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Objets étranges, objets immatériels: pourquoi Lacan inclut la voix et le regard dans la série des objets freudiens? Marie-Hélène Brousse Je dois vous dire que je suis très honorée d’être parmi vous et vous dire également comment j’ai conçu ce dont je vais vous parler aujourd’hui. On m’a demandé de parler du regard et de la voix. Je trouve, quant à moi, que c’est un sujet très difficile. Donc, le travail que je vais vous présenter aujourd’hui est un travail où je m’enseigne à moi même, en m’adressant à vous. Et donc c’est un travail, comment vous dire, minutieux et précis de lecture de quelques morceaux du Séminaire X, de morceaux consacrés au regard et à la voix. Je commence en introduisant de façon générale le problème. Ce que la psychanalyse appelle des objets, ou l’objet et depuis Freud, n’a que peu de choses à voir avec ce qui dans le discours courant est ainsi appelé. Dans la psychanalyse, l’objet apparaît dans des expressions qui tout de suite nous montrent qu’il s’agit de quelque chose, disons, d’inédit. Par exemple, l’expression choix d’objet, qui est un des deux versants de l’œdipe freudien. Par exemple, l’expression relation d’objet. Donc, déjà c’est des objets avec lesquels on a des relations, ce qui implique qu’on ne soit pas dans le champ de l’utilité. Sur la notion de relation d’objet Lacan a fait porter, pendant des années, une critique assidue. Essentiellement sur toute ambition présente dans la psychanalyse, d’envisager l’objet comme un tout, sa position est donc que tout objet est partiel, tout objet est une partie. Et que c’est pas en les mettant tous ensemble qu’on obtient un objet complet et idéal. Ce qui était un peu la position des tenants de la relation d’objet, parce qu’ils avaient comme ambition de démontrer que l’objet d’amour en jeu dans la relation génitale, on peut dire, résumait et étaient construit comme la coordination de tous les objets partiels. Une autre expression qui permet de penser ce qu’est un objet dans la psychanalyse, c’est l’expression freudienne fondamentale, l’objet perdu. Disons, tout de suite, que c’est le paradigme de l’objet psychanalytique. Dans la psychanalyse quand on parle d’objet on parle d’un objet perdu. Et, donc, dans ce Séminaire (Séminaire X), Lacan oppose l’objectivité avec un autre terme qu’il invente, l’objectalité. L’objectivité du côté des objets externes, des objets qui sont dans l’espace et l’objectalité pour définir ces drôles d’objets qui sont d’abord perdus. Et donc auquels nous n’avons accès que par des représentations ou des traces. Bon, Freud avait dressé une première liste de ces objets, une liste de trois plus deux: le sein, l’excrément, le phallus à quoi il avait ajouté aussi, comme sous-catégorie, l’argent et l’enfant, correspondant à cinq bornes de pertes, cinq objets pulsionnels. Cette liste était développée et historisée avec K. Abraham, qui avait fait correspondre chacun de ces objets perdus à un stade du développement. Les objets étaient, donc, liés, à un développement pulsionnel, supposé terminé par la pulsion génitale. C’était une manière de civiliser le pervers polymorphe de Freud, l’enfant pervers polymorphe. Alors, Lacan reprend la liste freudienne et il en ajoute deux autres, encore plus bizarres que les

Marie-Hélène Brousse - Objets Étranges, Objets Immatériels_ Pourquoi Lacan Inclut La Voix Et Le Regard Dans La Série Des Objets Freudiens

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Marie-Hélène Brousse - Objets Étranges, Objets Immatériels_ Pourquoi Lacan Inclut La Voix Et Le Regard Dans La Série Des Objets Freudiens

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  • Objets tranges, objets immatriels: pourquoiLacan inclut la voix et le regard dans la sriedes objets freudiens?

    Marie-Hlne Brousse

    Je dois vous dire que je suis trs honore dtre parmi vous et vous dire galement commentjai conu ce dont je vais vous parler aujourdhui. On ma demand de parler du regard et de lavoix. Je trouve, quant moi, que cest un sujet trs difficile. Donc, le travail que je vais vousprsenter aujourdhui est un travail o je menseigne moi mme, en madressant vous. Etdonc cest un travail, comment vous dire, minutieux et prcis de lecture de quelques morceauxdu Sminaire X, de morceaux consacrs au regard et la voix.

    Je commence en introduisant de faon gnrale le problme. Ce que la psychanalyse appelledes objets, ou lobjet et depuis Freud, na que peu de choses voir avec ce qui dans le discourscourant est ainsi appel.

    Dans la psychanalyse, lobjet apparat dans des expressions qui tout de suite nous montrentquil sagit de quelque chose, disons, dindit. Par exemple, lexpression choix dobjet, qui estun des deux versants de ldipe freudien. Par exemple, lexpression relation dobjet. Donc,dj cest des objets avec lesquels on a des relations, ce qui implique quon ne soit pas dans lechamp de lutilit.

    Sur la notion de relation dobjet Lacan a fait porter, pendant des annes, une critique assidue.Essentiellement sur toute ambition prsente dans la psychanalyse, denvisager lobjet commeun tout, sa position est donc que tout objet est partiel, tout objet est une partie. Et que cestpas en les mettant tous ensemble quon obtient un objet complet et idal. Ce qui tait un peula position des tenants de la relation dobjet, parce quils avaient comme ambition dedmontrer que lobjet damour en jeu dans la relation gnitale, on peut dire, rsumait ettaient construit comme la coordination de tous les objets partiels.

    Une autre expression qui permet de penser ce quest un objet dans la psychanalyse, cestlexpression freudienne fondamentale, lobjet perdu. Disons, tout de suite, que cest leparadigme de lobjet psychanalytique. Dans la psychanalyse quand on parle dobjet on parledun objet perdu. Et, donc, dans ce Sminaire (Sminaire X), Lacan oppose lobjectivit avec unautre terme quil invente, lobjectalit. Lobjectivit du ct des objets externes, des objets quisont dans lespace et lobjectalit pour dfinir ces drles dobjets qui sont dabord perdus. Etdonc auquels nous navons accs que par des reprsentations ou des traces.

    Bon, Freud avait dress une premire liste de ces objets, une liste de trois plus deux: le sein,lexcrment, le phallus quoi il avait ajout aussi, comme sous-catgorie, largent et lenfant,correspondant cinq bornes de pertes, cinq objets pulsionnels. Cette liste tait dveloppe ethistorise avec K. Abraham, qui avait fait correspondre chacun de ces objets perdus un stadedu dveloppement. Les objets taient, donc, lis, un dveloppement pulsionnel, suppostermin par la pulsion gnitale. Ctait une manire de civiliser le pervers polymorphe deFreud, lenfant pervers polymorphe.

    Alors, Lacan reprend la liste freudienne et il en ajoute deux autres, encore plus bizarres que les

  • objets freudiens, et des choses quon a jamais appeles objets avant Lacan: la voix et leregard. Il part vraiment en dcalage par rapport a ce que nous appelons des objets. Et il prenddonc comme fil directeur que plus bizarres sont ces objets plus ils manifestent la spcificit desobjets lacaniens. Lacan rajoute aussi quelques autres objets ces cinq, dans ce Sminaire, parexemple il rajoute, le placenta, il rajoute les membranes, les membranes embryonnaires, on vavoir ce quil en fait.

    Donc, on va, premirement dfinir lobjet lacanien comme tel, deuximement, prciser lescaractristiques du regard et de la voix en tant quobjet libidinal et je donnerai quelquesexemples cliniques du reprage de ces objets dans les analyses.

    Le fait quon les mette en liste, implique quils ont quand mme un point en commun et cepoint en commun Lacan va lexpliquer comme tant leur fonction. Il construit lide quil existepour un sujet parlant une fonction objet. Cest une fonction que dsigne le terme quil a cre:objet petit a. Lobjet petit a est une fonction. Je vais vous lire page 102 (page 98 dans lditionbrsilienne): Cet objet, dit Lacan, nous le dsignons par une lettre. Cette notation algbriquea sa fonction. Elle est comme un fil destin a nous permettre de reconnatre lidentit de lobjetsous les diverses incidences o il nous apparat .

    Or, vous voyez dj que lobjet nous apparat sous des incidences diffrentes. Donc, cest lamme fonction mais qui apparat sous des formes phnomnalement diffrentes. La notationalgbrique a justement pour fin de nous donner un reprage pur de lidentit, ayant dj tpos par nous que le reprage par un mot est toujours mtaphorique... Je marrte l, en vousprcisant quil utilise la notation algbrique petit a pour viter les signifiants et le flot dessignifis quils vhiculent puisquun mot a toujours un sens mtaphorique, cest--dire atoujours un sens propre et un sens figur. Prenez lexemple du sein. Bon, le sein a veut dire lamamelle, mais a veut dire le cur, un espace privilgi, a veut dire la nourriture, a veutdire plein de choses, donc, appeler a petit a cest pour en finir avec la mtaphore. La mmechose pour lexcrment, on a, je sais pas si en portugais on le dit, on utilise beaucoup la merde,mais en franais il y a toutes une srie de drives qui permettent de mtaphoriser la merde.Quant au phallus, nimporte quoi peut prendre le sens phallique. Par exemple, cette bouteillerige il suffit que je la mtaphorise pour quelle devienne un phallus. Donc, vous comprenezpourquoi Lacan a dcid dappeler a objet petit a. Une machine lutter contre les mtaphoreset les significations. Alors, il nen reste pas moins que dans ce Sminaire, lobjet pour tre unefonction nen est pas moins une substance. Et cest donc le Sminaire de Lacan le plus appuysur la biologie. Il y a normment des rfrences la biologie dans ce Sminaire, qui montrentque lobjet pour tre une fonction est une fonction qui implique le fonctionnement biologique,cest larticulation de la pulsion avec le biologique.

    Lautre thse de ce Sminaire, sur laquelle je ne vais pas mattarder, mais qui estfondamentale, est que ces objets, ces objets a on y a accs seulement indirectement et que lavoie daccs la plus sre cest langoisse. Il y a une telle clinique dans ce Sminaire! A chaquefois que vous tes angoiss, je ne dis pas quand vous avez peur, quand vous avez peur voussavez de quoi vous avez peur, quand vous tes angoisss, cest--dire quand vous savez pasdire quest-ce qui vous angoisse, eh bien, chaque fois, il y a un objet a derrire.Voil unenotation clinique: quand vous tes angoisss, cherchez lobjet. Et vous verrez, a tombe.

    Bien, venons maintenant une dfinition lacanienne de cet objet. Peut tre que le point le plusimportant cest lide que cet objet est une partie de notre chair, un bout de corps, un bout denotre corps, pas un bout du corps de lAutre, que cest un morceau, donc cest une partie, ane sera jamais un ensemble, que cest un objet cach, spar, inerte et si on dit sacrifi cestdj lui donner une signification. Et Lacan le dfini de la faon suivante: cest ce qui survie ladivision au champ de lAutre par la prsence du sujet. Quand vous naissez, vous ntes pas

  • encore un sujet parlant, vous tes un individu, vous tes un organisme et vous tes un corps,mais vous ntes pas encore un sujet parlant. Vous commencez a tre un sujet parlant quandvous avez une parole. Cest--dire, quand vous vous saisissez des mots et des signifiants pourles renvoyer lAutre. Mais, naturellement, ces signifiants ils vous viennent dabord de lAutre.Eh bien! quand ce processus se met en place ou quand vous entrez en relation avec les Autresdu langage, que vous vous mettez en place comme sujet parlant cest ce moment-l quevous perdez un petit morceau, un petit morceau de corps, un petit morceau de satisfaction, etcest a lobjet.

    Je vais vous donner des exemples cliniques de lobjet a prlev sur le corps. Deux petitsexemples, un de la psychopathologie de la vie quotidienne et lautre du cinma. Quand vousfaites votre toilette dans le lavabo, particulirement, moi qui suis une femme, particulirementles femmes, on se peigne; et vos cheveux sont relativement importants dans votre image, onles aime on les aime pas, on veut les changer, on le fait teindre, on les fait couper, on les faitfriser, on les fait dfriser, on sen occupe, ils vous plaisent ou pas, mais enfin, bon, on senoccupe. Mais, en fait, quand vous vous coiffez, les cheveux qui tombent dans le lavabo, alorsl, franchement, ils ne vous plaisent pas. Je trouve a dgotant, a va dans la bonde dulavabo, a devient tout gluant. Bien, lobjet a cest a, cest le cheveu une fois quil nest plussur votre tte. Soit il est dgotant dans le tuyau du lavabo, a cest le reste, soit il est coupet fait postiche, le truc que vous ajouter quand, par exemple, jai vu des photos de maris,quand vous vous mariez vous voulez avoir plein de cheveux, alors on peut se permettre unpostiche et l cest plutt algamatique. Sauf que vous notez bien, quand on lenlve a cestdj pas terrible, cest pas un bon moment. Donc, lobjet a cest a, le bout qui sen va.

    Moi, jaime beaucoup les filmes de guerre. Il y a un qui est incroyable, Il faut trouver le soldatRyan. Cest la premire scne qui est exceptionnelle, qui est la scne du dbarquement, cestune scne de morcellement des corps, inoue. A un moment donn on voit un soldat tomb parterre regarder ct de lui et il voit un bras et cest le sien, sauf que cest le sien qui tient plus son corps. Cest le sien quil peut prendre avec son autre main.Voil lobjet a. Lobjet a cestle bout de vous lextrieur. Vous comprenez pourquoi cest le fondement de langoisse. Cemorceau-l il est perdu, mme si on vous met un bras artificiel, ce sera jamais comme avant.sauf dans la Guerre des toiles. Comme vous le savez, il y a une scne o le hros perd lamain, comme par hasard cest son pre que la lui a coupe, et on lui en rebricole uneexactement comme elle tait avant. Dans la Guerre des toiles il y a normment de scnesqui sont articules la question de lobjet a.

    Le personnage de Dark Vador dans le troisime est rduit quelques morceaux. Vous avez vua, quand ils sont dans une espce de flotte et feu et quil reste un morceau sanglant sur lerivage, sur le rivage de feu. A la fin on lui bricole cet espce darmure noire qui cache jamaisson corps, ce qui fait que dans tous les autres films son corps fonctionne comme l objeta cach. Avec lide mon dieu, quils enlvent a, a doit tre horrible Et ce qui reste, quest-ce que cest?.

    Je vous pose une question qui a trait a mon sujet. Allez, il y a des gens ici qui sont ns avec LaGuerre des toiles. Vous connaissez tous Dark Vador. Qui ne connat pas l. Aaahhh Cest aqui reste, il reste aaahhh (un souffle) quand il parle, il reste... trs caractristique, cest--direque ds quil apparat limage, avant mme quon le voit, dans la bande son, on entendaaahhhh...alors l on sait que cest le mchant, on a peur, on sapproche de lobjet voix.

    Maintenant, venons-en ses deux visages dobjet, le regard et la voix. Cest moins simple quela Guerre des toiles, Lacan cest moins simples. Il va falloir que je vous dise quand mme unechose, deux choses un peu difficiles. La premire, la thse de Lacan est que la fonction de lacause chez ltre humain est lie la catgorie de lobjet. Parce que Lacan considre que dans

  • le discours de la science, ce dont on se dbarrasse cest prcisment de la notion de cause. Ala place de la cause, la science met des connexions signifiantes, des relations, des lois et desquations. La fonction de la cause est une fonction qui a toute son ampleur dans laconnaissance, je dois dire, la connaissance spontane, la connaissance dans le langagecommun. Parce que la cause cest ce qui vient la place du trou, de la bance, qui est lacaractristique mme du dsir. Quand vous dsirer quelque chose, vous ne le dsirez que sivous ne lavez pas. Une fois que vous lavez vous le dsirez plus. Ou alors, vous le dsirezencore une fois mais cest pas tout fait la mme chose. Donc, il y a un statutfondamentalement non-effectu du dsir. Donc, un trou. La cause cest le nom que nousdonnons a au niveau de la conscience, cest comme a que nous appelons ce trou: causede. Et a vient pour rendre compte de lcart quil y a entre les mots et le rel: la cause. Etdailleurs, on a tendance penser que les signifiants sont la cause du rel. Je vais vous donnerun exemple politique, trs drle. Vous avez entendu parler de notre prsident de la Rpublique(en France)? Il sappelle Sarkozy. Il est trs agit. Et il a dit rcemment, la croissance sera dequatre pour cent. Et les gens lui ont demand: pourquoi? Parce que je lai dit. Cest a lidede la cause: le signifiant cause le rel. Donc, la cause est lie au dsir. Il ny a de cause que dudsir. Et monsieur Sarkozy dsire une croissance de quatre pour cent. Voil, il pense que sondsir est une cause On verra!.

    Je vous cite un petit bout de Lacan: Du fait que lhomme parle il crot saisir le rel par lesignifiant, il crot que le signifiant commande au rel selon sa propre causation interne. Sapropre causation interne cest son dsir.

    Alors, venons-en au regard et la voix. Ce sont les deux objets qui dploient le plus clairementla fonction de la cause. Ils le font diffremment, mais Lacan labore toujours lun en sappuyantsur lautre et rciproquement. Alors, premirement voyons le regard. coutez, le regard cenest pas lil, ce nest pas la vision, ce nest pas limage. Voyez, cest dj quand mme undrle dobjet! .

    Par quoi Lacan commence ce quil dit sur le regard? Il commence en parlant de lil. Il dit, cestbizarre, vous vous tes aperu que lil au niveau de lorgane est toujours double? Cest unorgane qui lie deux parties symtriques du corps. Donc, il y a un lien entre lil et la symtrie.Deuxime point, lil est li aux mirages, cest le premier fonctionnement de lil. Pourquoidit-il cela? Parce quil dit que la premire utilisation de lil cest un miroir. Notre premier miroircest notre il. Cest la premire fois quon voit limage. Donc, lil est dj un miroir. Et cestun miroir particulier parce quil peut se voir dans le miroir. Donc, nous voyons notre miroirinterne dans le miroir externe. Alors, il a un trait particulier, cest que dans sa premire fonctionde miroir Allez, voil, je vous regarde- la particularit est que je mlide de moi mme. Je vousvois condition de ne pas me voir. Donc, lil, le fonctionnement de lil, fabrique cette choseparticulire que tout notre rapport visuel est conditionn par le fait que nous nous faisonsdisparatre de la scne. Et la question donc est quelles sont les traces de cette premirefonction miroir cache, disparue. On vient tout de suite la voix, en relation.

    Cest pareil, quand je parle, je ne mentend pas. Exactement comme quand je vois, je voisquelque chose condition de ne pas me voir. Donc, ce sont deux degrs qui reposent sur uneneutralisation du corps.

    Lacan considre ce lien particulier au regard avec la notion de fascination. Quand vous tesfascin par quelque chose, cest prcisment vous qui disparaissez. Vous disparaissez dans ceque vous regardez, carrment hypnotis. Lacan dit, la fonction du regard cest que toutesubsistance subjective semble se taire. Et, donc, il dfinit le regard comme un point zro. Il enfait dailleurs sa valeur libidinale. Parce que, dun ct le regard annule la disjonction entrelobjet a et le manque dans lAutre. a veut dire que quand je suis fascin, quand je ne suis que

  • regard, je neutralise mon propre manque, compltement remplie parce que je vois et jeneutralise le manque de lAutre aussi. Quand vous tes fascin ce nest pas le moment o vousvoyez le dfaut chez lAutre. Prcisment, quand vous tes fascin cest le moment o vous nevoyez aucun dfaut chez lAutre. Quand vous commencez a vous rendre compte que lAutre, ila un petit bouton sur la joue, quil a le nez de travers, vous tes beaucoup moins fascins etcest mme le signe que vous commencer ne plus ltre.

    Le regard a cette caractristique de neutraliser le manque, chez vous et chez lAutre. Cestpourquoi cest un objet particulirement agalmatique. Et qui nous mne la contemplation, lapaisement, qui nous libre de la castration. Donc, cest a lobjet regard: je ne peux pas voirpas ce que je perds et je ne vois pas ce que lAutre perds non plus. Ce qui met en videncedune manire justement un peu angoissante, qui fait que le regard nest pas un voile,(comme) ce qui cache et donc qui fait apparatre le regard comme objet. Cette fois, Lacanprend comme exemple la tche.

    La tche concrtise ce que cest lobjet regard. Elle le met lextrieur de vous. Il y alinterprtation du regard en tant quil vous protge, vous tes dans une espce decommunication fusionnelle avec le monde, dans la contemplation, mais lobjet a regardnapparat pas, lobjet regard comme extrieur vous mme ne vous napparat pas. Il apparatdans langoisse. Et lexemple quil prends cest donc la question de la tche. Quand la tchevous regarde et vous narrivez pas interprter ce que vous voyez, que cette chose que vousnarrivez pas rduire au sens, que ce sens soit un signifiant ou que ce sens soit une belleimage, quand cet objet-l il rsiste, alors cest a lobjet regard. Cest la part de vous mise lextrieur qui vous regarde; et qui devient rel, qui nest pas imaginarise, pas symbolise. Jene sais pas quel exemple prendre, exemple de tche.

    Ah, il y a le fameux exemple chez Lacan, un exemple trs bizarre qui est une anecdote quilraconte de sa jeunesse cest lhistoire de la bote de sardines. Il est sur un bateau quand il adix-huit ans avec des pcheurs bretons, des vrais travailleurs, et lui cest un petit bourgeoisbien astiqu qui est sur le bateau avec eux. Si vous voulez, inutile de dire quil ne fait paspartie du groupe. On se fiche un peu de lui; et un moment donn un pcheur lui dit, aprsque Lacan ait repr sur leau un point qui brille, et il a d demander au pcheur quest-ceque cest, quest-ce que cest? Le pcheur lui rponds: cest une bote de sardines, tu la voismais elle, elle te regarde pas. tonnement de Lacan! a la suffisamment frapp pour quetrente, quarante, cinquante ans aprs il en parle encore. Dabord, vous noterez que cest pastout fait normal de trouver dans la mer une bote de sardines. En gnral, cest plutt dessardines vivantes quon y trouve. L il y a dj quelque chose dun objet bizarre qui apparat lo il doit pas apparatre. Et, au fond, toute linterprtation de cela indique que la tche cestLacan lui-mme.

    Nous-mmes nous avons toujours une exprience comme a de grande gne quand onsapparat, on se voit apparatre dans lAutre comme une tche. Cest lobjet regard qui nousapparat l. Quelque chose nous regarde pas mais, nous nous voyons vu. Nous nous voyons vucomme une tche. Dailleurs, quand on dit en franais que quelquun est une tche, cest pourcaractriser quelquun qui nest pas tout fait sa place. Donc, quelquun qui chappe auspectacle du monde. Alors, terminons avec la voix.

    La voix, Lacan lintroduit par un rituel, un rituel juif, le rituel dushophar, qui est une corne deblier dans laquelle on souffle en certaines occasions et qui produit un son indit. Je vais unpeu vite. Lacan sappuie sur des travaux dautres analystes pour faire sa dmonstration. Il enviendra la conclusion que cest la voix de Dieu, dtache des phonmes. Dtache. Dtachedes phonmes et que, donc, symbole, le shophar, prsente la voix sous une forme exemplaire,spare du signifiant, spare de toute parole. Donc, cest a, cest la voix spare de

  • lutilisation quen ont fait dans la parole. Il considre que cest le beuglement du taureau mortet la clameur de la culpabilit. La voix sous sa forme sparable, cest le shophar ou lexempleque moi, je vous ai donn, qui est un peu moins solennel, cest le aaahhh. Cest--dire, cestla voix spare de la parole, qui indique quelque chose du ct du vivant, perdu, perdu partirdu moment o on parle. Cest la voix, donc, dtache de tout support. Et cest ce qui fait, pourterminer, que le regard et la voix, se situent chacun un extrme des objets a.

    Le regard vient au dbut parce que justement il annule la sparation de lobjet a parfaitementbien. Et cest le point zro de la distance entre mon manque et lAutre. Tandis que la voix cest,au contraire, le point dinfini, dinfinitude, qui accrot la distance entre mon manque et lAutreet qui sinterprte par la culpabilit. Je voudrais vous donner deux exemples, un exemple delutilisation de la voix dans la clinique et un exemple de lutilisation du regard et je marrterail-dessus.

    Il sagit dune patiente qui est dans le domaine psy, elle est psychanalyste dj, psychologue,et elle est trs engage dans le travail de la communaut analytique. Elle doit faire ce jour-lun expos, un expos sur le circuit de la demande. Et cest un moment donn assez particulierde son analyse. En allant cette confrence, elle met la radio et au cours dune mission elleentend la voix de Lacan, elle reconnat la voix de Lacan, juste un tout petit bout. Elle arrivepour faire son expos et, un certain moment, dune faon indite, elle entend sa propre voix.Elle sentend parler pendant son expos. Et l elle disparat compltement. Elle pense plus rien, elle continue lire, elle se trompe dans schma quelle a mis au tableau et elle narrivepas rpondre aux questions. A la fin de la confrence, il avait deux personnes qui parlaient,elle et une autre, la personne qui a organis la confrence flicite lautre personne et elle nelui dit rien. Elle est trs mal! Elle ne peut pas dormir, commence travailler, travailler auxassociations et il y en a deux qui sont centrales. Son grand-pre paternel tait chanteurdopra. Il avait fait la guerre, la Deuxime Guerre Mondiale, et il avait cass sa voix laguerre. Quand il est revenu dtre prisonnier, il ne pouvait plus chanter lopra, il avait la voixcasse. Mais, elle se souvient quaux repas de famille il essayait encore de chanter. Et elle sesouvient aussi quavant de partir la guerre, il avait enregistr des disques microsillons quiavaient une marque. Ils avaient la marque EMI, La voix de son matre, il y avait un chien quicoutait un gramophone. Lautre association cest son pre, quelle caractrise commequelquun qui joue sans cesse sur les mots, de manire un peu maniaque, mais quifondamentalement ne dit rien et donc une voix vide. On voit trs bien ce qui sest pass pourelle, quand-mme. Lacan la radio, la voix de son matre et elle devient le chien qui coute.Quest-ce que le chien entend pendant la confrence? Sa propre voix. Vraiment, lobjet perdupar excellence, inscrit dans la ligne de la castration paternel. La voix perdu du grand-pre dontelle continue a couter les disques et la voix absente de son pre. Bon, a a pour elle un effetconsidrable, puisque des inhibitions majeures qui la gnaient beaucoup, ctait davoir la plusgrande difficult prendre la parole en public. Ce qui tombe, en partie, avec cette dcouverte:pour elle, parler cest la voix de son matre.

    Alors, du ct des yeux. Bon, cest une patiente qui toute son enfance a t clbre par sesparents, ses grand-parents, pour la beaut de ses yeux bleus. Elle tait les yeux! Magnifique,cest la premire chose qui lui a dit lhomme avec qui elle sest marie. Bon, elle fait un rvequi est un bouillon. En franais quand il y a de la graisse dans le bouillon on dit qu il y a desyeux dans le bouillon. Donc, elle rve quelle se prpare une tasse de bouillon et au lieu que cesoit au sens mtaphorique cest au sens propre. Son rve, cest vraiment des yeux. Elle serveille. Vous comprenez que la question est (celle) de lespace entre lil et le regard. Et quilsagit pour elle de donner toute sa place au regard, ce qui implique de perdre cetteidentification lil qui est l. Alors, dans le train, elle lit Lacan. Et elle voie une dame en facedelle, vieille et qui se prpare descendre au prochain arrt. Et elle voit, que cette dame qui

  • faisait un travail daiguille, a laiss tomber ces ciseaux sous son fauteuil. Elle lui dit: Vous avezperdu vos ciseaux. Attention. La dame est vieille et ne lentend pas. Donc, elle se lve et ldans la gne elle fait tomber tout le contenu de son sac, mais elle ramasse les ciseaux pour ladame et les lui donne. Et la dame la regarde, bien dans les yeux, et lui dit: Vous avez lil. Etvous lisez Lacan. a la cloue sur place. La dame lui a fait une interprtation, uneinterprtation sauvage. Mais, elle tmoigne que cette interprtation a immdiatement un effet.Du ct de lavoir, elle se dit, Mais oui, je lai. Jai lil. Ce qui veut dire quelle nen est pasun! Autrement dit, la ftichisation delle mme comme il., bel il., qui lempchait de voir,elle le rcupre comme avoir. Mais, avoir lil a suppose quon peut ne pas lavoir. Quecomme la dame on peut perdre ses ciseaux. Naturellement, a ne lui a pas chapp, quectaient des ciseaux, des choses avec lesquelles on fait des trous.

    Donc, je voudrais vous donner ces deux exemples-l pour vous montrer que mme si cestparfois extrmement abstrait dans le texte de Lacan. En fait, dans la clinique cest un reprefondamental. Grosso modo, ce que Lacan appelle lobjet a, les objets a, cest nos modes dejouissance. Et a sappuie sur une perte.