettesetdedésespoiravecsonsalaired’infirmière.

Dujouraulendemain,plusdevacances,plusdesorties,plusdecadeaux.Plusrien.Pendantplusieurssemaines,Julietteavaitétépersuadéequ’ilsallaienttousmourirdefaim.Ellesevoyaitdéjààlarueavecsesparentsetellepleuraitpendantdelonguesheuressolitairestouslessoirsdanssonlit.Sesparents,troppréoccupésparleurssoucisd’argent,n’avaientpasréaliséàquelpointelleétaitbouleverséeparlasituation,etlatensionentreeuxétaittellequ’ilsavaientpréférél’envoyerchezsagrand-mèrependantlesmoisdejuilletetaoût.

Sagrand-mèreétaitradicalementdifférentedesamère.Elleriaittoujoursàgorgedéployée,n’avaitpeurderien,neplanifiaitjamaisrien,arrivaittoujoursenretardetrepartaitquandonnes’yattendaitpas.Elleprenaitdesdécisionsimpulsivesetdéraisonnables,dontlesimpleobjectifsemblaitêtred’embêtersesenfants,raisonpourlaquelleonavaitévitéjusque-làdeluiconfierJuliette.

Elleavaitcinquante-huitansquandsonmariétaitmortd’uncancer.Elleétaitalorspartiefaireletourdumonde,soi-disantpourseconsoler, toutenmurmurantd’unairconspirateuràquivoulait l’entendrequ’ellel’avaitassassiné.Elleenvoyaittouslessixmoisunecartepostaleincompréhensibleetexaltée,oùellearrivaitàcitertouslesmonumentsvisités,touslesgensrencontrés,touslesalimentsgoûtés.

Ses enfants avaient essayé pendant quelques années de la raisonner, de lui dire qu’elle vivait tropdangereusement, que ce n’était plus de son âge, mais chaque tentative de conversation rationnelleprovoquait une décision absurde et irresponsable, comme faire un saut en parachute, partir en trek auSoudan, conduire uneMaserati sur circuit ou se défaire de son appartement à Paris pour envoyer lamoitiédubénéficedelaventeàl’UNICEFetpartirs’installerdansleGers.

Elleavaitdilapidé leséconomiesdesonmariavecune rapiditéexemplaire,mais,grâceà Internet,auquelelles’étaittoutdesuitemiseetàladécouverteducouchsurfing,elleavaitreprissesvoyagesdansla mesure de ce que sa retraite d’esthéticienne lui permettait et dormait chez des hippies locaux etcharitablesquiouvraientleursportesauxvoyageursconnectés.

Ses parents avaient donc envoyé Juliette passer l’été dans leGers pour qu’elle fasse connaissanceavecmamieJacqueline,enfinrentréedesontourdumonde.Julietteavaitétécatapultéedansunemaisonendésordre,perduedanslacampagne.

Elle avait dit « Bonjour, mamie » et s’était pris une gifle : « Ne m’appelle jamais mamie, maisJackie» (commeJackieKennedy).Çaavait trèsmalcommencé. Jackieappelait sa fille tous les jourspour dire que Juliette était une enfant empotée et peureuse, élevée n’importe comment, et Juliettedéprimaitdumatinausoir.

Puis, un jour, enmal d’activités susceptibles d’amuser une enfant de dix ans endépression, Jackiedécidade luiapprendreàfaire lablanquettedeveau.Ellessemirentà lacuisineet,unefoisqu’elleseurentcommencé,ellesnequittèrentpluslesfourneaux.Enunmoisetdemi,ellesexécutèrentplusd’unecentainederecettes.

Elles invitaient lesvoisinscomme juryà tous les repas, ellesessayaient,modifiaient, ajoutaientdusucre roux dans les pâtes et de lamenthe dans les fondants au chocolat, n’en faisaient qu’à leur tête,goûtaient, faisaient la grimace, recommençaient, goûtaient à nouveau, s’empiffraient quand c’était bon,

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jetaientquandc’étaitmauvais.C’étaitmerveilleux.Dumoins,del’avisdeJuliette;deceluidesamère,unpeumoinsquandellevit

safillereveniràlafindel’étéavecunevalisepleinedevieuxlivresdecuisineetquatrekilosenplus.Il avait fallu la mettre au régime : finis les ChocoCookie. Quelque temps après, son père avait

retrouvéunboulot,etelle,sonpoidsnormal.Toutétaitrentrédansl’ordreàundétailprès:Julietteavaitune nouvelle passion, un amour tout neuf qui ne l’avait plus quittée pour tout ce qui se mange et secuisine.

Aufuretàmesurequ’elleavançaitdanslapréparationdudîner,Julietteoubliaitlapéniblescènedelamatinée. Elle se concentrait sur les goûts et les odeurs, sur la couleur dorée de la chair du lapin,qu’ellefaisaitreveniravantd’yajouterlelaurier,lesmiettesdepaind’épicesetleslardons.

Elle goûta, réfléchit un instant et versa dans la cocotte un fond de bière qui traînait dans le frigo.L’odeurenvahissaitlacuisine,etellesentaitsesmusclessedétendre.Uneheureetdemiepassa,letempsdetoutfignoler,demettrelatable,deredescendreacheterunebouteilledevinetdelaissermijoter.

Quandtoutfutprêt,ellesemitàattendreNicolas.Elleespéraitqu’ilnerentreraitpastroptard.Ilétaitdix-neufheuressept.Toutlemondedevaitsortirdubureau,sedirigerverslemétro,rentreràlamaisonlecœurléger.Uneboufféed’angoisselasubmergea.Aumomentoùellesentitqu’elleallaitcraquer,sontéléphonesonna.

— Juliette ! criaCaroline dans le combiné.Ce n’est pas possible : je viens de croiser Sophie ducontrôledegéquim’aditavoirentenduparBernarddelacomptaqueChristelleracontaitpartoutquetut’étaisfaitvirer.Qu’est-cequec’estquecesidioties?Jet’aicherchéetoutelajournée!

Elleparlaitfortpourcouvrir lebruitdefonddescouloirsdumétro.Julietteluiracontaendétail lascènedelamatinée.Àlafindurécit,ilyeutunblancauboutdufil,combléparlasonneriestridentedumétrodontlesportesserefermaientderrièreCaroline.

—Cen’estpaspossible,finit-ellepardire.Ilyaautrechose...Onnevirepaslesgenspourunenotedefraisunpeuabusive.

—Enfin,c’étaitquandmêmecentquatre-vingt-dix-huiteurospourunerobeMaje.C’estplusabusifqu’untaxiàquinzeeurospourrentrerdesoirée.

—Maisenfin,tupensesàquoi?Onnemetpassessoldesennotedefrais.Commenttuvoulaisqueçapasse?

Julietteserécriaque,déjà,cen’étaitpasdessoldesetqu’ensuite,ellen’auraitjamaisfaitça,maisleticketdevaitêtredanssapile,elleavaitdûl’agraferetremplirleformulairesansfaireattention.

Carolinenevoulaitpasycroire.Ellecitaquelquespersonnes,ellecomprise,quifaisaientpasserdesfraispersonnelsennotedefraisetàquiiln’étaitjamaisrienarrivé.C’étaitscandaleux.Julietteauraitdûcourir aux prud’hommes. Elles s’indignèrent ensemble pendant quelques minutes. Caroline dutraccrocher:unedamederrièreelles’étaitmiseàhurlerqu’onnetéléphonaitpasdanslemétroetqu’ilfallaitdescendrepourlaisserpasserlesgensquisortent,conflitdebasedetouslestransportsencommunparisiens,maisdontlarésolutionnécessitaittoutelaconcentrationdeCaroline.

Juliettesesentitunpeuconsoléeparlecoupdefil.Aumoins,ellen’étaitpastouteseule.Carolineétaittoujourslàpourelle,pourlesproblèmesaubureau,pourlesproblèmesdefamille.

Le seul cas qu’elle rechignait un peu à discuter était celui des disputes avec Nicolas. Elle avaittoujoursditqu’elle lesaimait tous lesdeuxetnevoulaitpasêtrepriseàpartiedansleurshistoiresdecouple.

Laclétournaitjustementdanslaserrure,etNicolasapparutdansl’encadrementdelaporte.Ilreniflal’odeur,déposaunbaisersurlajouedeJuliette.Envoyantsesyeuxclairs,sescheveuxenpagailleetsonécharpemisen’importecomment,Juliettesentittoutesaforcel’abandonneretelleéclataensanglots.

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Nicolas resta debout dans l’entrée, stupéfait par la succession d’événements qui venaient de luitomberdessusetqu’iln’arrivaitpasencoreà interpréter, à savoir,undînerauxchandellesprêt sur latable, une bouteille de vin et une odeur délicieuse venant de la cuisine, a priori annonciateurs d’unebonnenouvelle,etJulietteenlarmesquibredouillaitets’énervaitsurunehistoireincompréhensiblederobe, de Christelle, de Dark Vador et de tickets en désordre, le tout résultant en une catastrophecataclysmiqueàlaquelleilnecomprenaitrien.

Auboutde troisminutesdemonologue, Juliette se tutenfin, il enleva lentement sonblousonet sonécharpeetdemandasimplement:

—Quandest-cequetuasachetéunerobeàcentquatre-vingt-dix-huiteuros?Juliettesemorditleslèvres.Çaluirevenaitmaintenant:quandelleétaitrevenueauboutd’uneheure

avecCaroetsonsacMajedecequiétaitcenséêtreunaller-retourencinqminutespourallerchercherduselauMonoprix,Nicolasluiavaitdemandécequ’elleavaitacheté.Ilétaitpossiblequ’elleaitprofitédesonignorancetotaleduprixdeschosesetenparticulierdesonignorancetotaleduprixd’unerobeMajepour atténuer l’étendue du désastre, voire mentir, mais un tout petit peu et par omission sur l’objetincriminé,enprétendantn’avoirdépenséquedix-huiteuros.Minusculeomissiondu«centquatre-vingt»devantle«dix-huit»,etdéjààmoitiépardonnéepuisqu’ellevenaitdel’avouer.

—Jemesuisfaitvirer,dit-ellepouréviterlesujet.Visiblementdépasséparlesévénements,ilavançadanslesalon,s’assitsurlecanapé.—Jecroyaisquetuallaisavoirunepromotion.Qu’est-cequec’estquecettehistoire?Elleexpliquaànouveau,pluscalmement.Nicolasnecomprenait rienauxhistoiresd’entreprise,de

notesde frais, deRTT,dehiérarchie, depromotions et d’administration.Çane l’intéressait pas. Il nes’étaitjamaisoccupédecegenredechosesetn’avaitpasl’intentiondes’enoccuperunjour,carilavaitplus important à faire et il lui semblait que réfléchir au vrai sens de la vie ou à la nature propre del’humanitéetlanotiond’âmeferaitplusavancerlemondequedepayersafactureEDF.Sitantestqu’ilsachecequ’étaitunefactureEDF.

—Maistuvastoucherlechômage,tuvasretrouverautrechose?—Non,ilsm’ontforcéeàdémissionner.Jen’aipasd’indemnités,pasdepréavis,rien.Il la dévisagea avec l’air d’un enfant à qui on a annoncé que Noël vient d’être supprimé par le

gouvernement.Soudain,ilsemblavoirlevisagedésespérédeJulietteetillapritdanssesbras.Elle se laissaallercontre sapoitrine, respira l’odeurdecuirdesonblouson,nichasa têtedans la

chaleurdesoncou.Ilyeutunmomentdesilence.Nicolasreçutuntexto.Ilsemblaseréveiller,sortitsontéléphonedesapochepourlelire.Julietteeutl’impressionqu’iltournaitl’écranpouréviterqu’ellelise.

—C’estqui?—Rien.Onvafairecomment,Juliette?—Onsedébrouillera,net’inquiètepas...Elleavaitl’impressionqu’ellelelaissaittomber.Quandelletravaillait,ellesavaitqu’elletravaillait

pour deux, pour que lui puisse s’accomplir dans ce qu’il aimait, qu’ils puissent acheter un jour unappartementensemble,qu’ellepuisseleurorganiserdetempsentempsunweek-endenamoureuxetpourqu’unjour,qu’elleespéraitproche,ilspuissentsemarieretavoirdesenfants.Elleavaittoutgâché.Ellelepritparlamainetletiraverslatableavecdouceur.

—Viens,onvadîner.Toutétaitdélicieux,maislecœurn’yétaitpas.Elleluidemandacomments’étaitpasséesajournée;il

réponditqu’iln’avaitrienfaitdeparticulier,qu’ilavaittravaillé.Ilparlaitàpeine.Juliettefutpresquesoulagéequandle téléphonesonna.Commetous lessoirsaumilieududîner,c’étaitAnitaquiappelaitsonfilschéri.Ellevoulaitsavoirtouslesdétailslesplusinsignifiantsdesavie,cequ’ilavaitmangéà

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midi, s’ilétait sorti…Où?Pourquoi?Avecqui?Elle luidemandait s’il faisait froidàParis, s’il secouvraitsuffisamment,s’ilavaitreçul’écharpeencachemirequ’elleluiavaitenvoyéeparlaposte.

EngénéralelleenprofitaitpourenvoyerquelquespetitespiquesàJuliettequines’occupaitpasassezbiendesonfils.Julietteavaiteuplusd’unefoisenviedeluidireque,sanselle,sonfilschérin’auraitpasdequoisepayerunpaquetdepâtesparsemaine,maiselleseretenait.Nicolasétaitfilsunique,c’étaitletrésor de samaman et, parfois, Juliette avait pitié d’elle. L’appel dura plus de vingtminutes. Julietteterminaledesserttouteseuleetdébarrassa,notaaupassagequelesdeuxrecettesavaientétéunsuccèsetregrettaqueNicolasn’enaitriendit.Ilparlaitàsamèreavecunevoixplaintive.

—Oui... perdu son boulot....Non, une erreur de la compta....Oui, oui, très injuste. Je ne sais pascomment on va faire... Oui, peut-être, ça nous donnera un coup de main... On te remboursera. Net’inquiètepas...Çavaaller,mathèseavance.

Ilcommençaà luiexpliquerdequellemanière ilavaitavancé.Juliettesedemandasiça intéressaitvraiment sa mère ou si, elle aussi, faisait semblant. Elle termina de ranger, donna un dernier coupd’épongeetlançalelave-vaisselle.

—Maissi,jet’assurequeçava...Jen’aipasunevoixbizarre.Jesuisfatigué,c’esttout.Bon,jetelaisse...Oui...,merci...Bonnesoirée.Jet’embrasse...

Ilréapparutdanslacuisine,passasamaindanssescheveuxensoupirant.—Bon,jevaismecoucher,maJuju.Tropd’émotions,jesuiscrevé.Illuidéposaunbaiserrapidesurlajoueetsortit.Julietterestaseule,sontorchonhumideàlamain.

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6

Théoriedel’amour,parChiaraCastellini

Carolinerevintverslatableunmojitodanschaquemain.Avecsontailleurnoirbiencoupé,sespetitstalons et ses nouvelles lunettes de vue dernier cri àmonture épaisse, elle avait l’air d’une executivewomandeWallStreet.

Le Pub Saint-Germain était calme pour un vendredi soir. Lamusique était douce et dans la demi-pénombrerougeons’entendaitencoreàpeuprès.

D’icimoins d’uneheure, la foule affluerait et il faudrait hausser le tonpour couvrir les bruits desvoix,desverresquis’entrechoquentetdelamusique.

—Quellesemaine!ditCarolineenposantlesdeuxcocktailssurlatable.Juliettefitungesteverssonsacàmain,maisCarolinel’arrêta.—Non,non,c’estpourmoi.Jepeuxbientepayerunverre.LegesteémutJuliette.Carolinegagnaitbiensavie,maisilétaittrèsrarequ’ellepayepourlesautres.

Juliette avait l’impressionde tout ressentir puissance dix depuis son licenciement.Elle essayait de sedétendre, mais elle avait un mauvais pressentiment. Elle ferma les yeux et inspira un grand coup,s’enfonçadanslefauteuilencuirsombre,etessaya,pourlapremièrefoisdelasemaine,deprofiterdumomentprésentetd’oublier l’horreurdes joursprécédents. Il fallaitqu’elle soitplusoptimiste si ellevoulaitquelachancerevienne.EllelevasonverreetCarolinefitdemême.

—Àtonprochainjob.—Àmonprochainjob!réponditJulietteenessayantdesourire.Ellebutunegorgéesucrée.Lamentheétaitfraîche.Juliettepoussaunpetitsoupirdesatisfaction.—Alors,quoideneufdepuisquejesuispartie?Carolinereposasonverreethaussalesépaules.— Pas grand-chose. Tout le monde a été choqué par ton départ. La direction a fait passer une

circulaire : à partir demaintenant, c’est tolérance zéro avec les notes de frais ; ils ne feront plus decadeau.

—J’aifaitofficedeboucémissaire.J’étaislatroisièmepersonnedel’étageenmoinsdedeuxmoisàmefairecoincerpourça,maislaseulequisesoitfaitlicencier.TusavaisqueBertrands’étaitvurefusersapromotionàcaused’unproblèmedenotedefrais?

—Jen’étaispasaucourant.—Etlapromotionalors?Quil’aeueenfindecompte?Carolinerougitetpiquadunezdanssonverre.—Moi...Jesuisdésolée,Juliette.Jevoulaisteledire,mais,aveccequis’estpassé,jen’osaispas...Leserveurarrivaetdemandasiellesvoulaientcommander.—Pastoutdesuite.Onattendunetroisièmepersonne,ditCaroline,soulagéeparl’intervention.—Tusais,cen’estpasparcequej’aidessoucisquejenesuispascapabled’êtrecontentepourtoi,

réponditJuliette.Carolinesouritetluipritlamain.Elleavaitleslarmesauxyeux.

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—Merci,Juliette,çametouchebeaucoupquetuleprennescommeça.Jen’aijamaiseuunecopinecommetoi,tusais.

Julietteallaitrépondre,maislaportes’ouvrit,etlesilencesefit.Uncourantd’airchargédeChanelNo5envahitlasalle,etJuliettesesentitsoudainmieux.

Laporte se refermaderrièreChiara avecune lenteur respectueuse.La tête penchée comme sous lepoidsdeseslonguesbouclesbrunes,ellebalayalasalled’unœilvertclair,avecl’airdequelqu’unquisedemandecommentdiableonaosél’inviterdansunendroitaussibeaufalorsquelebarHemingwayduRitzétaitouvert.

ElledéfitdesamainfinelaceinturedesonmanteauencachemireetellesedirigeaversJulietteetCarolineavecladémarchefauved’untopmodelsurunpodiumdeMilan.EllesedéplaçaitperchéesurdouzecentimètresdetalonsLouboutinaveclamêmesouplessequepiedsnussuruneplage,sansjeterunregardàlafouleadmirative,commesielleétaitseuleaumondeavecsapeaumateparfaiteetsonportdetêtededanseuserusse.

Elles’assità la tabledansunmouvementharmonieux, lissasarobeduplatde lamainetsecoualatête.Sesbouclesfaussementsauvagesretombèrentàleurplacedansuneperfectiondécoifféedignedesplusbeauxjardinsàl’anglaise.

—Alors,caramia,ilparaîtquetut’esenfindécidéeàquittertonjobpourri?CefutlemomentquechoisitunjeuneserveurpleindebonnesintentionsetquidévoraitChiaraavec

desyeuxdemerlanfritpourl’interrompre:—Souhaitez-vousquejevousapporteaussiunmojito,madame?Chiaraseretournaversluietl’examinadespiedsàlatête.—Unmojito?PourquoipasuneGuinnesspendantquevousyêtes?Unecoupedechampagne,rosé,

lepluscher,et,sivousm’appelez«madame»encoreunefois,jevouslaversesurlatête.Puis,seretournantversJulietteetCaroline:—Non,maisest-cequej’aiunetêteàm’appeler«madame»?QuandChiaraparlait,onsentaitlachaleurdusoleildeToscanedanslabruineparisienne.Malgrédix-septanspassésenFrance,elleavaitgardéunsoupçond’accentmélodieux,justecequ’il

fallait pour envoûter les femmes et remplir les hommes d’une furieuse envie de lui faire sauvagementl’amoursurunetabledecuisine.

—Çava,Chiara?demandaCarolined’unairpincé.—Çava,Caroline,réponditChiarasanslaregarderensortantunrougeàlèvresdesonsacàmain.Je

supposequec’esttoiquiaschoisicetendroiteffroyablementringard?Elledéposasurseslèvresunecouchedecouleursombre.ElleressemblaitàClaudiaCardinale.—C’esttrèssympa,s’offusquaCaroline,trèsàlamodeet...—C’étaitunequestionrhétorique,chérie,l’interrompit-elle.EllerangealetubeetsetournaversJuliette.—Racontealors.Qu’est-cequis’estpasséexactement?Juliette, pour la énième fois, raconta. Elle n’en pleurait même plus. Elle avait exposé les faits

tellement de fois qu’ils sortaient de façon mécanique, distante, comme si c’était arrivé à quelqu’und’autre.Chiaral’écoutasansl’interromprepourconclure:

—Elleétaitcomment,cetterobe?Julietteselevaavecunlégersourireetfituntoursurelle-mêmepourlaisserChiarajuger.—Pasmal,pasmal.Unpeucourte,murmuraChiaraenavalantunegorgéeduchampagnequ’onvenait

dedéposerdevantelle.Enfin,vucequeçatecoûteenfindecompte,tuauraisput’acheteruneChanel.CarolinelevalesyeuxaucieletJuliettepouffa.

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—Tufaisquoimaintenant?poursuivitChiara.Tucherchesautrechose?Tuvasfairecommentsanssalairepourentretenirtonphilosophesuicidaire?

—Jepostule,jepostule,réponditJulietteenmordillantsapaille.—Tunevoudraispasenprofiterpourchangerdecarrière?Fairequelquechosequiteplaîtunpeu

plusquecemétierchiantàmourir?Caroline,agacée,s’interposa:—Cen’estpasdutoutunmétierchiant!Bienaucontraire,c’estpassionnant,bienplusutileentout

casquedepassersesjournéesàfairedelapublicitépourdumaquillage.—Çava,toi,leboulot,Caroline?rétorquaChiaraavecunsouriremielleux.Tun’enaspasmarrede

vendredudétergenttoutelajournée?Tunevoudraispaschangerunpeu?—Jeviensdechanger.J’aieuunepromotion.Jesuismanagerd’uneéquipedetroispersonnes.—Oh!vraiment?ditChiarad’unair intéressé.Tuasunepromotion lasemaineoùJuliettese fait

virer…Quelletragiquecoïncidence!—Qu’est-cequetuinsinues?—Chiara...,soupiraJuliette.—Riendutout,jen’insinueriendutout.Tun’aspasdûbeaucoupdéfendreJuliette,c’esttout.Carolinemanquades’étrangler.—Quoi?Qu’est-cequetuveuxquejefasse?Quejerèglelesproblèmescommetoi?Encouchant

avectoutlemonde?—Arrêtez!criaJuliette.Arrêtezdevousinsulter.C’estmoiquiaidesproblèmes,pasvous.Sivous

continuez,jem’envais.ChiaraetCarolines’excusèrentetpromirentdesetenirjusqu’àlafindelasoirée.Sansosercettefois

lamoindresuggestion,leserveurrevintleurdemandersiellesavaientchoisi.Chiara demanda la volaille forestière, mais avec n’importe quoi à la place des tagliatelles parce

qu’ellenemangeaitquedespâtesmaisonetqu’ellen’osaitmêmepas imaginer legoûtatrocede leurspâtes,trèsprobablementindustrielles.

Ilhochait la têteà toutcequ’elledisait avecunsourireadorateur.Pour Juliette, ce serait lamêmechose, mais avec les tagliatelles, oui, même si elles n’étaient pas faites maison et malgré le regardscandalisédeChiara.

Caroline demanda une salade printanière sans croûtons et sans sauce, ce qui lui valut un regardadmiratifdeJulietteetméprisantdeChiara.

Caroline avait passé dix années de sa vie avec vingt kilos en trop. Elle les avait supportés toutel’adolescence, planquéederrière les livres queNicolas lui prêtait et sousdes vêtements informes auxcouleursdouteuses,etce,malgrélesplaisanteriesincessantesdesescamaradesdeclasse.Puis,àl’âgedevingt-septansetsanscriergare,elleavaitdéclaréqu’elleallaitprendresavieenmainetqu’ellesemettaitaurégime.

Elleavait toutsimplementarrêtédemangeretpassait leplusclairdesontempslibreauClubMedGymdelaDéfenseàcourirsuruntapisjusqu’àl’évanouissement.Elleavaitperdudix-huitkilos,refaitsagarde-robeetsuividescoursintensifsdemaquillageetderelooking.Elleavaitlâchésursesépauleset teint d’un noir de jais ses cheveux châtains, qu’elle avait toujours tirés dans une queue de chevalmorose,etelleavaitentourédekhôlbrunsesyeuxtimides.

Alorsqu’elleavaitjusqu’icitoujoursété«labonnecopine»àquileshommesvenaientraconterleursmalheurs sans jamais l’inviter à dîner, elle était devenue, à sa propre stupéfaction, une jeune femmecourtisée,quoiquegravementsous-alimentée.

Chiara n’aimait pas grand monde et surtout elle n’aimait pas les gens négligés. La première fois

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qu’elleavaitvuCaroline,elleavaitdéclaréqu’ellenelasentaitpasetqu’accessoirementelleavaithonted’êtreaperçueensaprésence.Jamaisriennipersonnen’avaitpulafairechangerd’avissurlesujet.

Il fautdireque jamais riennipersonne,dupapeàAlCaponeenpassantparDieu lePère,n’avaitréussiàfairechangerunCastellinid’avissurquelquesujetquecesoit,etce,malgrétoutlerespectqu’ilstémoignaientàcestroispersonnalitésadmirables.Chiaraétaitmêmealléejusqu’àprétendrequeCarolineétaitamoureusedeNicolas.

Ellefondaitcettehypothèsesursacertitudequetouteamitiéentreunhommeetunefemmerelèvedel’impossible,puisqu’ilétaitévident,selonelle(etFreud),quetoutlemondeavaitenviedecoucheravectoutlemonde,exceptionfaitedesimpuissantsetdesmorts,quivoudraientavoirenviedecoucheravectoutlemonde,maisnelepeuventpas.

Elle-mêmeconstituaitunepreuvevivantedecettethéorie,neratantjamaisuneoccasiondefinirunede ses multiples soirées VIP remplies de stars et de créateurs dans le lit d’un macho ténébreux, depréférencemarié, étranger, amnésiqueou les trois,demanièreàêtrebien sûrequ’ilne la rappelleraitjamais.

Ellepouvait seglisser aupetitmatinhorsd’une chambred’hôtel cinq étoiles après avoir prétendus’appelerSimonedeBeauregardenlaissantunnumérodetéléphoneauCamerounouuneadresseposterestanteàUshuaia.

Elleéliminaitainsitoutrisqued’êtrerecontactéeparunamoureuxtransiquidéclaraitsubitementnepas pouvoir vivre sans elle, alorsmême qu’il avait parfaitement survécu aux quelques décennies quiavaient précédé leur rencontre, ce qui arrivait, malencontreusement, chaque fois qu’elle laissait à saconquêtedelasoiréel’opportunitédecommuniqueravecelled’unemanièreoud’uneautre.

Chiara recevait régulièrement des e-mails d’amour, des textos d’amour, des messages Facebookd’amour, des fax d’amour, des messages vocaux d’amour, des tweets d’amour et même, de temps entemps,ôcombienrétrogrades,deslettresd’amour.

Onnepouvaitmêmepasluireprocherdevivreetdeparlercommedansunfilm,car,defait,savieétaitunfilm.ElleétaitdirectricemarketingEuropedelagammedecosmétiquesdeDior.Ellepassaitlamoitié de son temps en classe affaires dans des avions pourNewYork,Londres,L.A. ouMilan, ellerencontrait toujours des hommes sublimes et richissimes qui l’emmenaient à l’opéra, lui offraient desbijouxCartieretlademandaientenmariageàBora-Bora,étapeàlaquelle,aprèsavoirannoncéqu’elleallaitbientôtmourird’unemaladieorphelineincurableetsexuellementtransmissible,ellelarguaitàtoutjamaisletypeetlesamarres.

Le serveur apporta les assiettes et elles continuèrent à discuter de l’avenir de Juliette. Chiara luirecommandaitdeprendreletempsderetrouveruntravailquiluiplairait,Caroline,d’acceptern’importequelleoffreauplusvitepourpouvoirpayersonloyer.Ellesfaillirentsedisputerànouveau.

Plustard,onvintremplacerleursassiettesvidesparlacartedesdesserts.—EtNicolas?demandaChiara.Pourunefois,ilnepourraitpassebouger?—Il travaillesursa thèse,réponditJuliette.Aupointoùonenestcaloriquementetfinancièrement,

autantprendreundessert,non?—J’aiconnudesgensquifaisaientdesétudesetquitravaillaientenparallèle,àcommencerparmoi,

ditChiaraenhaussantlesépaules.Non,pasdedessertpourmoi.—Moinonplus,ditCarolinesansmêmeouvrirlacarte.C’estlongetdifficile,unethèse,Chiara.Ça

justifiecertainssacrifices.—Oui, il a besoin de toute sa concentration et je veuxmettre toutes les chances de son côté, dit

Julietteenrefermantlacarte.Elleavaitenvied’undessert,maiselleavaitdéjàtropmangé,sansparlerdesderniersjours,qu’elle

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avaitpassésaffaléesursoncanapéàingurgiterdesChocoCookieenprétendantchercherdutravailalorsqu’elleregardaitlatélé.

—Àpartça,lacohabitationsepassebien?demandaCaroline.—IlvatoutelajournéeàlabibliothèqueavecChloé,ditJuliette,maussade.Donc,monchômagene

changepasgrand-choseànoshabitudes.—EncoreChloé?Chiaralevaunsourcilinquisiteur.—C’estbon,Chiara,marmonnaJuliette,tuvoislemalpartout.—Chiaraaraison:ilnedevraitpaspasserautantdetempsavecelle,rétorquaCaroline.Juliettelevalatête,stupéfaite.Carolinen’aimaitpasChloé,maisJuliettenel’avaitjamaisentendue

diredumaldeNicolas.—Tu ne devrais pas être aussi tolérante, Juliette, dit Chiara. Tu lui as tout donné, tu l’entretiens

depuisdesannées.S’ilpartavecuneautre,tuaurastoutgagné.Parfois,ilfautlesfairesouffrirunpeu.Çaleurfaitdubien.

—Çanemarchepascommeçaentrenous.Onsefaitconfiance.Onvasemarieretfonderunefamille.Elle faillit ajouter : « Évidemment, vous ne pouvez pas comprendre. » Chiara collectionnait les

aventurestorridesdemoinsd’unmoisavecdesinconnusmusclés,etCaroline,depuisqu’elleétaitmince,attendait le prince charmant dans l’abstinence la plus totale malgré quelques prétendants plus quepotables.

MaisJuliettesetut.Ilyeutunsilence,puisCaroline,unpeuhésitante,reprit:— Tu n’es pas sûre de l’épouser tant qu’il ne te l’a pas demandé. Parfois, les gens changent. Il

pourraitrencontrerquelqu’und’autre.Çaarrive,tusais.Chiaraluijetaunregardintéresséquisemblaitdire:«Tiens,tuaurasquandmêmeréussiàsortirune

chosesenséesurtroisheuresdeconversation.»— OK, fin de cette discussion, déclara Juliette d’un ton sec en levant la main pour demander

l’addition.Ellesn’ycomprenaientrien,niàluiniàleurrelation.EllechassaChloédesonesprit.Nicolasn’avait

jamaisaimélesblondes.Elleallaitluienparlerdèscesoir.Ilrégleraitcettehistoiresansqueuenitête.Leserveurapportal’addition.C’estlemomentquechoisitCarolinepourpartirauxtoilettes.—Entoutcas,situasbesoind’argent,jeteleprête,ditChiara.Àtoi,pasàAristote.—Merci.Pourlemoment,çava...,ditJulietteavecunsourirereconnaissant.ChiaralevasacarteGoldpourqueleserveurrevienneaveclamachine.—C’estpourmoi.Metteztout,dit-elleenlaposantsurlanote.Il était tard quand elles sortirent du restaurant. Chiara proposa de déposer Juliette avec son taxi,

sachantqu’ellehabitaitdansletroisièmeetJulietteàLevallois-Perret.Ce n’était absolument pas sur son chemin. Juliette refusa, même si l’attention la toucha. Chiara

l’embrassa sur la joue enmurmurant «Ciao,bella, bon courage » de sa voixmélodieuse, et Juliette,pendantunesecondefugitive,eutenviedesereposeruninstantsurlemanteauduveteux,danslenuagedeparfum,etdepleurerunboncoup.

EllemarchaensuiteavecCarolinejusqu’aumétro,etellesseséparèrentens’embrassant.—Bonnechance,luiditCarolineavantdelaquitter.Ellepassasesbrasautourd’elleuninstantetluitapotaledos.—Merci,Caro,pourtonsoutien.—Juliette?

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—Oui?—Jevoulaisjustetedireque...Ellehésitaetsereprit:—Jesuiscontented’êtretonamie,vraiment,etpasseulementcelledeNicolas,tusais.Elle la serra à nouveaudans ses bras. Juliette avait les larmes auxyeuxquand, poursuivie par les

courants d’air, elle s’engouffra dans les couloirs souterrains. Sur le quai, son regard tomba sur unepublicitéquivantaitlesméritesd’unepâtéepourchatsmultivitaminée.

Surl’immenseafficheéclairéed’unelumièreglauque,unchatnoirgéant,lapatteposéesuruneboîtedeconserve, ladévisageaitde sesyeuxémeraude. Ilpenchaitunpeu la tête sur le côté, et son regardretouchésemblaithumain.Ellefrissonnaetremontalecoldesonmanteau.

LaconversationsurNicolasl’avaiténervée.Chiaranel’avaitjamaisapprécié,maisCarolineavaiteuune attitude inhabituelle, et elle était à deux doigts de la soupçonner de lui dissimuler quelque chose.Nicolasn’étaitpasparfait,c’estvrai.

Ilétaitunpeuégoïste,maiscen’étaitpassafaute.Samèrel’avaitélevéenluirépétantàlongueurdejournée que la seule chose qui comptait, c’était son bien-être, ses désirs, que le reste était sansimportance.

Touslesmidis,pendantdix-huitans,elleluiavaitcuisinédespetitsplatssains.Jamaisellenel’auraitinscritàlacantine,jamaiselleneluiavaitdemandéd’aiderauxtâchesménagèresetjamaisiln’enavaitprisl’initiative.Ellefaisaittout,décidaitdetout,s’occupaitdetout.

Quand Nicolas avait quitté le domicile familial pour s’installer avec elle, Juliette avait prisdirectementlarelève.

Ellenes’enplaignaitpas:iln’étaitpascontrariantetelleaimaitdécider.Fairelacuisineétaitpourluiunecorvéeet,pourelle,unplaisir;ilétaitdonclogiquequ’elles’enoccupe.Pourlereste,ill’aidaitparfois.

Enmontantdanslemétro,ellevitavecsoulagementlechatsurl’affiches’éloigneretdisparaître.Ellerespira.Cen’étaitqu’unmomentdifficileàpasser;toutallaits’arranger.

Quandellearrivadevantchezelle,ilétaitàpeinevingt-troisheures.D’enbas,elleaperçutlafenêtredusalonéclairée.Elleavaitbienfaitderentrerplustôtqueprévu.

Elleallaitluiparler,luidirequ’elleavaitbesoindelui,desonsoutien.Ilcomprendrait,illaprendraitdanssesbrasetlaconsolerait.Ellemontalesmarchesquatreàquatre.Elleglissalaclédanslaserrure,du gestemécanique qu’elle avait fait desmilliers de fois sans jamais y penser.C’était chez eux, leurfoyer,familieretaccueillant.Elleouvritgrandlaporte,prêteàsejeterdanssesbras,àselaisseraller...

Il se tenait là,deboutdans l’entrée,prêtà l’accueillir, semblait-il.Emportéedans sonélan,elle secogna la jambe contre quelque chose de dur qui traînait au milieu du chemin. Quelque chosed’encombrant. Son tibia lui faisait mal, elle aurait sûrement un bleu. Elle baissa les yeux sanscomprendre.

Devantelle, ilyavaitdeuxvalises.Deuxgrossesvalisesfermées,bienalignéesàcôtéde laporte.C’est làqu’ellecompritquequelquechoseclochait,quequelquechosene tournaitvraimentpas rond,parce qu’en six ans de relation, il n’était jamais arrivé à Nicolas de prendre une initiative aussiengageante,pénibleetcompliquéequecelledefairelui-mêmeunevalise.

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7

Démonstrationdelathéorieduchaos,parNicolasDolgis

Elles’étaitarrêtée toutnet,coupéedanssonélanpar ladouleurdiffusedanssontibia. Il restait là,plantédansl’entréeavecsonmanteauetsonécharpe.Lentement,ellerefermalaporte.

—Tupars?Ilpassaunemaintremblantedanssescheveux.—Oui.—Maistuvasoù?Tureviensquand?Letimbredesavoixétaitpresquetranquille.Onpouvaitàpeineydécelerlefrémissementlégerdela

brisequiselèvesurl’eaudormanteavantlatempête.Ilyeutunsilenceànouveau.Ilsseregardaientbêtement:elle,quiévitaitdecomprendre;lui,quicraignaitd’expliquer.Ilavalasa

saliveetfinitparmurmurertellementbasqu’ellel’entenditàpeine:—Jesuisdésolé,jem’envais,Juliette.Jenerevienspas.—Quoi?C’étaitsortiuntoutpetitpeutropaigu,pasépouvantéoudésespéré,maisunenoted’inquiétudeinfime

résonnait derrière lemurd’incrédulité qui laprotégeait encore.D’ungestemachinal, elledéroula sonécharpeetl’accrochaauportemanteau.

—C’estfini,Juliette.C’esttout,jesuisdésolé...Commepour illustrer ses propos, il se dirigea vers une des valises et l’empoignad’ungeste qu’il

voulait décidé, puis il s’approcha de la porte, mais elle lui barra le passage. Maintenant, sa voixtremblait.

—C’estridicule,Nicolas.Onvaparler.Tunepeuxpaspartircommeça.—Jeneveuxpastefairedumal,murmura-t-il.Ilvoulaitfuir.Peut-êtremêmeavait-ilvoulupartiravantqu’ellenerentre,évitercettescène,déserter

leconflitavantl’explosion.Ilavaitpeur,ellelevoyait.Etc’estcettelueurlâchedanssonregardfuyantquiagitcommeundéclic.

Elle entendit quelque chose se casser en elle, comme si lesmorceaux tranchants d’unmiroir briséremplissaient son estomac avec un bruit métallique. Et soudain, elle eut la tête aussi vide qu’unappartementenventeetuneterribleenviedevomir.

—Non.Elleluiattrapalebras.—Tunepeuxpaspartir.Ilsedégageadoucement,l’airattristé.—Necompliquepasleschoses,Juliette.C’estsuffisammentdifficilecommeça.—Difficile?Jerentreàlamaison,tuesprêtàpartircommeunvoleur,sansmêmeunmotd’excuse,et

c’estpourtoiquec’estdifficile?C’estmoiquicompliqueleschoses?—Juliette,calme-toi.Jesuisvraimentdésolé,maisjepensequenotrehistoireestterminée.Ellesentaitqu’ilavaitpréparécesphrasesneutresetsansappel,qu’illesavaitrépétéespouréviter

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lescontre-argumentsstériles,maisellenelelaisseraitpaspartir,pascommeça.—Ilyaquelqu’und’autre,c’estça?—Non,iln’yapersonne.—Si!Jeteconnais.Tun’auraisjamaiseulecouragedemequittertoutseul!—Non,jet’assureque...—Tuascouchéaveccettepétasse,c’estça?Chloé?—Chloén’arienàvoirlà-dedansetnel’insultepas,cen’estpasrationnel,Juliette,tu...—Tuascouchéavecelle!Ettuneveuxpasmeledire!Ill’attrapaparlespoignets,laregardadroitdanslesyeuxetilluiditd’unevoixferme:— Calme-toi, Juliette. Que j’aie couché avec quelqu’un ou pas n’y changerait rien. J’ai pris ma

décision.Entendreça,c’étaitcommerecevoiruncoupdeparpaingdansleventre.Quandellerelevalatête,sa

voixtremblait,maislacolèrel’avaitquittée.—Nicolas,qu’est-cequisepasse?Explique-moi.Tunepeuxpasmequittercommeça.Ellesemitàpleureretilseradoucit:—Iln’yarienàdire,jesuisdésolé,maisçafaitplusieursmoisquenotrerelationachangé,et,situ

étaismoinsobsédéepartesidéesdemariageetd’enfants,tut’enseraisrenducompte.Illuidisaitquec’étaitsafaute.Ilpartaitparcequ’elleleharcelaitavecdeshistoiresdemariageet

d’enfantsalorsqu’iln’étaitpasprêt.Desmois que ses sentiments avaient changé ? Il lui avait laissé une chance et elle ne l’avait pas

prise?Ellen’avaitrienvuduhautdesonnuagedemidinette;ellenel’avaitpassentis’éloigneroupeut-êtrequ’elleavaitrefusédevoirl’évidence.

Ilpartaitparcequ’elleétaitidioteetc’étaitbienfaitpourelle.Ellesepritlatêtedanslesmains.Ilfitunpasenavanteteutunmouvementverselle,commes’ilvoulaitlaprendredanssesbraspour

laconsoler,puisilserepritetlaissaretombersamainlelongdesoncorps.—Jesuisdésolé...Ilempoignaànouveausesvalisesetsedirigeaverslaporte.Pendantuninstant,ellecrutqu’ilavait

les larmesauxyeux.Elleessayade s’accrocherà sonbras, luibalbutiad’attendre, attendreencoreunpeu.Elleavaittellementdequestionsàluiposer.Elleavaitencorebesoindecomprendre.

Mais il se dégagea avec douceur et sortit. Elle le suivit sur le palier, courbée comme une vieillefemmesous lepoidsde lanouvelle.Ellese fichaitd’être ridiculeauxyeuxdesvoisins. Il fallait justequ’ilreste.Ellecria,penchéesurlabalustrade:

—Nicolas,attends!Maisilcontinuasansseretourner.Elleseditqu’iln’avaitpasentenduethurlaplusfortencore,mais

ilcontinuaitdedescendre,etellenevoyaitquelesommetdesoncrânequis’éloignaitpendantqu’elleétouffaitdedésespoir.Laported’enbasclaqua,etellerestatouteseule.

Assiseparterresurlepalier,elleécoutalesilencedelacaged’escalier,attendantqu’ilreviennepourrecommenceràrespirer.Ellesetraînajusqu’àl’appartement,refermalaporteets’assitàmêmelesoldel’entrée.

Ellerestaprostréependantlongtemps,plusieursheurespeut-être,àserepasserlascèneenboucleetàessayerdecomprendrecequiétaitarrivé,puis,aumilieudesessanglotshumides,elleentenditlebruitdelasonnette.

Ellesejetasurleverroulesmainsfébriles.Çadevaitêtrelui,ilrevenait,mais,dansl’encadrementde la porte se tenait Chiara, l’air aussi désolé qu’elle, sans maquillage et en nuisette sous sonimperméableBurberry.Juliettesejetadanssesbrasetseremitàpleurer.

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Chiaraluicaressaitdoucementlescheveux.—Caramia,nepleurepas,çavaaller,çavaaller.—Commenttuassu?demandaJulietteentredeuxsanglots.—IlaappeléCaroline. Il luiaditque tunedevaispasêtrebien,etellem’aappeléepourque je

passetevoir.J’aiprisuntaxi.Jeluiaiditquecen’étaitpaslapeinequ’ellevienne.Elleluitenditunmouchoir.Julietten’écoutaitplus:NicolasavaitappeléCaroline.Iln’étaitdoncpas

indifférent.Ilsefaisaitencoredusoucipourelle.—Cen’estpaspossible,Chiara,ilvarevenir.Tupensesqu’ilvarevenir?Chiarasoupiraetlapritparlamainpourlafaireasseoirsurlecanapé.—Jenesuispassûre,mabelle.Tusais,jen’aijamaisétésûrequevousétiezfaitsl’unpourl’autre

detoutefaçon.Julietteseremitàpleurer,plusdoucementcettefois,latêtepenchéeenavant,commeunepetitefille.—Maisjenepeuxpasvivresanslui.J’aitoujoursétéaveclui...Chiaralaserracontreelle.—Jesais,jesais,c’esttrèsdur,maisçaarrive,bella.C’estlavie.Juliette pleura encore un bonmoment sur l’épaule deChiara pendant que celle-ci lui caressait les

cheveuxetmurmuraitdesmotsenitalienqueJuliettenecomprenaitpas.PuisChiaral’aidaàsemettreenpyjama,lacouchaetlaborda.

Ellerestajusqu’àcequ’elles’endorme,samaindanslasienne.Pourunefois,ellen’étaitnicyniqueniexubérante,simplementlà,douce,presquematernelle.

Bercéeparl’espoirdenejamaisseréveiller,Juliettefinitpars’endormirsurl’oreillermouillé,lesyeuxgonflésetlatêteaussidouloureusequ’unballondefootaprèsunmatch.

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8

Ladix-septièmerupturedeDanetSerena

Le lendemainmatin, pendant une bonne seconde, elle crut qu’elle avait fait un cauchemar.Mais laréalité reprit vite le dessus : la place à côté d’elle était vide, et la scène de la veille lui revint enmémoire,accompagnéed’unehorriblemigraine.Impossibledeserendormir,impossibledeselever.

Ellerestaunlongmomentengourdie,lacouetteremontéejusqu’aumenton,lesyeuxmornesfixésauplafond. Elle ressassait chaque parole de Nicolas, les analysait, les tordait dans tous les sens pouressayerd’ytrouverunesignificationdifférente.

Elle cherchait la faille, l’indice caché qui lui apprendrait que tout n’était pas perdu, qu’elle avaitencore une chance. Dans ses rares accès de bonne foi, elle admettait qu’elle aurait dû voir quelquessignesavant-coureurs.

Nicolas avait changé ces derniers temps. Il avait l’air de s’ennuyer ; un rien l’agaçait. Il faut direqu’ellen’avaitpasgrand-chosed’intéressantàraconter.

Ellenecomprenaitrienàsaphilosophie,etsontravaildecommercialeétaitloind’êtrepassionnantpourun intellectuelcomme lui.Toute tracede rancune l’avaitquittée. Ilne lui restaitqu’unechapededésespoirquilaclouaitàsonmatelas.

Elle n’arriverait plus jamais à se lever. Elle allait rester couchée dans ce lit et pleurer toutes leslarmesdesoncorpsjusqu’àcequ’ellemeurededéshydratation.

Une demi-heure plus tard, elle réalisa que, malgré tout, elle avait faim. Elle se traîna jusqu’à lacuisineet, situationdecriseoblige, sortit lepotdeNutelladuplacard.Ellen’achetaitduNutellaquepourNicolasets’interdisaitd’ordinaired’ytoucher,mais,puisqu’ilétaitparti,ellen’avaitplusderaisonnideluigarderlafindupotnideluttercontrel’obésité,etelleengouffrasixtartinesrecouvertesdetroiscentimètresdepâtebrunetrempéesdanssoncafé.

Une fois son petit-déjeuner terminé, elle s’assit sur le canapé du salon et attendit. Le silence laremplissaitd’angoisse.Cetappartement,qu’elleavaittantaimé,ellenelesupportaitplus.

Elleavait l’impressionque lesmurs se resserraient autourd’ellepour l’étouffer et,de toute façon,elle n’avait plus les moyens d’en payer le loyer. Après un long moment d’abattement, elle trouval’énergiedetéléphoneràsonpropriétairepourluiannoncerqu’elledéménageraitàlafindumois.

Elleluiexpliqualasituationquiétaitque1)elleavaitétélicenciéedemanièreinjusteetinattendue;2) elle s’était fait plaquer de manière injuste et inattendue ; 3) elle se retrouvait seule et ruinée demanière injuste et inattendue. Son propriétaire, comme n’importe quel propriétaire parisien qui serespecte, s’en contrefichait. Il s’inquiéta uniquement de savoir jusqu’à quand son loyer serait payé etexigeaqu’ellerespectelepréavisdetroismois.

—Jenevaispasvouspondremilledeuxcentseurosparmoissans travail, lui rétorquaJuliettedemauvaisehumeuravantdedireaurevoiretderaccrocher.

EllevoulutappelerChiara,maissonamievenaitdepartiràBerlin.Elleavaitdûrentrerchezelleaumilieudelanuitetseleveràl’aube,lapauvre.

ElleappelaalorsCaroline,quidécrochaenchuchotantdanslecombiné:

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—Attends,jesorsdel’openspace.Çava,Juliette?—Non...Julietteavaitenviedepleurer,maiselleseditquecen’étaitpaslemoment.Caroline,quitravaillait,

avait très probablement autre chose à faire que de l’écouter sangloter comme un veau au bout dutéléphone.

—Jel’aieuhierautéléphone.Jesuisdésolée,Juliette.—Ilt’enavaitparlé?Carolinehésitaàl’autreboutdufil.—Disonsquej’avaiscomprisqueçan’allaitpastrèsbienentrevous.Ilyeutunsilence.Julietteencaissa.Toutlemondeétaitaucourantsaufelle.Elleétaitsoitaveugle,

soitstupide,soittrèsprobablementlesdeux.Ellepoussaungrossoupir.—Tupensesque jedevrais le rappeler ? Jevaispeut-être rappeler…Il t’adit quoi exactement ?

C’estpeut-êtrejusteunepassade,non?—Laissepasserquelquesjours,maisfranchement,j’ail’impressionqu’ilabienréfléchi.—Jenepeuxpasvivresanslui.Jevaisl’appeler,ditJuliette.J’aibesoindeluiparler.Sijenelui

parlepas,jevais...—OK,OK,coupaCaroline.Jesuisvraimentdésolée,maisj’aiuntrucàfiniravantledéjeuner,et

DarkVadorvametomberdessuss’ilmetrouveautéléphone.—Non,maisilt’aditquelquechose?IlestavecChloé,c’estça?—Jedoisvraimentyaller,là,Juliette.Jenepensepasqu’ilsoitavecChloé.Ilnem’apasditça,en

toutcas,jetelepromets.—OK,jetelaisse.—Jeterappelleplustard.Bisous,mapoulette,etcourage,ditCaroline.Auboutd’unebonneheuredereniflements,Juliettedécidaqu’ilfallaitqu’ellesereprenneenmainet

qu’ellecherchedutravail.Ellen’allaitpasselaisserabattre.Aprèsavoirdépenséuneénergiefollepourprendrecettedécisionrationnelle,elleseditqu’elleavait

toutefoisméritédesedétendreunpeuetelleallacherchersacouetteetlasaisonquatredeGossipGirls.Elleplongeadans laviedegaminesdedix-septansmultimillionnaires,quichangeaientenunmois

plussouventd’amants,derobesetdepairesdechaussuresqueJulietteenunevieentière.Six heures et quatre paquets de ChocoCookie plus tard, au moment tragique ou Dan et Serena

comprennentquel’argentlessépareratoujours(unedesespairesdechaussurescoûtedeuxfoisleprixdesonloyer;ilsn’ontpaslesmêmesvaleurs)etqu’ilsrompentpourladix-septièmefois,Julietteseremitàpleurerfaceàtantd’injustice.

Ses larmes furentune foisdeplus interrompuespar la sonneriedu téléphone,etelle se ruadessus,espérantqueceseraitNicolas.

—Caramia,commentçava?—Ah!Chiara,ditJuliette,lugubre.—Onsesentaccueilli,çafaitplaisir.Ondiraitquetuesenphaseterminaled’uncancerducerveau.—Non,non,net’inquiètepas.C’estgentild’appeler.—Commenttutesens?—Bof...—Qu’est-cequetufais,là?Tucherchesduboulot?—Oui,oui,marmonnaJulietteenappuyantsurPAUSE.—Tumeprendspourunedemeurée?Tucroisque jen’aipasentendu la télévisionderrière toi ?

C’estpasenregardantdesadosanorexiquessetapertoutNewYorkenArmaniquetuvasavancerdansla

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vie,d’ailleurs...—Chiara?l’interrompitJuliette.—Oui?—Jepeuxvenirlogercheztoiàpartirdumoisprochain?Justeletempsquejeretrouvedutravail?

Jepaierailescharges,biensûr.—Biensûrquetupeux,maisàdeuxconditions…Chiaradevaitêtredansunaéroport,caronentendaitunevoixfémininerésonnerdansunhaut-parleur

derrièreelle.—Lesquelles?demandaJulietteenenfournantunChocoCookiedanssabouche.—Quetuarrêtesdediredesidiotiessurleschargesàpayerparcequejen’accepteraipasunsoude

lachômeuseenfaillitequetues.Julietteémitunreniflementému,etChiaracontinua:—Etque tuarrêtesd’engloutirdixChocoCookieparminute.Jen’aipas l’intentiond’hébergerune

grosse.C’estmauvaispourmonimage.Maintenant, jedoisyaller.J’aiunavionàprendre.Passechezmammaquandtuveux.Elletedonneralesclés.Jet’embrasse.

Un peu consolée, Juliette hésita à se mettre à chercher vraiment du travail, mais Nicolas allaitsûrement appeler bientôt et, si elle commençait ses recherches, il la déconcentrerait en plein milieu.Mieuxvalait,donc,attendreencoreunpeu.Arrivéeàcetteconclusion,elleremitlelecteurDVDenrouteetrouvritunpaquetdeChocoCookie.

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9

Théoriedelacharcuterie,parVittoriaCastellini

LaclochettetintaquandJulietteentradanslemagasin.Lesyeuxperdusdanslevide,encontemplationdevantlesfaçadesélégantesdelapetiteruedel’îleSaint-Louisquisedessinaientderrièrelavitrine,elleattendaitquelesclientsarrivésavantellesoientservis.

Elle ne comprenait pas qu’on puisse rêver à NewYork ou à Tokyo alors qu’il est impossible detrouverplusbeauqueletoitenverreduGrandPalaisaucoucherdusoleil,lemuséed’Orsayàsonlever,les quais qui se reflètent dans l’eau de la Seine, ou les deux tours majestueuses de Notre-Dame quiémergentdestoitsluisantslesjoursdepluie.

Cinqjourss’étaientécoulésdepuislarupture.Juliettecrevaitdefaim.ElleavaitépuisésonstockdeChocoCookie et n’avait pas trouvé le courage de descendre faire les courses depuis.À la place, elles’étaitapitoyéesursonsort,avait tentéderemplirde larmes le tonneaudesDanaïdes,avaitappeléaumoinsquatorzefoisNicolasetavaitpasséenmoyennequatreheuresparjourencyberfilature,àanalyserl’absenced’activitéplusquelouchedesonmurFacebook.Elle luiavait laissédesmessagesd’amour,d’insultes,desupplication,dechantageetdemenaces.Ilavaitfiniparluienvoyeruntextopourluidirequ’il préférait ne pas parler pour lemoment. Elle lui avait renvoyé dix-sept textos pour lui répondrequ’ellecomprenaitetqu’ellenevoulaitpasêtreenvahissante,maisqu’elleétaitlàlejouroùilvoudraitparler.Iln’avaitplusrépondu.

Ellecommençaitàintégrerlaréalitédesoncélibatquandsonpropriétairel’avaitrappeléepourluidirequ’ilavaittrouvéunnouveaulocataireetqu’ilseraitpréférablequeJuliettelibèrel’appartementdèslasemainesuivante.C’étaitrapide,maiscen’étaitpasplusmalpuisqu’ellen’avaitplusunrond.Juliettes’étaitdoncplongéedans lespréparatifsde sondéménagementetellevenaitchercher lesclésdans lapetiteboutiquedelamèredeChiara,aucœurdel’îleSaint-Louis.

Lemagasinnefaisaitpasplusdevingtmètrescarrés,etl’arrière-boutique,àpeinedixdeplus.Dansla vitrine à l’ancienne encadrée de boiseries, les jambons s’accumulaient à côté des morceaux deparmesan,etJuliettesentitcommeuncreuxdouloureuxdanssonestomac.

Ellepensaavecsoulagementque,quelquesminutesplustard,Vittoria,lamèredeChiara,lanourriraitcommeuneoiequ’onenvoieàl’abattage.

Chiaraparlaitfortetbeaucoup,maispeud’elle,desafamilleoudesonenfance.ToutcequeJuliettesavaitdesonpassé,c’estcequeVittorialuiavaitracontésursafilleetcequ’elleavaitpureconstituerdesbribesd’histoiresqueChiaraévoquaitdetempsàautre.ElleétaitnéeàRome;sesparentstenaientun magasin d’appareils électroménagers. Elle avait passé des années à jouer à cache-cache dans lesrayons d’aspirateurs et à s’enfermer dans les frigos de démonstration avec son père. Tout allait bienjusqu’aujouroùleurpère,fatiguédejoueràcache-cacheetdevendredesfersàrepasser,s’étaitenfuiaveclacaisse,embarquantaupassagelanouvellecaissière,unefillevulgaire,quipossédaitnéanmoinslesavantagesnonnégligeablesd’avoirmoinsdetrenteansetdesseinscommedespanettones.

Pendantunmois,Vittorianes’étaitpaslevée.Ellerestaitcouchéetoutelajournée,leregardmorne,enétatdechoc.Chiara,lesyeuxsecs,faisaitleménage,emmenaitsonpetitfrèreàl’école,luipréparait

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ledînerlesoir,puisl’envoyaitsecoucheraprèsavoirvérifiéqu’ils’étaitbienlavélesdentsetavaitfaitsesdevoirs.

Toutes lesnuitsavantdes’endormir,ellepriaitetellemurmurait, lesyeuxdésespérément fixéssurl’enduit plus très blanc du faux plafond : « Faites qu’il revienne, faites qu’il revienne, faites qu’ilrevienne.»Leplafondn’avaitrienvouluentendre,etsonpèren’étaitpasrevenu.

DepuislejouroùelleavaitaccrochéunpanneauFERMÉPOURCAUSEDEDÉCÈSsurlaportedumagasin,elleavaitconsidérésonpèreetsonenfancecommemortsetenterrésetn’avaitplus jamaisregardéenarrière.

Unmoisaprès,alorsqu’onnes’yattendaitplus,samères’étaitrelevée.Pâleetfatiguéecommeuneconvalescente qui sort d’une longuemaladie, Vittoria avait remplacé le panneau FERMÉ par de largesbanderoles rougesquihurlaientLIQUIDAZIONEet elle avait tout vendu.Les aspirateurs, lesmixeurs, lesépilateurs,lesfrigosetlereste.

Puis,commeprised’unefièvreincontrôlable,elleavaitenchaînéavecleursmeubles,lavaisselle,lesdraps, les serviettes, lemagasinet enfin l’appartement.Après la tornade, seulesavaient étéépargnéesquelquesvalisesquicontenaientleursvêtements,etilsétaientpartisàParissanslaisserd’adresse.

Avecl’argentdesesventescompulsives,Vittoriaavaitachetélaboutiquedel’îleSaint-Louissuruncoupdetêteets’étaitmiseàyvendredujambon,duparmesan,delabresaola,delacoppa,duculatellodiZibelloetdestiramisusparquintaux.

Elleimportaitàbasprixtouslesproduitsdirectementd’Italieetlesrevendaitsansvergognequatreoucinqfoispluscher.Surlesmursdupetitmagasin,entrelesétagèrescouvertesdebouteillesdechianti,elleavaitaccrochéquelquesphotosencadréesdenostalgie,despaysagesdeToscane,deFlorenceetdeVenise, et une photo en noir et blanc un peu floue, soi-disant prise à unmariage de famille,mais quin’était en réalité qu’une reproduction d’une image duParrain trouvée sur Internet et agrandie. Bellecommeunemadone, accueillante et souriante, avec son accent italien entretenu avec soinqui semblaitempirer un peu plus chaque année passée en France et son huile d’olive bio à vingt-quatre euros labouteille,elleavaitfaituntabacchezlesbobosparisiens.

LedernierclientdeVittoriasortitraviaveclesdeuxtranchesdejambonàonzeeurosqu’ilétaitvenuacheter et en supplément cinq paquets de gressins (enpromozione), cinq cents grammes de bresaola(deliziosoaveclesgressins)etunstylo(cadeaudelamaisonparcequ’ilétaittellementseducentequ’illafaisaitsentirtoutecommossa),letoutpourlamodiquesommedetrente-neufeurosquatre-vingt-quinze(mêmepasquaranteeuros,vousvousrendezcompte?).Aussitôtlaporterefermée,VittoriasejetabrasouvertssurJuliette:

—Julieta, amoremio, Chiaram’a tout raconté. C’estoun scandalo. Ton travail et ton amoureux,quelletristezza.

Ellelapritdanssesbrasetl’écrasacontresapoitrineavecl’airaussiscandaliséquesionluiavaitservidesspaghettisréchauffésaumicro-ondes.

—Merci,Vittoria,murmuraJuliette,touchée,enluirendantl’embrassade.—Viens,viens,jevaistedonnerdesdolce.Çavatefairedubien.J’aifaitdesRicciarellicematin.

Ilssonttoutfrais.Tuasdelachance.Elles’emparad’unbocaldebiscuitssecssuruneétagère.—C’estmigliorequetesChocoCookie,tuvasvoir.Tusais,leshommes,denosjours,ilsn’ontplus

de coglioni. Je sais même pas s’ils en ont eu un jour, d’ailleurs. Ils ne servent à rien, rien du tout.Regarde-moicommejesuisheureusesanshomme.Toutcequ’ilssaventfaire,c’estalleraulitavecdesputtane.

Toutenparlant, elleavaitdéposé lesbiscuits surunecoupellequ’elle tendità Julietteaprès s’être

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elle-mêmeservie.Ellecontinua,labouchepleine:—Unefillecommetoi,tellementbellaetintelligente…Quelcretino!Juliettefermalesyeuxuninstant,letempsdesentirlesucreglacequirecouvraitlegâteausecollerà

sonpalaisetremplirsabouchedecontentement.—Viens,vienst’asseoir,bella,tuserasmieux.VittoriasuspenditlepanneauFERMÉsurlaported’un

gestesecaumomentoùunclienttentaitd’entrer.Devantsonairagacé,ellelevalesbrasenluicriantàtraverslavitrine:

—Etlestrente-cinqheures,alors,maleducato!ElleemmenaJuliettedansl’arrière-boutique,lafitasseoirsurungrosfauteuiletcommençaàfairedu

thé. Elle continuait de parler, de s’indigner de la lâcheté des hommes, de l’injustice de la situation.Juliettehochaitpolimentlatête,incapabled’enplacerune.Elles’enfonçadanslefauteuiletessayadesedétendre.LavoixmélodieusedeVittoria,sesinflexionschaudesetchantantesagissaientsurellecommeuneberceuse.Ellen’avaitpasenviedeparler ;ellevoulaitselaisserchouchouter.Ensirotantsonthé,JulietteracontapourlaénièmefoislesdétailsqueVittorialuidemandait.

Auboutd’uneheureetdemiedebavardages,demonologuessexistesindignés,Vittorialuidonnalesclésdel’appartementdesafille.Elleluiditderesterautantqu’ellevoulait,qu’elleyseraitchezelle,que saChiara, aumoins, onpouvait compter sur elle.Cen’était pas comme tous cescafone qui noustrahissaientdèsqu’onavaitledostourné.EllerecommandaàJuliettedeprendredesvacances,d’allerenItalie,parexemple.Çaluiferaitdubien,carc’était,etdetrèsloin,leplusbeaupaysdumonde.Julietteécartacettesuggestiongentimentenexpliquantqu’elleneprenaitjamaisl’avion.C’étaittropdangereux.

—Prendsmavoiture,tuasletemps,bellamia.Tuesauchômage!MaisJulietten’avaitpasenviedepartirenvoyage.Ellen’avaitpasenviedegrand-chose,sicen’est

que Nicolas revienne, qu’elle retrouve son travail et que tout redevienne comme avant. Elle acceptad’emprunterlavoituredeVittoriapourledéménagementetrepartitavecdujambonetdelamozzarelleenquantitésuffisantepourouvrirunepizzeria.

ChiarahabitaitdansleMarais,pastrèsloindelaplacedesVosges,auquatrièmeétaged’unimmeubleancienenpierresdetaille.Ellen’étaitpasencorerentréedubureau,etJuliettevidasesvalisessur-le-champ,depeurd’encombrerl’appartementimpeccable.Ellen’avaitemportéquequelqueshabitsetunephoto encadrée d’elle et Nicolas qu’elle ne se résignait pas à abandonner. Dans le cadre, Nicolasappuyait ses lèvres sur la joue de Juliette qui tentait sans succès d’aplatir le fouillis de ses boucleschâtainsdérangéesparlemistral.Lelitavaitétéfaitavecdesdrapspropres,etonavaitdéposésurlecouvre-lituneserviettedebainaussiépaissequ’auCrillon.Julietteposasa troussede toilettedans lasalledebain,oùlescrèmesetlesflaconsdegrandesmarquesétaientrangésavecsoinsurlesétagères,lemaquillage,triéparusageetparcouleurdansuneboîteenrotinau-dessusdulavabo.

Chiara avait commencéune carrière fulgurante enmarketing chezChanel cinq ans auparavant.Elleétaitpartie auboutdedeuxans, suite àunedisputeavec samanager, à caused’unepromotionqui luirevenaitdedroitetqu’onneluiavaitpasaccordéesousprétextequ’elleétaittropjeune.

Elleavaitdémissionnéetétaitpasséeàl’ennemi.Elleavait,entroisanschezDior,étépromuetroisfois.Elleneparlaitpasbeaucoupdesontravailetnesevantaitjamais.Sionluiposaitunequestionsurses responsabilités ou son salaire, elle détournait la conversation en disant qu’elle avait assisté autournagedeladernièrepubDioravecSarah(Lamour)ouMarion(Cotillard)etquelapremièreétaitunepimbêche,etladeuxième,unecrème.JulietteapprenaitengénéralsespromotionsetréussitesdeVittoria,quilesavouaitsouslesceaudusecretàl’intégralitédeParis.

Chiararestaitaussifascinéeàvingt-huitansqu’àquatorzepartoutcequitouchaitdeprèsoudeloinaumondedelamode.Ellenemanquaitjamaisuncocktail,unsalonouunévénement.Elleyallaitarmée

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desonplusbeausourireetdesescartesdevisite.ElleneperdaitpassontempsàdiscuteravecH&MouZara,devantquiellepassait sansun regard ;en revanche,elledraguait sansvergogne toutMaxMara,Gucci,BurberryetHermès,etsagarde-robeconstituaitlapreuveirréfutabledesestalentsdeséductrice.

Danssondressingdeprincesse,touteslesplusbellesmarquessecôtoyaient,desdizainesdepairesdechaussuresoccupaient tout unpandumur, lesmanteaux, un autre.Chiarane faisait jamaisd’erreurdegoût.

Elleseraitmorteplutôtquedesortirdanslarueenbaskets,etjamaisellen’auraiteulastupiditédemarcher en talons plats. Elle avait une tare cachée, cependant, que n’importe qui doté d’un peu deperspicacitémathématiqueétaitsusceptiblededécouvriretqu’elles’acharnaitàdissimulerpartouslesmoyenspossibles et imaginables : elle faisait unmètre soixante-dix avecdouze centimètres de talons.Toutlemondepensaitqu’elleétaitgrande.

Ilétaittoutnatureldesupposer,enlavoyant,quesestalonsaiguillesn’étaitqu’uneprolongationdesapersonne, tellement il était devenu impensable de l’imaginer sans. En réalité, et c’était son groscomplexe, elle était petite. Devant Juliette et à l’abri des regards, Chiara enlevait ses escarpins etmarchaitpiedsnuspresquesansgêne.C’étaitsûrementlaplusbellepreuvedesonamitié.Julietten’avaitjamaiscompriscetteobsession.Tout lemondeaurait trouvéChiara ravissante,mêmeen jogging,maisaucuncomplimentaumondenel’auraitempêchéedecontemplerlesmannequinsd’unmètrequatre-vingt-cinqavec lesyeux tristesd’unenfantpauvrequi regarde le filsduvoisin joueravec sanouvellePlayStation.

Vers vingt et une heures la porte d’entrée claqua, et Chiara sourit en entrant dans l’appartement.Julietteavaitfaitlescoursesetpréparéledîner.

— Ça sent bon, dit Chiara en l’embrassant sur la joue, et elle alla soulever le couvercle de lacasserole.

—Currydepouletaulaitdecocoetnoixdecajou.—Pourquoitucroisquejet’héberge?Jesavaisbienque,dévoréeparlaculpabilité,tutemettraisà

mefairedelacuisinederestauranttroisétoilesàlongueurdejournée.Chiaraselavalesmainsetchoisitunebouteilledevindansleplacard.—Çamefaitpenser,dit-elleensortantletire-bouchond’untiroir.J’aiuneamiedemammaquiluia

demandéd’êtretraiteuràunesoiréeetellearefusé.Elleesttropfatiguéeetcen’estpassonmétier,maiselleluiaditqu’elleconnaissaitpeut-êtrequelqu’unetm’ademandédetedonnersacarte.

Elleposasurlatablelevindébouchéetretournadansl’entréefouillerdanssonsacàmain.—Tiens.—Mais...Jefaislacuisinepourm’amuser.Çameparaîtraitbizarredemefairepayerpourça.Chiaras’assitàtableetcommençaàremplirlesverres.—Commetuveux.C’estjusteuneidée.C’estundînerassispourdixpersonnes.Tufaislescourses,

tufaislacuisinesurplace,ilyaunefillequis’occupedeservir...—Etellenetrouvepersonne?—Jepensequ’elleveutquelqu’underecommandé.Ellen’apasenviedeprendren’importequi.—C’estpayécombien?—Elle proposait àmamma quatre cents euros pour la soirée, sans compter les courses, bien sûr.

Donc,c’estpasmal.—Quatrecentseuros?Pourquatreheuresdeboulot?Mêmepasduboulot,delacuisine?Juliettes’assitàsontouretservitlesassiettes.Chiaraavalaunegorgéedevinavantdepoursuivre:—Voilà, c’est exactement ceque je te dis.Tudevrais l’appeler avant qu’ellene trouvequelqu’un

d’autre.

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—Jepourraistepayerunloyeravecça!Chiaraarrêtasafourchetteàmi-cheminentresonassietteetsabouche.—Maisçavapasbien?Situmedonnesunsou,jetejettedehorsettufinirasclochardesouslepont

desAmours.D’ailleurs,enparlantdeclocharde,commentvatonamieCaroline?—Oh!ellevabien.Jen’aipastropdenouvellesdepuislasemainedernière.—Tiens,çanem’étonnepas.J’ai toujourspenséque,danslesmomentsdifficiles,cen’étaitpasle

genredepersonnesurquionpouvaitcompter.—Cen’estpasvrai.C’estjustequ’elleesttropprochedeNicolas.Çal’atoujoursmisemalàl’aise

deprendrepartidansnosconflits.Chiaras’appuyasurledossierdesachaise,lesyeuxàdemifermés,sonverredebordeauxàlamain.—EtNicolasd’ailleurs?Tuaseudesnouvelles?—Non,saufuntexto.—Untextoquidisaitquoi?—D’arrêterdeleharceler.Chiaraeutunlégersourire.—Tun’abandonnesjamais,espècedefolle.—Tunecomprendspas.Onallaitsemarier,murmuraJuliette,lenezdanssonverre.—Caramia, tusais,quandonaimequelqu’un,onsefait toujoursbaiser,ausensproprecommeau

sensfiguré.—T’enaspasmarreparfois,desbeauxgossesquetunerevoisjamais.Tunevoudraispasavoirune

vraiehistoire,unesérieuse?—Àpartirdumomentoù j’ai loupé lecochede la fac, jepréfèrem’amuserunpeuenattendant le

rounddespremiersdivorces.Tuveuxunyaourt?ElleluiagitasouslenezunTaillefineàlacerise,etJuliettefitlagrimace.—Non,merci.—Enplus,franchement,imaginequejetombesurRyanGoslingdanslarue…J’auraisvraimentl’air

stupidesijenepouvaispascoucheravecluiparcequejesuismariée.— C’est officiellement l’argument le plus sensé que j’aie jamais entendu en faveur du célibat,

marmonnaJuliette.

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Whatever

Unmoisdepuisleurrupture,deuxsemainesdepuisladernièrefoisqu’ellel’avaiteuautéléphoneet,contre toute attente, elle avait survécu. Lui, bien sûr, n’avait envoyé aucune nouvelle non plus. À latélévision,onannonçaitl’hiverleplusfroiddeladécennie.Lesarbresdanslesruesétaientnus.Lesrues,les immeubles et les passants, tous étaient gris ou marron. On commençait à peine à suspendre lesdécorationsdeNoëldanslesdevanturesdesmagasins.C’étaitlacriseetonattendaitladernièreminutepoursortirlesguirlandesélectriques.LesChamps-Élysées,eux,avaientdéjàsortileurtenuedegala,lestouristess’émerveillaientdelaplusbelleavenuedumondependantquelespickpocketss’émerveillaientdepouvoirseservirdansleurspochessanslamoindredifficulté.Commetouslesans,l’arrivéedesfêtesde fin d’année mettait tout le monde de bonne humeur, à l’exception des habituels rabat-joie quiprétendentdétesterNoëlpoursefaireremarquer.

Juliettesepelotonnasouslacouette.Deuxsemainessansdonnerdenouvelles,etpourtant,elleavaitpensé à lui chaque instant. Pendant longtemps, elle avait ouvert les yeux tous les matins, persuadéed’avoirfaitunmauvaisrêve,mais,aprèslasecondedesoulagementquisuivaitsonréveil,lesmursdelachambred’amisdeChiaraluirappelaientavecbrutalitélaréalitédesasolitude.

Ellen’avaitpastrouvédetravail,cequiparaissaitlogiquedanslamesureoùellen’avaitpascherché,maisc’étaittoutdemêmedéprimant.

ElleneparlaitplusdeNicolas,quecesoitàChiaraouàsesparentsquiappelaientrégulièrementpourluidemandersielleallaitmieux.MêmeCarolineétaitdevenuemoinsprésente,sachargedetravailayantétémultipliéepartroisdepuissapromotion.

Unmoiss’étaitécoulédepuisleurruptureet,nonseulementellen’allaitpasmieux,maiselleavaitdeplus en plus de mal à entretenir l’espoir d’une réconciliation. Au début, trop occupée dans ledéménagement et ses soucismatériels pour prendre conscience de la réalité, elle avait su cultiver lacertitudede son retour.Elleavait supporté sonabsence, carelleétait soutenuepar laconvictionqu’ilreviendraitsursadécision.

Mais, peu à peu, son assurance s’était trouée de doutes, sa certitude s’était effilochée en vaguesespoirsquelessouvenirsqu’ellepartageaitavecluin’arrivaientplusàconsolider.

Elleavaitessayéd’êtreforte;toutlemondeluidisaitdepasseràautrechose.Chiaraluiproposaitunemultitudedesoiréesfabuleusespoursechangerlesidées,etsamèrevoulaitqu’elleviennelesvoirenGironde,mais elle n’avait envie de rien, si ce n’est d’entretenir ses illusions, d’imaginer que leschosesredeviendraientcommeavant.

Ellesecouchaittôtetselevaittard.Lejour,vidéedetouteénergie,elletraînaitdevantlatélévision.Parfois, elle réussissait à se convaincre que le silence de Nicolas ne signifiait rien, que peut-être ilpensaitàelle,maisn’osaitpasappeler.QuandelleexposaitàChiarasesplansdereconquête,sonamieluirépondait:

—Ilfautquetuarrêtesavecça,Julieta.Laissetomber,ilnereviendrapas.Juliette lui en voulait. Elle se disait que Chiara ne comprenait rien à l’amour et elle retournait

s’enfermerdanssachambreensoupirant.Unmois de célibat, deux semaines sans nouvelles. L’extérieur lui faisait horreur. Elle aurait voulu

restercouchéetoutelajournée.Ilfallaitqu’ellel’appelle,qu’ellelevoie,ellenetenaitplus.Pendantdesannées,ellel’avaitvutouslesjours,elleavaiteuledroitdeluiparler,deletouchersans

mêmey penser, aussi naturellement qu’elle respirait, et, du jour au lendemain, il avait disparu de sonquotidienavecunebrutalitéqu’ellen’arrivaitpasàencaisser.

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Ellen’avaitplusledroitdelevoir,d’entendresavoix,sonrire,deposersatêtesursonépaule.Plusrien. Elle ruminait, songeait qu’après ce qu’ils avaient vécu ensemble, elle avait bien le droit de luitéléphoner,degardercontact.Etpuis,c’étaitridicule.Onnesaitjamais…Peut-êtrequ’ildécrocheraitendisant:

—Juliette!Enfin!Jen’osaispast’appeler.Elle se leva ; il fallait essayer.Ellehésitaà l’appelerde sonportable,mais seditque,du fixede

Chiara, c’était moins risqué. Il ne reconnaîtrait pas le numéro, juste au cas où il n’aurait étéqu’inconsciemmentaucourantqu’ilnepouvaitpasvivresanselleetdécidedenepasdécrocher.

—Allô?Quandelleentenditsavoixgrave,soncœursegonfla.—Nicolas,c’estJuliette.Ilyeutunsilenceàl’autreboutdufil.Ellecontinua:—Çava?—Çava.Unsilenceànouveau.Iln’avaitpasenviedeluiparleretçaluibrisaitlecœur.Ellerespiraungrandcoupetluidittrèsvite:—J’appelaisjustecommeça,pouravoirdesnouvelles.Jesuisdésoléedet’avoirharceléaudébut.

J’aieuunpeudemalàmefaireàl’idée,maismaintenantçava.Aprèsquelquessecondes,ilréponditlentement,commes’ilpesaitchacundesesmots.—OK,trèsbien.Demoncôté,çava.Riendeparticulier.Ilétait froid. Iln’avaitpasenvied’engagerunediscussion,maisellenesupportaitpas l’idéequ’il

raccrochemaintenant. Il fallaitqu’elleétablisseuneconversationnormale,qu’elle renouecontactaveclui.

—Tathèse,çaavance?—Juliette,ilfautquejetedisequelquechose.Ilavaitunevoixbizarre.Juliettefermalesyeuxetsentitl’espoirl’envahir.Çayest,ilallaitluidire

qu’iln’arrivaitpasàvivresanselle,qu’ilallaitrevenir.—Ilfaut...Ilfautqueças’arrête,quetuarrêtesdem’appeleretdem’écriretoutletemps.Cen’est

pasunepassade,tusais...Je...,jenet’aimeplus.Elle crut un instant qu’il hésitait à dire autre chose. Elle n’arrivait plus à respirer. Elle sentit une

brûluredanssonventre,unmélangededouleuretd’humiliation.C’étaitjusteuncoupdefil,pascommesiellelesuivaitdanslarue.Iln’avaitpasàluirépondredecettemanière.Elles’entenditrépondred’unevoixcalmeetposée.

—Nicolas,jenet’appelaispaspourterécupérer.Jevoulaisjustetedirequej’étaisavecquelqu’un.Àl’autreboutdufil,Nicolasmitunebonnesecondeàrépondred’un ton joyeuxquisonnaitunpeu

faux.—C’estvrai?Juliette...Jesuistellementcontentpourtoi.J’aieupeur,j’aicruuninstantquetume

rappelaisunefoisdepluspourmefaireunescène.Tunepeuxpassavoircommejesuissoulagé.Luifaireunescène?Ellepensaauxjoursquivenaientdes’écouler,àlasouffrancedechaqueinstant,

à son silence, et elle avait à la fois envie de pleurer et de l’insulter.Mais elle continua avec un rireforcé:

—Non, non, je voulais te le dire, que ce soit clair entre nous justement, pour pas qu’il y ait demalaise.

Ilspoursuivirentlaconversationquelquesminutes,échangeantdesphrasesmaladroitesetbancales.Ilavaitpeuavancésursathèse.Enattendantdetrouverunappartement,illogeaitchezsonpoteThibault,

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métroPlacedeClichy.JulietteserappelaitêtrealléechezleThibaultenquestion,quelquesmoisplustôt,pourunapéroassommantdontlethèmeétait«sociologiemétaphysique».Elleposaitmécaniquementdesquestions,Nicolasrépondaitavecunenthousiasmeforcé.

Illuidemandaoùelleavaitrencontrésonnouveaucopain.Elleréponditn’importequoi:c’étaittrèsrécent,àunesoiréeoùChiaral’avaitemmenée.Ellementaitavecnaturel.Aprèstout,sic’étaitleprixàpayerpourluiparler,elleétaitprêteàs’inventerunedoublevie.

Ellen’osapasluidemanders’ilétaittoujoursseul.Lefaitqu’ilhabiteavecunvieuxcopaindethèselarassura:ildevaitêtreencorecélibataire.

Ildevaitlalaisser,ilfallaitqu’iltravaille.Avectouscesbouleversements,sathèseprenaitduretard.Illuiaffirmadenouveau,gentiment,qu’ilétaitcontentpourelle,puisilluiditaurevoiretraccrocha.Jenet’aimeplus.Laphraserésonnaitencoredanslesilencedel’appartement.Pendantqu’elleétait

là,commeuneidiote,àcroirequ’ilpensaitàelle,àattendrequesontéléphonesonne,lui,allaittrèsbien.Ellenecomprenaitpascomment ilavaitpupasseràautrechosesivitealorsqu’ellenefaisaitque

tomberunpeuplusbaschaquejour.Lentement,elles’assitsurlecanapé.MalgrélechauffagequeChiaramontait un peu plus tous les jours en pestant contre l’hiver parisien et en affirmant qu’il fallait êtrecomplètementstupidepourhabiterailleursqu’enItalie,Julietteétaitfrigorifiée.

Elles’allongeasurlecanapé,lesjouesdégoulinantesdelarmessilencieuses.Ellen’arriveraitjamaisà s’en remettre. Jamais. Elle ne pouvait pas encaisser cette rupture. Ça faisait des semaines qu’elleessayaitetdessemainesquec’étaittropdur.Elleseraitendépressionjusqu’àlafindesavie.

QuandChiara rentra en fin de journée, Juliette était toujours aumême endroit. Les yeux rouges etgonflés,leregardfixe.Chiaraposaunemainfraîchesursonfrontbrûlantetluidemandacequisepassait.

Àsonregardinquiet,Juliettecompritqu’elleavaitl’airpathétique.Elleluiracontad’unevoixéteintesaconversationtéléphoniqueavecNicolas,etChiaralapritdanssesbras.

—Cesontdeschosesquiarrivent,caramia,luidit-elle.L’amourn’estpaséternel.—Nous,c’étaitdifférent,murmuraJuliette.—Cen’est jamaisdifférent,Julieta.L’amour,çava,çavient.Vousavezeuunebellehistoire,mais

maintenantelleestterminée.Iltel’adit,etilfautquetul’acceptes.Çateprendradutemps,maisçafiniraparallermieux.

— Comment peut-il m’oublier au bout de quelques semaines alors qu’on a passé des annéesensemble?réponditJuliettedansunsoudainaccèsdecolère.

Chiaradesserrasonétreinte,letempsderegardersonvisageuninstant,l’airdesedemandersiellen’étaitpasdevenueidiote,mais,quandellevitlesyeuxternesdeJuliette,sonexpressions’adoucit.

—Peut-êtreparcequeçafaitpluslongtempsqu’ilpensaitàvotreséparation.Ilaeuplusdetempspourfairesondeuilou,alors…

Ellehésita.—Tunecroispasqu’ilapeut-êtrerencontréquelqu’unquil’apousséàaccélérerleschoses?—Ilnem’auraitjamaisfaitça.Chiaraneréponditpas.Elleluipassalamaindanslescheveux.—Va t’asperger le visage à l’eau froide, Julieta.Prendsunedouche et je fais le dîner pendant ce

temps-là.Tuasbesoindetechangerlesidées.—Jen’aipasfaim.Jevaisallermecoucher.—Tuessûre?Tudevraisenprofiter.C’esttrèsrarequejefasselacuisine.—Jesais,merci,maisjesuisfatiguée.EllerevoyaitChloéetNicolassortirdechezellelejourdesonlicenciement,l’airheureux.Ellese

rappelalatableoùilsavaientl’habitudedetravaillersanstracedelivresnidefeuilles,lesdrapsdulit

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changés.Elle repensait à l’attitude étrange de Caroline, qui semblait essayer de la prévenir de la rupture,

commesiellesavaitquelquechose,et ledoutes’insinuaenelle.Ellemit longtempsàs’endormir.Lesyeux grands ouverts, elle se repassait en boucle les mêmes scènes : sa rencontre avec Nicolas, lesmomentsfortsdeleurrelationetlafin.

Quandelles’endormitenfind’unsommeiltroubléetagité,ellevitNicolasetChloémarcherlamaindans la main dans un parc. Ils riaient et se moquaient ouvertement d’elle, et elle était seule, sanspersonne.

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FollefilatureenFratelliRossetti

Julietteseréveillalelendemainmatinaveclesyeuxbouffis.Pluselledormait,pluselleétaitfatiguée.Elleauraitdûtrouverquelquepartlecouragedepasseràautrechose,seforcer,sebattrepourremonterlapente,maislaconversationdelaveilletournaitdanssatêtecommeunCDrayéquibutaitsurle«Jenet’aimeplus».EllepensaitsanscesseàChloé.Ledoutelatenaillait.Ils’engouffraitdanslevidelaisséparsesquestionssansréponseetl’étouffaitpeuàpeudel’intérieur.Ilfallaitqu’elleenaitlecœurnet.Ellen’auraitpasdemalàretrouverlaruedeThibault,l’amiquihébergeaitNicolas.S’ilnevoulaitpasluidirelavérité,elleiraitlachercherelle-même.Ellel’espionnerait,c’étaitaussisimplequeça.

Motivée par ce projet, Juliette se leva, prit sa douche et, pour la première fois depuis plusieurssemaines,semaquillaets’habillaavecsoin.Elleenfilaunerobenoire,sobremaisélégante,unepairedechaussures Fratelli Rossetti en daim rouges à talons aiguilles, qui appartenaient à Chiara, et elle secouvrit les yeuxd’unegrandepaire de lunettes de soleil.Chiara adorait prêter ses vêtements.Elle enavaittrop,lesportaitrarement,voirelesoubliaitcomplètement,etelleétaitraviedevoirquelespiècesqu’elleavaitdélaisséespouvaientavoirlasecondeviequ’ellesméritaientsurunautrecorpsquelesien.D’autrepart,danslecasoùJulietteseraitdémasquée,lebonsensluidictaitqu’ilétaitpréférabled’avoirl’aird’unevampquierredanslarueplutôtqued’unedépressiveinsomniaqueenjogging.

Ilétaitonzeheuresdumatin.L’heuredepointeétaitpassée.C’étaitunedesrares joiesduchômagequedepouvoirs’asseoirdanslemétrosansavoiràaffronterlestravailleursquisebattentpourtrouverunepetiteplaceetfinissentlajouecompresséesurlavitredelaporte,écrabouillésmaisravisd’avoirgagnéleurplaceverslaDéfense.Danslescouloirssouterrains,lesaffichescriardessoldaientNoëlplusd’unmoisavantl’heure.

MonoprixproposaitunNoël«sansfoienioie»,PriceMinisteravaitélul’iPadMini lecadeaudel’année,etSmartboxdonnaitl’opportunitéàtousceuxquimanquaientd’imaginationd’offrirdubonheurenboîteàpartirdevingt-quatreeurosquatre-vingt-dix.

Juliette adoraitNoël.Elle passait habituellement lemois de décembre à vider lesmagasins et soncompteenbanqueàlarecherchedescadeauxparfaitspoursonentourage.ElleaffrontaittouslesmidispendantsapausedéjeunerlafoulehystériqueducentrecommercialdesQuatreTempsetelledénichaittoujourslescadeauxquifontvraimentplaisiretauxquelsonnes’attendpas.Mais,cetteannée,NoëlsansargentetsansNicolass’annonçaitplutôtmal,etellepréféraitnepasypenser.

ArrivéeplacedeClichy,elleenfilaleslunettesdesoleiletdescendit.Quellequesoit l’heuredelajournée,l’endroitgrouillaitdevoituresetdepassants.Aucentredelaplace,lastatuesévèredumaréchalMonceycontemplaitd’unœilméprisantleKFCetleStarbucksquinedésemplissaientpasdelajournée.Laplaceressemblaitplusaupointdecontactdansuncarambolagedeshuitième,neuvième,dix-septièmeetdix-huitièmearrondissementsqu’àuneplaceparisiennedessinéeparunurbaniste.

LeboulevarddesBatignollessejetaitdanslesbrasduboulevarddeClichy,interrompantbrutalementles ruesd’AmsterdametdeSaint-Pétersbourgqui tentaient sans succèsde se frayeruncheminvers lenord.

Les façades des immeubles n’avaient aucun rapport les unes avec les autres ; l’architecture, lespierres,lestoitsétaientd’époquesetdestylesdifférents,maistoutcemondecohabitaitdansunjoyeuxbazar.

Juliettedétailla lesfaçadesautourd’elle.Elleessayaitdesesouvenirducheminqu’elleetNicolasavaient suivi, le jour où ils étaient allés chez Thibault. Elle était persuadée qu’il n’y aurait aucunproblème.Elleavaitunexcellentsensdel’orientation.IlsétaientpassésdevantLéondeBruxelles,elle

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enétaitcertaine,car lesmoulesfrites luiavaientfaitenvie.Elleprit laruedeClichy,puiselle tournad’unpasassurédanslarueduCardinal-Mercier,parcequelenomluisemblaitfamilier.Elleseretrouvadansuneimpasse,fitdemi-tour,continuaàarpenterdesruesdontlenomluisemblaitconnu.Chaquefois,ellesedisait«Maisoui,c’estlà»etellefinitparêtrecomplètementperduedansundédalederuesauxtrottoirsgrisqui se ressemblaient toutes.Ellenesedécourageaitpas ;elleavançait,elle tournait,elleespérait,elleseperdait.Ellefinitpars’arrêter,décidaderetourneraumétroetderepartirdesonpointdedépart.Endésespoirdecause,elle leva la tête,etsesyeux tombèrentsurunpanneau :SOCIÉTÉDESAUTEURSETCOMPOSITEURSDRAMATIQUES.Elleétaitdansunepetiteruecalmeet,derrière lagrillenoireettarabiscotée,ellepouvaitvoirunhôtelparticulierenpierresdetailleetauxlargesfenêtressedresseraufondd’unecourpavée.Lesquelquesmarchesquimontaientauperronétaientrecouvertesd’unauventenverre à la structure en fer forgé.Elle était certained’êtredéjàvenue ici.Elle se souvenaitmêmequeNicolasluiavaitexpliquésurletrajetquelquechosedetrèsennuyeuxàproposdel’architecturedecebâtiment,maiselleavaitoubliéquoi.

Uneporteclaquaderrièreelle.Elleseretournaeteutàpeineletempsdesejeterderrièreunevoiture.Sonpieddroitet,donc,unedeschaussuresendaimrougesdeChiaraatterritenpleindansl’eauboueuseducaniveau.Nicolasétaitlà.Ilvenaitdesortirdel’immeubled’enface.Paslapeinedesedemanders’ill’avaitvueoupas.

Ilétaitcommetoujoursperdudanssespensées,aveugleàcequil’entourait.Uninstant,ellesesentitridicule et eut hontede jouer lesdétectivesprivés,maismaintenantqu’elle était derrière lui avec seslunettesdesoleil,autantallerjusqu’aubout.

Ellenotal’adressedel’immeubledontilétaitsortiavantd’entreprendre,prêteàsejeterànouveaudans le caniveau à la première alerte, de le suivre à unedistance raisonnable. Il flânait dans les ruesfroides.Unrayondesoleil,miraculeuxpourunnovembreparisien,venaitd’apparaître.C’étaitquelquechosequi lesavait toujoursmutuellementénervés : luimarchait lentement,elle,elle faisaitdegrandesenjambéesenrâlantparcequ’iln’allaitpasassezvite.Iltournaàplusieursreprises;ilsavaitoùilallait.Ellenepouvaits’empêcherd’examinerlesboutiquesdevantlesquellesilspassaientensedisant«C’esticiqu’ildoitallercherchersonpainmaintenant»ou«ÇadoitêtresonFranprix».Ellelevits’arrêterdevantuneagenceimmobilièreetjeteruncoupd’œilauxannoncesavantdereprendresaroute.Juliettese revit avec nostalgie au moment de leur installation à Paris, quand ils visitaient ensemble desappartementspardizaines,arpentantlesruesdeParismaindanslamainàlarecherchedelaperlerare.Ellesedemandaavecinquiétudes’ilarriveraitàtrouverunappartementcorrecttoutseul,sanssefairearnaquerparsonpropriétaire.

Aprèsquelquesminutesdemarche,ilentradansuneboutiquesombre,etellesepostadel’autrecôtédelarue.Lavitrineétaitencombréedemagazinesdevoyagesétaléssurdusableartificielparsemédecoquillagesenplastique.Despanneauxdélavésmontraientdesfemmesenmaillotdebainsurdesplagesdesablefin.

On pouvait lire sur l’enseigneAGENCEDEVOYAGES PÉPIN et, en dessous, en plus petit, HEUREUXQUICOMMEULYSSEAFAITUNBEAUVOYAGE.Juliettecommençaitàs’impatienter.Quefaisait-ilaussilongtempsdanscetteagenceminable?Elleétaitd’autantplusagacéequ’ellenevoyageaitjamais,puisqueprendrel’avion représentait sonpire cauchemar, et il luidéplaisait d’imaginerque l’enviedecourir lemondeconstituaitnonseulementunélémentsupplémentairededivergenceentreelleetNicolas,maisaussiundésirdontilneluiavaitjamaisfaitpart.

C’est toujours ellequi avait organisé leursvacances, et jamais il n’avait exprimé l’enviedepartirplusloinquel’îled’OléronouleMassifcentral.

Auboutd’unquartd’heure,iln’étaittoujourspassortietellen’ytintplus.Elletraversalarueunpeu

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plusloin,décidéeàsatisfairesacuriosité,etrepassadevantlaboutiqueenprenantl’airdétaché.Lavitreluirenvoyalerefletd’unefemmeélégante,maisdécoifféeavecauxpiedsunepairedeFratelliRossettirougesdontuneétaitbousillée.Ellejetauncoupd’œilàl’intérieur.Ellenerisquaitrien;illuitournaitledos.Assisdevantunbureau,iltendaitlamainpourreprendrelacartedecréditqueluiredonnaitlajeunefemmeenfacedelui.

Il laremitdanssonportefeuille,qu’ilposasurlatablepourluiserrerlamain,puisilselevapoursortir.Juliettesejetaaussitôtsouslaportecochèredel’immeubled’àcôté,priantpourqu’ilrepartesurladroiteensortantoupourquelaportederrièreelles’ouvreprovidentiellement.

Elleentenditlaportedelaboutiquetinter,puisclaquer,fermalesyeux,attendituncourtmomentquiluiparutunsiècle.Ilnepassaittoujourspasdevantelle.Ens’inclinantprudemment,elleaperçutsondosquis’éloignaitdansladirectionopposée.Ellesedétendit.Ledangerétaitpassé.

Ilpartaitenvoyage.Ildevaitêtrebouleversépourpartirsuruncoupdetêteàpeineunmoisaprèsleurrupture.Ellesouritavectendresse.C’étaittellementcaractéristiquedeNicolas.Ilnepouvaitpasréserversur lastminute.com comme tout le monde ; il préférait payer le double dans une agence de voyagespoussiéreuse.Ellehésita,puissedécidaàpousserlaportedelaboutique,etlecarillonsefitànouveauentendre.

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Théoriedelaprisededécisionrationnelle,parJulietteCharpentier

L’employée leva la tête, stupéfaite de voir entrer ce qui semblait être son deuxième client de ladécennie.

—Jepeuxvousaider,madame?ElleespéraitqueJulietterépondraitparlanégative.Iln’étaitmêmepasmidietelleétaitdéjàépuisée.

Lepropriétaireluiavaitpourtantassuréqu’iln’avaitplusjamaisdeclients,etelleavaitacceptécejobpourpouvoirfumerdesjointsentoutetranquillitédanslecagibidufond.

Avant,Julietteaimaitbienqu’onl’appelle«madame».SurtoutquandellesepromenaitavecNicolas,elle se sentaitmariéeet sûred’elle.Maintenant, l’appellation luidonnaitdessueurs froides,maiselleavait besoind’informations et elle s’assit donc avecun large sourire à cequi semblait être un ancienbureaud’écoleprimairecouvertdetachesd’encreetdedossiers.

L’employéeétaitjeune,cegenredefilletrèsbruneàlapeautrèsblanchequisesentnuesansunkilodekhôlsurchaqueœil.Aumilieudeseslongscheveuxnoirs,unemècheteinteenvioletcherchaitàsefaireremarquer.

—Jevoudraispartirenvoyage,maisjenesaispasoùaller.Lafilleladévisageaavecuneexpressionprofondémentennuyée,voirelégèrementexcédée.—Quelgenredevoyage?—Jenesaispas,donnez-moidesidées.Juliette cherchait des indices sur le bureau en désordre, un prospectus, un billet d’avion, quelque

chose qui lui dirait ce que Nicolas fichait dans ce trou, mais elle ne voyait rien d’intéressant. Ellepoursuivit:

—Jevoudraispartirseule,meressourcerquelquepart...Jenesaispas...Qu’achoisivotredernierclient,parexemple?

Lafilles’appuyasurledossierdufauteuilenpoussantànouveauungrossoupir.—LesMaldives,maisilpartencouple.—Encouple?hurlaJuliette.—Oui,voussavez…,encouple.Avecsacopine,quoi...Ellesefichaitouvertementd’ellemaintenant.Julietteavalasasaliveetseforçaàafficherunsourire

crispé.—C’estbien,lesMaldives,encettesaison?Ilpartquand?—JusteavantNoël,répondit-elleàcontrecœur.—Pendantcombiendetemps?—Dixjours.Maispourquoivousvoulezabsolumentsavoircequefaitcetype?—Non,non.Jeneveuxpassavoir,jecherchedesidées,c’esttout.Lafilletortillaitsamècheviolette,l’airperplexe.Peut-êtrequ’elleauraituneprimeenfindecompte

si elle semettait à vendre des voyages, ce qui, au fond, était ce pour quoi on la payait. Elle décidasubitementdes’intéresseràlaconversationetsepenchaversJuliette.

—Voussavez,enfait, lesMaldives,pourvousressourcer,c’estvraimentpasmal.Enplus,aveclacriseéconomique,onaunesuperpromo.

Elle partit dans une description détaillée du voyage, de l’hôtel cinq étoiles, des activités, de laplongée,duskinautique,dubuffetdupetit-déjeunerqui«déchiraittout»,etc.

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—Vousyêtesallée?demandaJuliettepoliment.—Çavapas,non?VousmeprenezpourCrésus?Juliette s’étonna un peu de la réponse, mais, espérant en apprendre plus, continua à poser des

questions.Lafilletrouvaitçalouche,maisseditqu’enfindecompte,cen’étaitpassonproblèmeetque,sicettefillebizarreluiachetaitunvoyage,ellepourraitnégocierunesemainedevacancespourNoël.

Ellesn’entendirentpaslaclochettedelaporte,Julietteparcequ’elleétaitconcentréesursonenquêteetl’employéeparcequ’elles’étaitrésignéeàcequesonagencesoitaussifréquentéequ’unAuchan.

— Le prix est vraiment intéressant, insistait-elle. Si vous partez, je vous ferai même une remisesupplémentaire,puisquevousêtesmondeuxièmeclientdelajournée,et...

—Juliette?Maisqu’est-cequetufichesici?Elles interrompirent leurconversationet levèrent la tête.Nicolas se tenaitdevantelles.Son regard

abasourdiremontadestalonsaiguillesrougesdeJulietteàlapairedelunettesdesoleilperchéesursoncrâne.

Ilyeutun longsilence,etJuliette, tétanisée,vit levisagede la jeunefillepasserde l’effarementàl’incompréhension pour finalement s’éclairer. Un large sourire surgit sur son visage pâle. Elle avaitcompris.

— Quelle coïncidence ! J’étais justement en train de renseigner mademoiselle sur un voyage auxMaldives.Vousvousconnaissez?

Julietteeutunmomentdepanique,envisagealafuite:reprendresonsacàmainposésurlebureauetpartirencourant,puisdemander ingénument lorsdesaprochaineconversationavecNicolassielle luiavaitdéjàparlédesasœurjumelleschizophrènequihabitaitdansleIXearrondissement.MaisNicolasétaitenpleindanslepassageetilrisquaitdelaretenir.Elles’entenditrépondred’unevoixposée:

— Tiens, Nicolas, c’est amusant. J’allais justement acheter des billets d’avion pour partir auxMaldives.

Et,avecunlargesourire,ellesortitsonportefeuilledesonsacàmain,fittomberparterresoncarnetdechèquesqu’ellenepritpaslapeinederamasserettenditsacartedecréditàlafille,àlafoisravieetstupéfaitedevoirquecettescèneridiculeallaitêtretoutbénéficepourelle.

—Jevousmetslesdatesetl’hôteldontnousavionsconvenu?demanda-t-elled’unairentendu.C’estàpeinesielleneluifitpasungrosclind’œil.Ellesemitalorsàtaperfrénétiquementsursonclavierencommentanttouteseuleleshorairesetce

quiétaitinclusdansleforfait.—Donc,unbilletd’avionetunechambrepourunepersonne...—Non,pourdeux,biensûr!Lafilles’arrêtadanssonélan,lamainsuspendueau-dessusduclavier—Maisjecroyaisquevousvouliezvousressourcerensolitaire?—Oui,biensûr,maisàdeux,ditJulietteenéclatantderirecommesiellevenaitdefairelablaguela

plushilarantequisoit.—Pasdesouci.Deuxpersonnesalors.Lafilleavaitl’airdeplusenplusravie.JuliettesetournacalmementversNicolas:—Nouspartonsenvacances.Besoind’unpeudetempsaucalmepourmeretrouveravec...,avec...

Jean-Christophe.Nicolas avait le visage de quelqu’un qui sort d’un coma et à qui on vient d’annoncer l’excellente

nouvellequ’onestle7mars2106etqu’iladormipendantquatre-vingt-treizeans.—Jean-Christophe?demanda-t-il,sonregarddésespérépassantde l’uneà l’autreetcherchantune

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explicationlogique.—Oui,Jean-Christophe, tusais,monnouveaucopain,déclaraJulietteensecouant la têtecommesi

c’étaitl’évidencemêmeetqu’ellenecomprenaitpaspourquoielleavaitbesoindetoutluiexpliquer.—VousallezauxMaldives?répéta-t-illentement,cherchantuneconfirmationducôtédelafillequi

imprimaitmaintenantunrésuméduvoyagedequarantepagessanslemoindrescrupulepourlesarbresdelaforêtéquatoriale.

— Et pratiquement aux mêmes dates et dans le même hôtel que vous ! Vous avez cinq jours encommun!s’exclama-t-elleavecunenthousiasmequitouchaitàl’hystérie.

—Vraiment?Lesmêmesdates?Jenesavaispas,ditJulietteenprenantunair faussementsurprisaprèsavoir jetéunregardà l’employéequisignifiait trèsclairement«Contredis-moiet tonvoyage, tupeuxtelemettreoùjepense».

Nicolasneréponditpastoutdesuite.—Maistuneprendsjamaisl’avion,finit-ilparmurmurer.Lafille,quiavaitmaintenantparfaitementcomprislerôlequ’elledevaittenirdanscetteconversation,

éclataderire.—Jamaisl’avion?Biensûrquesi:mademoiselleprendl’avion.Ellerentred’ailleurstoutjustede

SaoPaulo.Juliette lui lança un regard assassin, et Nicolas ne releva pas cette dernière remarque, préférant

focalisertoutesonattentionsurJuliette.Leschosesétaientsuffisammentcompliquéescommeça.—Parfait,pourdixjours,çavousferaquatremillehuitcentquatre-vingt-quinzeeurosettrente-deux

centimes.Jevousaimisendemi-pension,continua-t-elle.Julietteavalasasaliveets’interditdehurler«COMBIEN?»Detoutefaçon,ellenerisquaitrien:sa

cartenepasseraitjamaispourunetellesomme.—Jevousfaiscadeaudestrente-deuxcentimes,ditl’employéeaveclemêmetoncérémonieuxquesi

elleavaitdit«JevousoffreuneFerrari»enluitendantlamachinepourqu’ellecomposesoncode.Juliette appuya sur les quatre touches, puis valida avec une légère appréhension. La fille scruta

l’appareillessourcilsfroncés.—Carterefusée,dit-elle.—Zut,réponditJuliette.Elleavaitfrôlélacrisecardiaque.—Pasdeproblème,votreplafonddoitêtredeneufcentseuroscommemonsieur,non?Jevousfais

unecartedeneufcentseurosetvousmepayezleresteparchèque.— J’aimerais bien, dit Juliette, sansmême regarder dans son sac,mais j’ai oubliémon carnet de

chèques.C’estvraimentdommage,jerepasseraiplustard.Elle s’apprêtait à reprendre sa carte et à se lever pour partir quand l’employée se pencha pour

ramasserquelquechoseparterreetsereleva,triomphante—Etçaalors?dit-elleenbrandissantau-dessusdesatêtelecarnetdechèquesqueJulietteavaitfait

tomber.Touts’arrange!Juliettepâlit.La filleavaitdéjà réinséré sacartebleuedans lamachineet la lui tendait ànouveau

avecunsouriremachiavélique.Nicolas,toujoursplantéàcôtéd’elle,semblaitavoirprisracine.Ilsattendaient.Ilsattendaientqu’ellepaye,etJulietteétaitdansuneimpasse.Ellepouvaitpeut-êtresimplementdire

qu’elleavaitbesoinderéfléchiretqu’ellereviendraitplustard.Il lui suffirait alors de se jeter dans la Seine sur le chemin du retour pour oublier cette scène

grotesque.MaisellenepouvaitpaslaisserNicolasdouterunseulinstantdelaraisondesaprésenceà

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l’agence.Elleétaitlàpourréserverunvoyageetnonpourmeneruneenquêtesursavieprivée.Elle recomposa son code.Neuf cents euros, ça ne passerait pas non plus et, après deux tentatives

échouées,ellepourraitabandonnersansavoirl’aird’avoirmenti.Ellevalidaet,ànouveau,lamachinesetut,commesielletergiversait.Çanepasseraitjamais.

Lafille regardait l’appareilavecdesyeuxavides, rêvantdéjààsaprime.Nicolasnebougeaitpas.Pourquoinepartait-ilpas?Ilfallaitqu’ilsorte,etcettemascaradeprendraitfin.

Puis,danslesilencereligieuxquiavaitenvahilaboutique,avecunbruitsecentrecoupédebips,leticket de carte bleue sortit de l’appareil vers lequel convergeaient tous les regards. Juliette se sentitdéfaillir.

—Voilà!s’exclamalafilleavecunsourireradieux.Maintenant,vouspouvezmefaireunchèquedetroismilleneufcentquatre-vingt-quinzeeurosettrente-deuxcentimes.

Elleavaitvisiblementoubliédansl’intervallelestrente-deuxcentimesofferts.Juliette,lesmainstremblantes,setournaversNicolasavecunsourirecrispéqu’elleespéraitsincère,

maisquitenaitsurtoutdelagrimace.—Aufait,toi,qu’est-cequetufaislà?Ilparutseréveillerd’unrêveabsurde.—J’avaisoubliémonportefeuille.—Oui,ilestlà,ditlafille,raviederendreserviceenleluitendant.Ilétaitàpeinetreizeheures;lajournées’annonçaitdéjàexcellente.Nicolasrangeasonportefeuilledanssapoche.Juliettelefixait,espérantqu’ilparteenfin.—Salut,dit-ellepourleluifairecomprendre.Àbientôt.Ilhésitait,sebalançantd’unpiedsurl’autre.—Jet’attends,dit-ilfinalement.Juliette soupira. C’était bien fait pour elle. Ça lui apprendrait à entreprendre des opérations

d’espionnage stériles, plutôt quede chercher du travail commeelle aurait dû être en trainde le faire.Résignée,elleouvritsoncarnetdechèques,enremplitund’uneécriturehâtive.L’idéedenepaslesignerluitraversal’esprit,maismissGothiqueenfaced’ellenelalaisseraitjamaiss’entireràsiboncompte.Ellelesigna,letenditàlafilleetseleva.

—Allons-yalors,dit-elle.Aurevoiretmerci,mademoiselle.—Maisc’estmoiquivousremercie!Elleluitenditsesdocumentsdevoyagedansunepochettebleueetmatelassée.EtquandJuliette,suiviedeNicolastoujoursenétatdechoc,ouvritlaportepoursortir,ellel’entendit

crierpar-dessusletintementdelasonnette:—Etbonnesvacances!

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Toutlemondesefaitlarguer(mêmeSarahLamour)

—OK.Donc,sijerésumelasituation,tuviensdeclaquercinqmilleeurospourunvoyageàl’autrebout dumonde pour toi et ton copain imaginaire Jean-Christophe, et tu n’iras pas, car tu as peur del’avion...

Chiaraétaitassisesurlecanapédusalon.Elletenaitdansunemaincequ’ilrestaitdesesescarpinsrouges et tentait tant bien quemal de donner un sens aux propos incohérents de Juliette : une histoired’enquête qui aurait mal tourné et d’un complot manigancé par une gothiquemachiavélique dans uneagencedevoyagesmoisie.

—Engros,oui,ditJulietteaprèsunmomentd’hésitation.—Tupeuxm’expliquerunetroisièmefois?J’aibeauessayer...,jenecomprendspas.Chiara en avait oublié d’enlever son manteau. Les sourcils froncés, elle écouta avec attention la

troisièmeversion,posaquelquesquestions,hochalatêteàintervallesréguliers.Àlafindurécit,ellerestasilencieuseunmoment,sesyeuxclairsfixéssurceuxdeJuliette.Puis,toutdoucement,lescommissuresdeseslèvressemirentàfrémir.Ellefutprised’untremblementdoubléd’unbruitdegorgedéconcertant,commesielleavaitavaléde

traverset, incapabledesecontrôlerplus longtemps,elleéclatade rire.Ellenepouvaitpluss’arrêter.Pliéeendeux,assisesurlecanapé,elleriaittellementquedegrosseslarmesluiroulaientsurlesjoues.

—Raviedevoirquemonmalheurteréjouit,grommelaJuliette.Chiarademeuraincapablederépondrependantunebonneminute,puisellecontrôlasonfourirepour

demander:—Non,maissérieusement,Julieta,c’estquoitonproblème?—Jevoulaisjustevoircequ’ildevenait,s’iln’avaitpasrencontréquelqu’un...—Juliette,réponditChiaraenessayantdereprendresoncalme.Çan’apasd’importancequ’ilaitune

nouvellecopine,Chloéouuneautre.Vousn’êtesplusensembleetilfautquetutourneslapage,ceque,visiblement, compte tenude l’histoire ridiculeque tuviensdeme raconter, tun’essayesmêmepasdefaire.

—Tucroisquec’estelle?Chloé?Chiaras’essuyalesyeuxetentrepritdedéboutonnersonmanteau.—Çameparaîtl’hypothèselapluslogique,maisilrencontreaussibeaucoupdegensàlafac,donc,

bon...Juliettedemandad’unepetitevoix:—Tucroisqueçaacommencéavant?—Avantquoi?—Avantqu’onsesépare?Chiarapritletempsdesuspendresontrenchetserassitsurlecanapé.—Jenesaispas,maJuliette,mais,encoreunefois,qu’est-cequeçachange?—Rien,rien,jesais.—Ilfautquetu tebougesmaintenant,repritChiarad’unevoixdoucemaisferme.Çafaitplusd’un

mois;ilnereviendrapas.Ilfautqueturetrouvesdutravail.Elle luiparlaitcommeunemamanàuneenfant,avecle tondequelqu’unquiregrettedefairedela

peine,maisdontc’estledevoirdefairedesreproches.Juliettes’affalaunpeuplussurlecanapé.—Jecherchedutravail.

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—Tumeprendspouruneidiote?D’ailleurs,tuasrappelél’amiedemamèredontjet’aidonnélenuméro?

—Non.—Çanet’intéressepas?—Si,maisjen’aipaseuletemps.Chiarasoupira.—Juliette,tuastoutletempsdumonde:tuesauchômage.C’estuncoupdefil;ilyenapourtrois

minutes. Alors, va prendre une douche, couche-toi, mets ton réveil et, demain matin, tu appellerasl’agence pour leur dire que tu souhaites annuler ce voyage et tu rappelleras pour ce job de traiteur.Ensuite, tu passeras le reste de ta journée à envoyer des candidatures. Ça ne me dérange pas det’héberger,mais je ne te rends pas service.Tudeviens une grossemollassonne râleuse, qui passe sesjournéesàsemorfondresurelle-mêmeaulieudesebougerpourfaireavancerleschoses.Toutlemondesefaitplaquer.Toutlemonde.Mêmemoi,c’estpourdire!EtjenevaispasargumentersurlefaitqueNicolas n’était qu’une chiffemolle à qui tu servais demère et donc pas une grosse perte, parce que,mêmes’ilavaitlecorpsdeRyanGoslingetlapersonnalitédeNelsonMandela,jetediraisquetut’enremettras.C’estvrai,misàpartquelquescrétinshystériquescommeRoméoettonimbéciled’homonyme,pluspersonnenemeurtd’amour.C’estcomplètementdémodé.

—Mais...—Pas de «mais » !Arrête de te plaindre. Il y a des gens à qui il arrive des choses bien pires.

Regarde:rienquedanscejournal,jet’entrouvedix-huitquisesontfaitlarguer!Chiarabranditl’exemplairedeGossipNewsquitraînaitsurlatablebasse,l’ouvritetcommençaàlire

àvoixhaute:—BrianTommyaprislagrossetêtedepuislaCoupedumonde.IlbriselecœurdeLeaStone:illa

quittepoursaprofesseuredetai-chi.Chiaratournatroispagesetlutunarticleauhasard:—Encoremieux.Écouteça :SarahLamourse fait larguer!MarkLenault, le jeunemillionnaire

fondateurdusitekanopi.com,arompuses fiançaillesavecSarahsuiteà ladécouvertedesa liaisonavecJ.Caphern,réalisateurdufilmKissfromHaïti4.—TusaisqueSarahLamourestmajumelle,ditJuliette.Onestnéeslemêmejour,elleestdevenue

unestarinternationalemultimillionnaireàvingt-huitans,etmoijenesuisqu’unegrosse...Chiaraeutungesteagacédelamainetpoursuivitsanslalaisserfinir:—Sophie-Julieagagné laStarAc,mais a perdu le grandamour de sa vie.VictorTervant, son

compagnondepuisqu’elleavaitdix-septans,laquitte.Pouroubliersonchagrin,Sophie-Julieplanchesursonnouvelalbum,dontletitredevraitêtreVictor,jet’aimeencore.—C’estbon,Chiara,j’aicomprisladémonstration...—Maisc’estvrai!Toutlemondesefaitlarguer,mêmeSarahLamour.Pourtant,c’estsansdoutela

plusbellefilledeFrance.—Jenevoispaslerapport,répliquaJulietteaprèsavoirjetéuncoupd’œilauxphotosdumagazine.

Moi,jeveuxjusteNicolas.Chiaralevalesyeuxauciel.— Justement, c’est bien ça le problème ! Bref... D’ailleurs, il l’a pris comment, lui, vos petites

vacancesàquatreavecsacopineettonJean-Christophe.Julietteneput s’empêcherde sourireau souvenirde laconversationqu’ils avaienteueavantde se

séparerdevantl’agencedevoyages.—Jeluiaidemandésiçan’allaitpasêtregênant,vucequ’onavaitvécu,d’êtredanslemêmehôtel

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pendantcinqjours.—Etluiilt’aréponduque,pasdutout,c’étaittoutàfaitnatureletsympathique,j’imagine.—Àpeuprès,oui,réponditJuliette,maisilaeuuneattitudebizarre.Jeluiaidemandés’ilpartait

seul,puisquejen’étaispascenséesavoirqu’ilavaitréservépourdeuxpersonnes,etilm’aditouid’unairgênéetachangédeconversation.

Chiaralevaunsourcilinterrogateur.—Ettuneluiaspasditquetusavais?Tun’aspasposédequestions?—Non,c’étaitdéjàsuffisammentdifficileàencaissercommeça.Jen’avaispasenvied’entendreles

détails.Chiaraproposadefaireunetisane,et,affaléessurlecanapé,ellespassèrentlasoiréeàcommenterles

journauxpeople.

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Quatremillehuitcentquatre-vingt-quinzeeurosettrente-deuxcentimes

Lelendemain,Julietteavaittrente-neufdefièvre,descourbaturesetmalàlatête.—Grippe,déclaraChiaraaprèsuncoupd’œil.Elleétaitclouéeaulit.Samèrel’appelaittroisfoisparheurepourluirappelerdeboiretroislitres

d’eauparjoursiellenevoulaitpasmourirdéshydratéeparlafièvre,Chiaraluifaisaitlivreràdomiciledeslitresdesoupebioauxlégumesd’antanenprovenanceduBristol,etJuliettepassaitsesjournéesàdormircommeunebienheureuse labouchegrandeouverteetà seplaindre le restedu temps.Ellecrutmourir,mais elle se releva aubout dequatre jours enpleine forme.Elle ne se laisserait plus abattre,Chiaraavaitraison,çacommençaitàbienfaire.

Son premier réflexe fut d’appeler l’agence de voyages. Elle reconnut la voixmorne de la fille autéléphone.Elleluiexpliqualasituation,luiditqu’elleavaitperdusonboulot,qu’elles’étaitséparéedesoncopainetqu’ilfallaitqu’elleannulelevoyage.

—Jevaisvoircequejepeuxfaire.Jevousrappelledanscinqminutes,luiréponditsoninterlocutriceenbâillant.

Juliettesepréparaituncaféquandletéléphonesonna.Elledécrochasansregarderl’écran,etlavoixdeNicolasdanslecombinélafitsursauter.Quelquesgouttesdébordèrentdesatasseetvinrentluibrûlerlamain.

—JevoulaisteparlerausujetdesMaldives,dit-ilaprèsunvaguebonjour.Ilavaitlavoixincertainedequelqu’unquiseforceàpasseruncoupdefildésagréable.Juliette,qui

secouaitsamainbrûléeavecunegrimacedouloureuse,secontentaderépondre:—Jeneparsplus,j’aidemandél’annulation.—Oh!Ilyeutunsilenceauboutdufil.—Tuvoulaismedirequoi?—Rien,rien...Net’inquiètepas,juste...Tuavaisraison...Çaauraitétébizarre...Bref...,ilfautqueje

telaisse,dit-ilavantderaccrocherprécipitamment.Ellerestauninstantinterdite,lecombinéàl’oreille,sedemandantquelétaitl’objetdecetappel,puis

elleouvritl’eaufroideàfondpourypassersamainouunecloqueallaitapparaître.Letéléphonesonnaànouveau.

—Bonjour,mademoiselleCharpentier,c’estl’agencedevoyagesPépin.—Re-bonjour,ditJulietteens’essuyantlesmains.—Jesuisdésolée,maisvotrevoyagen’estpasannulable,ditlafilleauboutdufil.—Maiscen’estpaspossible!s’exclamaJuliette.Lechèquenepasserajamaisdetoutefaçon.Jesuis

auchômage;jen’aimêmeplusd’appartement.—C’estregrettable,ditlafilleavecindifférence,maisnevousinquiétezpaspourlechèque,iladéjà

étéencaissé.—Déjàencaissé?—Oui,oui,jel’aidéposélejourmême.Vousn’avezpasvuquevousaviezétédébitée?D’ailleurs,

il faudrapenser ànousdonner les coordonnéesde ladeuxièmepersonnepour lebilletd’avionetvosdeuxnumérosdepasseport.

Juliettefermalesyeux.C’étaitunecatastrophe.

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—Jevousrappelle,dit-elle,puiselleraccrocha.Elleseprécipitasurl’ordinateurpourvérifiersoncompteenbanque.Elleétaitàdécouvertdeplusde

troismilleeuros.Elleappelaaussitôtsesparents,sedemandantcommentelleallaitleurexpliquerqu’ilfallaitqu’ilsluiavancenttroismilleeurospourpayerunvoyageauxMaldives,auquelellen’envisageaitpas vraiment de participer, avec un certain Jean-Christophe dont la qualité la plus remarquable étaitl’inexistence.Elletombasurlerépondeuret,endésespoirdecause,elletéléphonaàChiara,qui,commed’habitude,larassura.

—Calme-toi,caramia,cen’estquedel’argent.Iln’yapasmortd’homme.Jetefaisunvirementtoutdesuiteetjeterappelle.Envoie-moitonRIBparmail.

JulietterestadixminutessurlecanapéàsetordrelesmainsenremerciantlecieldeluiavoirenvoyéChiara,dontlerôlesurterresemblaitêtrepartagéentredeuxtâchesprincipales:êtrel’angegardiendeJulietteetêtresublime.Ellenerappelacependantpastoutdesuiteetcen’estqueplusd’unedemi-heureaprèsqueletéléphonesonnaànouveau.

—J’aideuxbonnesnouvelles,Julieta...Juliettepouvaitdevinersonsourireauboutdelaligne.—Oui?—Lapremière,c’estquejet’aifaitlevirement.Donc,situappellestabanquepournégocier,tune

payeraspeut-êtremêmepasd’agios.—Merci,merci.Jenesaispascequejeferaissanstoi...— Déjà, avec moi, tu fais beaucoup de conneries ; alors, sans moi..., bref, la deuxième bonne

nouvelle...—Oui?— C’est que je viens de poser dix jours de vacances à Noël et qu’on part aux Maldives en

amoureuses,toietmoi!Julietteenrestalaboucheouverte.—Tuessérieuse?—Oui!Jeneprendsjamaisdevacancesetj’aitoujourseuenvied’yaller.Enplus,lesMaldivessont

entraindecouler.C’estmaintenantoujamais!—Aveclebolquej’ai,ellesvontsûrementcouleraumomentoùjemettrailepieddessus!Detoute

façon,jeneveuxpasprendrel’avion.—Tun’aspaslechoix.Onyvaoutuperdscinqmilleeuros.Jesuissérieuse,Juliette.Jeneveuxpas

entendretesidiotiessurl’avion,lesinsectes,lesmaladies...—Mais...—Pasdemais!Et,aupassage,est-cequetupourrais,s’ilteplaît,rappelerFrançoisepourcejobde

traiteur parce que je ne vais pas passerma vie à t’entretenir et à payer tes vacances scandaleuses àl’autreboutdumonde.

Dansunéclatderirejoyeux,elleraccrochasansécouterlaréponse.

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Cartesdevisiteetosso-bucoàlamilanaise

ElleavaitfiniparrappeleretrencontrerFrançoisedeChasteignac,l’amiedelamèredeChiara.—Vousenavezmisdutemps,avait-elledéclaréquandelleavaiteuJulietteauboutdufil.Julietteavaitacceptédecuisinerpourunedizainedeconvives,prestationpayéequatrecentcinquante

euros,indépendammentducoûtdescoursesquiluiseraientremboursées.Ellen’auraitmêmepasàservir.C’estune jeune fillequeFrançoisedeChasteignacconnaissaitqui

s’enoccuperait. Juliette raccrochaplutôtcontente.Tourneren ronden ressassantsesmalheurs finissaitparluipeser.

Elle se plongea dans le projet avec une ardeur qui l’étonna elle-même. Elle éprouvait même unelégèreculpabilitéàl’idéedesefairepayerpouruneactivitéqui,sommetoute, l’amusaitplusqu’autrechose.Ellevoulaitquetoutsoitparfait.Unefoislemenuvalidé,lalistedescoursesfinprête,ellesemitàattendre ladateenserongeant lesonglesd’excitation.Elleréessayait lamêmerecettequatrefoisdesuite, faisait goûter à Chiara plusieurs versions et lui demandait laquelle elle préférait. Chiara, bienqu’ellenedistinguâtaucunedifférencedegoût,affirmait toujoursd’untoncatégoriquequela troisièmeétait,sanshésitationetdetrèsloin,lameilleure.

LesparentsdeJuliettel’appelaientrégulièrement;ilsluidisaientqu’elleavaitl’aird’allermieux.Àsongrandétonnement,quandelle leuravaitannoncéqu’elleallaitpartirauxMaldives,samèren’avaitpashurléquec’étaitdusuicideetsonpèreluiavaitmêmeréponduquec’étaitbien,qu’elleavaitbesoindevacances.

Ils lui avaient fait un virement de trois cents euros comme« cadeau deNoël avant l’heure » pourparticiperàsonvoyage.Elleavaitsecrètementespéréqu’ilsluifassentunecrisequiauraitjustifiéuneannulation et elle fut un peu déçue. Quand elle avait rappelé l’agence pourmettre le deuxième billetd’avion au nomdeChiara, (la fille lui avait d’ailleurs sorti à cette occasion un triomphant «Ah ! jesavaisbienquevousétiezlesbienne»),Julietteavaitréaliséqu’ellen’avaitpasdepasseport.Ellen’enavaitjamaiseuetelleavaitdûyremédier.

Lorsquel’employéedelapréfectureluiavaittendulepetitlivretmarronfoncé,elleavaitressentiunmélanged’appréhensionetd’excitation,commequandelletestaitunenouvellerecette.

Plongéedanscespréparatifsdiversetl’envoidequelquescandidatures,ellepensaitunpeumoinsàNicolaspendantlajournée.Elleavaitbienenvisagédelerappelerpourluidirequ’ellen’avaitpaspuannulerlesbillets,mais,sansqu’ellesacheelle-mêmepourquoi,ellen’avaitjamaisoséluitéléphoner.Ensecret,quandelle secouchait le soir, elle s’imaginaitarrivant sur laplageenparéo.Elle inventaitdéjàsesdifférentestenues,pensaitàsasurprisequandillaverraitarriver,bronzéeetenmaillotdebain.Ellerêvaitàdesscénariosdifférents,maisquiamenaienttoujoursaumêmeépilogue.Illasauvaitdelanoyadeetl’embrassaitfougueusementsurlaplage.

Sa nouvelle copine mourait dévorée par un requin, et Juliette le consolait en l’embrassantfougueusementsurlebateaudesauvetage.

Ilavaituneintoxicationalimentaireetseretrouvaitàl’infirmerieoùilss’embrassaientfougueusementsurunbrancard(danscederniercasdefigure,Julietteportaitunetenued’infirmièretrèssexy,mêmes’ilrestaitquelqueslacunesdansl’intriguequantàlafaçondontelleavaitobtenuunposteàl’infirmeriedel’hôtel).

Ellegardaitcesélucubrationspourelle.Sielleenavaitparléàsamère,àCarolineouàChiara,ellesauraientsoupirédelassitudeetluiauraientditdepasseràautrechose.

Elle s’endormait un sourire bienheureux sur les lèvres et se réveillait souvent en hurlant quelques

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heuresplustard:ellerêvaittouteslesnuitsqu’elles’écrasaitsurlesoldansunavionenflammes.Lejourdudîner,Julietteseréveillaàl’aube,excitéecommeuneenfantlejourdesonanniversaire.

Elle faisait des allers-retours nerveux dans la cuisine et assommait Chiara de questions dont elleconnaissaitdéjàlaréponse.

—Sinon,jechangetout.Tantpis,jefaislebœufencroûteavecdestagliatelles.Non?Tuenpensesquoi?Sijefaisdubœuf,jesuissûrequelaviandeestbonne,alorsquesi...

—Caramia,jepréféraisquandtuétaisendépression.Jenesupportepasqu’onmeparleavantmoncafédumatin,soupiraChiaraavantdes’enfuirdanslasalledebain.

FrançoisedeChasteignachabitait unmagnifique appartementdans leXVIearrondissement, résultatd’unmariage loupéquis’étaitconcluparunheureuxdivorce.LapremièrefoisqueJulietteavaitvu lacuisine,elleavaitfailliavoirunorgasme.Lapiècefaisaitaumoinstrentemètrescarrés.

Lesolétaitrecouvertd’uncarrelagegrisclairimmaculé,lestiroirsetplacardscrèmeétaientpleinsàcraquerdetouslesustensilespossiblesetimaginables.Unîlotcentralrecouvertdemarbreservaitdebaretdeplandetravail,lamachineàexpressoétaitassortieaurobotdecuisinemultifonctiongrismétallisé,le frigoaméricain trônaitàcôtéd’unegrande fenêtrequidonnait surunepetitecour.QuandFrançoiseavaitdéclaréavecungesteimpatient«Jenefaisjamaislacuisine»,Julietteavaitétépartagéeentreunepetite envie de meurtre face à un tel gâchis et une folle envie de l’embrasser à l’idée qu’elle allaitpouvoirprofiterdeceparadis.

Ellesortitdeleurcartonlesverrinesdetiramisuqu’elleavaitpréparéeslaveilleetlesrangeadanslefrigo.

—J’aidéjàfaim,ditFrançoise,ravie.Juliettesouritpolimenttoutenadmirantsesdessertsetrefermalaporteduréfrigérateuràregret.Le

mascarpone,grâceàVittoria,venait toutdroitdeLombardie.Elleavaitfaitelle-mêmelesgâteauxàlacuillèreet,au-dessusdescouchesdebiscuitsetdecrème,elleavaitdessinéà l’aided’unpochoirunefleurencacao.

Aprèss’êtrelavélesmains,attachélescheveuxetavoirenfiléuntablier,Juliettejetauncoupd’œilàson reflet déformé sur la porte du frigo. Elle avait l’air plutôt crédible dans son nouveau rôle. Ellecommençapardécouperleveau,roulalesmorceauxdanslafarineetlesfitsauteràlapoêle.Quandellesentit la bonne odeur de viande grillée, Françoise glissa une tête dans l’entrebâillement de la porte.Juliettenelavitmêmepas.Lessourcilsfroncés,ellecoupaitleslégumes.Ellelesfitensuiterevenirdansde l’huile d’olive, les déglaça avec du vin blanc et les mit à mijoter avec un bouquet d’herbes etd’épices.

Aveclaméticulositéd’unedentellière,elledécoupadescerclesdansdestranchesdefoiegrasqu’elledéposaitsurdeminusculestoastsbriochésrecouvertsdeconfituredefigues.Ilneluiresteraitplusqu’àsaupoudrer à ladernièreminutequelquesgrainsdegros sel et un soupçondepoivregris.Elle tartinaplusieursdizainesdecanapés,saumon,crabe,feta,légumes;ellealternaitlesgoûtsetlescouleursdansleplat.

Ellesereculad’unpaspouradmirersonchef-d’œuvreavecsatisfaction.Ellefaillitoublier l’osso-buco,qu’ellesortitdufeujusteàtemps.Lesdentsserrées,lesyeuxfixes,ellenelevapaslatêtependantplusdedeuxheures, concentrée commeunprêtre en contemplationdevant l’hostie, sansvoir le tempspasser.

Vers dix-neuf heures, une fille blonde et un peu ronde arriva.Elle s’appelaitMarieFavin et allaits’occuperduservice.Elledemandacequ’onservaitetdansquelordre,quelvinallaitavecquelalimentetlesnomsdechacundesplatspourqu’ellepuisselesannoncer.

Elleparlaitfortetbeaucoupenfaisantdegrandsgestes.Ellegoûtal’osso-bucoqueJuliettevenaitde

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mettreàréchaufferdanslefour,déclaraquec’étaitsuperbon,puispartitmettrelatableenchantonnant.Pendantladernièredemi-heuredepréparation,Françoisepassaitenvirontouteslesdix-septsecondes,

chaque fois avecune tenuedifférente, pourdemander si tout allait bien, si c’était bientôtprêt et si onavaitbesoind’elle.Julietteluirépondaitaveccalmequeoui,oui,etquenontoutenpensantqu’elleauraitavecplaisirrenversél’osso-bucosurlesommetdesonbrushingparfaitpourluifairepasserl’enviedeladéranger.

Dans le frigo, des ribambelles d’amuse-bouches colorés dessinaient des arabesques sur les platsblancs,lasaladeitaliennerebaptisée«salademélangéeauxlégumesdusoleil»étaitaufrais,prêteàêtredéposéedevantlesconvives,etl’osso-bucoattendaitsonheuredegloireaufonddufour.Elleferaitcuirelestagliatellesàladernièreminute.

Marie semit à faire des allers-retours entre la cuisine et le salon.Elle arrivait avec un plat vide,repartaitavecdesassiettespleines,emportaitdesflûtesoudesbouteillesdechampagneenfaisantchaquefoisuncommentaireincisifdutype«Ohlàlà,yaunegrossequis’estfaittoutel’assiettedefoiegras».

Juliette,quiétaitrestéedebout,crispéeetpenchéeenavantpendantplusieursheures,réalisaqu’elleallait tomber par terre de fatigue et que son dos lui faisaitmal. Elle s’assit et attendit, prit quelquesphotos des assiettes avec son téléphone portable avant que Marie ne vienne les emporter dans untourbillon volubile de potins inutiles. Trop stressée pour manger, elle se rongeait les ongles en sedemandantcequ’ilsallaientpenser,s’ilsallaientaimer.ElledemandaitàMaried’untonanxieuxaprèschaqueplat:

—Alors?Ilsontditquelquechose?Ilsonteul’aird’apprécier?—Maisoui,maisoui,biensûrqu’ilsaiment.Vutoutcequ’ilss’empiffrent,c’estsûrqu’ilsaiment.EtMarie repartait aussi sec avec du pain ou une bouteille de vin enmarmonnant qu’elle espérait

qu’ilsdaigneraientquandmêmeluienlaisserunpeu«parcequ’ilfallaitpasdéconneretqu’ellecrevaitladalle».

Ilfallutattendrequetouslesplatsreviennentvidésjusqu’àleurdernièregouttepourqueJuliettesedétendeunpeu.S’ilyavaiteuunproblème,Françoiseseraitsûrementvenueluifairedesreproches...

Pendantquesesinvitésfinissaientlecafé,Françoisefitirruptiondanslacuisine.Julietteselevad’unbond,desdizainesdequestionsauborddeslèvres,maisFrançoiselacoupad’untonautoritaire:

—Donnez-moiquelquescartesdevisite.Onmedemandecommentvouscontacteretjen’aimêmepasvotrenomdefamille.

Puis,sansécouterlaréponse,ellesetournaversMarieetluidemandaderapporterdestisanesetdesdigestifs, mais pas de biscuits, car plus personne n’avait faim et elle ne voulait pas que ses invitésexplosent sur son tapis persan. Juliette resta un instant interdite avant de s’emparer d’un stylo et dequelques serviettes en papier, sur lesquelles elle écrivit d’une main un peu tremblante son nom, sonnumérodetéléphoneetsonadressee-mail.EllelestenditàFrançoise,quicommentaavantderepartirencourantdanslesalon:

—Voilàquiestoriginalcommecartesdevisite.J’espèrequepersonnenevasemoucherdedans!Julietterougit.Françoisen’avaitvisiblementpasété informéequ’ellen’étaitpasvraiment traiteurà

domicile,maisvendeuseauchômagedeproduitsd’entretienpourentreprises.Alorsqu’elleétaitentraindefinirderemplirlelave-vaisselleavecMarie,deuxdesinvitésvinrent

danslacuisinepourlaféliciteretlaremercier.Ellepassaunderniercoupd’épongesurlatable,ditaurevoiràFrançoise,ravie,quipromitdelarappeleraprèslesvacancesdeNoëlpouruneautresoirée.

ÇafaisaitdessemainesqueJulietteavait l’impressiondetoutrateret,pourlapremièrefoisdepuislongtemps,ellesentitunepetitebulledefiertégonfleraucreuxdesonestomac.Ellerentrasecoucherlecœurpresqueléger.

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LespeinesdecœurdeVittoriaCastellini

Laportedel’entréeclaquaetlebruitsecdestalonsdeChiarasurleparquetsefitentendre.Cen’étaitpasnormalqu’ellerentreaussitôt.

Julietteinventoriaitlespilesdevêtementspliésavecsoinsursonlit.Elleavaitl’impressiond’avoiroubliéquelquechose,maisquoi?Elleavaitbienemportétoussesmaillotsdebain:lenouvelEresrougevif(cadeaudeNoëlavantl’heuredeChiaraquiarrivaitàavoirlesplusbellesmarquesauxprixlesplusexaspérants)etsestreizeanciensmaillots,ycomprislerosepâletellementuséetdétenduqu’ilenétaitdevenutransparent,maisn’enrestaitpasmoinsindispensable,troisparéos,cinqpairesdesandales,dontdeux à talons hauts, des tongs, de la crème solaire protection cent, de la crème solaire protectionsoixante, de la crème solaire protection cinquante, de l’antimoustiques (même s’ils prétendaient surInternet qu’il n’y avait rien à craindre), de la crème solaire protection huit, une pharmacie complète,bourréed’Imodium,depansements,deBiafineetd’Actifed(jugésinutilesparleguide,maismieuxvautprévenirqueguérir).Elleavaitdessous-vêtements,unpyjama,quelqueslivres,sonpasseport,satroussedetoilette,troispairesdelunettesdesoleiletunimmensechapeaudepaille,qu’elleporteraitsurlatêtedansl’avionpourqu’ilnes’abîmepasdanssavalise.

Elleétaitterrifiéeetn’avaitaucuneenviedepartir.SeulelaperspectivederevoirNicolas,dontellen’avaitaucunenouvelledepuistroissemaines,laretenaitdefeindreunecrised’appendiciteaiguëetdetoutannuler.

—Salut,bella,ditChiaraenouvrantlaporte.Elles’arrêtanet.—JenesavaispasquetupartaissixmoisentrekenInde...—Arrête,c’estpasdrôle.Tusaistrèsbienqueçam’angoisse.Chiaradésignalestroisboîtesd’Imodium.—Tuvasdansuncinq-étoiles,pasdansuneaubergedejeunesseaufinfondduMexique.Juliettehaussalesépaules;Chiaradécalaunepiledeshortspours’asseoirsurleborddulit.—J’aiunemauvaisenouvelle,dit-elle.Juliette,quiétaitentraindetransvaserunepiledetee-shirtsdulitàsavalise,interrompitsongeste.

LesyeuxvertsdeChiaraavaientperdutoutetracedemalice.—Qu’est-cequisepasse?—Mammaestàl’hôpital.Elleafaitunecrisecardiaque.Julietteportalamainàsabouche.—Merde.C’estgrave?Ellevabien?...Jesuistellementdésolée,Chiara...Tuauraisdûm’appeler.—Non,cen’estpastrèsgrave.Normalement, ledangerestpassé.Ilfautjustequ’ellefasseunpeu

plusattentionàcequ’ellemangeetqu’ellenes’épuisepasautravail.—Tuasdûavoirtellementpeur,mapauvre,ditJulietteenluipassantlebrasautourdesépaules.—Oui,j’yaipassél’après-midi,bref...Cen’estpasça,c’estjustequ’elleestassezchoquéeetils

vontlagarderquelquesjours.ChiaraavalasasaliveetlevaversJulietteunvisagecrispé.—Noëlestdanstroisjours,monfrèrenepeutpasrentrerdeTurinetjenepeuxpaslalaissertoute

seuleàl’hôpitaldanscetétat...—Biensûr, jecomprends. Iln’estpasquestionque tupartes,ditprécipitammentJuliette. Je ferais

pareilàtaplace.Chiarapoussaunsoupirdesoulagement,etsonvisagesedétenditunpeu.

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—Tunem’enveuxpas?—Non,biensûrquenon,c’estnormal,murmuraJulietteencontemplantd’unairperdusespilesde

vêtementsetdemédicaments.Elleproposaderester,elleaussi,poursoutenirVittoria,maisChiararefusacatégoriquementsonaide.—Écoute,bella, c’est le destin. Je sais que c’est flippant pour toi,mais la terre entière rêverait

d’allerpasserdix joursdevacancesauxMaldives, alors,vas-y,profites-en, tape-toi tous lesprofsdeplongéeettouslesbarmendel’hôtel,etreviens-nousenpleineforme.

Lapaniqueàl’idéedepartirtouteseuleenvahitJuliette,etChiarapoursuivitplusdoucement:—Jedonneraisn’importequoipourpartiràtaplace.Jeteprometsquec’estvrai.L’avion,tuauras

peur les cinqpremièresminutes et après le décollage tuoublierasque tun’esplus sur la terre ferme,crois-moi.Aupire,jetedonneunsomnifère,tudorstoutlelongettuteréveillesauparadis.

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Toutemavie,j’airêvéd’êtreunehôtessedel’air

L’aéroportétaitpleinàcraquer,etJulietteexaminaitlafouleavecstupeur.Lesvoyageursavaientl’airheureuxetexcités;ilstraînaientleursvalisesd’unpasguilleretverslescomptoirsd’enregistrement.Ilspartaient sûrement retrouver leur famillepour les fêtesde find’année.Seuledans l’euphoriegénérale,son chapeau de paille sur la tête, elle se sentait triste et perdue. Elle aussi aurait voulu partir avecquelqu’un.Ellerestaitplantéecommeunpiquetdevantlepanneaud’affichage,cherchantdesyeuxlevolQatarAirwayspourDohaetpriantsilencieusementpourqu’ilsoitannulé.

Elle avait lu une bonne douzaine d’horoscopes, tous issus de sources différentes pour être sûrequ’aucundangerdemortn’étaitannoncé.Vingt-troisheuresdevolencomptantl’escaleàDoha.Ellequiavaitunepeurviscéraledel’aviondepuisl’enfance,elleallaitfairevingt-troisheuresdevoyageetuneescale. Elle avouait rarement sa phobie, car, quand elle en parlait, il y avait toujours un crétincondescendantdanslesparagespourluidémontrerqu’elleétaitridicule,que,statistiquement,elleavaitbien plus de chances demourir d’un accident domestique ou dans un accident de voiture que dans unaccidentd’avion.Çaavait ledonde l’exaspérer.Commesic’était rationnel !Alorsqu’ellevoyait lesavionsfendrelecielversdescontréeslointainesqu’ellen’avaitaucuneenviedevisiter,Juliettepensaitqu’ellen’avaitqu’uneseulebonneraisondepartiret,quandlapaniquesefaisaittropforte,ellepensaitàNicolas.C’était pour lui qu’elle partait, pour le reconquérir. Pourtant,malgré tout l’amour qu’elle luiportait et sa volonté indéfectible de ne pas abandonner la lutte, quand elle posa le passeport sur lecomptoir,sesmainstremblaientetsesyeuxdébordaient.

—Bonjour,mademoiselle,luiditl’hôtesseavecunsourireenthousiaste.EllepritlepasseportdeJulietteet,lessourcilsfroncésetl’airconcentré,entrepritdetapersurson

clavierdiversesinformationsmystérieuses.—Oùestladeuxièmepersonne?demanda-t-ellesansleverlatête.—Ellenevientpas, répondit Juliette,avec l’espoirque lesbilletsnesoientvalablesqu’àdeuxet

qu’onluiannoncequesondépartétaitmalheureusement(heureusement)impossible.—Quel dommage ! dit l’hôtesse en recommençant à taper à toute vitesse, comme si l’absence de

Chiaralaforçaitàmodifiertouteslesinformationsqu’elleavaitsaisiesjusque-là.EllelevalesyeuxsurlevisageangoissédeJulietteetpritsaterreurpourduchagrin.

—Qu’est-cequiestarrivéàvotrecompagnedevoyage?demanda-t-elle.Juliettechoisitcemomentpouréclaterensanglots.Ellecommençaàluiraconterentredeuxhoquets

sesdéboires.— ... Chômage... Larguée.... Forcée... Agence... Voyage... Absurde.... Sa mère... L’hôpital... Toute

seule...Maldives...L’hôtessenecompritpasuntraîtremot,maisluitenditunmouchoiravecunemoueapitoyée.—Ah ! je vous plains, c’est affreux. Si ça peut vous consoler, j’ai enregistré un hommequelques

minutesavantvous,dontlemariageaétéannuléetquipartaitseulenvoyagedenoces!— J’admets que c’est encore pire, renifla Juliette. En plus, c’est la première fois que je prends

l’avion.Aveclachancequej’aiencemoment,onvasûrements’écraserdansl’océan.— Vous savez, statistiquement, vous avez beaucoup plus de chances de mourir d’un accident

domestiquequedansunaccidentd’avion,luiréponditl’hôtesseavecobligeance.—Ça,c’estévident,puisquejenemontejamaisdansunavion,marmonnaJuliette.L’hôtessejetauncoupd’œilauxgensquis’impatientaientdanslafiled’attente.Ellehésitauninstant,

regarda autour d’elle et se pencha vers Juliette avec un air conspirateur qui l’inquiéta plus qu’autre

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chose.—Mademoiselle,l’avionestplein,ilestsurbooké.Elle regardait Julietted’unair entenduet lui fitmêmeunclind’œil. Juliette sedemandacequi se

passait, puis, comme sous l’emprise d’une inspiration soudaine, l’hôtesse se remit à pianoter d’un airtriomphantsurleclavieravecl’énergied’unhyperactifquiabuunevodka-RedBull,puiselletenditsonbilletàJulietteavecunsourireravi.

—Séchezvoslarmesetprofitezduvoyage.Jevousaisurclasséeenbusiness.Juliette se retrouva assise devant la porte d’embarquement deux heures avant le départ. Elle avait

passé la sécurité sans encombre, l’agent avait juste étudié avec stupeur le contenu de sa trousse detoilette, qui débordait de médicaments antistress, relaxants, somnifères, mais il n’avait fait aucuncommentaireet luiavait souhaitédebonnesvacancesavecuneexpressionvaguement inquiète. Julietteinspiraungrandcouppoursecalmer.

Toutallaitbiensepasser.Elletripotaitlafermetureéclairdesonsac,hésitantàprendreunsomnifèretoutdesuitepourêtresûre

de s’endormir avantmême ledécollage.Mais le risquede s’assoupir avantdemonterdans l’avion laretint.

EllepouvaitcroiserNicolas,puisqu’ellenesavaitpasquelsétaient lescinqjoursqu’ilsavaientencommun,et ellenevoulaitpasprendre le risquequ’il la trouveeffondrée surun fauteuil, ronflante, laboucheouvertesurunfiletdebave.Elleenlevasonmanteau,leremit.

Elle se dandinait sur son siège sans oser aller aux toilettes, de peur qu’on glisse dans son bagagecabineunkilodecocaïneouunsacdediamantsvolés,auquelcasellefiniraitsansdouteincarcéréeàviedansuneprisondeDoha.Elleessayadelireunmagazine,leferma,mâchaunchewing-gum,commençades mots croisés, les abandonna et finit par s’acheter un sandwich pour calmer sa nervosité. Ellemastiquasoigneusementchaquebouchée.Elleavait l’impressiond’être làdepuishuitheuresalorsquequaranteminutess’étaientàpeineécoulées.Elleavalafinalementuncomprimérelaxant.Çanepouvaitpasluifairedemal.

Elle ferma les yeux et réfléchit. Chiara avait élaboré un plan très clair quant aux objectifs de sonséjour:

—Lepremiersoir,tuvasaubar,tubois,tusautessurlepremierhommepotablequipasseetensuitetuparadesàsonbrasdevantcetabrutideNicolastoutlelongduséjour.Çaluiferalespieds.

Julietteavaitdemandécommentonfaisaitpourrameneruntypedeboîtedenuitetcoucheravecluilepremiersoir,parcequ’ellenel’avaitjamaisfait.Chiaraluiavaitrépondu:

—C’esttrèssimple.Ilyatroisétapesàsuivre:boire,êtresublime,reboire,etpasnécessairementdanscetordre.

Julietteavaitenregistrécesprécieuxconseilstoutensesachantabsolumentincapabledelesmettreenœuvre. Perdue dans ses pensées, elle commençait à se détendre sous l’effet du cachet, quand la voixtombadeshaut-parleurscommeunbaquetd’eauglacée:oninvitaittouslespassagersduvolpourDohaàbienvouloirserendreàlaporte12Apourunembarquementimmédiat.

Unstewardplutôtbelhommel’accueillitavecunepolitesseexquise.— Bonjour, mademoiselle, bienvenue à bord. Souhaitez-vous que je vous débarrasse de votre

manteau?Juliette accepta. Il l’accompagna jusqu’à son siège, rangea sa petite valise et son chapeau dans le

coffreàbagagesetluiditdenepashésiteràl’appelersielleavaitbesoindequoiquecesoit.Lessiègesétaientlargesetconfortables.

Elleappuyasurunbouton,et lefauteuils’inclinaenmodelit.Rougissante,elleleremontaaussitôt.

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Elletrouvaunepetitebouteilled’eausurlatabletteentresonsiègeetceluidesonvoisinet,danslevide-poche,unetroussedetoiletteauxcouleursdelacompagniedontellefitl’inventaireprécis:unebrosseàdents,unminusculetubededentifrice,unpeigne,unecrèmehydratante,unepairedegrosseschaussettes,unmasqueetdesboulesQuiès.Ellehésitaàprétendrequ’ellenel’avaitpastrouvéepourendemanderunedeuxièmeouàsubtilisercelledesonvoisin.

Une mélodie relaxante et une odeur de menthe fraîche flottaient dans la cabine. Les passagerss’installaientautourd’elle.Lepremiercompriméne luiavait fait aucuneffet. Il était écrit sur laboîted’attendreaumoinsquatreheuresavantd’enprendreundeuxième,maiselleenavalaunautre.

Ilsracontenttoujoursn’importequoisurlesnoticesdemédicaments.

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Théoriedel’antiromantisme,parl’inconnuduvolQatarAirwaysQR016(àdestinationdeDoha)

Juliette attacha sa ceinture, vérifiaqu’elle était bien ajustée et enbonétat, puis elle commença lesexercicesrespiratoiresrecommandésparsamèreavantledépart.

—Mademoiselle?Lesyeuxfermés,lesmainscrispéessurlesaccoudoirs,ellesoufflait,inspiraitetsoufflaitànouveau

engonflantsesjouesetsacagethoracique.—Mademoiselle?insistalavoixquisemblaitvenirdetrèsloin.Elle ouvrit les yeux.Un homme brun d’une trentaine d’années la dévisageait du haut de sonmètre

quatre-vingt-dixd’unairamusé.SonvisagesemblavaguementfamilieràJuliette.—Onseconnaît?demanda-t-elle.—Non,maisquandvousaurezterminévotreyoga,pourriez-vous,s’ilvousplaît,rangervotresacà

mainailleursquesurmonsiège.J’aipeurd’êtrevotrevoisinetjen’aipasl’intentiondepasserlevoyagedebout.

Juliettelefixapendantquatrebonnessecondes.Ellenesavaitpassic’étaitleyogaoul’overdosedecalmants, mais elle se sentait complètement dans les vapes. Elle finit par enregistrer sa requête etrécupérasonsacsurlesiègeàcôtéd’elled’ungesteagacé.

—Jenesaispassivouscomptezfaireduyogapendanttoutlevoyage,continua-t-iltoutenrangeantdanslecoffreàbagagessavalisedecabineetsonblousonencuir,maisc’esttrèsbruyantetlaplupartdesgensiciontprévudedormir.

Malgrélescalmants,Julietteeutunsursautd’irritation.—Cen’estpasduyoga,maisdesexercicesderelaxation!Puis,trèsdigne,elleajouta:—J’aipeurdel’avion.L’hommes’assitet,envieilhabitué, rangeases journauxdans levide-pochedevant lui, l’airplusà

l’aisedanslabusinessdeQatarAirwaysquedanssesproprestoilettes.Illuiditsuruntonlégèrementsarcastique:

—Auvingtetunièmesiècle,ilyadoncencoredesgensquiontpeurdel’avion?Voussavezque,statistiquement,vousavezplusdechancesdemour...

—Jesais,l’interrompitJuliette.Ledeuxièmecalmantavaitperdutoutsoneffet.—Jen’aipasditquec’étaitrationnel,maisc’estcommeça:j’aipeur.J’aivingt-huitansetc’estla

premièrefoisquejeprendsl’aviondemavie.Illaregardacommesiellevenaitdeluijurerquelepouletaucurryétaitunplattraditionnelsuédois

etquec’étaitlachoselaplusstupidequ’ilaitjamaisentendue.—C’estlapremièrefoisquevousprenezl’avion?Vraiment?—Oui,réponditJulietteencroisantlesbrasd’unairdedéfi.Ileutunsourire,etsesyeuxbrunspétillèrent.Ilétaitmalélevé,maisplutôtpasmal.Exactementle

genred’hommedeChiara:grandbrunténébreuxausouriresympathique,pasbeauàproprementparler,maisbeaucoupdecharmeetunesortedetranquillitévirilequiluidonnaituncertaincharisme.

Juliette, elle, faisait plutôt dans le grandblond romantique.Elle pensaun instant auxyeuxbleus etrêveursdeNicolas,etpoussaunsoupirtriste.Sonvoisinsortit leFinancialTimesdesonvide-poche.

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Sonregardinsistantlamitsoudainmalàl’aise.—J’imaginequevousavezétésurclassée?Ellerougit.Qu’est-cequ’il insinuait?Qu’elleavait l’aird’unebeaufquiavaitgagnéauloto?Elle

cherchaquelquechosedecinglantàrépondre,maissecontentad’unouifurieux.Ilsouritavecflegmeet,sansrienajouter,dépliasonjournaletcommençaàlire.Poursedonnerune

contenance,ellesaisitdevantelle lesdifférentsprospectus relatifsà lasécuritéàbordetcommençaàétudierlaprocédured’amerrissage.

— Vous savez qu’aucun amerrissage n’a jamais réussi ? Sauf un, à New York, je crois... Bref,historiquement,presquetouslesavionsayanttentéd’amerrirsesontécrasésdanslamer.

L’homme avait à peine levé la tête de son journal et il tourna une page pour montrer que soninterventionétaitterminéeetqu’ilreprenaitsalecture.

— Vous avez la subtilité d’une moissonneuse-batteuse, répondit Juliette en cherchant des yeuxl’hôtessepourvoirsiellepouvaitchangerdeplace.

Unhommepritlaparoledansleshaut-parleurs,neluilaissantpasletempsderépliquer.«Mesdames,messieurs,bonsoir.MonnomestJérômeGuichardetjesuisvotrechefdecabine.Nous

avonsleplaisirdevousaccueilliràbordde...»Brutalement,Juliettesentitlapaniquemonter.Lavoixs’effaçadansunbrouhaha,commeundisquequi

tourneauralenti.Ellenecomprenaitpluslesparoles;seulcomptaitledécollageimminent.Ilsallaients’envoler, quitter le sol dans cet énorme engin rempli de personnes désinvoltes et suicidaires quisemblaientsedésintéresserdeleursort.«...veuillezattacheretajustervotreceinturedesécurité...»Elleavait envie de vomir et l’impression que tout le monde l’observait, que les parois de l’appareil seresserraient,prêtesàl’écraser.

Peut-êtrequ’ellepouvaitencoredescendre.C’étaitsadernièrechance.Ilfallaitqu’elledescende,ellelesavait,elleétaitendanger.Ellen’auraitjamaisdûavalercedeuxièmecalmant.Ellevoulutselever,maiselleétaittétanisée,incapablederemuerlepetitdoigt;sesmembresencotonnerépondaientplus.

Elle ferma les yeux et expira doucement par la bouche. Les membres du personnel navigantcommencèrentàexpliquerlesconsignesdesécurité.

Elleseforçaàsuivresurl’écranlesgestesdel’hôtessequi,d’unsourirequisevoulaitrassurantetquineréussissaitqu’àterrifierdavantageJuliette,indiquaitcommentplacerlemasqueàoxygènesursonvisage.L’avionroulaitmaintenantverslapistededécollage.Auboutd’unmoment,elleréalisaquesonvoisinavaitposésonjournalsursesgenouxetladévisageait,l’airinquiet.

— Vous êtes livide, constata-t-il. Vous ne risquez rien, vous savez. Si vous pensez aux milliersd’avionsquidécollenttouslesjoursdetouslesaéroportsdumonde,etlenombredefoisoùvousavezentenduparlerd’unaccidentauxinformations,vousréaliserezqu’iln’yaquasimentjamaisd’accident.

—Jeveuxdescendre,murmuraJuliette.Ildétachasaceintureetseleva.—Nebougezpas,dit-il.Jerevienstoutdesuite.Elleregrettapresquequ’ilsoitparti.Saprésenceavaitquelquechosederéconfortant.Ellereferma

lesyeux,lesmainscrispéessurlesaccoudoirs.—Tenez.Elle entrouvrit ses paupières. Il se tenait devant elle, debout, comme si c’était normal, alors qu’il

auraitdûêtreassisetattaché.Ilignoral’hôtessequiluisommadeserasseoirimmédiatementettenditàJulietteunverredanslequelunliquideauxrefletsdorésoscillaitaurythmedesvibrations.

—Whisky,çavousferadubien.Julietteluiarrachaleverredesmainsetl’avalaculsec.Ilsouritetserassitsansriendire.

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L’avion prit une grande accélération qui la colla au dossier de son fauteuil. Instinctivement, elles’emparadelamainlaplusproche,àsavoircelledesonvoisin,etlaserraàlabroyer.L’aviondécollaetlasensationd’accélérationdisparut.

Elle essayait de ne pas vomir le scotch et pensait à Nicolas, ses yeux clairs, sa voix grave etrassurante,pouroublieroùelleétait.Auboutd’unmomentdontelleauraitétébienincapablededires’ilavaitduréuneminuteouuneheureetdemie,l’avionsestabilisa,elleouvritunœil,puisdeux.

—C’estbon?Jepeuxrécupérermamainavantqu’ellenesoitcomplètementatrophiée?—Excusez-moi,balbutiaJuliette.Ellesesentitridiculeetincomprise.Lespassagersquil’entouraientlisaient,allumaientleurtélévision

oudépliaientleurcouverturepourdormir,commes’ilsétaientdansleursalonetçaneleurposaitpaslemoindreproblèmed’êtreàdesmilliardsdekilomètresau-dessusdusol.

À côté d’elle, l’homme reprit sa lecture, et l’hôtesse circula dans les rangs pour demander s’ilsavaient choisi un plat sur le menu. Juliette entreprit de sélectionner un film sur son écran qui sedédoublait de manière inquiétante. Sa tête tournait, et son corps était parcouru de frissons nauséeux.C’étaitl’alcool,lescalmantsoul’altitude,voirelestrois,maistouttanguaitjoyeusementautourd’elle,etellecommençaitàsesentirlégèrementeuphorique.

L’hôtesseproposadesboissons.Juliettedemandaunverredevin.Elleétaitenvacances,aprèstout.Ilfallaitenprofiter,etpuisChiaraluiavaitrecommandédeboire.Ellenefaisaitquemettresessages

conseilsàexécution.— Après le scotch, vous ne devriez pas, lui dit son voisin, imperturbable derrière son journal.

L’alcoolmonteviteavecl’altitude.Vousallezêtresaoule.Julietteavalaunegorgéedevin.—Votremamannevousajamaisditdevousmêlerdecequivousregarde?—Çameregarde,évidemment.Jen’aiaucuneenviequevousmevomissiezdessuspendantletrajet

ouquevousvousmettiezàavoir l’alcool triste.Maisvousavez raisondeblâmermamère.Elleavuqu’ilyauraittropdetravailetelleamislesvoilesilyabienlongtemps.

—Jelacomprends,j’auraisfaitpareilàsaplace.Àpeinelesmotsfurent-ilssortisqu’ellesemorditleslèvres.C’étaitgratuitetméchant.Ellemauditle

mélangecalmants-alcoolquilafaisaitparlersansréfléchir.Ilhaussaunsourcilironique,étonnéparcetteattaqueinjustifiée.Juliettetentavainementdeserattraper.

—Jesuisdésolée.Jen’auraisjamaisdûdireça.C’étaitcomplètementdéplacéet...Ill’interrompit:—Commentvousappelez-vous?—Juliette.—Çavousvacommeungant.Ellenesavaitpastropsic’étaituncomplimentouuneinsulte.—Etvous?—Pourquoiavez-vousbesoindesavoirmonnom?Vousessayezdemedraguer,c’estça?Jen’ai

aucuneenviedemefairedraguerdansl’avion.Sesyeuxsombrespétillaientdenouveau.—Mais...,mais c’est vous quime demandez...Vous êtes ridicule, se reprit Juliette qui sentait ses

joues s’enflammer. Je préférerais finir vieille fille avecquinze chats plutôt quedevousdraguer, dansl’avionouailleurs.

Iléclatad’unrirejoyeux,puisilsetournaversl’hôtessequiapportaitlesplateaux-repasetdépliasatablettepourqu’elleydéposelesien.

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Juliette avait la têtequi tournait deplus enplus.Sonhumeurpassait demanière imprévisibled’unextrêmeàl’autreenl’espacedequelquessecondes.

—Vousallezoù?demanda-t-elle,voyantqu’ilavaitrepliésonjournalpourdîner.Ça la rassuraitde luiparler.Ça l’aidaitàoublierqu’elleétaitendangerdemort. Ileutune infime

hésitationavantderépondre.—AuxMaldives.—Commemoi.Qu’est-cequevousallezfaireauxMaldives?—Delaplongée,répondit-il.Etvous?—Jeparsenvacances.Jen’étaisjamaissortied’Europeavant,ajouta-t-elle.Enledisant,elleeutunpeuhonte.Cen’étaitpassiterriblefinalement,cevoyage.—Vousparteztouteseule?Illafixaitaveccuriosité.Lemélangevin-calmants-altitudeaidant,ellepoussaungrossoupir,reposasafourchetteetentreprit

detoutluiraconter.Nicolas, la rupture, son job, la scènede l’agencedevoyages et sonmoment de folie où elle avait

signélechèque.ElleluiparlamêmeduplanderécupérationdeNicolasetdesconseilsdeChiara.C’estfoucequ’elledevenaitsociableetbavardequandelleétaitivreetdroguée.

—Jevoisquevousappliquezavecbeaucoupdesérieuxlesconseilsdevotreamieitalienneencequiconcernelamaintenanced’untauxd’alcoolémieélevépourmieuxséduirelesmâlesquivousentourent,conclut-ilàlafindurécit.

Ilavaitécoutéavecattention,posantmêmequelquesquestionsdetempsàautre.—Vouspensezqueçamarche?demandaJulietteenleregardantfixement.Qu’enrendantquelqu’un

jaloux,onpeutlerécupérer?Illaregarda,faussementterrifié.—Necomptezpassurmoipourexciterlajalousiedevotreex.Jevousaidéjàditquejen’étaispas

intéressé.Ellelevalesyeuxauciel.—Non,mais,franchement,entantqu’homme,qu’est-cequevouspensezdecettestratégie?Ilrestapensifquelquesinstants,letempsdeterminersonassiette.— J’imagine que dans certaines circonstances ça peutmarcher. Si ça fait longtemps que vous êtes

avecquelqu’un,c’estunemanièredeluirappelerquevouspouvezplaireàd’autreset,donc,àlui.Maisjepenseaussiqu’onnedevraitpasavoir recoursàcegenrede stratagèmedansuncouple. Il faudraitpouvoirêtresincèresansavoiràélaborerdestratégie.

—C’estvrai,réponditJuliette.C’estcequejefaisaisavecNicolas,maisçan’apasmarché.—Peut-êtreque,siçan’apasmarché,c’estqu’ilnevousméritaitpas.Julietteéclataderire.—Nicolas? Ilnememéritaitpas?C’estplutôt l’inverse.Enfait,çan’apasmarchéparceque je

n’étaispasassezbienpourlui.— Je ne suis pas d’accord. Si je résume bien, vous êtes partie à l’autre bout du monde et vous

affrontezvotreplusgrandepeurparamourpourluiquivousatrompéeavantdevouslarguerquelquesjoursaprèsvotrelicenciement...Vouspensezvraimentqu’ilesttropbienpourvous?

—Ilnem’apeut-êtrepastrompée,ditJuliette,vexée.C’estjustequ’ilesttellementbrillant,cultivéet...

—ConnaîtreSocraten’arienàvoiravectoutça,etest-cequevouspensezvraimentqu’ilpartiraitenvacancesaussiloinetaussilongtempsavecquelqu’unqu’ilarencontréilyaunmois?lacoupa-t-ilavec

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l’airaffligéd’uninstituteurdevantunenfantquiviendraitdeluidemanderenquelleannéeBaudelaireapeintLaJoconde.

Juliettefronçalessourcils.—Ilestromantique,ilestcapabledepartirsuruncoupdetête.— D’après le portrait que vous me faites, il est plutôt du genre à ne pas prendre beaucoup

d’initiatives,romantiqueoupas.Àpart,biensûr,continua-t-ilenenfournantunénormemorceaudepaindanssabouche,celledevouslargueraumomentlepiredevotrevie,cequifaitdeluiunrustresurquionnepeutpascompteretqui,donc,CQFD,nevousméritepas.

Juliette jouait avec sablanquettedeveau.C’étaitmeilleurquece àquoi elle s’attendait,mais ellen’avaitpasfaim.

—Detoutefaçon, jenecherchepasunromantique,dit-elle tristement.Cen’estpaspourçaque jel’aime.

Ilsoufflaenlevantlesyeuxauciel.—Vousêtes,aucontraire,d’unromantismequi frise laniaiserie.Honnêtement,votrecopainestun

salaudetunlâche,quivousatraitéed’unemanièrehonteuseet,àl’heureactuelle,vousdevriezêtresurMeetic en train de trouver un autre pigeon sur quimettre le grappin.Au lieu de ça, vous videz votrecompteenbanqueetvousleprenezenfilaturejusqu’auxMaldivesenprévoyantdefairevosgriffessurlepremierpauvretypequiauralemalheurdecroiservotrechemindanslebutégoïstederendrevotreexjaloux.

—Jenemettraipasvraimentleplanàexécution,etpuis,c’estuneidéedeChiara,pasdemoi.— De toute façon, vous allez vite déchanter, dans la mesure où, aux Maldives, comme vous ne

tarderezpasàleconstater,iln’yaquedesamoureuxenvoyagedenocesetpasunseulcélibataire.—Çayest,j’aiànouveauenviedevousfrapper,réponditJulietteenseservantd’eau.Jenesaispas

commentvousfaites.Çafaituneheurequejevousconnaiset jepeuxd’oresetdéjàaffirmerquevousêteslapersonnelaplusexaspérantequej’aiejamaisrencontrée.

—Jevousdislavérité,pourvotrebien.Cessezd’êtreromantique,soyezpragmatiqueetçanevousarriveraplusdevousretrouverruinéedansunavionendirectiond’uneplageoùvousallezpasserdixjoursendépressionà regarderdesamoureuxse roulerdespelles,pendantquevous serez seuleà lirevotreElleen imaginant des retrouvaillesmerveilleuses avec votreNicolas qui n’arriveront pas parcequ’ilseraentraindebatifoleravecvotrecopineChloéqu’iladraguéesousvotrenezdepuisunan.

—Cen’estpasmacopine,jenesuispasromantique,etvous,vousêtescynique,réponditJuliette.— Très bien, vous n’êtes pas romantique. Quelle est donc pour vous la description de la soirée

idéale?Juliettehaussalesépaules.—Jenedemandepasgrand-chose,justederentrerlesoirchezmoidetempsentempsetqu’ilaitpris

la peine de préparer quelque chose, n’importe quoi,même des lasagnes Findus surgelées, parce qu’ils’estditquej’étaispeut-êtrefatiguée.

—Deslasagnessurgelées?Vousêtessérieuse?—C’est l’intentionquicompte,non?Évidemment,s’ilyavaitdespétalesderoses tout le longdu

cheminjusqu’àlacuisine,etLouisArmstrongenfondsonore,ceseraitmieux,maisjenedemandemêmepasça,justeleslasagnes,çamesuffirait.Etmêmeça,c’esttropvousdemander,vousêtestouslesmêmesdetoutefaçon,vousne....

—Ahnon,necommencezpasaveclesdiscoursféministesetsexistessansfin,lacoupa-t-illabouchepleine.Çanem’intéressepas.DeslasagnesFindus?Vraiment?OK,vousavezgagné:vousn’êtespasromantique,vousvisezmêmetrèsbas.Entantquenon-romantique,vousdevriezcomprendreque,sivotre

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ex est parti, c’est que c’était le destin. Il est tombéamoureux.Çan’a rien àvoir avecvous.Nevousmettezpasdanslatêtequececrétinétaittropbienpourvous.Ilfautquevouspassiezàautrechoseouvousfinirezeneffetvieillefilleavecquinzechatsàcrachersurtousleshommesdelaplanète.Labonnenouvelleétantquevouspourreztoutdemêmevousfairedeslasagnessurgelées.

—Neletraitezpasdecrétin,soupiraJuliette,etjefiniraipeut-êtrevieillefilleavecdeschats,maisvous,vousfinirezobèse,avectoutcequevousvousempiffrez.

Elleavaitunebouledanslagorge.Ilavaitraison.Nicolasl’avaitsûrementtrompée;illuiavaitpeut-êtrementipendantdesmois.

Ilnel’avaitjamaisrappeléepoursavoircommentelleallait,nimêmedemandésielleavaitretrouvéun travail. Il l’avait abandonnéedu jourau lendemainsansun regret.Son interlocuteurvit sesyeuxseremplirdelarmes,etsontons’adoucit.

—Jenevoulaispasvousfairedepeine.Jeplaisantais.Onnesaitjamais,voussavez.Vousallezpeut-êtrelerécupérer,votreRoméo.Lavieestimprévisiblepourceschoses-là.

Juliettehochalatêteetravalaseslarmes.Ellesesentaitidioteetfatiguée.L’hôtesserevintprendrelesplateauxvidesetservitledessert.Julietterefusa;ellen’avaitpasfaim.Ildemandas’ilpouvaitmangersonfondantauchocolat,etelleacquiesça.Elleallongeaensuitesonsiège,plaçalemasquesursesyeux,sesboulesQuièsdanssesoreillesetremontalacouetteau-dessusdesatête.Bercéeparlesmouvementsdel’avion,ellefinitpars’endormir.

Elle se réveillapour lepetit-déjeuner.Dehors, le soleilbrillait. IlsallaientbientôtatterriràDoha.Devant elle, sa tablette était dépliée. Un jus d’orange frais, un thé, des viennoiseries et des fruitsl’attendaient.

— Je vous ai pris du thé, déclara son voisin en enfournant dans sa bouche un énormemorceau decroissantrecouvertdeconfiture.Jemesuisditquevousétiezsuffisammentexcitéecommeçahiersoiretquevousn’aviezpasbesoindecafé.

—Merci,bâillaJuliette,àquisamigrainerappelaitlemélangealcool-calmantsdelaveille.Elleredressasonsiège,retirasonmasquedusommetdesatête.Elledevaitavoirunecoiffureetune

haleine atroces,mais c’était le cadet de ses soucis. Elle n’avait presque rienmangé la veille et elledévoratoutlecontenuduplateauensilence.

—Vousavezbonappétitcematin.Direque jecomptais récupérervotremuffin...Mais jevoisquevousn’enlaisserezpasunemiette.ÀquelleheureestvotrecorrespondancepourMalé?

—J’aihuitheuresd’attente,réponditJuliette.—Huitheuresd’attente?Ilrit.—Vousnesavezdoncofficiellementpasprendreunbilletd’avion.—C’estl’agencequil’apris,réponditJuliette,passuffisammentréveilléepoursevexer.—Moi,j’aimoinsd’uneheured’attente,dit-il,fierdeluicommeunpetitgarçonquiabienfaitses

devoirs.—Tantmieuxpourvous,ditJulietteenespérantqu’ilrateraitsacorrespondance.Mais ils arrivèrent bien à l’heure. Le visage collé au hublot, Juliette regardait l’eau turquoise, les

gratte-cielquisedressaientaumilieududésert.Dohaétaitunevilledeverreaumilieudenullepart.Quandellesentitl’aviondescendreetqu’ilyeutquelquesturbulences,elles’emparaànouveaudela

mainlaplusproche.—Pasdeproblème.Jevousautoriseàmebroyerànouveaulamaindevosmainsmoitesencadeau

d’adieu,grommelasonpropriétaire.L’atterrissage,finalement,futsupportable.Lechocdestrainssurlapistelasecouaunpeu,maissans

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plus.Àlasortiedel’avion,elleditaurevoiràsoncompagnondevoyage.—Vousêtestrèsbiencoiffée,luidit-ild’untonrailleurenluiserrantlamain.—Vousêtestrèsdésagréable,luirépondit-ellesurlemêmetonsanspouvoirretenirunsourire.Ilritetcontinuasuruntonplussérieux:—Passezdebonnesvacances.N’ayezpluspeurdel’avionetnecourezpastropaprèsvotrecrétin.—Nicolasn’estpasuncrétin,luirépondit-elleavecunemoueboudeuse.—Oui,voilà,Nicolas,unnomcommunpourunhommecommun.—Vousaussi,bonnesvacances.Netorturezpastropvosvoisinsdetableouvousferezfermerl’hôtel.—Aurevoir,Juliette.Illuifitunclind’œil.— Je ne voudrais pas rater mon avion ; après, je me retrouverais dans le vôtre et je perdrais

définitivementl’usagedemamaingauche.—Aurevoir.Attendez.C’estquoivotrenomaufait?—Mark,avecun«k»àlafin!luicria-t-ilsansseretourner,etillevalebrasensigned’adieu.Elle le regardadisparaîtredans la foule, sonblousonencuir sur lebras. Ilportaitun jeandélavé,

maisbiencoupéetunechemisebleueplutôtclassique.Ellesedemandaoùelleavaitpulecroiser.Elleétaitsûredel’avoirdéjàvuquelquepart.

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Rencontreavecletroisièmetypeduservicebagagesdel’aéroportinternationaldeMalé,RépubliquedesMaldives

Elleexaminaavecunsoupirsonvisagepâleetsescheveuxendésordredanslaglacedestoilettesdel’aéroport.Elleselavalesdents,recoiffatantbienquemalsesbouclesemmêléesetsepassalevisagesous l’eau.À côté d’elle, une jeune femmebrune à la peaumate lui sourit avant de rabaisser sur sonvisageunvoilenoir,quilarenditinvisibleauxyeuxdumonde.Juliettesesentitloin.LoindeParis,deses soucis et de ses préoccupations quotidiennes, et un frisson agréable lui chatouilla la colonnevertébrale.

Pendantdelonguesheures,ellearpentalesboutiqueshorstaxes,trouvantaffreuxdedevoirmanquertoutes ces bonnes affaires sous prétexte qu’elle n’avait plus de salaire. Elle attrapa sur une étagèrel’Essence cristalline Dermo Caviar de La Prairie, qui aurait réveillé la luminosité de sa peau pourseulementdeuxcent trente-sixeuros, la reposaà regretpour semettre à la recherched’uneconnexionInternet. Elle avait deux e-mails d’expéditeurs inconnus, qui lui écrivaient qu’elle leur avait étéchaudementrecommandéeetluidemandaientl’adressedesonsiteInternetpouraccéderàsesmenus.Illuiarrivaitdepenserqu’àquatrecentcinquanteeuroslasoirée,êtretraiteuràdomicileluirapporteraitautant,voireplusquesonancienpostedecommerciale.

Parfois, l’envie folle lui venait, bien qu’elle n’ait osé l’avouer à personne, de ne pas chercher dutravailtoutdesuite,maisd’essayerplutôtdetrouverdenouveauxclients,dedéposerunnomd’entrepriseetdesemettreàfairelacuisinedumatinausoir.L’idéeluitrottaitdanslatête.Quandellel’oubliait,ellerevenaitavec lapersistancedumoustiquequi tourneautourdudormeurpendant lesnuitsd’été.Elle lachassaetpoursuivitlalecturedesese-mails.AucuneréponsedeCarolineaumaildejoyeuxNoëlqu’elleluiavaitenvoyéavantledépart.

Elledevaitêtreavecsafamillepourlesfêtes.Julietteouvritunmessagedesamèrequiluisouhaitaitbonvoyageetluirecommandait,commequandelleavaitsixans,degarderuntee-shirtpoursebaigneràcausedusoleil.

Le dernier mail était plus intrigant. Il avait été envoyé par Christelle Crogue, la comptable deCleanOffice.Elleluiécrivaitsuruntonétonnammentaimabledelarappelerauplusvite.Juliettehésita,puisl’effaça.Aprèstout,elleétaitenvacances.

L’attenteluiparutinterminableet,quandenfinelleembarqua,elleregrettapresquel’absencedeMark.Lalargefemmeàcôtéd’ellen’avaitpasl’aird’avoirenviequ’onluitiennelamain.Juliettesecontentadefermerlesyeuxetdes’accrocherauxaccoudoirsavecl’énergiedudésespoir.L’avionétaitpluspetit,ilselaissaitmalmenerparlesturbulences.Ellesemitàrespirertrèsfortparlenezpendantquelafemmequimangeaitdespistacheslaregardaitavecétonnement.Juliettefinitparouvrirlesyeuxaprèsunlongsomme et elle osa regarder par le hublot. Elle savait bien que l’océan Indien était turquoise. Tout lemondelesait,maisdirequel’océanIndienestturquoise,c’estcommecompareruntoastdefoiegrasàunsandwichaupâté.

Cequ’ellevoyait,cen’étaitpasturquoise,c’étaitunemeraigue-marineplatecommeunenappe,surlaquellesedétachaientdestachesvertd’eau,auxdégradésdifférentsdevertetdebleuenfonctiondelaprofondeur des bancs de sable.Des centaines de petites îles blanches, dont certaines ne devaient pasfaireplusdequelquesmètrescarrés,sedétachaientsurlamerchatoyante.

Les rayons du soleil balayaient la surface et jouaient avec les couleurs de l’eau. Des bateaux depêche,minusculesaumilieudel’océan,paressaientausoleilenattendantqueletempspasse.

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Durant les quelques minutes qui précédèrent l’atterrissage, une secousse brutale la sortit de sacontemplation.Lesyeuxfermésetlesmainscrispéessurlesaccoudoirs,elledutànouveausupporterlesturbulencesetsavoisinequicroquaitsespistachesenlafixantavecl’intérêtfascinéd’untouristeentrainderegarderunsingeauzoodeVincennes.

Quandenfinelledescenditsaineetsauvedel’aviondanslepetitaéroportdeMalé,Julietteeutunesensation proche de celle que doit éprouver un navet qu’on jette dans une cocotte-minute. La chaleurmoitelapritàlagorge.Lespassagerstraversèrentàpiedlapetitepisted’atterrissagejusqu’àunbâtimentblanc recouvertde tôleonduléeauxalluresdepréfabriqué, sur lequelétait écrit avecprétentionMALÉ

INTERNATIONALAIRPORT .Pasdeclimatisation.Toutlemondes’agglutinaautourdel’uniquetapisàbagagesqui semit enmarcheengémissant. Juliettedégoulinaitde sueur.Sonmanteau, sonpull et sonécharpepesaientsursonbras lepoidsd’unânemort.Ellesentaitsespiedscuireà l’étoufféedanssesbottinesd’hiver.Quelquesvoyageursàlaprévoyancegermaniqueavaientéchangéleurschaussuresdevillecontreune paire de tongs qu’ils avaient sortie de leur bagage à main et regardaient les autres aveccondescendance.Lesvalisescommençaientàtourner;leschanceuxquiavaientdéjàrécupérélaleursedirigeaient vers la sortie, les autres attendaient, ruisselants et trépignant d’impatience. Au bout dequaranteminutesethuitpassagesd’unsacàdosHelloKittyrose,dontvisiblementpersonnen’assumaitlapropriété,lesdernierscompagnonsdevoyagedeJuliettepartirentavecleursvalises,etletapisroulantvide(àl’exceptiondusacrose)s’arrêtadansunhoquet.

Résignée, elle s’approcha de l’unique comptoir, où un employé regardait dans le vide. Elle luiexpliquaquesavalisen’étaitpaslà.Illuiréponditavecunimmensesourirequ’ilsavait,maisqu’ellenedevaitpass’inquiéter,carsavaliseétaitenlieusûràl’aéroportdeDohaqu’ellen’avaitjamaisquittéetqu’onl’avaitappelépourleluidireavantmêmequ’ellen’atterrisse.

Juliettesedemandapourquoiiln’avaitpasfaitunappelpourleluisignalerquaranteminutesplustôt,mais,désarméedevantsonsourireradieux,ellesecontentades’enquérirensoupirantàquelmomentellepourraitrécupérersavalise.Illuiréponditqu’ellearriveraitpeut-êtrelelendemainetque,sielledonnaitl’adressedesonhôtel,onlaluiferaitporter.

UnMaldivien l’attendait à la sortie avecunepancarte.Elle luiditbonjour.Elle avait rarement étéaussicontentedevoirquelqu’un.Elleallaitenfinpouvoirsedétendre.Ils’étonnadecequ’ellevoyageaitléger. Elle hocha la tête sans répondre. Mieux valait sourire bêtement que de se lancer dans desexplicationscompliquées.Ilsmontèrentdansunbateaupourrejoindrel’hôtel.

Elleregardait lamer, lesrefletsbleus, lespetites îlesdésertes, lesbancsdesableet lecielvideàl’infini,etréalisaqueçavalaitlapeine.Çavalaitlapeined’affronterl’aviondeuxfoisdesuite,devidersoncompteenbanqueaprèsavoirétélicenciéeetlarguée,neserait-cequepourvoirça.Elleoubliauninstantsavalisepleined’antimoustiquesetdecrèmessolairespourregarderlamer,et,pourlapremièrefoisdepuisdessemaines,ellesesentitpresquebien.SansNicolas,sanspersonne.

Arrivéesurl’île,elleenlevaseschaussuresavantdedescendre.Lesableétaitchaudsoussespiedsnus.Àlaréceptiondel’hôtel,uncomptoirsousuntoitdepaille,onlafitasseoirsuruncanapémoelleuxauxcoussinsblancs.Onluiapportauncocktaildefruitsfrais,qu’ellebutàpetitesgorgéesenremplissantleformulaired’arrivée.

Lamertransparentemontaitsurlaplageenvaguesdoucessouslesoleilcuisantetsefondaitaveclesabledansunclapotismélodieux.L’eaulaissaitunetracehumideetlisse,oùonavaitenviedeposersespieds nus. Le long de la rive, les bungalows aux toits de chaume donnaient directement sur la plage,isoléslesunsdesautresdansdesécrinsdeverdure.Unevégétationfoisonnantedecocotiers,d’arbresàpainetde figuiersbaniansoffraientauxbaigneursaprès laplageun îlotde fraîcheur remplidechantsd’oiseaux.UneMaldivienneenhabit localetausouriredouxcommedu laitdecocovint luiprésenter

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l’hôtel, le spa en plein air et ses soins relaxants dernier cri, le restaurant sur la plage et les activitésdiversesetvariées:promenadeenbateau,visited’îlesauxalentours,plongée,etc.Julietteécoutaitd’uneoreilledistraiteetsouriaitsanscesse.Sespaslégerssurlesablelaissaiententendreunsonfeutrésurlesentierbordédebuissonsfleuris.Ellesarrivèrentàsonbungalowcachésouslesfeuillesdecocotiers.Lajeunefemmeouvritlaporteetluicédalepassage.

Dans la pièce principale, aux murs lisses et crème, le lit en bois de rose était recouvert d’unemoustiquairevaporeusequitenaitplusdubaldaquinauchâteaudeVersaillesqued’uneprotectioncontrelesinsectes.Lesdrapsétaientparsemésdepétalesderoseetdecoussinsmoelleux.Julietteavaitenviedes’yjeterlesyeuxfermés.Lapièceavaitétémeubléeavecgoûtparundécorateurintérieurqu’onavaitconvoqué exprès de Londres : un canapé douillet à côté de la fenêtre, une armoire sculptée en boisexotique et une table sur laquelle reposaient une coupe de fruits frais et unmessage de bienvenue dumanager.Laporte-fenêtreàl’opposédel’entréeétaitouverteetdonnaitsurlaplage,labrisetièdeportaitdanslachambreunparfumdeseletdefleursd’hibiscus.Onapercevaitlamer,àquelquesmètres,etunhamacattachéentredeuxpalmiers.Deuxchaiseslonguesvidesfaisaientfaceàl’océanturquoise.

Juliettepritunedouchefraîche.Unpandemurdelasalledebainétaitouvertsurl’extérieur,etelleentendaitlemurmuredesvaguesetlechantdesoiseaux.Satroussedetoiletteperdueneluifitpasdéfaut,cartoutétaitfourniparl’hôtel.Enrevanche,illuifaudraitacheterdequoitenirjusqu’aulendemain,souspeinedepasservingt-quatreheuresnuesoussonpeignoir.

Elleressortitdelaboutiquedel’hôtelavecuneculotte,unmaillotdebain,unparéo,unerobepourserendreaurestaurantetuntubedecrèmesolaire.Ellehésitaàprendreunepairedetongs,cartousceuxqu’elleavaitcroisés,clientsetemployés,marchaientpiedsnus.Enretournantàsonbungalow,ellenevitquedes couples.Elle gardait unœil ouvert, espérant nepas apercevoir la silhouette deNicolas.Ellen’étaitpasvraimentàsonavantageavecseshabitsd’hiversurlesable.Elleavaitl’airautantdanssonélémentqu’unchatdegouttièredansunaquarium.

Danssachambre,elleenfilalemaillotdebainqu’ellevenaitd’acheteretressortittoutdesuitepourprofiterdusoleil.Elles’allongeasurlaplagejustedevantsonbungalowet,biendécidéeàsecultiveroudu moins à prétendre se cultiver si Nicolas lui tombait dessus, entama Anna Karenine. Dès qu’elleentendait une voix ou percevait unmouvement, elle levait la tête en sursautant, puis elle reprenait salecture,déçuequecenesoitpaslui.

Ellesebaigna ; l’eauétait tiède.De tempsen temps,ellevoyaitpasser lescouplesdesbungalowsvoisins.Auboutdel’embarcadère,elleaperçutdesplongeursquiembarquaientsurunbateauàmoteur.Onluiavaitditquelesfondsmarinsétaientextraordinaires,maislerisqued’accidentetl’idéedenagerneserait-cequ’àtroismètresdeprofondeurl’avaientdéjàdissuadéed’essayer.

Enfind’après-midi,lanuittombaendouceursurl’eauclaire,etellesesentitfatiguée.Elleretournadanssachambre,pritunedouchechaude,s’enveloppadansunpeignoiraprèss’êtretartinéedelaitaprès-soleil.

Elleappelalaréceptionpourdemandersionpouvaitluiserviràdînerdanssachambreetcommandaun gaspacho et une salade de crevettes. Quinze minutes plus tard, deux employés aux yeux sombresarrivaientavecunplateauetunsourire.Ilsdéposèrentavecdextéritélesdeuxassiettesprotégéesparuneclocheenargentsurlatablerecouvertecommeparmagied’unenappe.

Enuninstant,ilsavaientallumédesbougies,ouvertsonlitetbaissélamoustiquaire.Chacundeleursgestes,d’uneprécisionredoutable,dégageaituneétrangedouceur.Ilsnefaisaientpasplusdebruitqu’unesouris et ils repartirent aussi vite qu’ils étaient arrivés après un signe de tête respectueux. Juliette sesentitprincesseauroyaumedesMilleetUneNuits.

Avantdesecoucher,ensortantdufonddesonsacàmainsontéléphoneportable,elletrouvaquatorze

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appelsenabsencesur lepetitécran.QuatorzeappelsdeChiara.Sur lesmessages,elleavaitunevoixpressante.

Elleluidisaitqu’elleavaitapprisuneinformationcapitaleetqu’ilfallaitqueJuliettelarappelleauplusvite, depréférence avant d’arriver à l’hôtel.Aprèsun rapide calcul dedécalagehoraire, Julietterappela,maistombadirectementsurlamessagerie.Chiaradevaitêtreàl’hôpital.

D’habitude,ellenecoupaitpassonportable.Juliette,unpeuinquiète,laissaunmessagepourluidirequ’ilfallaitmieuxrappelersurletéléphonedelaréception,dontelleluidonnalenuméro,carellecaptaitmalleréseau.

Elleéteignitlalumièreetgardaletéléphoneallumésursatabledenuitenespérantqu’iln’yavaitpasdeproblèmeavecVittoria.Ellen’avaitpaséprouvéuneseulefoislebesoindeconsultersonhoroscopedepuissonarrivée.

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Réfutationdelatrèsthéoriquethéoriedelafidélitéconjugale,parNicolasDolgis

Lesoleilquipassaità travers lesrideauxdecotonblanc, lebruitdelameret lechantdesoiseauxréveillèrent Juliette en douceur. Elle paressa un peu, puis se leva, enfila son maillot de bain et sanouvelle robe.Elle se rendit à la réception pour demander si on avait des nouvelles de sa valise.Laréceptionnistel’informaqu’onlesavaitappeléspourleurdirequesonbagageétaitbienarrivéàMaléetseraitlivréàl’hôteld’iciquelquesheures.Letéléphonederrièreellesonnaitdepuisunebonneminute,mais l’employée regardait Juliette avecun air bienveillant, attendant la suitede sesquestions. Julietteallaitrepartirendirectiondubuffetdupetit-déjeuner,maiselleseravisaetsetournaànouveauverslajeunefemme.

—Au fait, j’aidesamisqui logent ici.Vousne sauriezpasdansquelbungalowse trouveNicolasDolgisparhasard?

La réceptionniste, toujours indifférente au téléphone qui sonnait depuis la troisième fois en cinqminutes,semitàtapersurleclavier,lesyeuxrivéssurl’écrandesonordinateur.ÀpeineJulietteavait-elleposélaquestionqu’ellelaregretta,maisdéjàl’employéerelevaitlatête:

—Voilà!MonsieurDolgisetmademoiselleArembert,bungalowquarante-six.Juliettecrutqu’ellevenaitd’êtrefrappéeparlafoudre.Lesvaguesetsoncœurs’arrêtèrentd’uncoup,

sesjambessemirentàtrembler.Pendantcinqbonnessecondes,ellerestamuette,laboucheouverte,avecl’impressiondecontemplerl’apocalypseentouteimpuissance.

—Pardon?finit-elleparbalbutier.Laréceptionnisterépétaavecpolitesse:—MonsieurNicolasDolgis etmademoiselleCarolineArembert, bungalowquarante-six.Çaneva

pas,mademoiselle?Juliettes’accrochaaucomptoirpournepastomber.—Vousvoulezboirequelquechose,mademoiselle?La réceptionniste avait l’air franchement inquiète. Le téléphone continuait de sonner et perçait les

tympans de Juliette. Un deuxième employé arriva en courant et décrocha. Juliette entendait laconversationdeloin,sesoreillesbourdonnaient.Laréceptionnistefitletourducomptoirpourl’aideràs’asseoir. Derrière, elle entendait l’employé en sourdine, comme si elle était immergée dans unebaignoirepleinedecoton.Ilhochaitlatêteavecvigueur.

—Oui,oui,jecomprends.Patientezuninstant,madame.Entre-temps,ontendaitàJuliette,pâlecommelamort,unverred’eauetonluiapportaitunechaise.

L’employéautéléphonesetournaverselle.—MademoiselleCharpentier,c’estbienvous?J’aiiciunepersonnequisouhaitevousjoindre.Elle

me dit que c’est une question de vie ou de mort et qu’elle a des informations, je cite, « strictementconfidentielles,capitalesetpolitiques».

—Passez-la-moi,ditJulietted’unevoixvacillante.— Je me demande si elle n’est pas sous l’emprise d’une substance illicite, marmonna-t-il en lui

tendantlecombiné.—Chiara?—Juliette!Enfin!Jet’ailaissédix-huitmessages,j’aimismonréveilàquatreheuresetdemiedu

matinpourt’avoir!J’aiapprisquelquechosedecatastrophiqueetdecapital.

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—Jesais.LavoixdeJulietteétaitpratiquementinaudible.—PourCaroline?Tusais?Tulesasvus?Quelleputtana!Jelesavais.Jenelasentaispas,cette

pétasse,depuisledébut.Chiarapartitdansunmonologued’insultesobscènes,majoritairementenitalien,carêtregrossieren

français,c’estêtrevulgaire,maisenitalien,c’estavoirducaractère.Elleluiracontaqu’elleétaittombéesurChloédanslarueetqu’elleavaitréaliséque,siChloéétaitàParis,ellen’étaitpasauxMaldives,etelleluiavaittirélesversdunez,l’airderien,endemandantdesnouvellesdeNicolas.Chloéavaitlâchélemorceauavecbeaucoupdenaturel,pensantvisiblementquetoutlemondeétaitdéjàaucourant.

Enétatdechoc,Julietteécoutaitd’uneoreille.Soudain,toutluisemblaitabsolumentévident.Carolinequiavaitperdutantdekilosdepuisunan…CarolinequinerépondaitpresquejamaisàsesappelsdepuisqueNicolas l’avait quittée… Ils se connaissaient depuis si longtemps, s’entendaient tellement bien…CommentJulietteavait-ellepuêtreaussiaveugle?Aussistupide?

Etellesemitàpleurer.—Caramia,nepleurepaspourcettesalope.Faireça,c’est tellementminable. Ilsneméritentpas

quetupleuresàcaused’eux...Mais Juliette n’arrivait plus à s’arrêter. La réceptionniste et l’autre employé avaient l’air aussi

désolésquesic’étaitàeuxqu’onavaitannoncélamauvaisenouvelleetluitendaientdeskleenexqu’elleprenait par poignées. Chiara continuait de soliloquer à l’autre bout du fil, expliquait qu’elle n’avaitjamais pu encadrerCaroline, qu’elle avait toujours su qu’elle louchait surNicolas et que c’était sansimportance,carJuliettevalaittellementmieuxquecesdeuxabrutis,qu’ellenesavaitmêmepaspourquoielleperdaitdutempsàparlerd’eux.Juliettepleuraitdeshectolitresdelarmes.Troisouquatreemployésdel’hôtelenuniformeentreprenaientmaintenantdelaconsolermaladroitementtoutensedemandantcequisepassait.

Puis,sortiedenullepart,unevoixtombaduciel:—Décidément,vousmesuivezàlatrace.Qu’est-cequivousarriveencore?Mark lacontemplaitavecunairunpeu inquiet.Enshortdebainmouillé,sescheveuxparsemésde

sable,ilgouttaitsanscomplexesurlesolimpeccabledelaréception.JulietteledévisageacommesiellevenaitdetomberparhasardsurlefantômedeBenLadenet,avant

qu’elleaitpuarticulerlemoindremot,ils’étaitemparédutéléphone.Sousl’œilpassionnédesemployésdel’hôteldeplusenplusnombreuxetcelui,éberlué,deJuliette,ilentamauneconversationavecChiara:

—Bonjour,àquiai-jel’honneur?Il sourità Julietteavecunsigne rassurantde lamainqui semblaitdire«Nevous inquiétezpas, je

m’occupedetout».—Ah!l’amieitalienne...Biensûr...Oui,oui,Juliettem’aparlédevous...Jesuisuntrèsbonamide

Juliette... Oui, nous partons en vacances ensemble... Han, han...Mark... Comment ça jamais parlé demoi?Jesuisoutré....Jesuissonmeilleurami...Oui,oui,peuimporte.C’estvousquilafaitespleurercommeça?...Oh!...

Ilfronçalessourcils.—Jevois...Ilhochalatêteetpritl’airconcentré.—Trèsbien,trèsbien...Oui...Unesacréesalope,commevousdites...Demandécommeça,difficile

derefuser...OK,OK...Nevousinquiétezpas,j’ailasituationenmain.Entre deux sanglots, Juliette émit un hoquet stupéfait qui ressemblait presque à un demi-sourire et

s’arrêtadepleurer.

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Markluitenditletéléphone.—Chiaraveutvousparler.—Sansblague,réponditJulietteenluiprenantlecombinédesmains.—Quiestcetype,caramia?—Personne,quelqu’unquej’airencontrédansl’avion.Marklevaunsourciloffenséàcettedescriptiondépréciative.Lesemployés,voyantquelasituation

perdaitenintensité,s’éloignaient,unpeudéçusqueledramen’aitpasprisplusd’ampleur.—Ilestcomment?demandaChiara.Célibataire?Mignon?Ilal’airfou,maisjenepensepasquetu

puissestepermettred’êtredifficilevulescirconstances.JulietteexaminaMarkd’unœilmorneetréponditdansletéléphone:—Çava,correct.—CorrectGeorgeClooneyoucorrectElephantMan?Tun’asjamaiseudesstandardstrèsélevés.Juliettelevalesyeuxauciel.—Jenesaispas,Chiara.Correct,quoi.—OK.Écoute-moibien:ilnefautpasquetutelaissesabattreparcesdeuxbastardos.J’aiordonnéà

cetypedet’inviteràdîner.Commeça,tun’auraspasl’aird’uneidiotetouteseuleenvacancesentraind’espionnertonexetsanouvellecopinequiestaccessoirementtonanciennemeilleurecopine.Tufinirasparlescroiseraurestaurantet,là,tuluicollesunegrosseclaqueentraversdelafigure.

—Àqui?Àluiouàelle?demandaJulietteenreniflant.—Auxdeux,c’estl’idéal,sinon,encoremieux,tuluirenversesuntrucsurlatête,depréférenceun

liquidebouillantetvisqueux.Chiaracontinuapendantunlongmomentàélaborertoutunprojetdevengeancesanguinaire.Juliette

hochaitlatête,promitdetoutmettreàexécutionsansenpenserunmotetfinitparraccrocheraprèsavoirjurédedonnerdesnouvelles etd’appeler immédiatement après ledéversementdu liquidebouillant etvisqueux sur la tête de Caroline, voire, si c’était possible, de prendre une photo ou une vidéo et del’envoyerparMMS.

Pendanttoutecettediscussion,Mark,quis’étaitassissurledivanblancdelaréception,faisaitminedelireunerevue.QuandJulietteraccrocha,illuidit:

—Vousavezpetit-déjeuné?Jemesuislevéàsixheurespourplongeretjemeursdefaim.Juliettesemouchaunboncoupetrépondit:—J’allaisaupetit-déjeuneretj’aieulabonneidéedepassericiavant.Elleluiracontalagaffedelaréceptionniste.—Elleal’airmarrante,votrecopineChiara.Folle,maismarrante.—Oui,gonflécommevousêtes,vousêtestoutàfaitsonstyle.Sivousvoulezetsivousêtessage,je

vouslaprésenteraiàParis.—Qu’est-cequivousditquemoncœurn’estpasdéjàpris?demanda-t-il,moqueur.Jesuispeut-être

mariéàunerichehéritièredetrenteansmonaînéequim’envoieenvacancesauxMaldivespourpassertranquillementlecapdelaménopause.

Juliettelevalesyeuxauciel,maisneputempêcherunsourire.—Onvamanger?—Jedéposemesbouteillesauclubetjevousrejoinsdanscinqminutes.Illuitenditseslunettesdesoleil.— Mettez ça. On dirait qu’on vient de vous apprendre la mort de votre mère ou que vous êtes

méchammentallergiqueàl’airmarin.Çavousvamoyen.Juliettemitleslunettessursonnezet,lavoixtremblante,luirépondit:

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—Mamèreestmorteilyatroismois.Jevousremerciedemerappelercetévénementdouloureux.Elletournalestalonsets’éloignarapidement.Cettefois,elleluiavaitcoupélesifflet.

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RoméoetJuliette,revuetcorrigéparMarkLenault

Elles’assitfaceàlamer.Sesorteilsnusgriffaientmécaniquementlesablesouslatable.Iln’étaitpasencoredixheuresdumatin.Leslève-tôtsedirigeaientverslebuffetdupetit-déjeuner.SansMarketsesplaisanteries,elleprenaitsoudainconsciencedelanouvellequ’ellevenaitd’apprendre.

Parfaitement immobile,unnœuddehuit à l’estomacet incapabled’avalerunebouchée, elle restaitassisedevantsa tablevide.Elleserépétait inlassablement«NicolasetCaroline,NicolasetCaroline,NicolasetCaroline...»C’étaitimpossible.Impossible.Satêteétaitvide,sespensées,écraséessousunsilencedemort,unsilencegluantquiserépandaitenfourmillementsglacésdelapointedesesorteilsausommet de son crâne et qui, malgré la chaleur, lui donnait la chair de poule. Elle ne bronchait pas,respirait le plus lentement possible. Le moindre mouvement de ses membres engourdis risquait dedéclencher une catastrophe, un effondrement, une crise de folie meurtrière. C’était comme si unmécanisme de défense s’était enclenché et avait désactivé momentanément sa capacité de réflexion.Commesielleétaitpasséeenpiloteautomatique.

Mark la réveilladesonétatde torpeurens’asseyanten faced’elle sansyêtre invité. Ilavait l’airembêté.

—C’estvraiquevotremèreestdécédéerécemment?Juliettelaissaunsilencepasser,maisellefinitparrépondred’unevoixatone:—Jenevouslediraipas.Çavousapprendraàfairedesblaguesidiotes.Ilsoupira,soulagé.—Nerefaitesjamaisça.Siçaavaitétévrai,jen’auraisplusjamaisosérefaireuneplaisanterie.—Jemedemandesiçaauraitétéunegrosseperte.Markéclataderire.—Trèsbien,jevouslaisseàvoscommentairesacerbesetjevaisaubuffet.Ilrevintquelquesminutesaprès,deuxassiettesenéquilibresursonbrasetdeuxverresdejusdefruits

qu’iltenaitdansuneseulemain.—Jevousaiprisdeschoseslégères.J’airemarquéquevousnesaviezpasappréciercequiétaitbon.IldéposadevantJulietteuneassietteavecdesfruits,dupainetdelaconfiture,etdevantlui-mêmeune

montagnecaloriqueconstituéed’œufsaubacon,decrêpes,demuffins,defruits,d’unyaourt,defromage,depainetd’autresalimentsdifficilementidentifiables,perdusdanslamêléeetrecouvertsd’unlitredesiropd’érable.Intriguée,Julietteoubliauninstantsessoucispourl’observers’empiffrer.

—Àcerythme-là,unesemainedevacancessurcetteîle,etvousprivezseshabitantsdetoutesleursressourcesalimentairespourlesdixannéesàvenir.Etcen’estpasvraiquejen’aimepascequiestbon.Aucontraire,j’envisagemêmededevenirtraiteuràdomicile.C’estjustequej’aitropdeproblèmesencemomentpouravoirfaim.

—Jepensaisaucontraireque les fillesquise font larguers’empiffraientdeglacesaméricainesenregardant des comédies romantiques stupides et, aux dernières nouvelles, vous étiez commerciale,répondit-il,labouchepleine.

Juliette lui expliqua en deuxmots son amour de la cuisine.Mark l’écouta attentivement, s’arrêtantmêmedemangerpendantuntempsrecordd’aumoinsquatresecondes.

—Pourquoivousnefaitespasçaplutôtquedechercherunautrejobdecommerciale?Vousenparlezavecbeaucoupplusdepassionquedevotreancienboulot.

Juliettehaussalesépaules.Elleseforçaàmangerunpeu.Lesfruitsétaientfondantsetsucrés,lejusétaitfrais,lesviennoiseries,tièdes,maiselleavaittoujourslagorgenouée.Elleluidemanda:

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—Vousfaitesquoidanslavie?Illevalatête,surpris,etsemblahésiteràrépondre.—Jemontedesboîtespar-cipar-là.Jesuisentrepreneur,finit-ilpardire.—C’estunefaçondiplomatiquededirequevousêteschômeur?demandaJuliette.— Non, je crée des start-up Internet et, quand elles sont lancées, je les revends à des fonds

d’investissement.Soudain,illuipritlamainetluifitunsourireangélique.—Juliette?—Quoi?dit-elleenretirantsamaind’unairoffusqué.—Votre crétin de Nicolas, cheveux filasse, mal coiffé, maigre comme un clou et une peau genre

cachetd’aspirinealbinos?Julietteleregarda,stupéfaite.—Jen’iraispasjusque-là,mais...—Nevousretournezpas.Ilestlà.Ilvousarepérée.Ilvousregardecommeundébilementaldevant

unfilmdeFrançoisTruffaut.Mark,penchéenavant,donnaitdesinstructionsàvoixbasse.—Nebougezpas,souriez...Éclatezderire...Voilà,trèsbien.Préparez-vous,ilarrive.—Ilestavecelle?balbutiaJuliettequicommençaitàpaniquer.Markneréponditpasetadressaunsourirejovialderrièreelle.—Juliette?ditlavoixincréduledeNicolas.— C’est un ami à toi, chérie ? demandaMark avec un sourire charmeur en caressant la joue de

Juliette.Juliette lui adressaun regard furieuxetdevint rougecommeune tomate.Nicolasdévisageait tourà

tourJulietteetMark,commes’ilvenaitdeseprendreunenoixdecocosurlatête.—Enchanté.RoméoMontaigu,déclaraMarkenserrantvigoureusementlamaindeNicolas.—NicolasDolgis,bredouillaNicolas.IlsetournaversJuliette.—Jecroyais...,jecroyaisquec’étaitannulé.—Annulé?Cesvacancesexceptionnellesausoleilavec l’amourdemavie?déclamaMarkavant

mêmequeJulietteaitpuouvrirlabouchepourrépondre.C’estuneplaisanterie,biensûr.—Oui...Non...Jesuispartiefinalement,ditJuliette.Puis, à l’entrée du restaurant, souriante et détendue, Caroline apparut. Juliette sentit une douleur

sourdedanssapoitrine.Ellenotaavecjalousiesonbronzagecaramel.Elleavaitvraimentmaigri,cetteconnasse.CarolinecherchadesyeuxNicolasetl’aperçutdedos,deboutàcôtéd’unetable.Ellenevitpastout

desuiteJulietteets’approchaensouriant.Arrivéeàleurhauteur,ellepâlit,etsonsouriredisparut.—Juliette?demanda-t-elledansunesortedecroassementstupéfait.—Quiestcettegrossedame,chérie?demandaMarkavecaffabilité.Uneamieàtoi?Carolineleregarda,outrée.Illuiserralamaind’autorité.—Enchanté, enchanté. Si j’avais su que nous tomberions sur les amis de Juliette dans cet endroit

paradisiaque...Vraiment,quelleheureusesurprise!CarolineignoraMark,retirasamainpourlaposersurlebrasnudeJuliettequilarepoussaavecune

mouedégoûtée.—Juliette,jevoulaisteledire,maislasituationétaitdéjàtellementdifficilepourtoi...

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Juliette la dévisagea avec horreur. Comment osait-elle lui parler ? Elle chercha des yeux quelquechosedebouillantetvisqueux,maisiln’yavaitriend’utilisableenvue.Aucasoù,ellerepéralacarafedejusd’orange.EllepréféraittoutefoisattendrelasoupedepoissonbrûlantepourmettrelesordresdeChiaraàexécution.

—Juliette,jesuisdésoléequetul’apprennescommeça,ditNicolas.Jevoulaisteparler,mais...—Allez-vous-en.Juliettes’étaitlevée,furieuse.Elleretiraleslunettesdesoleil,laissantapparaîtresesyeuxrougesde

chagrin. Sa voix était basse et haineuse, une voix qu’elle ne connaissait pas, qu’elle n’avait jamaisentendue.

—Nemeparlezpas.Plusjamais.Cequevousm’avezfait...Cequevousavezfaitdansmondosalorsquejevousfaisaisconfiance...

Ellefermalesyeuxuninstant,netrouvantpasdequalificatifsuffisant.—C’est,c’est...C’est...ignoble,souffla-t-elleenfin.Ignoble.NicolasetCarolinelaregardaient,l’airdésolé.—Écoute,Juliette...,commençaNicolas.Ilneputallerplusloin,carlamaindeJuliettevenaitdes’abattresursajoueaveclaviolenced’un

bouletdecanon.Ellequin’avaitjamaisfrappépersonnedesavie,elleymittantdeforcequ’ellesefitmalàlapaume.

Mark, qui s’était enfoncé dans son fauteuil les bras croisés et observait la scène avec beaucoupd’amusement, émit un petit grognement qui ressemblait à un rire réprimé. Les occupants du restaurantcommençaient à se retourner.Un serveur jetait un regard affolé à ses collègues, ne sachant s’il devaitinterveniroupas.

NicolasregardaitJuliettelaboucheentrouverte,samainposéesursajouequirougissaitpeuàpeu.Carolinelepritparlebraset,sansunmot,ilss’éloignèrent.

Markrigoladoucement.—Trèsbeaucoup,mademoiselle,murmura-t-il.J’espèrequevousneserezjamaisencolèrecontre

moi.Lesmainstremblantes,Julietteremitleslunettesdesoleilsursonnezetserassitsansrépondre.Ily

eutunlongsilence,puis,d’unseulcoup,ellesemitàpleurer.Degrosseslarmesd’enfanttristeroulaientsursesjouesrougesdecolère.

Markneditrien.IlpritlamaindeJuliettedanslasienneetellenelaretirapas.Lesyeuxbraquésversle large,vers lamercalmeet turquoise,et l’ombredespalmiersquidessinaitdesmotifs sur le sable,incapabledevoirquoiquecesoit,elleessayaitjustedenepass’étoufferdansseslarmes.

—Çavaaller,ditMark.Çavapasser.Toutpasse,mêmelepire.Sa voix grave, sa main chaude sur la sienne et son regard pour une fois dénué de toute malice

apaisaientJuliette. Il lui fallutcinqbonnesminutespourécouler lestockd’eauaccumulée,puis,peuàpeu,lessanglotss’espacèrentetdiminuèrentavantdesecalmertoutàfait.

—Vouspouvezvousmoucher là-dedans,ditMarken lui tendantsaserviettede table.Votrecopainm’acoupél’appétit.

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Vousmeprenezvraimentpourunegourdasse

Même l’arrivéedesavalise,qu’onvint luiapporterdanssachambre,neput remonter lemoraldeJuliette.Àlavuedesesrobesd’étésélectionnéesavecsoindanslebutdeséduireNicolas,ellesemitàsangloterdeplusbelle.Ellenesortitpasdelajournée.Ellen’avaitenviederien,sicen’estdepleurertoutesleslarmesdesoncorpssursesdrapsenpercale.

Mark avait été gentil. Il lui avait proposé de s’inscrire à la plongée ou de faire une excursion enbateau,maiselleavaitrefusé.

Enfind’après-midi,danslachambrerestéeclosetoutelajournée,lachaleurs’étaitfaiteétouffante.Ellen’avaitpastrouvélaforced’allumerlaclimatisation.

Julietteavait lesjouesbrûlantes,marquéesparleslarmeset lesplisdel’oreiller.Elleéprouvaunelégèresatisfactionenvoyantsonvisageravagéparlechagrindanslaglace.ElleauraitvouluqueNicolaslavoiedanscet état lamentableetqu’il culpabilise.Elle se rendit toutefoisà l’évidence : cela faisaitmaintenanthuitheuresqu’elleétaitseule,enferméedanssachambre,etpersonnen’étaitvenufrapperàsaporte.Tout lemonde secontrefichaitqu’elle aillebienoumal, surtoutNicolasqui était sansdouteentraindebatifoleravecCarolineauborddel’eaupendantqueJulietteétaitaufonddugouffre.

Elleregrettaitdel’avoirgiflé.Ellenepourraitplusluitéléphonerpourprendredesnouvellesl’airderien.Ellenepourraitplusprétendrequ’ilspouvaientresteramis.Elleétaitàdeuxdoigtsdeseremettreàpleurerdestrombes,quandonfrappaàlaporte.

Marksetenaitsurleseuil,lesmainsdanslespochesdesonjeanetlesdeuxpremiersboutonsdesachemise blanche ouverts. Il avait pris des couleurs. Son regard flegmatique descendit des cheveuxhirsutesdeJulietteàsarobefroisséeetilsourit.

—Vousneressemblezàrien,dit-ilenguisedesalutation.—Merci,réponditJuliette,vexée.Décidément,voussavezremonterlemoralauxgens.Elleavaitunpeuhontedesonlaisser-aller.—J’étaisvenuvousproposerunmarché,mais,enfindecompte,j’aichangéd’avis.Ilavaitl’airagacéetilfitminederepartir.Juliette,lamainsurlapoignée,hésitaunedemi-seconde,puiselledemanda,intriguée:—Attendez!Quelmarché?Aussipassionnantsoit-ilderesterallongéesursonlitenselamentantsursonsorthuitheuresdesuite,

ellemouraitd’ennuietétaitprêteàentendren’importequoiplutôtquedeseretrouverànouveautouteseuleàfixerleplafondenpleurnichant.

Marksoupiracommes’ilfaisaituneffortsurhumainpourrevenirsursespasetentrad’autoritédanslachambre.

—Voilà,dit-ilens’asseyantsurlelitdéfaitsansyêtreinvité.Moinonplusjen’étaispascensévenirseulenvacances.

—Vousdeviezveniravecqui?demandaJuliette,soudainintéressée.Votrecopine?—Non,un...,unami...Toujoursest-ilque j’aiuncoursdeplongéepour lepassageduPADI,payé

d’avance, dont je ne sais que faire puisque j’aimoi-même déjàmon PADI niveau deux, ainsi qu’uneréservationdéjàpayéepouruntrucauspa,auqueljen’aiaucuneintentiond’aller.

—C’estquoi,lePADI?—Unecertificationdeplongée,unpapierquivousautoriseàplongersansuninstructeur.—Etvotrecopain,ilsefaitsouventdessoinsauspa?Vousmeprenezvraimentpourunegourdasse...Markhaussaunsourcilimpatient.

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—Çanevousregardepasetc’estàprendreouàlaisser.Julietteluijetaunregardméfiant.Elleselaissatomberdansunfauteuilenosier.—Vousavezvraimentl’intentiondem’offrirtoutça?Pourquoi?—Parceque,globalement,jevoustrouveplutôtdivertissante.J’aipasséunejournéetrèsennuyeuse.

Impossibledefairetroispassurcetteîlesanstombersuruncoupled’amoureuxquiseregardentavecdesyeuxdevachessousLSD...

Juliettelevalesyeuxauciel.—Vousnecomprenezrienàl’amour.—Oui,c’estça,etvous,trèsclairement,vousaveztoutcompris,mademoisellelasagnessurgeléeset

pétalesderose.Enfin,c’estcommevousvoulez.Vousremarquerezquec’est trèsgénéreuxdemapart,carçam’obligeàpasseruncertaintempsàvousécoutervouslamentersurvotreexet,d’unautrecôté,çam’intéresse de voir quelles vont être les prochaines étapes de votre plan machiavélique pour lerécupérer,surtoutaprèslepainquevousluiavezcollédanslafigurecematin.

—Mouais...,ditJuliette,pasvraimentconvaincue.Markeutunsouriremalicieux.—OK,j’avouequevotrecopineChiaram’aordonnédem’occuperdevous.Nonseulementelleme

fait unpeupeur,mais enplus ellem’apromisdemeprésenter ses collèguesmannequins chezDior àParis... Je suis toujoursprêtà rendre service,commevousavezpu leconstater.Mevoicidonc,preuxchevalieraccourantàvotrerescousse.

Juliette ne répondit pas tout de suite. Elle réfléchissait. Certes, Mark l’exaspérait souvent, mais,parfois,commecematin,ilétaitpresquegentil.Ilétaitleseulquiaitréussiàlafairesouriredepuisdessemaines.Queferait-elledecesvacancesdetoutefaçonsiellerestaittouteseule?Ellen’avaitpasvidésoncompteenbanquepourpasserdixjoursàpleurersursonlit.

Etpuis,iln’étaitpastropmalavecsesyeuxquipétillaientetsonsouriremoqueur.Ilavaitmêmeuncertaincharme,etNicolaspourraitbienêtrejaloux...

—Pourquoipas?finit-ellepardire.Ileutunsouriretriomphant.—Parfait,c’estréglé.—Vousavezdûvraimentvousennuyeraujourd’hui.—Vousn’avezpasidée...Ilyaunecondition,enrevanche,c’estquevousfassiezunpetiteffortpour

avoirunetêtepotable.Lapremièrefoisquejevousaivue,jevousaitrouvéepastropmal,maislà,ondiraitquevoussorteztoutdroitd’unepoubelleradioactive.J’aifaituneffortvestimentaire,moi.

Ildésignad’ungestesachemiseetsonjeancommesic’étaitladernièrecréationdeKarlLagerfeld.—Sortez,ditJuliette,vexée.J’étaisentraindefairelasieste,c’esttout.—Vousétiezentraindevousapitoyersurvous-même,dit-ilenselevant.Retrouvez-moiaurestaurant

dansuneheure.Ilsortitenriant,etl’irritationdeJulietteluiredonnadel’énergie.Elleentrepritdedéfairesavaliseet

derangersesaffairesdans l’armoire.Elleglissaensuite lavalisevidesousson litetpritunedouche.Ellerestalongtempslesyeuxferméssouslejet,laissantl’eaudétendresesmusclescrispésetdéfroissersonvisagebouffi.

Ellesesécha,testal’huiledel’hôtel,quisentaitlanoixdecoco,enfilaunepetiterobeencotonnoireunpeutropdécolletée,maisqueNicolastrouvaitsexy.Elleappliquaunsoupçonderougeàlèvresetuncoupdecrayonnoir,etdécidadelaissersescheveuxsécheràl’airlibre.

Ellen’avaitnil’envieniletempsdebataillercontresesbouclespendantuneheurepourleslisser.Lerésultatdanslaglaceluiparutplutôtsatisfaisant.

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Embrasse-moi

Elleétaitenretard.ElleaperçutMarkdeloin;ilétaitdéjàassis.Plongédanssespensées,ilnelavitpasarriver.Pourunefois,ilnesouriaitpas;ilavaitmêmeunairvaguementabattu.C’étaitsûr,ilétaitcensépartirauxMaldivesavecunefemme.PersonnenevientauxMaldivesavec«unami».

Onyvaencoupleou,éventuellement,commeelle,pourpoursuivredescouples.Comptetenudetoutcequ’elleluiavaitracontésursespropresdéboiressentimentaux,ilauraitpuseconfieràelle.Ellesepromitdedécouvrirlefinmotdel’histoire.

Les tables étaient dressées directement sur la plage, sous une paillote éclairée par des torchesplantéesdanslesable.Lemurmuredesconversationssefondaitdanslebruissementdesvagues.

Surchaquetable,leslueursdepetitesbougiesfrémissaientàpeinedanslanuitchaude.JulietterepéraNicolasetCarolinequidînaientdel’autrecôtédelasalle.

Nicolasl’aperçutdeloinetbaissalatête,sonrirestoppénet.JuliettelevalementonetsedirigeaverslatabledeMark,nonsansjeterquelquescoupsd’œilencoinpourvoirsiNicolaslaregardait.

Mark leva la tête aumomentoùelle s’assit en facede lui. Il avait commandéunebouteilledevinrougequ’ilavaitdéjàentamée.

—Vousêtesenretard,mais,vul’étendueduravalementauquelvousavezprocédé,jevouspardonne,dit-ilavecunsourire.

— J’imagine que c’est votre idée d’un compliment, dit Juliette avec bonne humeur alors qu’il luiservaitunverredevin.J’espèrequevousavezchoisilevinlemoinscherdelacarte,parcequejevousrappellequejesuisruinée.

—Jevousinvitecesoir.Vousm’inviterezdemain.Commeça,jeseraiautoriséàboirecorrectementunjoursurdeux.

Juliettetrempaseslèvresdansleverre.—Jesaisqueçaenlèveraitunpeudepiquantàvosblaguesidiotes,mais,aupointoùonenest,on

pourraitpeut-êtresetutoyer,non?Markpritunairfaussementterrifié.—J’espèreque cen’est pas une tentativede rapprochement destinée à coucher avecmoi. Je vous

rappelle–pardon–,jeterappellequejesuislàuniquementpourt’observerpendantqueturamespourrécupérertonex.D’ailleurs,ilnousregardetouteslesdeuxsecondes.

—C’estvrai?demandaJulietteenseretournantd’uncoup.EllecroisaleregarddeNicolasquibaissaànouveaulesyeux.Onleurservitdesgambasgrilléesaubarbecue,puisJuliettepritdelapintade,etMark,duhomard.Il

cessasesplaisanteriesunmomentpourluiposerdesquestionssursonamourdelacuisine.Juliette,defilen aiguille, en vint à évoquer le dîner chez Françoise Chasteignac et son envie de devenir traiteur àdomicile, d’abord timidement, puis de plus en plus sûre d’elle, comme si elle se convainquait enconvainquantMark.Lesidéesaffluaientdanssatêtesansqu’ellesached’oùellesprovenaient.

Ellenes’arrêtaitplusdeparler.Markposaitdesquestions,donnaitfranchementsonopinionsurtousles points que Juliette abordait. Il affirma qu’elle pourrait faire desmariages, que, les gens ayant demoinsenmoinsletempsdecuisiner,Parisétaitremplideclientspotentielsdeplusenplusnombreuxetqu’iln’yavaitaucuneraisonpourqueçanemarchepas.

Ça faisait longtemps que Juliette ne s’était pas sentie aussi bien. Pourquoi pas, après tout ? Ellepouvaitdemanderunprêt,dequoimonterunsiteInternet,louerunlocalpourcuisineretfairegoûtersesclients.

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Illuisuffiraitdetrouverunappartementunpeuplusgrandquecequ’elleauraitlouépourelletouteseule.À la pensée qu’elle allait devoir habiter seule, son cœur se serra légèrement,mais l’excitationrepritledessus.

Ils avaient fini de dîner, Mark observait avec un sourire amusé la succession des sentiments quipassaientsurlevisagedeJuliette.Appuyésurledossierdesonsiège,sonverreàlamain,ilfinitparluidire:

—Tudevraislefaire.Onnevitqu’unefois,tusais.—C’estplusfacileàdirequ’àfaire...— Au contraire, c’est plus facile à faire qu’à dire, répondit Mark en buvant une gorgée. Si tu y

réfléchistrop,tunetelancerasjamais.Danslavie,ilfautfoncer,réfléchiraprès.—C’estcommeçaqu’onfinitruiné,ditJulietteenriant.—C’estcommeçaqu’onfinitriche.Tuasàlafoislesqualitésculinairesetl’aspect«business».Je

suissûrqueçapeutmarcher.—Maisc’estlacrise,soupiraJuliettesansvéritableconviction.ÇaluiremontaitlemoralqueMarkestimequ’ellesoitcapabled’untelprojet,elle,quelasimpleidée

deprendrel’avionépouvantaitetquiavaitréussiàsefairelicencier,largueretruinerenuntempsrecordsansmême réagir... Tout à coup, elle se sentit forte, courageuse ; elle avait l’impression de rayonnerd’assurance.Àmoinsquecenesoitd’ivresse,satêtetournaitunpeu.

Ilsdécidèrentd’allerboireundernierverreaubardelaplage,etJuliette,unpeusaoule,s’affalasurlescoussinsetdemandaàMarkd’allercommanderpourelle.

—Tuessûrequetuveuxunepiñacolada?J’ail’impressionquetutitubes,ditMarkenhaussantlessourcils.

—Oui,oui,çavatrèsbien,ditJuliette,griséeàlafoisparl’alcooletsesprojetsdemultinationale.Un vent tiède entrait sous la paillote, apportant des senteurs de fleurs exotiques. Juliette retira ses

sandalespoursentirlesablesoussespiedsetfermalesyeux.Elleavaittropbu,maiselles’enfichait.Elleavaitenvied’êtresurunbateauenmer,d’affronterdestempêtes,dedécouvriruneîledéserte.Markrevenaitaveclescocktails.ElleaperçutderrièreluiNicolasquis’approchaitdubar.Ilétaitseuletpiedsnus.Lesmainsdanslespochesd’unpantalonentoilebeige,ilportaitunechemiseenlinfroissée.IlvitJulietteetluifitunsourireempreintd’unetelletristessequ’elleenfutbouleversée.D’unseulcoup,elleoublialebateau,l’îledéserteetsesprojetsd’entrepreneuriat.

Iln’yavaitplusqueluietcesourirequicontenaittouslesregretsdumonde.Dansunélanirrationneletdésespéré,ellemitsamainsurcelledeMark,quiposaitlescocktailssurlatableetluiditd’untonautoritaire:

—Embrasse-moi.Illaregarda,stupéfait.Ilyeutcommeunsemblantd’hésitationdanssonregard,puisilseretournaet

aperçutNicolas.Ilretirasamainetditd’untonglacial:—Vraiment, Juliette ?Décidément, tune reculesdevant rien. Je te l’ai dit, je n’ai pas lamoindre

enviedecoucheravectoi.—Non,maisc’estjustepour...—Tun’espasdutoutmonstyle,coupa-t-il,mêmeaveccetterobetropdécolletée.Juliette,écarlate,seredressasursonfauteuil.—Cen’estpaslapeined’êtreinsultant...— En revanche, si tu veux, j’ai le contact d’un ami qui travaille aux alcooliques anonymes. Ça

pourraitt’êtreutile.Il parlait avec une impassibilité encore plus exaspérante que son ironie habituelle. Elle se leva,

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furieuse.—Jevaismecoucher.Mercid’avoirgâchémapremièresoiréeagréableenunmois.Elles’éloignaàgrandesenjambéesetilnelaretintpas.Sacolèreretombaviteetelleregrettasatentative.Elleavaitétéridicule.Qu’est-cequiluiavaitpris

deluiordonnerdel’embrasser?LeregardtristedeNicolasluirevenaitsanscesseenmémoire.Elleyavaitludesremords,elleenétaitsûre,voireunpeudedésespoir.Toutn’étaitpasperdu.Elles’approchade lamer, sentit l’eau caresser ses pieds nus, se dit qu’elle était heureuse d’être icimalgré tous lesconcoursdecirconstancesabsurdesqu’ilavaitfallupourenarriverlà.Ellerestaunlongmomentdansl’obscurité, assise sur le sable à écouter lamer. Puis, avec ses piedsmouillés et sa robe d’été, elles’aperçutqu’elleavaitfroidetrentradoucementàsonbungalow.

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Définitiondel’esthétisme,parKurtAnderson

Juliettes’étaitréveilléetôtavecunemigraineàsetaperlatêtecontrelemur.Attabléepourlepetit-déjeuner, un jus de fruits devant elle, elle contemplait, enmaudissant la bouteille de vin de la veille,l’océanquireflétaitlesoleilmatinal.

Ilétaitencoresuffisammenttôtpourqu’ilyaitpeudemondeaurestaurant.Elledéplaçasonbrasausoleil pour sentir la chaleur. Entre ses paupières entrouvertes, elle vit Mark s’approcher d’un pasnonchalant.

—Bonjour,dit-ilplutôtfroidementenarrivantdevantelle.Elleesquissaunsouriregêné.—Salut.—Tun’aspasoubliéqu’onpartaitplongeràneufheures?Ilparaissaitavoiroubliéleurdispute.—Jen’aipastrèsenvie,ditJuliette.Dans l’enthousiasme de la veille où tout semblait possible et facile, elle avait accepté de

l’accompagner,maisl’idéesemblaitbeaucoupmoinsbrillanteavecsamigraineetlaterreurpaniquedesprofondeursquilafrapperait,ellelesentait,àlasecondeoùellemettraitsatêtesousl’eau.

—Tutedégonfles?demandaMark.—Pasd’ironieavantmidi.J’aimalàlatête,répondit-elle,agacée.Ils’assitenfaced’elle.Ilavaitjusteuntee-shirtpar-dessussonshortdebaindéjàmouillé.—Tufaislatêtepourhier?demanda-t-il.—Non.Ileutunrirebref.—Tun’aspasl’airdebonnehumeurpourtant.Écoute,jesuisdésolé,j’aiétédésagréable.—Ça, je te le confirme, marmonna Juliette, mais ce n’est pas ça. Je n’ai juste pas envie d’aller

plonger.Markpoussaungrossoupir,appuyasesbrascroiséssurlatableetsepenchaverselle.—Tuterendscomptequejetedonnel’occasiondepassergratuitementtonPADIdanslesplusbeaux

fondsmarinsdumondeetquetudisnon?Tuaspeurdequoi?Detefairemordreparunhippocampe?—C’estdangereux,répliquaJuliette,sansconviction.—Dommage.Tuvisàvingt-huitanscommesituenavaisquatre-vingt-dix.MamieJacquelineserait

trèsdéçuesielletevoyait.Juliettesemauditdeluiavoirparlédesagrand-mère.Ellesesouvintdubouillonnementqu’elleavait

ressentilaveilleausoir.Elle s’était sentie envahie par une excitation incontrôlable, capable de monter une entreprise, de

prendrel’avionjusqu’auboutdumonde.Markn’avaitpeut-êtrepastoutàfaittort.—C’estbon,jeviens,finit-elleparlâcheravecunsoupir.Laisse-moijustefinirmonpetit-déjeuner.

Jeterejoinsdanscinqminutesaucentre.—Parfait.Illaquittaunsouriresatisfaitauxlèvres,nonsansavoiraupassageattrapésurlebuffetuncroissant,

unebanane,unmuffinauxmyrtillesetunetranchedejambonsurunetartine.Julietteportaitdéjàsonmaillotsoussarobedeplage.Elleterminasonjusdefruitsetsoncroissantet

se dirigea vers le centre de plongée. La plage était déserte sous le soleil déjà étincelant. Seuls lesplongeursmatinauxétaientdéjàlevés.Unsouffledeventlégercaressaitlesabledéjàtiède,lesvagues

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paisibles venaient mourir sur la plage, presque en silence. Au centre, cinq ou six personnes déjàharnachées, lacombinaisonenfiléeuniquementsur les jambespournepassouffrirde lachaleuret lesbouteilles d’oxygène sur le dos, s’apprêtaient àmonter dans un bateau àmoteur pour partir au large.Mark,toutsourire,discutaitavecunejeunefemmeàlapeauhâlée.QuandJuliettearriva,ellel’entenditluiproposerdansunanglaisparfaitdeportersabouteillejusqu’aubateau,cequelablondeacceptaensouriant.PuisilseretournaversJuliette:

—Onpartaularge.TuvasfairetonbaptêmeavecKurt.Jel’aiprévenuquetuarrivais.Àl’intérieurdelapaillotequitenaitlieudecentredeplongée,Julietteaperçutl’ombredudénommé

Kurt,quidistribuaitdesmasquesetdestubasauxplongeurssurledépart.—Oùest-cequetuasapprisàparleraussibienanglais?demanda-t-elleàMark.—Mamèreétaitaméricaine.J’aivécuàNewYorkjusqu’àdixans,puisjesuisrentréenFranceavec

monpère.—Maisjecroyaisquetamère...—Oui,mamèreestpartie,lacoupa-t-il.J’aivécuenFrancededixàvingt-cinqans,maisçanem’a

pasfaitoubliermonanglais.Julietten’osapasposerplusdequestions.ImpossibledesonderlesyeuxdeMarkderrièreseslunettes

de soleil. Son ton restait neutre, et son sourire, poli, mais elle sentait qu’il n’avait pas envie des’éterniser sur le sujet. Il enfila sa bouteille d’oxygène aussi facilement qu’un sac à dos vide etpoursuivit:

—Jevaisplongeraumilieudesrequins.VavoirKurt.Tespremièresplongéessontdites«enmilieuprotégé».Tuserasàunedizainedemètresdubordettun’asrienàcraindre.

Ilmitsonmasquedeplongéesurlesommetdesoncrâne,etJulietteluisourit.—Amuse-toibien.—Toiaussi,répondit-ilens’éloignant.Il partait nager parmi des requins avec le flegme de quelqu’un qui va faire ses courses au

supermarché. Juliette ne put s’empêcher d’admirer son pas intrépide. À sa place, elle se seraitprobablementévanouieavantmêmed’avoiratteintleponton.

—Sarah?demandaunevoixderrièreelle.Elleseretourna.LefameuxKurtétaitsortidelapaillote.Éblouieparlesoleil,elleclignadesyeux

sansbienvoirsonvisage.—Non,moi,c’estJuliette,dit-elleenluitendantlamain.Puisellecroisasonregardetletempss’arrêta.Kurtfaisaitunmètrequatre-vingt-sept.Lapeaubronzéedesespectorauxmusclésdevaitavoirlegoût

du sel, sesyeuxbleuclair couleurglacierdévisageaient Julietted’unair interrogateur et elle ressentitsoudainunenécessitéabsoluedepasser lamaindanssescheveuxblondcalifornien.Ellevenaitd’êtretéléportéedansunepublicitéRipCurl;c’étaitlaseuleexplicationlogique.

Uncourtinstant,elleenvisageadeluiroulerunepelle.Elleauraitpuprétendrequec’étaitlatraditionen France quand on rencontre un étranger et que s’offusquer de cette coutume revenait à risquer unaccidentdiplomatiquemajeur,maiselleseravisa.

Commeilprovoquaitlesmêmessymptômessuràpeuprèstouteslesfemmesqu’ilcroisait,àsavoir,uneincapacitéàfermerlabouche,unedilatationdespupilles,accompagnéed’unemontéedefièvreet,danscertainscas,unecrisedemutismeplusoumoinsprolongée,Kurtattendit lescinqsecondesqu’illaissaittoujoursàsesinterlocutricespourremonterleurmâchoireetreprendreleursesprits,puisilsouritàJuliette.

—Oh!Yeah,right,tonamiMark,ilditàuncollèguedesnôtres,qu’ilnepeutpasveniraveclafille

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actuelle,maisuneautre,whatever.Pasqu’onsoitdéçusouriend’avoir toi instead ; ilyadesétoilessouventanyway.

Kurtavaitunevoixgrave,nonchalante,etunaccentàcouperà la tronçonneuse,cequidonnaitàsaperfection virile un côté touchant (bien entendu, s’il avait été moche, ça lui aurait juste donné l’airabruti).Julietteledévisageaitsanscomprendreuntraîtremotdecequ’ildisaitetfonditcommechocolataumicro-ondes.Elleauraitpucaressersontorsedebronzeenprétendantavoiruntroubleobsessionnelducomportement,maisc’étaitsûrementinterdit.CommeauLouvre,onregardelesœuvresd’art,maisonne touche pas. Kurt constituait indubitablement la plus belle vue depuis le début des vacances, et cen’étaitpaspeudire.Ellelecontemplaitavecunsourirebéat,pendantquelui,toujourssouriant,toujoursincompréhensible,continuait:

—Tufairelebaptême?Tuasjamaisplongébefore?—Non,jamaisplongébefore,ditJuliette.Jepeuxvousprendreenphoto?Elleauraitpuparleranglais.Sonniveauétaitplusquesuffisant,maispourrienaumondeellenese

seraitprivéedel’accentdeKurt.Unautreélèves’étaitinscritaucours.Ils’appelaitTimothy.IlattendaitKurtaffalésurunechaisedans

lasalledeformationenmâchantunchewing-gum.Julietteavaittoujoursétéincapablededonnerunâgeauxenfants.Elle lui attribuadixans.DésireusedemontreràKurtqu’elleaimait lesenfantsetqu’elleétaitdoncféminine,sympathiqueetgénéreuse,elledemandaàTimothyensepenchantenavantetenluitapotantlatête:

—Tuasquelâge,monpetit?Illaregardacommesielleétaitarriéréeetluiréponditavecarrogance:—Quatorzeans.Gênée,elleretirasamaindusommetdesoncrâneets’assitàcôtédeluisansplusriendire.Kurt leurenseignale langagedessignespropreauplongeur,commentdirequetoutétaitOK,qu’ils

n’avaientplusd’air,qu’ondescendaitouqu’onremontait.Ilannonçaqu’ilsallaientfairedesexercicesdans le lagon,s’entraîneràcommuniquersous l’eauetqu’ensuite ilsferaient«uneplongéepetitecinqmètresbas».S’ilsvoulaient continuer après lebaptême, ilspourraient suivre la formationauPADIàpartirdulendemainetobtenirlecertificatquilesautoriseraitàplongersansmoniteur.

Timothyréponditd’unaircrâneque,biensûr,ilallaitpasserlePADI.IlseretournaversJulietteetdemanda:

—Ettoi?—Peut-être,réponditJuliettepournepaspasserpourunetrouillarde.Ellepourraittoujoursinvoqueruneallergietrèsrareàl’iodepournepasrevenir.Ellen’écoutariendel’explicationsurlematérieldeplongéeet lesdangersmortelssusceptiblesde

découlerd’unactedenégligence.C’étaitbeaucoupplusintéressantd’observerledéfilédefemmesauxyeuxbrillantsquivenaientdirebonjouràKurt,enprofitantaupassagepourluicaresserlebras,riaientaux éclats dès qu’il ouvrait la bouche pour sortir une de ses phrases à la signification mystérieuse,s’inscrivaient à n’importe quelle activité pour peu qu’il y participe, y compris le taekwondo niveauexpertdusamedimatin.

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Recettedel’écrevisseàl’étouffée,parJulietteCharpentier

Une fois la partie théorique terminée, Kurt aida Juliette et Timothy à monter leur matériel et lesemmena dans le lagon. Ils nagèrent à une quinzaine de mètres du rivage. Juliette éprouva une légèreangoisseaumomentoùKurtluiplaçaledétendeurdanslaboucheetluifitsignededescendresousl’eau,maisilétaithorsdequestionqu’ellepassepourunepauvrecruchedevantlui;ilétaitbientropbeau.Elleprit doncunegrande inspirationet se laissa couler àdeuxmètresdeprofondeur avec l’impressiondedescendreaufinfonddesabysses.

Elleouvritlesyeuxdansunmondepeintenbleuetvert.Ellen’entendaitplusquelarésonancedesaproprerespiration.Chaquemouvementsefaisaitauralenti,etunesérénitéimmensel’envahit.

Contrairement à ce que Juliette redoutait, respirer dans la bouteille devint rapidement naturel. Sonseul regret était d’étouffer dans une combinaison trop étroite, mais elle avait trouvé constructif decertifier à Kurt qu’elle faisait un petit trente-six plutôt qu’un bon trente-huit. Avec légèreté sous lasurface,ellefitavecapplicationsesexercices:remplirsonmasqued’eau,levider,lâchersondétendeur,lerécupérer,dégonfleretregonflersongilet,pendantqueTimothy,àcôté,simulaitunenarcoseàl’azote,emplissaitsonmasqueetnelevidaitpas,louchait,levaitlesyeuxauciel,s’éloignaitdubordpourpasserlabarrièredecorail,plaçaitsamaindresséesurlesommetdesoncrâneenregardantauloinavecunairterrifié pour faire croire qu’il avait vu un requin, puis prétendait être mort, étendu au fond de l’eaupendantdelonguesminutesenmodecadavre.

Dèsqu’elleterminaitunexercice,Kurtapplaudissaitensilencesousl’eauavecunsourireextatiqueetdenombreuxgestesdesbrasetdesjambesdestinésàexprimersansparolesautantd’enthousiasmequesiellevenaitdegagnerleprixNobeldelapaix.Ensuite,ilallaitchercherTimothyavecunairfurieuxetdegrands signes menaçants, dont l’unique effet était de rendre le garçon absolument hilare derrière sonmasque,aupointqu’ilenperdaitsondétendeuretsenoyaitàmoitié.

Ilsnagèrentunpeuplusau large, et Julietteouvritdesyeuxémerveillés.Elledécouvraitunmondedontellen’avaitjamaisimaginél’existence.Elleauraitpuresterassisependantdixanssurunrocheràcontemplerlespoissonsmulticoloresetlesalguesbleuesetvertesondulerdansl’eautransparente.IlluisemblaitbienavoirvuunextraitduMondedeNémoenDVD,maissaconnaissancedumondesous-marins’arrêtaitlà.Kurtluiavaitexpliquéqu’onappelaitlaterrela«bleueplanète»,car«quatre-vingtspourcentdeçaestdel’eau».Elles’étaitdemandésic’étaitvrai;ellenes’étaitjamaisposélaquestion.Unnuagedepoissonspassaautourd’eux.Leurcorpsrayénoiretblancs’attachaitàunedrôledetêtejaune.C’étaitmagique.Lesanimauxmarinsvaquaientàleursoccupationsenlesignorant,commes’ilsn’étaienteux-mêmes rien de plus que d’autres poissons un peu plus gros et déguisés en cosmonautes. Certainssemblaientfairelatête,d’autresétaientmortsderiredansl’eaupaisible.Julietten’avaitjamaisvuautantdecouleurssecôtoyeràl’airlibre.

Lafauneet laflorerivalisaientsur toutes les teintesde l’arc-en-ciel.ChiaraauraitA-D-O-R-É.ÇadevaitressembleraudernierdéfiléValentino.Enmieux.Kurtsemouvaitdansl’eaucommesurterre.Ilcontrôlait parfaitement sa flottabilité, soulevait des cailloux pour leur montrer des animaux cachés,repéraitlespetitsyeuxnoirsdesraiesenterréesdanslesableetexploraitlestrousetlesgrottesdontilconnaissaittousleshabitants.Juliettelesuivaitavecdesyeuxdemerlanfrit.

Quandilsremontèrentàlasurface,elleétaitintarissable.Avaient-ilsvucedrôledepoissonaveclacrête bleue ? Et les hippocampes ? C’était si petit. Elle ne savait pas que c’était aussi petit, unhippocampe.Etlescoraux?Ilsétaientpasdingues,lescoraux?

Kurt souriait, contentqu’aumoinsundesesdeuxélèvesait l’airdes’intéresserunminimumàson

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cours.Timothyréponditd’unairsupérieur:—Bah, ouais, on les a vus, on a des yeux.Moi, c’estmon troisièmebaptême.T’inquiète que, les

hippocampes, j’en ai vu un paquet et j’m’en tape.C’est des requins que je voulais voir ou des raiesmanta...Bon,Kurt,mec,jereviensc’taprèmm’inscrireauPADIavecmonpère.Çaroule?

PuisilsetournaversJuliette:—Onfaitlecoursensemblealors?Saquestions’accompagnaitd’uncoupdementoncrâneetd’unregardlubriquequidétaillaitJuliette

d’unpeutropprèsetsignifiaitsansaucundoute«T’esbonne».—Oui,oui,ditJuliette,tropsurexcitéepours’enoffusquer.Satisfait,Timothypartitensecurantlenez.—Commentjepeuxm’inscrirepourpasserlePADI?demandaJulietteàKurt.Elle trépignait. Elle aurait voulu commencer l’après-midimême.Kurt l’emmena à l’intérieur de la

paillote et la fit s’asseoir devant le bureau. Il ouvrit un grand cahier, dont les pages étaient toutesgondoléesd’humidité.

—Tupeuxdébuterdemainaumatin,dit-il,avecGeorginaoualorslejouraprèsdemainavecje.—Après-demainavectu,c’esttrèsbien,déclaraJuliette.Demain,j’aidéjàquelquechosedeprévu.C’étaitfaux,maisilétaithorsdequestiondeplongeravecGeorgina,Kurtfaisantpartieintégrantede

labeautédesfondsmarinsdesMaldives.Ilnefitaucuncommentaire.Ilavaitl’habitude,etlapauvreGeorginaaussi,sansdoute.—OK, je te inscris pour le jour après demain. En attendant, tu devoir lire lebook de la plongée

PADI.IlluitenditunlivrebleuintituléOpenDiverManual.—Attention,testdanslesquelquesjours,dit-ilenriantetensecouantl’index.—Jedoispayerquelquechosetoutdesuite?demandaJuliette,ravieàl’idéedesevoiradministrer

untestparlebeauKurt.—Non,non,toutdéjàpayédeMark.C’étaitleSarahcours,tusais.Ilditquetusuivreàsaplace:

ellenepasvient.—Sarah, l’amie deMark ? demanda Juliette, l’air de rien en plaçant sonmasque, son tuba et ses

palmesdanslegrandbaquetd’eaudouceprévuàceteffet.—Yeah.C’esttellementsad,cequis’avoirpassé,ditKurtenhochantlatêted’unairdésolé.Ah!ils

revientdurequin.Jevois leboat.Tupeuxprendreundouchesur leplage. Jem’occupede ranger leschoses.MaisavecPADI,c’esttoiquiapprendrasdedémonterlesbouteilles!

Ilramassasabouteilled’oxygèneetentrepritderangerlesaffairesqueTimothyavaitlaisséesentassurlesol.

Juliette se doucha sur la plage, les yeux fermés sous l’eau tiède de la douchette. Elle essora sescheveuxemmêlésparleseletlemasque.SarahétaitclairementlacopinedeMarkou,plusprobablement,sonex.Ellemouraitd’envied’ensavoirplus.Ques’était-ilpassé?Est-cequ’ilss’étaientdisputésavantdepartirenvacances?Ilnevoulaitpasenparlerpuisqu’illuiavaitditqu’ilavaitpayédesactivitéspour«unami».C’étaitsûrementpourçaqu’ilétaitparfoisaussidésagréable:ilavaitlecœurbrisé.

Elleessayad’imagineràquoiressemblaitlacopinedeMark.Ilavaitditqu’elle-mêmen’étaitpassonstyle.Elleselareprésentablonde,trèsgrandeettrèsminceavecdesyeuxbleuclairetglacés.Ellenedevaitpasêtregentille.PauvreMark.Elleobservaitleborddemer.Lebateaudeplongéeétaitderetour,entraind’accoster,etKurts’approchaitduponton,torseetpiedsnus,toutsourirederrièresesRay-Ban.Ilcommençaàdéchargerlebateauetàaiderlesfemmesàdescendre.Iltapaitdanslamaindeshommescommesitousétaientsesmeilleursamis.Juliettecoupal’eaudeladouche,étalasaservietteausoleil,

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puiss’étenditdessustoutenrêvassantauxpectorauxbronzésdubeauKurt.Elles’imaginaépousantKurtsur laplage,piedsnusavecunesimple robeblancheetune fleurde frangipanierdans sescheveuxauvent. Ils vivraient au soleil, d’amour et de sardines grillées. Chiara viendrait régulièrement voir sesfilleulsetpasserdesvacancesderêveaveceux.Enrevanche,sesparentsneviendraientjamaisjusqu’ici.EuxquiétaientpartisenBelgiquepourleurlunedemiel,cen’étaitmêmepaslapeined’ypenser.EllesedemandasiKurtvalaitlapeinequ’ellecoupedéfinitivementlespontsavecsesparents.ElleleregardaitavecjalousierireauxproposdelajeunefemmeblondeavecquiMarkdiscutaitunpeuplustôt.Elleétaitvisiblemententrainderaconterquelquechosed’hilarant,carKurt,Marketuntroisièmetypebedonnantsemblaientmourir de rire à chacune de ses paroles tout en louchant probablement dans son décolletéderrièreleurslunettesdesoleil.MarkdutdemanderàKurtoùJulietteétait,carilfitungestedubrasdanssadirection,puisilsseserrèrentlamain,etMarksedirigeaverselle.

—Tunedevraispasresterenpleinsoleilcommeça.Tuvasbrûler.—C’estjusteletempsdesécher,réponditJuliettesansouvrirlesyeux.Lesoleiltapait,mais,pourlemoment,c’étaittropagréablepourqu’ellebouge.—Ilparaîtqueçat’aplualors?demandaMark.Ilouvritlerobinetdeladoucheetserinçasommairement.Ilfrottasescheveuxbrunspourenretirerle

sableetlesel.—Oui,c’étaitgénial,réponditJuliettequisortitdesatorpeurpourluiracontersamatinée.ElleluiparladeTimothy,desfemmesquivenaientvoirKurtsousdefauxprétextespourposerleur

mainsursesbiceps,despoissonsdépressifsetdespoissonseuphoriques.Ils’étaitassissurlesableàcôté d’elle et riait à ses histoires. Il semblait avoir baissé sa garde. Juliette hésita avant de poser laquestionquiluibrûlaitleslèvres.

—C’estvraimentgentildem’offrirtoutça.MaisquiestSarah,Mark?LesouriredeMarkdisparut.Ilremitseslunettesdesoleiletselevabrusquement.—Personne.Ilfautquej’yaille.Tunedéjeunespas?—Non,jevaisresterunpeu.Jen’aipasfaim,réponditJuliette,malàl’aised’avoirétéindiscrète.—Tunedevraisvraimentpasresterausoleilsanschapeau.Tuvasattraperuneinsolation.Tuasmis

delacrème?Savoixétaitmonocorde.Ilnelaregardaitpas,commes’ilposaitlaquestionpourleprincipe,mais

quelaréponseluiimportâtpeu.—Oui,mentitJuliette.Elleavaitmisdelacrème.Maissurlevisageseulement.Etcematinàhuitheures.Avantdepassertroisheuresdesuitedanslameretdeprendreunedouchependantvingtminutes.Mais,oui,c’étaitvrai,elleavaitmisdelacrème.—Trèsbien,àplus,ditMarkentournantlestalons.Julietteleregardas’éloigner.Iln’étaitpasmalnonplus.Bienentendu,iln’atteignaitpasleniveaude

Kurt,mais,objectivement,iln’étaitpasmal.Elleaimaitbienlesmaigresd’habitude,etluiétaitplutôtdugenremassif;legenrequ’onn’embêtepasdanslemétro.

Il fallait qu’elle arrête de regarder tous les hommes qui passaient comme des amants potentiels.Qu’est-cequiluiprenait?ElleeutunepenséecoupablepourNicolasqu’elleréprimaaussitôt.LuinesegênaitpasavecCaroline.Elleavaitbienledroitd’imaginercequ’ellevoulaitavecquiellevoulait.Ilfautdireque,mêmeavantleurrupture,ilsnefaisaientplusl’amourtrèssouvent.D’ailleurs,ladernièrefois,c’était...,c’étaitquand?Oui,lafoisoùilsétaientrentrésdelasoiréed’anniversairedeCaroline.Ils

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avaientunpeubu.C’étaittroissemainesavantqu’ilnelaquitte.Siçasetrouve,ilavaitpenséàCarolinetoutlelong.Ellesesouvenaitmaintenant:NicolasetCaroavaientpasséunebonnepartiedelasoiréeàrigolerdevantlafenêtredusalon,pendantqu’elleavaitpassélamêmebonnepartiedelasoiréeàtartinerdutaramasurdesblinis,remplirdessaladiersdechips,mettredespizzasaufour,sortirdespizzasdufour,placerlesvingt-neufbougiessurlegâteaudeCarolinequ’elleavaitpréparéetapporté,lecouper,ledistribuer,couperlespizzas...Bonnepoire,va.

Depuisplusieurssemaines,personnenel’avaittouchéeoumêmesimplementembrassée.Elleavaitététropaccaparéepartoussesproblèmespouryavoirréfléchiplustôt.LavisiondeKurtetdesesmusclesparfaits avait réveillé en elle un trouble qu’elle n’avait pas ressenti depuis belle lurette. Pour êtrehonnête,ellen’avaitjamaiscomprispourquoiChiaraéprouvaitlebesoinderameneruneàdeuxfoisparsemaine un homme dans son lit. Pour Juliette, c’était sans doute le principal avantage du célibat, depouvoir se glisser dans des draps propres avec son bouquin sans être interrompue au bout de troisminutesparunepairedemainsbaladeusesetinsistantes.Évidemment,avant,c’étaitdifférent.AudébutdesarelationavecNicolas,c’étaitintense,elleenavaitenvietoutletemps,ilsnepouvaientpaspasseruneheureensemblesansfinircollésl’unàl’autreàseroulerdespelles,enmodeKateetLeonardodansTitanic. Peut-être qu’elle était devenue un mauvais coup. Elle regardait toujours avec beaucoup desurprise, au cinéma, des actrices lascives gémir et renverser leur tête de plaisir, parfois hurler en sedemandantcequ’elle-mêmefaisaitdemalpournejamaisémettrepluspendantl’amourqu’unesortedepetitcriétonnéverslafin,engénéralsimuléetquinesignifiaitpas«Continue,c’estbon»,maisplutôt«Terminevite,jemelèveàseptheuresdemain».

C’étaitunesortedesignalentreeux.Nicolasconsidéraitalorsqu’ilavaitfaitsontravail,proféraitunrâleettendaittoutsoncorpsunedernièrefoisavantdes’affalersurJuliettecommes’ilvenaitdefaireunecrisecardiaqueà la find’unmarathon.Juliettes’étaitdemandésielleétaitdevenuefrigide.ÇanepouvaitpasêtrelafautedupauvreNicolasquiavaitdûlirequelquepartquelesfemmesavaientbesoindepréliminairesetquis’yadonnaitpendantparfoisplusdequaranteminutesavantdepasserauxchosessérieuses.Ellen’osaitpasleluidire,maiselledétestaitça.Çan’enfinissaitjamais.Unefois,elles’étaitmêmeendormiependant.Heureusement,unepressionplusdouloureusequelesautresl’avaitréveilléeensursaut, ce qu’il avait interprété comme unemarque de jouissance intense, et il avait minutieusementcontinué à appuyer de plus en plus fort au même endroit, jusqu’à ce que, la douleur étant devenueinsupportable,ellesemetteàcrier.Ilavaitapprécié.

Elleavaitbienessayéd’enparleràChiara,quis’étaitexclaméequeçanel’étonnaitpas,queNicolasavait écrit «mauvais coup » sur le front, qu’elle l’avait toujours su et que, bien sûr que non, Julietten’était pas frigide ; simplement, elle sortait avec un handicapé. Juliette avait arrêté aussi sec laconversationavecl’impressioncoupabled’avoirtrahiNicolas.

Laplongéel’avait fatiguée.Ellesesentaitbien,allongéesur lesabledoux,avec lebruitde lamerpourberceuse,etelles’endormit.Elleseréveillaplusieursheuresplus tardquandunemainposéesursonépauledéclenchauneondededouleurtellequ’ellepoussaunhurlement.

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Toutesleschosesvaêtreallright,honey

—Juliette?Juliette?Elleentrouvritlesyeux,etleseulcontactdesespaupièressursonarcadesourcilièreluidonnaenvie

dehurler.Kurtétaitpenchésurelle, l’air inquiet.Avec lasensationquechaquecentimètrecarrédesapeauétaitcraqueléetrôticommecelled’unechipolatasurungril,ellesedressasuruncoude.Combiendetempsavait-elledormi?Kurtluitenditlamainpourl’aideràserelever.Lemoindrefrottementsurlaservietteétaitunsupplice.

— Tu restais ici pour deux heures, toi qui es blanc comme lait. Tu être rouge comme un lobstermaintenant.

Il l’emmena jusqu’à la douche de plage et lui conseilla de rester sous l’eau froide pendant troisminutes,puisdelerejoindreàl’ombredelapaillote,oùilluifitboiredeforceundemi-litred’eau.Ill’accompagnaensuiteà l’infirmerieet laquittaen luidisantd’un tonrassurant,samainsursonépaule(contactàlafoisdélicieusementagréableetépouvantablementdouloureux):

—Toutesleschosesvaêtreallright,honey.ToutesleschosessontOK.Lemédecin examina la partie gauche du visage de Juliette (la joue droite avait été épargnée, car

Juliette s’était endormie appuyée dessus), puis son dos entièrement brûlé par le soleil. Ses épaulestiraientpresquesurleviolet.Aprèsunebonneminutederéflexion,ildéclara,lessourcilsfroncés:

—Coupdesoleil.Çavalait lecoupde fairedixansd’étudespourarriveràcetteconclusion. Ilenduisit sondos, son

visageetl’arrièredesesjambesdeBiafineetluilaissaletubeenluiordonnantdes’entartinertouteslesquatreheures,derestercloîtréedanssonbungalowaumoinsjusqu’aulendemainetdeboiredeuxlitresd’eauparjour.

De retour dans sa chambre, Juliette ôta avec précaution sonmaillot de bain, essayant d’éviter toutcontactentreletissuetsapeau,puisdécouvrit,épouvantée,sonrefletdanslaglace.Deface,elleétaitblanchecommeunnavet,dedos,elleétaitrougecommeunpoivron.

Sonvisageécarlateàgauche,blafardàdroite, résumait à laperfection soncorpsbicolore.Elle sejugealaideetridicule.Commelemédecinl’avaitrecommandé,elles’allongeaensoupirantsursonlit,gardantàportéedemainletubedeBiafineetsabouteilled’eau.

Onfrappaàlaporteenfindesoirée.Juliette,quiétaitentraindeliresonmanueldeplongéecouchéesurlecôtéblancdesoncorps,allaouvrir.C’étaitMark.Ilentrasansyêtreinvitéetréprimaunsourirequandillavit.

—J’étaisétonnédenepastevoiraudîneretj’aicroiséKurtquim’aditquetuétaisrougecommeunhomard.Jesuisdoncpassévérifierquec’étaitbienlecas.

Juliettesoupira,elleétaitfatiguée,pasvraimentd’humeuràentendrelesblaguesdeMark.—Tuesvenujusqu’icipourmedireça?—Oui,turessemblesaudrapeaualsacien.Heureusementquejet’aiditdenepasresterausoleil...—Çava,çava,râlaJuliette,quinesavaitpasvraimentàquoiressemblaitledrapeaualsacien.Ils’assitsursonlit,eutungestedésinvolte.—C’est bon, je plaisante. Je t’ai commandé de la soupe et de l’eau.Elle ne devrait pas tarder à

arriver.Elleletrouvagonflé,commed’habitude,maisçaluifitplaisirquequelqu’unsepréoccupedesavoir

commentelleallait.Onnetardapasàfrapperdenouveauàlaporte.Markallaouvrir,souritàl’hommequiapportaitla

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soupeet,pourydéposerleplateau,débarrassalatabledutasinformeconstituéparleparéodeJuliette,sa crème solaire, deux robes et un maillot de bain encore humide qu’elle n’avait pas eu le couraged’étendre.

—Howareyou,Madam?demandal’employéavecunregardintéressésurlevisagedeJuliette.— Très bien, merci, répondit Juliette en souriant du côté droit uniquement, le gauche étant trop

douloureux.L’hommenesortitpastoutdesuite.Ilcontinuaitdeladévisageravecunairnavré.Markluiglissaun

pourboiredanslamain.—Thankyouverymuch.Haveagoodnight.—Goodnight,Sir.Ihopeyourwifefeelsbetter.—Yes, thanks, réponditMark en refermant la porte sans prendre la peine de préciser que Juliette

n’étaitpassafemme.Ilservitleboldesoupe,unlégersourireauxlèvres.—Mange.Aveclasurfacedepeauqu’iltefautreconstituer,tuasbesoindeforces.Etboisdel’eau.

Tuesprivéed’alcoolcesoir.—Gnagnagna,réponditJuliette,moitiéirritée,moitiéamusée.C’estpasavecunesoupedelégumes

quejevaisreconstituermesforces...Ileutl’airétonné,voireunpeuembêté.—Lesfillesmangenttellementpeu…Jepensais...Situveux,onpeutrappelerpourautrechose?—Non,cen’estpaslapeine,jeplaisantais,ditJuliette.Etelleajoutamentalementl’anorexieàlalistedesqualitésdel’exdeMark.—Kurtm’aditquetun’allaispasàlaplongéedemain?Tupourrasresteràl’ombreavectaBiafine

et ça iramieux. On crève de chaud ici, continuaMark en cherchant des yeux la télécommande de laclimatisation.

Il la trouva dans un tiroir, tripota quelques boutons, et un courant d’air frais effleura le visage deJuliette.

—Jesuiscontrelaclimatisation.Çadétruitl’environnement.Enréalité,ellen’avaitpastrouvélatélécommandeetn’avaitpasosédemander.— Il fait trente degrés dans cette chambre et ça ne peut pas être sain quand tu as déjà la tête de

quelqu’unquisortd’unecocotte-minute.Juliettepouffa,lenezdanssonboldesoupe.Mark s’assit de nouveau et entreprit de lui raconter sa journée. Il avait plongé à trentemètres de

profondeuretnagéavecdesraiesmanta.Ilselançaensuitedansunecomparaisonentrelesfondsmarinsdel’océanIndienetceuxdelamerRouge.

Elle lui demanda s’il avait beaucoup voyagé et elle oublia demanger en écoutant le récit de sesaventures.Ilavaitparcouruunebonnepartiedumonde.Ilconnaissaittoutel’AmériqueduSud;ilavaitfaitdestreksenInde;ilavaitvécuenAustralie.IlluiracontaitlajungleduGuatemala,lespyramidesdeTikalau leverdusoleilquandlessingeshurlent, l’ascensionduKilimandjaroauKenyaet lesattaquesd’hippopotames.Parfois,ilsetaisaituninstant,lesyeuxdanslevague,commedébordantdesouvenirsexotiques, et Juliette se surprit à l’envier. Il avait l’air d’avoir seulement quatre ou cinq ans de plusqu’elleetilavaitvécutellementplusintensément.

Ellesesentitàl’étroitdanssaviepassée.Sesaspirationsluiparurentsoudaindérisoires.Elleavaitpeurqu’illuiposedesquestionsetden’avoirriend’autreàraconterquedesvacancesdansleGersetquelquesweek-endsauxArcs.Elleremplitunverred’eauglacée.Lesimplecontactduverrefroiddanssamainluifitdubien.

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—C’estmarrant,commechoixdevacances,lesMaldives.Çan’apasl’aird’êtretontruc,debronzertoutelajournéesurlaplage,non?

Illaregardabizarrement,hésitaavantderépondre.—Effectivement,àpartlaplongée,lesMaldivesn’ontpasgrandintérêtpourmoi.—Pourquoituesvenualors?demandaJuliette.LerirebrefdeMarksonnafaux.Ilyeutunblanc,etJulietteregrettasaquestion.—C’étaitmonvoyagedenoces,Juliette.Ellesemorditlalèvre.Lesproposdel’hôtesselejourdudépartluirevinrentenmémoire:«Siça

peutvousconsoler,j’aienregistréunhommequelquesminutesavantvous,dontlemariageaétéannuléetquipartaitseulenvoyagedenoces.»

—Jesuisdésolée,murmura-t-elle.Elleauraitdûdeviner.Lamoitiédesclientsde l’hôtel étaient envoyagedenoces.C’était la seule

explication plausible de la présence d’un aventurier commeMark sur une plage des Maldives, sanscrocodiles,sanstemplesbouddhistesoupyramidesmayasàescalader.Ellesentaitlapartiedroitedesonvisages’empourprerautantquelagauche.Ellecherchaunmotgentil,maisrienneluivenaitàl’esprit.

UnsourireplacideapparutsurleslèvresdeMark.—C’estbon,faispascettetête,tunepouvaispassavoir.Juliette eut envie de le consoler, de lui dire que ça passerait, qu’on se remettait de tout, mais,

incapabledetrouverlesmotsjustes,elleditlapremièrechosequiluipassaparlatête:—Cen’estpastropcompliquédetravaillersurtaboîtequandtuestoutletempsenvoyage?Mark se leva, plaça la bouteille et le verre d’eau encore à moitié plein sur sa table de nuit et

débarrassaJuliettedesonbolvide.Ildéposaleplateaudevantlaportedesachambre.— Je ne suis pas tout le temps en voyage. J’ai beaucoup voyagé quand j’étais encore étudiant.

L’Australie,j’ailancéuneboîtelà-bas.Donc,j’ytravaillaisautantquejevoyageaiset,detoutefaçon,jenesorsjamaissansça.

IlsortitsoniPhonedesapoche.—Jesuistoujoursconnecté.Aufond,iln’yapasunjouroùjenetravaillepas.—C’estpassionnant,tavie,soupiraJuliette.Moi,ilnem’arrivejamaisrien.Ilhaussalesépaules.—Ilnet’arrivejamaisrienparcequetunesorsjamaisdetazonedeconfort.Regardelaplongée:tu

asessayéetçat’aplu.Ilétaitappuyécontrelemur,lesmainsdanslespochesdesonjean,aveccetteironielégèreaucoin

des lèvres qu’il arborait presque toujours, comme si rien, jamais, ne méritait d’être pris au sérieux.Juliettesedemandasubitementcommentilsecomportaitquandilavaitunefemmedanssesbras.

—Mark,qu’est-cequis’estpasséavecSarah?C’étaitsortitoutseul.IlyeutunlongsilenceetànouveauMarksourit,imperturbable.—Elleavaituneconceptionunpeutroplibreducouple.—Elleestpartieavecquelqu’und’autre?—Elleacouchéavecquelqu’und’autreetelleapenséqueceneseraitpasgrave.—Oh!...Ettun’aspaspului...pardonner.Lesourirenefaiblitpas,maisJuliettevitlamâchoiredeMarksecontracter.—Pardonner?Onnepardonnepasl’impardonnable.—C’esttoil’idéaliste,aufond.Çaarriveplussouventqu’onnelecroitdefairecegenred’erreur.—Tues tropgentille,Juliette.Tupensesque lesgenspeuventchanger…Tufiniras toujourspar te

faireavoir.

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Ilyavaitunenotecondescendantedanssontonquilapiquaauvif,etelleluiréponditsèchement:—Non, je ne suis pas trop gentille. Je pense qu’il n’y a pas de couple sans difficulté, c’est tout.

Personnen’estparfait.Il leva les yeux au ciel et fit un mouvement vers la porte. Elle regretta d’avoir évoqué un sujet

sensible.Çanelaregardaitpas,aprèstout,maisellen’avaitpasenviequelaconversations’arrêtelà.—Ellefaisaitquoidanslavie,elle?Ellebossaitavectoisurtesboîtes?Ilavaitlamainsurlapoignée,etJulietteétaitassisesursonlit.Illafixauninstant,surpris,commesi

elleavaitposéunequestiontotalementabsurde,mais,quandilvitqu’elleattendaituneréponse,ilrit.—Non,onnebossaitpasensemble,Dieumerci.Bonnenuit,Juliette.Ilhésita,puisillâchalapoignéeet,endeuxenjambées,ilrevintàcôtédulit.Ilsepenchaverselleet,

dansunmomentdepanique, elle sedemanda s’il n’allait pas l’embrasser.S’il l’embrassait, qu’est-cequ’elleferait?Fallait-illerepoussergentimentoulelaisserfaire?Iln’iraitpasforcémentplusloin.Oualorstournerlatêteauderniermomentl’airgênéetsurtoutneplusjamaisenparler?

Maisildéposajusteunbaisersursajoueblancheetrépéta:—Bonnenuit,Juliette.Quandlaporteserefermaderrièrelui,malgrésonsoulagement,ellerestaallongéesurledos,lesyeux

fixésauplafonddanslalumièretamisée.Ellesedemandaits’ilembrassaitbien,s’ilyavaitpenséaumomentoùils’étaitpenchésurelle.Elle

espéraqu’ellen’empestaitpastroplaBiafine.Ilsavaitcequ’elleavaitvécu.Ils’étaitprisluiaussilagiflemagistraledumomentoùoncomprend

qu’onn’est pas l’amour de la vie de l’amour de sa vie, que, pendant qu’on rêvaitmariage et enfants,l’autrepensaitlargageetamant.Contrairementauxautres,ilnel’avaitpaspriseenpitié,mais,l’airderien,ill’avaitfaitrire.Illuiavaitchangélesidées.Ilavaitréussiàlasecouerunpeu,àlasortirdesatorpeur, et c’était précisément ce dont elle avait besoin. Elle se sentit submergée par une vague deculpabilité.Ellen’avaitpenséqu’àelle,tropoccupéequ’elleétaitàseplaindrepourserendrecomptequ’ilsouffrait.Peut-êtrequ’ellepouvaitallerfrapperàsaporte,luiproposerunebaladesurlaplage,lespiedsdansl’eau.Peut-êtremêmequ’illuiprendraitlamain.

Àquoipensait-elle?Elleétaitvenuejusqu’icipourrécupérerNicolas,paspourfairedenouvellesrencontres.Ellesecoua

latêtepourenfairesortircesréflexionsabsurdesetéteignitlalumière.Elle somnolait déjà quand on frappa à la porte. Bizarrement euphorique, elle se leva d’un bond,

rallumaetvérifiadevantlaglacequ’ellen’étaitpastropmalcoiffée,passasonpoucesurseslèvrespourvérifierqu’ellesn’étaientpasgercéesparlesoleiletlissasescheveuxduplatdelamain.

Elleouvritlaporte,etsonsouriredisparut.—J’aimarchédansunboldesoupe,ditNicolas.Puisillevalatêteverselleet,voyantqu’elleneréagissaitpas,ilcontinua:—Maisqu’est-cequit’estarrivé?Ondiraitquetut’esprisuncoupdechalumeaudanslafigure.

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Sixmois.SIXMOIS?!

Juliettes’imaginaitouvriràMarketc’étaitNicolas,unpiedcouvertdesoupe,quisetenaitdevantsaportesansqu’ellel’aitniprisenfilatureniharceléoumenacé.Çatenaitdumiracleet,pourtant,lamaincrispéesurlapoignée,ellehésitait.Ellenedevaitpaslelaisserentrer.

Mieuxvalaitréfléchirposémentàl’attitudeàadopter(etparréfléchirposément,elleentendaitpasseruncoupdefilhystériqueàChiara)etprierNicolasderepasserlelendemain,letempsdemettreenplaceune stratégie optimale. Oui, voilà. Elle allait lui dire qu’elle était malade et qu’elle préférait qu’ilrevienneuneautrefois.Elleinspiraungrandcoup.

—Nicolas,jepréféreraisque...—Jepeuxentrer?l’interrompit-il.—B...Biensûr,dit-elle,prisedecourt.Ilrefermalaportederrièrelui,grattasursonmentonsabarbenaissante.—Jevoulaisseulement tedire..., tedirequej’étaisdésolé.Désolédetoutcequis’estpasséentre

nous,Juliette.Ilfixaitlesolavecuneintensitéquilaissaitprésumerqu’ilétaitsoittrèsmalàl’aise,soitentrainde

découvriravecémerveillementetpourlapremièrefoisl’existencedesesdixorteils.—C’esttrèsbien,ditJulietteavecunefroideurquil’impressionnaelle-même,maisçanesuffitpas

d’êtredésolé.—Jesais.J’espèrequ’unjourtupourrasmepardonner.Jenevoulaispasteblesseroutementir.J’ai

étélâcheetmalhonnête,ettuneleméritaispas...Cen’étaitpasprévu.Tusais,unjour,onavaitunpeubu,etCarolinem’aditenrigolantqueçafaisaitdouzeansqu’elleétaitamoureusedemoiet,jenesaispas,ça...,çaadérapé.Aprèscoup,jemesuisrenducomptequemoiaussi...

—Jen’aipasbesoindesdétails,lecoupaJuliette.—Excuse-moi,excuse-moi,jesuisindélicat...Juliettesavaitqu’elleauraitdûluidirequ’ellenel’excusaitpasetlejeterdehors,maiselleavaittrop

attenducetteconversationetelleavaitbesoinderéponses.—Çaduraitdepuiscombiendetemps?Dis-moilavérité,s’ilteplaît.Ilsoupira,ébouriffasescheveuxd’unemainavecunairdepetitgarçonperduet,pendantuninstant,

elleeutenviedeprendresatêtesursonépauleetdetoutluipardonner.—Sixmois.—SIXMOIS?!Elle avait hurlé. Elle n’avait plus du tout envie de prendre sa tête sur son épaule et de tout lui

pardonner.—Jesais,jesais,c’esthorrible.Jen’arrivaispasàmedécider,jetenaisbeaucoupàtoiet...—J’enairaslebol.—Pardon?—Ras-le-bold’êtretropgentille.Dégagedemachambre.Elles’étaitredresséeetluiindiquaitlaported’ungesteindigné.— Juliette, je suis venu m’excuser. C’est important que tu comprennes. Je n’ai pas fait ça par

méchancetéoumanquederespect,je...—Nicolas, je te jure,si tun’espasdehorsdanstroissecondes, je t’encolleune.Ensuite, j’iraien

colleruneàl’autreconnasse.Quelque part, elle avait toujours conservé l’espoir absurde qu’il ne l’avait pas trompée, l’idée

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insenséequetoutecettehistoiren’étaitqu’unmauvaismomentàpasseretqu’illuireviendrait.Mais,unefoisdeplus,ellen’avaitriencompris.Ilculpabilisait,maisilnerevenaitpas,ilnereviendraitpas.Etelleétaitlà,às’apitoyersurluicommeunecrétinealorsquelaseulechosequ’ilméritait,c’étaitunboncoupdegenoudansl’entrejambepourluiremettrelesidéesenplace.Ets’ilbalbutiaitencoreunefoisqu’ilétaitdésolé,elleallaitexploser,passerenmodedragonet luicracherà lafiguretoutela laveenfusionquibouillaitenelle,luicreverlesyeux,legriffer,l’insulter...

Maisellesemitàpleurer.Ellepleuraittoutesleslarmesdesoncorps.Onnediraitplusdésormais«JulietteetNicolas»,mais

«CaroetNico».Ill’avaittrompée,ilavaitfaitunchoix,ilavaitpréféréluimentiretlablesserplutôtquedetenterderecollerlesmorceauxcassés.Elleleconnaissaitassezbienpoursavoirquesesremordsétaientsincères,etça luibroyaitencoreplus lecœur.Qu’il la trompeetqu’il la largue,passeencore,mais qu’il la prenne en pitié parce qu’il l’avait trompée et larguée, c’était le seau d’eau qui faisaitdéborderlevase.

Elle aurait voulu avoir la fierté de contenir ses larmes jusqu’à ce qu’il reparte, mais maintenantqu’elleavaitcommencé,ellen’arrivaitplusàs’arrêter.

Illapritdanssesbras.Iltremblait,ils’excusait,encoreetencore.Elleselaissaalleruninstantcontresonépaule,puislerepoussa.

—Va-t’en.—Prendssoindetoi,Juliette.Faisattentionaveccetype,murmura-t-il.—Va-t’en,Nicolas.Tonopinionnem’intéressepas.—C’estjustequetuasassezsouffertcommeçaetcen’estvraimentpasquelqu’unpourtoi...—Çaneteregardepas.Jeveuxquetusortesdecettechambre.Il sedirigea lentementvers laporte.Avantde la refermer, il lui jetaundernier regard.Elle restait

assisesursonlit,aussidéfaitquesonvisage.Unedernièrefois,illuidit:—Jesuisdésolé,Juliette.—Pasautantquemoi.Elleselevaetrefermalaportederrièrelui.

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Lesdentsdelamer,interprétationlibreparJulietteCharpentier

Elledormit jusqu’àonzeheures.Quandelle se réveilla, sonmalde tête s’était envoléet samoitiécramoisieviraitaurose.Elles’interditderéfléchiràlascènedelaveilleetappliquaunebonnecouchede Biafine suivie d’un kilo de crème solaire indice cent avant d’oser mettre le nez dehors. Elle sedéplaçaitde tached’ombreen tached’ombrepouresquiver les rayonsdéjàbrûlantsdusoleil.Sous lapaillotedurestaurant,unefamilleterminaitdepetit-déjeuner,etlesserveurscommençaientàdébarrasserle buffet. Juliette avait très peu mangé la veille et elle surchargea une assiette de fruits et deviennoiseries.Elles’assitfaceàlamer,satassedethéàportéedemain.Lavuedescouplesenlacésquimarchaient les pieds dans l’eau verte l’attristaitmoins que la veille.Elle songea qu’ils se trompaientprobablementtouslesunslesautresetqu’ilsvivaientdansuneillusion.Elle,contrairementàeux,savaitdésormaisàquois’entenirsurl’amour.C’étaitinutileetdouloureux,maisaumoinselleétaitlucide.

Auloin,elleaperçutlesplongeursquiremontaientlepontonverslebateauàmoteurprêtàpartir.EllereconnutMark,quiportaitsursondossabouteilleetàlamaincelledelafilleblondedelaveille,quimarchaitàsescôtés.Nicolasarrivaitencourantet faisaitsigneauconducteurde l’attendre. Ilétaitenretard;ilétaittoujoursenretard.Carolinen’étaitpaslà.Elleétaitsansdoutetroppeureusepourplonger.Chochotte,ricanaJuliette,etelleeutunpetitsourire,lepremierdelajournée.

Elle resta assise sous la paillote jusqu’à ce que le bateau disparaisse sur l’eau calme. Elle sedemandasiMarketNicolasdiscuteraientensemble.Probablementpas.Ellehaussalesépaulesetterminasonassiette,puisellesedirigeaverslaréception,oùelledemandal’accèsàunordinateurpourconsultersese-mails.

Elleavaitdix-septmailsdeChiaraquitraitaitCarolinedetouslesnomspossiblesetimaginablesetquiaffirmait l’avoirprévenue,qu’elleavait toujourssuqueCarolinen’étaitqu’unepétasse toxique,cequilarenforçaitdansl’idéedebasequ’elleavaittoujoursraisonetsavaitjugerlesgensaupremiercoupd’œil.

D’autrepart,elleavaitludansVoilàqueSarahLamourétaitelleaussienvacancesauxMaldivesetdemandaitàJuliettedeprendresescuissesenphotosiellelavoyait,afind’avoirconfirmationquemêmeles starsavaientde lacellulite. Juliette réponditque,oui,Chiaraavait raison,commed’habitude,oui,ellephotographieraitlescuissesdeSarahLamoursiellelavoyait;enrevanche,elleétaitquasimentsûrequel’actricen’avaitpasungrammedecelluliteet,oui,Carolineétaituneprostituta,etc’étaitbienfaitpourellesielleprenaittroiskiloschaquefoisqu’elleregardaitunepartdegâteauauchocolat.

Julietteavaitégalementreçuunenouvelledemandepourpréparerlebuffetd’unesoirée,unlongmaildesesparentsquiluidisaientqu’ilsespéraientqu’elleneferaitpasdeplongée,nemonteraitpasdansunbateau, ne se baignerait que dans la piscine et qu’elle avait eu la présence d’esprit d’apporter desconserves de France afin de ne pasmourir intoxiquée. Enfin, il y avait un secondmail de ChristelleCrogue,quilapriaitànouveaudelacontacterauplusvite,carelleavaitdebonnesraisonsdecroirequesonlicenciementn’avaitpaslieud’être.Julietteluiréponditendeuxlignesqu’ellesavaitdéjàquesonlicenciementn’avaitpaslieud’êtreetqu’elleétaitenvacances.

Elle lui donna tout demême sonnumérodeportable en lui proposant de lui téléphoner quand ellereviendrait. Qui sait, peut-être qu’à son retour, tout s’arrangerait. CleanOffice se rendrait compte quecettenotedefraisidioteétaitunmalentenduetonluirendraitsonposte.Bizarrement,cettepenséegénérachezelleplusd’angoissequedesatisfaction.

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Elleréponditàceuxquisollicitaientsesservicesavecunordredeprixetdesquestionssurlemenupourundevisplusprécis,puisellecréaundocumentWorddanslequelellerépertoriatouteslesrecettesqu’elleétaitsûrederéussir.Elleleurattribuaàchacuneunjolinometellelesclassaparcatégorieavantd’envoyersonmenuàses futursclients.Troisheuresvenaientdepasserenunclind’œil.Ellen’avaitmêmepasremarquéquelesplongeursétaientrevenusdeleurviréeenmer.

Elle étudia encore pendant une heure les procédures administratives pour créer une entreprise,griffonnadesidéessurunefeuilledepapier.

Aufond,pourquoinepastentersachancecommetraiteur?Çan’avaitpasl’airsicompliquéqueça.Ellecontinueraitdechercherdutravail,mais,enattendantd’enretrouver,quitteàfairequelquessoiréespourgagnerunpeud’argent,autantlefairecorrectement.Versseizeheures,elleréalisaqu’ellemouraitànouveaudefaimet,aprèss’êtrebadigeonnéed’écrantotal,ellesedirigea,AnnaKarenine sous lebras(elleétaitaumilieude lapagehuit),vers lebarde laplage,oùellecommandaun jusdefruitsetuneassiettedefrites.

Alorsqu’elleavalaitsadernièrefriteenterminantlapageneufdesonbouquin,Markapparut,lesbraschargésdedeuxmasques,deuxtubasetquatrepalmes.

—Snorkelling?—Tut’arrêtesjamais?demandaJuliettesansleverlatête.—Non,sinonjemeursd’ennui.Tuesrestéeicitoutelajournéeàtecuiteraulieudeplonger?—C’estunjusdefruits,pasuncocktail,répondit-elleenfermantsonlivre.Etjeterappellequej’ai

faillimourird’uneinsolationhier.Ilrit.—Tum’asl’airenpleineforme.Tuasfaitquoiaujourd’hui?Jesuispasséàtonbungalowcemidi,

maistun’yétaispas.Elleétaitheureused’apprendrequ’ill’avaitcherchéeetellerassemblasesaffairespourlesuivre.En

chemin,elleluiracontasajournéeendétail.Illafélicitapoursesrecherchesetluiconseillad’envoyerbaladerChristelleCrogue.C’étaitétrangecommetoutparaissaittoujourssimpleavecluietsicompliquéquandJulietteseretrouvaittouteseule.Ilsarrivaientauborddel’eau,etJulietteneputréprimeruncoupd’œil intéressé vers le torse deMark quand il se déshabilla. Il surprit son regard, et un éclat amuséallumaun instantsesyeuxbruns. Juliettesesouvintqu’ilavait refuséde l’embrasserquandelle luienavaitoffertlapossibilitéetellerositsoussescoupsdesoleil.Illuitenditsontee-shirt.

—Tiens,enfileça.Aveclaréflexiondel’eau,tuvasbrûler,mêmeavecdelacrème.Elle le remercia.Luine se souciait plusd’étalerde la crème solaire sur sapeaudéjàbronzée. Ils

ajustèrentleursmasquesets’avancèrentdansl’eau,abandonnantleursaffairessurlerivage.Àunmètredeprofondeuràpeine,ilsapercevaientdéjàdespoissonsmulticoloresetdepetitscrustacés.Ilsnagèrentensilencedansl’eautièdejusqu’àlabarrièredecorail.Markluimontraitdudoigtdesanimauxbizarres.

Souvent, il s’éloignait,plongeaitplusprofondpourexplorer les recoins sombres. Juliette restait auniveaudelasurface, inspirantetexpirantavecsoindanssontubaenobservant lafaunedeloin.Alorsqu’elle examinait un poisson-clown, elle sentit la main de Mark saisir la sienne. Surprise, elle seretourna.Sanssortirlatêtedel’eau,ilposaundoigtsurseslèvresetformaunrondavecsonpouceetsonindexpourluisignifierquetoutallaitbien.Juliette,intriguée,luiréponditdelamêmemanièreetilluiindiquaalorsàquelquesmètresuneombreavecdeuxaileronssurledosetdeuxpupillesnoiresquis’ouvraientcommedes fentesdans l’épaiscuirgris. Julietteécarquilla lesyeux. Ilsétaientàmoinsdecinquantemètresdubordetilsnageaientavecunrequin.

EllebroyalamaindeMark,maislerequinavaitl’airdeseficherd’euxcommedel’anquarante.Illeurjetaàpeineunregardméprisantavantdepoursuivresaroute,commes’ilsn’existaientpas.Juliette

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n’auraitlâchépourrienaumondelamainrassurantedeMark.Voyant qu’elle ne paniquait pas, il voulut se rapprocher de l’animal, mais elle secoua la tête. Il

compritetnebougeaplus.Côteàcôte,ilsattendirentquelerequins’éloigne,puisilsreprirentlechemindurivage,toujoursmaindanslamainenobservantsurlesablelespetitspoissonsjouerentrelesalguesetlescoraux.Juliettes’applauditintérieurementdesonflegmeapparentfaceaudanger.Soncalmen’étaitenréalitéquelerésultatd’unecomplètecrisedetétanie,alorsquesoussoncrânesedéroulaitunecrised’hystériedigned’unepsychosehitchcockienne.L’essentielétaitqueMarkaitcruqu’elleavaitsurmontésapeurdesrequinscommeuneadulteresponsable,cequ’ellenedémentiraitpas.

Ilneluilâchapaslamaintoutdesuite.Illagardadanslasiennequelqueslonguesminutes,jusqu’àcequ’ilssortentlatêtedel’eau.Elleespéraitqu’illaluireprendraitunefoissurlaplage,maisiln’enfitrien.

Ilsrassemblèrentleursaffaires,dégoulinantd’eausalée,lamarquerougedumasqueincrustéesurlevisage. Le soleil avait baissé sur l’horizon, et Juliette avait la chair de poule. Mark la dévisagealonguement et elle remonta son paréo sur sa poitrine avec la sensation que sonmaillot de bain étaitdevenutransparent.

—Jevaismedoucher,dit-elle.Ilnelalâchaitpasdesyeuxetellerougit.—Ondîneensemble?Ellebaissalatête,prétendantsecouerlesablehumidequicollaitàsespalmes.—Oui,pourquoipas?Jeseraiprêted’iciuneheure.Illuipritlespalmesdesmains.—Laisse,jem’enoccupe.Onseretrouveàvingtheures.Julietteleremerciaets’éloignad’unpasvif.

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Mark1,Nico0–balleaucentre

Sousladouche,Juliettecontrôlasonépilation.Àvuedenez,elleauraitpuêtreacceptable,mais,aupassagedesamainsursesjambes,çapicotait.Ellesortitsonrasoirdesecours.Autantêtreprêteàtouteéventualité. Elle se badigeonna d’huile à la noix de coco, se parfuma et enfila des sous-vêtements 1)assortis,2)endentelle,3)noirs.

Toutcelan’étaitenaucuncascorrélé,biensûr,avecl’agréablebrûlure,unpeuélectrique,déclenchéeaucreuxdesonventrechaquefoisqu’elleserepassaitl’instantoùMarkluiavaitprislamain.Elleenfilauneroberougedécolletéedansledos.

ElleavaitludansGraziaqu’unefemmeenrougeestjugéeenmoyennevingtpourcentplusattirantepar les hommes (et par les taureaux aussi d’ailleurs, analogie intéressante qui n’avait pas étémise enperspectiveparlemagazine).Ellen’avaitpas,maisalorspasdutoutl’intentiondefairequoiquecesoitavecMark.Ellevoulaitsimplementsesentirjolie.Aprèstout,elleétaitenvacances.Elleétaitlàpours’amuser;iln’yavaitpasdemalàprofiterd’unpetitflirt,etpuisçaferaitlespiedsàNicolasdelavoirarriveraussisexyaurestaurant.

Ilsdînèrentausondesvaguesquiviennentmourirsur laplageaucoucherdusoleil,unebougieenarbitre.Pourune fois,Markparlait àpeuprès sérieusement,et Juliette l’interrogeasur sonenfance. Ilétait né à New York. Son père travaillait dans la finance et avait été ruiné par un investissementmalheureux.

Samère,mariéepourlemeilleuretpourlepire,maisàconditionquesonmariresteriche,avaitjugépréférabledefairesesvalisesetd’abandonnermarietenfant.MarketsonpèreétaientalorsrentrésenFrance, complètement fauchés. Jusqu’à tard dans l’adolescence, Mark avait étudié d’arrache-pied àl’école,aveccommeseulobjectifdegagnersuffisammentd’argentpourquesamèrereviennevivreaveceux.

Ellen’avaitjamaisdonnédenouvelles,maisilétaitrentréàPolytechniqueetavaitdécrochéunMBAàHarvard. Ils sedécouvrirentunepassioncommunepourLeClubdesCinqetLeLivre de la jungle.Julietteluiexpliquaqu’ellen’avaitpaseuledroitd’aller touteseuleàl’écoleavantl’âgedequatorzeansetluirelatatoussesétéschezmamieJackie.

Letempspassait,lesgensautourd’euxarrivaient,s’asseyaient,dînaientetrepartaientsansmêmequeJulietteetMarks’aperçoiventdeleurprésence.

Alorsquelesbougiesfinissaientdefondresurlestablesdésertées,illuiproposaunepromenadesurla plage. Elle aurait voulu qu’il lui reprenne lamain,mais il lui parlait de sa première boîte, de sesvoyages.

Cen’estpasqueJuliettes’ennuyât,aucontraire,maisellesongeaitàl’huiledecocoetaumaquillageinutiles,àsessous-vêtementsquepersonneneverrait,etladéceptioninfiltrapeuàpeusabonnehumeur.Avec tout le tempsqu’ilsavaientpasséensemble, ilallaitbienarriverquelquechose,non? Iln’allaitpas, sousprétextequ’il était envoyagedenoces sans son ex-future femmequi l’avait trompéavecunautre type,nepassauter sur l’occasiond’unepetite idylleà l’étranger?Elleaussi, elleavait lecœurbrisé;çanel’auraitpasempêchéedecoucheravecMark.

Iln’avaitpasl’aird’interprétercorrectementleslongsregardslangoureuxdeJulietteetlegrandcoupdepiedqu’elleluiavaitenvoyéunpeuplustôtsouslatable,dontlafinalitéétaitdecréeruncontactdesonpiednusursonjean.Ilfallaitdécidémentqu’ellefassetoutelle-même.

Ellefitdoncminedetrébuchersurlesable,setorditméchammentlachevilledansleprocessus,maisserattrapaavecnaturelaubrasdeMark.

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Pourl’empêcherdetomber,ilfutbienobligéd’attrapersamain.Enfin.Ellelagardadanslasienneetilnefitaucuncommentaire.

Il lui demanda simplement si elle ne s’était pas fait mal. Un peu pâle et les dents serrées, ellerépondit,enseconcentrantpournepasboiter,queçaallait.

Ellelefitrireellenesavaitplusàquelsujet.Ils’arrêtaetsetournaverselle.Leslumièresdel’hôteléclairaientàpeinelaplage,etlesbruits,auloin,étaientassourdis.Sombredanslanuitchaude,lamers’étendaitàquelquesmètresde leurspieds.Malgré l’obscurité,ellepouvaitvoirdeuxpetitesflammesamuséesbrûlerdansleregarddeMark.

Lesilencelesenveloppa,etellepritconsciencedesonodeur,uneodeurdesavondeMarseilleetdesablechaud.Ilpassasonbrasautourdesataille,puis,d’ungestetranquille,ill’attiraverslui.Sanslalâcherdesyeux,ilpassasamaindanslesbouclesdeJulietteet,dansunmomentdepanique,elleespéraqu’ill’embrassetoutdesuite,qu’ellen’aitpasàseposerdequestions.Ellen’avaitplusl’habitudedespremiersbaisers.Ellenesavaitpluscommentçamarchait.

Lesmains deMark vinrent encadrer le visage de Juliette, et le contact chaud sur sa peau suffit àdissiper toute traced’angoisse.Ilsouritetsepenchasurelle,puis,sûrdelui,commes’ilavait tout letempsdumonde,ill’embrassa.Latêterenverséeenarrière,ellesentaitlachaleurdesoncorpsgagnerlesien.Ellenesavaitplustropcequisepassait.Elleavaitlatêtequitournait.

Il la serra plus fort. Ses mains descendirent de sa nuque au creux de ses reins. Elle sentit sarespirations’accélérer,maisils’arrachaàelle,etellerestapantelante,leslèvreshumides.Illapritparlamain et l’entraîna en silence vers sa chambre. À plusieurs reprises, il s’arrêta pour l’embrasser ànouveau,chaquefoisdefaçonplusintense,plusurgente.

Elle avait l’impressiond’être unevis devant un aimant, attirée par une force chaude, incapable derésisteràlanécessitéabsoluequ’elleavaitd’êtrecolléeàlui.IlclaqualaporteetilallongeaJuliettesurlelitsanslâcherseslèvres.Ilfitglisserlarobeparterreavecunefacilitédéconcertante.

Elledéboutonnasachemise,secassaunonglesursaceinture.Ilsourit.Ilsentaitbon,sapeauavaitungoûtdesel.Ensuite,elleoubliasescoupsdesoleil,lesinsectes,lesmaladiespotentielles,lepaludisme,lamer etmêmeNicolas.Mark avait lesmains fermes et tièdes sur sa peau.Les yeux grands ouverts,plongésdans lessiens,ellese fichaitde la lumière.Ellenesedemandaitpassielleétait tropgrosse,correctementépilée,cequ’ilpensaitdesesfessesoudesesseinsoumêmedesespieds.Çan’avaitpaslamoindre importance. Elle se laissa aller et elle sut pourquoi les actrices gémissent dans les films,pourquoiellesseroulentdans lesdrapsavecunefièvreà tomberdulit.Parceque,dans lesfilms, lesactricesnefontpasl’amouravecdesNicolas,maisavecdesMark.

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Profitebiendelaplongée(troispetitspoints)

Juliette se réveilla le sourire aux lèvres. Le soleil se glissait par la fenêtre ouverte ; la briseentrouvrait lesvoilages.Commeparréflexe,elle tendit lebrasvers ledeuxièmeoreiller,maissoussapaumeledrapétaitfroid.

Àcôtéd’elle,laplacedanslelitétaitvide.Ellejetauncoupd’œilàsamontre:ilétaitonzeheurespassées.Unoiseau sifflotait sur le rebordde bois de la fenêtre ; elle n’entendait que lemurmure desvaguesquivenaients’échouersurlesabledéjàchaud.Markn’étaitnidanslachambrenidanslasalledebain.

Elleattenditunquartd’heure,pensantqu’ilpouvaitêtresortifaireuntouret,nelevoyantpasrevenir,elles’habillaetpartitàsarecherche.

Elle ne le trouva ni au restaurant ni au club de plongée. Un brin agacée par son absence, elleinterrogeal’airderienleréceptionniste.Ellesesentitrougirsousleregardinquisiteurdel’employéqui,sansfairelemoindrecommentaire,sortitd’uncasierderrièrelecomptoiruneenveloppeblanche,qu’iltendità Juliette.Elle ladéchirapourensortirune feuilledepapierpliéeendeux, sur laquelleétaientécritesdeuxlignessobresauBicnoir:JedoisfaireunecourseàMalé.Jenevoulaispasteréveiller.Profitebiendelaplongée...M.Juliettesetenaitimmobiledevantlaréception,perturbéeparunfluxdepenséescontradictoires.Une

course?Ilavaitcouchéavecelle,troisfoisdesuitequiplusest,etilétaitparticommeunvoleur«faireunecourse»?

Ilauraitpulaprévenirdevivevoixouaumoinslaisserlemessagedanslachambre.Etpuis,pourquoiunmotaussifroid?Aprèscequis’étaitpasséentreeux,lamoindredeschosesauraitétédes’excuserdesondépart,defaireréférenceàlanuitpassée.Cen’étaitpassicompliquéd’écrire:«J’aipasséunenuitextraordinaire,merci.»UnpeutropAutantenemporteleventpourMark,d’accord,maispasbesoinnonplus de la lui faire enmode e-mail professionnel.Un « Je t’embrasse » aurait suffi, voire un simple«Bisous»,elleseseraitmêmesansdoutesatisfaited’un«Biz».Etpuispourquoilestroispetitspoints?Est-cequ’ilyavaitunsous-entenduquiluiéchappait?Quelquechoseàinterpréter?

L’employédévisageaitJuliette,navrédelavoirfroncerlessourcils.—Iln’arienditdeplus?demanda-t-elle.—Ilestpartiprécipitamment.Ilareçuuncoupdefilurgentcematintrèstôt.J’aiglisséunmotsous

saportesignalantl’appel.Ilestvenurappelerdelaréceptiondixminutesplustard.—Maiscecoupdefil,c’étaitquoi?—Àmon avis, demauvaises nouvelles vu la tête qu’il a faite... Le bateau pourMalé était sur le

départ.Ilasautédedansetn’apaseuletempsdevousécrirepluslonguement.Julietteluifitsonsourireleplusenjôleur.—Lapersonneauboutdufil...,ellenevousapasditsonnom?L’employéseraclalagorge.Ilhésitait,maisl’amourdupotinl’emportasursonprofessionnalisme.—Ellen’apasditsonnom,maisc’étaitunefemme.Jenepeuxpasvousendireplus, j’auraisdes

problèmes.Julietten’insistapaset le remercia. Il fallaitvraimentqu’ellearrêtede se transformerendétective

privé chaque fois qu’elle avait un problème avec unmec. Elle retourna dans son bungalow d’un pasdécidé,pritsaserviettedeplageetrésolutdenepass’inquiéter.

EllepartaitplongeraveclebeauKurt.Toutallaitbien.ElleavaitcouchéavecMarkuniquementdansl’optiqued’unpetit flirt devacances. Il pouvaitbienaller àMalé retrouveruneautre femmesi ça lui

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chantait.Elles’enfichaitcommedeladernièremarée.Saufqu’ellenes’enfichaitpasdutoutcommedeladernièremarée.Àmidi,toujourspasdenouvelles

deMark.Aufuretàmesurequelesheurespassaient,lafausseindifférencedeJuliettesetransformaitenvraieinquiétude.Elles’interditd’attendresurlepontonl’arrivéedesbateauxenprovenancedeMaléet,pouroccupersonaprès-midi,elles’inscrivitàuneplongée.

Plusieurs fois, elle fut à deux doigts de remonter à la surface avant l’heure pour vérifier siMarkn’étaitpasrentré,etKurtluireprochaaprèscoupsonmanquedeconcentration.Quandenfinilsrevinrentsurterre,elleenlevasonmasquetropviteets’arrachaunebonnedizainedecheveux,collésparleselàlalanièreencaoutchouc,cequiachevadelamettred’unehumeurmassacrante.Kurt,lavoyants’empêtrerdanssacombinaison,accourutàsonsecours.

—Tufatiguée,Juliette.Laissejerangermatérielpourtoi.Juliette refusa.Elledevaitapprendreàdémonter sesbouteillesetà les remonter touteseulesielle

voulaitréussirsonPADIet,austadeoùelleenétait,devenirprofesseurdeplongéesuruneîledésertesemblait être sa piste de carrière la plus prometteuse.Elle détacha la bouteille de son gilet avec desgestesbrusquesetjetasacombinaisondanslebaquetd’eaudoucesousleregardalarméduresponsableducentrequis’inquiétaitdelapréservationdesonmatériel.L’airdésolédeKurtl’irritait.

Elle n’avait pas enviequ’il s’apitoie sur elle.Elle rangea sonmatériel en silence, dit au revoir ets’éloigna le plus vite possible. Elle passa au bungalow de Mark, frappa à la porte, et personne nerépondit. Il était dix-sept heures passées, et ses derniers espoirs s’envolèrent. Une fois de plus, elles’étaitfaitembobinercommeunecruche.Ellerentraàsonbungalowrésignéeetdéprimée.

Au restaurant, aussi solitaire et délaissée parmi les amoureux transis qu’un sapin deNoël dans unchampdetournesols,ellefitsemblantdenepasapercevoirCarolineetNicolasquis’installèrentmaindanslamainàlatablelapluséloignéedelasienne.

ToutlemondeavaitdûlavoirdîneravecMarklaveille,repartiravecMark,embrasserMark.ElledevaitpasserpourunevieillefillefraîchementdébarquéeauxMaldivesdanslebutdemettrelegrappinsur un pauvre type qui venait de rompre ses fiançailles. Ce qui était sûr, c’est qu’il pouvait toujourscourirpourqu’elleluipardonne.Ilpouvaitbienlasupplier,ellenecéderaitpas,elleneluiadresseraitplusjamaislaparole.Ellepasseraitlafindesvacancesseule,àplongeravecKurt,toutenespérantqueMarkmourrait d’une narcose à l’azote. Ce dernier point étaitmalheureusement peu probable puisqueMarknereviendraitpas.

Àvingtetuneheures,ilétaitmaintenantofficielqu’ilavaitpréférépartirencourantetenabandonnantl’intégralitéde ses affairesplutôtquedepasserun instantdeplus avecelle,de lamêmemanièrequeNicolasavaitpréférépartirencourantcoucheravecsameilleurecopineplutôtquedel’épouser.EllenereverraitjamaisMark,c’étaitunecertitude.

—Salut,Juliette.Commesiderienn’était,Markposalesmainssursesépaules,luidéposaunbaisersurlajoue,puisil

s’assit devant elle, déplia sa serviette avec un tel naturel que Juliette resta sans voix. Il portait unechemisettefroisséeàcarreauxvertsduplusmauvaisgoût,cequiluiressemblaitpeu,etilarboraitunaircontrarié.

Elledécidadenepasrépondre.Illuipritlamainetellelaretira;illadévisagea,déconcerté,puis,presquetimidement,ilsortitunpetitpaquetdesapoche.

—Tiens,jet’airapportéça.Ellehésita,tirailléeentrelacolèreetlacuriosité.Elledevaitbienadmettrequ’iln’avaitpasl’airde

revenird’uneviréeenamoureux.Ilavaitmêmel’airfatiguéetabattu.Ellefinitparsesaisirdupaquettoutenconservantunregardglacialpourfairebonnemesure.

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Elleouvritl’emballageetfittomberdanslecreuxdesapaumeuncollierdepetitesperlesdeverrebrunesetorangéesquibrillaientàlalumièredesbougies.Elleauraitsansdoutedûleluijeteràlafigure,maisc’étaitbeaucouptropjoli,etNicolasneluiavaitjamaisoffertdebijoux.Markselevaalors.IlfitletourdelatableetpritlecollierdesmainsdeJuliette.Ilécartalesbouclesbrunes,luieffleurantlanuqueaupassage, pour l’attacher autour de son cou.Elle ouvrit la bouchepour protester,mais il déposaunbaisersursonépauleavantdeserasseoir.Toutcequ’elleputdirefut:

—Merci.Illuifitunclind’œil,repritsamainetsemitàcaresserdoucementsapaume.—Jemesuisditqueçairaitbienavectonbronzagebicolore.Ilyeutunsilence.Ellenepouvaitpaslelaissers’entirercommeça.—Tuétaisoù?demanda-t-elle.—ÀMalé.Pourquoi?Ilsnet’ontpasdonnémonmot?—Si.TufaisaisquoiàMalé?Ilhésita;sonregards’assombrit.—J’avaisdesproblèmespersonnelsàrégler.Ellenedisaitrienetn’avaitpaslaforcederetirersamain.Ellen’auraitpasdûsefieràlui.Ellenele

connaissait pas. Déjà qu’elle avait eu tort de faire confiance à Nicolas après des années de viecommune...

Puis, il se pencha vers elle, ses yeux sombres plongèrent dans les siens, ses mains chaudesremontèrentlelongdesbrasnusdeJuliettepourvenirseposersursoncoud’ungestepropriétaire,etellesesurpritàsongerquecen’étaitpasunemauvaiseidéed’avoirmissonWonderbrarouge.

—Tuasencorefaim?demanda-t-il.Sonassietteétaitencoreauxtroisquartspleine,maisellesecoualatête.Ilseleva,lapritparlamain

d’autoritéet,àlaserveusequilesregardapasserd’unairsurpris,ildit:—Mettezlanotesurlebungalowhuit.Laportede lachambredeMarkétaitàpeinereferméeque,d’unseulgeste, ilavait faitglisser les

bretellesdelarobed’étéquiatterritparterre.AumomentoùilsoulevaJuliettepourlaporterverslelit,latêteenfouiedanssoncou,elleseditque,

toutcomptefait,elleréfléchiraitplustardàcettehistoiredecourseàMalé.Dansl’immédiat,cen’étaitpaslapriorité.

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Sueursfroides

Avec la poisse qui la poursuivait ces derniers temps, comment avait-elle pu agir de façon aussistupide ? Ça lui apprendrait à ignorer son horoscope pendant une semaine. Ça lui apprendrait à seconduirecommeunegourdeamoureuse,indifférenteàtouslesdangers.Siçasetrouve,elleallaitmourir.

Sa mère ne le lui pardonnerait jamais. Elle la déshériterait. La connaissant, elle était tout à faitcapable de déshériter unemorte. Juliette voulut appeler,mais, quand elle ouvrit la bouche, une vaguel’attaqua au visage et elle avala un litre d’eau salée. S’étranglant à moitié dans son propre cri, ellecontinuaitsanssuccèsdefairedessignesverslebateauquis’éloignait.

Marksortitlatêtedel’eau.Elledétestaitqu’ildescendeenapnéepourexplorerlesfondsmarins.Elleimaginaittoujoursqu’iln’auraitpasassezd’airpourremonter.Ilôtasonmasquedeplongée.

—Pourquoitufaiscettetête?Oùestlebateau?—Ilssontpartis...Ilyeutuncourtsilence,puisMarksourit,rassurant.—Cen’estpasgrave,onvanager.—Nager?Maistuaslamoindreidéeoùsetrouvel’hôtel?—Tutesouviensdudernierhôtelqu’onadépasséavantdes’arrêterici,celuiaveclesbungalowssur

pilotis?—Oui,ditJuliette,unpeurassuréeparsonsang-froid.—C’estlaterrelaplusproche.Ilfautrevenirenarrière,mapuce.Lejourtombait,unebrise légères’était levée,et l’eaud’ordinaire transparenteet tièdedevenaitde

moinsenmoinsaccueillante.Elles’étendaitcommeundrapsombreàpertedevue, froisséedepetitesvagueshargneuses.

Lebruitdumoteuravaitétéengloutiparl’horizon,etilsn’entendaientplusqueleclapotisdel’eau.Lasituationétaitobjectivementcatastrophique,maisMarkl’avaitappelée«mapuce».

Ellepouvaitbiencreverdéshéritéeetdévoréeparlesrequins;çan’avaitpluslamoindreimportance.Troisjourss’étaientécoulésdepuisl’excursionmystèredeMarkàMalé,etilsavaientpasséchaque

instantensemble,exceptionfaitedesmomentsoùJuliettesuivaitsescoursdeplongéeavecKurt.Commeles autres couples de l’île, ils vivaient dans une bulle invisible de bonheur rayonnant, occupant leursjournéesàsepromenermaindanslamainsurlaplagel’airbéat,àdormirouàlire(Julietteavaitenfinatteintlapagedouzed’AnnaKarenineet,commeilnes’étaitencorerienpassé,elleavaitabandonné),collésl’unàl’autredanslehamacquigrinceetqui,laveille,s’étaitécroulésousleurpoids.

Ils avaient multiplié les fous rires et les conversations jusqu’à tard dans la nuit, ils avaient faitl’amour à toutes lesheuresde la journée, environhuit centquatre-vingt-douze fois. Juliettepensait demoins enmoins à Nicolas et Caroline. Elle les avait croisés deux ou trois fois ; ils s’étaient saluésfroidementquand il s’était révélé impossibledes’ignorer.Pendantun instant, labulleprotectriceétaitcrevée.Julietteétaitàvif,vulnérable,puisMarkpassaitsonbrasautourdesesépaules,etseschagrinss’envolaient.

Lematinmême,Markavaitdécidéqu’ilspartiraientenexcursion.Ilaffirmaitqu’onnevisitaitpasunpays enfermé dans un hôtel cinq étoiles, et la journée qui s’était écoulée valait bien la peined’abandonnerleurpetitcoindeparadispendantquelquesheures.Julietteavaitannulésaplongéedujouretilss’étaientembarquésàl’aubesurunbateauàfonddeverreàdestinationd’uneîlevoisineavecunevingtained’autrestouristes.

Ils avaient flâné dans le marché local, Mark avait même fait l’acquisition d’un kilo de sardines,

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achetéesàunepetite fillequimarchandaitsespoissonsdeboutsurunétalage.Julietteavaitessayépardizainesdesvêtementscolorésaumilieudescris,desriresetdeseffluvesdeviandegrillée,elleavaitnégociéplusieurssortesd’épicesqu’unevieilledameauvisagechiffonnéderidesavaitdisposéesavecsoindansdepetitssacsdetoilemulticolores.

Mark s’était moqué de Juliette, soutenant qu’elle ne savait pas marchander et qu’elle s’était faitarnaquer comme une touriste. Ils avaient déjeuné dans un restaurant du village, où Mark avaitgracieusementoffertlessardinesaucuisinierpourleremercierdurepasqu’onleuravaitservi.

Sonplatétaittellementépicéqu’ilavaitpasséuneheureentièrerougecommeunetomate,àtranspirertoutel’eaudesoncorpssousl’œilamusédeJuliette.Lajournéeavaitétéparfaite,àl’imagedesquelquesjoursprécédents,jusqu’auretouroùleschosess’étaientgâtées.

Le conducteur du bateau à fond de verre, unAnglais bedonnant à la retraite, enchaînait les bièrescommesic’étaitde l’Oasisenhurlantde riredevant songouvernail. Il avaitproposédes’arrêterunedemi-heureenhautemerpourquelespassagersobserventuneépaverecouvertedecorauxmulticolores.

Bousculade pour accéder à la vitre sale, on ne voyait rien, et les vacanciers avaient réclamél’autorisation de se baigner. Le conducteur avait accepté à condition qu’ils ne s’éloignent pas etreviennentquinzeminutesplustard.Mark,quiavaitprévul’arrêtenmer,avaitalorssortidesonsacàdosdeuxmasquesetdeuxtubasprovidentiels.

Il avait voulu voir l’épave, puis il avait pris une tortue en filature. Il s’était éloigné, Juliette avaitsuivi,etvoilàcommentilsseretrouvaientseuls,aumilieudel’océan,àregarderlebateaudisparaître.Lechauffeurirresponsableouivren’avaitpasrecomptésespassagers.

Il avait sûrement jeté un coup d’œil aux alentours, mais il suffisait qu’une vague ait caché à cemoment-làleboutdeleurtubapourqu’ilnelesaitpasaperçus.

Markeutunsourireencourageant,lesouriredequelqu’unquipensequetoutvabien,maisilyavaitunelueurd’inquiétudedanssonregard.

—Tuconnaisladirection?demandaJuliette.—Oui,net’inquiètepas,cen’estpastrèsloin.Juliette avait froid, mais elle s’appliquait à décrire de longues brasses. Régulièrement, Mark se

retournaitpourvoirsiellesuivait.Ill’encourageaitgentiment.Elleserraitlesdents,répondaitquetoutallaitbienetnageaitdeplusbelle.Elleavaitlachairdepoule,lalumièrediminuaitdeplusenplus.Kurtluiavaitracontéparlemenusesplongéesdenuitetellesongeaitàsesdescriptionsdecrustacésgéantsetdemurènesquisurgissentdel’obscuritéquandonnes’yattendpas.Illuisemblaitqueçafaisaitaumoinsuneheurequ’ilsnageaient,peut-êtreplus.Markaffirmaqueçafaisaitàpeinevingt-cinqminutes.L’îlen’apparaissaittoujourspas,Julietteavaitfaim,maisilluisemblaitqu’iln’yavaitriendeplusimportantàcetinstantquechacunedesesbrasses,quelemondeentierétaitfocalisésursesmouvements.

Malgrétout,ellefaiblissait;ellesentaitunecrampeseformerdanssonmollet.L’eaudevenaitdeplusenplusépaisse,deplusenplusdifficileàécarter.Çafaisaittroplongtempsqu’ilsnageaientdansl’eaufroide.ElleditàMarkqu’elleavaitunmauvaispressentimentetqu’ilsallaientsansdoutesenoyer.

Elle songea subitement qu’elle n’avait jamais pensé à rédiger un testament. Il considéra commeappropriédesouriredececonstatdramatique.Illuiréponditqu’ellen’allaitpasmourir;elleallaitjustedevoirfaireunpeudesport.Celadit,iln’avaitpasl’airtotalementserein.

Dansunfauxmouvement,elleavalaunegorgéed’eauamère,etleselluibrûlalagorge.Markrevintalorsenarrière,lasoutintparlesépaulesetluimontraauloinlaterreetseslumières.

—C’estbon,Juliette,onestarrivés.Encoreuneffort.—Tuescomplètementinconscient,râla-t-elle.Elleétaitexténuée.

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Brasse,brasse,brasse.L’îleserapprochaittoutdoucementdanslanuit.Leslumièresflottaientsurl’eau,s’éloignaientetse

rapprochaient,deplusenplusbrillantes,deplusenplusfloues.Juliettenepensaitplus.Ellen’étaitplusqu’unepairedejambesetunepairedebrasavecunseulobjectif:avancer.EllesuivaitMarkcommeunebouée de secours, les yeux fixés sur la trace blanche de son corps dans lamer sombre. Combien debrasses?Combiendeminutes?Elleauraitétéincapabledeledire,puislesépaulesdeMarksortirentdel’eau.AumomentoùlespiedsdeJuliettetouchèrentlesable,sesjambesdevinrentcommedesspaghettis.Elles’effondraetillarattrapa.

—Pasmaintenant,mapuce,murmura-t-il.C’estfini;onestarrivés.Ellesedemandaitd’oùprovenaitlachaleurdanssavoixalorsquetoutenelleétaitglacé.Elleavait

consciencequel’eaunepouvaitpasêtresifroide.IlsétaienttoutdemêmeauxMaldives,maisl’effortavaitdrainétoutechaleurhorsdesoncorps.

Marklaportajusqu’àlaplage.Ill’embrassait,ilséchaitseslarmesetelles’accrochaitàluicommes’ilsétaientencoredansl’eau.Ilriaitdoucement,luidisaitqu’elleétaitfolle,maiselles’enfichait.Elleavait l’impression de flotter encore sur les vagues, que le sable semouvait comme une eau agitée etqu’elleétaitballottéedanslesremous.

Laplagedonnait surun trèsbelhôtel,des lanternes rougesoscillaientdans l’obscurité, suspenduesauxtoitsdespaillotes.La lumièrechaleureuse,àelleseule, lesréchauffaunpeu.Juliettes’assitsur lecanapéauxcoussinsbeigesde la réception.Quelqu’un leurdonnades serviettes sèches.Mark racontaleuraventureauxquelquesemployésdel’accueil.

À quelques mètres, on entendait le bourdonnement des discussions et des rires de la salle derestaurant.Unedouceodeurdeviandegrilléeflottaitdanslanuit.

Markdonnalenomdel’hôtel,demandas’ilpouvaitleurtéléphonerpourqu’ilsviennentleschercher,cequ’onluiaccordatoutdesuite.

—MarkLenault,bungalowhuit,expliqua-t-ildanslecombiné.Juliette,assisesurlecanapé,incapabledefairelemoindreeffort,eutenviederire.Elleavaitpassé

plusieursdizainesd’heuresdans lebungalowdeMarkà fairedeschosesdont le souvenir l’aurait faitrougirs’ilétaitrestélamoindrechaleurdanssoncorps,cequin’étaitpaslecas,et,pourtant,elleneluiavaitjamaisdemandésonnomdefamille.Lenault.Elleavaitdéjàentenducenom-làquelquepart.Où?Ilfaudrait qu’elledemandeàMark s’il n’avait pas fait appel àCleanOfficeun jour.C’était peut-êtreunclientqu’elleavaitcroisédansuncouloir.

Ilétaittroptardpourqueleurhôtelenvoieunbateaulesrécupérer,etMarkétaitentraindenégocierune chambre sur place, ce qu’il obtint sans aucune difficulté. La porte de la chambre était à peinereferméequ’ilssejetèrentsousladouche.

Ilsrestèrentunlongmomentsousl’eauchaude,jusqu’àcequeJuliette,lajoueappuyéesurlapoitrinedeMark,arrêtedeclaquerdesdents.Illuicaressaitlescheveux,levisage,murmuraitàsonoreilledesavoixgravequ’elleavaitétéforte,courageuse,unvraipetitsoldat,etelledécidad’ycroire.

Ilscommandèrentàdîneretchoisirent toutcequiétaitchaudsur lemenuduroomservice.Juliette,enveloppéedansunpeignoiraussiépaisqu’unecouette,mangeacommequatresanscasdeconscience,histoiredecompenser lesmilliersdecalories trèscertainementdépenséesà luttercontre lamort.Ellecommençaparlasoupe,qu’ellevidad’untrait.Elleavalauneassiettedefrites,troisbrochettesdepouletgrillé,des crudités,butun,puisdeuxverresdevin.Tout cequ’ellevoyaitdevant elle, il lui semblaitprimordialdel’engloutir.Markl’observaitensilence,etonauraitditquesonregardlaréchauffait.Ilsneparlaientpas,cen’étaitpaslapeine.

Justeavantdes’endormir,bercéeparlescaressesdeMark,accrochéeàluicommeunescargotàsa

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coquille,ellesongeaqu’ellenes’étaitjamaissentieaussivivante,aussiensécuritéquelà,serréecontrelui,àl’autreboutdumonde,àpeineplusd’uneheureaprèsavoirfrôléunemortatroce.

D’accord, peut-être pas une mort atroce, peut-être seulement une crampe atroce. Voire peut-êtreseulementunecrampenormale,maisquandmême.Elleauraitvouluresterlongtemps,lepluslongtempspossible,nejamaisrentrer.

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Sanitasperaquam(spa)

Elle se laissait bercer par unemusique zen jouée par une harpe invisible.Des bouquets de fleursfraîchesembaumaientl’atmosphèreapaiséeduspadel’hôtel.Uneemployéesourianteauxyeuxbaissésluiservitunthéglacéaugingembre,puisl’invitaàlasuivre.Juliettes’allongeasurunetabledemassagedressée aumilieu d’un jardin en bord demer. La brise tiède de l’océan venait caresser sa peau. Lemurmuredel’eauetlesgazouillisdesoiseauxcharmaientsesoreilles.Allongéesurleventre,elleposasa joue sur le coussin en percale et ferma les yeux. Elle reprenait l’avion l’après-midimême et ellen’auraitpaspurêvermieuxpoursondernierjour.

Alorsque la très jeunefille,quis’étaitprésentéesous lenomdeSuha,commençaità lamasser, lanostalgie envahit Juliette. Les derniers jours s’étaient écoulés dans une perfection béate digne del’épisode le plus exalté desFeux de l’amour. Elle n’avait pas quittéMark d’une semelle de tong. Ill’avaitmêmeaccompagnéeàtouteslesplongéesd’entraînementnécessairesdanslecadredupassageduPADI,mêmesiellesneprésentaientaucunintérêtpourunplongeurexpérimentécommelui.ElleenavaitpresqueoubliéNicolas,rentréenFrancequelquesjoursplustôtavecCaroline.

Laveille,JulietteavaitofficiellementétébrevetéeduPADI.Ilsavaientfêtésaréussiteauchampagnesurlaplage,etellecrânaitautantquesionluiavaitdécernélaLégiond’honneur.Elleavaitfeuilleté,luetrelusoncarnetdeplongéeunnombreincalculabledefois,caressédudoigtlestamponsdecertificationsurlespagesunpeugondoléesparl’humidité.

Kurt l’avait enlacéede sesbrasmusclés, serrée sur son torsed’athlète et avait déclaréde savoixvirile:

—Ah!Juliettec’étaitsimarvelousdefairelaclasseavectoi.Tuesunnaturelleenplongée.J’espèrequetuviensencoreleprochainannée,pournousplongeraveclesrequins.

EtTimothyavaitfaitdemêmeenlouchantdanssondécolletéetluiavaitdit:—Ondéchire,meuf,ondéchiregrave.AusouvenirdesapremièrerencontreavecMark,Julietteneputretenirunsourireamusé.Depuis,il

s’étaitrévélé trèsdifférentdecequelapremièreimpressionavait laissé.Ilneparlait toutefoisqueduprésentoudufuturtrèsproche,etJulietteignoraitcequedeviendraitleurrelationunefoisqu’ilsseraientderetourenFrance.

Tellement de changements en dix jours, tellement de changements en quelques mois. Malgré samélancolie,elleavaithâtedesavoircequil’attendaitàParis.Elles’efforceraitderéalisersonprojetdetraiteuràdomicile.C’étaitterrifiant,maiselleverraitbien.

Auboutd’uneheure, lemassagesetermina,etSuhafitasseoirJuliettesuruncanapéfaceàlamer.Elleluiapportaunjusdemangueetdesmagazines,puisrepartitenlasaluantlesdeuxmainsjointes,lespaupièrestoujoursbaisséesdanssonvisagedepoupée.Juliettes’enfonçadanslescoussinsblancsavecunsoupirenchanté.

Elle saisit le premier magazine sur la pile, le dernier numéro deGossip, la bible des magazinespeopleselonChiara,datédel’avant-veille.LesouriredeSarahLamourilluminaitlacouverture.Julietteregrettait de ne pas avoir vu traces de l’actrice pendant son séjour auxMaldives, mais peut-être lesinformationsdeChiarasurlesujetétaient-elleserronées.

Elleexaminalajeunefemme.Sesgrandsyeuxbleufoncébrillaientd’unesensualitéàl’étatbrut.Unsourire mystérieux, presque ironique, s’esquissait sur ses lèvres pleines. La photo avait été prise aufestivaldeCannes l’étéprécédent,Juliettes’ensouvenait,car lesquelquesrarescentimètrescarrésdetissupailletéquiconstituaientlarobedel’actriceavaientfaitsensation.

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Surunephotopluspetiteenbas,àgauchedelacouverture,elleétaitassiseenrobed’été,àlaterrassed’un café minable, avec un homme vêtu d’une chemisette verte à carreaux très moche et vaguementfamilière.Juliette, intriguée,sepenchapourvoir l’imagedeplusprès.Et le titreluiarrivacommeunegifleenpleinefigure:SarahetMark,réconciliationauxMaldives?

Subitement,elleeutenviedevomir.

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Delanécessitédelirelapressepeople,parJulietteCharpentier

Lesmainstremblantes,elleouvritlemagazine,tournalespages.Évidemment.MarkLenaultetSarahLamour.Leurs photos s’étaient étalées à la une des journaux people pendant des semaines au moment de

l’annoncedeleurmariage,puisàcelledeleurrupture.SanscompterChiara,quicommentait laviedeSarahetdeMarkcommes’ilsétaientsesmeilleursamis.Commentavait-ellepunepaslereconnaître?EtMark?Mark,quiparlaitdesonex,Sarah,commesic’étaitSarahDupont.Iln’auraitpaspudire,biensûr,«Sarah,monex,superstarhollywoodienne».LesphotosdataientdujouroùilétaitpartiàMaléàl’improviste.Juliettesesouvenaitdel’affreusechemiseverte.SarahetMarkdiscutaient,leurslunettesdesoleilplantéessurlenez,àlatabled’unboui-boui.Lesclichésprisdeloinavecuntéléobjectifn’étaientpastrèsnets.Surl’und’eux,onvoyaitclairementSarah,lefrontappuyésursamaindroite,commesiellepleurait,et lamaindeMarksursamaingauche.Julietteserappelal’airsombredeMark,lesoiroùilétaitrentrédeMalé,sonsilence.Surladernièrephoto,sansdoutepriseaumomentoùilssequittaient,Sarah entouraitMark de ses bras, appuyait sa tête sur son torse. Juliette dévora l’article trois fois desuite,essayantdelireentreleslignes,dedécrypterlevraietlefaux.

On y relatait toute leur histoire, de leur rencontre à leur rupture.Mark, vingt-cinq ans, débutait unMBA à Harvard après le succès de son premier site Internet. Sarah, vingt-deux ans, avait un rôlesecondairedansunepetitepièce jouéedix foisdans l’annéeàBostonet travaillaitàmi-tempscommeserveusedansunrestaurantfrançaisdeBeaconHill.

Ils se rencontrent, c’est le coup de foudre. Puis Mark avait soutenu Sarah pendant cinq ansfinancièrementetmoralement,jusqu’àcequ’ellejouedansuncourtmétrage,Blood,SexandOtherCoolStuff,avantd’êtrepropulséeaufirmamentparlesuccèsdesonpremierlongmétrage,Dieus’habilleenZara,oùsonaccentfrançaisavaittouchéHollywoodenpleincœur.Lui,desoncôté,lançaitunenouvelleboîtededéveloppementdesitesInternetpourlesPME,créaitunlogicieldeyieldpouroptimiserlesprixdeshôtels,etrevendaitlesdeuxquelquesmillionsd’eurosàunfondsd’investissementaméricain.Juliettetombaitdesnues.

Elleavaitcouchéavecunmillionnaire,accessoirementfiancéàunestarducinéma.Bizarrement, laseule chose qui lui venait à l’esprit, c’était :Chiara neme croira jamais. Après plus de six ans derelationetunedemandeenmariagesuruneplagedeBali, lesuccèsavait tourné la têtedeSarah.Elleavait entamé quelques mois plus tôt une liaison avec le réalisateur de son prochain film, unesuperproductionaméricaine,oùelle jouaituneespionneenvoyéepar leFBIpouréliminerunterroristerusse prêt, tout en sifflotant l’Internationale, à déclencher une guerre nucléaire pour répandre lecommunismesur lemonde.Lesfiançaillesfurentrompuesquelquessemainesavant lemariageetavantqueSarahnesauvelemondedelabombeatomique.LevoyagedenocesétaitprévuauxMaldives;Markyétaitpartiseul.OnsupposaitqueSarah,dansuneultimetentativederéconciliation,n’avaitpashésitéàtraverserlaplanèteenpremièreclassepourrécupérersonMark.Cequelejournalisteignorait,c’estsilaréconciliation avait abouti. Sarah avait pleuré pendant la discussion, Mark l’avait consolée. LejournalisteconcluaitqueMarks’étaitisolésuruneîledesMaldivespourseressourcer,fairelepoint,etreviendraitavecunedécisionqu’onespéraitindulgenteetunbronzagederigueur.

Lentement,Julietterefermalemagazine.Malgrélesoleilquitapait,ellesesentaitglacée.Ellen’étaitqu’unecourge.Courgedenepasl’avoirreconnu.Courged’avoirimaginéqueleurhistoirereprésentait

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pluspour luiqu’unflirtdevacances. Il l’avaitutiliséepourpasser le temps,voilà tout.Horrifiée,elleexamina pour la quinzième fois les photos deSarahLamour, ses yeux immenses et bleus, ses longuesjambesparfaitesetbronzéesmêmeenpleinhiver,leslongscheveuxdorés.

Elleétaittellementmince,tellementélégante.Julietterougitdehonted’êtrepasséeaprèselle.Ilavaitdûcomparer,ilavaitdûlatrouvergrosse,négligéeetmoche.

Ilavaitdû jugerassommantessespetiteshistoiresdeboulot,decuisine,sesangoisses,aprèsSarahLamourquidevaitluiracontersestournagesàl’autreboutdumondeavectoutlegratind’Hollywood.

JuliettepritconsciencedesyeuxdeSuhafixéssurelle.Lajeunefille ladévisageaitaveccuriosité.Avait-ellevolontairementdéposélemagazinesurlehautdelapilepourqueJuliettelevoie?Lesparolesde Kurt sur le fait que des « étoiles » résidaient souvent à l’hôtel lui revinrent. Juliette comprenaitmaintenantqu’ilparlaitdeSarah.Tout lemonde ici savaitquiétaientMarketSarah.Lestaffavaitdûguetterleurarrivée,imaginerdesscènesglamour...

À laplace, ils avaientvudébarquerunhommeseul, aucœurbrisé.Unhommeseul,qui se tape lacourge(carseuleaussi)dubungalowd’àcôté.Oui,oui,cellequiade lacellulite, lamoitiédroiteduvisagerougevifetquiahurléquandelleavuunearaignéeaurestaurantl’autrejour.C’estbienelle.Ilsdevaienttoussedemandercommentilavaitputomberaussibas.

Etelleneleurenvoulaitpas:elle-mêmeseledemandait.Ellenepleureraitpasenpublic.Elleglissalemagazinedanssonsac,avalad’unseultraitlejusdemangueetluitrouvaungoûtdepierre.Elleseleva,ditaurevoiràSuhaavecunsourireforcéets’échappaduspalatêtehaute.

Savaliseétaitprête.Ellel’avaitachevéelematinmêmealorsqueMarks’évertuaitàenressortirsessous-vêtementsetàlesjeteràl’autreboutdelachambreenluiordonnantderester.Ilsavaientprévudeseretrouverpour ledéjeuneretunedernièrepromenadesur laplage.Lui, restaitauxMaldivesencorequarante-huitheures.

LesouvenirdesavoixfitmalaucœuràJuliette.Ilaffirmaitqu’elleallaitluimanquer,maisilavaitcoururetrouversonex-fiancéelelendemaindesapremièrenuitavecJulietteet,s’ilavaiteul’intentiondelarevoiràParis,neluiaurait-ilpasdéjàdemandésonnumérodetéléphone?Marredesefaireavoir.Ilfallaitqu’ellearrêtedes’attacheraussifacilementàtouslescrétinsquipassaientdanssonchampdevision.NicolasouMark,aufond,c’étaitlemêmebaratinet,pourunefois,c’étaitellequiallaitdéciderdelasuitedesévénements.Arrivéedanssachambre,elledécrochalecombinédutéléphonepourappelerlaréception.

—Bonjour,mademoiselle.Quepuis-jepourvous?—ÀquelleheurepartleprochainbateaupourMalé?—Ilyenaunquipartdansdixminutes.—Trèsbien,attendez-moi.Jedoisleprendredetouteurgence,ditJulietteenraccrochant.Enquelquesminutes,elles’étaitchangée,avaitenfiléunjean,unepairedeConverseetuntee-shirtà

mancheslongues.Elleavaitdisciplinéenhâtesescheveuxbouclésdansunequeuedechevalhauteetelleavaitcourujusqu’àl’accueilentraînantsavalisedanslesable.

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Bye-bye,baby

Le bateau àmoteur attendait déjà au bout de l’embarcadère quand elle atteignit la réception. Elleréclamasanoteetréglacequ’elledevaitsanssourciller.Ellen’étaitplusàçaprès.

—Jepeuxavoirunstyloetuneenveloppe,s’ilvousplaît?Leréceptionnistelesluitenditavecungrandsourire.—Lebateauvapartir,mademoiselle,ditl’employéquivenaitcherchersavalise.—Oui,j’arrivetoutdesuite.Ellesortitlemagazinedesonsac,arrachalapageoùétaitécritengrosMarketSarah,réconciliation

auxMaldives?etécrivitengrossurlevisagedel’actrice:SuispartiefaireunecourseàParis.Jereviensdansdeuxsiècles.Juliette.Puisellelaplia,laglissadansl’enveloppe,qu’ellefermaetgriffonnadessus:PourMarkLenault.—Bungalowhuit.Vouslaluidonnerezdemapart.— Vous voulez que je lui dise quelque chose de particulier ? demanda le réceptionniste, un peu

étonné.—Pasletemps!criaJuliettequicouraitdéjàversleponton.Ellesalualesautrespassagersd’unsignedetête,s’assitetchaussaseslunettesdesoleil.Lebateau

démarra,etellenepouvaitdétachersesyeuxdel’îlequis’éloignait.Auloin,elleimaginalesamoureuxqui partaient plonger, ceux qui traînaient sur la plage, et Mark qui débarquait seul au restaurant, lacherchaitdesyeuxetnelatrouvaitpas.Elleregrettaitdéjàl’eauturquoise,lesplongéesmagnifiques,lespaysagesextraordinaires,lesMaldivienssiaccueillants.

Bref,toutcequ’elleavaitvécupendantcesdixjours.Pourseconsoler,ellecommençaàréfléchiràladestinationdesesprochainesvacances.KurtavaitconseillélamerRougepourlaplongée;illuiavaitparlé de l’Australie aussi. Ça paraissait pas mal comme destination. C’était bien loin, bien isolé. Ilpourraitluienarriver,deschoses,là-bas.Ellereviendrait,elleiraitailleurs…

Auloin,l’îlen’étaitplusqu’unpointsurl’eauturquoise,sansplusd’importancequ’unemietteoubliéesurunetabledecuisinequ’onvientdedébarrasser.

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L’amourrendaveugle,applicationpratiqueparAlphonse-Amédée

Juliette,levisagecolléauhublot,regardaitl’aéroportCharles-de-Gaulleemmitouflédebrumegriseapparaîtredevantsesyeuxfatigués.Elle tressaillitàpeinequand les trainsd’atterrissage touchèrent lebitume.Puisl’avionralentit,parcourutencorequelquescentainesdemètresavantdes’arrêter.Elleétaitarrivée.Letrajetretoursanssurclassementavaitsemblébeaucouppluslongquel’aller.Elles’étiradanssonfauteuil,manquad’éborgnersonvoisin,s’excusa,bâilla.Ilétaittôt,elleavaitbesoind’uncafé.Partiebeaucoup tropenavancepourMalé,elleavaitpoireautédansunechaleur torridecinqheuresde suiteavantd’embarqueretelleavaitl’impressionquelevoyageavaitdurémilleans.

Lefroidl’enveloppadèslasortiedel’avion.Ellerentralecoudanssesépaules,expiraunnuagedevapeurblanche.Bienvenueenhiver.Elles’entassaavecd’autrespassagersdanslebusquilesdéposeraitauterminald’arrivée.

Devantletapisàbagages,ellefitlepieddegruependantunlongmoment.Touslesvoyageursétaientdéjàrepartisavecleurvalise,etletapistournaitàvidedepuisdixbonnesminutes.Elles’acheminaenvieille habituée vers le comptoirRÉCLAMATIONBAGAGES. L’océan, les panoramas turquoise et verts, lesbrasdeMark,lesfondsmarinsplusbeauxquelesmondesimaginairesdeWaltDisney,touts’estompaitàunevitesseeffrayante.Ellerevenaitseule,sansNicolasniMark,sansvaliseetsansemploi.Retouràlacasedépart,àsaviedechômeuse,célibataireet...Non,nepass’apitoyersursonsort.Elles’ensortirait.Elleétaitfatiguée;demain,çairaitmieux.

—Bonjour,monsieur.Jecroisquevousavezperdumavalise.—Moi,jen’airienperdudutout.C’estlacompagniequiperd,pasmoi.Remplissezleformulaire,dit

l’employéaprèsavoirretiréunécouteurdesonoreilleavecl’airexcédédequelqu’unquisedemandedequeldroitonoseluidemanderdefairesontravailpendantseshorairesdetravail.

Il plaça devant elle un formulaire et un stylo, et revint à la série télévisée qu’il visionnait sur sonsmartphoneenéclatantderireàintervallesréguliers.Julietteremplitleformulaire,avecsonnumérodevol,sonnumérodebagage,l’adressedeChiarapourlalivraisondelavaliseetsonnumérodetéléphone.

—Voilà,dit-elleenlerendantàl’hommederrièrelecomptoir.Commeilneréagissaitpas,elleagitalepapiersoussonnezetils’enemparaavecunregardfurieux.

Le professionnalisme de cette personne laissait présumer que Juliette ne reverrait jamais ses affaires,mais,àbienyréfléchir,ellen’étaitpascertained’enavoirquoiquecesoitàfaire.

Ellepassaladouane.Ellen’avaitrienàdéclarerpuisqu’ellen’avaitplusrien.Ilfallaitadmettreque,decepointdevue,lapertesystématiquedesavaliseluifaisaitgagneruntempsconsidérable.Àlasortie,ellecherchadesyeuxlepanneauquiindiquaitladirectionduRER,mais,devantlaportevitrée,àcôtéd’un homme gris à lunettes, perchée sur douze centimètres de talons Marc Jacobs rose dragée, unStarbucks dans chaque main, Chiara attendait, parfaite dans son manteau parfait, avec ses cheveuxparfaits,sesyeuxparfaitsetsonsacàmainPrada(etparfait).

—Caramia!cria-t-ellequandelleaperçutJuliette.Elleaccourut,brasouverts.Bizarrement,lebonhommegrissuivit.Elless’embrassèrentaveceffusion.Chiaraluioffritlecaféencorevaguementtièdequ’elletenait.—Jesuistellementcontentedetevoir,ditJuliette.CommentvaVittoria?L’hommegrisàlunettes,quis’appelaitprobablementAlphonse,attendaitderrièreChiaraavecunair

desplusinquiétants.

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—Ellevabien.Elleareprisdupoildelabête.Elleamishorsd’euxtouslesmembresdupersonneldel’hôpitalenleurdonnantmilleconseilsdontilsnevoulaientpas.Jepenseque,laprochainefois,ilslalaisserontmourirsurletrottoir.

—Tantmieux,tantmieux.Noëls’estbienpassé?—Oui,maisons’enfiche.Raconte,toi,cequit’estarrivé.Desrencontres?Tuaspuencolleruneà

ce crétin deNicolas ?Quand je pense que tum’as envoyé trois e-mails en dix jours…Tamèrem’aappeléetouslesjourspoursavoirsij’avaisdesnouvelles.Jeluiaimentipournepasqu’ellesesuicide,filleingrate.

Alphonse se racla la gorge. Juliette, outrée, allait lui demander ce qu’il voulait quand Chiaras’interrompit.

—Ahoui,j’oubliais:jeteprésenteAmédée...AlphonseouAmédée,ellen’étaitpastombéeloin.C’étaitqui,cetype?Leporteurdevalises?—...moncopain,terminaChiaraavectoutlenatureldumonde.LeStarbucksdeJuliettetombaparterre,justeavantsamâchoire.—Tuveuxdire?SouslesyeuxmédusésdeJuliette,ChiaraattrapaAlphonse-Amédéeparlecouetluiroulaunpalotà

faire exploser les verres de ses lunettes en écaille. Les premiers moments de stupéfaction passés,Alphonse-AmédéeserévélaêtreungynécologuequeChiaraavaitrencontrélejourdel’hospitalisationdeVittoria.Çaavaitétélecoupdefoudreimmédiat.D’ailleurs,ellenourrissaitdésormaisunepassionardentepourlagynécologie.Alphonse-Amédéehochaitlatêteensilence,avecunsourirequiluidonnasubitementl’airplussympathique.

Juliette attendit que Chiara termine son histoire. Après tout, pourquoi pas ? Puis elle raconta lessiennes :Mark, laplongée,Kurt,Mark, les îles, re-Mark,NicolasetCaroline.Chiara labombardadequestions, tomba des nues quand elle comprit queMark n’était autre queMarkLenault, l’ex deSarahLamour,applaudità ladécisiondeJuliettedemontersaboîteets’énervaquandelleappritsafuitedudernierjour.

—Tuespartiesansluilaissertonnuméroalorsqu’ilt’attendaitpourdéjeuner?Aprèslasemainelaplusmerveilleusedetavie?

—Non,cen’estpasexactementça...,hésitaJuliette.—Maissi!C’estexactementça.Mais,avecuncomportementpareil,tuvasrestercélibatairetouteta

vie,mavieille.Juliette n’avait pas envie d’y penser. Elles papotèrent pendant tout le trajet. Chiara insista pour

entendrelerécitdechaquejournéedanssesmoindresdétails.Alphonse-Amédée, qui était finalement plutôt drôle, riait avec elles. Il les déposa en voiture chez

Chiara,quirepartitdirectementtravailler,etJulietteseretrouvaseuledansl’appartement.Soulagéedenepasavoirdevalisesàdéfaire(çaluiauraitsûrementdonnélecafardderetrouverdes

grainsdesabledanslesplisdesesrobesd’été),ellesedoucha,enfilaunvieuxjean,ungrospullenlaineetsepréparauncaféavantdesemettreautravail.Ellen’allaitpasselaisserabattre.Ellerappelalesquelques personnes qui l’avaient contactée pendant ses vacances pour lui demander des devis ou desinformations,discutaavecchacuned’entreelles,leurfitdesrecommandationsenfonctiondunombredepersonnes ou du type de cuisine souhaitée. Elle téléphona aussi à Vittoria pour demander de sesnouvelles.Lecoupdefildurauneheureetdemie.Vittoriaétaitdéjàaucourantdetout.Chiaraavaitdûl’appelerdubureau.

ElleréprimandaJuliette:cen’étaitpastouslesjoursqu’onsortaitavecunmillionnairequin’avaitpasquatre-vingt-quatorze ans.Quandellevoulut savoir si c’était unboncoup, Julietteprétenditqu’on

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sonnait à la porte et raccrocha. Elle appela ensuite ses propres parents, qui affirmèrent ne pas avoirrespiré depuis son départ. Elle ne leur raconta rien, car ils auraient d’autant plus paniqué. Elle secontentadedirequ’elleavaitpassédixjoursauborddelapiscineetn’évoquasurtoutpaslaplongée.

—Bon,maintenantqueçavamieux,tuteremetsàchercherduboulot?demandasamère.—Oui,maman,net’inquiètepas,jem’ymets.Cen’étaitqu’undemi-mensonge,aprèstout.Ellepassa le restede la journéeà remplirdes formulairespourdéposer lenomde sonentreprise,

qu’elleappelaLesGourmandises de Juliette, faire une demande d’immatriculation de la société, unedemande de référencement dans l’annuaire, etc.Animée par une excitation incontrôlable, elle dépensaplusd’énergiequ’ellen’enavaitjamaisdépensépoursonancientravail.

Elle commanda des cartes de visite et créa un blog, lesgourmandisesdejuliette.com. En attendantd’avoirunnumérodetéléphoneprofessionnel,elledonnalenumérodefixedeChiaracommenumérodecontact.Surlapaged’accueildublog,elleinséraunephotod’elle,dontlasélectionpritunebonneheureetdemie.

Ellechangeaensuitedix-huitfoislefonddublogpourvoirquellecouleurmettaitlemieuxenvaleurson teint.Ellecréadesrubriques,menus, recettes, idées.Quandelleeut terminé,elleserenditcomptequ’ilétaitvingtheurestrenteetqu’elleavaitdeuxmessagessursonrépondeur.C’étaitChristelleCrogue,quiluidemandaitànouveaudelarappelerdetouteurgence.

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Caroline,tagueule

—ChristelleCrogue,bonjour.—Bonjour,Christelle,c’estJulietteCharpentier.—Ah!Juliette,jesuisraviedevousentendre.J’aimeraispouvoirendireautant,songeaJuliette.—J’étaisencongé.Jen’aipaspuvousrappelerplustôt,répondit-elletoutensedisantqueçan’avait

pasde sensdedirequ’elleétait encongéàquelqu’unqui savaitpertinemmentqu’ellen’avaitplusdetravail.

—Pasdeproblème.Écoutez,jevoulaisvousparlerdequelquechose,entouteconfidence.Jepensequevouspourrezm’aideràrépondreàunequestion.

—OK,ditJulietteens’asseyantsurlecanapé.Christellesemblaitauborddelacrisedenerfs.—Vousvoussouvenezdecettenotedefraisquevousn’expliquiezpas?—La note de fraisMaje ridicule pour laquelle j’ai été virée commeunemalpropre ?Non, aucun

souvenir.—Oui,oui,jesais,mauvaissouvenir,désolée,bref,surlesdeuxderniersmois,j’aieud’autrescas

similairesauvôtre.Desnotesdefraisaberrantes,quiontentraînésoitunavertissement,soitunrenvoi.—Oui...—Çameparaissaitbizarre,votrecasenparticulier,parcequevousn’avezpasl’aird’unevoleuseet

vousaviezl’airsincèrelorsdenotre...,heu...,entretien.—Monlicenciement,vousvoulezdire?—Oui,votrelicenciement,bref...—Bref,commevousdites.—J’aipasmalréfléchietj’aitrouvéunpointcommunàtoutescesnotesdefrais.—Quiest?demandaJuliette,agacéequeChristelleprésentelesfaitscommesiellefaisaitlalecture

d’unromanpolicier.—Ce ne sont jamais les personnes concernées quim’ont apporté leur note.Vous savez, ça arrive

souvent que les dossiers soient regroupés et descendus à la compta par une personne de l’étage pouréviter les trajets.En soi, ça n’a rien d’anormal, sauf que, là, c’est lamêmepersonne quim’a déposétoutescellesquiontposéproblème...Jeneveuxaccuserpersonne,comprenez-moibien.C’estjusteuneconstatationet,siçavousparaîtstupidecommehypothèse,jelaisseraitomber,mais...

—C’estqui?demandaJulietteenmordantdansunChocoCookie.Maintenant,ellemouraitd’enviedesavoir.C’étaitpeut-êtreunenouvelleméthoderadicaledeDarkVadorquiavaitdécidéderéduirelescoûtsen

virant tout lemonde.D’un autre côté, Hervé n’avait jamais descendu ses notes de frais à la compta.D’ailleurs,laseulepersonnequidescendîtparfoissesnotesdefraisàsaplace,c’était...

—CarolineArembert,ditChristelleCrogue.Juliettes’étouffaaveclegâteau.—Connasse!hurla-t-elledansletéléphone.—Dites,jesaisquevousêtesamies,maistoutdemême...—Non,pasvous,elle,elle,biensûr.Juliettes’étaitlevéeetavaitentaméunesériedetoursfrénétiquesducanapé.—Vouspensezquec’estpossibleque...

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—Maisbiensûrquec’estpossible.C’estévident,même.Ellesavaitquej’auraislapromotionàsaplace.Connasse!Monmecetmonjob,lamêmesemaine!

—Jevaisfaireunrapportà...—Christelle,mercipourtout.Jevousrappelledemain.Julietteraccrocha.Enl’espacededixsecondes,elleavaitenfiléseschaussuresetsonmanteauetelle

étaitdehors.—Mon jobetmonmec !cria-t-elleauvoisinaumomentoù l’ascenseurse refermait,estimantque

c’étaituneraisonsuffisantepournepasretenirlaporte.Letrajetenmétrodurauneéternité.Ellerongeaitsonfrein,lamaincrispéesurlabarre.Enfin,lesportess’ouvrirentàlabonnestation,Juliettesortitencourant,remontalarueetsonnaàtous

lesinterphonesd’uncoup.—C’estmoi!dit-elled’untonenjouéauxinconnusquidécrochaient.Unbourdonnementsefitentendre,etlaportes’ouvrit.Pascompliquéd’êtrecambrioleuràParis.Ellegrimpaquatreàquatrelesmarchesdesdeuxétagesetlaissasondoigtappuyésurlasonnette.—J’arrive,j’arrive!criaCarolinedel’intérieur.Àpeinelaporteétait-elleouvertequeJuliettes’engouffradansl’appartement.—Juliette,qu’est-cequiteprend?demandaCaroline,stupéfaite.Nicolas apparut, alerté par la violence des coups de sonnette.Quand il aperçut Juliette, un regard

inquietremplaçasonsourirepoli.—Qu’est-cequisepasse?Commequelqu’unquiexpliqueàunenfantquelquechosequ’ilrefusedecomprendre,Carolinedit:—Juliette,ilfautquetut’yfasses.Nicolasetmoisommesamoureuxet...—Caroline, tagueule.Est-cequec’estvraiquetuasdonnéunefaussenotedefraisenmonnomà

ChristelleCroguepourêtrepromueàmaplace?Carolinepâlitsoussonbronzage.—Quoi?demandaNicolas.—Oh!toiettesairsdetomberdelalune,mêle-toidecequiteregarde,rétorquaJuliette.Réponds,

c’estvrai?Caroline avala à grande difficulté sa salive et dut s’asseoir sur une chaise qui se trouva

miraculeusementàportéedesesfesses.Quand son ancienne amie releva la tête, ses yeux bruns remplis de lassitude, Juliette retrouva un

instantlafilletimideettropgrossequ’étaitCarolineàvingtans.—Écoute,Juliette,murmura-t-elle.Jenepensaispasqueçairaitaussiloin.Jepensaisquetuaurais

justeunavertissement.J’avaistellementbossépourcettepromotion...Quandj’aiappris...Jen’aijamaisimaginé...Jesuisdésolée.J’aihonte.

Ellesemitàpleurer.—Tuashonte?Vraiment?Jecroyaisqu’onétaitamies!QuetumeprennesNicolas,passeencore.

J’avoue qu’au fond tum’as sûrement rendu service enme débarrassant de ce boulet,mais que tumefassesvirer...

—Quandmême...,commençaNicolas.—Silence!hurlaJuliette.—Jesuisdésolée,répétaitCaroline.Jenepensaisvraimentpas...Etaprès,c’étaittroptard...Jene

savaispluscommentm’ensortir.—Entedénonçantpeut-être?Çanet’estpaspasséparl’esprit?—J’auraisdû,maisj’avaistroppeurdesrépercussions.Jenevoulaispasqu’ilsmevirent.

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—Tunevoulaispasqu’ilstevirent?Non,maisjerêve!Carolinesanglotait.Nicolaslaregardaitcommes’ilnelaconnaissaitpas.—TuasvraimentfaitvirerJuliette?demanda-t-ild’unevoixblanche.—Oui,ditJulietted’unevoixsoudaincalme.C’estexactementcequ’elleafait.Vousalleztrèsbien

ensemble,touslesdeux.Deuxabrutismalhonnêtes;voilàcequevousêtes.Caroline,soudain,selevaetarticulaàtraversseslarmes:—Jenevoulaispastefairedemal...Jenepensaispasqueçadéraperaitàcepoint.Tun’envoulais

mêmepasdecejob,Juliette,tudétestaisvenirauboulot...C’estcommeNicolas:tuaimaisl’idéed’êtreaveclui,maispasluivraimentpourcequ’ilétait,etmoi...

Juliettehaussalesépaulesetl’interrompit:—Franchement,Caroline,jepensequemêmetoitusaistrèsbienquecen’estpaslaquestion.Nicolas affichait une tête demoineau tombé du nid.Caroline, le visage enfoui à nouveau dans ses

mains,n’arrêtaitplusdepleurer.Lemomentétaitpropiceàunesortieenbeauté.Juliettetournalestalonsetpartitenclaquantlaportedetoutessesforces.

Le soir, elle raconta la scène à son amie qui la félicita chaudement. Chiara avait acheté tous lesmagazinespeopledelasemaineetdéclaraqu’ellepasseraitsavieàlesétudierjusqu’àcequ’elleylisedesnouvellesdeMarketSarah.

—Jelesensbien,ceMark.J’aitoujourspenséquetufiniraisavecunmillionnaire,etmoi,avecunkiné.

—Unkinéouungynéco?Chiaraeutungesteindifférentdelamain.—Unkiné,ungynéco,c’estpareil.Unmédecin,quoi.Dans les magazines, pas de nouvelles, ni deMark ni de Sarah. Juliette consulta en secret le site

Internet de l’actrice, mais les articles ne traitaient que de son prochain film, l’histoire torride d’unefemmesublimeetaveugleembauchéeparleKGBpourséduireunagentdelaCIAténébreuxetmusclédontelletombeamoureuseetquimeurtdansd’atrocessouffrancesaprèsavoirmisfinàuncomplotquiconduisaittoutdroitàlatroisièmeguerremondiale(nucléaire,laguerre).

Juliette soupira et éteignit l’ordinateur. SiMark avait voulu la trouver, il aurait pu. Il suffisait dedemandersonadresseàl’hôtel.Biensûr,c’estellequiétaitpartiesansmêmelaissersonnuméro,maisilétaitentort.Ilauraitdûlarappeler,s’excuser,s’expliquer.

Iln’avaitmêmepasessayédelacontacter,sansdouteparcequ’ilavaitpréféréseremettreavecSarahauxjambesinterminables.Commentavait-ilréagienarrivantaurestaurant?Ilavaitdûd’abordpenserqu’elleétaitenretard.Ilavaitouvertsonjournalenl’attendant.Puis,ils’étaitrenduàl’évidence:elleneviendraitpas.

Peut-êtreétait-ilallé frapperà laportedesonbungalow,peut-êtreétait-il tombésurune femmedeménageentraindenettoyerlachambreauxplacardsvidesdeJuliette.Onluiavaitdonnél’enveloppe.LecœurdeJulietteseserraàcetteidée,parcequ’ellesavaitcequ’ilavaitpenséenl’ouvrant.

Quelesfemmesn’étaientpasfiables,qu’ellesarriventetqu’ellespartentsansmêmedireaurevoir,sansmêmeexpliquerpourquoi.QueJuliettenevalaitpasmieuxquesamèreouqueSarah.Elleauraitdû,sansdoute,provoquerunediscussion,leconfronter,luimontrerlemagazine,luidemanderpourquoiilluiavaitmentiausujetdesonexcursionàMalélelendemaindeleurpremièrenuitensemble.Maiselleavaitfui;c’étaitlâcheetstupide.

Ellesesentitsoudaindéprimée.

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«Rienneseperd,riennesecrée,riennesetransforme»(réfutationdelaloideLavoisier,parJulietteCharpentier)

Lelendemain,elles’interditdepenseràMark.Ilfallaitavancer.Elleselevatôtets’attelaàlatâche:lourdes procédures administratives, finalisation et demande de devis d’impression pour ses menus,nouvel article sur le blog... Elle était concentrée depuis un bonmoment, quand, en fin dematinée, lasonnettevintlatirerdesontravail.ElleouvritlaporteettombanezànezavecNicolas.Sonécharpemalenrouléeautourdesoncoulaissaitsagorgeàl’airetfroissaitlamoitiégauchedesoncoldechemise.Ilaffichaitunsourirecrispé.

—C’estfiniavecCaroline.Juliette,enpeignoirdansl’encadrementdelaporte,nevoyaitpasvraimentenquoiçalaconcernait.—Jenevoispasvraimentenquoiçameconcerne.—Jenesavaispas...Jenepensaispasqu’ellepuissetefairequelquechosecommeça...,d’aussibas,

jeveuxdire...Pourtontravail...Jevoulaistedirequej’étaisdésolé,vraiment.—Merci,réponditJuliette.Ellen’avaitpasvraimentenviedelefaireentreret,d’unautrecôté,illuifaisaitunpeudepeine.—Jepeuxentrer?Avecunsoupir,elles’écartapourlelaisserpasser.Àpeineétait-ilàl’intérieurqu’ilouvritdesyeuxàfairefondrelacalottepolaire.—Jet’aime,Juliette.Elleneréponditpasetilselançadansunlongmonologue.Ilavaitcommisuneerreurmonumentale,il

avaiteupeurdes’engager,peurdusérieuxdeleurrelation,peurd’êtreheureux.Après avoir démontré en trois parties en quoi le fait d’avoir largué Juliette comme une vieille

chaussette du jour au lendemain pour coucher avec une de sesmeilleures amies constituait, en fin decompte, lapreuveirréfutableetévidentedelaforcedesonamour, ilsepenchasurelleet l’embrassa.Juliettenerésistapas.Elleavaitrêvédecemomentpendantdessemaines.

Elleguettalegrandfrisson,lesvibrationsdubas-ventre,lesjambesquiramollissent...,maiselleneressentitrien.Riendutout.Levide.Elleattenditqueçasetermine,poliment,enpensantàtoutletravailquiluirestaitettoutletempsqu’elleperdait.

ElletressaillitquandilpassaundoigtsursajoueetsesurpritàpenseràMark.—Épouse-moi,Juliette,murmura-t-ildanssonoreille.Illaconduisaitverslecanapé;ellesedégageadesonétreinte.—Jenesaispas,Nicolas...Çavatropvite...Ilpritl’airpeiné.—Jepensaisque...—Ilfautquejeréfléchisse.C’esttropbrusque,ilyaeutellementdechangementsrécemment...Jene

saisplusoùj’ensuis...Elleportaunemainàsonfront.Lamigrainecommençaitàpoindrederrièresatempedroite.—C’estMarkLenault,c’estça?Ilsemoquedetoi.Vousn’êtespasdumêmemonde.Ilsortavecdes

stars,pasavecdesfillescommetoi.Juliettelerepoussa,vexée.—Non,çan’arienàvoir.J’aiseulementbesoindetempspourréfléchir.—Pourquoi?Jepensaisquetum’aimais.Quec’étaitcequetuvoulais.Tun’aspasbesoindetemps,

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c’est...—Tum’astrompée,etavecunedemesamies.Biensûrquej’aibesoindetemps!Ilsereculad’unpas,laregardaattristé.—Mais, Juliette, je t’ai trompée parce que je t’aimais trop. Comme l’explique très bien Lacan,

l’amourest...—Non,jemefichedeLacanet,aulieudemeciterdelaphilosophie...—Techniquement,Lacanestpsychanalyste,pasphilosophe...—JEMEFOUSDELACAN,NICOLAS!Jeveuxdesexcuses,pasdelapsychanalyse.—Jet’aiprésentémesexcuses.Qu’est-cequetuveuxquejefassedeplus?Ensilence,elleluitenditsonmanteau.Elleavaitbesoind’êtreseule.—Tum’appelleras?demanda-t-ilenl’enfilant.Ilparaissaittellementsûrdeluiqu’ellepromitdel’appeler.Une fois la porte refermée, elle s’assit sur le canapé. Ce n’est pas tant la visite de Nicolas qui

l’étonnait,maissapropreréaction.Ellen’auraitpasdûsesentiraussiindifférente.Peut-êtrequec’étaitunsignequ’ilrevienne,queMarknerappellepas,quelamalhonnêtetédeCarolinesoitrévélée…Saviepouvaitretrouversoncoursordinaire.C’étaitexactementcequ’elleavaitsouhaité.

Enfind’après-midi,ellereçutuncoupdefilsanssurprisedeChristelleCrogue,quiluiconfirmaqueCleanOffice reconnaissait son erreur et que les RH allaient appeler Juliette pour lui proposer de laréembaucherauplusvite.

Ils lui paieraient probablement même son salaire pour les mois qui s’étaient écoulés depuis sadémissionafindecompenserletortqu’elleavaitsubi.

QuantàCaroline,elleavaitétélicenciéepourfautegrave.Christelle,commeNicolas,nesemblaitpasenvisagerlapossibilitéqueJulietterefuse.Elleluidétaillaitdéjàlesprocéduresadministratives.

Aprèsavoirraccroché,Juliettecontempla lesfeuilleséparsessur la tablede lasalleàmanger,sonécrand’ordinateur,sonblog,seséchangesdemailsavecsesclientspotentiels.

Était-cebienréel?Cesderniersmoisneconstituaientpeut-êtrequ’unvastetest,unemiseàl’épreuve,mais,àprésent,toutallaitrentrerdansl’ordre.

Le destin lui présentait la direction à suivre ; elle n’avait qu’à la prendre sans réfléchir.Mark nereviendraitpas.Ellecontinueraitàcuisinerpendantsontempslibre,commeellel’avaittoujoursfait.

Ellerangealespapiersenunepilepropre,éteignitl’ordinateuretallumalatélé.Ellesesentaitvide.Videcommeunecoquilleabandonnéesur laplage,ballottéepar lesmarées,quirevient toujourssur lamêmepierreaufildesvagues,maiss’estunpeuébréchéeaupassage.

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TheEnd

Ensortantdelabouchedemétro,Julietteremontasoncoletenfonçasesmainsdanslespochesdesadoudoune. Elle avait oublié ses gants. Elle marcha à peine cinq minutes avant d’arriver à l’adresseinscritesur lepost-it rosechiffonnédans lecreuxdesamain.Unbel immeubledansunepetite rueduVIIearrondissement.Ellesonnaàl’interphone.

—Bonsoir,c’estletraiteur,dit-elledevantlemicroquigrésillait.—Montezausixième,laporteestouverte,réponditunevoixlointaine.Aufondd’unepetitecour,ellegrimpaunescalierenpierre,commeseulsParisoupeut-êtreRomeen

offrentencore.Sixétagessansascenseur…Pratiquepourlescourses!Surlepalierdusixième,l’uniqueporteétaitentrebâillée.Dehors,ilpleuvaitunepetitebruinequil’avaitglacéejusqu’auxoset,quandelleentradansl’appartement,unedoucechaleurl’envahit.

L’entrée était vide, et elle leva les yeux au ciel.Voilà une façon d’accueillir les gens.Une raisonsupplémentaire de ne pas faire ce métier : l’impolitesse des clients qui se croient tout permis sousprétextequ’ilspayent.

Deuxsemainess’étaientécouléesdepuissonretourdesMaldives.Sonbronzageavaitdésertésapeaupâleet,aveclui,toutessesambitionsdevienouvelle.Elles’étaitdisputéeavecChiaralaveille.Elleluiavaitannoncétouteslesbonnesnouvelles:qu’elleallaitretrouversontravail,seréinstalleravecNicolasetrendreàChiaratoutl’argentqu’elleluiavaitemprunté.Cen’étaitpaspossiblequetoutretombeaussiparfaitementenplace;c’étaitforcémentunsignedudestin.Chiaraavaitrétorquéquec’étaitsurtoutunsignedesastupidité.Juliettes’étaiténervée,commeons’énervequandonsaitqu’onatort.

Elleavait tenudesproposblessants sur le faitque,depuisqueChiara s’était entichéed’Alphonse-Amédée, elle se tenait toujours prête à donner à tout le monde des conseils que personne ne luidemandait.Chiaraavaitréponduqu’elle,aumoins,avaitsuffisammentdefiertépournepasseremettreavecunabrutiquiavaitcouchéavecsameilleurecopineetaccepterunjobd’oùonl’avaitviréecommeunemalpropre,letoutenl’espacedetroisjours.Alphonse-Amédée,quisquattaitdeplusenplussouventchezChiara,assistaitàlaconversationetavaitjugélemomentopportunpourdéclarerque«nejamaisprendrederisques,c’estprendrelepiredesrisques,celuiqu’ilnet’arrivejamaisrien».Commesionavaitbesoindesonavis.EtChiaral’avaitregardécommes’ilvenaitdedécouvrirlaloidelagravité,cequiavaitexaspéréJuliette,encoreplusquelefaitqu’ileûtraison.

Dansl’après-midi,Chiaraavaitrappelé,elless’étaientréconciliéesetleschosesavaientreprisleurcoursnormal.Poursefairepardonner,Julietteavaitacceptéundernierjobpourelle,undînerdefamilleorganiséàladernièreminutepouruncousinmilanaisdepassageàParis.Juliettenereprenaitletravailqu’unesemaineplustard;elledevaitbiençaàChiara.Pourtant,elleavaitcommeunsacdecimentdanslecœur.

Elleôtasonbonnetetouvritlafermetureéclairdesonmanteau.—Bonsoir,ilyaquelqu’un?Personne ne lui répondit,mais elle entendait de lamusique et elle se dirigea vers le couloir d’où

semblaitprovenirleson.

Iseetreesofgreen,redrosestooIseethembloom,formeandyou

Malgré leur impolitesse, ses clients avaient bon goût en matière de musique. La voix de Louis

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Armstrong provoqua une vague demélancolie chez Juliette, et elle se sentit nostalgique du soleil desMaldives.Lamélodie lui parvenait deplus enplusnette : ellemarchait dans labonnedirection.Elleremontalecouloirauxmursrecouvertsdelivres.Aubout,elleaperçutunpetitescalierenbois.Ellesebaissapourramasserparterreunepetitechosedouceetsouple,rougesombre,presquebordeaux.

Unpétale.Intriguée, ellegravit lespremièresmarches, écrasant sous sespiedsd’autrespétales éparpillés.La

chanson continuait,maintenant parfaitement audible. Elle s’arrêta, leva la tête, le pétale toujours à lamain.Cefumet,c’était...

Non,ellerêvait,cen’étaitpaspossible.Ellemontalesmarcheslentement,àlafoisimpatienteetanxieuseàl’idéedecequil’attendaitenhaut.

L’escalierdonnaitdansune largepièce trèséclairée.Lacuisineouverteà l’américaineet son frigoeninox détonnaient avec lesmurs en pierres découvertes et les poutres de bois brutes.Au loin, par unegrandebaievitrée,onapercevaitleSacré-Cœuraumilieud’unocéandetoitsmouillés.Surlatable,deuxchandelles, deux couverts, deux flûtes pleines de champagne et, au centre, encore fumantes, un peubrûlées sur le dessus et probablement encore congelées à l’intérieur, toujours dans leur barquette enaluminium...,deslasagnesFindussurgelées.

Une irrépressible enviede rireprit Juliette à lagorge, et toutes ses angoisses s’envolèrent avec lalégèretéd’unfumetdelasagnestropcuitessuruneplagedesMaldives.

—Tucroyaistedébarrasserdemoicommeça?Adosséaumur,lesmainsdanslespoches,Markl’observait,uneétincelletaquinedanssesyeuxbruns.

Juliette resta plantée en haut des marches comme un poireau dans un champ, à essayer de retenir lesourireidiotquiinsistaitpours’étalersursonvisage.

Ils’approcha,pritsamaindanslasienne.—Tuparscommeunevoleusesansmêmelaisserunnuméro...Ils’interrompitpourjoueraveclesdoigtsdeJuliette.Quandilcaressasapaumedesesdoigtstièdes,

unfrissondeplaisirlaparcourut.Laveille,elleavaitcouchéavecNicolas.Çaluiavaitfaitl’effetd’unLexomil.Markcontinuadesavoixgrave,presqueenchuchotant,seslèvresdeplusenplusprochesdesjoues

enflamméesdeJuliette.Illuiavaitmanqué.—JesuisobligédecherchertonnuméroprofessionnelsurInternet,depasseruneheureautéléphone

avecChiaraquim’aengueulécommedupoissonpourriparcequejen’avaispasappeléassezviteetquetuétais,jelacite,«entrainderedevenirunlégume».

Ilavait labouche toutcontresonoreille,maintenant,etellesentaitsonsoufflechauddanssoncou.Elle voulait fermer les yeux, que ses vêtements disparaissent comme par magie pour qu’ils puissentpasserauxchosessérieusesetenmêmetempsquel’instantdureéternellement.

—Jesuisdésolée,Mark...Ellesesentaitfaible.Ilposasesmainssursataille,laserracontrelui,frôladeseslèvreslecreuxde

soncou.—Pourquoituespartie?Jet’aiattenduecommeunidiotaurestaurantpendantdeuxheures.J’aieu

l’airdudernierdescons,jemesuisfaitdusouci.Jouantavecunemèchedesescheveux,ileffleuraseslèvresdessiennes.Ellenesesouvenaitplusdu

toutpourquoielleétaitpartie.—ÀcausedeSarah,murmura-t-elle.Ilrit,fitunpasenarrièrepourladévisager.—C’est finiavecSarah.Depuis longtemps.C’est l’uniqueraisonpour laquelle je l’aivueàMalé,

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pour lui dire que c’était terminé, que j’avais rencontré quelqu’un.Qu’est-ce que tu veux que je fassed’unefillecommeça?

Elle se fichait deSarah.Ellevoyait qu’il disait lavérité.Elle leva la têtevers lui, passa lesbrasautour de son cou, approcha ses lèvres des siennes et l’embrassa. Ils restèrent longtemps serrés l’uncontrel’autre,puisMarkl’éloignadoucementdelui.

—J’allaisoublier:ilfautquetuappellesChiara.—Chiara?Jel’appelleraiplustard.— Non, maintenant. Elle m’a dit que, si tu ne l’appelais pas une heure après ton départ de

l’appartementpourluiraconterdanslesmoindresdétailscequis’étaitpasséetqu’elleétaitobligéedesubirlesaffresd’uneattenteinsupportable,savengeancesurmoiseraitterrible.

Ilpritunairfaussementinquiet,etJulietteéclataderire.—D’accord,jel’appellevitefaitalors.—Et,tantquetuyes,demainmatin,turappellerastonboulot.—Monboulot?—Tuleurdirasquetuprendsuncongésabbatiqued’unanpourmontertaboîteetque,s’ilsnesont

pasd’accord,ilspeuventallervoirauxprud’hommessituyes.—Tunecroispasquec’estunpeuprécipité?Jenesaispassi...—Juliette, j’aiparlédetoià toutParis, j’aifait tapublicitépartout…Si tu laisses tomber, jevais

passerpouruncrétin.Ildépliaitsaserviette,elleseraclalagorge,unpeugênée.Ellevenaitdeserappelerunlégerdétail.—Tantquej’ysuis,jevaisappelerNicolas.—Nicolas?Pourquoi?—Pourluidirequejevaisprendreuncongésabbatiquedeluipendantenvironquatre-vingtsanset

que,siçaneluivapas,ilpeutallervoirchezlesMaldivienssij’ysuis.—Excellenteinitiative.Moi,jecommenceàdîner,parcequejen’aipaspréparécemagnifiquedîner

auxchandellespourmangerfroid.Markluifitunclind’œil,etJulietteeutenviederire.Elle,JulietteCharpentier,avaitpiquélemecde

SarahLamour.Sonhoroscopen’avaitpasdutoutprévuça.

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RetrouvezMarieVareillesursonsite:www.sissidebeauregard.com

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Chezlemêmeéditeur

Jedétestetellementt’aimer!AnnaPremoli

Depuis sept ans qu’ils sont dans lamême banque, Jennifer et Ian se détestent. Jusqu’au jour où ils sont obligés de travaillerensemblesurunprojetimportant.IanestlecélibataireleplusenvuedeLondreset,alorsqu’ilssontaurestaurantentraindeparlerboulot,ilssontépinglésparunpaparazzietleurphotoseretrouvedanslesjournaux.

Jennifer est furieuse. Mais Ian constate que cette photo a découragé une horde d’insupportables prétendantes. Du coup, ilproposeunmarchéàsacollègue: il lui laissecarteblanchepourleurprojetdetravailsielleacceptedejouerlerôledesapetiteamie.Facile?Ledéfirisquedeserévélernettementpluscompliquéqueprévu…

Unromanpleind’humour,PrixdeslibrairesenItalie.

ISBN:978-2-8246-0431-2

LeBonheur,aprèstout…DeborahMacKinlay

Isoléedanssonpetitvillageanglais,Evedécided’écrireàsonauteurfavori,unaméricainquihabiteunemaisonenborddemer.Ellen’imaginepasquecepremiercourriern’estqueledébutd’unelonguecorrespondance.

Derrièrelesvoilesdel’anonymatprocurésparladistance,EveetJackselivrent.Liésparleuramourdelacuisine,leurslettrescontiennentdesconfidencesqu’ilsnepeuventpasfaireàd’autres.Jackestenpanned’inspiration,safemmevientdelequitteretil

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n’estpastrèssatisfaitdesavie.QuantàEve,ellesesentseuleetneparvientplusàcomprendresafille.L’écrivain et la mère de famille s’épaulent, se conseillent. Leur correspondance, de plus en plus intime, bouleverse

progressivementleursvies.Ets’ilétaitpossibled’êtreheureux,aprèstout?

Unromantendredansl’espritduCerclelittérairedesamateursd’épluchuresdepatates.ISBN:978-2-8246-0417-6

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