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les relations tumultueuses entre la France et la Bavière face à l'essor du nationalisme allemand incarné par la figure de Bismarck
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Université Paul Valéry- Montpellier III
Lettres et Sciences sociales
Master 1 d’Histoire militaire, défense et politiques de sécurité
Les relations franco-bavaroises
de 1852 à 1871
Présenté par Romain Cano, sous la direction de M. Heyriès,
maître de conférences.
2004/2005
1
Remerciements
Je remercie pour ce dossier tous les organismes, bibliothèques auxquels j ai eu affaire : pour
leurs accueils et leurs attentions.
Je remercie bien sûr mon maître de master 1 Mr Heyriès pour sa bienveillance et sa
disponibilité.
Et enfin ma famille pour le soutien qu’elle m’apporte chaque jour.
2
« Pour qu’un peuple sache où il est et où il va, il faut
qu’il sache d’où il vient. Ceci vaut tant sur le plan de
l’histoire en général que sur le plan des racines
culturelles et spirituelles. » Franz Joseph Strauss
3
Sommaire
INTRODUCTION 5
I. DE NOUVELLES RELATIONS BILATÉRALES (1852-1859) 9
A. L’établissement de la diplomatie impériale 9
B. Munich, Paris et la guerre de Crimée (1853-1856) 16
C. De Paris à l’Italie : la méfiance bavaroise (1856-1859) 24
II. LA BAVIÈRE FACE AU RÉVISIONNISME FRANÇAIS (1859-1866) 35
A. Paris et Munich face à la question allemande 35
B. Paris et Munich face à la crise des duchés danois 45
C. Paris et Munich lors de la guerre austro-prussienne 53
III. DU RÉCHAUFFEMENT À LA FIN DES RELATIONS
FRANCO-BAVAROISES (1866-1870) 63
A. Paris et le monde germanique 63
B. Munich et l’Allemagne : le projet « Triade » 70
C. La guerre de 1870 : fin des relations franco-bavaroises 79
CONCLUSION 91
BIBLIOGRAPHIE ET CARTE 95
Table des matières 99
4
A l’heure où le couple franco-allemand demeure le moteur de l’Europe en
construction, il apparaît intéressant de s’interroger sur la Genèse de cette entente. Les trois
guerres, que les deux puissances se livrèrent, trouvent leurs racines dans le 19ème siècle
européen. Quelles relations la France entretenait avec l’espace germanique ? Cet espace,
divisé en divers Etats au 19ème siècle, constituait un terrain de jeu de politique extérieure pour
les grandes puissances européennes telle la France, l’Autriche et la Prusse. La Confédération
germanique, crée en 1815 au sortir de l’épopée napoléonienne, devait, selon l’article 2,
« maintenir la sécurité intérieure et extérieure de l’Allemagne comme l’indépendance et
l’inviolabilité de chacun des Etats. »1 ; mais elle correspondait plutôt à une zone tampon entre
les grandes puissances continentales.
Dans cette Confédération, le royaume de Bavière occupait une place de premier
choix. Royaume depuis 1806, la Bavière des Wittelsbach était le premier Etat allemand de
second ordre. Elle était peuplée de cinq millions d’âmes environ. Son territoire était coupé en
deux : d’une part, la Bavière transrhénane et d’autre part, le Palatinat cisrhénan récupéré au
congrès de Vienne. La France et la Bavière avaient été, depuis le 17ème siècle, plusieurs fois
allié lors des conflits majeurs comme la guerre de trente ans, ou l’aventure napoléonienne.
La France avait besoin de la Bavière pour avoir un pied dans le Saint Empire Romain
Germanique et la Bavière avait besoin de la France pour maintenir sa sécurité et son
indépendance face à la maison des Habsbourg, qui dominait l’espace germanique.
Au 19ème siècle, trois évènements majeurs marquèrent les relations franco-
bavaroises : l’alliance avec l’Aigle français, les révolutions de 1848 et la restauration de
l‘empire français en 1852, et enfin, la guerre de 1871. L’aventure napoléonienne permit à la
Bavière de se constituer en royaume. Mais en contrepartie, elle devint un satellite de la
1 Sandrine KOTT, L’Allemagne du 19ème siècle, Paris, Hachette, 1999, 254 p
6
France, au sein de la Confédération du Rhin. Son revirement à temps contribua à faire de la
Bavière un des vainqueurs de Napoléon Ier. Elle eut sa part du gâteau en 1815. Pourtant
l’oeuvre de Napoléon ne disparut pas. Les idées des Lumières s’étaient propagées dans toute
l’Europe. Le sentiment national subsistait dans les esprits. En Bavière, comme dans toute
l’Allemagne, la guerre face à l’Aigle avait créé les conditions propices à l’émergence d’une
force nationale allemande transcendant tous les particularismes : l’idée de nation allemande se
propageait. Le Discours à la nation allemande de Fichte, en 1806, montrait l’aspiration de
certains allemands à vivre au sein d’une même unité politique. Fichte, avec d’autres
intellectuels allemands comme Herder, entreprit une introspection de l’histoire allemande,
donnant corps au sentiment national allemand.
En France, la restauration monarchique essayait d’effacer les acquis de l’œuvre
révolutionnaire et napoléonienne. Vingt-six ans après la Révolution, la monarchie reprenait
ses droits mais ne parvenait pas à rétablir l’absolutisme. Les restrictions faites aux libertés
furent parmi les causes des révolutions de 1830 et 1848. Celle de 1848 eut un retentissement
européen. Elle inaugura le « printemps des peuples », vaste mouvement insurrectionnel, qui
toucha toutes les capitales européennes. En Allemagne, la révolution échoua, mais elle laissa
des traces durables dans les consciences. En Bavière, le mouvement insurrectionnel eut raison
du trône de Louis Ier, qui abdiqua en faveur de son fils Maximilien. Mais la situation revint à
la normale. Sauf dans le Palatinat où l’insurrection fut réprimée, à la demande de Munich, par
les troupes prussiennes.
A Paris, la révolution triompha. La proclamation de la Seconde République mit fin
à la restauration monarchique. Pour les chancelleries européennes, l’établissement d’une
République en France créait une nouvelle configuration du rapport de force international. La
République française devenait aux yeux de l’Europe un Etat subversif, car il se référait à des
valeurs en totale contradiction avec la notion de monarchie de droit divin. Or, la volonté
7
d’établir la démocratie, par le suffrage universel, amena à la présidence de la République
Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l’Aigle. De 1849 à 1852, il créa les conditions propices
à la restauration de l’empire. Le 2 décembre 1851, Louis-Napoléon réédita le coup d’Etat de
son oncle. Un an après, jour pour jour, l’Empire fut proclamé. A l’extérieur, les chancelleries
lui étaient reconnaissants d’avoir rétabli un ordre personnel en France : la hantise des Etats
européens était de voir se pérenniser une République en France.
A propos des relations franco-bavaroises, la restauration de l’Empire changea les
rapports. Alors que la République se voulait la sœur de toutes les Nations, Napoléon III, tout
en conservant cet héritage, lui donna une forme moins belliciste. Une définition plus
acceptable pour les puissances européennes. Pour la Bavière de Maximilien II, la politique des
nationalités, formulée par Napoléon III, devait inaugurer une nouvelle ère dans les relations
qu’elle entretenait avec la France.
Quels éléments caractérisaient les rapports franco-bavarois au temps du second
empire français ? Quels étaient les déterminants idéologiques et conjoncturels qui
définissaient les relations entre Paris et Munich ? Dans quelle mesure les politiques
extérieures des deux Etats étaient-elles compatibles ?
Nous nous intéresserons de prime abord à l’instauration des nouveaux rapports
bilatéraux à partir de 1852 : de la proclamation de l’Empire à la guerre d’Italie. Ensuite, nous
nous pencherons sur la période 1859-1866, c’est à dire de la guerre d’Italie à la victoire
prussienne de Sadowa : période où les rapports entre la France et la Bavière entrent dans une
nouvelle phase. Enfin, nous étudierons la période 1866-1871, qui débouche sur la fin de
l’Empire napoléonien et sur l’intégration du royaume bavarois au sein du Reich bismarckien,
ce qui signifie la fin de l’existence bavaroise dans le concert des puissances européennes.
8
I. De nouvelles relations bilatérales (1852-1859)
A. L’établissement de la diplomatie impériale
1. Une nouvelle équipe de diplomates ?
Avec l’établissement du Second Empire, la diplomatie française s’inséra dans la
continuité de la diplomatie de la monarchie de Juillet et de la IIème République. Napoléon III,
installé dans la dignité impériale, n’avait pas été accompagné par des diplomates qui
partageaient ses vues en matière de diplomatie. Le principe des Nationalités, qu’il érigeait
volontiers en maxime, contribuait à semer le trouble dans le corps diplomatique. Ce dernier
était habitué à soutenir une politique extérieure basée sur le principe monarchique. Cette
politique aurait permis, selon Jacques Bainville2, d’acquérir à la veille des évènements de
1848 le Palatinat bavarois avec la bénédiction des puissances européennes. Mais
l’établissement d’une diplomatie, servant un régime impérial issu du suffrage universel, était
de nature à inquiéter les monarchies européennes.
En outre, l’héritage napoléonien, qui constituait un avantage en politique
intérieure, demeurait un inconvénient dans les affaires extérieures. Pour les chancelleries
européennes, la question était de savoir si la carte européenne issue du congrès de Vienne
allait perdurer face au nouveau régime français. Car Napoléon III, auréolé de son nouveau
prestige, ne pouvait se permettre de rester attentiste. Mais, à la différence de son oncle, il
2 Jacques.BAINVILLE, Louis II, Bismarck et la France, Paris, Fayard, 1927, p 543
9
pensait pouvoir obtenir beaucoup sans effusion de sang : devant le Corps législatif, en mai
1854, il déclara que « le temps des conquêtes est passé sans retour, car ce n’est pas en
repoussant les limites de son territoire qu’une nation peut désormais être honorée et puissante,
c’est en se mettant à la tête des idées généreuses, en faisant prévaloir partout l’Empire du droit
et de la justice.3 » Cette déclaration était de nature à inquiéter, car les « idées généreuses » se
référaient sciemment aux idéaux des courants nationalistes européens. Cependant elle apparut
comme non belliciste pour les chancelleries d’Europe : la volonté d’expansion territoriale
semblait laisser place à la volonté de répandre une Idée.
Cette conception de la mission historique française fut dûment commentée par les
contemporains et les historiens. Pour les contre-révolutionnaires, ce but fixé par l’empereur
amena la décadence française et la création de deux puissances aux frontières orientales de la
France : le royaume d’Italie et le Reich allemand. Jacques Bainville s’insère dans cette vision
historique.4 Monarchiste, membre de l’Action Française et spécialiste de l’Allemagne, il
considère la politique des nationalités comme l’antithèse du principe fondateur d’une
politique extérieure. Selon lui, seul l’intérêt « matériel » de la France compte. Ainsi, une Italie
et une Allemagne morcelées constituent le but ultime de la conduite diplomatico-stratégique
française. Pour les historiens, la défaite de 1870 fut un obstacle majeur dans la compréhension
de cette époque. De la condamnation du régime par Victor Hugo à l’admiration de Philippe
Seguin5, en passant par le plaidoyer d’Emile Ollivier, la vision historique du régime impérial a
considérablement évolué. L’histoire des relations internationales n’y a pas échappé.
Désormais, Napoléon III est considéré comme un homme du 20ème siècle6, conscient que le
nouvel ordre interétatique à venir devait se fonder sur le concept d’Etat-Nation.
3 Jean TULARD, Dictionnaire du second empire, Paris, Fayard, 19954 Jacques BAINVILLE, Louis II, Paris, Tallandier, 1927, 269 p5 Philippe SEGUIN, Louis Napoléon le Grand, Paris, Grasset, 1990,6 Suzanne DESTERNES, Henriette CHANDET, Napoléon III, homme du 20ème siècle, Paris, Hachette, 1961
10
Pourtant, comme dit auparavant, Napoléon III n’ébranla pas la manière et les
conditions de la conduite de la diplomatico-stratégique française. La répartition des postes
diplomatiques resta inchangée : en 1853, il existait trente-quatre postes diplomatiques dont six
ambassades et vingt-huit légations.7 En 1870, le régime impérial comptait trente-deux postes
diplomatiques constitués de sept ambassades et vingt-cinq légations.8 Auprès des Etats de la
Confédération germanique, l’Etat français était représenté par des légations : à Francfort,
Brunswick, Dresde, Darmstadt, Stuttgart, Hambourg, Weimar, et enfin Munich. Deux
ambassades clôturaient cette distribution des postes : Vienne et Berlin. Cette dernière reçut
une ambassade au moment de la signature du traité de commerce entre la Prusse et la France
en 1862.
Ainsi, c’est avec une diplomatie inchangée, mais avec de nouvelles idées, que le
nouvel empereur français rentra dans le concert des grandes puissances.
2. La direction des affaires en France et en Bavière
Les Affaires étrangères demeuraient un domaine à part dans les structures
politiques de l’Etat. En France, comme dans le royaume de Bavière, le souverain était le seul
à décider une entrée en guerre.
En Bavière, Maximilien II était monté sur le trône à l’occasion des évènements
de 1848-1849. Le 6 mars 1848, Louis 1er abdiqua en faveur de son fils Maximilien. Les
munichois n’appréciaient pas la liaison du roi Louis 1er avec Lola Montès. Ce fut un des
motifs de l’abdication du roi, selon Max Spindler.9 Maximilien II, le pouvoir consolidé,
7 Jean BAILLOU, Les Affaires étrangères et le corps diplomatique français, Paris, éditions CNRS, 1984, 833 p 8 ibidem9 Max SPINDLER, Bayerische Geschichte im 19 und 20 Jahrundert 1800 bis 1970, Munich, CH Beck, 1978,
11
organisa les Affaires étrangères autour de sa personne. Il avait de sa fonction une haute idée,
conscient qu’il participait à la marche du monde. Roi philosophe et constitutionnel pour
nombres de ces biographes10 et de ces contemporains, il évoluait dans un univers idéel
« ancien » : fier d’être le descendant d’une grande famille, les Wittelsbach, qui possédaient la
Bavière depuis le milieu du 13ème siècle. Ce sentiment, lié au particularisme bavarois et à
l’éducation catholique, contribuait à faire du sentiment national allemand du roi un concept
lointain et vague. L’idée d’Etat-Nation, propagée en Europe par Napoléon Ier, s’était traduite
dans la pratique par des occupations, des désastres. Ces constats ne permirent pas de convertir
les allemands aux vues françaises : la tradition impériale restait encrée dans l’imaginaire
collectif allemand. Surtout la masse des princes ne voulait pas perdre un pouvoir qu’ils
avaient obtenu à force de combats séculaires. C’est dans ces conditions que Maximilien II
s’inséra dans le jeu des relations interétatiques.
En Allemagne, il faisait la promotion d’une conception fédéraliste de
l’Allemagne contre le dualisme austro-prussien. Afin de mener à bien cette politique, le roi fit
confiance au ministère du baron Ludwig von der Pfordten.11 Issu d’une famille protestante de
Franconie et ancien ministre des Affaires étrangères de Saxe en 1848-1849, il faisait parti de
cette « caste » de politiciens et de juristes, tels Beust ou Hohenlohe, serviteurs d’un potentat
local et toujours prêt à changer de maître quand les circonstances l’obligeaient. Néanmoins,
pour la plupart, et s’en était ainsi de Ludwig von der Pfordten, ils servaient loyalement
l’intérêt du souverain et du royaume. Le baron franconien mena la politique intérieure et
extérieure du royaume de 1849 à 1859. Il essaya de faire entendre la voix de la Bavière, aussi
bien dans la Confédération germanique, que dans le concert des grandes puissances, avec plus
ou moins de succès.
10 M DIRRIGL, Maximilian 2, König von Bayern 1848-1864,198411 Jean TULARD, op.cit, p 125
12
En France, le nouvel empereur prit naturellement la direction de la politique
extérieure. Comment organisa-t-il le ministère des Affaires étrangères ? Avec qui entama-t-il
cette nouvelle ère impériale, synonyme de diplomatie active voir agressive ?
A son avènement, il se garda de changer totalement l’institution diplomatique. Un
décret en date du 3 juin 1853, confirma le décret de 1844 sur l’organisation du ministère.12 La
direction politique, elle, fut remaniée en quatre sous-directions : celle du Midi et de l’Orient,
celle du Nord, celle de l’Amérique et Indochine, et enfin une concernant les affaires
contentieuses. Comme ministre des Affaires étrangères, l’empereur choisit, à partir de juillet
1852, Drouyn de Lhuys.13 Cet homme, descendant d’un chevalier de Saint-Louis, appartenait
à la tendance conservatrice. Napoléon III cherchait, avec la nomination de ce conservateur, à
s’attacher les cours européennes conservatrices, plus particulièrement l’Autriche et la Russie.
Cette nomination permettait aussi de s’assurer les forces traditionnelles françaises ainsi « que
les doctrines qu’une longue expérience avait fait considérer comme la meilleure sauvegarde
de nos intérêts extérieures. »14 Drouyn de Lhuys s’attacha à rehausser le prestige de la France
auprès des cabinets étrangers. La crise orientale allait constituer sa première épreuve
internationale.
3. Un conflit sourd dans la diplomatie française ?
Selon Emile Ollivier, la diplomatie française aurait connu un conflit interne, qui
aurait contribué à créer des dissensions au sein de l’institution. Ces oppositions étaient surtout
12 Jean BAILLOU, op.cit13 Jean BAILLOU, op.cit 14 Bernard D’HARCOURT, Les quatre ministères de M. Drouyn de Lhuys, Paris, Plon, 1882, 62 p
13
d’ordre idéologique, mais elles connaissaient des implications pratiques. La politique des
Nationalités constituait la pierre d’achoppement du conflit.
Néanmoins, dans un premier temps, les diplomates se rangèrent du côté de
Napoléon III, car ils lui étaient reconnaissants d’avoir rétabli l’ordre en France. Mais du fait
de leurs extractions aristocratiques, les hommes de la Carrière ne pouvaient être en accord
total avec les principes formulés par l’empereur. Par exemple, sur cent ministres
plénipotentiaires, soixante-dix étaient originaires de familles titrées. C’est ce constat qui
amena les contemporains et historiens à s’interroger sur un éventuel conflit sourd entre le
pouvoir impérial et le corps diplomatique. Il n’est pas ici question de trancher la question,
mais il est intéressant pour le sujet qui nous concerne de décrire ce cas. Ce fut Emile Ollivier,
dans son Empire libéral15, qui en parla le premier. Selon l’ancien ministre, l’origine sociale
du corps diplomatique n’aurait pas permis à l’empereur d’attribuer sa pleine confiance aux
diplomates.
De plus, Napoléon III, dans sa conduite de la diplomatie, avait souvent la
propension à intriguer. Les diplomates se plaignirent de cette diplomatie officieuse : les
célèbres entrevues de Plombières et de Biarritz furent des exemples notables de cette pratique
« occulte », qui faisait abstraction de l’appareil officiel. Bernard d’Harcourt notait que « dès
son entrée à l’Elysée, l’empereur a entretenu des correspondances, noué des relations ou
accueilli des ouvertures auxquelles ses conseillers officiels restaient étrangers.»16 C’est
surtout, au-delà des oppositions idéologiques, « la manière dont l’empereur a conduit sa
politique extérieure »17, qui fit souffrir le corps diplomatique. Les ambassadeurs étrangers
pouvaient avoir accès directement à l’empereur. Comme le constatait Emile Ollivier,
« l’empereur [ ] leur créait des facilités de le pénétrer, de l’influencer, de l’engager, de profiter
15 Emile OLLIVIER, l’empire libéral, 16 Bernard D’HARCOURT, op.cit17 Jean BAILLOU, op.cit
14
de ses premiers mouvements irréfléchis, en les admettant parmi les familiers de sa
cour. »18L’empereur déclara même à l’ambassadeur de Prusse qu’une « déclaration d’un de
ses ministres n’aurait pas d’importance. Je sais seul quelle sera la politique extérieure de la
France. »19 Ces sur ces dires que le comte Von der Goltz, ministre de Prusse à Paris, a pu
informer Berlin de ne pas prendre en compte les pressions diplomatiques venant du ministère
des Affaires étrangères français. Autre exemple : Walewsky, ministre des Affaires étrangères
en 1859, fut mis au courant de la discussion de Napoléon III avec Cavour cinq mois après
qu’elle eut lieu. De même pour le duc de Gramont, en poste en 1869 à Vienne, qui apprit des
années plus tard par ses homologues autrichiens, l’existence de négociations entre Paris et
Vienne. Avec ce genre de conflits, la diplomatie française ne pouvait peser d’un poids plus
considérable dans le concert des puissances européennes. Elle était discréditée, court-circuitée
par la conduite du souverain. Les étrangers en poste à Paris ne le savaient que trop bien ; ainsi
ils disposaient de moyens supplémentaires pour parvenir à leurs fins.
Ce conflit sourd contribua à semer le trouble et le doute au sein du corps
diplomatique français, mais aussi auprès des chancelleries européennes. Elles se méfiaient du
« neveu de l’Aigle », qu’elles soupçonnaient de vouloir affranchir la France du « joug » des
traités de 1815. Pourtant Napoléon III avait fait preuve de « pacifisme » en déclarant à
Bordeaux le 9 octobre 1852 : « l’empire, c’est la paix.»20 Or, un an plus tard, l’affaire des
chrétiens d’orient lui permettait de sortir la France de son isolement diplomatique.
18 Emile OLLIVIER, op.cit19 Emile OLLIVIER, op.cit20 Jean TULARD, op.cit, p
15
B. Munich, Paris et la guerre de Crimée (1853-1856)
1. Causes et déroulement de la guerre
La guerre de Crimée, qui opposait les grandes puissances européennes, fut
l’occasion pour Louis-Napoléon de créer une fissure, voir de briser en entier, l’ordre
international issu du congrès de Vienne. Jeu complexe, auquel s’est adonné le souverain, qui
n’alla pas sans risques et calculs de forces. En quoi une affaire religieuse, loin de la France,
pouvait-elle intéresser l’empereur ? Quelles étaient les causes profondes et immédiates de la
guerre? Que pouvaient espérer les différents belligérants dans ce conflit ?
La crise eut pour point de départ un banal problème entre moines latins et grecs.
La protection des « Lieux Saints » et des chrétiens d’orient constituait un antagonisme franco-
russe. La Russie de Nicolas Ier cherchait à obtenir auprès du sultan la protection des chrétiens
d’orient. Aux yeux des ottomans, la protection russe des chrétiens d’orient équivalait à une
ingérence inacceptable de la Russie dans les affaires intérieures du sultanat. Alors que
Menchikov, ambassadeur russe auprès de la Porte, avait obtenu un premier protectorat en mai
1853 grâce à un firman, il réclama, sous forme d’un ultimatum, la protection russe pour tous
les chrétiens d’orient. Avec l’appui britannique, l’empire ottoman, « homme malade de
l’Europe »21 selon Nicolas Ier, repoussa la demande russe : le 23 mai 1853, Menchikov quitta
Constantinople ; les relations russo-ottomanes furent rompues.
Dans ce conflit, Napoléon III joua la carte anglaise. Pourquoi une telle attitude ? Il
était décidé à se rapprocher de l’Angleterre victorienne. Il y vit l’occasion d’entamer une
alliance, qu’il voulait durable, avec les britanniques en s’alignant sur leurs vues. Pour le
souverain, l’Angleterre demeurait le modèle politico-économique le mieux adapté aux valeurs
21 Jean TULARD, op.cit, p 378
16
« nouvelles.» Sa vie passée, en exil, en Angleterre l’avait convaincu de la pertinence du
système économique capitaliste. Le modèle politique, aussi, obtenait les faveurs de Louis-
Napoléon.
Dans le domaine intérieur, il devait aussi faire face à la majorité catholique, qui
ne voulait pas laisser ses frères d’orient passer sous protection russe, alors que la France était
le protecteur des catholiques latins d’orient depuis 1740.22 Ces aspirations amenèrent
l’empereur à entreprendre une politique extérieure active en accord avec le cabinet
britannique.
Pourtant la guerre ne fut que l’ultime recours. L’entrée des troupes russes dans
Bucarest, le 6 juillet 1854, ne déclencha pas l’intervention militaire franco-anglaise. Une
médiation de l’Autriche fut envoyée à la Russie qui l’accepta. La conférence n’aboutit sur rien
de concret, car les prétentions russes apparaissaient disproportionnées pour les ottomans.
Soutenue par l’Angleterre, le sultan Abd ul Medjid prit l’initiative de la rupture : une flotte
anglaise arrivait vers les Dardanelles. Le 27 mars 1854, la France et L’Angleterre déclarèrent
la guerre à la Russie, après avoir constaté l’échec de la conférence. En avril, le siège russe de
Silistrie dans le Bas Danube était de nature à inquiéter l’Autriche. La coalition occidentale
essaya de s’allier l’Autriche. L’équilibre balkanique était en jeu : ne rien faire signifiait pour
Vienne qu’elle n’obtiendrait aucun gain de quelque nature que ce soit. Les russes, voyant la
menace autrichienne se concrétiser et le débarquement de la flotte franco-britannique dans le
port de Varna, levèrent le siège de Silistrie, le 22 juin, afin d’évacuer les principautés
danubiennes et de préparer la défense de la Russie. L’Autriche souhaitait s’engager plus aux
côtés des franco-anglais. Mais elle ne put y parvenir. Buol, ministre d’Autriche, avait fait
dépendre l’intervention autrichienne dans le conflit d’une approbation de la Confédération
22 ibidem
17
germanique. La Prusse et la Bavière, principalement, contribuèrent à neutraliser l’organisation
allemande.
Le conflit fut donc localisé : la guerre ne tournait pas en guerre européenne voir
mondiale. Mais, il prit des proportions, d’un point de vue militaire, tel que les historiens23
l’ont désigné comme le premier conflit moderne. Sur le plan militaire, la coalition franco-
britannique débarqua, le 14 septembre 1854, dans la baie d’Eupatoria en Crimée. A partir du
20 septembre commença le siège de Sébastopol, qui allait être la bataille déterminante du
conflit.
La guerre de Crimée, du fait de sa dureté inédite, mit à rude épreuve les relations
entre Etats européens : un nouveau rapport de force pouvait-il sortir du conflit ? L’ordre de
1815 allait-il s’effriter face aux manœuvres diplomatiques des puissances ? Quelle position le
royaume de Bavière a-t-il adopté ? Sa position évolua-t-elle face aux évènements ? Quelles
furent les discussions entreprises entre la France et la Bavière afin d’aboutir à une position
commune?
2. Bavière et France : des intérêts antagonistes ?
Alors que la guerre se profilait, en Bavière, Maximilien II et son ministre Von der
Pfordten décidaient d’agir et de proposer leurs bons services aux grandes puissances. Pour la
Bavière, un démembrement de l’empire ottoman pouvait coïncider avec un accroissement
territorial du royaume de Grèce ; royaume dirigé par le frère de Maximilien II, Othon Ier de
Grèce. Cela aurait contribué à faire des Wittelsbach, une famille d’Europe des plus
importantes et ainsi rejaillir sur le prestige de la Bavière. Car le royaume bavarois n’abdiquait
pas dans sa volonté de mener une diplomatie indépendante et active. La promotion au titre de
23 Alain GOUTTMAN, la guerre de Crimée, Paris, Perrin, 2003, 437p
18
roi ; le gain du Palatinat (der Pfalz), au début du dix-neuvième siècle, avaient donné raison à
la diplomatie bavaroise menée par Montgelas. La Bavière, devenue royaume, en 1806, par la
grâce de Napoléon Ier, fut admise au rang des vainqueurs au congrès de Vienne. Elle comptait
toujours peser sur les règlements des conflits internationaux.
La question d’orient, soulevée par la Russie, intéressait donc le souverain bavarois
au plus haut point : intérêt familial et diplomatique s’accordaient. Pour la diplomatie, une
aide à la Russie et aux orthodoxes des Balkans permettrait de rendre la Bavière totalement
indépendante et de la hausser au rang de puissance incontournable. De plus, aider la Russie
permettrait de consolider le trône de Grèce et peut être de l’agrandir.24 Allier le sentiment
religieux avec le sentiment national : voilà ce qui aurait pérennisé le trône grec du
Wittelsbach.
La France et L’Angleterre se sentaient-elles menacées par cette éventuelle
extension des alliances ? Napoléon III et le cabinet britannique ne pouvaient rester insensible
à cette approche bavaroise de la crise. Pour couper court à toute velléité grecque, les franco-
anglais occupèrent le port du Pirée au printemps 1854.25 Ainsi un soulèvement anti-ottoman
en Grèce devenait de moins en moins probable. Maximilien II et son ministre Von der
Pfordten ne purent que constater l’échec de la politique bavaroise.
A partir du printemps 1854, la Bavière décida d’aligner sa politique extérieure sur
les orientations de la Confédération germanique. Au sein de la Confédération, l’Autriche
cherchait à entraîner le Deutsches Bund au côté de la coalition occidentale. En Autriche, la
crise orientale révéla l’existence de deux camps antagonistes : les conservateurs préféraient
l‘alliance russe par respect des traités de 1815, alors que Buol et Bach, à la tête de l’appareil
étatique, penchaient plutôt vers une alliance anglaise afin d’éviter un encerclement russe de
24 Max SPINDLER, op.cit, p 27925 Pierre MILZA, Napoléon III, Paris, Perrin, 2004
19
l’Autriche dans les Balkans.26 Ils pensaient pouvoir compter facilement sur les Etats du Bund.
Or, il n’en fut rien : la Bavière avait fait son deuil de la grande politique et s’opposait, dans le
cadre du Deutsches Bund, aux prétentions autrichiennes. La neutralité était de mise aussi
parmi les Etats allemands petits et moyens ; « ils se jugeaient menacés par la puissance
renaissante de la France. »27 La Bavière n’échappa pas à cette peur, et voir l’Autriche, et
peut-être la Confédération, s’associer à l’empire français n’éveillait que des soupçons dans les
pays allemands. La volonté de rester neutre, malgré les approches russes, n’empêcha pas
Maximilien II et son fidèle ministre von der Pfordten d’essayer de défendre les intérêts des
Wittelsbach de Grèce. L’occupation du Pirée par la flotte franco-britannique, au printemps
1854, amena la Bavière à organiser une conférence avec les Etats moyens allemands
(Bavière, Saxe, Hanovre, Wurtemberg, Nassau, Bade, Hesse électorale, et la Hesse) à
Bamberg.28 Tenue du 25 au 30 mai 1854, cette conférence permit de trouver une ligne
commune contre les intentions antagonistes de l’Autriche et de la Prusse. Elle aboutit à la
demande, adressée aux grandes puissances, de garantir le droit des grecs. Déclaration de pure
forme, qui n’annihila pas les tensions ouvertes par le conflit dans le Bund. L’obstacle majeur
résidait dans l’attitude des deux grandes puissances allemandes. La Prusse, comme le souligna
Bismarck, envoyé de la Prusse à la Diète confédéral, ne devait pas s’ « enchaîner au vaisseau
de guerre vermoulu qu’était l’Autriche. »29
En février 1855, alors que Vienne contractait une alliance avec les puissances
occidentales, qui stipulait qu’en cas de refus russe d’une médiation autrichienne, cette
dernière était en droit de rentrer en guerre contre la Russie, la Prusse en profita pour se
séparer de l’Autriche. Elle protesta à la Diète confédérale et fut suivie par les autres Etats
allemands. Ils n’admettaient pas que Vienne se serve de l’intérêt du Deutsches Bund pour le
26 Peter RASSOW, Histoire de l’Allemagne, Lyon, éditions Horvath, 1969, p 57127 ibidem28 Max SPINDLER, op.cit, p27929 Peter RASSOW, op.cit, p572
20
sien propre. Maximilien II de Bavière s’arrangeait bien du refus prussien de mobilisation
contre la Russie. La Prusse fit adoptée par la Diète confédérale en février 1855, un vote qui
adoptait une neutralité armée, mais sans spécifier d’adversaire.30 Pour la Bavière, c’était la
garantie nécessaire pour protéger le Palatinat bavarois d’une éventuelle agression française.
La France et la Bavière, devant les évènements qui se dessinaient, n’ont pu se
retrouver sur une position commune : les buts recherchés par chacun des deux Etats ne
pouvaient se concilier.
3. Bavière et France à la fin de la guerre
La guerre de Crimée n’avait pas empêché les discussions diplomatiques de se
poursuivre. Cependant, chacun des Etats aux prises cherchaient un avantage militaire pour
pouvoir s’asseoir autour d’une table. Cet avantage, ils pensaient le trouver à Sébastopol. La
prise de la tour de Malakoff par Mac-Mahon, commandant de la première division de l’armée
d’orient, décida du sort de Sébastopol. La Russie dut reprendre le chemin de la diplomatie
afin de minimiser la défaite ; mais elle était résolue à continuer la guerre. En Allemagne, la
défaite russe incita les Etats moyens à demander au nouveau tsar Alexandre II de signer des
préliminaires de paix : La Bavière se joignit à cette initiative afin de jouer un rôle dans le
règlement du conflit.31Ces démarches appuyées fortement par l’Autriche, la France et
l’Angleterre, aboutirent à la conclusion des préliminaires de paix, le 4 février 1856.32 Les
différents belligérants allaient se retrouver à Paris pour un congrès. L’heure des armes était
révolue ; vint le temps des cabinets et des discussions en commissions. Paris choisie, cela
manifestait du rôle nouveau que Napoléon III jouait. Son armée impressionna les
30 Max SPINDLER, op.cit, p27931 Alain GOUTTMAN, op.cit, p369 32 Pierre MILZA, op.cit,
21
chancelleries européennes, et il supplanta la Russie dans son habit d’arbitre de l’Europe
continentale. Paris apparut, donc, comme le lieu idéal pour réunir les puissances concernées.
A la conférence de Paris, la Russie fut contrainte d’appliquer les « quatre
points »33 : garantir l’intégrité de l’Empire ottoman en renonçant au protectorat des
principautés danubiennes ; renoncement au protectorat des chrétiens d’orient ; neutralisation
de la mer noire. Enfin l’Autriche n’obtint que la liberté de navigation sur les bouches du
Danube. Son comportement ne fut pas apprécié par la France et l’Angleterre, et la Russie sut
se souvenir que Vienne occupa les principautés danubiennes (Moldavie et Valachie). La
France, outre le prestige inhérent à toute victoire militaire, obtint la protection des chrétiens
d’orient. Napoléon III, surtout, réussit à ébranler le front de 1815. Ensuite Walewsky,
ministre des Affaires étrangères française et président du congrès, fut autorisé à soumettre la
question des nationalités aux participants. Cela représentait une avancée majeure pour les
tenants de la politique des nationalités. Ainsi l’union des principautés moldavo-valaques sous
le même hospodar fut acceptée par les dirigeants européens ; ce qui représentait une avancée
de taille pour les tenants de la politique des nationalités.
La Bavière, elle, ne fut même pas conviée au congrès. Maximilien II ressentit
durement le coup porté à la Bavière. Pourtant, elle tenta au cours du conflit de se démarquer
des deux grandes puissances allemandes ; elle offrit ses bons offices aux principaux acteurs.
Ludwig Von der Pfordten mena une activité diplomatique considérable, mais les possibilités
d’influence n’étaient pas grandes. L’armée bavaroise se trouvait dans un état déplorable.34 Ce
fut de loin qu’elle assista au règlement du conflit. Le souverain bavarois constata la
destruction du front de 1815 : ses territoires n’étaient plus garantis. Le Palatinat pouvait
devenir l’enjeu de l’appétit des puissances. Surtout, la France de Napoléon III était abhorrée
33 Alain GOUTTMAN, op.cit, p37934 Max SPINDLER, op.cit, p279
22
par les dirigeants bavarois, car la France jetait son dévolu sur les pays de la rive gauche du
Rhin, « frontières naturelles » de la France35 : le Palatinat était clairement menacé.
Ainsi, Maximilien II comprit qu’il ne pouvait plus agir seul pour influencer les
grandes décisions internationales. L’armée bavaroise n’était pas assez performante pour
mener une politique extérieure efficace. Clausewitz ne fit pas école dans toute l’Allemagne.
La Confédération devint l’organe par lequel le royaume de Bavière essaya désormais
d’influencer les mesures internationales. La priorité, pour le souverain et son ministre,
consistait à aboutir à une réforme du Deutsches Bund. Cette réforme devait amener un gain de
pouvoir en Allemagne. La Bavière, troisième plus grand Etat d’Allemagne, estimait qu’elle
devait jouer un rôle majeur dans les destinées du Bund. La réforme désirée s’insérait dans le
contexte de la question allemande. Les révolutions allemandes de 1848 avaient montré le vif
intérêt que portaient une partie des allemands pour la question de l’unité. Mais, les années
1850 avaient laissé place à l’« ère de la Réaction » : la Prusse et l’Autriche étaient apparues
comme les gendarmes de l’espace germanique. La Bavière, elle, n’essaya pas de s’attirer les
nationalistes, alors que le royaume bavarois présentait un modèle de monarchie
constitutionnelle qui plaisait aux nationalistes. Cependant, l’univers idéel du roi et le
particularisme bavarois ont eu raison de l’intérêt que les nationalistes pouvaient manifester à
l’encontre de la Bavière.
La guerre de Crimée et le congrès de Paris marquèrent la réalisation d’un nouvel
ordre européen. La France et l’Angleterre furent les grands vainqueurs du conflit. La Russie
était renvoyée à sa modernisation, ainsi que l’empire ottoman qui, en plus, devint tributaire
des anglo-français. L’Autriche se retrouvait isolée pour avoir « eu une politique un peu trop
subtile.»36 Les Etats allemands moyens se voyaient écartés. Cela se ressentit dans les rapports 35 la théorie des « frontières naturelles », fortement propagée en France désignait les pays de la rive gauche du Rhin comme des pays à vocation française. Louis Girard, dans sa biographie de Napolèon3, estime que Louis- Napoléon a abandonné cette idée d’incorporer les pays allemands de la rive gauche du Rhin. 36 Peter RASSOW, op.cit, p572
23
franco-bavarois. Napoléon III incarnait tout ce qui fallait éviter en Bavière : le régime
impérial basée sur le suffrage universel ; l’idée nationale, et les agissements diplomatiques de
Napoléon III inquiétaient. Après avoir ébranlé le front de 1815, où allait-il agir ? L’heure de
l’agrandissement territorial était-il venu ? Maximilien II et son ministre s’interrogeaient sur
les manœuvres françaises. La défense de la Bavière, en piteux état, passait dès lors par la
refonte de la Confédération ou par une alliance durable avec l’une des deux puissances
allemandes.
C. De Paris à l’Italie : la méfiance bavaroise (1856-1859)
1. L’apogée de la diplomatie française en Europe
Au sortir de la guerre de Crimée et du congrès de Paris, toute l’Europe constata
que « l’empereur victorieux apparaissait comme l’arbitre de l’Europe. »37 Avec le retrait russe
et les difficultés de l’Angleterre aux prises avec une gigantesque révolte dans l’Inde, « une
période de prépondérance française s’ouvrait à nouveau. »38 En plus des clauses territoriales
du traité de paix de mars 1856, Napoléon III « attendait davantage de cette imposante réunion
des négociateurs de l’Europe. »39 Il espérait qu’elle « procéda un tour d’horizon de tous les
problèmes qui se posaient sur le continent pour éviter les difficultés futures. »40 Cette volonté
fut manifeste quand le ministre du Piémont, Cavour, fut autorisé d’ « exposer les
revendications piémontaises sur l’état de l’Italie. »41 Cavour expliqua « aux représentants des
puissances que si l’Autriche persistait à maintenir sa domination sur le nord et le centre de la 37 Louis GIRARD, Napoléon III, Paris, Hachette, 1983, p 259 38 ibidem39 ibidem40 ibidem41 ibidem
24
péninsule italienne, [ ] personne ne pourrait empêcher que se développe une nouvelle flambée
révolutionnaire mettant en péril l’ordre européen et la paix entre les nations. »42
Paradoxalement, le congrès, en plus d’entériner la défaite russe, vit se concrétiser
un rapprochement franco-russe. En novembre 1855, le duc de Morny, demi-frère de
l’empereur français, était entré en relations secrètes avec le ministre Gortchakov. Morny était
partisan d’ « une alliance conservatrice » avec le tsar. L’amitié russe apparaissait plus efficace
que l’alliance autrichienne. Pour la Russie, l’alliance autrichienne devenait caduque : l’enjeu
balkanique prenait le pas sur le maintien en Europe du principe de légitimité monarchique.
Napoléon III avait senti le vent tourné pour l’alliance des deux monarchies. En plus des
correspondances de Morny avec Gortchakov, Napoléon III noua des relations avec le
chancelier Nesselrode par l’intermédiaire de M. de Seebach, ministre de Saxe à Paris.43 Le
souverain français pressa Alexandre II de demander la tenue d’un congrès, tout en faisant
entrevoir un rapprochement des deux peuples qui, « fut-ce sur un champ de bataille, ont eu
l’occasion de se rencontrer et de s’estimer mutuellement. »44 Au congrès, l’empereur se posa,
ainsi, comme l’arbitre des différends entre la Russie et l’Angleterre appuyée par l’Autriche.
L’intervention de Cavour au congrès, le 8 avril 1856, attesta des nouvelles
relations que la France entretenait avec le Piémont. Appuyer le royaume italien dans sa
politique extérieure, n’était-ce pas se mettre à dos l’Autriche, qui domine l’espace italien ?
Cavour le savait que trop bien. Dans ce cas-là, l’appui russe eut été plus appréciable.
l’Angleterre, elle, ne pouvait intervenir sur le continent européen. Son armée de terre ne tenait
pas la comparaison avec l’armée française ou russe (par le nombre). Dans tous ces calculs
complexes, Napoléon III comprit qu’il fallait courtiser Alexandre II afin d’isoler Vienne et de
mener une politique révisionniste aux frontières françaises.
42 Pierre MILZA, op.cit, p 35443 Alain GOUTTMAN, op.cit, p 37144 Alain GOUTTMAN, op.cit, p 375
25
Pour parvenir à ces fins, Napoléon III sut, après le congrès, s’attirer la Russie en
l’appuyant dans les Balkans. Comme l’atteste Louis Girard, l’empereur « déploya une intense
activité dans les Balkans [ ], avec la complaisance russe, et souvent au grand dépit des
gouvernements de Vienne. »45 La première manœuvre manifestant le rapprochement franco-
russe fut le soutien apporté par Napoléon à l’union des deux principautés danubiennes. Elles
élirent le même hospodar en la personne d’Alexandre Couza, un noble roumain francophile.46
Ensuite, il orienta son action vers la Serbie et le Monténégro. Ces deux pays étaient ballottés
entre les puissances ottomane, autrichienne et russe. Ils recherchaient leurs autonomies, mais
étaient tributaires de la bonne volonté de l’une des deux puissances chrétiennes pour
s’affranchir du joug ottoman. Napoléon III soutint l’autonomie de la Serbie et du Monténégro
en accord avec la Russie.
La France de Napoléon III, à partir de 1856, s’appliqua à se créer une clientèle
d’Etats. Le Piémont de Victor-Emmanuel, qui, à partir de 1855, avait participé à la guerre de
Crimée, recherchait des appuis afin d’agrandir son royaume et, par là, capter le mouvement
national italien. Napoléon, qui se désignait comme le « prince des nationalités », avait, dans sa
jeunesse, participé à des mouvements insurrectionnels dans l’Italie pontificale. Il lui
apparaissait évident qu’il allait se décider à « faire quelque chose pour l’Italie » au moment
opportun.47 Une Italie à prépondérance française, souhaitée par une partie du pouvoir, dont
principalement le prince Napoléon-Jérôme, chef du camp des « italianistes », emportait les
faveurs du souverain. Il pensait pouvoir contenir la future force du royaume piémontais. Les
années 1857-1858 furent mises à profit pour créer une alliance militaire solide avec le
royaume piémontais tournée contre l’Autriche. En quatre ans de régime napoléonien, la
France recouvrait son honneur d’antan.
45 Louis GIRARD, op.cit, p 25946 Pierre MILZA, op.cit 47 Louis GIRARD, op.cit
26
L’armée française, par son intervention déterminante dans la guerre de Crimée,
redevenait aux yeux de l’Europe, la première armée du monde. Napoléon III pensait que le
moment était venu de mener, au cœur de l’Europe, une diplomatie active au service du
principe des nationalités. L’Italie, par l’intermédiaire du Piémont, allait être son prochain
terrain de jeu.
2. La Bavière et la France au cours de la guerre d’Italie (1859)
Comme le précise Jean Ganiage, « les affaires d’Italie furent certainement la
grande préoccupation du règne. »48 L’attentat d’Orsini, le 14 janvier 1858, constitua
l’évènement décisif. Pas de paix en France si Napoléon n’intervenait pas dans les affaires
d’Italie : voilà le message que comprit l’empereur. Quatre mois après, le 21 juillet,
Napoléon III rencontra le ministre Cavour à Plombières. En sortit une alliance en bonne et
due forme dans laquelle Cavour savait qu’il aurait le cas échéant, et malgré la divergence de
vue, l’appui militaire de la France. Napoléon III, selon Pierre Milza49, n’était pas prêt à voir
se réaliser l’unité de la péninsule. Il optait plutôt pour la création d’une confédération sous
influence française. L’important résidait dans le fait que le Piémont devait apparaître aux
yeux des puissances comme l’agressé.
Dans tous ces calculs, Napoléon ne cherchait pas à obtenir les bonnes grâces des
Etats moyens allemands dont la Bavière. Il savait qu’il n’y avait pas « grand-chose à
attendre de la Bavière et de la Saxe, trop proches des Habsbourg pour ne pas au moins rester
neutre dans le conflit. »50 Les manœuvres de Napoléon en Italie ne pouvaient qu’éveiller des
soupçons sur la conduite diplomatique française. La Bavière, comme toutes les autres unités
48 Jean TULARD, op.cit, p 65649 Pierre MILZA, Napoléon III, op.cit, p 34550 ibidem
27
politiques de moindre importance, se sentait menacée dans son existence même. Napoléon
III ne déclarait-il pas que les individus ont tendance à se réunir dans de grandes unités
politiques. En Bavière, cette ligne de conduite allait à l’encontre des principes fondateurs du
royaume. Bien que le royaume bavarois était l’un des Etats les plus avancés, aussi bien au
niveau politique avec la monarchie constitutionnelle que dans le domaine économique (c’est
le premier Etat allemand à avoir construit une ligne de chemin de fer entre 1833 et 1835)51,
il ne pouvait adhérer aux conceptions politiques françaises ainsi qu’au tour que prenait la
politique extérieure impériale. Maximilien II penchait du côté de l’Autriche. Le roi était
plutôt partisan, au sujet de la question allemande, de la solution « Grande Allemagne »
englobant les possessions non germaniques des Habsbourgs. Bouter Vienne d’ Italie
équivaudrait à un affaiblissement de la position bavaroise en Allemagne.
Pourtant, Napoléon III était décidé à en découdre avec les Habsbourg. Le 1er
janvier 1859, Napoléon III lâcha, lors de la réception du corps diplomatique aux Tuileries, au
comte Hübner, ambassadeur d’Autriche : « je regrette que nos rapports ne soient pas aussi
bons que je désirais qu’ils fussent, mais je vous prie d’écrire à Vienne que mes sentiments
pour l’empereur sont toujours les mêmes. »52 Dans le Piémont, Victor-Emmanuel ne pouvait
rester « insensible au cri de douleur » qui provenait « de tant de parties de l’Italie. »53 Le 26
janvier 1859 fut conclu l’alliance franco-sarde. Cette alliance offensive et défensive était
tournée contre l’Autriche. « Il était précisé que le but de l’alliance était d’affranchir l’Italie de
l’occupation autrichienne et de créer un royaume de Haute-Italie de onze millions
d’habitants. »54 La France obtiendrait la Savoie et le comté de Nice. De plus, « la
souveraineté du pape serait maintenue dans l’intérêt de la religion catholique. »55 Enfin la
France s’engageait à déployer 200 000 soldats aux côtés des 100 000 sardes. L’alliance fut 51 Jean TULARD, op.cit, p12352 Pierre MILZA, op.cit, p 34853 Pierre MILZA, op.cit, p 34954 ibidem, p 34955 ibidem, p349
28
officialisée avec le mariage du prince Napoléon et la princesse du Piémont, Marie-Clotilde.
Le 3 mars fut conclu un traité secret franco-russe.56 La Russie s’engageait dans une neutralité
bienveillante et promettait une pression amicale vers la Prusse.
Alors que Napoléon III tergiversait et voyait avec effroi les conséquences de ces
manœuvres en Italie, « ce furent les autrichiens qui, en fin de compte, prirent la responsabilité
de déclencher la guerre. »57 « Les difficultés intérieures de l’Empire ne permettaient pas au
gouvernement de Vienne de maintenir très longtemps sur le pied de guerre une armée
nombreuse. »58 Le 23 avril 1859, l’empereur d’Autriche François-Joseph envoya un
ultimatum au Piémont leur donnant trois jours pour « cesser leurs préparatifs militaires et
pour démobiliser leur armée. »59 Victor-Emmanuel et Cavour rejetèrent les exigences
autrichiennes. La guerre était donc déclarée. Napoléon III prit le commandement de l’armée.
Le 27 avril 1859, l’armée autrichienne, commandée par Guilay, franchisait le
Tessin. Mais au lieu d’attaquer les piémontais, Guilay attendit la jonction des français avec
les piémontais. La première grande victoire franco-piémontaise eut lieu le 4 juin 1859 à
Magenta. Elle ouvrit la route de Milan, qui fut atteint le 8 juin. Le reste de l’Italie se souleva,
tant et si bien que l’Autriche n’occupait plus que la Vénétie. Le 24 juin, la coalition franco-
sarde remporta la bataille de Solferino, au sud du lac de Garde. Cette victoire obtenue grâce à
un lourd sacrifice des soldats (40 000 morts au total ; 17 500 soldats français)60 devait amener
François-Joseph à accepter les demandes de paix formulées par le général Fleury. Le 11 juillet
fut signé les préliminaires de paix de Villafranca.61
56 Peter RASSOW, op.cit, p 57657Peter RASSOW, op.cit, p 35158 ibidem, p 35159 ibidem, p 35160 ibidem, p 35661 Jean TULARD, op.cit, p 659
29
3. Enseignements sur les rapports franco-bavarois
Ainsi, avec Villafranca, les armes avaient laissé leur place à la négociation. Alors
que la campagne fut assez rapide et que les franco-sardes étaient en mesure de conquérir la
Vénétie, Napoléon invita Vienne à entamer des pourparlers. Pourquoi un tel revirement ?
Au cours du conflit, l’Allemagne s’était réveillée sous la pression de la Prusse.
Magenta et Solferino contribuèrent grandement au revirement allemand.62 La Prusse profitait
des difficultés autrichiennes pour « prendre en main les destinées de l’Allemagne. »63 Vienne
invita les autres Etats allemands au nom du « germanisme bafoué par la France »64 à mobiliser
leurs troupes. L’opinion publique allemande, dans sa grande majorité, s’était enflammée et le
mot d’ordre suivi expliquait que « le Pô devait être défendu sur le Rhin. »65 La Prusse, elle,
décréta la mobilisation partielle le 28 juin et concentra six corps d’armées dans ses régions
rhénanes.66 La Confédération germanique n’avait pu trouver un accord, car François-Joseph
n’acceptait pas de voir la Prusse prendre la tête des armées du Bund.67 Cette intervention de la
Prusse ne permettait pas à l’armée française de combattre sur deux fronts. Villafranca arrivait
donc à point.
Le traité définitif fut signé à Zürich le 11 novembre 1859. Cependant, il ne
contentait personne : le Piémont, qui obtenait la Lombardie, avait été lâché par la France.
l’Autriche, elle, conservait la Vénétie. Les souverains du reste de l’Italie étaient restaurés dans
leurs prérogatives.68 Napoléon III n’avait pu réaliser « l’Italie libre jusqu’à l’Adriatique. »69 et
ne réclama pas la Savoie et Nice. Les patriotes italiens se sentirent abandonnés par l’ancien
62 Max SPINDLER, op.cit, p 28163 Pierre MILZA, op.cit, p 35764 ibidem65 Peter RASSOW, op.cit, p 57766 Jean TULARD, op.cit, p 65967 Peter RASSOW, op.cit, p 57868 Pierre MILZA, op.cit, p 35869 Pierre MILZA, op.cit, p 358
30
carbonari, et lui vouèrent une haine durable. Aussi, le sentiment national allemand réveillé, il
prenait progressivement une tournure anti-française, même après la signature du traité de
paix. Napoléon n’allait-il pas après l’Italie s’ingérer dans les affaires allemandes ? Le principe
des nationalités, qui guidait les actes de Napoléon III, ne faisait-il pas de l’Autriche et de ses
alliés, empire multinational, l’ennemi privilégié du souverain français ?
Pour les Etats allemands petits et moyens, ces interrogations subsistaient. Face à
l’appétit napoléonien, que pouvaient-ils faire ? Se jeter dans les bras d’une des deux
puissances allemandes ou réformer le Bund, pour en faire une entité plus efficace sur le plan
militaire, constituaient a priori les deux seules possibilités d’action pour ces Etats-là.
En Bavière, la guerre avait exacerbé le sentiment pro-autrichien Le cercle des
catholiques conservateurs au Parlement avait apporté son soutien aux revendications
autrichiennes. Ils demandaient la mise en alerte de l’armée bavaroise, quitte à se ranger
définitivement du côté autrichien.70 Ils reculèrent devant l’état lamentable (kläglich) de
l’armée.71 Cependant, le 1er mai 1859, Maximilien II, pressé par la frange des conservateurs
catholiques, fut obligé de se séparer de son premier ministre Ludwig Von der Pfordten, qui
dirigeait les affaires bavaroises depuis 1849. Il fit appel à Karl Freiherr von Schrenk-Notzing
et le nomma ministre d’Etat.72 Il réduisit la capacité d’action de la Bavière à l’extérieur.73 La
position officielle bavaroise était de protéger la force du président du Bund, Vienne en
l’occurrence. Mais la paix signée à Villafranca, sans consulter la Confédération, ne plut guère
à Munich, qui avait soutenu l’Autriche. La Bavière fut, avec les autres Etats allemands
moyens, consciente de la nécessité criante de réformer le Bund. Mais la Prusse et l’Autriche
n’admettaient pas que cette initiative vienne des autres Etats allemands. La France était
honnie par le souverain bavarois et l’opinion publique bavaroise. Ils voyaient d’un mauvais
70 Max SPINDLER , op.cit, p 28071 ibidem72 ibidem, p 28173 ibidem
31
oeil la nouvelle configuration territoriale de l’Europe. La révision des frontières de l’est,
objectif de Napoléon III, entretenait la haine des bavarois et des allemands de l’ouest.
Bien que la paix fût conclue à Zürich, les passions anti-françaises prenaient une
forme singulière en Bavière et en Allemagne. Toutes les couches de la population étaient
concernées. Les petits princes et les monarques se sentaient menacés dans leurs prérogatives.
Napoléon III le sentait, et pour couper court à toutes rumeurs, il proposa une entrevue au
prince-régent de Prusse, Guillaume, afin d’apaiser les craintes des princes allemands. Elle eut
lieu en juin 1860 à Baden-Baden. Les princes allemands, dont le roi Maximilien de Bavière, y
furent conviés. Cependant Napoléon III, comme le confirme Louis Girard, « en dépit de ses
efforts, [ ] ne put calmer leurs appréhensions. Il semblait puissant, prépondérant ; en fait, il
était isolé. »74 Dans les couches populaires, le nationalisme connut une certaine recrudescence
avec la multiplication des fêtes patriotiques, au sein desquelles les sociétés de tir, de
gymnastiques et les chorales jouèrent un rôle prépondérant.75 Maximilien II, dans le souci de
donner « plus de moyens à la recherche historique sur le passé allemand », créa, en 1859, une
Commission pour la recherche des sources et l’étude de l’histoire de l’Allemagne.76Les
partisans de la grande-Allemagne et de la petite-Allemagne aiguisaient leurs arguments à
renforts de faits historiques. La Bavière était animée par le sentiment patriotique
particulariste. La revue catholique la plus répandue en Bavière était les « Historisch-politische
Blätter » (Cahiers de Politique historique). Fondée par Görres, et repris par Edmund Jörg, elle
« menait le combat du point de vue politique et social tel que l’avait défini le romantisme. Ils
s’attaquaient à l’Etat libéral et constitutionnel et à la négation de la société chrétienne. »77 Ils
contribuaient à encrer dans les esprits bavarois le sentiment particulariste et le lien
« indéfectible » qui l’unissait à l’Autriche, sa sœur catholique.
74 Louis GIRARD, op.cit, p 29775 Jean TULARD, op.cit, p3576 ibidem77 Peter RASSOW, op.cit, p 581
32
De 1852 à 1859, les relations franco-bavaroises connurent une période tourmentée.
L’établissement d’un régime impérial qui reprenait les idéaux de la Révolution de 1789 et de
l’aventure napoléonienne effrayait les dirigeants bavarois.
La crise orientale et son prolongement dans le conflit de Crimée ouvrirent une
période de méfiance. Napoléon III n’avait pas cherché à se lier Maximilien II. Pourtant
Maximilien aurait pu être intéressé par une intervention avec les Occidentaux afin de faire
valoir les droits de son frère en Grèce. Maximilien préféra au départ se lier avec la Russie, qui
symbolisait la puissance du statu quo issu du congrès de Vienne. De plus, la Russie orthodoxe
possédait un lien religieux fort avec les Grecs. Aider la Russie pouvait permettre la croissance
du royaume d’Othon Ier. L’occupation du Pirée en 1854 changea la ligne fragile que tenait la
Bavière. La défense du droit des grecs passait par le poids de la Confédération en matière
internationale.
Le congrès de Paris mit fin au conflit. Les relations franco-bavaroises s’en
ressentirent. Le roi bavarois n’apprécia pas sa mise à l’écart lors du congrès : les destinées de
l’Europe pouvaient être faites sans la Bavière. Douloureux constat pour ce souverain
conscient de la mission historique et « divine » qu’il lui était attribuée. Tout cela ne pouvait
aider le souverain à apprécier Napoléon III. Ils ne pouvaient trouver un modus vivendi afin
d’entrevoir une politique commune. Du congrès de Paris à l’intervention en Italie, les
relations des deux pays se tendirent. La Bavière craignait aussi bien un éventuel conflit
austro-français que la révision des frontières de la France à l’Est, corollaire, semblait-il,
d’une quelconque défaite autrichienne.
33
Avec l’intervention en Italie, Napoléon III avait réveillé les sentiments
nationalistes dans toute l’Europe. Les cercles nationalistes européens pensaient avoir trouvés
en Napoléon un prince de la Providence, un serviteur de la cause des Nations contre
l’oppression des monarchies de droit divin. Seulement, le nationalisme en Allemagne se
développa contre Napoléon III : ils ne pouvaient admettre au nom du concept d’Etat-Nation la
perte d’un morceau de territoire de langue germanique .78 Plus Napoléon montrait des velléités
de révision des traités de 1815, plus il devenait urgent pour les Etats allemands moyens en
général et la Bavière en particulier d’organiser une réforme de la Confédération germanique
dans une perspective plus unitaire.
II. La Bavière face au révisionnisme français (1859-1866)
A. Paris et Munich face à la question allemande
1. La Bavière et la Confédération germanique : vers une réforme ?
Avec la guerre d’Italie, le sentiment national allemand avait été ranimé. Les
journaux se déchaînèrent contre la France, ennemi héréditaire de l’Allemagne. L’Autriche
s’était vue châtier en Italie. Son pouvoir s’amenuisait et elle perdait son influence en
Allemagne au profit de la Prusse. Aussi, les menaces de Napoléon III sur les frontières de
l’est poussaient les Etats moyens allemands, dont la Bavière, à hâter une réforme du Bund.
78 Pour le concept d’Etat-Nation, voir Thomas NIPPERDEY, Réflexions sur l’Histoire allemande,
34
La réforme du Bund n’était pas une question neuve. Dès la dissolution du Saint
Empire Romain Germanique, en 1806, la question de l’organisation politique allemande
s’ouvrait. La création de la Confédération germanique en 1815 constituait un retour aux
principes « anciens » et ne satisfaisaient guère les partisans de l’unité. Ainsi les révolutions de
1848 s’étaient manifestées contre cet ordre. Le parlement de Francfort cherchait une solution
à la question allemande, mais il achoppait sur le problème des frontières et du fédéralisme.
Car, comme le souligne Peter Rassow, « la réforme de la Confédération allait être
soumise uniquement au jeu des forces politiques intérieures de l’Allemagne… »79 Chaque Etat
cherchait à préserver ses intérêts au mieux. Pour l’Autriche et la Prusse, le but de la réforme
était de bouter l’autre grande puissance des affaires allemandes. Trois évènements allaient
contribuer à éclaircir la situation politique de l’Allemagne.
La Prusse, qui menait une politique hostile à l’égard de l’Autriche, avait cherché,
au cours de la guerre d’Italie, à prendre le contrôle militaire du Deutsches Bund, mais Vienne
s’y opposait fermement. Berlin continuait pourtant à promouvoir une résolution de la question
dans une vue petite-Allemagne. Les classes sociales allemandes attachées à l’idée de l’unité
nationale étaient tiraillées entre les deux grandes puissances. Un mouvement de libéraux-
démocrates se forma en 1859, et prit le nom de Deutscher National Verein (Ligue nationale
allemande), avec à sa tête le libéral hanovrien Rudolf von Bennigsen.80 Cette ligue se donnait
pour mission de promouvoir la convocation d’une assemblée nationale et de délimiter la
future Allemagne dans sa version petite- Allemagne.81 Toute cette effervescence donnait à
Guillaume, prince-régent de Prusse, des moyens d’actions afin d’augmenter le pouvoir royal
en Allemagne. Il proposa de commencer la réforme du Bund par « une réforme du règlement
de guerre de la Confédération. »82 Pour Rassow, le prince-régent de Prusse « n’avait vraiment
79 Peter RASSOW, Histoire de l’Allemagne, des origines à nos jours, Paris, J.Horvarth, 1972, p 58880 Jean TULARD, Dictionnaire du second Empire, Paris, Fayard, 1995, p 3581 ibidem82 Peter RASSOW, op.cit, p 588
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pas d’arrière-pensée et ne méditait pas de constituer une Grande-Prusse. Son projet était
simplement né du besoin d’assurer la défense de l’Allemagne en face de la puissance
française. »83 Seulement les Etats allemands, ainsi que Vienne, ne pouvaient accepter cet acte
de « pure générosité ». Berlin dirigea son action ensuite vers l’Autriche en lui faisant miroiter
une solide alliance qui rendrait la Mitteleuropa inexpugnable. Les négociations semblèrent
aboutir, « mais dans le fond on était devenu encore plus méfiant et plus étranger l’un et
l’autre qu’auparavant. »84
Parallèlement, le Royaume de Bavière tentait, avec les Etats moyens allemands, de
trouver une place ente les deux puissances majeures. Plusieurs conférences eurent lieu de
1859 à 1861. Elles s’efforcèrent de dégager une autre voie à l’unité.85 Lors de ces conférences,
Maximilien II demandait l’élargissement des compétences du Bund : l’institution d’une
citoyenneté allemande ; instauration d’un même système judicaire et d’un même code civil et
pénal. La Prusse et l’Autriche rejetèrent ces propositions. A propos de la réforme de la
constitution militaire de la Confédération (die Bundeskreigsverfassung), les Etats moyens
demandèrent la création de trois haut-commandements militaires. Deux reviendraient aux
deux grandes puissances allemandes. Le troisième était quémandé par la Bavière. Mais le
projet échoua devant la résistance prussienne et l’incapacité des Etats moyens à contraindre la
Prusse.86
De fait, la question allemande, réveillée par l’intervention française en Italie,
n’obtenait de solution politique. Le seul domaine, où il semblait que l’unité progressait, était
le domaine économique. La période 1859-1863 vit la politique du Zollverein (Union
douanière) prendre une tournure plus politique. Crée en 1830, à l’instigation de la Prusse, elle
avait pour but de créer une grande association économique d’Etats. La Bavière s’était jointe à 83 ibidem84 ibidem85 Max SPINDLER, Bayerische Geschichte im 19 und 20 Jahrundert 1800 bis 1970, Munich, CH Beck, 1978, p25786 ibidem
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l’association dès sa création, et en avait tiré des bénéfices substantiels. La Prusse maintenait
l’Autriche hors du Zollverein, mais certains Etats membres, dont la Bavière, poussaient la
Prusse à accepter l’entrée de l’Autriche. Pour Berlin, l’instrument de politique international
que représentait le Zollverein, ne pouvait être partagé avec l’Autriche. C’est dans ces
conditions qu’eut lieu, le 29 mars 1862, la signature d’un traité de commerce franco-
prussien.87 La Prusse n’avait pas demandé l’accord de ses partenaires du Zollverein, alors que
« leur approbation était indispensable. »88 La Bavière, suivie par les autres Etats membres de
Zoll et « aiguillonnés par l’Autriche, »89 rejetèrent le traité franco-prussien. S’en suivit une
lutte d’influence entre la Prusse et l’Autriche. La Bavière et les Etats moyens allaient-ils
soutenir Vienne jusqu’ à la dénonciation totale du Zoll ? Un traité avec la France ne permettait
–il pas à la Prusse de se passer de la Bavière et des autres Etats allemands ?
Dans cette lutte d’influence, le troisième évènement notable fut la proposition
d’une réforme du Bund par l’Autriche. Le traité de commerce franco-prussien emmena
Vienne à réagir sur le plan politique. Alors que la Prusse était empêtré dans un conflit
institutionnel entre le Parlement et le Roi à propos de la Constitution prussienne, Vienne
proposa en août 1863 un nouveau projet de réforme du Bund. Ce projet visait à maintenir le
« système d’une confédération d’Etats »90 tout en renforçant les institutions fédérales. Un
directoire de six princes aurait pour tâche le domaine exécutif. Il serait réparti entre trois
sièges permanents (pour l’Autriche, la Prusse et la Bavière) et trois renouvelables.91 Ce projet
constituait « un compromis avec les aspirations du mouvement national, »92 mais Berlin ne
voyait dans cela qu’une tentative de plus pour accroître le pouvoir de Vienne au sein de la
Confédération. Bismarck, chancelier de Prusse depuis septembre 1862, déclarait que toute
87 Jean TULARD, op.cit, p 3588 Peter, RASSOW, op.cit, p 59089 ibidem90 Jean TULARD, op.cit, p 3691ibidem 92ibidem
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réforme du Bund devait se faire sur la base de l’égalité entre la Prusse et l’Autriche. Le conflit
rebondit lors de la conférence des princes de Francfort, le 16 août 1863, qui devait discuter le
projet autrichien. A deux reprises, le nouveau roi de Prusse Guillaume refusa de venir à la
conférence. Bien que le projet fut entériné par vingt quatre des trente souverains présents,
dont Maximilien II, le fait que la Prusse n’y participa pas, sonna le glas du projet.
En 1863, la question allemande n’avait toujours pas trouvé de solution.
Maximilien II n’avait pourtant pas ménagé ses efforts, mais il ne pouvait trouver des moyens
coercitifs pour amener les deux grandes puissances à aboutir à un modus vivendi. Ainsi, deux
constats étaient certains: d’une part l’entente austro-prussienne était précaire en ces temps.
D’autre part la réalisation de l’unité allemande ne pouvait sortir de discussions purement
diplomatiques. Comme l’annonçait Bismarck dès son arrivée au pouvoir, en commission du
budget : « les grands problèmes de l’heure ne seraient pas tranchés par des discours et des
votes parlementaires, mais qu’ils le seraient par les armes et par le sang. »93
2. Napoléon III et l’Allemagne : la préférence prussienne ?
Napoléon III, victorieux en Italie, entreprit une politique allemande dans deux
directions : dans le cadre économique, avec le traité franco-prussien de 1862, et dans le cadre
politique avec l’appui apporté à la Prusse dans les affaires allemandes. Les relations franco-
bavaroises n’étaient pas au beau fixe : Maximilien II n’acceptait pas une éventuelle éviction
de l’Autriche de la Confédération qu’impliquait une entente entre la France et la Prusse. Il
n’avait pu accepter l’éviction de la Prusse en 1863 lors de la conférence des Princes, il n’allait
pas accepter celle de l’Autriche.
93 Peter RASSOW , op.cit, p 592
38
Le traité économique fut proposé par Napoléon III au régent de Prusse Guillaume
dès la conférence de Baden-Baden en juin 1860.94 Napoléon III relança l’idée auprès de
Guillaume, lors de l’entrevue de Compiègne, en octobre 1861. Guillaume y fut favorable et
des négociations commencèrent. Celles-ci aboutirent à la signature du traité de commerce
franco-prussien de mars 1862. Pour la Prusse, le lien nouveau, qui l’unissait à la France et aux
puissances occidentales (Angleterre, Belgique), mettait à mal les projets de création d’un
Zollverein d’Europe centrale poursuivie par l’Autriche. Pour Napoléon III, les traités libre-
échangistes, outres leurs causes intérieures, avaient des motifs d’ordre extérieur.
Dans la question allemande, le traité avec la Prusse allait en l’encontre des intérêts
autrichiens. Napoléon, par ce traité, isolait un peu plus l’Autriche dans le monde germanique
et s’impliquait dans une solution petite-Allemagne. De plus, l’empereur pensait obtenir, avec
le traité, « des sympathies en Allemagne, notamment celles des milieux d’affaires, et aussi à
obtenir l’accord de la Prusse et des Etats du Sud pour atteindre ses objectifs sur le Rhin. »95
En politique extérieure, la France recherchait en plus du traité, l’appui prussien, le
« Piémont du Nord », pour mettre un pied en Allemagne. Avec la nomination du comte Otto
von Bismarck comme ambassadeur de France, et surtout ensuite comme nouveau chancelier
de Prusse à partir de septembre 1862, les relations franco-prussiennes semblaient se
réchauffer. Bismarck était un farouche partisan d’une alliance française .afin « de soustraire
l’Allemagne à la pression autrichienne. »96 Il eut d’abord pour tâche de faire appliquer le traité
commercial par les membres récalcitrants du Zollverein (Wurtemberg, Bavière, Hesse grand-
ducale, et le Nassau).97 La tentative autrichienne de 1863 pour créer un grand Zollverein
d’Europe centrale tout « en se déclarant prête à reconstituer une Association douanière avec
les Etats qui accepteraient le traité franco-prussien, [mit] les Etats du Sud au pied du mur. »98
94 Jean TULARD, op.cit, p 3595 Raymond POIDEVIN, les relations franco-allemandes, p 6596Raymond POIDEVIN, op.cit, p 56 97Raymond POIDEVIN, op.cit, p 5798 Raymond POIDEVIN, op.cit, p 58
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Seules le Wurtemberg et la Bavière tentèrent de maintenir la pression, mais devant la panique
des milieux économiques, ils cédèrent face aux exigences prussiennes. Le 1er juillet 1865
rentrait en application le traité de commerce franco-prussien élargi à l’ensemble du
Zollverein. Napoléon III a ainsi aidé la Prusse à accroître son influence économique en
Allemagne. Pour Bismarck, le traité fut utilisé « pour satisfaire les libres-échangistes et se
donner un air libéral et surtout pour renforcer la mainmise prussienne sur le Zollverein. »99
Napoléon III pensait bien pouvoir avec ce traité économique inaugurer une
alliance politique. Bismarck n’y était pas contre. Seulement il ne voulait pas se sentir
tributaire. Bismarck fut accueilli à Paris en octobre 1862. Il cherchait de bonnes relations avec
la France en vue d’un conflit entre la Prusse et l’Autriche. Mais comme l’affirme Raymond
Poidevin, aucune cession territoriale n’a été avancé au cours des conversations entre Bismarck
et Napoléon III.100 Ces conversations ne débouchèrent pas sur une alliance, mais chacun
pensait avoir obtenu les bonnes grâces de l’autre dans l’éventualité d’un conflit. Car pour les
deux Etats il existait un ennemi commun, Vienne en l’occurrence : il était peut être possible
de trouver une entente sur quelques points.
Néanmoins, les évènements internationaux rattrapèrent cette entente. Les
évènements d’Italie, de la fin de la guerre avec l’Autriche à la proclamation du royaume
d’Italie en mars 1861, donnèrent un nouvel espoir aux peuples, qui vivaient dans des
conditions politiques similaires.101 L’Europe de l’Est fut particulièrement touchée. La
Pologne, en tant qu’unité politique, n’existait plus depuis les traités de 1815, mais le
sentiment national demeurait, aidé par une ferveur religieuse, qui plaçaient les polonais, en
majorité catholique, sous la domination de deux puissances non-catholiques : la Prusse et la
Russie. En 1861, le clergé polonais incita ses fidèles, dans la Pologne russe, à manifester
99 ibidem100Raymond POIDEVIN, op.cit, p 66101 Jean TULARD, op.cit, p 661
40
pacifiquement en chantant des prières et des cantiques.102 Cet évènement marqua le début de
l’affaire polonaise.
Les puissances européennes ne restèrent pas indifférentes. Car les russes, pour
répondre aux revendications polonaises et « sous prétexte de conscription, déportèrent les
hommes en âge de porter les armes.» 103 Le cycle guérilla-contre-guérilla, avec comme point
culminant l’insurrection du 22 janvier 1863, marqua les opinions publiques occidentales
(France, Belgique et Angleterre) et plus particulièrement Napoléon III. Il ne pouvait oublier
que son oncle avait ressuscité le duché de Varsovie. Ressusciter une Pologne à influence
française serait indéniablement un avantage considérable. De plus « Nation catholique
persécutée par des orthodoxes, elle était chère aux fidèles catholiques. »104 « Des républicains
à Montalembert » l’opinion publique française était unanime et elle désirait voir son empereur
intervenir auprès des puissances pour plaider la cause polonaise. Dans ses démarches
diplomatiques, il s’aperçut que seules la Prusse et la Russie refusaient de voir la résurrection
de la Pologne. Même l’Autriche, qui détenait une partie de la Pologne, se joignit à la
démarche de la France.
Mais Napoléon III hésitait à entrer en guerre pour la Pologne. Cela gênait les
relations avec la Prusse et la Russie. Pouvait-il aller jusqu’à la guerre ? Il préféra demander la
tenue d’un congrès international pour sauver la Pologne. Pour lui, « chaque fois que des crises
profondes ont secoué les bases et déplacé les frontières des Etats, des pactes solennels sont
intervenus pour coordonner les éléments nouveaux consacrer, après une révision, les
transformations accomplies. »105 Mais comme l’atteste Louis Girard « il y a dans tout cela
une part d’utopie, de rêve. Les grandes assises européennes ont mis fin à de longues guerres :
102 Louis GIRARD, Napoléon III, Paris, Fayard, 1986, p 328103 Louis GIRARD, op.cit, p 329104 ibidem105 Louis GIRARD, op.cit, p 332
41
comment les Etats du 19ème siècle accepteraient-ils de céder des provinces sans même avoir
été vaincus. »106
Car Napoléon III, en même temps, esquissait un remaniement conséquent de
l’Europe. Des projets furent lancés, comme celui de l’impératrice Eugénie avec l’ambassadeur
autrichien Richard de Metternich, en février 1863, auprès de l’Autriche afin de l’emmener à
s’allier à la France contre la Russie et la Prusse. 107 En échange de la Vénétie, et de la Galicie,
Vienne obtiendrait la Saxe, la Silésie prussienne, voir la Bavière.108 La Suède annexerait la
Finlande et peut-être le Danemark. L’Empire ottoman disparaîtrait et laisserait place à une
confédération d’Etats. La France obtiendrait des compensations sur la rive gauche du Rhin.109
Ces remaniements impliquaient une alliance solide avec Vienne. Mais Vienne refusa,
méfiante à l’égard de la politique française. De plus elle « aurait dû céder des provinces
qu’elle possédait contre des espérances fort problématiques. »110
La crise polonaise a eu pour conséquence le refroidissement des rapports franco-
prussiens. La Prusse, par l’intermédiaire de Bismarck, se rangea du côté russe. En février
1863, il dépêcha le général Alvensleben à Saint-Pétersboug afin « de négocier un accord
prévoyant, en cas de besoin, une intervention armée de la Prusse. »111 Le rapprochement
prusso-russe se fit sur le dos de la Pologne. Ils avaient un intérêt commun : garder la Pologne
sous la domination du condominium prusso-russe et contrer les prétentions de la France pour
la défunte Pologne. Les évènements polonais inauguraient ainsi une période d’entente entre la
Prusse et la Pologne.
Ces frictions franco-prussiennes n’empêchèrent pourtant pas un certain
rapprochement de s’opérer. L’expédition du Mexique, réalisée en grande partie par la France,
106Louis GIRARD, op.cit, p 333 107 Raymond POIDEVIN, op.cit, p 67108 Pierre MILZA, Napoléon III, Paris, Perrin, 2004, p 517109 Pierre MILZA, op.cit, p 518110 Louis GIRARD, op.cit, p 331111 Raymond POIDEVIN, op.cit, p 66
42
vit un Hohenzollern monter sur le trône. La Roumanie, ensuite, vit monter un autre
Hohenzollern sur le trône. Napoléon III n’avait pas été passif dans ces manœuvres
diplomatiques. Il pensait bien s’offrir les faveurs de la Prusse. Bismarck en était conscient,
mais pour lui seul l’intérêt de son pays prévalait. Ce rapprochement culmina lors de l’entrevue
de Biarritz, en octobre 1865.
Pour les relations franco-bavaroises, les évènements évoqués ne pouvaient que
mettre à mal une éventuelle entente. Les projets français de remaniement complet de l’Europe
faisaient même de la Bavière un enjeu des puissances. La Bavière pouvait-elle être rayée de
la carte ? De plus, la famille des Wittelsbach était de plus en plus isolée en Europe. Mise à
part l’Autriche, alliée « naturelle », Maximilien II ne trouvait guère d’appuis en Europe et
dans la Confédération. Le trône de Grèce, occupé par un Wittelsbach, n’a pu être conservé.
Après trente années de règne, Othon dû s’enfuir en octobre 1862.112 La France et les autres
puissances n’essayèrent pas de rétablir le trône du Wittelsbach, et se mirent à la recherche
d’un nouveau souverain.113
B. Paris et Munich face à la crise des duchés danois
1. La question des duchés
La cause profonde, qui amena la crise, résidait dans l’antagonisme des
nationalismes danois et allemand.114 Cette crise s’insérait aussi dans l’antagonisme austro-
prussien. Les duchés du Schleswig, du Holstein, et de Lauenbourg appartenaient depuis
112 Georges CASTELLAN, Histoire des Balkans, Paris, Fayard, 1991, p 269113 ibidem114 Jean TULARD, op.cit, p 449
43
1460115 au roi du Danemark, mais « il y avait communauté de souverain, entre le royaume et
les duchés mais pas d’union politique »116 : le Holstein et le Lauenbourg étaient peuplés
d’allemands et faisaient partis de la Confédération, alors que le Schleswig était composé
d’allemands et de danois.117 Au 19ème siècle, tant que les duchés gardaient un aspect
fédéraliste, le roi du Danemark y maintenait son pouvoir. Seulement le roi Christian VIII et
son successeur Frédéric VII, cherchaient à incorporer le duché du Schleswig dans le royaume
danois. La tension fut à son comble en 1848. La crise fut résolue par la conférence de
Londres de mai 1852. Il fut reconnu que les trois duchés « auraient dans le cadre de l’Etat
danois, leur propre administration et leurs propres assemblées régionales. »118 De plus, la
famille des Augustenbourg renonçait à ses droits sur les duchés. Cependant, « cet
arrangement, vu l’entrecroisement des droits, ne pouvait constituer qu’un statut
provisoire. »119
En 1863, l’agitation nationale au Danemark fit ressurgir la question des duchés.
Frédéric VII, et son successeur Christian IX de Glücksburg poursuivaient une politique
d’union nationale. Ils cherchaient à proclamer la constitution des Danois de l’Eider « c’est à
dire l’incorporation du Schleswig au royaume. »120 Cette politique impliquait une
« dégermanisation » du Schleswig, et en premier lieu l’interdiction de l’allemand dans les
églises et écoles. Seulement, cette politique se heurtait aux nationalistes allemands du
Schleswig-Holstein.
Le 19 mars 1863, l’assemblée des Etats du Holstein demanda la protection de la
Confédération germanique en réponse à la violation du protocole de Londres. Le Schleswig fit
115Jean TULARD, op.cit, p 450116 ibidem117 Jacques BINOCHE, Histoire des relations franco-allemandes de 1789 à nos jours, Paris, Armand Colin, 1996, p 30118 Peter RASSOW , op.cit, p 600119 ibidem120 ibidem
44
de même, mais la Confédération se dit incompétente juridiquement.121 Dans un premier temps,
la Bavière, en accord avec le Hanovre, envoya un ultimatum allemand à Copenhague. Devant
le refus danois, la Bavière décida, le 9 juillet 1863, de mettre cette menace à exécution, sans
grand effet.122
Au congrès des Princes de Francfort d’août 1863, l’Autriche, conjointement avec
les autres princes, décida de stopper toute nouvelle initiative danoise. Le ministre saxon von
Beust essaya de convaincre François-Joseph de proclamer le droit des Allemands sur les
duchés. Ainsi, il se mettrait en tête du mouvement national, et court-circuiterait les initiatives
prussiennes.123
Le 18 octobre 1863, les Etats de la Confédération germanique optèrent pour une
exécution fédérale à l’encontre du Danemark pour qu’il respecta la patente de Londres.124 En
réponse, le Parlement danois décida, le 13 novembre 1863, d’appliquer une nouvelle
Constitution commune au Danemark et au Schleswig. Le 17 novembre mourrait Frédéric VII.
Son successeur Christian IX ratifia la nouvelle Constitution. Frédéric d’Augustenbourg
réclama des droits sur les deux duchés. Pour lui, seul son père avait renoncé à ses droits lors
de la conférence de Londres.
En Allemagne, la Prusse et l’Autriche s’opposèrent, le 23 décembre 1863, à
l’initiative de la Bavière et des Etats moyens allemands de reconnaître les droits de Frédéric
d’Augustenbourg sur les duchés.125 Par contre, les troupes saxonnes et hanovriennes
occupèrent, au nom de la Confédération, le Holstein afin de contraindre le Danemark à
respecter les clauses de Londres.126 Pour les deux grandes puissances allemandes, cette crise
devait se régler entre les puissances garantes du traité de Londres. Or, des cinq puissances
121Jean TULARD, op.cit, p 125 122 ibidem123 Jean TULARD, op.cit, p 451124 ibidem125 ibidem126Jean TULARD, op.cit, p 37
45
cosignatrices de la patente, seules Vienne et Berlin semblaient se soucier du problème. Paris
laissait les mains libres à la Prusse. Londres cherchait à préserver l’intégrité du Danemark,
mais elle ne songeait pas à intervenir militairement pour aider un allié traditionnel. Londres
fit, tout de même, des avances à Napoléon III pour aboutir à une médiation armée.127 Et pour
St-Pétersbourg, empêtré dans ses réformes de modernisation, elle n’interviendrait pas tant que
ses intérêts étaient sauvegardés.
Face au déchaînement du patriotisme allemand, « seul Bismarck semblait garder
son sang-froid.»128 Son but, dans cette affaire, était « non seulement de séparer les duchés du
Danemark, mais encore de les incorporer à la Prusse. »129 Pour ce faire, il ne devait pas
provoquer l’Europe. Il restait sur la ligne des traités de Londres. Ainsi il proposa à Vienne une
action diplomatique commune. Il demanda aussi à la Diète de Francfort d’expulser Frédéric
d’Augustenbourg du Holstein, qui l’occupait avec les troupes fédérales saxonnes et
hanovriennes.
Le 16 janvier 1864, Vienne et Berlin s’accordèrent sur une attitude commune.130
Ils annonçaient leur volonté d’agir contre le Danemark en qualité de puissances cosignatrices
du traité de Londres. Ils refusèrent de reconnaître les droits de Frédéric d’Augustenbourg sur
les duchés. Parallèlement, ils envoyèrent au Danemark un ultimatum réclamant le retrait de la
Constitution des danois de l’Eider. Appuyée par le cabinet britannique de Palmerston, le
Danemark rejeta les exigences austro-prussiennes.
Le 1er février 1864, les armées austro-prussiennes franchirent l’Eider et pénétrèrent
dans le Schleswig. La guerre contre le Danemark débutait.
127 Raymond POIDEVIN, op.cit, p 67128 Jean TULARD, op.cit, p 451129 ibidem130Jean TULARD, op.cit, p 37
46
2. La Bavière face à la question des duchés
Dans la question des duchés, la France s’était abstenue d’une quelconque
intervention. Napoléon III avait préféré laisser les mains libres à Bismarck, espérant ainsi
avoir quelques compensations sur le Rhin.131 Maximilien II de Bavière et son successeur
Louis II tentèrent de résoudre la question des duchés dans le cadre de la Confédération. Cela
pouvait –il déboucher sur une réforme du Bund favorable à la Bavière ?
Lorsque la crise éclata, en mars 1863, la Bavière, en accord avec le Hanovre,
proposa d’envoyer un ultimatum au Danemark. Le 9 juillet, elle mit à exécution sa menace.
Sans véritable effet. Le roi du Danemark persistait dans sa politique de « dégermanisation.»
Au congrès des Princes d’août 1863, Maximilien II encouragea, avec le ministre saxon von
Beust, François-Joseph à intervenir fermement au nom de la Confédération germanique. Mais
l’Autriche préféra, après quelques tergiversations, s’allier à la Prusse que de reconnaître les
droits de l’Augustenbourg. Car la Bavière était résolue à défendre les droits de Frédéric
d’Augustenbourg. Elle cherchait à promouvoir l’idée de l’indépendance des duchés dans le
cadre de la Confédération germanique. Une bonne partie de l’opinion publique bavaroise et
allemande s’étaient rangée du côté de Frédéric d’Augustenbourg. Des intellectuels, tels
l’historien Ranke, attendaient, avant tout, la proclamation « du droit qu’ [avaient] les duchés
à disposer d’eux-mêmes »132 car « c’est là un droit imprescriptible appartenant à tous les
peuples. »133 La Bavière obtint des soutiens d’autres Etats allemands tels que le Wurtemberg,
la Saxe et le Bade. Cependant dans cette tentative de Munich, « l’Autriche et la Prusse avaient
vu une initiative des Etats moyens tendant à contester leur leadership. »134
131 Louis GIRARD, op.cit, p 335132 Jacques BAINVILLE, Louis II, Paris, Tallandier, 1927, p 92133 ibidem134 Jean TULARD, op.cit, p 126
47
De plus, « elles craignaient [ ] que toute atteinte aux accords de Londres n’aboutit
à l’intervention des puissances européennes »135 Le 3 mars 1864, François-Joseph demanda
énergiquement à Maximilien II de renoncer à défendre les droits du duc d’Augustenbourg.
Car deux guerres venaient de commencer. Une concernait le Holstein, occupé par des troupes
saxonnes et hanovriennes, qui était dirigée par la Confédération. L’autre était menée par les
deux grandes puissances allemandes afin de faire respecter par le Danemark les accords de
Londres pour le Schleswig.136
Du 1er mars 1864 au 9 mai 1864, les évènements militaires démontrèrent la
supériorité du duo austro-prussien. Le 9 mai, devant la débâcle danoise, les puissances
européennes décidèrent d’intervenir en imposant un armistice aux belligérants. La tenue d’une
conférence à Londres fut alors décidée.
Cette conférence réunissait les signataires des accords de Londres. Pas question
d’admettre les Etats moyens allemands. Les droits d’Augustenbourg ne furent pas reconnus.
Mais la conférence ne déboucha sur rien de concret : l’attitude résolue des danois, le refus
russe et anglais d’un plébiscite, souhaité par Napoléon III, eurent raison des bonnes
intentions. La Prusse et l’Autriche étaient donc dégagés, pour un temps, des pressions
internationales.137 Parallèlement, le duc Frédéric d’Augustenbourg tentait auprès de Guillaume
Ier de faire valoir ses droits. Il consentait à devenir duc des nouveaux duchés tout en
abandonnant certains attributs de la souveraineté à la Prusse. Guillaume Ier y était favorable,
mais refusa sous la pression véhémente de Bismarck.
Car les évènements militaires continuaient et pouvaient peut-être créer un rapport
de force plus favorable à la Prusse. Le prince Frédéric-Charles de Prusse avait pris le
commandement des troupes. Il poursuivit l’invasion du territoire danois, dont les plans
135 ibidem136 ibidem137 Peter RASSOW, op.cit, p 603
48
avaient été préparés de longue date par le général von Moltke. Ironie du sort, il avait servi en
tant que jeune officier dans l’armée danoise.138 Le 25 juin 1864, les troupes austro-prussiennes
débarquèrent sur le port d’Alsen.139 Tout l’archipel danois était désormais sous la menace
directe des troupes austro-prussiennes. Le 1er août 1864, le Danemark signait, à Vienne, des
préliminaires de paix.140 Le Danemark devait céder les trois duchés du Schleswig, du Holstein
et du Lauenbourg aux deux puissances victorieuses.
En Bavière, la crise des duchés constituait la première épreuve internationale du
nouveau roi Louis II. Comme le déclarait Jacques Bainville : « on veut que la mort du roi
Maximilien ait été hâtée par les inquiétudes que lui causait le sort de la Bavière. »141 A son
avènement sur le trône de Bavière, le 10 mars 1864, Louis II était un jeune homme de dix-
neuf ans.142 Il poursuivit, dans un premier temps, la politique de son père. Il chargea Von den
Pfordten de défendre les droits de Frédéric d’Augustenbourg. Pour le ministre, il ne fallait pas
régler la question des duchés hors de la Confédération. Ce qui concernait les allemands,
devait concerner la Confédération. Mais comment contraindre les deux puissances à concerter
les autres Etats allemands ?
3. De la fin du conflit danois au statut précaire de Gastein
Les préliminaires de paix allaient aboutir à la signature du traité de paix du 30
octobre 1864.143 Les hostilités avaient cessé à partir du 1er août. Le 22 août, à Schönbrunn, eut
lieu une rencontre entre Guillaume Ier et François-Joseph, les deux vainqueurs. Dès ce
138 Jean TULARD, op.cit, p 38139 Peter RASSOW, op.cit, p 603140 ibidem141 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 91142 Max SPINDLER, op.cit, p 293143 Jean TULARD, op.cit, p 38
49
moment-là, Bismarck annonçait que la Prusse devait annexer les duchés car l’Autriche n’avait
pas d’intérêts dans cette partie de l’Allemagne du nord. L’Autriche, pour Bismarck, n’avait
pas le choix si elle voulait conserver de bonnes relations avec la Prusse.144 François-Joseph
réclama, en compensation, le comté de Glatz, mais Guillaume Ier refusa catégoriquement. Le
23 août, en visite à Munich, Bismarck réitéra ses dires au ministre Ludwig Von den
Pfordten.145 Pour le ministre bavarois, cette prétention constituait une menace directe pour la
Bavière et les autres Etats allemands. Un rapprochement avec l’Autriche était souhaitable afin
de contraindre la Prusse à revoir ses exigences.
La paix définitive fut signée le 30 octobre 1864 à Vienne.. Le Danemark cédait ses
droits sur les trois duchés du Schleswig, du Holstein, et du Lauenbourg. A la place était créé
un condominium austro-prussien. Pour l’Autriche, cette paix équivalait à une quasi-défaite.
Les intentions avouées de Bismarck n’annonçaient rien de bon pour elle. Comment pouvait-
elle défendre ses intérêts dans cette région sans le concours des petits Etats allemands ? Ne
venait-elle pas de les ignorer dans la résolution de la crise des duchés ? Comment retrouver
leurs confiances ? Vienne était donc dans l’embarras, sans appuis solides en Allemagne. Pour
Bismarck, cette paix devait inéluctablement déboucher sur l’annexion des duchés à la Prusse.
Dans la crise, il « avait clairement montré que tout ce qui pouvait contribuer à accroître la
puissance de la Prusse passait, pour lui, avant le problème de l’unification de
l’Allemagne. »146
La réaction de Vienne arriva le 12 novembre. Tentant de reprendre la main et de se
liguer les Etats de la Confédération, François-Joseph souhaitait voir les duchés être remis au
duc d’Augustenbourg. Ce souhait, il l’exprima en déclarant qu’il voyait dans Frédéric
d’Augustenbourg le futur duc de Schleswig-Holstein.147 Pour la Bavière et les autres Etats de
144 ibidem145 Max SPINDLER, op.cit, p 295146 Jean TULARD, op.cit, p 38147 ibidem
50
la Confédération, l’appui de Vienne venait à point nommé. Seule la Prusse refusait de
reconnaître le duc. Bismarck réagit à la manœuvre diplomatique autrichienne en réclamant
des droits spécifiques pour la Prusse en Schleswig-Holstein. Il réclamait l’adoption par le
futur duc d’une convention militaire prévoyant que les soldats du duc devraient prêter serment
devant le roi de Prusse.148 Le duc refusa devant les prétentions exorbitantes de Bismarck.
En mars 1865, Bismarck prit la décision unilatérale de transférer la marine de
guerre prussienne de Dantzig à Kiel « où il fit commencer d’importants travaux
d’aménagement à visées militaires. »149 En même temps, les juristes du roi de Prusse
affirmèrent que le duc d’Augustenbourg n’avait aucun droit d’héritage sur les duchés.
En réponse, Vienne demanda à ce que l’avenir des duchés fût résolu par la Diète
de Francfort. Bismarck rétorqua qu’il n’était possible pour Vienne de s’écarter de la ligne du
traité de Vienne. L’appel à la Diète de Francfort constituait pour la Prusse une violation du
traité.
Le 14 août 1865, alors que la guerre se précisait, les deux puissances arrachèrent
un accord. La convention de Gastein prévoyait le maintien de la souveraineté austro-
prussienne sur les duchés. Elle attribuait l’administration du Holstein à l’Autriche et celle du
Schleswig à la Prusse. La Prusse était autorisée à transférer sa flotte de guerre à Kiel. Le
duché de Lauenbourg était donné contre paiement d’une indemnité à Guillaume Ier.
La convention de Gastein entérinait un statut précaire des duchés. Bismarck l’avait
voulu ainsi. Il se liait l’Autriche dans une partie de l’Allemagne où les intérêts de Vienne
étaient faibles. L’intransigeance autrichienne devait amener la rupture. Pour les Etats moyens
allemands, Bavière en tête, cette convention constituait un précédent juridique. Un pays
allemand avait vu son sort réglé par deux puissances sans consultation de la Diète ? Après le
148 ibidem149 ibidem
51
Schleswig-Holstein, les deux puissances pouvaient–elles s’accorder pour faire de même avec
d’autres Etats allemands ?
C. Paris et Munich lors de la guerre austro-prussienne
1. De la convention de Gastein à l’entrée en guerre
Comme l’avait prévu Bismarck, la convention de Gastein ne constituait qu’un
statut précaire. Il devait lier Vienne aux prétentions prussiennes, ou, en cas de refus de celle-
ci, créer un élément de rupture entre les deux puissances. Car Bismarck était décidé à
employer la force pour bouter l’Autriche des affaires allemandes. Il cherchait à gagner du
temps pour préparer au mieux la rupture.
En Europe, les puissances semblaient neutralisées. L’affaire danoise avait
clairement montré que dans cette partie de l’Allemagne, les intérêts étrangers étaient forts,
mais qu’une mésentente entre Londres et Paris, plus une bienveillance russe à l’égard de la
Prusse, était à l’origine de la passivité des puissances européennes. Pour Bismarck, il suffisait
de rééditer le même coup contre Vienne. Londres n’avait aucun intérêt majeur à défendre en
cas de conflit austro-prussien. La Russie était en mauvais terme avec Vienne dans les
Balkans, et « conservait une neutralité bienveillante à l’égard de la Prusse»150, seule puissance
à l’avoir aidé contre l’insurrection polonaise. La France s’était apparemment rangée du côté
prussien espérant quelques compensations. Le nouveau royaume d’Italie était tenté de
s’affranchir de la France et recherchait des appuis pour récupérer Rome et la Vénétie.
L’Autriche récoltait les fruits de sa politique extérieure des plus ambiguë : de son attitude
150 Peter RASSOW,op.cit, p 606
52
envers la Russie lors de la guerre de Crimée au rapprochement austro-prussien dans l’affaire
danoise, Vienne n’a pu trouvé d’alliés solides.
En Allemagne, la reconduction du Zollverein en 1864, après d’âpres résistances
des Etats du Sud, constituait un nouvel élément de puissance pour la Prusse. Comme évoquée
plus haut, la Mitteleuropa économique ne se réalisa pas. Les Etats du Sud avaient tenté
d’organiser une résistance afin d’admettre l’Autriche dans le Zoll, mais ils ne pouvaient
rompre totalement avec la Prusse, car l’Union douanière apportait bon nombres d’avantages
économiques.151
La convention de Gastein, compromis précaire, montrait ses limites dès 1866.
L’Autriche cherchait à reprendre la tête de la Confédération, en soutenant ouvertement la
propagande en faveur du duc d’Augustenbourg dans le Schleswig-Holstein. Le 23 janvier
1866, une manifestation eut lieu à Altona, dans le Schleswig-Holstein. Appuyée par Vienne,
elle réclamait la réunion d’une assemblée des Etats des deux duchés.152 Pour Bismarck, cette
initiative, si elle persistait, constituait un motif de rupture de la convention de Gastein.153
Vienne répliqua en informant Berlin que toute ingérence de la Prusse dans le Holstein serait
considérée comme la fin de l’alliance. A Berlin, lors du Conseil de la Couronne du 28 février,
la question de l’entrée en guerre fut abordée.154 « Chacune des deux puissances décida de son
côté, de ne rien faire pour précipiter la guerre, mais de ne rien faire non plus pour l’éviter
désormais »155 Les préparatifs de guerre commençaient.
Le 9 avril 1866, Bismarck déposa un projet de réforme du Bund. Le projet
prévoyait l ‘élection d’un parlement élu au suffrage universel.156 Il serait chargé de discuter les
projets de réformes de la Confédération.157 Ce projet constituait une atteinte majeure aux 151 Jean TULARD, op.cit, p 41152 ibidem153 ibidem154 Peter RASSOW, op.cit, p 607155 ibidem156 ibidem, parlement élu « d’après la loi électorale révolutionnaire de 1849 »157 Jean TULARD, op.cit, p 41
53
intérêts de l’Empire d’Autriche en Allemagne. De plus le projet se référait sciemment aux
préceptes des libéraux, des démocrates et des nationalistes de toute l’Europe. Accepter ce
projet signifiait pour l’Autriche la perte probable, par le même procédé, de ses possessions
non-allemandes. François-Joseph, en réponse, décréta la mobilisation générale. Le 1er juin, il
demanda à la Diète de résoudre le problème des duchés de l’Elbe. Bismarck dénonça la
convention de Gastein et envoya ses troupes occuper le Holstein.
Le 10 juin, Bismarck se montra plus agressif. Il déposa un projet de réforme dans
le sens petite –Allemagne : « exclusion de l’Autriche, commandement des troupes fédérales
du Nord à la Prusse, de celles du Sud à la Bavière, élection d’un parlement au suffrage
universel direct. »158
Le 12 juin, Berlin rompit les relations diplomatiques avec Vienne. Le 14 juin,
Vienne demanda la mobilisation générale de tous les contingents non prussiens de la
Confédération, à l’exception des trois corps d’armées autrichiens. En réponse, Berlin déclara
qu’elle quittait la Confédération. La guerre, qui allait décider du sort de l’Allemagne,
commençait.
2. Paris et Munich : de l’escalade à la guerre austro-prussienne
Dans le conflit qui se précisait, Paris et Munich eurent des politiques différentes et
peu convergentes. Que pouvaient bien rechercher les deux capitales dans un conflit austro-
prussien ?
158 Jean TULARD, op.cit, p 42
54
En France, le rapprochement opéré par la France et la Prusse, dès 1860, porta ses
fruits en 1865. Avec la convention de Gastein, Napoléon III avait compris que ce n’était que
le début d’une politique d’exclusion de l’Autriche des affaires allemandes. Soit il fallait s’y
opposer et donc renouer avec Vienne, l’ennemi de la veille. Soit consentir en espérant obtenir
quelques « pourboires ».
En octobre 1865, eut lieu la rencontre de Napoléon III et de Bismarck à Biarritz.
Bismarck y vint s’assurer de la neutralité française dans l’éventualité d’un conflit austro-
prussien. Cependant aucun engagement précis ne sortit de l’entrevue, malgré la cordialité de
celle-ci.159 Au préalable, Bismarck avait déclaré au chargé d’affaires français à Berlin, que la
France pourrait obtenir des accroissements territoriaux « dans la sphère d’action que la
similitude de langue et de race lui assignait. »160 Lors de l’entrevue, par contre « chacun restait
sur ses gardes.»161 Napoléon III évoquait principalement le « boulet vénétien » et restait évasif
sur d’éventuelles compensations en cas de victoire prussienne.162 Bismarck retint de
l’entrevue que la France n’interviendrait pas dans un conflit austro-prussien. Napoléon III
poussa même Bismarck à rechercher une alliance du côté italien, qui se concrétisa le 8 avril
1866 par un traité militaire. Comme le déclara Thouvenel, Bismarck « [était] un gaillard
heureux d’avoir pour rien ce qu’il nous aurait payé, si nous l’avions voulu. »163
Mais, en cette année 1866, Napoléon III hésitait à se ranger si facilement d’un
côté. Il reprit une position plus neutre, cherchant à se faire l’arbitre du conflit en marche. Il
chercha auprès de Vienne quelques garanties. Le 12 juin 1866, alors que les relations austro-
prussiennes étaient rompues, l’empereur français conclut un traité secret avec Vienne. Dans
ce traité, la France garantissait sa neutralité contre la cession de la Vénétie en cas de victoire
159 Pierre MILZA, op.cit, p 540160 Jean TULARD, op.cit, p 40161 Pierre MILZA, op.cit, p 540162 ibidem163 ibidem
55
autrichienne.164 De plus, l’Autriche devrait autoriser la création d’un « nouvel Etat
indépendant allemand sur le Rhin.»165 A Bismarck, il donnait son approbation à
l’agrandissement de la Prusse en terre germanique avec des agrandissements français en
Allemagne. Bismarck ne voulait pas s’engager de trop. Il s’accommodait de la neutralité
française alors que la guerre débutait.
En Bavière, Louis II était dans une situation délicate. Il ne pouvait explicitement
rester neutre. Naturellement, il se rangea du coté autrichien. Pour le souverain, c’était la
nation allemande, par l’intermédiaire du Bund, qui était agressée par la Prusse. Mais, dans la
préparation de la guerre, l’attitude bavaroise serait déterminante pour les autres Etats moyens,
c’était pourquoi elle était courtisée par Vienne et Berlin.166 Bismarck proposa à Von den
Pfordten, ministre de Bavière depuis décembre 1865, de créer une confédération des Etats du
Sud à hégémonie bavaroise.167 Malgré l’intérêt que pouvaient porter les puissances envers la
Bavière, cette dernière préférait éviter une guerre austro-prussienne afin de prévenir une
intervention française dans le Palatinat bavarois.168
Pourtant, la guerre se précisait. Le 9 mai 1866, face au discours de Napoléon III
qui était une attaque en règle des traités de 1815, la Bavière mobilisa dans le Palatinat.
Parallèlement, une conférence des Etats moyens se tint à Bamberg. Elle appela les deux
puissances allemandes à interrompre les préparatifs de guerre.169
Cependant, en tant que puissance de la Confédération, elle ne pouvait rester neutre.
Devant les diverses propositions de Bismarck de réformes du Deutsches Bund, elle se rangea
du côté autrichien. Louis II ne pouvait accepter l’établissement d’un parlement élu au suffrage
universel. Avec l’occupation du Holstein et le nouveau projet de réforme du Bund proposée
164 ibidem165 ibidem166 Jean TULARD, op.cit, p 126167 Max SPINDLER, op.cit, p168 Jean TULARD, op.cit, p 126169 ibidem
56
par la Prusse le 10 juin 1866, la rupture était inévitable. Le 14 juin, La Bavière vota avec
l’Autriche une exécution fédérale à l’encontre de la Prusse. Les forces de la Confédération
furent mobilisées.
3. Enseignements sur les relations franco-bavaroises
Le 3 juillet 1866, les prussiens et autrichiens se rencontrèrent à Königgrätz
(Sadowa). L’antagonisme austro-prussien devait se jouer dans cette partie de la Bohême. La
défaite autrichienne marqua la fin de la domination de la famille des Habsbourg sur l’espace
germanique. La Prusse venait d’obtenir, par sa victoire, son affranchissement à l’égard de
l’Autriche. Faire l’unité allemande, Bismarck n’y songeait pas, pour l’instant. Car l’Autriche,
le lendemain de Königgrätz, fit appel à la médiation de Napoléon III.170 Cette dernière aboutit
à la signature des préliminaires de paix de Nickolsbourg, le 26 juillet 1866. Le 23 août, la
signature du traité de paix entre l’Autriche et la Prusse reprit les stipulations de Nickolsbourg.
L’Autriche acceptait la dissolution du Deutsches Bund et les annexions de la Prusse au nord
(Schleswig-Holstein, Hanovre, Hesse électorale, Nassau et Francfort). De plus, elle devait
payer une indemnité de quarante millions de thalers. Enfin, elle était exclue de tout système
d’union avec les autres Etats allemands.
Königgrätz symbolisait ainsi la rupture définitive des allemands avec la maison
des Habsbourg. La voie de la petite-Allemagne était tracée. Mais beaucoup d’obstacles
subsistaient à l’extérieur et à l’intérieur de l’espace germanique. La France et la résistance des
Etats moyens allemands devaient empêcher la réalisation de cette Allemagne prussienne. La
170Jean TULARD, op.cit, p 43
57
Confédération de l’Allemagne du Nord, qui se créa à la sortie du conflit, ne correspondait
qu’à une Grande-Prusse : tant que la ligne du Main n’était pas dépassée, cette configuration
devait subsister.
En France, Sadowa avait été mal accueilli. Tous les calculs de Napoléon III
reposaient sur l’espoir de voir le conflit perdurer.171 Soit il faisait payer sa neutralité au prix
fort, soit il intervenait militairement, aux côtés d’une des puissances. Avec Sadowa, bien des
calculs tombèrent. Pourtant Napoléon III reprit la main grâce à la demande de médiation
autrichienne du 4 juillet 1866. Il pensait pouvoir limiter les prétentions prussiennes. Mais la
France ne pouvait offrir qu’une médiation amicale : une médiation armée, souhaitée par
Drouyn de Lhuys, était exclue à cause du pacifisme de l’opinion publique française et de la
possibilité de créer un vent de patriotisme en Allemagne, qui pourrait se retourner contre la
France.172 Cette médiation « timide » aboutit aux préliminaires de paix de Nickolsbourg et à la
paix définitive de Prague. Napoléon III s’était fait l’arbitre du conflit. Il avait obtenu la
Vénétie et contraint la Prusse à négocier. Mais les français avaient tout de même « le
sentiment d’avoir été vaincus sans avoir combattu.»173 La ligne suivie, après Sadowa, était de
trouver quelques compensations à cet agrandissement de la Prusse.
En Bavière, la mobilisation avait commencé dès le 9 mai 1866. Devant
l’inéluctabilité de la crise, le 2 juillet, Louis II exhorta son peuple à se battre au côté de
l’Autriche « pour les droits et l’honneur de l’Allemagne, pour la dignité et l’indépendance et
pour l’avenir de la grande nation, [ ] et pour le maintien de la Bavière en tant que membre
indépendant et respectable de la grande patrie allemande.»174 Les armées du Sud, formées de
80 000 soldats, étaient relativement bien équipées et formées.175 Elles étaient divisées en deux
corps d’armées et commandées par le prince Karl de Bavière. Cependant, elles ne 171 Pierre MILZA, op.cit, p 540172Pierre MILZA, op.cit, p 541173 Louis GIRARD,op.cit, p 380174 Jean TULARD, op.cit, p 127175 Max SPINDLER, op.cit, p 297
58
s’impliquèrent pas fortement dans le conflit. Louis II et son ministre cherchaient à « laisser les
alliés et l’ennemi s’user et se combattre. »176 La défaite des hanovriens à Langensalza le 29
juin contraint les armées du sud à se replier sur la Bavière. Du 9 juillet au 16 juillet, les
armées du Sud sont balayées à Kissingen, Helmstadt et Rossbrunn.177 La défense du territoire
de chaque participant avait pris le pas sur une défense militaire commune avec l’Autriche : ils
préférèrent gaspiller « leur forces dans des engagements locaux. »178
Alors que les armées prussiennes, mieux formées et équipées, s’enfonçaient dans
le pays bavarois, von den Pfordten tenta de régler la situation diplomatiquement. Lors d’une
conférence à Munich, du 20 et 21 juillet, le Bade, la Bavière et le Wurtemberg s’accordèrent
pour demander un armistice et l’ouverture de négociations de paix. Le ministre bavarois
cherchait à négocier avec l’Autriche afin d’apaiser les exigences prussiennes. Bismarck, lui,
préféra dissocier les négociations.
La Bavière était isolée. La Prusse neutralisait la France en lui faisant miroiter le
gain du Palatinat bavarois.179 Le 22 août 1866, la Bavière signa le traité de paix.180 Elle devait
verser une indemnité de trente millions de florins. Elle cédait un cinquième de son territoire à
la Prusse. Le traitement apparaissait doux par rapport à d’autres souverains, tel Georges V au
Hanovre, qui se voyaient dépouillés de leurs biens. »181 Enfin, elle signait un traité secret
d’alliance offensive et défensive avec la Prusse, qui outrepassait l’idée d’une confédération
des Etats du sud émise lors du traité de paix de Prague.
Avec la défaite face aux armées prussiennes, la Bavière revenait à la situation
qu’elle connut dans la Confédération du Rhin du temps de Napoléon Ier : indépendante
théoriquement, elle subit peu à peu les exigences militaires de la Prusse. C’était un premier
176 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 101177 ibidem178 Jean TULARD, op.cit, p 42179 Jean TULARD, op.cit, p 127180 Max SPINDLER, op.cit, p 298181 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 104
59
pas franchi vers l’unité version petite-Allemagne. Elle était des plus isolée : son allié
traditionnel venait de se faire bouter des affaires allemandes. La France cherchait auprès de
Bismarck le gain du Palatinat bavarois. Cette affaire du Palatinat bavarois avait permis à
Bismarck de contracter un traité militaire avec Louis II. La Bavière préférait-elle être sous
influence prussienne, française ou ne plus avoir d’existence réelle : voila les questions que dû
se poser le jeune Louis II.
De 1859 à 1866, les relations franco-bavaroises connurent une période de
méfiance et d’animosité. La guerre d’Italie constituait une menace réelle pour les intérêts
bavarois. Napoléon III déclarait bien volontiers que son pays avait les yeux tournés vers le
Rhin. Mais, d’un autre côté, il déplorait que l’Allemagne n’ait pas de Savoie. En Allemagne,
il poursuivit une politique pro-prussienne. Cette politique lui apparaissait en accord avec le
principe des nationalités, qui guide son action diplomatique. De plus, la Prusse cherchait à
évincer l’Autriche des affaires allemandes. Napoléon III vit dans la Prusse et à partir de 1862
dans Bismarck un acteur, qui pouvait être le continuateur de la politique impériale en
Allemagne. Il pensait pouvoir maîtriser et contenir cette nouvelle force. Ce rapprochement se
faisait sur le dos de l’Autriche et des autres Etats allemands. Napoléon III laissa les mains
libres à Bismarck afin de réduire la puissance autrichienne en Allemagne. Car Vienne restait
le principal Etat garant de l’ordre international.
60
La réforme du Bund et la question des duchés constituaient au cours de la période
1859-1866 les questions brûlantes auxquelles s’attelaient les puissances. La réforme du Bund
vit apparaître trois forces antagonistes : les deux puissances rivales Autriche et Prusse, et le
groupe des Etats moyens. Les querelles à propos de la version d’une Allemagne nouvelle
subsistaient. Mais dans ce début des années 1860, la situation en Allemagne était des plus
précaire. La Prusse, vers laquelle étaient tentés de regarder les libéraux et nationalistes
allemands, s’engageait dans un rapport de force avec son parlement contre les idées
constitutionalistes. Par contre, Vienne s’engageait douloureusement dans une politique
constitutionnelle à l’égard des minorités nationales de son empire.
La crise des duchés danois allait régler la question de l’unité allemande. Ouverte
en 1863, elle aboutit à l’éviction de l’Autriche des affaires allemandes. Le monde germanique
rompait, sous le coup de force prussien, les liens séculaires qu’il entretenait avec la maison
des Habsbourg. La Confédération de l’Allemagne du Nord, avec à sa tête la Prusse, devenait
la force majeure de l’espace germanique. Les quatre Etats allemands du sud (Bavière,
Wurtemberg, Bade, Hesse-Darmstadt) restaient indépendants mais comprenaient qu’un grand
pas venait d’être franchi dans la réalisation de l’Allemagne à hégémonie prussienne. La
France, elle, voyait que Bismarck n’avait pas eu besoin d’elle militairement : Napoléon avait
consenti à l’accroissement de puissance prussienne, mais il s’apercevait qu’elle était déjà
assez puissante pour balayer les armées autrichiennes. Pourtant, il poursuivit sa politique pro-
prussienne, conscient qu’il était arrivé à un point de non-retour. Un retour « timide » à une
politique pro-autrichienne fut entrepris, mais les désaccords étaient nombreux.
61
III. Du réchauffement à la fin des relations franco-bavaroises (1866-1870)
A. Paris et le monde germanique
1. La politique des compensations
Avec la victoire de Sadowa, Bismarck venait de démontrer que la Prusse était une
puissance de premier ordre. Elle venait de s’émanciper de la tutelle autrichienne. Napoléon III
constatait sans plaisir que ses plans avaient échoué. Il cherchait à sauver la face en réclamant
quelques compensations sur la frontière de l’Est. L’opinion publique française s’était
retournée au cours du mois de juillet 1866 : l’élan pacifique laissait place à une envie de
châtier la Prusse.182 La politique impériale était contestée par les français, qui reprochaient à
l’empereur d’avoir mal joué. Comme l’écrivit Magne, un ancien ministre, « le sentiment
national serait profondément blessé si, en fin de compte, la France n’avait obtenu de son
intervention que d’avoir attaché à ses flancs deux voisins dangereux [Prusse et Italie] par leur
puissance démesurément accrue. »183 Profitant de l’ouverture du régime, les partisans d’une
politique traditionnelle en Allemagne et en Italie s’associaient aux opposants de gauche pour
le déstabiliser. Selon le souverain, réparer Sadowa devenait un enjeu de politique intérieure.
L’empereur ne pouvait qu’agir face à ce qu’Eugénie qualifiait de « commencement de la fin
de la dynastie. »184
182 Louis GIRARD, Napoléon III, Paris, Fayard, 1986, p 382183 ibidem184 ibidem
62
Alors qu’il avait accepté les conditions de Bismarck, il se mit à réclamer des
compensations. Le 23 juillet, un jour après les préliminaires de Nickolsbourg, Napoléon III,
par l’intermédiaire de Drouyn de Lhuys, fit sa première demande de compensation. Elle
portait sur le retour aux frontières de 1814, sur la cession du Palatinat bavarois et la
démilitarisation du Luxembourg.185 Le 5 août, Bismarck répondait à l’ambassadeur français
Benedetti qu’il ne pouvait donner suite à ses requêtes : « Pas un pouce de territoire allemand »
déclara-il à l’envoyé français. Cette demande permit à Bismarck d’obtenir un traité militaire
avec la Bavière. Cette dernière constatait qu’elle ne pouvait trouver dans l’empereur français
un protecteur : sa situation diplomatique et militaire lui ordonnait d’en trouver un. Valait
mieux se fondre dans un ensemble dominé par le « mauvais frère »186, que d’être une monnaie
d’échange entre les puissances. En réponse au refus de Bismarck, Napoléon III renvoya
Drouyn de Lhuys, et affirma ne pas avoir réclamer de compensations. Rouher se chargea des
affaires diplomatiques.187
Pour apaiser l’opinion publique, qui voyait que la France n’était plus cette grande
nation, politiquement et militairement puissante, Rouher entama de nouveaux pourparlers
avec le chancelier prussien. Cette fois-ci, il était question d’un agrandissement en Belgique et
au Luxembourg.188 Bismarck ne pouvait refuser catégoriquement sans risquer une rupture
avec la France. Elle cherchait à se lier la Prusse avec un traité.189 Napoléon III espérait une
bonne entente avec la puissance de l’Europe du nord. Cela aurait permis de créer un nouvel
ordre européen. En attendant, les discussions traînèrent. Bismarck préférait se garder d’une
alliance avec la France. L’annexion de la Belgique correspondait à un vieux et doux rêve
qu’avait esquissé l’empereur dès le début de son règne.190 Pour lui, il n’existait pas de
185Louis GIRARD, op.cit, p 382186 Jacques BAINVILLE, Louis II, Paris, Tallandier, 1927, p 103187 Louis GIRARD, op.cit, p 384188 Pierre MILZA, Napoléon III, Paris, Perrin, 2004, p 542189 ibidem190 Louis GIRARD, op.cit, p 385
63
nationalité belge et « il ne se faisait pas de scrupules d’attenter à l’indépendance d’une petite
nation voisine. »191 Seulement, il savait qu’il rencontrerait l’inimitié de l’Angleterre. Le
Luxembourg, lui, appartenait au roi des Pays-Bas : pour l’annexer, Napoléon III devait
compter sur le consentement de la Prusse, mais aussi sur celui de l’Angleterre.
Le 16 septembre 1866, Napoléon III exposa, par l’intermédiaire de la circulaire
« La Valette », ses intentions à propos de sa politique allemande.192 Elle était une exposition
claire de « la doctrine napoléonienne.»193 L’empereur déclarait que la coalition des trois cours
du Nord (Prusse, Autriche, Russie) de 1815 était brisée ; qu’il ne fallait pas avoir peur d’une
Prusse plus puissante, car, tout comme l’Italie, elle se rapprochait des conceptions politiques
françaises. La France ne devait empêcher et être effrayée par l’émergence de grands Etats
nationaux en Europe, dont elle serait à la tête. La circulaire se poursuivait sur une enquête
démographique des Etats d’Europe. Ce recensement montrait la supériorité démographique
française : France et Algérie avec 40 millions d’habitants contre 29 pour la Confédération de
l’Allemagne du Nord par exemple.194 Mais la circulaire finissait sur un constat amer : « Les
résultats de la dernière guerre indiquent que nous avons besoin d’améliorer sans délai notre
organisation militaire pour la défense de notre territoire. « 195 Comme le dit Louis Girard, « la
destruction soi-disant tant attendue des traités de Vienne n’avait eu pour résultat que de
contraindre la France à augmenter sa puissance militaire. »196 Les « idées napoléoniennes »
pouvaient-elles mettre en danger la France ? C’était ce que dénonçaient les tenants d’une
politique basée sur le morcellement politique de l’Italie et de l’Allemagne. La recherche de
compensations devait ainsi satisfaire l’opinion publique et les opposants : c’était une question
de prestige.
191 ibidem192 Louis GIRARD, op.cit, p 386193 ibidem194 Louis GIRARD, op.cit, p 387195 ibidem196 ibidem
64
2. Echec de la politique de compensations
La politique française de compensations se heurtait ainsi à la volonté de Bismarck,
qui ne comptait pas se laisser manipuler. Les manoeuvres françaises étaient mal venues : la
France n’avait pas les moyens militaires et donc diplomatiques pour imposer sa volonté à
Bismarck. L’homme d’Etat prussien savait bien que les armées françaises étaient empêtrées
au Mexique, et dans les colonies africaines et asiatiques. La France avait constaté que la
Prusse s’était agrandie sans son concours militaire ; que, contrairement à l’Italie, elle pouvait
se protéger toute seule.197 Dans les pourparlers à propos des compensations, le rapport de
force avait changé. Et il n’était plus favorable à la France.
En septembre 1866, l’ambassadeur Benedetti avait soumis à Bismarck un projet de
traité concernant l’annexion de la Belgique et du Luxembourg. Bismarck reçut le projet, mais
il n’en dit rien.198 Napoléon III commençait à préparer l’annexion de Luxembourg, pensant
que le silence de Bismarck correspondait à un acquiescement. L’annexion du petit duché
devait être le prélude à l’annexion de la Belgique.199 Dès novembre 1866, Napoléon III
entama des pourparlers directement avec la Haye.200 Le roi des Pays-Bas accepta la cession
du duché contre une forte indemnité. Mais il demanda l’assentiment de la Prusse. Or,
Bismarck déclara, le 1er avril 1867, qu’il n’acceptait pas cette cession sans l’accord du peuple
allemand.201 Devant ce refus, le roi des Pays-Bas cessa les négociations avec la France. Ce
retournement fut un camouflet pour la politique extérieure de la France. Napoléon III, devant
197Louis GIRARD, op.cit, p 385198 Jean TULARD, Dictionnaire du second Empire, Paris, Fayard, 1995, p 136199 Louis GIRARD, op.cit, p 385200 Jean TULARD, op.cit, p 136201 Louis GIRARD, op.cit, p 394
65
cette perte de prestige, songea à entrer en guerre contre la Prusse, mais il en fut dissuadé par
le maréchal Niel, nouveau ministre de la Guerre. L’armée n’était pas préparée ; les effectifs
étaient insuffisants et les meilleures unités n’étaient pas sur le continent.202 Il fut contraint
d’accepter la tenue d’une conférence internationale à Londres pour mai 1867. La réunion
déboucha sur la neutralisation du Luxembourg. Le duché restait la propriété du roi des Pays-
Bas. La garnison prussienne devait évacuer le duché et la forteresse devait être démontée.203
Avec la conférence de Londres, il apparaissait clair que Bismarck ne comptait aider la France
à s’agrandir. Au lieu de résoudre le différend franco-prussien, la conférence l’avait exacerbé :
« un diplomate [avait] compar[é] l’arrangement de Londres à celui de Gastein ; une simple
halte dans la marche vers la guerre. »
La discorde franco-prussienne rebondit en 1868 à propos des chemins de fers du
Luxembourg. En janvier 1868, la compagnie de l’Est obtint, grâce à une société privée
luxembourgeoise, l’exploitation des lignes du Luxembourg pour quarante-cinq ans. De plus,
deux compagnies de chemins de fers belges, qui étaient endettées, rentrèrent en négociations
avec la compagnie de l’Est pour l’exploitation du réseau belge. L’acquisition était en bonne
voie et permettait à la France d’acquérir un avantage stratégique, avec la ligne Bâle-
Luxembourg, en cas de conflit avec la Prusse. Il pouvait aussi permettre l’annexion à terme de
la Belgique. Mais le gouvernement belge, poussée par Londres, refusa une telle acquisition.
Clarendon, premier ministre anglais, sentait que Bismarck poussait Napoléon III vers la
Belgique afin d’envenimer les relations franco-anglaises.204 L’affaire fut réglée en avril 1869 :
les contrats étaient annulés et la Belgique garantissait des indemnités conséquentes aux
entreprises ferroviaires françaises concernées.205
202 Pierre MILZA, op.cit, p 543203 ibidem204 Louis GIRARD, op.cit, p 401205 Jean TULARD, op.cit, p 136
66
Ainsi, après Sadowa, la politique extérieure menée par Napoléon III connaissait
des difficultés considérables. La carte prussienne avait échoué et s’était même retournée
contre son créateur. Les calculs, qu’il avait entrepris, tournaient en permanence autour de
l’alliance avec la Prusse. Mais cette alliance, Bismarck n’en a pas voulu. Il préférait n’être
redevable de personne. Face à ce camouflet, la diplomatie française allait se tourner vers
l’Autriche afin de conclure une alliance pour effacer les erreurs nées de la défaite
autrichienne.
3. Vers un rapprochement avec l’Autriche
A partir de 1868, il était clair pour Napoléon III, qu’il devait croiser le fer avec la
Prusse. Elle avait affaibli le prestige de la France. L’alliance autrichienne aurait permis de
reprendre la main en Allemagne. L’Autriche ne cherchait-elle pas à réparer les conséquences
de Sadowa ? Une attaque franco-autrichienne contre la Prusse pouvait-elle satisfaire les deux
parties ? Dans ce cas, n’est-ce pas pour Napoléon III se contredire ? Ce retour brusqué à une
politique extérieure « traditionnelle » constituait-il un facteur de stabilité et de lisibilité pour
l’opinion publique française ?
En tout cas, dans la panique qui s’emparait du corps diplomatique tout entier, le
rapprochement avec l’Autriche s’opérait. Dès avril 1867, Napoléon proposait à François-
Joseph une alliance offensive et défensive.206 Elle prévoyait après la victoire commune sur la
Prusse, que l’Autriche puisse former une confédération d’Allemagne du Sud. L’Autriche
pourrait s’emparer de la Silésie, perdue au début du 19ème siècle. La France occuperait la rive
206 Pierre MILZA, op.cit, p 543
67
gauche du Rhin. L’alliance n’aboutit pas, car Vienne ne consentait à céder des territoires
allemands, mais les marques d’amabilités se multipliaient. Vienne était préoccupé d’abord
par sa situation intérieure. La défaite de Sadowa correspondait à une défaite du camp
allemand dans l’Etat habsbourgeois. Les Hongrois se sentaient renforcés dans la volonté de
s’emparer d’une partie du pouvoir et d’obtenir une large autonomie.207 Beust fut chargé de
changer la Constitution. De ce changement naquit l’Autriche-Hongrie dernière version. Ceci
devait amener des modifications dans la conduite de sa politique extérieure. La défense de
l’indépendance des Etats de l’Allemagne restait tout de même une priorité de Vienne. Mais
les intérêts à défendre passaient plus par les Balkans désormais que par un retour de la
puissance habsbourgeoise en Allemagne. Beust cherchait, en cette année 1868, à recréer le
front de Crimée : une coalition contre la Russie devait amener la Prusse à s’aliéner les
courants nationalistes allemands en cas d’intervention aux côtés des russes.
Napoléon III ne désirait pas s’en tenir à des paroles de pure forme avec François-
Joseph. En août 1867, le couple impérial français se rendit à Salzbourg rencontrer François-
Joseph et Elisabeth. Cette rencontre fut suivie de discussions politiques.208 Les discussions ne
débouchèrent pas sur un traité définitif, vivement souhaité par Napoléon III. Malgré cet échec,
l’Europe constatait que le rapprochement franco-autrichien prenait corps de jour en jour. Dans
ce rapprochement, l’Autriche voulait élargir les discussions avec l’Italie de peur d’avoir une
puissance hostile sur son flanc sud.209 Napoléon y était favorable. Mais les discussions
achoppèrent sur deux obstacles. D’abord la question romaine entravait l’éventualité d’une
entente. L’Autriche, en tant que puissance catholique ne pouvait se résoudre à laisser Rome
au royaume d’Italie. Il en allait de même pour Napoléon III, qui ne voulait pas s’aliéner les
catholiques français. Ensuite, l’Italie réclamait la cession par l’Autriche du Trentin. Refus
207 Peter RASSOW, Histoire de l’Allemagne, des origines à nos jours, J.Horvath, 1972, p 646208 Jean TULARD, op.cit, p 87209 ibidem
68
catégorique de François-Joseph. L‘intransigeance des différents dirigeants sur la question
romaine ne permit pas d’aboutir à la conclusion d’un accord.
La politique pro-prussienne de Napoléon III dans la première moitié des années
1860 avait au bout du compte affaiblit le régime à l’extérieur mais aussi à l’intérieur. La
politique « désespérée » de rapprochement avec l’Autriche n’eut pas de conséquences
sécurisantes pour la France. Elle aurait pu être suivie d’un rapprochement avec les Etats du
sud de l’Allemagne. Mais il n’en fut rien. De 1867 à 1870, la France apparaît de plus en plus
isolée en Europe. Toute sa politique extérieure, depuis le début du régime impérial, venait de
subir un revers important. L’ensemble des capitales européennes avait des griefs à l’encontre
de Napoléon III. Le voir, dans une certaine mesure, subir une défaite diplomatique ou
militaire ne les gênaient pas.
B. Munich et l’Allemagne : le projet « Triade »
1. 1866 : fin du projet ?
La Bavière, dans l’espace germanique, occupait une place de choix. Troisième Etat
après la Prusse et l’Autriche, elle cherchait, depuis le début du 19ème siècle, à se créer une zone
d’influence en Allemagne. Face à l’antagonisme austro-prussien montant, elle pensait pouvoir
trouver son bonheur en proposant une troisième voie dans la réalisation de l’unité allemande.
L’unité allemande restait la question la plus préoccupante dans les années 1850-1860. Mais
69
chaque Etat avait une conception particulière de la future unité : le morcellement politique de
l’Allemagne fut un des obstacles majeurs à l’unité prônée par les révolutionnaires de 1848.
Ce projet de triade fut un des buts de la politique menée par Maximilien II et son
ministre Von der Pfordten. Dès les conférences de Dresde du 23 décembre 1850 au 15 mai
1851210, elle cherchait à obtenir plus de suffrages à la Diète de Francfort.211 Le royaume de
Bavière proposa que les quatre royaumes (Bavière, Wurtemberg, Saxe et Hanovre) aient le
même nombre de voix que les deux grandes puissances allemandes.212 Les petits Etats, non
concernés par la réforme proposée, refusèrent ce projet.
La guerre de Crimée fit rebondir la question. L’attitude radicalement différente de
l’Autriche et de la Prusse fit ressurgir l’importance d’une réforme du Bund.213 La Bavière, qui
était économiquement liée à la Prusse, et politiquement à l’Autriche, pensait qu’une réforme
du Bund dans un sens plus fédéraliste permettrait de « pouvoir assurer une fois encore la paix
du monde grâce à l’appui d’une Allemagne forte de ses 70 millions d’habitants. »214 Elle
réussit à s’affranchir de l’Autriche en soutenant la Prusse dans sa volonté de neutraliser le
Bund dans la guerre de Crimée. C’était dans le but de contraindre l’Autriche à envisager une
réforme tripartite du Bund. Pour arriver à leurs fins, huit représentants d’Etats moyens
(Bavière, Saxe, Hanovre, Wurtemberg, Nassau, Les deux Hesse) se réunirent à Bamberg les
25 et 26 mai 1854. Il en sortit une attitude commune face aux prétentions autrichiennes, mais
pas de réel projet de Triade, qui aurait pu contrebalancer le condominium austro-prussien.
Avec la guerre d’Italie, les projets de réformes de la Confédération germanique se
multiplièrent. Et la Bavière devenait un enjeu pour les deux grandes puissances. S’accorder
avec la Bavière permettrait de balayer les résistances des autres Etats allemands. Le baron
210 Max SPINDLER, Bayerische Geschichte im 19 und 20 Jahrundert 1800 bis 1970, Munich, CH Beck, 1978, p 274211 Jean TULARD, op.cit, p 124212 ibidem213 ibidem214 ibidem
70
Ludwig Von der Pfordten, ambassadeur de Bavière à la Diète de Francfort à partir de 1859,
pensait qu’inévitablement et « en raison de sa taille, de l’importance de sa population, de la
mission culturelle dont elle était investie, la Bavière était appelée à prendre la tête de la
troisième Allemagne. »215 Lors de conférences d’Etats moyens allemands à Munich et
Wurzbourg en 1859, Maximilien II, soutenu par la Saxe, proposa l’élargissement des
compétences du Deutsches Bund. Il demandait l’institution d’une citoyenneté allemande, tout
en conservant les nationalités de chaque Etat. De plus, il réclamait l’instauration d’un même
système judiciaire, d’un même code civil et pénal, d’une législation commune sur les
patentes, d’un seul et unique système de poids et mesures.216 Face à ses exigences, Vienne et
Berlin y virent une tentative des Etats moyens de s’affranchir d’eux. La Prusse refusa ce
projet.
En 1863, l’antagonisme austro-prussien augmentait et la réforme du Bund devenait
un enjeu majeur pour les deux puissances. Elles courtisèrent la Bavière chacune de leur côté
afin de faire adopter sa vision de l’organisation politique allemande. D’abord l’Autriche, qui
proposa une réforme lors de la conférence des Princes de Francfort du 17 août 1863.217 Dans
ce projet, la Bavière occupait une place équivalente à celle des deux grandes puissances
allemandes. Le projet prévoyait un renforcement de l’exécutif, avec la constitution d’un
directoire de six membres. La Prusse se sentait menacée par ce projet et refusa de participer à
la conférence des Princes. La Bavière, devant le refus prussien, ne donna pas suite au projet :
elle avait refusée l’Allemagne sans l’Autriche, elle ne pouvait et ne voulait voir l’Allemagne
sans la Prusse.218
Avec la crise des duchés danois, la Bavière prit la tête des revendications des Etats
moyens da la Confédération. Maximilien II, comme les autres souverains, n’acceptait pas que
215Jean TULARD, op.cit, p 125216 ibidem217 Max SPINDLER, op.cit, p 277218 Jean TULARD, op.cit, p 125
71
l’affaire soit réglée par les deux grandes puissances sans concertation des autres Etats. Dans
cette perspective, Maximilien II et son successeur Louis II se faisaient les défenseurs des
droits de Frédéric d’Augustenbourg sur les duchés danois. La survie de la Confédération était
en jeu. La Bavière réussit à influencer Vienne pour qu’elle accepta Frédéric d’Augustenbourg
comme duc du Schleswig-Holstein. Seulement la convention de Gastein remit en cause cette
initiative : Vienne retournait à l’alliance prussienne.
La dernière tentative pour réaliser cette troisième force fut proposée par Bismarck.
Le 10 juin 1866, Bismarck proposa la création d’un Etat fédéral dirigé par une conférence des
ambassadeurs des Etats membres avec un Parlement élu au suffrage direct. L’Autriche serait
exclue de l’Etat fédéral mais elle contracterait une alliance militaire avec. La Bavière
recevrait le commandement des troupes de l’Allemagne du Sud. Tour à tour, Vienne et Berlin
cherchaient à s’allier Munich. Mais la proposition de Bismarck ne pouvait convenir à Louis
II. Son horreur de la démocratie ; le fait que les catholiques se retrouveraient en minorité dans
ce nouvel Etat furent les motifs du rejet bavarois.
La position, que la Bavière souhaitait avoir dans une éventuelle réforme du Bund,
était fondamentalement précaire. D’une part ; elle ne possédait pas une armée équipée et
formée, qui lui aurait permis d’ « être la continuation de la politique par d’autres moyens »,
comme le proclamait Clausewitz. Ensuite, afin d’arriver à ses fins, elle devait compter avec le
duo austro-prussien. Or les « frères ennemis » n’étaient pas décidés à laisser une place au
soleil à la Bavière. De même pour les petits et moyens Etats allemands, qui ne voulaient pas
d’une tutelle bavaroise : le Bade, par exemple, préférait une tutelle lointaine, celle de la
Prusse, plutôt qu’une tutelle bavaroise proche. La guerre de 1866 était l’ultime occasion de
faire admettre l’idée d’une troisième force en Allemagne. Pour y parvenir, il fallait se montrer
le plus militairement possible neutre malgré la participation bavaroise à la coalition anti-
prussienne. Seulement la supériorité prussienne contrecarra les projets de Louis II. L’armée
72
prussienne avait la capacité de mettre en péril les armées bavaroises, et ceci n’avait pas été
prévu par Louis II.
Avec la victoire foudroyante de la Prusse, l’idée d’une troisième force allemande
persistait, mais uniquement dans les pensées chimériques de certains responsables politiques
bavarois. La réalité montrait bien que cette volonté devenait anachronique. La création d’une
Confédération de l’Allemagne du Sud, évoquée lors des traités de paix de Prague, ne pouvait
faire de cette entité qu’un pion dans les mains des grandes puissances. Dans ce cas, vers qui se
tourner ? L’Autriche avait déçu. Du côté français, « la Bavière ne recevait plus que des
menaces de démembrement territorial. »219 La Prusse, elle, n’accepterait pas la création d’une
Confédération de l’Allemagne du sud : en témoignaient les traités militaires conclus en août
1866 avec les Etats allemands du Sud. A partir de 1866, la Bavière était donc dans une
situation des plus alarmantes. Elle devenait un enjeu de l’appétit des puissances voisines.
L’indépendance bavaroise risquait-elle d’être sacrifier par une grande puissance au cours du
prochain conflit à venir ? Dans ce cas, comment préserver au mieux l’indépendance de la
Bavière et le maintien de la dynastie des Wittelsbach ?
2. Le ministère Hohenlohe : vers la prussification ?
Dès le 29 août 1866, Louis II, conscient de la nouvelle donne politique, écrivait à
son oncle de Prusse, Guillaume Ier : « Maintenant que la paix est conclue entre nous et
qu’une ferme et durable amitié s’est établie entre nos Maisons et nos Etats, je désire lui
donner une expression extérieure et symbolique, en offrant à Votre Majesté Royale la
possession commune du burg de ses aïeux à Nuremberg. Lorsque au faîte de ce château le
pavillon des Hohenzollern et celui des Wittelsbach flotteront au vent, en mêlant leurs plis,
219 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 96
73
puisse-t-on voir là le symbole de la bonne garde que font la Prusse et la Bavière unies sur
l’avenir de l’Allemagne, avenir que la Providence a introduit dans des voies nouvelles par
l’entremise de Votre Majesté. »220 Cette lettre témoignait bien de la nouvelle voie que prenait
la diplomatie bavaroise.
Son premier acte fort et symbolique fut l’éviction du baron Ludwig Von der
Pfordten, partisan de la grande-Allemagne. Il le remplaça définitivement le 31 décembre 1866
par le prince Chlodwig von Hohenlohe-Schillingsfürst.221 Cette nomination représentait les
intérêts prussiennes. Il était clairement un libéral, anticlérical, farouche partisan de la petite-
Allemagne. Il réussit à entamer des réformes de types libérales grâce à un Landtag
(Parlement) à majorité libérale jusqu’en 1868.222
Le principal obstacle à la « prussification »223 fut le catholicisme, ciment du
particularisme bavarois. Le catholicisme bavarois était isolé au sein du catholicisme : le 19ème
siècle marqua une recrudescence de l’ultramontanisme. Or, dans leurs combats en Bavière, les
catholiques étaient divisés sur la marche à suivre face au mouvement national allemand. La
condamnation du monde moderne par le Pape, en 1864, avec le Syllabus, amena des
intellectuels catholiques, comme Döllinger, à se rapprocher des conceptions luthériennes et
ainsi de la Prusse. Avec ces divergences au sein du catholicisme bavarois, il était plus facile
de mener, pour Louis II, une politique libérale. Le ministre Hohenlohe put entreprendre, en
prélude au Kulturkampf, une série de réformes, qui réduisaient le pouvoir du catholicisme
dans la société bavaroise. La première tâche, qui lui incombait, était de commencer la
séparation de l’Eglise et de l’Etat dans les domaines où le Trône et l’Autel étaient toujours
associés. Dans le domaine social, le ministre fit adopter une loi, datée du 29 avril 1869, qui
enlevait aux ecclésiastiques le soin des malades.224 Ce furent les communes, qui se chargèrent 220 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 105221 Max SPINDLER, op.cit, p 301222 ibidem223 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 97224 Max SPINDLER, op.cit, p 302
74
dès lors des soins aux malades. Le ministre, dans sa volonté de libéraliser l’Etat bavarois,
adopta des lois en faveur de la mobilité des citoyens : mobilité, qui était l’un des fondements
de tout système capitaliste et libéral. De plus, la loi du 30 janvier 1868 autorisa la liberté
d’entreprendre dans tout le royaume, ce qui contrastait avec le système des concessions, qui
était en vigueur jusque-là.225 Dans le domaine militaire, il introduisit une réforme, le 30
janvier 1868, qui tirait les conclusions du traité militaire bavaro-prussien d’août 1866.226 La
réforme s’engageait dans la voie de la conscription générale. Elle permettait de faire de la
Défense un devoir pour le citoyen. L’armée put ainsi voir ses effectifs gonflés. Le service était
de six ans, dont trois dans l’armée active et trois ans dans la Réserve. La Landwehr (Défense
territoriale) devait s’inspirer du modèle prussien, qui en faisait « un instrument-modèle au
point de vue technique. »227 Ainsi, elle « serait une armée absolument dévouée à la couronne
et immédiatement prête à combattre. »228
Dans le domaine économique, la dépendance à l’égard de la Prusse s’accentuait.229
Avec la création de la Confédération de l’Allemagne du Nord le 1er juillet 1867, le Zollverein
devait être renouvelé. Bismarck cherchait à se lier plus fortement les quatre Etats du sud de
l’Allemagne. La nouvelle organisation se composait de deux commissions. Un conseil fédéral
du Zoll (Zollbundesrat) et un parlement du Zoll (Zollparlament). Le parlement devait être élu
au suffrage universel direct. La Prusse obtenait le monopole du droit de veto. Le 8 juillet
1867, le nouveau traité fut signé.230 En Bavière, malgré la signature, les oppositions restaient
vives. A la chambre des députés, les conservateurs dénonçaient « la sanction de la dictature
économique prussienne»231 ; ainsi que la probable domination politique de la Prusse dans le
cas où la réalisation de l’unité allemande se concrétisait. La Chambre Haute (Reichsräte) 225 Max SPINDLER, op.cit, p 304226ibidem 227 Peter RASSOW, op.cit, p 585228 ibidem229 Max SPINDLER, op.cit, p 302230 ibidem231 ibidem
75
aussi, résista durablement à la ratification du traité économique. Seul en Bavière, le Parti du
Progrès (Fortschrittpartei) pensait que le traité constituait une avancée souhaitable vers
l’établissement d’une petite-Allemagne. Pourtant, le traité fut ratifié sous la pression de Louis
II en accord avec son idée de ménager la Bavière face à « l’ogre » prussien. Des élections
eurent lieu, le 10 février 1868, pour le Zollparlament.232 Sur les quarante-huit députés
envoyés par la Bavière, trente s’opposait à la politique pro-prussienne du Zoll. De là se créa
un Parti bavarois patriote animé par Ernst Zanders et Joseph Edmund Jörg. Au parlement et
par l’intermédiaire du « Augsburger Postzeitung » ils propageaient des idées patriotiques et
pro-cléricales. Ce parti se mit à concurrencer le Fortschrittpartei au sein des institutions.233
Sur le plan des relations internationales, le souverain bavarois, conscient de son
isolement, cherchait à « conduire son Etat dans la voie qu’il jugeait la moins dangereuse. »234
Aider la Prusse dans ses revendications sans trop aller loin, voilà le « pénible mariage de
raison » que Louis II dû entretenir. Il ne cachait pourtant pas son horreur de ce que
représentait la Prusse : la bureaucratie, le militarisme. Cela contrastait avec le « lyrisme
exalté », l’ « inutile rêverie » et la « solitude malsaine » qui caractérisaient le jeune souverain
bavarois.235 Il confia même à M. de Cadore, ministre de France à Munich, que « Bismarck
[voulait] faire de son royaume une province prussienne. »236 M. de Cadore pensait néanmoins
que la Bavière marcherait avec la Prusse en cas de conflit avec la France.
Les évènements internationaux de 1866 à 1870 n’étaient pas de nature à créer un
rapprochement franco-bavarois. Alors que tous les éléments étaient réunis pour entrevoir une
entente, l’affaire du Luxembourg entretint la méfiance des Etats allemands du sud, dont la
Bavière qui possédait le Palatinat à la frontière française. Le Palatinat était une région
convoitée par Napoléon III. Du moins, tout agrandissement de la France à l’Est passait quasi 232 ibidem233 ibidem234 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 107235 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 109236 ibidem
76
inévitablement par le Palatinat bavarois. Jusqu’en 1870, les manœuvres françaises en
Belgique et au Luxembourg suscitèrent des craintes à Louis II. Bismarck sut en tirer profiter
pour se lier la Bavière.
Ainsi, la solution prussienne semblait, pour Louis II, la plus raisonnable pour
maintenir quelques artifices de la souveraineté bavaroise. Mais les résistances en Bavière
restaient vives. La politique libérale de Hohenlohe avait permis la constitution d’une force
politique particulariste, le Parti bavarois. En mai 1869 et en novembre 1869, les élections au
Landtag donnèrent une majorité aux catholiques conservateurs (quatre-vingt sièges contre
soixante et quatorze sièges pour les libéraux).237 Sous la pression des deux Chambres, le 8
mars 1870, Louis II accepta la démission de Hohenlohe. Le comte Otto Graf Bray-Steinburg
le remplaça au ministère des Affaires étrangères et devint ministre principal.238 Cette
nomination représentait le retour au devant de la scène des tenants de la politique
particulariste et grande-Allemagne. Elle pouvait constituer une aubaine pour la diplomatie
française qui s’évertuait à affaiblir par tous les moyens la puissance prussienne. Le retour à
une politique d’influence dans les Etats du sud de l‘Allemagne avait des chances d’aboutir.
Avec une alliance autrichienne solide, la Prusse devait s’attendre à une confrontation
prochaine. La France se devait de réparer Sadowa, ainsi que les humiliations subies lors de la
politique des compensations. Mais pouvait-elle attendre longtemps : son armée montrait des
signes de faiblesses dans moult domaines importants. L’armée prussienne avait fait ses
preuves au Danemark et face à l’Autriche. Elle était en confiance et n’était nullement
inquiétée par un éventuel conflit avec la France impériale. Bismarck devait cependant tout
mettre en oeuvre pour éviter une quelconque intervention des puissances européennes. Ce fut
Bismarck, qui se décida à agir de façon plus agressive vis a vis de la France. La candidature
Hohenzollern au trône d’Espagne allait mettre le feu aux poudres.
237 Max SPINDLER, op.cit, p 307238 ibidem
77
C. La guerre de 1870 : fin des relations franco-bavaroises
1. Causes et rapports de force au déclenchement de la guerre
Le conflit, qui éclata en juillet 1870, entre la France et la Prusse apparut pour les
historiens comme un affrontement « inéluctable »239, préparé de longue date par Bismarck. Le
chancelier savait que le dernier obstacle à la réalisation de l’unité allemande sous domination
prussienne était la France. Il avait pu mettre en retrait la France lors du conflit avec l’Autriche
en lui faisant miroiter quelques compensations à l’est. Mais la supercherie dura quelques
temps jusqu’à ce que la France comprit que l’alliance prussienne était caduque. Dès lors, il
fallait refaire ce qui avaient été défait, c'est-à-dire se tourner vers l’Autriche pour contrer la
puissance arrogante prussienne.
En Allemagne, Bismarck sentait que la réalisation de l’unité allemande lui
échappait et que le particularisme reprenait de la force dans les Etats du sud de l’Allemagne.
Une guerre contre la France, menée dans certaines conditions, lèverait les obstacles à la
réalisation de l’unité. Mais il fallait trouver le prétexte adéquate pour rompre avec la France.
Sans le savoir, la candidature d’un prince Hohenzollern au trône d’Espagne, allait devenir
l’instrument de la rupture des relations avec la France.
239 Jean TULARD, op.cit, p 597
78
Le trône d’Espagne était vacant depuis 1868. La reine Isabelle avait du quitter le
trône et partir en France chercher asile.240 Napoléon III était naturellement intéressé par ce qui
pouvait se passer dans l’Etat transpyrénéen. Mais il ne sut trouver un candidat pour le trône.
En février 1869, la candidature du prince Léopold de Hohenzollern, qui appartenait à une
branche catholique des Hohenzollern, au trône vacant d’Espagne, fut connue. Mais elle ne
paraissait pas sérieuse.
En février 1870, Bismarck relança la candidature du prince Léopold. Il savait
qu’elle serait susceptible de froisser la France.241 De février à juin 1870, Bismarck réussit à
convaincre Léopold et le roi Guillaume de présenter la candidature. En juin, le général Prim,
qui dirigeait l’Espagne, n’avait plus qu’à soumettre la candidature au Cortès. Le 2 juillet
1870, la candidature Hohenzollern fut rendue publique.242Selon Louis Girard et Pierre Milza,
la réaction de l’opinion publique parisienne fut si explosive que la diplomatie française se
devait de réagir énergiquement. Les républicains et les royalistes s’en prenaient allègrement à
l’incohérence de la diplomatie française. Adolphe Thiers, dans un discours à l’Assemblée le 3
mai avait déjà mis en garde Napoléon III face à une résurrection de l’empire de Charles
Quint.243 Les autres réclamaient une réaction forte : l’avenir de la dynastie impériale pouvait
être en jeu.
Napoléon III essayait de garder la tête froide face cette « hystérie ambiante. »244 Il
devait tout de même relever la « provocation nouvelle », car il en allait du prestige et de
l’honneur de la dynastie.245 Devant les pressions internationales, Guillaume Ier demanda le
retrait de la candidature. Il fut officiel le 12 juillet 1870. A Paris, un sentiment de victoire
s’installait au sein du pouvoir. Mais certains politiciens ne voulaient pas se contenter de ce
240 Louis GIRARD, op.cit, p 456241 ibidem242Louis GIRARD, op.cit, p 457243Louis GIRARD, op.cit, p 458244 Pierre MILZA, op.cit, p 579245 ibidem
79
simple retrait. L’impératrice Eugénie et les bonapartistes autoritaires poussèrent Napoléon III,
« diminué physiquement et psychologiquement » par la maladie, à exiger des « garanties » à
la Prusse.246Ces garanties correspondait à une renonciation du chef de famille des
Hohenzollern, en l’occurrence Guillaume Ier de Prusse, à toute montée d’un prince
Hohenzollern sur le trône d’Espagne. Benedetti, ambassadeur de France à Berlin, fut chargé
de transmettre les demandes françaises au roi de Prusse. Le 13 juillet, Benedetti rencontra
Guillaume Ier à Ems. Le roi de Prusse se refusa à donner des garanties par écrit, mais fit
savoir à l’envoyé français que l’affaire de la candidature lui apparaissait comme de l’histoire
ancienne. Entre-temps, le roi fit parvenir le compte-rendu de l’entrevue à Bismarck. Il s’en
servit pour humilier l’honneur de la France. Il la manipula et la fit publier. Le 14 juillet, la
fameuse dépêche d’Ems fut connue à Paris. Le 15 au matin, l’entrée en guerre de la France
face à la Prusse fut décidée. Le 19 juillet, la déclaration de guerre fut remise à la Prusse. A
l’entrée en guerre, quels étaient les rapports de force diplomatiques et militaires ?
Sur le plan diplomatique, Bismarck avait des raisons de ne pas trop s’inquiéter. La
France n’a pu trouver d’alliés sûrs pour cette guerre. En déclarant la guerre, la France s’aliéna
un bon nombre d’Etats. L’Angleterre en premier lieu resta neutre. Bismarck avait su
habilement faire publier dans le Times le projet de traité français, datant de 1866, d’annexion
de la Belgique.247La Russie était favorable à la Prusse tant que ses intérêts n’étaient pas en jeu.
Rester l’Autriche et l’Italie. Aucune des discussions pendant la période 1866-1870 n’avait
abouti à un traité militaire. François-Joseph et son ministre Beust se déclarèrent neutres. Le
fait que se fut Napoléon III, qui déclara la guerre, empêcha l’Autriche de mener une guerre
contre son voisin du Nord. Ils rentreraient dans le conflit du côté français, si la France se
montrait militairement supérieure. Avec l’Italie, les discussions ne durèrent pas longtemps. Le
roi Victor-Emmanuel voulait payer « la dette d’honneur » envers son protecteur. Seulement,
246Pierre MILZA, op.cit, p 580247Pierre MILZA, op.cit, p 585
80
la question romaine ne trouvant pas de solutions, le royaume d’Italie choisit finalement de
rester neutre. Napoléon III, pressé par Gramont, ne voulait pas « défendre son honneur sur le
Rhin et le sacrifier sur le Tibre. »248 En Allemagne, la manœuvre habile de Bismarck
déboucha sur l’entrée des Etats du sud en guerre au côté de la Prusse, comme prévue dans les
traités militaires de 1866. Pendant le conflit, la tâche de Bismarck fut de ne pas l’élargir. Pour
la France, le contraire apparaissait souhaitable.
Diplomatiquement isolée, la France se devait de relever le défi dans le domaine
militaire. Or les évolutions aussi bien techniques que tactiques et stratégiques ne furent pas
nombreuses. La guerre de Crimée, la guerre d’Italie, les expéditions en Chine, au Mexique et
en Afrique avaient montré la qualité du soldat français. Mais le commandement avait souvent
fait défaut, malgré la réputation des généraux. A la fin août 1870, Napoléon III ne disposait
que de 300 000 soldats alignés. La coalition allemande comptait 450 000 hommes plus les
troupes de la Landwehr.249 L’artillerie allemande semblait supérieure ainsi que son
organisation : Moltke avait, bien avant le conflit, préparé des plans d’attaques.
Bien sûr, les responsabilités furent partagées : entrer en guerre sans avoir une
connaissance précise des forces militaires en présence et en se fiant à la bravoure du soldat
français paraissait a posteriori risqué.250 La défaite à venir trouvait ses responsabilités dans
l’infériorité de la « capacité d’action collective » française.251 Cette responsabilité incombait à
la Nation dans son ensemble, car la victoire, de tout temps, apporte une supériorité morale. La
défaite ne peut que créer le phénomène inverse, c'est-à-dire une remise en cause des valeurs
morales de l’époque. Comment ne pas attribuer la responsabilité aux français et à leurs
représentants qui ont rejeté puis vidé de sa substance la loi Niel ? Cette loi de 1868 devait 248 ibidem249 Louis GIRARD, op.cit, p 476250 François ROTH, La guerre de 70, Paris, Fayard, 1990, p 553-581251 Raymond ARON, Paix et guerre entre les Nations, Paris, Calmann-Lévy, 1984, 8ème édition, p 225 en parlant de l’empire romain : « la supériorité qui a pour fondement une capacité d’action collective, en
l’espèce la discipline militaire, n’est pas immédiatement transmissible, elle est liée aux structures sociales, elle exige un entraînement prolongé. »
81
permettre d’atteindre un niveau militaire égal à celui de la Prusse. La création d’une garde
nationale mobile, sur le modèle prussien rencontra de vives oppositions. La mort du maréchal
Niel enterra le projet.
L’impréparation de l’armée, l’isolement diplomatique n’annonçait rien de très
réjouissant pour Napoléon III. L’empereur, pour préserver l’intérêt dynastique, était
condamné à la victoire. Le 28 juillet 1870, il prit la tête des troupes françaises à Metz.252 La
guerre franco-prussienne débutait. En Allemagne, elle prenait des allures de guerre de
libération nationale.
2. Paris et Munich dans le conflit
Le conflit entre la Prusse, avec les Etats du sud de l’Allemagne, et la France
impériale marqua un tournant dans l’histoire des relations internationales : un nouvel équilibre
des forces allait en sortir. Dans cette épreuve de volonté, la France devait échouer. François
Roth dans son livre la guerre de 70 a fait une description des évènements militaires majeurs.
Ici, il est question de retracer les évènements, qui concernent la Bavière et la France.
A Munich, Louis II ne pouvait se dérober au devoir qu’il lui incombait. La visite
de Bismarck, le 14 juillet 1870, avait donné le ton sur l’attitude de la Prusse à l’égard de la
Bavière au cas où celle-ci hésita.253 Il fit savoir qu’une hésitation bavaroise serait pour lui un
signe de rupture d’alliance. Bien que la question de la neutralité fût évoquée, il semblait pour
Bray et pour Louis II qu’une victoire prussienne sans le concours de la Bavière signifierait la 252 François ROTH, op.cit, p 25253 Max SPINDLER, op.cit, p 309
82
fin du royaume bavarois.254 Le conseil des ministres du 15 juillet 1870 jugea que seul le roi
pouvait décréter la mobilisation. Le 16 juillet, le roi Louis II franchissait « le Rubicon du
particularisme.»255 La décision prise, il fallait faire voter les crédits de guerre. Le 18 et 19, la
Chambre se saisissait de l’affaire. Le 19, après d’âpres oppositions, les demandes de crédits
du gouvernement furent approuvées par 101 voix contre 47 : le sentiment d’être allemand
prenait le pas sur le particularisme bavarois.
L’armée bavaroise fut associée étroitement à l’armée prussienne. L’armée
allemande était divisée en trois armées. Les deux corps d’armées bavarois étaient intégrés à
l’armée du Sud, qui comprenait en plus trois corps d’armées prussiens, un du Wurtemberg, un
de Bade et une division de cavalerie prussienne.256 Chaque corps d’armée était composé de
deux divisions d’infanterie, un corps d’artillerie et souvent un corps de cavalerie.257 Sur le
Rhin, trois grandes armées furent formées : une confiée au général Steinmetz, la seconde au
prince Frédéric-Charles, et la troisième, celle du Sud, sous le commandement du prince
Frédéric de Prusse.258
En face, l’armée française était organisé en deux armées : l’armée d’Alsace sous
le commandement de Mac-Mahon et la deuxième, celle de Lorraine sous le commandement
du maréchal Bazaine.259 Napoléon III préféra choisir une position défensive articulée autour
de la ligne Metz-Strasbourg.
Le 4 août, une division de l’armée d’Alsace fut accrochée à la ville frontière de
Wissembourg. Elle tomba sur une division de l’armée du Sud. Les bavarois y prirent part.
Dans la nuit, les français, conscients de leur infériorité numérique, se replièrent : 10 000
français venaient de combattre 40 000 allemands.260 Le 6 août, les bavarois attaquèrent, à 254 ibidem255 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 116256 Max SPINDLER, op.cit, p 309257 François ROTH, op.cit, p 28258 ibidem259 ibidem260 François ROTH, op.cit, p 46
83
Woerth (Frœschwiller pour les allemands) l’aile gauche du dispositif de l’armée d’Alsace.
Devant la débâcle française, Mac-Mahon se retira sur Reichshoffen. La route de Strasbourg
était dégagée. En Lorraine, la situation n’était guère meilleure pour les français. Le 6 août, la
bataille de Forbach décida Napoléon III et Bazaine à se replier sur Metz.
L’annonce des premières défaites fit chanceler le trône impérial : Emile Ollivier
démissionna le 9 août. La population parisienne s’en prenait ouvertement au régime, seul
responsable des défaites. L’impératrice Eugénie, aidée par Eugène Rouher, se chargea du
gouvernement. Ce dernier fut composé de bonapartistes autoritaires tels Jérôme David et
Clément Duvernois. Le nouvel homme fort du gouvernement fut le comte de Palikao. Car
l’empereur était tenu à l’écart. Comme le constate François Roth, l’empereur « a été
dépouillée de ses pouvoirs en moins d’un mois. »261 Même à Metz, il ne savait que faire. Le
12 août, alors que Nancy était occupée sans combat, Napoléon III abandonnait son
commandement en chef au maréchal Bazaine. Il fut décidé de se replier vers le camp de
Châlons. Mais sur le chemin, l’armée française rencontra la première armée allemande de
Steinmetz. L’affrontement fut égal et chacun pensait avoir pris l’avantage sur l’autre.262 Le 16
août, l’armée française subit une lourde défaite à Rezonville-Mars-la-Tour.263 Le repli sur
Verdun fut décidé côté français. Mais l’armée allemande ne laissa aucun répit aux français.
En bon disciple de Clausewitz, Moltke cherchait à engager l’armée française principale dans
une bataille décisive. Le 18 août, la défaite de Saint-Privat condamnait les français à se replier
sur Metz. Le 20 août, le blocus de la ville lorraine commençait.264
Napoléon III, qui rejoignit Mac-Mahon dans sa retraite, allait être encerclé par les
armées prussiennes entre Sedan et la frontière belge. Les allemands s’avancèrent vers
Strasbourg, « ville allemande volée au Reich par Louis XIV. »265 Le 20 août, le siège de 261François ROTH, op.cit, p 58262François ROTH, op.cit, p 73263 François ROTH, op.cit, p 75264 François ROTH, op.cit, p 87265 François ROTH, op.cit, p 102
84
Strasbourg et celui de Metz étaient effectifs. L’armée allemande du Sud, elle, traversait la
Lorraine en écharpe. Le 18 août, elle se trouvait à Bar-le Duc. Son objectif était le camp de
Châlons. Du côté français, le gouvernement Palikao demanda à Mac-Mahon de remonter vers
le nord à la rencontre de Bazaine qui se repliait, semblait-il, sur Verdun. Le 22 août, Mac-
Mahon était à Reims. Il continua sa marche vers le Nord, sans savoir que Bazaine était
enfermé à Metz. Mis au courant par la presse française, Moltke ordonnait, le 26 août, à
l’armée du Sud de remonter vers le nord pour rejoindre Mac-Mahon. Ce dernier constata que
l’étau se refermait sur lui. Le 29 août, il se résignait à s’enfermer dans Sedan. L’armée de
Bazaine ne s’était jamais montrée. Le 30 août, l’encerclement de Sedan par les allemands
débutait. Le 1er, les bavarois attaquèrent le village de Bazeilles, suivis par les autres armées
prussiennes .266 Devant la défaite cuisante, le 1er septembre, Napoléon III décida d’hisser le
drapeau blanc. Le colonel Bronsart von Schellendorf fut chargé de rentrer en contact avec
l’armée française. Il entra dans Sedan et fut surpris de la présence de Napoléon III. Ce dernier
lui confia une lettre pour le roi Guillaume : « Monsieur, mon frère ! N’ayant pas eu le
bonheur d’être tué à la tête de mes troupes, il ne me reste qu’à remettre mon épée à Votre
Majesté. »267 Le 2 septembre, la capitulation de Sedan fut signée. Napoléon III rendait son
épée mais pas celle de la France.
3. Les relations franco-bavaroises à l’épreuve de l’unité allemande
266François ROTH, op.cit, p 121267 François ROTH, op.cit, p 124
85
La guerre franco-allemande n’était pas finie, mais elle venait de faire une première
victime d’importance : Napoléon III et son régime. Le jour de la capitulation de Sedan, il fut
transféré et assigné à résidence au château de Wilhelmshöhe près de Cassel en Westphalie. Au
soir du 3 septembre, la capitulation de Sedan fut connue à Paris. Mérimée, ami de
l’impératrice écrivait : « je pense que l’empereur veut se faire tuer. Je m’attends dans une
semaine à entendre proclamer la République et dans une quinzaine de jours, à voir les
prussiens. »268 Le 4 septembre, le Corps législatif fut envahi et dispersé. La République était
proclamée.
La capitulation de Sedan fut le dernier acte politique de Napoléon III. Il avait pris
le pouvoir par un coup de force, il le perdait par un coup de force. Sedan devint l’acte final,
qui vouait le régime napoléonien aux gémonies pour de longues années. Il avait joué dans
cette guerre le tout pour le tout : l’avenir de la dynastie en dépendait. Il avait perdu
lamentablement, non la Nation française. Les républicains reprirent leur slogan de la « Nation
en armes » pour mener la guerre face aux prussiens qui s’avançaient vers Paris.
Du côté allemand, la décapitation de la France précipita ce que Bismarck avait en
tête. Il était temps de réaliser l’unité allemande. Les Etats du sud de l’Allemagne s’étaient
joints à l’effort prussien : d’une simple querelle franco-prussienne, Bismarck l’avait
transformé en guerre nationale. La Nation allemande devait se protéger face à la menace
française. La constitution d’une entité politique représentant la nation allemande sous
direction prussienne devait sortir du conflit. Mais comment y parvenir malgré la levée de bons
nombres d’obstacles ? Bismarck savait qu’il devait composer avec les susceptibilités des Etats
du Sud. Il savait qu’il ne pouvait annexer purement et simplement ces quatre Etats. Mais le
« révolutionnaire blanc » savait aussi que ces Etats, devant le rapport de force si favorable à la
268 Louis GIRARD, op.cit, p 487
86
Prusse, ne pouvaient refuser de rentrer en négociations avec lui pour résoudre la question
allemande.
Dans ces calculs, Bismarck pensait qu’une initiative de la Bavière condamnait les
autres Etats du sud à accepter la domination prussienne sans aucunes réserves. Le cas du
Hanovre en 1866 avait eu des répercussions psychologiques sur les dirigeants des quatre
Etats.
En Bavière, Louis II et son ministre Bray avaient compris qu’avec la victoire sur la
France, la Bavière devait avancer dans la question nationale et transigeait avec une
Confédération sous domination prussienne. Bismarck avait fait savoir à la Bavière que la
Confédération pouvait se faire sans elle, et dans ce cas-là, elle perdrait le Palatinat au profit de
la nouvelle Confédération. La Bavière deviendrait un enjeu des puissances si elle ne
participait pas à la nouvelle organisation politique allemande. Le 11 septembre, Bray informa
Bismarck qu’il avait tiré toutes les conséquences de la guerre, et qu’ainsi il ne pouvait
s’opposer à l’ouverture de négociations pour la création d’une nouvelle Confédération
allemande.269
A partir du 24 octobre, s’ouvrit des négociations à Versailles entre la Prusse et les
quatre Etats allemands du sud.270 Le Bade et la Hesse demandaient prestement le
rattachement à la Confédération du Nord. Le Wurtemberg et la Bavière étaient les plus
réticents. Bray cherchait à obtenir l’établissement d’une Confédération « plus large et une
direction supérieure, presque dualiste, des affaires générales et surtout des affaires étrangères,
en échange de quoi il était prêt à accorder le titre d’Empereur qui aurait plus correspondu à
une situation prestigieuse qu’à une autorité réelle. »271 Bismarck ne pouvait accepter. Il laissa
le temps jouer pour lui. En contrepartie, il apaisa l’amour-propre de Louis II. La Bavière
269 Max SPINDLER, op.cit, p 312270 ibidem271 Peter RASSOW, op.cit, p 657
87
gardait sa propre poste, ses chemins de fer et le système des impôts indirects touchant l’eau de
vie et la bière. Elle conservait l’autonomie de son armée en temps de paix, mais les soldats
devaient prêter serment d’obéissance au général en chef de la Confédération et le droit
d’inspection était maintenu même en temps de paix. Elle obtenait la présidence de la
commission de politique étrangère au sein du Conseil fédéral. Sur ces bases, Louis II signa le
traité le 23 novembre 1870.272
L’apothéose de l’œuvre de Bismarck fut la renaissance du titre impérial. Ce titre
marquait l’aboutissement de la guerre nationale face à la France ; « c’était un signe qu’une
politique était arrivée à sa conclusion et que ses ambitions n’allaient pas s’étendre à l’infini,
mais au contraire savaient se borner sagement. »273 Mais comment l’obtenir ? Seul le plus
grand prince après Guillaume Ier de Prusse pouvait proposer la dignité impériale à ce dernier.
Ce fut Louis II de Bavière, de la famille des Wittelsbach, qui devait jouer le rôle déterminant.
Mais il réclamait, pour prix de sa complicité, un accroissement territorial pour relier la
Bavière et le Palatinat bavarois, et le remboursement de l’indemnité de guerre de 1866.
Bismarck refusa la première demande, mais il accepta le versement d’une indemnité de 5
millions de marks.274 Le 27 novembre 1870, Louis II reçut de Bismarck la Kaiserbrief, par
laquelle le jeune souverain demandait au nom des princes allemands à ce que Guillaume de
Prusse accepta la dignité impériale. Il signa la lettre le 6 décembre.
Le 18 janvier 1871, dans la galerie des glaces de Versailles eut lieu le
couronnement impérial de Guillaume Ier, premier empereur allemand. Louis II préféra ne pas
y participer. Le titre impérial en poche, il fallait le faire accepter selon le droit de chaque Etat
entrant. En Bavière, les deux Chambres devaient ratifier les deux traités. La première
Chambre les ratifia. La deuxième Chambre refusa la ratification. Il fallut attendre le 21 janvier
272 Peter RASSOW, op.cit, p 658273 ibidem274 Jean TULARD, op.cit, p 129
88
1871 pour que la ratification fût votée. Elle le fut à deux voix près (102 pour ; 48 contre),
car la majorité des deux-tiers était requise.
Ainsi, en 1871, les relations franco-bavaroises n’existaient plus. La Bavière venait
d’être « avalée » par « l’ogre de Prusse. »275 La France de Napoléon III avait négligé « cette
force de résistance de première ordre. »276 Elle payait chèrement les erreurs de sa diplomatie
basée sur le principe des nationalités. L’établissement de la République en France n’était pas
du genre à calmer les craintes qu’elle suscitait. Le régime de Napoléon III était abhorré par
les puissances conservatrices. Elles n’appréciaient guère les caractères démocratiques du
régime impérial. Comment pouvaient-elles alors se lier avec une toute jeune République ? La
guerre de 1870 marquait ainsi le début de l’isolement diplomatique français et la fin de
l’existence de la Bavière sur le plan international.
275 Jacques BAINVILLE, op.cit, p 136276 ibidem
89
La guerre de 1870 mit ainsi fin à plusieurs siècles de relations entre la France et la
Bavière. La force de l’idée nationale, exacerbée par l’attitude de Napoléon III, l’avait
emporté, en Allemagne, sur une longue tradition particulariste. L‘empereur français avait
inauguré une politique extérieure basée sur l’idée d’Etat-Nation ; il pensait que les nations
devaient constituer les nouveaux acteurs interétatiques. Cette politique permit à Napoléon III
de sortir la France de son isolement, mais elle contribua aussi à sa chute.
Dans cette ligne de conduite, la politique allemande d’appui à la Prusse paraît a
posteriori équivoque. La Prusse, comparé au royaume piémontais, ne correspondait pas au
modèle d’Etat susceptible de devenir un Etat-Nation : il soumettait des polonais dans son
territoire et quand bien même l‘unité allemande réalisée, la Prusse n’aurait pas accepté la
perte de provinces avec la création d’un Etat-Nation polonais.
Napoléon III pensait que l’Etat bavarois était trop différent du reste de
l’Allemagne pour espérer réaliser l’unité : la Réforme, la guerre de trente ans, l’œuvre
constitutionnaliste avaient encré dans la population bavaroise le sentiment particulariste et
l’attachement à la dynastie des Wittelsbach. Aucun homme politique bavarois n’avait compris
l’importance de l’idée nationale en tant qu’instrument de politique extérieure. C’est ce que
Bismarck comprit et il mit cette idée au service du royaume de Prusse. Il en résulta la
disparition sur le plan international de la Bavière et la création d’un nouveau Reich.
Par cette étude, nous avons analysé les causes profondes et immédiates qui
caractérisaient les relations entre la France et la Bavière de 1852 à 1871. Seulement, plusieurs
interrogations subsistent. Le peu d’études entreprises sur le sujet, de part et d’autre du Rhin,
nous incite à penser qu’une étude poussée peut être entreprise, qui nous laisse un champ
historique considérable. Les historiens bavarois se sont plutôt intéressés au processus
91
d’intégration de la Bavière dans l’empire bismarckien. En France, la défaite de 1870 a
entraîné les historiens à se pencher sur les relations franco-prussiennes : les relations avec la
Bavière passèrent au deuxième plan. Seul Jacques Bainville brossait le portrait de Louis II,
comme pour conjurer le sort.
De plus, d’autres études transversales peuvent être entreprises. Dans le cadre d’une
histoire des représentations, une étude sur la perception de la politique extérieure française
dans le royaume de Bavière, selon le roi, le gouvernement, ou l’opinion publique peut
contribuer à étoffer la connaissance des relations entre les deux Etats. Pour l’histoire militaire,
une étude comparative peut nous renseigner sur la capacité d’action que possédait le royaume
en matière de politique extérieure. En outre, une approche prosopographique du soldat
bavarois pendant les guerres de 1866 et 1870 peut nous renseigner sur la formation du
sentiment d’appartenance à la nation allemande.
Toutes ces pistes nous renvoient à la spécificité bavaroise au sein de ce qui est
communément appelée « l’exception allemande ». Exception qui se concentre sur le passé
hitlérien et sur le long chemin vers l’occident.277 Dans cette histoire commune des allemands,
la Bavière fait toujours figure d’exception : elle fut un frein à la prussification de
l’Allemagne ; elle s’opposa plus que d’autres régions du Reich à l’œuvre hitlérienne ; elle
refusa la création de la RFA jusqu’en 1949. A l’heure de l’Europe du marché unique et avec
l’élargissement aux pays de l’Est, la Bavière peut être tentée par un retour du particularisme
politique : l’idée nationale, qui transcendait les particularismes, est tombée en désuétude avec
le régime hitlérien. L’Europe, telle qu’elle est, propose un modèle supranational. Au sein du
marché unique, la Bavière a une situation géographique centrale en plein milieu de la
Mitteleuropa. Le sentiment nationaliste fait place à un sentiment pro-européen : dans ce cadre,
Berlin apparaît comme un boulet. Tant que la capitale était Bonn, le Land de Bavière était le
277 Heinrich August WINCKLER, Histoire de l’Allemagne 19ème et 20ème siècle, le long chemin vers l’occident, Munich, C h Beck, 2000, 1154 p
92
plus puissant. Depuis le transfert de la capitale à Berlin, les ressentiments, à l’égard des
anciens de la RDA, se font ressentir en Bavière : en témoigne les récentes déclarations
d’Edmund Stoiber, ministre-président CSU (Union des Chrétiens Sociaux) du Land de
Bavière, concernant les élections législatives du 18 septembre 2005 : « Je n’accepte pas que
l’Est décide à nouveau qui sera le chancelier. Il ne faut pas que les frustrés décident du destin
de l’Allemagne », considérant que les électeurs de l’ex-RDA sont « moins intelligents qu’en
Bavière. »
93
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Wawro (Geoffrey), The Austro-prussian War, New York, CUP, 1996, 313 p
96
Table des matières
SOMMAIRE 4
INTRODUCTION 5
I. DE NOUVELLES RELATIONS BILATÉRALES (1852-1859) 9
A. L’établissement de la diplomatie impériale 91. Une nouvelle équipe de diplomates ? 92. La direction des affaires en France et en Bavière 113. Un conflit sourd dans la diplomatie française ? 13
B. Munich, Paris et la guerre de Crimée (1853-1856) 161. Causes et déroulement de la guerre 162. Bavière et France : des intérêts antagonistes ? 183. Bavière et France à la fin de la guerre 21
C. De Paris à l’Italie : la méfiance bavaroise (1856-1859) 241. L’apogée de la diplomatie française en Europe 242. La Bavière et la France au cours de la guerre d’Italie (1859) 273. Enseignements sur les rapports franco-bavarois 30
II. LA BAVIÈRE FACE AU RÉVISIONNISME FRANÇAIS (1859-1866) 35
A. Paris et Munich face à la question allemande 351. La Bavière et la Confédération germanique : vers une réforme ? 352. Napoléon III et l’Allemagne : la préférence prussienne ? 39
B. Paris et Munich face à la crise des duchés danois 441. La question des duchés 442. La Bavière face à la question des duchés 473. De la fin du conflit danois au statut précaire de Gastein 50
C. Paris et Munich lors de la guerre austro-prussienne 531. De la convention de Gastein à l’entrée en guerre 532. Paris et Munich : de l’escalade à la guerre austro-prussienne 553. Enseignements sur les relations franco-bavaroises 58
III. DU RÉCHAUFFEMENT À LA FIN DES RELATIONS
FRANCO-BAVAROISES (1866-1870) 63
A. Paris et le monde germanique 631. La politique des compensations 632. Echec de la politique de compensations 66
98
3. Vers un rapprochement avec l’Autriche 68
B. Munich et l’Allemagne : le projet « Triade » 701. 1866 : fin du projet ? 702. Le ministère Hohenlohe : vers la prussification ? 74
C. La guerre de 1870 : fin des relations franco-bavaroises 791. Causes et rapports de force au déclenchement de la guerre 792. Paris et Munich dans le conflit 833. Les relations franco-bavaroises à l’épreuve de l’unité allemande 87
CONCLUSION 91
BIBLIOGRAPHIE ET CARTE95
Table des matières 99
99