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Les dossiers X Ce que la Belgique ne devait pas savoir sur l’affaire Dutroux Deuxième impression: novembre 1999 Première impression: novembre 1999 Couverture: Zizó! Photo des auteurs: Gert Jochems Photocomposition: EPO Impression: EPO [0973J] Traductions: Olivier Taymans © 1999 Editions EPO, Editions Houtekiet et les auteurs Chaussée de Haecht 255 1030 Bruxelles - Belgique Tél: 32 (0)2/215.66.51 Fax: 32 (0)2/215.66.04 E-mail: [email protected] Lange Pastoorstraat 25-27 2600 Anvers - Belgique Tél: 32 (0)3/239.68.74 Fax: 32 (0)3/218.46.04 E-mail: [email protected] Isbn 2 87262 153 9 D 1999/2204/48 Mots clés: réseaux pédosexuels, fonctionnement de l’Etat, enquêtes judiciaires, justice, polices Vous êtes tellement nombreux à nous avoir aidé d’une manière ou d’une autre que nous ne pouvons plus vous compter. Mais, en particulier, nous voudrions dire merci à André, Anne, Anne- Carole, Anne-Marie, Ayfer, Bruno, Carine, Caspar, Christian, Christine, Claude, Daniel, Danny, Donatienne, Eddy, Elio, Els, Erwin, Filip, Flurk , Frans, Frans, Gaby, Guendalina, Hadewych, Hans, Hilde, Jan, Jan, Jean-Luc, Jean-Luc, Jean-Philippe, José, Laurent, Lieve, Loretta, Luc, Marc, Marc, Marcel, Marco, Marie-Noëlle, Michel, Michel, Mike, Monique, Paëlla, Patricia, Patrick, Paul, Pina, Pol, Raf, Regina, Rita, Ruf , Saskia, Serge, Tania, Theo, Tintin, Tiny, Veerle, Vero , Véronique, Walter, Werner, Willy, Yola, le couple de Zellik, Zoë,... Aux autres, nous le dirons de vive voix. Nous remercions tout particulièrement Olivier Taymans, qui a été pour ce livre bien plus qu’un traducteur et qui mérite d’ailleurs beaucoup plus que cette petite phrase. Merci également, et surtout, à tous les gens qui ont bien voulu prendre le temps de nous parler.

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Les dossiers X Ce que la Belgique ne devait pas savoir sur laffaire Dutroux

Deuxime impression: novembre 1999 Premire impression: novembre 1999 Couverture: Ziz! Photo des auteurs: Gert Jochems Photocomposition: EPO Impression: EPO [0973J] Traductions: Olivier Taymans 1999 Editions EPO , Editions Houtekiet et les auteurs Chausse de Haecht 255 1030 Bruxelles - Belgique Tl: 32 (0)2/215.66.51 Fax: 32 (0)2/215.66.04 E-mail: [email protected] Lange Pastoorstraat 25-27 2600 Anvers - Belgique Tl: 32 (0)3/239.68.74 Fax: 32 (0)3/218.46.04 E-mail: [email protected] Isbn 2 87262 153 9 D 1999/2204/48 Mots cls: rseaux pdosexuels, fonctionnement de lEtat, enqutes judiciaires, justice, polices

Vous tes tellement nombreux nous avoir aid dune manire ou dune autre que nous ne pouvons plus vous compter. Mais, en particulier, nous voudrions dire merci Andr, Anne, AnneCarole, Anne-Marie, Ayfer, Bruno, Carine, Caspar, Christian, Christine, Claude, Daniel, Danny, Donatienne, Eddy, Elio, Els, Erwin, Filip, Flurk, Frans, Frans, Gaby, Guendalina, Hadewych, Hans, Hilde, Jan, Jan, Jean-Luc, Jean-Luc, Jean-Philippe, Jos, Laurent, Lieve, Loretta, Luc, Marc, Marc, Marcel, Marco, Marie-Nolle, Michel, Michel, Mike, Monique, Palla, Patricia, Patrick, Paul, Pina, Pol, Raf, Regina, Rita, Ruf, Saskia, Serge, Tania, Theo, Tintin, Tiny, Veerle, Vero, Vronique, Walter, Werner, Willy, Yola, le couple de Zellik, Zo,... Aux autres, nous le dirons de vive voix. Nous remercions tout particulirement Olivier Taymans, qui a t pour ce livre bien plus quun traducteur et qui mrite dailleurs beaucoup plus que cette petite phrase. Merci galement, et surtout, tous les gens qui ont bien voulu prendre le temps de nous parler.

Pour Tracy, Max et Juliette

TABLE DES MATIERES1. HIVER 1995 Jean-Paul Raemaekers 1.1 Le procs dassises 8 1.2 Un tmoin fou trs courtis 20 1.3 Le curieux procs-verbal du commissaire Marnette 28 2. ETE 1996 Marc Dutroux et Michel Nihoul 2.1 Michel Lelivre 40 2.2 Bernard Weinstein 51 2.3 Michle Martin 61 2.4 Marc Dutroux 74 2.5 Une famille flamande Bertrix 88 2.6 Michel Nihoul 111 3. AUTOMNE 1996 X1 apparat 3.1 Premier contact 126 3.2 Premires auditions 131 3.3 Lenqute sur le meurtre de Carine Dellaert 147 3.4 Elle sappelait Kristien 169 3.5 Deuxime audition sur Kristien 187 3.6 Lenqute sur le meurtre de Christine Van Hees 210 3.7 Le rapport oubli de la Sret de lEtat 238 3.8 Le meurtre du camping Oud-Heverlee 252 4. HIVER 1996 Les fausses pistes 4.1 Le dossier Di Rupo 264 4.2 La perquisition Abrasax 269 4.3 Les grands travaux inutiles Jumet 273 5. PRINTEMPS 1997 Encore dautres tmoignages 5.1 Les pripties du dossier Nathalie W. 302 5.2 X2, X3, X4, X69 et VM1 313 5.3 Les amies de X1 se souviennent 335 5.4 Un violeur en srie 352 5.5 Dautres disparitions oublies 361 5.6 Le meurtre de Katrien De Cuyper 372 6. 1997-1999 Suite et consquences 6.1 Premier rapport de relecture 390 6.2 Deuxime et troisime rapports de relecture 414 6.3 Les relations de Michel Nihoul 446 6.4 Quatrime rapport de relecture 464 6.5 Le faux dossier du parquet de Gand 484 6.6 Le juge Pignolet fait de lexcs de zle 514 NOTE D ES AUTEURS 526 NOTES 533 INDEX 567

Perhaps it is better to be irresponsible and right than to be responsible and wrong Winston Churchill

CHAPITRE 1

Hiver 1995Jean-Paul Raemaekers

Je vais mettre la machine en marcheJean-Paul Raemaekers, 27 janvier 1995Pour le public fidle des cours dassises, avide de passion et de drame, le spectacle risque dtre ennuyeux. Personne na t assassin, ni enlev, ni pris en otage. Lhomme qui comparat est pratiquement inconnu et il a avou ce quon lui reproche. De plus, si quoi que ce soit de sensationnel devait survenir dans ce procs, cela se passerait huis clos. Ce matin du 23 janvier 1995, les habitus des assises de Bruxelles se prparent suivre des dbats techniques et procduriers sur la psychologie de laccus, des dbats qui risquent de durer des journes entires. Sans surprise, la dfense demande linternement. De manire tout aussi prvisible, le procureur Raymond Loop plaidera en fin de semaine pour une peine exemplaire.

Laccus est Jean-Paul Raemaekers, quarante-cinq ans, Bruxellois. Il doit rpondre du viol et de la torture de trois enfants: huit, neuf et dix ans. Les preuves sont convaincantes: neuf squences quil a filmes lui-mme en vido, o tout est clairement visible. Comme il a dj t condamn en 1989 pour des faits identiques, lissue du procs est facile deviner. Les perspectives de Raemaekers sassombrissent encore lorsquil savre, au premier jour du procs, que son avocat, le clbre pnaliste Jean-Paul Dumont, ne sera pas prsent laudience. Il sest fait excuser et remplacer par ses confrres Marc Depaus et Patrick Gueuning. La dfense semble dj se rsigner une situation dses pre. Le seul qui a lair de voir les choses sous un autre angle, cest Jean-Paul Raemaekers lui-mme. Il joue le petit-bourgeois au grand cur qui, dune btise, a gch une vie jusqualors irrprochable. Il est ras de prs et sort de chez le coiffeur. Au dbut, il ne parle que lorsquon linterroge. Quand il sexprime, cest avec pathos; il se perd en considrations lyriques tout fait dplaces. Son dbit est vertigineux. Il peut aussi prendre un ton dexcuse, presque de soumission. Ou pompeux: Je ne veux rien cacher et jentends jouer cartes sur table, rpond-il la premire question de la prsidente Karin Gerard. Oui, reconnat-il, son orientation sexuelle est un problme particulirement grave. Oui, lui aussi a visionn les films, mais dans un premier temps, il ne pouvait pas croire que ctait bien lui qui, en violant la petite fille, clatait de rire mesure quelle hurlait de douleur. Lorsque de telles choses se produisaient, il perdait compltement le contrle de ses actes. Pour compenser ma maladie, jai toujours tent de faire le bien, dit-il en se complaisant dans le rle du malade. Jai souvent fait des dons anonymes des homes et des orphelinats. 1 Certains membres du jury somnolent dj lorsque Karin Gerard aborde, en ce premier jour daudience, le sujet invitable: sa jeunesse. Une jeunesse triste, comme celle de presque tous les accuss dassises. Raemaekers nest pas le nom sous lequel il est n, le 25 juin 1949, premier enfant dune certaine Rose Wattiez, dEtterbeek. Mre clibataire, elle labandonne un an et demi plus tard lassistance publique Bruxelles. Il apprend ses premiers mots lorphelinat. En 1954, il est adopt par Armand Raemaekers, un colonial la tte dune famille dj nombreuse. Le petit Jean-Paul part vivre avec eux au Congo belge jusqu lindpendance. De retour en Belgique, la famille place lenfant, g maintenant de onze ans, en pension; il en est renvoy dix-sept pour faits de murs sur des camarades plus jeunes. Elle ma vendu pour 40.000 francs, fulmine laccus lorsque la juge Gerard prononce le nom de Rose Wattiez. Il nestime pas davantage son pre biologique. Selon lacte daccusation, il sagit de Franois Deliens, vque de lEglise gallicane Lige. Un homme mari et pre de cinq enfants. Daprs Raemaekers, il faut y ajouter neuf enfants naturels, dont lui-mme. Rose Wattiez la confirm lors de linstruction: Deliens est bien le pre. Lorsque lvque est appel tmoigner, il le nie avec force. Mais plus encore que lvque, il dteste sa famille adoptive: Cest l quil faut chercher la cause, scrie-t-il. Dans cette famille, je recevais plus de coups que de nourriture. Je souffre aujourdhui encore de navoir jamais connu la chaleur dun vrai foyer. A cause de ce qui est arriv l, jai commenc har les femmes. Je suis violent a vec elles. Ce ne sont pas des femmes que la prsidente veut entendre parler, mais des enfants. Je ne veux pas minimiser mes problmes, dclare Raemaekers en se repliant sur son rle. Je recherche surtout la vrit.

Ce nest pourtant pas ce qui ressort de linstruction, rplique la prsidente. Les vidos, qui pour laccusation constituent les pices conviction, datent daot 1992 mars 1993. Pendant deux mois, Raemaekers a maintenu navoir aucun lien avec la production de ces enregistrements. Il a tout dabord prtendu quil avait achet ces cassettes et que ctait une simple concidence si le coupable lui ressemblait. Ce sont ses propres filles, ges seulement de neuf et onze ans, qui ont reconnu, sur des photos extraites des vidos, leurs camarades de classe Nancy P. et Nelly D.V. Nancy, dix ans, et Nelly, huit ans, sont deux demi-surs issues dune famille dfavorise, dont la mre a fait la connaissance du gentil monsieur Raemaekers la sortie de lcole. Il les a aids, elle et son compagnon, trouver un logement. Ils sont devenus bons amis. Nelly et Nancy allaient de temps en temps loger chez leurs amies le week-end. Cest l que tout sest droul. Je naurais jamais os souponner Jean-Paul dune chose pareille, dclare le pre de Nancy. Nelly fournit une preuve matrielle aux enquteurs: la chemise de nuit quelle portait lors des prises de vue. Selon Nancy, elles ont log au moins une vingtaine de fois chez lui; selon Nelly, un peu plus de dix fois. Les enquteurs apprennent que Nelly souffre de squelles psychologiques, de dissociation. Elle a refoul une partie des horribles souvenirs. Elle se met en rage chaque fois que quelquun tente de les lui rappeler. Les dclarations des fillettes concordent pour dire que Raemaekers agissait toujours seul. Ds que sa femme avait quitt la maison, il sortait sa camra. Si les gamines se rebellaient, elles taient battues sans la moindre piti et Raemaekers menaait de les emmener quelque part o ce serait encore beaucoup plus pnible que chez lui. Nancy est un jour rentre chez elle avec un il au beurre noir. Elle a racont quelle stait cogne dans une porte. Sa mre na pas cherch plus loin. Sur une des photos, on a galement reconnu Anglique D.G., qui avait neuf ans lorsque, fin 1992, elle a dormi deux fois chez Raemaekers. Sa photo est extraite dune squence filme qui dure quatorze minutes et cinq secondes. Les jurs visionnent la vido pendant le procs. Au dbut de la squence, contrairement Nancy et Nelly, Anglique na aucune ide de ce qui va arriver. Elle est joyeuse et souriante. Linstant suivant, affole, elle hurle et appelle sa maman. Raemaekers la pntre plusieurs fois et loblige lui faire une fellation. A la fin de la torture, il lche dans un rire gras: Bon, on fera lautre moiti demain. Lappartement de Raemaekers, avenue Louise, Bruxelles, est facilement identifi sur lenregistrement. Pourquoi enregistriez-vous ces scnes? Il y avait beaucoup dargent gagner. On pouvait aussi changer ces cassettes. Avec qui? Cela se passait dans un rseau de pdophilie trs tendu, qui opre en Belgique, aux PaysBas et en Allemagne. Moi-mme, je ntais quun petit lment de ce rseau. Qui taient les autres? Je ne souhaite pas faire de dclarations ce sujet pour linstant.2

Laprs-midi, le premier tmoin venir la barre est le juge dinstruction bruxellois Damien Vandermeersch. Il explique la cour que cest par hasard quon a dcouvert les bandes vido. Ctait au mois de mai 1993. Quelques semaines plus tt, son collgue Jean-Claude Van Espen avait lanc un mandat darrt international contre Raemaekers, qui avait pris le large avec les millions que des investisseurs nafs avaient confis PEFI, sa socit bidon. Il avait pris la fuite en compagnie de son pouse, Rgine Depeint, en direction des Pays-Bas. La police nerlandaise parvient le retrouver le vendredi 21 mai Rotterdam. Raemaekers est arrt dans un htel alors quil est sur le point dentamer des ngociations pour reprendre un sex-shop local, comme lapprend le contenu de sa mallette, qui contient galement 2 millions de FB en liquide. Le mme jour, une perquisition a lieu son domicile, Dorpsweg, 198 A, Rotterdam. Dans la maison, on met la main sur une quantit de papiers didentit vierges, vols dans des maisons communales en Belgique et aux Pays-Bas, et sur des documents qui indiquent que Raemaekers est dj propritaire dun bar filles dans le quartier chaud de Rotterdam. Cest un enquteur hollandais qui stonne de lincroyable quantit de revues et de cassettes pornographiques stockes sur place. Elles sont tiquetes et classes avec la maniaquerie dun philatliste. Lenquteur visionne une cassette, au hasard, et en reste sans voix: des enfants, le plus souvent asiatiques, parfois europens, sont viols par un sadique. La voix du sadique est familire aux enquteurs belges. Le 24 mai 1993, Raemaekers est extrad vers la Belgique. A ct de linstruction PEFI 3 , un second dossier est ouvert au parquet de Bruxelles sous la direction du juge dinstruction Vandermeersch. Il ordonne immdiatement des perquisitions complmentaires. La prise la plus intressante a lieu le 10 juin, lorsquon dcouvre encore 125 cassettes vidos et quatre films une seconde adresse de Raemaekers Rotterdam. Quand il tmoigne devant la cour dassises, Damien Vandermeersch ne donne aucune indication sur le nombre total de cassettes dcouvertes chez Raemaekers. Selon lacte daccusation rdig par lavocat gnral Loop, seules neuf vidos peuvent tre utilises comme pices conviction, sur lesquelles on a identifi la fois la victime et le coupable. Cest un bel exemple denqute o on sait pertinemment bien quon ne voit que la partie merge de liceberg, se souvient plus tard un enquteur de la BSR de Bruxelles. Mais cette toute petite partie tait si grave quelle pouvait suffire devant un tribunal. La Belgique est comme a. Pragmatique. On ne va pas laisser lenqute prendre des proportions colossales. On larrte ds quil y a assez de preuves pour obtenir la perptuit pour le coupable. A Rotterdam, on a trouv 4000 cassettes vido au total. Je men souviens trs bien: cest cause de ces cassettes quon a d louer deux camions pour rapatrier les saisies. Lacte daccusation dcrit le contenu des neuf cassettes slectionnes: Le scnario tait en gnral le mme. Il filmait une petite fille en chemise de nuit qui commenait se dshabiller. Lhomme lui demandait de se coucher sur le lit ou sur une table. Elle devait carter les jambes et ouvrir la bouche. L-dessus, lhomme posait laide de son sexe des actes de pntration vaginale et orale, jusqu ce quil jacule. La peur et la rticence des victimes taient manifestes. Le coupable nhsitait pas les menacer. Il filmait lui-mme le spectacle, dont il tait la fois metteur en scne et acteur. Il interrompait dailleurs rgulirement ses actes afin de mettre au point lobjectif de la camra ou de changer langle de prise de vue. 4 Le procs nclairera pas vraiment la relation qui existe entre Jean-Paul Raemaekers et son pouse, Rgine Depeint. Elle est administrateur dlgu de PEFI et le mandat darrt international la concernait autant que lui. Il apparat rapidement que, tout comme les deux pouses prcdentes de Raemaekers, elle souffrait beaucoup des accs de rage de laccus. Cependant, Vandermeersch estime quelle ne savait rien de sa personnalit cache de pdophile. Laccus tait furieux lorsquil a appris que nous lui avions montr les vidos. Ctait cependant ncessaire pour faire avancer lenqute. Le juge explique encore que les premires auditions de Raemaekers ne se droulaient pas comme sur des roulettes. Il refusait toute dclaration. Il tait agressif et rvolt.

Il faut attendre le 16 septembre 1993 pour que Raemaekers accepte de commencer parler aux enquteurs des cassettes vido. Ce quils ont trouv l, leur dit-il alors, nest quune partie de sa collection. Avec les aveux viennent les allusions des rseaux de pdophilie et des clients haut placs. Dans le mme temps, Raemaekers relativise de plus en plus son propre rle. Mais vous navez pas trouv trace de complices? Sur les bandes que nous avons pu visionner, il est seul. Il ressort dailleurs de ces images quil actionnait la camra tout seul. Il ny avait pas dautres adultes impliqus? Non. Lors des interrogatoires, par contre, laccus a affirm quil y en avait, dautres occasions similaires. Il a dclar quil se trouvait dans une situation difficile, car il lui faudrait citer les noms dun politicien et dun officier suprieur de larme. Il nous a dit galement quil avait particip avec ces deux messieurs des parties fines une adresse de lavenue Franklin Roosevelt Bruxelles. Selon lui, y participaient galement un magistrat, un avocat et plusieurs membres du corps diplomatique. Sur le banc des accuss, Jean-Paul Raemaekers se balance nerveusement. Apparemment, il se soucie beaucoup de tout ce quon raconte sur lui, mais personne ne peut dduire de ses nombreuses grimaces sil est daccord ou non avec ce qui est dit. Les jurs, eux, en savent assez pour comprendre quils auront juger, la fin de la semaine, un tre abject. Ses bavardages sur des personnalits haut places correspondent bien limage du rat qui cherche dsesprment se justifier. Pour les enquteurs, ctait une exprience terrible, poursuit Vandermeersch. Nous tions en quelque sorte les tmoins oculaires dun crime atroce, rpugnant. Tantt la camra tait braque sur la position de lenfant vis --vis de son violeur, tantt en gros plan sur le visage de la victime. Rgulirement, nous entendions que les enfants taient battus pour les forcer des actes sexuels. Sur lune des bandes, nous lavons entendu dire une victime de cesser de pleurer. Il la menaait de recommencer toute la scne sil savrait que la qualit de limage ntait pas assez bonne. La scne en question, explique le juge, a dur exactement vingt minutes et sept secondes. Raemaekers force Nancy P. lui faire une fellation et avaler son sperme. Avant den arriver l, il lui crie dessus une fois de plus. Il lui dit que cest de sa faute si la camra nest pas oriente correctement et sil faut tout recommencer le lendemain. Sur la bande, on entend la gamine dire merci quand il dcide que cest assez pour aujourdhui. Ces enfants sont marqus vie. Lors de linstruction, jai rencontr la mre de lune des trois petites filles. Elle ma dit quelle avait le sentiment davoir perdu son enfant jamais. Jai tent de parler lune des enfants, mais sans succs. On remarquera dailleurs que ces enfants nont jamais dit mot du cauchemar quils ont vcu.

Le deuxime jour du procs, les experts prennent place la barre. Dans un rapport crit, rdig conjointement le 6 mars 1994, les psychiatres bruxellois Crochelet et Delattre ont dj expliqu leur pessimisme sur les chances de gurison de Jean-Paul Raemaekers. La seule chose qui pourrait le motiver se faire soigner, cest la peur dune sanction pnale, dclare le docteur Delattre. Les deux psychiatres estiment Raemaekers responsable de ses actes. Cest Raemaekers lui-mme qui les a conforts dans cette opinion, par ses plaidoiries circonstancies en faveur de linternement. Il sait que cest la seule faon pour lui de retrouver assez vite la libert. Pourtant, ce nest pas un pdophile ordinaire, souligne Delattre. Chez lui, la perversion sexuelle nest quune facette dun comportement psychopathe qui peut prendre diverses formes. Son comportement se caractrise par un besoin parfois hystrique dentrer dans la peau dun autre, de prfrence quelquun dimportant. Il le fait avec tellement de conviction quil finit par croire ses propres mensonges. Toute sa vie a t place sous le signe dune aspiration profonde cet autre moi, au respect. Dans leur rapport, les psychiatres lui attribuent encore quelques caractristiques frappantes: le thtralisme, la mythomanie, la mgalomanie, la paranoa, lhystrie, le narcissisme, une impulsivit extrme, labsence de toute forme de peur. Il y a, dans le rapport Crochelet-Delattre, une petite phrase qui aurait pu, si elle avait t remarque temps, faire conomiser des dizaines de millions lEtat belge deux ans plus tard Jumet. Elle est tire dun passage dans lequel les mdecins tentent de prdire comment Jean-Paul Raemaekers voluera au cours dune longue incarcration. Il y a deux possibilits, crivent-ils. Soit il seffondrera psychiquement, soit il se mettra en scne dans un rle qui lui semble plus appropri aux circonstances du moment. Le troisime psy qui entre en scne est le mdecin bruxellois Berger. Il tait cens suivre Raemaekers aprs sa libration conditionnelle anticipe en 1991. Mais personne ne ma fait savoir lpoque que javais affaire un pdophile, tmoigne Berger. Contrairement ses deux confrres, Berger croit aux bienfaits de linternement. Pour lui, le procs en lui-mme est un lment important de la thrapie que devrait suivre Raemaekers. Pour un mythomane comme lui, la pire punition est la confrontation ultime avec lui-mme. Cest ce qui a lieu dans cette cour dassises. Le troisime jour du procs, ses trois ex-pouses tmoignent. Lune aprs lautre, elles brossent le portrait dun prince charmant au dpart sducteur et attentionn qui se transformait au fil des mois en tyran domestique obsessionnel. Ses propres enfants, il les frappait souvent et fort, mais il ne les a jamais viols. Cest quasiment la seule note positive que Rgine Depeint ajoute au tableau. Un moment, le public samuse, quand on apprend que Raemaekers se nommait pour lune, Alexandre de Saligny et pour lautre, Alexandre Hartway La Tour. Au troisime mariage, il a ajout le nom de son pouse au sien. Il sappelait alors Alexandre Jean-Paul Raemaekers de Peint. Il y a une constante: Jean-Paul Raemaekers aime se faire appeler Alexandre. Les conseillers laques, qui visitaient Raemaekers en prison, ont ensuite la parole. Il ma racont quil ntait quun petit rouage dans un rseau beaucoup plus grand, dclare lun deux. Il disait quil avait fourni des petites filles pour des parties fines auxquelles assistaient des personnages puissants et importants. Non, il na jamais cit de noms. Ce dont je me souviens, par contre, cest quun beau jour, il a dit: Si je parle, le pays clate.

Depuis le dbut de la semaine, Franoise de Saligny suit le droulement du procs, jour aprs jour, avec la plus grande attention. Elle est attache culturelle lambassade de Finlande Bruxelles, et jouit dune certaine notorit Paris pour ses essais sur les beaux-arts. Franoise de Saligny nest pas peu fire de ses origines. Son pre a retrac larbre gnalogique complet de la famille et est arriv la conclusion quelle est la dernire descendante de la ligne. A lt 1987, un collgue lui met un journal sous le nez et lui demande si cest dun de ses parents dont on parle. Elle lit larticle avec un tonnement croissant: Alexandre de Saligny est crivain. Et, dit-il, fort connu en France. Mais le hasard la fait natre Bruxelles et il a gard pour la Belgique une fibre sensible. Ainsi donc, aprs avoir conquis la gloire Paris, il entend simposer dans son pays et il profitait de la parution de son vingt-deuxime ouvrage pour se faire connatre du public belge. Il a donc tenu une confrence de presse la Maison de la presse Namur. 5 Madame de Saligny arrive mettre la main sur un exemplaire du livre en question: Les anges se parlent. Elle tombe sur une srie de vers ridicules qui parlent des choses de la vie. Un feuillet volant est annex: Vous dsirez publier un livre? Je vous aiderai. Vous souhaitez crire un livre? Je lcrirai pour vous. Sign: Alexandre de Saligny. A la deuxime page, Franoise de Saligny sarrte sur une premire faute de franais et appelle son avocat, Alain Berenboom. Cest plus grave que vous ne limaginiez, lui dit-il quelques jours plus tard. Car Alexandre de Saligny collectionne les ennuis avec la justice.6 Ds son premier emploi de courtier en assurances, il a fil avec la premire somme dargent qui lui est tombe dans les mains. Il a cop pour cela de quatre ans de prison le 8 mai 1979.7 En 1980, il est condamn trois fois. Le tribunal correctionnel de Bruges lui retire vie son permis de conduire aprs un accident mortel de la route. Suivent, Bruxelles, deux condamnations quatre mois de prison ferme pour tentative dextorsion de fonds et deux mois de prison ferme pour escroquerie. Ds 81, Raemaekers met profit son tout premier cong pnitentiaire pour prendre la fuite en France. Avant de faire le chemin en sens inverse, cinq ans plus tard, pour chapper aux ennuis accumuls en France.8 Matre Berenboom achve de brosser le tableau sa cliente avec une dernire condamnation, rcente celle-l: le tribunal correctionnel de Namur la encore condamn pour escroquerie, le 5 juin 1987. Comment Raemaekers sy prend-il pour chapper la prison? Cest le mystre. Mais il est bel et bien libre et sa fausse identit ne lui sert mme pas se cacher de la justice. Sa photo est bien en vue au dos des petits livres quil dite et une courte biographie gonfle de prix littraires imaginaires mentionne sa date de naissance et le nom de sa mre. A la mme poque, en 1987, Jean-Paul Raemaekers occupe une maison de matre, avenue Paul Dejaer, Saint-Gilles. Un quartier bourgeois aux maisons cossues du dix-neuvime sicle o atterrissent pas mal de quadragnaires divorcs qui refont leur vie. Raemaekers frquente ce milieu o il passe pour crivain, impresario, philosophe et matre dchecs. Dun seul m lch ici et l, ot devant ses nouveaux amis, il laisse deviner sa noble ascendance. A dautres, il affirme avec le plus grand srieux quil est le fils de lvque de Lige. Raemaekers ne craint pas les contradictions. Dans toute cette comdie, une chose est vraie: Alexandre, comme il se fait bien sr appeler, est effectivement de premire force aux checs. Certains de ses amis se souviennent: Il aimait pardessus tout les parties o il pouvait jouer contre plusieurs personnes en mme temps; il menait sans problme neuf ou dix parties la fois.

Les Editions Impriales dOccident, cres par Raemaekers le 1er mars 1987, sont bases SaintGilles, au 4 de la rue de Lombardie. La plupart des petits livres exposs ltalage ont Alexandre de Saligny pour auteur. Il ny en a pas 401, comme il le prtend au dos des couvertures, mais plus dune dizaine quand mme. Lun deux reprend le texte dun opra, La Belle de Budapest. Un autre est une biographie de Rocco Di Quinto, un chanteur de charme italo-belge qui a connu quelques succs en Wallonie au dbut des annes 80. On y apprend que Rocco Di Quinto a des relations plus quamicales avec ses choristes mineures. Il met mme lune delles enceinte. La nouvelle lgislation en matire de travail des enfants menace la carrire pourtant prometteuse de Rocco Di Quinto, crit Alexandre de Saligny.9 A mesure que Franoise de Saligny se renseigne plus avant sur lhomme qui lui a vol son nom, le mystre spaissit. Il possde trois voitures flambant neuves: une Jaguar et deux Porsche. Dans les cafs de Saint-Gilles, il agite de grosses liasses de billets. Il voyage constamment. Pour affaires. Le 13 octobre 1988, lavenue Paul Dejaer sursaute: la brigade des murs de la police judiciaire de Bruxelles prend une maison dassaut. La porte est enfonce. Un mgaphone assourdit la rue pendant quon arrte le suspect qui se cache dans une penderie ltage. Il a fallu une semaine de planque pour mener bien lopration. Raemaekers, tuyaut, avait pris la fuite aux Pays-Bas. Il est rentr au bout dune semaine, estimant, tort, que tout danger tait cart. Franoise de Saligny lit laffaire dans le journal. Raemaekers est accus de viols multiples sur la personne dIsabelle L., une petite fille de onze ans. En aot 1988, il persuade ses parents quelle a une voix en or et quelle doit durgence enregistrer un 45 tours. De prfrence Manille, o les studios denregistrement sont tellement bon march. Il monte si bien la tte aux parents quil leur fait investir 205.000 FB dans le projet. Depuis Manille, il convainc le brave papa de verser encore 250.000 FB par virement postal. Cest que la petite Isabelle a fait si forte impression sur les patrons du showbiz local quil est maintenant question dun 33 tours! Isabelle passe quarante et un jours aux Philippines en compagnie de son impresario. Elle y fait de nombreux enregistrements, qui nont rien voir avec la chanson. Il ny a quune camra vido, fixe sur un pied, au beau milieu dune chambre dhtel.10 Au cours de linstruction de 1988, on dcouvre encore que, dans les semaines qui ont prcd son arrestation, Raemaekers tait entirement absorb par la cration dune ASBL appele SOS Enfants en Dtresse. Son intention tait de liquider sa librairie pour transformer les lieux en maison daccueil pour enfants en difficult. On saperoit aussi quil a t, pendant toute lanne 1986, le tuteur officieux dune jeune fille de treize ans, dont la mre, une marginale de Charleroi, ne voulait plus. Sylviane B., qui habitait chez Raemaekers, raconte quelle tait maltraite et viole. Lors des viols, il me ligotait, explique-t-elle. Personne ne la croit. Pas mme sa mre. Pas mme lorsque le nom de Raemaekers, accus de pdophilie, stale dans la presse. Elle invente affirme la mre aux enquteurs. Le tmoignage de Sylviane B. en est rest l. Sans suite. Aujourdhui encore. Le 7 juin 1989, Raemaekers est finalement condamn pour usurpation didentit, suite la plainte dpose par Franoise de Saligny. Il lui est interdit jamais dutiliser son cher pseudonyme.11 Moins de trois semaines plus tard suit une nouvelle condamnation. Le tmoignage dIsabelle L. sur ce qui sest pass Manille le fait condamner cinq ans de prison, dont deux avec sursis, devant le tribunal correctionnel de Bruxelles. Raemaekers a ni lvidence pendant tout le procs. Elle ment, affirmet-il, jamais je ne lai pntre et jamais je ne lai force me faire de fellation. Quatre ans plus tard, lors les perquisitions de Rotterdam, les enquteurs dcouvriront la cassette sur laquelle on voit quIsabelle a dit la vrit. Et quun autre enfant a t maltrait Manille. Une petite Philippine quon ne prendra pas la peine didentifier.12

Aprs avoir purg le tiers de sa peine, Jean-Paul Raemaekers est libr le 14 octobre 1991. Son retour sur la scne bruxelloise est aussi clatant que sa sortie a t pitoyable deux ans plus tt. A peine libr, il loue un bureau sur lavenue Louise Bruxelles. Au 163, deux pas du sige principal de la Commission Bancaire et Financire, il propose des taux dintrt court terme de 22% et plus. Raemaekers est devenu investisseur. Le numro un en placements internationaux: cest crit dans une publicit des Pages dOr. Le 3 mars 1992, un an et demi aprs le dmarrage du bureau dinvestissement, il enregistre au tribunal de commerce de Bruxelles sa socit PEFI, pour Placements Experts Finance Internationale. Il bombarde son pouse Rgine Depeint administrateur dlgu et se nomme lui-mme PDG.13 Personne ne sait comment, mais Raemaekers est plus riche que jamais. A lt 1992, il fait de brefs voyages, au Paraguay et au Nigeria, notamment. Jai mont une banque au Paraguay cette poque, cest assez facile, l-bas, dclarera-t-il plus tard.14 Quelques semaines avant le dpart de Raemaekers pour le Paraguay, le journaliste Guy Legrand entre dans les bureaux de PEFI. Legrand assure la rubrique placements de lhebdomadaire conomique et financier Trends-Tendances. Il sent venir la priode creuse des vacances dt et a envie de samuser un peu. La ralit dpasse ses rves les plus fous. Il est incroyable quune maison dun tel poids ait pu rester aussi inconnue, ironise-t-il une semaine plus tard dans son journal.15 Raemaekers la noy pendant une heure entire dans ses taux dintrt luxembourgeois qui, de minute en minute, montaient de 10 13,5%. Le plus beau souvenir de Legrand, cest la conversation quil a eue quand il regardait une mappemonde constelle de petits drapeaux en papier. Et a, cest quoi? Cela vous donne une ide des pays o nous sommes prsents. Cest tout de mme particulirement impressionnant pour une socit si jeune. Mais nous sommes en pleine expansion. Vous voyez cet immeuble de bureaux, ct? Le beau btiment neuf? Oui, eh bien, nous y louons 250 mtres carrs partir du mois de septembre. Guy Legrand se souvient qu la fin de lheure dentretien, les 250 mtres carrs taient devenus dix tages; Raemaekers affirmait quil brassait chaque jour un paquet dactions de plusieurs centaines de millions de FB et il se vantait de ngocier avec soixante-cinq banques dans autant de pays... Jai vrifi quelques-unes des banques quil avait mentionnes. Comme je my attendais, elles nexistaient pas. 16 Une seule chose a pat Legrand: Jean-Paul Raemaekers est bel et bien, comme il laffirme, membre de Mensa, lassociation des super quotients intellectuels. Pour le prouver, il a publi ses frais dans le quotidien LEcho de la Bourse du 11 juin 1992 un compte rendu de la confrence quil avait donne quelques jours plus tt une runion de Mensa prs de Charleroi. Mensa naura pas loccasion de lui reprocher cette utilisation illgale de lassociation des fins personnelles et lucratives. Le 2 juin 1992, le juge Van Espen inculpe Raemaekers des chefs dappel illgal lpargne publique et de faux et usage de faux en criture. Cest la Commission Bancaire et Financire qui a port plainte auprs du parquet de Bruxelles, ds fvrier 1992, alors que PEFI ntait pas encore compltement oprationnelle. La socit na pas de licence pour les placements internationaux. Raemaekers est cens disposer dun mandat dune banque trangre agre. Oh, je cours le chercher, rpond-il la Commission qui le somme de sexpliquer. Et il revient, peu aprs, avec lattestation demande. Elle est dlivre par lInternational Swan Bank, du Paraguay. Avant mme que la Commission ralise que cette banque nexiste pas, on dcouvre que lattestation a t contrefaite au copy-center du coin.

Le 22 janvier 1993, le tribunal de commerce de Bruxelles interdit toute activit la socit. Une procdure superflue car PEFI est dj liquide, depuis le 30 aot 1992. Raemaekers a continu sous diffrents noms: International Swan Bank, Universal Brokers Company Exco Lune de ses dernires clientes sera la chanteuse franaise Chantal Goya, qui a eu la chance davoir des avocats attentifs. Raemaekers tait deux doigts de la dlester de quelque 200 millions de FB, ce qui correspondait peu de choses prs au montant du trou laiss par PEFI. Personne na jamais pu expliquer comment Raemaekers, peine sorti de prison, avait bien pu louer un bureau avenue Louise. Je vendais des cassettes pdophiles, dclare-t-il demble lors dune des conversations tlphoniques que nous avons eues avec lui au printemps 1997, quand il tait emprisonn Namur. Il y a beaucoup dargent qui circule dans ce genre de rseau. Et, votre avis, quel argent transitait par PEFI? Les recettes dun commerce de pornographie enfantine! 17 Le 3 janvier 1994, le tribunal correctionnel de Bruxelles condamne Raemaekers six ans de 0 prison ferme pour escroquerie, faux en criture, banqueroute frauduleuse et abus de confiance. Il fait appel du jugement et nobtient, le 5 janvier 1995, quune peine plus lourde: sept ans ferme. Dans sa cellule, Raemaekers attend avec apprhension son autre procs, celui des assises de Bruxelles. Juste avant que le jury ne se retire pour dlibrer, le vendredi 27 janvier 1995, laccus a le mot de la fin. Il semble avoir enfin compris que les choses se prsentent plutt mal et se lance dans un long expos. De nouveau, il parle une vitesse folle, telle que son flot de paroles senraye parfois. JeanPaul Raemaekers demande pardon. Aux enfants, leurs familles, tous ceux qui jai fait du mal... Je ne me plaindrai pas de ma peine, que je mrite. Mes regrets sont sincres. Jespre seulement quon acceptera de me soigner pendant ma dtention. Lorsque je vois des enfants, lexcitation devient plus forte que moi... Moi, le violeur, lescroc, je veux faire pnitence. Mais ce nest pas tout. Je vais mettre la machine en marche. Je suis le bouc missaire quon envoie en prison alors que les grosses lgumes restent hors de porte. La confusion sinstalle dans la salle daudience. Laccus sort une feuille de papier quil agite ostensiblement et fait mine de commencer lire tout haut une srie de noms de clients. La prsidente Karin Gerard saisit son marteau. Monsieur Raemaekers, ce que vous faites est inadmissible! Mais je peux le prouver, madame la prsidente. Je veux bien prendre acte de votre soudaine requte de rvler finalement le nom de vos complices, mais je ne peux pas accepter que cela se fasse en sance publique. Bon, je communiquerai les noms plus tard aux instances comptentes. Dans ce cas, je voudrais tout de mme conclure en annonant que jai galement conserv, en un endroit sr, une quantit de cassettes vido qui prouvent que jai raison. De plus, jai laiss chez un notaire une dclaration de cent cinquante pages. Celle-ci sera remise la justice sil marrive quoi que ce soit.18 La feuille a t dpose au parquet de Bruxelles et a servi de base une srie denqutes entreprises en 1995. Raemaekers avait inscrit cinq noms sur le papier. Le premier est celui dun magistrat bruxellois; les quatre autres, ceux de cranciers dans le dossier PEFI.19 Trois heures aprs lincident, le jury revient en salle daudience. A toutes les questions qui sont poses, la rponse est oui. Coupable sur toute la ligne. La juge Karin Gerard condamne Jean-Paul Raemaekers aux travaux forcs perptuit.

Je me suis rendu compte quil avait des contacts avec des personnes non identifies qui ne laissaient aucune trace de leur passageLex-avocat de Jean-Paul Raemaekers, 28 octobre 1996Comme chaque fois, ils sont de la partie. Les chineurs, les radins, les traficoteurs, les antiquaires et les commres du quartier. Nous sommes le jeudi 7 dcembre 1995, en fin daprs-midi. Dans le hangar de la rue de lIndpendance, Molenbeek, le commissaire-priseur fait dfiler en vitesse les lots numrots 182 308. Il a envie de rentrer chez lui. Tout comme lhuissier Michel Leroy et son assistant Franois Daniel. Les enchres sont capricieuses. Le lot 203, qui comprend deux tlviseurs, change de propritaire pour mille FB peine. Un agrandisseur Durst, qui vaut pas mal dargent, part pour 300 FB. Le lot 232, la machine coudre Corona, ne trouve pas acqureur. Par contre, on sarrache le lot 216, une bote de vingt CD. Enchre finale: 6000 FB. Pour le lot 243, fait de vingt-sept cassettes vido, les enchres vont jusqu 1600 FB. Le 255, qui comprend 322 cassettes vido originales, change de main un prix anormalement lev: 20.000 FB. Et 430 vidos, enregistres par leur ancien propritaire, ainsi que soixante botiers VHS vides, rapportent galement la coquette somme de 8000 FB. Il ny a pas de constante en la matire, explique un connaisseur. La prsence de deux collectionneurs acharns peut suffire mettre hors de prix des babioles sans valeur. Cest peut-tre pour une raison aussi banale que les cassettes vido de Jean-Paul Raemaekers ont atteint des sommets lors de la vente publique des derniers actifs de PEFI. La surprise nen est pas moins totale au parquet de Neufchteau lorsque la presse rvle fin 1997 lexistence de cette vente.1 Jusque l, personne ne stait aperu de lincroyable destin rserv aux biens de lun des rares grossistes en pornographie enfantine que la justice belge ait jamais russi coincer. Les enquteurs se sont bien rendu compte quelques mois plus tt quune partie de la collection de vidos de Raemaekers avait t gare lors de lenqute judiciaire, mais ils nont pas la moindre ide de ce qui a pu se passer. Le 17 fvrier 1997, le curateur de PEFI, lavocat bruxellois Tom Gutt, crit une lettre au parquet de Bruxelles.2 Il a lu dans la presse que les fouilles dans un charbonnage dsaffect de Jumet taient menes sur les indications fournies par Jean-Paul Raemaekers. Il en a dduit que Neufchteau devait sintresser son pass. Dans sa lettre, Gutt stonne du fait que personne ne lait encore contact. Aprs larrestation de Raemaekers, il a trouv une cargaison entire de cassettes vido devant sa porte. Au total, il sagit de quelque 2000 cassettes, crit Gutt, qui nont jamais t visionnes par la justice. Elles ont t slectionnes lpoque sur base des tiquettes que Jean-Paul Raemaekers avait colles dessus. 3 Le compte est bon. A lpoque, un peu moins de 4000 cassettes ont t saisies Rotterdam. Au cours de lenqute qui va mener Raemaekers aux assises, seuls deux bons milliers de ces cassettes ont t visionnes par la BSR. Les deux mille bandes restantes sont entasses dans un entrept de lexpert judiciaire Andr Fourneau Anderlecht. Mais ce dernier manque de place et veut sen dbarrasser. Il a dj insist auprs de Gutt pour faire incinrer tout le stock. Quand les enquteurs de la BSR de Bruxelles viennent chercher la cargaison, le 12 mars 1997, ils ne trouvent pas 2000, mais 797 bandes vido.4 Longtemps, ils vont se contenter de supposer que le curateur sest tromp et que sa mention de 2000 cassettes tait approximative. Jusqu ce quils apprennent lexistence de la vente aux enchres de Molenbeek, en dcemb re 1995: 779 cassettes ont t vendues. La conclusion simpose: le parquet de Bruxelles a gar une bonne partie du butin. Le juge dinstruction Van Espen, qui dirigeait lenqute sur PEFI, soutient quil a signal la totalit de la collection tous ceux qui devaient en avoir connaissance. Son collgue Vandermeersch dclare quil na jamais eu vent dun lot de 2000 cassettes non visionnes.

Sur les 797 bandes rcupres, on ne trouve aucune scne suspecte. Mais on continue se poser des questions sur les 779 exemplaires vendus aux enchres. Selon le procs-verbal de la vente, il y avait 322 cassettes vido originales dans le lot.5 Cest dire des cassettes enregistres achetes dans le commerce. On sait que les pdophiles ont prcisment lhabitude de cacher leurs scnes favorites au beau milieu dun film innocent de prfrence un Walt Disney. Les scnes les plus horribles sont gnralement dcouvertes sur les cassettes dont la couverture veille le moins de soupons. Ce qui est sr, cest que Raemaekers se faisait beaucoup de souci pour sa collection de vidos saisies. Un bon mois aprs son arrestation Rotterdam, il crit, de la prison de Forest, au curateur Tom Gutt: Je me permets de solliciter la restitution et en tous les cas le retrait des objets avant vente et mise en garde, par vos soins, auprs de Monsieur Fourneau, savoir: les vtements de nos trois enfants (11 ans, 9 ans et 10 mois), les vtements de mon pouse, les vtements mappartenant, les objets personnels de nos 3 enfants, une srie de jouets de nos enfants, les peluches de nos enfants, les cahiers et travaux scolaires de nos enfants, les cassettes vidos enregistres la T V en direct, tout ce qui est invendable.6 A lvidence, Raemaekers reste convaincu que le bluff et les dngations farouches sont la meilleure stratgie. Comme on le comprendra plus tard, il vit dans lespoir que quelques grands acteurs du monde judiciaire belge vont voler son secours. Contrairement aux vtements, aux cahiers scolaires et aux peluches, il ne rcupre pas les cassettes. Ce qui finalement ne change pas grandchose puisquelles nont pas t toutes exploites. A Bruxelles, ils savaient parfaitement qui jtais et qui je pouvais mouiller si je le voulais, dclare plus tard Raemaekers. Aprs mon arrestation, on ma envoy des signaux. On me ferait interner. Ainsi, je retrouverais la libert aprs un an environ. Je ne mexplique pas pourquoi a na pas march et comment jai t condamn perptuit. Il faut dire que toutes les preuves trouves en 1993 qui accusaient les gens pour qui je travaillais avaient dj t escamotes au cours de lenqute. 7 A quel point Raemaekers est-il crdible? Un membre de la BSR de Bruxelles, qui a fait partie de ses interrogateurs, ne le sait toujours pas. Parfois, je me dis: a na aucun sens, il est fou lier, on perd son temps. Dautre part, on ne peut pas nier que pendant des annes, il a t au cur dun milieu criminel dont nous ne savons rien, ou si peu. Cest lui qui nous a expliqu quentre pdophiles, on pratique surtout le troc. Au-del des histoires rocambolesques quil raconte, il y a une certitude: cest quil a commenc filmer ses viols denfants parce que lui-mme navait rien changer. Donc, quoi quil en soit, Raemaekers doit forcment tre une source de renseignements utiles. Ds la fin de son procs dassises, Raemaekers attire lattention de la BSR de Bruxelles. Mais pas pour parler de la menace quil a lance du banc des accuss je vais mettre la machine en marche. Non, il tente de convaincre les gendarmes, qui ne sont pas prts le croire, que les petites Nancy et Nelly taient, comme la plupart des autres victimes, loues par leur mre pour une bouche de pain. Selon Raemaekers, la mre tait parfaitement au courant de ce qui se passait: Je lai pargne lors de lenqute, cela faisait partie de laccord. Le premier fvrier 1995, une semaine peine aprs le procs, le gendarme Boon fait une dcouverte stupfiante. Plusieurs versements anonymes ont t effectus sur le compte de Raemaekers la prison de Forest. Quand un nom est parfois mentionn, cest Madrid ou Leclercq. Boon a du mal retrouver le bureau de poste do largent est vers, mais il finit par le localiser au 22 de lavenue Docteur Dejase Schaerbeek. Pas le moindre Madrid ni Leclercq en vue. Ni dans la rue, ni dans le quartier. Par contre, la mre de Nancy et Nelly habite lavenue Docteur Dejase. Aprs de nouvelles recherches, Boon identifie le donateur anonyme grce lcriture sur deux mandats postaux. Cest bien la mre.8

Raemaekers, professionnel de lintrigue, lui aurait-il un jour prt de largent quelle rembourse par petites tranches? Cest possible, mais pour tous ceux qui ont vu ne serait-ce que quelques secondes du calvaire de Nancy et de Nelly, il est impensable quune mre sacquitte encore de la moindre obligation envers le coupable, fortiori sil se trouve en prison. En 1995, les deux petites filles ne vivent dailleurs plus chez leur mre. Lorsque Raemaekers est entendu par la BSR, le 20 fvrier 1995, il explique que des pdophiles et des parents complices lui ont vers quelque 400.000 FB en change de son silence. La mre de Nancy et Nelly, dclare-t-il sans sourciller, prtait rgulirement ses enfants des hommes adultes qui payaient 10.000 FB pour une ou deux heures. Il cite les noms de certains de ces clients.9 Au cours du mme interrogatoire, Raemaekers raconte que des partouzes avec des mineurs ont eu lieu diffrentes adresses Bruxelles et il cite les prnoms de gens qui, selon lui, seraient les petits rouages dune grande machine bien huile. Il donne ladresse dun studio denregistrement, avenue Molire, dans la commune bruxelloise dUccle. On y aurait tourn des vidos sur commande pour certains pdophiles. Il dit aussi quil y est pass un jour avec la petite Isabelle L. 10 Deux ans plus tard, dans laffaire Dutroux, les enquteurs dcouvriront quun des grants de ce studio tait li, dans les annes 80, avec la socit vido qui a engag Bernard Weinstein son arrive en Belgique. Mais dbut 95, les gendarmes ne peuvent pas encore savoir qui est Weinstein. La BSR ne sait pas par quel bout prendre Jean-Paul Raemaekers. Tantt il joue le repenti combatif qui parle pour se venger. Tantt il prend les enquteurs de haut et, les yeux brillants, se vante du soutien de personnalits qui pourraient, dun seul mot, faire arrter toute lenqute. Le 15 mars 1995, quand deux gendarmes de la BSR de Bruxelles sannoncent la prison de Forest pour un second interrogatoire, Raemaekers refuse de quitter sa cellule. La seule chose quil veut bien leur dire, cest quil subit de fortes pressions. Plus nerveux encore que dhabitude, il leur explique que ses avocats lui ont dfendu tout contact avec la gendarmerie. Le nombre de personnes qui ont rendu visite Raemaekers en prison depuis le 1er fvrier 1995, soit en six semaines, est tout simplement impressionnant. Il a eu vingt-six visites! Cest plutt tonnant pour un pdophile qui vient dtre condamn aux travaux forcs perptuit, mais ce qui est surtout frappant, cest le grand nombre davocats issus de lentourage direct de son conseil initial, Jean-Paul Dumont. Ainsi, Marc Depaus, Patrick Gueuning et Sylvie Thron narrtent pas de dfiler la prison de Forest. Jean-Paul Dumont lui-mme, ainsi que lavocat Jean-Marie Flagothier, rendent galement visite Raemaekers au cours de cette priode.11 Dans ce dfil, encore, le juge Raymond De Smet, du tribunal de commerce de Bruxelles, bnvole la SAJ Autrement, une organisation qui porte assistance aux dtenus. Raemaekers lui remet une longue lettre dans laquelle il fait savoir quil ne veut plus tre interrog par la BSR mais seulement par la police judiciaire. La lettre atterrit sur le bureau du procureur du Roi de Bruxelles, Benot Dejemeppe, le 22 mars 1995. Raemaekers y promet des preuves irrfutables sur un juge pdophile, une importante opration de blanchiment dargent, un meurtre et un groupement terroriste secret. Il annonce aussi des rvlations sur laffaire Agusta, sur un rseau de pdophilie et sur les Ballets Roses. On ne sait pas si Dejemeppe est impressionn par le contenu de la lettre. Ce qui est sr, cest quil ny donne aucune suite. Il laisse lenqute aux mains de la BSR, qui va, aussitt et avant toute chose, tenter de comprendre la soudaine prfrence de Raemaekers pour la PJ de Bruxelles. Si lon en croit les registres de la prison de Forest, aucun pjiste na rendu visite Raemaekers entre le 20 fvrier et le 15 mars. Pourtant, deux enquteurs de la PJ sont bien venus cette poque, explique Raemaekers un an et demi plus tard, quand ses relations avec la BSR sont nouveau au beau fixe. Ils taient envoys par le commissaire bruxellois Georges Marnette. Cest un grand ami de Jean-Paul Dumont. Cest Dumont qui mavait interdit tout contact avec la gendarmerie. Je ne devais fournir mes renseignements qu la PJ, mais seulement aprs filtrage et vrification par Dumont. 12

Si rien navait t de travers, Jean-Paul Dumont serait sans doute devenu un jour prsident du Parti Social Chrtien, ministre de la Justice ou quoi que ce soit du mme niveau. Dans les annes 70, il tait un des plus fameux golden boys du PSC . Il a dirig pendant des annes les jeunes PSC , il a fait partie de laile ultra droitire du parti, le Cepic, dont le fondateur et prsident tait lancien premier ministre Paul Vanden Boeynants. Plusieurs membres en vue du Cepic dont son trsorier le baron Benot de Bonvoisin seront inquits plus tard dans une srie daffaires douteuses allant jusquau financement, par divers intermdiaires, de lextrme-droite et du Front de la Jeunesse, dont certains membres seront condamns en 1981 pour avoir mis le feu lhebdomadaire de gauche Pour.13 Avocat prometteur, Dumont dfendra plus tard certains membres de ce groupement terroriste. Ce sont les premiers noms dune liste de clients qui, a posteriori, pourrait servir dannuaire de la criminalit organise en Belgique au cours des vingt dernires annes. Des membres prsums de la bande des tueurs du Brabant (Adriano Vittorio), lex-gendarme Madani Bouhouche, Eric Lammers (du mouvement no-nazi Westland New Post), des membres de la bande Haemers (Axel Zeyen), Michel Nihoul, lancien commissaire en chef de la PJ de Bruxelles Frans Reyniers, le parrain des ngriers Carmelo Bongiorno... Lnumration, incomplte, des clients de Jean-Paul Dumont permet de se faire une ide des sphres dinfluence dans lesquelles il volue. A la fin des annes 80, Dumont tait le leader incontest dun petit nombre davocats qui gravitent depuis des annes autour des mmes clients et des mmes dossiers. Par exemple autour du baron de Bonvoisin, impliqu dans dinnombrables affaires. A cette poque, Dumont partage son cabinet avec matre Didier De Quvy, qui est lavocat de Marc Dutroux en 1989. Il collabore troitement avec Martial Lancaster, avec Philippe Deleuze, qui a depuis lors disparu de la circulation, et avec Julien Pierre, lactuel avocat de Dutroux. La chute de Jean-Paul Dumont est aussi spectaculaire que son ascension. En juillet 1995, il est suspendu pour neuf mois du barreau, pour outrage aux bonnes murs, et aussi pour avoir prtext la maladie au premier jour dun grand procs dassises Lige o il devait plaider, alors quil participait le jour-mme un dbat tlvis. Dans le mme temps, le substitut bruxellois Jean-Franois Godbille reoit une facture pour des cartes de visite quil na jamais commandes. Lenqute dmontre que cest Dumont qui les a fait imprimer, et la rumeur raconte quil entendait les distribuer dans les bordels bruxellois. Le substitut Godbille tait ce moment en charge des enqutes sur Carmelo Bongiorno et Benot de Bonvoisin. Le PSC bruxellois, au nom duquel Dumont nexerce plus aujourdhui quun mandat de conseiller communal Uccle, prfre ne plus trop entendre parler de lui.

La grande amiti qui lie le commissaire de la PJ de Bruxelles Georges Marnette et lavocat JeanPaul Dumont nest un secret pour personne. On connat moins la nature exacte de cette amiti. Dbut 1997, un membre du cabinet du ministre de lIntrieur Johan Vande Lanotte signale au parquet de Neufchteau que lavocat et le commissaire ont mont ensemble une entreprise Montral, au Canada, et quon les y voit rgulirement ensemble. Des magistrats bruxellois dclarent la mme poque, dans le magazine Humo, que Dumont est un informateur attitr de Marnette. Les deux hommes se rencontreraient rgulirement au restaurant Mok ma Zwet, un tablissement qui doit sa notorit au fait quun gangster de la bande Haemers sy est rfugi un temps dans les annes 80. Le restaurant Le Vieux Bruxelles, dans lIlot Sacr Bruxelles, est un autre de leurs points de rencontre habituels. Il est exploit par un certain Michel Lavalle, qui Achille Haemers, le pre de lautre, prtend avoir donn de largent pour monter une affaire. Interrog ce sujet par Humo, Marnette dclare que certains membres de la PJ de Bruxelles organisaient rgulirement des djeuners dans un des tablissements de Lavalle. Lancien commissaire en chef Frans Reyniers et le grand patron Christian De Vroom y mangeaient souvent, eux aussi. En ce qui concerne Dumont, Marnette affirme quils se sont connus en 1984 et quils sont devenus amis petit petit. De temps autre, nous allions manger ensemble. Pas souvent, en tout une dizaine de fois, tout au plus. Nous avions un accord trs clair: pendant le repas, on ne parlait jamais dune affaire judiciaire dans laquelle lun de nous tait impliqu. 14 Il nest bien sr pas rare que la gendarmerie et la PJ tentent en coulisses de se piquer des dossiers. Ce qui est beaucoup plus rare, cest lintrt que peuvent montrer Dumont et Marnette pour quelquun comme Raemaekers, dont tout le monde saccorde dire quil est passablement fou. Les gendarmes de la BSR de Bruxelles, appels entre-temps la rescousse pour lenqute de Neufchteau, vont finalement apprendre de la bouche dun tmoin privilgi ce qui est rellement arriv dans les semaines et les mois qui ont suivi le procs dassises. Le 28 octobre 1996, ils auditionnent Marc Depaus. Cest lui qui sentend dire par Jean-Paul Dumont, une semaine avant le procs, quil va devoir reprendre cette petite affaire avec un de ses collaborateurs. Dumont met en avant la dpression qui lavait dj contraint, quelques semaines plus tt, abandonner la dfense de Madani Bouhouche devant les assises du Brabant. Il disait que nous avions plus de chance avec deux jeunes avocats quavec un tnor du barreau, dclare Depaus. Dumont estimait quon viterait un amalgame et une certaine ambigut entre client et avocat. Pour Depaus, qui navait alors que trente-cinq ans, le procs de Raemaekers a tourn la dbcle. Un an et demi plus tard, il a t inculp descroquerie et a quitt le barreau. Il explique aux enquteurs que Raemaekers lui a annonc, ds leurs premires entrevues, que si les choses tournaient mal, il dnoncerait en pleine audience des personnes haut places. Marc Depaus ne sait toutefois pas sil existe un lien entre cette menace et le dsistement de Dumont, qui suivait de trs prs le droulement du procs. Il tait joignable en permanence et il transmettait ses instructions depuis son bureau. Il est apparu que la seule personne en qui Raemaekers avait confiance tait matre Dumont, dit Depaus. Interrog sur l refus de Raemaekers de continuer les auditions avec la BSR, lex-avocat se e souvient quil est all lui-mme voir le juge Vandermeersch aprs le procs pour lui proposer un march: une remise de peine pour Raemaekers en change de renseignements. Vandermeersch a dclin loffre. Selon Depaus, ce nest quensuite que Dumont a explor la piste de la PJ. Par lintermdiaire de matre Dumont, qui javais demand conseil, jai rencontr deux inspecteurs de la PJ. Par aprs, jai considr que je mettais les pieds dans un vrai bourbier et je me suis dsolidaris de cette dmarche. Vous avez cit le mot bourbier. Pouvez-vous prciser votre pense?

Jai utilis le mot bourbier parce quau dpart cette affaire apparaissait simple. Raemaekers disposait dun certain nombre dinformations quil dsirait ngocier. La premire dmarche a t de mesurer la faisabilit de cette ngociation et ses modalits (...). Aprs ma visite chez le juge Vandermeersch, je me suis pos la question du soutien rel dont les enquteurs disposaient dans cette ngociation par rapport leur hirarchie. Dautre part, il est apparu quune rivalit existait au sein du corps de police auquel appartenaient mes interlocuteurs, et enfin, je me suis rendu compte que Raemaekers avait des contacts avec des personnes non identifies qui ne laissaient aucune trace de leur passage. Tous ces lments mont fait comprendre que jtais en train de jouer une partie dont je ne connaissais pas la moiti des rgles. Cest dans ce contexte que je me suis retir. Raemaekers dclare galement que la police judiciaire avait t choisie par matre Dumont en fonction de ses bonnes relations avec le commissaire Marnette. Confirmez-vous cela, et que pouvez-vous nous dire de ces contacts? Je ne sais pas si la police judiciaire a t choisie par matre Dumont pour ses contacts avec le commissaire Marnette, mais il est vrai que matre Dumont et le commissaire Marnette se connaissent de longue date (...). Lors de ses auditions, Raemaekers nous a dclar quil disposait de documents, voire de cassettes vido, pour tayer ses informations. Etiez-vous au courant de lexistence de ces documents? Oui, je sais que ces documents existent. Si les ngociations avaient abouti, il tait prvu que jen effectue la rcupration, mais je ne sais pas lheure actuelle o ils se trouvent. Lorsque vous dites que ces documents existent, les avez-vous vus personnellement? Je ne les ai jamais vus personnellement. A lpoque, Raemaekers vous a-t-il dit o ils se trouvaient et o vous devriez vous rendre pour les rcuprer? Non.15 Les rares amis que compte encore Raemaekers aujourdhui ont tous leurs certitudes sur lexistence du matriel compromettant. Dbut 1997, lun deux nous assure que cest dans un coffre de banque Zurich. Un autre croit savoir que Raemaekers a tout cach en Amrique du Sud, au Prou ou au Paraguay. Dun ton conspirateur, on soutient quil nest pas aussi fou quil en a lair et quil a une bonne assurance-vie. Il faut pourtant bien constater que le sort de Raemaekers ne subit pas ou peu damlioration en 1995 et en 1996. Il est transfr dans la prison la plus dteste des dtenus: celle de Mons. Dans la crasse et la surpopulation, il entend des histoires de dtenus pdophiles perscuts mort et il croit tre tmoin dun empoisonnement que ladministration transforme en suicide. Raemaekers avale des calmants comme des bonbons. Il subit les vnements, dans une sorte de demi-absence. De temps autre, il appelle son ami denfance, John M. Verswyver, pour lui dire quils lont trahi et que sa vengeance sera douce si elle vient un jour. Il russit arranger son transfert pour Namur, tombe malade, et sombre toujours plus loin dans le vide. Cest alors quclate laffaire Dutroux.

Sur ces cassettes, disait-il, on voit des personnalits haut placesLe co-dtenu de Jean-Paul Raemaekers, 21 septembre 1996

Que penses-tu de tout cela? Bof. a ne te fait rien? Je ne comprends pas pourquoi les gens en font un tel plat... a me parat la chose la plus naturelle du monde. Alexandre, le pays est en bullition. Tous des hypocrites. Tu sais, il y a en Belgique des familles qui sont prtes vendre leurs enfants pour 2 ou 300.000 FB. Et tu peux en faire ce que tu veux. On men a propos plus dune fois. Cest cette conversation, raconte Serge Loriaux un mois plus tard, qui lui a fait comprendre quil avait partag sa cellule pendant six semaines avec quelquun qui na rien, ou si peu, envier Marc Dutroux lui-mme. Dbut aot, la direction de la prison de Namur a averti Loriaux quil allait tre transfr dans une autre cellule. Le dtenu qui sy trouvait tait ravi davoir quitt Mons pour Namur. Il a dit quil tait Alexandre de Saligny, directeur de banque. A la faon dont il sest prsent, Loriaux a compris quils avaient tout de mme quelque chose en commun. Quadragnaire nihiliste, Loriaux rpond artiste peintre quand on lui demande comment il gagnait sa vie avant de se retrouver l. Dans le jugement du tribunal de Namur qui lenvoyait en prison, il est dcrit autrement: escroc incorrigible. Le jour o il a dcouvert quun brave homme portait le mme nom que lui et tait n le mme jour, Loriaux a fait des affaires en or avec une kyrielle de socits de crdit. Au dpart, Loriaux et Raemaekers sentendent bien. Le premier devrait tre libre dici un an, mais il est endett jusquau cou. Lautre ne verra pas souvrir la porte de la prison avant lan 2000, mais il na apparemment aucun souci financier. Loriaux sest laiss dire quen trois ans de dtention, Raemaekers a dpens 600.000 FB en articles de luxe, en prts des co-dtenus et en magouilles diverses dont tout le monde parle sans en connatre le fin mot. Ce qui intrigue les enquteurs de la BSR de Bruxelles, cest que Raemaekers ne dbourse pas un franc en frais davocat. Celui du moment sappelle Jean-Marie Flagothier. Dans les annes 80, il militait lUDRT , le parti poujadiste des classes moyennes. Daprs le dtective priv Andr Rogge, il serait galement membre dune organisation compromise dans laffaire Gladio, le BROC, qui runissait des officiers de rserve du Brabant.1 Le fils de lancien premier ministre Paul Vanden Boeynants serait un des membres importants de ce petit club militariste. De Flagothier, on peut dire sans exagrer quil est lun des derniers Belges militants. Intellectuel affable, spcialis en droit militaire, il a son cabinet deux pas de lAtomium. A partir de 1995, il se dvoue sans compter pour le cas pourtant plutt dsespr de Raemaekers. Pourquoi? Mystre. Lors de conversations discrtes avec des journalistes, Flagothier rappelle rgulirement que cest lui qui a soustrait Raemaekers linfluence de lentourage de Jean-Paul Dumont. Daucuns affirment quils sont de mche pour utiliser Raemaekers dans un show dcrans de fume et daccusations bidon, un spectacle qui va tenir le pays en haleine partir daot 1996.

Matre Flagothier rend visite son client en prison au moins une fois par semaine. Ce qui renforce considrablement la crdibilit de Raemaekers aux yeux de ses co-dtenus, dj pats par ses gnreuses dpenses. Raemaekers est en permanence lafft de gens avec qui conclure des affaires, affirme Serge Loriaux pendant une audition. Par exemple, dit-il, je sais quil est la recherche dun tueur gages. Bien sr, il na pas dit qui serait la cible. Loriaux lui-mme sest vu proposer un march. Raemaekers lui offre un voyage aprs sa libration pour aller chercher des documents et des bandes vido. La conversation a port sur le Prou o Raemaekers prtend avoir une villa. Loriaux pourrait sy installer et la repeindre. Il a bien fait comprendre Raemaekers quil y avait une petite diffrence entre une toile et une faade, mais Raemaekers a insist. Dans un premier temps, Loriaux tait intress. Il sait que les huissiers et les prteurs lss seront ses trousses ds sa libration en fvrier 1998.2 Serge Loriaux a lou un tlviseur; il ne rate pas un seul JT partir du 16 aot 1996. Sabine et Laetitia conduites, toutes tremblantes, vers une voiture de police. Sous les flashes qui crpitent, le procureur Michel Bourlet qui a limmense plaisir dannoncer la libration non pas dune, mais de deux filles. Les feux de joie Kain et Bertrix. Marc Dutroux, menott, sur les marches du palais de justice de Neufchteau. Michel Nihoul. Les pelleteuses Sars-la-Buissire. Les photos de Julie et Melissa. Raemaekers regarde aussi la tlvision et commente sans arrt les images. En lcoutant, Loriaux comprend que son c o-dtenu considre toute laffaire comme un banal fait divers, sans commune mesure avec ce quil sait, ni avec les preuves quil dtient. Il me rptait sans cesse que les cassettes que les policiers avaient montres sa femme ntaient rien compares celles quil possdait encore, dclare Loriaux la BSR. Il disait que ces cassettes contenaient des scnes de pdophilie auxquelles participaient dimportantes personnalits belges. Si ces cassettes tombaient aux mains de la justice, cela crerait un norme choc. Selon ses dires, mme des ministres taient impliqus. 3 Loriaux a encore dduit des bavardages de Raemaekers la raison toute simple qui lempche de dvoiler sans garantie la cachette de son trsor, qui le pousse contrler lui-mme la remise ventuelle de ces pices la justice: Elles contiennent aussi des choses qui pourraient lui valoir une seconde condamnation aux travaux forcs perptuit. Laffaire Dutroux provoque une grande migration au sein des prisons belges. Sans le dire clairement, les directions sparent les dlinquants murs des autres dtenus. Mi-septembre, Loriaux quitte la cellule de Raemaekers. Comme il pense avoir gagn sa confiance, il propose aux enquteurs quon le remette en cellule avec le pdophile pour le faire parler plus avant. Les gendarmes de la BSR sont enthousiastes, mais ils se heurtent au refus de la direction de la prison de Namur.

Tandis quun cortge silencieux et endeuill dpose des fleurs lendroit o les corps de Julie et de Melissa ont t dcouverts, Sars-la-Buissire, le 18 aot 1996, les passants observent une affichette la fentre du caf lEmbuscade. Sur laffiche une photocopie de mauvaise qualit , on peut voir le visage dune jeune fille. Elle sappelle, ou sappelait, Sylvie Carlin. Dix-neuf ans. Disparue le 15 dcembre 1994 Roucourt, dans la rgion de Tournai. Sylvie Carlin? Personne nen avait jamais entendu parler. Dans les jours qui suivent, les journaux publient quotidiennement des listes de plus en plus longues denfants dis parus ou assassins dans des circonstances non lucides. A Neufchteau, les enquteurs sont submergs de renseignements. Le juge Jean-Marc Connerotte et le procureur Michel Bourlet comprennent quils ont affaire une forme de criminalit dont on souponne peine lexistence. Marc Dutroux recule les limites de lentendement. Tandis quapparaissent toute une srie de pistes, les magistrats de Neufchteau commencent se dire que la perversion dun seul homme ne peut expliquer toutes ces horreurs. Mme si elle nest pas prouve, lexistence dun rseau criminel derrire Marc Dutroux et Michel Nihoul ne fait aucun doute en ces premiers jours denqute. Cette certitude saccrot lorsque les premires menaces sont profres. Bourlet et Connerotte se mettent vivre comme des otages. Ils sont surveills en permanence par les quipes de lESI , lEscadron Spcial dIntervention de la gendarmerie. La maison de Connerotte devient une fortification. Au milieu de ce tohu-bohu, Bourlet parvient rester en contact avec les parents des enfants disparus et assassins. Connerotte livre quotidiennement un nouveau lot de mandats de perquisition. Dans la moiti du Hainaut, on fouille le sol. Des renforts sont ncessaires. Le mardi 20 aot, lors dune runion de travail Neufchteau, le ministre de la Justice Stefaan De Clerck promet une augmentation sensible des moyens. Ce jour-l, De Clerck est assailli par des journalistes belges et trangers sa sortie du petit palais de justice. Il se rend encore rapidement Grce-Hollogne o il rencontre les familles touches, les Russo et les Lejeune, et il nest que trop heureux dau moins pouvoir promettre une chose: jamais autant denquteurs nauront travaill ensemble sur un seul dossier. Neufchteau a besoin dun second juge dinstruction. Cest Jacques Langlois, un jeune magistrat dArlon, de tendance PSC , qui est nomm titre temporaire. Il est charg de reprendre Connerotte tous les dossiers non lis laffaire Dutroux, afin que le juge puisse se consacrer pleinement la poursuite de lenqute sur les rseaux pdophiles. Le lundi 19 aot, des dizaines de policiers ont dj ragi lappel laide de Neufchteau. En quelques heures, une arme de policiers est leve. La rpartition des tches est improvise: ceux qui arrivent au bon endroit au bon moment dcrochent les gros morceaux. Les enqutes sur Marc Dutroux, Michle Martin et Michel Lelivre restent en grande partie aux mains des brigades de gendarmerie de Neufchteau, de Marche-en-Famenne, de Bastogne et des environs.4 Pour analyser les flux financiers qui dcoulent des activits de Marc Dutroux, on fait appel aux enquteurs de la section financire de la BSR de Bruxelles, mieux connue dans le jargon des enquteurs sous le nom de 3e SRC abrviation de Section de Recherche Criminelle. Dcortiquer le rle exact de Michel Nihoul sera la mission de la brigade nationale de la PJ, assiste par la PJ de Bruxelles.

Un des personnages les plus marquants qui accourent spontanment laide de Neufchteau est Georges Marnette, le commissaire de la PJ de Bruxelles qui, dbut 1995, a fait preuve de tant dintrt pour Jean-Paul Raemaekers. A la mi-1996, Marnette jouit encore dune rputation de superflic chevronn. Il a une exprience dun quart de sicle en matire de rpression du banditisme, il a neutralis dinnombrables bandes de gangsters, petites et grandes, il sest notamment spcialis dans les dossiers de murs, et il dirige, en 1996, la cellule antibanditisme. Marnette a enqut en 1984 sur un des grands mystres criminels que compte la Belgique: le suicide de Paul Latinus, le chef du WNP . Marnette avait plusieurs fois interrog Latinus dans lenqute de la juge dinstruction Francine Lyna sur la milice no-nazie. Au dbut des annes 90, il remplit les anciennes fonctions de cet autre superflic dont il a t pendant des annes le bras droit: Frans Reyniers, lancien commissaire en chef de la PJ de Bruxelles dtrn en raison de ses contacts trop troits avec le milieu criminel. Tout comme Reyniers sa grande poque, Marnette est extrmement apprci des journalistes judiciaires Bruxelles. Toujours joignable, toujours dispos bavarder, mme en dehors du briefing informel quil tient tous les matins pour une poigne de journalistes habitus. Georges Marnette connat par cur le petit monde du crime bruxellois. Dans les jours qui suivent larrestation de Michel Nihoul, il se vante davoir lui-mme fait fermer dans les annes 80 le sex-club Les Atrbates, un des quartiers-gnraux de Nihoul. Cest dailleurs ce que racontent les journaux, et si on croit ce quils disent de Marnette, on ne peut que conclure quil est lhomme idal pour traiter cette affaire. Ce que peu de gens savent, cest que ce nest pas du tout Marnette qui a fait fermer Les Atrbates, mais la BSR de Bruxelles. Lancien grant, Michel Forgeot, dclarera plus tard la justice qu cette poque, Marnette tait au contraire un client assidu de son club. Trs vite, Neufchteau et la BSR vont donc sopposer Marnette. Il est trop proche de ce milieu, dit-on. Ses liens avec JeanPaul Dumont pourraient devenir gnants dans le dossier. Avec larrestation de Michel Nihoul, lenqute a volu en direction des milieux trs droitiers du PSC bruxellois. Mais au dpart de lenqute, Marnette est l et moins dune semaine aprs son arrive, il tonne tout le monde Neufchteau. Il a dcouvert quelque chose dextrmement intressant, dit-il qui veut lentendre. Lui, le commissaire en chef, a russi mettre la main sur la preuve irrfutable dun lien matriel entre Marc Dutroux et le dossier de Jean-Paul Raemaekers. Ce point est dune extrme importance, prcisera-t-il plus tard dans une interview. Il prouve que Marc Dutroux nest pas seulement le chef dune petite bande criminelle isole, Charleroi, mais quil tait bel et bien li au moins une autre affaire. 5 La preuve est une photo extraite des bandes vido saisies chez Raemaekers. Dans un procs-verbal rdig lintention du juge Connerotte, Marnette dclare, le 31 aot 1996: Cest ainsi que notre attention sest plus particulirement porte sur la photo indique P37 lettre I, prsentant une scne de pntration vaginale dune fille (pour nous inconnue) par un homme. (...) Afin dobtenir de meilleures indications scientifiques ce sujet, nous avons prescrit notre Laboratoire de Police Scientifique, en la personne de loprateur Nowak Michel, de procder un examen comparatif de la photographie didentit de Dutroux Marc, prise en date du 04.02.1986 la BSR de Charleroi (photocopie de cette photo jointe) avec celle du dossier photographique dont question supra (...). De cette tude, il nous apparat scientifiquement raisonnable daffirmer que le personnage figurant sur la photographie pornographique est bien le nomm Dutroux Marc, prcit. 6 A la fin du procs-verbal, Marnette critique ouvertement la BSR de Bruxelles. Il joint en annexe la photo en question et une coupure de presse qui rapporte que Raemaekers avait annonc lors de son procs quil allait citer des noms de personnes haut places.7 Dans son pv, Marnette constate finement que, pour une raison quil ignore, loffre spectaculaire de Raemaekers na pas eu de suite.

Parmi les policiers dlgus Neufchteau par la section financire de la BSR de Bruxelles se trouvent galement le premier marchal des logis Eric Eloir et ses collgues Luc Delmartino et Dany Lesciauskas. Un an auparavant, ils ont dj couru derrire un Raemaekers capricieux, avant de dcouvrir que Dumont avait interdit son client de continuer leur parler. On comprend facilement que les membres de la BSR voient rouge lorsquils apprennent le stratagme de Marnette. Connaissant bien le dossier, ils considrent son procs-verbal comme une manuvre et ils souponnent lavocat Dumont dtre derrire. Bourlet et Connerotte les coutent. Cest donc la BSR et non la PJ de Bruxelles qui sera charge de voir ce quil y a dans cette piste. De plus, les dossiers Raemaekers mis linformation aprs les assises nont jamais t clturs.8 Il ny a donc aucune raison objective de confier Raemaekers Marnette. Le samedi 7 septembre 1996 est jour de joyeuses retrouvailles entre Raemaekers et les membres de la BSR. Cela fait dj un an et demi quils ne se sont plus retrouvs face face. Raemaekers na pas chang, remarquent-ils. Comme avant, son flot de paroles permet peine de poser srieusement une question ou, lorsquil rpond, de noter ce quil dit. Ils shabituent moins facilement aux changements dhumeur de Raemaekers. En 1994, il y a eu une scne de ce genre lors dun interrogatoire, raconte un des gendarmes. En une fraction de seconde, son visage a chang de couleur. Il frappait sur la table de faon agressive et hurlait comme une furie. Personne ne comprenait ce qui se passait. Sortez ce tratre!, criait-il. Le tratre en question tait un gendarme qui navait pas boug de sa chaise pendant tout linterrogatoire et se contentait dcouter. Raemaekers avait tout simplement cru voir un sourire incrdule sur son visage. Dautres jours, il se fchait parce quil avait mal dormi, ou alors parce quil estimait que la BSR devait arrter tous les gens dont il avait cit les noms. Le plus grave de tout, ctait sa phobie du complot, sa paranoa permanente. Un matin, nous tions venus le chercher la prison; il refusait de quitter sa cellule. Ils ont essay, disait-il. Il suait grosses gouttes. Quavaient-ils essay? Il nous a fait un rcit paniqu propos dhommes qui taient entrs dans sa cellule cette nuit-l et qui avaient tent de le tuer. Il avait rv, ctait clair. Mais pas question de le lui dire en face. Aprs cela, il est rest veill une semaine entire, parce quils essaieraient certainement une nouvelle fois. Raemaekers comprend tout de suite, ce samedi matin, que cest laffaire Dutroux qui le replace soudain sous les feux de lactualit. Il annonce demble aux enquteurs quil est profondment choqu par les vnements des dernires semaines. Non, il ne cherche pas dexcuse pour ses propres mfaits, mais ceci... ceci, cest tout de mme autre chose. Officiellement, il est auditionn dans le cadre du dossier de base de laffaire Dutroux. Mais les gendarmes napprennent rien ce jour-l sur Dutroux et consorts. Ils ont eux-mmes de trs gros doutes sur la pice conviction de Marnette. Limage floue qui porte le numro P37I ne leur est pas inconnue. On y distingue peine un homme coiff comme Dutroux, avec une moustache et des lunettes qui ressemblent celles de Dutroux, en train de violer un enfant. Cette image a cependant dj t analyse quelques annes auparavant. Les meubles, le papier peint et les vtements qui y figurent ont fait conclure lpoque quelle devait dater du dbut ou du milieu des annes 70. Raemaekers lui-mme parle avec un certain mpris de vieilleries. Il sagit souvent de films 8 millimtres de partouzes avec des enfants, quon a copi plus tard sur VHS. Ces films sont toujours intensivement changs entre pdophiles fauchs, le plus souvent faute de mieux, mais ils ont parcouru un long chemin au fil des ans. A lpoque o a t ralise la squence dont est extraite la photo P37I, Marc Dutroux avait peine vingt ans et ne devait pas ressembler lhomme de la photo. Raemaekers laisse entendre quil na jamais rencontr Dutroux. La photo P37I lui dit quelque chose, par contre. Cest un vieil habitu du milieu, explique-t-il. Il ajoute que si les gendarmes prenaient la peine de vrifier le son sur la bande dorigine, ils sapercevraient que le prtendu Dutroux parle le nerlandais langue que le vrai Dutroux ne parle pas.9

Pendant son audition du 7 septembre, cest Raemaekers lui-mme qui reprend le fil o il lavait laiss un an et demi auparavant: le circuit des partouzes du Bruxelles des annes 80. Il parle pendant des heures dune partouze avec mineurs qui aurait eu lieu en 1992 dans une villa blanche Meise. Il fait une description interminable de la couleur du plafond, des tapis, des canaps, etc. Plus tard, la mme villa blanche apparatra abondamment dans les rcits dautres tmoins. Raemaekers dcrit comment cinq enfants, qui devaient avoir entre neuf et treize ans, sont viols par une dizaine dhommes. Il ne connaissait pas ou peu ces gens, mais il se souvient de leurs voitures des Jaguar, des BMW et des Mercedes. Un des participants tait un avocat bruxellois connu, dit-il. Selon Raemaekers, ce genre de ftes taient organises rgulirement, mais ce qui lavait choqu cette fois l, ctait le fait quil ny avait pas de femmes. Le dimanche 15 septembre, il donne des dtails supplmentaires et dessine un plan de la villa.10 Cest aprs cette dclaration prcisment que le juge Connerotte ouvre, fin septembre, le dossier 111/96.11 Au sein de la gendarmerie, on baptise cette enqute Opration Dauphin.12 On sait dj que le procs-verbal de Marnette ne tient pas debout, mais il est tout de mme considr comme le pv initial du dossier 111/96, qui lie Raemaekers Dutroux. Indpendamment de ce pv, des indications montrent que les faits dont tmoigne Raemaekers peuvent tre mis en rapport avec le rseau de relations de Michel Nihoul. Dans son procs -verbal, Marnette a dsign la fameuse photo par le code P37I, ce qui laisse supposer que la PJ est alle chercher les bandes archives au greffe de Bruxelles. Pourtant, rien nest moins vrai. Un mois sest coul quand les gendarmes de la BSR ont visionn toutes les bandes encore disponibles. Dbut octobre, ils communiquent Connerotte: Suite ses dclarations, nous sommes alls chercher auprs des services du commissaire Marnette les bandes saisies, quil avait prises au greffe du tribunal correctionnel. Nous avons visionn ces cassettes et navons pas retrouv la scne en question. Ensuite, nous avons fait rclamer tous les biens saisis dans le cadre de dossiers charge de Jean-Paul Raemaekers. Nous avons constat que les cassettes en question ont t dtruites (...). Permettez-nous de considrer que nous ne comprenons pas le but des dclarations de Marnette. Il nous parat souhaitable de demander monsieur Marnette des explications pour savoir quels lments ont exactement servi de base son pv du 31/08/96. 13 Tout indique que Marnette a impliqu Raemaekers dans laffaire Dutroux laide dun faux procs-verbal. Lintention cache tait vidente, se souvient un membre de la BSR. Tout comme une bonne anne auparavant, il voulait sassurer le contrle de Raemaekers, de prfrence en allant linterroger lui-mme. Pourquoi? Nous nen savons rien. Mais quand on voit ce que Marnette a fait peu aprs avec Elio Di Rupo, nous avons tout au moins un soupon. Il nest pas exceptionnel que des pices saisies soient dtruites. A fortiori si elles font partie dune enqute judiciaire qui a abouti une condamnation pour laquelle toute possibilit de recours est dj dpasse. Dans le cas de Raemaekers, il y a cependant plusieurs informations judiciaires toujours en cours en 1996 au parquet de Bruxelles, dans lesquelles les bandes vido saisies peuvent thoriquement constituer des pices conviction utiles. Et pourtant, elles sont dtruites. Aussi facilement que celles qui ont disparu par erreur en vente publique, les cassettes de Raemaekers sont passes au four.

On raconte les histoires les plus folles sur les caves du palais de justice de Bruxelles, o sentassent de gigantesques montagnes de pices conviction danciens dossiers judiciaires. On dit que seuls les rats y retrouvent encore leur chemin. Le 27 fvrier 1995, il ny a plus la moindre place pour une pile de cassettes vido. Ce jour-l, la cour dappel de Bruxelles dcide de les faire dtruire. Avec une efficacit inoue: au lendemain exactement de lexpiration du dlai au cours duquel Raemaekers pouvait faire appel de sa condamnation aux travaux forcs perptuit. Cette dcision, qui ne semblait souffrir aucun retard, a t prise par lavocat gnral Marchal, comme le gendarme Eloir le dcouvrira plus tard. Le 16 juin 1996, les bandes vido sont dtruites, lexception de trois dentre elles. Marchal en a fait conserver deux, la troisime a t oublie.14 Avec le recul, il faut bien constater que Marnette a atteint exa ctement linverse de ce quil recherchait sans doute avec son pv du 31 aot 1996. Il na rien voir dans lenqute Raemaekers et il voit, impuissant, ses concurrents de la BSR occuper la place. Les 12, 13 et 15 septembre 1996, dj, les quotidiens Le Soir et La Libre Belgique citaient -sans raison apparente le nom de Jean-Paul Raemaekers et rapportaient lintrt du parquet de Neufchteau pour son pass. Il est clair que ces articles nont pas pour but de porter la connaissance du public de nouvelles informations sur lenqute, mais seulement dattirer lattention de certains sur les dclarations de Raemaekers, lit-on plus tard dans un procs -verbal des gendarmes Eric Eloir et Luc Delmartino.15 Les articles de Gilbert Dupont, de La Dernire Heure, quils souponnent dtre un vieil ami de Marnette, les intressent beaucoup. Dupont ne parvient pas cacher sa tristesse et son indignation lorsquil doit annoncer le 31 octobre 1996, en primeur il est vrai, que Marnette a claqu la porte de lquipe des enquteurs de Neufchteau. Dans un article intitul Lenqute ne tourne plus rond, Dupont fait tat de pressions dguises et de sabotage de lenqute sur Nihoul.16 La mme page offre un autre article intressant, toujours sign Gilbert Dupont. Il relate un trange cambriolage chez lavocat Jean-Paul Dumont. Le monde est petit, comme le montre ce passage: On sy est empar de 50.000 FB, mais surtout dune cassette audio bien prcise, apparemment choisie, dans la mesure o dautres cassettes nont pas t emportes, mais seulement celle sur laquelle lavocat avait enregistr un entretien avec un ancien client dtenu la prison de Namur. Prcisons tout de suite que lavocat avait refus dintervenir en sa faveur. Qui est ce client? Rien moins que le Bruxellois Jean-Paul Raemaekers. 17 Larticle nchappe pas aux gendarmes Eloir et Delmartino. Deux erreurs manifestes leur sautent aux yeux. Un: il est faux de dire que Dumont a refus lpoque dintervenir en faveur de Raemaekers, au contraire. Et deux, plus incroyable: aucune cassette na t vole chez Dumont. Lorsquils apprennent lexistence de ce cambriolage au bureau de lavocat, les deux gendarmes contactent tout de suite la police de Forest. Lofficier de garde leur faxe le procs-verbal rdig le 29 octobre 1996; il y ajoute un listing informatique du service 101, qui a enregistr la plainte.18 Les gendarmes apprennent que le cambriolage a eu lieu dans la nuit du 28 au 29 octobre, et quil a t constat dans la matine. Mais la police de Forest na t prvenue que dans laprs-midi, 16 heures 45, via le 101, et elle sest rendue sur place 17 heures 19. On sattendrait ce que des avocats sachent comment ragir un cambriolage; pourtant, les associs de Dumont laissent passer toute une journe avant de prvenir la police. Or, que dcouvre-t-on ensuite? Que la PJ de Bruxelles stait dj rendue sur les lieux en toute discrtion.19 Dans un procs-verbal, les deux gendarmes concluent que cest probablement une des dernires interventions du commissaire Marnette avant son dpart en cong.20 Dans le mme document, ils exposent que tous ces lments nous confirment dans nos prcdentes conclusions: Raemaekers gne et il est possible quon cherche lintimider.21 Ils souponnent que tout a t fait pour que Raemaekers tombe sur larticle. Il sera tout fait clair quaucune cassette na jamais disparu au cours du cambriolage quand lavocat Dumont niera formellement, par le biais dun communiqu de presse, quon lui ait vol autre chose que 50.000 FB ce jour l.

Les tensions sont perceptibles. Au-del de toute preuve de lexistence dun influent rseau de pdophilie bruxellois, les incidents, les clats et les petits jeux policiers du mois doctobre 1996 renforcent le soupon quil rgne une grande inquitude dans certains milieux.

CHAPITRE 2

Et 1996Marc Dutroux et Michel Nihoul

En ce qui concerne An et Eefje, Marc Dutroux a parl dune commandeMichel Lelivre, 19 aot 1996Dans la maison de sa grand-mre, Tamines, dans la province de Namur, Benot Lelivre fixe, incrdule, lcran de tlvision. Le frle jeune homme quil voit monter puis descendre les marches du palais de justice de Neufchteau au journal tlvis, vtu dun gilet pare-balles, cest son frre. Je ne peux pas croire que ctait son ide, dit Benot. Il tait tellement peu sr de lui. Aussi loin que je me souvienne, il na jamais bien su ce quil voulait dans la vie. A chaque fois, il avait une nouvelle passion. Dabord les voitures, puis il a entam des tudes de photographie et un mois plus tard il vendait de la drogue. Et toujours, il se laissait entraner par les autres. Le pre a dj quitt la scne lorsque Michel Lelivre vient au monde, le 11 mai 1971 Tamines. Sa mre a dix-sept ans. Elle a pass sa jeunesse dans des maisons daccueil. A dix mois, Michel est lui aussi confi par une assistante sociale une famille daccueil. Deux ans plus tard, cest Benot qui vient au monde; il est plac dans la mme famille. Josette Dumont y lve ses quatre enfants, plus quatre autres placs. Dans cette grande famille chrtienne, les bonnes manires vont de pair avec la messe dominicale. Nous tions surprotgs et levs svrement, estime Benot. Il fallait se lever telle heure, tre rentr telle heure pour le dner, teindre telle heure... Tout tait rglement. 1

Michel a cinq ans lorsque sa mre se marie avec son amour de jeunesse, Christian Lelivre qui donnera son nom aux deux jeunes frres. Au dpart, ils taient contents, se souvient Josette Dumont. Leur maman tait enfin comme les autres mamans. Mais lambiance a rapidement chang. Michel et Benot restent placs dans leur famille daccueil. Christian Lelivre passe le plus clair de son temps boire et jouer. Douze ans plus tard, il retournera vivre chez ses parents Saint-Servais. Peu aprs, la veille de Nol 1988, le vieux voisin de Tamines, Edward Nadej, est dvalis et tu la hache. Christian Lelivre sera jug coupable du vol par la cour dassises de Namur et condamn cinq ans de prison.2 Entre le pre Lelivre et ses garons adoptifs, les relations ne sont pas au beau fixe. Michel a neuf ans quand Josette Dumont rapporte ses premiers changements de comportement lassistante sociale. Il tait contrariant et agit. Ses rsultats scolaires baissaient. Il ne faisait plus confiance personne. Je pensais que ctait d la pubert. Plus tard, jai commenc faire le lien avec les visites leurs parents. Il y a eu un week-end o il a d se passer quelque chose. Pendant des semaines, ils ont t trs difficiles. Aucun des deux ne voulait en parler. Des annes plus tard, Benot a fait une remarque ce sujet alors quon discutait de sexualit. Il a soupir: Si je pouvais retrouver mes sept ans. A leur majorit, les deux frres suivent chacun leur voie. A la fin des annes 80, Michel Lelivre erre dune adresse lautre Sambreville et Namur. A la police, il est connu comme petit consommateur de drogue, pas dangereux. En 1990 et en 1991, il est moniteur dans des colonies de vacances, et un temps, homme tout faire. Pour payer sa consommation de drogue, de plus en plus chre, il devient dealer de cocane, dans la rue. Ce qui, fin 1993, lui vaut un an de prison. Derrire les barreaux de la prison de Forest, il fait la connaissance dun homme qui promet de le remettre dans le droit chemin. Il sappelle Casper Flier. Cet homosexuel hollandais en pince pour Lelivre et lui fournit un petit boulot. Aprs sa libration, Michel Lelivre devient pompiste Hastire, prs de Dinant. Flier le met en contact avec Michel Nihoul. Bizarrement, le courant passe tout de suite avec le bruxellois fanfaron. Lelivre prsente Nihoul ses amis comme lhomme qui peut tout arranger. Les avances de Flier lintressent moins. Il quitte la station-service et rencontre Michael Diakostavrianos, marchand de pneus et dpaves de voitures, qui lui propose un logement. La maison de Jemeppe-sur-Sambre, o Diakostavrianos entrepose ses pneus est remplie de bazar, mais elle est grande. Son propritaire, Marc Dutroux, est un type correct, dit Diakostavrianos. Nous sommes en t 1995. La maison est bien un taudis, mais Lelivre se contente dun matelas install par terre et de quelques planches en guise de table de nuit. En change, le propritaire lui demande sil peut de temps en temps laider faire des petits travaux. Lindiffrence avec laquelle Lelivre accepte rappelle Dutroux le souvenir de Jean Van Peteghem, ce vaurien tout aussi irrflchi avec qui il enlevait des enfants au milieu des annes 80. Dutroux prte de largent Lelivre qui na pas le got des remboursements. Des remords? Javais des remords aprs chaque enlvement, dira Lelivre plus tard. Il disait toujours que javais des dettes et que je devais les rembourser. Lelivre admettra quil sagissait toujours de sommes drisoires, et quen ralit, il ne pouvait rsister linfluence que Dutroux exerait sur lui. Il ma forc laider pour ces