Marches de Gaule et Petite Bretagne, synthèse de nos travaux

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  • 8/6/2019 Marches de Gaule et Petite Bretagne, synthse de nos travaux

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    Georges Bertin, Le Passais.

    Les Marches de Gaule et de Petite

    Bretagne,

    mythologies et histoire.

    Georges Bertin.

    Il y avait autrefois dans la marche de Gaule et de la Petite Bretagnedeux rois qui taient frres et avaient deux surs pour

    femmes. Lancelot en Prose, 13me sicle.

    Notre parcours personnel nous a amen croiser de

    nombreuses reprises, sur le terrain des bocages

    normands ou mayennais, l'ombre de ses haies vives

    formant clture, au creux des chemins creux de mon

    enfance, hlas pour la plupart aujourd'hui disparus

    sous le triple assaut de la rgle des technocrates, des

    ncessits de l'agriculture de rendement maximum et

    de la ngligence, des personnages nigmatiques.

    L'nigme, il est vrai, est, ici, tant soit peu associe un

    pays dont les habitants aiment entretenir l'ambigut,

    surtout vis vis des horsains, plus soucieux de garantir

    leur intgrit que d'accueillir le changement. Au

    moment o lon sinterroge sur les limites dune

    productivit et dune consommation forcene, le pass

    du Passais, terre dquilibre et daccueil, constitue

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    Georges Bertin, Le Passais.

    peut-tre un atout majeur pour son avenir, si lon vent

    bien y rflchir et traduire ces rflexions en projets.

    Cette rgion des marches de lOuest, de Bellme

    Fougres et Vannes via Le Mont Saint Michel et

    Combourg est une entit profondment marque par

    ses caractres historique et gographique. Elle inscrit

    dans la mmoire des hommes les atouts d'une rgion

    de collines et de landes sauvages, de solitudes boises

    o fleurirent depuis la plus haute antiquit les

    mythologies et les hagiographies. Elle a fourni la

    littrature mdivale quelques uns de ses plus beaux

    thmes d'inspiration1.

    Avec sa ligne de crtes culminant prs de 300

    mtres et formant une dfense naturelle une

    pntration Nord-Sud comme les valles encaisses de

    la Mayenne ou de la Slune et de leurs affluents

    gouvernent aisment le passage d'Est en Ouest. Ainsi,

    en position centrale le Passais (du latin passus, le

    passage) occupe une position privilgie sur le plan

    stratgique qui fit de son histoire une des plus

    mouvementes des provinces de l'Ouest de la France.En tmoignent les nombreuses batailles siges et

    conqutes maillant, (de la cration du comt de

    Bellme et Domfront, vritable " Etat-tampon" par

    Louis IV en 942, la prise du chteau de Domfront en

    1418 par les Anglais,) l'histoire de cette petite

    1La Lgende Arthurienne et la Normandie, Ouvrage collectif sous la direction de J.C. Payen, Cond sur

    Noireau, Corlet, 1983.

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    province2, qui a su conserver jusqu' nos jours des

    particularismes trs vivants.

    Lorsque au 6me sicle, St Innocent, vque du

    Mans, envoie vers cette nouvelle Thbade des moines

    qui ont noms Fraimbault, Ernier, Bmer... pour y crer,

    avec leurs ermitages, les premiers ilts de la

    civilisation, il est loin d'imaginer l'extraordinaire flors

    de hauts faits, de rcits lgendaires et de crmonies

    pieuses, de ftes, enfin, que ce petit terroir coinc

    entre Maine, Anjou, Bretagne et Normandie va pouvoir

    scrter.

    Pour revenir et illustrer un sujet dj bien tudi et sur

    lequel nous travaillons depuis 19672, celui de

    l'enracinement folklorique de la lgende Arthurienne,

    et participer cette ide, patiemment dfendue par

    l'rudit ornais Ren Bansard, que ces terroirs, s'ils ont

    quelque chose voir avec le pays des Grandes

    Merveilles dont parlent les anciens romans, ont, de ce

    fait, servi de cadre et par l mme condens un grand

    nombre d'vnements festifs qui en font, au plan

    symbolique, un lieu de passage entre deux

    civilisations, la latine et la celtique, entre Normandie,

    Anjou, Maine et Bretagne, entre tradition et modernit.

    En tmoignent les lieux nomms Bansardires dont la

    position correspond celles de juridictions de marches

    chez les Francs, les bannats. L'une d'entre elles, sur la

    2 Bertin Georges, LImaginaire dasn les pratiques danuimation, de la fte locale, thse de doctorat, Universitde Paris 8, 1989.

    La qute du saint Graal et lImaginaire, Corlet, 1997.

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    commune du Chtellier, jouxte la paroisse de Banvou,

    exactement situe en marche de trois diocses

    anciens, et avant les circonscriptions ecclsiastiques,

    de trois pays celtes: le pays breton (Redones) le pays

    normand (Sagii) le pays manceau (Cnomans).

    Encore, les toponymes Gannes ou Gaunes, lis des

    lgendes de trahison et des sites fortifis, marquent

    galement cette rgion des Marches de Bretagne dont

    le preux Roland, qui fut trahi par Ganelon, tait le

    gardien pour le compte de lempereur Charlemagne.

    Des collines dEcouves jusquen Lande Pourrie

    toucher Mortain, et aux landes de Riniac, prs de

    Combourg, c'est bien la mme ralit que le terrain

    nous renvoie, celle d'un pays de transition matrialise

    sur le plan gographique par ce que l'activit humaine

    nous a lgu de l'antique fort de Brocliande s'tirant

    alors sur prs de trois cent kilomtres d'Est en Ouest et

    sur cent vingt kilomtres du Nord au Sud. Des forts du

    Perche celles de Lande Pourrie ou de Paimpont, nous

    retrouvons les mmes rcits lgendaires vhiculs par

    la tradition orale.

    Les travaux3 de Guillaume Kerfontainesur le chteau

    de Cotquen, aux marches de Bretagne, en lisire de la

    fort de Broualan-Brocliande, et sur sa forteresse

    actuelle qui fait suite une motte fodale (remplaant

    elle-mme un enclos fortifi de lpoque carolingienne)

    incendie plusieurs reprises lors des invasions3http://www.paysdebroceliande.com/broualan/lancelot.html

    http://www.paysdebroceliande.com/broualan/lancelot.htmlhttp://www.paysdebroceliande.com/broualan/lancelot.htmlhttp://www.paysdebroceliande.com/broualan/lancelot.html
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    barbares ont galement montr que nous sommes l

    dans un contexte lgendaire identique celui dcrit

    par le Lancelot en prose . Ils viennent heureusement

    renforcer cet tat des lieux sur les Marches de

    Bretagne.

    Connu longtemps pour ses tendues boises

    escaladant une succession de collines formes par le

    vieux relief armoricain, cette rgion devint trs tt un

    haut lieu du druidisme dont les traditions rappellent

    l'emprise : Table au Diable, Menhir du Perron en

    Passais la Conception, fontaines gurisseuses,

    oratoires, lgendes de fes prsentes Carrouges et

    Rnes, de lutins (la Gione, la Table au Diable) de

    chasses fantastiques (la chasse Artus), de tombeaux

    qui parlent (saint Bmer les Forges) des corbeaux de la

    cascade (Mortain), et de la Fosse Arthour saint

    Georges de Rouelley, fontaine merveilleuse de

    Barenton en Cotentin. Cultes soli-lunaires et rcits

    arthuriens sy mlent volontiers

    Une autre des caractristiques de ces pays, c'est

    l'existence de traditions vivantes dont nous devons

    l'origine aux moines dfricheurs du VIme sicle. Leurs

    tablissements monastiques ayant disparu dans la

    grande tourmente des invasions normandes aux

    IXme-Xme sicles, ils sont le thtre vers l'an Mil,

    des convoitises des Bretons l'Ouest, des Normands

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    au Nord, des comtes du Maine et d'Anjou au Sud et des

    rois de France l'Est.

    Lorsque au VIme sicle, (poque d'influence de laculture celto-chrtienne) saint Innocent, vque du

    Mans, envoie vers cette nouvelle Thbade des moines

    qui ont noms Fraimbault, Ernier, Bmer, Auvieu,

    Constantien, pour y crer, avec leurs ermitages, les

    premiers lots de la civilisation chrtienne, il est loin

    d'imaginer l'extraordinaire flors de hauts faits, de

    rcits lgendaires et de crmonies pieuses, de ftes,

    enfin, que ces terroirs entre Maine, Anjou, Bretagne et

    Normandie vont pouvoir scrter.. Les lgendes

    hagiographiques, dcrivant l'arrive des moines

    civilisateurs, les reprsentent occups dtruire les

    bois consacrs aux "faux dieux", tel celui de prtresses

    d'Eros qui auraient lu domicile sur le territoire de

    l'actuelle paroisse de Saint Bmer les Forges, du nom

    du saint qui brisa les autels de leur culte. Les saints

    ermites fondateurs de la civilisation dans ces contres

    retires se trouvrent tt nantis, dans l'me populaire,

    par une sorte de retour des choses, des vertus que l'on

    attribuait prcdemment aux divinits des sources et

    des bois, le culte nouveau se superposant l'ancien

    sans trop de difficults au niveau de la pratique

    quotidienne. Le clerc remplace le druide comme le

    saint remplace le dieu ou le hros. "Magicien du nouvel

    age, il renverse le pouvoire des druides, il prvoit

    l'avenir, il commande la nature" (Loyer).

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    Par exemple, Banvou, le pays du roi Ban des romans

    arthuriens, vient s'tablir au VIme sicle de notre re,

    un ermite, saint Ernier, qui fonde un ermitage au coeur

    des solitudes boises du Passais et dont les miracles

    dfraient la chronique (parmi ceux-ci, il correspond

    avec l'Autre-Monde). En son honneur se tient chaque

    anne, l'poque de la Lugnasad celte, une

    procession, aux tranges rites tandis que les

    populations locales racontent d'anciens rcits autour de

    saint Ernier, dont la figure parat avoir fourni quelques

    traits la confection d'un personnage de la Table

    Ronde, Lonce de Payerne (du pagus Erneaie), rgent

    du Banoc dans les rcits lgendaires: celui d'une

    fontaine qui dclenche des orages lorsque l'on y plonge

    un reliquaire contenant une phalange de son doigt,

    d'une aubpine qui fleurit l'hiver. A Passais la

    Conception, cest Auvieu ou Alve qui occupe le terrain

    et cre la civilisation.

    Tout se passe ici comme si la transmission de la

    matire de Bretagne avait emprunt, de faon

    occulte, les voies de l'hagiographie du Bas-Maine et

    des provinces limitrophes, les itinraires des chevaliers

    de la Table Ronde partis, par exemple, l'aventure qui

    pour secourir la reine Guenivre enleve au royaume

    de Gorre (Gorron) via les Ponts sous l'eau et de l'Epe

    par Mlagant le fils de Baudemagu, qui dans leur

    Qute du Saint Graal vers le Mons securus (Montsurs?),

    nous offrant lire, sur le terrain, les avatars de cette

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    incorporation des donnes pr-chrtiennes dans le

    consensus culturel et spirituel des XIIme-XIIIme

    sicles, les passages de l'eau y tiennent une grande

    place : gus, ponts vages, rivires, ruisseaux et rus

    sont aussi des atouts considrables pour cette rgion

    comme son environnement forestier.

    Ralit entretenue par les souverains rgnants qui, de

    911 1204, n'eurent de cesse de se rendre

    mutuellement hommage en marches. Ainsi, Alain III,

    duc de Bretagne, prtera hommage Robert de

    Normandie en 1030, au Mont Saint Michel, "en

    marches".

    A l'poque mdivale,(4) l'histoire du Passais, alors

    infod aux seigneurs de Bellme, est constamment

    marque par sa rsistance aux luttes des grands

    fodaux. C'est Guillaume le Conqurant qui s'en rendit

    matre le premier en le faisant entrer dans sa

    mouvance vers 1050. Il lui fallut encore bien des efforts

    pour s'en concilier les habitants dots d'un fier esprit

    d'indpendance.

    Aprs la conqute de l'Angleterre par les Normands et

    la mort du Conqurant, les luttes reprirent et c'est

    Henri 1er Beauclerc qui fut choisi comme prince par les

    habitants de Domfront. Ceux-ci avaient secou le joug

    de leur seigneur, Robert de Bellme, pour accueillir ce

    fils de Guillaume qui n'avait reu aucune terre en

    hritage mais qui passait pour instruit et comptent.(5) Le Faverais H. Les origines du Passais, Alenon, S.H.A.O.1888, p. 53.

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    Etonnante dmonstration de ce particularisme des

    habitants du Bocage lisant, en pleine fodalit, leur

    chef et souverain ! Les monarques anglo-normands ne

    l'oublieront pas et l'on sait qu'au XIIme sicle, Henri II

    Plantagent et Alinor d'Aquitaine y firent de frquents

    sjours, tenant cour renforce Domfront en Passais,

    leur"capitale de coeur", y accueillant potes et

    troubadours, clercs lettrs, dotant tout le pays

    richement en foyers de culture au travers de l'abbaye

    de Lonlay et de ses prieurs fort nombreux en Passais.

    Ces pays de marche ont galement marqu la ralit

    littraire, puisque Alinor d'Aquitaine, la petite fille de

    Guillaume IX d'Aquitaine, le prince des troubadours, et

    son poux Henri II, firent aux Marches du Maine de

    frquents sjours Domfront, Falaise, Argentan. A leur

    cour, lettrs, troubadours et thologiens dveloppaient

    une littrature s'inspirant certes des traditions latines

    et celtes, des thmes occitans mais aussi des situations

    de l'poque et des folklores et hagiographies locales

    transmises par les abbayes normandes. Saint Evroult

    Notre Dame du Bois, Lonlay l'Abbaye, l'Abbaye Blanche

    de Mortain, Savigny le Vieux, lAbbaye de Broualan, et

    leurs filiales, dans l'Ouest et en Grande Bretagne, ont

    jou un rle considrable dans la diffusion des corpus

    et des ides, d'un bord l'autre de la Manche et dans

    les deux sens, la mer formant ici plus

    vraisemblablement lien que frontire.

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    On peut ainsi citer l'Abbaye du Mont Saint Michel, aux

    rives de la mer de Cornouailles, dont les rcits

    mythiques nous disent la fois l'importance comme

    lieu de passage et comme lieu de sdimentation des

    traditions celtiques, abbaye qui fait figure de porte de

    l'au-del avec la rputation de sa baie des trpasss,

    avec ses villages et sa fort engloutie, les coutumes et

    les lgendes celtes qui courent dans sa rgion dont

    participe sa rplique en Cornouailles britannique.

    Les paysages des Marches de lOuest, aussi secrets et

    mystrieux que leurs habitants, laissent deviner, plus

    qu'ils ne livrent, une sagesse populaire qui a su tracer

    l l'empreinte collective d'une humanit vivant en

    harmonie avec son environnement dont bien peu

    d'oeuvres d'art rendent compte de nos jours. Nourris d'un

    irrsistible refus d'ingrence, d'une dfense forcene, de douze sicles

    d'isolement, mais aussi de travaux et d'entretien d'une nature souvent

    hostile, domestique au prix d'innombrables efforts individuels et dont les

    rsultats peuvent se lire dans l'admirable trac paysager des bocages, de

    l'identit culturelle de ces pays qui restent un lieu de transition entre

    Maine, Bretagne et Normandie certes, mais aussi et bien plus entre

    Tradition et Modernit, entre refus (d'autant plus forcen qu'il est souvent

    inconscient de l'acculturation) et conformit sociale. Ils comptent

    aujourdhui parmi les joyaux du patrimoine de lhumanit.

    Bibliographie.

    Bertin Georges. Guide des Chevaliers de la TableRonde en Normandie. Cond sur Noireau, Corlet, 1991

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    Georges Bertin, Le Passais.

    Bertin Georges. La Qute du Saint Graal et

    l'Imaginaire, Cond sur Noireau, Corlet, 1997.

    Bertin Georges (dir), Dveloppement local etintervention sociale, LHarmattan, 2003.

    Dceneux Marc, Mont-Saint Michel, histoire d'un

    mythe, Rennes, d. Ouest-France, 1997.

    La Lgende Arthurienne et la Normandie, ouvrage

    collectif sous la direction de Jean-Charles. Payen, Condsur Noireau, Corlet, 1983

    Lancelot du Lac, actes du Colloque international de

    Rnes, direction Michel Pastoureau, Alenon, L'Orne en

    Franais-CENA, 1985.

    Les Romans de la Table Ronde, la Normandie et...audel, collectif dirig par Michel Pastoureau, Cond sur

    Noireau, Corlet, 1987.

    Loyer Olivier, Les Chrtients celtiques, Rennes, Terre

    de Brume ditions, 1993.

    bocaine, Thse de doctorat, Universit de Caen, 1980.

    Voir aussi notre article sur la Fte du Poir parue

    Montral en 1998. in Religiologiques : Poir, sacr

    poir.

    http://imaginouest.metawiki.com/sacr_poir

    Au 21me sicle, le Passais trouvera til sa Guenivre ?

    http://imaginouest.metawiki.com/sacr%C3%A9_poir%C3%A9http://imaginouest.metawiki.com/sacr%C3%A9_poir%C3%A9
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    Georges Bertin, Le Passais.