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CARTHAGINENSIA, Vol. XXXI, 2015 1027-1057. ISSN: 0213-4381 MARIE-THÉRÈSE D’AUTRICHE, REINE DE FRANCE ET TERTIAIRE FRANCISCAINE PIERRE MORACCHINI Bibliothèque Franciscaine des Capucins. París Resumen/Summary María Teresa de Austria (1638-1683), Infanta de España, esposa de Luis XIV, era, enteramente como su bella madre Ana de Austria, terciaria franciscana. El Abrégé, el compendio de su vida, que se debe a su último confesor, el franciscano Buenaventura de Soria, muestra que la reina practicó un cristianismo fuertemente marcado por el franciscanismo y que ella estaba muy ligada a San Francisco de Asís y a su Orden. Antes de tomar el hábito de la Tercera Orden en el Gran conven- to de los Cordeliers (Cordeleros) de París en 1660, Maria Teresa había pertenecido a la congregación de terciarios dependientes de este convento, de la que ella misma fue la superiora hasta su muerte en 1683. Su cercanía a las comunidades francisca- nas de la capital, permitió a María Teresa la introducción en París de la Orden de la Inmaculada Concepción. Su visita a las Clarisas del Ave María de Lille (18 marzo 1678) dio lugar a dejar constancia de una relación de la misma en la crónica de este monasterio; el texto de esta relación se ofrece en Anexo. Palabras clave: Tercera Orden Seglar. Cordeliers (Cordeleros). Orden de la Inmaculada Concepción. Clarisas del Ave María. María Teresa de Austria. Mary Therese of Austria, Queen of France and Franciscan Tertiary. Mary Therese of Austria (1638-1683), Princess of Spain, and the wife of King Louis XIV, was entirely like her beautiful mother Anne of Austria, and a Franciscan tertiary. The Abrégé, a compendium of Therese’ life shows how she was influenced by her last confessor, the Franciscan Bonaventure of Soria. Her life shows that the queen practiced Christianity strongly marked by the Franciscan charism and that Recibido el 13 de abril de 2015 // Aceptado el 29 de mayo de 2015 Carth 31 (2015) 1027-1057 33. Pierre.indd 1027 15/04/16 11:00

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MARIE-THÉRÈSE D’AUTRICHE, REINE DE FRANCE ET TERTIAIRE FRANCISCAINE

Pierre Moracchini

Bibliothèque Franciscaine des Capucins. París

Resumen/Summary

María Teresa de Austria (1638-1683), Infanta de España, esposa de Luis XIV, era, enteramente como su bella madre Ana de Austria, terciaria franciscana. El Abrégé, el compendio de su vida, que se debe a su último confesor, el franciscano Buenaventura de Soria, muestra que la reina practicó un cristianismo fuertemente marcado por el franciscanismo y que ella estaba muy ligada a San Francisco de Asís y a su Orden. Antes de tomar el hábito de la Tercera Orden en el Gran conven-to de los Cordeliers (Cordeleros) de París en 1660, Maria Teresa había pertenecido a la congregación de terciarios dependientes de este convento, de la que ella misma fue la superiora hasta su muerte en 1683. Su cercanía a las comunidades francisca-nas de la capital, permitió a María Teresa la introducción en París de la Orden de la Inmaculada Concepción. Su visita a las Clarisas del Ave María de Lille (18 marzo 1678) dio lugar a dejar constancia de una relación de la misma en la crónica de este monasterio; el texto de esta relación se ofrece en Anexo.

Palabras clave: Tercera Orden Seglar. Cordeliers (Cordeleros). Orden de la Inmaculada Concepción. Clarisas del Ave María. María Teresa de Austria.

Mary Therese of Austria, Queen of France and Franciscan Tertiary.

Mary Therese of Austria (1638-1683), Princess of Spain, and the wife of King Louis XIV, was entirely like her beautiful mother Anne of Austria, and a Franciscan tertiary. The Abrégé, a compendium of Therese’ life shows how she was influenced by her last confessor, the Franciscan Bonaventure of Soria. Her life shows that the queen practiced Christianity strongly marked by the Franciscan charism and that

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she was very attached to St. Francis of Assisi and his Order. Before taking the habit of the Third Order in the Great Convent of the Cordeliers (Cordeliers) in Paris in 1660, Mary Therese belonged to the congregation of tertiary dependents on the convent. Therese was the superior of the Third Order in the Great Convent of the Cordeliers until her death in 1683. The proximity of both the Great Convent and the Franciscan communities to Paris, allowed Mary Therese the establishment of the Order of the Immaculate Conception in the capital city. Her visit to the Poor Clares of Ave Maria de Lille on March 18, 1678 resulted in a relationship with the nuns and a record of it was kept in the chronicle of the monastery; the description of this relationship is provided in the Annex.

Keywords: Third Order Secular, Cordeliers, Order of the Immaculate Concep-tion, Poor Clares of Ave Maria, Mary Therese of Austria.

La plupart des historiens et des mémorialistes portent un jugement sévère sur Marie-Thérèse d’Autriche (1638-1683). Il est communément admis que cette infante d’Espagne qui devint l’épouse du roi Très-Chrétien faisait pâle figure aux côtés de sa tante et belle-mère, Anne d’Autriche (1601-1666), aux incontestables talents politiques1. Mais comment exister auprès d’une personnalité aussi forte que celle de la reine mère, s’interroge par exemple l’historien Olivier Chaline, spécialiste du règne de Louis XIV:

«Peut-être […] le rôle était-il impossible à tenir ? Elle n’est qu’Anne d’Autriche en moins bien et tout le drame tient dans cette comparaison. […] Les tentatives de Marie-Thérèse pour ressembler à Anne d’Autriche ne font qu’accroître les dispa-rités. La tante n’a pu faire de la nièce, moins douée, l’épouse idéale propre à faire oublier Marie Mancini. La jeune reine n’a aucun éclat, manque de conversation et, pire, entend mal le français. Très vite, en dépit de discrètes qualités morales […], il est patent qu’elle ne saura pas tenir sa cour comme l’avait fait la reine mère. Auprès d’un jeune roi ardent et avide de briller, cette petite femme blonde n’offre qu’une personnalité terne, dépassée par sa propre destinée. […] Il est au centre des regards ; elle ne rêve que d’une vie retirée. Il doit faire preuve

1 Voir la récente mise au point sur la mère de Louis XIV, chantal Grell (dir.), Anne d’Autriche, Infante d’Espagne et reine de France, Paris-Madrid-Versailles, Perrin, Centro de Estudios Europa Hispanica, Centre de Recherche du Château de Versailles, 1987, 445 p.

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d’esprit et d’à-propos ; elle est inculte et comprend mal ce qu’on lui dit»2.

L’échec de la relation conjugale a conduit le roi à tromper Marie-Thérèse au vu et au su de toute la cour, ce qui a eu pour conséquence de cantonner l’épouse bafouée à une vie obscure et à un relatif isolement. Le constat des historiens est sans appel, mais remarquons qu’il adopte le point de vue de Louis XIV : la reine n’était pas à « sa » hauteur. Considérée pour elle-même, la personnalité de Marie-Thérèse se révèle cependant beaucoup plus riche et complexe, comme le montre l’historienne Joëlle Chevé dans une récente biographie de la reine3. Ainsi, sur le plan spirituel, « tous les contemporains, clercs et laïcs, ont souligné [son] exceptionnelle dimension religieuse […], et les nombreuses oraisons funèbres, prononcées à Paris et dans la plupart des villes du royaume au lendemain de sa mort, la présentent comme un modèle accompli de fille, d’épouse et de reine chrétiennes, certains voyant même en elle une candidate à la sainteté »4.

Peu après son mariage, Marie-Thérèse avait commencé à fréquenter assi-dument une petite communauté (un « hospice ») de carmélites, située non loin du Louvre, rue du Bouloy, et dirigée par une religieuse s’exprimant parfaitement en espagnol5. Afin de témoigner sa reconnaissance à sainte

2 olivier chaline, Le règne de Louis XIV, Paris, Flammarion, 2005, pp. 27-28.3 Joëlle chevé, Marie-Thérèse d’Autriche, épouse de Louis XIV, Paris, Pygmalion,

2008, 561 p. (Coll. «Histoire des reines de France »). Cet ouvrage a « réévalué le person-nage de Marie-Thérèse », selon Jean-Paul DesPrat, «Louis XIV amoureux», in Jean-chris-tian Petitfils (dir.), Le Siècle de Louis XIV, Paris, Perrin-Le Figaro Histoire, 2015, p. 89. L’auteure connaît nettement mieux le Carmel que la famille franciscaine : l’appartenance de Marie-Thérèse au Tiers-Ordre est évoquée, mais sans dire un mot de la congrégation à laquelle la reine appartenait.

4 cheve, Marie-Thérèse d’Autriche, p. 412. Parmi les prédicateurs dont les oraisons funèbres ont été imprimées, figurent plusieurs frères mineurs : le récollet Archange Engue-rrand (Oraison funèbre de Marie-Thérèze d’Autriche... prononcée dans l’église cathédrale d’Arras, le 17... d’aoust 1683, Paris, J. Couterot et L. Guérin, 1684, 39 p.), mais aussi les cordeliers David (au Grand couvent, le 7 septembre 1683, impression chez E. Couterot en 1684), Felix Cueillens (au «grand couvent de la grande Observance de Toulouse», le 15 septembre 1683, impression à Toulouse chez G. L. Colomiez), ou encore Jean Vasse, de la province de France Parisienne (au «royal monastère des religieuses de l’Annonciade de Rouen», impression à Rouen chez Jacques du Mesnil, 1683).

5 [Mère saint-JérôMe], Vie de la Révérende Mère Thérèse-Camille de Soyecourt, carmélite. Précédée d’une notice sur le monastère dit de Grenelle, et de précieux souve-nirs contemporains. Fondation royale de Marie-Thérèse (1664), Paris, Jules Vic, 1878, 2e édition, XLVIII + 300 p.

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Thérèse pour la naissance du dauphin (1661), la reine fit ériger l’hospice en monastère (1664).

«Le modeste sanctuaire des Carmélites était le lieu de ses délices, rapportent les religieuses qui l’ont connue. […] À peine s’apercevait-on de sa présence au Carmel. Elle y faisait souvent ses dévotions et passait devant le Saint-Sacrement un temps considérable, dans un recueillement angélique, à genoux sans appui, sans carreau6, écartant elle-même tout ce qui pou-vait rappeler son rang, et voulant être traitée comme la dernière des religieuses »7.

Mais, en authentique espagnole, Marie-Thérèse a su concilier sa prédi-lection pour le Carmel réformé8 avec une forte appartenance à la famille franciscaine. Comme sa belle-mère, la reine de France avait fait profession dans le Tiers-Ordre séculier9. C’est cette Marie-Thérèse, tertiaire francis-caine, qui nous intéresse ici. Nous commencerons par considérer le témoi-gnage du franciscain espagnol Jean Bonaventure de Soria, son dernier confesseur. Nous examinerons ensuite le rôle que la reine tertiaire a joué au sein de la congrégation du Tiers-Ordre séculier établie au Grand couvent des cordeliers de Paris. Enfin, nous traiterons de son action vis-à-vis des com-munautés religieuses franciscaines, et nous nous intéresserons en particulier à la visite que Marie-Thérèse a effectuée au monastère de l’Ave Maria de Lille, le 18 mars 1678.

6 C’est-à-dire sans coussin.7 Ibid., p. XXXV.8 Chevé consacre un chapitre entier de son livre («La possibilité d’une île») aux liens

de Marie-Thérèse avec le Carmel, chevé, Marie-Thérèse d’Autriche, p. 438-458.9 Anne d’Autriche avait fait envoyer son acte de profession dans le Tiers-Ordre au

couvent des pénitents (tertiaires réguliers) de Nazareth, à Paris. L’annaliste de cet ordre, Jean-Marie de Veron, a repris le texte de son acte de profession, ainsi que l’attestation de son confesseur franciscain, françois fernánDez, dans son Histoire générale et particulière du Tiers Ordre de saint François d’Assize, Paris, 1667, t. III, p. 384-385. La reine mère avait pris l’habit à Noël 1643 et fait profession le 1er janvier 1645. «Cette grande Reine se glorifioit tellement en la Croix de Jésus-Christ & en cette qualité de fille de saint François, que nostre Père provincial allant salüer sa Majesté quelque temps après sa profession, elle luy dit haute-ment en présence de sa Cour : Je suis l’une de vos Sœurs », Ibid., p. 385.

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le téMoiGnaGe Du Dernier confesseur

Quelques mois à peine après la mort de la reine (30 juillet 1683), un Abrégé de la vie de la très auguste et très vertueuse Princesse Marie Thé-rèse d’Autriche, paraît sous le nom de Bonaventure de Soria10. L’Avis au Lecteur laisse clairement entendre que si le dernier confesseur de la reine n’est pas le rédacteur de ce texte (lequel est peut-être le théologien scotiste Claude Frassen11), il n’en est pas moins le principal inspirateur12. Par ail-

10 Abregé de la Vie de Tres-Auguste et Tres-Vertueuse Princesse Marie Therese d’Aus-triche, Reyne de France et de Navarre. Par le R. P. Bonnaventure de Soria, son Confesseur. Paris, Lambert Roulland, 1683, pièc. limin. + 108 p. Cet ouvrage bénéficie des approbations du gardien du Grand couvent des cordeliers de Paris, Charles Miguet (23 septembre 1683), et d’un ancien provincial des cordeliers de France, François Courtot.

11 L’hypothèse, émise par JosePh-Marie QuérarD, Les supercheries littéraires dévoi-lées, Paris, Maisonneuve & Larose, 1964, T. 3, col. 712, apparaît vraisemblable. Celui qui se déclare «Auteur» dans «l’Avis au Lecteur» est un cordelier («nostre grand Convent de Paris»), qui a «des motifs particuliers d’afflictions dans ce malheur commun [le décès de la reine] : ayant perdu une Princesse qui l’honoroit de sa puissante protection, dont il a reçû plusieurs effets, non seulement dans la France depuis près de vingt ans, mais encore dans l’Espagne durant le voyage qu’il y fit il y a quelques années », Ibid., «Avis au Lecteur». Or, Claude Frassen (1620-1711) s’est rendu à Tolède en 1682, pour participer au chapitre général de l’ordre, au cours duquel il fut élu définiteur. Le savant cordelier incarne à lui seul la fécon-dité intellectuelle et spirituelle du Grand Couvent où il a passé la majeure partie de sa vie. Professeur de philosophie et de théologie, il fait paraître un Scotus academicus (1672-1677), plusieurs fois réédité et considéré comme «le meilleur manuel de théologie scotiste» (Édouard d’Alençon dans le Dictionnaire de Spiritualité, 5, ¿¿ lugar y año año ?? col. 1137-1138). Dans le même temps, il assume des responsabilités dans son couvent (gardien par trois fois) et exerce une forte influence parmi les séculiers, comme prédicateur, confesseur et directeur de la congrégation du Tiers-Ordre à laquelle a appartenu Marie-Thérèse. C’est dans ce cadre, que se sont déroulées «les conversations dont elle l’honoroit quelquefois » (Abrégé, cit., «Avis au Lecteur»). clauDe frassen est l’auteur d’un célèbre manuel destiné aux tertiaires, très souvent réédité, y compris au XIXe siècle : La Règle du Tiers-Ordre de la Pénitence, instituée par le séraphique Patriarche saint François, pour les personnes Séculières de l’un et de l’autre sexe, qui désirent vivre Religieusement dans le monde, Paris, Edme Couterot, 1666 (nous citons l’édition parue à Paris, toujours chez E. Couterot, en 1680). Marie-Thérèse possédait certainement un exemplaire de cet ouvrage.

12 Non signé, l’Avis au Lecteur parle de Bonaventure de Soria à la 3e personne: son auteur estime avoir «rapporté simplement, mais fidellement, tout ce qu’il a pû apprendre de la Vie & des vertus de cette Auguste Reyne […] particulièrement de ses Confesseurs ; & sur tout de celuy qui a dignement exercé ce saint employ près de quinze ans, & jusque à la mort de cette Auguste Princesse ; c’est luy que l’Auteur fait parler dans la principale partie de cet Ouvrage, parce que on luy doit cette justice d’avoir fourni les plus beaux endroits de l’Histoire qu’on écrit ; & d’en avoir sollicité l’impression en faveur du public, qui luy avoit

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leurs, l’année suivante, cet ouvrage bénéficie d’une version assez différente en langue espagnole, dont Bonaventure de Soria apparaît cette fois incontes-tablement l’auteur13. Cet Abrégé et sa variante espagnole constituent un très riche témoignage sur l’identité religieuse, et plus spécifiquement francis-caine, de Marie-Thérèse, même si, pour ne pas trahir le secret de la confes-sion, le franciscain reconnaît avoir été obligé de « taire bien des choses que cette Ame si chrestienne luy a confiées, & qui releveroient merveilleuse-ment l’éclat de sa Vie, si elles venoient à la connoissance du public »14.

L’auteur commence par nous rappeler que, depuis son enfance, la reine a bénéficié des services de cinq frères mineurs espagnols en qualité de confes-seur, à savoir, Jean de Palma, André de Guadalupe, Alphonse Vazquez, Michel de Soria, et enfin Bonaventure de Soria15. Diverses sources nous permettent d’en savoir davantage sur chacun de ces confesseurs, et surtout, de préciser la chronologie de leur charge auprès de Marie-Thérèse.

Jean de Palma, observant de la province des Anges, a exercé d’impor-tantes fonctions dans l’Ordre, dont celle de commissaire général de la fa-mille ultramontaine entre 1645 et 164816. C’est entre octobre 164417 – Ma-rie-Thérèse est alors âgée de six ans –, et sa mort, en 1648, qu’il assure la confession des deux infantes, Marie-Thérèse et Marguerite.

demandé cette grace avec instance. […] C’est donc à luy, Mon Cher Lecteur, à qui vous estes particulièrement obligé de ce Portrait en raccourci de la plus grande Reyne de la terre […]. L’Auteur qui a composé cet Abrégé n’y a donné ses soins que pour seconder l’intention que ce devot Religieux a eû d’obliger les François, en leur faisant un présent si digne de leur piété & de leur estime», Ibid., «Avis au Lecteur».

13 Breve historia de la vida, y virtudes de la muy augusta, y virtuosa princesa doña Maria Teresa de Austria, Infanta de España, y Reina de Francia. Por Fr. Juan Buenaventura de Soria, su Confessor, hijo de la Provincia de San Joseph de Franciscos Descalços, y dos vezes Commissario General del grande Convento de San Francisco de Paris, Madrid, Julian de Paredes, 1684. L’épitre dédicatoire adressée à Marie-Anne d’Autriche, reine d’Espagne et mère de Charles II, est signée «Juan Buenaventura de Soria». Parmi les nombreuses appro-bations, figure celle de Jean de Saint-Antoine, ministre provincial de la «Santa Provincia de San Joseph de los Descalços de N.P.S. Francisco», datée du 20 janvier 1684 depuis «nuestro Convento Real de San Gil de Madrid».

14 Abrégé, p. 19.15 Nous avons pris le parti de franciser les noms de ces religieux.16 Voir la «Vida de el Reverendissimo Padre Fray Juan de Palma» in anDrés De GuaDa-

luPe, Historia de la Santa Provincia de los Angeles de la regular Observancia, y Orden de Nuestro Serafico Padre San Francisco, Madrid, Mateo Fernández, 1662, pp. 451-472.

17 Sa lettre de nomination, datée du 15 octobre 1644, a été transcrite par Karen María vilacoba raMos, El Monasterio de las Descalzas reales y sus confessores en la edad Moderna, Madrid,Visión Libros, 2013, p. 431.

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Dix ans plus tard, à l’automne 1658, André de Guadalupe18 (1602-1668), lui aussi religieux de la province des Anges, est nommé presque en même temps commissaire général des Indes et confesseur des infantes19. Vis-à-vis de Marie-Thérèse, il exerce cette charge jusqu’à son mariage avec le roi Très-Chrétien, en 1660.

Devenue reine de France, Marie-Thérèse a désormais pour confesseur Alfonse Vazquez de Tolède20 (1606-1672), un observant de la province de Castille. C’est ce religieux qui lui fait prendre l’habit de tertiaire, le 18 oc-tobre 1660, à Paris, en l’église du Grand couvent des cordeliers21.

Après la nomination d’Alphonse Vazquez au siège épiscopal de Cadix (1663), son compagnon22, Michel de Soria, issu de la même province obser-vante23, confesse la reine jusqu’à la mort du religieux, en octobre 166824.

Enfin, entre 1668 et le décès de la reine (1683), la charge de confesseur est exercée par le propre frère de Michel de Soria, Jean Bonaventure de

18 Juan luenGo, Vida del Rmo. y Ven. P. Fr. Andrés de Guadalupe, Madrid, 1680; Manuel De castro, ofM «Notas de bio-bibliografia franciscana», in Archivo Ibero Ameri-cano, 26 (1966) 51-57. André de Guadalupe est l’auteur de l’Historia de la Santa Provincia de los Angeles de la regular Observancia, cit.

19 vilacoba raMos, El Monasterio de las Descalzas reales, cit., p. 433.20 «El Ilustrissimo señor Don Fray Alonso Vazquez, fue Chronista General de la Orden,

Confessor de la Reyna de Francia, Obispo de Cadiz», e. Gonzalez De torres, Chronica Seraphica, Octava Parte, Madrid, 1737, Viuda de Juan Garcia Infançon, p. 272.

21 Abrégé, cit., p. 13 et cl. frassen, La Règle du Tiers-Ordre de la Pénitence, cit., p. 297. Jean-Marie De vernon, Histoire générale et particulière du Tiers Ordre, t. III, p. 386, se trompe sans doute en situant cette prise d’habit dans la chapelle du Louvre.

22 Dans «L’Estat général de la Maison de la Reine de France», pour l’année 1663, on peut lire: «Le Confesseur de la Reine. Le R. Père Antoine [sic] Vasquez, Cordelier. 180. l. Il est aussi Prédicateur. Au Compagnon du Père Confesseur, F. Michel de Soria. 90. l.». nicolas besonGne, L’Éstat de la France, nouvellement corrigé et mis en meilleur ordre (...), Paris, E. Loyson, 1663, vol. 1, p. 311; accessible en ligne : http://chateauversailles-recherche.fr/curia/documents/reine1663.pdf (consulté en avril 2015).

23 Breve historia, cit., f° 7r.24 JacQues tartarie, «Mémoires touchant le Grand Convent de l’Observance de St.

François de Paris», Bibliothèque Municipale Lyon, ms. 844, p. 28, cité par JérôMe Poulenc, ofM, «Une histoire du Grand Couvent des Cordeliers de Paris des origines à nos jours», in Archivum Franciscanum Historicum, 69 (1976) 490. chevé, Marie-Thérèse d’Autriche, p. 425, fait erreur sur la date du décès de Michel de Soria. Quant à Laure Beaumont-Maillet, elle confond en un seul et même personnage Michel et Jean Bonaventure de Soria ; par ailleurs, elle range Claude Frassen parmi les confesseurs de la reine, ce qui est inexact, l. beauMont-Maillet, Le Grand Couvent des Cordeliers de Paris. Étude historique et archéologique du XIIIe siècle à nos jours, Paris, Honoré Champion, 1975, p. 156.

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Soria, franciscain comme lui, mais déchaussé de la province Saint-Joseph de Castille25. Dans ce cas au moins, c’est la reine elle-même qui a fait le choix de son confesseur26.

S’il est difficile d’évaluer l’influence des fils de saint François sur Marie-Thérèse, il est certain que la religion chrétienne, pratiquée par la reine et décrite dans l’Abrégé, présente une forte empreinte franciscaine. Notons par exemple sa très grande sensibilité à « l’amour excessif du Fils de Dieu dans les Mystères de son incarnation, de son Eucharistie & de sa Mort »27; son profond respect pour les prêtres, « les dépositaires & les dispensateurs du Corps, de l’Esprit, de la Parole & de la Puissance de Jésus-Christ »28; son désir « de donner mille fois sa vie pour empescher [que Dieu] ne fut offen-sé »29 ; sa charité aussi généreuse que discrète pour soulager toutes sortes de misères (familles pauvres30, « nouveaux Converty à la foy, abandonnéz de leurs parens »31, malades32 et agonisants33) ; son aspiration à communier

25 Voir la page de titre de la Breve historia, cit., ainsi que les pièces liminaires. Peut-être Jean Bonaventure a-t-il commencé par être le compagnon de son frère. Dans «La Maison de la Reine», pour l’année 1683, on peut lire : «Le Confesseur Ordinaire de la Reine. Le R. P. Jean de S. Bonaventure de Soria, Cordelier, 180. l. Au Compagnon du Père-Confesseur, Frère François de Villarroes, 90. l.». nicolas besonGne, L’État de la France où l’on voit tous les princes, ducs et pairs, marêchaux de France, et autres officiers de la couronne, Paris, éd. A. Besongne,1683, vol .1, p. 417. Accessible en ligne : http://chateauversaille recherche.fr/curia/documents/reine1683.pdf (consulté en avril 2015).

26 «Padre, yo he pensado, pedido consejo, y consultado a Dios con oraciones para tener el Confessor que me conviene, y hago eleccion de vos con mucho gust : Dios os ayudarà, assistià me, que es mi consuelo », Breve historia, cit., f° 9r (en italique dans l’ouvrage).

27 Abrégé, cit., p. 45. En raison de sa grande dévotion pour l’Eucharistie, Marie-Thérèse multiplie les présents destinés à célébrer le plus dignement possible ce sacrement : «On peut voir dans les Églises des Paroisses de saint Germain en Laye, du Pec, & de plusieurs Villages d’alentour, le grand nombre d’Ornemens, de Calices, de saints Ciboires, & de Soleil pour l’exposition du très saint Sacrement, qu’Elle y a donné », Ibid., p. 87.

28 Ibid., p. 32.29 Ibid., p. 23.30 Ibid., p. 82.31 Ibid., p. 83.32 «On l’a veu souvent dans l’Hospital de saint Germain en Laye aller de lit en lit

servir les pauvres malades de ses mains Royalles, & leur rendre des assistances qu’ils ne recevoient ordinairement que des servantes », Ibid., p. 97. Marie-Thérèse se réfère explicite-ment à l’exemple des saintes Élisabeth de Hongrie et Isabelle du Portugal, toutes les deux ses ancêtres, et toutes les deux liées à l’ordre de saint François (Ibid.).

33 Ibid., p. 100.

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le plus fréquemment possible34, sa pratique assidue de l’oraison mentale35 et sa vive conscience de n’être « qu’une misérable créature remplie de mille imperfections, et un vray néant »36; ou encore, sa prédilection toute particu-lière pour le Jeudi Saint, « en ce qu’Elle pouvoit imiter ce jour-là l’humilité de son Maistre, en lavant les pieds à douze pauvres filles »37, mais aussi pour Noël et l’octave précédant cette fête38.

La spiritualité franciscaine de Marie-Thérèse s’exprimait également par un ardent souci pour les Lieux Saints et pour les frères qui s’y dépensaient, ainsi que par les démarches qu’elle effectuait auprès du roi en ce domaine:

«Les Pères Commissaires de la Terre-Sainte, qui sont employez en France pour recueillir les aumônes des Fidels, trouvoient cette Princesse toujours également disposée pour appuyer les Requestes qu’ils présentoient au Roy en faveur des Saints Lieux39. […] On luy vit répandre beaucoup de larmes, lorsqu’Elle apprît que le Patriarche des Grecs, ayant corrompu par de grands présens les Ministres de la Porte du grand Sei-gneur, en avoit obtenu l’ordre de faire sortir les Religieux de saint François du saint Sépulcre40, & des autres Lieux que le Sauveur du Monde a consacré par l’effusion de son sang & les

34 Ibid., p. 48.35 Breve historia, cit., f° 16v-18r. L’expression «oraison mentale» ne figure que dans le

texte espagnol («Oracion mental»).36 Abrégé, cit., p 63.37 Ibid., p. 65-66.38 Ibid., p. 54-55. « Elle passoit chaque jour de cette Octave une heure & demie le

matin, & autant l’après midi, à genoux devant le très-Saint Sacrement, nonobstant l’incom-modité de la saison, quelquefois si rigoureuse, qu’il arrivoit souvent qu’on ne voyoit dans l’Eglise avec Elle que ceux de sa Maison, qui avoient assez de zèle pour imiter la ferveur de sa piété, & soutenir avec patience le froid qui paroissoit insupportable aux autres », Ibid., pp. 55-56. Probablement s’agit-il ici du témoignage personnel du confesseur.

39 Michèle biMbenet-Privat, «Les présents de Louis XIV», in Trésor du Saint-Sépulcre, Cinisello Balsamo, Silvana Editoriale, 2013, p. 299-305 (Catalogue de l’exposition «Trésor du Saint-Sépulcre. Présents des cours royales européennes à Jérusalem», Château de Versailles et Maison de Chateaubriand, 2013).

40 Au XVIIe siècle, «les sanctuaires de Jérusalem et de Bethléem sont les enjeux conti-nuels de luttes entre les religieux latins, grecs et arméniens, chaque confession rivalisant auprès de la Porte pour l’emporter sur l’adversaire», bernarD heyberGer, Les chrétiens du Proche-Orient au temps de la Réforme catholique (Syrie, Liban, Palestine, XVIIe-XVIIIe siècle), Rome, École française de Rome, 2014, 2e édition, p. 221. En 1675, les Grecs

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Mystères de nostre Rédemption : Elle priât le Roy d’employer son zèle & son autorité pour réparer cette perte, & faire rendre à ces Religieux tous les Lieux Saints, dont ils ont esté les gar-diens & les dépositaires depuis près de quatre cens ans »41.

La reine manifestait également un profond attachement à saint François et à son ordre. Elle célébrait les principales fêtes franciscaines (« el dia de la grande Indulgencia de Porciuncula »42, l’impression des stigmates, la Saint-François43) « avec une dévotion si fervente qu’il paroissoit bien qu’elle es-toit animée du mesme esprit »44. Elle avait une si grande vénération pour saint François que, toujours selon le témoignage de Bonaventure de Soria, on « luy a oüi dire souvent, qu’elle n’estimoit pas moins la qualité de Fille de saint François, que celle de Reyne de France »45. Par ailleurs, « ce luy es-toit une grande consolation quand elle pouvoit faire du bien à ses religieux, & employer son autorité pour le service des Ordres »46. Mais en raison de son « zèle pour la discipline de l’Église », lorsqu’il lui arrivait d’intervenir auprès des ministres de l’Ordre en faveur d’un frère,

« elle vouloit que ce fut sans préjudice des Loix. C’est ain-si qu’elle s’est souvent expliquée dans les Lettres dont elle a honoré nos Supérieurs. Elle en écrivit une à nostre très Reve-rend Père General Ximenes à Samaniego47, lorsqu’il présidoit au Chapitre d’une des Provinces de France il y a quatre ans [peut-être le chapitre de la province de France qui s’est tenu

obtiennent un décret leur donnant la possession entière du Saint-Sépulcre, lequel ne sera restitué aux frères mineurs qu’en 1690, Ibid., p. 222.

41 Abrégé, cit., p. 34-36.42 La mention de cette fête typiquement franciscaine ne figure que dans la Breve

historia, cit., f° 39v.43 Abrégé, cit., p. 58.44 Ibid..45 Ibid., p. 58-59. En italique dans le texte, ce qui signifie que l’auteur rapporte les

paroles mêmes de la reine. J. Chevé signale qu’à la veille d’accoucher, en 1661, Marie-Thérèse s’est fait apporter la relique du manteau de saint François qui se trouvait conservée au Grand couvent des cordeliers, cheve, Marie-Thérèse d’Autriche, p. 197.

46 Abrégé, cit., p. 58.47 En fonction entre1676 et 1682.

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à Chartres en 168048], pour luy demander quelque grace en faveur d’un Religieux ; mais elle y ajoûta cette précaution : Pourveu que ce soit sans blesser en quelque manière la sain-teté de vos Loix, et le bon gouvernement de vostre Religion. Cette Lettre toucha si vivement ce digne Successeur de saint François, qu’après en avoir fait lecture dans l’Assemblée, il dit : Vous voyez, mes Révérends Pères, comme la plus grande Reyne du monde nous enseigne nostre devoir, nous exhortant de ne rien faire en sa considération qui puisse préjudicier à nos Loix : & afin que cette prétieuse Lettre servît de leçon à ses Successeurs, il commanda qu’elle fût mise dans les Archives de l’Ordre »49.

Ajoutons que la Reine a consacré des sommes importantes à recons-truire ou embellir des établissements franciscains (en France50 comme en Espagne51), et qu’elle « a fait aussi de semblables aumônes à nostre Grand Convent de Paris pour entretenir le luminaire d’un grand nombre de Messes qui s’y célèbrent tous les jours, & pour soulager la pauvreté de cette Maison, qu’Elle a très souvent honoré de ses visites & favorisé de sa protection »52.

Certes, ce portrait élogieux de reine tertiaire est entièrement tributaire de l’Abrégé et de sa variante espagnole qui ne cachent pas leur caractère

48 christian euGène, Brève chronologie de la province de France, 1217-1790, brochure dactylographiée, s.l.n.d., p. 16.

49 Abrégé, cit., p. 34-36. Le texte espagnol complète: «Assi se hizo, con que se hallarà en el Convento de San Francisco de Madrid», Breve historia, cit., f° 23v.

50 Notamment le couvent des récollets de Saint-Germain-en-Laye, qu’elle fréquentait régulièrement, et celui des cordeliers de Noisy-le-Roi (province de France), Abrégé, cit., pp. 85 et 88.

51 «Nostre Convent d’Alcala, ce célèbre Séminaire de science & de sainteté, & où repose le Corps du fameux saint Didace […] conservera perpétuellement les effets de la libéralité & de la charité de nostre Auguste Princesse, qui paroissent spécialement dans un très riche Soleil de vermeil doré qu’Elle y a donné pour exposer le très saint Sacrement, avec plusieurs autres ornemens, qui sont les plus beaux et les plus magnifiques de cette Eglise», Abrégé, p. 90-91. Sur les liens de la reine avec les communautés franciscaines espagnoles, voir aussi K. M. vilacoba raMos, «Cartas familiares de una reina: relaciones epistolares de María Teresa de Francia y las descalzas reales», in María Del val González De la Peña (dir.), Mujer y cultura escrita: del mito al siglo XXI, Alcalá de Henares, Trea, 2005, pp. 199-212.

52 Abrégé, cit., p. 86-87.

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panégyrique53, mais il s’appuie sur des faits que l’on peut vérifier et, surtout, il n’est pas contradictoire avec celui que dressent les historiens et les mémo-rialistes – lesquels mentionnent volontiers l’authentique piété de la reine mais aussi sa charité sans limite54.

au sein D’une conGréGation Du tiers-orDre séculier

Lorsque Marie-Thérèse prend l’habit du Tiers-Ordre, le 18 octobre 1660, et lorsque, l’année suivante, en la chapelle du château de Fontainebleau, elle fait profession entre les mains de son confesseur, le père Vazquez55, il n’existe pas, ou plus exactement, il n’existe plus de congrégation de ter-tiaires associée aux cordeliers du Grand couvent. Après les désordres provo-qués par les Guerres de religion, et dans le sillage de la Réforme catholique, un mouvement de fondations ou de refondations de congrégations de ter-tiaires s’amorce au cours du premier tiers du XVIIe siècle56. Vers 1660, les Pénitents de Picpus (tertiaires réguliers de la réforme de Vincent Mussart) dirigent déjà plusieurs de ces congrégations, dont l’une est établie auprès de leur couvent parisien de Nazareth57. Quant aux cordeliers de Pontoise,

53 Bonaventure de Soria «a esté prié par des personnes de qualité de dresser cet Abrégé, afin qu’il servît de quelque soulagement à la douleur qu’elles ont de la perte de cette Auguste Reyne, & qu’il donnât quelque lumière aux Prédicateurs qui seront employez pour faire le Panégyrique », Ibid., p. 18.

54 «En 1683, au monastère de Saint-Louis de Poissy, […] l’abbé Masson rappelle aux moniales et aux grandes dames qui sont réunies dans l’église pour entendre l’éloge funèbre de leur reine, le nouveau modèle de charité qu’elle a incarné : ‘Ne peut-on pas dire, Mesdames, que par l’effet de l’exemple de Marie-Thérèse, la charité endormie se réveilla, l’avarice la plus infâme commença à devenir libérale ? Ne fut-ce pas son exemple qui invita tant d’illustres dames de lier à la cour cette association dans laquelle on contribue unanimement au soulagement du misérable, à la consolation de l’affligé, à la nourriture, à la visite et au soin exact des pauvres malades ? On voyait que la pourpre royale de l’auguste Marie-Thérèse ne l’empêchait pas, au péril même de sa vie, de s’exposer à fréquenter les hôpitaux’ », . chevé, Marie-Thérèse d’Autriche, p. 458.

55 «Continuation du Premier Registre des frères et des Sœurs qui ont fait profession… », Paris, Bibliothèque Franciscaine des Capucins, ms. 162, p.1.

56 Voir P. Moracchini, «Matériaux pour servir à l’histoire du Tiers-Ordre séculier à l’époque moderne. Répertoire des congrégations, France, XVIIe-XVIIIe siècles», in AFH, 106 (2013) 483-567.

57 Ibid., p. 543-544.

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ils assurent eux aussi la direction d’une congrégation de tertiaires séculiers, tout comme les capucins de Troyes58.

Pour Jean Bonaventure de Soria, Marie-Thérèse a grandement contri-bué à la renaissance des congrégations en France, et notamment de celle du Grand couvent, « rétablie » le 8 mai 1665 et dirigée par Claude Fras-sen59. Certes, on ignore le rôle exact joué par la reine dans cette refondation, mais il est certain que son adhésion à ladite congrégation – consécutive au renouvellement de sa profession le 25 juillet 166960 –, et plus encore, le fait qu’elle ait accepté d’en être élue supérieure (1671) et de le rester jusqu’à sa mort61, ont conféré une aura particulière à cette association de tertiaires. Selon Claude Frassen, « son exemple avoit porté plusieurs Ames vertueuses à embrasser ce saint Ordre dans le mesme lieu où elle l’avoit professé »62, et d’après les « Mémoires touchant le Grand Couvent de l’Observance de St-François de Paris » (début du XVIIIe siècle),

« à l’imitation de cette très auguste et très vertueuse Reine, [on vit s’affilier à cette congrégation] Madame la duchesse Douairière d’Orléans, Marguerite de Lorraine, La princesse Isabelle d’Aremberg vefve du prince Ulric, duc de Virtemberg

58 Ibid., p. 548 et 562.59 «Continuation du Premier Registre des frères et des Sœurs qui ont fait profession… »,

ms. cit., page de titre. On peut y lire : «In nomine Domini Amen. Continuation du Premier Registre Des frères et des Sœurs qui ont fait profession du tiers Ordre de Sainct François dans la congrégation restablie en l’Eglise du grand Convent des RR. PP. Cordeliers de Paris, le jour de l’apparition de St Michel [8 mai] l’année 1665 sous la protection de Ste Elisabeth Duchesse de Thuringe, et sur l’exemple de la Très Chrestienne et très vertueuse princesse Marie Thérèse d’Austriche qui a receu en public l’habit de ce Saint Ordre le dix huit octobre l’année 1660 Dans l’Eglise du mesme grand Convent et a fait sa profession le jour de St Luc l’an 1661 dans la Chappelle de Fontainebleau entre les mains de son Confesseur le Rme Père Vasques Religieux dudit grand Convent et presentement Evesque de Cadis qui luy avoit aussy donné l’habit».

60 «Continuation du Premier Registre des frères et des Sœurs qui ont fait profession… », ms. cit., p. 1-2. L’acte de renouvellement est dressé à Saint-Germain-en-Laye, peut-être au couvent des récollets.

61 Abrégé, cit., p. 59. «Pour donner des marques du zèle qu’elle a pour la Congréga-tion, Elle a permis & agréé le choix que les Sœurs ont fait de son Auguste personne pour leur Supérieure, les assurant d’une manière la plus tendre & la plus obligeante du monde, qu’elle les favoriseroit toujours de sa protection Royale », frassen, La Règle du Tiers-Ordre de la Pénitence, p. 299.

62 Ibid., p. 298.

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; la princesse Marianne de Virtemberg, leur fille, la vefve du comte de Wiltz, Léonore Prospère, marquise de Prye ; la mar-quise d’Assy, Christine-Charlotte de Lorraine ; la Marquise de Pouilly, sa fille, Marie-Barbe-Françoise de Redon et nombre d’autres dames considérables soit par leur naissance, soit par leur vertu »63.

Les registres de professions de cette congrégation montrent d’ailleurs

qu’en ce dernier tiers du XVIIe siècle, un certain nombre de tertiaires, appar-tenant à d’autres congrégations parisiennes, demandent à rejoindre celle du Grand couvent64.

Assurément, Marie-Thérèse ne peut pas participer régulièrement à la réunion mensuelle de la congrégation65, mais, d’après l’historien récollet Hyacinthe Le Febvre, lorsqu’elle se trouve à Saint-Germain-en-Laye, elle « assiste immancablement à l’Office & Procession du Tiers Ordre, qui se fait le deuxième Dimanche de chaque mois dans l’Eglise de nostre Convent »66.

La congrégation rétablie au sein du Grand couvent se devait de disposer d’une chapelle afin de permettre à ses membres de se réunir et de célébrer leurs offices. Le 15 juin 1671, on prit la décision de faire bâtir cette chapelle, en bas de l’église des cordeliers, entre la rue de l’Observance et le cloître des frères67, et, le 4 octobre suivant, la reine en posa la première pierre68. Ayant obtenu dès 1669 du pape Clément IX une indulgence plénière pour ceux qui viendraient visiter « dévotement » cette chapelle dédiée à saint Louis et sainte Élisabeth69, Marie-Thérèse contribua tout naturellement « de ses libéralités royales »70 à sa construction. Et l’Abrégé d’ajouter:

63 J. tartarie, «Mémoires touchant le Grand Convent de l’Observance de St. François de Paris », ms. cit., p. 12, cité par beauMont-Maillet, Le Grand Couvent, p. 158.

64 «Continuation du Premier Registre des frères et des Sœurs qui ont fait profession…», ms. cit., passim.

65 «Le deuxième Dimanche du mois, à huit heures du matin, afin qu’ensuite on aille à la Messe de Parroisse », (c’est-à-dire à Saint-Sulpice), frassen, La Règle du Tiers-Ordre de la Pénitence, p. 60.

66 h. le febvre, Histoire chronologique de la province des récollets de Paris sous le titre de saint Denys en France, depuis 1612 qu’elle fut érigée jusqu’en l’année 1676, Paris, D. Thierry, 1677, p. 161.

67 beauMont-Maillet, Le Grand Couvent, p. 293-296.68 Abrégé, cit., p. 60.69 beauMont-Maillet, Le Grand Couvent, p. 294, note 288 (texte du Bref).70 frassen, La Règle du Tiers-Ordre de la Pénitence, p. 299.

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« Elle y alloit régulièrement tous les ans, tant pour gagner les Indulgences, que pour y donner à ces Dames de nouvelles marques de sa bienveillance & de sa protection : Elle leur par-loit avec la mesme bonté & la mesme ouverture de cœur que si elles avoient esté ses égales, & Elle leur faisoit l’honneur de les appeller ses Sœurs. C’est le mesme tître que son humilité luy a fait prendre, & dont Elle a bien voulu laisser de glorieux monumens à la Postérité, sur les Registres de cette Congréga-tion, ayant signé l’Acte de sa Profession du Tiers-Ordre en ces termes : Sœur Marie Thérèse, sans y joindre aucune marque de la grandeur de son Etat »71.

Ce registre, heureusement parvenu jusqu’à nous, comporte effective-ment au bas de l’acte de renouvellement de profession de la reine en date du 25 juillet 1669, une signature ainsi libellée : « Soeur Marie Terese »72. Très en-dessous, figurent deux autres signatures, celle du directeur de la congré-gation, Claude Frassen, et celle du confesseur73.

Pour Bonaventure de Soria, comme pour Claude Frassen, si la reine ter-tiaire a joué un rôle important dans le rétablissement de la congrégation du Grand couvent, elle n’est pas étrangère non plus au renouveau du Tiers-Ordre séculier dans la France entière :

« Il paraît bien que Dieu a voulu se servir de cette ver-tueuse Princesse pour rétablir ce saint Ordre dans la France, où il fleurissoit autrefois avec tant d’éclat, […] puisqu’il a béni son exemple d’une manière si visible, qu’il y a présentement plus de mille Congrégations établies dans plusieurs Villes du Royaume, sur le modèle de celle dont elle a procuré l’établis-sement dans l’Église du [Grand] Convent »74.

71 Abrégé, cit., p. 60-61.72 «Continuation du Premier Registre des frères et des Sœurs qui ont fait profession…

», ms. cit., p. 2.73 Qui signe «Jean de Soria».74 Abrégé, cit., p. 14.

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L’ordre de grandeur indiqué par l’Abrégé (« mille congrégations »75) est impossible à vérifier, mais il n’apparaît pas invraisemblable76.

au contact Des coMMunautés franciscaines

Comme sa belle-mère, Marie-Thérèse a fréquenté les couvents et les monastères appartenant aux ordres les plus divers. L’ensemble de ces ren-contres ne nous est pas connu, mais il est certain que les communautés fran-ciscaines, et surtout celles de femmes, ont tenu une place non négligeable dans l’agenda et les préoccupations de la reine. S’agissant de Paris, l’Abrégé mentionne les capucines, les clarisses de l’Ave Maria et les récollettes de la rue du Bac. Pour le premier de ces monastères77, le lien se tisse grâce à « une Demoiselle qui la servoit à la chambre, qu’elle aimoit beaucoup, & qui estoit fort adroitte à l’habiller »78. Or, cette jeune femme

« luy ayant déclaré le désir que Dieu luy inspiroit d’estre Religieuse, & d’entrer au Monastère des Capucines, [Marie-Thérèse] y consentit en mesme temps, sacrifiant avec joye sa commodité à Dieu : & pour faciliter sa réception, elle promît de faire donner tous les mois pour huit pistolles de pain à ce Monastère durant la vie de cette fille, ce qu’elle a executé »79.

Cette aumône régulière de pain n’a sans doute pas impliqué, de la part de la reine, des liens particulièrement intenses avec cette communauté de clarisses dirigée par les capucins. Le fait d’avoir un confesseur déchaussé

75 Et dans la Breve historia, f° 6r : «Pues se establecieron mas de mil Congregaciones a imitacion de la Congregacion del grande Convento de Paris».

76 Pour l’Ancien Régime, et sur le territoire de la France actuelle, nous avons repéré 163 congrégations de tertiaires, sous obédience des cordeliers, des récollets, des capucins ou des tertiaires réguliers, Moracchini, «Matériaux pour servir à l’histoire du Tiers-Ordre séculier», p. 487. Mais ce recensement est très loin d’être exhaustif et de nombreuses congrégations n’ont laissé aucune trace.

77 Concernant ce monastère parisien de clarisses capucines, dites Filles de la Passion, voir M. Denis, «Les Clarisses capucines de Paris (1602-1792)», in Études franciscaines, 25 (1911) 191-203, 400-407, 646-655, et 26, 1911, p. 191-198, ainsi que Clarisses capucines. Les Fondations, Paris, 1997, 127 pp. (Cahiers de spiritualité capucine, n° 9).

78 Abrégé, cit., p. 8379 Ibid., p. 83-84.

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(donc appartenant à la grande famille de l’Observance) l’orientait plutôt vers des monastères sous la juridiction des cordeliers ou des récollets. C’était le cas de l’Ave Maria, qui dépendait de la province observante de France pari-sienne80. Si l’Abrégé indique sobrement que les clarisses « du Monastère de l’Ave Maria ont aussi receu de grands secours par les aumônes qu’elle leur faisoit tous les ans »81, on peut présumer que la reine connaissait assez bien cette communauté, comme le laisse entendre une anecdote qui se déroule en mars 1678, lorsqu’elle accompagne Louis XIV dans ses opérations militaires aux Pays-Bas espagnols. Selon le témoignage de son confesseur, « estant en chemin, la Reyne a dit plusieurs fois : ‘nous irons à l’ave maria de Lille’ »82. Cette déclaration plonge son entourage dans l’embarras, car personne ne connaît ce monastère, et c’est absolument par hasard que Bonaventure de Soria, s’étant rendu chez des clarisses lilloises (les « Pauvres-Claires ») pour préparer la visite de la reine, y apprend que ces moniales « viennent » de l’Ave Maria de Paris et qu’il se trouve effectivement à « l’Ave Maria de Lille » – une appellation qui était alors tombée en désuétude et que les moniales vont réutiliser après le passage de la reine83. Dès lors, on peut se poser la question : où la reine a-t-elle pu entendre parler de « l’Ave Maria de Lille », sinon au sein de la communauté qui a fondé ce monastère en 1490, et qui, très probablement, était la seule à se souvenir de son appellation d’ori-gine ? On peut conjecturer qu’à Marie-Thérèse, évoquant son futur séjour à Lille chez les clarisses de l’Ave Maria de Paris, il fut conseillé d’aller rendre visite à l’Ave Maria… de Lille.

Mais, à Paris, la communauté féminine franciscaine qui tient le plus à cœur à Marie-Thérèse, est sans nul doute, celle des récollettes établies au

80 Sur ce monastère et sur sa filiation («le groupe de l’Ave Maria»), voir P. Morac-chini, «Les Clarisses de l’Ave Maria », in Une Présence discrète, Les Clarisses à Alençon, 1501-2001, Catalogue de l’exposition du Musée des Beaux-Arts d’Alençon, Conseil général de l’Orne, 2001, pp. 4-17 ; Id., «Le Monastère parisien de l’Ave Maria au XVIIIe siècle», in Sainte Claire d’Assise et sa postérité, Nantes, 1995, pp. 287-312 ; Id., «Les Corde-liers de l’Ave Maria de Paris, 1485-1792», in Revue Mabillon, nouvelle série, t. 6 (= t. 67) (1995) 243-266.

81 Abrégé, cit., p. 8682 Ce témoignage figure dans la relation de la visite de Marie-Thérèse à l’Ave Maria de

Lille, dont le texte se trouve en annexe.83 Sur ce monastère, voir louis Dancoisne, Histoire du couvent des Pauvres-Claires de

Lille, 1453-1792, Lille, 1868, 134 pp. ; alain lottin, Lille, citadelle de la contre-réforme ?, Dunkerque, Les éditions des beffrois, 1984, 517 p. et christine cercy, «Le Couvent des Pauvres-Claires de Lille», in Revue du Nord, 88, 2006, n° 368, p. 33-68.

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Faubourg Saint-Germain, plus précisément rue du Bac. Ce monastère doit en effet sa « refondation » à la reine de France. Lorsque cette dernière ar-rive à Paris, les récollettes de la rue du Bac sont des clarisses dont le nom rappelle simplement qu’elles sont dirigées par les récollets de la province Saint-Denys84. L’histoire de cette fondation comporte d’ailleurs des zones d’ombre. On sait seulement que Chrétien de Lamoignon (1567-1636), prési-dent au Parlement de Paris, et son épouse Marie des Landes avaient obtenu la permission de faire venir des clarisses urbanistes de Verdun85 (réformées au début du XVIIe siècle), mais que, finalement, sans doute par décision du père Ignace Le Gault86, l’influent vicaire général des récollets français, ce sont des moniales en provenance de Tulle qui arrivent dans la capitale en août 1637, et s’établissent rue du Bac dans un monastère dont la première pierre est posée en avril 164087. Dans les années 1650, un petit groupe de récollets vient s’adjoindre aux moniales, pour former avec elles une sorte de communauté double, comme à l’Ave Maria de Paris.

Or, ce monastère de la rue du Bac, la reine de France va le faire passer en 1663 de l’ordre de sainte Claire, à celui fondé par Béatrice de Silva, l’ordre de l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, ou plus simplement des conceptionistes88. On ignore, dans le détail, pourquoi et comment s’est

84 Sur les moniales dirigées par les récollets, voir P. Moracchini, «Les Récollets français et la cura monialium », in c. GallanD, f. Guilloux et P.Moracchini (dir.), Les Récollets. En quête d’une identité franciscaine, Tours, P.U.F.R., 2014, pp. 127-144. Les récollettes parisiennes quittent la juridiction des frères au début du XVIIIe siècle, et passent sous celle de l’Ordinaire.

85 On trouve une allusion à ce projet de fondation parisienne dans Jean-Marie De vernon, La Vie de la vénérable Mère Françoise de Saint-Bernard, religieuse de sainte Claire à Verdun. Nommée dans le monde Madame de Maisons. Par un religieux du Tiers Ordre de saint François. Paris, M. Colombel, 1657, p. 229 : une fille de Madame de Maisons (Mère Françoise de Saint-Bernard), devenue elle aussi clarisse à Metz, est désignée par la commu-nauté «pour l’envoyer establir à Paris une Maison nouvelle de l’Ordre de Sainte Claire, dont néantmoins elle se fist dispenser par une humilité incomparable…»

86le febvre, Histoire chronologique, p. 152. Ministre provincial de la province Saint-Denis à partir de 1635, Ignace le Gault devient vicaire général de tous les récollets français en 1637 en vertu d’un Bref d’Urbain VIII daté du 18 août de la même année.

87 Les Statuts et réglemens des récolletes de sainte Claire de Paris (Paris, Bibliothèque Mazarine, ms. 3338) indiquent que les moniales sont arrivées «à paris l’an 1637 le 18e jour du mois d’Aoust».

88 i. oMaechevarría, Las Monjas Concepcionistas. Notas históricas sobre la Orden de la Concepción fundada por Beatriz de Silva. Burgos, 1973, 173 pp. Au même moment, une autre communauté parisienne adopte la règle des conceptionistes : il s’agit de tertiaires

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effectuée cette mutation, beaucoup importante qu’une réforme. Si l’on en croit l’Abrégé, « ce fut par [les] soins [du confesseur de l’époque, Michel de Soria], que cette vertueuse Princesse fit paroître en France l’Ordre de l’Immaculée Conception de la très sainte Vierge, dont l’habit & le genre de vie si pur & si austère estoit inconnu à la pluspart des François »89. Par ailleurs, il est probable que la mystique conceptioniste90, Marie d’Agreda (1602-1665), dont on connaît la correspondance avec Philippe IV, ait éga-lement joué de son influence pour permettre une première implantation en France de cet ordre jusqu’ici cantonné à l’Espagne et à ses possessions91. Quant à Marie-Thérèse, elle ne pouvait que souhaiter collaborer à ce grand dessein, ne serait-ce qu’en raison de ses origines espagnoles et de sa dévo-tion mariale92.

Toujours est-il que, selon Hyacinthe Le Febvre, ces moniales

« furent appelées récollettes [et] demeurèrent dans l’habit & dans l’observance de la règle de sainte Claire [...], jusques au 8 décembre 1663, auquel jour & an, en vertu d’une bulle d’Alexandre VII du 18 aoust de la mesme année, avec l’agrée-ment du Révérendissime Père Michel Ange de Sambuca, gé-

régulières anglaises, qui avaient quitté en 1658 leur couvent de Nieuport (Nieuwpoort) en Flandre, et qui, après un long périple, s’étaient établies à Paris, rue de Charenton, sur la paroisse Saint-Paul, en 1660. Ces religieuses, dites «filles Anglaises» ou «de la Concep-tion», avaient dû passer sous la juridiction de l’Ordinaire à leur arrivée à Paris. Un bref du pape Alexandre VII, daté du 16 septembre 1661, leur accorda l’autorisation de prononcer de nouveaux vœux et de prendre l’habit des conceptionistes. Sans qu’il soit possible de le prouver, on peut supposer que Marie-Thérèse ne fut pas étrangère à cette affaire. Selon Claire Walker, les sœurs ont été forcées d’entrer dans cet ordre, après le refus de l’arche-vêque de Paris de les voir se maintenir sous la juridiction franciscaine, cl. WalKer, Gender and Politics in Early Modern Europe. English Convents in France and the Low Countries, New York, Palgrave Macmillan, 2003, pp. 18-19; voir aussi GeorGes DauMet, «Un Couvent franciscain anglais à Paris», in Études franciscaines, 27 (1912) 251-264, et in JosePh GilloW et richarD traPPes-loMax (éd.), The diary of the blue nuns or order of the Immaculate Conception of Our Lady at Paris, 1658-1810, Londres, 1910, 440 p.

89 Abrégé, cit., p. 16 et Breve historia, op. cit., f°7r-v.90 Et non «carmélite», comme l’écrit par erreur chevé, Marie-Thérèse d’Autriche,

p. 427.91 Sur ce point, voir les recherches en cours de François Bonfils sur la correspondance

entre Marie-Thérèse et la moniale.92 Abrégé, cit., p. 49-51.

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néral de l’Ordre93, avec le consentement de la province & du vicaire général de Monseigneur de Mets, abbé de Saint-Ger-main-des-Prez94, elles receurent l’habit par les mains de leurs Majestez, Anne d’Autriche mère du Roy, & Marie Thérèse d’Autriche son épouse, reynes de France, & firent solemnelle-ment profession de la règle de l’Immaculée Conception confir-mée par le Pape Jules II, & rendirent leurs vœux entre les mains du très Révérend Père Olivier Voysembert95, provincial »96.

Une fois revêtues de leur habit bleu et blanc de conceptionistes, les mo-niales ont continué à être connues sous le nom de « récollettes » : d’après l’Abrégé, Marie-Thérèse « donnoit chaque année, outre les aumônes par-ticulières, quarante Pistolles aux Religieuses Récollettes du Fauxbourg saint Germain pour le luminaire du Salut qui se fait dans leur Eglise tous les Samedis, & durant l’Octave de la Conception »97. Ce monastère devint un foyer de diffusion de la doctrine immaculiste, en particulier grâce aux prédications qui s’y entendaient durant l’octave précédant la fête du 8 dé-cembre98. Vers la fin du siècle (entre 1693 et 1703), grâces aux libéralités de Louis XIV, les moniales ont fait construire un nouveau monastère, dont il subsiste la chapelle (son volume est parfaitement visible depuis la rue du Bac) et plusieurs bâtiments conventuels99.

93 En fonction entre 1658 et 1664.94 Sous l’Ancien Régime, l’abbé de Saint-Germain-des-Prés exerçait une juridiction

spirituelle sur tout le faubourg Saint-Germain. Les communautés religieuses désirant s’y implanter devaient obtenir l’accord de l’abbé.

95 Selon le nécrologe des récollets de la province Saint-Denys, ce religieux meurt «aux Récollettes le 25 septembre 1686, âgé de 76 ans et de 56 de religion», Paris, Bibliothèque nationale de France (BnF), ms. fr. 13875.

96 le febvre, Histoire chronologique, , pp. 152-153 ; Breve historia, f° 7-8.97 Abrégé, cit., p. 8698 Les noms des prédicateurs de cette octave figuraient chaque année dans les brochures

imprimées indiquant les stations d’Avent à Paris (recueil factice de ces brochures, Paris, BnF, 4° Lk7 6743). Ainsi en 1695, les prédicateurs suivants devaient assurer l’octave chez les récollettes : 1) Archange Enguerrand, gardien du couvent des récollets du faubourg Saint-Laurent, 2) un bénédictin, 3) Dom François de Sainte Marie, religieux feuillant, 4) un «récollet de la maison», 5) un religieux de la doctrine chrétienne, 6) Dom Benois, religieux feuillant, 7) Cassien Fouquet, récollet (†1718), 8) un religieux théatin.

99 Voir «Couvent des récollettes. Monastère Royal de l’Immaculée Conception», in Jean-Pierre WillesMe (dir.), Les Ordres mendiants à Paris, Paris, Musée Carnavalet, 1992, pp. 202-205. La toile qui ornait le retable du maître-autel de l’église -v. charles De la

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en visite à l’ave Maria De lille (Mars 1678)

À deux reprises au moins, Marie-Thérèse accompagne Louis XIV lors des opérations militaires qui se déroulent dans le nord de la France et aux Pays-Bas espagnols. En août 1667, en pleine guerre de Dévolution et alors que les troupes royales assiègent Lille, la reine se trouve à Arras où elle pose la première pierre du nouveau maître-autel de l’église des récollets, dédié à Notre-Dame des Victoires. Cet événement, apparemment anodin, mérite pourtant d’être relevé. Les frères mineurs d’Arras, comme tous ceux des provinces septentrionales, ayant adopté la réforme récollette, il fallait que leur église soit transformée en conséquence, et notamment que le chœur des religieux soit repoussé derrière le maître-autel100. Ainsi, cette première pierre posée par Marie-Thérèse traduit-elle dans l’architecture le passage d’une communauté de cordeliers à la stricte observance101.

C’est à l’occasion d’un deuxième séjour dans le nord de la France que Marie-Thérèse rend visite au monastère de l’Ave Maria de Lille, le 18 mars

fosse, La Consécration de la Vierge, 448 x 250 cm, 1703- est aujourd’hui conservée au Musée d’Art Moderne-André Malraux du Havre, voir Charles de La Fosse (1636-1716). Le triomphe de la couleur, Paris, Somogy, 2015, p. 200-201 (Catalogue de l’exposition présentée au Château de Versailles, février-mai 2015).

100 Le récit de l’évènement figurait dans les Mémoires manuscrits du capucin Ignace d’Arras (1686-1754), conservés à la Bibliothèque Municipale d’Arras et détruits lors du terrible incendie qui ravagea cette dernière en 1915. Le ms. 1868 de la Bibliothèque francis-caine des Capucins conserve des copies de certains passages de ces Mémoires concernant les communautés franciscaines du Pas-de-Calais, et notamment les récollets d’Arras. « Le 27 Aoust 1667 jour de la prise de Lille par les François, Marie-Thérèse d’Autriche, reine de France accompagnée de Mademoiselle de Montpensier, de plusieurs Duchesses, seigneurs et Dames de la Cour, vint en cette église sur les 5 heures du soir, et mit la première pierre aux fondations du grand autel qui fut dressé sous le nom de Notre-Dame des Victoires en recon-naissance des conquêtes que Dieu accordait aux armées du Roi Louis XIV son époux. C’est que jusqu’alors le chœur des Récollets avait été ouvert à la manière des Cordeliers, c’est-à-dire qu’il était devant le grand autel: par ce changement on l’a mis derrière mais comme il fallait supprimer une croisée dont la vitre avait été donnée par un seigneur de la maison de Melun-Epinoy, ou plutôt la transférer de l’endroit où elle étoit dans un autre, parce qu’elle cachoit le jour sur l’autel, le Prince d’Epinoy fit assigner l’an 1673 les Récollets pour les obliger à remettre cette vitre en son 1er état, il y eut procès que les Religieux perdirent en 1674. Ils furent condamnés à rétablir la vitre où elle étoit d’abord », Paris, Bibliothèque franciscaine des Capucins, ms. 1868, p. 112.

101 D’après Ignace d’Arras, c’est le 29 décembre 1630 que la réforme récollette fut intro-duite chez les cordeliers d’Arras (Mémoires, ms. cit., p. 108). Il a donc fallu attendre près de quarante ans pour que ces religieux réformés disposent d’un chœur à l’arrière du maître-autel.

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1678. Là encore, l’épisode peut apparaître insignifiant. Pourtant, il n’est pas sans importance pour les moniales qui en font la relation dans leur chronique. Ce récit (transcrit en annexe) permet tout d’abord, en s’aidant des plans du monastère102, de reconstituer précisément et presque de visualiser la scène : le rassemblement des moniales dans la salle du chapitre, chaque sœur ayant un cierge à la main ; l’entrée de la reine par la porte principale du monastère (sur la rue des malades – l’actuelle rue de Paris), puis son cheminement par la petite ruelle menant à la porte du chapitre103 ; le passage à l’intérieur de la clôture de Marie-Thérèse et de ses suivantes, mais pas des hommes qui l’accompagnent ; la procession vers le chœur des moniales, et la récitation des complies ; le retour au chapitre (« sa majesté descendit au chapitre »104), avec un bref échange entre la reine et les clarisses ; le départ de Marie-Thé-rèse, après une heure et demie passée en compagnie des moniales.

Notons que les récollets, qui formaient une petite communauté jouxtant le monastère105, ne semblent pas directement concernés par cette visite : dans l’église qu’ils partagent avec les moniales, ils chantent les «litanies du Sauveur flagellé»106, comme on le fait chaque vendredi à l’Ave Maria de Lille, puis ils donnent le salut du Saint-Sacrement, mais ils ne paraissent pas avoir rencontré la reine.

102 À partir du plan-relief de Lille (1745) et des résultats de fouilles archéologiques, C. Cercy a pu restituer un plan précis du monastère au XVIIe siècle, cercy, «Le couvent des Pauvres-Claires», p. 42.

103 «Cet accès est peut-être le seul destiné aux visiteurs des sœurs, à leurs familles, voire aux donateurs ou aux visiteurs de marque (telle la reine Marie-Thérèse), et permet d’atteindre le chapitre», cercy, «Le couvent des Pauvres-Claires», p. 45. Entre la ruelle et le chapitre, se trouvait sans doute un parloir. Cette ruelle ne doit pas être confondue avec celle qui, en partant de la rue du Molinel, permettait aux séculiers d’atteindre l’église.

104 Dans les églises des clarisses du groupe de l’Ave Maria, comme dans celles des colettines, le chœur des moniales se situait, à l’étage, en tribune sur la nef. Il fallait donc «descendre» du chœur au chapitre. Voir P. Moracchini, «Entre Colettines et Capucines, XVe-XVIIe siècles: Chœurs de moniales et styles de vie franciscaine», in luDovic viallet et fréDéric Meyer (dir.), Le silence du cloître, l’exemple des saints, XIVe-XVIIe siècles. Identités franciscaines à l’âge des réformes II, Clermont-Ferrand, P.U.B.P., 2011, pp. 117-140.

105 Comme à l’Ave Maria de Paris. À l’époque, il s’agit de récollets appartenant à la province Saint-André.

106 La récitation de ces litanies était liée à la présence dans l’église d’une image réputée miraculeuse du «Sauveur-Flagellé». Voir les Merveilles de Jésus flagellé miraculeux et honoré en son Image exposée dans l’église de Sainte-Claire, à Lille, par les Récollets dudit lieu, Lille, Veuve de Simon Le Francq, 1664, 56 p., et Dancoisne, Histoire du couvent des Pauvres-Claires de Lille, pp. 65-68.

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Enfin, le récit de cette visite présente un tout autre intérêt : ce texte, inséré dans la chronique du monastère et destiné à rester à usage interne, reflète donc exactement le point de vue des moniales. Or, que retiennent ces dernières de Marie-Thérèse ? Sa grande piété, son humilité, sa douceur et son affabilité. Et la chroniqueuse d’ajouter : «et avons bien reconnu en l’espace d’environs une heure et demÿ qu’elle fut chez nous, que c’estoit avec raison que tout le monde s’esclamoit disant ‘nous avons la plus sainte Reÿne qui soit sur terre’». Bref, les clarisses partagent la vénération que le peuple voue à Marie-Thérèse.

L’épouse du roi Très-Chrétien était donc bien «Fille de Saint François» et elle a été inhumée avec l’habit du Tiers-Ordre107. La reine de France n’a pas tenu pour négligeable une filiation spirituelle dont elle était parfaitement consciente. Elle a incarné bien des traits spécifiques de la spiritualité fran-ciscaine, en particulier l’humilité. Elle a fait profession dans le Tiers-Ordre séculier et participé activement à la vie de la congrégation de tertiaires qui venait d’être rétablie au Grand couvent des cordeliers. Elle a multiplié les contacts avec les communautés franciscaines et permis l’introduction en France de l’Ordre de l’Immaculée Conception. Un juste portrait de Marie-Thérèse ne devrait plus désormais négliger son ancrage franciscain.

107 «Aussi Dieu luy a donné la consolation à sa mort, qu’Elle avoit désirée avec tant d’ardeur durant sa vie, qui estoit de mourir & d’estre ensevelie avec le mesme habit de saint François qu’elle avoit reçû en embrassant le Tiers-Ordre», Abrégé, cit., pp. 61-62 et Breve historia, f° 73r.

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ANNEXE

1678, mars 18. Lille

Extrait de l’Origine de la Fondation de ceste Maison des pauvres clairisses de ceste ville de Lille108.

Lille (?), Archives départementales du Nord, 101 H 2, p. 270-274109.

[p. 270] Le 18 de mars 1678 nous eusme l’honneur d’estre visité par sa majesté Marie Terese d’austrice, Reine de France, espouse de Louis 14, et fille de philippe 4, Roÿ d’espaigne.

A l’instant qu’on nous a signifié qu’el[le] viendroit chez nous, on se mit en devoir d’anticiper le temps de netoÿer toutes les officines de la maison pour la sollemnité de pasque qui estoit proche. Le jour auparavant on nous adverti, et encor au matin par le cochée de la Reine, qu’el[le] viendroit sur les quatres heures après mÿdÿ, le confesseur de la reine qui estoit recolect110 nous mandÿ au grille pour donner ordre ou se devoit placer sa majesté, il ordonna que l’oratoire111 fut tout ample, come aux professions des novices, oter la verge de ferre avec la gourdine du grille, fit ouvrir la fenestre qu’on comunie, on estalla un tapÿ devant la grille, et un prie dieu desus tout vis a vis du grille, avec un tapÿ dessus, et des cousains et un siège tout proche.

[p. 271] N[ost]re Mère112 dit alors au susdit Révérend père que nous venions de l’ave maria de paris, il reparti avec eston-nement, ‘quoÿ es icÿ l’ave maria, estant en chemin la Reyne a

108 En bas de la page de titre, il est indiqué : «escrit par Sr Jeanne de la † [Croix] dit Becquet, commencé le 2 de Juin 1670». La chroniqueuse fut abbesse du monastère de Lille entre 1685 et 1694.

109 Afin de rendre ce texte davantage lisible, nous avons remplacé, chaque fois que nécessaire, « i » par « j », et « u » par « v ». Nous avons également résolu quelques abrévia-tions, et amélioré la ponctuation.

110 Pour une clarisse lilloise, un religieux strict-observant ne peut être qu’un récollet.111 Dans cette chronique, «l’oratoire» désigne le chœur des moniales, qui, dans les

monastères de l’Ave Maria, se trouvait en tribune sur la nef. 112 Sœur Hélène de la Croix Tahon, 15e abbesse, en fonction entre 1671 et

1685, Dancoisne, Histoire du couvent des Pauvres-Claires de Lille, p. 129.

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dit plusieurs fois nous irons à l’ave maria de Lille et personne d’entre nous ne scavoit penser ou que ce pouvoit estre, je suis bien aize de vous avoir trouvé’, cause pourquoÿ aÿant esté re-tiltré de nouveau par sa majesté nous avons annexé le tiltre de l’ave maria de lille à n[ost]re maison, come nous croÿons qui fut establi des sa fondation par nos mères fondatresses de paris atendu qu’el[le]s s’appelloient ainsi, mais qu’il a esté négligé par celles qu’elles nous ont précédé.

Pour Revenir au reste des ceremonies, on assembla toute la comunauté au chapitre, estant toutes les Religieuses bien ajusté, avec chacun un cierge à la main toute deboutes, la croix et deux chandeille a costé au milieu du chapitre, un bénitié, et une asperge à la porte, attendant ainsi sa majesté, elle descendi de son carosse à la grande porte en la rue des malades113, elle estoit conduite et soutenuë par desoub les bras,

[p. 272] tout au long de la ruellette par deux de ses escuyers, et un page portoit sa queuë jusque à n[ost]re chapitre, ou estant à la porte l’un d’eux dit à n[ost]re Mère ‘nous vous donnons la Reÿne en garde’ puis s’arestèrent à la porte et pas un hommes n’entrit dans la closture. Entrant la Reÿne dans n[ost]re cha-pitre, n[ost]re mère lui présenta l’asperge114, elle mouilla le bout du doict et s’en aspergea. En suite on lui devoit donner le crucifix à baiser, en quoÿ on a manquer par ignorance, et à l’instant qu’elle entra au chapitre toute la comunauté se mit en genoux, n[ost]re mère la soutenoit par desoub les bras, avec mère vicaire et une discrète portoit la queuë, et sans autre céré-monie, sa majesté a dit tout haut ‘allons au chœur’ au chœur [sic], les chantres entonnèrent te deum laudamus, et fut chanté alternativement par la comunauté en allans à l’oratoire.

Ce qu’estant achevé une chacune esteindÿ sa chandeille en sorte qu’elles ne donnèrent point de fumées, comme son confesseur

[p. 273] avoit fort recomandé115, et immédiatement après nous començasmes nos complÿ, tous arrangés dans nos

113 Aujourd’hui, rue de Paris.114 C’est-à-dire le goupillon.115 Une notation symptomatique du rôle joué par le confesseur dans la préparation de la

visite.

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formes116, et la reÿne tousjours en genoux en grandes dévotion sur son prie dieu, et toutes les ducesses, princesses, maquis, comptesses, bref toutes les dames de la court estoient au milieu du chœur en grande révérence, et modestie, on mit tous les plus beau cousins que nous aviesme pour les dames, mais il ne su-firent pour tous. Sitost les Complÿ achevée, les Religieux chan-tèrent les litanies du Sauveur flagellé car il estoit vendredÿ, après la bénédiction du vénérable St Sacrement, et le psaume exaudiat117, et ce qui s’ensuit, sa majesté descendit au chapitre, se contentant de voir les autres lieux de la maison parce qu’il estoit tart, estant au chapitre elle s’assit dans un siège qu’on lui avoit préparée dès l’abort avec un tapÿ desoub, n[ost]re mère se mit a genoux à ses pied, lui demandant la permission, la suppliant d’honnorer la comunauté de pouvoir baiser sa robe, ce qu’elle acorda avec aggreation, et cependant que les Reli-gieuses baisoient sa

[p. 274] Robbe Royale, en tout respect estant a demÿ pros-terné, elle acostoit n[ost]re Révérende Mère Abbesse et l’inter-rogoit, lui demandant qui estoit le fondateur de n[ost]re maison, de n[ost]re Ste règle, de n[ost]re manière de vivre &ct, et com-manda que toutes les sœurs levastes leurs voilles. Son humilité, sa douceur, et affabilité nous ravisoient d’aize ; et avons bien reconnu en l’espace d’environs une heure et demÿ qu’elle fut chez nous, que c’estoit avec raison que tout le monde s’escla-moit disant ‘nous avons la plus sainte Reÿne qui soit sur terre’. La dévotion qu’elle eut aux divins offices tant des Religieux come de nous, lui fit dire à son confesseur qu’elle viendroit tous les vendredy au salut, et honorer le Sauveur flagellé, mais comme le roÿ après la prise de la ville d’ipre118 soub son obéis-sance retourna en ceste ville, elle eut des autres occupation qui l’empeschèrent d’effectuer sa bonne volonté. À son départ de Lille pour retourner à Paris qui fut le 29 mars elle nous envoÿa six pistole.

116 C’est-à-dire les stalles.117 Psaume 19.118 Prise de la ville d’Ypres par les troupes de Louis XIV, le 25 mars 1678.

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1.- «Continuation du Premier Registre des frères et des Sœurs qui ont fait profession…» et Signatures de Marie-Thérèse, Claude Frassen et Jean [Bonaventure]

de Soria (Paris, Bibliothèque franciscaine des Capucins, ms. 162, p. 2.)

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2.- Jean Bonaventure de Soria [OFM], Abregé de la Vie de Tres-Augusteet Tres-Vertueuse Princesse Marie Therese d’Austriche, Reyne de France

et de Navarre. Par le R. P. Bonnaventure de Soria, son Confesseur.Paris, Lambert Roulland, 1683, frontispice.

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3.- Plan de Paris, dit de Turgot (XVIIIe siècle), détail:le monastère des récollettes de la rue du Bac.

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