Upload
others
View
0
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
MANUEL PRATIQUE À L’USAGE DES AVOCATSACTUALISATION JUIN 2014
LES MUTILATIONS GÉNITALES FÉMININES DANS LE CADRE D’UNE
DEMANDE D’ASILE
Avec le soutien du Fonds Hope for Girls, géré par la Fondation
Roi Baudouin
Introd
uctio
n
Les mutilations génitales féminines (MGF) constituent des
violences liées au genre qui s’inscrivent dans un contexte
discriminatoire à l’égard des femmes (tout comme d’autres
violences liées au genre tels le mariage précoce, le mariage
forcé, les violences liées à l’honneur,…). Elles sont considérées
comme une persécution au sens de la Convention de Genève
en raison de la gravité intrinsèque de cette pratique.
Au vu des spécificités de cette thématique, ce manuel a pour
objectif d’outiller les avocats dans le cadre d’une demande
d’asile fondée sur la crainte de MGF ou lorsqu’une femme a
été victime d’une excision. Outre les différents éléments de la
définition du réfugié, ce manuel contient des aspects liés à la
procédure (les questions de preuve, les contrôles du CGRA,
etc.) ainsi que des conseils pratiques et des adresses utiles.
Suite aux changements des textes juridiques et de l’évolu-
tion de la pratique des instances d’asile en Belgique, il était
nécessaire d’actualiser le manuel sur les mutilations génitales
féminines réalisé en 2012.
Ce manuel n’est pas exhaustif. Vous pouvez dès lors contac-
ter l’asbl INTACT (par courriel ou par téléphone) pour vous
soutenir dans vos analyses et recherches.Introd
uctio
nIntroduction
SommaireSo
mm
aire
1. Textesutilesencasdedemanded’asilefondéesuruneviolencedegenre ....................................6
1.1 Textes internationaux ............................................ 61.2 Textes européens ........................................................71.3 Instruments de l’agence des Nations‑Unies pour les réfugiés (UNHCR) ................................................................91.4 Textes belges ............................................................101.5 Autres outils .............................................................10
2. Laprocédured’asile«enbref» ......................15
2.1 Définition ..................................................................152.2 Le déroulement de la procédure ..............................16
3. Lanotiondegenredanslecadredela ConventiondeGenève ........................................20
3.1 Une violence de genre à prendre en considération dans l’examen de la demande de protection ....................223.2 Les MGF, une pratique discriminatoire .....................24
4. Élémentsdeladéfinitionderéfugiéauregarddelanotiondegenre .........................................28
4.1 La crainte avec raison ...............................................284.1.1 L’élément subjectif de la crainte ...............294.1.2 L’élément objectif de la crainte .................30
4.2 La persécution ..........................................................334.2.1 Spécificités des MGF ................................354.2.2 Les motifs de la persécution .....................39
4.3 L’absence de protection dans le pays ......................434.3.1 L’agent de persécution ..............................444.3.2 L’agent de protection ................................444.3.3 Une protection effective des autorités ? ..454.3.4 Alternative de fuite interne ......................50
5. Établissementdesfaits....................................................... 52
5.1 Charge de la preuve de la crainte fondée ..........................................545.2 Eléments utiles pour appuyer la demande .........................................635.3 Évaluation de la crédibilité dans le cadre d’une demande fondée sur le genre .....................................................................................77
6. Lerisqued’uneré-excision ................................................. 87
7. LesMGFdanslecadred’unedemandemultiple ................ 91
7.1 Le concept de réfugié sur place ..........................................................927.2 Une crainte de MGF comme «nouvel élément» dans le cadre d’une seconde demande d’asile ............................................................................937.3 Une prise de conscience tardive .........................................................94
8. Unedemandeintroduiteaunomdel’enfant .................... 95
8.1 Protection d’une mineure non accompagnée (MENA) .......................978.2 Protection d’une mineure accompagnée par un parent ....................97
9. Contrôlesaprèsreconnaissancedustatutderéfugié ....102
9.1 La déclaration préalable sur l’honneur .............................................1029.2 Le contrôle médical annuel ..............................................................104
10. Lerôledel’avocat ...........................................................106
10.1 Veiller au respect des droits de sa cliente .......................................10810.2 Conseiller au mieux sa cliente .........................................................11110.3 Constituer un dossier solide .............................................................11410.4 Créer des ponts entre métiers et orienter sa cliente .......................115
11. Quelquesadressesutiles ................................................117
11.1 Associations spécifiques aux MGF en Belgique et à l’étranger ........11711.2 Quelques associations spécifiques au droit des étrangers ...............11811.3 Structures spécifiques aux questions de violences faites aux femmes .............................................................................................120
Cha
pitr
e 1
Cha
pit1
e 1
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
6
1.1 Textes internationaux (textes disponibles sur le site http://www2.ohchr.org)
◊ Convention internationale relative au statut de réfugié
signéeàGenèvele28juillet1951,entréeenvigueurle22
avril1954.
◊ Convention sur l’élimination de toutes les formes de
discrimination à l’égard des femmes, (CEDAW), 18
décembre1979,A/RES/34/180(articles2(f);5(a);12).
◊ Conventionrelativeauxdroitsde l’enfant,adoptée le20
novembre 1989 par l’Assemblée générale des Nations-
Unies(articles2;19;24;34;37et39).
◊ Résolution A/RES/67/146 de l’Assemblée Générale des
1. Textes utiles en cas de demande d’asile fondée sur une violence de genre
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
7
Nations-Unies sur l’intensification de l’action mondiale visant à
éliminer les mutilations génitales féminines, 20 décembre 2012,
disponibleenlignesurhttp://www.un.org(uniquementenanglais).
◊ Déclarationsurl’éliminationdelaviolenceàl’égarddesfemmes,
Résolution48/104del’Assembléegénéraledu20décembre1993,
disponible sur http://www.un.org/french/womenwatch/followup/
beijing5/session/fiche4.html.
1.2 Textes européens◊ Conseildel’Europe
• Conventioneuropéennedesauvegardedesdroitsdel’homme
et des libertés fondamentales adoptée le 4 novembre 1950,
http://conventions.coe.int.
• Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la
lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence
domestique, Istanbul, le 11 mai 2011 disponible sur
http://www.conventions.coe.int.
• Résolution1765(2010)del’AssembléeparlementaireduConseil
de l’Europe sur les demandes d’asile liées au genre, octobre
2010disponiblesurhttp://assembly.coe.int.
◊ Unioneuropéenne
(textesdisponiblessurlesitehttp://eur-lex.europa.eu)
• Directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil
du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux
conditions que doivent remplir les ressortissants des pays
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
8
tiersoulesapatridespourpouvoirbénéficierd’uneprotection
internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les
personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire,
et au contenu de cette protection, J.O., 20 décembre 2011 –
dénomméeci-aprèsla«Directivequalification».
• Directive2013/32/UEduParlementeuropéenetduConseildu
26juin2013relativeàdesprocédurescommunespourl’octroiet
leretraitdelaprotectioninternationale(refontedeladirective
‘procédure’ 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005) -
dénomméeci-aprèsla«Directiveprocédure».
• Directive2013/33/UEduParlementeuropéenetduConseildu
26juin2013établissantdesnormespourl’accueildespersonnes
demandantlaprotectioninternationale(refontedela«directive
accueil2003/9/CEduConseildu27janvier2003),J.O.,29juin
2013,L180/96–dénomméeci-aprèsla«Directiveaccueil».
• Résolution du Parlement européen du 24 mars 2009
sur la lutte contre les mutilations sexuelles féminines
pratiquées dans l’Union européenne (2008/2071 (INI))
http://www.europarl.europa.eu.
• Résolution du Parlement européen du 14 juin 2012 sur
l’éliminationdelapratiquedelamutilationgénitaleféminine,
(2012/2684(RSP)),http://www.europarl.europa.eu.
• Résolution du Parlement européen du 6 février 2014 sur la
communicationde laCommission intitulée«Vers l’éradication
des mutilations génitales féminines» (2014/2511 (RSP))
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
9
Communication de la Commission du 25 novembre 2013 :
«Vers l’éradication des mutilations génitales féminines»
(COM(2013)0833).
1.3 Instruments de l’agence des Nations‑Unies pour les réfugiés (UNHCR)UNHCR,Principesdirecteurssurlaprotectioninternationalen°1:
«Lapersécution liéeaugenredans lecadrede l’article1A (2)de la
Conventionde1951et/ousonProtocolede1967relatifsaustatutdes
réfugiés», 8 juillet 2008,HCR/GIP/02/01Rev.1, disponible en ligne :
http://www.unhcr.org/refworld.
UNHCR,Principesdirecteurssurlaprotectioninternationalen°2:
«L’appartenanceàuncertaingroupesocialdanslecadredel’article
1A(2)delaConventionde1951et/ousonProtocolede1967relatifs
au statut des réfugiés», 7mai 2002, HCR/GIP/02/02, disponible en
ligne:http://www.unhcr.fr.
UNHCR,Principesdirecteurssurlaprotectioninternationaln°8:
«Lesdemandesd’asiled’enfantsdanslecadredel’article1A(2)etde
l’article1(F)de laConventionde1951et/ousonProtocolede1967
relatifs au statut des réfugiés», HCR/GIP/09/08, 22 décembre 2009,
disponibleenligne:http://www.unhcr.org/refworld.
UNHCR,Noted’orientation sur les demandesd’asile relatives aux
mutilations génitales féminines, mai 2009, http://www.unhcr.org/
refworld.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
10
UNHCR, Note d’orientation sur les demandes de reconnaissance
dustatutderéfugiérelativesàl’orientationsexuelleetàl’identitéde
genre,novembre2008,http://www.unhcr.org/refworld.
UNHCR,NoteonBurdenandStandardofProofinRefugeeClaim,
16December1998,http://www.unhcr.org/refworld/pdfid/3ae6b3338.
pdf.
1.4 Textes belges◊ Loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour,
l’établissementetl’éloignementdesétrangers,M.B,le31décembre
1980,http://www.ejustice.just.fgov.be.
◊ ARdu11 juillet2003fixant laprocéduredevant leCommissariat
généralauxréfugiésetauxapatridesainsiquesonfonctionnement,
M.B. le 27 janvier 2004, et modifié par l’AR du 17 août 2013,
http://www.cgra.be.
◊ ARdu11 juillet2003fixant certainsélémentsde laprocédureà
suivreparleservicedel’OfficedesÉtrangerschargédel’examen
desdemandesd’asile,M.B. 27janvier2004etmodifiéparl’A.R.du
17août2013.
1.5 Autres outils◊ Auniveauinternational
• UNHCR,TooMuchPain:«FemaleGenitalMutilation&Asylum
in the European Union - A Statistical Overview», février
2013 (mise à jour en 2014), disponible en ligne sur le site
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
11
http://www.refworld.org(uniquementenanglais).
• UNICEF, Female Genital Mutilation/Cutting : «A statistical
overview and exploration of the dynamics of change»,
juillet 2013 (accessible uniquement en anglais en ligne)
http://www.unicef.org/media/files/FGCM_Lo_res.pdf.
• UNICEF,Résumédesmutilationsgénitalesféminines/excision:
«aperçustatistiqueetétudedeladynamiquedeschangements»,
juillet2013.Résuméenfrançaisdisponibleenligne:http://www.
unicef.org/french/protection/files/FGM_Report_Summary_
French__16July2013.pdf.
• UNHCR, «AvisduHaut-CommissariatdesNations-Uniespour
lesréfugiésrendusurpieddel’article57/23bisdelaloidu15
décembre1980surl’accèsauterritoire,leséjour,l’établissement
et l’éloignement des étrangers relatif à l’évaluation des
demandesd’asiledepersonnesayantdesbesoinsparticulierset
enparticulierdepersonnesquiontsubidestortures,desviols
oud’autresformesgravesdeviolencepsychologique,physique
ousexuelle»,mai2012,http://www.refworld.org.
• TheSpecialRepresentativeoftheSecretaryonViolenceagainst
ChildrenandPlanNational,«Protectingchildrenfromharmful
practices in plural legal systems with a special emphasis on
Africa»,NewYork,septembre2012.
• ONU, Département des affaires économiques et sociales
«SupplémentauManueldelégislationsurlaviolenceàl’égard
des femmes, pratique préjudiciable à la femme», New York
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
12
2011, disponible sur : http://www.un.org/womenwatch/daw/
vaw/handbook/Supplement-to-Handbook-French.pdf.
• UN, General Assembly Human Rights Council, 7th session,
Report of the Special Rapporteur on torture andother cruel,
inhuman or degrading treatment or punishment, Manfred
Nowak,A/HRC/7/3,15janvier2008.
• OMS,«Eliminerlesmutilationssexuellesféminines:déclaration
interinstitutionsHCDH,OMS,ONUSIDA,PNUD,UNCEAUNESCO,
UNFPA,UNHCR,UNICEF,NIFEM», février2008,disponiblesur
http://whqlibdoc.who.int/publications/2008/9789242596441_
fre.pdf.
◊ Auniveaudel’Europe
• Commission Européenne, lignes directrices communes à l’UE
pourletraitementdel’informationsurlespaysd’origine,avril
2008(COI,Countryoforigininformation).
• European Institute for Gender Equality, «Female Genital
MutilationintheEuropeanUnionandCroatiaReport»,European
Union2013,disponiblesurhttp://www.eige.europa.eu/content/
document/female-genital-mutilation-in-the-european-union-
and-croatia-report.
• Parlement européen, DG des politiques internes, Égalité
des genres : «Demandes d’asile liées au genre» en Europe
- Une étude comparative des législations, politiques et
pratiques axées sur les femmesdans neuf Étatsmembres de
l’Union européenne France, Belgique, Hongrie, Italie, Malte,
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
13
Roumanie,Espagne,SuisseetRoyaume-Uni,novembre2012et
disponiblesurhttp://www.europarl.europa.eu/studies.
• CEA(R),«Gender-relatedasylumclaimsinEurope,acomparative
analysisoflawpoliciesandpracticefocusingonwomeninnine
EUMemberState»,mai2012,disponiblesurhttp://www.unhcr.
org/refworld.
◊ AuniveaudelaBelgique
• Asbl INTACT, «La protection internationale et les mutilations
génitales féminines : Les 11 recommandations d’INTACT»,
actualisation au 20 juin 2014, Bruxelles 2014 ; est accessible
en ligne sur le site http://www.intact-association.org >
professionnel>asile>les11recommandationsd’INTACT.
• Grinberg M. et Lejeune C., «Étude de jurisprudence sur les
pratiquestraditionnellesnéfastesliéesaugenre:lecasparticulier
delaGuinée»,étudecommandéeparINTACT,Bruxelles,2013.
• Gringerg M. et Lejeune C., «Etude de jurisprudence sur les
pratiquestraditionnellesnéfastes»,étudecommandéeparl’asbl
INTACT,Bruxelles,2011.
• NeraudauE.etVanderPlancke,V.,«PratiqueduCGRAencas
de reconnaissancedu statutde réfugié sur la basedu risque
de mutilations génitales féminines : contrôle médical annuel
et sanctions éventuelles», étude commandée par INTACT,
Bruxelles,2011.
• NepperC. ; «Étude sur lesmoyensdonnésdans l’accueil des
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 1
14
demandeurs d’asile pour détecter l’existence de mutilations
génitalesféminineschezunefemmeoulerisqued’ensubirchez
unefillette»,étudecommandéeparINTACT,Bruxelles,2011.
• Verbrouck C. et Jaspis P., «Mutilations génitales féminines :
quelleprotection?»,RDEn°153,2009,p.133etsuivantes.
• Mahieu R., Timmerman C. et Vanheule D., «La dimension de
genre dans la politique belge et européenne d’asile et de
migration»,Institutpourl’égalitédesfemmesetdeshommes,
Bruxelles,2010.
• Lesitedesstratégiesconcertéescontientplusieurspublications
etoutilsréalisésenBelgiquehttp://www.strategiesconcertees-
mgf.be/tag/asile/.
• Lesitedel’asblINTACTmetàdispositiondesoutilsjuridiques:
http://www.intact-association.org/fr/nos-activites/soutien-aux-
professionnels.html.
Cha
pitr
e 2
Cha
pit2
e 2
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 2
15
2.1 Définition
Une personne qui risque de subir des mutilations génitales féminines (MGF) dans son pays d’origine peut, si elle répond aux critères de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugié se voir reconnaître
le statut de réfugié, tout comme une personne qui subit encore
actuellement les conséquences de cette pratique1.
Pour rappel, le statut de réfugié est reconnu à «toute personne
qui, […] craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa
race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un
certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve
hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait
de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays
[…]» (article 1A§2).
Cette définition établit donc les critères qu’un demandeur d’asile
doit remplir pour obtenir une protection internationale. De
nombreux outils ont été développés pour en comprendre les
contours.
1. Voir notamment CCE, arrêt n° 71 365 du 1er décembre 2011
2. La procédure d’asile «en bref»
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 2
16
Voir notamment le «Guide des procédures et critères à appliquer
pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de
1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés» du Haut-
Commissariat des Réfugiés des Nations-Unies (UNHCR ou HCR),
ainsi que les Principes directeurs sur la protection internationale de
l’UNHCR2.
Les instances d’asile vont déterminer dans un premier temps si
le requérant se trouve dans les conditions prévues à l’article 1er de
la Convention, le cas échéant, c’est sous l’angle de la protection
subsidiaire que la demande d’asile sera examinée.
2.2 Le déroulement de la procédureLa loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour,
l’établissement et l’éloignement des étrangers3 (ci-après «la loi du
15 décembre 1980») établit la procédure d’asile depuis l’introduction
de la demande jusqu’à la décision finale. La loi du 8 mai 20134 modifie
la loi du 15 décembre 1980 conformément aux développements
européens (directive qualification).
Lorsqu’une personne qui se trouve en Belgique sollicite une protection
internationale, la procédure d’asile se déroule comme suit :
1. L’Office des Étrangers (OE), est responsable pour enregistrer
2. UNHCR, Principes directeurs n° 1 : «La persécution liée au genre dans le cadre de l’ar-ticle 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés», 8 juillet 2008, HCR/GIP/02/01 Rev.1 ; Principes n° 2 : «L’appartenance à un cer-tain groupe social» dans le cadre de l’article 1A(2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, 7 mai 2002, HCR/GIP/02/023. Publiée le 31 décembre 1980 au moniteur belge, p.14844. Loi du 8 mai 2013 modifiant la loi du 15 décembre 1980 publiée au MB le 22 août 2013, entrée en vigueur le 1er septembre 2013.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 2
17
toutes les demandes d’asile introduites sur le territoire belge ou à
la frontière. Le demandeur d’asile recevra une annexe 26 (ou 25 si
elle a été introduite auprès des autorités chargées du contrôle des
frontières). L’OE examine quel Etat membre est compétent pour traiter
les demandes d’asile, conformément au Règlement Dublin III.
2. Si la Belgique est responsable de la demande d’asile, celle-ci sera
transmise au Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides
(CGRA) pour un examen approfondi. Le CGRA invite le demandeur
d’asile à une audition, il examine les pièces du dossier et instruit le
besoin de protection en tenant compte de l’information sur le pays
d’origine ainsi que l’ensemble des éléments de la cause. Il est l’instance
d’asile centrale dans l’évaluation de la demande d’asile et dispose du
pouvoir d’instruction le plus large. Le CGRA décide soit, de reconnaître
le statut de réfugié, ou d’octroyer la protection subsidiaire, soit, il
refuse d’accorder une protection internationale. Il décide aussi de la
prise en considération ou non des demandes d’asile multiples.
3. En cas de décision négative, le demandeur d’asile a 30 jours à partir
de la notification de cette décision pour introduire un recours devant
le Conseil du Contentieux des Étrangers (CCE) ou 15 jours s’il est
détenu dans un centre fermé. Le CCE a une compétence de «plein
contentieux» en cas de décision négative du CGRA quant à l’octroi du
statut de réfugié ou du statut de protection subsidiaire. Cependant,
il ne dispose pas, contrairement au CGRA, d’un pouvoir d’instruction
propre. Le CCE peut soit réformer la décision négative et reconnaître
une protection au demandeur d’asile, soit décider de renvoyer le
dossier au CGRA pour effectuer une instruction complémentaire. Il
peut aussi confirmer la décision du CGRA en rejetant le recours. A
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 2
18
noter que le CCE a également une compétence d’annulation à l’égard
des décisions de l’OE et notamment la décision de refus de séjour
sur base du Règlement Dublin III. Dans le cas où le CGRA refuse de
prendre en considération une nouvelle demande d’asile, un recours
en plein contentieux est possible au lieu et en place du recours en
annulation devant le CCE. Dans le même temps, le délai d’introduction
de la requête est raccourci à maximum 15 jours5.
4. Enfin, le Conseil d’État (CE) est l’instance en cassation administrative
devant laquelle le demandeur d’asile peut introduire un recours pour
contravention à la loi, ou pour violation des formes soit substantielles,
soit prescrites à peine de nullité contre un arrêt du CCE, dans les 30
jours à partir de la notification de la décision. De nombreuses formalités
doivent être respectées et un examen préalable d’admissibilité a été
mis en place pour éviter les recours sans objet ou manifestement
irrecevables.
Afin de veiller au bon déroulement de la procédure d’asile en Belgique,
les instances d’asile et les avocats garderont à l’esprit le Guide des
procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de
réfugié6 de l’UNHCR, ainsi que l’arrêté royal (AR) du 11 juillet 2003
fixant la procédure devant le Commissariat général aux réfugiés et aux
apatrides ainsi que son fonctionnement et l’AR du 11 juillet 2003 fixant
certains éléments de la procédure à suivre par le service de l’Office des
Étrangers chargé de l’examen des demandes d’asile.
5. Cfr Loi du 10 avril 2014 portant des dispositions diverses concernant la procédure de-vant le Conseil du Contentieux des Étrangers et devant le Conseil d’État, M.B. 20 mai 20146. HCR/1P/4/FRE/REV.1, Genève 12 janvier 1992 et disponible en ligne sur http://www.unhcr.org/refworld/docid/3ae6b32b0.html
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 2
19
Pour plus de détails sur la procédure d’asile, vous pouvez consulter les sites suivants : ͳ Le site de l’Office des Étrangers
https://dofi.ibz.be/sites/dvzoe/FR/Guidedesprocedures/Pages/
Procéduredasile.aspx
ͳ Le site du Commissariat général aux réfugiés et aux apratrides
http://www.cgra.be/fr/Procedure_d_asile_en_pratique/
ͳ Le site du Conseil du Contentieux des Étrangers
http://www.cce-rvv.be/rvv/index.php/fr/home
ͳ le site de l’ADDE
http://www.adde.be/J_15/index.php?option=com_content&view=ar
ticle&id=165&Itemid=215
ͳ le site du CIRE qui contient différents guides de la procédure pour
demandeurs d’asile en Belgique
http://www.cire.be/thematiques/accueil-demandeurs-dasile/629-
guide-de-procedure-pour-demandeurs-dasile-en-Belgique
ͳ le site de l’Agence Fédérale pour l’accueil des demandeurs d’asile
http://www.fedasil.be
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 3
20
La Convention de Genève relative au statut des réfugiés et son Protocole de 1967 ne font pas spécifiquement référence au genre dans le cadre de la définition du réfugié.
Ce sont les principes directeurs du HCR du 8 juillet 2008 qui
consacrent la notion de violence liée au genre selon une
interprétation évolutive de la définition du statut de réfugié.
Ils distinguent les termes genre et sexe pour permettre de
comprendre la nature de la persécution liée au genre : le
genre fait référence aux relations entre les femmes et les
hommes basées sur des identités, des statuts, des rôles et
des responsabilités qui sont définis ou construits socialement
ou culturellement, et qui sont attribués aux hommes et aux
femmes, tandis que le «sexe» est déterminé biologiquement.
Ainsi, le genre n’est ni statique ni inné mais acquiert une
signification construite socialement et culturellement au fil
du temps7. Les mutilations génitales/sexuelles féminines (ci-
7. UNHCR, Principes directeurs sur la protection internationale : La persécu-tion liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, para. 3
3. La notion de genre dans le cadre de la Convention de Genève
Cha
pitr
e 3
Cha
pitr
e 3
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 3
21
NB : Les mutilations génitales/sexuelles féminines sont
définies par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) comme
toutes les interventions incluant l’ablation partielle ou totale
des organes génitaux externes de la femme ou toute autre
lésion des organes génitaux féminins qui sont pratiquées pour
des raisons non médicales. L’OMS classifie les MGF en 4 types
selon l’intervention pratiquée : type 1 la clitoridectomie ; type
2 l’excision, type 3 l’infibulation et types 4 qui regroupe d’autres
interventions néfastes au niveau des organes génitaux et à des
fins non thérapeutiques. A l’origine, la pratique des MGF était le
plus souvent liée à un rite de passage de la fille à l’âge adulte à
la fin duquel la jeune fille était excisée.
après «MGF») sont infligées aux femmes et aux filles en raison de leur
genre, pour les assujettir et contrôler leur sexualité. Cette pratique
entre souvent dans le cadre plus général des discriminations envers
les femmes, tolérées ou encouragées par la politique d’État.
Les MGF sont une forme de violence liée au genre. Il ressort d’ailleurs de
ces principes «qu’il ne fait aucun doute que le viol et d’autres formes
de violences liées au genre, comme (…), les mutilations génitales
féminines […] sont des actes infligeant de graves souffrances, tant
mentales que physiques, et qui sont utilisés comme des formes de
persécution, qu’ils soient perpétrés par des États ou par des personnes
privées8».
8. UNHCR, Principes directeurs sur la protection internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou de son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés HCR/GIP/02/01 Rev.18 juillet 2008, site www.refworld.org
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 3
22
3.1 Une violence de genre à prendre en considération dans l’examen de la demande de protectionLa Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes,
adoptée en 1993 par l’Assemblée générale des Nations-Unies9 atteste
d’une reconnaissance internationale du fait que la violence à l’égard
des femmes constitue une violation des droits de l’homme et une
forme de discrimination à l’égard des femmes.
Sur les questions d’asile, l’Assemblée parlementaire du Conseil de
l’Europe10 a considéré que la procédure d’asile doit prendre dûment
en compte la dimension de genre dans toutes les étapes de la
procédure et regrettait que «bien que de nombreux États membres
intensifient leurs travaux en vue d’intégrer la dimension de genre dans
9. Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, Résolution 48/104 de l’Assemblée générale, 20 décembre 1993.10. Résolution 1765 (2010) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur les demandes d’asile liées au genre, octobre 2010. Elle rappelle que «les femmes et les filles qui demandent l’asile dans les États membres du Conseil de l’Europe ont droit à ce que leurs demandes de protection soient examinées par un système d’asile qui tienne dûment compte, dans tous les aspects de son organisation et de son fonctionnement, des formes particulières de persécution et de violation des droits fondamentaux auxquelles les femmes sont confrontées en raison de leur genre» (point 8). Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 3 décembre 2008 relative à des normes minimales pour l’accueil des demandeurs d’asile dans les États membres (Refonte) [COM(2008) 815 final – Non publiée au Journal officiel].
Pour plus d’information générale sur les MGF visitez le site de
l’OMS, http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs241/fr/
et le site du GAMS-Belgique : www.gams.be
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 3
23
les prises de décision, les politiques et les actions publiques, cet effort
ne se répercute pas toujours dans les procédures d’asile».11
Au 1er août 2014 entrera en vigueur la Convention d’Istanbul12
pour les pays qui l’ont déjà ratifiée. Celle-ci a été adoptée en 2011
au Conseil de l’Europe et est la première Convention européenne
à viser explicitement les violences liées au genre, à les énumérer
et à reconnaître qu’elles sont en lien avec la Convention de
Genève. Outre l’affirmation que la violence liée au genre peut être
considérée comme une persécution ou une atteinte grave au sens de
la Convention de Genève, cette Convention exige une interprétation
des causes de persécutions sensible au genre, l’obligation de prévoir
des procédures d’accueil adaptées et de développer des services
pour un accompagnement social psychologique, médical ou juridique
adéquat. Elle réaffirme aussi le principe du non-refoulement pour les
personnes victimes de violences liées au genre. Par ailleurs, elle prévoit
l’obligation pour les États de prévenir ces violences et de mettre en
œuvre des mesures efficaces pour y remédier. La Belgique a signé la
Convention d’Istanbul en septembre 2011 mais doit encore la ratifier
pour qu’elle entre en vigueur sur le territoire belge.
En décembre 2012, l’Assemblée générale des Nations-Unies
adoptait une Résolution interdisant les MGF au niveau mondial13,
laquelle exhorte les États à condamner toutes les pratiques nocives
pour les femmes et les filles, en particulier les mutilations génitales
11. Voir point 5 de la Résolution 1765 (2010) sur les demandes d’asile liées au genre.12. Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, Istanbul, le 11 mai 2011.13. Résolution A/RES/67/146 de l’Assemblée générale des Nations-Unies sur l’intensifi-cation de l’action mondiale visant à éliminer les mutilations génitales féminines, 20 dé-cembre 2012.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 3
24
féminines, et de prendre toutes les mesures nécessaires pour protéger
les femmes et les filles contre cette forme de violence (article 4).
L’Assemblée des Nations-Unies appelle aussi les États à accorder une
attention particulière à la protection et à l’appui des femmes et des
filles qui ont été victimes de mutilations génitales féminines, et de
celles qui sont exposées à des risques, y compris les femmes réfugiées
et les femmes migrantes.
Enfin, la Commission européenne a développé une communication14
entérinée par une Résolution du Parlement européen et un
engagement du Conseil européen le 6 juin dernier. Un des objectifs de
cette communication est que les États garantissent la protection des
femmes à risque de MGF dans le cadre européen de l’asile.
3.2 Les MGF, une pratique discrimi-natoireLa pratique des MGF s’inscrit dans un contexte discriminatoire plus
large qu’il convient de prendre en considération dans l’examen
d’une demande d’asile liée au genre. Les MGF manifestent une
position inégalitaire entre hommes et femmes dans la société. Elles
sont pratiquées sur les jeunes filles pour contrôler leur sexualité et
sont généralement une condition préalable au mariage d’une fille en
vue d’assurer sa «pureté» et sa «fidélité».
Nombreuses femmes ou filles qui ont subi des MGF peuvent également
subir d’autres formes de violence (telles que des mariages précoces,
14. Communication de la Commission du 25 novembre 2013 : «Vers l’éradication des mutilations génitales féminines» (COM(2013)0833), disponible en ligne sur http://eur-lex.europa.eu
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 3
25
des mariages forcés ou encore des violences domestiques). Le HCR
souligne d’ailleurs dans la note d’orientation relative aux mutilations
génitales féminines que «(...) les femmes excisées ont parfois été
victimes de plusieurs traumatismes». Parmi ceux-ci, citons le mariage
forcé, les violences familiales et conjugales, les grossesses non désirées
et/ ou précoces, les accouchements difficiles15.
Pour plus d’information sur les pratiques, les aspects socio-
culturels et médicaux des MGF, vous pouvez contacter le GAMS
Belgique ou vous rendre sur le site : www.gams.be
La Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination
à l’égard des femmes (CEDAW)16 prévoit que les États s’engagent à
modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou
pratique qui constitue une discrimination à l’égard des femmes (article
2 f de la CEDAW).
Cette Convention vise à élargir la conception que l’on a des droits de
l’homme : elle reconnaît que la culture et la tradition peuvent contribuer
à restreindre l’exercice, par les femmes, de leurs droits fondamentaux.
Ces influences se manifestent sous forme de stéréotypes, d’habitudes
et de normes qui donnent naissance à des contraintes juridiques,
politiques et économiques qui freinent le progrès des femmes17.
15. Voir UNHCR, Note d’orientation, op.cit.16. Cfr introduction de la Convention sur l’élimination de toute forme de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW), adoptée le 18 décembre 1979 à l’Assemblée générale des Nations-Unies.17. Article 5 a) de la CEDAW prévoit que les «Etats prennent toutes les mesures appro-priées pour modifier les schémas et modèles de comportement socioculturels de l’homme et de la femme en vue de parvenir à l’élimination des préjugés et des pratiques coutu-mières, (…) qui sont fondés sur l’idée de l’infériorité ou de la supériorité de l’un ou l’autre sexe ou d’un rôle stéréotypé des hommes et des femmes».
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 3
26
Les demandes d’asile fondées sur la notion de genre visent d’ailleurs
de nombreuses formes de violences liées au refus de se conformer aux
critères sociaux spécifiques imposés à la femme ou à l’homme.
Dans le manuel pour la protection des femmes et des filles, l’UNHCR
relève que, «les femmes et les filles ont moins de chances que les
hommes et les garçons d’avoir accès à leurs droits, même les plus
fondamentaux. Ceux-ci comprennent le droit à l’alimentation, aux
soins de santé, à l’abri, à la nationalité et aux documents officiels.
Il précise que le non-respect de ces droits fondamentaux est
directement lié aux discriminations et aux violences endurées par
les femmes et les filles en temps de paix».18
En outre, l’UNHCR estime que «la crainte des persécutions peut aussi
être justifiée si une personne a déjà été victime d’un certain nombre
de mesures discriminatoires (..), et que par conséquent, un effet
cumulable intervient19». Ainsi, un mode de discrimination ou de
traitement moins favorable pourrait, sur la base de motifs cumulés,
constituer une persécution et justifier une protection internationale20.
Puisque la persécution ou les mauvais traitements dont les filles et les
femmes sont victimes dans leur pays sont souvent liés à un contexte
discriminatoire, une femme dont les droits fondamentaux ont été 18. UNHCR, Manuel du HCR pour la protection des femmes et des filles, janvier 2008, p.6, accessible en ligne sur http://www.unhcr.org/refworld19. UNHCR, Guide des procédures et critères, op.cit., para.55 ; voir également le para-graphe 53 selon lequel, «Divers éléments de la situation, pris conjointement, peuvent pro-voquer chez le demandeur un état d’esprit qui permet raisonnablement de dire qu’il craint d’être persécuté pour des « motifs cumulés ». Toutes les circonstances du cas considéré doivent nécessairement entrer en ligne de compte, y compris son contexte géographique, historique, et ethnologique.»20. UNHCR, Principes directeurs sur la protection internationale : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au Statut des réfugiés le genre, para.14
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 3
27
violés dans son pays d’origine peut craindre d’autres violations de ces
mêmes droits dans le futur.
C’est à la lumière de toutes les circonstances de la situation que
les instances examinent si les mesures discriminatoires à l’égard de
l’intéressée équivalent à une persécution21.
21. UNHCR, Guide des procédures et critères, op.cit., para.55.
Relever les différentes violations/restrictions de ces droits permet
aux instances d’asile de considérer dans son ensemble le besoin
de protection pour cette femme, notamment au regard de la
protection effective dans son pays d’origine.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
28
4.1 La crainte avec raison
Il ressort de la Convention de Genève relative au statut de réfugié que l’élément de crainte - qui est un état d’esprit et une condition subjective - est précisé par les mots «avec raison». Ces mots impliquent que ce n’est pas seulement l’état
d’esprit de l’intéressé qui détermine sa qualité de réfugié
mais que cet état d’esprit doit être fondé sur une situation
concrète. Les mots «craignant avec raison» recouvrent donc à
la fois un élément subjectif et un élément objectif et, pour
déterminer l’existence d’une crainte raisonnable, les deux
éléments doivent être pris en considération.
En principe, la crainte exprimée doit être considérée comme
fondée si le demandeur peut établir, dans une mesure
raisonnable, que la vie est devenue intolérable pour lui
dans son pays d’origine pour les raisons indiquées dans la
définition22.
22. UNHCR, Guide des procédures et critères (…), op.cit. , para.42.
4. Éléments de la définition de réfugié au regard de la notion de genre
Cha
pitr
e 4
Cha
pitr
e 4
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
29
4.1.1 L’élément subjectif de la crainte
Les éléments subjectifs de la crainte sont analysés par les instances
d’asile au regard de la personnalité de la requérante et des
circonstances individuelles (élément subjectif).
Le Guide des procédures et des critères à appliquer pour déterminer
le statut de réfugié de l’UNHCR apporte quelques précisions
supplémentaires sur l’élément subjectif de la crainte. Il est précisé
que23 : «[...] La prise en considération de l’élément subjectif implique
nécessairement une appréciation de la personnalité du demandeur,
étant donné que les réactions psychologiques des individus ne
sont pas forcément identiques dans les mêmes circonstances.
Une personne peut avoir des convictions politiques ou religieuses
suffisamment fortes pour que le mépris de ces convictions lui soit
intolérable ; chez une autre, les convictions seront beaucoup moins
fortes. Une personne peut partir sur un coup de tête, tandis qu’une
autre préparera minutieusement son départ.
Étant donné l’importance que l’élément subjectif revêt dans la
définition, il est indispensable, lorsque les circonstances de fait
n’éclairent pas suffisamment la situation, d’établir la crédibilité
des déclarations faites. Il faut alors tenir compte des antécédents
personnels et familiaux du demandeur, de son appartenance à tel ou
tel groupe racial, religieux, national, social ou politique, de sa propre
interprétation de sa situation et de son expérience personnelle – en
d’autres termes, de tout ce qui peut indiquer que le motif essentiel de
sa demande est la crainte».
23. Idem, para.40 et 41.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
30
4.1.2 L’élément objectif de la crainte
La crainte de MGF doit être appréciée en fonction des éléments
objectifs, et notamment du contexte général du pays d’origine, dont :
• Le taux de prévalence des MGF ;
• Les lois et les règlements dans le pays d’origine et la manière
dont ils sont appliqués ;
• Le statut / la situation des femmes face à la loi ou dans la société ;
• La capacité/volonté de cet État à protéger les femmes contre les
MGF mutilations et autres violences liées au genre ;
• etc…
L’information sur le pays d’origine (ci-après « COI » - Country of Origin
Information) a un rôle important dans l’examen de la demande pour
démontrer l’élément objectif de la crainte de persécution.
Pour en savoir plus sur l’information sur le pays d’origine, voyez
infra, chapitre 5.2, pages 67-68 du manuel et retrouvez les liens
vers des sites donnant de l’information sur les pays d’origine.
Les instances d’asile évaluent la crainte de la requérante en tenant
compte de son profil in concreto, et du contexte objectif de la situation
décrite.
Lorsque la crainte invoquée est fondée sur un risque de MGF,
l’élément objectif de la crainte peut s’avérer si élevé qu’il justifie
qu’une protection internationale soit octroyée à la requérante.
A cet égard, le CCE avait jugé dans l’arrêt n° 61 832 du 19 mai 2011
concernant une femme qui craignait une nouvelle MGF en cas de
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
31
retour à Djibouti ou en Somalie, qu’au vu :
• du taux de prévalence des MGF de 98 % dans ces deux pays, et
• de la pratique répandue d’infibulation après une première
naissance,
• de la circonstance que la requérante a conçu un enfant hors
mariage, la partie requérante a un motif objectif de craindre
d’être persécutée.
Le CCE estime dès lors que les déclarations imprécises ou inexactes
qu’aurait faites la requérante sur d’autres aspects de sa déposition, et
sur base desquelles le CGRA a rendu une décision de refus, ne privent
pas de fondement cette raison objective de craindre24.
Certaines situations peuvent justifier d’analyser la crainte au regard
d’un risque objectif de MGF :
a) Un taux élevé de prévalence des MGF dans le pays d’origine : Après
avoir annulé plusieurs décisions du CGRA relatives à une crainte de MGF
d’une fille ou d’une femme intacte - sans se prononcer explicitement
sur le risque objectif de MGF - le CCE a pris position sur le risque
d’excision d’une fillette intacte originaire de Guinée (où 97% de filles
et de femmes âgées de 15 à 49 ans sont excisées)25. Dans cet arrêt
de principe du 17 avril 2014, le Conseil a jugé qu’au vu des données
24. CCE, arrêt n° 61 832 du 19 mai 201125. CCE, arrêt n° 122 668 du 17 avril 2014 ; Quelques mois plus tôt, le RvV (arrêt n° 117 008 du 16 janvier 2014) avait annulé une décision du CGRA concernant une crainte de MGF d’une enfant en cas de retour en Guinée. Il avait jugé que les sources auxquelles le SRB se réfère ne sont pas claires quant à une diminution de la prévalence des MGF en Guinée – en rappelant que les récentes données démographiques officielles de l’UNFPA ne sont pas encore disponibles – et qu’il n’est pas possible de déduire du SRB dans quelle mesure une protection de l’enfant d’une MGF par les parents est réaliste et courante ou exceptionnelle dans le contexte de la Guinée. Entre-temps, le nouveau rapport sur les données démogra-phiques et de santé ont été publiées en janvier 2014. Il indique qu’il n’y a pas de diminution de la pratique de l’excision en Guinée (97% des femmes sont excisées).
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
32
actuellement disponibles, les taux de prévalence des MGF observés
en Guinée traduisent un risque objectif et significativement
élevé de MGF, à tout le moins pour les jeunes filles mineures de ce
pays qui n’y ont pas encore été soumises. Le Conseil ajoute que «ce
risque, ainsi qualifié, suffit en lui-même à fonder, dans le chef des
intéressées, une crainte de persécution en cas de retour en Guinée,
sauf à établir qu’à raison de circonstances exceptionnelles qui leur
sont propres, celles-ci ne seraient pas exposées ou seraient en mesure
de s’y opposer mais que de telles circonstances exceptionnelles sont
absentes en l’espèce».
b) Un enfant (MENA ou mineur accompagné) qui ne manifeste pas
une crainte de MGF : Les principes directeurs de l’UNHCR précisent
que sa ‘crainte’ pourra néanmoins être considérée comme fondée s’il
ressort de l’analyse objective de la crainte (taux de prévalence dans
le pays d’origine, situation des filles dans le pays, etc…) que les MGF
sont manifestement une forme de persécution à laquelle l’enfant
est susceptible d’être exposé. Le HCR considère qu’une crainte de
MGF qui existerait dans le chef d’un enfant qui ne s’exprime pas sur
cette crainte peut être considérée comme fondée dans la mesure
où objectivement les mutilations génitales sont clairement et
manifestement une forme de persécution. Il ajoute que «dans ces
circonstances, il appartient aux personnes statuant sur ces demandes
d’asile de faire une analyse objective du risque auquel l’enfant est
exposé, même si l’enfant n’exprime aucune crainte26». Compte
tenu des informations objectives que les instances d’asile possèdent
ou dont elles doivent avoir connaissance, elles doivent relever s’il
26. UNHCR, Note d’orientation, op.cit., mai 2009, para.10
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
33
existe un risque de persécution pour l’enfant qui ne peut ou ne veut
exprimer une crainte de MGF.
On peut établir un parallèle avec l’arrêt de la CEDH MSS c. Grèce et
Belgique du 21 janvier 201127 qui prévoit que lorsqu’il est question
d’apprécier un risque en cas de retour, il existe des informations dont
les instances d’asile doivent tenir compte.
Pour l’information relative aux demandes fondées sur une crainte
de MGF introduites par des mineurs, voyez infra chapitre 8, pages
95 et suivantes du manuel.
4.2 La persécutionLe Guide des procédures et critères du HCR stipule qu’il n’y a pas de
définition universellement acceptée de la notion de persécution. Elle
s’entend de violations graves des droits de l’homme ou d’autres
actions ou menaces préjudiciables selon les circonstances de
chaque cas. Il peut s’agir d’une atteinte à la vie privée, à l’intégrité
physique ou à la liberté d’expression, ou de discriminations dans
l’accès à ces droits. En ce qui concerne les MGF, le HCR a considéré
qu’elles sont une forme de violence fondée sur le genre qui entraîne
des dommages importants, à la fois mentaux et physiques, équivalant
à une persécution28.
En Belgique, la loi du 15 septembre 2006 a modifié la loi du 15
27. CEDH, M.S.S c. Belgique et Grèce, requête n°3069/09, Strasbourg, 21 janvier 2011 dis-ponible sur http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/pages/search.aspx?i=001-103293#{%22itemid%22:[%22001-103293%22]}28. UNHCR, Principes directeurs sur la protection internationale n°1 : La persécution liée au genre, op.cit. para. 9 ; voir également le para.7 de la note d’orientation du HCR sur les MGF
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
34
décembre 1980 de manière à préciser ce qu’il faut entendre par actes
considérés comme une persécution au sens de la Convention de
Genève (article 48/3 §2) :
• être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur
caractère perpétré pour constituer une violation grave des droits
fondamentaux de l’homme,(…) ; ou
• être une accumulation de diverses mesures, y compris des
droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un
individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué sous le
premier point.
Les actes de persécution précités peuvent entre autres prendre les
formes suivantes :
a) Les violences physiques ou mentales, y compris les violences
sexuelles ; […]
f) les actes dirigés contre des personnes en raison de leur sexe ou
contre des enfants
En conséquence, le Conseil du Contentieux des Étrangers et avant cela,
la Commission permanente de recours des réfugiés ont considéré que
«les MGF sont une forme de violence physique suffisamment grave
pour être considérée comme une persécution29».
Dans un arrêt récent le Conseil (chambre à 3 juges) a rappelé que
l’excision, quel qu’en soit le type constitue une atteinte grave et
irréversible à l’intégrité physique des femmes qui la subissent30.
29. Notamment : CPRR, 1-0089 du 22 mars 2002 ; CPRR, 02-0579 du 9 février 2007 ; CCE, arrêt n° 14 401 du 25 juillet 2008; CCE, arrêt n° 16 064 du 18 septembre 2008 ; CCE, arrêt n° 21 341 du 12 janvier 2009 ; CCE, arrêt n° 25 095 du 26 mars 200930. CCE, arrêt n° 122 668 du 17 avril 2014 (3 juges)
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
35
4.2.1 Spécificités des MGF
◊ Les MGF : une forme de persécution spécifique aux femmes et aux enfants
Le fait qu’un enfant ou une femme introduise une demande d’asile
peut être un facteur crucial dans l’évaluation du besoin de protection.
En effet, il existe une sorte de présomption de persécutions pour
les femmes et les enfants lorsque certaines formes de violences sont
en particulier exercées sur eux ou qu’elles les affectent de manière
disproportionnée, ou parce que les droits spécifiques des femmes et
des enfants sont enfreints dans leur pays d’origine.
Par exemple, toutes les formes de MGF violent les droits des filles
et des femmes31, y compris le droit à la non-discrimination32, le droit
à la protection contre les violences physiques et mentales33, le droit au
meilleur niveau de santé possible34, et, dans les cas les plus extrêmes,
le droit à la vie35. La Cour européenne des droits de l’Homme affirme
dans l’arrêt Izevbekhai and Others v. Ireland que soumettre une femme
ou un enfant à une MGF est constitutif d’un mauvais traitement
contraire à l’article 3 de la CEDH36. 31. Comité CEDAW, Recommandation générale n°14, 9ème session : L’excision, 1990. Op.cit , paras. 6-9, 11 ; Déclaration interinstitutions MGF, op. cit ., pp. 8-10 ; Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (Comité CEDAW), 1979, art. 5; Convention relative aux droits de l’enfant (CRC),1989, art. 19, 24(3) et 32–36 ; Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits des femmes, 11 juillet 2003,, art. 5.11,12 CRC, art. 19 ; Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 1993, art. 2 (a) PIDCP, art. 6, CRC, art. 632. Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), 1966, art. 3; CEDAW, art. 2 et 5.33. CRC, art. 19 ; Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, 1993, art. 2 (a)34. Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, (PIDESC) 1966 ; CRC, art. 12.35. PIDCP, art. 6, CRC, art. 6.36. CEDH, Izevbekhai et autres c. Irlande, requête n°43408/08, 17 mai 2011 (version an-
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
36
Pour des informations sur la spécificité des violences liées au genre
en matière d’asile, voyez supra chapitre 3, pages 20 et suivantes
du manuel.
Ensuite, le HCR souligne que «les enfants peuvent subir des formes
spécifiques de persécution qui sont influencées par leur âge,
leur manque de maturité ou leur vulnérabilité». D’ailleurs, le HCR
rappelle37 qu’elles peuvent être également considérées comme une
forme spécifique de persécution de l’enfant, étant donné que «ces
pratiques affectent de manière disproportionnée les jeunes filles»38.
Le Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies recommande aux
États de prêter la plus grande attention aux formes et manifestations
spécifiques de persécution aux enfants dans leur procédure nationale
de détermination du statut de réfugié. Comme pour le genre, l’âge est
pertinent pour la totalité de la définition du réfugié39.
Pour des informations relatives à l’introduction par un mineur
d’une demande de protection relative à une crainte de MGF, voyez
infra chapitre 8, pages 95 et suivantes du manuel.
glaise) disponible sur : http://www. unhcr.org/refworld/docid/4e2967082.html37. UNHCR, Note d’orientation sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminines, mai 2009, p.838. UNHCR, Comité Exécutif, Conclusion sur les enfants dans les situations à risque, Nº 107 (LVIII) – 2007, disponible sur : http://www.unhcr.org/cgi-bin/texis/vtx/refworld/rwmain?docid=47189732539. Comité des droits de l’enfant, Observation générale n° 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale, (art.3, para.1), 29 mai 2013 : http://www2.ohchr.org/english/bodies/crc/docs/CRC.C.GC.14_fr.pdf
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
37
◊ Les MGF : une forme de persécution continue et permanente
Dans certains cas, l’excision passée peut être considérée comme une
forme de persécution et justifier l’octroi d’une protection internationale,
même en l’absence de crainte de ré-excision.
Dans sa note d’orientation sur les demandes d’asile relatives aux MGF
de mai 2009, le HCR insiste explicitement sur la nature permanente et
continue d’une mutilation en raison des conséquences à long terme
de la pratique sur la santé physique ou mentale des femmes et de
la menace permanente qui pèse sur elles40.
«Le dommage résultant de la pratique d’une MGF ne se limite pas à
l’intervention initiale. La femme ou la fille demeure mutilée à vie, et
peut souffrir de graves séquelles physiques et mentales à long terme.
Une femme peut également être contrainte de subir une infibulation,
une désinfibulation et une réinfifulation au cours de sa vie, par
exemple, au moment du mariage ou de la naissance d’un enfant. Une
fille ou une femme soumise dans un premier temps à une forme de
MGF relativement mineure, peut, plus tard, subir une forme plus grave
de mutilation. Les femmes ayant survécu à des MGF, encourent des
risques aggravés lors de la naissance d’un enfant, y compris le risque
de perdre l’enfant pendant ou immédiatement après la naissance(...).»41
Le HCR relève en plus que «même si les MGF sont considérées comme
une expérience unique, survenue dans le passé, cela devrait néanmoins
permettre d’attribuer le statut de réfugié à une femme, notamment
40. UNHCR, Note d’orientation sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminines, mai 2009, p.10 para.14, disponible en ligne : http://www.unhcr.org/refworld41. Idem, p.5 para.6
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
38
lorsque la persécution subie est considérée comme particulièrement
atroce et que la femme souffre de traumatismes psychologiques
permanents qui font qu’un retour dans le pays d’origine ne peut être
envisagé». Il ajoute que «la nature permanente et continue des MGF
conforte l’idée qu’une femme ou une fille ayant subi une mutilation
par le passé peut toujours craindre avec raison des persécutions
futures. Il précise aussi qu’il n’est pas nécessaire que les persécutions
futures qui sont craintes, revêtent une forme identique à celles
préalablement subies, dans la mesure où elles peuvent être rattachées
à un motif prévu par la Convention»42.
Le CCE s’est effectivement exprimé dans plusieurs arrêts sur le caractère
permanent et continu de la persécution au regard de l’article 57/7bis
de la loi du 15 décembre 1980 (nouvel article 48/7), ce qui constitue
une évolution importante. Dans un arrêt, le Conseil a considéré que
la requérante craignait avec raison d’être persécutée en raison de son
appartenance à un certain groupe social au vu des traumatismes et
souffrances physiques et morales engendrées par la pratique des MGF43.
Dans d’autres arrêts, le CCE a ordonné des mesures complémentaires
après avoir relevé que le CGRA n’avait pas examiné l’aspect relatif à
l’excision dans le passé invoqué comme motif à part entière de la
reconnaissance de la qualité de réfugié, par la requérante44. Le Conseil
42. … en fonction du cas d’espèce, des traitements infligés et des pratiques spécifiques à sa communauté, une femme ou une fille peut craindre de subir un autre type de mutilation et/ou de souffrir à terme des conséquences de la pratique subie; UNHCR, Note d’orienta-tion sur les demandes d’asile relatives aux mutilations génitales féminines, p.10 para.14 et 15.43. CCE, arrêt n° 71 365 du 1er décembre 2011, point 4.8. Une analyse de cet arrêt est accessible sur le site web de l’asbl INTACT (http://www.intact-association.org).44. CCE, arrêt n° 100 490 du 4 avril 2013 ; La partie requérante soutient que l‘excision qu’elle a subie, même si elle a déjà eu lieu, n’est pas une persécution instantanée mais doit être considérée comme continue. Le CCE a ordonné des mesures d’instruction complémen-taires afin que le CGRA procède a une évaluation spécifique de la crainte et de fournir des
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
39
a également critiqué le CGRA de n’avoir examiné la crainte d’une jeune
fille qui prétendait avoir été excisée à 17 ans – avant son mariage-
uniquement sous l’angle de la ré-excision45.
Enfin, il ressort d’un récent arrêt pris par une chambre à 3 juges46 que le
CCE remet en cause ce caractère continu de la persécution. Il considère
que l’asile a pour objectif de fournir à un demandeur une protection
contre de possibles persécutions et non de permettre la réparation
des dommages inhérents à une persécution antérieurement subie.
Le CCE reconnaît toutefois que dans certains cas, il reste cohérent
de reconnaître la qualité de réfugié, en dépit du fait même que la
crainte pour le futur est objectivement inexistante. Le CCE vise les
cas où en raison du caractère atroce de la persécution subie, la
crainte est exacerbée à un point tel, qu’un retour dans le pays où cette
persécution s’est produite est inenvisageable. C’est alors l’état de la
crainte persistante faisant obstacle à un retour dans le pays d’origine
qui doit être appréciée par les instances d’asile.
4.2.2 Les motifs de la persécution
Dans le cadre de la Convention de Genève, la cause de persécution
doit reposer sur au moins un des critères suivants : la race, la religion,
la nationalité, l’appartenance à un groupe social ou les opinions
infos actualisées de manière à savoir si l’excision doit être considérée en l’espèce comme une persécution continue. Voir également CCE, arrêt n° 94 469 du 28 décembre 2012 ; arrêt n° 100 489 du 4 avril 2013 ; arrêt n° 102 270 du 2 mai 2013.45. CCE, arrêt n° 97 264 du 15 février 2013 : Dans cet arrêt le CCE reproche au CGRA de n’avoir posé aucune question à la requérante à propos des séquelles de cette opération bien qu’un certificat ait été déposé et que la requérante dit avoir subi une MGF à l’âge de 17 ans dans un cadre particulièrement violent et traumatisant. Le Conseil regrette que le CGRA n’ait pas répondu aux questions posées par la partie requérante sur le caractère per-manent et continu de l’excision et l’invocation de l’article 57/7 bis de la loi du 15 décembre 1980 ; voir également en ce sens CCE, arrêt n° 96 952 du 13 février 201346. CCE, arrêt n° 125 702 du 17 juin 2014
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
40
politiques du candidat réfugié.
Dans le cadre d’une demande liée au genre, la persécution peut être
fondée sur un ou plusieurs des motifs prévus par la Convention47. Le
genre peut effectivement influencer, ou dicter le type de persécution
ainsi que les raisons du traitement subi. Les MGF peuvent s’inscrire
dans plusieurs des motifs visés par la Convention de Genève pouvant
justifier l’octroi du statut de réfugié (religion, nationalité, appartenance
à un certain groupe social ou opinions politiques).
◊ Critère de l’appartenance au groupe social
Les lignes directrices48 élaborées par l’UNHCR affirment que les
formes de persécutions spécifiques à l’âge et au sexe, telles que les
MGF, entrent dans le champ d’application de la Convention.
La refonte de la directive qualification (2011/95/EU) a complété
l’article 10d) de sorte que désormais «[…] Il convient de prendre dûment
en considération les aspects liés au genre, y compris l’identité de genre,
aux fins de la reconnaissance de l’appartenance à un certain groupe
social ou de l’identification d’une caractéristique d’un tel groupe». Le
considérant 30 de la directive vise d’ailleurs spécifiquement les MGF en
l’incluant dans la définition d’un certain groupe social en considérant
notamment que l’identité de genre peut être liée à certaines traditions
juridiques et coutumes.
Suite à la transposition de la directive qualification, l’article 48/3, §4
47. UNHCR, Principes directeurs sur la protection internationale n° 1 : La persécution liée au genre dans le cadre de l’article 1A (2) de la Convention de 1951 et/ou son Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, 8 juillet 2008, HCR/GIP/02/01 Rev.1, p.6 para.23.48. UNHCR, Principes directeurs sur la protection internationale relatifs à la question des persécutions fondées sur l’appartenance sexuelle, HCR, Genève, 7 mai 2002 ; UNHCR, Note d’orientation, op.cit., mai 2009
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
41
de la loi du 15 décembre 1980, prévoit ce qu’il y a lieu d’entendre par
groupe social :
• «Un groupe dont les membres partagent une caractéristique
innée ou des racines communes qui ne peuvent être modifiées,
ou encore une caractéristique ou croyance à ce point essentielle
pour l’identité ou la conscience qu’il ne devrait pas être exigé
d’une personne qu’elle y renonce, et
• ce groupe a une identité propre dans le pays en question parce
qu’il est perçu comme étant différent par la société environnante».
L’UNHCR considère que le sexe peut, de façon appropriée, figurer dans
la catégorie du groupe social : les femmes constituant un exemple
manifeste d’ensemble social défini par des caractéristiques innées
et immuables, et étant fréquemment traitées différemment des
hommes. Leurs caractéristiques les identifient également en tant que
groupe dans la société, les exposant à des formes de traitement et des
normes différentes selon certains pays49.
Sur base de ce critère ont notamment été reconnus comme groupe
social la famille, les homosexuels et les femmes.
En ce qui concerne la crainte de MGF, la jurisprudence belge effectue
généralement un lien avec le critère de l’appartenance à un groupe
social. Le CCE a estimé que «dans certaines sociétés, les personnes
d’un même sexe, ou de certaines catégories de personnes d’un même
49. UNHCR, Note d’orientation, mai 2009, op.cit., para 22 et suivants ; voir également la Conclusion du Comité exécutif n° 9, Les femmes réfugiées et la protection internationale, 1985: «Les États (...) sont libres d’adopter l’interprétation selon laquelle les femmes en quête d’asile soumises à des traitements cruels ou inhumains pour avoir transgressé les coutumes de la communauté où elles vivent peuvent être considérées comme appartenant à «un certain groupe social»
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
42
sexe, peuvent être considérées comme formant un groupe social»50.
Il a ainsi reconnu le statut de réfugié à des femmes guinéennes «en
raison de leur condition de femme et en raison de sérieuses craintes
d’être soumises à d’autres formes renouvelées de persécution liées à
cette même condition de femme, en cas de retour»51.
◊ L’opinion politique
La crainte de persécution relative aux MGF peut dans certains cas,
être rattachée à d’autres motifs prévus de la Convention de Genève, et
notamment à celui des opinions politiques.
Il est précisé à l’article 48/3 §4 e) que la notion « d’opinions politiques »
recouvre aussi les idées ou les croyances dans un domaine lié aux
acteurs de persécution visés à l’article 48/5 (..) et que ces opinions,
idées ou croyances se soient ou non traduites par des actes de la part
du demandeur.
Ainsi, le CCE a jugé que «vu l’ampleur de la pratique de l’excision,
les parents qui s’opposent à cette tradition pour leur fille en ne se
conformant pas à un code social strict, peuvent subir des pressions
qui prennent la forme de représailles». Les parents s’exposent dès
lors personnellement à des persécutions au sens de la Convention de
Genève (CCE, arrêt n° 29 110 du 25 juin 2009). Le CCE a reconnu qu’en
exprimant son opposition à la tradition séculaire de l’excision pour sa
fille, le requérant (le père), se mettait au ban de la société52.
50. CCE, arrêt n° 73 564 du 19 janvier 201251. Voir notamment CCE, arrêt n° 51 234 du 17 novembre 2010, et arrêt n° 97 222 du 14 février 201352. Voir CCE, arrêt n° 29 110 du 25 juin 2009 ; RvV n° 45 395 du 24 juin 2010 ; CCE, arrêt n° 59 081 du 31 mars 2011. Ces trois arrêts concernent néanmoins des ressortissants des pays où le taux de prévalence des MGF est extrêmement élevé (Somalie, Guinée).
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
43
L’UNHCR estime qu’en ce qui concerne ce motif, «une requérante
ou un requérant doit démontrer qu’elle ou il craint avec raison
d’être persécuté(e) du fait de ses opinions politiques (généralement
différentes de celles du gouvernement ou de certains secteurs de
la société) ou parce que de telles opinions politiques lui ont été
attribuées. L’opinion politique devrait être entendue au sens large,
et comprend toute opinion ou toute question impliquant l’appareil
étatique, le gouvernement, la société ou une politique. (…)»53.
◊ La religion
Enfin, la crainte de persécution peut reposer sur un motif religieux
dans les cas où les MGF sont infligées dans le but de se conformer à
des normes religieuses. Chaque situation devra donc être examinée
individuellement pour déterminer les motifs de la crainte à prendre
en compte.
4.3 L’absence de protection dans le pays L’absence de protection dans son pays d’origine ou de résidence
habituelle est une condition supplémentaire à l’octroi de la protection
internationale.
La loi du 15 décembre 1980 (article 48/5) apporte des précisions sur
l’agent de persécution, et sur les acteurs de protection potentiels.
53. UNHCR, Principes directeurs sur la protection internationale n° 1: La persécution liée au genre, op.cit., 8 p.8 para.32.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
44
4.3.1 L’agent de persécution
L’article 48/5 de la loi précise que la persécution ou l’atteinte grave
peut émaner de personnes privées ou d’agents relevant de l’État
(article 48/5 § 1er).
Dans le cas de la crainte de MGF, l’agent de la persécution est en
principe ‘non étatique’ puisqu’il s’agit des membres de la famille ou de
la communauté. Il convient alors d’examiner si la requérante peut être
protégée par les autorités (la police, la justice) de son pays pour éviter
d’être exposée à des MGF ou d’autres persécutions qui seraient liées à
son refus de se conformer à cette pratique.
4.3.2 L’agent de protection
L’article 48/5 §2 de la loi belge qui définit les acteurs de protection
a été modifié conformément à la refonte directive qualification54 et
prévoit qu’il y a lieu d’entendre par agent de protection :
a) «l’État, ou
b) des partis ou organisations, y compris des organisations
internationales, qui contrôlent l’État ou une partie importante de son
territoire pour autant qu’ils soient disposés et en mesure d’offrir
une protection, conformément à l’alinéa 2. (...)»
Encore faut-il s’assurer que les agents de protection soient en mesure
d’offrir une protection effective et non temporaire (alinéa 2). – voir
supra, chapitre 4.3.3 du manuel.
Par conséquent, l’agent de protection ne peut être que l’État, des
54. Directive 2011/95/UE du Parlement et du Conseil du 13 décembre 2011, op.cit.p.7.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
45
partis ou des organisations qui contrôlent l’État. Les associations
de terrains ne peuvent être considérées comme des agents de
protection. Le CCE a ainsi rappelé que les ONG locales qui œuvrent
dans la reconnaissance et la défense des droits de la femme en Guinée
ne sont pas des agents de protection au sens de la loi55. Un membre
de la famille ne représente pas non plus un agent de protection. Le
CGRA a déjà considéré – en se basant sur le «SRB mariage56» qu’une
femme guinéenne pouvait trouver une protection auprès de sa famille
maternelle lorsqu’elle rencontrait des problèmes avec sa famille
paternelle. Le CCE a jugé que l’oncle maternel ne pouvait être considéré
comme un agent de protection au sens de la loi et en a conclu que le
motif de l’acte attaqué était erroné57.
Enfin, pour déterminer si un parti ou une organisation internationale
contrôle un État ou une partie importante de son territoire et y fournit
une protection, au sens des articles 48/3 et 48/4 de la loi du 15
décembre 1980, il est tenu compte, entre autres, de la réglementation
européenne prise en la matière.
4.3.3 Une protection effective des autorités ?
La directive qualification a indiqué ce qu’il fallait entendre par
protection effective et non temporaire. Conformément à la directive,
l’alinéa 2 de l’article 48/5 §2 de la loi belge précise que la protection
est généralement accordée lorsque ces acteurs de protection prennent 55. CCE, arrêt n° 98 969 du 15 mars 2013 ; a contrario les arrêts RvV n° 94 542 du 3 jan-vier 2013 et RvV, arrêt n° 97 424 du 19 février 2013 lesquels reprochent à la requérante de ne pas avoir demandé de l’aide à des associations qui militent en faveur des droits des femmes, étant donné qu’il ressort du SRB «mariage» que celles-ci existent et qu’elles sont actives non seulement à Conakry mais aussi à l’intérieur du pays.56. CGRA, service CEDOCA, «Subject Relating Briefing - Guinée – les mariages forcés», mai 2013, accessible sur demande auprès d’INTACT.57. CCE, arrêt n° 92 459 du 20 novembre 2012.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
46
des mesures raisonnables pour empêcher les persécutions ou
les atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système
judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de
sanctionner les actes constitutifs de persécution ou d’atteinte grave et
lorsque le demandeur a accès à cette protection.
Bien que nombreux pays où sont pratiquées les MGF prennent des
mesures pour les interdire et prévoient des peines en cas de non-respect
de la loi, la tradition continue. Cette coutume étant extrêmement bien
ancrée au sein de certaines communautés, les autorités sont parfois
réticentes à intervenir ou incapables de faire cesser ces violences58.
Ces lois restent parfois difficiles à mettre en œuvre.
A cet égard, la note du HCR sur les demandes d’asile relatives aux
MGF de mai 2009 précise que, pour qu’une protection étatique soit
considérée comme existante,
«les États doivent faire preuve de diligence pour éliminer les MGF,
en incluant une politique de prévention appropriée, ainsi que des
poursuites et des sanctions systématiques et directes (et pas seulement
des menaces) contre les crimes liés à ces mutilations (…).»59
Notons à cet égard que l’examen du CGRA d’une crainte d’excision
en Guinée, est généralement basée sur les informations du rapport
CEDOCA relatif aux MGF60. Ce rapport - qui a fait l’objet de nombreuses 58. Suite à une rumeur selon laquelle les petites filles non excisées tombaient malades, de nombreuses filles ont été excisées au cours de l’été 2011, à Conakry et ailleurs en Guinée. Vu l’ampleur du phénomène, les forces de l’ordre sont intervenues à Conakry mais ont été chassées par la population. (cfr «Subject Related Briefing» - Guinée, CEDOCA les mutila-tions génitales féminines (MGF), mai 2012, p.9)59. Voir para. 21 de la Note d’orientation du HCR, mai 2009, disponible: http://www.unh-cr.org/refworld/docid/4d70cff82.html60. «Subject Related Briefing» - Guinée, les mutilations génitales féminines, CEDOCA, réa-lisé en 2012, mise à jour en 2013 et en 2014.
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
47
critiques - relève notamment que «les autorités guinéennes luttent
contre l’excision par des campagnes de sensibilisation et de
prévention qui sont menées en concertation avec des organisations
internationales et nationales (…) ainsi qu’avec les ministères de la Santé,
des Affaires Sociales et de l’Enseignement […]». Le CGRA estime dès
lors que l’Etat guinéen met en œuvre, activement de nombreuses
actions de lutte contre l’excision […], et qu’au vu des informations
objectives dont il dispose, rien ne permet de penser qu’une personne
ne peut protéger sa fille de l’excision, en Guinée. En instance d’appel
de ces décisions, le CCE a souvent annulé ou réformé les décisions
du CGRA au motif que les pièces du dossier dont il disposait ne
contenaient aucune information sur l’effectivité des dispositions
pénales en vigueur, ni sur la protection des autorités en Guinée
contre l’excision, ni sur les diverses formes de MGF que l’on connaît
en Guinée61. Dans un autre arrêt du RvV, le juge a considéré, sur base
d’informations alternatives au rapport CEDOCA que la police et les
tribunaux en Guinée ne sont pas considérés comme un système
judiciaire efficace pour la détection, la poursuite et la condamnation
des infractions, dans le sens de l’article 48/5, §2, al.2 de la loi sur les
étrangers qui détermine la protection62.
Le CCE va plus loin dans son analyse63 dès lors qu’il juge que lorsque
la crainte de la requérante consiste en l’exclusion sociale, en l’espèce
une femme craignait d’être rejetée par son mari, les autorités ne
pourront pas jouer un rôle quelconque afin de la protéger.
61. Voir notamment RvV, arrêt n° 91 796 du 20 novembre 201262. RvV, arrêt n° 117 008 du 16 janvier 201463. CCE, arrêt n° 10 1278 du 19 avril 2013
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
48
Enfin, dans un arrêt de principe64, le CCE estimait qu’au vu «des
constats qu’il a pu dresser sur base des divers rapports et documents
d’information communiqués par les parties que ni l’État guinéen, ni
les partis ou organisations qui contrôlent l’État ou une partie de l’État,
y compris les organisations internationales, ne sont actuellement
en mesure d’accorder une protection contre les risques d’excision».
Cet arrêt va dans le sens d’une jurisprudence constante du CCE qui
souligne au sujet de la Guinée que «la société guinéenne est une
société inégalitaire dans laquelle une femme seule disposant
d’un niveau d’instruction modeste risque d’être placée dans une
situation de grande précarité et ne peut espérer trouver une
protection adéquate auprès de ses autorités nationales»65. Le Conseil
avait également considéré que «ce risque de persécution existe aussi
pour les femmes qui disposent d’un niveau d’instruction élevé mais
souffrent d’un manque d’informations relativement aux droits dont
elles disposent, ou sont ancrées dans les traditions culturelles et
familiales qui veulent que ce type de problème se règle en famille»66.
Il est toutefois difficile pour le demandeur d’asile qui invoque un(e)
(risque de) persécution lié(e) au genre, d’établir l’incapacité de l’agent
étatique à le protéger. Ceci est souvent lié à l’absence ou au manque
d’informations pertinentes en matière de genre sur le pays
d’origine.67
64. CCE, arrêt n° 122 668 du 17 avril 201465. CCE, arrêt n° 95 794 du 24 janvier 2013. En ce sens également : CCE, arrêt n° 96 487 du 31 janvier 2013 ; CCE, arrêt n° 94 072 du 20 décembre 2012 ; CCE, arrêt n° 93 832 du 18 décembre 2012 ; CCE, arrêt n° 92 770 du 30 novembre 2012 ; CCE, arrêt n° 92 336 du 28 novembre 2012 ; CCE, arrêt n° 96 947 du 13 février 2013 ; CCE, arrêt n° 97 222 du 14 février 2013, CCE, arrêt n° 102 199 du 30 avril 2013 ; CCE, arrêt n° 102 875 du 14 mai 2013 ; CCE, arrêt n° 102 812 du 14 mai 201366. CCE, arrêt n° 81 409 du 21 mai 201267. Voir Parlement européen, DG des politiques internes, Egalité des genres : Demandes
MGF - Manuel pratique à l’usage des avocats - Chapitre 4
49
Malgré cette difficulté, le CCE a parfois considéré que l’absence de
protection des autorités nationales n’avait pas été démontrée par le
requérant : soit qu’il n’a effectué aucune démarche pour chercher une
protection, soit qu’il (le CCE) les a jugées insuffisantes68. Il arrive aussi
que l’examen de la protection effective de la requérante ne soit même
pas réalisé dès lors que presque tous les arrêts néerlandophones
examinés dans le cadre de l’étude de jurisprudence69, concluaient à
une absence de crédibilité des faits allégués par la requérante.
Avant de conclure à l’absence de besoin de protection, et en vertu
du principe de la charge de la preuve conjointe, les instances d’asile
devraient examiner si une loi ou des mesures ont été adoptées par
l’État, si celles-ci sont effectivement appliquées dans le pays d’origine
et mesurer l’effet des campagnes de prévention des MGF sur le terrain,
avant de conclure à une absence de protection internationale.
Un tel examen a finalement été réalisé par le CCE dans un arrêt n°
122 669 du 17 avril 2014 par une chambre à 3 juges, lequel statuait
en l’espèce sur l’effectivité des autorités guinéennes à protéger les
filles d’une MGF. Le CCE conclut que «les instruments et mécanismes
mis en place en faveur des personnes exposées à un risque de MGF,
offrent actuellement à celles-ci une protection insuffisante et non
d’asile liées au genre en Europe - Une étude comparative des législations, politiques et pratiques axées sur les femmes dans neuf États membres de l’Union européenne France, Belgique, Hongrie, Italie, Malte, Roumanie, Espagne, Suisse et Royaume-Uni, novembre 2012, p.5068. CCE, arrêt n° 45 337 du 26 juin 2010 ; CCE, n° arrêt 52 693 du 8 décembre 2010 ; RvV arrêt n° 46 302 du 13 juillet 2010 ; CCE, arrêt n° 17 310 du 17 octobre 2008 ; RvV arrêt n° 13 157 du 26 juin 2008 ; arrêt n° 25 092 du 26 mars 200 ; CCE, arrêt n° 50 889 du 8 novembre 2010 ; CCE, arrêt n° 61 832 du 19 mai 2011 ; CCE, arrêt n° 59 081 du 31 mars 2011 ; CCE, arrêt n° 88 089 du 25 septembre 2012 ; CCE, arrêt n° 94 315 du 21 décembre 2012 et CCE, arrêt n° 97 222 du 14 février 201369. Grinberg M., Lejeune C., Etude de jurisprudence sur les pratiques traditionnelles né-fastes liées au genre : le cas particulier de la Guinée, INTACT asbl, 2013, page 60