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Malvoyance et inrmité motrice cérébrale : une problématique complexe Visual impairment and cerebral palsy: A complex issue Orthoptiste, Centre Saint-Jean-de-Dieu, institut d'éducation motrice, 223, rue Lecourbe, 75015 Paris, France L es enfants accueillis dans les ins- tituts d'éducation motrice présen- tent de plus en plus des troubles sensoriels associés, et notamment des troubles visuels et neurovisuels liés à leurs atteintes cérébrales. Le rôle de l'orthop- tiste devient donc de plus en plus impor- tant dans ce type de structures an de proposer une prise en charge de ces trou- bles visuels associés qui ont un retentis- sement important sur le plan fonctionnel. INTRODUCTION Alexandre est un enfant de 15 ans, pré- sentant des antécédents de prématurité et atteint d'inrmité motrice cérébrale (IMC), plus spéciquement de triplégie spastique. Sur le plan neuro-ophtalmologique, il a présenté une cécité corticale jusqu'à l'âge de 6 mois. Actuellement, il présente un nystagmus et une malvoyance impor- tants et est suivi régulièrement sur le plan ophtalmologique. Il porte une correction d'hypermétropie (ODG +2.00). Au niveau de son développement, les performances verbales sont tout à fait concordantes avec l'âge. OBSERVATION Alexandre se présente comme un grand jeune homme se déplaçant en fauteuil roulant électrique (la conduite du fauteuil est dirigée par un joystick actionné par la main gauche, seule main fonctionnelle). Ce qui frappe au premier regard est l'absence quasi-totale de contact visuel. Alexandre présente une posture très voû- tée et ne communique absolument pas par le regard. Cette observation est Stéphanie Blanc Mots clés Institut d'éducation motrice Malvoyance Paralysie cérébrale Pluridisciplinarité Keywords Cerebral palsy Motor function education institute Multi-disciplinarity Visual impairment Adresse e-mail : [email protected] RÉSUMÉ Alexandre, 15 ans, cumule les difcultés motrices et visuelles liées à son inrmité motrice cérébrale. Le rôle de l'orthoptiste est essentiel tant au niveau du bilan que de la prise en charge ; elle est également une aide précieuse dans la recherche d'aides techniques. La pluridisciplinarité est au cœur de la prise en charge. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. SUMMARY Alexandre, 15 years old, has a combination of motor function and visual difculties linked to his cerebral palsy. The role of the orthoptist is essential both with regard to assessment as well as care; he or she also provides valuable assistance in the research into technical aids. Multi- disciplinarity is at the heart of the provision of care. © 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Revue francophone d'orthoptie 2012;5:4042 Formation 40 © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rfo.2012.02.006

Malvoyance et infirmité motrice cérébrale : une problématique complexe

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Revue francophone d'orthoptie 2012;5:40–42Formation

40

Malvoyance et infirmité motricecérébrale : une problématique

complexe

Visual impairment and cerebral palsy:A complex issue

Stéphanie Blanc

Orthoptiste, Centre Saint-Jean-de-Dieu, institut d'éducation motrice, 223, rueLecourbe, 75015 Paris, France

Mots clésInstitut d'éducationmotriceMalvoyanceParalysie cérébralePluridisciplinarité

KeywordsCerebral palsyMotor function educationinstituteMulti-disciplinarityVisual impairment

UMÉndre, 15 ans, cumule les difficultés motrices et visuelles liées à son infirmité motricerale. Le rôle de l'orthoptiste est essentiel tant au niveau du bilan que de la prise ene ; elle est également une aide précieuse dans la recherche d'aides techniques. Laisciplinarité est au cœur de la prise en charge.2 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

MARYndre, 15 years old, has a combination of motor function and visual difficulties linked to hisral palsy. The role of the orthoptist is essential both with regard to assessment as well ashe or she also provides valuable assistance in the research into technical aids. Multi-linarity is at the heart of the provision of care.2 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

es enfants accueillis dans les ins- l'âge de 6 mois. Actuellement, il présente

L tituts d'éducation motrice présen-tent de plus en plus des troubles

sensoriels associés, et notamment destroubles visuels et neurovisuels liés à leursatteintes cérébrales. Le rôle de l'orthop-tiste devient donc de plus en plus impor-tant dans ce type de structures afin deproposer une prise en charge de ces trou-bles visuels associés qui ont un retentis-sement important sur le plan fonctionnel.

Adresse e-mail :[email protected]

INTRODUCTION

Alexandre est un enfant de 15 ans, pré-sentant des antécédents de prématuritéet atteint d'infirmité motrice cérébrale(IMC), plus spécifiquement de triplégiespastique.Sur le plan neuro-ophtalmologique, il aprésenté une cécité corticale jusqu'à

un nystagmus et une malvoyance impor-tants et est suivi régulièrement sur le planophtalmologique. Il porte une correctiond'hypermétropie (ODG +2.00).Au niveau de son développement, lesperformances verbales sont tout à faitconcordantes avec l'âge.

OBSERVATION

Alexandre se présente comme un grandjeune homme se déplaçant en fauteuilroulant électrique (la conduite du fauteuilest dirigée par un joystick actionné par lamain gauche, seule main fonctionnelle).Ce qui frappe au premier regard estl'absence quasi-totale de contact visuel.Alexandre présente une posture très voû-tée et ne communique absolument paspar le regard. Cette observation est

© 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.rfo.2012.02.006

Revue francophone d'orthoptie 2012;5:40–42 Formation

relayée par la maman d'Alexandre qui signale que sonfils « se comporte comme un aveugle si on ne le forcepas à utiliser ses yeux ».Alexandre a bénéficié régulièrement de rééducationorthoptique à partir de l'âge de 7 ans jusqu'à l'âge de12 ans, mais pas depuis les 3 dernières années. Desaméliorations étaient à chaque fois notées au niveau ducontact visuel. Depuis 3 ans, Alexandre et sa famillesignalent clairement une dégradation progressive deson comportement visuel : « J'ai plus de mal à regarderqu'avant », « J'ai la flemme de regarder, ça me fatiguetrop ».

BILAN ORTHOPTIQUE

Le bilan orthoptique a mis en évidence :

� une grande pénibilité à solliciter et à orienter sonregard ;

une incoordination oculaire, typique de l'IMC (éxotro-pie en vision de près et de loin avec un angle quioscille entre 15 et 50 dioptries) ;

un important nystagmus demalvoyance qui augmenteavec la fatigue et la concentration ;

une fixation intermittente, très instable. On note que lafixation, lorsqu'elle est obtenue, améliore nettement laposture d'Alexandre avec un redressement net dutronc et de la tête ;

au niveau de la motricité conjuguée, la poursuite estquasi uniquement céphalique, les saccades volontai-res sont déclenchées très difficilement avec des laten-ces très allongées et une endurance insuffisante(2 allers-retours) ;

une coordination oculocéphalique très rigide ; � une acuité visuelle mesurée sur l'œil droit à 1/10,P14 à 10 cm. L'œil gauche perçoit la lumière etcompte les doigts à 20 cm. La correction d'hypermé-tropie n'apporte pas de réelle amélioration en termed'acuité, ni de loin ni de près. Alexandre se dit cepen-dant plus confortable pour lire avec ses lunettes «quand elles ne tombent pas sur mon nez ». En effet,Alexandre possède une paire de lunettes en métalavec des verres assez petits, des plaquettes complè-tement écartées et une branche en piteux état «depuis que j'ai roulé dessus avec mon fauteuil enremettant ma chaussure » ;

vision binoculaire et stéréoscopique n'ont bien sur pasété testées ;

un champ visuel (à l'arc gradué) qui montre une impor-tante atteinte du champ visuel de l'œil gauche avecune raquette temporale résiduelle et un scotome para-central sur l'œil droit.

Sur le plan fonctionnel, le bilan est orienté en fonction dela problématique soulevée par l'équipe pluridisciplinaireà la réunion de projet.La famille et les différents intervenants déplorent larareté du contact visuel qui enferme Alexandre sur un

plan social et soulèvent la problématique de l'accès ausupport écrit, sur papier et sur ordinateur.Par ailleurs, dans les couloirs de l'institution, la conduitedu fauteuil est problématique et l'évitement des obsta-cles pas toujours évidentOn note une quasi absence de communication visuelle.Alexandre a perdu l'habitude de regarder les gensquand il leur parle. Il réagit peu visuellement à la pré-sence des gens autour de lui.Sur un plan gnosique, on note des erreurs de dénomi-nation des images et des difficultés à décrire une scènevisuelle, même simple. En dehors de ses difficultésd'acuité visuelle, Alexandre présente une agnosie par-tielle des images, séquelle de sa cécité corticale à lanaissance (un bilan neuropsychologique réalisé à l'âgede 11 ans a objectivé le trouble gnosique).Le geste volontaire est perturbé par les difficultés motri-ces (seule la main gauche est utilisable au prix d'un groseffort). L'énergie dépensée par l'effort visuel vient dégra-der encore plus ses capacités motrices déjà limitées. Lacoordination oculomanuelle n'est possible qu'avec unerotation de la tête à gauche, en calant son œil droit enadduction et sur une très courte durée. Le contrôlevisuel du geste est coûteux en énergie du fait de lamalvoyance et des difficultés motrices.

PROJET ET RÉÉDUCATIONORTHOPTIQUES

En fonction des problématiques soulevées précédem-ment, les objectifs de la rééducation orthoptique sont :

� expliquer ses troubles à Alexandre. Il a en effet du malà décrire pourquoi ses yeux « ne tournent pas rond »et est perturbé par ses difficultés gnosiques : « Je voismais je ne sais pas dire ce que c'est » ;

travailler l'orientation du regard ; � adapter l'environnement pour permettre l'accès auxinformations écrites.

Les enjeux seront les suivants :

� faciliter la communication ; � permettre la meilleure utilisation des capacités sen-sorielles restantes dans les activités de lecture et lavie quotidienne.

Les moyens seront : une séance de rééducation heb-domadaire en orthoptie ainsi qu'une séance conjointeorthoptie/ergothérapie.En orthoptie, il faudra :

� trouver la zone de fixation optimale sur l'œil droit,stabiliser au mieux l'excentration en tenant comptedu nystagmus et de la fixation en adduction ;

travailler la motricité conjuguée (poursuites et sacca-des volontaires) à partir de cette position d'ex-centration ;

s'entraîner à « regarder l'autre », rechercher les capa-cités de perception d'un visage, les conditions et leslimites ;

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Figure 1. Le téléagrandisseur permet le travail de la fixation et de

l'excentration.© S. Blanc

S. BlancFormation

trouver une position de tête permettant une coordina-tion oculomanuelle, même fugace, pour permettre lerepérage et la manipulation de la souris (trackball) etdu clavier adapté.

Avec l'ergothérapeute, le but sera de :

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travailler le repérage visuel en vision de loin pourfaciliter la conduite du fauteuil ;

adapter le poste informatique en fonction des capa-cités visuelles évaluées.

Un rendez-vous a également été pris chez un opticienafin de trouver unemonture souple, adaptée auxmouve-ments brusques de la tête et à une manipulation parfoisun peu « musclée » !

RÉSULTAT

Après unedizaine deséances,Alexandre reprenddouce-ment l'habitude d'utiliser sa vision. C'est au niveau ducontact visuel que les progrès sont les plus notables. Safamille explique « qu'il avait fini par se comporter commeun aveugle ».La fixation est toujours difficile à stabiliser compte tenudu nystagmus. La séance va être re-programmée plutôten début de journée, moment où Alexandre est davan-tage endurant sur le plan visuel. Cependant, le travailsur le lien posture/vision a permis de trouver l'attitudede tête et la position de l'œil droit qui permettent

à Alexandre de guider son geste par le regard. La têtièrea été modifiée pour permettre cette position, en accordavec le kinésithérapeute et l'ergothérapeute. Alexandrepossède ainsi davantage d'autonomie dans la saisiedes objets et la manipulation des commandes de sonfauteuil électrique (boîtier de commande de la vitessenotamment situé sur l'accoudoir du fauteuil).Avec l'ergothérapeute, un important travail a été fait surle poste de travail informatique : agrandissement destouches du clavier, logiciel de retour vocal, TrackBall.Alexandre est en demande d'autonomie dans l'utilisa-tion d'Internet, la recherche d'un logiciel adapté avecretour vocal est en cours.Nous avons également fait des essais sur téléagrandis-seur (Fig. 1) qui se sont révélés concluants, mais surdes périodes assez courtes. Cet outil permet égalementle travail de la fixation et de l'excentration (fixation delettres, syllabes, mots. . .).

DISCUSSION

La réussite d'une prise en charge orthoptique chezl'enfant infirme moteur cérébral nécessite impérative-ment une prise en charge pluridisciplinaire. Ceci estd'autant plus vrai quand l'infirmité motrice se compliqued'une malvoyance. L'orthoptiste doit communiquer lescapacités visuelles de l'enfant au reste de l'équipe soi-gnante afin de permettre que les différentes adaptationssoient faites de façon logique.Face à des rééducateurs qui ne sont pas des orthop-tistes, nous nous devons d'avoir un langage clair etcompréhensible lors de nos transmissions de données.Voici quelques exemples :

� pour l'acuité visuelle, toujours compléter par une pré-cision concrète (« cela correspond à un dessin de telletaille vu à telle distance ») ; ne pas hésiter à montrernos tests d'acuité visuelle, les chiffres prennent ainsiune signification concrète ;

le champ visuel et ses altérations doivent être claire-ment explicités, accompagnés si besoin d'un schémaexpliquant les « zones non vues ».

Enfin, la prise en charge orthoptique d'un jeune IMCs'inscrit sur le long terme et reste chronophage, d'oùl'intérêt de l'effectuer, quand cela est possible, au seinmême de la structure spécialisée.

Déclaration d'intérêtsL'auteur déclare ne pas avoir de conflit d'intérêts en relation avec cetarticle.