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Chapitre 4 Manuel de strabologie © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Les hétérophories sont des déviations maintenues latentes par la fusion, la déviation n’apparaissant qu’à la dissociation. La définition de Lanthony est plus complète, fai- sant entrer en jeu l’aspect moteur et sensoriel : « l’hétérophorie est une déviation strabique latente, révélée par une dissociation suffisante dont l’interruption est suivie de restitution senso- rielle et motrice » [1]. Du point de vue sensoriel, le sujet est en corres- pondance rétinocorticale normale, la vision bino- culaire est normale. On peut cependant relever, dans certains cas, une neutralisation lorsque l’hé- térophorie est décompensée. Du point de vue moteur, la motilité est normale dans les hétérophories simples. On peut noter l’apparition de verticalités en décompensation. Mais lorsque la fusion est rendue possible, le réalignement des axes visuels, traduit par le mouvement de restitution caractéristique des hétérophories, supprime le trouble sensoriel et moteur. Le terme de phorie, qui désigne un déséquilibre latent, s’oppose au terme de tropie qui est un déséquilibre constant ou strabisme traduit par un mouvement de fixation, avec dégradation plus ou moins importante de la vision binoculaire. Avant de développer les différentes hétérophories, il convient de définir l’orthophorie. Un sujet est dit orthophorique, lorsqu’à la dissociation par une manœuvre quelconque – test de l’écran ou baguette de Maddox – il n’y a aucun mouvement ou déplacement des images, les deux yeux restant dirigés sur le point fixé. L’orthophorie de loin et de près n’est pas toujours la règle. Il existe souvent une légère exophorie en vision de près dite « exo- phorie physiologique », de l’ordre de 4 à 6 Δ. Les différents types d’hétérophories Nous distinguons : • l’ésophorie où, à la décompensation, la dévia- tion se fait en convergence ; • l’exophorie où en décompensation, la déviation se produit en divergence ; • l’hyperphorie et l’hypophorie où, à la décom- pensation, la déviation a lieu en verticalité ; • la cyclophorie où, à la décompensation, a lieu un mouvement de torsion en incyclo- ou excyclotorsion. Les hétérophories sont très fréquentes, certaines sont bien compensées, d’autres entraînent des troubles fonctionnels, céphalées, douleurs oculai- res, gêne à la vision de près, diplopie intermittente, gêne à la conduite de jour et surtout de nuit. Ces troubles peuvent aller jusqu’aux nausées et verti- ges. On note également des signes objectifs : hyperhémie conjonctivale, yeux larmoyants, blé- pharite. Certains signes sont caractéristiques d’un type d’hétérophorie et sont décrits dans chaque cas. L’apparition de signes fonctionnels ne dépend pas seulement de l’importance de l’hétérophorie. Plusieurs facteurs entrent en jeu : l’état physique du sujet, son état psychique, son métier et surtout ses possibilités de compensation par une ampli- tude de fusion plus ou moins bonne. Ce sont ces hétérophories avec signes fonctionnels que nous avons à examiner et à traiter. Ésophorie Un sujet est ésophorique lorsque, à la décom- pensation, la déviation se fait en convergence. Hétérophories

Manuel de strabologie || Hétérophories

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Page 1: Manuel de strabologie || Hétérophories

Chapitre 4

Manuel de strabologie© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Les hétérophories sont des déviations maintenues latentes par la fusion, la déviation n’apparaissant qu’à la dissociation.La définition de Lanthony est plus complète, fai-sant entrer en jeu l’aspect moteur et sensoriel : « l’hétérophorie est une déviation strabique latente, révélée par une dissociation suffisante dont l’interruption est suivie de restitution senso-rielle et motrice » [1].Du point de vue sensoriel, le sujet est en corres-pondance rétinocorticale normale, la vision bino-culaire est normale. On peut cependant relever, dans certains cas, une neutralisation lorsque l’hé-térophorie est décompensée.Du point de vue moteur, la motilité est normale dans les hétérophories simples. On peut noter l’apparition de verticalités en décompensation.Mais lorsque la fusion est rendue possible, le réalignement des axes visuels, traduit par le mouvement de restitution caractéristique des hétérophories, supprime le trouble sensoriel et moteur.Le terme de phorie, qui désigne un déséquilibre latent, s’oppose au terme de tropie qui est un déséquilibre constant ou strabisme traduit par un mouvement de fixation, avec dégradation plus ou moins importante de la vision binoculaire.Avant de développer les différentes hétérophories, il convient de définir l’orthophorie. Un sujet est dit orthophorique, lorsqu’à la dissociation par une manœuvre quelconque – test de l’écran ou baguette de Maddox – il n’y a aucun mouvement ou déplacement des images, les deux yeux restant dirigés sur le point fixé. L’orthophorie de loin et de près n’est pas toujours la règle. Il existe souvent une légère exophorie en vision de près dite « exo-phorie physiologique », de l’ordre de 4 à 6 Δ.

Les différents types d’hétérophories

Nous distinguons : •l’ésophorieoù, à la décompensation, la dévia-

tion se fait en convergence ;•l’exophorieoùendécompensation,ladéviation

se produit en divergence ;•l’hyperphorie et l’hypophorie où, à la décom-

pensation, la déviation a lieu en verticalité ;•la cyclophorie où, à la décompensation, a

lieu un mouvement de torsion en incyclo- ou excyclotorsion.

Les hétérophories sont très fréquentes, certaines sont bien compensées, d’autres entraînent des troubles fonctionnels, céphalées, douleurs oculai-res, gêne à la vision de près, diplopie intermittente, gêne à la conduite de jour et surtout de nuit. Ces troubles peuvent aller jusqu’aux nausées et verti-ges. On note également des signes objectifs : hyperhémie conjonctivale, yeux larmoyants, blé-pharite. Certains signes sont caractéristiques d’un type d’hétérophorie et sont décrits dans chaque cas. L’apparition de signes fonctionnels ne dépend pas seulement de l’importance de l’hétérophorie. Plusieurs facteurs entrent en jeu : l’état physique du sujet, son état psychique, son métier et surtout ses possibilités de compensation par une ampli-tude de fusion plus ou moins bonne. Ce sont ces hétérophories avec signes fonctionnels que nous avons à examiner et à traiter.

Ésophorie

Un sujet est ésophorique lorsque, à la décom-pensation, la déviation se fait en convergence.

Hétérophories

Page 2: Manuel de strabologie || Hétérophories

106 Manuel de strabologie

Certains auteurs dont Hugonnier relèvent deux types d’ésophories : le type insuffisance de divergence, où l’ésophorie est plus grande deloin que de près, et le type excès de convergence où l’ésophorie est plus grande de près que deloin.

Étiologie

Elle peut être d’origine innervationnelle, fac-teur accommodatif, hypermétropie mal corri-gée, ou d’origine anatomique, position de repos anormale en ésophorie, ou provenir d’une séquelle de paralysie d’un droit latéral. Elle peut dépendre de facteurs mécaniques, effet prisma-tique par verres correcteurs mal centrés ou de l’état général du sujet, surmenage ou excès d’alcool.

Mode d’apparition

Les troubles fonctionnels apparaissent en général très progressivement sans que le sujet puisse en préciser le début. Il se plaint de céphalées persis-tantes, de douleurs oculaires mal définies, de trou-bles de la vision panoramique. Il éprouve des difficultés à la lecture avec une vision floue, parfois l’impression de percevoir son nez. À la fatigue, il peut y avoir une décompensation avec diplopie plus ou moins consciente.

Examen clinique•Testde l’écran:derrière l’écran, ladéviation

se fait en dedans. À la levée de l’écran, on note un mouvement de réalignement ou de resti-tution, de dedans vers la position primaire, sans que l’autre œil ait bougé. La puissance du prisme base temporale, qui compense le mou-vement, donne la mesure de la phorie de loin et de près, mesure qui doit être pratiquée avec et sans correction.

•Baguette deMaddox : la diplopie est homo-nyme, correspondant à une position en conver-gence. La puissance prismatique ramenant la raie lumineuse sur la lumière donne la valeur de la phorie.

•Motilité:elleestengénéralnormale,maisonnote dans un certain nombre de cas un syn-drome alphabétique, ou lorsqu’il s’agit d’une séquelle de paralysie, un nystagmus en abduc-tion qui peut être ou non symétrique. Le PPC est variable suivant les sujets.

•Coordimétrie : on relève un déplacement desaxes visuels en convergence, tracés égaux et symétriques sur les deux yeux (fig. 4-1).

•État sensoriel : il existe souvent un scotomefovéolaire ou maculaire mis en évidence. L’amplitude de fusion peut être limitée aussi bien en convergence qu’en divergence. La vision stéréoscopique est normale lorsqu’il n’y a pas décompensation.

TE

MP

OR

AL

NASAL

TE

MP

OR

AL

O. D.

28 1 8 1

7 3

456 56

0

2

7 3

4

0

O. G.

Fig. 4-1. Ésophorie.

Page 3: Manuel de strabologie || Hétérophories

Chapitre 4. Hétérophories 107

Traitement

Il est optique, orthoptique, prismatique, et dans quelques cas, chirurgical.

Optique

Dans une ésophorie, il faut toujours penser aux facteurs innervationnels et rechercher une cause accommodative. Même chez un adulte, une réfrac-tion sous cycloplégique doit être pratiquée, la cor-rection faisant disparaître, dans ce type d’ésophorie, les signes fonctionnels.

Orthoptique

L’ésophorie réagit mal au traitement orthoptique. Il peut être indiqué pour développer une ampli-tude de fusion en convergence, qui n’est pas tou-jours bonne, mais le gain en amplitude de divergence est le plus souvent minime. Le dévelop-pement de cette amplitude de fusion doit se faire avec prudence, le sujet pouvant avoir tendance à rester en position de convergence. De même, il faut être prudent dans l’emploi des stéréo-grammes ou dans tout traitement s’appuyant sur la diplopie physiologique.

Prismatique

Il est parfois utile, notamment dans les ésophories dues à des séquelles de paralysie, mais on est sou-vent amené à augmenter la puissance prismatique avec le temps.

Chirurgical

Il s’impose lorsqu’il y a une décompensation fréquente avec diplopie, ou lorsque la puissance prismatique doit être augmentée progressive-ment.

Exophorie

Un sujet est dit exophorique, lorsqu’à la décom-pensation, la déviation se fait en divergence. De même que pour l’ésophorie, Hugonnier [2] relève deux types d’exophories, le type insuffisance de convergence avec une déviation de près plus

grande que celle de loin, le type excès de diver-gence, avec une déviation de loin plus grande que celle de près.

Étiologie

Elle peut être d’origine innervationnelle, accom-modative, c’est le cas des exophories que l’on trouve dans les myopies mal ou non corrigées. Cette étiologie est à rapprocher des exophories-tropies prémyopiques que l’on trouve chez l’en-fant (cf. chapitre 5). Elle peut être d’origine anatomique par position de repos en divergence ou plus rarement paralytique. Elle peut être égale-ment secondaire à un mauvais état général physi-que ou psychique du sujet et être provoquée ou augmentée par la prise d’antidépresseurs. Enfin, elle peut être consécutive à un traumatisme crâ-nien, nous en reparlerons dans les troubles oculo-moteurs post-traumatiques.

Mode d’apparition

Les troubles fonctionnels s’installent très progres-sivement, sans que le sujet puisse en déterminer la période d’apparition. Il se plaint de céphalées à l’effort visuel, qui disparaissent rapidement au repos. En vision de loin, il accuse une mauvaise appréciation des distances ; de près, une gêne à la lecture. Les lignes se brouillent et il préfère sou-vent, lorsqu’il est fatigué, lire avec un œil fermé. On peut noter une diplopie intermittente.

Examen clinique

L’examen tant du point de vue moteur que senso-riel est variable suivant l’importance de la phorie et les possibilités de restitution, mais il doit tou-jours être mené avec prudence, car de nombreuses exophories sont à la limite de l’exophorie-tropie, et une décompensation en début d’examen pour-rait faire penser à une tropie.•Testdel’écran:àlamanœuvredel’écranuni-

latéral pratiquée de loin et de près, on note un mouvement de restitution plus ou moins rapide. À la manœuvre de l’écran alterné, la déviation

Page 4: Manuel de strabologie || Hétérophories

108 Manuel de strabologie

augmente avec une difficulté de restitution et parfois une tropie. La mesure est donnée par le prisme, base nasale, qui supprime tout mouve-ment. L’importance de la déviation peut varier en fonction de la décompensation. L’épreuve de Marlow (cf. chapitre 2) ou occlusion uni-latérale prolongée est employée par certains auteurs pour faire apparaître la totalité de la déviation avant traitement chirurgical.

•BaguettedeMaddox:ladiplopieestcroisée.Siladéviation est importante, et notamment dans les exophories-tropies, il peut y avoir neutralisation et impossibilité de mesure par cette méthode.

•Motilité : les ductions sont normales, maisles versions montrent souvent des syndromes alphabétiques plus ou moins importants, les plus fréquents étant les syndromes V. Dans les fortes exophories, il n’est pas rare de trouver, lors de la décompensation, une hyperphorie de l’œil non fixateur. Ces verticalités disparaissent avec la restitution. Le PPC est souvent éloigné.

•Coordimétrie : les tracés sontdécalésendiver-gence, de façon à peu près symétrique (fig. 4-2).

•État sensoriel : il est fréquent de trouver uneneutralisation qui ne se limite pas au scotome fovéolaire ou maculaire que l’on trouve dans les ésophories, mais un scotome de neutralisation beaucoup plus large notamment dans les exopho-ries-tropies ou strabisme divergent intermittent.

Traitement

Le traitement est optique, orthoptique, prismati-que, chirurgical.

Optique

Toute myopie doit être corrigée, ainsi que tout astygmatisme. Par contre, on peut, chez l’enfant, dans le cadre d’une exophorie, ne pas corriger une hypermétropie de 1 à 2 dioptries.

Orthoptique

Le traitement orthoptique doit être pratiqué pour toute exophorie avec signes fonctionnels, dans l’espace avec la barre de prismes et les exercices de diplopie physiologique ainsi qu’au synoptophore, dans le but de lever la neutralisation et de dévelop-per une amplitude de fusion en convergence et en divergence.

Prismatique

Des prismes peuvent être prescrits chez l’enfant lorsqu’il existe une décompensation intermittente, ceci dans le but d’éviter une neutralisation, de maintenir une vision binoculaire normale, avant l’âge qui permet de pratiquer un traitement orthoptique et/ou une intervention chirurgicale dans de bonnes conditions.

TE

MP

OR

AL

NASAL

TE

MP

OR

AL

O. D.

218 18

7 3

45 566

0

2

7 3

4

0

O. G.

Fig. 4-2. Exophorie avec syndrome V.

Page 5: Manuel de strabologie || Hétérophories

Chapitre 4. Hétérophories 109

Chirurgical

Il est rare dans les exophories légères qui réagis-sent bien au traitement orthoptique. Il est beau-coup plus fréquent dans les exophories-tropies, danslecasoùletraitementorthoptiquen’estpassuffisant. Celui-ci doit alors être un accompagne-ment à la chirurgie en pré- et postopératoire. Nous soulignons qu’il doit alors être mené « en douceur » pour éviter tout spasme de convergence ou toute surcorrection postopératoire.Le traitement des exophories est réputé être facile et donner de bons résultats tant orthoptiques que chirurgicaux. Il faut cependant savoir que la puis-sance de neutralisation d’un exophorique est telle que malgré les bons résultats à court terme, il est très fréquent de voir réapparaître, dans les moments d’inattention ou de fatigue du sujet, des périodes de décompensation de la déviation. Chez les adultes, la perte du pouvoir d’accommodation peut être un des facteurs de récidive.

Hyperphorie

Il y a hyperphorie lorsque, à la décompensation, la déviation se fait en verticalité. Il peut y avoir éléva-tion, hyperphorie, ou abaissement, hypophorie. Le terme d’hypophorie est moins employé, on parle souvent d’hyperphorie de l’autre œil. La phorie verticale peut être isolée ou associée à une phorie horizontale. Il ne doit pas y avoir confusion entre une hyperphorie vraie et l’hyperphorie alter-nante synonyme de la déviation verticale dissociée (DVD) que l’on trouve dans les strabismes congé-nitaux avec vision binoculaire perturbée (cf. chapi-tre 5).

Étiologie

Elle peut être parétique, soit séquelle d’une para-lysie oculomotrice connue, ou provenir d’une légère parésie musculaire passée inaperçue. Elle peut être anatomique par anomalie orbitaire a minima. En effet, dans les anomalies orbitaires plus importantes ou les plagiocéphalies, on trouve souvent des hyper- ou hypotropies.

Mode d’apparition

La période d’apparition est très difficile à détermi-ner. Il semble que chez l’adulte, et notamment chez la personne âgée, un certain nombre d’hyper-phories se décompensent progressivement par diminution de compensation fusionnelle. Le sujet se plaint de gêne en vision de loin, mettant en cause sa correction optique. De même en vision de près, il se plaint de vision trouble et de cépha-lées. Il peut exister une diplopie intermittente.

Examen clinique

Il doit être minutieux, les hyperphories étant sou-vent minimes, mais une hyperphorie de 1 à 2 Δ pouvant provoquer des troubles fonctionnels. •Testdel’écran:àl’écranunilatéral,unehyper-

phorie de 1 à 2 Δ passe souvent inaperçue. Or une hyperphorie vraie ne dépasse pas 4 à 5 Δ, au-delà elle provoque une hypertropie avec diplopie, l’amplitude de fusion verticale étant minime. Ceci n’est pas le cas des hyperphories par décompensation d’une paralysie congéni-taledel’obliquesupérieuroùl’onretrouvedesamplitudes de fusion verticale très importantes, ou d’une DVD qui sort de ce cadre.

•BaguettedeMaddox:c’estdanscescasunexa-men très utile, qui permet de faire ressortir une verticalité non détectée à la manœuvre de l’écran.

•Motilité : elle est pratiquement toujours nor-male, on peut cependant relever parfois dans les positions extrêmes des hyper- ou hypoactions de certains muscles verticaux.

•Coordimétrie : les tracés révèlent des dévia-tions verticales légères qui peuvent être symé-triques ou faire penser à une ancienne atteinte parétique (fig. 4-3).

•Étatsensoriel : ilestnormalmais la fusionesttrès souvent mauvaise avec une amplitude dimi-nuée de loin et de près. La vision stéréoscopique est normale.

Traitement

La réfraction est rarement en cause. Le traitement est orthoptique et prismatique, parfois chirurgical.

Page 6: Manuel de strabologie || Hétérophories

110 Manuel de strabologie

Orthoptique et prismatique

Le traitement orthoptique pour augmenter l’am-plitude de fusion ne peut, seul, atteindre ce but. Il faut, dans le même temps, prismer de façon à sup-primer une verticalité même minime. En effet, un certain nombre de traitements orthoptiques prati-qués souvent pour des insuffisances de convergence sont inefficaces, parce qu’une légère verticalité est passée inaperçue. Un prisme de 1 à 2 Δ suffit sou-vent pour développer une amplitude de fusion nor-male, ce prisme doit alors être intégré à la correction optique. De même, il arrive qu’une légère hyper-phorie déclenche un déviation horizontale, qui est une déviation secondaire à l’hyperphorie qu’il faut traiter par une prismation de la verticalité.

Chirurgical

Lorsque la verticalité est plus importante et que la diplopie est fréquente, le traitement chirurgical peut être envisagé.

Cyclophorie

C’est une déviation latente qui, à la décompensa-tion, se fait autour de l’axe antéropostérieur. En prenant comme point de référence l’extrémité supérieure du méridien vertical de la cornée, une inclinaison en dehors est une excyclophorie, en dedans une incyclophorie.

Étiologie

La cyclophorie est très souvent liée à certains tableaux cliniques, les strabismes dits congénitaux, les syndromes alphabétiques, les paralysies de l’oblique supérieur ou encore des déséquilibres oculomoteurs post-traumatiques. On la retrouve beaucoup plus rarement isolée. Elle peut avoir alors une étiologie réfractive par astigmatisme oblique ou une cause anatomique notamment orbitaire.

Mode d’apparition

Si elle apparaît dans le cadre d’une paralysie de l’oblique supérieur ou de troubles post-traumati-ques, les phénomènes de torsion sont très gênants, le sujet se plaignant de phénomènes panorami-ques, parmi ceux-ci : murs qui s’inclinent, angles qui ne sont pas droits. La correction tardive d’un astigmatisme peut également entraîner des signes fonctionnels avec difficulté de port de la correc-tion optique.

Examen clinique

L’examen des cyclotorsions est toujours difficile. Hormis la mise en évidence de la torsion par l’examen du fond d’œil et les tracés de champ visuel, méthodes objectives valables dans les

TE

MP

OR

AL

NASAL

TE

MP

OR

AL

21 18 8

7 3

45 56 6

0

2

7 3

4

0

O. G. O. D.

Fig. 4-3. Hyperphorie OD.

Page 7: Manuel de strabologie || Hétérophories

Chapitre 4. Hétérophories 111

cyclotorsions importantes ou cyclotropies, toutes les méthodes d’examen que nous employons sont subjectives, baguette de Maddox ou synopto-phore (cf. chapitre 2).•Testde l’écran :unecyclophorie se juge rare-

ment au test de l’écran, sauf les cyclotropies des strabismes dits congénitaux, qui sortent du cadre de cette étude.

•BaguettedeMaddox:c’estunedesméthodesqui permettent d’estimer une cyclophorie, avec une ou deux baguettes de Maddox en lisant sur la monture d’essai le sens et la valeur du dépla-cement. Cette mesure peut également être faite au synoptophore.

•Motilité:elleestnormaledansunecyclophorieisolée.

•Coordimétrie : elle montre à l’examen auLancaster une inclinaison des flèches.

•Étatsensoriel:ilestnormaldansunecyclopho-rie isolée sans strabisme associé, mais l’ampli-tude de fusion est plus ou moins diminuée.

Traitement

Ce traitement est difficile. Il peut être optique ou orthoptique.

Optique

S’il s’agit d’un astigmatisme, il doit être corrigé mais les troubles subjectifs ne disparaissent qu’après une période d’adaptation à la correction. Les sujets ont souvent plusieurs paires de lunettes auxquelles ils n’arrivent pas à s’adapter.

Orthoptique

Il peut aider à l’adaptation à la correction, en développant une amplitude de fusion en conver-gence et divergence. Cette amplitude de fusion peut de plus éviter la décompensation de la cyclo-phorie sans, bien sûr, la supprimer.L’abord des cyclotorsions ou cyclotropies consé-cutives à un traumatisme est présenté plus loin, ainsi que celui des torsions que l’on trouve dans un strabisme (cf. chapitre 5) ou dans une paralysie (cf. chapitre 6).

Phories-tropies

Les cas limites entre phorie et tropie sont fré-quents. On les rencontre plus particulièrement dans le cadre des exophories-tropies ou strabis-mes divergents intermittents, mais également dans celui des ésophories-tropies ou strabismes convergents intermittents, le plus souvent de type accommodatif. C’est pourquoi, à l’examen, il est important de ne pas décompenser d’emblée une phorie, de commencer toujours par un test de l’écran unilatéral et, si la phorie paraît insta-ble, de poursuivre l’examen par l’étude des possi-bilités de compensation du sujet. On étudie alors la vision stéréoscopique et l’amplitude de fusion avant de procéder à la dissociation complète de l’hétérophorie par la manœuvre de l’écran alterné. C’est dans ce cadre que Hugonnier décrit des dualités de correspondances, CRN de près, CRA de loin. Mais dans les exophories importan-tes, on trouve beaucoup plus fréquemment une CRN de près et une neutralisation de loin. L’amplitude de fusion en convergence est limitée mais la vision stéréoscopique n’est perturbée que dans les cas de phories-tropies en décompensa-tion. Elle est bonne lorsque la restitution est normale.

Traitement des exophories-tropies ou strabismes divergents intermittents

Le traitement des phories-tropies pose quelques difficultés par rapport aux phories qui ne présen-tent pas de décompensation spontanée. C’est pourquoi, nous le présentons de façon plus précise.Le premier temps du traitement est de lever la neutralisation, ce qui permet le contrôle de la déviation. La neutralisation est une des caracté-ristiques des exophopies-tropies. La diplopie n’est pas consciente lorsque la déviation se manifeste, tout au plus le sujet ressent une gêne et ferme un œil. Cette « déneutralisation » doit d’abord se faire dans l’espace de loin et de près.

Page 8: Manuel de strabologie || Hétérophories

112 Manuel de strabologie

Suivant l’importance de la neutralisation, le traite-ment peut être pratiqué : •àl’aidedelabarredefiltresdeBagoliniavecun

verre rouge d’intensité plus ou moins forte, de façon à faire percevoir la diplopie lorsque l’œil est dévié. Cette diplopie, croisée, doit apparaître quel que soit l’œil fixateur ;

•avec les verres striés de Bagolini lorsque laneutralisation est moins profonde ;

•sans artifice d’examen, le sujet percevant spon-tanément la diplopie lorsque la déviation se manifeste.

Le traitement doit être également pratiqué au synoptophore. La neutralisation est rare avec des tests de 1er degré, mais se manifeste presque tou-jours avec des tests de 2e degré. Elle est levée à l’aide de stimulations ( flashing par exemple).Chez les enfants, une occlusion totale de 1 à 2 heures par jour peut être prescrite, de même que des exercices de déneutralisation, tels les cahiers de Weiss.Le second temps du traitement est le développe-ment de l’amplitude de fusion, dans l’espace de loin et de près, et au synoptophore.Dans l’espace avec les prismes, il peut être utile de s’aider en début de traitement, pour contrôler la neutralisation, d’un verre rouge léger non disso-ciant, mais qui permet au sujet de prendre conscience de la diplopie lorsqu’il ne fusionne plus. Ce contrôle peut également se faire avec les verres striés deBagolini.Mais lorsque le sujet apris conscience de la diplopie, il est inutile et même gênant d’ajouter à la barre de prismes un verre rouge ou des verres striés. Lorsqu’il y a de réelles difficultés à maintenir la restitution, point de départ de la fusion, l’adjonction de verres concaves (− 3) pour le traitement peut aider en vision de près, mais ils doivent être supprimés dès que possible.Au synoptophore, il est plus facile de développer la fusion d’abord avec des tests paramaculaires, pour travailler par la suite sur des tests maculaires ou fovéolaires.Dans l’espace et au synoptophore, cette amplitude doit être développée aussi bien en convergence qu’en divergence. Pour certains auteurs, elle doit

être travaillée plus spécialement en divergence jusqu’à la valeur de l’angle objectif maximum mesuré en dissociant [3]. Cependant, l’amplitude de convergence doit également être bonne, mais dans des valeurs n’entraînant pas d’efforts exagé-rés, dans tous les cas pas au-delà de 40 Δ dans l’espace.Le contrôle de la neutralisation et le PPC peuvent être travaillés à la plaquette de Mawas, sans efforts trop importants de convergence, efforts qui peu-vent amener, en postopératoire, des spasmes. Cette restriction est également valable pour les stéréogrammes et pour le PPC dans l’espace.En cas de traitement chirurgical, une surveillance orthoptique doit être poursuivie, pour contrôler la neutralisation qui, surtout chez l’enfant, peut réapparaître, et maintenir une bonne amplitude de fusion.

Traitement des ésophories-tropies ou strabismes convergents intermittents

Ce sont principalement des ésophories-tropies de type accommodatif, ayant des possibilités de resti-tution de loin et de près. Le traitement est opti-que, orthoptique, éventuellement chirurgical.

Optique

Il est essentiel, la correction totale après réfraction sous cycloplégique devant être prescrite chez un sujet hypermétrope. Dans certains cas (cf. chapi-tre 5), des verres progressifs peuvent aider à maintenir l’orthophorie.

Orthoptique

Le but du traitement est de lever la neutralisation, toujours présente dans ces cas, et de développer une amplitude de fusion. En début de traitement, il est plus facile de travailler au synoptophore, avec des tests paramaculaires puis progressivement en diminuant la taille des tests. Le travail dans l’es-pace se fait dans un deuxième temps, avec les pris-mes en s’aidant d’un verre rouge léger pour faire percevoir la diplopie. Ce travail doit se faire en

Page 9: Manuel de strabologie || Hétérophories

Chapitre 4. Hétérophories 113

divergence et en convergence, aussi bien dans l’es-pace qu’au synoptophore.La plaquette de Mawas peut être employée, mais les stéréogrammes ne sont pas adaptés dans ces cas. Ils peuvent parfois déclencher des spasmes de convergence. Par contre, tous les exercices de déneutralisation, comme les cahiers de Weiss, constituent un appoint au traitement.

Chirurgical

Le traitement ne s’impose que lorsque la stabilité binoculaire n’est pas atteinte et qu’il y a une décompensation fréquente.

Insuffisance de convergence

L’insuffisance de convergence est un trouble de fonction alors que l’hétérophorie est une anomalie de la position de repos. Nous reprenons la défini-tion d’Hugonnier [2] qui nous paraît la plus com-plète et la plus claire dans la distinction entre hétérophorie et insuffisance de convergence : « L’hétérophorie est une anomalie de la position dissociée, dans laquelle les vergences peuvent être normales. L’insuffisance de convergence est, au contraire, un trouble de la fonction de conver-gence sans anomalie de la position de repos, si elle est pure. » Nous avons déjà noté qu’il existait dans la majorité des cas une légère exophorie en vision de près qui, jusqu’à 6 Δ, peut être considérée comme physiologique mais l’insuffisance de convergence est souvent liée à des phories plus importantes.Les vergences sont des mécanismes complexes qui comportent plusieurs composantes (cf. chapitre 1). Dans la convergence, Maddox différencie la convergence tonique, fusionnelle et accommoda-tive à laquelle on peut ajouter la convergence proximale. Il est souvent difficile dans un trouble de convergence de dissocier ces composantes. Des études précises sur leur mode d’examen et leurs déficits ont été faites par Crone [4]. Nous nous arrêtons ici aux aspects pratiques du bilan et du traitement de l’insuffisance de convergence.

L’insuffisance de convergence est caractérisée par une diminution de l’amplitude de fusion, fusion qui est motrice et sensorielle, en convergence de près mais également de loin. Les signes fonction-nels ressemblent à ceux décrits dans les hétéro-phories, mais se manifestent surtout en vision de près, fatigue visuelle, céphalées et gêne à la lec-ture, lignes qui se mélangent, parfois diplopie. C’est le trouble le plus minime de la vision bino-culaire que l’on rencontre surtout chez l’adulte mais également chez l’enfant.

Étiologie

Elle peut être liée à une fatigue générale, à un état psychique déficient et aggravée par la prise d’anti-dépresseurs. Elle peut provenir de troubles de l’accommodation–convergence, notamment au moment de la presbytie. Elle peut enfin être ratta-chée à un traumatisme.

Mode d’apparition

Il est très rare que le sujet puisse préciser le début de ses troubles. Il se plaint de céphalées, d’une gêne visuelle qui s’installe très progressivement qu’il rattache soit à une maladie générale, soit le plus souvent à ses conditions de travail, notam-ment le travail sur ordinateur.

Examen clinique•Testdel’écran:onnoteuneorthophoriedeloin

et une exophorie de près ou une orthophorie de loin et de près. Le mouvement de restitution doit être observé car il est souvent ralenti ou ne se produit qu’avec une réaction « consciente » du sujet. Une mauvaise restitution, même sur une très légère exophorie, peut être à l’origine des troubles.

•BaguettedeMaddox:onnoteuneorthophoriede loin et une orthophorie ou une exophorie de près.

•Motilité:elleestnormale.LePPCestéloigné,mais ce signe n’est pas constant, la convergence volontaire pouvant être bonne.

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114 Manuel de strabologie

•Étatsensoriel:lavisionbinoculaireestnormaleainsi que la vision stéréoscopique, mais l’ampli-tude de fusion est limitée en convergence. Dans l’espace, la mesure avec la barre de prismes mon-tre une amplitude qui peut être inférieure à 10 Δ de loin mais également de près. Il est préférable d’examiner le sujet dans des conditions normales, c’est-à-dire sans stimulation, en commençant par la mesure de la divergence de loin et de près puis de la convergence, ceci sans correction et avec correction, s’il y a lieu, notamment chez les pres-bytes avec signes fonctionnels. Au synoptophore, avec un test fovéolaire de 1er degré, on recherche s’il n’existe pas de scotome fovéolaire, fréquent dans les insuffisances de convergence importan-tes, scotome qui peut également expliquer les signes fonctionnels.

Traitement

Le but du traitement est de permettre au sujet de retrouver un confort visuel, en améliorant l’am-plitude de fusion et en normalisant le rapport accommodation–convergence. Il se pratique dans l’espace et au synoptophore.Dans l’espace, l’amplitude de fusion est développée à l’aide de la barre de prismes, en divergence et en convergence de loin et de près, en commençant par la divergence. Les exercices de convergence doivent être alternés avec quelques exercices de divergence. Si, lors des deux ou trois premières séances, l’amplitude en convergence n’augmente pas, on peut s’aider de ver-res concaves de − 3 dioptries, à supprimer rapidement au cours du traitement. Les traitements s’appuyant sur la diplopie physiologique – plaquette de Mawas, stéréogrammes – sont une aide au traitement, notam-ment pour contrôler la neutralisation et normaliser le rapport accommodation–convergence. Les stéréo-grammes ne peuvent être confiés au malade que s’ils ont déjà été pratiqués en traitement et bien compris.Au synoptophore, l’amplitude de fusion est déve-loppée en divergence et convergence à l’aide de tests de 2e degré, parfois de 3e degré. La conver-gence peut être développée jusqu’à 80 Δ avec des tests maculaires ou paramaculaires, un peu moins avec des tests fovéolaires.

En fin de traitement, le sujet doit avoir un mouve-ment de restitution rapide, avoir acquis une ampli-tude de fusion de l’ordre de 4 à 6 Δ en divergence et de 40 Δ en convergence de loin et de près. L’amplitude de fusion doit être souple, c’est- à-dire de 0 à 40 Δ et de 40 à 0 Δ. Il doit pouvoir compenser d’emblée un prisme de l’ordre de 30 Δ. Le PPC doit être normalisé, à environ 6 cm, sans être travaillé de façon excessive.

Disparités de fixation

La disparité de fixation est un phénomène physiolo-gique entrant en jeu dans la vision binoculaire et la vision stéréoscopique (cf. chapitre 1). Mais il existe un accord binoculaire lié à une phorie que l’on peut qualifier de physiologique, décrit par Ogle [5] sous le terme de disparité de fixation, avec une fusion motrice et sensorielle possible malgré une disparité importante, c’est-à-dire un élargissement de l’aire de Panum de l’ordre de 20′. Cependant ce terme a par-fois été employé comme synonyme de microtropie.Entre le microstrabisme et la disparité de fixation, Parks [6] décrit le syndrome de monofixation, mettant en cause un scotome de neutralisation central empêchant une fixation bifovéolaire nor-male. La fixation serait prise en bordure du sco-tome, avec une certaine amplitude de fusion et une certaine acuité stéréoscopique. Du point de vue clinique, le diagnostic différentiel n’est pas facile à faire entre disparité de fixation, syndrome de monofixation et microstrabisme.Au test de l’écran, on note un mouvement de resti-tution incomplet, se complétant à l’occlusion de l’autre œil, ce qui signerait une microtropie. Mais, la qualité de la fusion et de la vision stéréoscopique peut faire penser qu’il s’agit d’une hétérophorie avec disparité de fixation plutôt que d’une microtropie. Le traitement doit cependant rester prudent.

Paralysie de la convergence

Le diagnostic différentiel est parfois difficile à faire entre une parésie ou une paralysie de la convergence

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Chapitre 4. Hétérophories 115

d’origine neurologique ou traumatique et une insuf-fisance de convergence importante avec PPC très diminué et diplopie en vision de près. Ces cas sont traités dans le cadre des paralysies (cf. chapitre 6).

Pathologie de l’accommodation

Asthénopie accommodative

Il s’agit de la fatigue éprouvée par les hypermé-tropes du fait de la dissociation entre la conver-gence et l’accommodation. Elle est principalement déclenchée par les efforts en vision de près. Le sujet se plaint également de difficultés de pas-sage de la vision de loin à la vision de près avec un temps de latence pour accommoder.La lecture devient floue par intermittence puis durablement. Elle s’accompagne de douleurs sus-orbitaires, d’hyperhémie conjonctivale, de prurit oculopalpébral. Ces signes diminuent à l’arrêt de l’effort visuel.Cette fatigue impose une vérification de la cor-rection s’il y a lieu, une réfraction soigneuse, avec skiascopie sous cycloplégie et régulièrement contrôlée.Il est nécessaire de pratiquer un examen orthopti-que à la recherche notamment d’une hétérophorie ou d’une insuffisance de convergence.

Spasmes accommodatifs

La contracture plus ou moins prolongée du muscle ciliaire entraîne des douleurs sus-orbitai-res, uni- ou bilatérales, plus fréquemment chez l’enfant que chez l’adulte. Les objets sont vus grossis, il peut exister une gêne en vision de loin.Ces signes attirent l’attention sur un trouble de la réfraction méconnu ou insuffisamment cor-rigé, ou sur l’existence d’une anisométropie. Une réfraction minutieuse sous cycloplégie s’impose.Il peut s’agir d’une instillation intempestive d’un collyre myotique ou de l’ingestion accidentelle

de produits à action parasympathomimétique cholinergique.On peut rencontrer ces spasmes lors de traumatis-mes, surtout les contusions oculaires.Nous rappelons qu’une myopie spasmodique peut apparaître au cours d’un diabète.

Paralysies et parésies de l’accommodation

Elles sont traitées dans le cadre des paralysies (cf. chapitre 6).

Troubles visuels post-traumatiques

Nous traitons ici du syndrome subjectif postcom-motionnel en éliminant tous les cas s’accompagnant de fractures du crâne révélées radiologiquement, ou d’atteintes motrices de type paralytique quelle qu’en soit la cause, plancher de l’orbite ou atteinte neurogène ou paralysies supranucléaires. Les trau-matisés crâniens présentent un ensemble de trou-bles – céphalées, troubles visuels, vertiges, asthénie, insomnie – faisant partie du syndrome subjectif post-traumatique (fig. 4-4). Au niveau des troubles visuels, les plaintes révèlent un flou visuel, une fati-gue à la lecture, une asthénopie accommodative, bien que l’examen ophtalmologique soit normal.

Mode d’apparition

Ces troubles apparaissent dans les jours qui suivent le traumatisme à la reprise de l’activité normale.

Examen clinique•Testdel’écran:onnoteuneaugmentationde

l’exophorie dite « physiologique », augmenta-tion d’autant plus importante que le trauma-tisme a été grave [7, 8].

•Motilité:ilexistedanslamajoritédescasunsyndrome V. Le PPC est variable, souvent

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116 Manuel de strabologie

éloigné (fig. 4-4). Le déséquilibre est propor-tionnel à la gravité du traumatisme.

•Étatsensoriel:onnoteunemodificationdel’am-plitude de fusion. L’amplitude en convergence est limitée alors qu’elle est bonne ou augmen-tée en divergence. On considère normalement que le rapport divergence/convergence est de l’ordre de 1/3, sensiblement normal s’il atteint 1/2. Or, dans nombre de cas de traumatismes

crâniens, il atteint l’unité ou est inversé. Alors qu’il est proche de la normale dans les trauma-tismes légers, il est d’autant plus perturbé que le traumatisme a été grave. L’augmentation de l’exophorie physiologique et du rapport divergence/convergence permet d’objectiver les troubles accusés par le sujet, et l’importance de ces deux éléments est en rapport avec l’impor-tance du traumatisme.

Fig. 4-4. a. Schéma coordimétrique après traumatisme crânien. Déséquilibre avec syndrome V. Traumatisme léger.b. Schéma en éventail. Déséquilibre. Traumatisme grave avec coma.

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Chapitre 4. Hétérophories 117

Traitement

Le traitement est orthoptique, identique à celui des insuffisances de convergence. Mais il peut être long et difficile. Il peut même se solder par un échec dans les traumatismes graves qui ont pu provoquer une parésie ou une paralysie de la convergence (cf. chapitre 6), dont le diagnostic est parfois difficile à faire avant tout essai de traitement.

Remarques à propos des hétérophories

Quelles sont les valeurs que l’on peut considérer comme normales ?

Amplitude de fusion

On considère comme normale une amplitude de fusion d’environ D4 et C20 Δ de loin, et de D´6 et C´25 Δ de près. Divergence et convergence doi-vent être dans un rapport de 1 à 3. Un rapport normal D/C est de l’ordre de 0,33.

Phorie

Dans une insuffisance de convergence pure, il y a orthophorie de loin et de près ou légère exophorie de l’ordre de 4 à 6 Δ de près.Toute phorie de loin et de près signe un déséqui-libre latent, et il n’est pas possible de donner des valeurs normales de phories. Cependant un équili-bre normal tend à aller dans le sens de l’exophorie en vision de près. On note que les signes fonction-nels ne sont pas toujours proportionnels à l’im-portance de la phorie.

Quand faut-il traiter une insuffisance de convergence ou une hétérophorie ?

Il ne doit y avoir traitement que s’il existe des signes fonctionnels. Il ne faut pas s’arrêter unique-

ment à la diminution de l’amplitude de fusion, mais rechercher d’autres signes pouvant être à l’origine des troubles ressentis : •unehétérophorieimportante;•unmouvementderestitutiondifficileoulent;•unemauvaiseamplitudedefusion;•unPPCinsuffisant;•uneneutralisationfovéolairedanslesinsuffisan-

ces de convergence, parfois plus large dans les hétérophories.

Quels doivent être les résultats en fin de traitement ?

Le traitement ne modifie pas ou peu le trouble latent, mais améliore la compensation.•Test de l’écran : lemouvement de restitution

doit être net et rapide.•Amplitude de fusion aux prismes : elle doit

être de D4 et C30 à 40 Δ de loin et D′6 et C′40 Δ de près. Ceci en convergence et diver-gence relative, c’est-à-dire que le sujet doit être capable de conserver la fusion en augmentant ou diminuant la puissance des prismes de la règle de Berens. Cette souplesse de passagede convergence en divergence est beaucoup plus importante que des chiffres très élevés en convergence. De plus, en fin de traitement, le sujet doit compenser spontanément une puis-sance prismatique de l’ordre de 30 Δ de loin et 40 Δ de près.

•PPC:ildoitêtredel’ordrede5à6cm.Ilestinutile de forcer un PPC au-delà, on voit sou-vent alors apparaître des mouvements nystagmi-ques si l’effort est trop important.

•Synoptophore:ilnedoitplusexisterdescoto-mes fovéolaires dans les insuffisances de conver-gence ou maculaires dans les hétérophories. L’amplitude de fusion avec des tests maculaires doit être de l’ordre de − 10 Δ à + 80 Δ, et de − 4 Δ à + 50 à 60 Δ avec des tests fovéolaires. Comme dans l’espace, le parcours d’amplitude doit pouvoir être fait de divergence en conver-gence et inversement.

•Les stéréogrammes doivent être égalementmaintenus en convergence et divergence.

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Références

[1] Lanthony P. Dictionnaire du strabisme. Paris : Maloine ; 1983.

[2] Hugonnier R, Hugonnier S. Strabismes. Hétéro-phories. Paralysies oculomotrices. 4th éd. Paris : Masson ; 1981.

[3] Caprili J, Vettard S, Bourron-Madignier M.Rééducation des exotropies intermittentes. J Fr d’Orthoptique 1990 ; 22 : 93–8.

[4] Crone RA. Diplopia. Paris : CERES ; 1993. [5] Ogle KN. Researches in binocular vision. Saunders :

Philadelphie ; 1950. [6] Parks M. The monofixational syndrome. Trans Am

Ophtalmol Soc 1969 ; 67 : 609. [7] Delfour G, Jeanrot N. L’examen orthoptique dans

les troubles visuels fonctionnels post-traumatiques. J Fr d’Orthoptique 1979 ; 11 : 39–43.

[8] Delfour G, Jeanrot N. Excyclophories et syndrome de Parinaud. J Fr d’Orthoptique 1976 ; 8 : 99–103.

En résumé

Conduite à tenir en présence d’une hétérophorie

• motilitéetmouvementsdepoursuite;• PPCetobservationdel’œildirecteur;• visionstéréoscopique;• synoptophore,avecetsanscorrection :1erdegréAO = AS = 2edegréou3edegré,amplitudedefusionendivergenceetconvergence;• étudedeladiplopiephysiologique;• étudedupunctum proximumd’accommodationetdurapportCA/Adanscertainscas.

Traitement• Leverlaneutralisationsielleexiste.• Améliorerl’amplitudedefusionenconvergence.• Normaliserlasynergieaccommodation–convergence.

ExamenExamenophtalmologique.Examenorthoptique:• testdel’écran,avecl’observationdumouvementderestitution:

– loin:aveccorrectionetsanscorrectionO,X,E,HDouHG,– près:aveccorrectionetsanscorrectionO′,X′,E′,H′DouH′G;

• baguettedeMaddoxdeloinetdeprès;• mesure de la phorie aux prismes de loin et deprès;• amplitudedefusionendivergenceetconvergence:loinDC,prèsDC;