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Made in France L'industrie française dans la compétition mondiale

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DOMINIQUE TADDEI BENJAMIN CORIAT

Made in France L'industrie française

dans la compétition mondiale

Préface de Dominique Strauss-Kahn et Jean-Baptiste de Foucauld

LE LIVRE DE POCHE

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© Librairie Générale Française, 1993.

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Préface

Dans un monde aujourd'hui marqué par l'incertitude et par une intégration économique internationale de plus en plus poussée, les déterminants de la compétitivité industrielle connaissent de profondes mutations. Il est essentiel pour l'avenir économique de la France de pouvoir maîtriser ces évolutions. Le besoin s'est donc fait sentir de renouveler la réflexion collective en ce domaine ainsi que d'éclairer l'action du Gouvernement en faveur de l'industrie et des entreprises. Ce type de démarche doit associer tous les acteurs engagés dans la vie économique, experts, industriels et pouvoirs publics. C'est dans cet esprit que nous avons confié à Dominique Taddei et Benjamin Coriat, professeurs d'université, une mission intitulée "Les Nouvelles Armes du Défi Industriel" dont l'objectif final était de formuler des recommandations pour renforcer l'industrie française.

Ce livre, Made in France, exprime dans un langage aussi clair que possible, afin d'être accessible à tous, les conclusions essentielles du rapport, tout en conservant la liberté de ton qui constitue le privilège et l'honneur de l'Université.

Travail de synthèse conduit pendant un an, le rapport s'appuie sur des témoignages multiples. Colloques, études, consultations diverses, contributions de comités d'experts se sont succédé à un rythme élevé associant sous la houlette des auteurs plus de deux

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cents spécialistes. La mission a en particulier été assistée par un comité des industriels, présidé par M. Francis Mer, Président d'Usinor-Sacilor. Elle a enfin établi une fructueuse collabora- tion avec les auteurs de Made in America, rapport élaboré récemment par le M.I.T.

Ce livre voit le jour dans le contexte de la préparation du XI plan, pendant laquelle partenaires sociaux, financiers, experts ainsi que responsables de l'administration échangent et réfléchissent en commun pour tracer des perspectives longues permettant d'éclairer l'avenir et de dépasser le "court-termisme" auquel la pression des événements pousse trop souvent. La mission a ainsi fourni de nombreuses données qui, de septembre 1991 à décembre 1992, ont été utilisées dans le cadre du Plan, notamment par la Commission "Compétitivité", présidée par Jean Gandois, Président de Péchiney.

Que dit ce livre ? Nous laisserons au lecteur le soin de le lire et de juger lui-même : plusieurs points majeurs peuvent cepen- dant être dès maintenant mentionnés.

L'industrie reste le moteur essentiel de la croissance écono- mique. Elle est au cœur du processus de création des gains de productivité sur lesquels repose la croissance de la nation. Elle demeure la source essentielle d'innovation et d'adaptation aux nouveaux défis qui se posent à nos économies : de nouveaux secteurs émergent comme par exemple les industries liées à l'environnement, elle permet le développement de technologies modernes qui diffusent ensuite dans le reste de l'économie... Elle structure les rapports sociaux au sein du monde du travail en général. Enfin, directement et indirectement, elle contribue de façon décisive à l'emploi dans les services.

L'industrie a besoin de perspectives de long terme. Cette affir- mation n'a rien d'une évidence dans un monde économique dominé par une logique de marché de court-terme. Elle a surtout des implications dans nos modes de décision, dans nos pratiques économiques qui doivent évoluer vers une plus grande cohé- rence dans le temps de nos actions.

La compétitivité est aujourd'hui une notion globale qui intègre à la fois des considérations de coût et de qualité. Le ren- forcement de notre compétitivité passe donc, certes, par une saine gestion macroéconomique, mais aussi par de nombreuses

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autres voies : accroissement de l'innovation et des moyens affectés à la technologie et à la recherche industrielle, développement de nos infrastructures publiques, formation, ren- forcement de notre système financier, accompagnement des mutations sociales dans l'entreprise fondées sur une plus grande implication des salariés, attractivité du territoire... Dans tous ces domaines, des progrès ont été faits, d'autres sont à approfondir dont ce livre trace les voies, tant pour les pouvoirs publics à tous les niveaux que pour les entreprises et les salariés eux-mêmes.

Enfin, l'avenir est à la coopération industrielle. Dans les périodes d'incertitude, la tendance est au repli sur soi, notam- ment au sein de l'entreprise. Or, les besoins économiques sont aujourd'hui tels qu'ils nécessitent une plus grande coordination industrielle. Les réponses sont à chercher dans le renforcement de la coopération au sein des entreprises, entre entreprises, avec les sous-traitants, le système bancaire et enfin l'État.

Cette mission, mandatée par le ministère de l'Industrie et du Commerce extérieur et par le Commissariat général du Plan, dont ce livre est issu, donne un premier exemple de "stratégie coopérative" entre hommes et femmes dont le regard sur l'éco- nomie de notre pays, fondé sur des expériences et des sensibilités différentes, est nécessairement multiple. Il en ressort pourtant, au terme de ce travail, une analyse commune sur l'avenir de notre industrie. Puisse-t-elle porter ses fruits.

Dominique Strauss-Kahn, Ministre de l'Industrie et du Commerce Extérieur.

Jean-Baptiste de Foucauld, Commissaire du Plan

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REMERCIEMENTS

Ce livre résulte d'une mission, confiée aux auteurs par le Ministre de l'Industrie et du Commerce Extérieur et le Commissaire du plan, qui, après l'intérêt suscité par la publica- tion de Made in America, ont souhaité que soit entrepris un Made in France. Dans l'exécution de leur mission, les auteurs ont bénéficié tout à la fois de l'appui non compté des adminis- trations et services concernés et d'une liberté complète d'appréciation et d'analyse. Les auteurs tiennent ainsi à remer- cier vivement tous les hauts fonctionnaires qui ont apporté leurs concours à la réalisation de cet ouvrage, et à indiquer à M. Dominique Strauss-Kahn, Ministre de l'Industrie et du Commerce extérieur ainsi qu'à MM. Yves Cossé et Jean-Baptiste de Foucauld, Commissaire du Plan, combien ils se sentent honorés que leur ait été confiée la tâche de conduire ces travaux, qu'ils ont menés avec le sentiment d'exécuter une haute mission de service public.

Les auteurs tiennent à préciser, qu'ils ont sans cesse bénéficié des avis et commentaires d'un Comité de Parrainage Industriel, constitué sous l'autorité de M. Francis Mer, P.-D.G. d'Usinor- Sacilor. Qu'il leur soit permis d'exprimer leurs vifs remerciements au Comité et à son Président, pour la qualité de leurs contributions aux travaux de la Mission, comme pour l'extrême attention qu'ils ont sans cesse apportée, pour donner à ce livre un caractère "utile", suivant leur expression même.

De très nombreux experts français et étrangers, à commencer par les auteurs de Made in America, industriels ou chercheurs, ont apporté leurs concours, sous forme de rapports écrits ou de commentaires au cours des différentes phases et séminaires

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organisés dans le cadre de la Mission Même si, de propos déli- béré, nous n'avons pas toujours suivi les indications contenues dans ces analyses, ces contributions constituent la matière même de ce livre.

Enfin, il nous est particulièrement agréable de réserver une mention toute particulière pour ceux qui nous ont accompagnés tout au long de ce travail et qui ont constitué le groupe exécutif permanent de la Mission. Il s'agit de M. Patrick Chamorel (CGP), de Mme Danièle Kaisergruber (MRT) et de M. Grégoire Postel-Vinay (MICE), co-rapporteurs, de M. Jean Yves Gilet (Comité de Parrainage Industriel), de Mme Michèle Ansidei (CNRS-PIRTTEM), Secrétaire Général de la Mission. Nos remerciements enfin à Mmes Martine Colonna, Denise Humbert et Nelly Alain qui ont assuré le secrétariat de la Mission et la pré- paration du manuscrit.

1. L'ensemble des contributions réunies - analyses sectorielles et théma- tiques - sera publié dans le cours du second trimestre 1993 chez le même éditeur et dans la même collection sous le titre Made in France 2.

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E n g u i s e d ' i n t r o d u c t i o n

UNE NOUVELLE COMPÉTITIVITÉ POUR L'INDUSTRIE FRANCAISE

Made in ... : ces deux petits mots ont fait le tour de la planète. Avant tout ils désignent la provenance nationale des produits échangés à travers le monde, mais chacun le sent bien, ils repré- sentent aujourd'hui bien plus que cela... Par-delà son origine, c'est l'image du produit que le Made in promène avec lui. Comme au temps des métiers, le Made in constitue un véritable label. Pour le meilleur ou pour le pire, il est partout précédé d'un effet de réputation...

Ainsi si l'on admet sans restriction que les champagnes ou les parfums doivent être d'abord français, on préférera que les machines-outils et les automobiles soient allemandes, les magnétoscopes ou les baladeurs japonais, les jeans ou les films américains... Et il en est des marchandises comme des hommes, changer de réputation n'est pas chose facile...

Signe des temps, voici que des travaux, souvent de grande ampleur, consacrés à l'analyse approfondie de différentes éco- nomies nationales, se présentent comme des Made in, et font du label, le titre de leurs ouvrages. Après le Made in America du prestigieux MIT, le Made in Japan de M. Morita, président de Sony, le Made in Sweden qui donne lieu dans ce pays à quelques vives polémiques, voici le Made in France à son tour présenté.

On peut légitimement s'interroger sur le pourquoi de ces démarches. Pourquoi cette vague d'introspection à laquelle la

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plupart des principaux pays industrialisés se livrent aujourd'hui ? La réponse tient en quelques propositions. Les énoncer livrera les intentions des auteurs du présent ouvrage.

Si l'on va à l'essentiel, tout vient de ceci. Après une période de croissance relativement stable et forte, qui a alimenté une indéniable prospérité des grands pays industriels (les Etats-Unis, les pays d'Europe de l'Ouest, le Japon...), les années 1970 et 1980 ont marqué l'essoufflement et souvent la rupture des anciennes trajectoires. Le monde, sous nos yeux, change, l'interdépendance —qu'on la nomme mondialisation ou globa- lisation — s'accroît. La prospérité n'est plus assurée par la répétition des vieilles recettes : produire en série, à bas coûts, saturer le marché intérieur, puis exporter... Des bifurcations essentielles se présentent, notamment dans l'art de produire : quelles marchandises et par quels procédés ? Dès lors, la com- pétitivité d'une économie ne repose plus sur les mêmes supports et les mêmes ressorts : elle a, radicalement, changé de contenu. Dans cette situation, la stratégie des entreprises et l'action des pouvoirs publics doivent reposer sur de nouveaux principes. Repenser ses atouts et tenter de les mobiliser dans des formes et suivant des modalités largement inédites, apparaissent comme des tâches cruciales et urgentes.

Même pour les plus riches et les plus nantis, le monde est devenu dangereux. Ignorer les exigences nouvelles, expose aux plus hauts risques. Voyez les Etats-Unis : hier encore domina- teurs dans presque tous les domaines, les voici aujourd'hui pris dans un double déficit (des finances publiques et du commerce extérieur), qui symbolise leur lent déclin et grève pour long- temps leur avenir... A contrario, voyez le Japon : après guerre, vaincu, détruit et humilié, dépendant de tout, le voici désormais qui réalise les performances économiques les plus brillantes de la planète... Plus près de nous, l'Allemagne, l'autre grand vaincu de la guerre, est aujourd'hui le premier exportateur mondial avec les coûts salariaux les plus élevés et la durée annuelle du travail la plus courte... A l'origine de ces contrastes, le même principe d'explication. Tout s'est joué et se joue encore dans la capacité de prendre en compte les nouvelles dimensions de la compétiti- vité. S'arrêter le temps d'un livre sur l'ensemble de ces mutations; examiner la manière dont la France, ses entreprises et ses salariés, ses responsables privés ou publics, affrontent

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l'univers nouveau : tel est, en bref, l'objet de cet ouvrage. Celui- ci est le fruit d'un métissage intellectuel : il s'agit de croiser la quête universelle d'un nouveau Made in, avec les traits bien indigènes de notre société.

C'est que notre pays s'est trouvé fortement perturbé par la venue des temps nouveaux. Longtemps largement administrée - économie "colbertiste" disent les Anglo-Saxons avec une forte connotation péjorative - voici que notre industrie a dû affronter, dans le cadre des grandes déréglementations venues d'Amérique, tout à la fois la concurrence des nouveaux "sur- doués" de l'efficacité technologique et organisationnelle et celle des pays à bas salaires.

Après ces mutations et ces chocs, examiner ce qui fonde la compétitivité de notre pays et de nos entreprises, et ce, de manière dépassionnée, n'est pas chose aisée. Car, admettons-le, le mot compétitivité a bien mauvaise image. A tort ou à raison, n'est-ce pas en effet en son nom que l'on procède à ces charrettes de licenciements, dont on ne voit guère la fin, y compris au sein de groupes dont la prospérité apparente laisse perplexe ? De même, n'est-ce pas en son nom que les emplois sont délocalisés, vers ces "eldorados" de l'Asie du Sud-Est... à la recherche de ces gisements de main-d'œuvre supposée docile et peu chère... Ou enfin que les salaires sont l'objet d'une vigilence extrême ?

Pourtant, il n'y a, pour les auteurs de ce livre, aucune échappa- toire possible. Dans un monde dont l'interdépendance est croissante, l'ouverture, outre qu'elle est irréversible, est largement souhaitable. Dès lors il faut relever les défis. Maintenir une France ouverte, aux hommes, aux idées, aux flux de marchandises et de capitaux, suppose une France capable d'assumer cette ouverture. Une France compétitive. Pour cela, une mobilisation industrielle est indispensable qui, combinant efficacité et équité, peut assurer la compétitivité du Made in France, et permettre à notre pays de faire face aux enjeux de notre temps.

Car les défis ne sont pas tous extérieurs, d'autres viennent de la profondeur, de l'intimité même, de nos sociétés : ainsi, les citoyens, tout à la fois producteurs et consommateurs, expriment une irrépressible aspiration vers la qualité. Bien mieux scola- risés et formés que par le passé, leur plus grande exigence en matière de travail, si elle signifie des contraintes accrues en

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matière d'organisation et de gestion des hommes, est aussi riche de promesses et d'opportunités nouvelles pour les entreprises, si leurs connaissances et savoir-faire trouvent à être mobilisés. De même comme consommateurs, la demande de produits plus éla- borés, mieux conçus, plus économes et plus propres, implique des stratégies industrielles de la qualité qui sont l'avenir de nos économies.

Dans ces conditions, il faut partir des entreprises et de leurs comportements, pour mieux asseoir les orientations de politique économique exigées par la mondialisation des échanges et la cohérence de nos engagements européens. Des stratégies nou- velles praticables se dessinent alors, où la recherche de compétitivité peut largement prendre appui sur le déploiement systématique de ces qualités nouvelles.

Nous n'avons aucunement cherché à nier les difficultés souvent importantes qui se rencontrent dans notre pays. Tout au contraire, nous nous sommes systématiquement attachés à les repérer et à les décrire pour remonter à leurs racines, et tenter d'indiquer comment les surmonter. Dans cette mise en évidence des rigidités multiples qui retardent les déploiements, nous avons sans complaisance - du moins, nous y sommes-nous efforcés - porté le fer sur ce qui nous paraît être des comporte- ments périmés, auxquels pourtant trop souvent encore, entreprises et pouvoirs publics demeurent attachés.

La première partie de ce livre est consacrée à une apprécia- tion de l'état actuel de l'économie française et de sa compétitivité. Où en est notre compétitivité d'ensemble ? Où en sont plus précisément notre industrie, nos grands groupes, mais aussi les entreprises moyennes ou petites, celles de l'automobile, comme celles du textile ? Comment tous réagissent-ils à la nou- velle donne industrielle ?

La seconde partie, partant de l'analyse des comportements actuels des entreprises françaises, fait une large place aux diffi- cultés qu'elles rencontrent dans la réorientation de leurs stratégies. Quelles adaptations spontanées à la nouvelle donne industrielle développent-elles ? Chaque fois que nécessaire, c'est à une sorte d'acupuncture que nous nous sommes livrés : ne convenait-il pas d'appuyer précisément, pour chercher la guérison, au point sensible ?

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C'est dans le même esprit qu'est conçue la troisième partie de ce livre, consacrée au rôle des pouvoirs publics et à la politique industrielle. L'Europe nous apporte-t-elle, et à quelles condi- tions, des chances supplémentaires dans la compétitivité mondiale ? Faut-il céder à la mode qui veut qu'être "séduisant" et "attractif", vis-à-vis de l'investissement international, constituerait l'alpha et l'oméga des politiques nouvelles à pro- mouvoir ? La conviction des auteurs est que dans ce monde instable et rapidement changeant, les pouvoirs publics ont un triple rôle essentiel à jouer : d'accompagnement, d'impulsion et d'anticipation des stratégies industrielles.

Finalement, nous livrerons notre conviction ultime : la com- pétitivité ainsi reconsidérée n'est pas l'ennemie de l'emploi, elle en est la condition nécessaire.

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PREMIÈRE PARTIE

La compétitivité de l'industrie française : réalités et défis.

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Il nous faut d'abord planter le décor : celui de l'économie fran- çaise et celui de l'économie internationale dans laquelle elle est maintenant tellement insérée. Pour l'économie française, nous partirons d'un point de vue global, celui d'une situation macro-économique dominée par la désinflation, mais où la compétitivité reste problématique (chapitre premier).

En tout état de cause, de bonnes performances extérieures sup- posent un tissu productif, et notamment industriel, de très bonne qualité. Nous verrons à cet égard que notre situation industrielle est certes contrastée, mais dans l'ensemble insuffisante (cha- pitre 2).

Quant à l'économie internationale, elle a vu naître une nou- velle donne industrielle, qui s'impose à toutes nos entreprises, qu'il s'agisse de l'internationalisation croissante, de l'innova- tion technologique ou des nouvelles exigences des marchés (chapitre 3).

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CHAPITRE I

DÉSINFLATION ET COMPÉTITIVITÉ, DEUX RÉALITÉS BIEN DISTINCTES

Hier, la France a vaincu l'inflation ; aujourd'hui, elle vainc les déficits extérieurs; demain, elle vaincra le chômage... Tel est l'enchaînement vertueux qu'on semble attendre derrière l'expression ambiguë de désinflation compétitive. Est-ce si simple ? Nous ne le croyons malheureusement pas. Ce premier chapitre a pour but de montrer que si la désinflation a, en effet, réussi ( 1 Section), la compétitivité atteinte n'est pas encore satisfaisante (2 Section) et qu'il convient de s'engager résolu- ment dans une stratégie de compétitivité globale (3 Section). En conclusion, on montrera que cette stratégie ne pourra réussir qu'en faisant jouer à l'industrie un rôle central.

Section 1 : LA DÉSINFLATION A RÉUSSI...

I. Origines et raisons du choix

C'est en 1982-1983 que la France s'est engagée dans une stratégie dite de "désinflation compétitive". Le pays est alors confronté à deux questions essentielles :

1. La rédaction des deux premières sections a été fortement influencée par le rapport de P. A. Muet (1992) pour cette Mission et presque davantage par de nom- breuses années de discussion commune sur ces questions.

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- quel régime monétaire est le plus approprié pour concilier sa volonté d'intégration européenne et ses objectifs propres, alors que, de manière récurrente, elle ne fait face à ses déficits exté- rieurs que par des dévaluations ?

- Comment rétablir la situation financière extrêmement dégradée de ses entreprises, d'autant plus que les taux d'intérêt réel viennent d'atteindre des records, du fait de la Mix Policy américaine ?

Notre diplomatie a été traditionnellement favorable aux régimes de changes fixes et le flottement général des monnaies dans les années 1970 a été ressenti comme la manifestation d'un désordre et une aggravation de l'incertitude défavorable aux échanges internationaux et à l'investissement. De plus, il était "généralement admis qu'un retour aux changes flexibles est nui- sible à l'intégration économique de la Communauté, à la fois en raison des perturbations qu'il introduirait dans les décisions des entreprises et des conflits que les politiques non-coopératives pourraient susciter (Pisani-Ferry, 1992, p. 6). Au demeurant, le flottement du franc dans les années 70 n'a guère été concluant, pas plus que celui de la livre durant toutes les années 1980. Toutefois, le Système Monétaire Européen (S.M.E.), auquel la France a confirmé son adhésion en 1983, est un système de change fixe, ayant jusqu'ici pour seul pivot, le mark allemand et où les variations de parité sont négociées en position de faiblesse par les candidats à la dévaluation de telle sorte qu'elles "ne per- mettaient plus de gains ex ante de compétitivité, mais comprenaient seulement ex post une compétitivité dégradée" (P.A. Muet, 1992, p. 3), c'est-à-dire que, dans un tel régime, une dévaluation ne peut être compétitive et que le pays qui s'y adonne est toujours en retard de compétitivité-prix et cela d'autant plus que "les réalignements ont cessé de compenser intégralement les écarts d'inflation cumulés, et se sont espacés" (Pisani-Ferry, 1992, p. 17). En outre, "l'indexation complète à long terme des salaires sur les prix rendait vaine toute tentative d'abaisser le coût salarial par des dévaluations, en transformant rapidement les dévaluations réelles en dévaluations nominales, c'est-à-dire en inflation. Enfin, la libéralisation des flux de capi- taux rendait plus aléatoires les gains d'une dévaluation, le coût résultant de la non-crédibilité de la parité pouvant devenir rapi- dement prohibitif en termes de taux d'intérêt" (idem). Dans ce

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contexte, l'idée a fini par prévaloir qu'une dévaluation ne pouvait réussir qu'à des conditions drastiques d'accompagne- ment et que, dans ce cas, on pouvait sans doute obtenir les mêmes résultats... sans dévaluer !

Toutes ces raisons ont justifié le large consensus dont a béné- ficié depuis 10 ans la politique de désinflation, alors même qu'elle se fondait principalement sur la rigueur salariale, de façon à rétablir simultanément les comptes des entreprises.

Finalement, le constat peut sembler paradoxal : c'est là où on l' attendait le moins que la France a le mieux réussi depuis 10 ans. La désinflation menée avec constance, malgré deux alternances politiques, sous quatre ministres des Finances diffé- rents, a fait qu'aujourd'hui notre pays est, en Europe, celui qui respecte le mieux les grands équilibres nominaux, celui dont la stabilité monétaire est le mieux assurée. Tous les indicateurs usuels le confirment.

II. Un ensemble remarquable de réussites

A) D'abord, le plus important en matière de désinflation, l'indice général des prix : en valeur absolue, il tombe de 13,5 %, en 1980 et 1981, à environ 3 %, à partir de 1986 et se stabilise depuis lors à ce niveau (graphique 1.1) : pendant plus de 6 années consécutives, un record pour notre pays ! On invoquera des circonstances internationales plus favorables à partir de 1985 : contre-choc pétrolier et baisse prononcée du dollar. Mais la performance relative au sein de la CEE reste éloquente : à partir de 1984, elle ne cesse de s'améliorer, au point d'atteindre près de 2 % l'an, depuis 3 ans (graphique 1.2).

B) L'assainissement des finances publiques, souvent pré- senté comme la condition nécessaire de la désinflation, a été

1. A côté d'éléments extra-économiques, comme "la place de la France dans le Monde" (texte du I X Plan). Il est en effet notoire que dans les choix décisifs fran- çais de mars 1983 en faveur d'une gestion rigoureuse, l'argument diplomatique de maintien de la crédibilité des officiels autour des tables de conférence internationale, a joué un rôle au moins aussi important que les arguments économiques alors très controversés.

2. Tous les graphiques de cette section sont tirés, sauf mention contraire, de - Ministère de l'Economie et des Finances - (1992).

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Taux de croissance de l'indice des prix à la consommation

Graphique 1.1

Graphique 1.2

Ecart entre l'inflation française et l'inflation de la CEE

mené à bien. C'est ainsi que le déficit des administrations publiques reste parmi les plus faibles au sein du G7 (cf. tableau 1.1). Plus significatif encore, car reflétant les résultats cumulés sur de nombreuses années, la dette brute des adminis- trations publiques s'est presque stabilisée depuis 1988 (tableau 1.2), malgré des taux d'intérêt réel exceptionnellement élevés, et répond largement aux critères de convergence de l'Union Economique et Monétaire (UEM). Ceci s'explique largement

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Déficit des administrations publiques en % du PIB

Source OCDE

Tableau 1.1

Dette brute des administrations publiques % PIB en 1991

Source OCDE

Tableau 1.2

par la maîtrise des dépenses publiques : les dépenses de fonc- tionnement de l'Etat sont à leur plus bas niveau des vingt dernières années (tableau 1.3), ce qui n'est d'ailleurs pas sans risque, quant à la qualité des services publics ; certes, la décen- tralisation a transféré certaines dépenses aux collectivités territoriales, il n'en reste pas moins que depuis 1984, la part des administrations publiques s'est réduite, inversant le mouvement historique (tableau 1.4).

Il s'ensuit que le taux global de prélèvements obligatoires qui n'avait cessé d'augmenter dans les années 1970, atteint un maximum en 1984, la hausse très ralentie des prélèvements sociaux étant depuis plus que compensée par la baisse, en pour- centage du PIB, des prélèvements fiscaux (graphique 1.3).

C) Le franc français a rejoint le camp des monnaies fortes : sa parité avec le mark allemand est pratiquement stabilisée depuis plus de 5 ans. La majorité des observateurs sont désor- mais convaincus que ces acquis sont durables et ce nouveau statut a permis d'éviter que le franc soit emporté par la spécula- tion lors de la violente crise monétaire de septembre, en rendant possible la solidarité allemande. Il s'en est suivi une quasi-

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Dépenses de fonctionnement et de développement de l'État en % du PIB Tableau 1.3

En 1990/1991 les dépenses de fonctionnement et de développement de l'État en part de PIB atteignent le plus bas niveau des vingt dernières années.

Prélèvements obligatoires en % du PIB

Source INSEE Tableau 1.4

disparition du différentiel de taux d'intérêt avec l'Allemagne. Ainsi de 1982 à 1992, l'écart de taux à long terme est-il passé de 7 points à 0,5 % (cf. tableau 1.5 pour l'évolution plus récente des taux courts et longs) ! Même si, à l'évidence, les taux d'intérêt réels demeurent particulièrement élevés (du fait notamment de notre faible inflation), la quasi-disparition du différentiel est un facteur favorable pour le financement de nos entreprises dans la compétition internationale, de même que la réduction des marges d intermédiation pratiquées par un système financier plus performant (graphique 1.4).

D) Les finances des entreprises françaises sont très largement restaurées sous le double effet d'une fiscalité allégée et d'un partage profit-salaires beaucoup plus favorable aux entreprises.

1. Autour de 6 % pour les taux à long terme.

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G r a p h i q u e 1.3

Taux de prélèvements obligatoires, de prélèvements fiscaux et de prélèvements sociaux en % du PIB

Source : Comptes de la Nation 1991 Insee

L'augmentation des prélèvements fiscaux en 1991 résulte de la mise en application de la CSG (0,44% du PIB en 1991) qui s'est substituée à des cotisations sociales.

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Taux d'intérêt comparés en France et en Allemagne Tableau 1.5

Taux interbancaire à trois mois 1988 17 juin 1992

France 7,92 10,12

Allemagne 4,37 9,75

Taux de rendement des obligations d'Etat à 10 ans 1988 17 juin 1992

France 8,68 8,74

Allemagne 6,45 7,94

Ecart entre le coût moyen des nouveaux crédits aux entreprises et les taux du marché

Source : calcul DP à partir des enquêtes Banque de France

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La France se place, depuis la baisse récente des taux de l'impôt sur les sociétes, dans la moyenne européenne

Charge fiscale induite par l'application de fiscalités étrangères à des sociétés françaises en 1990 (en % de la valeur ajoutée)

Législation

Français. 10,6

Allemande 12,8

Belge 12.1

Italienne 11,6

Britannique 9,9

Source DP - OCDE

Tableau 1.6

La Direction de la Prévision a réalisé une si- mulation qui consistait à appliquer sur un échantillon de 19 000 sociétés françaises les principaux éléments de l'ensemble de la fis- calité de quatre pays partenaires de la France (Belgique, Italie, RFA et Royaume- Uni).

Taux de cotisation moyen des employeurs aux régimes sociaux

Source : Direction de la Prévision

Tableau 1.7

1 ) D'un point de vue fiscal, le taux de l'impôt sur les sociétés est passé en quelques années de 50 % à 42 % (1988), puis 34 % (1992). Comme le note le Ministère de l'Economie et des Finances (1992) : "Ces mesures, complétant le plafonnement de la taxe professionnelle à 3,5 % de la valeur ajoutée, sont à l'origine d'un supplément annuel de fonds propres pour les entreprises françaises d'environ 60 milliards de francs par an en 1992".

Ceci place nos sociétés dans une position désormais favorable au plan communautaire (tableau 1.6). De surcroît, depuis 1988, les prélèvements sociaux sur les entreprises sont orientés à la baisse (tableau 1.7). On peut toutefois en trouver le niveau absolu trop élevé mais ceci renvoie à un problème de finance- ment de la sécurité sociale sur lequel nous reviendrons ultérieurement. 2) Le partage profit-salaires, qui correspond au plan des entre- prises à leur taux de marge, s'était très fortement déformé à partir du premier choc pétrolier jusqu'en 1983, mais il s'est com- plètement inversé depuis lors (passant de 24 % en 1980 à plus

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Encadré 1.1

L'EFFICACITÉ DU CAPITAL, UNE BOITE NOIRE

Cette première ombre au tableau mérite qu'on s'y arrête, car elle est hautement significative de notre diagnostic d'ensemble. On sait en effet, qu'on peut décomposer un taux de profit en :

P/K = P/Y * Y/K où P représente les profits, K les capitaux, Y le revenu national, si bien que P/K est le taux de profit ; P/Y le taux de marge et Y/K la productivité (dite apparente) du capital. Or, nous avons vu que le taux de marge P/Y est redevenu satisfaisant, si bien que le redresse- ment, insuffisant de P/K, est entièrement imputable à l'affaiblisse- ment progressif (plus fort en France que dans les pays concurrents) de la productivité du capital. Tous les spécialistes de modèles macro- dynamiques savent bien que l'évolution de cette dernière variable commande tout à la fois, le taux de croissance et la répartition, les comptes extérieurs et l'emploi. Curieusement ils n'en traitent le plus souvent que de manière lapidaire et par simple extrapolation, si bien que l'efficacité du capital est (dans l'analyse du capitalisme !) une boîte noire qu'on ne retrouve presque jamais. Cela se retrouve parti- culièrement dans les résultats de notre pays où quand il s'agit d'in- fléchir les variables nominales (ici la répartition du revenu national) on peut admettre que l'assainissement est acheté ; par contre quand il s'agit de redresser les variables physiques, ou réelles (ici l'effica- cité du capital), on est encore bien loin du compte !

de 30 % depuis 1988). Les taux de marge ayant connu, depuis lors, une augmentation de 50 %, très supérieure à celle de nos principaux partenaires (graphique 1.5), ils retrouvent les niveaux jugés satisfaisants des années 1970-73. Par voie de conséquence, les taux de profit qui s'étaient non moins dégradés ont également connu une amélioration récente. Toutefois, la situation ne paraît pas ici aussi satisfaisante, si on la compare à celle de nos principaux concurrents (tableau 1.8 et

1. Malgré les difficultés d'harmonisation internationale, parmi lesquelles, on citera les fonds de retraite allemands, dont le statut est ambigu, et le montant des dettes commerciales d'importance plus élevée dans un pays comme la France, du fait de la longueur exceptionnelle des délais de paiement (cf. chapitre 6, section 2).

2. D. Taddei (1991), pour une démonstration plus complète.

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Taux de marge (Excédent brut d'exploitation/Chiffre d'affaires) Graphique 1.5

Source : Bach : CE DGII (Indice 1962=100)

Tableau 1.8

Les taux de rendement

du capital*

Moyenne Moyenne. 8 0 - 87 88-90

1. États-Unis 16,8 19,8

2. Japon 14,3 15,8

3. Allemagne 12,3 14,0 4. France 11,0 13,9

5. Italie 13,4 14,9

6. Royaume-Uni 9,5 9,8

*Excédent brut d'exploitation rapporté au stock du capital fixe au coût de remplacement. Source : OCDE.

graphique 1.6), ou même à celle de notre pays avant le premier choc pétrolier (encadré 1.1) 3) Il n'en reste pas moins que cette double modération fiscale et salariale a considérablement amélioré les résultats financiers avec, par exemple, un taux d'auto-financement qui, sur cinq années consécutives, est plus favorable que pour n'importe quel

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Rentabilité financière (Produit brut courant avant impôts/Fonds propres)

Graphique 1.6

Source : Bach DGII (Indice 1982=100)

autre grand pays industriel (cf. tableau 1.9). De même, l'endet- tement (avec l'essor des marchés financiers) et la pénurie de fonds propres qui passaient pour les principaux handicaps struc- turels, au milieu des années 1980 ont connu un redressement très marqué, supérieur en tous les cas à celui de nos principaux com- pétiteurs (tableau 1.10)

1. Certes, bien des difficultés spécifiques demeurent encore et nous y ferons large- ment écho dans la section 6.6, mais nous voulons affirmer ici avec force que la question des fonds propres n'a plus la même acuité qu'au milieu de la décennie précédente.

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Ratio c a p i t a u x p r o p r e s

s u r cap i t a l f inanc ie r*

Tableau 1.10

France 29,7 53,6

Royaume Uni 66,3 61,0

Japon 40,3 46,1

Italie 43,3 45,8

Espagne 43,8 65,1

Allemagne 31,7 32,9*

*Capital financier hors provisions (en particulier pour retraite en Allemagne). Source BACH

III. Deux handicaps internationaux demeurent : taux de change et taux d'intérêt.

Finalement, deux éléments très préoccupants demeurent dans l'environnement monétaire et financier de nos entreprises.

Le premier a trait à la sous-évaluation manifeste du dollar et du yen vis-à-vis de l'ensemble des monnaies du S.M.E. ; même si on raisonne sur une mesure toujours approximative de la parité des pouvoirs d'achat, l'ordre de grandeur (de 25 à 40 %) ne laisse aucune espèce de doute Au demeurant, c'est juste- ment vis-à-vis des Etats-Unis et du Japon que nos déficits extérieurs continuent de se creuser de manière préoccupante. Mais on sait que le mal dépasse largement les relations bilaté- rales avec ces deux pays, puisqu'il s'étend à tous les échanges

1. Il est d'ailleurs stupéfiant de noter que l'on s'inquiète si souvent d'arguments pouvant faire varier de moins de 1 % la compétitivité-prix, quand des mouvements 10 à 100 fois supérieurs surviennent du fait des fluctuations de change, dans le silence le plus total... qui discrédite en fait les arguments précédents !

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libellés en dollar avec n'importe quelle autre nation, dès lors que leurs produits sont concurrents.

Le second est celui des taux d'intérêt réels records que nous subissons Une bonne partie de leurs inconvénients sont moins souvent relevés : la prévision d'une poursuite de cette situation (et comment faire autrement ?) conduit tous les agents écono- miques - entreprises, ménages, administrations - à rechercher un taux d'endettement optimal plus bas et freine donc tous leurs projets de dépense, surtout quand ceux-ci s'inscrivent dans un horizon long. La question est particulièrement grave pour les industriels : en effet, leurs prix de référence - dont l'évolution

PROFITABILITE DES ENTREPRISES

Graphique 1.7

1. Il est usuel d'en faire le reproche à la politique de la Bundesbank, ce qui est exact pour les taux courts. Mais pour les taux longs – dont la détermination est beaucoup plus mondiale–, les Twins déficits U.S. des douze dernières années ont

joué un rôle encore plus décisif.

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est comparée aux taux d'intérêt courants, nominaux - augmen- tent moins vite (quand ils ne baissent pas) que les prix à la consommation. En d'autres termes, le même taux d'intérêt de marché correspond pour eux à un taux d'intérêt réel plus élevé. Or, du fait de ces derniers, la profitabilité de l'investissement devient plus souvent négative, alors même que le taux de renta- bilité financière des entreprises est raisonnablement positif (cf. graphique 1.7)... ce qui conduit évidemment à privilégier les pla- cements financiers... surtout les SICAV monétaires de capitalisation, exonérées d'impôt !

Bien entendu, ces deux sérieuses difficultés concernent l'ensemble des entreprises communautaires et leur solution n'est pas seulement française : l'U.E.M., elle-même, apparaît plutôt comme une condition nécessaire, mais non suffisante à leurs résolutions... tant que l'administration américaine continuera de concevoir les variations du dollar en fonction de ses intérêts nationaux à court terme...

Cela ne doit pas toutefois fausser le jugement que nous portons sur la situation d'ensemble, et partagé par la grande majorité des experts étrangers : qu'il s'agisse des prix de la parité franc-mark, des finances des entreprises ou des finances publiques, il paraît impossible de nier que la désinflation ait réussi, nous ajouterons même au-delà de tous les espoirs, tant il est vrai que l'unification allemande a permis de parachever la convergence nominale plus rapidement et dans de meilleures conditions que celles imaginées initialement. Finalement, elle place notre pays dans une position plus favorable que la plupart de ses voisins pour préparer la monnaie unique.

So what ? questionneraient à ce point les anglophones... Les plus optimistes pensent que l'essentiel est fait, qu'il n'y a plus qu'à attendre et que le reste (commerce extérieur, investisse- ment, emploi) nous sera donné de surcroît...

A cela, les plus pessimistes répondent qu'on peut mourir guéri, que le Royaume-Uni des années 20, le bloc or des années 30 ou le Portugal de Salazar avaient aussi bien réussi en matière de stabi- lité monétaire, accélérant dans le même temps et souvent par là même leur déclin.

1. Cet argument a été développé avec insistance par F. Mer et les membres de notre Comité de Parrainage Industriel.

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De fait "cette politique imposa une contrainte forte à un secteur industriel dont la structure était peu adaptée à une appré- ciation réelle de la monnaie... Bien qu'atténué par des gains de crédibilité, le coût de cette politique fut une contrainte extérieure forte pesant sur la croissance et l'emploi pendant la période d'ajustement" (P.A. Muet, 1992, pp. 4 et 5). Mais, depuis 1987, les stabilités du taux d'inflation autour de 3 % et de la parité franc-mark ne semblent pas avoir représenté un coût supplé- mentaire sur notre économie réelle, puisque "les travaux appliqués disponibles confirment l'absence de corrélation posi- tive entre inflation et croissance en moyenne période", à la différence du court terme (J. Pisani-Ferry, 1992, p. 9). Dans ces conditions, la désinflation est un bien qu'il faut désormais pré- server, mais rien ne garantit que cette condition nécessaire puisse être considérée comme une condition suffisante, si c'est bien la croissance et l'emploi qui sont les objectifs ultimes. Que l'on se préoccupe de commerce extérieur (ce que nous ferons dans la suite de ce chapitre), de développement industriel... (durant l' essentiel de ce livre) ou d'emploi (dans notre conclu- sion), bien du chemin reste à parcourir !

Section 2 ... MAIS ELLE N'EST PAS SYNONYME DE COMPÉTITIVITÉ

Cette désinflation, incontestablement réussie, est-elle pour autant "compétitive", comme l'assure la doctrine officielle ? Il y a peu encore, rares étaient les experts qui semblaient en douter. Pour les uns, la désinflation signifie plus de compétitivité par définition, des lors que cette dernière correspond aux prix rela- tifs d un pays par rapport à ceux de ses concurrents ; c'est évidemment irréfutable, mais la désinflation compétitive n'est plus des lors qu un pléonasme qui ne fait guère progresser les choses. Pour d' autres, plus sérieusement, la désinflation s'avè- r e ra i t c ompétitive de par le rétablissement observé de nos comptes extérieurs.

Nous verrons que ce résultat demeure cependant fragile (para- graphe 1). Il convient donc de bien s'entendre sur la définition

que l'on donne de la compétitivité, en évitant les conceptions trop étroites (paragraphe 2). On peut alors observer des élémments

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Le commerce extérieur est équilibré

La maîtrise des prix et des coûts et plus généralement l'augmentation de notre compétitivité, associées à la forte demande en provenance d'Allemagne, ont per- mis de ramener à l'équilibre nos échanges extérieurs. Le déficit commercial a nettement diminué en 1991,

passant de 50 milliards de francs en 1990 à 30 mil- liards de francs en 1991. Cette amélioration s'est pour- suivie au cours des premiers mois de 1992. En avril 1992, le commerce extérieur français présentait sur les douze derniers mois un excédent de 672 millions de francs.

Solde brut FAB-FAB, cumul sur 12 mois

Graphique 1.8

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Solde cumulé sur 12 mois des échanges France-CEE Graphique 1.9

L'amélioration de notre solde commercial est très sensible vis-à-vis des pays européens.

Solde courant en milliards de francs

Source Balance des paiements

Tableau 1.11

d' amélioration durables, quoiqu'encore insuffisants (paragraphe 3). On doit enfin se demander si les efforts supplémentaires de compé- titivité peuvent passer par un effort supplémentaire de désinflation (paragraphe 4).

I. Le rééquilibrage récent de nos comptes extérieurs demeure fragile

Les données conjoncturelles de notre commerce extérieur sont plus rassurantes depuis la fin de 1991... A un déficit croissant

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depuis janvier 1987, succède (graphique 1.8) une très brusque amélioration, qui permet même d'obtenir des excédents com- merciaux au 1 semestre 1992 (graphique 1.9). Cette "divine surprise" (les conjoncturistes, même officiels, avaient été moins optimistes) trouve certes une première explication dans la réuni- fication allemande qui, démarrée en période de pleine utilisation des capacités de production, a entraîné un surcroît d'importa- tions et une baisse des exportations. Mais, l'expansion allemande paraît maintenant ralentie et nos bons résultats com- merciaux perdurent. Cela signifie-t-il qu'en réussissant la désinflation, notre pays a, du même coup, terrassé les déficits extérieurs, sinon la contrainte extérieure ?

L'affirmation serait d'autant plus imprudente que 1986 fut déjà une année d'équilibre du commerce extérieur (tableau 1.11), d'autant plus remarquable qu'elle succédait à de très forts défi- cits (près de 100 milliards, record historique en 1982). A cette époque, il n'est guère douteux que la réduction considé- rable de notre inflation (de 13,5% en 1981 à 5% en 1985) avait pu jouer un rôle très positif dans ce rééquilibrage. Pourtant, cela ne devait pas empêcher les soldes bruts de se dégrader, à partir de janvier 1987 (cf. graphique 1.8), au fur et à mesure que la reprise économique entraînait des investissements qui indui- saient eux-mêmes une forte hausse des importations de biens d'équipement professionnels. Ne risque-t-on pas à nouveau la même dégradation, lors de la prochaine et souhaitable reprise économique ? Il ne faudrait tout de même pas que nos respon- sables' se félicitent d'un déficit croissant (en 1987), parce qu'il signifie une reprise de l'investissement, puis d'un retour à l'équi- libre (en 1992), quand il signifie baisse de l'investissement...

Ces confusions montrent, à l'évidence, la nécessité de s'entendre sur une définition de la compétitivité et donc un moyen simple de l'appréhender.

II. Qu'appelle-t-on compétitivité ?

Pour apprécier quelles ont été les conséquences d'une désin- flation réussie sur les comptes extérieurs et la "compétitivité"

1. Qu'il ne s'agisse pas des mêmes hommes politiques, ni de la même coalition politique, n'a évidemment pas ici une grande importance : le discours en ce domaine est plus influencé par la conjoncture économique que par l'appartenance politique...

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des entreprises, bien comprendre ce qu'on entend par cette der- nière expression est évidemment indispensable.

En premier lieu, la compétitivité ne peut être qu'une notion comparative : si un pays améliore de 5 % sa productivité ou ses coûts de production, pendant que les autres gagnent 10 %, sa compétitivité recule. Il en irait inversement, si dans une conjonc- ture défavorable, il reculait moins qu'eux, mais il vaut mieux ne pas trop compter sur les défaillances des concurrents... Cette comparaison doit d'ailleurs être limitée aux principaux d'entre eux et ne pas prendre en compte les pays en plein rattrapage, non seulement les "petits Dragons" asiatiques, mais aussi nos voisins ibériques. Dès lors qu'on reconnaît la légitimité de leurs efforts) de convergence, il semble normal que ce soit l'ensemble des pays déjà industrialisés qui leur fassent place : ainsi, les 10 pre- miers exportateurs mondiaux ont vu leur part passer des 3/4 aux 2/3 de la valeur des exportations mondiales en 20 ans (sources : modèle INTERLINK de l'OCDE ; calcul Grefl).

En second lieu, la compétitivité ne peut s'apprécier que sur une période relativement longue, disons de quelques années. L' argument principal qui plaide en faveur d'une approche dis- tanciée de la compétitivité est moins celui de la qualité statistique, que de la signification économique de ce qu'on mesure. Si deux pays en forts liens d'interdépendance commer- ciale connaissent des conjonctures nettement décalées (disons le Royaume-Uni et l'Allemagne), ils connaîtront une succession de déficits et d excédents commerciaux, sans même que leurs compétitivités relatives ne soient affectées, tout simplement parce qu'un pays en récession exporte plus et importe moins qu un pays en pleine expansion. L'argument est d'ailleurs d autant plus fort, pour un pays manquant de biens d'équipe- ment professionnel pour satisfaire les investisseurs, comme c est le cas - nous y reviendrons - de la France. Pour bien faire, il ne faudrait donc apprécier l'évolution de la compétitivité que d un cycle conjoncturel sur l'autre, soit au moins sur 5 ou 6 ans. On comprend que les décideurs, notamment politiques, soient évidemment plus pressés que cela. Nous allons cependant voir maintenant pourquoi il ne faut pas raisonner à moins de 2 ans.

En troisième lieu, la compétitivité doit s'apprécier en valeur et

non pas principal ement en volume. Autrement dit si en baissant de 10 % les prix, on augmente les quantités vendues de 1 %, on

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pourra difficilement prétendre avoir fait une bonne affaire, puisque le chiffre d'affaires aura baissé de 9 %... C'est dire que le souci de la contrainte extérieure dans des économies aussi ouvertes à la compétition que les nôtres, est en dernière instance de nature financière : le problème est dè se procurer suffisamment de devises pour satisfaire ses envies et besoins de marchandises étrangères... Cet élément rejoint le précédent, parce que les effets positifs d'une baisse des prix (qu'elle soit due à une dévaluation ou à toute autre cause) sont généralement dilués dans le temps, ce que l'on décrit usuellement par l'image d'une courbe en J Si on raisonne en valeur, l'horizon minimum de 2 ans s'impose donc d'autant plus fortement. C'est pourquoi, nous proposons d'utiliser en pratique des moyennes mobiles sur 3 ans, pour fonder une opinion sérieuse sur l'évolution de la compétitivité d'un pays.

En quatrième et dernier lieu, la question centrale - une fois réglés les problèmes méthodologiques ci-dessus - est de se demander si la compétitivité est une variable de débat (qui établit la cause d'un phénomène) ou une variable de débit (qui observe un résultat, qu'il reste à interpréter) : dans le premier cas, il s'agit de comprendre les résultats des comptes extérieurs comme déterminés par "la compétitivité"... S'agit-il d'une cause unique (les salaires, les coûts unitaires, les prix), l'expression fait alors double emploi avec une variable bien connue qu'il paraît plus simple d'appeler par son nom. Si, au contraire, on pense (comme nous le ferons nous-même plus loin), qu'il y a une multiplicité de causes, de surcroît interdépendantes, le recours à la notion de compétitivité pour analyser les comptes extérieurs n'a guère plus de caractère explicatif que "la vertu dormitive de l'opium". C'est pourquoi, il nous paraît plus utile de définir la compétitivité comme une variable de débit, un résultat, l'évolu- tion des parts de marché, en valeur et en moyenne pluri-annuelle tant sur les marchés extérieurs qu'intérieurs. On notera que nous avons ainsi opté pour une définition très large qui est celle des performances commerciales, à croissance constante, par rapport à nos principaux concurrents. Ce choix nous permet de juger dès maintenant de l'évolution de notre économie, sans pré- juger des facteurs déterminants que nous rechercherons dans la

1. Il faut, en effet, un à deux ans pour que les effets-volumes viennent surcom- penser les effets-prix instantanés. D'où le fait que les indicateurs du commerce descendent, avant de remonter au-delà du niveau initial, traçant une forme en J.

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G r a p h i q u e 1.10 A

PART DANS LES EXPORTATIONS DES 14 PRINCIPAUX EXPORTATEURS MONDIAUX

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Graphique 1.10 B

PART DANS LES EXPORTATIONS DES 7 PRINCIPAUX EXPORTATEURS DE LA C.E.E.

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Parts des recettes touristiques de l'OCDE Base 100 en 1985

l'évolution de la part de marché da l'Italie n'apparait pas significativa 1989 et 1990 en raison d'un changement de procédure statistique.

Graphique 1.11

section suivante. Cette définition se rapproche de celle du "Competitiveness Policy Council", organe officiel américain, qui en fait "la capacité de produire des biens et des services répondant aux exigences des marchés internationaux, tout en permettant aux citoyens américains d'obtenir un niveau de vie à la fois croissant et durable à long terme" (Rapport 1992, Washington D.C.).

III. L'amélioration structurelle de nos parts de marché reste trop limitée

Quelques chiffres simples sont faciles à rappeler face aux ana- lystes les plus pessimistes : on proclame fièrement que la France est le quatrième exportateur mondial en valeur absolue, qu'elle est même (d' après le GATT) troisième, au sein du G7 pour les exportations par habitant, avec 3 700 dollars en 1991, contre seulement 2 500 pour le Japon. Ces chiffres ont certes pour avan- tage d écarter les analyses simplistes — du type "les Français ne savent pas exporter" - mais on admettra aussi qu'ils ne suffisent pas à convaincre que tous nos problèmes sont résolus. En fait, ils rappellent surtout à quel point notre pays est déjà profondé- ment ancré dans la division internationale du travail.

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Graphique 1.12

Part de marché par rapport aux 8, exportations en valeur. La série est lissée sur trois ans (2 ans pour 1991)

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L'amélioration de notre compétitivité depuis 1986 est beau- coup plus encourageante, car l'essentiel en est dû à nos propres progrès et mérite d'être observé, aussi bien au niveau de nos parts globales de marché, que d'une meilleure spécialisation géographique de nos échanges.

A) Ainsi, suivant les critères mêmes que nous avons retenus, peut-on observer que l'économie française, depuis le milieu des années 80, a rattrapé environ la moitié des parts de marché qu' elle avait perdues depuis 1973. Cet ordre de grandeur très important se retrouve à la fois dans une comparaison mondiale des 14 principaux pays exportateurs et dans une comparaison intra-communautaire des 7 principaux exportateurs de la CEE (graphiques 1.10).

Par contre, au niveau des différents secteurs d'activité, les résultats obtenus sont plus mitigés : dans le domaine des recettes touristiques, le résultat est particulièrement brillant et la France est le seul pays européen à voir augmenter sa part au sein de l'OCDE (graphique 1.11).

Pour l'industrie manufacturière - objet principal de ce livre - nous avons voulu singulariser l'évolution de la compétitivité française. D'une part, nous n'avons pris en compte que les 9 pre- miers exportateurs mondiaux Ceci écarte donc l'Espagne ( 1 0 de même que les Nouveaux Pays Industriels, pour les raisons déjà expliquées. D'autre part, nous avons basé le résultat de ces parts sur des moyennes mobiles de 3 années. Le graphique 1.12 (et le tableau annexé) nous paraît éloquent. La compétitivité française avait continué à s'améliorer dans l'entre-deux chocs pétroliers (malgré la dégradation des comptes des entreprises) du fait notamment des commandes en provenance de l'OPEP. Dès 1980, on enregistre un recul brutal qui ne sera arrêté qu'en 1985. La lente remontée opérée depuis lors nous ramène aujourd'hui à la situation de 1971, encore loin des records de 1979. Si on considère que ces derniers étaient dus à des circons- tances exceptionnelles, on peut fixer à 10% des 9 premiers exportateurs mondiaux, l'objectif des parts de marché de l'industrie française. Là encore, le sentiment prédomine que le

1. Etats-Unis, Canada, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Belgique et Pays-Bas.

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rattrapage est à moitié réalisé. On notera finalement que cette approche fournit un jugement bien plus nuancé que ceux prove- nant des soldes commerciaux courants, beaucoup trop influencés par la conjoncture.

B) On peut trouver confirmation du caractère structurel de l'amélioration en cours, dans une meilleure orientation géogra- phique de nos échanges.

Traditionnellement, en effet, cette structure géographique était très marquée par notre passé colonial : ainsi, en 1960, 60 % du commerce français s'effectuaient avec les pays de la zone franc. Ce chiffre a fondu : il est de 3 % aujourd'hui ! Dans les décennies 60 et 70, la France gardait une position de pays "inter- médiaire" voire une coloration néo-coloniale, marquée, au niveau des importations, par la forte part des pays en dévelop- pement, notamment africain et de l'OPEP (l'ère des "grands marchés" du Proche-Orient). Ceci constituait un double han- dicap : quantitativement, dès lors que dans les années 80, la part de l'OCDE a progressé dans les échanges mondiaux de près de 10 %, il en a résulté une croissance de nos exportations infé- rieure à celle de nos partenaires, tous les autres déterminants de la compétitivité étant inchangés. Qualitativement, car cela ne conduisait pas nos entreprises à se battre sur les marchés les plus concurrencés, mais à rester relativement protégées par le carac- tère très diplomatico-politique des commandes pour ne rien dire ici de l'importance des crédits gagés par la COFACE dont beau- coup se sont traduits par des "ardoises" plus ou moins lourdes. Ainsi, nos assez bonnes performances industrielles correspon- daient-elles à des périodes de prix du pétrole élevés, où la facture pétrolière était (pour une part significative) payée par les marchés militaires et civils passés avec les dirigeants de l'OPEP. A contrario, le contre-choc pétrolier a correspondu à la forte dégradation de notre solde industriel (jusqu'en 1988). Si la structure des importations reste, comme il est usuel, assez stable, les choses ont largement évolué du côté des exportations au- delà de l'effet statistique dû à la croissance plus forte des importations des pays développés.

1. Bien que la structure de celle-ci soit traditionnellement plus fluctuante, il est remarquable de noter qu'elle était à peu près revenue en 1988 à sa situation de 1973 ! (cf. Bulletin du Crédit National ; 1/2/1991).

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Ainsi, la France est-elle dans la Communauté le pays où la part des échanges intracommunautaires dans le PIB a le plus augmenté depuis 1980 (tableau 1.12). Cette évolution des échanges s'est faite alors que la part des échanges extracommunautaires dans le PIB baissait. Cette réorientation du commerce français a exigé une adaptation très forte aux exigences de qualité et de diversification des produits nécessaires pour les exportations vers des marchés industrialisés (en comparaison avec l'OPEP et les PVD). Elle reflète un effort de redéploiement de nos exportations qui va tout à fait dans le sens souhaité par ce rapport, dans la mesure où cette nouvelle spécialisation géographique doit normalement accompa- gner une spécialisation sectorielle, elle-même plus satisfaisante.

De même, selon une étude réalisée par la Direction des relations économiques extérieures, le poids des grands contrats est passé de 29,8 % des exportations en 1974 à 10,4 % en 1991. Par contre, depuis 1986, la France a amélioré ses ventes dans la zone OCDE et en Europe de l'Est, tandis qu'elle connaissait une dégradation en Afrique et en Amérique Latine. Enfin, la part des grands contrats militaires tombe de 27,6% en 1984 à 20% en 1992. Autant de preuves, que nos résultats extérieurs reposent de plus en plus sur des critères de compétitivité économique et moins sur une influence diplomatique, "moins sur des coups et plus sur des flux de vente réguliers" (Journal Libération, 8/09/92, p. 9).

Finalement, prévaut l'impression que nous sommes sur la bonne voie, mais à mi-chemin. La question décisive est alors de savoir si la politique de désinflation nous fournit des moyens suffisants pour atteindre nos objectifs.

IV. La désinflation ne peut, par nature, assurer une améliora- tion permanente de notre compétitivité

A partir de ces quelques signes, conjoncturels ou plus sérieu- sement structurels, d'amélioration, suffit-il de patienter, en prolongeant les efforts précédents de désinflation ? Ici gît une des plus grandes ambiguïtés des débats de politique économique dans notre p a y s Si par poursuite de la politique de désinflation,

1. Elle était déjà présente dans les débats de 1983-84, autour du 9 Plan, et nous avait conduit à distinguer une rigueur de rééquilibrage d'une rigueur d'accompa- gnement. Cf. R.E. (84) n° spécial IX Plan.

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Tableau 1.12

Part des exportations intracommunautaires de biens (en % du PIB)

Source : Eurostat

on entend qu'il convient de préserver les bons résultats obtenus : hausse des prix de 3%, parité franc-mark, santé financière des entreprises, on ne peut qu'y souscrire. Mais si par désinflation compétitive, on signifie qu'il faut aller toujours plus loin dans cette même voie (stabilité parfaite des prix ? réévaluation du franc ? équilibre ou excédent budgétaire ? poursuite de la réduc- tion de la part salariale ?), jusqu'à ce que le commerce extérieur soit tellement amélioré qu'il en résulte une diminution signifi- cative du chômage, nous affirmons avec la grande majorité des experts consultés qu'il s'agirait d'une dangereuse illusion. Certes, on peut estimer que par la politique du franc fort, en abandonnant les facilités de la monnaie fondante, les pouvoirs publics ont contraint les entreprises à rechercher les gains de productivité et surtout à fabriquer des produits de qualité, moins sensibles à la concurrence par les coûts salariaux des pays moins développés, s'inscrivant ainsi dans des trajectoires de type alle- mand ou japonais.

Une remarquable contribution récente d'O. Blanchard et P.A. Muet (1992) étudie, si, "à environnement international inchangé", l'économie française peut espérer retrouver le chemin du plein-emploi, en prolongeant l'actuelle stratégie dite de désinflation compétitive. Leur conclusion, économétrique- ment fondée, est qu'il existe bien, en effet, des mécanismes qui agissent en ce sens, mais qu'il faudrait une vingtaine d'années pour que cette heureuse issue survienne ! C'est d'ailleurs là une conclusion générale des hypothèses libérales de confiance aux seuls mécanismes de marché pour rétablir les équilibres macro-

1. Notre scepticisme est très largement partagé notamment par OFCE (1991).

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économiques : les processus décrits existent bien, mais "nous serons tous morts", comme disait Keynes, avant de pouvoir nous en assurer...

Partant de cette étude, notre critique sera plus radicale encore : l'expérience même de la crise monétaire de septembre 1992 nous a rappelé que l'on ne pouvait certainement pas raisonner "à environnement international inchangé".

C'est que "la fixation d'un objectif de différentiel d'inflation est, par nature, non-coopérative dès lors qu'elle ne traduit pas un processus d'ajustement" (Pisani-Ferry, 1992, p. 35) : on n'y gagne jamais que les parts de marché que les autres y perdent. Cela pose d'abord un problème politique pour des pays engagés dans la mise en œuvre d'une Union Economique et Monétaire (U.E.M.) qui explicite des procédures coopératives. Mais la dif- ficulté est encore plus essentielle : la désinflation ne peut faire gagner durablement sur les prix relatifs que dans une circons- tance exceptionnelle, celle où un nombre important de pays partenaires s'accroche à des parités fixes, non réajustées, alors même qu'ils ne réussissent pas une politique de désinflation significative. Cette circonstance s'est effectivement produite entre 1987 et 1992 instituant "un nouveau SME quelque peu paradoxal, caractérisé par la crédibilité des parités et, partant, la force des monnaies faibles" (idem p. 17). Favorisée par la libé- ration des mouvements de capitaux réalisée au 1 juillet 1990, les marchés de devises ont mis fin à cette anomalie qui inversait l'ordre des priorités entre convergence nominale et parités irré- vocables : cette crise "rappelle que certains pays n'étaient pas encore aptes à vivre avec des taux de change fixe" (idem p. 25).

Désormais, personne ne peut plus croire qu'une telle circons- tance insolite se reproduira. Dès lors, on ne peut pas raisonnablement compter que la poursuite de la désinflation (si elle demeure nécessaire pour d'autres objectifs et, en particulier, pour rendre irréversible la parité franc-mark) nous permette de gagner les parts de marché supplémentaires dont nous avons encore tellement besoin (cf. infra). La théorie de la politique économique nous a appris depuis J. Tinbergen qu'on ne peut atteindre plusieurs objectifs avec un seul instrument : à la désin- flation, le soin d'assurer la pérennité du franc fort et la

1. Par contre, du point de vue de l'inflation, elles sont bien coopératives (P.A. Muet 1992).

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préparation de l'UEM, dans la mesure où cette dernière "n'imposera pas à l'économie française d'efforts additionnels d'ajustement macro-économique" (idem p. 30) ; à une concep- tion plus globale de la compétitivité, la rude tâche de nous faire retrouver le chemin des succès extérieurs, de la croissance et de l 'emploi

Section 3 : POUR UNE APPROCHE GLOBALE DE LA COMPÉTITIVITÉ

Dans la section précédente, nous avons opté pour une défini- tion large, mais qui demeure mesurable, de la compétitivité. Nous avons également montré que la désinflation, si elle avait pu jouer un rôle favorable à notre compétitivité, ne nous laissait pas espérer des parts de marché supplémentaires à la hauteur de nos objectifs. Comment mettre en œuvre une stratégie complé- mentaire suppose alors de s'interroger sur les ressorts déterminants de la compétitivité (paragraphe 1), avant de se demander quels sont ceux qui sont concrètement les plus sus- ceptibles d'amélioration dans la situation française actuelle et constitueront donc, à notre sens, "les nouvelles dimensions de la compétitivité" (paragraphe 2).

I. Les déterminants de la compétitivité

On ne se pose bien qu'en s'opposant. C'est pourquoi, nous présenterons les multiples conceptions en présence, sous la forme d'une querelle des Anciens et des Modernes qui nous per- mettra de mettre en exergue notre propre synthèse :

1. On retrouve une conclusion proche chez J. Pisani-Ferry (1992), p. 35 : "Une plus forte croissance ne pourra pas... durablement reposer sur la recherche de gains de compétitivité-prix par une modération des prix et des salaires conduisant le pays à enregistrer durablement une inflation plus faible que la moyenne communautaire. Une telle politique est parfaitement adaptée à une phase d'ajustement au cours de laquelle un pays doit s'efforcer de retrouver une compétitivité-prix par une désin- flation sous contrainte de changes fixes : tel fut le cas de la France au cours des dernières années. Mais il serait dangereux que de telles stratégies soient poursui- vies."