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« Madame Bovary, c’est moi - D’après moi » Comment ne pas commencer avec Gustave et avec cette célèbre citation ? Cette phrase, prononcée (mais écrite nulle part … !) par Flaubert, était peut-être d’abord destinée à décourager ceux qui cherchaient coûte que coûte un modèle réel à l’héroïne. Ainsi, il rappelle que malgré le réalisme de la situation, le créativité de l’auteur prédomine. Evite-t-il une question qu’il juge peu pertinente en s’en sortant par une pirouette oratoire ? Tente-t-il de ne pas être taxé de misogynie ? N’avons-nous d’ailleurs pas retenu cette citation parce qu’elle a été prononcée par un homme ? Et s’il ne parlait pas du personnage, mais du roman (qui est éponyme) ? Ainsi, Flaubert signifierait qu’il circulerait tout entier dans son œuvre. D’ailleurs, dans sa correspondance, Flaubert ne fait pas mention d’un rapprochement entre lui et son personnage, il dit même le contraire, ne cessant de prôner l’impersonnalité. Pourtant, on ne peut s’empêcher de se rappeler que même si Flaubert se moque des rêves et des clichés sentimentaux de son héroïne, il partage avec elle une tendance à la rêverie (qui passe par la lecture), des élans romantiques, une fêlure existentielle, un romantisme noir qui prend à la gorge. N’est-ce pas là le portrait moral d’Emma ? N’oublions pas la fin de cette citation « d’après moi » qui signifie bien « d’après nature », « inspiré de ». Toutefois il exacerbe ces penchants, ce qui lui permet de prendre une distance réflexive qu’Emma n’a pas. Ainsi naît l’ironie, propre à Flaubert. Au-delà de la simple boutade, le propos révèle la volonté de l’auteur de donner à son personnage une portée universelle. La biographie d’Emma pourrait être la nôtre : « madame Bovary, c’est nous », dans le sens où toute vie humaine s’éprouve comme le réservoir d’une multiplicité de possibles condamnés à rester insatisfaits.

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« Madame Bovary, c’est moi - D’après moi »

Comment ne pas commencer avec Gustave et avec cette célèbre citation ?

Cette phrase, prononcée (mais écrite nulle part … !) par Flaubert, était

peut-être d’abord destinée à décourager ceux qui cherchaient coûte que coûte

un modèle réel à l’héroïne. Ainsi, il rappelle que malgré le réalisme de la

situation, le créativité de l’auteur prédomine.

Evite-t-il une question qu’il juge peu pertinente en s’en sortant par une

pirouette oratoire ? Tente-t-il de ne pas être taxé de misogynie ? N’avons-nous

d’ailleurs pas retenu cette citation parce qu’elle a été prononcée par un

homme ?

Et s’il ne parlait pas du personnage, mais du roman (qui est éponyme) ?

Ainsi, Flaubert signifierait qu’il circulerait tout entier dans son œuvre.

D’ailleurs, dans sa correspondance, Flaubert ne fait pas mention d’un

rapprochement entre lui et son personnage, il dit même le contraire, ne cessant

de prôner l’impersonnalité.

Pourtant, on ne peut s’empêcher de se rappeler que même si Flaubert se

moque des rêves et des clichés sentimentaux de son héroïne, il partage avec elle

une tendance à la rêverie (qui passe par la lecture), des élans romantiques, une

fêlure existentielle, un romantisme noir qui prend à la gorge. N’est-ce pas là le

portrait moral d’Emma ? N’oublions pas la fin de cette citation « d’après moi »

qui signifie bien « d’après nature », « inspiré de ».

Toutefois il exacerbe ces penchants, ce qui lui permet de prendre une

distance réflexive qu’Emma n’a pas. Ainsi naît l’ironie, propre à Flaubert.

Au-delà de la simple boutade, le propos révèle la volonté de l’auteur de

donner à son personnage une portée universelle. La biographie d’Emma

pourrait être la nôtre : « madame Bovary, c’est nous », dans le sens où toute vie

humaine s’éprouve comme le réservoir d’une multiplicité de possibles

condamnés à rester insatisfaits.