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© Parangon/Vs, Lyon, 2008.www.editions-parangon.com

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Parangon/Vs

Avant-propos

André Gorz

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À Dorine et André Gorz

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La sortie du capitalismea déjà commencé

André Gorz

La question de la sortie du capitalisme n’ajamais été plus actuelle. Elle se pose en des termeset avec une urgence d’une radicale nouveauté. Parson développement même, le capitalisme a atteintune limite tant interne qu’externe qu’il est inca-pable de dépasser, et qui en fait un système mort-vivant qui se survit en masquant par dessubterfuges la crise de ses catégories fondamen-tales : le travail, la valeur, le capital.

Cette crise de système tient au fait que la massedes capitaux accumulés n’est plus capable de sevaloriser par l’accroissement de la production etl’extension des marchés. La production n’est plusassez rentable pour pouvoir valoriser des investis-sements productifs additionnels. Les investisse-ments de productivité par lesquels chaqueentreprise tente de restaurer son niveau de profitont pour effet de déchaîner des formes de concur-rence meurtrières qui se traduisent, entre autres,

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par des réductions compétitives des effectifsemployés, des externalisations et délocalisations,la précarisation des emplois, la baisse des rémuné-rations, et donc, à l’échelle macro-économique, labaisse du volume de travail productif de plus-value et la baisse du pouvoir d’achat. Or, moinsles entreprises emploient de travail et plus le capi-tal fixe par travailleur est important, plus le tauxd’exploitation, c’est-à-dire le surtravail et la surva-leur produite par chaque travailleur, doivent êtreélevés. Il y a à cette élévation une limite qui nepeut être indéfiniment reculée, même si les entre-prises se délocalisent en Chine, aux Philippines ouau Soudan.

Les chiffres attestent que cette limite estatteinte. L’accumulation productive de capitalproductif ne cesse de régresser. Aux États-Unis,les 500 firmes de l’indice Standard & Poor’s dis-posent, en moyenne, de 631 milliards de réservesliquides ; la moitié des bénéfices des entreprisesaméricaines provient d’opérations sur les marchésfinanciers. En France, l’investissement productifdes entreprises du CAC 40 n’augmente pas, mêmequand leurs bénéfices explosent. L’impossibilitéde valoriser les capitaux accumulés par la produc-tion et le travail explique le développement d’uneéconomie fictive fondée sur la valorisation decapitaux fictifs. Pour éviter une récession quedévaloriserait le capital excédentaire (sur-accu-mulé), les pouvoirs financiers ont pris l’habituded’inciter les ménages à s’endetter, à consommerleurs revenus futurs, leurs gains boursiers futurs,la hausse future de la valeur marchande de leurlogement, cependant que la Bourse capitalise 1acroissance future, les profits futurs des entre-prises, les achats futurs des ménages, les gains queferaient dégager les dépeçages et restructurations,

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imposés par les LBO, d’entreprises qui nes’étaient pas encore mises à l’heure de la précari-sation, surexploitation et externalisation de leurspersonnels.

La valeur fictive (boursière) des actifs financiersa doublé en l’espace d’environ six ans, passant de80000 à 160000 milliards de dollars (soit trois foisle PIB mondial), entretenant aux États-Unis unecroissance économique fondée sur l’endettementintérieur et extérieur, lequel entretient de son côtéla liquidité de l’économie mondiale et la crois-sance de la Chine, des pays voisins, et par rico-chet, de l’Europe.

L’économie réelle est devenue un appendice desbulles financières. Il faut impérativement un ren-dement élevé du capital propre des firmes pourque la bulle boursière n’éclate pas – et une haussecontinue du prix de l’immobilier pour quen’éclate pas la bulle des certificats d’investisse-ment immobilier vers lesquels les banques ontattiré l’épargne des particuliers en leur promettantmonts et merveilles – car l’éclatement des bullesmenacerait le système bancaire de faillites enchaîne, l’économie réelle d’une dépression pro-longée (la dépression japonaise dure depuisquinze ans). « Nous cheminons au bord dugouffre », écrivait Robert Benton. Voilà quiexplique qu’aucun État n’ose prendre le risque des’aliéner ou d’inquiéter les puissances financières.Il est impensable qu’une politique sociale ou unepolitique de « relance de la croissance » puisseêtre fondée sur la redistribution des plus-valuesfictives de la bulle financière. Il n’y a rien àattendre de décisif des États nationaux qui, aunom de l’impératif de compétitivité, ont abdiquépas à pas au cours des trente dernières annéesleurs pouvoirs entre les mains d’un quasi-État

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supranational imposant des lois faites sur mesuredans l’intérêt du capital mondial dont il est l’éma-nation. Ces lois, promulguées par l’OMC,l’OCDE, le FMI, imposent dans la phase actuellele tout-marchand, c’est-à-dire la privatisation desservices publics, le démantèlement de la protec-tion sociale, la monétarisation des maigres restesde relations non commerciales. Tout se passecomme si le capital, après avoir gagné la guerrequ’il a déclarée à la classe ouvrière vers la fin desannées soixante-dix, entendait éliminer tous lesrapports sociaux qui ne sont pas des rapportsacheteur/vendeur, c’est-à-dire qui ne réduisentpas les individus à être des consommateurs demarchandises et des vendeurs de leur travail oud’une quelconque prestation considérée comme« travail », pour peu qu’elle soit tarifée. Le tout-marchand, le tout-marchandise comme formeexclusive du rapport social, poursuit la liquida-tion complète de la société dont Margaret That-cher avait annoncé le projet. Le totalitarisme dumarché s’y dévoilait dans son sens politiquecomme stratégie de domination. Dès lors que lamondialisation du capital et des marchés, et laférocité de la concurrence entre capitaux partiels,exigeaient que l’État ne fût plus le garant de lareproduction de la société, mais le garant de lacompétitivité des entreprises, ses marges demanœuvre en matière de politique sociale étaientcondamnées à se rétrécir, les coûts sociaux à êtredénoncés comme des entorses à la libre concur-rence et des entraves à la compétitivité, le finance-ment public des infrastructures à être allégé par laprivatisation.

Le tout-marchand s’attaquait à l’existence de ceque les Britanniques appellent les commons et lesAllemands le Gemeinwesen, c’est-à-dire à l’exis-

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tence des biens communs indivisibles, inalié-nables et inappropriables, inconditionnellementaccessibles et utilisables par tous. Contre la priva-tisation des biens communs, les individus ont ten-dance à réagir par des actions communes, unis enun seul sujet. L’État a tendance à empêcher, et lecas échéant à réprimer cette union de tous, d’au-tant plus fermement qu’il ne dispose plus desmarges suffisantes pour apaiser des masses paupé-risées, précarisées, dépouillées de droits acquis.Plus sa domination devient précaire, plus les résis-tances populaires menacent de se radicaliser, etplus la répression s’accompagne de politiques quidressent les individus les uns contre les autres etdésignent des boucs émissaires sur lesquelsconcentrer leur haine.

Si l’on a à l’esprit cette toile de fond, les pro-grammes, discours et conflits qui occupent ledevant de la scène politique paraissent dérisoire-ment décalés par rapport aux enjeux réels. Lespromesses et les objectifs mis en avant par les gou-vernements et les partis apparaissent comme desdiversions irréelles, qui masquent le fait que lecapitalisme n’offre aucune perspective, sinon celled’une détérioration continue des conditions devie, d’une aggravation de sa crise, d’un affaisse-ment prolongé passant par des phases de dépres-sion de plus en plus longues et de reprise de plusen plus faibles. Il n’y a aucun « mieux » à attendre,si on juge le mieux selon les critères habituels : iln’y aura plus de « développement » sous la formedu plus d’emplois, plus de salaires, plus de sécu-rité. Il n’y aura plus de « croissance » dont lesfruits puissent être socialement redistribués et uti-lisés pour un programme de transformationssociales transcendant les limites et la logique ducapitalisme.

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L’espoir mis, il y a quarante ans, dans des« réformes révolutionnaires » qui, engagées de l’in-térieur du système sous la pression de luttes syndi-cales, finissent par transférer à la classe ouvrière lespouvoirs arrachés au capital, cet espoir n’existeplus. La production demande de moins en moinsde travail, distribue de moins en moins de pouvoird’achat à de moins en moins d’actifs ; elle n’est plusconcentrée dans de grandes usines, pas plus que nel’est la force de travail. L’emploi est de plus en plusdiscontinu, dispersé sur des prestataires de serviceexternes, sans contact entre eux, avec un contratcommercial à la place d’un contrat de travail. Lespromesses et programmes de « retour » au pleinemploi sont des mirages dont la seule fonction estd’entretenir l’imaginaire salarial et marchand, c’est-à-dire l’idée que le travail doit nécessairement êtrevendu à un employeur et les biens de subsistanceachetés avec l’argent gagné ; autrement dit : qu’iln’y a pas de salut en dehors de la soumission dutravail au capital et de la soumission des besoins àla consommation de marchandises ; qu’il n’y a pasde vie, pas de société au-delà de la société de lamarchandise et du travail marchandisé, au-delà eten dehors du capitalisme.

L’imaginaire marchand et le règne de la mar-chandise empêchent d’imaginer une quelconquepossibilité de sortir du capitalisme, et empêchentpar conséquent de vouloir en sortir. Aussi long-temps que nous restons prisonniers de l’imaginairesalarial et marchand, l’anticapitalisme et la réfé-rence à une société au-delà du capitalisme reste-ront abstraitement utopiques, et les luttes socialescontre les politiques du capital resteront des luttesdéfensives qui, dans le meilleur des cas, pourrontfreiner un temps, mais non pas empêcher la dété-rioration des conditions de vie.

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La « restructuration écologique » ne peut qu’ag-graver la crise du système. Il est impossible d’évi-ter une catastrophe climatique sans rompreradicalement avec les méthodes et la logique éco-nomique qui y mènent depuis 150 ans. Si on pro-longe la tendance actuelle, le PIB mondial seramultiplié par un facteur 3 ou 4 d’ici à l’an 2050.Or, selon le rapport du Conseil sur le climat del’ONU, les émissions de CO2 devront diminuer de85 % jusqu’à cette date pour limiter le réchauffe-ment climatique à 2 °C au maximum. Au-delà de2°, les conséquences seront irréversibles et nonmaîtrisables.

La décroissance est donc un impératif de survie.Mais elle suppose une autre économie, un autrestyle de vie, une autre civilisation, d’autres rap-ports sociaux. En leur absence, la décroissancerisque d’être imposée à force de restrictions,rationnements, allocations de ressources caracté-ristiques d’un socialisme de guerre. La sortie ducapitalisme s’impose donc d’une façon ou d’uneautre. La reproduction du système se heurte à lafois à ses limites internes et aux limites externesengendrées par le pillage et la destruction d’unedes deux « principales sources d’où jaillit touterichesse » : la terre. La sortie du capitalisme a déjàcommencé sans être encore voulue consciemment.La question porte seulement sur la forme qu’elleva prendre et la cadence à laquelle elle va s’opérer.

L’instauration d’un socialisme de guerre, dicta-torial, centralisateur, technobureaucratique, seraitla conclusion logique – on est tenté de dire « nor-male » – d’une civilisation capitaliste qui, dans lesouci de valoriser des masses croissantes de capi-tal, a procédé à ce que Marcuse appelle la « désu-blimation répressive », c’est-à-dire la répression

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des « besoins supérieurs », pour créer méthodi-quement des besoins croissants de consommationindividuelle, sans s’occuper des conditions de leursatisfaction. Elle a éludé dès le début la questionqui est à l’origine des sociétés : la question du rap-port entre les besoins et les conditions qui rendentleur satisfaction possible : la question d’une façonde gérer des ressources limitées de manièrequ’elles suffisent durablement à couvrir lesbesoins de tous ; et inversement la recherche d’unaccord général sur ce qui suffira à chacun, demanière que les besoins correspondent aux res-sources disponibles.

Nous sommes donc arrivés à un point où lesconditions n’existent plus qui permettraient lasatisfaction des besoins que le capitalisme nous adonnés, inventés, imposés, persuadés d’avoir, afinde pouvoir écouler des marchandises qu’il nous aenseigné à désirer. Pour nous enseigner à y renon-cer, l’écodictature semble à beaucoup être le che-min. le plus court. Elle aurait la préférence deceux qui tiennent le capitalisme et le marché pourseuls capables de créer et de distribuer desrichesses, et qui prévoient une reconstitution ducapitalisme sur de nouvelles bases après que descatastrophes écologiques auront remis les comp-teurs à zéro en provoquant une annulation desdettes et des créances.

Pourtant une tout autre voie de sorties’ébauche. Elle mène à l’extinction du marché etdu salariat par l’essor de l’autoproduction, de lamise en commun et de la gratuité. On trouve lesexplorateurs et éclaireurs de cette voie dans lemouvement des logiciels libres, du réseau libre(Freenet), de la culture libre qui, avec la licenceCC (créative communs) rend libre (et libre : freesignifie en anglais, à la fois librement accessible et

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utilisable par tous, et gratuit) de l’ensemble desbiens culturels – connaissances, logiciels, textes,musique, films, etc. – reproductibles en unnombre illimité de copies pour un coût négli-geable. Le pas suivant serait logiquement la pro-duction « libre » de toute la vie sociale, encommençant par soustraire au capitalisme cer-taines branches de produits susceptibles d’êtreautoproduits localement par des coopérativescommunales. Ce genre de soustraction à la sphèremarchande s’étend pour les biens culturels où ellea été baptisée « out-cooperating », un exempleclassique étant Wikipedia qui est en train d’« out-cooperate » l’Encyclopedia Britannica. L’exten-sion de ce modèle aux biens matériels est renduede plus en plus faisable grâce à la baisse du coûtdes moyens de production et à la diffusion dessavoirs techniques requis pour leur utilisation. Ladiffusion des compétences informatiques, qui fontpartie de la « culture du quotidien » sans avoir àêtre enseignées, est un exemple parmi d’autres.L’invention des fabbers, aussi appelés digital fabri-cators ou factories in a box – il s’agit de sortesd’ateliers flexibles transportables et installablesn’importe où – ouvre à l’autoproduction localedes possibilités pratiquement illimitées.

Produire ce que nous consommons et consom-mer ce que nous produisons est la voie royale de lasortie du marché : elle nous permet de nous deman-der de quoi nous avons réellement besoin, en quan-tité et en qualité, et de redéfinir par concertation,compte tenu de l’environnement et des ressourcesà ménager, la norme du suffisant que l’économie demarché à tout fait pour abolir. L’autoréduction dela consommation, son autolimitation – le self-res-treint – et la possibilité de recouvrer le pouvoir surnotre façon de vivre, passent par là.

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Il est probable que les meilleurs exemples depratiques alternatives en rupture avec le capita-lisme nous viennent du Sud de la planète, si j’enjuge d’après la création, au Brésil, dans des fave-las, mais pas seulement, des « nouvelles coopéra-tives » et des pontos de cultura. Claudio Prado, quidirige le département de la « culture numérique »au ministère de la Culture, déclarait récemment :« Le “job” est une espèce en voie d’extinction…Nous espérons sauter cette phase merdique duXXe siècle pour passer directement du XIXe auXXIe ». L’autoproduction et le recyclage des ordi-nateurs, par exemple, sont soutenus par le gou-vernement : il s’agit de favoriser « l’appropriationdes technologies par les usagers dans un but detransformation sociale ». Si bien que les troisquarts de tous les ordinateurs produits au Brésilen 2004/5 étaient autoproduits.

Septembre 2007

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Introduction

Poser la question du sens et de l’idéal

On ne fait pas de bonne politique sans avoir unevision précise de la société vers laquelle on veutaller. On ne combattra pas efficacement la révolu-tion conservatrice en cours alliant ultralibéralismeéconomique et pratique autoritaire du pouvoirsans concevoir une nouvelle pensée et un projet àla hauteur de cet enjeu.

La politique aujourd’hui se résume au mieux àun art des moyens qui oublie sa finalité, au pire àune simple conquête ou conservation du pouvoir.

Nous devons reprendre le combat des objectifset des idées pour proposer une alternative ambi-tieuse, mais crédible, au modèle néolibéral quidomine actuellement la scène mondiale.Construire un projet de société, c’est définir etorganiser les conditions de vie qui permettront àchacun de s’épanouir. Force est de constater quesur ces points nous nous situons souvent aux anti-podes des idées reçues.

Pour construire, il faut préalablement décons-truire et pour cela identifier les aliénations quenous devons combattre. Pour Utopia, les troispremières aliénations de nos sociétés développéessont le dogme de la croissance comme solution à

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nos maux économiques, le dogme de la consom-mation comme seul critère d’épanouissementindividuel, la centralité de la valeur travail commeseule organisation de la vie sociale. Le combatcontre ces trois aliénations est indispensable pourconstruire le cadre de la société dans laquelle nousvoulons vivre et les modalités d’un véritable alter-développement.

Dans la première partie de ce livre, nous pré-sentons les grands axes de notre alterdéveloppe-ment. Celui-ci doit permettre à chacun d’intégrerla société, d’être autonome en disposant non seu-lement de moyens d’existence, mais aussi desoutils lui permettant d’exercer un jugementéclairé, de participer à des choix communs. Êtreun citoyen actif, ce n’est pas seulement produireet consommer, c’est aussi apprendre à vivreensemble, comprendre les enjeux de notre sociétéet participer à la vie politique. Nous analysonségalement quand, comment, pourquoi et surtoutpour qui sont nés les dogmes de la croissance éco-nomique, de la consommation et de la centralitéde la valeur travail.

Ensuite, à travers notre approche de l’écologie,notre vision altermondialiste et notre conceptionélargie des droits fondamentaux, nous proposonsles moyens de construire un nouveau modèle desociété en avançant, thème par thème, orienta-tions et pistes d’action. Ces propositions, nousn’en revendiquons pas toujours la paternité. Ellessont issues de réflexions ou suggestions de cher-cheurs et d’intellectuels invités dans nos cycles deconférences, de propositions de mouvementsassociatifs, ou ont été retenues par Utopia parmiles très nombreuses contributions de la gauche, ausens très large du terme. Que tous en soient iciremerciés.

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Nous n’avons pas la prétention d’apporter sys-tématiquement du neuf sur le « marché » de laculture politique, mais de resituer ces proposi-tions dans une perspective globale. Notre origina-lité consiste aussi à porter ces analyses etpropositions au sein des mouvements et partis degauche, des objecteurs de croissance au partisocialiste, en passant par les verts, les altermon-dialistes, les antilibéraux et les alternatifs.

Nous revendiquons cette utopie qui considèreque la réflexion alliée à l’imagination, que les prin-cipes de fraternité combinés à la volonté farouchede s’attaquer aux causes du dérèglement social etécologique, arriveront à fédérer un mouvementfort, solidaire, capable de proposer une véritablealternative au capitalisme.

C’est dans cette perspective que l’ensemble desadhérents d’Utopia ont contribué aux réflexionset propositions présentées. Chacune d’elles a faitl’objet d’amendements et de votes collectifs. Cettediscipline démocratique est contraignante, maissalvatrice. Elle est, pour nous, le meilleur moyende faire partager à un nombre toujours plus grandde militants l’envie de s’impliquer dans la vie poli-tique : non pas comme seule courroie de trans-mission d’idées élaborées au sommet des partis,mais comme acteurs à part entière.

Parce que ce projet a vocation à être enrichi etporté politiquement, Utopia a décidé de se consti-tuer en courant dans tous les partis de gauche,d’être présente dans toutes les associations mili-tantes et dans tous les pays où elle le pourra. EnFrance, nous sommes déjà au Parti socialiste, chezles Verts et au sein d’Attac.

Cette réflexion, nous l’avons engagée en touteindépendance, et nous souhaitons aujourd’hui lapartager. Nous entendons créer les conditions

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d’un débat ouvert pour construire ensemble unprojet collectif, seul capable de redonner du sensà notre engagement.

Parce que ce projet est naissant, et parce qu’il avocation à être amendé et complété par tous ceuxqui partagent nos constats et notre vision, ce livreest aussi un appel à nous rejoindre.

Bonne lecture.

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L’alterdéveloppement :notre réponse aux impasses

de la croissance, de lasociété de consommation

et de la centralitéde la valeur travail

Capitalisme, démocratie etalterdéveloppement

« Notre modèle de production et de consom-mation a été conçu pour étendre la domination ducapital aux besoins, désirs, pensées, pour nousfaire acheter et consommer ce qu’il est dans l’inté-rêt du capitalisme de produire. Les produc-teurs/consommateurs sont mis au service ducapital et non l’inverse. Le lien entre la création derichesse et la création de valeurs est rompu. N’estreconnue comme richesse que ce qui peut s’expri-mer en argent. Les services collectifs seraient doncà abolir dans la mesure où ils freinent et empê-chent la croissance de la consommation indivi-duelle. » (André Gorz)

Nous devons faire le constat que la gauche en

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France a renoncé à prendre position vis-à-vis ducapitalisme. En général, elle utilise le terme dansses discours et ses programmes sans vraiment luidonner un sens, en parlant indifféremment decapitalisme ou de sphère marchande, en lui affu-blant des adjectifs choisis (capitalisme financier,capitalisme libéral…), comme si le terme en soin’était pas suffisamment signifiant.

Cela traduit une posture beaucoup plus pro-fonde qu’une simple prise de position séman-tique. Force est de constater que la gauche ne sepose plus la question de la pertinence du systèmequi régule aujourd’hui l’ensemble des rapportssociaux. Ce faisant, elle se condamne à ne propo-ser que des ajustements « à la marge ». Or, selonnous, la légitimité à construire un projet politiqueà gauche, porteur de sens, porté par un idéal fort,ne peut s’ancrer que dans une remise en cause dusystème capitaliste. En effet, le piège du capita-lisme est de se présenter comme un « système éco-nomique », alors qu’il est beaucoup plus que cela.C’est un système politique, un système écono-mique, un système social qui régit la quasi-totalitédes différentes sphères de la vie des individus.

Il est donc urgent de mener une premièrebataille politique : une bataille culturelle qui dif-férencie notamment capitalisme et sphère mar-chande. L’un est un système global qui gouvernel’économie et la société, l’autre est un espace pou-vant servir à réguler une partie de la productionde biens et services. L’un n’implique pas forcé-ment l’autre.

Notre projet implique une remise en cause du sys-tème capitaliste

Si la sphère marchande n’est pas condamnableen soi, notre projet remet nécessairement en causele capitalisme car celui-ci combine deux caracté-

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ristiques qui en font, selon nous, un systèmeincompatible avec notre alterdéveloppement :

La rentabilité du capital comme unique objectif :Le capitalisme organise l’ensemble des facteurs deproduction (humains et matériels) en fonction deson objectif premier. Dans ce modèle, la prise encompte des dimensions environnementales,sociales ou éthiques résulte soit de l’instinct deconservation du système, soit d’un positionne-ment stratégique ou marketing.

Si la compréhension et la dénonciation des dif-férentes formes de capitalisme (financier, libé-ral…) nous permet d’adapter nos modesd’actions, nous estimons que ces différentesformes ne recouvrent en somme que plusieursfaces d’un seul et même modèle. Il n’existe pas de« bon » capitalisme.

Le caractère englobant ou systémique du capita-lisme : une des grandes forces du capitalisme estde se faire passer comme un outil « technique ».On tente aussi de nous faire croire que cet outil neserait ni « bon » ni « mauvais » en soi, mais sim-plement un mode de régulation des échanges per-mettant d’ajuster l’offre à la demande… Cetartefact, profondément intégré par la société toutentière, constitue le principal levier de légitima-tion du système. Or, le capitalisme est englobant,et englobant par nature, à la fois pour l’individu,mais également pour la société. En transformantles désirs en besoins, en érigeant en valeur le tra-vail et le mérite, en posant l’échelle économique etsociale comme la hiérarchie naturelle des rapportshumains, il dépasse largement le champ « écono-mique » pour régir sans le dire la quasi-totalité desrapports sociaux. Le capitalisme revêt un carac-tère totalitaire dans la production du monde,c’est-à-dire dans la production des liens qui fon-

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dent la vie en société et notre histoire commune.Il enferme l’imaginaire et borne les possibilitéspour l’homme d’envisager un nouveau rapport aumonde.

Le stade actuel du capitalisme aggrave encoreces caractéristiques : l’ouverture des marchés (debiens, de services, de capitaux) privent les nationsde leur faculté de déterminer librement les poli-tiques économiques, fiscales, de redistribution,environnementales… Par ailleurs, le dogme de laconcurrence pure et parfaite implique la régres-sion des secteurs publics et des politiques sociales.

Plus que jamais, le capitalisme accentue aujour-d’hui le primat de l’économique sur le politique.

Notre projet est incompatible avec une appropria-tion publique et centralisée de tous les moyens deproduction.

Si nous rejetons le système capitaliste, nous reje-tons tout autant la tentation d’une appropriationpublique et centralisée de tous les moyens de pro-duction censée assurer un équilibre social et envi-ronnemental durable et équitable pour tous.Même si l’histoire n’avait pas tranché sur cetteoption, nous pensons que notre projet est égale-ment incompatible avec ce système pour trois rai-sons.

D’abord, il est illusoire de penser que l’appro-priation publique de tous les moyens de produc-tion favorise un quelconque épanouissement del’homme au travail. Le caractère aliénant estintrinsèquement lié au travail, même si les avan-tages sociaux permettent, bien entendu, de des-serrer la contrainte. Nous pensons que le travailn’a pas de lien direct avec la réalisation de soi.

Ensuite, une organisation centralisée et planifiéede l’ensemble de toutes les productions seraitliberticide et conduirait nécessairement à une

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impasse : organiser la production signifie encadrerl’expression, la créativité… Elle impliquerait decontrôler tous les citoyens et leurs activités enfonction des objectifs qu’elle s’est assignée.

Enfin, planifier toutes les productions impliquede prévoir les consommations humaines et lesrépartir, ce qui aboutit nécessairement à figer lasociété ou à l’orienter de façon arbitraire.

Nous proposons un dépassement du système capi-taliste.

Au terme d’un processus démocratique, nousredessinerons tout d’abord les contours dudomaine public, de la sphère marchande régulée,de l’économie sociale et solidaire. Pour chacun deces secteurs, nous redéfinirons les règles ducontrôle politique et citoyen.

• Nous élargirons donc considérablement ledomaine public en proposant une réappropria-tion publique (via l’État, les collectivités locales etd’autres acteurs publics) des secteurs touchantaux besoins fondamentaux. Nous agirons pour lareconnaissance et l’extension des biens communset des biens de connaissance.

• Nous limiterons le champ de la sphère mar-chande tout en l’encadrant par des normessociales et environnementales. Si la rationalité desprincipaux acteurs, et notamment l’espéranced’une rentabilité du capital pour l’entreprises’exercera toujours dans cette sphère, elle seralimitée, encadrée. Chaque fois que cela est pos-sible, nous inciterons les entreprises à produire defaçon localisée leurs différentes productions.

• Nous favoriserons l’appropriation collective,démocratique, relocalisée et décentralisée desmoyens de production via notamment une sociali-sation de l’investissement. Cette appropriationpermettra notamment un développement de

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l’économie sociale et solidaire et une réductionprogressive du rôle aujourd’hui central des mar-chés financiers.

Notre alterdéveloppement appelle bien unerupture culturelle qui affiche clairement le primatdu politique sur l’économique et la mise en placed’un système humaniste gouverné par et pour lescitoyens.

Notre alterdéveloppementLe dépassement du système capitaliste implique

la mise en œuvre d’un nouveau projet politique.Cet autre projet, notre alterdéveloppement,nécessite d’abord une rupture culturelle indispen-sable à la remise en cause des dogmes de la crois-sance, de la consommation et de la valeur travailafin de créer un nouvel imaginaire. Un nouvelimaginaire politique pour débattre et construireensemble une politique citoyenne qui mette enavant la gratuité, l’accès inconditionnel aux droits,un nouveau rapport au temps, une démarchealtermondialiste et écologiste. À droite, bienentendu, mais aussi à gauche, l’écrasante majoritédes acteurs politiques ne remet plus en cause cesdogmes, seule manière, selon eux, de combattre lechômage et de réduire les inégalités. C’est doncbien le système de développement actuel et salogique qu’il convient de rejeter.

L’alterdéveloppement est un développementradicalement différent de celui d’aujourd’hui, undéveloppement pluriel de nos sociétés. Radical neveut pas dire extrémiste, donc potentiellementtyrannique. Ce qualificatif doit être compris dansson sens étymologique : ce qui va à la racine deschoses.

Pour Utopia, cette réflexion passe par un pre-

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mier objectif, essentiel et préalable : celui de des-siner le projet de société que nous envisageons, unprojet de société fort et mobilisateur et ainsi deposer la question du sens. Nous refusons que l’ar-gent soit la mesure de toute richesse et la sourcede tout sens. Nous voulons proposer des valeursqui déclassent véritablement le matérialisme ram-pant : nous devons imaginer une société où ilexiste un infléchissement de cette course à laconsommation matérielle, où l’on renonce à cetimaginaire économique, où l’on cesse de croireque « plus » égale « mieux », et où l’on redé-couvre une consommation plus proche de nosbesoins réels. Nous devons changer radicalementde modèle si nous voulons éviter le granddésordre mondial annoncé. Ce changement passepar la prise de conscience citoyenne et collective,la volonté des politiques et des mesures d’applica-tion volontaristes et équitables.

Nous pensons que la politique relève aussi denos actes quotidiens pour incarner nos idées, etnous nous engageons autour d’un nouveau pactesocial nécessaire pour changer notre société, indi-viduellement et collectivement.

Avec Dominique Méda, nous affirmons que« l’ambition de notre société n’est pas le dévelop-pement économique ou l’accumulation de biens,mais le développement de l’ensemble de lasociété. Un développement collectif et durable,qui s’accompagne d’une amélioration des condi-tions de vie et de la mise à disposition pour tousdes ressources matérielles et immatérielles néces-saires pour permettre à chacun de vivre pleine-ment son humanité et sa citoyenneté active. Larépartition des biens, des revenus, l’accroissementdu niveau d’éducation et de santé de l’ensemblede la population, la capacité à maîtriser la vio-

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lence, l’accès et la qualité des services publics, lavitalité de la vie sociale et démocratique, le degréd’égalité entre hommes et femmes, le respect del’environnement, la maîtrise par les individus deleur temps, la qualité de vie, l’accès à la culture, lasécurité économique… sont autant d’indicateursqui permettent de mesurer la véritable richessed’un pays 1. ».

Mais vouloir imposer par le haut une vision etles actions qui en découlent serait réinventer unnouveau totalitarisme. Ce projet de développe-ment universel, l’alterdéveloppement, doit per-mettre à chacun de faire pleinement partie de lasociété, d’être autonome en disposant non seule-ment de moyens financiers, mais aussi d’outils luipermettant d’exercer un jugement, de participer àdes choix communs. Être un citoyen actif, ce n’estpas seulement produire et consommer, c’est aussiparticiper à la décision politique et comprendreles enjeux de notre société. « Le rôle de citoyendoit primer sur celui de travailleur et de consom-mateur 2 ».

Or, notre système économique est fondé sur lalogique « création de besoin/consommation/pro-duction/travail » et représente une inacceptablemarchandisation de l’homme. Au contraire, ladiversité des activités humaines – amicales, fami-liales, amoureuses, artistiques, culturelles, poli-tiques – est une source d’enrichissementindividuel et social. Elles sont nécessaires et essen-tielles à l’épanouissement de chacun, l’espaceoccupé par le travail est tel qu’il déprécie et réduitconsidérablement leur place.

Le développement de la préoccupation pure-

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1 Dominique Méda, Qu’est-ce-que la richesse?, Flammarion,1999.2 Ibid.

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ment économique est allé de pair avec la dépoliti-sation de la grande masse de la population. Nouslaissons à une classe spécialisée le soin de gérer lesaffaires publiques, comme si celles-ci n’avaientpas pour objet d’être vraiment publiques, et doncl’affaire de tous.

Remettre en cause le modèle de société actuel,c’est construire une société répondant à la deviserépublicaine de Liberté, d’Égalité et de Frater-nité… et placer cette dernière au cœur de notreprojet, car c’est elle qui peut donner un sens et uneassise plus solide au vivre-ensemble démocratique.

Si le socle de la République est bien la Liberté etl’Égalité, la Fraternité en est la perspective. Cettefraternité dépasse la notion de solidarité qui, elle, apour message de compenser des inégalités, desinjustices, sans nécessairement remettre en cause lecadre économique, politique, libéral, producti-viste, qui produit ces inégalités. La solidarité com-pose avec les hiérarchies et les injustices. Lafraternité va plus loin. Nous souhaitons en faire lapreuve par l’expérience, en l’intégrant totalementà notre réflexion. Cette réflexion nous ramènedans l’espace de la cité, au « vivre-ensemble » indi-viduel et collectif. La perspective d’une société fra-ternelle en appelle assurément à une économie dudon, de l’échange et de la réciprocité.

Elle est au cœur de l’alterdéveloppement quisera décliné tout au long de ce livre.

Haro sur les mots, ou la sémantique au serviced’une seule vision du monde

« Créée et diffusée par les économistes et lespublicitaires, reprise par les politiques, la nov-langue du néolibéralisme est devenue une desarmes les plus efficaces du maintien de l’ordre ».(Éric Hazan)

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La manipulation du vocabulaire contribue d’unemanière douce, mais redoutablement efficace aubrouillage des idées et aux pertes de repèresactuels. Elle permet aux détenteurs du pouvoird’anesthésier toute opposition et d’affirmer qu’« iln’y a pas d’alternative ». Elle contribue ainsi àvéhiculer l’idée de la fin du politique et du règned’un ordre économique mondial, réduisant aupassage le politique à l’économique.

L’un des exemples le plus symptomatique est leglissement de l’usage du mot « question » au mot« problème ». La question de l’immigrationdevient pour certains « le problème de l’immigra-tion ». La novlangue s’efforce également, toujourspour annihiler conflits ou divergences, de suppri-mer toute connotation négative aux expressions etséparer les mots et les pratiques : les régressionssociales deviennent des réformes, les licencie-ments une modernisation ; les patrons des entre-preneurs, l’économie de marché une économiesociale de marché… D’où également le succès desoxymores : social-libéralisme ; rupture tranquilleou l’énoncé de positions contradictoires présen-tées comme des évidences : « Être socialement degauche et économiquement de droite. »

Aujourd’hui les vocables libéralisme, économiede marché, capitalisme, néolibéralisme, commed’ailleurs croissance, développement, production,gouvernance, économie, font l’objet d’unbrouillage sémantique volontaire.

Contre trois aliénations fonda-mentales

La « religion » de la croissance« L’industrialisme et la religion de la croissance

sont inhérents au capitalisme. On ne peut pasavoir un capitalisme sans croissance. Si on doit

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changer nos modes de consommation, il faut aussichanger nos modes de production, donc l’organi-sation sociale. » (André Gorz)

Aujourd’hui, les différentes organisations poli-tiques et associations qui militent pour une remiseen cause de la croissance abordent essentiellementcette problématique sous l’angle écologique enprenant en compte les limites physiques de la pla-nète. Ces limites nous appellent à la sobriété. C’estimportant, mais ce n’est qu’un des aspects.

Si nous nous opposons au productivisme, nousvoulons aussi sortir de la polémique stérile crois-sance/décroissance. Ces termes sont perçuscomme exclusivement économiques. Or, onconfond trop souvent croissance économique,progrès et développement humain. En effet, lePIB et sa progression n’ont pas de sens pourmesurer le niveau de bien-être d’une société. Rap-pelons qu’une catastrophe naturelle peut augmen-ter fortement le PIB et donc la croissance. Il neprend pas non plus en compte les incidencesnégatives et l’impact humain, social et psycholo-gique, en dehors du coût financier que d’éven-tuelles réparations pourraient engendrer.

La croissance n’a été capable ni de réduire lapauvreté, ni de renforcer la cohésion sociale. Unmême taux de croissance peut signifier un accrois-sement ou une réduction des inégalités. Et unecroissance illimitée dans un monde fini est une illu-sion : « Celui qui croit qu’une croissance exponen-tielle peut continuer infiniment dans un mondefini est un fou… ou un économiste 1. » À l’inverse,il nous semble tout aussi dogmatique et inefficacede se déclarer pour une décroissance qui pourrait

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1 Phrase désormais célèbre de Kenneth E. Boulding (écono-miste et ancien président de l’American Economic Associa-tion).

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à son tour être synonyme de « moins bien être »social. Comme certains objecteurs de croissance lereconnaissent d’ailleurs, nous sommes convaincusqu’il faut dépasser la contradiction crois-sance/décroissance car elle nous entraîne dansl’immobilisme. Nous ne proposons pas de crois-sance négative, mais plutôt l’abandon de l’objectifinsensé de la croissance pour la croissance, de laconsommation pour la consommation.

La croissance, ou son image inversée, la décrois-sance, ne peut pas plus être un objectif en soi. Lesvraies questions sont : croissance de quoi, pour-quoi et pour qui? Décroissance de quoi, pourquoiet pour qui? En fonction de quels objectifs, auservice de quel idéal de société?

Le capitalisme, un phénomène récent et indé-passable ?

La naissance du capitalisme industrialisé et pro-ductiviste est un phénomène récent. Il date dumilieu du XVIIIe siècle et se limite dans un premiertemps au monde occidental, à commencer parl’Angleterre. Ce n’est qu’au début du XXe sièclequ’il a imposé ses méthodes à l’agriculture et auxservices, puis s’est étendu à la quasi-totalité dumonde. Pourtant, on voudrait nous faire croirequ’il a toujours existé et qu’il est indépassable :« Ce n’est pas la pensée qui est unique, mais la réa-lité », nous sort Alain Minc de son chapeau néoli-béral. Autrement dit : Circulez, il n’y a rien à voir !Et encore moins à faire. Éloge de la soumission.

Les Trente glorieuses (1945/1975) sont incon-testablement l’âge d’or du capitalisme, forgé parle biais du plan Marshall lancé en 1947 pour sou-tenir et reconstruire l’économie européenne aprèsla guerre. La guerre froide contribue à instituerdans le capitalisme de marché (à l’Ouest), comme

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dans le capitalisme d’État (à l’Est), la nouvellereligion de la croissance productiviste commeenjeu du conflit et solution magique aux pro-blèmes de l’humanité. De fait, au vu des impor-tants besoins de reconstruction et de productionde biens indispensables pour le plus grandnombre et grâce à la mécanisation, le plein emploidevient la règle et les gains de productivité sontmultipliés par cinq durant cette période. L’heuren’est alors pas aux préoccupations environnemen-tales, et l’on n’est pas très regardant sur l’utilisa-tion des ressources naturelles et la pollution.

Les sociétés occidentales entraînent ce qu’onappelle alors le tiers-monde dans leur frénésie decroissance, sous forme de colonialisme déguisé. Lesous-développement, selon ces nouvelles normes,devient une maladie honteuse. Deux milliardsd’individus vont changer de statut pour l’Occi-dent, et devenir des « sous-développés ». Avec lacomplicité de beaucoup de leurs dirigeants, quicherchent ainsi à obtenir des prêts qu’ils ne pour-ront rembourser qu’au prix d’une casse socialeeffroyable et d’une mise à sac des structures et pra-tiques ancestrales, ils seront contraints de se lancersur la voie d’un développement tracé par d’autres.Aujourd’hui, la dette du Sud se chiffre à 2800 mil-liards de dollars. « Peu de gens aujourd’hui défen-dent cette grande hypocrisie : on prétend aider lespays en développement alors qu’on les force àouvrir leurs marchés aux produits des pays indus-triels avancés, qui eux-mêmes continuent à proté-ger leurs propres marchés. Ces politiques sont denature à rendre les riches encore plus riches et lespauvres encore plus pauvres – et plus furieux 1 ».C’est le début de l’occidentalisation du monde, enfait un néocolonialisme sauvage et destructeur.

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1 Joseph E. Stiglitz (économiste et prix Nobel d’économie).

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Puis, lorsque le premier choc pétrolier survienten 1973, le piège se referme également sur lespopulations occidentales : le cumul des gains deproductivité et de la baisse de la croissance éco-nomique aboutit à la destruction de nombreuxemplois. À partir des années soixante-dix, avec lalibéralisation de la circulation des capitaux et desmarchandises et la déréglementation, on assiste àla montée en puissance de la course à la rentabi-lité des capitaux. Celle-ci s’accompagne invaria-blement d’opérations de privatisations,concentrations, délocalisations, restructurations,avec leurs conséquences désastreuses en termes deprécarisation du travail, de chômage de masse,d’« ajustements structurels » pour le Sud, de limi-tation des droits sociaux partout. Depuis le milieudes années soixante-dix, la croissance écono-mique se construit trop souvent sur la décrois-sance du progrès humain et la montée desinégalités sociales. Exit les Trente glorieuses, maisle mythe perdure.

Une montée des inégalités inhérentes à lacroissance économique

« Il n’est pas plus facile de réduire les inégalitésquand il y a de la croissance. L’histoire de ces 25dernières années le prouve, avec dans presquetous les pays riches une progression de la richesseéconomique et des inégalités. » (Jean Gadrey)

En 1960, l’écart de revenu entre les 20 % lesplus riches et les 20 % les plus pauvres de la pla-nète était de 1 à 30. Il est en 2007 de 1 à 80. Les500 personnes les plus riches possèdent l’équiva-lent du revenu des 500 millions les pluspauvres. Un « très riche » gagne donc autantqu’un million de ses semblables.

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Soixante-dix pour cent du commerce mondialest sous le contrôle de 500 entreprises. Ford etGeneral Motors ont des ventes supérieures au PIBde l’Afrique subsaharienne. Microsoft affiche37 milliards de dollars de bénéfices en 2005, alorsque l’ONU estime qu’avec seulement 20 milliardsde dollars par an la sous-alimentation pourraitêtre éradiquée, qu’avec 15 milliards on pourraitfournir de l’eau potable partout dans le monde, etqu’avec 12 milliards il serait possible de garantirune éducation de base.

Mais l’on préfère dépenser 1100 milliards dedollars par an pour l’armement. Doit-on accepteret se résigner devant un tel modèle de gouver-nance mondiale? Doit-on réciter la liturgie néoli-bérale répétant qu’« il n’y a pas d’alternative »?

Aux États-Unis, entre 1959 et 1995, le PIB aaugmenté de 240 %, mais pendant cette périodel’indicateur de santé sociale, regroupant neuf indi-cateurs sociaux, a baissé de 40 %. 23 % des Amé-ricains vivent en-dessous du seuil de pauvreté(22 % en Angleterre) et 1 % de la population estincarcérée (chiffre multiplié par 4 en 25 ans).« Les USA sont en train de devenir un pays richeaux populations pauvres… Le pouvoir d’achat dusalaire minimum est aujourd’hui inférieur de35 % à ce qu’il était il y a 30 ans1 ».

Cette concentration spectaculaire des inégalitésrésulte d’un système structurellement injuste,mais aussi de pratiques conjoncturelles indignes :rétributions pharaoniques et parachutes dorés desgrands patrons, primes aux cadres d’établisse-ments financiers. Comme le reconnaît Sicco Man-sholt,, ancien président de la Commissioneuropéenne, en 1972, « la croissance n’est qu’un

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1 Joseph E. Stiglitz.

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objectif politique immédiat servant les intérêts desminorités dominantes ».

En France, le nombre de bénéficiaires du RMI adoublé en dix ans, et 10 % de la population sur-vit grâce aux minima sociaux. Plus de 7 millionsde salariés perçoivent un salaire inférieur à 722et se trouvent donc dans l’incapacité de se nourriret se loger décemment, de même que leur famille.Un tiers des SDF à Paris travaillent, et la moitiédes Français pensent qu’ils pourraient perdre leurlogis 1. Alors qu’entre 1980 et 2002 le PIB aug-mentait de 156 %, le chômage passait de 6,2 à9,5 %. Un patron du CAC 40, dont le salaireannuel a triplé depuis 1998, touche en moyenneen un jour ce qu’un ouvrier gagne en un an. Demême, en 2006, 36 milliards de dollars ont été dis-tribués en primes de fin d’année dans les cinqprincipales firmes financières américaines. Bonusobtenus sur le dos des salariés des entreprisesrachetées ou restructurées et des États qui versentles indemnités de chômage. Pour le néolibéra-lisme, la logique de privatisation des profits et desocialisation des pertes tient lieu de gouvernance.Plus encore, depuis le début des années quatre-vingt, les plus riches, grâce à leur patrimoine dontla valeur explose, sont donc « condamnés » àl’être davantage, au détriment de tous les autres,classes moyennes comprises.

Voilà les modèles économiques que certains ontl’indécence de continuer à encenser.

Le système capitaliste, et la croissance écono-mique qui en est issue, sont par essence créateursd’inégalités et destructeurs de cohésion sociale. Ilsn’ont été capables ni de réduire la pauvreté ni derenforcer la cohésion sociale. Nous refusons cemonde où la seule alternative serait de remplacer

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1 Emmaüs, enquête 2006.

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la pauvreté par la misère. Nous refusons de nousrésigner à une société où tout se vend, tout semonnaye, tout se « mérite », même les droits lesplus élémentaires de l’être humain.

Et les choses empirent. D’une part, le capita-lisme entrepreneurial – dont la logique échappaitdéjà à toute forme de contrôle politique – a cédéla place à un capitalisme financier, pour qui la ren-tabilité maximum du capital à court terme estl’unique objectif, au détriment du travail et dessalariés, voire de la pérennité même des entre-prises. D’autre part, la concentration croissantedes entreprises conduit à la constitution d’un petitnombre de world companies solidaires et com-plices, dictant leurs lois au marché et même à cer-tains gouvernements.

La remise en cause de l’idéologie productivisteet de son double, la soumission au marché, qui pardéfinition ignore l’intérêt collectif, devienturgente. Cela signifiera changer radicalementnotre modèle social, si on ne veut pas que lesrévoltes et les violences, accompagnées des inévi-tables réponses répressives et liberticides, tien-nent lieu de programme politique.

Une croissance infinie dans un monde fini :une équation impossible

« Vous ne pouvez pas vouloir la réduction desflux de marchandises sans vouloir une économieradicalement différente, une économie dont le butpremier n’est pas de faire de l’argent et danslaquelle la richesse ne s’exprime ni ne se mesureen termes monétaires… L’écologie politique estune discipline foncièrement anticapitaliste et sub-versive. » (André Gorz)

L’utopie capitaliste de la croissance matérielle

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illimitée nous mène droit dans le mur et la droiteest irrémédiablement vouée à soutenir ce capita-lisme destructeur. Une croissance illimitée dansun monde fini est une illusion. Aberration : lascience économique ignore les données écolo-giques dans son raisonnement et se déconnecte dela réalité de la biosphère. Chacun sait que les res-sources naturelles de la planète sont insuffisantespour permettre un mode de vie à l’européenne eta fortiori à l’américaine pour tous. 20 % deshumains consomment 80 % des ressources de laplanète. 1,2 planètes seraient nécessaires pourcontinuer à exploiter les ressources naturellesmondiales au rythme actuel. Avec une croissancemondiale de simplement 3 % par an, il en faudraitplus de 8 en 2100.

Le PIB a été multiplié par sept à l’échelle inter-nationale en 50 ans. En un siècle, la population duglobe a été multipliée par quatre et la consomma-tion d’énergie par dix, pour 20 fois plus derichesses produites et 50 fois plus de biens indus-triels. Si chaque habitant du globe devait consom-mer autant que ceux des pays développés, ilfaudrait en 2050 produire huit fois plus d’énergie.Nous savons que ce n’est pas possible. Mais,comme le dit très justement le philosophe Jean-Pierre Dupuy, « nous ne voulons pas croire ce quenous savons ».

Un système économique qui détruit l’environne-ment s’autodétruit. Même en Chine, considéréeactuellement par beaucoup comme l’un des prin-cipaux bénéficiaires de la mondialisation (l’ultrali-béralisme économique peut faire bon ménageavec le totalitarisme politique), si on ajoutait lescoûts cachés liés aux réductions des ressourcesnaturelles et à la pollution, la croissance du PIBchinois serait diminuée entre 1985 et 2000 de 3 à

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5 points. Mais ce sont en Chine comme ailleurs lesgénérations futures qui paieront la note. Pour leclimat, le constat est maintenant sans appel :l’homme dérégule de façon irréversible le climatde la planète dans laquelle il vit en acceptant qua-siment sereinement les conséquences dramatiquesqu’il a lui-même provoquées. La corrélation entrele réchauffement climatique lié à l’effet de serre etl’activité humaine n’est mise en doute que parquelques grands groupes de pression. D’ores etdéjà les réfugiés climatiques sont plus nombreuxque ceux des guerres. 13 millions d’hectares deforêts, qui sont des puits à CO2, sont défrichéschaque année. Avec la montée de la désertifica-tion, 2 milliards d’habitants souffriront de pénuried’eau en 2025.

Lutter contre le réchauffement climatiquedevrait coûter aujourd’hui 1 % du PIB mondialpar an, mais si on ne fait rien ou peu, cela coûtera20 % en 2050, soit 5500 milliards de dollars 1

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La décroissance, un constat juste, une impassepolitique?

« Si nous ne rentrons pas dans une décroissanceéconomique choisie, nous courrons le risqued’avoir une décroissance imposée demain, jointe àune terrible régression sociale et humaine et denos libertés. » (Vincent Cheynet)

Le terme de décroissance doit son émergence àla faillite des idéologies des XIXe et XXe siècles, maisil n’est rentré que récemment dans la sphère poli-tique. Pourtant cette idée vagabonde depuisquelques temps dans la tête de certains vision-naires. Dès 1970, les économistes du Club deRome titraient leur rapport Halte à la croissance.

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1 Rapport Nicolas Stern, ancien chef économiste de laBanque mondiale.

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En économie, la notion de décroissance est appa-rue aussi dans les années soixante-dix avec l’éco-nomiste Nicholas Georgescu-Roegen. Il fut lepremier à constater qu’une croissance, mêmefaible, n’est pas possible sur le long terme dans unsystème clos, et il introduisit le concept de bio-sphère, qui consiste à penser l’économie au seinde cette biosphère. Dans les mêmes années, Cor-nélius Castodiaris, André Gorz, Edgar Morin etFrançois Partant, promeuvent l’écologie politique.« L’écologie est subversive, car elle met en ques-tion l’imaginaire capitaliste qui domine la pla-nète 19. »

René Dumont, lors de la présidentielle de 74,alerte l’opinion sur les limites des ressources natu-relles. Ayant eu raison trop tôt, il recueille moinsde 2 % des suffrages. La décroissance est donc uneidée encore neuve au niveau du grand public,mais qui ne va pas tarder à se propager en raisonde la crise écologique et sociale.

Aujourd’hui, en France, les principaux théoriciensde la décroissance sont Paul Ariès, Serge Latoucheet Vincent Cheynet. Yves Cochet chez les Verts flirteégalement avec cette idée. Pour eux, la décroissancen’est pas la croissance négative, mais la sortie de lareligion de la croissance, une façon de s’en prendreaux idoles économiques, de faire tomber toutes lesstatues de l’ancien régime. Le terme de décroissance,« mot obus » selon Paul Ariès, sert à interpeller afinde mettre en évidence l’absurdité de l’économisme.Ils souhaitent que la décroissance matérielle soitaccompagnée d’une croissance relationnelle, convi-viale et spirituelle. Et cela n’a rien à voir avec leretour à la bougie, comme les caricaturent trop sou-vent les partisans aveugles de la croissance. Selon la

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1 Cornélius Castoriadis (cofondateur de Socialisme ou Barba-rie, psychanalyste et économiste).

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formule de Serge Latouche, il faut « décoloniser lagauche de l’imaginaire progressiste ».

Si vous parlez aujourd’hui de décroissance à unhomme politique, un entrepreneur ou un syndica-liste, il y a de fortes chances qu’il vous considèrecomme un doux rêveur doublé d’un privilégié.Dans un pays qui compte 7 millions de chômeursou précaires, il est normal que ce vocable passemal. « Une idéologie de gosses de riches », titraitLe Monde. Les théoriciens du mouvement ont eux-mêmes conscience de cette difficulté, reconnais-sant que cette pensée engendre le meilleur, maisparfois aussi le pire. Il ne faut pas que la tentationmimétique entraîne les militants de la décroissancevers la logique néfaste d’une nouvelle idéologie« décroissanciste ». D’où l’autodénominationd’objecteurs de croissance. « Le terme de décrois-sance sera aussi dépassé lorsqu’il aura fait son tra-vail de cri d’alarme », soutient Paul Ariès.

Les solutions passeront pour nous prioritaire-ment par le politique, sans sous estimer le poids etl’impact positif que peuvent avoir également l’in-dividuel et l’associatif. Même si nous suivons unestratégie différente, même si nous défendons unalterdéveloppement qu’il récuse, nous nous sen-tons plus proche de ce mouvement que de l’en-semble de la pensée productiviste et scientisteencensée par la majorité des partis politiques.L’écologie politique qui sert de base auxréflexions et actions des objecteurs de croissanceest avec l’altermondialisme les deux seules idéesneuves de ces cinquante dernières années. Ellesalimentent également nos réflexions.

Croissance et décroissance ne sauraient être desobjectifs, mais le résultat, différent selon les sec-teurs, d’une politique mettant le bien-être humainau premier rang des objectifs.

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La consommation, nouvelopium du peuple

Notre alterdéveloppement implique uneréflexion sur un partage de biens relationnels, deservices aux personnes, de service à la réparationdes biens (plutôt que de produire des biens dontla durée de vie est de plus en plus courte), d’acti-vités culturelles et associatives.

La consommation doit en effet être liée à l’aspi-ration à une meilleure qualité de vie, et non à uneaccumulation illimitée de biens, illusoire pro-messe du bonheur. L’objectif est bien de la repla-cer par rapport à un autre modèle dedéveloppement, plus juste, respectueux de l’envi-ronnement, en phase avec les véritables besoinsdes femmes et des hommes. Nous sommes doncd’accord avec le mot d’ordre des objecteurs decroissance : « Moins de biens, plus de liens ».

La consommation comme révélateur de la criseidentitaire

Au-delà de la réalité économique, la sociétésouffre aujourd’hui d’une crise identitaire, d’unprofond désenchantement du monde. Cette crised’identité est liée à la mise en avant de l’individuaux dépens du collectif et à la croyance que lasomme des réussites matérielles de chacun fait lebonheur de tous.

La consommation perd sa finalité première, quiest de répondre à un besoin : on consomme parceque les autres consomment. Parallèlement et para-doxalement, les modèles de réussite véhiculés parles médias et la publicité mettent toujours enavant l’exception, la distinction, la performance. Ilfaut consommer pour se distinguer, pour affichersa différence, sa réussite. Cette instabilité oblige à

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« jouer » en permanence, à être toujours en repré-sentation, même avec ses proches.

De fait il n’y a plus d’identité, mais un processuspermanent d’identification qui conduit à assumerune multiplicité de rôles changeants.

Le processus d’affirmation de l’identité par laconsommation est voué à l’échec : il est construitsur un perpétuel recommencement – sorte dedéclinaison moderne du mythe de Sisyphe –inquiétant et absurde. Ce processus conduit à unmode d’appartenance au groupe, de distinctionou d’exclusion, qui débouche, dans tous les cas,sur une identité superficielle qui nous échappe.

L’augmentation de la production ne peut être leseul indicateur de richesse, pas plus que l’acquisi-tion croissante de biens par chaque individu. Dela même façon que la société n’est pas une entre-prise dont la vocation est de produire toujoursplus, chacun d’entre nous n’a pas celle deconsommer toujours plus. Quel serait l’objectifréel ?

La société de consommation confond besoinet désir

La société de consommation nous accompagnedepuis l’enfance. Elle nous a donné des repèresnous permettant de nous situer, de nous compa-rer, de nous valoriser. Elle a construit un mode desocialisation à part entière, a noyé le sens de l’ac-quisition et a corrompu la notion de désir.

Les besoins humains sont à la fois individuels etsociaux, matériels et spirituels. Le système capita-liste recourt abusivement à cette notion de besoinqu’il présente comme une catégorie naturelle etextensible à l’infini. La logique des besoins, natu-relle à l’origine, s’est étendue à la totalité desdésirs humains, comme si la société devait saisir

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tout désir et le transformer en besoin, et organiserla production collective pour les satisfaire.

D’où les incessantes exhortations à consommer.La consommation est devenue un acte civique.Elle peut porter sur n’importe quoi, pourvu quecela apparaisse dans les statistiques officielles,pourvu que cela soit visible.

L’homme n’est alors plus qu’unproducteur/consommateur. Il passe sa vie,consacre ses forces à réaliser la production qui apour but de satisfaire les désirs retraduits desautres. L’ensemble de la société ne travaille plusque pour un seul but : nourrir ce feu de laconsommation.

La consommation agit comme une drogue« Le forçat du travail et le forçat de la consom-

mation sont les deux faces d’un même visage,celui de l’homo economicus. On commence parconsommer des objets, puis d’autres humains :violences, harcèlement, puis on finit par seconsommer soi-même : drogues, sectes, suicide. »(Paul Ariès)

La consommation est devenue le nouvel opiumdu peuple. Il y a une religion du marché – et lasémantique n’est pas neutre : temples de laconsommation, grands prêtres de l’économie, foidans le progrès, liturgie publicitaire, credo dupouvoir d’achat (le fondamentalisme marchanddont parle Stiglitz). L’ultralibéralisme et lemarxisme revisité à la mode soviétique ou chi-noise communient ensemble à la vision d’unehumanité se réalisant par le développement éco-nomique.

La publicité et le marketing (500 milliards dedollars par an dans le monde, 32 milliards d’eurosen France) sont là pour nous dire que notre épa-

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nouissement et notre bonheur ne peuvent passerque par la consommation d’objets pour partiesuperflus. Pour reprendre ce que disait Lacan àpropos de l’amour, on pourrait dire que le marke-ting, « c’est proposer quelque chose qu’on n’a pasà quelqu’un qui n’en veut pas ». Dégradation del’être en avoir, puis de l’avoir en paraître avec lespectacle érigé en marchandise suprême. Selon laformule d’Oscar Wilde, « on connaît le prix detout, mais la valeur de rien. »

Aux notions freudiennes de psychose/névroses’ajoutent les phénomènes d’addiction/dépressionliés à la privation d’objets devenus indis-pensables : addiction à la voiture puis à la télévi-sion pour la génération précédente, àl’informatique et à l’Internet pour les générationsactuelles, aux téléphones portables et aux jeuxvidéo pour les plus jeunes. Il ne s’agit pas ici decontester l’intérêt que peut avoir l’usage intelli-gent de ces produits, mais de constater que tropsouvent ce sont les utilisateurs qui sont au servicede ces produits et non l’inverse. D’où les phéno-mènes de dépendance qui agissent comme denouvelles drogues.

Il est donc aussi de la responsabilité de chacunde porter un regard critique sur la société deconsommation en interrogeant ses propresbesoins et désirs.

Le travail érigé en valeur« Tout se passe comme si le travail épuisait toute

l’activité humaine. Or, d’une part l’activitéhumaine ne se réduit pas au travail, elle est aucontraire multiple, et d’autre part, il me sembleurgent de réduire la place occupée, réellement etsymboliquement, par le travail précisément pour

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laisser se développer d’autres activités très néces-saires aussi au bien-être individuel, à la réalisationde soi, au lien social… » (Dominique Méda)

Dans le prolongement de la réflexion de Domi-nique Méda, nous pensons que nous devonsremettre profondément en cause la place du tra-vail dans notre société. Nous contestons le dis-cours actuel qui institue le travail comme unevaleur émancipatrice, comme un vecteur de réali-sation individuelle.

Bien entendu, cette position n’est absolumentpas incompatible avec la conviction que toutcitoyen doit avoir accès au travail et que la luttecontre le chômage doit rester une priorité. Noussommes parfaitement conscients que dans unesociété comme la nôtre, qui sacralise le travail, ilest très difficile de poser sereinement les termesdu débat tant les souffrances (matérielles etsociales) liées au chômage rendent parfois inau-dible cette réflexion.

Évacuons donc d’emblée tout malentendu afind’éviter toute caricature : nous pensons que le tra-vail doit être un lien social de qualité auquelchaque individu doit pouvoir avoir accès. Uneperspective de plein emploi doit rester essentielle,tout comme la conquête de nouveaux droits.

Néanmoins, nous réaffirmons avec force quel’élévation du travail au rang de valeur fondamen-tale est d’abord le fruit d’une idéologie producti-viste, incompatible selon nous avec unquelconque épanouissement de l’individu.

La « valeur travail » : une construction histo-rique

La notion de « travail » est une notion qui s’estconstruite historiquement, socialement. Il n’existe

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pas selon nous de caractère anthropologique dutravail.

L’Histoire a montré que l’activité permettant lasubsistance et la satisfaction des besoins ne s’est pastoujours appuyée, contrairement aux idées reçues,sur une division des tâches et pouvait ne prendrequ’un temps minimum (2 à 4 heures par jour pourles chasseurs-cueilleurs). Dans ce type de sociétés,l’idée de besoins illimités n’existait pas. Ces sociétésne s’étaient pas structurées autour du besoin, del’échange ou de la consommation, mais autourd’autres logiques, comme la tradition, la nature…Dans la Grèce antique, le travail est méprisé et assi-milé à des tâches dégradantes. Les mendiants et lesartisans y sont considérés comme faisant partied’une même catégorie. Aristote y valorise principa-lement l’activité éthique et politique.

Dans la Genèse, le travail est assimilé à unesanction. Après le péché d’Adam et Ève, « c’est àla sueur de ton front que tu gagneras ton pain… »C’est au XVIe siècle que le travail prend son nomde tripalium, qui désignait alors un instrument detorture. De l’Empire romain au Moyen-Âge, ontraite finalement le travail de la même manière,par le mépris. L’élément déterminant de l’ordresocial est alors le rang.

C’est Adam Smith, grand théoricien libéral etinventeur de la « main invisible du marché »comme instrument de régulation qui, en 1776dans son ouvrage Recherche sur la nature et lescauses de la richesse des nations, assimile le travail,et notamment sa productivité (liée à l’utilisationdes machines et à la division des tâches), à un fac-teur d’accroissement de la richesse.

Ce raisonnement, qui consacre la mesure de larichesse d’une société par son activité économique,provoque à partir du XIXe siècle un glissement

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sémantique instituant le travail comme une valeurmorale structurante. Le travail devient donc unevaleur centrale à partir de laquelle se construit pro-gressivement un nouvel ordre social fondé sur lesalariat.

La valeur travail, telle que nous la connaissonsaujourd’hui, est donc bien issue d’une constructionhistorique. Plus précisément, elle est née avec l’avè-nement du système capitaliste et s’est progressive-ment imposée à tous.

Le travail : activité de production au service delogiques économiques

L’élévation du travail au rang de valeur est donc lefruit d’un processus historique lié au développe-ment du capitalisme, caractérisé par la soumissionde l’ensemble des sphères de la vie aux considéra-tions économiques et à l’impératif d’augmentationde la production et de la consommation.

Le capitalisme considère le travail comme unsimple facteur de production, c’est-à-dire commeun coût, une variable d’ajustement au service d’unelogique implacable : la recherche de profit pour ledétenteur du capital.

Le travail est aujourd’hui le support et l’alibi de lacroissance, la source des enrichissements fabuleuxdont profitent quelques-uns, et auxquels le grandnombre, ébloui par l’illusoire attente de participerun jour au festin, se résigne davantage qu’il ne sescandalise. Voie obligée d’une participation aux ten-tations de la société d’abondance, le travail est sou-mis au chantage incessant d’une obligation decompétitivité, placé dans une situation de concur-rence déréglée avec des armes très affaiblies et desdéfenses émoussées.

La direction de l’entreprise arbitre entre diffé-rents coûts : matières premières, loyers, frais de per-

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sonnel… comme s’il y avait une équivalence entretoutes ces lignes comptables. La « ressourcehumaine » est donc analysée, décortiquée, et valori-sée selon le prix du marché.

Cette valorisation n’a donc rien à voir avec lapénibilité ou la pertinence de l’usage du bien ouservice produit. Elle est directement déterminéepar un raisonnement économique qui évalue larareté relative du savoir-faire au sein d’un proces-sus de production. Cela signifie plus abruptementque, dans un environnement concurrentiel inter-nationalisé, soit le salaire baisse, soit l’emploi estdélocalisé. Bien évidemment, dans une situationde chômage, le rapport de force est beaucoup plusfavorable aux employeurs et impose des baisses oudes gels de rémunération en jouant sur les peurs.Dans ces conditions, comment peut-on imaginerque chaque individu puisse s’épanouir dans sontravail? Comme valeur morale, on doit pouvoirtrouver mieux… Comme lien social central, ondoit pouvoir trouver plus juste et plus égalitaire.

Certes, certains prennent plaisir à travailler.Pour autant nous ne devons pas perdre de vueque ce n’est pas le cas pour l’immense majoritédes salariés, pour qui le travail reste unecontrainte physique et psychologique.

Le lien de subordination est en effet un des élé-ments essentiels inhérents à la valeur « travail ».

Ce lien « existe entre le salarié et son employeur,celui-ci se déduisant quasi logiquement de la naturedu contrat de travail. Autrement dit, à partir dumoment où l’on considère que le travail humainpeut faire l’objet d’un négoce, cet achat a pourconséquence la libre disposition de ce qui a étéacheté… ».

Il est évident que, dans la relation de travail, il ya une asymétrie totale entre celui qui postule pour

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un emploi afin de subvenir à ses besoins et celuiqui décide et choisit. Pour prendre en compte etcompenser très partiellement l’inégalité du lien desubordination, le législateur a instauré, sous lapression ouvrière, un droit du travail sans cesseremis en cause. On comprend dès lors l’acharne-ment des libéraux à faire disparaître cette protec-tion fondamentale…

En faisant du travail une « valeur », la droite estcohérente avec ses idéaux et avec le systèmequ’elle défend, fondé sur l’efficacité économique,la recherche du profit, et l’idée maîtresse que larichesse de quelques-uns uns crée le travail desautres.

La gauche, héritière d’une tradition matérialiste,prend aujourd’hui parfois position pour une« réhabilitation de la valeur travail ». Comme si cequi fonde notre pacte social et notre « vivre-ensemble » devait se réduire à une activité pro-ductive rémunérée. Cette gauche revendique unhéritage où le sens de l’histoire de l’homme seraitd’humaniser le naturel, de le modeler, de repous-ser l’animalité du monde. Dans cette hypothèse,l’homme se réaliserait totalement dans sa produc-tion. Nous ne partageons pas cette orientation. Levrai combat, le seul qui vaille, serait de repousserla logique de ceux qui cherchent à valoriser lecapital au détriment du travail. Il serait de valori-ser les droits et les pouvoirs du travailleur afinfinalement de rendre le travail et donc l’hommeconforme à son essence.

Avant d’être perçu comme un moyen permet-tant d’aménager la nature ou même d’humaniserle monde, le travail est d’abord né comme facteurde production. Nous refusons donc de considérerl’activité de production comme liée à l’essence del’homme ou même au sens de son histoire. En ce

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sens, comme Dominique Méda, nous considéronsque « le caractère aliénant du travail ne disparaîtpas du fait de l’appropriation collective desmoyens de production. Que les capitaux soientdétenus par les travailleurs plutôt que par les capi-talistes changerait finalement peu de chose auxconditions concrètes de travail ; l’organisation seratoujours le fait de quelques-uns et non de tous[…] autrement dit, l’abolition du rapport salarialne suffit pas à rendre le travail autonome… ».

Devrions-nous continuer à ériger en unique liensocial, en valeur, une activité structurellementinégalitaire? Nous ne le pensons pas. Le travail estet demeure aliénant, aliénant par nature, parcequ’il résulte d’un rapport de subordination mar-chande entre les individus, servant un systèmedont la logique est étrangère à la notion mêmed’humanité.

Le travail et la valorisation du mériteLa droite a fait du « mérite » et du « travail » le

fondement de sa réflexion politique. Et curieuse-ment, on sent la gauche un peu gênée sur cettequestion. Chacun fait d’ailleurs comme si lemérite et le travail étaient des notions établies,dont l’acception et l’utilisation allaient de soi.

Qu’entendons-nous par mérite? S’agit-il desefforts nécessaires que chaque citoyen fait sur lui-même pour apprendre, pour contribuer à la viecollective afin d’agir de façon éclairée dans lacité? Non, bien évidemment.

Quand la droite évoque le mérite, elle le lienaturellement à ce que l’on appelle « la réussite ».Le mérite devient donc l’argument libéral etconservateur par excellence, qui se décline engénéral sur le thème : « En fonction de sa volonté

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et de son travail, “on” réussit plus ou moins biensur une échelle de valeur donnée ».

Là encore, de quelle échelle parle-t-on? Decette échelle qui hiérarchise les individus et lesvalorise en fonction de leur efficacité économique,elle même déterminée par les lois du marché?Dans ce monde – notre monde – le savoir-faire oule savoir-être d’une assistante sociale ou d’unouvrier « vaut » cinq fois moins que celui d’uncadre supérieur.

À droite, on légitime cet ordre des choses ens’appuyant sur le « mérite », le mérite de droite,celui d’être né dans une famille culturellement oufinancièrement favorisée, celui de ne pas avoir deproblèmes de santé, celui d’avoir eu la chance defaire les bonnes rencontres au bon moment. Bref,le mérite que nous mériterions tous !

Et la gauche dans tout ça ? On lui parle« mérite », elle répond « lutte contre le phéno-mène de reproduction sociale ». En se centrantsur la « remise en marche de l’ascenseur social »,elle ne remet plus en cause la hiérarchie sociale niles valeurs et les logiques qui ont conduit à lesconstruire. Elle finit donc implicitement par légi-timer un système et ses inégalités inhérentes enproposant des mesures simplement correctrices,qui ne changeront pas fondamentalement l’ordredes choses, puisque l’injustice est justement l’undes ressorts essentiels du système.

La question n’est donc pas de savoir commentcorriger le système en donnant à chacun la possi-bilité d’être « méritant », mais de savoir commentrepenser l’échelle de valeurs des rapportshumains.

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Le travail doit revenir à sa « juste » placeNous pensons que l’accès de tous à un emploi

de qualité n’est pas incompatible avec une cri-tique de la centralité de la valeur travail, considé-rée comme unique vecteur de droit et dereconnaissance. Il ne s’agit pas ici de remettre encause le travail en soi, ou de prôner sa fin. Ce n’estpas son existence, mais sa place qui est en cause.

Hannah Arendt, qui se réfère d’ailleurs beau-coup à la Grèce et à la Rome antiques, divise laforme la plus courante du vécu humain, la vitaactiva en trois catégories : le travail, l’œuvre etl’action. Elle constate et déplore la tendanceactuelle du travail à devenir envahissant, à absor-ber les deux autres catégories. Il s’agit, selon elle,de la catégorie la moins humanisante, car le pro-duit de cette activité est immédiatementconsommé, sans laisser de trace.

Pour elle, « l’économie vise à réduire l’hommepris comme un tout, dans toutes ses activités, auniveau d’un animal conditionné à comportementprévisible […] une tendance irréversible à toutenvahir, à dévorer les sphères anciennes du poli-tique et du privé comme la plus récente, celle del’intimité à été l’un des caractéristiques domi-nantes de ce nouveau domaine ». Aujourd’hui letravail est-il à sa « juste place » parmi les activitéshumaines? La réponse est clairement non. Noussouhaitons défendre le caractère diversifié desactivités humaines indispensables à notre équi-libre, qu’elles soient familiales, culturelles, asso-ciatives, politiques, amoureuses… Le travail doitretrouver sa « juste place ».

Posons donc la question suivante sans ambi-guïté : Et si, en défendant un autre idéal, une autrenotion de la richesse, une autre vision du monde,la glorification aveugle du mérite et du travail

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n’avait plus de sens? Alors il faudrait accepter dechanger de système et de promouvoir un systèmehumaniste où la logique dominante n’est plusmarchande, où l’essentiel n’est pas « économique-ment mesurable ». Une société où la richesse sedéfinit différemment.Parce que le travail et les hiérarchies sociales nedoivent pas être le fruit de décisions écono-miques, nous proposons de prolonger et d’appro-fondir de manière significative la réduction dutemps de travail. Nous proposons d’accorder unvrai statut aux activités non productives (associa-tives, politiques, humanitaires…). Nous souhai-tons également promouvoir une gestion du temps,tout au long de la vie, qui permettrait à chacund’interrompre son activité productive pour seconsacrer à des projets personnels et collectifs.Par ailleurs, nous refusons de reconnaître commeidéal de société ce que certains appellent la« société du travail » en l’opposant à l’« assista-nat », ce qui finit de laisser penser que si l’on n’apas eu la chance de trouver, d’accéder à unemploi, alors il n’est pas question d’assurancemaladie, de revenu de subsistance, de retraite…Comme si seul le travail participait au bien-êtrecollectif, comme si chacun avait le choix et l’égalaccès à ce fameux « travail », comme si ceux quien étaient dépourvus avaient sciemment choisicette situation pour « profiter » du système.Socialement, économiquement, le chômage serévèle d’ailleurs souvent dramatique pour ceuxqui perdent leur emploi. « Dans une société qui afait du travail sa norme et son mythe, la source durevenu, de l’identité et du contact des individus,comment ne pas être convaincu que l’absence detravail équivaut à une sorte de mort sociale qui setraduit non seulement par une baisse du revenu

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disponible, mais aussi par le sentiment de soninutilité sociale, de son incapacité, par le désœu-vrement, par l’absence d’estime de soi 1. »Relativiser l’obligation de croissance, tempérerl’appétit de consommation, soustraire le travailrémunéré aux injonctions du profit, réduire l’es-pace qui lui est réservé, s’ouvrir à la gratuité, tousces éléments devraient permettre une société plusapaisée. Ils devraient permettre une société plusouverte, respectueuse de la pluralité des activitéshumaines par lesquelles les êtres humains trou-vent la réalisation d’eux-mêmes au travers d’unlien social enrichi. Remettre le travail à sa vraieplace, resituer ses objectifs, inventer pour lui uncadre humain, c’est donner accès à l’homme à unespace de créativité, à une temporalité plus heu-reuse.

De nouveaux indicateurs derichesse

« Les concepts et les mesures de la croissance,de la productivité et du pouvoir d’achat, ne veu-lent pratiquement plus rien dire dans les activitésen passe de devenir majoritaires dans l’emploi despays développés : l’éducation, la santé, l’actionsociale, les services, les administrations publiques,les conseils aux entreprises ou aux particuliers, larecherche, les banques… Ces concepts, hérités dumodèle dit “fordiste” de la grande industrie ou del’agriculture à grande échelle, sont aujourd’huilargement dépassés. » (Jean Gadrey)

Aujourd’hui, le calcul de la croissance reposesur le produit intérieur brut, le fameux PIB, c’est-à-dire la valeur marchande créée par l’économie

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1 Dominique Méda.

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lorsqu’elle produit tous les biens et services qui sevendent dans un pays pendant une année. Onajoute ensuite à cette valeur marchande l’essentieldes « coûts de production » des services non mar-chands des administrations publiques. Ce n’estpas la valeur de ces services, si tant est qu’onpuisse la mesurer, qui est intégré au PIB, mais leurcoût (ex : pour le PIB, la valeur créée par un hôpi-tal se mesure essentiellement aux salaires desfonctionnaires, mais pas à l’importance du servicerendu). Le PIB est donc une richesse purementéconomique et monétaire. Avec ce mode de cal-cul, les réparations des catastrophes naturelles ethumaines, le traitement des déchets excessifs, lesdépenses liées à la dégradation des conditions devie et de travail… font progresser le PIB. Nonseulement on ne tient pas compte des pertes depatrimoine naturel, mais on comptabilise sa des-truction organisée, telle que l’extraction desmatières premières. Mais de nombreuses activitéset ressources qui contribuent au bien-être, commele bénévolat, le travail domestique, les activitésculturelles ou encore l’éducation populaire, nesont pas prises en compte.

Le PIB n’a pas été conçu pour être un indica-teur de bien-être, mais son instrumentalisationpolitique nous a fait croire qu’il en était un. Pour-tant, le décalage entre le PIB et les indicateurs desanté sociale ou de qualité environnementaledevient flagrant. Nous devons chausser d’autreslunettes que celles du PIB et combattre son carac-tère et son utilisation impérialiste.

Il existe plusieurs dizaines d’indicateurs alterna-tifs, et il serait illusoire, voire dangereux, de gui-der une politique avec un seul indicateur figé,censé définir dans l’absolu le niveau du bonheurcollectif sur terre. C’est leur complémentarité qui

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donne une vision plus large du niveau de richessed’une société.

Ce n’est pas à une minorité d’experts de définiret quantifier cette notion complexe, capabled’évoluer dans le temps et dans l’espace, et variantselon les différentes cultures humaines. Ladémarche comporte nécessairement une partd’appréciation subjective dans le choix des indi-cateurs retenus, ainsi que dans le poids accordé àchacun d’eux : comment additionner par exempledes taux de chômage et des inégalités de revenus,des expulsions et le nombre de français soumis àl’ISF?

On doit néanmoins exiger la publication régu-lière et comparative d’indicateurs mesurant desrichesses autres que purement économiques.Parmi ceux ci, Utopia en retient cinq principaux.

De nouveaux indicateurs existent déjàL’Indicateur de Développement Humain (IDH)

Mis au point dans les années quatre-vingt-dixpar le Programme des Nations Unies pour leDéveloppement, c’est le plus ancien indicateuralternatif au PIB. Il complète celui ci par des don-nées sur la santé et l’éducation. Selon cet indica-teur, les États-Unis n’arrivent qu’en 8e positionquand la Suède, pourtant au 20e rang pour le PIBpar habitant, arrive au 2e rang.

Le PNUD a par la suite publié annuellementtrois autres indicateurs synthétiques. En 1995,l’ISDH (Indicateur Sexospécifique de Développe-ment Humain) qui permet d’évaluer les diffé-rences de développement en fonction du sexe,puis à partir de 1997 l’IPH (Indicateur de Pau-vreté Humaine) en distinguant les pays en déve-loppement des pays développés.

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L’Indice de Santé Sociale (ISS)Initié en 1996 en Amérique, il fait la moyenne

de seize indicateurs. On regroupe dans l’indice desanté sociale américain des critères de santé,d’éducation, de chômage, de pauvreté et d’inéga-lités, d’accidents et de risques divers. C’est unesorte de résumé des grands problèmes sociauxcontemporains. Cet indice a acquis une certainenotoriété en Amérique du Nord et ailleurs, à par-tir de la publication, en 1996, dans le magazineChallenge, d’un graphique assez saisissant présen-tant simultanément la courbe de la croissance éco-nomique américaine et celle de cet indice de santésociale depuis 1959, avec un décrochage specta-culaire des deux indices à partir de 1973-1974.

Le BIP 40Le BIP 40, Baromètre des Inégalités et de la

Pauvreté, a été introduit en France par le Réseaud’Alerte contre les Inégalités (RAI), collectif dechercheurs et d’associations. Il est le seul indica-teur synthétique alternatif digne de ce nom dispo-nible en France. Il intègre environ 60 critères. LeBIP 40 est un indice agrégé cherchant à mettre enavant les questions de pauvreté et d’inégalités. Ilidentifie les séries statistiques qui sont censéesrefléter les diverses dimensions des inégalités et dela pauvreté, puis il les additionne. Cette indicateurest toutefois tributaire des statistiques disponibles(sur certains sujets, comme la santé, l’informationfait singulièrement défaut).

La méthodologie retenue pour procéder à cetteagrégation s’inspire des travaux réalisés pour laconfection de l’IDH ou d’indicateurs de santésociale analogues.

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L’empreinte écologiqueÉlaboré en 1996 par William Rees et Mathis Wac-kernagel, cet indicateur est purement environne-mental et n’intègre pas de critères sociaux. Ilreflète le degré d’utilisation de la nature (énergiesfossiles, mais aussi renouvelables) par l’homme àdes fins de production et de consommation maté-rielle. Il est défini par la surface de la planète(convertie en nombre d’hectares) dont cettepopulation dépend, compte tenu de ce qu’elleconsomme et de ses rejets.Selon le WWF, cette empreinte est passée d’envi-ron 60 % de la surface utilisable de la planete en1960, à plus de 120 % aujourd’hui : il faudraitdonc 1,2 planètes pour continuer à prélever aurythme actuel les ressources naturelles. Onemprunte donc chaque année 20 % de ressourcesde plus que la régénération naturelle des res-sources ne le permet. Les calculs montrent eneffet que, au cours des années quatre-vingt, l’em-preinte écologique mondiale a commencé àdépasser le chiffre d’une planète, c’est-à-dire quel’humanité s’est mise à consommer et à rejeterplus de ressources que ce que la planète peut régé-nérer. Avec des inégalités énormes : un Américaindu Nord a une empreinte de 9,6 hectares, soit 7fois celle d’un Africain ou d’un Asiatique.De plus, la population augmente et les pays émer-gents aspirent et tendent (pour certains) àrejoindre les niveaux de vie des pays les plusriches. Si tous les habitants de notre planèteavaient notre mode de vie, nous aurions besoin detrois planètes. D’où l’expression couramment etjustement utilisée : « On va dans le mur », maisaussi la schizophrénie des politiques prônant lacroissance matérielle illimitée.

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Le PIB vertCréé par des chercheurs et ONG, il vise à corri-

ger le PIB en déduisant les coût des dommagesenvironnementaux et sociaux. En théorie, il doitservir à mesurer la véritable richesse nationaled’un pays. Pour la Chine, qui s’est lancée en 2004dans le calcul du PIB vert, celui ci ferait chuter lacroissance du PIB de 8,75 % à 6,5 % en 2000.L’université de Pékin estime qu’au moins 3 à 7points de croissance du PIB des années quatre-vingt-dix a été réalisé au détriment des ressourcesnaturelles et de l’environnement. Cela signifiequ’environ la moitié de la croissance de cettedécennie devrait être déduite. Et cela sans comp-ter les conditions sociales épouvantables quiaccompagnent cette croissance économique.

Comment ces indicateurs peuvent-ils être utili-sés ?

« Il faut absolument nous doter des instrumentsnous permettant de réintégrer dans les décisionspubliques et privées des éléments ou des activitésqui comptent actuellement pour rien dans lePIB… C’est toute notre notion de richesse socialequ’il nous faut donc reconsidérer 1. »

L’objectif est bien de mettre des indicateurs dece type au service du développement humain etécologique. Ils ont vocation à être produits à lafois au niveau local, régional, national, européenet mondial afin d’être débattus.

Il faudrait les publier annuellement, en mêmetemps que les comptes de la nation et les présen-ter au Parlement et dans les collectivités territo-riales avec la même solennité. Ces indicateursfourniraient ainsi l’occasion aux pouvoirs poli-tiques d’alimenter le débat public sur le sens du

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1 Dominique Méda, Cahier du Management, 2001.

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développement et ainsi de déterminer les mesuresà mettre en œuvre.

Rien ne se prête actuellement à un large débatpublic sur le sens du progrès et sur celui des poli-tiques économiques. Un tableau de bord pourraitreprendre des indicateurs de ce type pour servirde boussole à la mise en œuvre d’un projet desociété visant à l’amélioration du bien-être indivi-duel et collectif.

Enfin, il est essentiel de promouvoir aussi ce quede nombreux militants associatifs appellent lacomptabilité du XXIe siècle, c’est-à-dire une comp-tabilité adaptée aux enjeux de notre temps, mesu-rant de manière différente la richesse. Compteséconomiques, sociaux et environnementaux sontindissociables.

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– 2 –

Écologieet altermondialisme

Le défi écologique« L’histoire présente évoque certains person-

nages de dessins animés, qu’une course folleentraîne soudain au-dessus du vide sans qu’ils s’enaperçoivent, de sorte que c’est la force de leurimagination qui les fait flotter à telle hauteur :mais viennent-ils à en prendre conscience, ils tom-bent aussitôt. » (Raoul Vaneighem)

Le constat sur le climatIl y a encore quelques années, la plupart des res-

ponsables politiques étaient comme ces person-nages de dessins animés, obnubilés par lacompétition et la croissance, et ne considéraientcomme unique terrain de jeu que leur nation. Aupoint de négliger le fait que les ressources natu-relles proviennent d’une seule planète, que l’éner-gie abondante et bon marché avait nécessairementune fin, et que le lien entre l’activité humaine et leréchauffement climatique se précisait.

Depuis peu, les preuves de la nécessité d’actionsurgentes face au dérèglement climatique sont avé-rées. La communauté scientifique est passée del’interrogation au doute, du doute à la présomp-

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tion, de la présomption à la certitude. De l’aveude John Hofmeister, président de Shell et jusqu’àpeu opposant aux théories sur le réchauffementclimatique : « Le débat est clos, quand 98 % desscientifiques sont d’accord, il n’y a plus à tergiver-ser ». Pourtant, encore en 2006, un groupecomme Exxon Mobil dépensait 16 millions dedollars pour financer des organismes chargés demanipuler l’information sur le réchauffement cli-matique. Pour fabriquer de l’incertitude, commele faisaient hier les fabricants de tabac vis-à-vis ducancer du poumon. Pour ces gens-là, « nos viesvalent moins que leurs profits ».

Sans rentrer dans le détail sur toutes les consé-quences dramatiques du réchauffement clima-tique qui font l’objet de très nombreux travaux 1,reportages et films, précisons que le climat, cen’est pas uniquement « le temps qu’il faitdehors ». C’est un cycle complet et complexe, oùentrent des facteurs multiples qui interagissent surle climat et l’eau, entraînant sécheresses, inonda-tions, pollutions, migrations et réfugiés, canicules,désertifications, épidémies, incendies, cyclones,montée des eaux, pertes de biodiversité…

Le changement climatique menace les condi-tions de base de la vie pour de nombreuses popu-lations : l’accès à l’eau, la production agricole et lasanté. Les pays les plus pauvres seront les pre-miers touchés, alors qu’ils n’auront que très peucontribué au problème. Le changement clima-tique menace la vie de l’humanité entière.

Quant à la qualité de l’air, ce sujet est complète-ment occulté dans les débats politiques. Pourtantles activités humaines (industries et transports)dans les pays industrialisés ont une incidence très

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1 Rapport du GIEC, rapports de Greenpeace, WWF, NicolasStern, Facteur 4, Parlement, Sénat,…

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nette sur les maladies respiratoires et les allergies.On dénombre en France 32000 décès par an,selon une étude de l’OMS publiée en 2000, attri-buables à la pollution de l’air, et le nombre d’asth-matiques a doublé en 20 ans.

Or, si on ne fait rien, les stocks de gaz à effet deserre doubleront à la fin du siècle et la tempéra-ture moyenne augmentera de près de 5 °C. Soit lemême écart qu’entre la dernière glaciation il y a20000 ans et maintenant, mais sur 100 ans ! Cer-taines zones verront même leur température s’ac-croître de 10 °C.

Le risque le plus important est alors l’emballe-ment du dérèglement climatique entraînant unediminution de la capacité de la mer et de la terreà produire de la biomasse pour l’alimentation,l’énergie, les matériaux, et à jouer leur rôle depuits de carbone et de réceptacle de la biodiver-sité. Ce risque existe à partir d’une concentrationde 400 ppm de gaz carbonique dans l’atmosphère,taux qui serait atteint dès 2015 en prolongeant lestendances de ces dernières années. On entreraitalors selon les experts climatiques dans un terri-toire inconnu. Il y a donc urgence à agir.

D’autant plus que, dans son fameux rapport,l’ancien vice-président de la Banque Mondiale,Nicholas Stern, chiffre à 5500 milliards de dollarsle coût global de l’inaction, soit près de 20 % duPIB mondial, liés aux problèmes d’alimentation,d’accès à l’eau, de santé, d’infrastructures ouencore aux conséquences des déplacements depopulations. De même, pour le PNUD, le coût duréchauffement double tous les dix ans. « Fairecoûtera cher, ne rien faire coûtera très cher 1. »Selon Ban Ki-moon, Secrétaire général de l’ONU,

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1 Kofi Annan (ancien Secrétaire général de l’ONU).

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le réchauffement climatique pourrait aussi com-promettre la paix et la sécurité internationales, etsape les efforts pour lutter contre la pauvreté. Onpeut parler d’un coût social du carbone. Lors-qu’on parle de famines, pandémies et risques deconflits, on n’est plus dans un problème conjonc-turel, mais dans une crise planétaire qui sera cer-tainement le défi majeur du XXIe siècle. « Lechangement climatique présente un défi uniquepour l’économie : il constitue l’échec du marché leplus important et le plus étendu que l’on ait jamaisconnu 1. »

Le constat sur l’eauAujourd’hui, 1,5 milliard de personnes n’ont

pas accès à l’eau potable, 2 milliards n’ont pasd’installation sanitaire et 2,5 milliards consom-ment de l’eau polluée. En conséquence, plus de4 millions d’êtres humains meurent chaque annéede maladies liées au manque d’eau, dont 2 mil-lions d’enfants après avoir consommé de l’eau nonpotable 2. La contamination de la première sourcede vie sur terre devient la première cause de mor-talité. Et le réchauffement climatique va encoreaccentuer le problème. En Chine, la croissance aentraîné la pollution de 70 % des nappes phréa-tiques, fleuves et rivières. En France, même si letype de pollution n’est pas comparable, 96 % del’eau des nappes contient au moins un pesticide.Dans le monde, la consommation d’eau a été mul-tipliée par 6 en un siècle, alors que la populationl’a été par 3. Avec des inégalités criantes : dequelques litres par jour et par habitant dans unepartie du Moyen-Orient et de l’Afrique, à 500litres en moyenne aux États-Unis.

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1 Nicholas Stern, conférence à l’IEP, Paris, 2007.2 Unicef, rapport 2006.

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Pourtant, depuis trente ans, ce ne sont pas lesbelles déclarations qui manquent : en 1977, la pre-mière conférence des Nations Unies sur l’eauaffirme « le droit de tous les peuples à accéder àl’eau potable » ; en 1990, la Charte de Montréalproclame que « le droit d’accès à l’eau est un droitfondamental de l’homme ».

Dans cette optique, la solution préconisée jus-qu’à présent est le partenariat public/privé, c’est-à-dire, de fait, la privatisation des services del’eau. Cela a souvent entraîné une montée des prixpour le consommateur, une diminution des inves-tissements indispensables, une moindre qualité duservice rendu, et le développement de méca-nismes de corruption. Si les opérateurs privésrevendiquent le savoir-faire, la logique du marchén’est ni l’humanisme ni le long terme.

Il est urgent de changer de modèle et que lesnations reprennent la main sur le marché pour ledroit à l’eau, droit fondamental, source de toutevie sur terre.

L’Afrique du Sud a inscrit ce droit à l’eau danssa Constitution, et fournit gratuitement à sa popu-lation 25 litres par personne et par jour. D’autrespays comme l’Uruguay suivent. Le coût nécessairepour satisfaire les besoins mondiaux en eau estestimé de 20 à 30 milliards de dollars par an. Àmettre en regard des 330 milliards par an dépen-sés pour la guerre en Irak. C’est donc possible.

Les orientations et préconisa-tions d’Utopia face au défi écolo-gique

Pour combattre la crise énergétique et clima-tique, nous proposons six grandes orientationsqui peuvent s’appliquer au niveau local, national,

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européen et international : le scénario Négawattpour réduire par quatre les émissions de gaz àeffet de serre ; une sortie progressive du nucléaire ;la création d’un pôle public de l’énergie ; une fis-calité forte reposant sur le principe « pollueur-payeur » ; une relocalisation de l’économie et unerestauration de l’agriculture paysanne et un sou-tien à la reforestation.

Le facteur 4, ou la division par quatre des émis-sions de gaz à effet de serre

Face à la crise énergétique et climatique, nousproposons d’abord d’adopter des mesures réa-listes visant à diviser par quatre l’émission de gazà effet de serre d’ici 2050 en France, et plus géné-ralement au niveau de l’Europe et de la planète.C’est l’objectif du « facteur 4 ».

Le facteur 4 s’entend différemment au niveaumondial et au niveau français. Au niveau de la pla-nète, il d’agit d’ici 2050 de réduire par deux nosémissions de gaz à effet de serre (GES) par rap-port à 1990, tout en prévoyant un doublement dela consommation énergétique (d’où l’expression« facteur 4 »). À l’échelle de la France, il s’agit dediviser par 4 nos émissions de GES, quelles quesoient nos consommations énergétiques.

Pour arriver au facteur 4, il faudrait que chaquehabitant de la planète ne produise pas plus de 0,5tonne de carbone par an. Pour mémoire, un amé-ricain en produit aujourd’hui 5,3 tonnes, un fran-çais un peu plus de 2 tonnes. Avec uneprogression mondiale de 21 % entre 1990 et 2001,la tendance actuelle aboutirait à doubler les émis-sions mondiales de CO2 d’ici 2050. En plus, leCO2 a un effet cumulatif et met un siècle à serésorber. On en est loin avec l’accord de Kyoto,qui prévoit une diminution de 5 % en 2012 par

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rapport à 1990, et qui n’est même pas appliquédans tous les domaines : seules 27 % des émis-sions en France sont concernées.

Le facteur 4 fait l’objet d’un curieux consensus :présenté par le Premier ministre lors de la confé-rence sur le climat en 2004 puis repris en 2005 parle Président de la République à l’occasion desaccords de Kyoto, il est au cœur de la loi du13 juillet 2005 sur la lutte contre le changementclimatique. Ce consensus doit-il être attribué aucaractère apparemment très lointain del’échéance : 2050? Les gouvernants actuels n’au-ront de comptes à rendre que face à l’Histoire.Cet enjeu appelle pourtant, dès aujourd’hui, unepolitique volontariste qui dépasse les seules prisesde conscience individuelles.

Les scénarios actuels ou prévus, Kyoto compris,sont loin d’être suffisants. Notons néanmoinsqu’en mars 2007, les 27 états membres ont décidéque l’UE devrait d’ici à 2020 réduire ses émissionsde GES d’au moins 20 % par rapport à 1990, etpour cela améliorer de 20 % l’efficacité énergé-tique, et atteindre 20 % de la production issue des« renouvelables ». Ces bonnes intentions restent àconcrétiser.

Le scénario Négawatt : sobriété, efficacité eténergies renouvelables

En France, un groupe d’experts travaille depuisquelques années sur le facteur 4 au sein de l’asso-ciation Négawatt 1.

Utopia propose de prendre comme base d’ac-tion en France le scénario Négawatt fondé néces-sairement et simultanément sur la sobriété,l’efficacité énergétique et les énergies renouve-

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1 www.negawatt.org.

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lables. Ce scénario présente l’avantage d’être réa-liste car, en se limitant à l’utilisation des tech-niques existantes, il ne fait pas le pari risqué d’unequelconque rupture technologique, notammenten matière de stockage de l’électricité, de séques-tration du carbone, de développement des tech-niques fondées sur l’hydrogène ou sur le nucléairede la 4e génération. Il est également réaliste, car ildécrit les mesures concrètes à mettre en œuvre etdémontre que leur financement est possible.

Conforme aux objectifs du facteur 4, le scénarioNégawatt vise notamment à identifier ces néga-watts, qui représentent l’énergie non consomméegrâce à un usage plus sobre et plus efficace (soitenviron 64 % de notre consommation d’énergieprimaire). Il permet également de se désengagerprogressivement du nucléaire.

La sobriété consiste à supprimer les gaspillagesà tous les niveaux de l’organisation de notresociété, ainsi qu’au niveau de nos comportementsindividuels, sans pour autant recourir au rationne-ment ou à l’austérité. Par exemple, mieux profiterde la lumière naturelle, réduire les éclairagesinutiles, réguler le chauffage, rationaliser lesmodes de déplacements des hommes et des mar-chandises, développer les transports collectifs, lapratique du vélo en ville…

L’efficacité énergétique a le potentiel d’être àelle seule la plus grande source d’économied’émission de GES du secteur énergétique. Elleconsiste à utiliser des techniques qui consommentmoins d’énergie pour rendre les mêmes services. Ilest possible de réduire d’un facteur 2 à 4 certainesde nos consommations d’énergie et de matièrespremières à l’aide de techniques déjà éprouvées. Ilfaudra pour cela remettre progressivement àniveau les équipements actuels les plus énergi-

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vores, lancer un programme d’amélioration éner-gétique des bâtiments anciens, généraliser lesampoules basse consommation, développer lesréseaux de chaleur en co-génération…

Enfin, les énergies renouvelables (solaire,hydraulique, éolien, géothermie, biomasse), sielles sont bien réparties et décentralisées, ont unfaible impact sur l’environnement. Elles seulespermettront, à terme, de répondre durablement ànos besoins en énergie tout en respectant notreplanète.

Ce scénario est considéré comme crédible parles experts et même les politiques compétents enla matière. Saura-t-on l’appliquer à temps alorsqu’il y a urgence?

Une sortie progressive du nucléaireLe scénario Négawatt se positionne pour une

sortie du nucléaire d’ici 2035, sans approche dog-matique, en démontrant simplement qu’il est pos-sible de s’en passer. Utopia défend cette position.

Le problème du nucléaire est complexe. Ildépasse l’aspect purement économique et tech-nique. C’est la question du choix de société qui estposée. Cette question cruciale n’a jamais fait, enFrance, l’objet d’un débat démocratique : dansquel monde voulons nous-vivre, et que voulons-nous transmettre aux générations futures?

Les pro-nucléaires développent quatre argu-ments principaux qui se révèlent être de faussesbonnes solutions.

Le dérèglement climatique est une aubaine pourles pro-nucléaires. Ils mettent en avant cette éner-gie faiblement carbonée et peu polluante. Or, si lenucléaire émet peu de GES, une électricité mon-diale entièrement produite par le nucléaire neréduirait les gaz à effet de serre que de 9 %.

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Il permettrait une indépendance énergétique.Pourtant, l’uranium (comme le pétrole) estimporté et, de surcroît, cette matière premièren’existe que dans un nombre très restreint depays.

Elle est souvent présentée comme une énergierenouvelable, alors que les stocks mondiauxd’uranium sont estimés au maximum à 100 ans.

Elle est considérée comme bon marché. En fait,les coûts indirects ne sont pas pris en compte, nila progression annoncée du coût de l’uranium.

En revanche, les arguments contre le nucléairesont nombreux et d’importance. Les trois princi-paux sont les déchets, la prolifération et lesrisques d’accidents.

• Les solutions techniques de traitement desdéchets, qui auraient du permettre de neutraliserla radioactivité, nous ont été promises il y a de celaquarante ans… On attend encore. Même pour lesprochaines générations de centrales, il restera desdéchets toujours radioactifs et donc dangereux.On recense « officiellement » 1000 sites de stoc-kage de déchets en France (en comptant lesdéchets radioactifs médicaux), pour une produc-tion de 1200 tonnes/an, principalement issus descombustibles ou du démantèlement des centrales.

• La prolifération reste un risque fort, car lesfrontières entre le nucléaire civil et militaire sont,comme on le sait, très peu étanches.

• Les accidents sur site ou dans les transports dematières radioactives sont possibles, même avecune occurrence très faible. Leurs conséquencesdemeurent dramatiques.

Faire ce cadeau empoisonné aux générationsfutures est irresponsable. Pas étonnant qu’aucunecompagnie d’assurances n’accepte d’assurer une

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centrale nucléaire. Et c’est sans compter le faitque 90 % du budget de la recherche énergétiqueen France a été absorbé par le nucléaire au détri-ment des énergies renouvelables, pour lesquellesnous avons pris du retard.

Le nucléaire représente près de 80 % de l’élec-tricité et 18 % de l’énergie totale consommée enFrance. C’est une exception française : dans lemonde, le nucléaire représente seulement 3 à 4 %de l’énergie finale. Pourquoi alors s’évertuer àpoursuivre le développement d’une énergie sidangereuse et au bilan si négatif ? Si le nucléaireétait incontournable pour la vie de nos sociétés,nous n’aurions pas d’autre choix que de nous yrésoudre. Mais ce n’est pas le cas. Et malgré leréchauffement climatique et la pénurie à venird’énergies fossiles, un autre monde dénucléariséest possible. Le scénario Négawatt auquel nousadhérons le prouve.

Un tel scénario est possible et raisonnable àl’horizon 2030/2035, le temps de terminer d’ex-ploiter et de fermer les centrales, d’œuvrer à lasobriété et à l’efficacité énergétique tout en inves-tissant et en développant les énergies renouve-lables. Pour cela, il faut bien sûr ne pas construirede nouvelles centrales nucléaires de type EPR,comme celle de Flamanville, considérée par l’ex-pert anglais John Large comme « le réacteurnucléaire le plus dangereux au monde ».

Ces nouvelles centrales ne sont pas nécessaires,car la France produit trop d’électricité : elle enexporte 16 %, soit l’équivalent de 10 centrales.L’électricité ne se stocke pas et doit être produiteau plus près de l’endroit où elle se consomme. Siles 3,3 milliards d’euros prévus pour la construc-tion de la centrale de Flamanville étaient allouésaux énergies renouvelables, on pourrait produire

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davantage d’électricité tout en garantissant dans legrand Ouest 15000 emplois pérennes et non délo-calisables 1.

Il est donc urgent de s’opposer activement àtous les projets de nouvelles centrales nucléaires,et de faire passer les budgets de recherche et déve-loppement du nucléaire aux énergies renouve-lables.

La création d’un pôle public de l’énergieL’accès à l’énergie est un droit fondamental. Or,

il ne peut pas y avoir de politique équitable del’énergie au service des citoyens si celle ci estdépendante des lois du marché. La gestion del’énergie doit être citoyenne et démocratique.

Selon nous, seule la création d’un pôle public del’énergie peut répondre à cet enjeu essentiel.

Cette gestion publique est d’autant plus impor-tante que la production et la distribution d’éner-gie sont soumises à des contraintes techniquesspécifiques. Elles sont liées à des problèmes destockage (notamment pour l’électricité), de trans-port ou de planification des capacités de produc-tion. La durée de construction des grandescentrales électriques et les montants en jeu nepeuvent être gérés par le marché qui reste focalisésur des objectifs de court terme.

La mise en œuvre d’un grand pôle public del’énergie garant des droits fondamentauximplique une remise en question de certainesrègles européennes, comme le fait de devoir sépa-rer production, transport et distribution, ou d’in-terdire les tarifs régulés.

Nous avons donc intérêt à décentraliser la pro-duction d’électricité afin de limiter les risques de

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1 « Les sept vents du Cotentin », étude réalisée à la demandede Greenpeace.

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rupture d’approvisionnement, la multiplicationdes lignes à haute tension et le coût du transport.

Par ailleurs, cela permettrait de développer uncontrôle citoyen de proximité et de diversifier lessources d’approvisionnement.

Pollueur-payeur : la taxation des produitsfortement carbonés

Le transport dépend essentiellement du pétrole,dont il absorbe 65 % de la production. Ce secteurest en forte croissance (+ 21 % entre 1990 et 2001en France) et représente plus de 30 % des émis-sions de GES dans le monde, dont la moitié pourla voiture particulière. Cette situation, si elle n’estpas soutenable, n’est pas pour autant sans solu-tion : nous savons fabriquer des voitures qui neconsomment que 3 l/100 km, des transports élec-triques et recourir aux agrocarburants. Il convientcependant d’être prudent et de limiter ces der-niers, car leurs avantages environnementaux sonttrès relatifs et les effets pervers sur la productionnombreux. Pour fabriquer un litre d’éthanol àbase de maïs (issu presque toujours de l’agricul-ture productiviste et contenant des OGM), il fautselon les régions entre 1200 et 3600 litres d’eauet… une énergie équivalent à près d’un litre depétrole ! D’où probablement l’alliance entre lesgrands groupes de l’agroalimentaire, de l’agrochi-mie et du pétrole. D’où aussi la nécessité de limi-ter leur production à leur zone de consommation.

En France, les taxes environnementales sontfaibles : seulement 4 % du total des taxes. Cer-tains carburants, comme le kérosène des avions,ne sont actuellement taxés nulle part au monde.Or, c’est parce que les pollueurs ne supportentgénéralement pas (ou peu) les coûts environne-mentaux qu’ils engendrent que l’on se trouve face

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à une inflation des consommations énergétiques.Ces coûts reposent en effet globalement sur la col-lectivité. C’est le cas par exemple des transportsqui n’intègrent pas les coûts et les conséquencesdes émissions de gaz à effet de serre. Or il faut,comme disent les économistes « internaliser cescoûts externes ».

Il convient donc de rendre l’énergie et donc lestransports – en priorité ceux de marchandises –beaucoup plus coûteux qu’ils ne le sont à ce jour.Et ainsi de mettre fin à des aberrations commecelle consistant pour la France, en 1999, à expor-ter 35000 tonnes de lait et à en importer 18000!

Une taxe significative sur les GES pourrait ainsià la fois renchérir le coût des marchandises pro-duites très loin de leur lieu de consommation etrendre les produits locaux plus compétitifs. LeGIEC préconise un coût pour la tonne de CO2

autour de 50 dollars vers 2020 et de 100 dollars en2050. Soit un coût largement supérieur au coûtactuel, si l’on veut que les investissements enfaveur de la réduction des GES soient à la mesuredes enjeux. La fiscalité environnementale doit êtrel’un des instruments destinés à faire évoluer lescomportements, en ayant le souci de ne pas péna-liser les revenus les plus modestes.

Parallèlement, une information des consomma-teurs précisant l’équivalent en carbone qu’un pro-duit a généré durant son cycle de vie (production,usage, déchet) doit être mise en place. C’est déjàen partie le cas avec les étiquettes sur l’électromé-nager, les voitures et le résidentiel 1. Ce qui aconduit à des résultats encourageants en matièrede comportements de consommation. Nous pré-conisons également qu’après une période d’infor-

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1 Consommation énergétique sur l’électroménager et au m2

pour l’habitat, émissions de CO2/km pour les voitures.

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mation permettant aux industriels de s’adapter,des normes d’émissions maximales, fixées auniveau européen, soient mises en place au niveaude la production.

La relocalisation et la restauration del’agriculture paysanne et nourricière

Les entreprises transnationales multiplient lesrecours à des transports énergétivores et pol-luants. Les délocalisations, au départ de produc-tions à faible valeur ajoutée, s’étendentmaintenant aux produits sophistiqués ainsiqu’aux services (recherche, santé, centres d’ap-pels…). Après avoir déterritorialisé les produits,le nouveau capitalisme déterritorialise leshommes, une fois de plus réduits au statut de mar-chandise.

La relocalisation est une réponse aux dégâtsenvironnementaux et sociaux et à la destructiondes équilibres locaux et régionaux générée par lamondialisation commerciale et financière. Ellepermet de favoriser les circuits courts entre pro-ducteurs et consommateurs au sein de l’économielocale. Par relocalisation, nous entendons le rap-prochement de la productions de biens et servicesau plus près du lieu de consommation.

La relocalisation de certaines activités a unobjectif beaucoup plus large que de contrer lesdélocalisations. Précisons qu’il ne s’agit nullementde prôner le retour à l’autarcie ou à ne se satisfaireque de produits locaux. Il est évident que tous lesbiens et services ne pourront pas être produits àl’échelle d’un bassin de vie. En revanche, pourlimiter au maximum les transports de marchan-dises et de personnes, pour recréer un cadre devie actif, il est indispensable que la production debiens et de services se fasse au plus près des lieux

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de résidence chaque fois que cela est possible.L’économie sociale et solidaire, les servicespublics, l’agriculture, le bâtiment, les services à lapersonne sont particulièrement adaptés à cetteéconomie de proximité.

Dans cette perspective, la relocalisation del’agriculture est une priorité. Les AMAP (Associa-tions pour le Maintien d’une Agriculture Pay-sanne) ainsi que toute autre forme de rapport deproximité producteur/consommateur doiventêtre encouragées. Et l’accent doit être mis sur ledéveloppement de l’agriculture biologique, quin’est plus un phénomène caractéristique des paysdéveloppés : en 2006, elle était pratiquée dans 120pays et représentait un marché de 40 milliards dedollars 1. Hélas, la plupart des produits biolo-giques sont destinés à l’exportation alors que lesqualités de l’agriculture biologique ne sont plus àdémontrer : elle n’épuise pas les sols, pollue peul’environnement et produit des aliments riches ennutriments.

Nous souhaitons remettre en cause la PAC.Cette politique avait été mise en œuvre dans lecontexte de reconstruction d’après-guerre. Ellebénéficie aujourd’hui principalement à une agri-culture intensive et polluante qui, de surcroît, nesupporte pas les coûts de sa pollution. Un moyenà la fois de relocaliser l’agriculture et de favoriserl’agriculture biologique pourrait consister en uneréallocation progressive des ressources de la PAC.Ces subventions pourraient profiter à l’agriculturebiologique, grâce par exemple à des aides donnéesà la restauration collective en contrepartie del’achat de produits bio.

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1 Rapport de la FAO (Food and Agriculture Organization) surl’agriculture biologique (2007).

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Le soutien à la reforestationLe couvert forestier de la planète s’élève à près

de 4 milliards d’hectares, soit environ 30 % desterres émergées. Selon le rapport 2005 de la FAO,13 millions d’hectares disparaissent par an, créantune perte nette de 7,3 millions d’hectares si l’ontient compte des nouvelles plantations et de l’ex-pansion naturelle des forêts existantes. Cela repré-sente 20000 hectares par jour, soit l’équivalent dedeux fois la taille de Paris. Or les forêts sont laprincipale réserve de la biodiversité avec plus de200 espèces au m2 et jouent un rôle capital dansl’absorption du CO2. Elles emmagasinentd’énormes quantités de carbone : au total, lesforêts et les sols forestiers mondiaux stockent plusde mille milliards de tonnes de carbone – deuxfois plus que le volume présent dans l’atmosphère– d’après les études de la FAO. La destruction desforêts, en revanche, injecte près de six milliards detonnes de dioxyde de carbone dans l’atmosphèrechaque année. Empêcher ces stocks de carboned’être relâchés est important pour le bilan du car-bone, et vital pour la conservation de l’environne-ment, déclare l’Organisation des Nations unies.

Si l’Europe et l’Amérique du Nord, conscientsdu problème, ont stoppé la déforestation, il n’enest pas de même pour l’Amérique du Sud,l’Afrique et l’Asie, qui représentent plus de 80 %des forêts primaires au monde.

Si on diminuait seulement de 20 % la déforesta-tion mondiale, on économiserait autant que leProtocole de Kyoto en tonnes de CO2. La défo-restation est également responsable de beaucoupd’autres problèmes : déplacements de popula-tions, désertifications et inondations, culturesintensives… L’enjeu est donc considérable.

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Nous préconisons qu’à l’instar du patrimoineculturel mondial de l’Unesco, la France et l’Eu-rope militent pour que toutes les forêts mondialessoient protégées par un organisme internationaltype FAO et décrétées patrimoine de l’humanité. Ilest donc urgent d’enrayer, voire d’inverser cettedéforestation, par des aides sous contrôle interna-tional et par un processus accéléré de certification.

En France métropolitaine, on pourrait déjàenvisager de reboiser 1,5 million d’hectare deterres abandonnées par l’agriculture et, plus géné-ralement, soutenir, nationalement et localement,toutes les reforestations possibles.

Il faut également préserver les espaces naturelsaptes à capter le carbone des zones urbaines. EnFrance, 40000 hectares sont bitumés ou bétonnésannuellement. Cette extension urbaine se traduitpar une diminution de la capacité de stockage ducarbone par les sols, par une diminution dupotentiel de production de biomasse.

Pour une politique altermondia-liste

« Dire qu’il n’y a de politique que mondiale, cen’est pas dire que la politique ne s’intéresse pas àla condition et aux problèmes des gens là où ilsvivent, où les a placé leur histoire. C’est affirmerau contraire que la citoyenneté locale a pourcondition une citoyenneté mondiale active. Toutchoix d’une orientation politique locale enmatière économique, sociale, culturelle, institu-tionnelle, implique un choix cosmopolite et inver-sement. » (Étienne Balibar)

Les problématiques socioéconomiques et géo-politiques sont nombreuses au plan international,mais les éléments constitutifs d’une véritable com-

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munauté internationale manquent cruellement…La planète est en effet le terrain de conflits entreÉtats et à l’intérieur des États. La mondialisationa également profité au crime organisé et a conduità une « corruption sans frontières ». Elle est éga-lement révélatrice des rapports de force et descomportements unilatéralistes qui conduisentnotamment à l’érosion du régime de non-prolifé-ration. Israël et la Palestine sont, depuis 50 ans, lesvictimes emblématiques de cette absence de véri-table communauté internationale.

La mondialisation doit donc être synonyme deprogrès partagé, d’enrichissement mutuel et dedéveloppement durable pour tous. Utopia refuseles inégalités d’une mondialisation qui profite àcertains et dont beaucoup pâtissent.

Une véritable politique internationale, une« nouvelle organisation du monde », est néces-saire. Le XXe siècle a connu quelques superbesutopies. La Société des Nations (SdN) a raté sonobjectif de donner à la terre la paix universelleaprès le conflit de 1914-1918. L’Organisation desNations Unies a pris le relais en 1945. Si le risqued’un troisième conflit mondial semble écarté,qu’en est-il de la cinquantaine de conflits encours, des 20 millions de réfugiés et quelque100 millions de déplacés?

Sur un autre versant d’une même internationali-sation, la montée de la financiarisation de l’écono-mie aux dépens des activités réelles et porteuses derichesse, la suprématie du libre-échange imposéepar l’Organisation Mondiale du Commerce(OMC) au détriment des règles sociales, sanitaireset environnementales, les fausses solutions libéralesimposées aux pays du tiers-monde par le FondsMonétaire International (FMI) et la Banque Mon-diale, l’incapacité de trouver des solutions au

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réchauffement climatique, aux problèmes poséspar les OGM ou par le clonage, ne sont quequelques exemples auxquels les États ne peuventrépondre de façon unilatérale. Le système de gou-vernance économique, fondé sur le libre-échange,la libre circulation des capitaux, la prééminencedes firmes multinationales, la régulation du systèmemonétaire international via les banques centrales,génère de l’injustice et de la pauvreté, et renforceles plus forts au détriment des plus faibles.

Une nouvelle ONU, profondément réformée,peut être le premier acte d’un long combat enfaveur d’une mondialisation juste et solidaire.

Concernant le Conseil de sécurité, nous refu-sons le statu quo des cinq membres permanentsdisposant du droit de veto et nous proposons, àcôté du droit de veto qualifié (désaccord exprimépar plusieurs pays) l’ouverture du Conseil à sixnouveaux membres permanents dont le Japon,l’Inde, l’Allemagne ainsi qu’un pays latino-améri-cain, un pays africain et un pays arabe.

L’ONU doit par ailleurs dès maintenant prendreen compte les acteurs de la société civile : uneAssemblée consultative mondiale dans laquellesiègeraient les représentants de ces solidaritéstransnationales (mouvements de femmes, mouve-ments de jeunesse, associations militant en faveurdes droits humains et du développement…) seramise en place.

Figurant les prémisses d’un futur gouvernementmondial, l’ONU doit chapeauter l’OMC, laBanque Mondiale et le FMI. Elle doit permettrel’indispensable réhabilitation de l’OrganisationInternationale du Travail (OIT), chargée de pro-mouvoir des normes sociales internationales, deslibertés syndicales et un travail décent et respec-tueux sur tous les continents.

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Au sein de l’ONU, nous militons pour la créa-tion d’une Organisation Mondiale de l’Environ-nement (OME) capables de relever les défisécologiques (biodiversité, droit à un environne-ment sain) bien au-delà du Protocole de Kyoto.Par ailleurs, la mise en place d’un Conseil Mon-dial du Développement Durable (CMDD) devraassurer la primauté des droits fondamentaux,sociaux et environnementaux, dans le cadre d’unenouvelle hiérarchie des normes internationales.Cette nouvelle entité serait notamment chargée dusuivi des Objectifs du Millénaire pour le Dévelop-pement (OMD) 1.

Bien évidemment, nous souhaitons réformerl’OMC, la rendre plus transparente, plus démocra-tique et inscrire dans ses objectifs la recherche prio-ritaire du respect de normes sociales (OIT/CMDD)et environnementales (OME/CMDD). Le FMI et laBanque Mondiale devront également répondre auxobjectifs de lutte contre la pauvreté et de l’accèsaux biens publics mondiaux (médicaments, eau,technologie…). Plus représentatives, plus légi-times, ces entités n’en seront que plus responsables.

Ces institutions internationales refondues etrénovées devront bénéficier d’un pouvoir juri-dique contraignant (notamment sur les multina-tionales). Le droit international est la seuleréponse possible et durable aux rapports de forceactuels. Du droit de la coexistence au droit de la

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1 Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD)sont huit objectifs que les États membres de l’ONU ontconvenu d’atteindre d’ici à 2015 : réduire l’extrême pauvretéet la faim ; assurer l’éducation primaire pour tous ; promou-voir l’égalité et l’autonomisation des femmes ; réduire la mor-talité infantile ; améliorer la santé maternelle ; combattre leVIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies ; assurer unenvironnement durable ; mettre en place un partenariat mon-dial pour le développement.

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coopération, il ne peut être que le résultat d’unrenforcement de la démocratie internationale.

Renforcée, démocratisée et responsabilisée,l’ONU pourra progressivement affirmer le carac-tère universel de sa mission : insister sur ce quinous rassemble et permettre le vivre-ensemble àl’échelle de la planète.

Pour une fiscalité internationale 1

La fiscalité est, avec la monnaie, un des deuxpiliers de la souveraineté des états. Mais les sys-tèmes fiscaux ont été mis en place lorsqu’ils coïnci-daient avec les frontières des territoires nationaux.Ils ont permis la souveraineté et l’autonomie despolitiques nationales. Mais, avec la mondialisationet la libre circulation des capitaux et des transac-tions financières, les fiscalités des États sont misesen concurrence et les économies nationales perdentautonomie et efficacité. Les entreprises transnatio-nales, les banques et les investisseurs, tout en utili-sant également et abondamment les paradis fiscaux(50 % des flux financiers internationaux etautant pour l’activité internationale des banques),jouent avec cette concurrence afin de se soustraireau maximum à l’impôt. L’évasion fiscale, cettedélinquance réservée aux riches, reste à ce jour nonréprimée : elle est en effet parfaitement toléréepour les entreprises transnationales ainsi que leshauts revenus qui peuvent être mobiles. Au détri-ment bien sûr des États assurant une bonne pro-tection sociale et des services publics de qualité.

Entre 1980 et 1994, la part de la taxation desrevenus du travail est passée de 35 à 40 % dansl’Union Européenne, alors que celle des revenusdu capital descendait de 50 à 35 %.

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1 D’après Dominique Plihon, Jacques Cossart et Bruno Jetind’Attac.

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Trois types de taxes globales peuvent être envisa-gés :

• Les taxes sur les transactions financières(change et bourse) : vieille idée suggérée parKeynes en 1936, reprise par Tobin en 1978 et parAttac en 1998 pour lutter contre la spéculationfinancière (voire aider les pays en développe-ment). 2000 milliards de dollars changent de mainchaque jour ouvrable, uniquement liés à la spécu-lation et à la recherche de profits immédiats (etdonc sans aucun rapport avec l’économie réelle).Une taxe, même faible, sur ces transactions sechiffrerait en centaines de milliards de dollars, soitbeaucoup plus que l’aide totale aux pays en déve-loppement.

• La taxe unitaire sur les bénéfices des firmestransnationales : elle consiste à indexer et localiserla fiscalité sur le chiffre d’affaires réalisé danschaque pays ou la firme est implantée. Le taux deprélèvement serait identique pour l’ensemble despays participant à ce système. Selon Attac, unetaxation moyenne à 25 % rapporterait près de1000 milliards de dollars par an.

• Les taxes écologiques : nous en avons déjàévoqué certaines dans la partie consacrée au défiécologique, mais on pourrait en rajouter d’autres(sur les déchets nucléaires, l’uranium et l’arme-ment…).

Les taxes globales suscitent toujours les mêmescritiques concernant leur faisabilité et efficacité enl’absence de gouvernance mondiale. Ces critiquesne sont pas recevables. Le rapport Landau (2004)propose plusieurs formules d’application pouvantpermettre le ralliement des États les plus réticents.L’Union européenne, première puissance écono-mique mondiale, pourrait – par son volontarisme

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– montrer le chemin. L’instauration de taxes glo-bales est une question plus politique qu’écono-mique ou technique, et serait un bel exemple demondialisation positive.

La dette du tiers-mondeLa dette du tiers-monde est estimée à 2800 mil-

liards de dollars. Ce n’est pas considérable, com-paré à celle des États-Unis qui est de 8000milliards. Mais son mécanisme actuel est tel queles pays endettés paient chaque année plus d’inté-rêts que leurs besoins minimaux de financement.C’est dans les années 60/70 que la dette du tiers-monde explose. Les banques occidentales incitentles pays du Sud à emprunter à des taux d’intérêtbas, tout en versant de substantielles commissionsaux potentats locaux. À partir de la crise de 73, leNord augmente encore les possibilités d’empruntsau Sud, en contrepartie de l’achat de marchan-dises produites au Nord.

Pour pouvoir rembourser, les pays du Sud privi-légient les cultures d’exportation, qui épuisentleurs ressources naturelles et réduisent les culturesnécessaires à l’alimentation locale. Ces produitsd’exportation (coton, café, cacao, sucre…) devien-nent surabondants et, logiquement, les cours s’ef-fondrent dans les années quatre-vingt. En mêmetemps, les États-Unis augmentent leurs taux d’inté-rêt. Résultat : les pays endettés sont financièrementet économiquement étranglés.

En 1982, le FMI accepte de nouveaux prêts ouretards de paiement en échange des fameux « pro-grammes d’ajustement structurel », entraînantréduction des budgets sociaux, privatisation des ser-vices publics, libéralisation… et donc paupérisationdes pays et des populations. « Depuis 1970, les paysen développement ont payé l’équivalent de 85 foisla dette de cette année-là, mais ils doivent aujour-d’hui 40 fois plus. Entre 1999 et 2004, le Sud a rem-

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boursé en moyenne 81 Mds de dollars par an deplus que ce qu’il a reçu de nouveau prêts 1. » Ladette, au Nord comme au Sud, collective ou indivi-duelle, est au cœur du modèle économique libéralactuel. Elle permet de transférer et prélever, par lesintérêts, la richesse du travail vers le patrimoine desplus riches, ceux qui peuvent prêter. Pour réduire lepaiement des intérêts de la dette, on met en placedes politiques de rigueur et d’austérité au Nord, etd’ajustement structurel au Sud. Toujours pour leplus grand bénéfice d’une minorité.

Voilà succinctement le mécanisme qui a abouti àl’accélération de la misère dans beaucoup de paysdu Sud. Il s’agit certainement du plus vaste hold-upplanétaire jamais réalisé.

Au passage, cela accélère considérablement lesmigrations vers le Nord, que nous prétendons vou-loir combattre tout en les suscitant. Le codévelop-pement passe nécessairement par la remise à platde la dette. Ou alors c’est au mieux un vœu pieux,au pire une escroquerie.

L’argument sans cesse avancé de la corruption desélites du Sud ne tient pas : d’abord parce que pourqu’il y ait des corrompus il faut qu’il y ait des cor-rupteurs, et ensuite parce que la corruption et la pau-vreté se nourrissent justement par la dette.

Nous nous prononçons clairement pour l’annula-tion totale de la dette de tous les pays du tiers-monde, dette qui à ce jour concerne essentiellementl’Afrique.

Nous rejoignons largement le CADTM (Comitépour l’Annulation de la Dette du Tiers-Monde), quipropose un impôt mondial sur les grandes fortuneset la suppression des paradis fiscaux. Le CETIM(Centre Europe Tiers-Monde) et le Forum SocialMondial, entre autres, ont beaucoup travaillé àrendre possible une annulation réaliste de cette

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1 Damien Millet et Éric Toussaint (présidents du CADTM),L’autre campagne, La Découverte, 2007.

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dette. Le G7 en a annulé environ 70 milliards, sousla pression des ONG.

Pour une Europe fédérale, politique et socialeNous avons la force, démographiquement, tech-

nologiquement, culturellement, de bâtir l’Europefédérale et politique comme alternative au modèlelibéral.

C’est bien une Europe porteuse d’un projet decivilisation qu’il s’agit aujourd’hui de formuler.Son ambition est d’incarner l’exemple d’un autremode de développement, en rupture avec lemodèle de croissance existant.

Tant que la dominante libérale règnera au seindes 27 États membres, il y a peu de chances pourque l’Europe aille vers un mieux-disant social. Enpanne, elle demeure néanmoins une promessed’un avenir meilleur. Il faut poursuivre ce projetd’intégration solidaire et relancer les chantierstendant vers une harmonisation sociale, fiscale,environnementale entre les différents pays euro-péens.

Ensemble, les Européens doivent vivre dans unesociété où l’on peut s’enorgueillir d’infrastruc-tures partagées, qu’elles soient de santé ou d’édu-cation, de transport, de culture ou de loisirs. Ils’agit de démontrer à la planète qu’un espace per-tinent, aussi bien dans sa démographie que danssa géographie, peut s’organiser en harmonie avecses citoyens et son environnement, tout en regar-dant vers l’avenir et en relevant les défis technolo-giques et sociaux.

Nous devons compléter la Charte des droitsfondamentaux de l’Union Européenne, la rendrejuridiquement opposable, mettre en place un véri-table droit social européen, tendre vers une fisca-lité unique et à un même niveau de service public,soumettre la Banque Centrale Européenne au

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contrôle du Parlement européen, réformer la PAC(Politique Agricole Commune) vers le soutien àune agriculture paysanne et nourricière efficace etrespectueuse du consommateur et des milieuxnaturels.

Notre démarche ne peut se concevoir que dansun modèle fédéral. Ce nouvel espace politique,démocratique et citoyen, au service des droitshumains et respectant l’environnement, doit pro-mouvoir un idéal de développement durable.

Construire l’Europe fédéraleLa construction de l’Europe fédérale est une fin

et un moyen.La fédération européenne sera d’abord l’union

de tous les peuples d’Europe, concrétisée par laconstruction d’une société de paix et de prospé-rité, reposant sur les valeurs européennes, en unmot solidaire.

Elle sera aussi le moyen de faire de l’Europe uneentité à part entière, capable d’avancer avec moinsde difficultés, notamment vers une Europe sociale,et d’agir avec efficacité au sein de la communautéinternationale. Cette fédération existera au traversde ses institutions, mais également grâce auxmoyens et aux compétences dont elle disposera.

Le député européen doit devenir dans l’espritdes citoyens un représentant aussi légitime que ledéputé national. Pour cela, nous souhaitons ins-taurer un double mode d’élection des députéseuropéens. Après avoir généralisé le principe descirconscriptions régionales au sein de chaque État,il serait procédé à une élection par liste à la pro-portionnelle. 80 % des députés seraient élus ausein des États et 20 % par l’ensemble de l’Union.Cela ferait naître de véritables mouvements poli-tiques européens avec des programmes transnatio-naux.

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Ce mode d’élection permettra à la fois de rap-procher les parlementaires européens descitoyens, de faire émerger une véritable opinionpublique européenne, et de rendre les débats pré-électoraux réellement européens. Le Parlement,Chambre des peuples d’Europe, sera ainsi légitiméà avoir la capacité pleine et entière de l’initiativedes lois européennes.

Dans la perspective d’une fédération euro-péenne, nous souhaitons transformer le fonction-nement et les compétences actuelles du Conseilde l’Union européenne. Nous proposons qu’ildevienne, à côté du Parlement européen, ladeuxième Chambre de l’Union européenne. Res-semblant à un Sénat, il sera composé de représen-tants des États qui siègeront en permanence etseront nommés selon des procédures propres àchaque pays avec la garantie d’une participationétroite des parlements nationaux et/ou des régionsdisposant de compétences législatives au plannational, ce qui est le cas dans certains pays. Celagarantira un fonctionnement libre de la Commis-sion. Et cela permettra une participation effectiveet plus démocratique des États dans l’élaborationde la loi et dans le contrôle de la Commission. Ence sens, l’Europe des régions nous paraît la plus àmême de répondre à cette exigence de démocra-tie ayant pour corollaire le principe de subsidiarité(la responsabilité d’une action publique, lors-qu’elle est nécessaire, doit être allouée à la pluspetite entité capable de résoudre le problèmed’elle-même). Pour ce faire, la place accordée auComité des régions (la voix des collectivités terri-toriales au sein de l’Union, organe consultatifactuellement) est à redéfinir.

La Commission européenne, qui incarne aujour-d’hui l’intérêt propre de l’Union, deviendrait unvéritable gouvernement européen. Notre choix estcelui d’une Commission politiquement respon-

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sable, cohérente dans sa composition et assumantune politique claire. Dans cette optique, le prési-dent de la Commission devra être le chef de file dela coalition ayant gagné les élections européennes.Il sera alors seul responsable du nombre et duchoix des commissaires, choisis parmi les parle-mentaires européens. Ce gouvernement européendevra être investi par le Parlement et recevoir l’avald’un Comité (Conseil) des régions transformé.

Cette Europe fédérale s’appuiera sur une fiscalitéeuropéenne pour le financement de ses compé-tences – défense, affaires étrangères, interventionsstructurelles – à travers notamment un impôt surles sociétés harmonisé.

La souveraineté alimentaire et les OGM

Pour une souveraineté alimentaire« L’agriculture mondiale a la capacité de nourrir

12 milliards d’êtres humains alors que nous nesommes que 6,2 milliards. Ça signifie que, pour lapremière fois dans l’histoire du monde, la faimn’est pas une fatalité : un enfant qui meurt fautede nourriture est un enfant assassiné. » (Jean Zie-gler, rapporteur des Nations unies pour le droit àl’alimentation))

Comment peut-on accepter que plus de 840 mil-lions de personnes souffrent encore aujourd’huide sous-alimentation dans le monde, que chaquejour 36000 d’entres elles meurent de faim ou desconséquences de la pollution de l’eau? Notre pla-nète peut nourrir l’ensemble de ses habitants. Uncomble, ceux qui ont faim sont des agriculteurs oud’anciens agriculteurs. Sur 1,3 milliard de pay-sans, 1 milliard n’ont pas d’outils mécanisés pourcultiver leurs terres. Ce qui entraîne des écarts deproduction brute de 1 à 200 entre un agriculteur

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des pays riches et un paysan des pays pauvres. Lespays du Nord, tout en protégeant largement leuragriculture, demandent aux pays du Sud toujoursplus de libéralisation et d’ouverture de leur mar-ché : 365 milliards de dollars de subventions ontété versés en 2006 aux producteurs agricoles duNord, soit 1 milliard par jour. Les pays du Suddoivent alors faire face à l’entrée sur leur marchéde produits vendus très en dessous de leur coût deproduction au détriment des productions localesnourricières.

Les organisations internationales conditionnentrégulièrement leurs prêts à une libéralisation for-cée des marchés. En même temps, ce phénomènese double d’une spécialisation de certains paysvers une mono-agriculture, tout entière orientéevers l’exportation et donc directement dépen-dante des pays du Nord. De gigantesques sociétéstransnationales exercent un véritable pouvoir surcertains segments de la chaîne alimentaire encontrôlant les semences, la production, la distri-bution, la commercialisation et les prix. Dix socié-tés contrôlent ainsi un tiers du marché dessemences. Ces sociétés ont investi des milliards dedollars dans des technologies qui empêchent lessemences de se régénérer, et obligent donc chaqueannée les agriculteurs à en acheter de nouvelles auprix qui leur est fixé. La sécurité alimentaire detoute la surface du globe est alors menacée par cetype de fonctionnement, car elle a conduit à unedisparition de 75 % de la diversité agricole mon-diale au cours du siècle dernier.

Face à ce constat dramatique, la « sociétécivile » a construit une première réponse àl’échelle de notre planète. Avec d’autres mouve-ments altermondialistes, nous défendons leconcept de « souveraineté alimentaire » présenté

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en 1996 par Via Campesina. Ce mouvement socialet paysan international des petites exploitationsfamiliales est aujourd’hui mondialement reconnuet même repris par Jean Ziegler, rapporteur spé-cial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation.

Plus de 400 ONG mondiales ont élaboré encommun une définition claire et percutante : « Lasouveraineté alimentaire est le droit des peuples,des communautés et des pays de définir, dans lesdomaines de l’agriculture, du travail, de la pêche,de l’alimentation et de la gestion foncière, des poli-tiques écologiquement, socialement, économique-ment et culturellement adaptées à leur situationunique. Elle comprend le droit à l’alimentation età la production d’aliments, ce qui signifie que tousles peuples ont le droit à des aliments sûrs, nutri-tifs et culturellement appropriés et aux moyens deles produire et doivent avoir la capacité de subve-nir à leurs besoins et à ceux de leurs sociétés. »

Cette définition confère donc des droits àchaque pays qui peut protéger sa productioninterne afin de devenir autonome.

Pour ce faire, nous rejoignons les grandes orienta-tions de Via Campesina qui sont les suivantes :

Nous proposons que les subventions aux agri-culteurs du Nord ne portent que sur les produitsqui ne seront pas exportés. De manière plusapprofondie, nous faisons nôtres les propositionsconsistant à :

• Donner la priorité à la production par lesexploitations paysannes et familiales de denréespour les marchés intérieurs et locaux, selon dessystèmes de production diversifiés et écologiques ;

• Veiller à ce que les agriculteurs reçoivent lejuste prix pour leur production, afin de protégerles marchés intérieurs des importations à bas prixrelevant du dumping ;

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• Garantir l’accès à la terre, à l’eau, aux forêts,aux zones de pêche et aux autres ressources à lafaveur d’une véritable redistribution ;

• Reconnaître et promouvoir le rôle des femmesdans la production de denrées alimentaires etveiller à ce qu’elles aient un accès équitable auxressources productives et qu’elles en aient la maî-trise ;

• Veiller à ce que les communautés aient lecontrôle des ressources productives, par opposi-tion à l’acquisition par des sociétés des terres, del’eau, des ressources génétiques et d’autres res-sources ;

• Protéger les semences, base de la nourriture etde la vie elle-même, et veiller à ce que les agricul-teurs puissent les échanger et les utiliser libre-ment, ce qui suppose le refus des brevets sur la vieet l’adoption d’un moratoire sur les cultures géné-tiquement modifiées ;

• Investir des fonds publics à l’appui des activi-tés productives des familles et des communautés,en mettant l’accent sur l’autonomisation, lecontrôle local et la production de nourriture pourla population et les marchés locaux.

Cette souveraineté alimentaire ne peut se conce-voir que si l’humanité se tourne enfin et résolu-ment vers une mondialisation solidaire.

Les OGM : un scandale révélateurNotre engagement altermondialiste passe par un

combat emblématique d’un monde libéral quimarchandise le vivant et met en danger l’équilibrenaturel : celui des OGM.

Si l’essor du génie génétique dans les annéesquatre-vingt permet la modification de l’informa-

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tion génétique des organismes vivants, il rendaussi possible le brevetage de ces mêmes orga-nismes vivants. C’est sur ces organismes à l’infor-mation génétique modifiée (OGM) que serontdéposés les premiers brevets sur le vivant, dès1980 aux États-Unis, avec l’autorisation du dépôtd’un brevet sur une bactérie.

Le système des brevets s’étend alors peu à peu àl’ensemble des organismes vivants (animaux,végétaux, etc.). Si l’identification d’un gène oud’une séquence génétique est considérée commeune découverte (non brevetable), la mise en évi-dence de sa fonction est considérée comme uneinvention et permet à ce titre le dépôt d’un brevet.Par un tour de passe-passe sémantique, les brevetsont ainsi été détournés de leur vocation initiale etla maîtrise de l’information génétique n’est plusassurée. Aujourd’hui, aux États-Unis, 70 % dumaïs et du soja sont modifiés génétiquement.

Nos positions sont claires :La culture des OGM assujettit les agriculteurs,

dont la production est contrôlée en amont et en avalpar les firmes agrochimiques

Les premiers clients des firmes agrochimiques etsemencières restent les agriculteurs. À travers lemonde, ils sont près de 1,3 milliard : un marchégigantesque, notamment dans certains pays où lapopulation agricole représente encore plus de50 % de la population active. Les stratégiesdéployées sur tous les continents par les agents etfiliales de ces firmes, avec parfois l’appui des auto-rités nationales de certains pays en développe-ment, visent purement et simplement à assujettirles agriculteurs en les mettant à leur service. Lasemence est la base de toute activité agricole 1.

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1 Voir notamment les actions de l’association Kokopelli.

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Avec la semence transgénique dont le fruit est par-fois volontairement stérile, les semenciers contrô-lent l’amont et l’aval de la production.

Les OGM ne résolvent pas le problème de la faimdans le monde

La faim et le défaut de souveraineté alimentairesont d’abord liés au fonctionnement du systèmecapitaliste qui organise la production, l’accès à l’ali-mentation et sa distribution. Par ailleurs, les OGMproposés sont destinés quasi exclusivement à l’ex-portation ou à l’alimentation du bétail et sontconçus pour exprimer leur potentiel de productiondans les conditions d’une agriculture industriellequi utilise généralement beaucoup d’intrants(engrais et pesticides). La promotion des OGMn’améliore donc en rien la couverture des besoinsalimentaires essentiels des populations les plusexposées à la faim, tout en menaçant l’environne-ment.

La double filière OGM et sans OGM est illusoireLa mise en place d’une filière sans OGM revient

à admettre une filière OGM et les risques de trans-fert d’une filière à l’autre (pollutions génétiques,mélange lors des manipulations et sur les chaînes deconditionnement…). L’absence d’évaluationssérieuses et de connaissances sur les risques pour lasanté et l’environnement, l’impossibilité de confineret tracer les productions ou encore les coûts qu’en-gendre son contrôle poussé rendent illégitime lacréation d’une filière OGM. De surcroît, une tellefilière serait d’autant plus impérialiste qu’elle détrui-rait par exemple toute possibilité de culture biolo-gique à proximité.

Les OGM présentent des risques pour la santé etl’environnement

Les manipulations génétiques induisent des chan-gements dans le fonctionnement des plantes et pro-

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voquent la synthèse de nouveaux composés poten-tiellement toxiques dans l’alimentation, ainsi que ladissémination à grande échelle de gènes de résis-tance, notamment à des antibiotiques courammentutilisés en santé humaine et animale. Par ailleurs, lescontrôles de toxicité ou les tests d’allergie sur les ali-ments issus d’OGM sont le plus souvent incomplets,voire inexistants. La plupart des plantes transgé-niques commercialisées sont conçues pour produireou tolérer des pesticides et des insecticides. Les rési-dus de ces pesticides sont donc susceptibles de s’ac-cumuler dans la chaîne alimentaire et d’avoir deseffets toxiques à long terme. De plus, les pollutionsgénétiques favorisent l’apparition de nouvellesespèces envahissantes (véritable menace pour la bio-diversité) ou se transmettent aux bactéries du sol.

Nous proposons des actions proches de celles propo-sées par la Confédération Paysanne, soit :

L’interdiction du brevetage du vivant : patrimoineinaliénable et commun de l’humanité;

Un moratoire immédiat sur la commercialisationet la mise en culture des OGM;

L’arrêt de tous les essais et cultures en milieuouvert en Europe (sauf expériences en milieuconfiné);

La prise en compte et un débat public autour destravaux d’évaluations indépendants;

L’étiquetage et la traçabilité obligatoires sur tousles produits agroalimentaires. Un régime de respon-sabilité spécifique aux OGM permettant de pour-suivre les auteurs des contaminations(financièrement et juridiquement) ;

Une recherche publique forte, pluridisciplinaireet indépendante;

Une taxation ou tout autre dispositif permettantd’assurer la protection des productions de qualité,bio et issus de l’agriculture paysanne et nourricière.

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Pour un élargissement des droits fondamentaux

L’objectif de toute société devrait être de per-mettre à chacun de ses membres de s’épanouir etde devenir des citoyens éclairés et libres qui agis-sent sur le présent et la démocratie, qui s’investis-sent dans la vie de la cité, qui participentéquitablement à l’effort de production des bienset des savoirs… Sans accès aux droits fondamen-taux, comment peut-on véritablement exercer sacitoyenneté? La satisfaction de l’ensemble de cesbesoins est donc un préalable inconditionnel quela société doit garantir à chacun.

Or, aujourd’hui, l’individu gagne le droit d’exis-ter s’il participe et soutient la logique dominantequi, avec cohérence, associe (ou veut associer) undroit à chaque devoir. Cette logique n’est pas lanôtre.

Dans la société que nous voulons construire, ilexistera des droits liés à l’individu du seul fait deson existence, sans considération de « mérite », destatut social ou de nationalité. Ces droits sontceux qui président à la fois à l’épanouissement ducitoyen et de la collectivité. Construire et garantirces droits relèvent d’une exigence éthique ethumaniste, fondatrice du « vivre-ensemble » et

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indépendante du sexe, de l’âge ou de la catégoriesociale (même si chaque catégorie sociale doitcontribuer à la mesure de ses moyens au finance-ment de ces droits).

Ces droits inaliénables, inconditionnels et uni-versels peuvent se diviser en cinq catégories : lasanté, l’accès à un minimum de ressources, l’édu-cation, la culture, le respect de la vie privée.

Ils ne constituent, au fond, qu’une résurgence etune traduction extensive des principes qui fon-dent la Déclaration universelle des droits del’homme, adoptée et proclamée le 10 décembre1948 par l’Assemblée générale des Nations unies,déclaration largement ignorée, y compris dans lesÉtats les plus « développés » :

Article XXII : « Toute personne, en tant quemembre de la société, a droit à la sécurité sociale ;elle est fondée à obtenir la satisfaction des droitséconomiques, sociaux et culturels indispensablesà sa dignité et au libre développement de sa per-sonnalité, grâce à l’effort national et à la coopéra-tion internationale, compte tenu de l’organisationet des ressources de chaque pays. »

Article XXV-1 : « Toute personne a droit à unniveau de vie suffisant pour assurer sa santé, sonbien-être et ceux de sa famille, notamment pourl’alimentation, l’habillement, le logement, lessoins médicaux ainsi que pour les services sociauxnécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chô-mage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, devieillesse ou dans les autres cas de perte de sesmoyens de subsistance par suite de circonstancesindépendantes de sa volonté. »

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Le droit à accéder à un mini-mum de ressources

« Vous voulez les misérables secourus, moi jeveux la misère supprimer. » (Victor Hugo)

L’accès minimum à un certain nombre de bienset de services relève d’une logique d’humanité.Les droits fondamentaux doivent inclure des res-sources matérielles permettant la lutte contre l’ex-clusion et l’indépendance des individus vis-à-visdes pressions que le système économique exercesur eux.

Pour un revenu universel d’existenceLe problème majeur auquel est confrontée la

société humaine n’est pas tant la production derichesse que la nature et la destination de larichesse produite, et partant, le lien social entre lesindividus. Le revenu d’existence, ou allocationuniverselle de revenu répond à notre exigence dejustice sociale. Il permet de se dégager de l’aliéna-tion à la valeur travail et de répondre aux besoinsfondamentaux.

Dans son acception la plus large, l’allocationuniverselle consiste en un versement social distri-bué de façon égalitaire et inconditionnelle à tousles citoyens. C’est suivant cette acception quenous parlerons ici indifféremment de revenud’existence ou d’allocation universelle de revenu.

L’allocation universelle est une mensualité égalepour tous, versée de la naissance à la mort, due àchacun en tant qu’héritier légitime de la richesseaccumulée par les générations antérieures, qu’ilcontribue à enrichir par ses activités tout au longde sa vie. Cette mensualité est individuelle, incon-ditionnelle, inaliénable et cumulable avec toutautre revenu. Elle crée un lien de solidarité indis-

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pensable entre tous les membres du corps social.Enfin, l’allocation universelle implique la dissocia-tion entre travail et revenu.

Instaurer l’allocation universelle, ce n’est pastenter de corriger les effets du néolibéralisme oude secourir les plus démunis, c’est remettre fon-damentalement en cause la logique capitaliste etchercher un autre mode d’organisation sociale.

L’instauration du revenu d’existence se heurte àdeux blocages principaux :

• un blocage culturel, conventionnel et sociétalqui empêche d’imaginer un revenu perçu sans lacontrepartie d’un travail,

• un blocage intellectuel qui empêche de voircomment l’instauration d’un droit inconditionnelau revenu peut entraîner la restauration d’un droitau travail librement consenti, respectueux de cha-cun et de tous.

L’échec patent des différentes politiques de luttecontre le chômage et de « réduction de la fracturesociale » montre combien il est impossible de lut-ter contre les inégalités, le chômage et la misèresans remettre en cause le système actuel.

Opter pour le revenu d’existence, c’est refuserl’accroissement des inégalités sociales. C’est cesserde dépendre, pour son intégration économique etsociale, du statut lié au travail salarié. C’est vouloirla désaliénation de l’Homme, c’est permettre àd’autres moyens d’expression individuels ou col-lectifs de se libérer, c’est aller vers une société dutravail choisi qui porte en elle plus d’humanité,moins de tensions.

Au-delà du débat sur le montant d’un telrevenu, qui n’est pas tranché, les principes essen-tiels du revenu d’existence pourraient être les sui-vants :

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• L’universalité, sans plafond de ressources,mais imposable donc récupérée intégralement surles revenus élevés.

• Le caractère individuel, par opposition à uneprestation par foyer, qui est liée à la compositiondu ménage et instaure des droits iniques liés austatut de conjoint ou parent.

• L’inconditionnalité, c’est-à-dire le découplagede quelque forme de contrepartie que ce soit : tra-vail salarié ou non, projet d’insertion formation,éducation.

• Le caractère cumulable avec les revenus dutravail, sans dégressivité autre que celle du sys-tème fiscal en vigueur.

• Le caractère liquide de ce revenu, donc nonaffecté (comme les prestations en nature) et d’uti-lisation totalement libre.

• Le caractère insaisissable sur les comptes ban-caires.

Techniquement, même si nombre de questionsdemeurent, il existe des solutions pour financerune allocation universelle :

• Donner la priorité aux questions sociales dansla distribution du budget de l’État.

• Accompagner l’application de l’allocationuniverselle d’une refonte du système fiscal actuelqui, par les prélèvements sociaux, fonde notresystème de solidarité (retraite, santé, chômage)sur le salariat.

• Faire entrer l’allocation universelle dans lacomposition du revenu imposable global, aug-mentant ainsi la recette fiscale globale. Ceux quiauront l’allocation universelle comme uniquerevenu ne seront pas soumis à l’impôt. Enrevanche, les revenus les plus élevés la reverseronten quasi-totalité.

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Il existe d’autres mesures qu’il serait trop longde développer ici, sur lesquelles de nombreuxéconomistes (par exemple Philippe Van Parijs,Yoland Bresson, Yann Moulier-Boutang, AlainCaillé) ont fondé leurs travaux 1.

Selon eux, le revenu d’existence est réalisableimmédiatement dans les pays européens, en quit-tant la logique de l’assistance pour une réelle réin-tégration des exclus. En baissant la pression duchômage et de la misère, c’est la situation de tousles salariés qui en serait améliorée.

Permettant à tous les citoyens de disposer d’unrevenu permettant de couvrir les besoins fonda-mentaux, accompagnant un nouveau modèle dedéveloppement, le revenu d’existence permettraitde donner une égale dignité à tous les choixd’existence et favoriserait l’émergence d’un « tierssecteur » regroupant tout un pan d’activitésaujourd’hui délaissées par l’économie de marché,car situées hors de la sphère marchande.

Une couverture logement universelleUne Couverture Logement Universelle (CLU)

doit être instaurée, à l’image de ce qui se met enplace dans d’autres régions (comme l’Écosse et sonHousing Act, voté en 2003). La CLU (ou droitopposable au logement) pourrait garantir à chacunun logement décent tout en donnant un certainnombre d’assurances aux bailleurs sociaux. Elledevra bien évidemment être assortie d’un planmassif de construction de logements sociaux quigarantissent une vraie mixité sociale et, pour cela,clarifier les responsabilités locales et nationales.

Nous proposons également la mise en placed’une obligation de mixité sociale dans les pro-

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1 Voir les travaux du BIEN (Basic Income European Net-work).

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grammes immobiliers. Cette mixité pourra égale-ment s’appuyer sur une loi rendant « potentielle-ment social » tout appartement se libérant (l’Étatcomplétant le financement du bail) 1.

Rappelons que 70 % des foyers répondent auxconditions de ressources requises pour accéder àun logement social avec 48 % à Paris, plus de70 % en Languedoc-Roussillon, et jusqu’à 85 %dans certains DOM 2.

La question du logement devra enfin s’insérerdans une logique d’ensemble en insistant davan-tage sur la nécessaire coordination au niveau desstructures d’aide médicale et d’aide sociale.

Une amélioration de l’environnement de vie desbanlieues populaires devra être entreprise en sou-tenant notamment le développement des activitésassociatives, citoyennes et économiques, du com-merce de proximité et des transports.

Accès minimum gratuit à l’eau, à l’énergie etaux télécommunications

Un logement décent assuré pour tous n’est évi-demment pas suffisant. L’accès à un minimum deressources en nature doit également être assurépour tous. Les premières tranches de consomma-tion d’eau, d’électricité et de certains services detélécommunications essentiels doivent être consi-dérées comme des biens fondamentaux garantispar la collectivité, indépendamment des situationsfinancières ou sociales des individus.

Le financement de ces droits sera essentielle-ment assuré par une surfacturation progressive destranches situées au-dessus de ce minimum. Le cal-cul sera fait de manière à ce que les gros consom-

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1 Marie-Hélène Bacqué et Jean-Pierre Lévy, L’autre cam-pagne,…2 Source INSEE.

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mateurs, privés ou entreprises, paient pour les plussobres ou les plus démunis, ce qui ne serait quejustice. De plus, un tel système inciterait chacun àréduire ses consommations énergétiques et de res-sources naturelles. De manière générale, la gestionpublique, démocratique et transparente des res-sources et de ces droits apparaît indispensable.

Un « plan Marshall » de travaux de rénovationet d’isolation de l’habitat favorisant les économiesd’énergies 1, qui ciblera en priorité les HLM et leshabitations des classes populaires, accompagnerale développement de ces droits afin que lestranches de consommation offerte soient quanti-tativement faibles tout en correspondant à l’en-semble des usages essentiels.

Ressources minimum en matière d’électricité,d’eau et de télécommunications : quelques ordresde grandeur

À titre d’illustration, en matière d’électricité, laconsommation moyenne par habitant est de2500 kWh/habitant. Prenons l’hypothèse que letiers de cette consommation soit gratuite pour tous(soit environ 850 kWh/habitant), que les 850 kWhsuivants soient facturés au prix actuel, et que leprix des tranches supérieures aux 1 700 kWh aug-mente progressivement afin de compenser la gra-tuité des 850 premiers. Dans ce cas, leconsommateur moyen voit sa facture inchangée,sans alourdir la charge de l’État ou des collectivi-tés locales. Un consommateur qui consommemoins d’électricité que la moyenne voit sa facturebaisser par rapport à la situation actuelle et un grosconsommateur voit sa facture augmenter. Lamesure pourrait être envisagée sans jamais faireappel aux fonds publics, déjà mis à contributionpour environ 500 000 ménages qui sont dans l’in-

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1 Cf. le scénario Négawatt.

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capacité de payer leurs factures. De même, enmatière d’eau, la consommation domestique enFrance est d’environ 165 litres par habitant et parjour, pour un coût moyen annuel de 177 eurosenviron, selon l’Institut Français de l’Environne-ment. Dans le même esprit que le programme desVerts, nous proposerions que soient accordés gra-tuitement les 50 premiers litres, les 50 litres au-dessus restant au tarif actuel, et l’excédentaugmentant progressivement afin de compenser lagratuité des 50 premiers litres. Pour l’eau, plusencore que pour l’électricité, mettre en applica-tion cette mesure peut être considérée comme uneurgence humanitaire. Enfin, en matière de télé-communications, les premiers 512 kbits/s surréseaux fixes pourraient constituer, sur le mêmeprincipe, une tranche gratuite. Contrairement auxtranches gratuites d’électricité qui devront baisserpour tenir compte des gains d’efficacité et de ren-dement énergétique, la tranche d’accès gratuit àInternet devra être progressivement étendue pourtenir compte de l’évolution du minimum debesoins légitimes de communications.

Vers la gratuité des transports collectifs urbainset périurbains

La mobilité constitue un droit fondamental,parce qu’elle conditionne notre rapport auxautres, et plus généralement notre rapport à la col-lectivité. Une société riche est donc une sociétéqui permet aux individus de se déplacer indépen-damment de leur statut social, de leur activité pro-ductive ou de leur projet de vie.

Concrètement, le droit à la mobilité peut s’en-tendre comme la gratuité des transports collectifspublics au sein des communes et des associationsde communes.

La gratuité et le fort développement des trans-

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ports collectifs au sein des communes et des asso-ciations de communes constituent un enjeu envi-ronnemental majeur, et doivent s’accompagnerd’une politique volontariste de réduction destransports individuels motorisés.

Il est urgent d’agir sur les modes de transportpour réduire les nombreux problèmes inhérents àce secteur : hausse des prix et disparition pro-grammée du pétrole, pollutions, embouteillages,poids dans le budget des ménages (15 %), insécu-rité routière, effet de serre… Les politiques desdéplacements dans la vie quotidienne ainsi quel’aménagement du territoire doivent être entière-ment repensés.

Comme il n’est pas souhaitable de réduire par lacontrainte la mobilité de nos concitoyens ou depénaliser les plus modestes qui habitent loin deleur lieu de travail, nous proposons un vaste pland’extension des transports en commun, ainsi quela mise en place progressive de la gratuité de ceux-ci pour tous. L’objectif étant bien sûr de limiter aumaximum l’usage de la voiture individuelle.

Ce n’est nullement une utopie coûteuse. Ce dis-positif existe à Hasselt en Flandre depuis 1997 etquelques villes en France (Châteauroux depuis2001, Gap, mais aussi Vitré et Compiègne) l’ontexpérimenté. Le surcoût reste très faible au vu desenjeux, car à ce jour les collectivités financent75 % en moyenne de ces transports. Ce coût sup-plémentaire pourrait être couvert :

• par le rétablissement d’une vignette automo-bile au prix variable en fonction des émissions deCO2 du véhicule,

• par les entreprises, qui pour les plus grandescontribuent déjà aux coûts de déplacement deleurs salariés,

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– par une taxe carbone pour les transports demarchandises, diminuant ainsi la part des collecti-vités locales.

En attendant que ces mesures soient prises auniveau national, un référendum populaire pour-rait être initié au niveau de chaque ville, départe-ment, région, afin de laisser les citoyenss’exprimer localement sur ce sujet.

Le droit à la santéPris littéralement, le droit à la santé n’existe

évidemment pas. Etre en bonne santé estindépendant du droit. Ici, la notion de « droità la santé » renvoie au droit de chaque indi-vidu de bénéficier du meilleur état de santépossible. Il signifie que l’individu a droit à unensemble de mesures relatives à la préventionde la maladie et au traitement du patient, maisaussi à ce que l’État s’abstienne de tout actequi pourrait mettre en danger sa santé.

Le droit à la santé, c’est finalement le droitaux soins, à la prévention, mais aussi à la sécu-rité sanitaire.

Le caractère inconditionnel et universel dudroit à la santé est d’abord une question dejustice et de fraternité. Parce qu’il n’est pasacceptable d’être pris en charge médicale-ment en fonction des montants que l’on a étéen mesure de placer dans une assurance santé,nous réaffirmons notre opposition à tout sys-tème assurantiel en matière médicale, et notreattachement à une complète mutualisationdes risques de santé. Les citoyens doivent en

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effet cotiser en fonction de leurs moyens, etêtre couverts en fonction de leurs besoins,indépendamment de toute autre considéra-tion économique ou sociale.

Vers une prise en charge universelle des soinspar un pôle public

En France, seules 75 % des dépenses de santésont prises en charge par les régimes d’assurancemaladie obligatoire, le reste relevant des orga-nismes de couverture complémentaire facultatifsou de la prise en charge directe par le malade.Malgré l’instauration de la Couverture MaladieUniverselle (CMU), qui reste un progrès et unacquis majeur (avec 4.5 millions de bénéficiaires),environ 6 millions de personnes ne sont pas cou-vertes par une assurance maladie complémentaire.De plus, il existe de très fortes disparités entre lesmutuelles qui évoluent dans un marché fortementconcurrentiel. Les inégalités face aux coûts d’ac-cès à telle ou telle mutuelle deviennent considé-rables. Pour 27 % des bénéficiaires decomplémentaires, le niveau de remboursementpour les soins d’optique ou dentaires est trèsfaible.

Force est de constater que ces droits fondamen-taux ne sont pas acquis, pour des raisons de capa-cités financières et surtout pour des raisons dechoix (le développement d’un marché privé del’assurance) ou de priorité politiques.

L’argument financier, s’il ne peut être ignoré, nepeut pas remettre en cause le principe d’accèsinconditionnel et universel à la santé que nousdéfendons. Parce que la vie humaine ne peut pasavoir de prix, et parce que les droits à la santéconstituent une pierre angulaire du « vivre-

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ensemble », ceux-ci, plus que tous les autresdroits fondamentaux, doivent bénéficier d’uneffort collectif particulier.

Nous proposons une couverture médicale quiremboursera l’ensemble des soins et dispenserales patients des avances de frais. Elle consistera enune assurance maladie universelle. Elle seraunique, uniforme, obligatoire et remplacera lamultiplicité des systèmes d’assurances maladie(obligatoires et/ou complémentaires). L’accès auxsoins ne devra pas être un revenu différé du tra-vail. L’impôt se substituera donc au financementpar les cotisations sociales. Dans cette optique, lecontrôle et la gestion des organismes de protec-tion sociale doivent être totalement réorganisés.Nous plaidons pour que ceux-ci soient conjointe-ment assumés par le Parlement et un organereprésentatif de la société civile.

Par ailleurs, si le droit à la santé, comme celui àl’éducation, est un droit essentiellement financé surfonds publics, comment expliquer que le système desanté, à la différence du système éducatif, soit com-posé d’un secteur libéral hypertrophié? Pourquoiles médecins et personnels de santé ne sont-ils pas,comme dans l’Éducation Nationale, essentiellementdes membres de la fonction publique? Que l’onconsidère les modes de rémunération, la répartitiongéographique des activités, les missions ou le finan-cement du système de santé, il apparaîtrait juste,utile et nécessaire pour les médecins, les patients etles contribuables de créer progressivement un corpsétendu d’État de la fonction médicale. Ce corps intè-grerait l’ensemble de la profession (médecins, phar-maciens, dentistes, infirmières, professionsparamédicales, industrie pharmaceutique…) autourd’un service public de la santé, qui ne devra pasremettre en cause le choix de son médecin.

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Au plan national ou communautaire, le systèmede santé doit constituer un véritable servicepublic. Dans ce contexte, les dépassements d’ho-noraires ne doivent pas être autorisés et la réparti-tion du corps médical sur le territoire doit êtrecentralisée. L’ensemble du secteur de la santé doitfaire l’objet d’une régulation efficace, notammenten termes d’égalité d’accès et de liberté de choix.Dans le cadre du service public de la santé, nousdevons réaffirmer la priorité à l’hôpital, garantd’un service pour tous et de qualité. Les moyensaccordés à l’hôpital devront être considérable-ment augmentés. Enfin, pourrait être demandé àchaque praticien de participer, au moins à mi-temps, à l’effort de soin hospitalier, lieu d’excel-lence de la recherche médicale, de sa mise enapplication et de son enseignement, propice à laformation continue 1.

Le droit à la prévention et à une médicationraisonnée

Une attention particulière sera mise sur la pré-vention. En effet, dans de nombreux systèmesmédicaux, à l’image du système français, les ques-tions médicales sont centrées sur les soins plutôtque sur la prévention des maladies. Une explica-tion de ce phénomène réside dans le mode derémunération des médecins : une rémunération« à l’acte » conduit à un développement dunombre de consultations et d’actes médicaux ainsiqu’à une prescription parfois excessive de médi-caments.

Il convient non seulement de donner un accèsgratuit aux soins, mais aussi de repenser notre sys-tème médical pour favoriser la prévention, ainsi

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1 Florence Veber, L’Autre Campagne, La Découverte, 2007.

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qu’une médication plus attentive, raisonnée etfinalement plus efficace. Cette transformationpeut être pour partie accomplie en privilégiant unpaiement forfaitaire du médecin en fonction dunombre de patients suivis. Par des politiquesvolontaristes en matière d’organisation du sys-tème médical, le système contribuera donc aussi àréduire les contraintes financières qui pèsent surlui, sans pour autant s’appuyer sur une maîtrisecomptable (et donc forcément injuste) desdépenses.

A contrario, les laboratoires pharmaceutiques,dans une course aux brevets et à la rentabilitéfinancière, n’hésitent pas à mettre sur le marchédes produits sans réaliser tous les tests nécessairesen matière de dangerosité. Des médicaments nou-veaux (à l’image du Vioxx, en France) peuventainsi se révéler dangereux, peu efficaces et bienplus chers que des médicaments antérieurs, pour-tant plus efficaces et moins dangereux. Le peud’indépendance des publications scientifiques, lelobbying de l’industrie pharmaceutique et lemanque de moyens ou de volonté des pouvoirspublics face à ces laboratoires, est une source dedépenses importantes et de prises de risquesinutiles.

Il convient donc de renforcer le contrôle de l’ef-ficacité des médicaments, de limiter leur publicitéou encore de contrôler les relations entre l’indus-trie et le monde médical. Un contrôle des orienta-tions prises par les recherches privées devra êtremis en place (notamment pour les fonds tirés desmédicaments remboursés par la sécurité sociale).Ce contrôle pourra s’appuyer sur les revues médi-cales indépendantes soutenues par la puissancepublique, les syndicats, les mutuelles et les asso-ciations de patients. Il conviendra également de

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développer une recherche publique forte dans ledomaine du médicament (ce que font déjà lesÉtats-Unis à travers leurs National Institutes ofHealth). Cette recherche, dotée de nouveauxmodes de financement, devra être coordonnée auplan international, conformément aux attentes del’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).

L’exemple précurseur des « médecins référents »Une part modeste de ces changements a été

expérimentée en France par le réseau des « méde-cins référents » (à ne pas confondre avec les« médecins traitants » de la réforme Douste-Blazy), avec des résultats encourageants, avantd’être abandonnée pour des raisons politiques, audétriment des patients. Les 8 000 médecins géné-ralistes participant à ce réseau se sont engagés àparticiper à davantage de campagnes de dépistageet de prévention, à accorder une attention et untemps plus important aux patients et, plus généra-lement, à respecter une charte incluant notam-ment un seuil maximal annuel d’activité, lerespect des tarifs conventionnels, la dispensed’avance de frais afin que tous puissent avoir égalaccès aux soins, la tenue d’un dossier médicalinformatisé, la prescription de médicaments enfonction des recommandations de bonne pratiqueet des référentiels et, quand ils existent, sous formede génériques, ou encore l’engagement de se for-mer indépendamment de l’industrie pharmaceu-tique et d’accepter l’évaluation des pratiques. Cesmédecins, qui ont en effet signé un partenariatavec les caisses d’assurance-maladie pour un paie-ment partiellement forfaitisé, ont non seulementoffert une excellente qualité de soins, mais ontégalement permis une économie de 20 000 eurospar an et par médecin pour les caisses d’assurancemaladie 1.

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1 www.amedref.org

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L’accès aux médicamentsAu niveau international, les conditions d’accès

aux soins (et en particulier aux médicaments) parles pays les plus pauvres doivent être redéfinies. Ils’agit de permettre à ces pays de produire oud’acheter des médicaments génériques, mêmelorsque les brevets ne sont pas tombés dans ledomaine public, sans craindre des mesures derétorsion.

Dans tous les cas, les principes de brevetabilitédevront être différenciés (notamment en termesde durée et de protection) en fonction :

• de la nature de l’invention (afin de tenircompte des moyens engagés et de son intérêtsocial) ;

• du niveau de développement des pays. En par-ticulier, les instances internationales devront êtredotées de compétences afin de limiter les pres-sions que les pays détenteurs de brevets pour-raient faire subir aux pays en développement. Uneliste de pays pourrait être établie pour lesquels leslaboratoires pharmaceutiques auraient interdic-tion de vendre leurs médicaments au prix fort etobligation de les fournir au coût marginal de pro-duction.

• des intérêts de premier ordre en matièresociale, sanitaire ou environnementale. Sur déci-sion judiciaire ou sur la base de décrets, l’autori-sation d’utiliser un brevet pourra être accordée.

Les missions de l’Office Européen des Brevets(OEB) devront s’étendre afin d’évaluer la libertéde recherche et l’exploitation des brevets et defavoriser la mise en commun des technologies debase. Les accords négociés à l’OMC en matière depropriété intellectuelle (ADPIC) doivent être

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dénoncés et renégociés sur ces différents pointset, en particulier, en matière d’accès des payspauvres aux médicaments.

Parallèlement à ces mesures, Utopia défend unepolitique d’investissement massif au niveau euro-péen dans la recherche publique sur les biotech-nologies et sur les médicaments, en associant à cestravaux les pays démocratiques du Sud. Ceci per-mettrait un transfert progressif de technologies etde savoir-faire, pour développer des médicamentsspécifiques aux problèmes de ces pays. Un droit àune médecine identique pour tous suppose eneffet que des recherches soient aussi menées surles maladies rares et sur les maladies des payspauvres. Les pays riches devront avoir pour obli-gation de coopérer pour financer des recherchespubliques dans ce domaine. Utopia souhaite éga-lement que soient créées les conditions d’un dia-logue entre la société civile et les scientifiques, afinde décider des priorités en matière de recherche.Enfin, l’élaboration de propositions de type copy-left sur le modèle des logiciels libres, s’appuyantsur une recherche publique forte, pourrait égale-ment contribuer au progrès médical en limitant lechamp du brevetable.

Le droit à l’éducationLe droit à l’éducation, au sein d’une école

laïque, gratuite et obligatoire, est essentiel parcequ’il permet à l’individu de développer son senscritique, de forger le plus librement possible sonopinion, de créer du lien social et de préciser lanature de son engagement citoyen.

Dans un contexte de fort chômage, c’est audétriment de ces objectifs de formation du citoyenque l’école se voit assigner comme mission priori-

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taire la formation de jeunes prêts à occuper lesemplois disponibles sur le marché du travail. L’É-tat tend alors à abandonner progressivementl’idée de former des citoyens pour formater defuturs producteurs/consommateurs. Dans cemême esprit, l’école encourage une « culture » dela compétition : avoir les meilleurs résultats, obte-nir les plus hautes mentions aux examens, être leplus « performant » possible dans tous lesdomaines, au prix souvent d’un investissementlourd et souvent exclusif, qui décourage et laissede côté beaucoup de jeunes.

Trop souvent instrumentalisée à des fins dereproduction sociale, cette culture de la compéti-tion est légitimée par la droite qui appuie cetordre des choses sur le « mérite ».

Par ailleurs, s’il ne faut pas négliger l’impor-tance de la transmission de savoirs et compétencesprofessionnels, la hiérarchie des missions de l’édu-cation nationale doit être repensée. L’école,ouverte à la complexité du monde, doit amenerles élèves à décrypter leur environnement sanscéder, sous couvert pédagogique, à une vision sim-plificatrice.

Utopia refuse une école dont le rôle premierserait de valoriser le « potentiel économique » del’individu et son esprit de compétition. Pour nous,l’école doit avant tout permettre à chacun dedevenir un citoyen libre et éclairé, capable decomprendre les enjeux du monde qui l’entoure,de débattre, de s’adapter à ses changements, des’engager et d’agir dans la cité.

L’école de la RépubliqueL’école républicaine doit accueillir des enfants

de toutes origines, de tous milieux, de toute

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croyance. Elle doit favoriser la mixité sociale etjouer pleinement son rôle de socialisation quifonde notre « vivre-ensemble ». Aujourd’hui,pourtant, elle ne le peut pas.

Essentiellement parce que la mission des per-sonnels de l’éducation relève d’un autre choixpolitique, l’enseignant seul ne peut tout assurer.C’est la constitution d’équipes éducatives qui estgarante du projet d’établissement, du suivi indivi-dualisé des élèves, de l’aide gratuite au travail per-sonnel, des critères de sanction qui intègrent aulieu d’exclure, du projet d’orientation en dialogueavec les familles.

Un partenariat avec différents acteurs de la citéfavorise l’accès pour tous à la culture, au sport, àla vie associative, etc. 1

D’abord parce qu’on a laissé les territoiresconcentrer souvent les populations de classessociales semblables, et que les dérogations se sontmultipliées au sein du système public : on assiste àune fuite des « élites » vers les établissements lesmieux « cotés » ou accueillant le moins de jeunesdes milieux défavorisés. Cela crée des ghettos quiviennent s’ajouter à ceux existants.

Ensuite parce qu’il existe des écoles privées nonsoumises aux cartes scolaires. Comment peut-onconstruire une société solidaire et fraternelle enacceptant une telle ségrégation dès l’enfance?Nous proposons donc l’intégration des écoles pri-vées, actuellement sous contrat et hors contrat, auservice public et laïc de l’Éducation, seul véritablegarant de l’intérêt général.

Nous proposons également de développer uneréelle mixité sociale en reconstruisant une carte sco-laire sur une base dépassant la seule proximité géo-

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1 P. Meirieu, « Nous mettrons nos enfants à l’écolepublique »,…

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graphique de l’habitation (c’est-à-dire en scolarisantdes jeunes dans d’autres quartiers que le leur).

La mixité sociale sera alors facteur d’émulation,moteur d’apprentissage. La relative hétérogénéitédes publics pourra contribuer à développer lacompréhension des différences entre individusainsi que le respect et l’ouverture aux autres.Cependant, pour ce faire, il faut que l’école ait lesmoyens de tirer le meilleur profit de cette diver-sité, ce qui n’est pas toujours le cas aujourd’hui.L’État doit faire un effort particulier pour aider leséquipes pédagogiques à prendre en compte ladiversité des élèves. Il est indispensable que cer-taines classes aient des effectifs particulièrementréduits pour permettre aux enseignants de diffé-rencier leur pédagogie et d’aider les élèves qui enont besoin, notamment concernant les bases.L’écriture, la lecture et le calcul sont indispen-sables à la construction des individus face ausavoir et à leur vie en société. Leur maîtrise estd’autant plus importante qu’elle est un facteurmajeur de discrimination entre les classes socialeset qu’elle constitue l’un des supports de la penséeet de sa formalisation.

Il est également nécessaire de renforcer la pré-sence d’adultes et les structures d’aides pour lesélèves les plus en difficulté, notamment en Zoned’Éducation Prioritaire. Des aides éducateurspourront également venir en aide et conseiller lesfamilles qui le souhaitent en matière d’éducation.

Enfin, l’éducation civique doit permettre d’ap-prendre aux élèves à s’intéresser aux autres, às’écouter, à se respecter, à débattre, à définir desrègles de vie commune, à conduire des actionscollectives, à coopérer. Aussi, nous proposons quedans les emplois du temps de toutes les classes, dela maternelle à la terminale, un temps soit prévu

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pour la réalisation de projets collectifs. C’est eneffet au travers d’une réalisation concrète, nécessi-tant débat, choix de stratégie, organisation, soli-darité, implication de chacun, que vont s’acquérirles bases de la citoyenneté. Dans cette logique,nous proposons d’introduire une initiation à laphilosophie et aux sciences humaines et socialesdès l’école élémentaire 1. L’histoire des femmes etla question de l’(in)égalité des sexes doivent êtreenseignées. Nous proposons également que lesprogrammes d’histoire, de géographie, mais aussides matières littéraires soient davantage ouvertsaux cultures d’autres pays. Par cet effort, l’écolecontribuera à établir une citoyenneté universelle.

Enfin, l’égalité de traitement des citoyens doitaussi intégrer le handicap en développant lesinfrastructures adéquates et en utilisant, lorsquecela s’avère nécessaire, des mesures de discrimina-tion positive, ou encore en garantissant une scola-risation adaptée. L’accueil des handicapés dansl’école de la République doit être la règle, et unerègle appliquée. Elle doit s’accompagner de tousles moyens de « facilitation » de cette scolarisationet implique une formation adaptée des ensei-gnants. Cette intégration d’enfants en situation dehandicap, quand elle est possible et voulue, parti-cipe aussi de l’éducation à la citoyenneté.

Cependant, pour ceux dont le handicap est trèslourd et nécessite des soins quotidiens, des struc-tures médico-scolaires publiques sont indispen-sables. Il est anormal que ces jeunes et leursfamilles ne trouvent aujourd’hui de solutions quedans des établissements spécialisés privés, établis-sements souvent éloignés de leur domicile qui lesaccueillent au compte-goutte car le nombre deplaces disponible est limité.

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1 Bernard Lahire, L’Autre Campagne, La Découverte, 2007.

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Démocratiser l’enseignement supérieurAprès sa massification, l’enseignement supé-

rieur doit être démocratisé. Cette démocratisationpasse par une information plus poussée sur lesfilières, leurs exigences et leurs débouchés, elle nedoit pas s’appuyer sur une orientation préalableou la mise en place de quotas dans les formationsuniversitaires. L’objectif de démocratisation nepeut pas non plus passer par une mise en concur-rence des établissements, au risque d’accroître lesinégalités entre les universités riches et pauvres.

Pour une véritable démocratisation de l’ensei-gnement supérieur, plusieurs pistes concrètes sontpresque incontournables : d’un point de vuepédagogique, il apparaît indispensable, notam-ment pour les premières années universitaires, deréduire très largement la part des cours magis-traux au profit de petits groupes de travaux diri-gés. Cela passe par un fort accroissement desdotations des universités : la dualité grandesécoles/universités ne peut être acceptée que si lesuniversités disposent des mêmes moyens et dumême taux d’encadrement que les classes prépa-ratoires et les grandes écoles.

L’enseignement universitaire doit égalements’ouvrir davantage à la formation des adultes toutau long de la vie, que ce soit en créant les condi-tions matérielles d’accueil et de financement deces reprises d’études ou en faisant participer lesenseignants du supérieur, pour une partie de leurservice, à la vulgarisation de leur recherche dans lecadre d’universités populaires 1.

Une autre mesure nécessaire à la démocratisa-tion des cursus universitaires consiste en la défini-tion d’une allocation d’autonomie pour les jeunes.À partir de 18 ans, le jeune doit pouvoir acquérir

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1 Frédéric Neyrat, L’Autre Campagne, La Découverte, 2007.

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une indépendance économique et être en mesurede se former dans des conditions décentes, indé-pendamment de son milieu social. Il faut désor-mais accorder, comme le soutient l’UNEF (UnionNationale des Étudiants de France), une majoritésociale aux jeunes en même temps que leur majo-rité civile, leur donner les conditions pour réussirleurs études sans avoir à concilier leur projetd’étude avec des travaux salariés. Cette allocation,accordée aux jeunes en situation de formation,serait universelle.

Enfin, d’importantes passerelles seront à déve-lopper entre le monde des grandes écoles et lemonde universitaire. Les classes préparatoiresseront intégrées au monde universitaire afin defaire évoluer les étudiants de ces classes dans unmilieu moins fermé que les lycées et plus favorableà des échanges avec le monde estudiantin. Unepartie des cours pourra être commune avec desfilières universitaires non sélectives, afin de créerun brassage nécessaire à l’ouverture des étudiantsdes différentes filières. Nous souhaitons égale-ment que les grandes écoles aient à recruter unepartie de leurs effectifs parmi les étudiants desuniversités françaises et étrangères.

L’éducation populaireL’éducation populaire, pour partie prise en

charge par les citoyens eux-mêmes, doit être reva-lorisée. Acteur important du progrès social, l’édu-cation populaire regroupe les actions de formationet d’éducation qui, au côté de l’école, ont pour butpremier de démocratiser le savoir et d’assurer àtous les hommes et les femmes, quel que soit leurâge, les moyens de mieux participer à la démocra-tie en proposant des formes originales d’accès ausavoir et à la culture. Elle a pour fondement le

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principe essentiel que l’éducation n’a pas pourobjectif premier de former des travailleurs, maisdes citoyens libres. Fondement même du mouve-ment ouvrier et syndical, l’éducation populaire apermis, dès le milieu du xixe siècle, la prise deconscience de l’indispensable solidarité entre lestravailleurs, qui devenaient peu à peu des citoyensà part entière. Au début du XXIe siècle, nous aurionstort de croire que ce concept est dépassé, il estsimplement à réactualiser. L’école de la Répu-blique seule ne suffit pas. Il serait grand temps dereconnaître l’éducation populaire comme un vraiservice public, pris en charge non pas par l’État oules collectivités locales, mais par les citoyens eux-mêmes.

Le droit à la culturePour Utopia, la culture est constituée de l’en-

semble de connaissances, de pratiques artistiques,de lois, de coutumes et de savoir-faire qui nousidentifient, nous rassemblent, nous servent enpermanence de boussole.

L’accès à la culture fait donc naturellement par-tie des droits fondamentaux puisqu’elle constitue,fonde et cimente la vie en société, crée la commu-nauté, la société, ses valeurs et ses institutions.C’est notamment grâce à elle que nous portons unregard aigu sur le monde, nous permettant denous forger notre propre jugement, de nous sous-traire au modèle dominant, de tenir à distance lespréjugés, de nous ouvrir à notre environnement etde pouvoir à la fois le comprendre et communi-quer avec lui. La culture contribue à éclairer lecitoyen, en même temps que le citoyen éclairés’appuie sur elle pour construire le présent et seprojeter dans l’avenir.

C’est la raison pour laquelle les politiques cultu-

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relles doivent permettre à chacun de trouver sespropres modes de lecture et d’expression, à partird’un socle de connaissances et de valeurs acquiseset partagées. Un de nos défis démocratiquesmajeurs reste d’élargir au plus grand nombre l’ac-cès aux différentes expressions culturelles, desarts, des sciences ou de la pensée, sachant qu’au-jourd’hui deux tiers de la population n’accède pasaux différentes activités proposées pour le grandpublic (musée, théâtre, opéra…). Une nouvellepolitique culturelle, basée sur ces convictions,dépassant la seule volonté de développer l’offre,permettra de proposer une véritable alternativeloin des stéréotypes véhiculés par les médias et lapublicité.

Une politique pour la diversité de la produc-tion culturelle

Le pluralisme de la création artistique est pro-fondément touché par les logiques capitalistes quipoussent à investir dans les productions présu-mées rentables, avec tout ce que cela signifie entermes de standardisation.

À l’ère de la globalisation, les États doiventdéfendre fermement la Convention pour la pro-tection de la diversité adoptée en 2006 à l’Unesco,qui permettra à ces mêmes États de soutenir leurscréations culturelles. Ces dernières constituent unindicateur clé de développement. Parce que leslogiques du marché n’ont aucun rapport ni avecdes choix démocratiques, ni avec des enjeux pro-prement culturels, la culture doit échapper audroit commun en matière commerciale. Il nousfaut garantir à tous les niveaux le principe del’« exception culturelle », afin que les œuvrespuissent exister et être diffusées sans exigence de

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rentabilité. De nouvelles recettes doivent doncêtre dégagées, afin de soutenir et d’alimenter defaçon significative les fonds de soutien à la créa-tion, gage de diversité et donc de pluralisme.

Dans l’univers du spectacle vivant, du cinéma etde l’audiovisuel, les salariés permanents ainsi queles intermittents doivent être en mesure de parti-ciper ensemble à la production culturelle. Il estnécessaire de donner aux artistes un véritable sta-tut et un rôle social en préservant leur indépen-dance, ainsi que les moyens et le temps nécessairesà la création (composition, répétition…). Plus lar-gement, tous les artistes, sans exception, doiventbénéficier d’une véritable protection sociale etd’un droit à la formation continue.

Une politique d’accès à la culture

Une diffusion culturelle garante de la diversitéL’État doit être garant de la diversité culturelle

sur l’ensemble du territoire, afin de la faire vivre etde permettre à tous les citoyens d’en tirer parti.

La question se pose avec autant d’acuité dans lesdomaines trop concentrés de l’édition (édition etdistribution) ou de l’audiovisuel. Dans ces sec-teurs, une loi devra limiter les concentrationscapitalistiques afin de préserver la pluralité et ladiversité culturelle. Des dispositions de protectionde ces activités pourront également être prises,notamment face à des groupes étrangers qui nerespecteraient pas ces critères de concentration.

Enfin, dans tous ces domaines, le rôle de l’Étatou des collectivités locales est aussi d’assurer unpluralisme culturel en soutenant les structuresindépendantes sur l’ensemble du territoire.

L’exemple des cinémas indépendants est édi-

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fiant : les cinémas d’Art et Essai, indispensablespour la vitalité et le renouveau du cinéma, sontplus fragiles que jamais. Les multiplexes, qui ontfleuri aux quatre coins de l’hexagone, tentent des’attacher un public « captif » en inventant des« cartes illimitées », et veulent convaincre les spec-tateurs qu’ils sont « tout le cinéma », et qu’il n’estplus besoin d’aller chercher ailleurs.

Cette concentration touche d’abord les sallesindépendantes qui rencontrent de plus en plus dedifficultés pour se procurer des copies de films artet essai d’un bon potentiel économique qui per-mettent d’entraîner le spectateur vers des cheminsmoins balisés, tout en apportant un équilibrefinancier.

Elle touche également les distributeurs et réali-sateurs, qui connaissent des difficultés de plus enplus grandes pour trouver des salles susceptiblesde relayer efficacement et sur la durée les filmsdélaissés ou insuffisamment exploités par les cir-cuits.

Il est de la plus grande urgence de revoir lesmécanismes de la diffusion cinématographique,de proposer une alternative.

Un accès à la culture pour tousLa diversité culturelle n’a de sens que si elle ren-

contre un public large, participe de la reconstitu-tion et de l’entretien du lien social, et constitue unvecteur de réintégration des classes populairesdans l’espace public. Une politique d’éducationculturelle renouvelée et audacieuse est nécessaire.

L’enseignement des différentes formes artis-tiques, mais aussi des matières culturelles au senslarge, touchant tous les aspects de la citoyennetéet permettant à la fois l’implication identitaire etl’ouverture sur le monde, doit être entrepris

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comme un acte essentiel. Les pratiques culturellesdoivent être encouragées par un investissementpublic approprié, à la fois dans le milieu scolaireet dans le cadre des activités proposées par les col-lectivités locales.

Ainsi, les expériences de gratuité des musées(expérimentées dans plusieurs villes dont Paris)qui ont permis d’attirer de nouvelles populations,jusque-là exclues, doivent être étendues sur l’en-semble du territoire.

Enfin, Utopia souhaite une évolution des droitsd’auteur et des droits voisins afin de permettrel’accès des œuvres au plus grand nombre et defavoriser la diversité culturelle, tout en donnantune juste rémunération aux auteurs. Les œuvresappartenant au domaine public sont une sourcede créativité et un moyen de préserver la formeoriginale des œuvres. Le domaine public doitdonc être protégé, distingué et valorisé : les excep-tions aux droits d’auteurs à fin d’éducation et derecherche doivent être consacrées. Dans la mêmeoptique, les droits d’auteur et droits voisinsdevront être limités à une durée de dix ans aprèsla mort de l’artiste (contre 70 ans aujourd’hui). Lapratique amateur et la formation musicale doiventêtre encouragées, ainsi que la création sous licencecopyleft (c’est-à-dire avec la possibilité de diffuser,de modifier ou d’échantillonner les œuvres, àcondition que les nouvelles œuvres ainsi crééesbénéficient du même régime). Enfin, les biens cul-turels (notamment les contenus audiovisuels) doi-vent pouvoir être échangés librement par lesusagers, dans la mesure où il s’agit d’un usageprivé et non commercial. L’interdiction de telséchanges sur Internet constitue en effet un ration-nement inacceptable de l’accès à la culture, dansla mesure où la reproduction d’un fichier numé-

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rique peut se faire à coût quasi nul. En contrepar-tie, une contribution publique au financement dela production et des ayants droits devra être miseen place.

Les cinémas d’Art et d’EssaiLes proposition suivantes sont portées par l’asso-

ciation ISF (Indépendants Solidaires Fédérés)regroupant des cinémas indépendants, dont lescinémas Utopia. Son objectif est de faire connaîtrela spécificité du travail des cinémas indépendantset leurs points de vue, et de mettre en commun desoutils d’information et de travail pour assurer unemeilleure promotion.

Avant tout, il faut assurer l’existence des cinémasindépendants, et permettre la création de nou-velles salles afin de tisser un réseau de lieux de dif-fusion qui soit une alternative réelle aux circuits dediffusion.

La notion d’indépendance vis-à-vis des pouvoirspublics comme vis à vis des circuits est indispen-sable à la vitalité des salles.

1/Le soutien aux distributeursNous proposons de procéder à la diffusion de

films à partir de la province (sans passer par unesortie officielle à Paris), en changeant les règlesactuelles du CNC (Centre National du Cinéma).

2/L’accès au visionnement des nouveaux filmsAfin que les exploitants puissent voir le plus de

films possible et le plus longtemps possible avantleur sortie pour organiser la programmation et l’in-formation, le CNC doit garantir à chaque exploi-tant un accès identique.

3/De nouveaux critères de classement « Art etEssai »

Le travail de reprise ou de continuation propre àprolonger la durée de vie des films, celui fait poursoutenir des films non diffusés à Paris, l’originalité

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et l’initiative locale, doivent être pris en comptedans les critères de classement.

4/La limitation des avant-premières gratuitesEn règle générale, la « gratuité » présente les

mêmes effets secondaires que celle de la carte illi-mitée. Elle permet aux circuits de se renforcer audétriment des indépendants, les distributeurs fai-sant l’essentiel des frais de ces avant-premières.

5/Une meilleure diffusion des documentairesgrâce à un accompagnement du CNC

Beaucoup de documentaires ne sont pas ou maldiffusés, alors que les spectateurs sont de plus enplus intéressés par ce type de films, et par lesdébats organisés en fin de séance.

Nous souhaitons un accompagnement du CNCpour une meilleure diffusion de ces documentaires(équipement des salles, simplification desdémarches administratives, prise en compte desdifférentes animations…).

6/Diffusion simultanée de DVD des films proje-tés

Nous pouvons comprendre que la diffusionDVD des films porteurs soit différée pour ne pasgêner l’exploitation en salle. Cependant, noussommes favorables à une diffusion simultanée desfilms les plus fragiles (que nous défendons) car elleélargit le potentiel public du film et influence favo-rablement sa diffusion vidéo.

Cela provoque également un effet d’entraîne-ment, notamment pour les documentaires, ou lesfilms les moins médiatisés. Les spectateurs, en sor-tant d’un film qu’ils ont apprécié, sont prêts àl’acheter pour le faire découvrir à ceux qui nevivent pas à proximité d’une salle effectuant cetype de travail.

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Le droit à une information res-pectueuse de l’individu

Le droit à une information de qualitéL’accès à l’information et sa diffusion constituent

des dimensions clefs de la vie démocratique. Or, parintérêt économique, par proximité avec les gens depouvoir, par facilité, la plupart des organes d’infor-mation – et plus particulièrement audiovisuels – ontrenoncé à ce qui devrait être leur mission, pournous imprégner d’une idéologie libérale et lui don-ner un caractère universel. La diversité d’approcheet d’analyse n’est pas la règle, l’espace pour desregards différents est extrêmement réduit. Tous lesjournaux télévisés sont construits sur le mêmemodèle. L’uniformité domine. L’instantanéité règne.Et beaucoup de nos concitoyens, souvent faute detemps, se contentent des images de leur petit écran.Ils n’ont alors pas ou peu conscience d’être entraî-nés dans une vision unidirectionnelle des événe-ments qui secouent le monde. Là est bien le danger,d’autant que la plupart des médias sont directementla propriété de grands groupes privés ou sousinfluence du domaine marchand. Il est urgent desortir de cette dictature sclérosante des médias quiont acquis un pouvoir excessif, mettant en péril ladémocratie elle-même.

Nous proposons donc d’une part d’exiger duservice public de l’audiovisuel qu’il accomplisseune mission d’information et d’analyse critique del’information davantage tournée vers les pro-blèmes nationaux et internationaux que vers lesfaits divers ou les modes. Cette mission appelledes moyens (envoyés permanents à l’étranger,enquêtes journalistiques de fond…) et une indé-pendance vis-à-vis du pouvoir politique.

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Nous proposons d’autre part de réguler le mar-ché de l’audiovisuel et de la presse, de manière àlimiter les concentrations capitalistiques, à garan-tir une pluralité et une diversité des contenus,ainsi que le respect d’un minimum d’éthique.Ainsi, dans la presse et l’audiovisuel, les partsdétenues par un groupe privé ne pourront pasreprésenter plus de 30 % du capital des plusgrands médias, et pas plus 15 % de l’audiencedans chaque type de média (presse, télévision,radio). Les entreprises réalisant plus de 10 % deleur chiffre d’affaires dans les marchés publics nedoivent pas être autorisées à prendre de participa-tion dans les média.

Pour garantir pluralité et diversité de l’informa-tion, nous proposons la mise en place d’une poli-tique de quotas de diffusion, tenant compte deshoraires de grande audience et applicable à l’en-semble des chaînes publiques et privées émettantsur le territoire.

Par ailleurs, l’éducation au décryptage de l’in-formation et du traitement médiatique devra êtredispensée très tôt, mais également dans le cadrede la formation continue. À l’heure où l’objectifouvertement affiché d’un patron de chaîne detélévision est de générer de la disponibilité dansles cerveaux des téléspectateurs pour vendre plusde publicité, il est temps que l’école et les relaiséducatifs mettent en place des moyens humains ets’équipent pour un apprentissage systématique del’utilisation des nouveaux outils de communica-tion, qu’ils enseignent aux élèves à avoir un regardcritique sur les médias, à disséquer les images, àanalyser les informations, à prendre du recul parrapport aux fictions.

Enfin, nous préconisons également la taxationde la publicité au niveau de l’achat d’espace. Un

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taux de 5 % représenterait en France environ unmilliard d’euros de recettes qui pourraient parexemple être allouées à l’aide à la presse dont lesrecettes publicitaires couvrent moins de 20 % ducoût global de fonctionnement.

L’échange de contenus culturels sur Internet :une nouvelle organisation ouvrant la culture àtous est possible

Les dispositifs de gestion de droits doivent défi-nir de nouveaux rapports de force entre artistes etproducteurs et organiser la redistribution des res-sources sur des critères non exclusivement liés àl’audience. La légalisation de l’échange de fichiersaudiovisuels sur Internet constitue un élément fortdans cette direction. Elle suppose qu’un fonds soitcréé pour compenser les pertes de revenus desartistes et d’une partie de la filière de production,mais également pour encourager la formationmusicale, soutenir le spectacle vivant, et promou-voir le domaine public.

Des économistes 1 ont ainsi montré que le coûtde la légalisation des échanges de contenus audio-visuels est tout à fait supportable par les inter-nautes ou par la collectivité. En effet, selon leurshypothèses, il devrait représenter en 2010, pourles 14 millions d’abonnés prévus en France, entre5 et 10 euros par abonné et par mois pour com-penser les pertes de l’ensemble de la filière (horsfrais de fabrication et de distribution physiques). Lemode de financement envisagé (surcoût surl’abonnement et/ou impôt) devra être envisagé demanière à ne pas pénaliser l’accès à Internet et àgarantir le plus de justice sociale possible.

Une telle orientation apparaît d’autant plus justeque l’essentiel des revenus de la vente des sup-ports physiques, dans le secteur de la musique,

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1 François Moreau, Marc Bourreau et Michel Gensollen :www.fing.org

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revient aux éditeurs et non aux auteurs-composi-teurs et aux artistes, ces derniers se finançant sur-tout par le spectacle vivant, le régime del’intermittence et l’exercice d’emplois parallèles.Une telle orientation est également juste car ellepermettrait d’accroître la diversité culturelle :aujourd’hui, quatre multinationales produisent unquart des phonogrammes édités chaque année etse partagent les trois quarts du marché mondial ;en France, moins de 5 % des titres diffusés à laradio totalisent 85 % des diffusions au détrimentdes artistes produits par les indépendants, et 4 %des références commercialisées représentent 90 %du volume des ventes. Or, Internet est aussi unmoyen de permettre l’émergence d’artistes auto-produits ou produits par des labels indépendants,à l’aide d’une promotion « communautaire » (lesinternautes conseillant les internautes).

Le droit au respect de la vie privéeL’exercice d’une pleine citoyenneté ne peut

s’envisager sans un profond respect de la vie pri-vée. Cette réaffirmation est d’autant plus impor-tante que, pour des motifs commerciaux ou souscouvert de la « lutte antiterroriste », la dernièredécennie a été marquée par une accélération dufichage et des interconnexions de fichiers. Lasociété de contrôle est désormais bien installée etacceptée par la plupart des citoyens. La multipli-cation des applications informatiques dans tousles domaines appelle à une mobilisation et unevigilance plus grandes. Il est manifeste que l’on afranchi, grâce aux nouveaux outils, un seuil dansla mise en place d’une politique de surveillance dela population qui n’avait jamais été atteint aupara-vant en France.

Dans ce contexte, au regard de la défense deslibertés individuelles et publiques, Utopia entend

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faire valoir un point de vue argumenté, en analy-sant les enjeux des projets d’informatisation et endégageant les risques ou les apports possibles,tout en faisant preuve de pédagogie pour aider àune prise de conscience citoyenne.

Le respect de la vie privée constitue un droitfondamental que l’on retrouve comme tel dans leCode Civil (article 9), la Convention européennedes droits de l’homme et des libertés fondamen-tales (article 8) ou dans la Déclaration universelledes droits de l’homme de 1948 (article 12). Elleest également le fondement de la loi « Informa-tique, Fichiers et Libertés » du 6 janvier 1978 etde la CNIL. Cependant, si la personne fichée ades droits, des fichiers restent particulièrementsensibles et sujets à caution. Il en va ainsi des mul-tiples fichiers de police : le STIC (Système de Trai-tement des Informations Constatées), le FNAEG(Fichier National Automatisé des EmpreintesGénétiques)…

De même, les nouvelles techniques de contrôlequi ont pour but d’authentifier une personne(vérifier qu’elle possède bien l’identité ou lesdroits qu’elle affirme avoir) dérivent vers unobjectif d’identification. Il en va ainsi de l’identifi-cation par radiofréquences (RFID) qui équipe parexemple le pass Navigo de la RATP et, à terme, lestéléphones portables ou les cartes d’identité. Cestechniques (biométrie, vidéosurveillance, cyber-contrôle) permettent de stocker des données rela-tives aux activités quotidiennes du citoyen ou dele géolocaliser, sans que celui-ci en ait conscience.Elles permettent un contrôle au travail : sur-veillance des salariés, procédures de recrutement,surinformation, obligation de connexion perma-nente… Les nouveaux documents d’identité bio-métriques ou le dossier médical informatisé

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constituent également des risques d’atteinte à lavie privée.

Face à ce constat, Utopia insiste sur la nécessairelimitation du fichage et de l’exploitation des don-nées personnelles à des besoins incontournables.Le fichage génétique massif doit donc être aban-donné, et la conservation des empreintes adaptée àla personne et bien plus limitée dans le temps. Lesconditions d’utilisation des données biométriquesseront limitées aux questions qui nécessitent unesécurité absolue, et contrôlées, y compris dans leurutilisation à l’étranger. Une préférence sera accor-dée aux dispositifs qui ne laissent pas de traces.Les données personnelles, de quelque naturequ’elles soient, doivent être automatiquementdétruites à la fin de leur utilisation (par exemple,lors d’un achat en ligne). De plus, tout résultat del’exploitation des données personnelles doit êtrecommuniqué à la personne concernée.

Utopia propose également le respect absolu del’anonymat dans la vie quotidienne, notammenten refusant la collecte nominative d’informationssur les trajets des personnes, en permettant l’accèsaux cabines téléphoniques avec une carte ano-nyme prépayée ou en maintenant l’usage exclusifdu numéro de sécurité sociale dans la sphère santéafin de respecter le principe de non-rapproche-ment des données détenues par différents orga-nismes publics et privés.

Une information citoyenne sur les risques liés àla collecte et à la conservation de données person-nelles devra être menée à l’école et dans la société.Enfin, Utopia souhaite que la société civile et lesorganisations politiques soient consultées systé-matiquement dans l’élaboration des normes euro-péennes et internationales de création de fichiersde données personnelles.

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Rompre avec la vision actuelle des prisonsIl semble important de rappeler que les prison-

niers sont toujours des citoyens qui disposent, leplus souvent, de leurs droits civiques. Il convientde les traiter avec humanité, de respecter leursdroits et de construire les conditions de leur réin-sertion : le niveau de civilisation d’une société semesure aussi à la manière dont elle traite ceux oucelles qui, par l’infraction qu’ils ont commise, ontporté préjudice, causé des dommages, généré del’insécurité.

Le projet d’Utopia a l’ambition d’être un projetde société intégrant une véritable politique carcé-rale, un choix de civilisation en matière de « capa-cité à maîtriser la violence » ou, plus précisément,de « sécurité durable » ou de « droit à la tran-quillité » pour chacun. Pour cela, la nature pénaledes décisions de justice, centrée sur l’emprisonne-ment comme référence unique d’un arsenal depeines, doit être remise en cause et l’échelle desmesures et sanctions pénales repensée en tant quevecteur fondamental d’insertion. La référence cen-trale à l’emprisonnement dans l’échelle desmesures et sanctions pénales doit être supprimée,la prison devant être considérée comme l’alterna-tive ultime à l’ensemble des autres mesures etsanctions pénales.

Comme dans d’autres domaines, il s’agit de neplus en rester aux choix politiques pris sous lecoup de l’émotion, mais d’avancer des proposi-tions fondées sur l’expérience et un projet socialplus global. Dans cette logique, Utopia souhaite :

• Appliquer immédiatement l’ensemble desrecommandations sur les règles pénitentiaireseuropéennes (Rec. 2006-2 du 11 janvier 2006).

• Instaurer prioritairement quatre principes defonctionnement des établissements pénitentiaires :le « numerus clausus » définissant un plafondinfranchissable du nombre de personnes détenues

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par établissement. Un « numerus clausus » devraégalement plafonner le nombre de personnes sui-vies en milieu ouvert ; l’encellulement individuelde nuit en établissement ; le contrôle extérieur desprisons par une autorité indépendante ; la partici-pation des détenus à l’organisation de la vie endétention.

• Favoriser la formation et la réinsertion, ce quisuppose : de refuser toute mesure ou sanctionpénale perpétuelle ; de rendre automatique la libé-ration conditionnelle en cours d’exécution d’unepeine (mi-peine ou deux tiers de peine, selon lecas) ; de rendre automatique un aménagement depeine pour tout reliquat de peine inférieur à troismois ; d’accompagner les prisonniers, depuis l’en-trée en prison jusqu’à la sortie, en vue de leur réin-sertion.

Une proposition pourrait également consister enune refonte de l’échelle des peines qui pourrait :supprimer les peines de prison avec sursis, parfoiscomprises comme une non-condamnation, maislourdes de conséquences en cas de récidive et lespeines de prisons inférieures à un an (remplacéespar des amendes en fonction des ressources, oudes peines de probation en milieu ouvert).

La condition de réussite de cette politique et decette stratégie nécessite l’adoption d’une loi deprogrammation pénitentiaire assurant les moyenslogistiques et humains de cette ambition, sans aug-menter le nombre de places.

Le droit à la migration est undroit fondamental

Utopia considère les flux migratoires avant toutcomme des facteurs d’enrichissement culturel etsocial des pays d’accueil et, par les échanges qu’ilsautorisent, comme un facteur du développementdes pays qui nous entourent. La planète est un

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patrimoine commun : nul ne choisit ni le lieu nil’époque, ni l’environnement politique, écono-mique et environnemental de sa naissance. Utopiarefuse donc l’immigration sélective et se posi-tionne en faveur d’une très large ouverture desfrontières aux flux migratoires.

Aujourd’hui, cependant, les flux migratoiressont le résultat de déséquilibres de rapports deforces entre les pays : l’immigration est à la foisl’occasion, pour les pays du Nord, de s’enrichir enpillant les ressources humaines et naturelles duSud, et pour les migrants des pays du Sud de fuirdes conditions économiques, et/ou politiques sou-vent très difficiles, voire des situations environne-mentales intenables du fait du réchauffementclimatique.

Utopia souhaite sortir de cette logique écono-mique de l’immigration en proposant une nou-velle approche des flux migratoires entre pays.

D’une part, les pressions économiques aux fluxmigratoires doivent être réduites en rééquilibrantles conditions de fonctionnement du commerceinternational. Elles doivent être réduites, d’autrepart, en développant des contreparties en direc-tion des pays d’origine (formation au sein de cespays, aides aux échanges de coopération, aides endirection d’associations agréées permettant undéveloppement économique et social effectif dansles pays d’origine…), en privilégiant le soutienaux acteurs locaux. Une aide possible à cesacteurs locaux pourrait par exemple passer par unabondement sur tous les transferts de fondsenvoyés par les migrants depuis les pays d’accueilvers leur pays d’origine.

Parallèlement à ce nécessaire rééquilibrage desbénéfices liés aux flux migratoires, la liberté de cir-culation et d’établissement doit être reconnue

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comme un droit fondamental, conformément auxarticles 13 et 14 de la Déclaration universelle desdroits de l’homme de 1948. De surcroît, lesmêmes droits fondamentaux que pour les citoyensnationaux doivent être octroyés aux immigrés.

La reconnaissance de ces droits fondamentauxappelle un ensemble de mesures concernant lesétrangers déjà présents sur le territoire et lesétrangers conduits à y entrer.

La transition vers une nouvelle politique migra-toire ouverte et humaniste implique ainsi unerégularisation de tous les sans papiers actuelle-ment sur le territoire français (dont beaucoupsont exploités du fait de leur absence de statut),une dépénalisation du séjour irrégulier, l’instaura-tion d’un caractère suspensif à tout recours dessans papiers et l’abolition de toute rétention admi-nistrative. Les restrictions au regroupement fami-lial doivent être abandonnées. Enfin, une luttedoit être menée contre les entreprises des paysd’accueil qui cherchent à exploiter l’immigrationclandestine et contribuent en premier lieu à appe-ler ces immigrants.

L’ensemble des migrants actuellement enFrance doit disposer, sur simple demande, d’uneautorisation de séjour et de travail de longuedurée (titre de séjour unique et renouvelable). Unéventuel refus, motivé, ne pourra être justifié quepar les risques avérés que ce migrant ferait courirà la nation ou aux personnes.

Des formations spécifiques d’adaptation doi-vent être proposées (enseignement linguistique,formations complémentaires) ainsi que les condi-tions d’une intégration à la vie de la cité (dont ledroit de vote aux élections locales, l’intégration aumonde associatif…).

Des actions volontaristes de coopération avec

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les pays en développement seront favorisées, nonseulement sur les questions économiques, maiségalement sur l’ensemble des dimensionshumaines et sociales. Elles impliqueront, sur labase du volontariat, les migrants et les associationsqui le souhaitent.

Ce codéveloppement s’appuiera sur :• un encouragement des migrations temporaires

(études, bourses, échanges de savoirs…) dans lamesure où celles-ci s’inscrivent dans une logiqued’allers-retours entre pays d’accueil et pays d’ori-gine et où, par des incitations au retour dans lespays d’origine, elles favorisent le développementde celui-ci et le retour des personnes qui le sou-haitent ;

• un développement des échanges d’éducateurs,d’enseignants, d’artistes sur la base de projetsbilatéraux, une reconnaissance réciproque desdiplômes…;

• l’attribution automatique d’un statut (titre deséjour, droits fondamentaux) de longue durée. Eneffet, ce n’est que sur la base d’un statut stable etde longue durée que des coopérations durablespeuvent être entreprises par les immigrés avecleur pays d’origine. La double nationalité pourraêtre accordée après cinq ans de résidence auxétrangers attestant d’une maîtrise minimum de lalangue nationale, ouvrant ainsi le droit de vote àl’ensemble des élections ;

• les facilités accordées aux migrants issus despays en développement pour effectuer des trans-ferts de fonds. Les études montrent en effet queces transferts constituent un mode de coopérationprivilégié, notamment pour les personnes moinsqualifiées, avec leur pays d’origine. Il s’agit doncde limiter les frais liés à ces transferts, de favoriserdes transferts collectifs (via des associations por-

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teuses de projets locaux) et d’inciter les immi-grants (notamment par une fiscalité adaptée) àinvestir dans leur pays d’origine de manière coor-donnée avec les besoins du pays.

Ces mesures complètent l’aide au développe-ment (financière et technologique) qui devra êtreaccrue en direction des pays les plus pauvres.

La politique migratoire ouverte et humaniste enfaveur de laquelle se positionne Utopia est néces-saire et réaliste, comme l’attestent plusieurs tra-vaux scientifiques 1.

Elle est nécessaire parce que les pays riches ontlargement contribué à créer la « pression migra-toire » et à l’alimenter, rendant inopérante etinjuste toute politique de restriction migratoire.Les pays riches ont en effet développé bien davan-tage l’ouverture aux échanges de marchandisesque les possibilités de migration, tout en excluantprogressivement les pays les plus pauvres deséchanges de marchandises.

De plus, de nombreuses entreprises, au sein despays riches, ont contribué à développer l’exploita-tion d’un travail clandestin et à encourager lesconditions d’un esclavagisme moderne. Enfin, lespays riches ont aggravé la situation en baissantleurs aides aux pays en développement depuis lesannées quatre-vingt-dix.

Pour ces raisons, une politique migratoireouverte et humaniste est nécessaire. Elle est aussiréaliste. Réaliste parce que les études menées surcette question montrent que les appels d’airqu’une telle politique engendrerait seraientminimes et qu’elle accélèrerait au contraire le

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1 Travaux coordonnés par El Mouhoub Mouhoud (écono-miste).

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développement des pays d’origine et les incita-tions des migrants à rester ou à retourner dansleurs pays. Les migrants accueillis dans de bonnesconditions, qu’ils soient qualifiés ou non, main-tiennent des liens avec leur pays d’origine.

Les migrants les plus qualifiés, relativement plusreprésentés parmi les migrants des pays les pluspauvres, sont amenés à coopérer, à faire des allers-retours entre leur pays d’accueil et d’origine, à yréaliser des investissements lorsqu’ils bénéficientde statuts de long terme. Parallèlement, les poli-tiques migratoires qui acceptent les migrants peuqualifiés favorisent les transferts de fonds vers lespays d’origine et donc, le plus souvent, le déve-loppement d’activités économiques et sociales auniveau local. En effet, ces transferts, qui représen-tent aujourd’hui bien plus que l’aide directe auxpays en développement, sont relativement plus lefait des migrants non qualifiés que des migrantsqualifiés.

Parce que la politique de l’immigration est unenjeu majeur pour nos sociétés, Utopia souhaitedéfendre et argumenter la nécessité, pour les paysriches comme pour les pays pauvres, de s’orientervers une politique ouverte et humaniste desmigrations.

Pour une démarche résolumentféministe

Utopia revendique une démarche féministe.Militer pour le droit des femmes, c’est militer

pour le droit de tous, comme le proclamait MaryWollstonecraft, économiste, dans le cadre de sonanalyse des inégalités sociales entre les sexes, enétablissant que toutes les inégalités – entre lessexes, les classes, les races, les nations – sont liées

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entre elles. « Les femmes ne sont ni une race, niune classe, ni une ethnie, ni une catégorie », rap-pelle Gisèle Halimi dans Le Monde en 1997.« Elles se trouvent dans tous ces groupes, elles lesengendrent, elles les traversent. »

Le combat pour l’égalité des sexes est un desplus radical. Les historiens et anthropologuesl’ont vérifié maintes fois. Aucune civilisation n’ena fait une question mineure, car à travers cettequestion, il y a tout le problème du rapport àl’autre, différent et identique. Dans toutes lessociétés, de tous temps, le masculin a plus de pou-voir que le féminin

Cette histoire a marqué les imaginaires durable-ment (les contes de fées, par exemple, mais tantd’autres choses aussi) et le XXe siècle, que l’on a puappeler le siècle des femmes (Michèle Perrot), n’aévidemment pas suffi à modifier en profondeur ceregard qui date de plusieurs millénaires. Il est vraiqu’avec la maîtrise de la contraception, la questionde l’enfantement a changé : les femmes sont deve-nues des sujets autonomes. « Les hommes per-dront la fière conscience de leur virilité féconde »,avait déclaré un éminent homme politique en1967, lors des débats sur la contraception.

Le XXe siècle fut aussi celui de l’émancipation,par l’accès à une autonomie financière via l’emploi.

En trente ans, nous sommes passés d’un modèleoù les femmes restaient majoritairement à la maisonà s’occuper des enfants et des tâches domestiques,à un modèle où les femmes, désormais plus diplô-mées que les hommes, sont très majoritairementactives, y compris avec des enfants en bas âge.

Il aura cependant fallu attendre le milieu dusiècle pour que le deuxième sexe soit reconnucomme digne de la société laborieuse et de lasociété politique ! La France étant une des der-

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nières « démocraties » occidentales à accorder ledroit de vote à la moitié de sa population. Oncomprend à ce constat amer les combats qu’il afallu mener et qui laissent encore des traces.

Mais l’accès au monde du travail a aussi engen-dré des inégalités. Les femmes sont particulière-ment touchées par la trop faible reconnaissancedes différents temps de la vie (activités sociales,parentales, politiques, amoureuses, de produc-tion…). Pour Utopia, l’activité humaine est plu-rielle (sociale, parentale, politique, amoureuse) ettoutes ces activités sont nécessaires à un dévelop-pement humain de nos sociétés.

Sur cette problématique, l’État a un rôle centralà jouer, notamment à travers l’Éducation civiqueet l’Histoire des femmes. Elle contribuera à don-ner à chacun des repères pour dépasser les rap-ports stéréotypés qui régissent trop souvent lesrelations hommes/femmes. Les hommes doiventprofondément changer de comportement etconcevoir différemment l’articulation des tempsde la vie au sein du couple.

La société et les institutions doivent aussi évo-luer. Aujourd’hui, « les modes de garde des jeunesenfants et les rythmes scolaires sont restés organi-sés sur l’idée qu’il y a toujours quelqu’un, la mère,qui vient chercher l’enfant à la sortie de l’école ets’en occupe à la maison. Le temps parental, prisen charge aux deux tiers par les femmes, expliqueen grande partie les inégalités professionnelles. Cesont encore les femmes qui s’arrêtent de travaillerà la naissance d’un enfant ou qui diminuent leurinvestissement professionnel, elles qui rentrentplus tôt le soir, qui refusent les promotions 1 ».

Devenir mère reste un frein à la carrière profes-

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1 Dominique Méda, Le Temps des femmes, 2001.

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sionnelle : une sur trois modifie son travail aprèsun premier enfant (étude CEREQ 2007), 17 %passent à temps partiel, 11 % changent de posteou acceptent une mutation, 7 % démissionnent,et 4 % prennent un congé parental à temps com-plet. 20 % des jeunes femmes qui ont plusieursenfants sont inactives. Alors qu’être père a peu deconséquence sur la vie professionnelle d’unhomme : neuf sur dix déclarent que la naissancede leur enfant n’a rien changé. À noter égalementque, pour les femmes diplômées ayant au moinsun Bac + 3, l’écart de salaire atteint 12 % entre lesjeunes mères et les femmes sans enfant.

Les chiffres du temps partiel aussi sont élo-quents : 27,1 % des femmes actives le sont àtemps partiel, contre 4,7 % des hommes, et prèsd’un tiers d’entre elles subissent un temps partielcontraint. L’implication des hommes dans lestaches ménagères reste toujours faible, selon uneétude du CEREQ. Même si la femme parvient àconstruire une carrière, l’organisation domestiquecontinue à reposer sur ses épaules.

Le salaire des femmes ne représente, enmoyenne, que 84 % de celui des hommes, à qua-lification et poste identiques dans la zone OCDE.Les opportunités de devenir cadre sont égalementbien inférieures (seuls 7 % des cadres dirigeantssont des femmes).

Nous voulons « déspécialiser les rôles », c’est-à-dire favoriser un rééquilibrage des rôles entrel’homme et la femme, en impliquant fortement lespères dans la vie parentale, en leur donnant l’oc-casion de relativiser leur investissement dans letravail. Dans ce sens, l’ensemble des dispositifs dela politique familiale doit être revu, pour per-mettre aux hommes et aux femmes de concilier aumieux leur vie professionnelle et leur vie paren-

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tale. La société doit garantir à chacun un vraitemps : un temps pour les activités familiales(pour les parents, mais aussi pour les enfants),pour les activités sociales, productives et, bienentendu, du temps pour soi.

Parce que la réduction du temps de travail per-met une meilleure répartition des rôles et destâches domestiques et familiales, et donc un accèsplus égalitaire à l’emploi, Utopia s’engage enfaveur de la semaine de 32 heures comme étapesupplémentaire de la RTT. Nous souhaitons éga-lement allonger de façon significative le congé depaternité et le congé parental.

Parce que ces inégalités sont d’autant plus fortesque la condition sociale des femmes est précaire,nous veillerons, dans le Code du travail, à renfor-cer la législation concernant le délai de préve-nance et la flexibilité des horaires, et à permettrepar la loi aux salariés d’augmenter ou de diminuerleur temps de travail avec des possibilités de refustrès limitées pour l’employeur, comme c’est le casaux Pays-Bas. Nous souhaitons que la parité soiteffective pour l’ensemble des institutions ou ins-tances représentant les salariés (comité d’entre-prise, délégué du personnel, prud’hommes…).

Nous devons parallèlement donner les moyensaux inspecteurs du travail de sanctionner les entre-prises où il existe des écarts de traitement entrehommes et femmes. Nous proposons la créationde comités paritaires nationaux, régionaux etdépartementaux d’égalité des chances, sur lemodèle de ceux créés en Scandinavie. Ils auraientpour mission de suivre les embauches, les promo-tions, de recueillir les plaintes, de les examiner, defaire œuvre de conciliation quand cela est possible,et d’aller en justice quand cela ne l’est pas.

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Nous nous prononçons également en faveur :• d’une parité effective de la représentation

nationale et locale.Pour l’Assemblée nationale, nous reprenons à

notre compte la proposition qui consiste à diviserpar deux le nombre de circonscriptions et à pré-senter un « ticket paritaire » qui conduirait méca-niquement à la parité (division du nombre decirconscriptions par deux, avec élection de deuxtitulaires de sexe différent par circonscription).Cette démarche de discrimination positive forte etrésolue devra s’appliquer aux autres élections, enfonction de leurs spécificités ;

• d’une imposition séparée au sein du couple,car plus juste et plus en accord avec l’évolution dela société ;

• d’investissement dans les centres d’IVG ainsique dans une sensibilisation à la sexualité assuréepar les infirmières scolaires ou des associationsreconnues d’utilité publique dans les lycées et lescollèges ;

• de la mise en place de travail en réseau quiassure une prise en charge des femmes victimes deviolences dès l’accueil dans les commissariats pardes personnels formés à cet effet. La mise en placed’un nombre suffisant de lieux d’accueil adaptés(soutien psychologique, juridique, aide au loge-ment…) doit être assurée.

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Approfondir notre démocratie

Nous voulons une démocratie qui s’exerce à tra-vers la puissance publique et donc essentiellementà travers un système représentatif. Nous voulonségalement une démocratie qui s’appuie surchaque citoyen en offrant à chacun la possibilitéde s’impliquer et de devenir un acteur à partentière dans l’entreprise et dans la société au senslarge. Nous souhaitons donc un équilibre et unéchange permanent entre ces deux formes essen-tielles de délibération collective, représentative etcitoyenne.

Les institutions et la démocratielocale

Institutions nationales : vers une véritableVIe République

Notre Constitution de 1958 est aujourd’hui enfin de vie. La nécessité d’en changer est ressentiepar beaucoup et la gauche, quand elle fut au pou-voir, n’a guère brillé par son audace. Résultat, àl’exception des élus locaux, le fossé ne cesse de secreuser entre les citoyens et la classe politique.

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Pourtant, le débat sur la Constitution européennea montré que les citoyens pouvaient s’impliquer etse passionner pour ces questions.

Utopia prend acte de cette volonté, mais ausside la dérive monarchiste ou bonapartiste quicaractérise de plus en plus le régime présidentielactuel. Par la toute puissance de l’exécutif, cerégime de fait réduit le Parlement à une chambred’enregistrement et de spectacle démocratique,remettant en question l’existence même d’uneréelle démocratie parlementaire.

Utopia se prononce globalement sur le passageà la VIe République sur la base des 30 propositionsénoncées fin 2002 par le groupe de la C6R. Cesdernières reposent sur le renforcement du rôle duPremier ministre et du Parlement, l’élargissementdu référendum, le non-cumul des mandats et lalimitation de leur durée à 5 ans, le droit de votedes étrangers, la réforme de la justice, l’introduc-tion d’une dose de proportionnelle…

Utopia va beaucoup plus loin, en proposant lasuppression pure et simple du poste de président dela République.

Nous proposons en effet un Premier ministreélu par les parlementaires, qui devra constituer ungouvernement. Celui-ci ne pourra être renverséque par une majorité de députés sans pour autantrevenir à l’instabilité gouvernementale de laIVe République, le scrutin parlementaire restantprincipalement majoritaire.

Utopia considère, contrairement à la penséeactuellement dominante, que l’existence d’un pré-sident de la République élu au suffrage universelest paradoxalement une régression démocratique.Attardons-nous sur ce point car cette élection estcentrale et déterminante pour l’ensemble de la viepolitique dans le système français.

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À première vue, notamment en regard des tauxde participation lors de la dernière élection prési-dentielle, on pourrait croire que cette électionpermet aux citoyens de se réapproprier le champdu politique. Mais chacun a pu voir qu’à sixsemaines d’intervalle entre les élections présiden-tielles et législatives de 2007 le taux de participa-tion a chuté de plus de 20 points.

L’élection et la fonction du président de la Répu-blique ont de fait quatre principaux défauts :

• l’archaïsme car elles font appel à un espritmonarchique (la rencontre d’un homme avec sonpeuple) ;

• le pouvoir exorbitant accordé à un homme, endehors de tout principe de responsabilité et decontrôle. D’un point de vue républicain, le mytherégressif de l’homme providentiel est d’un granddanger démocratique ;

• la délégitimation de la démocratie représenta-tive : le Parlement ne devient qu’une courroie detransmission d’un exécutif totalement subor-donné au Président ;

• la lecture d’une orientation politique à traversun seul individu aboutit à une « peoplelisation »du champ politique. La télévision privilégie l’émo-tion par rapport à l’information, et devient l’ins-trument décisif de l’élection. Elle impose souventsuperficialité et démagogie. On assiste alors à unesorte de « star académie » politique, où les candi-dats s’éliminent sous la pression d’une démocratied’opinion.

Pour qu’un pays soit pleinement démocratique,il est nécessaire que les trois pouvoirs écono-miques, politiques et médiatiques soient totale-ment indépendants les uns des autres.

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Refonder notre démocratie localeUne nouvelle étape de la décentralisation doit

être mise en œuvre : l’étape démocratique. Notredémocratie locale doit être toujours, et plus quejamais, fondée sur le principe de représentationpar l’élection, mais elle doit reposer également surla participation permanente des citoyens. Cettedémocratie permanente s’imagine dans unesociété du temps libéré qui permet à chacun des’investir dans la construction de l’intérêt général.

La mise en œuvre de cette orientation supposeavant tout l’exercice du mandat de député à titreexclusif, de manière à faire de l’Assemblée natio-nale une Chambre représentant l’intérêt général.Cela suppose également de conduire une réformedémocratique aux différents échelons territo-riaux.

Certains, notamment à droite, ont vite estiméqu’à partir du moment où les collectivités localesavaient des assemblées délibérantes élues au suf-frage universel direct, la décentralisation étaitachevée. C’est désormais le citoyen qu’il fautimpliquer directement dans la construction despolitiques locales. Mais démocratiser ne signifie nifaire de la démagogie, ni rendre les collectivitésingouvernables. Il faut viser un juste équilibreentre les pouvoirs (élus majoritaires et administra-tions centrales et territoriales) et les contre-pou-voirs (autres qu’élus minoritaires) : syndicats,associations, contrôles citoyens, référendums…

Ainsi, au niveau municipal, nous sommesconvaincus qu’il faut enrichir les outils dispo-nibles de la démocratie participative pour en fairedes instruments aux mains des citoyens et non auxmains des maires. Nous sommes ainsi en faveurd’une généralisation aux communes de plus de3500 habitants des conseils de quartier, véritables

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instances de débats et d’interpellation, et de lesdoter d’une délégation budgétaire significative.

Il faut donner également des instruments sup-plémentaires aux élus minoritaires, par exempledonner à l’opposition le pouvoir de déposer desprojets de délibérations au cours d’au moins uneséance de conseil municipal par an.

Par ailleurs, des outils donnant du pouvoir audroit de pétition doivent être envisagés, commel’obligation pour l’assemblée communale d’inscrireune question à son ordre du jour dès lors qu’un cer-tain nombre de signataires l’exigent. Les référen-dums locaux devront par ailleurs être rendusobligatoires. Ils auront alors valeur décisionnelle.

Enfin, les Conseils d’intercommunalité devrontêtre plus démocratiques et transparents. Ils serontélus au suffrage universel le même jour que lesélections municipales parmi les candidats à cesélections.

Notre projet ne pourra s’affranchir d’une bonnelisibilité du système décisionnel. Il faut êtrecapable, a minima, d’identifier qui fait quoi pourque le contrôle populaire soit possible :

• la région : administration de développement,capable de gérer ce qui transcende les particula-rismes locaux (les grands réseaux, les grands équi-pements, le développement local) ;

• le département : responsable des politiquessociales ;

• l’intercommunalité : responsable des réseauxd’équipement ;

• la commune : responsable de l’utilisation dessols, la démocratie de proximité (logements, soli-darité, enfance, sports, culture…).

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Pour une économie sociale etsolidaire

L’économie sociale et solidaire, un secteurincontournable

On nous propose une vision binaire des acteurséconomiques de notre société. D’un côté, desentreprises privées qui obéissent aux lois du mar-ché, et de l’autre la puissance publique au senslarge (État, collectivités territoriales) qui fournitdes biens et services collectifs. Entre ces deuxpôles, il y a pourtant une place pour le dévelop-pement d’un secteur à part entière : l’économiesociale et solidaire.

Ce troisième secteur regroupe des acteurs diffé-rents (coopératives, associations…) qui ont pourprincipal objectif de renforcer le lien social.

Que ce soit dans l’action sociale, la culture, lasanté, le sport ou la formation, ce secteur estaujourd’hui incontournable et représente 1,2 mil-lion d’emplois, soit 9 % de l’ensemble desemplois salariés.

L’une des caractéristiques de l’économie socialeet solidaire est la mixité des ressources finan-cières, privées et publiques. En effet, ce secteurtire ses revenus à la fois de la vente de services,mais aussi de subventions publiques.

Elle est créatrice de nouveaux emplois, souventde proximité et non délocalisables. Elle participepleinement à l’activité sociale, économique etdémocratique des territoires.

Certaines des activités de l’économie sociale etsolidaire sont connues : aide aux personnes, loge-ment des exclus, structures d’insertion, régies dequartiers, éducation populaire, recyclage… Cetteéconomie permet également, face à la montée des

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exclusions, l’insertion par l’activité économiquede chômeurs de longue durée. Mais les nouvellesdynamiques d’économie solidaire qui s’exprimentdepuis plusieurs décennies en Europe (comme surd’autres continents) ne peuvent en aucun cas êtreréduites à une fonction palliative. L’enjeu estbeaucoup plus large, il s’agit de démocratiserl’économie à partir d’engagements citoyens 1.

Au Sud, les initiatives solidaires visent à sortirdes tactiques de survie propres à l’économie infor-melle ou parallèle par une structuration collectivequi permet d’exprimer des revendications et denégocier avec les pouvoirs publics (par exemple,les forums régionaux et nationaux de l’économiesolidaire au Brésil).

Au Nord, elles représentent une nouvelle dyna-mique économique constituée à partir de la viequotidienne, tout en étant guidées par la recherchede justice sociale. Par leur dimension politiqueassumée, elles questionnent l’économie sociale ins-tituée et suscitent une réflexion en son sein.

Opposées au Sud comme au Nord à un mode dedéveloppement dominant qui accentue les inégali-tés, ces initiatives solidaires proposent des moda-lités d’action qui font avancer concrètement laperspective d’une autre relation entre économie etsociété.

La composition du Mouvement d’ÉconomieSolidaire (MES) témoigne de ce nouvel élan. Auniveau national, il regroupe en particulier : Arti-sans du Monde, Clubs d’Investisseurs pour uneGestion Alternative et Locale de l’Épargne Soli-daire (CIGALES), Comité Chrétien de Solidarité

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1 Pour une présentation de la réalité de l’économie solidairesur différents continents, cf. J.L. Laville (dir.), L’Économiesolidaire, une perspective internationale, Paris, Hachette,2007.

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avec les Chômeurs (CCSC), Fédération NationaleAccueil Paysan, Mouvement National des chô-meurs et des Précaires (MNCP), Mouvementpour le Développement Solidaire (MDS), Peupleet Culture, Peuples Solidaires, Progrès, Les Régiesde quartier (CNLRQ), Réseaux d’activités d’Éco-nomie Solidaire (REACTIVES), Union Fédéraled’Intervention des Structures Culturelles (Ufisc)1.

Par ailleurs, les AMAP et l’économie participa-tive ouvrent des voies complémentaires. Ellesaxent leur développement sur des rapports d’inté-rêts solidaires entre producteurs et consomma-teurs, mais également sur une relocalisation del’économie face à sa globalisation.

L’imagination n’est pas encore au pouvoir, maiselle ouvre des voies multiples. Elle montre que laglobalisation, qui uniformise la pensée écono-mique et sociale, peut ne pas être définitivementvictorieuse. La réconciliation entre l’économiqueet le social n’est pas un acte de résistance, mais lavolonté de s’ouvrir sur l’avenir, de transformerl’impasse dans laquelle on voudrait enfermer lespeuples du monde, en un vaste champ d’expéri-mentations et de réalisations.

L’économie solidaire 2

L’économie solidaire doit être encouragée etsoutenue, car « elle constitue une résistance puis-sante à l’individualisme marchand qui mine lasociété et une capacité d’influence sur l’économiede marché » (Manifeste de l’économie solidaire, àl’initiative de France Active.)

L’apport de l’économie solidaire se situe princi-palement dans trois domaines :

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1 Pour en savoir plus : www.le-mes.org2 D’après J.-L. Laville (professeur au CNAM), L’Économiesolidaire, Hachette, Paris 2007.

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• l’emploi,• la cohésion sociale,• la démocratie participativeL’emploi : cette économie va au-delà de l’inser-

tion ou du traitement social du chômage. Si l’éco-nomie solidaire peut contribuer à l’insertion, ellene s’y limite pas, et les emplois qu’elle offre doi-vent être des emplois stables. Il est cependantnécessaire que les pouvoirs publics aident aufinancement en distinguant l’aide au montage (enmoyenne un an de travail nécessaire avant ledébut des activités) et l’aide au démarrage par lesoutien à la contribution de fonds de roulement ouau recrutement d’un premier encadrant.

La cohésion sociale : l’économie solidaire, forte-ment présente dans les services, s’inscrit largementdans un espace intermédiaire entre services privéset services publics parce qu’elle propose des ser-vices qui sont à la fois personnalisés et collectifs,au sens où ils engendrent des bénéfices pour lacollectivité et contribuent à la cohésion sociale.

La démocratie participative : toutes les initiativesde l’économie solidaire reposent sur une fortemobilisation et implication des acteurs. Comme leprouve l’exemple brésilien, la constitution deforums est décisive pour que l’enjeu de l’écono-mie solidaire reste accessible à tous. Il est impor-tant que la puissance publique facilite par desmoyens financiers l’existence de tels espacespublics de débat.

L’économie sociale et solidaire ouvre de nou-veaux champs démocratiques

Le développement de l’économie sociale et soli-daire nous renvoie à la forme même de démocra-tie dans laquelle nous souhaitons vivre. Nousvoulons, bien entendu, une démocratie quis’exerce à travers la puissance publique, et doncessentiellement à travers un système représentatif.

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Nous voulons également une démocratie qui s’ap-puie sur chaque citoyen en offrant à chacun lapossibilité de s’impliquer et de devenir un acteurà part entière dans l’entreprise et dans la sociétéau sens large. Nous souhaitons un équilibre et unéchange permanent entre ces deux formes essen-tielles de délibération collective.

Le développement de l’économie sociale et soli-daire, d’un tiers secteur fort et reconnu, est un desleviers pour atteindre cet idéal ambitieux.

Le défi est d’inventer de nouvelles formes derégulation démocratique de l’économie. Danscette perspective, tout en préservant la distinctionconceptuelle entre sphères politique et écono-mique, il convient d’admettre que la poursuite duprocessus de démocratisation dans les sociétéscontemporaines appelle une démocratisation del’économie, ce qui suppose la pénétration desprincipes démocratiques dans les activités de pro-duction, d’échange, d’épargne et de consomma-tion. Sinon, la sphère politique ne peut que serestreindre continûment, la logique économiquesoustrayant à la délibération publique un nombresans cesse croissant de sujets.

L’économie sociale et solidaire implique doncun objectif social fort, une implication d’acteursdifférents, une délibération collective, une évalua-tion pluraliste, une territorialisation facteur dedéveloppement local.

Que ce soit à l’école, à la campagne, à la ville ouentre les générations, il faut donner toute sa placeà ce qui fonde notre « vivre-ensemble ».

Les SCOP, une forme de démocratie socialeHéritières de l’histoire de l’économie sociale, les

SCOP sont des entreprises autonomes, dont le

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capital est détenu par les salariés qui décidentensemble de leur avenir sur la base de la règle« une personne = une voix ». Les SCOP sont por-teuses d’un autre partage de la valeur ajoutée,favorable aux travailleurs et au développement àlong terme, et d’une autre vision des relations detravail, moins hiérarchiques.

Les SCOP sont conçues pour mettre l’homme etnon le capital au centre de l’activité économique.

Trop peu connu, le mouvement coopératifapplique au monde de l’entreprise les trois idéauxde notre République :

• Liberté : liberté d’initiative économique quelque soit le niveau de revenu, liberté d’adhérer ounon à la coopérative, liberté de parole et d’infor-mation au sein de l’entreprise ;

• Égalité : égalité de vote entre les personnes,souci d’équité dans la répartition des revenus etdes bénéfices, égalité des savoirs qui engagentl’avenir de l’entreprise ;

• Fraternité : répartition des bénéfices très favo-rable au travail, forte réduction de l’échelle dessalaires, relations hiérarchiques croisées (électiondes dirigeants par les salariés associés), recherchedu maintien de l’emploi, participation au déve-loppement local. Solidarité aussi pour les généra-tions futures, par les réserves impartageables etpour les autres coopératives, grâce aux mouve-ments coopératifs régionaux et nationaux.

Plus d’un million de salariés en Europe, 60000coopératives, les Sociétés Coopératives Ouvrièresde Production ne sont pas une forme marginaled’entreprise, comme certains voudraient le fairecroire. Il est vrai que la France fait pâle figure,avec 1400 SCOP employant 35000 personnes,alors que les salariés coopérateurs sont plus de

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170000 en Espagne, 250000 en Italie, 300000 enAllemagne et 313000 chez les nouveaux membresde l’Union Européenne.

On le voit, le mouvement reste relativementmodeste en taille dans l’économie hexagonale,mais il fait preuve d’un réel dynamisme. Uneréflexion sur la démocratie sociale ne peut pasl’ignorer. Au contraire, mieux le comprendre,explorer ses perspectives, y participe pleinement.

L’objectif des SCOP reste avant tout d’instaurerune véritable démocratie à l’intérieur de l’entre-prise, en offrant une alternative économiquementefficace, socialement durable et porteuse devaleurs.

Celles-ci sont rappelées dans la déclaration duCongrès de l’Alliance Coopérative Internationale(ACI), qui s’est tenu à Manchester en 1995 : « Laprise en charge et la responsabilité personnelles etmutuelles, la démocratie, l’égalité, l’équité et lasolidarité. Fidèles à l’esprit des fondateurs, lesmembres des coopératives adhèrent à une éthiquefondée sur l’honnêteté, la transparence, la respon-sabilité sociale et l’altruisme ».

Si chaque SCOP applique en interne le principede solidarité, celui-ci existe également à l’externepar l’intermédiaire d’un mouvement fédérateur.Financé par les cotisations de ses membres, sonrôle s’étend à la formation, les œuvres sociales (cequi rappelle la proposition de modification durôle des CE sur ce point), le soutien en cas de pro-blèmes financiers.

Dans les 15 prochaines années, la transitiondémographique peut être une opportunité pourrelancer les SCOP : 500000 PME françaises,employant 2 millions de personnes, vont changerde mains parce que leurs propriétaires vont partirà la retraite.

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Beaucoup d’études ont été réalisées sur ce phé-nomène inquiétant en termes d’emplois. Peu desolutions ont été avancées, si ce n’est l’appétit desbanques, qui se verraient bien dans le rôle dumarieur et des fonds d’investissement ou de LBO 1

qui écrémeraient volontiers ce marché.Pourquoi ne pas favoriser dans ces conditions

une solution qui permettrait à tous les salariés quile souhaitent de prendre leur destin professionnelen mains, tout en favorisant le mieux-disantsocial ?

L’État et les collectivités locales doivent doncencourager très fortement les reprises et les créa-tions d’entreprises par les salariés sous forme decoopératives (mesures fiscales, mesures d’accom-pagnement à la transmission aux salariés, infor-mations aux dirigeants, règles d’achat public,création de fonds d’investissement public pourl’aide à la transmission, actions sur la forma-tion…).

Les salariés, bien formés et informés sur les réa-lités économiques, sont à même de nommer (et dedémettre) leurs dirigeants, de faire librement leschoix stratégiques dont dépend leur propre ave-nir. Nous affirmons que les valeurs de coopérationsont plus efficaces que les valeurs de concurrence.

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1 Leverage Buy Out : l’achat de l’entreprise, en général par unfonds d’investissement, est financé principalement par l’em-prunt qui est, à son tour, remboursé par les profits généréspar l’entreprise elle-même.

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Refonder notre démocratiesociale et conquérir de nouveauxdroits

Dans les temps sociaux de chaque citoyen, letemps consacré à la production est, et restera pourlongtemps encore, un temps structurant. À cetitre, comme dans les autres sphères de leur vie,les salariés doivent bénéficier de droits forts leurpermettant de construire un rapport de forceéquitable. Ils doivent également pouvoir s’organi-ser collectivement afin de faire vivre une véritabledémocratie sociale. Or, l’analyse de la crise du tra-vail et de l’emploi montre l’écart grandissant entrela réalité des enjeux et l’exercice des pouvoirs col-lectifs des salariés face aux détenteurs du capital.

Refonder notre démocratie socialeUn véritable dialogue social ne peut exister que

si les syndicats retrouvent leur légitimité à porterles aspirations des salariés, et si ces salariés sontdotés de réels pouvoirs pour intervenir dans la vieéconomique en général, dans leur branche profes-sionnelle et dans leur entreprise en particulier.

Actuellement, avec seulement 8 % de salariésaffiliés à des organisations syndicales (principale-ment dans de grandes entreprises publiques ouprivées), notre démocratie sociale traverse unecrise de légitimité. Le politique doit donner aumouvement syndical les outils et les moyensappropriés, tout en préservant son indépendance.

Réformer la représentativité des syndicatsNous mettrons fin au système actuel de repré-

sentation fondé sur les 5 centrales syndicales « his-toriques » (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC). Cette

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mesure permettra à d’autres syndicats (à SUD et àl’UNSA, par exemple) de prendre une place pluscohérente avec leur implantation et leur influence.

Cette refondation de la démocratie dans l’entre-prise implique l’instauration d’accords réellementmajoritaires reposant sur une démarche positivede ratification et non, comme à l’heure actuelle,sur une procédure complexe de « droit d’opposi-tion ». Un accord de branche ou d’entreprise nepourra être valable que s’il est signé par un ou plu-sieurs syndicats représentant la majorité des sala-riés.

Privilégier la représentation de la majorité abso-lue des salariés concernés a comme avantage deprogresser vers un dialogue social plus respon-sable, mais aussi plus audible par les salariés. Lacrédibilité des partenaires sociaux en ressortirarenforcée.

Pour un financement public des organisations syn-dicales

Le financement des organisations syndicalesrepose sur des systèmes complexes et opaques, ausein desquels la cotisation des syndiqués ne repré-sente que 20 % du financement total.

Nous souhaitons donc instaurer un financementpublic sur le modèle utilisé actuellement pour lespartis politiques. Le financement des syndicatssera issu d’un impôt spécifique et identifié versépar chaque citoyen et par chaque entreprise.

Nous proposons des élections nationales tousles trois ans permettant de connaître la représen-tativité de chaque organisation. Une enveloppeglobale définie par le Parlement serait ensuiterépartie entre tous les syndicats, au prorata dessuffrages obtenus.

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Pour une représentation de tous les salariésIl existe dans notre pays deux catégories de sala-

riés. Ceux des grandes entreprises qui bénéficientd’institutions représentatives et de syndicatsreconnus par l’employeur. Ce n’est pas le cas pourceux qui travaillent dans les PME et TPE demoins de 50 salariés. Leur permettre l’élection dedélégués de bassins d’emploi ou de comitéslocaux de branches dotés des mêmes prérogativesque les comités d’entreprises permettrait de pal-lier en grande partie cette injustice.

En outre, des « maisons du salariat et desmétiers » regrouperaient au niveau de chaque ter-ritoire ou bassin d’emploi les représentants desorganisations syndicales et patronales, les éluslocaux, le service national de l’emploi. Réunissantl’ensemble des acteurs économiques, leur rôleserait triple : être le lieu référent pour la recherched’un emploi, d’une activité ou d’une orientationsprofessionnelle, construire un dialogue sociallocal et élaborer les conditions du développementéconomique local.

La faiblesse des rémunérations et les mauvaisesconditions de travail dans les petites entreprisessont souvent le résultat du développement de lasous-traitance par les grands groupes d’une partiede plus en plus importante de leur production.Pour empêcher de tels abus, il convient de prévoirdans les contrats de sous-traitance des clausessociales fondées sur les conventions et accordsd’entreprise des donneurs d’ordre. Étendre cetteobligation aux contrats passés avec des fournis-seurs étrangers constitue également un moyen deprévenir les délocalisations et de soutenir desvaleurs humanistes.

Chaque salarié, quelle que soit la taille de sonentreprise, devra recevoir une information com-

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plète en même temps que sa lettre d’embauche :règlement intérieur, convention collective dont ilrelève, un livret résumant ses droits et devoirs, lenom et les coordonnées des représentants dessalariés auxquels il est susceptible de s’adresser.

Enfin, nous proposons de donner le droit de sesyndiquer aux militaires (soldats et gendarmes),sur le modèle de ce qui existe pour la police, lesservices de secours et de santé et l’administrationpénitentiaire.

La participation des salariés aux actes de gestion del’entreprise

Nous nous prononçons pour la mise en placed’un droit de veto d’une majorité qualifiée d’orga-nisations syndicales dans le cas où l’entrepriseenvisagerait des licenciements alors qu’elle (ouson groupe) enregistre des résultats positifs.

Par ailleurs, nous nous positionnons pour uneréforme des comités d’entreprise.

Les comités d’entreprise datent de 1945, soitplus de soixante ans d’existence. Progressivement,leur rôle a évolué. De gestionnaire des œuvressociales, ils sont devenus également les principauxcontre-pouvoirs économiques de l’autorité duchef d’entreprise. Ne serait-il pas temps de disso-cier ces deux fonctions? D’un côté, la fonctionéconomique des comités d’entreprise serait ren-forcée. De l’autre, la gestion des œuvres socialesserait cédée à un autre organisme et retrouveraitainsi son objectif de solidarité entre les salariés enétant mutualisée (non pas au niveau de chaqueentreprise, mais au niveau d’un bassin d’emploiou d’un département).

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Démocratie Sociale et Responsabilité Sociale del’entreprise (RSE)

La RSE apparue à la suite de la conférence deRio de 1992 est l’adaptation de la notion de« développement durable 1 » au monde de l’entre-prise.

Elle se situe à mi-chemin entre les bonnes inten-tions et le marketing d’image de l’entreprise. Lesscandales Enron ou Worldcom au début desannées 2000 ont accéléré les démarches et lescodes d’éthique dans les entreprises, le capita-lisme prenant conscience des risques liés à cespratiques de voyou s’étalant sur la place publique.Même les investisseurs avaient besoin d’être rassu-rés dans le temps sur la sécurité de leurs place-ments.

La RSE a pour principe de considérer, en plusdes intérêts prédominants des actionnaires, ceuxdes « parties prenantes », c’est-à-dire les autresacteurs concernées par l’entreprise que sont lesfournisseurs, les clients, les salariés, la sociétécivile et les territoires.

En France, la loi NRE 2 oblige depuis 2003 lessociétés cotées à établir un rapport environnemen-tal et sociétal. Mais ce nouveau rapport, quiaujourd’hui s’exerce sans contrôle, doit être élargià toutes les entreprises de plus de 50 salariés. Ildoit faire l’objet d’une mise en œuvre et d’uncontrôle plus approfondi par les pouvoirs publics.Il doit également inclure un volet sur les objectifschiffrés d’améliorations dans les domaines sociauxet environnementaux.

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1 « Un développement qui satisfait les besoins des générationsprésentes sans compromettre l’aptitude des générationsfutures à satisfaire leurs propres besoins, à commencer parles plus pauvres », Rapport Brundtland, 1987.2 Loi Nouvelles Régulations Economiques, article 116.

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De nouveaux droits pour les salariésDepuis le début des années quatre-vingt, la

remise en cause systématique et radicale du droitdu travail est un mouvement qui touche toutes leséconomies développées. En la matière, RonaldReagan et Margaret Thatcher restent des figuresemblématiques de briseurs de grève et de casseursde syndicats.

En France, le MEDEF et la droite n’ont jamaisrelâché la pression. Jouant sur la peur des salariésde perdre leur emploi, ils ont mené un travail desape systématique du Code du travail.

À l’inverse, nous devons conquérir de nouveauxdroits sociaux.

Tout d’abord, le principe de la hiérarchie desnormes doit être rétabli : les droits des salariésdans l’entreprise ne peuvent être inférieurs à ceuxdéfinis dans les accords de branche qui, eux-mêmes, ne peuvent être en deçà des droits accor-dés par le Code du travail. Nous voulonségalement réaffirmer la primauté de la loi sur lecontrat en renforçant notamment l’encadrementstrict des horaires de travail atypiques (travail denuit, travail du dimanche, temps partiel subi…).Certaines dispositions, comme l’amplitude horairehebdomadaire, le seuil de déclenchement desheures supplémentaires et des repos compensa-teurs, doivent être recalculés proportionnellementà la baisse de la durée légale. Afin de stopper lesabus de certains employeurs, groupes ou branchesprofessionnelles, nous réclamons l’instauration demécanismes limitant l’emploi précaire.

Nous dénonçons l’accroissement des écarts derémunération en Europe et dans le monde. Cettesituation conduit en effet à déconnecter certainesrémunérations de toute réalité économique et

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sociale, alors même que d’autres stagnent ou régres-sent depuis des années au nom de ces prétendues« réalités économiques ». Il est pour nous nécessaired’instaurer un écart maximum de rémunération de 1à 10 au sein de chaque organisation et entreprise,publique et privée. Pour les SCOP, cet écart estaujourd’hui en moyenne de 1 à 6.

Nous devons conquérir de nouveaux droits, maisaussi nous donner les moyens de les faire appliquer.C’est pour nous un combat essentiel. L’inspectiondu travail doit aujourd’hui, avec seulement 800 ins-pecteurs, contrôler 1,2 million d’entreprises dontprès d’un million ont moins de 10 salariés. Afin degarantir le droit des salariés, nous proposons que lenombre d’inspecteurs et de contrôleurs du travailaugmente de façon significative : leur nombre doitêtre doublé dans un premier temps, puis indexé surle nombre de salariés.

La formation tout au long de la vie, véritable outilde sécurisation des trajectoires professionnelles, estpour nous un moyen permettant à chacun de maî-triser et d’actualiser ses compétences profession-nelles sur son temps de travail, de résoudrecertaines inégalités liées à la formation initiale. Celapasse notamment par la mise en place de droits spé-cifiques pour les personnes qui ont arrêté de façonprécoce leurs études, et par une articulation plusvolontariste des formations initiales et continues.Ainsi, les démarches de Validation des Acquis et del’Expérience (VAE) doivent être plus accessibles,mieux accompagnées et moins onéreuses qu’aujour-d’hui. Pour cela, des moyens suffisants devront êtredégagés par les régions et les entreprises.

D’une manière générale, nous pensons qu’unesociété solidaire, respectueuse de sa cohésionsociale, est une société où l’égalité des conditionsest forte et la hiérarchie salariale resserrée.

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« Le SLAM »par Frédéric Lordon, économiste.

On peut se faire une idée assez précise de l’em-prise croissante de la finance sur l’économie engénéral, et le salariat en particulier, en regardantl’évolution, dans la dernière décennie, des « tauxde profit pour l’actionnaire » (en termes tech-niques le ROE ou Return On Equity, rendementdes capitaux propres) au cours des quinze der-nières années. Là où ces taux de profits étaient d’àpeine quelques pour cent au début des annéesquatre-vingt-dix, ils sont grosso modo passés àprès de 10 % au milieu de la décennie, 15 % à lafin, 20 % actuellement… Les structures de lafinance libéralisée ont conféré une position dedomination absolue au capital actionnarial etrendu possible cette progression sans limite appa-rente. Comme il n’est aucun mécanisme de modé-ration ou de régulation interne à la finance, unelimite doit être posée du dehors, sauf à laisser ungroupe social – le capital actionnarial – asservir lereste de la société pour la satisfaction d’un désir derentabilité potentiellement illimité.

Le SLAM est un dispositif fiscal qui fixe conven-tionnellement une rémunération actionnarialemaximale autorisée (Shareholder Limited Authori-zed Margin) et prélève intégralement tout ce quidépasse ce plafond réglementaire. Bornant ainsi larémunération actionnariale, le SLAM fait dispa-raître pour le capital actionnarial toute incitation àpressurer indéfiniment les entreprises (délocalisa-tion à la recherche du moindre coût, précarisationet flexibilisation des salariés, etc.) pour leur fairedégorger des surplus de rentabilité, puisque, au-delà du seuil de SLAM (différencié par entreprise),ceux-ci leur seront confisqués.

Contre l’avertissement usuel que la re-réglemen-tation financière ne peut être entreprise qu’à

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l’échelle d’une coordination internationale, leSLAM revendique d’être une solution applicableunilatéralement sur le territoire national – même sielle ne s’en portera que mieux d’être internationa-lisée ! « Mais les capitaux vont fuir, et les entre-prises aussi ! » s’écrieront immédiatement les amisde la finance. Je vous invite à poursuivre le débat 1.

Promouvoir un nouveau rap-port au temps pour exercer pleine-ment sa citoyenneté

« La réduction de la durée du travail ne présen-tera pas de valeur libératrice ni ne changera lasociété si elle sert seulement à redistribuer le tra-vail et à réduire le chômage… Elle exige une poli-tique du temps qui englobe l’aménagement ducadre de vie, la politique culturelle, la formation etl’éducation, et qui refond les services sociaux etles équipements collectifs de manière à faire uneplus grande place aux activités autogérées, d’aidemutuelle, de coopération et d’autoproductionvolontaires 2. »

Repenser notre rapport au tempsContrairement à une idée reçue et répétée, ce

n’est pas en France qu’on travaille le moins : en2006, la durée moyenne hebdomadaire du tempsde travail est de 36,1 heures en France, de34,6 heures au Danemark, de 35 heures en Suède,et de 36, 4 en Angleterre 3. Et pourtant, la prioritédes gouvernements de droite qui se succèdentreste la remise en cause de cette tendance histo-

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1 http://frederic.lordon.perso.cegetel.net/2 André Gorz, Capitalisme, Socialisme, Ecologie.3 Eurostat (organisme statistique officiel de l’Europe).

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rique. La droite et le patronat ne cessent de reje-ter la faute du chômage actuel sur les employéscoupables de ne pas vouloir travailler plus.

Il y a cent ans, le nombre d’heures travaillées parpersonne dans le cours d’une vie correspondait àun peu plus du double du temps de travail moyenactuel par Français. Ces réductions ont doncincontestablement amélioré le bien-être social.

Ne laissons pas accréditer ce non-sens écono-mique et ce contresens historique. La réductiondu temps de travail doit rester un outil majeur delutte contre le chômage. Mais elle sera d’abord etavant tout un instrument au service d’un projet desociété plus large, une société du temps libéré.

Du temps libre supplémentaire permettra devaloriser des activités non productrices derichesses matérielles, mais porteuses de bien-êtreindividuel et de mieux-vivre ensemble. Il fautreconnaître le « temps d’utilité sociale » commeun temps à part entière. Il doit donner à chacun lapossibilité d’accéder aux engagements citoyens, àla vie associative, à son éducation et celle de sesenfants, à la culture, aux loisirs créatifs, à l’épa-nouissement individuel, au sport.

Libérer du temps permet de consacrer plus auxautres, à sa famille, à ses amis, à la société, à soi-même. La réduction du temps de travail est unfacteur d’épanouissement individuel en mêmetemps qu’elle cultive le lien social. Le bien-êtrehumain doit passer par la maîtrise du temps de vieplus que par une course effrénée aux biens maté-riels. Plus le temps consacré au travail rémunéréest important, plus nous avons tendance, faute detemps disponible, à consommer des marchandiseset des services marchands et nous perdons ainsi enautonomie dans la conduite de notre propre vie.

Il ne s’agit évidemment pas de décréter quel est

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le bon usage du temps libéré. Chacun doit pou-voir user de ce temps comme il l’entend. Le risqueest néanmoins d’augmenter « le temps de cerveaudisponible70 ». D’où la nécessité d’enrichir l’offrepolitique, culturelle, associative de proximité, deredonner toute sa place à l’éducation populaire.Car, si le temps libéré ouvre de nombreuses pers-pectives, il peut être un nouveau facteur d’inéga-lité sociale entre, d’un côté, ceux qui pourraientmettre à profit ce temps libéré et, de l’autre, ceuxqui seraient condamnés à le subir. Le temps libéréne doit pas être le temps des seules classes dites« privilégiées ».

Dans ce combat, plus qu’une simple solution, laréduction du temps de travail constitue uneopportunité pour de nouveaux horizons poli-tiques et pour envisager ainsi un nouveau rapportau temps conforme à nos valeurs.

Poursuivre la réduction du temps de travailNous nous prononçons pour une diminution de

la durée légale du travail à 32 heures, sur 4 jourshebdomadaires ou 185 jours annuels (aménage-ments négociés avec les partenaires sociaux), avecune limitation stricte des heures supplémentaires,largement majorées, et ce, dès la première.

Dans le même temps, nous devons envisager denouvelles formes de réduction du temps de travail,conçues sur l’ensemble de la vie. Il n’est pas facileaujourd’hui d’interrompre quelques années sa vieprofessionnelle pour se former ou pour faire autrechose que travailler, et reprendre ensuite une acti-vité. À côté de l’aménagement de la journée et dela semaine de travail, c’est le déroulement de toutela vie professionnelle qui devrait être repensé pourrendre possibles les interruptions, les bifurcations,

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les cessations progressives d’activité favorables àl’épanouissement personnel.

Ce sont ces chemins que nous proposons d’ex-plorer pour parvenir à de nouvelles modalités deréduction du temps de travail, plus imaginatives,plus porteuses d’avenir.

Pourquoi d’ailleurs ne pas mettre en débat etapprofondir la proposition suivante : fixer unnombre global d’heures de travail à effectuer danssa vie, en disposant d’une certaine liberté dans larépartition de ces heures. Avec l’aide d’un crédit-temps, chaque travailleur se verrait par exemplereconnaître le droit de cesser momentanémentson activité professionnelle pour mener un projethors de la sphère du travail.

Il faudra également reconnaître le « temps d’uti-lité sociale » comme un temps à part entière. Lesactivités associatives, et notamment l’exercice demandat exécutif dans une association d’éducationpopulaire, d’intérêt général ou reconnue d’utilitépublique, pourraient compter dans le calcul desdroits à la retraite par exemple.

Cette politique de libération du temps doit êtrela même pour tous. Cela suppose des politiquesd’accompagnement culturel, d’éducation, de loi-sirs volontaristes.

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Conclusion : Réinventer la politique

La crise sociale et écologique nous entraîne dansune mission redoutable, mais exaltante. Une mis-sion qui demandera à notre génération de réin-venter la politique et de construire un mondepermettant à chacun de se réaliser individuelle-ment et collectivement. Une mission qui devrarepenser le social dans le cadre de l’écologie etl’écologie dans sa dimension sociale et politique.Une mission qui devra déconstruire l’idéologieproductiviste dominante et réconcilier le global etle local. Une mission qui redéfinira ce qu’est larichesse pour une société et pour un individu, ettraduira en actes et en propositions nos convic-tions et notre enthousiasme.

En ce début de siècle, le capitalisme producti-viste et financier est condamné, mais il ne le saitpas encore. Sa bonne santé apparente est specta-culaire et insolente. Il règne en maître sur la pro-duction des produits et services, sur la diffusiond’une culture mondialisée et a réussi à déconnec-ter le monde financier de l’économie réelle. Pour-tant, des signes annonciateurs de sa fincommencent à apparaître : épuisement des res-

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sources naturelles, dérèglement climatique, mon-tée en puissance des inégalités, dégradation desconditions de vie sur terre, pollutions de l’eau, del’air et du sol, replis communautaires et religieux.

Reprendre le combat des idées et du projet desociété, lutter contre l’idéologie dominante pourlaquelle croissance matérielle, épanouissementpar la consommation et centralité de la valeur tra-vail est l’horizon indépassable : voilà le socle, l’ac-cord minimum qui permet à tous ceux quipartagent ce constat de nous rejoindre pourconstruire les fondations d’un alterdéveloppe-ment.

La marche du monde et celle de nos sociétésvont plus que jamais influer sur notre vie quoti-dienne. L’état de la planète, les connexionssociales, la mondialisation des idées, des organisa-tions productives, ainsi que les technologies del’information nous rendent de plus en plus soli-daires les uns des autres. C’est pourquoi nousdevons réinvestir le champ du politique. Tropsouvent prisonnier d’un soi-disant « réalisme », onoublie qu’en politique il y a toujours d’autresapproches, d’autres décisions à prendre et querien n’est inéluctable.

Le XXIe siècle devra être social, écologique etconvivial ou sera celui des catastrophes naturelleset humaines.

Réinvestir le champ de la politique ne se limitepas aux seuls partis ou aux grandes organisationsdu mouvement social. Les obligations qui pèsentsur la vie quotidienne de beaucoup d’entre nousne permettent pas toujours de s’investir commenous le souhaiterions. L’engagement de proximité,au niveau de la commune, de l’école, du tissuassociatif, est aussi un levier pour propagerconvictions et actions. À condition que cette

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citoyenneté locale, faite nécessairement de petitspas, ne se réduise pas à la gestion ou l’améliora-tion du quotidien, mais s’inscrive dans une visionà plus long terme sur le type de société que nousvoulons construire.

Oui, une autre manière d’imaginer, de penser etde faire de la politique est possible. Sur le fond etsur la forme, on ne peut vouloir une autre poli-tique en la faisant comme avant.

Nous sommes et resterons certainement encorequelques temps minoritaires. Mais ce sont toujoursles minorités qui arrivent à faire bouger les choses.Tous les grands changements ont eu comme cata-lyseur un groupe d’individus capables de cristalli-ser les attentes, de construire les rapports de force,de proposer un nouveau projet de société. Nousvoulons, avec d’autres, être de ceux-là.

Nous ne sommes pas seuls, nous avons desalliés, connus et inconnus, qui vont dans la mêmedirection, en préférant d’autres méthodes pourfaire bouger les lignes. La dynamique a com-mencé. Les réseaux se construisent. Produisonscollectivement une pensée nouvelle à la hauteurdes enjeux.

La mise en cause du productivisme et laconstruction, non d’alternances, mais d’alterna-tives susceptibles à terme d’entraîner l’adhésiondu plus grand nombre est notre impératif et notreurgence.

Et l’urgence, c’est aujourd’hui, ensemble.

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Rejoindre Utopia,mouvement politique

Comment concrètement inscrire ces convictionset ces propositions d’actions dans le monde poli-tique?

Comment présenter un projet de société plusglobal, notamment fondé sur une remise en causedes aliénations qui constituent les obstaclesmajeurs pour parvenir à l’idéal que nous portons,au sein des partis politiques, et auprès descitoyens? Remise en cause de la consommation,de la centralité de la valeur travail, de la croissancecomme facteur de développement et d’avenir…Comment ancrer cette logique de rupture, en pro-posant une société fraternelle, une place fonda-mentale du citoyen, l’approfondissement du liensocial ? Cette rupture ne pourra se faire sans ima-giner d’autres voies d’expression politique,d’autres formes de concertation citoyenne,d’autres manières de participer à la vie de la cité.

Utopia en est une illustration. Cette associationest avant tout un lieu de réflexion, portant unidéal dans les partis et les associations de gaucheafin de peser de la façon la plus efficace possiblesur les différentes lignes idéologiques.

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Un peu d’histoire : les 3 datesclefs

1996 : Naissance du groupe.2003 : Utopia se structure en courant politique

au sein du Parti Socialiste en France.2005 : Utopia devient un mouvement politique,

présent dans les partis politiques français (PartiSocialiste et Verts). Utopia commence à investirl’espace public à travers un cycle de conférenceset un partenariat avec un réseau de cinémas indé-pendants, avec un organisme de presse proche desaltermondialistes, et à entamer un rapprochementavec des organisations de gauche à l’étranger.

Avant même de s’appeler Utopia, le groupeprend forme en 1996 en rassemblant un petitnombre de lecteurs enthousiastes du livre Le Tra-vail, une valeur en voie de disparition de Domi-nique Méda. Les débats s’articulent autour desthèses développées par Méda, sur la place de lavaleur travail dans la société. L’arrivée de lagauche au gouvernement en 1997 conduit legroupe à s’investir plus particulièrement dans laformulation d’une logique de long terme face àune pratique du pouvoir qui se situe naturelle-ment dans le quotidien.

Le nom Utopia est choisi en 1999, lors de la pre-mière université d’été, en référence au livre deThomas More. Le séminaire avait pour objet d’en-tamer une réflexion sur ce que pourrait être unesociété idéale en reprenant ainsi la démarche duphilosophe anglais.

En 1999, la parution d’un nouveau livre deDominique Méda Qu’est-ce que la richesse?, ali-mente la réflexion d’Utopia. L’articulation d’unenouvelle définition de la richesse et d’un nouveaurapport au travail structure dès lors le développe-

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ment d’Utopia, tant pour approfondir nos propo-sitions que pour rassembler de nouveaux mili-tants.

Porter notre projet le plus large-ment possible

L’équation est simple : Comment faire avancernotre corpus politique de la façon la plus efficacepossible?

À travers les partis politiquesAvec toutes leurs insuffisances et leurs lour-

deurs, les partis politiques sont aujourd’hui lesinstruments privilégiés de notre démocratie. Auniveau local comme au niveau national, ils définis-sent une ligne politique, désignent des dirigeantset – théoriquement – mettent en œuvre des pro-grammes électoraux. Nous considérons donc lespartis comme des outils incontournables qu’il fautinvestir et au sein desquels il faut peser pour faireprogresser nos idées.

Aujourd’hui présents au PS (où nous avonsdéposé des motions en 2002 et en 2005) et chezles Verts (où nous avons déposé une contributionau débat dans le cadre du congrès de Bordeaux),nous avons l’ambition de bousculer la segmenta-tion traditionnelle entre les partis de gauche ennous positionnant sur le fond et non sur les ques-tions de personnes.

Pour ce faire, nous souhaitons défendre, tou-jours plus largement, les mêmes orientations éla-borées collectivement au sein d’Utopia par desmilitants issus de ces partis, mais également dumouvement social et altermondialiste.

À travers un cycle de conférencesLe cycle de conférences que nous organisons à

Paris permet un débat entre intellectuels et poli-

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tiques. Il répond à une double exigence : pour-suivre notre réflexion de fond et l’enrichir sansrelâche sur de nombreux thèmes d’une part ; créerun espace public qui touche des citoyens peufamiliers du monde politique d’autre part.

La réussite de ces conférences montre à quelpoint il est devenu impératif pour les organisa-tions politiques traditionnelles de revisiter leurrapport au militantisme.

À travers des partenariats avec des cinémas indé-pendants

Grâce au réseau de cinémas indépendants Utopia(créé bien avant notre mouvement) et d’autres ciné-mas indépendants, nous organisons, sur tout le ter-ritoire national, des projections-débats avec, lorsquec’est possible, la participation des réalisateurs. Cettedémarche permet le débat autour des axes deréflexion et des thèmes développés dans le film.

Faire de la politique autrement, au plus près descitoyens, échanger, susciter la réflexion, tenter defaire connaître nos positions, amener chacun àdévelopper son rôle de citoyen, notamment dansle champ associatif ou politique.

À travers des liens forts avec le monde intellectuelUtopia, pour approfondir sa réflexion, tisse des

liens privilégiés avec de nombreux intellectuelsengagés. Nous avons lancé à l’automne 2007 unComité Scientifique qui réunit des chercheurs detoutes disciplines prêts à discuter avec nous denotre approche et de notre ligne politique.

Par ailleurs, partenaire du CEPN (Centre d’É-conomie de l’Université Paris Nord, Unité derecherche du CNRS), Utopia souhaite créer unevéritable synergie avec le monde universitaire.Cette ambition s’est également concrétisée à tra-vers un partenariat avec le mensuel AlternativesÉconomiques qui relaie nos conférences et parti-

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cipe à certains de nos débats.À travers une internationalisation de notre mou-

vementPrésent lors du dernier Forum Social Européen

(Athènes en 2006), Utopia est en contact avec denombreux responsables et militants européenspartageant son ambition.

L’objectif d’Utopia est de créer un réseau inter-national avec toutes les associations, mouvements,partis politiques, syndicats ou citoyens du mondese reconnaissant dans sa démarche. D’ores et déjà,nous avons des relais en Uruguay, Allemagne,Algérie, Italie, Belgique, Hongrie et Grèce. Il nes’agit que d’un début…

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Bibliographie sélective

Arendt Hannah, La Vie de l’esprit, PUF, 2005.Arendt Hannah, Condition de l’homme moderne, Poc-ket, 2002.Ariès Paul, Décroissance ou barbarie, Golias, 2005.Ariès Paul, Le Mésusage, Parangon, 2007.Attac, Manifeste altermondialiste, Mille et Une Nuits,2007.Attac, Pauvretés et inégalités, Mille et Une Nuits, 2006.Attac, Le petit Alter : dictionnaire altermondialiste, Milleet Une Nuits, 2006.Attac, Le développement a-t-il un avenir?, Mille et UneNuits, 2004.Baudrillard Jean, Le Système des objets, Gallimard,1968.Baudrillard Jean, La Société de consommation, Denoël,1970.Besson-Girard Jean-Claude, Decrescendo cantabile –Petit manuel pour une décroissance harmonique, Paran-gon, 2006.Boltanski Luc et Chiapello Ève, Le Nouvel Esprit ducapitalisme, Gallimard, 1999.Brune François, De l’idéologie aujourd’hui. Analyses,parfois désobligeantes, du « discours » médiatico-publici-taire, Parangon, 2005.Canfin Pascal, L’Économie verte, Les petits matins,2006.Castoriadis Cornélius, Les Carrefours du labyrinthe 1 /2/3 / 4, Point Essais, Seuil, 1978/1999.Chavagneux Christian et Ronen Palan, Les Paradis fis-caux, La découverte, 2006.Cochet Yves, Pétrole apocalypse, Fayard, 2005.Collectif, L’Autre Campagne, La découverte, 2007.Confédération paysanne, Changeons de politique agri-cole, Mille et Une Nuits, 2002.Debord Guy, La Société du spectacle, Buchet-Chastel,1967.Dupuy Jean-Pierre, Pour un catastrophisme éclairé,Seuil, 2002.

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Entropia, Revue d’études théorique et politique de ladécroissance (2 numéros par an), Parangon.Flipo Fabrice, Le Développement durable, Bréal, 2007.Gadrey Jean, Les nouveaux indicateurs de richesse,Repère, 2005.Gebe, L’an 01, L’Association, 2004.Georgescu-Roegen Nicolas, La Décroissance, Entropie,Écologie, Économie, Sang de la Terre, 1995.Gorz André, L’Immatériel, Galilée, 2003.Gorz André, Misère du présent, richesse du futur, Gali-lée, 1997.Gorz André, Écologie et liberté, Galilée, 1977.Gorz André, Écologie et politique, Galilée, 1975.Harribey Jean-Marie, L’Économie économe, L’Harmat-tan, 1997.Illich Yvan, La Convivialité, Seuil, 1973.Jonas Hans, Le Principe responsabilité, Cerf, 1990.Kempf Hervé, Comment les riches détruisent la pla-nète?, Seuil, 2007.Keynes John Maynard, Théorie générale de l’emploi, del’intérêt et de la monnaie, Payot, 1969.Latouche Serge, Le Pari de la décroissance, Fayard,2006.Latouche Serge, Décoloniser l’imaginaire, Parangon,2005.Latouche Serge, Survivre au développement, Mille etUne Nuits, 2004.Laville Jean-Louis, L’Économie solidaire, Hachette Plu-riel, 2007.Lordon Frédéric, Et la vertu sauvera le monde, Raisond’Agir, 2003.Méda Dominique, Le Temps des femmes, Flammarion,2001.Méda Dominique, Qu’est-ce que la richesse?, Flamma-rion, 2000.Méda Dominique, Le Travail une valeur en voie de dis-parition, Flammarion, 1998.More Thomas, L’Utopie, GF Flammarion, 1993.Morin Edgar, L’an 1 de l’ère écologiste, Tallandier,2007.

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Morin Edgar, Terre Patrie, Seuil, 1996.Passet René, L’Illusion néolibérale, Fayard, 2000.Polanyi Karl, La grande transformation, Gallimard,1983.Stiglitz Joseph, Quand le capitalisme perd la tête,Fayard, 2003.Thoreau Henry David, Walden ou la vie dans les bois,Gallimard, 2006.Vaneigem Raoul, Nous qui désirons sans fin, Gallimard,1996.Vaneigem Raoul, Traité de savoir-vivre à l’usage desjeunes générations, Gallimard, 1967.Viveret Patrick, Reconsidérer la richesse, Ed. de l’Aube,2002.Wacquant Loïc, Punir les pauvres, Agone, 2004.

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Table des matières

La sortie du capitalisme a déjà commencé.André Gorz . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5Introduction. Poser la question du sens et de l’idéal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 151. L’alterdéveloppement : notre réponse aux impasses de la croissance, de la sociétéde consommation et de la centralité de lavaleur travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 192. Écologie et altermondialisme . . . . . . . . 613. Pour un élargissement des droits fondamentaux . . . . . . . . . . . . . 974. Approfondir notre démocratie . . . . . . 1475. Conclusion : Réinventer la politique . . . . . . . . . . . . . . 1736. Rejoindre Utopia, mouvement politique . . . . . . . . . . . . . . . 177Bibliographie sélective . . . . . . . . . . . . . . 182

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Paul Ariès. Misère du sarkozysmePaul Ariès. Le MésusageJoaquín Arriola/Luciano Vasapollo. L’Europe masquéeJean-Claude Besson-Girard. Decrescendo cantabileJoël Birman. Foucault et la psychanalyse William Blum. L’État voyouWilliam Blum. Les Guerres scélératesFranz J. Broswimmer. ÉcocideFrançois Brune. L’Arbre migrateurFrançois Brune. De l’idéologie, aujourd’huiFrançois Brune. Médiatiquement correct !Daniel Cérézuelle. Écologie et libertéEnriquez, Spurk, Haroche. Désir de penser, peur de penserRomolo Gobbi. Un grand peuple éluHosea Jaffe. Le Colonialisme, aujourd’huiHosea Jaffe. Automobile, pétrole, impérialismeBoris Kagarlitsky. La Russie aujourd’huiSerge Latouche. Décoloniser l’imaginaireSeloua Luste-Boulbina. Le Singe de Kafka Walter Oswalt. Constitution européenne, non, pour une alternative radicaleRobert Park. La Foule et le public François Partant. Que la crise s’aggrave !James Petras, Henry Veltmeyer. La Face cachée de la mondialisationNicolas Ridoux. La Décroissance pour tousMichael Singleton. Critique de l’ethnocentrismeJan Spurk. Du caractère social Jan Spurk. Pour une théorie critique de la société

Ouvrages collectifsDéfaire le développement, refaire le mondeDémythifier l’universalité des valeurs américainesEurope, le miroir briséL’Expérience de la duréeObjectif décroissancePour repolitiser l’écologieSartre, du mythe à l’histoireSartre, violence et éthiqueManifeste

Achevé d’imprimer en mai 2008sur les presses de l’imprimerie Chiratà Saint-Just-la-Pendue – FranceDépôt légal 2e trimestre 2008

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