2. III Table des matires Mode demploi 1 Questions de mthode 1
Comment faire de lhistoire de la pense conomique ? 3 1. Lobjet de
la science conomique 3 2. La place de lhistoire de la pense
conomique 5 2 Une histoire rapide des thories conomiques 7 1. De
lactivit conomique la science conomique 7 2. Du mercantilisme au
marginalisme 8 3. La division en microconomie et macroconomie 9 Les
prcurseurs 3 De lconomique lconomie politique puis la science
conomique : continuit et ruptures 11 1. De la philosophie morale
lconomie politique : une certaine continuit 11 2. De la philosophie
morale lconomie politique : deux ruptures essentielles 12 4 La
pense antique et mdivale : vingt sicles de condamnation morale des
pratiques conomiques 15 1. Les rexions conomiques dans lantiquit
grecque 15 2. La pense mdivale 16 5 Princes et marchands la
Renaissance 19 1. Les thories de ltat moderne 19 2. La naissance
dune conomie politique 21 6 Le mercantilisme : unit et diversit 23
1. Les hommes 23 2. La doctrine 23 3. Les variantes nationales 25 7
Philosophie des Lumires et libralismes 27 1. La philosophie des
Lumires : raison et autonomie 27 2. Les libralismes 28 8 Franois
Quesnay et la physiocratie 31 1. Les hommes 31 2. La doctrine 32 3.
La naissance dun paradigme et dune science 33
3. Histoire de la pense conomique IV Lcole classique 9 Lcole
classique : prsentation densemble 35 1. Les hommes et leur contexte
35 2. La science classique en conomie 36 10 Monnaie, valeur et prix
chez les classiques 39 1. La thorie classique : une recherche sur
la nature de la richesse des nations 39 2. La mesure de la richesse
: la thorie de la valeur travail 40 11 Le libralisme conomique des
classiques 43 1. Une recherche sur les causes de la richesse des
nations 43 2. Main invisible et libre-change 45 12 Croissance et
rpartition chez les classiques 47 1. Une recherche sur les
mcanismes de rpartition de la richesse des nations 47 2. Une
recherche sur la dynamique de laccumulation des richesses 48 Pour
aller plus loin : un auteur, une uvre 13 Adam Smith et Recherche
sur la nature et les causes de la richesse des nations 51 1. Adam
Smith : de la philosophie morale lconomie politique 51 2. La
Richesse des nations 52 14 David Ricardo et les Principes de
lconomie politique et de limpt 55 1. Sa vie, son uvre, son inuence
55 2. Luvre majeure : Principes de lconomie politique et de limpt
56 Pour aller plus loin : les contemporains 15 Piero Sraffa et les
noricardiens 59 1. La thorie de Piero Sraffa 59 2. La critique de
la thorie marginaliste du capital 61 3. Une thorie noricardienne
isole 62 Le marxisme 16 Lhtrodoxie socialiste : prsentation
densemble 63 1. Lmergence du socialisme 63 2. Les socialismes
utopiques : des reconstructions socitales 64 17 Marx et le
socialisme scientifique 67 1. La microconomie de Marx : alination
marchande et exploitation capitaliste 67 2. La macroconomie de Marx
: lanalyse de la crise comme expression des contradictions de
lconomie capitaliste 68
4. Table des matires V 18 La diffusion du marxisme : les
pigones 71 1. Les orthodoxes 71 2. Les rvisionnistes et la
rapparition dun socialisme rformiste 72 Pour aller plus loin : un
auteur, une uvre 19 Karl Marx et Le capital 75 1. Sa vie, son uvre,
son inuence 75 2. Luvre majeure : Le capital, critique de lconomie
politique 76 Le marginalisme 20 Le marginalisme : microconomie et
libralisme 79 1. Les premiers marginalistes et les traditions quils
inaugurent 79 2. Le rejet de la thorie de la valeur travail et la
relecture du problme de la valeur 80 3. Lmergence dun nouveau
paradigme : la science noclassique 81 Pour aller plus loin : un
auteur, une uvre 21 Lon Walras et les lments dconomie politique
pure 83 1. Sa vie, son uvre, son inuence 83 2. Luvre majeure :
lments dconomie politique pure, ou thorie de la richesse sociale 84
22 Alfred Marshall et les Principes dconomie 87 1. La gure centrale
du marginalisme britannique 87 2. Luvre majeure : les Principes
dconomie 87 Pour aller plus loin : les contemporains 23 La
microconomie nowalrasienne 91 1. Lexistence dun quilibre gnral 91
2. Le fonctionnement du march 92 3. Lintgration de la monnaie 93 24
La nouvelle microconomie 95 1. Les prcurseurs 95 2. Thorie des jeux
et imperfections de march 96 3. Richesse et limites de cette
microconomie 97 La pense autrichienne 25 Les coles autrichienne et
sudoise 99 1. Lcole autrichienne la n du XIXe sicle 99 2. Le
fondateur de lcole sudoise : Knut Wicksell 101
5. Histoire de la pense conomique VI 26 Joseph Schumpeter,
penseur de la dynamique conomique 103 1. Schumpeter, thoricien des
sciences sociales 103 2. La thorie de lvolution conomique 104 3.
Les cycles des affaires 105 27 conomie et socit chez Hayek et
Schumpeter 107 1. Hayek et le libralisme 107 2. Schumpeter et la n
du capitalisme 108 Le keynsianisme 28 Le keynsianisme : prsentation
densemble 111 1. Le contexte historique et intellectuel 111 2. La
rvolution keynsienne et son interprtation 112 3. Apoge et dclin du
keynsianisme 113 Pour aller plus loin : un auteur, une uvre 29 John
Maynard Keynes et la Thorie gnrale de lemploi, de lintrt et de la
monnaie 115 1. John Maynard Keynes 115 2. La Thorie gnrale de
lemploi, de lintrt et de la monnaie 116 Pour aller plus loin : les
contemporains 30 Les post-keynsiens et lapproche de la circulation
119 1. La relation entre la croissance globale et la rpartition des
revenus 119 2. Entreprise, monnaie et marchs nanciers 120 3.
Lapproche de la circulation 121 Aujourdhui : une science conomique
clate Du montarisme la nouvelle cole classique : le renouveau
libral 31 Limpulsion du renouveau libral par le montarisme 123 1.
Friedman et les montaristes dans la discussion sur la stabilit des
fonctions macroconomiques de comportement 123 2. La critique
montariste de la courbe de Phillips et la thorie du taux de chmage
naturel 124 32 La nouvelle macroconomie classique 127 1. Lhypothse
danticipations rationnelles et linefcacit de la politique conomique
127 2. Un renouveau de la macroconomie classique 129
6. Table des matires VII De la thorie du dsquilibre la nouvelle
macroconomie keynsienne : la rsurgence keynsienne 33 Thorie du
dsquilibre et quilibres non walrasiens : lcole nokeynsienne 131 1.
La thorie du dsquilibre 131 2. La thorie des quilibres non
walrasiens 132 34 La nouvelle macroconomie keynsienne 135 1.
Keynsianisme rationnel et rigidits nominales : labsence de
dichotomie et lefcacit des politiques de demande globale 135 2.
Keynsianisme informationnel et rigidits relles : lexistence
dquilibres partiels sous optimaux 136 La nbuleuse
institutionnaliste 35 Thorie standard et approche
institutionnaliste 139 1. Les institutions dans la science
conomique 139 2. La distinction entre la vieille et la nouvelle
conomie institutionnelle 141 36 Les courants institutionnalistes
anciens et modernes 143 1. Les courants institutionnalistes anciens
: la question de lintentionnalit des institutions 143 2. Les
courants institutionnalistes modernes : la question de lefcacit des
institutions 144 Lconomie est-elle une science ? 37 Lconomie comme
science : la naissance dune conviction 147 1. De lconomie politique
la science conomique 147 2. Science et idologie 148 3. Les limites
dune analogie avec les sciences dures 148 38 Quelle science
conomique ? 151 1. Quelle ambition ? 151 2. Quelle mthode ? 152 39
Le progrs des connaissances en conomie 155 1. Une vision
longitudinale : science normale et rvolutions scientiques dans
lhistoire de la pense conomique 155 2. Une vision latitudinale :
orthodoxie et htrodoxies 157 40 Dictionnaire de 100 conomistes 159
130 questions pour faire le point 175 Rponses 192
7. 1 Mode demploi 1. THMATIQUE Cet ouvrage combine une dmarche
chronologique, habituelle en histoire de la pense conomique, et un
accent mis sur les courants de pense, car, sil y a des dbats entre
conomistes aujourdhui, cest parce que lvolution passe de la science
conomique leur a lgu des approches diverses. Il est souhaitable de
commencer la lecture par la fiche 1, qui prsente notre conception
de lhistoire de la pense conomique, et par la fiche 2, qui contient
un panorama rapide de lvolution chronologique de la science
conomique et permet de situer lensemble des fiches de ce Maxi
Fiches. Par la suite, les parties correspondant des courants de
pense peuvent tre lues de faon indpendante, les liens avec le reste
de louvrage tant assurs par des renvois aux fiches correspondantes.
Nous avons distingu cinq courants de pense, qui sont traits en cinq
parties par ordre dapparition dans lhistoire : lcole classique ; le
marxisme ; le marginalisme ; la pense autrichienne ; le
keynsianisme. Ces approches trouvent leur origine dans un pass plus
ou moins lointain et elles ont toutes des traductions modernes,
plus ou moins reconnues dans la science conomique actuelle, mais
nanmoins prsentes. Cest pourquoi, mme si cela rompt lexposition
chronologique de lhistoire de la pense conomique dans son ensemble,
nous avons associ dans la prsentation de chaque courant de pense
les auteurs fondateurs et leurs hritiers modernes. Un courant de
pense se rattache une uvre fondatrice et/ou caractristique dun
auteur lui-mme emblmatique. Nous avons donc pour chaque courant
consacr au moins une fiche un couple unissant un auteur et son uvre
majeure. Ce choix dresse la liste restreinte des grands conomistes
du pass, qui ont selon nous marqu lvolution de la discipline en
donnant une identit (et parfois leur nom) aux diverses approches :
lAnglais David Ricardo (cole classique) ; lAllemand Karl Marx
(marxisme) ; le Franais Lon Walras et lAnglais Alfred Marshall
(marginalisme) ; lAutrichien Joseph Schumpeter (cole autrichienne)
; lAnglais John Maynard Keynes (keynsianisme). On doit y ajouter le
fondateur reconnu de la discipline elle-mme, lcossais Adam Smith,
rang dans lcole classique. Il serait vain de vouloir associer une
poque et la domination dun courant de pense, car la diversit des
approches caractrise la science conomique depuis son origine. Il y
a deux poques pour lesquelles une telle association peut dautant
moins tre ten- te. Dune part, avant mme la constitution du premier
courant de pense (lcole classique), des prcurseurs ont trait des
questions conomiques sans construire un discours autonome par
rapport aux autres manires (philosophiques, religieuses,
politiques) de voir la socit. Dautre part, depuis peu prs le milieu
des annes 1970, une science conomique clate combine une dominante
idologique (le libralisme conomique), une unification instrumentale
(le calcul individuel) et un clectisme des rfrences analytiques.
Les dernires fiches sont consacres trois questions de mthode
relatives la science conomique et un dictionnaire de 100 auteurs,
qui permet de retrouver rapidement les lments essentiels les
concernant.
8. Mode demploi 2 Pour illustrer certains points voqus dans la
fiche, chacune delles se termine par quelques citations dauteurs.
On trouvera en annexe la liste des rfrences prcises de ces
citations, ainsi quun questionnaire choix multiples (pour tester la
compr- hension des fiches) et un index des auteurs. 2. LOUVRAGE EN
DIX PARTIES I. Questions de mthode : fiches 1-2 II. Les prcurseurs
: fiches 3-8 III. Lcole classique : fiches 9-15 IV. Le marxisme :
fiches 16-19 V. Le marginalisme : fiches 20-24 VI. La pense
autrichienne : fiches 25-27 VII. Le keynsianisme : fiches 28-30
VIII. Aujourdhui : une science conomique clate : fiches 31-36 IX.
Lconomie est-elle une science ? : fiches 37-39 X. Dictionnaire de
100 auteurs : fiche 40 3. POUR ALLER PLUS LOIN Deux manuels publis
par les auteurs de ce Maxi Fiches permettent dapprofondir la
plupart des courants et auteurs voqus : c Ghislain Deleplace,
Histoire de la pense conomique. Du royaume agricole de Quesnay au
monde la Arrow-Debreu , Paris, Dunod, 2e dition, 2007, 553 pages. c
Christophe Lavialle, Histoire de la pense conomique. Cours,
mthodes, exercices corrigs, en collaboration avec J.-L. Bailly, J.
Buridant, G. Caire et M. Montouss, in M. Montouss (d.), Rosny,
ditions Bral, 2000, 415 pages.
9. 3 1 Comment faire de lhistoire de la pense conomique ? 1.
LOBJET DE LA SCIENCE CONOMIQUE La question mme de la dfinition de
lobjet de la science conomique, du ques- tionnement qui lidentifie
comme discipline autonome, a reu, dans lhistoire de la pense, des
rponses diverses. Identifie une science des richesses la priode
classique, elle se dfinira ensuite comme la science des choix
individuels en univers de raret. Au-del de ces dfinitions
particulires, la question commune qui ras- semble les conomistes
est celle du processus de formation des grandeurs co- nomiques. son
tour, cette question renvoie linterrogation fondamentale, et
partage, sur les consquences sociales de lindividualisme. a) la
priode classique : lconomie politique, science des richesses La
priode classique couvre le XIXe sicle (cf. fiche 9). Elle commence
avec Adam Smith (Recherches sur la nature et les causes de la
richesse des nations, 1776 : cf. fiche 13), se poursuit avec
notamment David Ricardo (Des principes de lconomie politique et de
limpt, 1817 : cf. fiche 14) et sachve, la fin du sicle, avec Karl
Marx (cf. fiches 17 et 19) qui est, dune certaine manire, le
dernier des classiques . Les classiques sont donc des contemporains
de la premire rvolution industrielle, du dveloppement du
capitalisme industriel, puis de ses crises dans la seconde moiti du
XIXe sicle. Leur interrogation principale concerne donc ce quon
appellerait aujourdhui le processus de croissance conomique,
cest--dire le processus daccumulation des richesses : il sagit de
sinterroger sur 1) les causes de la richesse (ce qui conduit
sinterroger sur le processus de production, le mcanisme de la
division du travail et les mcanismes de lchange) ; 2) sur sa nature
(ce qui conduit sinterroger sur la nature de la monnaie et les
concepts de valeur et de prix) ; 3) sur sa rpartition (dtermination
des revenus et mcanismes de la redistribution). En corollaire, ils
sinterrogent sur les limites ventuelles que pourrait rencontrer ce
processus daccumulation des richesses, et ce notamment loccasion de
lanalyse des crises et des cycles. Point clef Au-del des dnitions
particulires que les diffrentes coles de pense ont pu donner de la
disci- pline, la science conomique partage avec lensemble des
sciences sociales une interrogation gnrale sur la possibilit de
constitution dun ordre social sur un mode dcentralis. Considrant
que cet ordre social est dabord un ordre conomique, la science
conomique dcline cette inter- rogation gnrale en un questionnement
particulier sur le processus de formation des grandeurs conomiques.
Lhistoire des rponses apportes ce questionnement peut alors se
faire, soit la lumire de ltat prsent de la thorie conomique (pour
souligner le processus qui a conduit sa constitution), soit du
point de vue de son origine (pour souligner la permanence des
conceptions classiques et leur enrichissement progressif), soit de
manire clairer les dbats thoriques contemporains : lhistoire de la
pense conomique est alors conue comme un lment central du progrs
des connaissances en conomie.
10. Fiche 1 Comment faire de lhistoire de la pense conomique ?
4 b) la priode contemporaine : la science conomique , science des
choix en univers de raret la suite de la rvolution marginaliste
(cf. fiche 20), les auteurs noclassiques (Alfred Marshall,
Principes dconomie politique, 1890 : cf. fiche 22) vont mettre
laccent sur lexistence de la raret. Selon eux, cest lexistence des
contraintes de raret qui cre le problme conomique, lequel devient
pour lessentiel un problme de choix. 1) Quoi produire et en quelle
quantit ( quelle production affecter les ressources productives ds
lors que celles- ci ne sont pas illimites) ? 2) Comment le produire
? (Quelle est la combinaison productive la plus efficace,
cest--dire la plus conome ?) 3) Pour qui le produire ? (Comment
rpartir la richesse cre ds lors que celle-ci est rare ?) c) Un
objet commun : la formation des grandeurs conomiques Finalement le
questionnement particulier des conomistes peut se dcliner en deux
temps. Il sagit de comprendre : 1) comment les agents conomiques
(individus, pouvoirs publics, entreprises, organisations)
effectuent, dans un monde caract- ris par la raret a priori des
ressources disponibles, leurs choix (de production, de
consommation, dinvestissement), puis 2) comment ces choix sont
coordonns de manire dterminer (bien ou mal) le niveau et
lallocation (la rpartition) des richesses produites. Ce faisant les
conomistes choisissent de sintresser en fait au processus de la
forma- tion de toutes les grandeurs conomiques (richesse, prix,
revenus, valeurs, niveau demploi). Et les relations conomiques sont
identifies du mme coup, parmi lensemble des relations sociales,
comme celles qui ont la particularit de donner naissance des
grandeurs mesurables. Cette dfinition des relations conomiques
comme productrices de grandeurs mesurables et lidentification du
problme des conomistes comme tant celui de comprendre le processus
qui prside la formation de ces grandeurs, appelle deux remarques :
c Une remarque mthodologique tout dabord : ds lors que la science
conomique va se dfinir en se donnant comme objet dtude des
grandeurs, elle va naturel- lement tre porte recourir au calcul
(statistique puis mathmatique) et la formalisation, et emprunter
aux sciences exactes , pour son usage propre, des concepts (tel
celui dquilibre) et des mthodes (tel le calcul infinitsimal). Il en
rsultera lambition toujours maintenue, quoique mal partage, dun
rapprochement avec les sciences dures (cf. fiche 37). c Une
remarque analytique ensuite : lvidence, au cur du problme des cono-
mistes (comment les agents conomiques effectuent-ils leurs choix et
comment ceux-l sont-ils coordonns pour former des grandeurs
reprables et mesurables) se trouve la question de laptitude dune
conomie fonctionner sur un mode dcentralis. Cette question, son
tour, relve du questionnement gnral de la science sociale, relatif
aux consquences sociales de lindividualisme. d) Une manire
particulire de se poser une question gnrale Elle revient en fait se
poser de manire particulire une question commune lensemble des
sciences sociales (la formation de lordre social). La particularit
de la science conomique tient alors ce quelle fait du lien
conomique (et en loccurrence
11. Fiche 1 Comment faire de lhistoire de la pense conomique ?
5 du lien marchand) le lien fondateur du social : linterrogation
sur la richesse est une interrogation sur lharmonie des socits. 2.
LA PLACE DE LHISTOIRE DE LA PENSE CONOMIQUE La diversit de la
science conomique se retrouve dans la faon den crire lhistoire. a)
Lhistoire de la pense conomique du point de vue de son
aboutissement On peut faire lhistoire de la discipline du point de
vue de son aboutissement, retenant lide dun progrs constant des
connaissances ( , History of Economic Analysis, 1956). Les thories
passes sont alors tudies et juges laune de ce qui constitue la
science conomique moderne : elles apparaissent soit comme des
avances, soit comme des reculs sur le chemin qui conduit ce que la
science conomique est aujourdhui. videmment une telle vision
conduit faire de lhistoire de la pense conomique une archologie et,
considrant que la thorie conomique moderne est ltat le plus avanc
et le plus achev de la science, lhistoire de la pense cono- mique
est juge a priori inutilisable pour comprendre les dbats modernes ;
le risque est alors grand de la faire sortir de la discipline :
faire de lhistoire de la pense co- nomique, ce serait alors
davantage faire de lhistoire que faire de lconomie (au sens de
contribuer lavancement de la connaissance conomique). b) Lhistoire
de la pense conomique du point de vue de son origine On peut aussi
faire de lhistoire de la pense conomique du point de vue de son
point de dpart (Adam Smith et la thorie classique). Le risque
serait alors de biaiser la vision de la discipline par lacceptation
de lide que celle-ci serait ncessaire- ment caractrise par certains
traits constitutifs de la pense classique, qui pourtant nexistaient
pas avant elle et ne seront pas admis unanimement aprs, y compris
par des auteurs quil serait difficile dexclure du primtre de la
discipline. Ces traits constitutifs sont : c la croyance en des
lois conomiques naturelles, qui sappliqueraient en tout lieu et en
tout temps, alors que le caractre historiquement dtermin des lois
du capitalisme est au contraire soulign par le marxisme (cf. fiche
17), lcole histo- rique, le keynsianisme (cf. fiche 28) ou lcole
institutionnelle (cf. fiche 36) ; c la caractrisation de lordre
conomique comme un ordre marchand et la rduc- tion des relations
conomiques un libre-change gnralis source de la richesse, l o
certains auteurs, de la physiocratie (cf. fiche 8) lcole classique
que pourtant Smith contribue fonder insistent davantage sur la
spcificit des relations de production, tandis que dautres, des
mercantilistes (cf. fiche 6) aux keynsiens, confrent ltat, mme dans
une conomie de march, un rle essentiel dans la constitution de
lharmonie conomique et sociale ; c laffirmation de la neutralit de
la monnaie et la description du processus de forma- tion des
grandeurs conomiques en termes exclusivement rels, alors que
lanalyse de la monnaie et de son influence et la comprhension des
relations conomiques partir des relations montaires sont au cur de
thories antrieures (comme le mercantilisme) ou postrieures (comme
celles de Marx ou Keynes). c) Lhistoire de la pense conomique du
point de vue de la permanence des questions et des dbats
fondamentaux. Une dernire possibilit est de faire de lhistoire de
la pense conomique de manire clairer les dbats contemporains.
Ainsi, faire de lhistoire de la pense conomique, ce peut tre
resituer les ides conomiques, de manire chronologique,
Schumpeter
12. Fiche 1 Comment faire de lhistoire de la pense conomique ?
6 dans leur contexte, mais ce peut-tre surtout, au-del de
limmersion dans le factuel, comprendre la logique du dveloppement
de la discipline, de ses prmisses jusqu son tat actuel, et
souligner la permanence des dbats fondamentaux, reprer les
questions non encore rsolues, identifier les oppositions
irrductibles qui nourrissent le dbat conomique. Selon ce dernier
point de vue, lhistoire de la pense conomique fait alors partie
intgrante de la thorie, au sens o elle contribue au progrs de la
discipline en lui permettant de prendre conscience de ses limites.
Cest le point de vue que nous adopterons dans le prsent ouvrage.
Citations La dnition contemporaine de la science conomique Lconomie
est la science qui tudie le comportement humain en tant que
relation entre les ns et les moyens rares usages alternatifs.
(Lionel Robbins, La nature et la signication de la science
conomique, 1932,). Les dbats fondamentaux qui la traversent Dun ct
il y a ceux qui croient qu long terme le systme conomique sajuste
tout seul, non sans grincements, gmissements et saccades, ni sans
tre interrompu par des contretemps, des interfrences extrieures et
des erreurs De lautre, il y a ceux qui rejettent lide que le systme
conomique puisse srieusement sajuster tout seul. (John Maynard
Keynes, Thorie gnrale de lemploi, de lintrt et de la monnaie,
1936). Et limportance de lenseigner historiquement Il est de fait
que les erreurs fondamentales quon commet aujourdhui en analyse
conomique sont plus souvent dues un manque dexprience historique qu
toute autre lacune de la forma- tion des conomistes. (Joseph
Schumpeter, Histoire de lanalyse conomique, 1954).
13. 7 2 Une histoire rapide des thories conomiques 1. DE
LACTIVIT CONOMIQUE LA SCIENCE CONOMIQUE On a vu dans la fiche 1 que
la science conomique se pose de manire particulire une question
commune lensemble des sciences sociales : comment un ordre social
se forme-t-il ? Elle analyse ainsi la faon dont les relations entre
les hommes se tra- duisent dans des grandeurs mesurables, au
premier rang desquelles la richesse (tant individuelle que
collective). Il convient prsent de se demander quand est apparue
cette science conomique et selon quels grands axes elle a volu
jusqu nos jours. Ces interrogations sont au cur de lhistoire de la
pense conomique et il sagit ici den donner un panorama gnral, qui
sera dtaill dans les fiches composant cet ouvrage. Lactivit
conomique est aussi ancienne que les socits organises. Cest en Grce
antique que se forge le mot conomie, de oikos (maison) et nomos
(loi) : lconomie domestique porte sur les rgles dadministration de
la maison ou du domaine. Si ds cette poque on sinterroge sur la
similitude ou non des rgles sappliquant la famille (lconomique) et
la Cit (le politique), lactivit conomique sera pen- dant longtemps
perue seulement comme une des activits humaines, subordonne dautres
types de relations entre les hommes (religieuses, politiques) sur
lesquel- les repose lexistence de la socit. Cest dans la seconde
moiti du XVIIIe sicle que la primaut de lconomique com- mence tre
reconnue. Cette prminence des relations conomiques dans lorga-
nisation de la socit et llaboration dune science destine en rendre
compte sexpliquent par deux phnomnes. Le premier est la Rvolution
industrielle ; son apparition initiale en Grande Bretagne nest pas
trangre au fait que la science conomique restera pendant plus dun
sicle Point clef Les dbats qui traversent lhistoire de la pense
conomique se nouent autour de deux questions : les relations
march/production et march/tat. Schmatiquement, lhistoire de ces
dbats est ponctue par trois rvolutions (dont la datation dcoule de
la parution des grandes uvres qui les marquent) : La rvolution
classique (1776-1817) reprsente pour la premire fois lconomie comme
un systme dans lequel sarticulent les changes marchands et
lorganisation de la production, et elle labore les principes de la
doctrine librale. La rvolution marginaliste (1874-1890), en
gnralisant la loi de loffre et de la demande lensemble des activits
conomiques, absorbe lanalyse de la production dans celle du march
et donne un fondement scientique la doctrine librale. La rvolution
keynsienne (1936) tablit lincapacit dune conomie de march atteindre
le niveau de production globale permis par la main-duvre disponible
et justie ainsi labandon dun laisser-faire gnral au prot dune
intervention de ltat. Ces trois rvolutions dans la pense conomique
ont faonn les termes dans lesquels se prsen- tent aujourdhui les
controverses entre conomistes, en particulier sur la place quil
convient dattri- buer au march dans lensemble des relations
sociales, thme central du renouveau nolibral.
14. Fiche 2 Une histoire rapide des thories conomiques 8 et
demi sous domination britannique. Dans des socits o lactivit de
production tait auparavant principalement agricole, le commerce
tant limit aux villes et aux changes internationaux, la Rvolution
industrielle bouleverse la perception des relations sociales :
dsormais, lactivit conomique est oriente vers le march et
lorganisation mme de la production repose sur un change marchand
particulier, le salariat. Le second phnomne est le dveloppement de
la doctrine librale, en vertu de laquelle la concurrence sur les
marchs est un mcanisme assurant la fois lefficacit conomique et
lharmonie sociale, ltat devant se limiter (en dehors de ses
fonctions rgaliennes) garantir la libert conomique de tous et
dabord des entreprises. De mme que lexpansion de lconomie de march,
qui accompagnait la Rvolution industrielle, constituait une rupture
avec le commerce spcialis et cloisonn des soci- ts traditionnelles
antrieures, la doctrine librale sinscrit dabord en opposition une
vision interventionniste de ltat en matire conomique qui justifiait
lattribution de monopoles et les rglementations corporatistes. 2.
DU MERCANTILISME AU MARGINALISME On trouve les premires rflexions
sur la richesse dans lAntiquit grecque, en parti- culier chez
Aristote, qui distingue lchange tourn vers la satisfaction des
besoins, quil faut encourager, et la chrmatistique, change en vue
de lenrichissement, quil condamne. Ces arguments furent repris au
Moyen ge par Saint Thomas dAquin et les scolastiques, qui en
tirrent une condamnation du prt intrt (cf. fiche 4). Cest en
raction contre la doctrine thomiste quapparat vers 1360 une premire
rflexion sur la nature de la monnaie. Contre une vision de celle-ci
comme chose du prince, Nicolas Oresme soutint que la valeur de la
monnaie a pour origine le consentement des marchands lutiliser et
quen consquence le prince, seule source lgitime de cration
montaire, doit sabstenir de la manipuler. Deux sicles plus tard,
cette relation entre le prince et les marchands fut en France au
cur des dbats montaires o se distingurent de Malestroit et Jean
Bodin. Lanalyse de cette question centrale fut tendue par le
mercantilisme lenrichissement de la nation par un commerce extrieur
contrl, lencouragement de lemploi par la protection des industries
nationales et la stimulation de lactivit interne par la circulation
de liquidits abondantes (cf. fiche 6). Cest cette vision montaire
et anti-librale que rejeta Adam Smith (cf. fiche 13), influenc par
le courant franais de la physiocratie (cf. fiche 8) dont il retint
la croyance en un ordre naturel, le rle du capital dans la gnration
dun surplus et le plaidoyer pour la libert du commerce. Adam Smith
fonda lcole classique (cf. fiche 9), dont lapoge fut atteint en
1817 avec David Ricardo qui labora un systme dconomie politique
reposant sur une thorie des prix relatifs et de la rpartition des
revenus (cf. fiche 14). Cette thorie simposa pendant un demi-sicle
et influena mme Karl Marx, qui tira de sa critique des conclusions
anti-librales et anti-capitalistes (cf. fiche 19). La rvolution
marginaliste des annes 1870 conforta la doctrine librale, mais la
fonda sur une autre thorie de la valeur que celle de Ricardo :
lutilit marginale et la loi de loffre et de la demande devinrent
les outils privilgis de lanalyse cono- mique (cf. fiche 20). Le
marginalisme simposa sous sa version anglo-saxonne , labore par
Stanley Jevons et Alfred Marshall (cf. sur ce dernier la fiche 22)
; une ver- sion autrichienne (cf. fiche 25), due Carl Menger et
Eugen von Bhm-Bawerk,
15. Fiche 2 Une histoire rapide des thories conomiques 9
combattit en Europe centrale linfluence de lcole historique
allemande, rtive aux gnralisations thoriques. Une troisime version
du marginalisme, fonde ds 1874 par le Franais Lon Walras sur le
concept dquilibre gnral (cf. fiche 21), fut ignore en dehors de
lcole de Lausanne, o elle fut complte par lItalien Vilfredo Pareto.
Enferm dans des dbats internes do mergrent Rosa Luxembourg et
Nicolas Boukharine, le marxisme fut progressivement relgu hors de
lenseigne- ment de la science conomique (cf. fiches 17 et 18). 3.
LA DIVISION EN MICROCONOMIE ET MACROCONOMIE En 1936 fut publie par
John Maynard Keynes la Thorie gnrale de lemploi, de lintrt et de la
monnaie, qui constituait la fois une critique de la thorie de lqui-
libre global contenue dans le marginalisme et une dmonstration de
lincapacit de lconomie de march assurer le plein emploi (cf. fiche
29). Cette nouvelle thorie donna naissance un courant, le
keynsianisme (cf. fiche 28), dont le modle IS-LM prsent par John
Hicks ds 1937 constitua le cadre dexposition. Aprs la redcouverte
par Hicks en 1939 de la thorie de Walras, le champ de la science
conomique fut divis en deux : la microconomie, concernant
lallocation des ressources, les prix relatifs et la rpartition des
revenus, fonde sur lquilibre gnral walrasien, et la macroconomie,
concernant lactivit conomique densem- ble, lemploi et la monnaie,
fonde sur lquilibre global keynsien. cette division thorique
correspondait une division pratique du travail, lconomie de march
tant charge de lgalisation des offres et des demandes par branches
dactivit et ltat soccupant de la rgulation conjoncturelle du niveau
global dactivit. Dans les annes 1950, cette vision de lconomie fut
complte par lintroduction de la dynamique, qui se fit, du ct de la
microconomie walrasienne, par Kenneth Arrow et Grard Debreu (cf.
fiche 23), et, du ct de la macroconomie keynsienne, par Robert
Solow. Ce partage des tches, qualifi de synthse noclassique et dont
Paul Samuelson fut lincarnation par son uvre abondante ds les annes
1940, juxtaposait plus quil intgrait les composantes micro et macro
de la science conomique, ainsi que la dfense du march et
lintervention de ltat. Malgr cette faiblesse, il demeura jusquau
milieu des annes 1960, o il fut remis en cause de deux cts. Une
premire ligne de critique rsulta dune tentative de convergence
entre une conception plus radicale (dite post-keynsienne) de la
croissance, illustre entre autres par Joan Robinson et Nicholas
Kaldor (cf. fiche 30), et un rejet du margina- lisme au profit dun
retour aux principes de la thorie ricardienne, initi en 1960 par
Piero Sraffa (cf. fiche 15). Une deuxime remise en cause vint de la
thorie du dsquilibre qui, la suite de Robert Clower (1965), seffora
dintgrer les ides de Walras et de Keynes en une thorie plus gnrale
(cf. fiche 33). Mais le coup fatal fut port par le montarisme,
dfendu depuis les annes 1950 par Milton Friedman (cf. fiche 31),
dont la critique des politiques montaires orientes vers la
recherche du plein emploi dboucha dans les annes 1970 sur le rejet
pur et simple de la macroconomie keynsienne par les nouveaux
classiques regroups autour de Robert Lucas (cf. fiche 32). Ce rejet
suscita, partir des annes 1980, une raction des nouveaux keynsiens
visant retrouver des rsultats qualifis de key- nsiens partir de
fondements microconomiques adapts (cf. fiche 34). Bien que la
microconomie ait ainsi absorb, dune manire ou dune autre, le pilier
macroconomique de la synthse noclassique, cela na pas cependant
conduit
16. Fiche 2 Une histoire rapide des thories conomiques 10 une
unification de la discipline autour du paradigme walrasien. Au sein
de la micro- conomie elle-mme, ce paradigme fond sur la concurrence
parfaite et lquilibre gnral est, depuis les annes 1980, dlaiss au
profit dune nouvelle microco- nomie de la concurrence imparfaite en
quilibre partiel (cf. fiche 24). Cette absence dunification
thorique explique qu ct des nouveaux classiques et des nouveaux
keynsiens, des nbuleuses non encore stabilises connaissent
aujourdhui un intrt croissant autour des thories no-autrichiennes
issues de Joseph Schumpeter et de Friedrich Hayek (cf. fiches 26 et
27) ou encore autour de lapproche institutionnaliste (cf. fiches 35
et 36). Citations La rvolution classique : production et change
Cette division du travail, de laquelle dcoulent tant davantages, ne
doit pas tre regarde dans son origine comme leffet dune sagesse
humaine qui ait prvu et qui ait eu pour but cette opulence gn- rale
qui en est le rsultat ; elle est la consquence ncessaire, quoique
lente et graduelle, dun certain penchant naturel tous les hommes,
qui ne se proposent pas des vues dutilit aussi tendues : cest le
penchant qui les porte traquer, faire des trocs et des changes dune
chose pour une autre. (Adam Smith, Recherche sur la nature et les
causes de la richesse des nations, 1776). La rvolution marginaliste
: la prminence du march Le monde peut tre considr comme un vaste
march gnral compos de divers marchs spciaux o la richesse sociale
se vend et sachte, et il sagit pour nous de reconnatre les lois
suivant lesquelles ces ventes et ces achats tendent deux-mmes se
faire. (Lon Walras, lments dconomie politique pure ou thorie de la
richesse sociale, 1874). La rvolution keynsienne : conomie de march
et sous-emploi Lorsque sur dix millions dhommes dsireux et capables
de travailler il y en a neuf millions employs, il nest pas vident
que le travail de ces neuf millions soit mal orient. Il ne faut pas
reprocher au sys- tme actuel demployer ces neuf millions dhommes
aux tches qui leur sont imparties, mais de navoir pas douvrage
disponible pour le dernier million. Cest le volume et non la
direction de lemploi que le systme actuel dtermine dune faon
dfectueuse. (John Maynard Keynes, Thorie gnrale de lemploi, de
lintrt et de la monnaie, 1936).
17. 11 3 De lconomique lconomie politique puis la science
conomique : continuit et ruptures 1. DE LA PHILOSOPHIE MORALE
LCONOMIE POLITIQUE : UNE CERTAINE CONTINUIT Schmatiquement, si lon
se limite lOccident, on trouve les premires rflexions sur la
richesse dans lantiquit grecque, en particulier chez Aristote (cf.
fiche 4) au IVe sicle avant notre re. Jusquau milieu du XVIIIe
sicle, la science conomique telle que nous la concevons aujourdhui
nexiste pourtant pas. Les rflexions cono- miques sur la valeur, le
travail, la monnaie existent, mais il faut les chercher dans des
ouvrages qui ne sont pas dconomie, mais de philosophie politique,
de thologie ou dadministration patrimoniale. Cette premire pense
conomique na pas dunit thorique, et ce qui la caractrise est son
assujettissement dautres savoirs. Il est alors possible de suivre
le fil de la pense occidentale, en y reprant des aspects de
continuit et des ruptures dcisives, qui conduiront finalement, sur
la question qui nous occupe, la constitution de la science
conomique en discours autonome. a) Continuit dans les thmes Tout au
long de ces longs sicles, la question centrale de la philosophie
politique demeure celle de savoir comment constituer un ordre
social harmonieux et, en particulier, comment concilier harmonie
sociale et libert individuelle. Cest la question que se posent les
philosophes grecs aprs Socrate, cest celle que reprennent les
penseurs de lIslam, puis de lglise chrtienne ; cest la mme question
que lon retrouve lpoque moderne au centre des proccupations des
juristes (thoriciens du droit naturel, tels Hugues De Groot
(Grotius) ou Pufendorf) et des philosophes politiques (de Machiavel
Hobbes et Rousseau). Enfin, cest gale- ment celle des conomistes,
qui vont la dcliner dune manire particulire (en lidentifiant la
question de la formation des grandeurs conomiques, amalgamant socit
et conomie, plus prcisment socit et conomie marchande) et y rpondre
de manire spcifique : pour les premiers conomistes , cest par le
lien conomique que se fonde prioritairement le lien social et, en
loccurrence, ce lien conomique ne se fonde correctement qu la
condition de laisser les individus poursuivre le plus librement
possible leurs intrts particuliers. Point clef Lobjectif gnral de
cette partie (ches 3 8) est de souligner les particularits de la
pense co- nomique avant lmergence dune science conomique. En
loccurrence il sagira de souligner que si une pense conomique a
incontestablement exist depuis lAntiquit, cette pense se
caractrise, jusqu la constitution de la science conomique classique
la n du XVIIIe sicle par le fait quelle nest pas autonome, mais
articule (et infode) dautres types de savoirs dans le cadre de
lhritage de larchitectonique aristotlicienne. Il sagira de reprer
schmatiquement le processus de constitution de lconomie politique
puis de la science conomique comme discipline autonome, et la
constitution nale de lconomie comme idologie dominante , au travers
du renversement des liens de subordination entre thique, politique
et conomique. Il sagira alors de reprer, dater et clairer les
grandes ruptures dans lhistoire de la pense occidentale qui ont
conduit cette mergence.
18. Fiche 3 De lconomique lconomie politique puis la science
conomique : continuit et 12 b) Continuit dans la qute Malgr les
diffrences de rponses apportes la question de lordre social, une
qute commune structure la pense occidentale en la matire : cest la
qute de lordre naturel des socits . Recherchant la meilleure manire
dorganiser la vie des hommes en socit, le prsuppos mthodologique
assez largement partag par les penses dominantes qui se succdent
est que cet ordre social, pour tre harmonieux, doit obir aux rgles
de la nature (que celles-ci dcoulent dune quelconque volont divine
ou rsultent de la nature des choses ou bien encore de la nature
humaine). Cet ordre naturel, a priori non transparent, doit donc
tre dcouvert et rvl : cest la tche que se fixeront successivement
les philosophes antiques, les docteurs scolastiques, les politistes
et les juristes de la Renaissance lpoque classique, les conomistes
enfin. Cette foi en lexistence dun ordre naturel des socits,
valable en tous lieux et en tout temps, relve de la tradition
socratique : cest en effet Socrate qui le premier, en opposition
aux sophistes, revendique le caractre immuable des principes moraux
qui doivent organiser la vie de la cit : lordre politique est donc
un ordre naturel en ce quil doit rpondre des impratifs moraux
immuables et ternels. c) Continuit dans linterrogation conceptuelle
On observe mme une forme de continuit dans linterrogation
conceptuelle sur les questions conomiques. Il existe en effet une
rflexion conomique bien avant lmergence dune science conomique : le
terme conomique vient de , lve de Socrate, et les auteurs grecs ( ,
) dj sinterro- gent sur les mmes concepts (valeur, monnaie, juste
prix ) qui interpelleront plus tard les premiers conomistes
(classiques) et leurs successeurs. On trouve mme chez un auteur
comme Aristote, un dbut de rflexion conceptuelle sur la valeur (o
sinterrogeant sur la valeur dun bien, il distingue valeur dusage et
valeur dchange) et sur la monnaie (dont il repre les fonctions,
quil tente de hirarchiser). Au Moyen ge, fournit de longs
dveloppements pour justifier, en des termes que ne renieraient pas
les conomistes contemporains, la pro- prit prive. De la mme manire,
son interrogation sur le juste prix le conduit sinterroger sur les
questions de justice sociale (opposant justice distributive justice
dans la rpartition des richesses et justice commutative justice
dans lchange). La diffrence est que tout au long des sicles qui
prcdent lmergence dune science conomique, la rflexion conceptuelle
est mene par des penseurs qui ne se revendiquent pas conomistes,
qui ce titre ne considrent pas la question conomique comme
fondatrice de la question sociale et jugent les pratiques et les
catgories conomiques de lextrieur , partir dun langage doctrinal
qui procde dune autre logique : philosophie morale ou politique,
science juridique 2. DE LA PHILOSOPHIE MORALE LCONOMIE POLITIQUE :
DEUX RUPTURES ESSENTIELLES a) Le double enchssement de lconomique
dans larchitectonique aristotlicienne Pendant prs de vingt sicles,
denviron 500 av. J.-C. (priode socratique) lan 1 500 ap. J.-C. (fin
du Moyen ge et dbut de lpoque moderne), le dbat qui nous occupe est
domin par la rflexion morale. Xnophon Platon Aristote Saint Thomas
dAquin
19. Fiche 3 De lconomique lconomie politique puis la science
conomique : continuit et 13 Ds Socrate, on affirme que lordre
politique (lordre des cits) ne sera assur que si la Cit est mme
datteindre et de maintenir un certain nombre dexigences morales :
courage, temprance, vrit, justice. Ces principes moraux , rputs
immuables et ternels, fondent la naturalit de lordre politique.
Dans ce cadre, les pratiques conomiques sont juges pernicieuses et
dltres pour lordre politique, prcisment car elles sont juges
immorales : lconomique est analys comme domaine des passions
acquisitives , domaine par excellence dexercice des gosmes
individuels et des comportements amoraux. Au nom de ce double
enchssement de lconomique (lconomique doit se soumettre aux
exigences objectives de lordonnancement politique des cits, lequel
ne peut tre atteint que sil respecte les principes moraux
naturels), les pratiques conomiques sont rputes devoir tre limites
et contingentes : c lexemple de Platon (cf. fiche 4) qui dcrit,
dans La Rpublique, la Cit idale comme reposant sur une stricte
division des tches qui isolera les citoyens devant la guider de
tout contact avec les pratiques marchandes et mon- taires, ou
encore qui dcrit, dans Les Lois, les cits possibles comme devant
reposer sur une stricte interdiction de lexpansion des richesses
(tat stationnaire) et un strict souci dgalit dans sa rpartition (
communisme platonicien) ; c lexemple dAristote puis de Saint Thomas
dAquin, qui, au nom de rflexions philosophiques sur la nature de la
monnaie et de principes moraux, condamnent la pratique du taux de
lintrt et ce quAristote nomme la mauvaise chrmatis- tique ,
cest--dire laccumulation de richesses pour elles-mmes (ne se
donnant pas pour objet la seule obtention de choses ncessaires la
vie ). b) Implique une double rupture pour que lconomique smancipe
Cette architecture de la pense occidentale (domination de la
rflexion politique par la morale et condamnation des pratiques
conomiques) se retrouve donc au Moyen ge aprs que, via les savants
musulmans ( et notam- ment, cf. fiche 4), les intellectuels de
lglise aient rcupr lhritage aristotlicien et tent de le concilier
avec les critures et les crits patristiques dune part, le droit
romain de lautre (qui constituent les deux autres sources
dinspiration de la scolas- tique, qui atteint son apoge avec Saint
Thomas dAquin au XIIIe sicle). Il faudra logiquement, puisque
lconomique est alors doublement enchss par les exigences politiques
et morales, une double rupture pour quelle puisse merger comme
savoir autonome : c la premire rupture conduira rompre le lien de
dpendance entre la rflexion politique et la philosophie morale. Il
en rsultera dj un changement dattitude vis--vis des pratiques
conomiques, qui ne seront plus entraves (cf. fiches 5 et 6) ; c la
seconde sanctionnera lmergence dune pense conomique autonome en
rompant le lien de subordination entre conomique et politique, plus
prcis- ment en linversant : lordre naturel des socits sera alors
rput tre un ordre conomique, celui de lconomie de march. Le
libralisme conomique enfan- tera la science conomique (cf. fiches 7
et 8). Avicenne Averros Fiche 3 De lconomique lconomie politique
puis la science conomique
21. 15 4 La pense antique et mdivale : vingt sicles de
condamnation morale des pratiques conomiques 1. LES RFLEXIONS
CONOMIQUES DANS LANTIQUIT GRECQUE a) Xnophon : lconomique comme art
de la gestion domestique Cest Xnophon (vers 426-354 av. J.-C.), lve
de Socrate, que lon doit donc le terme dconomie . Aprs avoir servi
comme soldat au service de Sparte, Xnophon se retire pour exploiter
un domaine agricole. Au sein dune uvre trs diverse, quatre ouvrages
sont tirs de ses expriences, dont Lconomique et Les revenus. Dans
le cadre de ces traits dadministration patrimoniale, lconomique ,
terme driv de oikos (la maison) et nomos (ladministration), se
rduit aux rgles de bonne gestion domestique. Linterrogation sur ces
questions ne peut donc par dfi- nition pas tre une interrogation
politique sur lordonnancement des cits. Xno- phon ne sintresse qu
ladministration des domaines ruraux, se contentant prcisment de
mettre en vidence limportance de lagriculture dans la production
des richesses. b) Platon : de la cit relle la Cit idale Les
rflexions conomiques de Platon (Aristocls, dit Platon, 428-348 av.
J.-C.) scartent de cette vision troite et ont une porte plus
philosophique. Il sagit de sinterroger, comme dans La Rpublique,
sur lordonnancement de ce que pourrait tre une Cit idale (ordonne,
harmonieuse). Dans lesprit de Platon, et concernant les questions
conomiques, cela passe par un strict contrle collectif des
pratiques et des relations conomiques, tel point que certains ont
voulu y voir un plaidoyer en faveur dune forme de communisme . Ce
systme sapplique une communaut de 5 040 citoyens, dans laquelle les
catgories sociales ne sont pas abolies, mais fondes sur la slection
et non sur lhrdit. La division du travail entre ces catgories doit
tre trs stricte : au sommet, les races dor et dargent fournissent
respectivement les gardiens dirigeant la Cit (dont la principale
qualit doit tre la sagesse) et les guerriers la dfendant (dont la
principale qualit doit tre le courage). En contrepartie de ces
responsabilits minentes, gardiens et guerriers doivent tre
astreints un rgime dune extrme rigueur ; tout particuli- rement,
puisque ces deux catgories ont la charge dassurer la sauvegarde des
murs, et afin que leurs propres qualits morales ne soient pas mises
en danger, elles sont cartes de toute activit conomique. Dans ce
systme, la famille et la proprit prive, sources de passions
acquisitives, sont abolies. Seuls ceux, artisans Point clef Si une
pense conomique a incontestablement exist depuis lAntiquit, cette
pense se carac- trise, jusqu la constitution de la science
conomique classique la n du XVIIIe sicle par le fait quelle nest
pas autonome, mais articule (et infode) dautres types de savoirs
dans le cadre de lhritage de larchitectonique aristotlicienne. La
prsente che sintresse aux vingt sicles au cours desquels, de
lantiquit grecque la scolastique mdivale, la pense conomique
demeure infode aux considrations thiques et morales et les
pratiques conomiques, ce titre, condamnes et contingentes.
22. Fiche 4 La pense antique et mdivale : vingt sicles de
condamnation morale des pratiques co- 16 et commerants, qui se
situent au bas de la hirarchie et doivent assurer le fonction-
nement matriel de la Cit, conservent la jouissance de la proprit
prive. Lorsquil sinterroge dans Les Lois sur les cits possibles qui
seraient mme de se rapprocher de cet idal, Platon y confirme que
prosprit et richesse ne doivent pas tre une fin en soi et que les
seules qutes de ces cits doivent tre la justice et lharmonie
sociale, fondes sur le respect des vertus morales cardinales
(sagesse, courage, justice, temprance). c) Aristote et la
condamnation morale de lenrichissement Aristote (384-322 avant
notre re), lve de Platon et fondateur Athnes du Lyce, sera considr
au Moyen ge comme le philosophe. Il aborde les questions conomiques
principalement dans La politique et dans Lthique Nicomaque.
Aristote y fait la distinction entre deux types de richesses, la
vritable richesse qui concerne les biens indispensables la vie et
la fausse richesse qui concerne les biens superflus. Lart de
lconomique, quil associe comme Xnophon ladmi- nistration familiale,
consiste, pour le matre, en sa capacit dacqurir et de se servir de
la vritable richesse : la finalit de lexistence nest pas
lenrichissement, mais la vie heureuse . Aristote rejoint ainsi
Platon dans sa condamnation de lenri- chissement. Il oppose la
chrmatistique (art dacqurir des richesses) naturelle , qui consiste
acqurir des richesses ncessaires la vie, la chrmatistique
mercantile , qui consiste acqurir un bien, non pour la fonction
quil remplit, mais pour lacquisition proprement dite. Cette
condamnation trouve son cho dans une analyse de la monnaie.
Aristote est le premier dfinir les trois fonctions montaires :
talon des valeurs, moyen dchange et rserve de valeur (instrument
dpargne). De son point de vue, la monnaie est avant tout un moyen
dchange. Puisque telle est sa nature, faire de la monnaie une
finalit de lactivit conomique, une richesse en elle-mme, est donc
lui faire jouer un rle contre-nature, et va donc lencontre de
lordre naturel. Cest donc par perversion que la monnaie est devenue
principe et fin de lchange commercial . Lactivit conomique est donc
condam- ne ds lors quelle scarte de la seule juste satisfaction des
besoins familiaux ; lenrichissement (montaire) est banni et la
pratique de lusure (bien souvent confondue avec celle de lintrt)
est galement condamne : faire payer un intrt, cest faire du profit
avec la monnaie elle-mme, cest encore une fois faire de la monnaie
la finalit et non le moyen de la transaction, alors quelle na pas t
instaure pour cet usage. Cest cette vision de lconomique, enchsse
dans une architectonique o les principes dorganisation politique de
la cit sont soumis des considrations thiques suprieures et o
lconomique est born la satisfaction des besoins matriels de la
famille , son expansion tant condamne au nom de la morale comme
mettant en pril lordre naturel des socits, qui se retrouvera dans
toutes les rflexions ultrieures. 2. LA PENSE MDIVALE a) La
scolastique thomiste La scolastique (philosophie et thologie
enseigne au Moyen ge dans les Univer- sits o enseignent les
docteurs de lglise) est constitue de deux grands courants
successifs. Le premier courant, dit raliste stend du Xe au XIIIe
sicle et (1225-1274) en ralise la somme (Somme thologique).
Thologien Saint Thomas dAquin
23. Fiche 4 La pense antique et mdivale : vingt sicles de
condamnation morale des pratiques co- 17 et philosophe italien,
canonis en 1323, Saint Thomas dAquin, reprenant la dmarche
philosophique des savants musulmans (Ibn Sina, 980-1037, mdecin et
philosophe persan, auteur dun Livre de la politique inspir des
travaux dAristote) et (Ibn Rushd, 1126-1198, philosophe arabe, cadi
de Sville puis de Cordoue), mais dans le cadre de la thologie
chrtienne, cherche concilier les vrits contenues la fois dans les
textes saints (la Bible et les crits des Pres de lglise chrtienne),
les textes antiques (et spcifiquement ceux dAristote) et les textes
des juristes romains. Il cherche donc, lui aussi, concilier la foi
et la raison. Sur le plan de la rflexion conomique, il reprend
lhritage dAristote, en laccor- dant avec la morale chrtienne.
Ainsi, la condamnation de lenrichissement, et par exemple de la
pratique du prt intrt, est reprise au nom des mmes arguments
dAristote, mais renforce de lapport de la foi (qui vante la pauvret
et la charit et condamne lempire du fort, le prteur, sur le faible,
lemprunteur) et de celui du droit romain (dans le cadre duquel le
prt de monnaie est analys comme un contrat de cession, un mutuum,
nautorisant pas que puisse tre exig, au terme de la cession, un
loyer sur la chose cde, un intrt sur les sommes accordes au titre
du contrat de prt). Il mne aussi des interrogations sur la notion
de juste prix. L o Platon insistait sur la justice distributive (o
lon se soucie de la justice dans la rpartition des richesses au
sein du corps social), Aristote sur la justice commutative (la
justice tant de sassurer de la satisfaction commune des deux seules
parties de la transaction), Saint Thomas insiste pour que le juste
prix rsulte dune estimation commune , dun consensus gnral, qui ne
saurait rsulter de la seule satisfaction des participants une
transaction ponctuelle. Pour quun prix soit juste, il faut sassurer
que la tran- saction ne lse personne, lchelle individuelle et
collective. Seul un jugement moral, en amont de la transaction
proprement dite, est alors mme de dterminer la justice dun change.
De la sorte, hritire de la pense antique, la pense occidentale ne
saffranchit pas encore de spculations morales. b) Les premiers
lments de modernit : le nominalisme dOresme et Buridan En raction
la pense thomiste apparut au XIVe sicle un autre courant de la sco-
lastique, le courant dit nominaliste . On y retrouve des
considrations sur la monnaie et la valeur. On trouve en particulier
chez (1320-1382, vque de Lisieux) dans De lorigine, nature et
mutation des monnaies une premire rflexion entirement consacre la
nature de la monnaie et du processus de cration montaire. Oresme,
comme avant lui Saint Thomas dAquin, raffirme lide que la monnaie
est dabord et avant tout un instrument dchange supplant aux
insuffisances du troc. Mais, contre une vision de la monnaie comme
chose du Prince, prsente chez les thomis- tes, Nicolas Oresme
soutient que sa valeur a pour origine le seul consentement des
marchands lutiliser et quen consquence le Prince, seule source
lgitime de cration montaire, doit sabstenir de la manipuler. En
lespce, le politique doit donc se soumettre aux exigences de
lconomique (le bon fonctionnement des changes marchands par le
maintien et la garantie du poids et de la valeur des monnaies).
Cette rflexion prfigure ce que seront, contre les mercantilistes,
les arguments montaires des premiers classiques. Avicenne Averros
Nicolas Oresme Fiche 4 La pense antique et mdivale
24. Fiche 4 La pense antique et mdivale : vingt sicles de
condamnation morale des pratiques co- 18 (1300-1358, recteur de
luniversit de Paris), quant lui, approfondit surtout la question de
la valeur (Questions sur la Politique dAristote ; Questions sur
lthique Nicomaque dAristote). Sa rflexion est notamment connue par
la fable de lne de Buridan et conduit mettre lide que la valeur des
biens puise deux sources : leur raret, mais aussi leur utilit.
Cette rflexion, aussi, rapparatra, sous une certaine forme, lpoque
moderne. Citations Les anciens sur la monnaie et lintrt Il est tout
fait normal de har le mtier dusurier du fait que son patrimoine lui
vient de largent lui-mme, et que celui-ci na pas t invent pour
cela. Car il a t fait pour lchange, alors que lintrt ne fait que le
multiplier. Et cest de l quil a pris son nom : les petits, en
effet, sont sem- blables leurs parents, et lintrt est de largent n
dargent. Si bien que cette faon dacqurir est la plus contraire la
nature. (Aristote, La Politique). On ne peut vendre largent et son
usage. (Saint Thomas dAquin, Somme thologique, 1266-1273). La
valeur et les prix La valeur de la chose ne rsulte pas du besoin de
lacheteur ou du vendeur, mais de lutilit et du besoin de toute la
communaut. [] Le prix des choses est estim non pas daprs le
sentiment ou lutilit des individus, mais de manire commune. (Saint
Thomas dAquin, Somme thologique, 1266-1273) Jean Buridan
25. 19 5 Princes et marchands la Renaissance 1. LES THORIES DE
LTAT MODERNE La priode qui stale sur les XVIe et XVIIe sicles est
une priode de grands boule- versements dans les domaines politique
(effondrement de lordre fodal et consti- tution des tats-nations,
identifis leur Prince, terme gnrique qui au XVIe sicle, dsigne
nimporte quel souverain), culturel (Renaissance), religieux
(Rforme) et conomique (rvolution montaire et marchande induite par
les grandes dcouvertes). a) La constitution des tats autour du
pouvoir du Prince Le terme d tat remonte la cit grecque et lEmpire
romain, mais cest au XVIe sicle, quand la socit mdivale a disparu,
que le terme prend sa rsonance actuelle, avec lapparition de
pouvoirs centralisateurs, attachs une population, limits par des
frontires, opposs aux ambitions fodales et partisanes et dgags du
vieux rve chrtien de la souverainet pontificale universelle.
Cependant, ltat nest encore que la proprit du souverain de droit
divin et sa puissance sidentifie celle du monarque. Ce nest quavec
le XVIIIe sicle, sicle des Lumires, de la Rvolution franaise, de la
consolidation des frontires extrieures et de la dislocation des
barrires intrieures, que le terme dtat entrera dfinitivement dans
le voca- bulaire politique et sidentifiera lide de nation. b)
Rforme et mancipation de la rexion politique Au XVIe sicle, la
Rforme protestante est directement lie laffirmation des tats-
nations. En permettant chacun de lire les critures et de prier Dieu
dans sa langue, elle contribue par exemple au dveloppement de
lallemand, de langlais, du franais et du sudois. Les traductions de
la Bible par Luther, par Tyndale, par Lefvre dtaples et Olivtan ou
encore par Olaf Petersen contribuent lmergence de littratures
thologiques ou philosophiques nationales. LInstitution de la
religion chrtienne de connat, outre son original latin,
dinnombrables versions en franais, en anglais, en espagnol ou en
italien Les relations entre la foi vanglique restitue et les
diffrents tats sont cependant loin dtre simples et le mouvement de
la rforme sinscrit plus gnralement dans un vaste mouvement de
scularisation progressive des socits occidentales : les moralistes
(et notamment les docteurs de lglise) vont progressivement dlaisser
Point clef la n du Moyen ge, les conditions qui prvalaient au cours
des sicles passs sont brutalement modies, sur les plans politique
(dsagrgation de lordre fodal et constitution progressive des
tats-nations), culturel (Renaissance), thologique (rforme
protestante), technique (linvention de limprimerie favorise la
diffusion des ides) et conomique (les grandes dcouvertes largis-
sent lhorizon des changes, larrive des trsors du Nouveau Monde
modie en profondeur lquilibre montaire du pass et le regard port
sur la richesse, la prosprit des nations et leur origine, les
pratiques conomiques, marchandes et nancires en particulier). La
conjugaison de ces phnomnes est alors propice au dveloppement dune
rexion conomique nouvelle, sur laquelle ne psent plus les interdits
moraux prvalant jusqualors et qui porte les marques de la modernit.
Calvin
26. Fiche 5 Princes et marchands la Renaissance 20 les
questions sociales et politiques (temporelles) pour se concentrer
sur les ques- tions morales, thiques et spirituelles. Cest une
attitude expressment et explicitement revendique par les thoriciens
protestants (et notamment Luther qui, soucieux que sa dmarche ne
soit pas assimile aux luttes quen son nom certains mnent en
Allemagne contre lordre politique existant guerre des paysans ,
affirme ne soccu- per que de questions thologiques et ne vouloir
rformer que les seules concep- tions et pratiques spirituelles de
lglise). Plus gnralement, lEurope de la Renaissance et de la Rforme
est aussi le lieu des guerres de religions et des dchi- rures
confessionnelles du christianisme, conflits qui ne seront
finalement dpasss, prcisment, quau moyen de lautonomisation du
politique par rapport au religieux et de la prminence nouvelle du
Droit. Ce repli de la philosophie morale et de la thologie va donc
rompre le lien entre morale et politique : ce sont les juristes
(thoriciens du droit naturel) et les politis- tes, lacs, qui vont
semparer de la question sociale et politique ; ils vont dvelopper
une conception politique sans prsupposs moraux, voire une
conception amorale de la politique c) Vers une conception amorale
de la politique De ce point de vue, la publication du Prince de
(1513) marque une profonde rupture dans lhistoire de la philosophie
politique : cet ouvrage, qui est rest dans les mmoires comme un
exemple damoralit (la fin justifie les moyens ; toutes les mthodes
sont bonnes pour parvenir gouverner), porte surtout la mar- que dun
pragmatisme qui tranche avec la vision morale scolastique et est
totalement neutre et indiffrent aux questions thiques. Cette uvre a
pourtant t considre trs longtemps comme immorale et violant des
principes moraux intangibles. Expli- citement ou implicitement,
tous les philosophes politiques vont ds lors devoir se positionner
par rapport aux thses qui y sont exposes. Quand un (1467-1536)
soppose la conception machiavlique , en affirmant dans LInstitution
du Prince chrtien (1516), la ncessit de replacer les fonctions
souveraines dans le cadre moral de lhumanisme et du respect des
vangiles, lItalien (1540-1617), lui, justifie moralement la toute
puissance du souverain en mettant en vidence le principe de la
raison dtat dans Della Ragione di Stato (De la rai- son dtat) publi
en 1589 : cest parce que ltat est dpositaire du bien commun,
suprieur au bien particulier, quil est possible dinvoquer des
considrations dintrt public pour justifier, au nom de la raison
dtat , des actions injustes, violentes, voire illgales. Ce principe
de la raison dtat servira de base toutes les thories de
labsolutisme du XVIIe sicle. d) Les thories de ltat absolu Ces
premiers essais inspireront, tout au long du XVIIe sicle (le Grand
Sicle ) toute une littrature politique destine justifier
labsolutisme. Cest notamment le cas en France avec les crits de
(Les Six Livres de la Rpublique, 1576) et surtout de (Testament
politique, 1642) et (La Politique, 1679-1704). Linspiration de ces
thses se retrouve brillamment chez lAnglais (Le Lviathan, 1651) :
lordre naturel des socits est un ordre politique (et non moral). La
nature de lhomme tant dtre un loup pour lhomme , la reconnais-
sance de la libert de chacun ne peut que conduire la guerre de tous
contre tous . Il convient donc que les individus acceptent de se
dessaisir de cette libert et de leur souverainet au profit du
pouvoir absolu du Prince qui, ds lors, doit tre Nicolas Machiavel
Erasme Giovanni Botero Jean Bodin Richelieu Bossuet Thomas
Hobbes
27. Fiche 5 Princes et marchands la Renaissance 21 considr
comme illimit, indivisible et inviolable ( limage de la force du
monstre biblique, le Lviathan). Le lien politique naturel est donc
un lien de sujtion entre un souverain au pouvoir absolu et des
sujets qui acceptent de renoncer toute libert et toute souverainet.
Cest la condition, telle quelle est incarne par les monarchies
absolues de droit divin, pour que rgne lharmonie sociale. 2. LA
NAISSANCE DUNE CONOMIE POLITIQUE a) Leve des interdits moraux et
dveloppement dun capitalisme commercial Labandon, par la
philosophie morale, de la rflexion politique conduit logiquement ce
que les interdits moraux qui pesaient sur les pratiques conomiques
soient levs. Bien davantage, dans les pays protestants (notamment
calvinistes), on encourage la poursuite dactivits conomiques, la
russite dans les affaires pouvant tre un signe, une rvlation de son
lection divine : cest ce que souligne dans son thique protestante
et esprit du capitalisme (1904-1905) et ce que semble confir- mer
le fait que les puissances catholiques, encore dominantes aux XVIe
(Italie, Espagne, Portugal) et XVIIe sicles (France), vont
progressivement, au cours des XVIIe et XVIIIe sicles tre rattrapes
puis dpasses par les puissances protestantes (Provinces Unies, puis
Royaume-Uni). Par ailleurs, la rvolution marchande et montaire
produite en Europe par les gran- des dcouvertes modifie la
conception de la richesse (de sa nature, de plus en plus identifie
sa forme montaire ; de ses causes, identifies le plus souvent la
capacit de gnrer des excdents commerciaux ; de ses bienfaits,
dsormais lous). Cette nouvelle conception de la richesse est celle
porte par une nouvelle catgorie sociale enrichie par le commerce et
la finance, la merchanderie (les marchands). Soucieux de pouvoir
continuer senrichir, ils rclament du Prince (dont le pou- voir,
absolu et inalinable, sexerce logiquement sur toutes les pratiques
sociales, y compris conomiques) loctroi de privilges (quils
appellent liberts conomi- ques !) et la mise en place de politiques
conomiques interventionnistes , lexemple du colbertisme en France
(cf. fiche 6). b) Le mercantilisme ou le plaidoyer
interventionniste Le mercantilisme est donc symbolique de la
nouvelle attitude vis--vis des pratiques conomiques et de leur
place dans lordre social : lordre social est un ordre poli- tique.
Le lien politique est un lien de sujtion absolu des individus leur
Prince. Le Prince donc toute autorit pour rgner sur la socit et
rguler sa guise (dans son intrt, et donc dans celui de la Nation,
identifie alors ltat et au Prince qui la gouverne) les pratiques
sociales. Dans cet objectif, le Prince a intrt dvelopper les
pratiques conomiques, encourager et faciliter lenrichissement des
marchands, et donc de la nation. Remarquons que la Nation est
dsormais considre comme lunit de rfrence de lactivit conomique et
marchande (cest nouveau et cela ne sera pas remis en cause jusqu
nos jours o la question fait encore dbat). Elle est identifie son
Prince, et plus prcisment laxe Prince/marchands. Dans ce cadre, la
monnaie joue un rle symbolique essentiel : elle est une des
manifestations du pouvoir poli- tique du Prince (qui a le privilge
rgalien de battre monnaie). Elle est, ce titre, lexpression de la
domination du politique sur lconomique ; elle devient ensuite
lobjet de la richesse des marchands. Lconomique (identifi au
montaire) nest donc pas autonome du politique : il en dpend et
accepte de lui tre soumis. Max Weber
28. Fiche 5 Princes et marchands la Renaissance 22 Citations La
nature humaine Aussi longtemps que les hommes vivent sans un
pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette
condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun
contre chacun. (Thomas Hobbes, Le Lviathan, 1651). La raison dtat
On doit bien comprendre quil nest pas possible un prince, et
surtout un prince nouveau, dobserver dans sa conduite tout ce qui
fait que les hommes sont rputs gens de bien, et quil est souvent
oblig, pour maintenir ltat, dagir contre lhumanit, contre la
charit, contre la religion mme. Il faut donc quil ait lesprit assez
exible pour se tourner toutes choses, selon que le vent et les
accidents de fortune le commandent ; il faut, comme je lai dit, que
tant quil le peut, il ne scarte pas de la voie du bien, mais quau
besoin il sache entrer dans celle du mal. (Nicolas Machiavel, Le
Prince, 1513). Et lconomie devient politique On peut fort propos
maintenir, contre lopinion dAristote et Xnophon, que lon ne peut
divi- ser lconomie de la politique sans dmembrer la partie
principale de son tout et que la science dacqurir des biens quils
nomment ainsi est commune aux rpubliques aussi bien quaux familles.
(Antoine de Montchrestien, Trait dconomie politique, 1615)
29. 23 6 Le mercantilisme : unit et diversit 1. LES HOMMES Les
mercantilistes ne sont pas des penseurs et ils ne forment pas une
cole constitue portant un regard commun sur les ralits conomiques.
Ce sont bien plutt des hommes de lart , marchands et financiers le
plus souvent, fonction- naires parfois, qui, dans le cadre de leurs
activits, sont aux prises avec les ques- tions conomiques, en
tirent des conceptions pratiques dont ils essaient de dduire des
convictions plus gnrales, convictions quils sefforcent dexposer
auprs des puissants. Ils plaident le plus souvent, lorsquils sont
marchands ou banquiers, en faveur de ce quils nomment la libert
conomique , cest--dire en fait loctroi davantages, de monopoles,
dinterventions publiques pour dvelopper ou protger leur activit.
Ces plaidoyers peuvent diffrer dun auteur lautre, mais un certain
nombre de convictions doctrinales leur sont nanmoins communes. 2.
LA DOCTRINE a) De la richesse Pour les mercantilistes, la richesse
est montaire : la plupart des mercantilistes associent la richesse
la possession de mtaux prcieux comme lor ou largent. Cette
fascination pour le mtal sexplique : c au niveau individuel. La
plus grande partie des changes seffectuait lpoque, et depuis
longtemps, sous la forme soit dchange de troc (dans le cadre de la
communaut villageoise), soit au moyen de monnaies noires , faites
de cuivre ou dalliage. Les monnaies dor et dargent, rares (les
mines sont puises en Europe), sont rserves aux transactions de
grands prix et transitent dans les mains des seuls plus fortuns :
depuis de longs sicles, la possession et la manipu- lation dor et
dargent sont la manifestation la plus vidente de la richesse ; c au
niveau social. Lafflux massif dor et dargent ne fait que renforcer
cette impres- sion, et ce dautant que, dans la premire moiti du
XVIe sicle, cest lEspagne de Charles Quint, celle-l mme qui a su
conqurir le Nouveau Monde et en extraire les richesses, qui domine
le monde et lEurope de sa puissance et de sa magnificence : Point
clef Mercantilisme est un terme anachronique, forg par les
conomistes libraux de la n du XVIIIe sicle pour mieux identier le
systme de pense et les doctrines conomiques auxquels ils entendent
sopposer ( lexemple dAdam Smith, qui prsente sa Richesse des
nations comme sopposant au systme mercantile ). Car sil nest pas un
courant constitu, le mercantilisme est bien un systme de pense qui
merge aux XVIe et XVIIe sicles, comme un symbole de la nouvelle
attitude qui se rpand vis--vis des pratiques conomiques et de leur
place dans lordre social : lordre social est un ordre politique. Le
lien politique est un lien de sujtion absolu des individus leur
Prince. Le Prince donc toute autorit pour rgner sur la socit et
rguler sa guise (dans son intrt et donc dans celui de la Nation,
identie alors ltat et au Prince qui la gouverne) les pratiques
sociales (cf. che 5). Dans cet objectif, le Prince a intrt
dvelopper les pratiques co- nomiques, encourager et faciliter
lenrichissement des marchands et, donc, de la Nation.
30. Fiche 6 Le mercantilisme : unit et diversit 24 il est clair
alors que cette puissance politique tire sa source de la richesse
dor et dargent capte par les Espagnols. Les auteurs mercantilistes
des XVIe et XVIIe sicles considrent donc laccumulation de richesse
montaire (or et argent monnays) comme une finalit en soit, aboutis-
sant au bullionisme (issu du mot anglais bullion qui dsigne lor en
barre, ce terme traduit lintrt presque exclusif des mercantilistes
pour les mtaux prcieux) ou au chryshdonisme (attitude visant
atteindre le bonheur par la possession dor). Pour un individu (en
fait pour un marchand), comme pour un tat, le but doit donc tre
daccumuler les monnaies dor et dargent. b) Du commerce Pour les
auteurs mercantilistes, le commerce est source denrichissement.
Puisque lide de Nation (et de son intrt oppos celui des autres
nations) apparat la mme poque, trs rapidement lide se fait quune
voie privilgie pour enrichir le pays (et ses marchands) et donc
pour renforcer la puissance de son monarque ( limage de ce que
connat Charles Quint), est un commerce extrieur florissant. Ainsi,
la notion de commerce extrieur est logiquement associe celle de
Nation (qui dlimite une frontire, un intrieur et un extrieur). La
notion de balance du commerce apparat en 1549 sous la plume du
grand financier anglais (1519-1579) dans le Bref Examen (finalement
publi titre posthume en 1581) : pour quune nation senrichisse, il
faut que sa balance du commerce soit excdentaire, cest--dire que la
valeur (libelle en poids de mtaux prcieux) de ses exportations
dpasse celle de ses importations. Simpose aussi lide que le
commerce est un jeu somme nulle, o ce que lun gagne, lautre le
perd. c) De ltat Ltat doit intervenir dans lconomie : la meilleure
manire de garantir un com- merce extrieur excdentaire est que ltat
mette en place une politique tarifaire protectionniste ; il faut
favoriser les importations de produits de base et de matires
premires et lexportation de produits finis et manufacturs ( plus
forte valeur ajoute dirions-nous aujourdhui) et il faut dcourager,
voire interdire, les impor- tations des produits finis et
manufacturs et les exportations de produits de base et de matires
premires. Plus gnralement, on rclame une intervention systmatique
de ltat dans tous les domaines de la vie conomique visant
prenniser, protger et dvelopper lactivit des marchands : il sagit
pour eux de montrer au monarque que son intrt est de favoriser leur
enrichissement par loctroi de privilges et de monopoles, car leur
enrichissement cest celui de la Nation qui renforce et garantit la
prennit de la puissance publique. Le souverain doit donc tablir des
rglements qui protgent les mtiers nationaux de la concurrence
extrieure, dicter des normes de fabrication trs stricte afin
dvincer la concurrence extrieure (protectionnisme de norme) et
intrieure (par linterdiction de linnovation, le gel des
techniques). Il doit donc aussi adopter une politique fiscale qui
ncrase pas trop les artisans, les marchands et les financiers au
bnfice de la noblesse et du clerg. Il doit favoriser le
dveloppement des manufactures, notamment de produits de luxe.
Notons que la question de la lgitimit de cette intervention ne fait
pas problme : lactivit conomique, comme toute pratique sociale,
nexiste que par le bon vouloir du souverain, et parce que le
pouvoir de celui-ci a pu constituer, en amont, une socit (le
symbole dans le domaine conomique tant le privilge rgalien de
battre monnaie : Thomas Gresham
31. Fiche 6 Le mercantilisme : unit et diversit 25 il ny a,
pour les mercantilistes, monnaie que comme signe de souverainet,
expression du pouvoir politique du Prince ; une fois ce symbole
tabli, il devient la finalit de lactivit conomique qui ne peut donc
exister que si le lien montaire est fond). Le pouvoir du souverain
sur ses sujets et leurs pratiques sociales, quelles quelles soient,
tant absolu, il dispose dun droit dingrence absolu et a priori
illimit dans chacune dentre elles, dont la pratique conomique. 3.
LES VARIANTES NATIONALES Suivant les pays, cette doctrine commune
va pouvoir se dcliner diffremment, suivant essentiellement la place
de chacun dans les circuits montaires europens. a) Le bullionisme
ibre Les Espagnols et les Portugais sont ceux qui introduisent les
monnaies dor et dargent en Europe. Leur souci principal est donc de
les conserver (contrler la fuite des capitaux ). Cet impratif
apparat plus nettement lorsque dans la seconde moiti du XVIe sicle,
Espagne et Portugal amorcent un dclin qui ne se dmentira plus. Les
auteurs espagnols du courant des arbitristes considrent que deux
causes prin- cipales ce dclin sont isoler : c la dpopulation (la
plupart des mercantilistes europens considrent en effet quil ny a
de richesse que dhommes , pour reprendre lexpression du franais
Jean Bodin) : lEspagne se vide de sa population aprs lexpulsion des
juifs et des morisques (musulmans convertis) et lmigration vers le
nouveau monde ; c la fuite de lor et de largent hors du pays. Les
mercantilistes espagnols sont donc ceux qui portent au plus haut
degr le bul- lionisme et le chryshdonisme et ils exposent des
Requtes pour que lor et largent ne sortent pas du royaume ( ,
1558). b) Le commercialisme britannique La particularit du
Royaume-Uni est videmment dtre une le. Il en rsulte quen sus des
thmes gnraux quils dveloppent au mme titre que les autres mercanti-
listes europens, les mercantilistes britanniques (les plus clbres
sont , Discours sur le commerce anglais aux Indes orientales, 1621
; , Brves Observations concernant le commerce et lintrt de largent,
1688 ; , Consi- drations sur lintrt et la valeur de la monnaie,
1691) vont insister sur limportance du commerce maritime. Tous ces
auteurs plaident en faveur de ltablissement dun monopole du
transport maritime britannique, moyen la fois de sassurer un
contrle effectif du commerce extrieur et de jouer systmatiquement
le rle dintermdiaire dans les transactions marchandes europennes.
Pour le reste, les auteurs britanniques de cette poque,
apparaissent comme les plus libraux (au sens actuel du terme) des
mercantilistes : puisque leur objet est de senrichir en accroissant
le volume du commerce transitant par leurs ports, ils militent en
faveur de la libert la plus grande du commerce. En dveloppant de
tels thmes libraux , ces auteurs posent ainsi les bases du
mouvement libre-changiste de la fin du XVIIIe sicle quanimeront en
premier lieu les classiques britanniques. c) Le colbertisme franais
Les auteurs franais, eux, dveloppent logiquement lide que le
meilleur atout du royaume de France pour attirer les mtaux prcieux
est sa nombreuse population ( , Les Six Livres de la Rpublique,
1576) et son grand territoire, devant lui donner des atouts
agricoles ( et ministre Ortiz Thomas Mun Josiah Child John Locke
Jean Bodin Maximilien de Bthune, duc de Sully
32. Fiche 6 Le mercantilisme : unit et diversit 26 dHenri IV,
naffirmait-il pas : Labourage et pturage sont les deux mamelles de
la France ). Mais le mercantilisme franais est surtout caractris,
partir de la fin du XVIe sicle, et au travers des crits de
(1545-1611, contrleur gnral du commerce sous Henri IV, il publie en
1597 un Rglement pour dresser les manufactures du royaume) et d
(1575-1621, il publie en 1615 le premier Trait dconomie politique),
par laccent mis sur la ncessit du dveloppement de lartisanat et de
lindustrie lintrieur du royaume. Il faudra attendre le ministre de
(1619-1683, il fut de 1661 sa mort un des principaux ministres de
Louis XIV) pour que ces mesures soient systmati- quement mises en
application. Il met en place une politique douanire, rglementaire
et manufacturire et pose ainsi les bases de la tradition
interventionniste de ltat franais. Citations La double fonction que
remplit lArgent, comme instrument de commerce et comme mesure des
valeurs, a naturellement livr cette ide populaire que lArgent fait
la richesse, ou que la richesse consiste dans labondance de lor et
de largent []. On raisonne de la mme manire lgard dun pays. Un pays
riche est celui qui abonde en argent, et le moyen le plus simple
denrichir le sien, cest dy entasser lor et largent []. Du fait du
succs croissant de ces ides, les diffrentes nations dEurope se sont
appliques, quoique sans beaucoup de succs, chercher tous les moyens
possibles daccumuler lor et largent. LEspagne et le Portugal,
possesseurs des principales mines qui fournissent ces mtaux
lEurope, en ont prohib lexportation sous les peines les plus
graves, ou lont assujettie des droits normes. Cette mme prohibition
a fait longtemps partie de la poli- tique de la plupart des nations
de lEurope. On la trouve mme l o lon devrait le moins sy attendre,
dans quelques anciens actes du parlement dcosse, qui dfendent, sous
de fortes pei- nes, de transporter lor et largent hors du royaume.
La mme politique a aussi t mise en place en France et en
Angleterre. (Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de
la richesse des nations, 1776). Le plus royal exercice que peuvent
prendre vos Majests, cest de ramener lordre ce qui en est dtraqu,
de rgler et de distinguer les arts, tombs dans une monstrueuse
confusion, de rtablir les ngoces et commerces discontinus et
troubls depuis un bon temps. (Antoine de Montchrestien, Trait
dconomie politique, 1615). Barthlmy de Laffmas Antoine de
Montchrestien Jean-Baptiste Colbert
33. 27 7 Philosophie des Lumires et libralismes 1. LA
PHILOSOPHIE DES LUMIRES : RAISON ET AUTONOMIE a) Quest ce que les
Lumires ? La mtaphore de la lumire dsigne le mouvement intellectuel
critique, la floraison dides nouvelles, qui caractrise le XVIIIe
sicle europen : illuminismo en italien, ilustracin en espagnol,
Aufklrung en allemand dsignent le passage de lobscurit au jour, de
lobscurantisme la connaissance rationnelle. Les Lumires sont en
effet, plutt quune doctrine acheve, un processus, une mthode, une
attitude intellec- tuelle caractriss par la confiance en la Raison
(au moyen de laquelle les hommes peuvent, seuls, accder la
connaissance), la critique des autorits traditionnelles
(religieuses et politiques), linvitation juger et penser par
soi-mme. Cet hori- zon de pense est partag, malgr leurs diffrences,
par les principales philosophies dune poque marque par des
changements radicaux. Plus gnralement, cette priode est en fait
marque par lavnement de nouvelles reprsentations sociales, linstar
de ce qui stait dj produit la Renaissance (cf. fiche 5). Elle
provoque la seconde rupture qui va conduire tablir la pense
conomique en savoir auto- nome, affranchi de toute subordination
des considrations morales ou politiques. b) Les hommes Le
(1689-1755), prsident au parlement de Bordeaux et auteur des
Lettres persanes (1721), satire audacieuse des croyances et des
murs des Franais la fin du rgne de Louis XIV, a formul aprs un
voyage en Europe, et plus particulirement en Angleterre, une
nouvelle philosophie de lhistoire : Il y a des causes gnrales, soit
morales, soit physiques, qui agissent dans chaque monarchie,
llvent, la maintiennent ou la prcipitent ; tous les accidents sont
sou- mis ces causes (Considrations sur les causes de la grandeur
des Romains et de leur dcadence, 1734). Autrement dit, on peut
expliquer le monde et lordre social de manire rationnelle. Lanne
1748 confirme ce tournant, avec la parution et le grand succs de
lEsprit des lois, dans lequel Montesquieu analyse tous les rgimes
politiques et tablit les rapports ncessaires qui unissent les lois
dun pays ses murs, son climat et son conomie. Par l apparat bien la
contingence du rgime monarchique. Point clef Le mot Lumires est
utilis pour caractriser le mouvement intellectuel, culturel et
philosophique qui a domin, en Europe et particulirement en France,
le XVIIIe sicle auquel il a donn, par extension, son nom de sicle
des Lumires. Les Lumires ont marqu le domaine des ides et de la
littrature par leurs remises en question fondes sur la raison
claire de ltre humain et sur lide de libert. Par leurs engagements
contre les oppressions religieuses, morales et poli- tiques, les
membres de ce mouvement ont t les initiateurs de la pense librale,
au sein de laquelle il est possible de distinguer un libralisme
politique et un libralisme conomique, qui ne se recouvrent pas
ncessairement. Le libralisme conomique, en revendiquant la primaut
de lordre conomique naturel sur la volont politique, constituera
lconomique en science autonome. baron de Montesquieu
34. Fiche 7 Philosophie des Lumires et libralismes 28 Lanne
suivante, publie sa Lettre sur les aveugles et le premier volume de
son Histoire naturelle ; en 1751 paraissent le premier volume de
LEncy- clopdie de Diderot et de et Le Sicle de Louis XIV de . Entre
1750 et 1775, les ides essentielles des Lumires se cristallisent et
se diffusent. La figure centrale est celle de Voltaire (1694-1778),
admirateur des institutions et des liberts anglaises ; dans ses
Lettres philosophiques ou Lettres anglaises (1734), il attaque
durement, par contrecoup, le rgime de Louis XV. En 1760, aprs une
vie agite et notamment trois annes passes auprs du roi de Prusse
Frdric II, Vol- taire stablit Ferney, prs de la frontire suisse
(donc labri des poursuites), do il exerce une vritable souverainet
intellectuelle, par ses livres et surtout par son abondante
correspondance. Quoique modr sur le plan social et politique, il
senflamme pour dnoncer les dnis de justice, le fanatisme et
lintolrance. cette poque, les Lumires franaises ont conquis lEurope
cultive : Il sest fait une rvolution dans les esprits []. La lumire
stend certainement de tous cts , crit Voltaire en 1765. Dsormais,
lathisme nhsite plus se dvoiler, trouvant en (De lesprit, 1758) et
en (Systme de la nature, 1770) ses principaux dfenseurs. Un nouveau
venu, , fils dun modeste horloger genevois, incarne le versant
dmocrate des Lumires. Persuad que tous les hommes naissent bons et
gaux, il exalte ltat de nature et la libre expression des
sentiments, rclame la protection des droits naturels de lhomme. Si
aprs 1775 les grands crivains disparaissent (Voltaire et Rousseau
en 1778, Diderot en 1784), cest le moment de la diffusion maximale,
tant gographique que sociale, des Lumires ; lopinion se politise,
prend au mot leurs ides : la philoso- phie est sur la place
publique. Luvre de l (Histoire philosophique et politique des
tablissements et du commerce des Europens dans les deux Indes,
1770), qui condamne le despotisme, le fanatisme et le systme
colonial, connat un grand succs. Le mathmaticien publie des
brochures contre lesclavage et pour les droits des femmes et prpare
sa synthse de lhistoire de lhumanit (Esquisse dun tableau
historique des progrs de lesprit humain, 1793). c) Un mouvement
europen Le mouvement touche toutes les lites cultives dEurope
(citons entre autres en Allemagne, , et en cosse, en Angleterre,
mais aussi en Amrique), mais sa langue est le franais, qui remplace
le latin comme langue internationale des intellectuels, et cest en
France que le mouvement des Lumires conquiert la plus large
audience intellectuelle dans lopinion. Dans les autres tats dEurope
continentale, il na entran quune partie des lites. Le cas de
lAngleterre est sin- gulier : elle a prcd et influenc les Lumires
franaises naissantes, mais ses intel- lectuels nont pas prtendu se
substituer au gouvernement ou lglise ; sa classe dirigeante est
reste imprgne de puritanisme et sest plus proccupe de com- merce
que de philosophie : elle sest satisfaite des acquis de sa
glorieuse rvolution de 1689. Alors que le libralisme politique fera
flors en F