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Annales de dermatologie et de vénéréologie (2008) 135, 883—885 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com FICHE THÉMATIQUE/PATHOLOGIE UNGUÉALE Maladie de Bowen unguéale revelée par une érythronychie longitudinale Subungual squamous cell carcinoma revealed by longitudinal erythronychia O. Cogrel , M. Beylot-Barry, M.-S. Doutre Service de dermatologie, hôpital du Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, avenue Magellan, 33604 Pessac cedex, France Rec ¸u le 1 er evrier 2008 ; accepté le 16 mai 2008 Disponible sur Internet le 17 septembre 2008 Introduction Une érythronychie longitudinale est définie par une bande rouge partant de la matrice pour finir au niveau de la partie distale du lit unguéal par une formation kératosique responsable d’une onycholyse. Si une bande rouge localisée est souvent la manifestation d’un processus local matriciel bénin peu gênant, elle peut aussi constituer un mode de révélation d’un carcinome épidermoïde in situ. Observation Une patiente de 74 ans, ayant comme principal antécé- dent un purpura thrombopénique idiopathique traité par prednisone (Cortancyl ® ) 7 mg par jour et immunoglobulines polyvalentes, était adressée en janvier 2007 pour une lésion unguéale de l’index de la main gauche évoluant depuis plus de quatre ans. Cette lésion avait été opérée à deux reprises par un chirurgien plasticien en 2003 et en 2006. L’examen anatomopathologique évoquait en 2006 un botriomycome épidermisé. À l’examen, était notée une strie linéaire érythémateuse d’intensité fluctuante avec une onycholyse distale en regard Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (O. Cogrel). de la bande (Fig. 1) et une hyperkératose sous-unguéale émergeant de l’hyponychium (Fig. 2). Après avulsion de la tablette unguéale, une petite tumeur longitudinale kératosique était visualisée (Fig. 3). Une biopsie exérèse longitudinale en bloc était alors effectuée. L’examen anatomopathologique de la pièce opératoire notait au niveau des assises basales d’un épithélium malpighien tantôt atrophique, tantôt acanthosique et papillomateux, des atypies cytonucléaires et une désorganisation architec- turale. Au centre du prélèvement, là où l’épithélium était le plus papillomateux, ces atypies cytonucléaires étaient plus marquées, avec des noyaux volumineux et anisocaryo- tiques et s’observaient focalement sur toute l’épaisseur de l’épithélium (Fig. 4). On observait un infiltrat inflammatoire dans le derme sous-jacent. Le diagnostic retenu était celui « de carcinome épidermoïde in situ ou maladie de Bowen » dont l’exérèse était incomplète. En raison du caractère multirécidivant de la lésion et malgré son caractère rela- tivement limité, une ablation de l’appareil unguéal suivie d’une greffe en unité anatomique était décidée permettant une rémission complète après un an de recul. Discussion De cette observation de la « maladie de Bowen » révélée par une érythronychie longitudinale, on peut dégager deux éléments de discussion. 0151-9638/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annder.2008.05.013

Maladie de Bowen unguéale revelée par une érythronychie longitudinale

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Page 1: Maladie de Bowen unguéale revelée par une érythronychie longitudinale

Annales de dermatologie et de vénéréologie (2008) 135, 883—885

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

FICHE THÉMATIQUE/PATHOLOGIE UNGUÉALE

Maladie de Bowen unguéale revelée par uneérythronychie longitudinale

Subungual squamous cell carcinoma revealed by longitudinal erythronychia

O. Cogrel ∗, M. Beylot-Barry, M.-S. Doutre

Service de dermatologie, hôpital du Haut-Lévêque, CHU de Bordeaux, avenue Magellan,33604 Pessac cedex, France

Recu le 1er fevrier 2008 ; accepté le 16 mai 2008

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Disponible sur Internet le 17

Introduction

Une érythronychie longitudinale est définie par une banderouge partant de la matrice pour finir au niveau de lapartie distale du lit unguéal par une formation kératosiqueresponsable d’une onycholyse. Si une bande rouge localiséeest souvent la manifestation d’un processus local matricielbénin peu gênant, elle peut aussi constituer un mode derévélation d’un carcinome épidermoïde in situ.

Observation

Une patiente de 74 ans, ayant comme principal antécé-dent un purpura thrombopénique idiopathique traité parprednisone (Cortancyl®) 7 mg par jour et immunoglobulinespolyvalentes, était adressée en janvier 2007 pour une lésionunguéale de l’index de la main gauche évoluant depuis plusde quatre ans. Cette lésion avait été opérée à deux reprises

par un chirurgien plasticien en 2003 et en 2006. L’examenanatomopathologique évoquait en 2006 un botriomycomeépidermisé.

À l’examen, était notée une strie linéaire érythémateused’intensité fluctuante avec une onycholyse distale en regard

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (O. Cogrel).

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0151-9638/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droitsdoi:10.1016/j.annder.2008.05.013

tembre 2008

e la bande (Fig. 1) et une hyperkératose sous-unguéalemergeant de l’hyponychium (Fig. 2). Après avulsion dea tablette unguéale, une petite tumeur longitudinaleératosique était visualisée (Fig. 3). Une biopsie exérèseongitudinale en bloc était alors effectuée. L’examennatomopathologique de la pièce opératoire notait auiveau des assises basales d’un épithélium malpighienantôt atrophique, tantôt acanthosique et papillomateux,es atypies cytonucléaires et une désorganisation architec-urale. Au centre du prélèvement, là où l’épithélium étaite plus papillomateux, ces atypies cytonucléaires étaientlus marquées, avec des noyaux volumineux et anisocaryo-iques et s’observaient focalement sur toute l’épaisseur de’épithélium (Fig. 4). On observait un infiltrat inflammatoireans le derme sous-jacent. Le diagnostic retenu était celuide carcinome épidermoïde in situ ou maladie de Bowen »ont l’exérèse était incomplète. En raison du caractèreultirécidivant de la lésion et malgré son caractère rela-

ivement limité, une ablation de l’appareil unguéal suivie’une greffe en unité anatomique était décidée permettantne rémission complète après un an de recul.

iscussion

e cette observation de la « maladie de Bowen » révéléear une érythronychie longitudinale, on peut dégager deuxléments de discussion.

réservés.

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884 O. Cogrel et al.

Figure 1. Érythronychie longitudinale avec onycholyse distale.

Figure 2. Hyperkératose sous-unguéale distale.

Figure 3. Petite tumeur kératosique longitudinale partant de larégion matricielle.

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igure 4. Dysplasie sévère du lit unguéal avec foyer de carcinomen situ.

D’une part, elle permet de rappeler la conduite àenir devant une « érythronychie longitudinale ». Celle-cist caractérisée par une bande longitudinale habituelle-ent inférieure à 3 mm de largeur, de couleur rouge mais’intensité variable, partant de la région matricielle pour seerminer au niveau de l’hyponychium où émerge une hyper-ératose de la partie distale du lit unguéal. Elle s’associe àne onycholyse distale en regard et parfois à une fissure dea tablette. Lorsque la bande est discrète et en raison de sonntensité fluctuante dans le temps, l’examen dermoscopiqueourrait s’avérer utile et préciser l’impression cliniqueême s’il n’existe pas encore de données bien validées.n visualise alors la bande d’aspect rosé particulièrementans la région lunulaire et en distalité du lit (Fig. 5a). Larésence d’hémorragies filiformes visibles parfois à l’œil nust assez fréquente. Mais c’est surtout la présence d’une for-ation kératosique et d’une onycholyse distale en regard de

a bande onychodermique qui est caractéristique (Fig. 5b).’érythronychie longitudinale qui peut parfois se dédoublerbandes bifides), peut être polydactylique ou localisée à unngle [1]. Dans la plupart des observations publiées ainsiue dans la principale série de 16 cas rapportée par Barant Perrin [2], les bandes rouges se localisent préférentielle-ent aux ongles des mains (pouce et index dans la majoritées cas). La fréquence des érythronychies longitudinales estrobablement sous-estimée au niveau des ongles des piedsn raison de l’épaisseur de la tablette des orteils et duaractère moins « gênant » des bandes à ce niveau.

Des bandes rouges multiples doivent suggérer une affec-ion inflammatoire multifocale et s’observent, notamment,u cours de la maladie de Darier ou du lichen plan. Cinqas d’érythronychies multiples polydactyliques ont étéécrits récemment sans cause étiologique évidente maisvec la particularité clinique de s’accompagner d’uneensibilité des doigts et d’une fragilité unguéale [3].ans les formes localisées, quatre principaux diagnostics

oivent être retenus : un onychopapillome ou kératoseous-unguéale à cellules multinuclées, une maladie deowen, une tumeur glomique matricielle, un dyskératomeerruqueux sous-unguéal. C’est l’« onychopapillome » qui
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Figure 5. (a et b) : Aspect dermoscopique : bande rosée avec hédermique (coll. Thomas Bolzinger, Nay).

est la tumeur la plus fréquemment retrouvée. Cette entitédécrite en 2000 est caractérisée histologiquement parune acanthose s’étendant longitudinalement de la matricedistale vers l’hyponychium. À la partie distale kératosiquedu lit unguéal, on observe une papillomatose marquée etune métaplasie matricielle caractérisée par une bande decellules à cytoplasme éosinophile. La présence de cellulesmultinuclées est inconstante et ne serait probablementpas spécifique. Le rôle pathogénique des papillomavirus aété évoqué (comme pour la maladie de Bowen unguéale)mais demeure incertain. Le traitement consiste en uneexcision longitudinale cunéiforme emportant une partiede la matrice distale, ce qui ne s’accompagne pas dedystrophie séquellaire. Les tumeurs glomiques matriciellessont quant à elles beaucoup plus exceptionnelles. DeBerker dans sa revue publiée en 2004 [1] tente d’apporterune explication uniciste aux érythronychies longitudinaleslocalisées. Le dénominateur commun de ces nombreusesaffections serait une anomalie matricielle avec perte de lafonction de production de la kératine unguéale responsabled’un sillon sur la face ventrale de la tablette dans lequelferait « hernie » le lit unguéal. L’absence de compressiondu lit unguéal par la tablette et l’amincissement de l’ongleau niveau de la strie permettraient de mieux visualiserles vaisseaux dermiques et expliqueraient la rougeur et lecaractère friable de l’extrémité de l’ongle.

Par ailleurs, notre observation souligne l’extrême poly-morphisme clinique de la maladie de Bowen unguéalepouvant mimer d’autres affections bénignes (verrues, ony-chomycose, dystrophie traumatique, fibrokératome, ony-chomatricome, mélanonychie longitudinale, exostose. . .) et

faire errer ainsi le diagnostic. Le mode de révélation à typed’érythronychie longitudinale mérite d’être gardé à l’espritd’autant qu’il ne semble pas si exceptionnel. Dans les 16cas de bandes rouges localisées de la série de Baran et Per-rin, deux cas de carcinome in situ étaient notés. Dans la

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gie filiforme et masse kératosique en regard de la bande onycho-

érie récente de carcinomes épidermoïdes unguéaux publiéear une équipe lyonnaise [4], trois cas sur les 35 observa-ions colligées entre 2000 et 2005 étaient révélés par unerythronychie longitudinale. Enfin, il faut rappeler que leraitement des carcinomes épidermoïdes unguéaux in situ ouicro-invasifs est conservateur et que l’amputation distale

e sera proposée qu’en cas d’infiltration osseuse visualiséela radiographie standard ou à l’IRM. Cependant, en raisone leur caractère mal limité et de leur potentiel de récidive,’exérèse avec examen histologique des marges (type Mohsu Slow-Mohs) est préconisée [5]. À signaler dans la série dealle et al., un taux de récidive de cinq pour cent après abla-ion de l’appareil unguéal (réalisée en cas de tumeur supé-ieure à 50 % de la surface de l’ongle ou intéressant la partieédiane, alors qu’il est de 56 % lorsque l’excision est limitée

réalisée en cas de tumeur latéralisée inférieure à 50 % de laurface de l’ongle) mais avec une histologie traditionnelle4]. Dans cette étude, une épaisseur de la lésion supérieure àmm semblerait constituer un facteur de mauvais pronostic.

éférences

1] De Berker DA, Perrin C, Baran R. Localized longitudinal erythro-nychia: diagnostic significance and physical explanation. ArchDermatol 2004;140:1253—7.

2] Baran R, Perrin C. Longitudinal erythronychia with distal subun-gual keratosis: onychopapilloma of the nail bed and Bowen’sdisease. Br J Dermatol 2000;143:132—5.

3] Baran R, Dawber R, Perrin C, Drape JL. Idiopathic polydacty-lous longitudinal erythronychia: en newly described entity. Br JDermatol 2006;155:219—21.

4] Dalle S, Depape L, Phan A, Balme B, Ronger-Salve S, Thomas L.Squamous cell carcinoma of the nail apparatus: clinicopatholo-gical study of 35 cases. Br J Dermatol 2007;156:871—4.

5] Zaiac MN, Weiss E. Mohs micrographic surgery of the nail unitand squamous cell carcinoma. Dermatol Surg 2001;27:246—51.