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MARABOUTS OU MARCHANDS DU DÉVELOPPEMENT EN AFRIQUE?

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MARABOUTS OU MARCHANDSDU DÉVELOPPEMENT

EN AFRIQUE?

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@ L'Harmattan, 2000ISBN: 2-7384-9219-3

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Mbaya KANKWENDA

MARABOUTS OU MARCHANDSDU DÉVEWPPEMENT

EN AFRIQUE ?

Préface de Samir AMIN

Éditions L'Harmattan5-7, rue de l'ÉcolePolytechnique

75005 Paris, France

L'Harmattan INC.55, rue Saint-Jacques

Montréal (Qc), Canada H2Y IK9

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Collection Économie et Innovation

dirigée par Sophie Boutillier et Dimitri Uzunidis

Dans cette collection sont publiés des ouvrages d'économieet/ou de sociologie industrielles et du travail mettant l'accent 'surles transformations économiques et sociales suite à l'introductiondes nouvelles techniques et méthodes de production. Ces ouvragess'adressent aux étudiants de troisième cycle, aux chercheurs etenseignants chercheurs.

Les séries K.risis et Clichés font partie de la collection.

La série Krisis a été créée pour faciliter la lecture historique desproblèmes économiques et sociaux d'aujourd'hui liés auxmétamorphoses de l'organisation industrielle et du travail. Ellecomprend la réédition d'ouvrages anciens et de compilations detextes autour des mêmes questions.

La série Clichés a été créée pour fixer les impressions du mondeéconomique. Les ouvrages contiennent photos et texte pour faireressortir les caractéristiques d'une situation donnée. Le thèmedirecteur est: mémoire et actualité du travail et de l'industrie.

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À mon Épouse Christine,

Et à nos enfants:Ima, Bobo, Kajus, Nicole, Cino,Mudo, Kala, Maguy, Kadi et Mwika,

Qui, comme l'ensemble de la jeunesse africaine,Rêvent sans doute d'une Afrique maîtresseDe ses destinées, prospère et où il fait bon vivre.

NB : Les idées exprimées dans ce livre sont celles de l'auteur. Elles n'engagent pasdu tout l'organisation pour laquelle il travaille, pas plus qu'elles ne reflètentnécessairement la pensée du PNUD.

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LISTE DES ABRÉVIATIONS

ACBF: Fondation pour le développement des capacités enAfrique

ACP : Afrique-Caraïbes-PacifiqueAERC: Consortium africain de recherche économiqueAFD : Agence française de développementAPD : Aide publique au développementARCEDEM: African Regional Center for Development

ManagementASS: Afrique subsaharienneCARPAS: Cadre africain de référence pour les programmes

d'ajustement structurel en vue du redressement et de latransformation socio-économiques

CCCE: Caisse centrale de coopération françaiseCDF : Comprehensive Development Framework ou Cadre

global de développ,ementCEA : Communauté des Etats africainsCEDEAO : Communauté économique des États de l'Afrique de

l'OuestCMA: Coalition mondiale pour l'AfriqueCRAT: Centre régional africain de technologieCT : Coopération techniqueFAC: Fonds d'aide et de coopérationFED: Fonds européen de développementFMI: Fonds monétaire internationalG7 : Groupe des sept pays les plus industrialisésGATT: Accord général sur les tarifs douaniers et le commerceIBW: Institutions de Bretton WoodsIDA: Institut de développement de l'Afrique de l'EstIDE: Investissements directs étrangersIPPTE: Initiative en faveur des pays pauvres très endettésNatCAP : National Capacity Analysis and ProgrammingOCDE: Organisation pour la coopération et le développement

économiquesOrganisation mondiale du commerceOrganisation non gouvernementaleProgramme d'ajustement structurelProgramme des Nations Unies pour le développementProgramme de troisième cycle interuniversitaireSystème marchand du développementProgramme spécial pour l'AfriqueUnion européenne

OMC:ONG:PAS:PNUD:PTCI:SMD:SPA:UE:

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PRÉFACE

Dans cet ouvrage Mbaya Kankwenda décrit, analyse et critiqueavec autant de sévérité méritée que d'humour rafraîchissant, lespratiques des "experts" chargés de la conception et de la mise enœuvre du "développement" de l'Afrique subsaharienne de 1960 ànos jours. Ayant occupé de hautes fonctions tant dansl'administration de son pays que dans les organisations interna-tionales, ayant vu défiler beaucoup de ces "experts" de la Banquemondiale, du FMI, comme des institutions de l'aide bilatérale, il ena apprécié toute l'arrogance, à la mesure de leur ignorance et deleur inconsistance, marquée par la succession des modespassagères que leur dictent leurs patrons, sans toujours mêmecomprendre les intérêts immédiats dominants qui se profilentderrière ces choix.

L'analyse conçerne les deux périodes successives par lesquellessont passés les Etats africains, celle des "décennies du dévelop-pement" (les années 1960 et 1970) qui s'inscrivait dans le momentd'essor général qui faisait suite à la seconde guerre mondiale, puiscelle des décennies 1980 et 1990, caractérisée par un redéploie-ment du capitalisme associé à une forme nouvelle de la mondiali-sation libérale.

Les réflexions que je développerai dans cette préface seproposent tout d'abord de situer les expériences de "développe-ment" puis de "réajustement structurel" de la région concernéedans le tableau plus vaste de l'expansion capitaliste mondiale aucours de la seconde moitié du XXème siècle, permettant ainsi decomparer les stratégies mises en œuvre et les résultats obtenus dansles différentes régions de la périphérie du système global.L'examen du legs du XXème siècle et l'analyse de ce que leredéploiement du capitalisme en cours comporte de contraintesnouvelles durables (ou passagères) nous permettra alors de placerl'accent sur la nouvelle question du développement telle qu'elle meparaît devoir être posée à l'aube du XXIème siècle.

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Le capitalisme a développé les forces productives à un rythmeet avec une ampleur sans pareils dans toute l'histoire antérieure.Mais il a simultanément creusé l'écart entre ce que ce développe-ment permettrait potentiellement et l'usage qui en a été fait, commeaucun système antérieur n'en avait connu. Potentiellement leniveau des connaissances scientifiques et techniques atteint aujour-d'hui permettrait de résoudre tous les problèmes matériels del'humanité entière. Mais la logique transformant le moyen (la loi duprofit, l'accumulation) en fin pour elle-même a produit à la fois ungaspillage gigantesque de ce potentiel et une inégalité dans l'accèsaux bienfaits qu'il a permis sans pareils dans l'histoire. Jusqu'auXIXème siècle l'écart entre le potentiel de développement que lesconnaissances permettaient et le niveau de développement produitétait négligeable. Non que cette réflexion nourrisse en nous unequelconque nostalgie passéiste: le capitalisme était un préalablenécessaire pour réaliser le potentiel de développement atteintaujourd'hui. Mais il a désormais fait son temps dans ce sens que lapoursuite de sa logique ne produit plus que gaspillage et inégalité.Dans ce sens la "loi de la paupérisation" que l'accumulationcapitaliste produit, formulée par Marx, est vérifiée - à l'échellemondiale - chaque jour d'une manière plus éclatante depuis deuxsiècles. On ne devrait donc pas s'étonner qu'au moment même où lecapitalisme paraît victorieux sur toute la ligne, la "lutte contre lapauvreté" soit devenue une obligation incontournable dans larhétorique des appareils dominants.

Ma lecture du XXème siècle est celle d'une première tentativede répondre à ce défi du développement, plus exactement du sous-développement, expression vulgaire désignant une réalité: lecontraste grandissant centres/périphéries immanent à l'expansionmondiale du capitalisme. Des réponses qui se situent dans unéventail large allant du timide au radical. Sans outrageusementsimplifier leur variété j'oserai dire qu'elles s'inscrivaient toutes dansune perspective définie en termes de "rattrapage" c'est-à-dire dereproduction à la périphérie de ce qui avait été réalisé au centre.Dans ce sens les objectifs poursuivis et les stratégies mises enœuvre au XXème siècle ne remettraient pas en cause le capitalismedans son essence même.

La page de ces tentatives de résoudre le problème du dévelop-pement est aujourd'hui tournée. Les limites historiques de cequ'elles pouvaient produire atteintes, elles n'ont pas su se dépasserelles-mêmes pour aller plus loin. Elles se sont donc effondrées enpermettant une restauration provisoire mais dévastatrice desillusions libérales. De ce fait l'humanité est confrontée aujourd'huià des problèmes de développement encore plus gigantesques qu'ilsne l'étaient il y a cinquante ou cent ans. Il lui faudra donc être, au

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cours du XXIème siècle, plus radicale encore qu'elle ne l'a été auXXème siècle. C'est-à-dire qu'il lui faudra associer les objectifsd'un certain développement des forces productives dans les péri-phéries du système à ceux du dépassement des logiques d'ensemblede la gestion capitaliste de la société avec encore plus de vigueur etde rigueur. Elle devra de surcroît le faire dans un monde qui estnouveau par certains de ses aspects. Le XXIème siècle ne peut pasêtre un XIXème restauré, il doit aller au-delà du XXème siècle.Dans ce sens la question du développement occupera au XXIèmesiècle une place encore plus centrale que celle qui fut la sienne auXXème siècle.

Le XXème siècle se clôt dans une atmosphère qui rappelled'une manière étonnante celle qui présidait à son ouverture - "labelle époque" (qui fut effectivement belle pour le capital). Lesbourgeoi~ies de la triade déjà constituée (les puissances européen-nes, les Etats-Unis, le Japon) entonnaient un hymne à la gloire deleur triomphe définitif. Les classes ouvrières des centres cessaientd'être les "classes dangereuses" qu'elles avaient été au XIXèmesiècle et les peuples du reste du monde étaient appelés à accepter la"mission civilisatrice" des Occidentaux.

La globalisation célébrée en 1900 comme déjà la "fin del'histoire" était néanmoins un fait récent, qui n'a été effectivementréalisé que progressivement au cours de la seconde moitié duXIXème siècle, après l'ouverture de la Chine et de l'Empireottoman (1840), la répression des Cipayes en Inde (1857) etfinalement le partage de l'Afrique (à partir de 1885).

Cette première globalisation, loin d'entraîner une accélérationde l'accumulation du capital, allait au contraire s'ouvrir sur unecrise structurelle de 1873 à 1896 comme presque exactement unsiècle plus tard. La crise s'accompagnait pourtant par une nouvellerévolution industrielle (l'électricité, le pétrole, l'automobile,l'avion) dont on attendait qu'elle parvienne jusqu'à transformerl'espèce humaine, comme on le dit aujourd'hui de l'électronique.Parallèlement se constituaient les premiers oligopoles industriels etfi)Janciers - les transnationales de l'époque. La globalisation finan-cière paraissait s'installer définitivement sous la forme de l'étalonor-sterling et on parlait de l'internationalisation des transactionsque les nouvelles Bourses de valeur permettaient avec autant d'en-thousiasme qu'on parle aujourd'hui de la globalisation financière.Jules Verne faisait faire le tour du monde en 80 jours à son héros(anglais bien entendu) : le "village mondial" était déjà là, pour lui.

Le triomphe de la "belle époque" ne dura pas deux décennies.En fait les trois quarts du XXème siècle seront marqués par lagestion de projets de rattrapage et de transformations plus ou moinsradicales des périphéries, rendus possibles par la dislocation de la

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globalisation libérale utopique de la "belle époque."La seconde guerre mondiale inaugure une nouvelle étape du

système mondial. L'essor de l'après-guerre (1945-1975) a été fondésur la complémentarité des trois projets sociétaires de l'époque, àsavoir (i) en Occident le projet de l'Etat de bien être de la social-démocratie nationale, asseyant son action sur l'efficacité desystèmes productifs nationaux interdépendants; (ii) le "projet deBandung" de la construction nationale bourgeoise à la périphériedu système (l'idéologie du développement); (iii) enfin le projetsoviétiste d'un "capitalisme sans capitalistes," relativementautonomisé par rapport au système mondial dominant. Il s'agissait,pour chacun d'eux à sa manière, d'un projet sociétaire dedéveloppement. La double défaite du fascisme et du vieux colonia-lisme avait en effet créé une conjoncture qui permettait aux classespopulaires et aux peuples victimes de l'expansion capitalisted'imposer des formes de régulation de l'accumulation du capital -auxquelles le capital lui-même a été contraint de s'ajuster - qui ontété à la base de cet essor.

La crise qui a suivi (à partir de 1968-1975) est celle de l'érosionpuis de l'effondrement des systèmes sur lesquels reposait l'essorantérieur. La période, qui n'est pas close, n'est donc pas celle de lamise en place d'un nouvel ordre mondial, comme on se plaît à ledire trop souvent, mais celle d'un chaos qui est loin d'êtresurmonté. Les politiques mises en œuvre dans ces conditions nerépondent pas à une stratégie positive d'expansion du capital, maischerchent seulement à en gérer la crise. Elles n'y parviendront pas,parce que le projet "spontané" produit par la domination immédiatedu capital, en l'absence de cadres que lui imposeraient les forces dela société par des réactions cohérentes et efficaces, reste uneutopie, celle de la gestion du monde par ce qu'on appelle "lemarché," c'est-à-dire les intérêts immédiats, à court terme, desforces dominantes du capital. En attendant la préoccupation dedéveloppement est, elle, passée à la trappe.

La période d'essor et les visions sociétaires de développementde l'après-guerre ont permis des transformations économiques,politiques et sociales gigantesques dans toutes les régions dumonde. Ces transformations ont été le produit des régulationssociales imposées au capital par les classes travailleuses et lespeuples et non pas, comme l'idéologie libérale le prétend, celui dela logique de l'expansion des marchés. Mais ces transformationsont été d'une ampleur telle qu'elles définissent un cadre nouveauaux défis auxquels les peuples sont désormais confrontés au tour-nant du XXIème siècle.

Pendant longtemps - de la révolution industrielle au début duXIXème siècle jusqu'aux années 1930 de ce siècle (pour ce qui est

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de l'Union soviétique) puis 1950 (en ce qui concerne le tiersmonde) - le contraste centres/périphéries du système mondialmoderne était pratiquement synonyme de l'opposition paysindustrialisés/non industrialisés. Les révoltes des périphériesprenant la forme de révolutions socialistes (Russie, Chine) ou delibération nationale - ont remis en cause cette forme ancienne de lapolarisation en engageant leurs sociétés dans le processus demodernisation/industrialisation. Graduellement l'axe autour duquelse réorganise le système capitaliste mondial, celui qui définira lesformes d'avenir de la polarisation, s'est constitué autour de ce quej'appelle les "cinq nouveaux monopoles" dont bénéficient les paysde la triade dominante, et qui concernent le domaine de latechnologie, le contrôle des flux financiers d'envergure mondiale(opéré par les grandes banques, assurances et fonds de pension despays du centre), l'accès aux ressources naturelles de la planète, ledomaine de la communication et des médias, celui des armementsde destruction massive.

Pendant la "période de Bandung" (1955-1975) les États du tiersmonde avaient mis en œuvre des politiques de développement àvocation autocentrée en vue de réduire la polarisation mondiale (de"rattraper"). Cela impliquait à la fois des systèmes de régulationnationale et la négociation permanente, y compris collective (Nord-Sud), de systèmes de régulations internationales (rôle de laCNUCED important dans ce cadre, etc.). Cela visait également àréduire les "réserves de travail à faible productivité" par leurtransfert aux activités modernes à plus haute productivité (fussent-elles "non compétitives" sur des marchés mondiaux ouverts).

Les résultats inégaux de l'industrialisation imposée au capitaldominant par les forces sociales issues des victoires de la libérationnationale permettent aujourd'hui de distinguer des périphéries depremier rang, parvenues à construire des systèmes productifsnationaux dont les industries sont potentiellement compétitivesdans le cadre du capitalisme globalisé, et des périphéries margina-lisées qui n'y sont pas parvenues.

La page de la période d'essor des projets de développement duXXème siècle est tournée. L'effondrement des trois modèlesd'accumulation régulée de l'après-guerre a ouvert, à partir de 1968-1971, une crise structurelle du système qui rappelle fort celle de lafin du XIXème siècle. Les taux d'investissement et de croissancetombent brutalement à la moitié de ce qu'ils avaient été, lechômage s'envole, la paupérisation s'accentue. Le rapport qui me-sure les inégalités du monde capitaliste passé de 1 à 20 vers 1900 à1 à 30 en 1945-1948 puis 1 à 60 au terme de la croissance del'après-guerre, s'envole et la part des 20% des individus les plusriches de la Planète passe de 60% à 80% du produit mondial au

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cours des deux décennies qui clôturent le siècle. C'est la mondiali-sation heureuse pour quelques-uns. Pour la grande majorité -notamment les peuples du Sud soumis aux politiques d'ajustementstructurel unilatéral et ceux de l'Est enfermés dans des involutionsdramatiques - c'est le désastre. Le développement est passé à latrappe.

Mais cette crise structurelle, comme la précédente, estégalement le moment d'une troisième révolution technologique quitransforme profondément les modes d'organisation du travail et, dece fait, fait perdre leur efficacité et par delà leur légitimité auxfonnes antérieures de lutte et d'organisation des travailleurs et despeuples. Le mouvement social émietté n'a pas encore trouvé lesformules de cristallisations fortes à la hauteur des défis. Mais il afait des percées remarquables dans des directions qui en enrichirontla portée. Je place au centre de celles-ci l'irruption des femmesdans la vie sociale, la prise de conscience des destructions del'environnement portées à un niveau qui, pour la première fois dansl'histoire, menace la planète entière.

La gestion économique de la crise vise systématiquement à"déréguler," affaiblir les "rigidités" syndicales, les démanteler sipossible, libéraliser les prix et les salaires, réduire les dépensespubliques (notamment les subventions et les services sociaux),privatiser, libéraliser les rapports avec l'extérieur etc. "Déréguler"est d'ailleurs un terme trompeur. Car il n'y a pas de marchésdérégulés, sauf dans l'économie imaginaire des économistes "purs."Tous les marchés sont régulés, et ne fonctionnent qu'à cette con-dition. La seule question est de savoir par qui et comment ils sontrégulés. Derrière l'expression de dérégulation se cache une réalitéinavouable: la régulation unilatérale des marchés par le capitaldominant. Bien entendu le fait que la libéralisation en questionenferme l'économie dans une spirale involutive de stagnation ets'avère ingérable au plan mondial, multipliant les conflits qu'elle nepeut pas régler, est gommée au bénéfice de la répétitionincantatoire que le libéralisme préparerait un développement (àvenir) dit "sain."

Si la gestion de la crise a été catastrophique pour les classestravailleuses et les peuples des périphéries elle ne l'a pas été pourtous. Cette gestion a été fort juteuse pour le capital dominant. Onnous avait présenté pendant des années le retour à un "capitalismepur et dur" comme constituant la "fin de l'histoire." Or voilà que lagestion de ce système -frappé d'une crise permanente - dans lecadre néo-libéral mondialisé prétendu "sans alternative" est entréedans la phase de son effondrement.

C'est à la lumière de cette crise qu'il faut examiner le contre-feuouvert par le G7. Voici donc que, du jour au lendemain, le G7

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change de langage. Le terme !le régulation, jusqu'alors interdit,retrouve une place dans les résolutions de cette instance: il faut"réguler les flux financiers internationaux!" L'économiste en chefde la Banque mondiale, Stiglitz, propose d'ouvrir un débat en vuede définir un nouveau "post Washington consensus." Lespéculateur Georges Soros publie un ouvrage au titre éloquent:"La crise du capitalisme mondial- L'intégrisme des marchés," quiéquivaut à un plaidoyer pour "sauver le capitalisme du néo-libéra-lisme." Nous ne sommes pas dupes: il s'agit là d'une stratégie quipoursuit les mêmes objectifs, c'est-à-dire permettre au capitaldominant des transnationales de rester maitre du jeu. Mais ne sous-estimons pas le danger que ce contre-feu peut représenter. Beau-coup d'âmes bien intentionnées en sont et en seront les dupes. LaBanque mondiale s'emploie déjà depuis plusieurs années à instru-mentaliser les ONG pour les mettre au service de son discours de"lutte contre la pauvreté."

l'fli rappelé que pendant la "période de Bandung" (1955-1975)les Etats du tiers monde avaient mis en œuvre des politiques dedéveloppement à vocation autocentrée (réelle ou potentielle), àl'échelle nationale presque exclusivement, précisément en vue deréduire la polarisation mondiale (de "rattraper"). Le résultat dusuccès inégal de ces politiques a été de produire un tiers mondecontemporain fortement différencié. On doit distingueraujourd'hui:

(i) Les pays capitalistes de l'Asie orientale (Corée, Taiwan)mais également derrière eux d'autres pays du Sud-Est asiatique (laMalaisie et la Thaïlande), comme la Chine, qui ont enregistré destaux de croissance qui se sont accélérés alors qu'ils s'affaissaientdans presque tout le reste du monde. Au-delà de la crise qui lesfrappe depuis 1997 ces pays comptent désormais parmi lescompétiteurs actifs sur les marchés mondiaux de produits indus-triels. Ce dynamisme économique s'est généralement accompagnéd'une moins grande aggravation des distorsions sociales (point ànuancer et à discuter au cas par cas), d'une moins grandevulnérabilité (du fait de l'intensification des rapports intra-régio-nl}ux propres à l'Asie de l'Est) et d'une intervention efficace del'Etat qui conserve un rôle déterminant dans la mise en œuvre destratégies nationales de développement, fussent-elles ouvertes surl'extérieur.

(ii) Les pays d'Amérique latine et l'Inde disposent de capacitésindustrielles tout aussi importantes. Mais l'intégration régionale yest m,oins marquée (20% pour l'Amérique latine). Les interventionsde l'Etat sont moins cohérentes. L'aggravation des inégalités, déjàgigantesques dans ces régions, est d'autant plus dramatique que lestaux de croissance demeurent modestes.

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(iii) Les pays d'Afrique et des mondes arabe et islamique sontdans l'ensemble demeurés enfermés dans une division internatio-nale du travail dépassée. Ils restent des exportateurs de produitsprimaires, soit qu'ils ne soient pas entrés dans l'ère. industrielle, soitque leurs industries soient fragiles, vulnérables, non compétitives.Ici les distorsions sociales prennent la forme principale degonflement des masses paupérisées et exclues. Pas le moindresigne de progrès de l'intégration régionale (intra-africaine ou intra-arabe). Croissance quasi-nulle. Bien que le groupe compte des pays"riches" (les exportateurs de pétrole peu peuplés) et des payspauvres ou très pauvres, il ne compte aucun pays qui se comporteen agent actif participant au façonnement du système mondial.Dans ce sens ils sont bel et bien marginalisés. Pour ces pays onpourrait proposer une analyse dans les termes de trois prétendusmodèles de développement (agro-exportateur, minier, rentierpétrolier) et la renforcer par celle de la nature des différenteshégémonies sociales issues de la libération nationale. On verraitalors bien que "le développement" en question ici n'était guèrequ'une tentative de s'inscrire dans l'expansion mondiale ducapitalisme de l'époque et que, dans ces conditions, la qualificationreste pour le moins qu'on puisse dire douteuse.

Le critère de la différence qui sépare les périphéries actives decelles qui sont marginalisées n'est pas seulement celui de lacompétitivité de leurs productions industrielles; il est aussi uncritère politique. Les pouvoirs politiques dans les périphériesactives et derrière eux la société dans son ensemble (sans que celan'exclut les contradictions sociales à l'intérieur de celle-ci) ont unprojet et une stratégie pour la mettre en œuvre. C'est le casd'évidence pour la Chine, la Corée et à un degré moindre pourcertains pays d'Asie du Sud-Est, l'Inde, quelques pays d'Amériquelatine. Ces projets nationaux se confrontent avec ceux del'impérialisme dominant mondialement et le résultat de cetteconfrontation façonnera le monde de demain. Par contre lespériphéries marginalisé~s n'ont ni projet (même lorsqu'unerhétorique comme celle de l'Islam politique le prétend) ni stratégiepropres. Ce sont alors les cercles impérialistes qui "pensent pourelles" et ont l'initiative exclusive des "projets" concernant cesrégiops (comme l'association CEE-ACP, le projet "Moyen Orient"des Etats-Unis et d'Israël, les vagues projets méditerranéens del'Europe), auxquels ne s'oppose en fait aucun projet d'originelocale. Ces pays sont donc des sujets passifs de la mondialisation.La différenciation croissante entre ces groupes de pays a faitéclater le concept de "Tiers Monde" et mis un terme aux stratégiesde front commun de l'ère de Bandung (1955-1975).

Les appréciations concernant la nature et les perspectives de

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l'expansion capitaliste dans les pays de l'ex tiers monde sont loin defaire l'unanimité. Pour certains les pays émergents les plusdynamiques sont sur la voie du "rattrapage" et ne sont plus des"périphéries" même si dans la hiérarchie mondiale ils se situentencore à des niveaux intermédiaires. Pour d'autres (dont moi-même) ces pays constituent la périphérie véritable de demain. Lecontraste centres/périphéries qui avait été de 1800 à 1950synonyme de l'opposition économies industrialisées/économies nonindustrialisées, est aujourd'hui fondé sur des critères nouveaux etdifférents qu'on peut préciser à partir de l'analyse du contrôle descinq monopoles exercés par la triade.

Quid des régions marginalisées? S'agit-il d'un phénomène sansantécédent historique? Ou au contraire de l'expression d'unetendance permanente de l'expansion capitaliste, un momentcontrariée, dans l'après-seconde guerre, par un rapport de forcemoins défavorable aux périphéries dans leur ensemble? Une tellesituation exceptionnelle qui avait fondé la "solidarité" du tiersmonde (dans ses luttes anti-coloniales, ses revendications concer-nant les produits primaires, sa volonté politique d'imposer samodernisation - industrialisation que les puissances occidentalestentaient de contrarier), en dépit de la variété des pays qui lecomposaient. C'est précisément parce que les succès remportés surces fronts ont été inégaux que la cohérence du tiers monde et sasolidarité ont été érodées.

En tout état de cause, même là où les progrès de l'industria-lisation ont été les plus marqués, les périphéries contiennenttoujours de gigantesques "réserves," entendant par là que desproportions variables mais toujours très importantes de leur forcede travail sont employées (quand elles le sont) dans des activités àfaible productivité. La raison en est que les politiques demodernisation - c'est-à-dire les tentatives de "rattrapage" -imposent des choix technologiques eux-mêmes modernes (pourêtre efficaces, voire compétitifs), lesquels sont extrêmementcoûteux en termes d'utilisation des ressources rares (capitaux etmain-d'œuvre qualifiée). Cette distorsion systématique est encoreaggravée chaque fois que la modernisation en question est assortied'une inégalité grandissante dans la répartition du revenu. Dans cesconditions le contraste entre les centres et les périphéries demeureviolent. Dans les premiers cette réserve passive, qui existe,demeure minoritaire (variable selon les moments conjoncturels,mais sans doute presque toujours inférieure à 20 %) ; dans lesseconds elle est toujours majoritaire. Les seules exceptions étant icila Corée et Taiwan qui, pour des raisons diverses, sans oublier lefacteur géostratégique qui leur a été favorable à l'extrême (il fallaitles aider à faire face au danger de la "contamination" du

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communisme chinois), ont bénéficié d'une croissance sans pareilleailleurs.

On a beaucoup écrit sur ce sujet et sur ce qu'il implique derévisions profondes concernant tant le concept même de travail quecelui d'homogénéité relative produite par un système productifnational et même de contraste centres/périphéries. La "fin dutravail" annoncée dans cet esprit, et la "nouvelle société (dite) deréseaux" comme le projet sociétaire d'une recomposition de la viesociale par et autour de l'interaction de "projets" (ce que certainsappellent la "société de projets" par opposition à la sociétéindustrielle fordiste) constituent quelques-uns des problèmes mis àl'ordre du jour par la futurologie. Dans toutes les formes de leurexpression ces thèses n'envisagent plus la possibilité que lessociétés demeurent homogénéisées, fût-ce relativement, par lagénéralisation d'une forme dominante de rapports sociaux.Economies et sociétés à plusieurs vitesses s'imposeraient partout,tant dans les centres que dans les périphéries. On retrouverait ici etlà un "premier monde" de riches et d'aisés, bénéficiant du confortde la nouvelle société de projets, un "second" monde de travailleursdurement exploités et un "tiers" (ou "quart") monde d'exclus.

Peut-on identifier d'une manière convaincante ce qui est durabledans le "nouveau" et aura des effets qui continueront à se déployerdans la longue durée de ce qui n'est que passager, c'est-à-dire enrapport avec la crise de l'accumulation qUi caractérise la phase detransition actuelle?

Au titre des transformations durables certaines, à mon avis, jesignalerai au moins celles qui concernent le sur-développement desforces productives et destructives d'une part et celles qui concer-nent tant la révolution scientifique et technologique en cours queses "effets de civilisation" (l'organisation du travail et de la viesociale, le mouvement social et ses formes d'expression etc.).

Par opposition aux éléments de transformation durable, à portéelongue à mon avis, il me semble que d'autres ne méritent pas d'êtreconsidérées comme telles. Je situerai la financiarisation en tête deliste de ces transformations moins solides qu'on ne le dit. Lafinanciarisation est à mon avis un phénomène purement conjonc-turel. Elle est le produit de la crise. L'excédent de capitaux qui -dans les structures en vigueur - ne peut pas trouver de débouchés

dans l'expansion des systèmes productifs, constitue une menacegrave pour la classe dominante - celle d'une dévalorisation massivedu capital. La gestion de la crise impose donc que soient offerts desdébouchés financiers qui permettent d'éviter le pire. Mais à sontour la fuite en avant dans la financiarisation ne permet pas de"sortir" de la crise, au contraire elle enferme dans une spiralestagnationiste parce qu'elle aggrave l'inégalité dans la répartition et

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contraint les firmes à jouer le jeu financier. Dans ce sens lafinanciarisation n'est pas synonyme de domination des firmesfinancières (banques, assurances, fonds de pension) sur les autres;elle est aussi domination des logiques financières dans la gestionde toutes les firmes.

Si l'on passe maintenant au plan de la mondialisation nous nousheurtons encore une fois à des évolutions qui ne sont peut-être quedes apparences trompeuses, sans lendemain certain. Je pense icitout particulièrement à l'essor, d'apparence fulgurant, de "l'Asie."

Le "miracle asiatique" avait fait couler beaucoup d'encre.L'Asie, ou l'Asie-Pacifique, centre de l'avenir en construction,ravissant à l'Europe-Amérique du Nord sa domination sur laPlanète, la Chine superpuissance du futur, que n'a-t-on écrit sur cesthèmes! Dans une gamme plus sobre on a tiré parfois duphénomène asiatique quelques conclusions qui même si elles meparaissent hâtives méritent davantage d'être l'objet de discussionssérieuses. On y a vu la remise en cause de la théorie de lapolarisation inhérente à l'expansion capitaliste mondiale, commedes stratégies de déconnexion préconisées en réponse au défi de lapolarisation. La preuve serait apportée que le "rattrapage" estpossible, et qu'il est mieux servi par une insertion active dans lamondialisation (à la limite, dans la version vulgaire de cetteproposition par une stratégie export-oriented) que par unedéconnexion illusoire (responsable dit-on de la catastrophesoviétique). Les facteurs internes - entre autres le facteur"culturel" - seraient donc à l'origine du succès des uns, parvenant às'imposer comme agents actifs dans le façonnement du monde, etde l'échec des autres, marginalisés et "déconnectés malgré eux."

Pour avancer réellement dans la discussion de ces questionscomplexes il faudrait prendre le soin de distinguer clairement lesdifférents plans de l'analyse concernant les structures socialesinternes et les forces agissant au niveau du système mondial.Celles-ci et celles-là s'articulent les unes aux autres d'une manièrequ'il est souhaitable d'expliciter si l'on veut précisément aller au-delà de la polémique facile mais futile. Une insertion active etcontrôlée dans la mondialisation est une option fort différente de lastratégie économique fondée sur la priorité aux exportations; l'uneet l'autre se fondent sur des blocs sociaux hégémoniques internesdifférents. Les pays de l'Asie de l'Est ont enregistré des succès dansla mesure où précisément ils ont soumis leurs rapports extérieursaux exigences de leur développement interne, c'est-à-dire ontrefusé de "s'ajuster" aux tendances dominantes à l'échellemondiale. C'est la définition même de la déconnexion, confondue -par des lecteurs trop rapides - avec l'autarcie...

La polarisation n'est, pas plus que tout autre aspect de la société

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capitaliste, définie une fois pour toutes dans une forme immuable.Ce qui est certainement dépassé, c'est la forme par laquelle elles'était exprimée pendant un siècle et demi, dans le contraste paysindustrialisés/pays non industrialisés, cette forme qui a étéprécisément remise en cause par le mouvement de libérationnationale des périphéries imposant au centre de s'ajuster, lui, auxtransformations entraînées par l'industrialisation (fût-elle inégale)des périphéries. Peut-on, à partir de ce constat, conclure que l'Asiede l'Est est en passe de "rattraper" les centres de la triade? Pour ledire il faut aller vite. La thèse que je propose ici conduit à uneconclusion fort différente: à travers l'exercIce des cinq monopolesde la triade, la loi de la valeur mondialisée produit une polarisationdans des formes nouvelles, subalternisant l'industrie despériphéries dynamiques.

Dans le cadre du capitalisme mondialisé les compétitivitéscomparées des systèmes productifs au sein de la triade, de l'Unioneuropéenne, des mondes périphériques et les tendances majeuresde leur évolution, constituent certes une donnée lourde dans laperspective du moyen long terme. Considérés dans leur ensemble,ces facteurs entraînent presque partout un fonctionnement deséconomies à plusieurs vitesses: certains secteurs, régions, entre-prises (notamment parmi les transnationales géantes) enregistrentdes taux de croissance forts et réalisent des profits élevés; d'autressont stagnants, en régression ou en décomposition. Les marchés dutravail sont segmentés pour être ajustés à cette situation.

Encore une fois s'agit-il là d'un phénomène réellement nou-veau? Ou bien au contraire le fonctionnement à plusieurs vitessesconstitue-t-il la norme dans l'histoire du capitalisme? Cephénomène aurait seulement été exceptionnellement atténué durantla phase de l'après-guerre (1945-1980) parce que les rapportssqciaux avaient alors impos~ des interventions ~ystématiques del'Etat (du Welfare State, de l'Etat soviétique, de l'Etat national dansle tiers monde de Bandung) qui facilitaient la croissance et lamodernisation des forces productives en organisant les transfertsrégionaux et sectoriels qui la conditionnent.

Nous sommes donc confrontés à une "nouvelle question dudéveloppement" qui impose plus que jamais de sortir de la visionlimitée du "rattrapage" qui a dominé au XXème siècle. La nouvellequestion du développement comporte certes une dimension sinonde "rattrapage" tout au moins de développement des forcesproductives. Et dans ce sens certaines des leçons du passé restentvalables pour l'avenir. Mais elle impose également d'emblée dedonner une importance bien plus grande que par le passé auxexigences de la construction d'une autre société à l'échellemondiale.

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L'impérialisme n'est pas un stade - fût-il suprême - ducapitalisme. Il est, dès l'origine, immanent à son expansion. Laconquête impérialiste de la planète par les Européens et leursenfants nord-américains s'est déployée en deux temps et en amorcepeut-être un troisième. Le premier moment de ce déploiementdévastateur de l'impérialisme s'est organisé autour de la conquêtedes Amériques, dans le cadre du système mercantiliste de l'Europeatlantique de l'époque. Le second moment de la dévastationimpérialiste s'est construit sur la base de la révolution industrielleet s'est manifesté par la soumission coloniale de l'Asie et del'Afrique. "Ouvrir les marchés" - comme celui de la consommationd'opium imposée aux Chinois par les puritains d'Angleterre-,s'emparer des ressources naturelles du globe, en constituaient lesmotivations réelles, comme chacun le sait aujourd'hui. Noussommes aujourd'hui confrontés à l'amorce du déploiement d'unetroisième vague de dévastation du monde par l'expansionimpérialiste, encouragée par l'effondrement du système soviétiqueet des régimes du nationalisme populiste du tiers monde. Lesobjectifs du capital dominant sont toujours les mêmes -le contrôlede l'expansion des marchés, le pillage des ressources naturelles dela planète, la surexploitation des réserves de main-d'œuvre de lapériphérie - bien qu'ils opèrent dans des conditions nouvelles etpar certains aspects fort différentes de celles qui caractérisaient laphase précédante de l'impérialisme. Le discours idéologiquedestiné à rallier les opinions des peuples de la triade centrale a étérénové et se fonde désormais sur un "devoir d'intervention" quelégitimerait la défense de la "démocratie," des "droits des peuples,""l'humanitaire." Mais si l'instrumentalisation cynique de cediscours paraît évidente aux Asiatiques et aux Africains, tant lesexemples de "deux poids - deux mesures" sont flagrants, l'opinionoccidentale s'y est ralliée avec autant d'enthousiasme qu'elle s'étaitralliée aux discours des phases antérieures de l'impérialisme.

Ce "grand" projet, en tout cas, est déjà formulé en termes derégionalisations néo-impérialistes (selon le principe de sharing theburden), articulant, derrière chacune des puissances c<)nstitutivesde la triade, des espaces géostratégiques du Sud: Etats-Unis-Canada-Al1}érique latine, amorcée par l'intégration du Mexique vial'ALENA, Etats-Unis-Israël-pays pétroliers du Golfe et Mashrekarabe, Union Européenne-Maghreb-Afrique subsaharienne, UnionEuropéenne, (ou AI.lemagne)-Europe de l'Est, alternativementAllemagne;-Etats-Ums-Europe de l'Est-ex URSS, Japon-ASEANou Japon-Etats-Unis-Asie/Pacifique.

Ce projet néo-impérialiste est parfaitement compatible avecl'émergence d'une quinzaine de pôles régionaux et sous-régionauxbénéficiaires de "privilèges" dans leur région mais néanmoins

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relais fidèles dans la mondialisation "ouverte"? On penseiJ1lmédiatement à l'Allemagne et au Japon, brillants seconds desEtats-Unis dans ce plan. Mais aussi au Brésil, à la Turquie (et/oul'Iran) en Asie occidentale-centrale, la Corée en, Asie de l'Est,assistés de puissances régionales de second rang (Egypte, Nigéria,Kenya, Pakistan, Malaisie). Comme par ailleurs, la "révolte" decertains de ces pôles sous-régionaux, élargissant l'espace de leurautonomie en conflit avec la mondialisation/hégémonieaméricaine, est tout à fait possible. On pense ici par exemple auBrésil et à l'initiative Mercosur, si celle-ci devait prendre davantagede distances en regard des dogmes libéraux.

Il n'est pas difficile d'imaginer le tableau d'une mondialisationfuture cohérente avec la domination de la nouvelle forme de la loide la valeur associée aux cinq monopoles mentionnés plus haut.Les centres dominants traditionnels conserver,aient leur avantage,reproduisant les hiérarchies déjà visibles, les Etats-Unis conserve-raient l'hégémonie mondiale (par leurs positions dominantes dansla recherche-développement, le monopole du dollar et celui de lagestion militaire du système), flanqués de seconds (le Japon poursa contribution à la R-D, la Grande-Bretagne comme associéfinancier, l'Allemagne pour son contrôle de l'Europe). Lespériphéries actives de l'Asie de l'Est, de l'Europe orientale et de laRussie, l'Inde, l'Amérique latine constitueraient les zones périphé-riques principales du système. Dans les centres eux-mêmes l'accentplacé sur les activités liées aux cinq monopoles mentionnés impli-querait la gestion d'une société à "deux vitesses" comme on le ditdéjà, c'est-à-dire une marginalisation par la pauvreté, les petitsemplois et le chômage de fractions importantes de la population.

Pour le moment l'Europe est parfaitement alignée sur cettestratégie dans toutes ses dimensions, politiques, militaires etéconomiques. Même à l'égard de l'Afrique - longtemps "chassegardée" des anciennes puissances coloniales, particulièrement laFrance et la Belgique - l'Union européenne s'est alignée sur lespositions de Washington, transmises par Banque mondialeinterposée, comme en témoigne la nouvelle convention de Lomé.

Le G7 a été constitué pour coordonner cette forme de gestion dusystème mondial par les principales puissances capitalistes. On saitque son succès dans le domaine de la stabilisation des changes aété fort limité. Gérant de la crise, le G7 est un "exécutif mondialqui n'a aucun projet d'ensemble pour le monde." Il s'est contenté en1976 de mettre en place les principes de l'ajustement unilatéral dela périphérie, en 1980 d'organiser le recyclage des pétrodollars auprofit de la sphère financière spéculative, puis d'encourager labaisse des prix des matières premières (la raison majeure de laguerre du Golfe), en 1982 d'organiser le rééchelonnement de la

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dette (mais pas de créer les conditions pour résoudre ce problème),en 1992 d'inclure la Russie et les pays de l'Est dans les stratégiesd'ajustement unilatéral, aujourd'hui de gérer la crise yougoslave.

Les scénarios du futur resteront donc toujours largementdépendants de la vision qu'on a des rapports entre les tendancesobjectives lourdes d'une part et d'autre part les réponses que lespeuples et les forces sociales qui les composent donnent aux défisque les premières représentent. Il y a donc un élément desubjectivité, d'intuition, inéliminable. Fort heureusement d'ailleurs,parce que cela signifie que l'avenir n'est pas programmé à l'avanceet que l'imaginaire inventif a sa place dans l'histoire réelle.L'économie politique du développement telle qu'elle avait étéconçue et mise en œuvre au cours du XXème siècle et plusprécisément de sa seconde moitié avait été, comme toujours, leproduit de mouvements sociaux puissants en rébellion contre lalogique de l'expansion capitaliste. Elle procédait donc de grandesréformes sociales (nationalisations, programmes sociaux, réformesagraires, etc.) qui en conditionnaient le déploiement.

Sans doute la gamme des stratégies mises en œuvre a-t-elle étésuffisamment large pour qu'il soit absurde de vouloir les confondretoutes dans un modèle unique. La distance est considérable quisépare les stratégies d'industrialisation systématique des expé-riences socialistes s'affirmant guidées par le marxisme, de cellesdes pays néo-coloniaux qui ne concevaient pas de sortir de laspécialisation dans les produits de base, en espérant mettre à profitce prétendu avantage comparatif pour simplement, au mieux,accélérer leur croissance. Entre les deux extrêmes se sont situéesde nombreuses expériences du tiers monde national populiste.

En tout cas pour les groupes de tête tout au moins undénominateur commun fort peut être dégagé: la volonté deconstruire un système productif national, moderne, efficace etautocentré. De ce fait ces expériences se sont toutes heurtées àl'hostilité permanente des forces dominantes du capitalismemondial, tant sur le terrain économique que sur celui de la politiqueinternationale. Ce conflit, inévitable, conduit à des conclusions quis'imposent à mon avis: que le concept de développement est unconcept critique du capitalisme réellement existant, que l'objectifd'une construction nationale autocentrée reste incontournable, quela mise en œuvre de stratégies au service de cet objectif exige ladéconnexion. En entendant par ce terme - peut-être mal choisi-non pas une autarcie absurde mais le raccourci d'une longuepériphrase que j'ai formulée dans les termes suivants: lasoumission des rapports avec l'extérieur aux exigences de laconstruction interne et non l'inverse (l'ajustement unilatéral auxtendances opérant au niveau mondial). Ces exigences

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fondamentales restent incontournables pour l'avenir, le XXlèmesiècle, quand bien même le cadre dans lequel elles sont appelées àdevoir opérer a subi des transformations importantes.

Au cours de ce premier siècle de remise en cause des logiquesfondamentales du capitalisme, les deux tâches - "rattraper" et"faire autre chose" - ont été combinées de manière variable selonles lieux et dans le temps mais on peut dire sans trop forcer laréalité que la première s'est imposée comme dominante, en sorteque le développement est devenu pratiquement synonyme de"stratégie de rattrapage"(pour aller plus loin ensuite,

'"peut-être).

Ces stratégies se sont essoufflées puis sont entrées en décomposi-tion à partir du moment où les conditions mondiales ambiantes ontbasculé et qu'à la phase d'essor général qui facilitait une intégrationdynamique éventuelle dans la mondialisation a succédé une crisede réajustement qui rendait cette insertion impossible. L"'échec" -si on l'appelle ainsi - n'est pas dû au caractère trop radical desexpériences du XXème siècle, mais au contraire à leur radicalitéinsuffisante, laquelle n'était peut-être pas possible objectivement. Ilfaudra, à l'avenir, mettre davantage l'accent sur "faire autre chose,"sans toutefois ignorer que quelques aspects du rattrapagedemeurent toujours à l'ordre du jour du nécessaire. Autrement dit leXXlème siècle devra être plus radical que le fut le XXème.

Le pourra-t-il? Plus précisément le ralliement de la grandemajorité des classes dirigeantes du monde est-il l'indicateur qu'iln'y a plus de "capital national" (et donc de bourgeoisies natio-nales), que la dimension dominante du capital, la plus dynamique,est déjà transnationale ("globalisée") ? Je ne suis pas convaincu parcette thèse, présentée dans une littérature abondante sur le sujet,mais à mon avis, formulée d'une manière trop rapide etsuperficielle. En tout état de cause, même s'il en était ainsi, lecapital transnational en question resterait l'apanage de la triade,excluant de son club fermé les pays de l'Est et du Sud. Ici nousn'aurions plus affaire qu'à des bourgeoisies compradores, c'est-à-dire à des courroies de transmission de la domination du capitaltransnational de la triade. C'est bien ce que nous avons en place à['heure actuelle; et cette image s'impose d'évidence pour beaucoupde pays sinon tous. Mais encore une fois est-ce là l'indicateur d'unetransformation durable? Dans ce cas le "monde nouveau" ne seraitqu'une étape nouvelle (la troisième), d'une expansion impérialisteancienne c'est-à-dire polarisante à un degré encore plus violentqu'elle ne l'a été aux étapes précédentes. Je ne crois pas que celasoit acceptable et accepté, non seulement par les classes dominéesqui seraient les victimes d'une paupérisation massive aggravée,mais même pour des fractions au moins des classes dirigeantes oude forces sociales et politiques qui aspirent à le devenir.

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Si l'impression de ce duo transnationalisation-compradorisationparaît s'imposer avec force dans le moment actuel au pointd'inspirer l'idée que la transformation qu'elle représente est solide,irréversible et durable, c'est parce que nous nous trouvons dans unephase de crise structurelle. Qu'on l'appelle ainsi ou qu'on lui donneun autre nom (phase B du cycle long Kondratief) ne modifie pas lanature de la question. Dans les phases A du cycle long capitaliste lacroissance accélérée dans des structures stabilisées de l'accumula-tion entraîne des évolutions rapides de toutes natures qui paraissentlargement, dans l'immédiat du vécu, positives et donc acceptables.Dans les phases B par contre les restructurations occupant ledevant de la scène, les anciens modèles d'accumulation et dereproduction sociale sont impuissants, les nouveaux ne s'imposentpas encore. La période est vécue comme un moment pénible (etelle l'est pour les classes dominées). Que dans ce moment le capitalsemble bien se porter (les taux de profit sont élevés) comme c'est lecas aujourd'hui, ou que la crise se manifeste par un effondrementdes profits (comme cela pourrait arriver), ou qu'une analyse plusfine révèle l'amélioration de la rentabilité pour certains segmentsdu capital et sa détérioration pour d'autres, constitue une série dequestions importantes sur lesquelles je n'en dirai pas davantage ici.

Alors que reste-t-il comme avenirs possibles et souhaitables?C'est-à-dire comme forme de système constituant le cadre d'unenouvelle économie politique du développement pour le XXlèmesiècle. Ce que je proposerai procède de la logique de "l'utopie créa-trice." L'histoire n'est pas commandée par le déploiement infaillibledes "lois de l'économie pure." Elle est produite par les réactionssociales aux tendances que ces lois expriment, qui définissent àleur tour les rapports sociaux dans le cadre desquels ces loisopèrent. Les forces "antisystémiques" - si on appelle ainsi ce refus,organisé, cohérent et efficace, de la soumission unilatérale et totaleaux exigences de ces lois prétendues (ici la loi du profit propre aucapitalisme comme système) - façonnent l'histoire véritable autantque la logique "pure" de l'accumulation capitaliste. Ellescommandent les possibilités et les formes de l'expansion qui sedéploient alors dans les cadres dont elles imposent l'organisation.

Le projet d'une réponse humaniste au défi de la mondialisationinauguré par l'expansion capitaliste, n'est pas "utopique." Il est aucontraire le seul projet réaliste possible, dans ce sens que l'amorced'une évolution allant dans son sens devrait rallier rapidement desforces sociales puissantes dans toutes les régions du monde,capables d'en imposer la logique. S'il y a une utopie, au sens banalet négatif du terme, c'est bien celle du projet d'une gestion dusystème réduite à la régulation par le marché mondial. Car si lacohérence nationale recule, elle ne cède pas la place à une

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cohérence mondiale qui reste introuvable.Un monde multipolaire est tout d'abord un monde régionalisé.

L'interdépendance négociée et organisée d'une manière quipermette aux peuples et aux classes dominés d'améliorer lesconditions de leur participation à la production et leur accès à demeilleures conditions de vie constitue le cadre de cette constructiond'un monde polycentrique. Elle, implique certainement qu'ondépasse l'action dans le cadre des Etats-nations, surtout de ceux detaille modeste ou moyenne, au bénéfice d'organisations régionalesà la fois économiques et politiques, permettant des négociationscollectives entre ces régions.

L'Union européenne pourrait s'engager dans cette voie, bienqu'elle soit mal partie, ayant développé une conception purementéconomiciste de son projet (un marché intégré sans plus), et seretrouve de ce fait confrontée à la difficulté majeure qui est de sedoter d'un pouvoir politique commun lui correspondant. Or tantque le volet social du projet restera, comme il l'est, une coquillecreuse, le marché unique engendrera des conflits sociaux, et àpartir de là nationaux, insurmontables. C'est la raison pour laquellej'ai dit que l'Europe sera de gauche ou ne sera pas.

Les problèmes des régions du tiers monde sont différents dansla mesure où leur "sous-développement" est plus marqué. De cefait: (i) ces pays et régions sont moins profondém~nt intégrés dansle système productif mondialisé en construction. A part la Corée,Taiwan et Singapour qui sont peut-être les seules exceptionsimportantes (Hong Kong étant intégré à la Chine), dans tous lesautres pays semi-industrialisés du tiers monde seuls des segmentslimités du système productif sont intégrés à la nouvelle économiemondialisée ; (ii) ils sont simultanément moins intégrés entre eux,et même pratiquement pas du tout, surtout en ce qui concerne lespays du "quart monde" ; (iii) ils sont inégalement développés etl'essor de l'après-guerre a accusé cette inégalité, qui séparedésormais le groupe des pays semi-industrialisés de ceux du quartmonde; enfin (iv) pour toutes ces raisons ils sont attirés par desassociations régionales Nord-Sud qui opèrent au détriment de leurautonomie collective.

Je renvoie ici aux propositions que j'ai avancées dans l'espritd'une conception nouvelle des régionalisations requises, différentesde celles conçues dans le cadre du système actuel dominant. Cesdernières sont constituées comme des courroies de transmission dela mondialisation polarisante, en rattachant des zones périphériquesà des centres dominants se partageant de la sorte les respons8;bilitésdu "colonialisme global." L'ALENA (Association çleLibre-Echan-ge Nord Américaine, rattachant le Mexique aux Etats-Unis et auCanada), les accords de Lomé (l'Association Union européenne-

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Afrique, Carai'bes et Pacifique), les concepts de la zone, Yen(Japon-Asie du Sud-est) et du projet de "zone Pacifique" (Etats-Unis, Japon, Australie et pays riverains de l'Océan) relèvent de ceconcept néo-impérialiste inadéquat si l'on s'en tient à l'objectifsouhaitable de réduction des écarts. Les simples "marchés com-muns" régionaux (comme Mercosur en Amérique du Sud,l'ECOW AS en Afrique de l'Ouest et le COMESA en Afrique del'Est et australe) comme les organisations politiques communeshéritées de la guerre froide (l'ASEAN en Asie du Sud-est) ontégalement fait l'objet de critiques sévères que je leur ai adresséesailleurs.

La régionalisation que je propose me paraît être le seul moyenraisonnable et efficace pour combattre les effets polarisants descinq monopoles de la triade. En partant précisément de chacun deces cinq monopoles on pourrait définir les axes essentiels desprojets de régionalisation suggérés ici, c'est-à-dire les priorités queces projets devraient servir. A partir de là on pourrait reprendre lesgrandes questions relatives à l'ordre mondial pour proposer les axeset les objectifs de grandes négociations susceptibles d'organiserune interdépendance contrôlée, mise au service des peuples, sur aumoins les grandes questions suivantes:(i) La renégociation des ''parts de marché" et des règles d'accès àceux-ci. Ce projet remet en cause bien entendu les règles de l'OMCqui, derrière un discours sur la "concurrence loyale," s'emploieexclusivement à défendre les privilèges des oligopoles actifs àl'échelle mondiale.(ii) La renégociation des systèmes de marchés de capitaux, dans laperspective de mettre un terme à la domination des opérations despéculation financière et d'orienter les investissements vers lesactivités productives au Nord et au Sud. Ce projet remet enquestion les fonctions, peut-être même l'existence, de la Banquemondiale.(iii) La renégociation des systèmes monétaires dans la perspectivede la mise en place d'arrangements et de systèmes régionauxaisurant une stabilité relative des changes, complétée parl'organisation de leur interdépendance. Ce projet remet en questionle FMI, l'étalon-dollar et le principe des changes libres etfluctuants.(iv) L'amorce d'une fiscalité de portée mondiale, par exemple parla taxation des rentes associées à l'exploitation des ressourcesnaturelles et leur redistribution à l'échelle mondiale selon descritères appropriés et pour des usages affectés.(v) La démilitarisation de la Planète, en commençant par la réduc-tion des forces de destruction massive des plus puissants.(vi) La démocratisation de l'ONU Dans cette perspective

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conciliant mondialisation et autonomies locales et régionales (ceque j'appelle une déconnexion cohérente avec les défis nouveaux),place est faite pour une révision sérieuse des concepts "d'aide,"comme aux problèmes de démocratisation du système des NationsUnies, qui pourrait alors s'atteler efficacement à des objectifs dedésarmement (rendus possibles par les formules de sécuriténationale et régionale associées à la reconstruction régionale),amorcer la mise en place d'une fiscalité mondialisée (en relationavec la gestion des ressources naturelles de la planète), compléterl'organisation inter-Etats qu'est l'ONU par l'amorce d'un "Parlementmondial" capable de concilier les exigences de l'universalisme(droits de l'individu, des collectivités et des peuples, droitspolitiques et sociaux, etc.) et la diversité des héritages historiqueset culturels.

Le système mondial pluricentrique et démocratique préconiséici ne constitue pas la "fin de l'histoire," mais seulement une étapedans la longue transition au socialisme mondial. La réalisation desobjectifs de cette étape prépararerait en effet la progression desvaleurs d'une société post-capitaliste meilleure, fondée sur lasolidarité humaine plutôt que l'égoïsme des individus et desnations.

Dans cette transition l'accent est en effet placé sur troisprincipes largement négligés dans les expériences du XXème sièclequi par ailleurs tiennent compte des tendances profondes de latransformation du monde. Il s'agit en premier lieu du principe d'unedémocratisation perçue comme un processus multidimensionnelsans fin, qui invite donc à passer progressivement de projets et devisions du progrès de la libération dans le capitalisme à ceux de lalibération du capitalisme. En second lieu la vision mondialistehumaniste, qui invite à placer le droit multiforme des personnes etdes collectivités aux postes de commande (en lieu et place du droitdes affaires, c'est-à-dire du droit au service du capital), contribue àcréer un internationalisme des peuples, qui fait contre-poids autransnationalisme du capital. Enfin en troisième lieu les régionali-sations sont conçues dans une optique qui en fait des instrumentsefficaces de la réduction des effets polarisateurs du déploiement ducapital.

Samir AMINProfesseur à l'Université de Dakar

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INTRODUCTION

La crise économique et sociale du continent africain a étéanalysée et diagnostiquée dans toutes ses coutures aussi bien parles chercheurs individuels, les institutions de recherche, les fora etcercles ad hoc, que les décideurs et responsables du développe-ment. Elle a aussi fait l'objet de solutions, de traitements qui ontévolué avec la maladie de développement en Afrique. Il est généra-lement admis que cette crise a des dimensions socio-économiques,socio-politiques et environnementales. Il est aussi admis que sescauses profondes sont liées au contexte historique du continentcomme l'héritage colonial et les chocs extérieurs, mais aussi à lafaillite des politiques suivies jusque là en Afrique.

Devant l'immanence et l'ampleur de la crise africaine, despropositions de solutions ont été faites ici et là, et des stratégies,politiques et programmes ont été mis en œuvre. Ils ont eux aussiévolué avec les diagnostics certes, mais aussi avec les intérêts desgroupes ayant le pouvoir de décision et de mise en oeuvre. Lesréponses actuelles à la crise africaine comprennent un ensemble destratégies et politiques liées (i) aux réformes économiques, ycompris la stratégie de l'aide et de la réduction de la dette, (ii) auxréformes et à la libéralisation politique, y compris les problèmes dela paix, (iii) à la protection de l'environnement, (iv) et à l'assistancehumanitaire.

Mais à travers tous ces efforts aussi bien des Africains eux-mêmes que de leurs partenaires, le développement est devenul'objet d'un grand commerce dans le monde. C'est un marché qui asa demande et son offre. Les acheteurs sont principalement lespays en développement et parmi eux les pays africains. L'offrevient de la part des pays développés et de leurs institutions, censésavoir les produits du développement devenus marchandises sur cemarché spécial. Les marchandises sont des produits, équipements,idées de projets, projets dits de développement, programmes etpolitiques de développement, mais aussi savoir-faire conceptuel ou

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pratique, technologies matérielles et humaines.Comme toute offre sur le marché, l'offre des biens et services de

développement provient de ces différents services de production,d'exploitation, de recherche-développement qui innovent enmatière de produits, de marketing, de suivi financier, deplanification stratégique, de vente, etc. Cette énorme machinecomprend aussi bien ses détaillants que ses grossistes, ses PME,ses grandes entreprises et ses transnationales.

Si au début des premières décennies du développement lesoffreurs semblaient y aller en ordre dispersé, le commerce desproduits et apparences du développement s'est de plus en plusorganisé en un véritable système marchand du développement -SMD -, qui comprend des institutions, des structures, desmécanismes opérationnels d'ouverture des marchés, de fidélisationde la clientèle et d'expansion des affaires. Le système a développémême des mesures de satisfaction aussi bien de l'acheteur que duvendeur.

Mais il y a trois spécificités dans ce commerce. La première estque les offreurs au niveau des transnationales ou des grandesentreprises vendent leurs produits et services en finançantl'acheteur ou en lui avançant l'argent. L'avance peut être faite endons ou en prêts, mais le vendeur fait toujours de bonnes affairessoit individuellement, soit en tant que système. Il perçoit lesbénéfices de la vente soit directement dans le cadre des opérationsde développement qu'il a financées ou que d'autres membres dusystème ont financées, soit par le biais des mécanismesopérationnels comme l'aide liée, soit enfin, indirectement par letruchement des autres affaires menées sur le marché dudéveloppement.

La deuxième spécificité est que les marchands du déve-loppement ne portent pas le costume des commerçants, mais plutôtcelui de gourous, marabouts et autres prophètes du développementqui prêchent la voie du salut aux pays en mal de développement.Ils portent le costume de l'humaniste et du bienfaiteur qui nonseulement donnent leurs sages et salutaires conseils, mais en plusils financent ceux qui suivent les voies du salut qu'ils prêchent ouprescrivent. Ils se présentent comme des sauveurs des naufragés etdes perdus africains. Et ils tiennent à sauvegarder cette image et lahauteur de la crédibilité et de l'autorité morales ou prophétiques quidoivent accompagner le commerce des produits et apparences dudéveloppement.

La difficulté pour le SMD est que le développement nes'importe pas et ne s'achète pas auprès de quelque marchand fût-ilorganisé en système, ou habillé en marabout et prophète dudéveloppement. Il est une dynamique de transformations qui doit

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être initiée, appropriée, gérée et maîtrisée par ses acteurs qui ensont aussi ses bénéficiaires, c'est-à-dire les populations africainesorganisées à cet effet. Le développement doit être "engineered" parles Africains eux-mêmes. C'est là la limite objective desprédications et des opérations financières et commerciales duSMD, à réaliser le développement humain en Afrique par la ventedes produits et apparences du développement. En suivant leprophète à la fois comme fidèle et comme acheteur de ses recettesmagiques, l'Afrique court le risque d'aller toujours de désillusionsen désillusions.

Et lorsque les signes de ces désillusions apparaissent, oulorsque les affaires ne semblent pas bien marcher au cours d'unepériode donnée, le SMD, avec la force de créativité et d'innovationqu'on lui connaît, arrive toujours à mettre au point de nouveauxproduits qu'il lance sur le marché, ou à habiller différemment lesanciens, avec parfois une reconnaissance marginale de la mauvaisequalité du premier produit tel qu'il était présenté sur le marché dudéveloppement. Ceci arrive aussi lorsque le système passe par unepériode de crise conceptuelle en matière de pensée dedéveloppement. Toutes ces choses sont vérifiables dans l'évolutiondu continent africain au cours de ces quarante ans de développe-ment "aidé" par le système marchand de développement.

La troisième spécificité est liée à la nature même d'unemarchandise particulière qui a pris de plus en plus d'importancedans ce commerce: les politiques de réformes économiques,présentées d'ailleurs comme politiques de développement.

Ces politiques sont devenues aujourd'hui une marchandise, quise vend avec et au même titre que les brevets et les autres biens etservices. Et plus que cela, elles tracent la voie au commerce de cesderniers, et ouvrent le marché à certains grands marchands, dans lamesure où elles déterminent la voie du développement et donc lesproblèmes à résoudre, les besoins à satisfaire et la manière de lessatisfaire. Les politiques de réformes et ou de développement sontdonc des marchandises spéciales, car elles ne se limitent passimplement à être consommées, elles orientent l'avenir et le devenirdes pays, engagent les générations actuelles et futures, etdéfinissent la nature du développement et le mode d'insertion dansl'économie mondiale.

De ce fait, ces politiques font l'objet de prescriptions médicalesou mieux maraboutiques. En effet, au même titre que dansl'Afrique traditionnelle, le grand marabout, le grand sorcier dulignage (sens positif du terme), le gardien des esprits des ancêtresdu clan ou le grand féticheur du royaume qui veille sur lesindividus et sur la communauté, les protège contre le mal et lemauvais sort, leur indique la voie du bonheur pour l'avenir, il y a

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aujourd'hui de grands sorciers, de grands féticheurs, c'est-à-dire desmédecins sociaux, économiques et politiques, doublés de pouvoirssurhumains de voyance, de prédiction, de dialogue ou négociationavec les esprits, bref, des marabouts du développement qui"veillent" sur l'Afrique et le bien-être des pays africains, leurindiquent la voie du bonheur, les sacrifices à faire pour cela, et lesmodes d'emploi de leurs recettes.

Le droit de se définir une voie de développement, de se mettreau travail pour la construire comme il revient à tout être majeur,sans quelque ingérence paternaliste, marchande ou maraboutiquece droit n'est pas, dans la pratique, reconnu aux pays africains. Cedroit n'est pas encore démocratisé même en période historique dedémocratisation en Afrique. Dans ces conditions il devient unproblème de départ à résoudre, un besoin de développement defond qu'il faut satisfaire.

Ce livre considère que les politiques de développement nes'achètent pas auprès de quelques "détenteurs" marchands, pas plusqu'elles ne peuvent être l'objet de prescriptions des maraboutsquelle que soit leur puissance financière, conceptuelle ou autre.L'Afrique n'a besoin ni des uns ni des autres. Quarante ans dedéveloppement dirigé ou inspiré par les marabouts et autresmarchands de développement montrent que l'Afrique n'est toujourspas bien engagée sur la voie d'un développement humain durable,malgré des efforts réels ici et là. Les marabouts ne veulent rienentendre de leur responsabilité dans l'échec du développement aucours de ces quatre décennies. C'est pourquoi si l'Afrique doitassumer ses responsabilités dans la réussite comme dans l'échec deses politiques de développement, il faut qu'elle soit effectivementresponsable et maître du jeu aussi bien dans la conception que dansla mise en œuvre de ces politiques, y compris dans le choix despartenaires de développement et le mode opératoire du partenariat.

Loin de moi l'idée de diaboliser toute initiative du Nord ou duSMD en faveur de l'Afrique. Les bonnes institutions ont existé,existent et existeront aussi bien sur le plan humanitaire que surcelui du développement même. Le souci de redresser un arbretordu donne souvent l'impression qu'on passe d'un extrême àl'autre. Ce n'est ni le cas ni J'intention ici.

Le siècle qui commence annonce un développement encore plusgrand du processus de mondialisation dans lequel l'Afrique setrouve embarquée dans des conditions qui ne lui sont pasnécessairement favorables, malgré les prédications des tenants dece processus. Il s'agit pour l'Afrique non pas seulement de mesurerses chances face à ce processus, mais surtout de se définir unestratégie appropriée et de savoir la mettre en œuvre en tirantbénéfice de la mondialisation.

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Le livre se structure en trois parties: après une brève analysebilantielle des quatre dernières décennies de développement ducontinent dans la première partie, il s'attache surtout à fairel'examen de la stratégie du système marchand de développement enAfrique dans une deuxième partie, avant de porter un regard versl'avenir de l'Afrique au cours du prochain siècle.

REMERCIEMENTS

Le projet de ce livre date d'il y a six ans. Il n'a pu finalementêtre concrétisé que grâce à l'ambiance stimulante que nous avonsconstruite ensemble au sein du Bureau du PNUD à Ouagadougou,au Burkina Faso. Je voudrais saisir cette occasion pour remerciertous les collègues du bureau qui, même sans être nécessairement aucourant de mon projet, m'ont facilité le travail chacun à leurniveau. Mais je ne peux les mentionner tous. Je me permettraicependant de remercier en particulier mon assistante, MadameVéronique Hoornaert-Zoromé, qui a pris soin de la mise en page etde la saisie de tableaux parfois fastidieux, mais avec patience etcuriosité à la fois.

Bien que me déplaçant souvent sur le terrain au Burkina Fasoou parfois à l'extérieur du pays, c'est au Burkina que j'ai réalisél'essentiel de ce travail. Ce livre est aussi de ce fait un tribut que jepaie à ce pays.

Christine, mon épouse a eu le temps de relire l'un ou l'autrechapitre et d'attirer mon attention sur certaines de mes longuesphrases, pas toujours de nature à faciliter la lecture du texte. Laconcentration que ce travail m'a demandée durant quelques mois aucours de l'année 1999 m'a rendu sans doute peu attentif et peudisponible pour ma famille. Mais Christine et les enfants ontaccueilli cela avec une patience et une compréhensionremarquables. Ils étaient parfois plus attentifs que moi-même àl'effet négatif possible de l'intensité du travail - professionnel etpersonnel - sur ma santé. Je leur en suis particulièrementreconnaissant. La publication de ce livre sera une compensationmineure par rapport à la hauteur de leur sacrifice.

Abuja, le 21 Octobre 1999

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PREMIÈRE PARTIE

QUATRE DÉ,CENNIES D'ILLUSIONSDE DEVELOPPEMENT

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CHAPITRE I :L'IMPASSE DU DÉVELOPPEMENT EN

AFRIQUE

Le XXème siècle s'achève et le XXlème est à la porte. Lenavire économique du continent africain continue péniblement sonvoyage sur les eaux sans qu'on puisse être sûr s'il les domine ou s'ilest plutôt porté par les courants et les vagues. Nombreux sont ceuxqui ont cru percevoir son naufrage. D'autres ont affirmé lanécessité d'une aide d'urgence et soutenue pour le sauver d'unnaufrage quasi certain. Les prophètes de bonheur non plus n'ontpas manqué, prescrivant recettes sur recettes depuis des décennies,changeant aussi bien de chanson que de liturgie, selon que lacônjoncture annonçait "le décollage et le miracle" ou simplement larégression et la crise.

Il est évident que tout plan de sauvetage doit tenir compte de lanature de l'embarcation et de sa position sur les eaux, de la naturedes eaux elles-mêmes, et des problèmes que cela représente pour lasuite du voyage de l'embarcation, compte tenu aussi sans doute desobjectifs de sauvetage. Il peut alors s'agir seulement d'attelerl'embarcation à un de ces bâtiments géants de la mer, de renforcerses équipements et machines ou de toute autre solution, par exem-ple de faire changer de direction au bateau (économique et social)africain. Car lorsqu'on maintient difficilement sa tête au-dessus deseaux, il arrive qu'on n'ait plus de force ni encore moins de volontépour prendre une décision autonome pour soi-même et son devenir.On perd presque ce droit et la dignité qui l'accompagne, les vagueset les courants eux-mêmes faisant le reste. N'est-il pas plus facilede se laisser emporter par le courant?

Dans ces conditions, les questions de direction autonome duvoyage, de dignité dans la marche, du rapport avec le "sauveur" -partenariat ou soumission - ne se posent pas; elles sont occultéespar celles de la nécessité de sauvetage et de son urgence, même si

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on n'en est pas convaincu.Depuis les indépendances jusqu'à ce jour, voici quarante ans

d'efforts de développement, dont il faut faire rapidement le bilanavant d'embarquer pour le XXIème siècle. Quatre décennies detangage et de roulis de l'embarcation africaine sur l'océan écono-mique et politique mondial.

Ce chapitre était à l'origine une réponse à l'invitation du GroupeSud Communication de Dakar. Ce dernier m'avait demandé defaire une brève contribution à une réflexion sur "l'Afrique et lesdéfis majeurs du XXIème siècle" en me suggérant d'examiner ladimension économique de la question. Dans ma réflexion, c'estcette image du bateau ou est-ce de la pirogue économique africainevoyageant ou errant sur les grandes eaux que j'ai eue à l'esprit.

1. Quarante ans de développement ou d'illusions?

Après quatre décennies de développement général ou sectoriel -décennies de développement industriel, agricole, de l'eau potable,d'amélioration des transports, etc. -, après des efforts immensesaussi bien du continent lui-même que de ses "partenaires"extérieurs de développement, il devient nécessaire de savoir où sesitue l'Afrique par rapport à elle-même et dans l'économiemondiale d'aujourd'hui, avant de porter le regard vers l'avenir.

Les indicateurs, économiques des quarante dernières annéeslaissent perplexe. A quelques rares exceptions près, le continentdans son ensemble n'a pas connu de progrès économiques durables.Lê tableau général est celui d'un continent en régression, ou aumieux en stagnation. De nombreux pays du continent ont connu ouconnaissent de véritables crises économiques dont ils n'ont pusortir que difficilement, et parfois simplement à la faveur decirconstances conjoncturelles. Malgré l'évolution en dents de sciepour certains pays ou pour certaines périodes, la stagnation oumême la régression économique est la caractéristique essentielle del'évolution économique du continent au cours de ces quarante ansde développement. Avant de discuter de l'explication de cetteévolution, et d'examiner les différents indicateurs économiques quenous avons retenus à cet effet, on peut déjà faire une conclusionévidente: la stagnation ou la régression économiques du continentdans un monde en progression est un signe important de sa placemarginale dans l'économie mondiale d'aujourd'hui.

Comme on peut s'en rendre compte sur le tableau 1.1(indicateurs économiques), la tendance sur une longue période estque la croissance réelle du PIB a été régressive en variationannuelle, passant de 4,9% à 4,0%, 2,1% et 3,1% respectivementpour les périodes 1965-73, 1974-82, 1983-91 et 1992-97 ! Cette

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4,7 2,8 2,3 3,2 4,7 3,6

7,4 6,8 7,8 JO,I 8,83,7 4,2 5,6 6,5 7,09,0 6,9 9,5 11,9 9,93,7 3,9 5,7 6,9 7,56,9 7,4 6,7 7,7 7,6

évolution négative est la résultante de l'évolution des secteurs-cléscomme ceux de l'agriculture où la croissance en valeur réelle esttombée de 2,7 à 1,6% sur les deux premières sous-périodes, enremontant à 3,4 et 5,6% au cours des deux dernières sous-périodes,particulièrement grâce à une bonne pluviométrie moyenne au coursdes dernières années. Il en est de même pour le secteur industriel,où la variation annuelle en valeur réelle a chuté aussi, passant de5,5% sur la période 1965-73 à 4,4%, 1,8% et 2,5% respectivementsur les mêmes sous-périodes. Si l'agriculture et l'industrie, ycompris l'industrie minière ne peuvent connaître une croissancesoutenue sur la période, ou du moins une tendance croissante, onne peut espérer positionner le continent dans le monde simplementpar la croissance des autres secteurs - les services par exemple -qui eux-mêmes dépendent des progrès réalisés dans l'agriculture etl'industrie.

Les données plus récentes de la Communauté des ÉtatsAfricains (CEA), portant sur les deux dernières décennies montrentpour l'Afrique dans son ensemble et par sous-région que lacroissance et le développement sont effectivement en panne sur lecontinent. Les taux de croissance sont de 1,8% et de 1,4%respectivement sur les périodes 1980-95 et 1985-95 (voir tableau1.2). L'augmentation des taux au cours des années 1996-97 resteinférieure à celle estimée par la Banque mondiale et la CoalitionMondiale pour l'Afrique (CMA) qui de toutes façons se réfère auxdonnées de la Banque mondiale. Il faut noter que les deuxdernières décennies sont les décennies des politiques destabilisation et d'ajustement, censées mettre le continent sur lechemin de la croissance économique soutenue. Ce qui n'a pas été lecas comme on peut s'en rendre compte (voir aussi le tableau 4.7 auchapitre IV).

Tableau 1.1. : Indicateurs économiques

I Croissance réelle du PIB . Iy~~~~~~~~~~~ny2~~ep~g~_________

65-73 74-82 83-91 92-97 96 974,9 4,0 2,1 3,1 5,0 3,25,7 5,4 7,4 9,4 8,7

Total AfriquePays servant decomparaisonAfrique Sub-SaharienneAsie de l'EstAsie du SudChineIndeIndonésIe

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20,2 24,1 17,9 18,4 19,1 18,6

22,4 30,1 32,4 36,7 38,516,3 20,4 22,1 23,4 25,024,8 32,5 35,8 40,4 42,417,1 21,5 n2 24,5 26,513,7 24,2 27,8 30,0 31,8

I Croissance réelle du PIB par habitant ICroissance du PIB/hb. PIB par hb

. _ _ _ _ _ _{"1Pli!!ID)_ _ _ _ _ _ _ _ _

-<~ ~u_cp,!r~<!e)2~7) _ _ _ _

70-87 88-97 97 1997Total Attique 04 -04 0,9 660Pays servant de 3,7 6,5 -- 494comparaisonAfrique Sub- -0,4 -0,5 -- 488SaharienneAsie de l'Est 4,8 7,8 -- 614Asie du Sud 19 30 -- 410Chine 58 93 -- 499Inde 1 8 33 -- 443Indonésie 43 62 -- 707

Total AfriquePays servant decomparaisonAfrique Sub- 3,5 1,2 2,8 6,2 8,8 4,7SaharienneAsie de l'Est 3,4 3,6 4,0 4,0 4,2Asie du Sud 3,1 2,3 3,0 3,0 5,3Chine 2,7 3,1 4,2 4,7 5,1Inde 3,1 2,1 2,9 3,2 5,7Indonésie 5,0 4,4 3,6 2,1 1,9

6,4 3,2 1,7 2,4 3,1 3,7

11,3 9,0 9,6 14,1 11,33,8 5,2 6,9 8,5 6,713,1 10,3 11,1 16,2 12,33,9 5,0 6,9 9,0 7,015,9 7,2 7,8 10,5 10,5

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I Investissement intérieur brut I. - 65-73- - - -74:82 - - rg.~~~'!~~ ~~-~f - - - -96- - - - - 97 - -

19,7 26,0 21,7 20,0 19,921,6 27,2 29,8 36,6

Total AfhquePays servant decomparaisonAfrique Sub-SaharienneAsie de l'EstAsie du SudChineIndeIndonésie

ICroissance industrielle en valeur réelleVanation annuelle moyenne de la valeur ajoutée,

}'!poy~~~m~~_______________65-73 74-82 83-91 92-97 96 97

5,5 4,3 1,8 2,5 3,4 4,28,7 7,7 9,3 13,7 10,9

Total AfriquePays servant decomparaisonAfnque Sub-SaharienneAsie de l'EstAsie du SudChlOeIndeIndonésie

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I Croissance des eXDortations en valeur réelle ICroissance des exportations (% Exportations moyennes

._------p~~------- _ _ _ J\!lUI!0!1~ <!e_$)2~71_ _ __70-87 88-97 97 95-97

Total Mioue 18 43 6.9 143 581Pays servant de 7,1 12,7 -- --comDaraisonAfrique Sub- 1,2 4,2 7,2 93 157SaharienneAsie de l'Est 79 131 -- --Asie du Sud 54 118 - 60 425Chine 127 143 -- --Inde 5,3 122 -- 41721Indonésie 3,1 94 -- 36681

I Croissance des imDortations en valeur réelle 1

. ~:o~s~~:e_d;~ ~)~~a~i~n~~~Importations moy.

___J\!lU~°!1~~))2~~____70-87 88-97 97 95-97

Total Afrique 29 36 67 132 769Pays servant de 11,4 5,5 -- 122 544comDaraisonAfrique Sub- 1,7 4,2 6,9 90035SaharienneAsie de l'Est 102 14 I .- 291 890Asie du Sud 55 73 .- 66 599Chme 16,6 13.3 -- 90118ln<1e 68 75 .- 42879Indonésie Il,6 12.6 -- 34 607

90,0 106,0 101,4 101~8105,0 99,1 89,4 83, 87,196,7 111,1 97,6 96,7

84,299,6 102,1 89,6 80,365,4 117,6 96,7 97,3 100,9

7,5 17,7 14,6 15,5 20,0

22,2 10,511,7 22,0

9,924,7 16,2

8,3 8,7 9,39,3 22,7 28,1 24,1 26,9

28,8 30,9 31,2

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ITermes de l'échan2e I.

-74-78 - - -82=-86- - ~n~~~~7(..I~8)-=91~Q)-- - -96- - - - -97- --118,8 121,3 89,4 88,4 92,283,2 110,9 96,2 94,1 93,4

116,7 114,5 91,4 89,9 93,2

Total AfriquePays servant decomparaisonAfrique Sub-SaharienneAsie de l'EstAsie du SudChineIndeIndonésie

93,7

IRatio du service de la dette fppyp~£~~g~~~~xp~rt~~~~__________

73 80 85 94 95 967,5 9,9 20,7 19,4 18,2 21,0

33,4 35,8 18,0 17,7 21,2 18,9

6,3

Total AfriquePays servant decomparaisonAfrique Sub-SaharienneAsie de l'EstAsie du SudChineIndeIndonésie

18,3

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Investissements directs étran ers

Total AfrIquePays servant decomparaisonAfrique Sub-SaharienneAsIe de l'Est 335 1312 2949 50218 58681AsIe du Sud 35 185 264 2936 3439ChlOe 1 659 35849 40180Inde 38 79 106 2144 2587Indonésie 16 180 310 4 348 7 960 --Source :.d'après le Rapport Annuel1997/1998 de la Coalition MondIale pour l'Afrique surbase de données de la Banque mondiale.

En millionsde oHars. - .=;J - - - - -80. - - - -85- - - - - 95 - - - - -96- - - - -97- ---738 1247 3311 4376259 2075 42341 5072754

-802 802 2003 2840 2938

Il en résulte une évolution plutôt négative du PIB réel parhabitant, car à part une demi-douzaine d'exceptions, la plupart despays africains ont connu un PIB par habitant inférieur à ce qu'ilétait il y a une vingtaine d'années. "La croissance annuelle moyen-ne du revenu réel par habitant était de 1,4% dans les années 60, de0,9% dans les années 70, de -1,0% dans les années 80 et de -1,2%pour 1990-1993. Exprimé en dollars constants de 1960, le PIB réelpar habitant pour l'ensemble de la région a atteint son maximum àla fin des années 70 et était retombé à son niveau de 1960 en1993." (PNUD, 1996, p.3). La Coalition Mondiale pour l'Afrique,tablant sur les données de la Banque mondiale rapporte que lacroissance réelle du PIB par habitant en pourcentage annuel esttombée de 0,4% au cours de la période 1970-1987 à un taux négatifde -0,4% sur la période 1988-1997 ! Même si les chiffres et lespériodes ne correspondent pas, il est évident que l'Afrique n'a pasconnu de croissance en réalité, encore moins de croissance soute-nue à même de contribuer à l'amélioration des conditions de vie deses populations. On comprend déjà que la pauvreté soit non passeulement une réalité, mais une réalité croissante sur le continent.

L'évolution du commerce extérieur par contre a été un peudifférente. En effet les exportations ont connu plutôt une tendancecroissante un peu plus marquée sur la période, passant d'un taux de1,8% sur la sous-période 1970-87 à un taux de croissance annuellede 4,3% pour la sous-période 1988-97, atteignant même 6,9% en1997. Quant aux importations, elles ont connu une croissance envaleur annuelle certes, mais moins marquée que celle des expor-tations. Cette croissance est passée de 2,9% à 3,6% pour les mêmessous-périodes. Mais entre-temps la part de l'Afrique dans le com-merce mondial a sérieusement chuté, tombant de plus de 3% aucours de la dernière décennie à moins de 2% aujourd'hui (voirtableau 4.5).

En fait la croissance en valeur des exportations voile la réalité:

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la baisse tendancielle des prix à l'exportation et corrélativementcelle des termes de l'échange sur la période, baisse que n'a pucompenser l'accroissement du volume des exportations. En effet,les termes de l'échange sont en baisse continuelle avec un indicetombant de 118,8 en 1974-78 à 89,4 au cours de la période 1993-97, sur base de l'indice 100 en 1987. Par ailleurs, l'indice des prixdes matières premières est lui aussi en baisse continuelle. Il enrésulte une perte importante aussi bien en termes de revenusd'exportations, qu'en termes de rentabilité de la politique depromotion des exportations et bien sûr en moyens de financementdes investissements. Ce qui accroît encore pour l'Afrique la dépen-dance vis-à-vis du secteur d'exportation et du commerce extérieuren général. En effet, une croissance économique faible, mais allantensemble avec une évolution croissante du commerce extérieur estun indicateur important de la dépendance croissante de l'Afrique àl'égard de l'économie mondiale.

Tableau 1.2. Croissance du pm en Afrique (auxprixde1990)

Région ValeurenmillIonsdedoUars1980 1985 1990 1995 199637307 48710 45906 41316 43 15520975 22831 28329 32739 34 138

139804 170136 178671 192382 200826102044 112607 128314 133888 13789170941 66404 74116 83279 86740

371 071 420688 455336 483 604 502750

Afrique CentraleAfrique OrientaleAfrique du NordAfrique AustraleAfrique de l'OuestTotal Afrique

199744 79635 332

206 44914121689 950

517 742

Région Taux de croissance1980-95 1985-95 1995 1996

Afrique Centrale 0,7 -1,6 5,0 4,5Afrique Orientale 3,0 3,7 4,9 4,3Afrique du Nord 2,2 1,2 1,8 4,4Afrique Australe 1,8 1,7 2,5 3,0Afrique de l'Ouest 1,1 2,3 3,4 4,2Total Afrique 1,8 1,4 2,7 4,0

Source: CEA, Rapport Economique sur l'Afrique, Addis Abeba, 1998.

Les indicateurs économiques montrent donc non pas seulementune régression ou au mieux une stagnation économique ducontinent au cours de ses quarante années de "développement",mais aussi une marginalisation économique croissante de l'Afriquedans l'économie mondiale, tout en confirmant le continent dans sonrôle fondamental au niveau mondial: fournisseur des matièrespremières agricoles et minérales malgré quelques efforts de diver-sification ici et là. Les raisons en sont multiples.

Il y a d'abord le fait de l'héritage économique colonial qui a faitde l'Afrique une dépendance économique du Nord avec tout ce quecela implique, et qui continue à peser lourdement sur la situationéconomique actuelle du continent. L'Afrique n'est perçue quecomme marché et source des matières premières: malgré leurcaractère stratégique pour les économies du Nord, elles n'ont pu

19973,83,52,82,43,72,9

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éviter au continent de sombrer dans la stagnation économiquetendancielle, conjuguée avec le cercle vicieux de l'endettement.Elles n'ont pas pu non plus permettre à l'Afrique d'être un marchéflorissant pour le Nord. De même, la concurrence faite auxmatières premières d'Afrique aussi bien par les producteurs nonafricains que par les produits synthétiques du Nord, se conjugueavec la politique des prix pour ne pas autoriser une position autreque marginale pour le continent. L'Afrique a donc continué à jouerson rôle économique colonial d'appendice, même en période post-indépendance.

Il y a ensuite la politique d'épargne et d'investissement. Envolume la part de l'investissement intérieur brut en pourcentage dupm, malgré quelques pointes en dents de scie, n'a pas fait deprogrès réels, en Afrique. L'évolution est même régressive. Leniveau reste l'un des plus faibles - 20% du pm - du monde endéveloppement, en particulier quand on le compare à celui decertains pays d'Asie, qui approchent ou dépassent parfois les 40%.Ce qui témoigne de la faible capacité de mobilisation de l'épargneintérieure ou est-ce aussi de la faiblesse de cette dernière, et de lafaible volonté politique d'opérer des changements économiques,même si des exceptions pour confirmer la règle existent sans doute.

Tableau 1.3. Épargne et investissement en Afrique 1975~97Indicateurs ('Yodu PIB) 1975-84 1985-89 1990-97

Ep~rgne Intérieure Brute (EIB)Afnque 24,5 19,9 16,2Afrique du Nord 34,1 23,0 18,8Afrique SS 21,3 18,2 15,9ASS sans Afrique du Sud et Nigéria 15,3 13,4 11,1Epargne Nationale Brute (ENB)AfriqueAfrique du NordAfrique SSASS sans Afrique du Sud et NigériaTransfert de ressources (EIB-ENB)AfriqueAfrique du NordAfrique SSASS sans Mique du Sud et NigériaInvestissement Intérieur BrutAfriqueAfrique du NordAfrique SSASS sans Afrique du Sud et NigériaSolde de FinancementAfrique -4,2Afrique du Nord -0,6Afrique SS -5,0ASS sans Afrique du Sud et Nigéria -7,8

Source: FMI, World Economic Outlook, mal 1997

Mais les données du FMI, un peu différentes de celles de laBanque mondiale montrent que dans son ensemble, l'Afrique

21,231,117,912,1

3,33,03,43,2

25,431,722,919,9

42

15,319,113,38,4

4,63,94,95,0

21,628,717,717,3

-6346-ù4,0

12,415,711,04,9

3,83,14,96,2

19,324,617,316,9

-6,98,9-5,95,9

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connaît des taux d'épargne intérieure et nationale brutesdécroissants au cours des vingt-cinq dernières années. Cetteépargne est en-dessous du taux de 20% du PIB africain depuis lessous-périodes 1985-89 et 1990-97 au cours desquelles elle esttombée respectivement à 19,9% et 16,2% (voir tableau 1.3). Ladécroissance est encore plus forte en ce qui concerne l'Afrique sub-saharienne (ASS), et plus dramatique encore quand on considèrecette dernière sans l'Afrique du Sud et le Nigéria. L'épargneintérieure brute (EIB) de l'ASS sans l'Afrique du Sud et le Nigériatombe de 15,3% à 13,4% et à Il,1% au cours des périodes 1975-84, 1985-89 et 1990-97 respectivement. Quant à l'épargnenationale brute (ENB), sa baisse est encore plus spectaculaire pourtout le continent pour les différentes sous-régions considérées ici.L'ASS sans l'Afrique du Sud et le Nigéria a vu son ENB tomber de12,1% du PIB à 4,9% entre 1975-84 et 1990-97 !

L'épargne intérieure ou nationale évoluant en chute libre, onpeut difficilement s'attendre à un niveau d'investissement intérieurbrut significatif. Ce dernier est en régression, tombant de 25,4% duPŒ à 21,6% et à 19,3% au cours des sous-périodes respectives de1975-84, 1985-89 et 1990-97. Les chiffres correspondants pourl'ASS sans l'Afrique du Sud et le Nigéria sont respectivement de19,9%,17,3% et 16,9%.

Lorsque le taux d'investissement intérieur brut est décroissant,cela crée un effet de méfiance, et il est difficile d'attendre desafflux massifs d'investissements directs étrangers (IDE). Enconséquence l'investissement direct étranger n'a pas comblé lesfaiblesses de l'investissement interne, malgré l'existence desmatières premières qui font la spécialisation du continent. Bien aucontraire, un pays comme la Chine qui, en 1985 attirait à lui seulautant d'investissements directs étrangers que l'Afrique, en attireaujourd'hui dix fois plus! Même si on peut considérer que la Chineest deux fois plus peuplée que l'Afrique, la disproportion resteénorme. Ainsi, bien que les flux de capitaux privés vers les pays endéveloppement se soient beaucoup accrus au cours de ces trentedernières années, passant de quelque 5 à un peu moins de 200milliards de dollars, les trois quarts de cette somme n'ont bénéficiéqu'à dix pays, dont aucun en Afrique. L'Afrique reçoit à peinemoins de 3% des investissements directs étrangers dans les pays endéveloppement. De ce montant, l'Afrique du Sud à elle seule reçoitenviron la moitié, et si on y ajoute le Nigéria, cela représente plusde 70% de l'ensemble des investissements étrangers en Afrique. Lamarginalisation du continent de ce point de vue est donc aussi uneréalité.

Il y a aussi les politiques-mêmes de développement suivies dansl'ensemble de l'Afrique au cours de ces quarante années. L'accent a

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été mis de manière inégale sur un instrument ou un autre, sur unestratégie ou une autre, selon la période ou le pays, mais le fond despolitiques de développement est resté quasiment le même. On a vuainsi au fil des années les grands de ce monde et les dirigeantsafricains engager le continent dans la "planification économique,"la loi pure et simple du marché et l'évaluation des projets, lasubstitution des importations, la doctrine des besoins de base, lescodes des investissements, les zones franches industrielles, ladiversification mais aussi la spécialisation dans certaines exporta-tions conformément aux dotations naturelles, dans les politiques destabilisation et d'ajustement structurel, comme dans celles de bonnegouvernance et de renforcement des capacités! De manière géné-rale il s'est agi de renforcer l'Afrique dans son rôle d'économiecoloniale avec l'illusion de "rattraper le retard" sur le Nord ens'insérant mieux dans les rouages de ce dernier, et même avec sonaide!

Un autre facteur de cette situation est le ratio du service de ladette qui a évolué de manière croissante sur la période, reflétant lastagnation économique du continent certes, mais aussi sadépendance extérieure. Alors que le poids de la dette en termes deratio du service en pourcentage des exportations est en baisse pourla plupart des pays ou des régions de comparaison, celui del'Afrique est en hausse (voir tableaux 1.1 et 4.4).

C'est donc un continent caractérisé par cette situationéconomique qui s'engage ou qu'on engage dans le processus demondialisation actuel. Mais les quarante ans de l'évolution ducontinent ne peuvent pas être compris seulement en termesd'indicateurs économiques.

Les indicateurs sociaux (tableau 1.4) par contre montrentcombien l'Afrique a fait des efforts remarquables qui ont abouti àdes résultats positifs en termes de progrès social: l'espérance devie à la naissance est passée de 47 à 55 années entre 1972 et 1996,soit à peu près le même degré d'efforts et de progrès que les paysservant de comparaison en matière de santé.

Il en est de même pour le secteur de l'éducation, car lascolarisation primaire a connu des taux allant de 54% à 79% entre1970 et 1994, tandis que la scolarisation secondaire passait dans lemême temps de 10% à 35%. Certes les chiffres restent encore deloin inférieurs à ceux des pays de comparaison, et à ceux du Nordqu'on a cherché à rattraper, mais c'est l'effort et le progrès réalisésqu'il faut saluer ici : le taux de scolarisation primaire a été un peumoins que doublé alors que celui de scolarisation secondaire a étépresque triplé.

Des progrès semblables ont été réalisés dans d'autres domainesdu secteur social et notamment en ce qui concerne l'accès à l'eau

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Espérance de vie à la naissanceChiffres effectIfs Projections

1972 1977 1982 1987 1992 1996 2000 2025Total Afnque 47 48 50 53 54 55 -- -Pays de comparaison -- -- -- - -- -- -- --Afrique Sub-Saharienne 45 47 48 50 51 52 -- --Asie de l'Est 61 -- 65 67 68 68 -- -Asiedu Sud 50 52 55 57 60 62 59 66Chine 63 -- 68 69 69 70 70 75Inde 50 53 55 58 61 63 63 70Indonésie 49 53 56 60 63 65 62 69

Taux de scolarisatIon primairePourcentage des enfants d'âge scolaire Proïectlons

1970 1980 1985 IIJ93 1994 1995 2000 2010Total Afrique 54 79 77 78 79 -- -- --Pays de comparaison -- -- -- -- -- - -- --Afrique Sub-Saharienne 50 78 74 73 75 -- 74 74Asie de l'Est 88 III Il9 -- Ils Ils -- --Asie du Sud 67 76 86 97 98 99 72 --Chine 89 113 123 -- 118 118 123 --Inde 73 83 96 101 100 100 108 --Indonésie 80 107 117 Ils 114 -- lOS --

potable et l'assainissement. Par ailleurs le fait que le taux decroissance démographique reste en hausse pour un continent quistagne économiquement est un sujet d'inquiétude et d'instabilité.Car nombre de pays dans le monde sont arrivés à stabiliser sinon àréduire leur croissance démographique ou du moins à l'accommo-der avec leur progrès économique. Les progrès sociaux ont connusans doute un certain ralentissement du fait de ce qu'on a appelé leseffets négatifs des programmes de stabilisation et d'ajustement aucours des dernières années. Ces derniers ont provoqué des réac-tions comme celles d'appel à "l'ajustement à visage humain," ou deprogrammes dits de "dimensions sociales de l'ajustement."

Tel est le continent qui se présente aujourd'hui à la porte duXXlème siècle. De quoi est fait ce siècle et quelles sont les forceset les faiblesses de l'Afrique au moment où sa pirogue économiquese laisse emporter plus qu'elle ne navigue sur des eaux du XXèmeà celles du XXlème siècle?

Tableau 1.4. Indicateurs sociaux

Tota IquePays de comparaisonAfrique Sub-Saharienne 7 14 20 25 27Asie de l'Est 24 43 41 58 65Asie du Sud 25 27 34 48 49 49 72Chine 24 46 40 62 67 123Inde 26 30 38 49 49 49 108Indonésie 16 29 41 45 48 105Source: Etabli d'après le Rapport 19 8 de la Coalition Mondiale pour l'Afrique, surbase des données de la Banque mondiale.

21 22

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En résumé, le bilan des quatre décennies de développement del'Afrique est, comme nous le disons dans La lutte contre la pauvre-té en Afrique subsaharienne (M. Kankwenda et al., 1999), plutôtmitigé. Aujourd'hui 32 des 48 pays les moins avancés et 34 des 45considérés comme ayant un niveau de développement humainfaible dans le Rapport mondial 1997 sur le Développement Hu-main, ou 37 pays sur les 50 derniers de la liste établie par le Rap-port mondial 1999 sur le Développement Humain, se trouvent enAfrique. Et cette proportion a sensiblement augmenté au cours desquinze dernières années. Dans son Rapport sur le Développementdans le monde 1998-1999, la Banque mondiale estime que, dans lemême temps, le nombre de pays africains à faible revenu est passéde 34 à 38. Preuve s'il le fallait encore de la détérioration desconditions de vie sur le continent. Par ailleurs il faut noter que 32ou 34 pays indiqués ici rapportés au nombre total de 45 pays del'Afrique subsaharienne, cela représente quelque 71 à presque 76%des pays africains qui sont dans cette catégorie des démunis.

Selon les plus récentes estimations, l'Afrique au Sud du Saharacompte environ 250 millions de pauvres, soit environ 45% de lapopulation. Plus alarmant encore, la pauvreté est en progressionsensible en raison notamment d'une quasi-stagnation de la crois-sance des revenus par habitant (2,1% sur la période 1991-1995), etdes perspectives modestes d'expansion économique pourl'ensemble du continent africain. Celles-ci sont de 4% en moyennecontre 5,4% pour les pays en développement au cours de ladécennie 1997-2006,et de 6 à 7% pour la période 2010-20 selonles perspectives économiques mondiales et des pays en développe-ment éditées par la Banque mondiale en 1997. Compte tenu du faitque d'une part, les taux d'épargne intérieure et ceuxd'investissement sont les plus faibles de toutes les régions endéveloppement, et que d'autre part, la dette. extérieure est enmoyenne deux fois supérieure au revenu national brut, ou mêmequ'elle constitue le quadruple des recettes d'exportation, l'Afriqueau Sud du Sahara risque de devoir attendre une période équivalenteà deux générations pour pouvoir retrouver son niveau de vie moyendes années 1970. En effet, le Rapport Mondial 1998 sur leDéveloppement Humain confirme une régression de 20% au coursdes décennies 1975-95.

Au plan global du développement humain, les défis de l'Afriqueau Sud du Sahara apparaissent considérables malgré un certainnombre de progrès manifestes. Les indicateurs sanitaires et éduca-tifs expriment des déficits importants. Les taux de morbidité et demortalité sont à présent plus élevés en Afrique que dans le reste dumonde. Les normes de santé et de nutrition se sont détériorées, etl'Afrique est le continent le plus durement touché par le SIDA.

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En outre, les conflits armés y ont fait des ravages terribles. Les8 millions de réfugiés sur le continent représentent près de lamoitié du total des réfugiés dans le monde alors même que l'oncompte actuellement environ 20 millions de personnes déplacées àl'intérieur des espaces nationaux en Afrique.

Des succès éclatants ont néanmoins été enregistrés. Entre 1960et 1995, l'espérance de vie à la naissance en Afrique sub-saharienne est passée de 40 à 51 ans. Entre 1970 et 1995, le tauxd'alphabétisation des adultes a plus que doublé. De 1960 à 1995, letaux net d'inscriptions scolaires est passé de 25% à 50% pour leniveau primaire et de 13% à 38% pour le niveau secondaire. Laproportion de la population ayant. accès à l'eau salubre qui était de25% en 1980 a atteint 43% en 1995. Des réalisations importantesont été également enregistrées dans la promotion des femmes enAfrique: ainsi par exemple, le pourcentage des femmes sachantlire et écrire par rapport aux hommes alp,habétisés est supérieur à60%, proportion plus élevée que dans les Etats arabes et en Asie duSud (M. Kankwenda et al., 1999).

2. Le contexte économique mondial à l'aube du XXIèmesiècle

Les caractéristiques principales de l'économie mondiale en cettepériode de transition d'un siècle à l'autre peuvent se résumer en cesquelques traits essentiels:

Il y a d'abord ce que tout le monde appelle le processus demondialisation croissante de l'économie, en tant qu'intégration desmarchés des biens et des services, des capitaux et sans doutebientôt du facteur travail, et finalement des investissements.

Mais la mondialisation va au-delà de l'internationalisation del'économie. Elle englobe aussi l'internationalisation des forces etmodèles politiques, sociaux et culturels ainsi que le processus deprise de décision dans ces domaines (voir section 3 de ce chapitre).

Les sociétés transnationales avec leurs immenses réseauxfinanciers, d'approvisionnement, de production et de commercia-lisation, sont devenues de grandes puissances qui régentent leprocessus de mondialisation dans ses différentes dimensions.

Les notions d'espace national, économique ou autre, et despouvoirs qui y sont liés sont de plus en plus érodées et sanssubstance pour la définition des politiques de développement, enparticulier pour les pays comme ceux d'Afrique.

Il y a ensuite le renforcement de la "dictature économiquecollective du Nord," sur l'échiquier mondial. Les rapports de forcesont certes inégaux à la veille du XXIème siècle, mais cetteinégalité est croissante. En effet le système actuel ne reconnaît ni

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"démocratie économique" au niveau international, ni droitéconomique des peuples, c'est-à-dire droit de produire et d'échan-ger dans le monde sur des bases justes. Bien au contraire, nonseulement les grandes puissances ne sont pas prêtes à accepter deschangements fondamentaux de l'ordre établi dans les relations etstructures économiques qu'elles dominent à leur profit, mais elless'efforcent en plus de consolider ce rapport de force et intégrerainsi le reste du monde dont l'Afriqu,e, à leur équation économiquede base. Le principe d'un Ordre Economique International faitd'équité et d'équilibre a été et sera toujours combattu avec force parles puissances du Nord.

II en résulte une tendance au renforcement des instruments etinstitutions qui vont dans le sens de cette équation commel'Organisation Mondiale du Commerce (OMC), ou les Institutionsde Bretton Woods (IBW) qui tiennent lieu de secrétariat écono-mique et financier de ce dispositif. On notera qu'il s'agit justementdes institutions qui non seulement sont destinées à consolider lepouvoir hégémonique du Nord dans le processus de mondiali-sation, mais aussi des institutions au sein desquelles l'inégalité dansla prise de décision est consacrée. Par contre les instruments ouinstitutions qui ont un penchant pour des stratégies alternatives enfaveur du monde en développement et de l'Afrique, et qui ne sontpa~ soumis à l'inégalité de ,?oids dans la prise de d~cisi.ons sevçnent de plus en plus menaces dan~ leur eXIstence, et Ils nsquentde ne plus peser dans le monde du XXIème siècle. C'est le cas decertaines agences du système des Nations Unies.

En troisième lieu, la montée du néo-libéralisme conservateurqui fait que le développement lui-même disparaît comme catégorieou préoccupation dans les politiques économiques et sociales. C'estle grand retour au principe de la somme des i égale I. En effet, etsans doute à la faveur de l'effondrement de l'empire soviétique, latendance dominante dans les pays du Nord prône "un désenga-gement" marqué du gouvernement de la gestion des affaireséconomiques et sociales, les privatisations et la déréglementation,de substantiçlles réductions de l'impôt sur le revenu, et le démantè-lement de l'Etat-providence. ,

Le rôle redistributeur de l'Etat, qui taxe les citoyens les plusaisés et les entreprises pour octroyer des subventions aux pauvreset aux consommateurs des services de base est battu en brèche. Onassiste à un retour au modèle du laisser-faire du XIXème siècleselon lequel les gouvernements ne font qu'établir et appliquer lesrègles et laissent les intervenants libres de leurs actions. L'Etat faitfonction d'agent de police qui veille à l'application du code de laroute, sans s'immiscer dans les affaires des propriétaires desvéhicules et sans s'inquiéter de savoir si les besoins de transport de

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la société dans son ensemble sont satisfaits." (M. Khor, 1996, p.8)Ce courant déjà évident dans les politiques d'ajustement struc-

turel en Afrique, tend à occulter pour le continent, la questionfondamentale du développement en tant que sécurité humaine etsociale pour tous dans les domaines économique, social, environ-nemental et politiquç. Ce contexte qui tend à réduire fortement ouaffaiblir le rôle de l'Etat africain et à prêcher l'efficience du marchéau détriment de l'efficience du développement, est celui del'Afrique de demain.

En quatrième lieu, le principe de compétitivité sur le marchémondial devient de plus en plus le principe guide et la seuleréférence ou le seul critère de la production au niveau national. Or"pour faire face à la concurrence, non seulement les entreprisess'internationalisent, mais elles tendent également, par un jeusoutenu d'alliances, à constituer de gigantesques structuresoligopolistiques à l'échelle mondiale, qui échappent aux normesnationales, et se jouent même de la responsabilité des gouverne-ments et des parlements, nationaux. De telle sorte que le contratsocial qui permettait à l'Etat d'assurer la protection des citoyens enleur garantissant le droit au travail, l'égalité des chances, laprotection contre les risques individuels et sociaux, n'est plus demise aujourd'hui. Son maintien est assimilé à une perte decompétitivité économique." (J. Brito, 1995, p.2)

Par ailleurs même dans la théqrie des jeux, on sait plus oumoins qui part gagnant. En conséquence, le ring unique dans lequelle poids lourd du Nord et le poids plume de l'Afrique ont lesmêmes chances et sont soumis aux mêmes règles est un discourspour voiler le tarzanisme économique du Nord.

En cinquième lieu, la lutte est acharnée pour le contrôlescientifique et technologique (i) des autoroutes de l'information, (H)des ressources de la nature et de l'environnement, (iii) desressources de l'espace, et enfin (iv) des techniques de pointe pourremplacer les matières premières de base. Les sciences et lestechnologies sont généralement cumulatives. Les sciences et lestechnologies du XXIème siècle vont donc se construire sur lesbases actuelles dans les différents pays et régions du monde.Compte tenu aussi du fait que les progrès scientifiques ettechnologiques sont de plus en plus rapides, le contexte dedéveloppement international de l'Afrique au prochain siècle estdonc de plus en plus exigeant et même angoissant pour lecontinent.

En sixième lieu, la marginalisation croissante de l'Afrique,d'abord dans les courants des échanges (commerce mondial) du faitnotamment de la diminution structurelle de la demande des biensafricains dans les pays du Nord, et de la baisse de la capacité

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d'importation de l'Afrique pour des raisons compréhensibles.Ensuite dans les mouvements de capitaux en général et enparticulier dans les investissements, dans la mesure où l'étroitessedu marché africain, le niveau relativement élevé des risques et descoûts de production notamment pour ce qui est des infrastructuresde base, sont autant de facteurs peu incitatifs qui s'ajoutent sansdoute à d'autres.

Cette marginalisation atteint naturellement la production desbiens et services où les oligopoles auront tout à dire avec desarguments aussi bien politiques qu'économiques, forts de leurséconomies d'échelle. Dans le même ordre d'idées, la production dusavoir scientifique et technologique est, et sera aussi un autred0Il!aine stratégique de marginalisation du continent.

A ce tarzanisme économique du siècle prochain, il faut ajouteren septième lieu, le processus effectif et les projets de formation degrands ensembles régionaux, notamment dans les zones les plusdynamiques en termes économiques comme l'AJI1érique du Nord,l'Europe et la zon~ du Forum de Coopération Economique Asie-Pacifique avec les Etats-Unis d'Amérique en son sein.

Ces grands ensembles apparaissent aussi comme instruments derèglement de conflits internes dans le partage des avantages de lamondialisation de l'économie entre pays membres du groupementéconomique. En même temps ils sont instruments de renforcementde la compétitivité collective vis-à-vis des non membres et de leursgroupements.

C'est pourquoi l'Afrique, qui n'a même pas un groupementéconomique digne de ce nom, apparaît ainsi comme le maillonfaible de la chaîne de relations économiques mondiales qui fontprospérer les forts et écrasent les faibles.

Enfin, le contexte international de développement de l'Afriqueau XXlème siècle apparaît ainsi comme un monde complexe,incertain et angoissant. Un tel sentiment s'explique par la situationde crise économique et sociale du continent, la chute de lademande des produits de base et la dégradation des termes del'échange pour l'Afrique, la baisse des investissements étrangers, lavitesse des progrès scientifiques et technologiques qui donnent desvertiges aux pays en développement, le poids de la dette extérieure,les pressions sociales et politiques internes et externes, le besoinquasi-chronique de ressources qui oblige le pauvre à se soumettreaux lois et conditionnalités du plus riche, une certaine impuissanceface à un environnement économique non maîtrisé, et enfin laréduction de la marge de manœuvre autonome pour les dirigeantset décideurs politiques et économiques.

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3. Le développement de l'Afrique à l'heure de lamondialisation

Comprendre la mondialisation...Dans la section ci-dessus, j'ai présenté quelques caractéristiques

du contexte mondial dans lequel l'Afrique évolue aujourd'hui etévoluera dans le monde de demain. Au nombre de ces caractéris-tiques il y a bien sûr la mondialisation. C'est en réalité la plusimportante de ces caractéristiques car elle fait à la fois le cadregénéral du XXIème siècle et le facteur déterminant qui influenceles autres caractéristiques. C'est pourquoi je voudrais m'arrêter unmoment sur cette caractéristique.

Le concept est connu comme un processus d'intégration et detransnationalisation par lequel l'économie mondiale est de plus enplus intégrée en termes de production et de commerce des biens etdes services, de marchés des biens et des services y compris peut-être bientôt du marché du travail, d'investissements et de flux decapitaux. Mais le processus a un impact qui va au-delà del'économique. Il a des implications significatives sur le politique etl'institutionnel, sur la structure et la configuration sociales, et enfinsur la dimension culturelle de la vie des sociétés africaines.

Au niveau de ses implications économiques, il est conseillé auxpays africains d'ouvrir grandement leurs portes au commerceinternational, aux investissements étrangers, et au mouvement descapitaux et de la force de travail, avec comme résultat attendu etpromis, la croissance économique et la solution des problèmessoCÎaux. Ce qui n'est pas du tout évident. Car dans la perspectivede développement humain durable, la mondialisation amène avecelle ou mieux génère un processus cumulatif et inégal decroissance et de distribution de richesses. Le mythe du dévelop-pement par le commerce extérieur et l'investissement étranger estcontredit dans les faits comme on le voit pour l'Afrique.

La mondialisation des structures de production permet auxgrandes firmes transnationales et à leurs réseaux, d'exploiter àl'échelle planétaire et au moindre coût les ressources et lesopportunités, soumettant à la loi de leur propre développement, lesactivités des petits pays et de leurs PME. Elle entraîne cesstructures de production dans l'éphémère, le volatile et le précaire,notamment par la réduction massive et généralisée de la durée devie des biens et services (R. Petrella, 1997).

La mondialisation est dès lors un processus de polarisation despays sur la base de leur puissance économique et commerciale dansle monde. C'est le règne de l'avoir où il n'y a pas de place pourl'être. La compétition économique actuelle tourne autour ducontrôle stratégique des ressources de l'environnement et de la

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nature en général, des ressources et technologies de l'espace, desréseaux et autoroutes de l'information, du commerce mondial etdes progrès scientifiques et technologiques en général. Autant dedomaines où la division internationale du travail actuelle, et encoremoins les théories de développement dans le sillage de lamondialisation ne donnent aucune ouverture significative ouporteuse pour l'Afrique dans une telle compétition. Faudrait-ilsimplement rentrer dans le parapluie, de l'un des grandscombattants de la mondialisation: les Etats-Unis, le Japon oul'Europe? Y a-t-il une autre voie? Quels en sont les moyens etinstruments pour l'Afrique?

Le deuxième domaine des implications du processus demondialisation pour l'Afrique du prochain siècle est celui desinstitutions politiques. La mondialisation économique suppose unepolarisation politique. En effet, les nouvelles institutionséconomiques qui naissent et grandissent dans le processus demondialisation réclament comme cadre de leur épanouissement, denouvelles institutions politiques, ou du moins un autre modèle degestion des affaires publiques, aussi bien au niveau national,régional que mondial. Le concept de soi-disant nouvelle générationde dirigeants politiques africains n'est pas étranger à cetteproblématique. Il est alors prêché que la voie royale pour ledéveloppement humain durable en Afrique est de renforcer lemarché et son rôle dans la régulation,économique et sociale, touten réduisant sérieusement celui de l'Etat. Ce dernier devrait êtreconfiné à assurer et veiller à l'existence d'un environnement macro-économique, social et juridique convenable pour le développementde l'entreprise privée et la concurrence sur le marché. Pourtant lespays de l'Asie du Sud-Est qu'on voudrait présenter a posterioricomme des cas de réussite exemplaire de l'intégration au processusde mondialisation, n'ont pu atteindre les résultats auxquels ils sontparvenus qu'en faisant le çontraire dans ce domaine: c'est-à-dire enrenforçant le rôle de l'Etat pendant un certain temps dans leprocessus et la régulation économiques. La dernière crisefinancière de cette région du monde a d'ailleurs fini par prouver lesfragilités et les erreurs du système.

La mondialisation est ainsi ut) processus de réduction etd'informalisation du pouvoir de l'Etat et ,même de perte de, sasouveraineté. L'instrumentalisation de l'Etat - et ici de l'Etatafricain - au service du marché mondial qu'il est loin de contrôler,telle semble l'implication politique la plus significative du proces-sus de mondialisation. Les programmes d'ajustement structurel desannées 1980-90 ont été et sont à cet ég~rd, un important instrumentde politique qui a transformé les Etats africains en agencesd'exécution pour le processus de mondialisation. La mondialisation

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va ensemble avec la marginalisation économique de l'Afrique, maisaussi avec sa marginalisation dans l'arène politique mondiale.

Sur le plan social, le processus de mondialisation qui est unevéritable machine d'intégration en mouvement, et de parnotamment le processus de polarisation qu'il implique dans saforme actuelle, est aussi une machine de hiérarchisation etd'exclusion sociales. La mondialisation est de ce fait, - etcontrairement à ceux qui n'en font que l'apologie -, un processusd'appauvrissement de larges sections des populations africaines,d'exclusion des avantages liés à certains progrès économiques etsociaux, et donc source de conflits sociaux et politiques.

Pour beaucoup de populations africaines, le combat quotidiendans les tâches informelles marginales ou dans celles de productionformellement intégrées au processus polarisé de la mondialisation,ne sera qu'un combat de survie et non un moyen d'existencedécente dans la perspective d'un développement humain durable.Le plein jeu des règles du marché dans le processus actuel demondialisation est en fait un moyen d'extorsion de richesses enfaveur des riches, et il ne peut être qu'un incubateur de détonationsociale.

La théorie actuelle de renforcement du consensus social etd'appropriation nationale des politiques économiques et sociales esten réalité une stratégie destinée à anticiper les conflits politiques etsociaux qui peuvent provenir de cette intégration appauvris santedans le processus de mondialisation. Alors que l'un des nouveauxchevaux de bataille s'appelle le renforcement des capacités - en faitla capacité de concevoir, mettre en œuvre et s'approprier lespolitiques qui vont en faveur de l'intégration à la mondialisation etqui peuvent ainsi bénéficier de l'appui fmancier, politique ettechnique des bailleurs des fonds -, la théorie du consensus socialveut s'assurer que ces politiques ne seront pas contestées par lasociété civile, ce qui signifierait la remise en cause de l'ordre de lamondialisation. La "bonne" gouvemance prêchée à grands frais etbruits fait aussi partie de cette stratégie.

Sur le plan culturel, la mondialisation a aussi des implicationsdans le sens d'un processus d'intégration culturelle à travers le fluxtransnational des idées, des biens et services culturels, des images,des sons, des phénomènes de mode, ainsi que des produitsartisanaux et artistiques. Pensées et formes d'expression artistiqueet culturelle font ainsi partie du processus de mondialisation, quidès lors embrasse aussi bien la musique, le cinéma, la peinture, lasculpture, le tourisme, l'architecture, l'habillement, la littérature, lelangage et les formes d'expression religieuse. Le nouveau marchémondial couvre d'ailleurs tous ces produits qui sont autant demarchandises et voies d'extension des marchés de nouveaux

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produits et services.D'une part le domaine de la culture est celui des valeurs

identitaires des peuples africains et donc de l'Afrique, et de l'autreles valeurs culturelles dominantes deviennent de plus en plus cellespropagées par le processus de mondialisation. Dès lors, lamondialisatIOn dans le domaine culturel n'est pas loin du processusde négation de l'identité culturelle en faveur des "valeurs"culturelles du Nord.

Tel est le monde qui se profile à l'horizon et ses implicationspour l'Afrique. Mais si on peut ainsi prétendre avoir une idée de laposition de la pirogue sur les eaux ainsi que la nature et l'état deseaux elles-mêmes, il reste à examiner ne fût-ce que brièvement lasituation interne de l'embarcation et la direction de son voyage.

Et l'économie africaine qui s'embarque dans la mondialisationLa première section de ce chapitre donne déjà des éléments

chiffrés de la situation et de l'évolution économiques de l'Afriqueaprès quarante ans de "développement." Je me permettraicependant de la synthétiser par les quelque trois traits caractéris-tiques suivants:

- Un développement en crise qui comme nous l'avons analyséailleurs (M. Kankwenda, 1995), est une crise globale, aussi bienéconomique que socio-politique. En tant que crise économique, ils'agit d'une crise du modèle d'accumulation actuel en Afrique,modèle qui est arrivé dans une impasse, incapable de se reproduire,ou de donner naissance par lui-même à un modèle de rechange.

En effet, que ce soit dans les pays miniers ou agricoles, cemodèle est marqué par la primauté de la fonction d'exportation desmatières premières, sans base d'accumulation interne solide quipuisse lui venir en aide ou atténuer sa chute lorsqu'il est en crise.Dans la mesure où les pays africains n'ont pas la maîtrise du circuitde réalisation extérieure du surplus économique provenant de cettefonction, même cette base d'accumulation reste précaire et étriquée.

Il en résulte que sur le plan socio-politique, la survie du modèleentraîne entre autres conséquences, la limitation de la base socialedu développement, et des préoccupations sociales et humaines dudéveloppement. C'est pourquoi, en dépit et au-delà des différencesde coloration idéologique, tout le continent était tenu en mains pardes régimes politiques forts, à quelques exceptions et nuances près,parce qu'il s'agissait des composantes politiques d'un même modèlede développement économique, d'un même mode d'insertion dansl'économie mondiale.

L'amenuisement ou le tarissement de la principale based'accumulation suite notamment à la détérioration continue destermes de l'échange, la chute de la production d'exportation ou de

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la rentabilité de ce secteur, la crise de l'endettement, tout cela nepermet plus de faire fonctionner le modèle. Il entre en crise parmanque d'autre source d'accumulation. La crise actuelle del'Afrique est donc une crise des structures économiques et desstructures politiques qui les ont soutenues et gérées. Bien que l'onait salué et continue à saluer quelque relance économique ici ou là,la situation globale est celle d'un continent en crise.

- Un double processus de libéralisation économique etpolitique. Dans un contexte de crise et sous la double contrainteinterne et externe, les structures économiques se sont engagéesdans une dynamique de libéralisation profonde justifiée par lespressions pour libérer le potentiel créatif des individus, et laisser ausecteur privé la marge la plus large pour "fair~ ses affaires," par letarissement du maigre surplus interne que l'Etat ne pouvait plusgénérer dans les entreprises publiques et autres mécanismesd'appropriation mis en place, et enfin par les exigences despolitiques de stabilisation et d'ajustement.

Sur le plan politique, les régimes se sont mis, très souvent à leurcorps défendant et donc avec des fortunes et des convictionsinégales, dans la danse de la démocratisation. C'est donc unepériode plus ou moins de turbulences dites de la transition sans quela direction de la transition soit clairement définie, et encore moinsses étapes.

En réalité, la crise a entraîné la remise en cause non passeulement des politiques de relance ou de développement mises enœuvre et le mode de leur élaboration, mais plus profondément celledu modèle de développement dans sa double composanteéconomique et socio-politique. Mais les forces dominantes duprocessus de démocratisation et de gouvernance en Afrique ontvolontairement limité cette contestation à la réclamation departicipation populaire au processus de prise de décisions poli-tiques ou de politiques économiques. La démocratisation est appa-rue simplement comme la reconnaissance dans les limites plus oumoins contrôlées de l'exercice du pluralisme politique, syndical etmédiatique, avec l'objectif de soulever le couvercle d'une marmiteen ébullition pour faire passer l'air et contenir l'explosion globale.

- Une absence de cadre paisible et stable qui donne sa chanceau processus de développement. En effet, des conflits armés et desviolences de toutes sortes sont devenus le lot quotidien d'environ letiers du continent. Aucune action de développement n'est poss,ibledans un contexte d'instabilité politique, de déliquescence de l'Etat,d'insécurité des populations ou de violences politiques.

L'exclusion de fractions importantes de la société des avantagesdu pouvoir politique, économique, financier ou militaire, souventsur des bases religieuses, ethniques ou raciales ont plongé nombre

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de pays africains dans des crises politiques, violentes ou non, maisqui bloquent tout effort d'élaboration ou de mise en œuvre d'unequelconque politique de développement.

La situation de l'Afrique est donc préoccupante aujourd'hui. Elles'annonce catastrophique ou presque pour demain, si les tendancesglobales actuelles sont laissées à elles-mêmes, ou si seules des demi-mesures sont mises en œuvre. Si au cours des décennies 1960-70 degrands espoirs étaient placés dans l'amorce d'un processus dedéveloppement, la décennie 1980 a été celle des désillusions et desfrustrations. Théories et pratiques de développement sont en ques-tionnement. On crie avec raison au naufrage du continent, mais avecplus de bruit que d'action véritable de sauvetage, au point que celuisur qui pèse la menace (le continent africain), est plutôt abasourdi etparalysé dans ses efforts propres.

On avait espéré alors que la décennie 1990 serait celle au cours delaquelle non seulement on allait rattraper la période perdue desannées 1980, mais surtout aider à préparer un avenir plus prometteurpour le prochain siècle, et ce au profit d'une population qui atteindraen 2020, plus de deux fois celle de l'Europe, pays de l'Est compris.

Face à la gravité de la crise africaine, nombreux sont ceux -individus et surtout institutions -, qui se sont penchés sur cettesituation et ont eu le mérite soit de mettre en garde, soit de proposerdes solutions et autres stratégies de sortie. Différents fora ont étéorganisés, parallèlement avec la production des études et rapportscontinuellement alimentés par l'évolution quotidienne de la situationdans la majorité des pays africains. En particulier les institutionsmultilatérales ont multiplié leurs productions, initiatives et program-mes sur l'Afrique.

La multiplicité de documents et de réunions sur l'Afrique au coursdes deux dernières décennies, le plus souvent à l'initiative departenaires extérieurs, est devenue paralysante pour le continent.Jamais un continent n'a été aussi submergé par la productionétrangère sur lui-même! Les choses se passent comme s'il était refuséaux Africains le droit de se définir un avenir, et de montrer jusqu'oùils peuvent aller seuls, pour être vraiment partenaires.

De sorte qu'au-delà du poids de la crise dans sa triple dimensionpolitique, économique et sociale, l'Afrique en porte un autre, celui dela prédication dans le tunnel. En effet, la multitude des prophètes dubonheur dont elle a suivi les enseignements sans jamais voir leslueurs du bout du tunnel, pèse également sur le continent dans sarecherche de voie de sortie de crise et surtout du développementéconomique et social.

. Il faut donc revenir intellectuellement à l'entrée du tunnel, et par làrequestionner les enseignements reçus et les pratiques suivies. Il s'agitd'une opération de "purification," de remise en cause, ou du moins de

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réexamen du sens du développement après lequel l'Afrique court, desstratégies çt instruments de sa mise en œuvre et du rôle des différentsacteurs: Etats, entreprises, populations, et coopération extérieure.L'amorce d'une nouvelle démarche ûuctueuse ne peut se fairevalablement que si ce requestionnement est mené de front, dans undiscours réapproprié par l'Afrique.

Mais pendant les quarante ans de développement post-indépendance qui ont conduit à ces maigres résultats, l'Afriquen'était pas seule. Elle a été soutenue notamment par les aides et lesprêts au développement. Ces derniers ont évolué de dons et prêtsindividuels mis en œuvre de manière dispersée en un systèmestructuré et coordonné de commerce de développement.

Au-delà du commerce proprement dit de produits et apparencesdu développement, le système s'est renforcé sur le plan idéologiqueen inspirant la pensée et les politiques de développement quijustifient et fondent périodiquement la vente des marchandises dudéveloppement à l'Afrique.

Les ingrédients idéologiques majeurs des deux premièresdécennies comprennent d'abord la compétition de la période de laguerre froide entre l'Est et l'Ouest et ensuite conséquemment,l'idéologie développementaliste du rattrapage du Nord par le Sud etdonc aussi par l'Afrique.

Le premier ingrédient constituait une force puissante quipoussait l'Occident à déployer des efforts allant jusqu'à lacorruption politique des régimes en soutenant des réalisationsphysiques, des complexes agricoles ou industriels clés en mains,des infrastructures économiques et sociales - appelées plus tardéléphants blancs - simplement pour faire miroiter les apparencesdu développement, donner l'illusion qu'on peut se développer dansle sillage occidental et surtout qu'on a intérêt à s'y maintenir plutôtque de s'attacher au bloc dit de l'Est.

Le deuxième ingrédient renforce l'illusion (et l'adoption despolitiques qui y sont liées) que le sous-développement de l'Afriqueétait un ensemble d'écarts ou de gaps mesurables par rapport àl'Occident industrialisé, et que ces écarts étaient comblables grâce àun effort soutenu par l'Occident lui-même. Les politiques dedéveloppement devenaient ainsi des politiques de rattrapage del'Occident, lui-même devenu modèle de référence.

Les deux premières décennies de développement étaient ainsiprincipalement des décennies de vente des apparences de dévelop-pement et qui malgré les miracles économiques et les décollagesmontés en épingle - comme aujourd'hui on monte les exemplesréussis de réformes économiques ici et là -, n'ont pas empêché lecontinent d'entrer dans une crise économique et sociale profonde:chute générale des indicateurs économiques, crise de l'endettement

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extérieur, baisse de la capacité d'absorption des capitaux et doncd'emprunt, etc.

La troisième décennie de développement devint ainsi celle despolitiques de stabilisation et d'ajustement structurel, plus pour gérerla crise africaine en ce qu'elle dérangeait l'Occident (rembourse-ment de la dette, intégration au marché mondial par la croissancedes exportations et l'ouverture des frontières), plutôt que pour sortirles économies africaines de la crise. La fin de la guerre froide et lacrise de l'économie libérale aidant, les réformes économiquesprétendent être des pièces maîtresses des politiques de déve-loppement et surtout elles deviennent des conditionnalités impo-sées aux pays africains pour pouvoir bénéficier des aides et desprêts au développement. Le commerce du développement prendalors une autre dimension, car il est élargi aux politiques de déve-loppement ou prétendues telles, et qui comme marchandises, ontleurs producteurs, leurs vendeurs, leurs acheteurs et leursfinanciers.

La quatrième décennie, celle de la fin du siècle a consisté àrenforcer la mondialisation de l'économique (raison ultime despolitiques de réformes économiques) par la mondialisation dupolitique avec les exigences des réformes politiques et de "bonne"gouvernance comme nouvelle catégorie de conditionnalité.

Mais le résultat est là, têtu et narguant aussi bien l'Afrique queses partenaires: ni la croissance économique durable, ni encoremoins le développement humain ne sont au rendez-vous avecl'Afrique. Cette dernière est pourtant restée continuellement sousl'emprise de ses partenaires au sein du système marchand dedéveloppement (SMD), partenaires qui lui ont vendu les projets,les programmes et les politiques économiques et sociales, et les ontfinancés durant ces quarante ans.

Tel est présenté brièvement le contexte international et internede l'Afrique en transition du XXème au XXIème siècle. UneAfrique aussi meurtrie ou affaiblie, peut-elle jeter les fondementsd'une autre voie de développement?

Comment alors faire le compte de ses atouts économiques,sociaux, politiques et culturels et surtout comment les faire valoirdans un tel contexte? Comment oser penser se définir une voie dedéveloppement sur base de ses atouts nationaux ou régionaux, etdes opportunités que l'analyse autonome peut montrer, si tant estqu'on a encore une autonomie de production de connaissances surson pays ou sur sa région?

N'est-il pas plus facile d'abandonner des tentatives de définitionde politiques de développement national et régional, au profit d'unesimple adaptation/intégration nationale et régionale des économiesafricaines au marché mondial et au processus de globalisation,

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quand bien même le gain qu'on en tirerait en termes de développe-ment humain serait incertain?

Ce qui par ailleurs, est la condition sine qua non des politiques"d'aide" à l'Afrique aujourd'hui, où les dirigeants, poussés par le"réalisme du pauvre," se préoccupent plus de l'approbation de leurspolitiques par les donateurs que de la mise en place de politiquesqui répondent aux besoins de leurs peuples.

C'est cela le grand défi de l'Afrique d'aujourd'hui et du siècleprochain: oser se définir l'objectif d'une autre voie de développe-ment du continent dans le monde du XXIème siècle et les moyensde,. sa mise en œuvre, et oser s'y engager. La troisième partiecherche à aborder la réponse à ce défi.

4. La nécessité du retour à la case de départ

Mais pour arriver à relever ce défi, il faut non pas seulementposer autrement la question du développement du continent auprochain siècle, mais surtout refaire autrement la lecture de la crisede l'Afrique au cours de ces quatre décennies de développement.C'est cela qui peut permettre de comprendre les limites desstratégies suivies jusque là et des recettes du SMD. Je résumeraicette autre lecture en reprenant l'essentiel d'une analyse déjà faiteailleurs (M. Kankwenda, 1995).

La thèse soutenue ici est que la crise économique actuelle enAfrique est la crise d'un modèle économique - le modèled'accumulation en place - et de ce fait du modèle ou de lacomposante politique qui l'a mis en place, l'a géré et s'en est nourri.C'est pourquoi elle affecte toute la vie économique à la fois auniveau macro et sectoriel. C'est pourquoi aussi la remise en causedu modèle apparaît et s'exprime sur le terrain de la lutte politiqueen tant que rouage stratégique du dispositif du modèled'accumulation, mais aussi comme lieu où l'expression des luttescollectives est possible.

Rappelons que le modèle d'accumulation fait référence ausystème d'articulation entre secteurs économiques d'un pays,comprenant la détermination des secteurs bases de l'accumulation -en tant que générateurs du surplus économique qui finance ledéveloppement sectoriel ou global -, la fixation du niveau dusurplus à transférer et des mécanismes de transfert, ainsi quel'utilisation de ce surplus, l'ensemble traduisant aussi bien les luttesque les alliances entre classes et fractions de classes sociales.

C'est pourquoi lorsqu'un modèle est essoufflé ou entre en crise,ce n'est pas seulement toute l'économie qui entre en crise, maisaussi le système d'alliance des classes qui reposait sur ce modèle ets'en nourrissait.

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En Afrique, ce modèle peut se résumer par les traitscaractéristiques suivants. Deux secteurs, l'agriculture et l'industrieminière, constituent la base de l'accumulation. Le surplus agricoleest transféré au capital financier principalement par le mécanismedes prix imposés. Les prix étant fixés à un niveau inférieur à lavaleur, la partie de la valeur non payée est directement transmiseau capital industriel pour la production agricole destinée àl'industrie, et indirectement à l'ensemble du capital financier pourle reste de la production agricole commercialisé, par le canal desbas salaires que les prix des produits vivriers autorisaient. Lesurplus minier, généralement réalisé sur les marchés extérieurs -comme le surplus agricole d'exportation -, est généré et transféréau capital industriel et financier par le truchement des bas salairespayés aux ouvriers, et des avantages accordés par les codes desinvestissements et autres législations dont bénéficie le capital dansces domaines. Ce qui dans les deux cas, permet ainsi des margesbénéficiaires substantielles au capital et donc des possibilitésimportantes d'autofinancement des investissemepts.

Le surplus agricole est aussi transféré à l'Etat par le biais del'impôt en ar~ent et les autres obligations en nature ou en espèces.Le surplus millier est transféré à l'Etat par l~ canal de la fiscalité etde la distribution des dividendes - l'Etat est généralementactionnaire dans la plupart de ces entreprises -, mais surtoutapproprié par le capital pour ses besoins d'accumulation locale ouextérieure.

Le surplus économique est pour une grande partie approprié etutilisé par le capital financier à l'extérieur et non à l'intérieur autravers des mécanismes de l'échange inégal, de la détérioration destermes de l'échange et de transferts des revenus. La partie dusurplus utilisée localement est destinée principalement ~u finan-cement des infrastructures économiques et socIales par l'Etat, et àl'au~ofinancement des entreprises industrielles.

A l'exception de quelques pays africains dits miniers, le secteuragricole constitue la base essentielle de l'accumulation interne.Cependant il ne s'agit pas d'une accumulation consciente, voulue,mais d'une accumulation forcée. Ce caractère forcé n'est pas dûseulement à la contrainte de l'appareil de l'Etat, mais au fait quecette contrainte se fait plutôt par la fiscalité, l'échange inégal et ladétérioration des termes d'échange de l'agriculture.

En d'autres termes, il n'y a pas échange de surplus entre l'agri-culture et les autres secteurs, il y a prélèvement du surplus agricolesans que l'agriculture reçoive quelque chose en échange.

Dans le cas d'une accumulation forcée, il y a exploitation despaysans, ce qui les contraint à restreindre leur consommation pourfournir à l'industrie et aux autres secteurs qui bénéficient du

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surplus agricole, y compris le secteur minier, ce qu'ils exigent, etce, par le canal de l'impôt ou de la détérioration des termesd'échange agricoles. Par ailleurs, cela prive l'agriculture desmoyens d'autofinancement pour son propre développement.

Cette situation va influencer négativement, c'est-à-dire bloquerfinalement le développement des autres secteurs qui s'appropriaientou utilisaient le surplus agricole. Comme l'a noté E. Poulain (1977,p. 155): "Le développement industriel par accumulation forcéedans l'agriculture peut au départ être beaucoup plus rapide.L'industrie n'a rien à distraire de ses propres forces pour échangeravec l'agriculture, puisque le grain est obtenu automatiquement:tout l'acier va à l'acier. Mais, en même temps que se développel'industrie, sa base, l'agriculture, s'amenuise. Le prélèvement dusurplus agricole entrave l'élargissement de la production agricole,ou du moins en restreint l'échelle, et rend par là même de plus enplus difficile la production par l'agriculture d'un surplus suffisantpour alimenter le développement industriel. S'il n'existe pasd'autres sources d'accumulation, le système entre en crise.L'accumulation forcée a tué la source d'accumulation."

Il faut souligner qu'il s'agit essentiellement de l'agriculturepaysanne. Quant à l'agro-industrie d'exportation, elle appartientprincipalement au capital. Le surplus généré par cette brancheagricole est donc, pour une grande partie, approprié par le capital etc'est pourquoi l'agro-industrie d'exportation bénéficie généralementde toute l'attention de la coalition dominante: rechercheagronomique, politique de bas salaires agricoles, politique detarification sur les réseaux de transport, facilités de crédit, etc.,dont l'agriculture paysanne ne bénéficie pas toujours.

Le modèle ainsi schématisé connaît certes des variantes auniveau des différents pays selon qu'ils sont à dominante agricole ouminière, selon la nature dl! capital dominant, et selon que dans lacoalition dominante - l'Etat, et le capital financier qui estessentiellement étranger -, l'Etat est dirigé par une classe oucoalition de classes de type bureaucratique ou militaro-bureaucratique sans assise économique propre (majorité de paysafricains), par une classe politique à connotation commerçante(Nigéria), ou une classe à connotation agro-paysanne (Côte-d'Ivoire, Kenya, Cameroun...).

Ce modèle généralement hérité de la colonisation n'a pas étéréellement remis en cause après les indépendances. Seuls lesresponsables de son pilotage ont changé sur le plan national, etavec eux il y a eu quelques aménagements dans les alliances de laclasse politique selon la nature des économies nationales et laforme du processus de décolonisation qu'ont connu les différentspays.

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Deux autres nouveautés peuvent être notées au cours de cesquarante années de gestion africaine "autonome" de ce modèle: lecapital commercial privé ou public (sociétés d'encadrement) s'estbeaucoup développé et est devenu un partenaire dans la coalitiondominante. Il a la maîtrise du surplus vivrier et même d'une partiedu surplus non vivrier parce qu'il commercialise aussi une partiedes produits d'exportation agricoles et d'approvisionnementindustriels.

Enfin, le pouvoir d'État - censé être le maître du jeu - et aveclui le capital national productif ne maîtrisent pas le procèsd'accumulation. Ils n'ont ni défini les secteurs bases de générationdu surplus économique - à quelques exceptions près en Afrique duNord notamment -, ni fixé les modalités de transfert de ce surpluspour le financement d'autres secteurs.

La continuation de ce modèle d'accumulation a eu des consé-quences sur sa double base sectorielle: l'agriculture et l'industrie.

En effet l'agriculture a continué à être ponctionnée, depuis lapériode coloniale jusqu'à ce jour, finançant le développementd'autres secteurs, ou le fonctionnement des services sans échangede surplus, ni rétention d'une partie substantielle de son surpluspour son propre développement.

La conséquence en est double: d'une part, l'agriculture a stagnéou régressé et de l'autre, l'industrie s'est presque bloquée dans sacroissance. Son marché en effet est restreint, l'agriculture et lemonde rural étant contraints à diminuer leur consommation. Parailleurs les possibilités d'autofinancement de l'industrie ont étéréduites parce que le surplus agricole qui en était la base, a diminuéau lieu d'augmenter. Le système entrait ainsi en crise. L'agriculturene pouvait se développer, l'industrie non plus.

Le développement du capital commercial ayant fini par récupé-rer à son profit le rapport d'accumulation qui liait l'agriculturepaysanne à l'industrie et au capital urbain en général, il en estrésulté que le capital industriel devait faire face à des coûts deproduction de plus en plus élevés (charges salariales,approvisionnement et pièces de rechange par exemple), alors queson marché se rétrécissait. Le développement "anarchique" ducapital commercial devenait un obstacle au développement (oul'accumulation au niveau) du capital industriel et financier.

Pour éliminer le capital commercial de ces activités, ou dumoins pour diminuer ses effets néfastes sur l'accumulation danscertains pays africains, le capital pénétra l'agriculture destinée aumarché interne, en tant que producteur direct approvisionnant lescantines ouvrières et les marchés urbains, ou en tant qu'encadreurdes planteurs pour l'approvisionnement industriel. Ce mouvementd'élimination du capital commercial fut complété notamment par

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les mesures de libéralisation des prix agricoles dans beaucoup depays, qui eurent aussi à supprimer le monopole des sociétésd'encadrement devenu sans objet.

Du côté de l'industrie minière, ses coûts de production augmen-taient, étant donné la faiblesse du surplus agricole et l'appropriationde ce dernier par le capital commercIal, ce qui diminuait si légère-ment soit-il, le surplus qu'elle pourrait dégager. Par ailleurs, unebonne partie du surplus fut appropriée et utilisée à l'extérieur par legrand capital étranger, via divers canaux déjà indiqués, tandis quela parti~ du surplus minier qui restait dans le pays était partagéeentre l'Etat pour son fonctionnement et l'industrie minière.

Il en découlait que l'industrie minière qui, pour certains paysétait devenue la base principale d'accumulation interne pour l'Etat,recevait peu de chose pour son autofinancement.

L'industrie minière entrait ainsi dans une situation de crise,atténuée par moment par la hausse des cours des matièrespremières. En l'absence d'autres sources d'accumulation, c'est toutle système qui entrait en crise. On comp'rend ainsi que nonseulement les principaux secteurs productIfs entraient en crise(stagnation et régression), mais aussi que les principaux équilibresmacroéconomiques étaient rompus: offre et demande, balance despaiements, finances publiques, prix et revenus.

La crise économique actuelle de l'Afrique est donc la crise deson modèle d'accumulation, en ce sens que ce dernier est arrivédans une impasse: il s'écroule, incapable de se reproduire alorsqu'il n'y a pas encore de modèle de rechange défini, et encoremoins mis en œuvre.

À voir les choses de près, aussi bien dans les pays miniersqu'agricoles, ce modèle se caractérise par la primauté de la fonctiond'exportation des matières premières, comme fonction principalesans base d'accumulation interne solide pouvant lui venir en aideou atténuer sa chute lorsqu'il est en crise. En d'autres termes,l'accumulation qui a permis de financer le "développement" enAfrique et donc le modèle au cours de ces quarante dernièresannées, a été assurée par la fonction d'exportation des matièrespremières. du sol et du sous-sol. Ceci est général en Afrique endépit des éloges de l'exportation des pantalons en jeans par leMaroc ou des chemises par l'Ile Maurice. Dans la mesure où lespays africains n'ont pas la maîtrise du circuit de réalisationextérieure de leurs surplus économiques, même cette based'accumulation reste non seulement précaire, mais surtout étriquée.La détérioration continuelle des termes de l'échange n'a fait queréduire les possibilités d'accumulation. On a parlé d'un processusd'accumulation raté ou d'une faillite de la théorie de l'avantagecomparatif portant sur l'exportation des matières premières.

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Les stratégies et politiques de développement mises en œuvreau cours de ces quarante dernières années en Afrique, appuyées parles partenaires du développement, n'ont jamais cherché à opérer leschangements structurels exigés par un autre modèle d'accu-mulation. Les différentes politiques de réformes, y compris cellesappelées d'ajustement structurel, ont cherché au contraire àrenforcer ou à gérer la crise des structures en place. Il ne peut êtreétonnant que la crise perdure.

Ayant conduit les pays africains à cette crise, les classesdirigeantes ne pouvaient empêcher cette dernière de se répercutersur les autres sphères (politiques et sociales) de la société. La sortiede la crise, et plus fondamentalement l'amorce d'une véritabledynamique du développement humain en Afrique, exigent non passeulement le rejet des politiques et pratiques de gestion de la crise,mais surtout la remise en cause du modèle d'accumulationdominant actuel, et la mise en place progressive d'un modèled'accumulation plus porteur pour le continent dans le contextemondial du prochain siècle.

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CHAPITRE II :QUAND LE MARCHf\ND S'HABILLE EN

MARABOUT DU DEVELOPPEMENT

Le développement comprend dans sa dynamique, un doubleprocessus technique et politique. Dans sa dimension technique, ilse préoccupe du réalisme, de la mise en équation, de la cohérenceinterne et externe des projets, des programmes et des politiques. Ilse préoccupe aussi des relations entre les objectifs visés, desmoyens et des ressources à mettre en œuvre, y compris lesressources techniques et les capacités humaines, ainsi que desrésultats escomptés.

La dimension politique, elle, se préoccupe des orientationsfondamentales de la dynamique du développement, des objectifsultimes, des voies stratégiques et des politiques à mettre en œuvre,du devenir des peuples et donc de leur engagement, de leurparticipation, de leur appropriation et de leur intérêt dans cespolitiques et stratégies.

C'est pourquoi, malgré la pertinence de la dimension techniquede cette dynamique, le développement est avant tout d'essencepolitique, aussi bien dans sa conception que dans sa mise en œuvre.Si cette dimension ou si le processus politique du développementest en panne, aucun dispositif technique, si bien huilé qu'il soit, nepeut être. porteur de solution au problème du développementhumain, il ne peut être qu'un palliatif de courte durée.

Et de ce fait le développement a une dimension idéologique. Ilest d'ailleurs symptomatique et révélateur, que c'est surtout chezceux qui nient ou ferment les yeux sur la dimension politique etidéologique du processus de développement, en privilégiant ladimension technique, que l'idéologie sous-jacente est la plussournoisement affirmée.

Le développement de l'Afrique a ainsi depuis les indépen-dances, ses idéologues et ses doctrinaires qui, à travers

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l'}labillement de guide dans la quête de bonheur du continent, ontsurtout fait le commerce des produits et des apparences dedéveloppement. Et comme dans tout commerce, les vendeurs et lesacheteurs (les régimes politiques africains) ont sans doute fait debonnes affaires, sur l'autel du développement du continent. C'estpourquoi il est utile de faire l'examen du système maraboutique, enréalité, du système marchand du développement en Affique.

1. Le marabout dans la société africaine

De part ses origines islamiques, le marabout est un maîtrereligieux. Il s'occupe de la formation à l'islam et notamment à lalecture et la connaissance du Coran. Vis-à-vis de la jeunesse, il estun guide non pas seulement dans la connaissance du livre saint etde ses enseignements, mais aussi un guide dans la vie: il aide lesjeunes qui lui sont confiés ou qui viennent à lui, à comprendre lavie et savoir se comporter dans la société: assimiler les valeursreligieuses ou morales, mais aussi les valeurs sociales et profes-sionnelles qui sont des fondements du bonheur dans le présent et lefutur.

Les responsabilités de ce marabout ne se limitent pas à laformation et l'éducation des jeunes, car il a aussi les mêmesresponsabilités vis-à-vis de la société dans son ensemble. Il est ledépositaire de la tradition religieuse musulmane, et à ce titre il aideles individus et la société à se remettre sur le droit chemin -religieux et social-, à comprendre la vie et résoudre les problèmesqu'ils affrontent selon les enseignements et la sagesse des livressaints. Il fait référence et constitue un modèle dans la communauté.En tant que guide religieux, il aide aussi à la solution des angoissesexistentielles des individus et de la communauté selon les canons,préceptes et sagesses du Coran. Il est d'une certaine façon la voiedu bonheur social et religieux.

Mais en tant que guide religieux, le marabout n'est pas unintermédiaire entre l'individu ou la communauté d'une part et Dieuou le Paradis de l'autre, il n'est pas non plus un monnayeur desservices et conseils qu'il prodigue aux croyants. L'autoritéreligieuse, morale et sociale qu'il acquiert dans la société lui vientde sa sagesse et de ses vastes connaissances religieuses, de sonérudition et souvent aussi d'un certain pouvoir mystique qu'ilacquiert à force de recherche de Dieu, de sacrifices et privations,d'as~étisme, d'élévation spirituelle et autres retraites religieuses.

A ce titre, il peut acquérir la capacité ou est-ce le don de lecturedes angoisses existentielles des individus dans la communauté, delire autrement et interpréter les rêves par exemple et même danscertains cas de prédire l'avenir. Il a une sorte de troisième œil ou de

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sixième sens qui lui pennet de rassurer les individus dans lasolution des problèmes de la vie. Toutes les couches sociales fontou peuvent faire appel à ses conseils avisés. C'est pourquoi,généralement les croyants recourent à sa sagesse religieuse dans lescas d'anxiété, d'angoisses existentielles, des problèmes quotidiensde la vie individuelle ou de la communauté. Seuls ceux qu'on peutconsidérer comme les grands marabouts arrivent à ce niveaud'élévation religieuse et d'aura sociale. Le système, bien qu'il nesoit pas toujours très hiérarchisé, comprend aussi des maraboutsd'autres niveaux et échelons. C'est ainsi qu'il existe des imam(marabouts conduisant la prière à la mosquée), plus ou moins"grands" selon leur niveau de responsabilité (grande mosquée de lacommunauté ou non), des marabouts de quartier, des muezzin(aides chargés de l'appel à la prière, de l'infonnation et de lacommunication, de l'entretien des lieux), etc. Dans tous les cas lesresponsabilités du marabout dans la vie de la communauté sontimportantes. Le marabout est présent dans la vie de la naissance àla mort en passant par tous les autres moments importants de la vie.Ses conseils aux croyants ne sont pas des services marchands et lemarabout n'en tire pas sa subsistance.

Tel est le premier entendement de la notion de marabout dans lasociété africaine. Mais l'existence de marabouts qui, au-delà deleurs sagesse et vastes connaissances religieuses ont développé uncertain pouvoir mystique a constitué sans doute la base d'unimportant glissement vers le deuxième entendement de la notion demarabout: le marabout guérisseur physique ou moral, le féticheurou le médecin qui consulte et prescrit des modes de guérison auxmaux physiques et mentaux, ou de solution aux anxiétés et autresangoisses de l'existence humaine.

Partant souvent d'un certain niveau de connaissance de textescoraniques et même s'il n'est pas nécessairement maître religieux,cet autre marabout en a fait une profession, justifiant son existence,sa fonction socio-économique et son moyen de vivre, en exploitantla crédulité des individus. Disposant sans doute d'une force oud'une habileté dans un domaine donné, il prétend être fort oucompétent dans tous les autres domaines pour augmenter et étendreson pouvoir sur les individus et sur la communauté.

Lui non plus n'agit pas toujours seul, il fait souvent partie d'unréseau plus ou moins effectif entre les moins forts ou moinsinstruits et les plus forts ou plus instruits. Il consultera ou aurarecours aux services d'un marabout au premier sens pour connaîtreles sourates les mieux appropriées dans telle ou telle circonstancede la vie, et qu'il viendra appliquer au cas de son client. Dans cedeuxième cas en effet, le marabout a bien des clients qui leconsultent et qui paient ses services.

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Ce deuxième entendement semble de plus en plus dominantdans le langage et le commerce quotidiens en société. Mais dansl'un ou l'autre cas, le marabout du clan ou du royaume - féticheur,devin ou sorcier - est perçu et accepté dans sa société comme unêtre qui détient des pouvoirs surhumains, qui communique avec lesesprits protecteurs de la communauté, qui connaît les canons etparadigmes de cette dernière, est doté d'un troisième œil ou d'unsixième sens qui lui permettent de voir ou sentir le présent caché etl'avenir. Grâce à sa communication avec l'Esprit Suprême et lesautres esprits protecteurs du groupe et aussi grâce à sa propresagesse et à son comportement social et moral, il est illuminé etreçoit des instructions qu'il communique aux individus et ausouverain sous forme de prescriptions et de "sacrifices" nécessairespour sauver l'individu ou le groupe et les sortir du malaise. Il a lesclef~ de l'épanouissement individuel et social.

A ce titre le vrai marabout du village ou du royaume, avec toutson système, n'est pas un marchand de services de bonheur, il areçu mandat et pouvoir de veiller au bonheur du royaume et de seshabitants. Et il met ses pouvoirs à ce service. Son propre mode devie est censé répondre aux exigences de la mission qui lui estconfiée. Son pouvoir dans la société relève de ses largesconnaissances religieuses et surtout de l'information qu'il a sur lasituation du royaume, à la fois grâce à sa vie dans la communautéet à sa capacité de communication avec les esprits protecteurs. Sonpouvoir relève aussi du fait qu'il détient la clef des angoissesexistentielles des individus et de la communauté. Et aujourd'hui laquête de la sécurité humaine, c'est-à-dire du développementhumain, est devenue une nouvelle forme de cette angoisseexistentielle des sociétés africaines.

2. Marabouts modernes ou marchands dudéveloppement?

Face à la gravité de la crise africaine, il faut comme au bonvieux temps de l'Afrique traditionnelle, voir le marabout. Il doitsavoir mieux que quiconque ce qui arrive au continent, les sourcesde son mal et sans doute aussi les voies de guérison et donc debonheur. Sa sagesse et ses vastes connaissances développementa-listes, ainsi que sa communication avec les esprits protecteurs del'Afrique devraient lui permettre de prescrire le remède au mal-développement du Continent.

Les partenaires extérieurs de l'Afrique se sont sentis en effetcomme investis d'un pouvoir maraboutique du développement. Nevenaient-ils pas des pays dits développés et connaissaient de ce faitles lois et mécanismes de fonctionnement du processus de

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développement ou du moins étaient censés les connaître? Ilssavaient mieux que l'Afrique et que quiconque en Afrique ce quimanquait aux pays africains et ils étaient institutionnellementdisposés à leur apprendre ou à leur apporter. D'autre part lesAfricains eux-mêmes recouraient aux services de leurs bailleurs defonds occidentaux comme on recourt aux services d'un marabout etnon d'un simple médecin. Un mal individuel, physique ou mentalpeut éventuellement être soigné par un médecin qu'il soit moderneou tradi-praticien. Mais un mal existentiel individuel ou surtoutsocial demande plutôt l'intervention de celui qui en connaît lessecrets et dispose d'un autre pouvoir que le commun des mortels.Comme dans la bonne tradition africaine, il faut recourir aumarabout, mais au marabout du développement cette fois.L'Occident détenait les clés et les secrets du développement. Etmême les titres d'ouvrages ont reflété cette vision.

Être marabout c'est disposer de certains pouvoirs d'action et êtrereconnu comme tel par la communauté. Le marabout dudéveloppement est donc la personne ou l'institution qui croit avoirles secrets de l'angoisse existentielle de développement, de par sesvastes connaissances et son pouvoir supra-normal dans cedomaine, et qui est reconnu ou a réussi à se faire reconnaître entant que tel. Le recours à lui est doublé non pas seulement d'unespoir de guérison, mais au-delà de cela, d'une croyance en sesforces techniques et ses pouvoirs d'action quasi magiques. Déjà leseul fait d'être en dialogue et amitié avec lui rassure et enlève unepartie des angoisses. C'est dans cette disposition mentale qu'on faitappel à ceux qui se prennent ou se prétendent marabouts dudéveloppement en Afrique.

Et de fait le mal de développement a interpellé de nombreuxmarabouts et même le système maraboutique de développementdans son ensemble. Nombreux sont ceux - individus et surtoutinstitutions -, qui se sont penchés sur cette situation et ont eu lemérite soit de mettre en garde, soit de proposer des solutions,qu'elles consistent à gérer la crise, à en sortir ou carrément àamorcer le processus de développement. Différents fora ont étéorganisés parallèlement avec la production des études et rapportscontinuellement alimentés par l'évolution quotidienne de lasituation dans les pays africains. Des organismes, mécanismes etautres rouages spécifiques ont été mis en place pour résoudre oucontribuer à résoudre l'équation du développement africain. Lesrecettes et autres prescriptions destinées à sortir le continent de sonmal-développement, toujours actualisées et revues par lesmarabouts et même les prophètes du développement, n'arrêtent pasde se démultiplier avec la force de ceux qui les prêchent,embrouillant les esprits chaque jour davantage.

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La multiplicité des documents et de réunions sur ledéveloppement de l'Afrique au cours de ces dernières décennies estdevenue paralysante pour le continent lui-même. Dans la plupartdes cas d'ailleurs ces réunions sont organisées par ou du moinsavec l'appui financier et conceptuel du système maraboutique dedéveloppement. On est devant un cas de némésis médicale danslequel l'institution appelée à guérir deviel1.telle-même source demaladie. Le continent est infantilisé, car il semble être portéconceptuellement par d'autres plus qu'il ne se porte lui-même. Leschoses se passent comme s'il était refusé effectivement auxAfricains le droit de se définir un avenir autre que celui dans lequelon veut embarquer leur continent.

Les institutions multilatérales en particulier ont multiplié leurproduction de rapports et travaux de soi-disant recherche, etd'initiatives sous forme de stratégies globales ou sectorielles et deprogrammes opérationnels relatifs, pour le développement del'Afrique. Jamais un continent n'a été aussi submergé et soumis àune telle agression intellectuelle et à une telle expropriation dudiscours sur lui-même. Le refus, ou du moins la réduction de cetenvahissement infantilisant doit être le point de départ pourrenvoyer le débat aux Africains, aussi bien dans la conception quedans la mise en œuvre des prescriptions de développement. Avecles "Assises de l'Afrique", l'UNESCO a voulu lancer un appel dansce sens, mais qui est bien allé au musée des conférences etréunions sur le développement du continerit (UNESCO, 1994).

Mais le marabout qui vient pour solutionner des angoissesexistentielles du développement en Afrique est bien connu ducontinent. Il prescrit des recettes et solutions aux maladies dedéveloppement de l'Afrique depuis les indépendances. Si cesprescriptions ont évolué au cours de ces quatre décennies dedéveloppement, le marabout, lui, est resté le même, avec lesmêmes canons et paradigmes de base qui sont le fondement de sadoctrine de développement.

Comme je viens de le dire, les canons et paradigmes dumarabout de développement sont constants: ils se ramènent auprincipe du marché, qu'il soit national ou surtout mondial. Presquechaque décennie de développement a été placée sous un thème-guide qui orientait les actions de développement.

Les deux premières décennies ont été des décennies dedéveloppement par projets, avec un accent tantôt sur les projetsindustriels (les stratégies de substitution aux importationsnotamment se situent dans cette perspective) tantôt sur les projetsagricoles et d'infrastructures, avec parfois une certaine sensibilité àla vision d'ensemble du problème de développement (stratégies dedéveloppement rural intégré), ou aux préoccupations des

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populations (stratégies fondées sur l'approche des besoins de base).Les décennies 1960, très marquées par la guerre froide, ont

donc été celles au cours desquelles les prescriptions du maraboutconsistaient à décourager toute tentative de planifications'apparentant au "socialisme," ou toute autre tentative de définitiond'une voie de développement qui s'écarterait d'une manière oud'une autre de la voie royale prescrite dans les canons etparadigmes du marabout. Il s'agissait principalement de mettre enplace les mécanismes encourageant le véritable laisser-faire. Lasomme des "i" ne fait-elle pas le grand ''l'' ?

Le raisonnement du marabout est simple: "Le développementest la résultante des projets d'investissements individuels ousociétaires et c'est comme cela que l'Occident ou le Nordindustrialisé s'est développé. En conséquence ce dont l'Afrique abesoin pour son développement, c'est d'accroître sa capacitéd'attractIon de capitaux et d'accueil de bons projets d'investisse-ments. Ce qui lui exige aussi une bonne capacité d'appréciation deces projets d'investissement."

Ce raisonnement a inspiré l'essence des stratégies des deuxpremières décennies de développement. On a conseillé à l'Afriquede renforcer sa capacité d'analyse des projets sans autre perspectiveque l'analyse microéconomique. Les codes d'investissement et lescommissions nationales qui en sont en charge naissaient ici et là,non pas comme outil d'un développement maîtrisé, mais plutôtcomme simple grille de triage des investissements pouvantbénéficier des avantages du code.

Les cadres et fonctionnaires africains suivirent des formationsdans l'analyse des projets organisées à leur intention en Afriquemême, mais aussi en Europe et en Amérique. Les experts enanalyse et évaluation de projets affluèrent sur le continent, envoyéspar la machine du marabout au titre de diverses coopérations. Lemarabout envoya ainsi vendeurs de projets d'investissements,vendeurs de capitaux, vendeurs de technologies matérielle ethumaine, conseillers en négociation de projets. Toute cette arméede prophètes du bien-être économique global ou sectoriel a déferlémassivement sur l'Afrique au cours de ces deux premièresdécennies.

Parallèlement à tout ce mouvement dans la vente des projetsque l'on disait de développement, le marabout prescrivait en mêmetemps de rapprocher la source de financement avec la capacitéd'analyse et d'évaluation de projets. L'Afrique ne manque pas quede la capacité et du savoir-faire technologiques, elle manque aussides capitaux qui peuvent provenir des investisseurs et prêteursextérieurs ou de sources internes. L'investissement physique étantla source et la catégorie centrale de développement, il faut que les

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pays africains aient aussi leur propre source de financement. Lemarabout a conseillé et aidé les pays africains à créer leurs banquesde développement. Comme pour les commissions d'investissement,les banques de développement ont poussé comme des champignonsen Afrique sans se préoccuper de l'existence d'un environnemententrepreneurial pour le fonctionnement fructueux de cette catégoried'institutions dites de développement. C'est pourquoi, et comme onpouvait d'ailleurs s'y attendre, leur succès a été douteux dansbeaucoup de pays africains. Elles n'ont pu faire ni bonnes affaires,ni encore moins assurer le développement. Au cours des décennies1980-90, beaucoup d'entre elles sont tombées en faillite et ont étéfermées, parfois sur recommandation du marabout lui-même.

Les deux premières décennies ont donc connu ce déferlementde capitaux et de techniciens de projets en Afrique. Les taux decroissance économique semblaient encourager la dynamique encours dans les pays appuyés par les marabouts. On a pensé fairepression par effet de démonstration sur les pays qui voulaient tenterd'autres voies de développement. On a loué les mérites dusystème: on a cru apercevoir sinon voir les décollages économi-ques et les miracles de développement ici et là. L'Afrique étaitdonc sur la voie du développement. Et en même temps le systèmemaraboutique de développement avait fait de bonnes affairespolitiques, économiques et financières. Ses hommes étaient enplace et aux commandes, ses techniques étaient considéréescomme unique référence, son savoir-faire et ses capitaux étaientbien placés: le système en place lui permettait de vendre n'importequelle pacotille aux allures du développement et il le faisait. Lemarabout n'a pas lésiné sur les moyens et notamment sur le soutienaux régimes politiques qui adoptaient ses prescriptions.

Mais comme on l'a vu, la fin de la décennie 1970 déjà et ladécennie 1980 ont montré que le système de développement mis enplace commençait à s'essouffler. Les projets d'investissement etleurs cohortes de marchandises associées ne se vendaient plus bien.L'Afrique devenait de plus en plus incapable d'acheter lesapparences de développement ou surtout de payer ses dettes. Lesexportations n'ont plus rapporté assez pour faire face aux dépensesd'importation, ni pour faire fonctionner la machine, ni encoremoins pour faire face à celles d'investissement ou de rembourse-ment de la dette. Le marché mondial pour lequel le systèmemaraboutique avait poussé l'Afrique à produire et même à sespécialiser n'était plus aussi rentable qu'on le lui avait laissémiroiter.

Les décollages économiques et autres miracles dudéveloppement qu'on avait chantés n'étaient que des feux de paille.La crise de la vente des projets était la crise des prescriptions du

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marabout. Vingt ans de vente de capitaux, de projets d'investis-sements et de technologies dévoilaient leur véritable essence, àsavoir le commerce des apparences du développement et non ledéveloppement. Mais les apparences ne trompent que pendant untemps.

C'est dans ce cheminement que le marabout a été amené aucours de la troisième décennie, à prescrire des nouvelles recettes,sans sortir de ses canons et paradigmes. Sans disparaître, la ventedes projets doit faire une place importante à une vision plus large,globale ou sectorielle, et se situer dans la perspective de cettevision. Celle-ci ne peut être formulée que dans des stratégies etpolitiques de développement macroéconomiques et sectorielles. Lemarabout avec tout son système s'est investi ainsi dans la définitionet la prescription des politiques macro et sectorielles de dévelop-pement.

Ces dernières ont ouvert des perspectives nouvelles à la ventedes projets et ont davantage orienté la marche du "développement"dans le sens souhaité et voulu par le marabout. Car, à la différencedu grand marabout du royaume, le grand marabout dudéveloppement, de même que tous ceux qui sont dans son système,ne se contentent pas de donner des prescriptions: ils financent(prêtent ou donnent) leurs prescriptions et en attendent un bénéficeéconomique, financier ou politique.

Les prescriptions du marabout - les politiques de développe-ment qu'il définit pour les pays africains - sont généralementappuyées par tout le système maraboutique. Elles sont desmarchandises que les pays africains doivent acheter en grandepartie avec l'argent du marabout, par un mécanisme du genre: ''jete prête/donne mon argent si tu achètes mes idées et applique mesprescriptions qui sont la seule voie de salut".

Les prescriptions de la troisième décennie rentrent dans cetteperspective: c'est la décennie des programmes de stabilisation etd'ajustement qui, malgré leurs soi-disant différentes générations,ont toujours les mêmes composantes: libéralisations, réformesmonétaires, privatisations, recherche forcenée d'équilibresfinanciers interne et externe, modèle d'exportation, remboursementde la dette extérieure.

Les marchandises se diversifient, changent de forme ou mêmede nature, passent des projets dits de développement aux politiquesde développement avec les ajustements sectoriels (c'est-à-dire lesprogrammes et les projets sectoriels) qu'elles impliquent, mais larelation est fondamentalement celle de marchand à acheteur et noncelle de marabout du clan ou du royaume à ce royaume. Il peutarriver qu'en plus de produits vendus, le marchand donne un"matabish" à son client, mais il ne devient pas marabout pour cela,

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il s'assure et fidélise simplement sa clientèle. Nombre deprogrammes de coopération, ou de leurs composantes en "dons"sont à comprendre aussi dans cette perspective.

La troisième décennie n'a pas non plus apporté de solution aumal existentiel du développement de l'Afrique. Le développementn'est toujours pas au rendez-vous. C'est même au cours de cettedécennie que la crise de développement du continent s'est aggravéeen présence du marabout et en dépit de ses prescriptions. Il en arésulté une controverse sur les responsabilités des uns et des autres.Pour le marabout, les prescriptions sont efficaces et appropriées,mais les responsables africains ou les pays africains n'ont pas étécapables de les appliquer correctement. Un tel point de vues'explique: d'une part le marabout ne peut accepter l'échec de sesprescriptions qui signifierait la chute de son autorité religieuse etmorale en matière de savoir et savoir-faire sur le développement.De l'autre cela ouvrirait la voie à la recherche d'autres chemins dedéveloppement en dehors des canons et paradigmes du marabout.Pour les pays africains au contraire, l'efficacité et la pertinence desprescriptions maraboutiques étaient mises en doute. Et la remise encause des recettes du marabout du développement impliquesouvent celle du marabout lui-même et de son rôle dans la société,ainsi que celle des régimes politiques acheteurs de cesprescriptions.

Si en effet il est possible de vendre les produits et lesapparences du développement, le développement lui-même ne sevend pas et ne s'achète pas, pas plus que les recettes de saréalisation. Par ailleurs le grand marabout ou le grand féticheur duvillage, appartient au village et ses prescriptions le concernent lui-même aussi, dans la mesure où il est concerné par le sort et ledevenir de sa communauté. C'est pourquoi en dehors du royaume,il n'y a pas de marabout de développement, mais plutôt desmarchands non pas du développement, mais des produits etapparences du développement. Les marabouts du développements'ils existentsont à l'intérieurdu royaume. ..

Mais le système maraboutique de développement n'admet pascela. Bien au contraire il le combat. En effet, chaque fois quel'Afrique politique, économique ou simplement intellectuelle acherché à lancer un courant de pensée ou de stratégie dedéveloppement différent de celui du marabout, ce dernier atoujours cherché à le noyer, le tourner en dérision ou simplementrefusé de l'appuyer par le financement approprié. Certainsgouvernements se sont faits et défaits en particulier à cause de cegenre de divergences sur les politiques et stratégies dedéveloppement, et cela est bien connu. On connaît le sort qui a étéréservé à la stratégie de Monrovia et au Plan d'Action de Lagos, à

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l'Agenda du Caire pour l'Action, au Cadre Africain de. Rechangepour les Programmes d'Ajustement Structurel de la CEA, etc. Desmort-nés par manque d'appui, même de leurs propres auteurs,découragés par le discrédIt qui leur était jeté par le systèmemaraboutique. Ce qui montre combien il est difficile de garder sadignité et défendre sa voie de développement pour un pays pauvrepressé par les besoins quotidiens, et alléché par la perspectivefinancière doublée de la crédibilité d'être un "bon élève" dusystème. Mais par contre toutes les recettes soi-disant dedéveloppement préconisées par le système maraboutique étaient etsont toujours politiquement et financièrement appuyées par lemarabout. Comme pour dire que le salut est auprès, avec et dans lavoie du marabout.

Le marabout du développement auquel l'Afrique recourt acompris que, non seulement il faut combattre toute autre pensée etstratégie de développement qui ne serait pas dans les règles del'intérêt bien pensé du système maraboutique, il faut en pluss'assurer que la pensée et la stratégie du marabout sont assimiléeset maîtrisées de l'intérieur. Il lui faut donc des imam, marabouts dequartier et autres muezzin en Afrique même. La nouvelle stratégiede vente des projets et des politiques dites de développement doits'accompagner d'une vision encore plus large et de long terme dudevenir de l'Afrique, et de son intégration dans le monde polariséde la mondialisation, de l'implantation et du renforcement duréseau intérieur de ses autres acteurs dont on va renforcer lescapacités, et d'un semblant de dialogue entre le systèmemaraboutique et les pays africains (voir plus loin).

En dépit du discours apologétique du marabout sur le succèsdes politiques de développement prescrites au cours de la troisièmedécennie de développement, la croissance économique n'esttoujours pas au rendez-vous dans l'ensemble des pays africains,même pas dans ceux qui ont suivi ses prescriptions. Et là où il y ena eu, il n'est pas toujours évident de dire dans quelle mesure elle estattribuable à la mise en œuvre des prescriptions du marabout. Parailleurs la pauvreté est allée croissante en Afrique et le continentest même celui où elle s'annonce croissante pour les décenniesprochaines. C'est ainsi que sans redéfinir une autre stratégie pourremettre l'Afrique sur les rails du développement, la quatrièmedécennie va continuer la vente des projets et des politiques dedéveloppement avec une certaine sensibilité aux questions dedéveloppement humain et de pauvreté en Afrique, sans non plusqu'on se pose trop la question de savoir comment les prescriptionsen application et leurs canons et paradigmes de base engendrentpauvreté et exclusion sociale. La quatrième décennie est aussi celledes politiques de réformes politiques comme nouvelle composante

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dans l'arsenal des prescriptions du système maraboutique. Ladimension politique du processus de mondialisation et de conduitedes réformes économiques est mise à l'avant-plan. La gouvernanceet la démocratisation deviennent les préoccupations du maraboutdans le commerce du développement.

On peut constater à ce niveau comment la pensée du marabout aévolué en contradiction. Au cours des deux premières décennies, lefi!lancement des projets d'infrastructures et autre~ se basait surl'Etat comme un acteur économique actif, car l'Etat était perçucomme la machine appropriée pour promouvoir la croissance. Lesthéories du développement le justifiaient. Mais les choses ontchangé dans un autre sens au cours des deux dernières décennies.Les politiques de réformes ,économiques ont de plus en plus insistésur, et exigé le retrait de l'Etat des activités économiques en faveurde la promotion du secteur privé comme seul acteur de lacroissance et du paradigme du marché. Les nouvelles théories sontde nouveau venues justifier cette politique du systèmemaraboutique et marchand du développement. La nouvelle versiondite révi~ée du Consensus de Washington qui reconnaît un certainrôle à l'Etat, comme la plus récente recopnaissance par la Banquemondiale et le FMI du rôle utile de l'Etat dans le contrôle descapitaux à court terme en Malaisie, tout cela montre comment lemarabout fait évoluer ses doctrines et prescriptions en tenantcompte aussi bien des leçons tirées des prescriptions antérieuresque de l'analyse stratégique de ses intérêts à chaque période.

Nous voici donc à la fin du XXème siècle et après quarante ansde développement soutenus et proclamés aussi bien par le systèmemaraboutique que par les pays africains eux-mêmes, du moins dansleur ensemble. Cela fait quarante ans de coopération qui n'ont pasapporté le développement à l'Afrique ou qui n'ont pas pu mettre lecontinent sur le bon et droit chemin du développement. Rapports,conférences, initiatives, décennies spéciales et programmes se sontsuccédés et se succèdent sans résoudre l'équation. La responsabilitéest sans doute partagée: elle incombe aussi bien au marabout qu'àcelui qui fait appel à ses pouvoirs religieux en matière dedéveloppement.

Il serait utile de montrer ou démonter les mécanismes parlesquels le système maraboutique, comme le marabout féticheurmoderne en Afrique, a contribué non seulement à la régression et àla crise de développement en Afrique, mais s'est surtout servi ducommerce des produits et apparences du développement. C'est unchapitre que d'ailleurs le système maraboutique du développementn'aime pas beaucoup qu'on ouvre. Il suffit de se référer auxnombreux travaux qui ont contribué à montrer comment le Nord aexploité et sous-développé le Sud par les mécanismes du transfert

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de revenus, l'échange inégal, la détérioration continuelle des termesde l'échange, la baisse des cours des matières premières et lapériphérisation des économies du Sud, la limitation dudéveloppement des capitalismes nationaux et de leur intégrationdans l'économie mondiale et le processus de mondialisation. Ilsuffit aussi de faire une comparaison entre les indicateurs les plussignificatifs du développement de l'Afrique (voir chapitre I) et ceuxdu Nord par exemple pour comprendre à qui a profité le commercedes produits et apparences du développement au cours des quatredécennies du développement. En fait on pourrait dire qu'il s'est agides décennies du développement pour le Nord et ses institutions etnon pour l'Afrique. En d'autres termes le marabout et son systèm~le sont pour le développement du Nord et non celui de l'Afrique. Avoir les choses de près, l'Afrique ne se serait-elle pas trompée demarabout en recourant au féticheur ou au marabout de sonexploiteur?

3. Le système marchand du développement (SMD)

Le commerce du développement a évolué, il s'est renforcé etconstitue aujourd'hui un système organisé qui comprend le grandmarabout du système, les imam des différents niveaux d'actionreligieuse du développement, les marabouts des quartiers et desvillages, les muezzin et autres acteurs ou activistes du systèmemaraboutique de développement. Même si la concurrence existeaussi dans ce domaine, il n'y a plus d'actions commerciales desmarchands isolés. Il existe aujourd'hui une sorte de cartel, donc unsystème fonctionnel de vente des produits et apparences dudévçloppement.

A la tête du système se trouve aujourd'hui le duo des institutionsde Bretton Woods -la Banque mondiale et le Fonds MonétaireIntemational-, véritable grand marabout du développement, mêmesi des divergences mineures de priorités ou d'accent peuventparfois apparaître entre elles dans la mise en œuvre des pres-criptions de développement à l'Afrique. Leur division du travaild'ailleurs appelle plutôt à la complémentarité et à l'unicité de vuesentre les deux institutions. Le grand marabout est chef d'orchestreet veille à l'harmonie du discours et des prescriptions à différentsniveaux. Il dispose de quatre instruments de pouvoir quiconstituent le fondement de la force de ses prescriptions. Lemécanisme consiste à avoir l'information et produire laconnaissance sur la situation du malade de développement,prescrire les remèdes que l'on juge appropriés, veiller à une actioncoordonnée dans la mise en œuvre du traitement prescrit, ycompris dans son financement. Le reste consiste à convaincre ou

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forcer le malade du développement de la pertinence du traitementet de la bonne foi amicale et du dévouement désintéressé dumarabout et du système maraboutique qui ne cherchent que laguérison du malade, et qu'on ne peut soupçonner d'autres intentionsou intérêts cachés.

Le grand marabout a le pouvoir de l'information. L'informationen elle-même est un pouvoir et en posséder sur quelqu'un faitacquérir un certain pouvoir sur la personne. Le grand marabout enest conscient et il a investi dans ce domaine en conséquence.Collectée tant bien que mal, mais de manière systématique, etactualisée régulièrement grâce aux immenses ressources et préro-gàtives que lui confèrent des droits de pression sur les détenteursnationaux des données et études économiques et sociales, maisaussi grâce aux études spécifiques commanditées à cet effet àtravers les institutions et consultants individuels, l'information surles pays africains donne un pouvoir exceptionnel au grandmarabout. Malgré les lacunes volontaires ou non qu'elle peut avoir,cette information fait du grand marabout une référence pour lesystème. Qui en effet peut mener une étude sur un pays africainquelconque aujourd'hui sans se référer d'une manière ou d'une autreaux statistiques et autres informations qualitatives du duo deWashington? C'est devenu même une fierté de s'y référer car onespère avoir l'autorité de la source avec soi, même si elles sont encontradiction avec les sources nationales ou d'autres sources, etmême si l'évidence les contredit. Le marabout a fini par faireimposer son autorité dans le domaine et il est devenu la principaleréférence.

Ceux qui cherchent à mettre l'information du marabout en douten'ont ni le crédit, ni la force d'amplification nécessaire pour faireentendre leur voix. Même les autres institutions africaines aussiimportantes que,la Banque Africaine de Développement ou parfoisla Commission Economique des Nations Unies pour l'Afrique n'ontpas pu développer ce genre de séries statistiques sur l'Afrique etaffirmer leur autorité dans un domaine aussi important. Je mesouviens personnellement d'avoir contesté en tant que technicien,mais au nom de mon ministère, les taux de croissance et laméthodologie suivie pour les calculer par le grand marabout en1985 à Kinshasa. Malgré l'importance du ministère auquelj'appartenais et son autorité en matière (le ministère du plan), il afallu des discussions organisées aussi bien avec le maraboutqu'avec trois autres institutions nationales: le ministère desfinances, l'institut d'émission et l'institut national de la statistique etl'unanimité qui s'était dégagée sur le bien fondé de la contestationdu ministère du plan pour obtenir du grand marabout lechangement de ses taux. Il est vrai que ceci contribuait à éroder le

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pouvoir du marabout en faveur de l'autorité des sources nationalesd'information. Ce qui n'est pas de nature à plaire au marabout.

Le grand marabout a aussi le pouvoir du savoir et d'inspirationdoctrinaire. La collecte et la systématisation de l'information surles pays africains ne sont pas seulement utiles en elles-mêmes pourle pouvoir et la référence qu'elles donnent. Elles alimentent surtoutl'autre base du pouvoir maraboutique de développement. En effet,sur base de l'information collectée, le grand marabout produit desconnaissances sur les différents aspects de la vie économique etsociale des pays africains et de l'Afrique dans son ensemble.Rapports et études spéciales ou actualisées, produites à l'occasiondes réunions spécifiques ou de lancement de nouvelles initiatives,constituent une base importante du fond de commerce dumarabout. Nombre de ces études et rapports sont produits à desseinet donc souvent déjà orientés dans le sens qui justifie l'initiative(politique ou projet) que l'on veut vendre aux autres membres dusystème maraboutique, ou le traitement que l'on veut prescrire aumalade de développement.

La production de rapports et études sur l'Afrique elle aussi faitpartie du renforcement de l'autorité du grand marabout. Il s'affirmecomme possédant de vastes connaissances de la situationéconomique et sociale et des perspectives de développement enAfrique. Comme pour le marabout qui soigne les angoisses etmalaises existentiels, le pouvoir est ici aussi basé sur les vastesconnaissances non pas des valeurs existentielles telles qu'ellesdécoulent des livres saints, mais de la situation de mal-développement et des canons et paradigmes de développement telsqu'enseignés par l'expérience occidentale. Le grand marabout estainsi au nom de tout le système, le dépositaire de la tradition et desvaleurs de développement. C'est pourquoi il est à même deprescrire les traitements appropriés.

Le grand marabout inspire ainsi les idées et politiques dedéveloppement. Illes définit et veille à leur application. Si au débutsa compétence et son autorité pouvaient être lImitées à un domainedonné, aujourd'hui il les a étendues à tous les autres domaines où lemalaise de développement peut se faire sentir: réformes macro-économiques, réformes institutionnelles, gouvemance et réformespolitiques, agriculture et développement rural, industrie, transportset communications, énergie, éducation, santé, environnement,population, lutte contre la pauvreté, promotion du secteur privé,...bref tous les domaines où il est encore possible de vendre degrands projets ou des politiques dites de développement. Il n'existepas aujourd'hui en Afrique un secteur où un ministre africain n'estpas certain d'appliquer une politique définie plutôt par qu'avec legrand marabout, et ceci concerne même le programme

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d'investissement de l'État africain concerné! Sans vraimentcaricaturer, les gouvernements africains jouent pour ainsi dire lerôle d'agences d'exécution des doctrines et programmes inspirés etdéfinis par le grand marabout. En même temps, le grand maraboutajuste ses prescriptions avec l'évolution de ses affaires marchandeset de la gestion stratégique de ces dernières. Il apprend aussi sur leterrain africain et renforce son autorité.

Le grand marabout dispose du pouvoir d~ coordination dusystème d'aides et de prêts au développement. A ce titre, il prendl'initiative des programmes de développement, de la nature desmarchandises du développement à vendre et de l'approche àsuivre; il coordonne et tutélarise le processus et l'intervention desautres acteurs du système dans l'opération. Il envoie des missionspériodiques de contrôle et de surveillance des politiques mises enœuvre, consolide les rapports et informe les autres rouages dusystème sur la marche des affaires dans le pays concerné. Il faitainsi par ailleurs office de policier général ou de tête de pont dusystème sans le visa duquel les autres acteurs deviennent hésitantssinon réservés pour intervenir.

Cette fonction est tellement importante que les pays africainseux-mêmes se sentent dans l'obligation d'être en bonnes relationsd'affaires, et d'obtenir le certificat de bonne conduite de la part dugrand marabout pour s'assurer des bonnes grâces des autresmembres du système marchand de développement. Des dispositifsspéciaux ont été mis au point à cet effet: le Programme Spécialpour l'Afrique qui réumt la majorité des acteurs du système,principalement pour financer la mise en œuvre des politiquesd'ajustement par les pays africains; les rouages comme les Clubsde Paris et même de Londres; les mécanismes de coordination del'aide par le processus de Groupe Consultatif ou de Table Rondedes bailleurs des fonds par lesquels le gouvernement africainsoumet sa politique et ses programmes de développement auxprincipaux acteurs du système marchand de développement pouravoir leur bénédiction et espérer ainsi pouvoir avoir leur soutienfinancier. On comprend déjà quelle politique de développementpeut avoir l'approbation du club maraboutique et les limites quecela impose aux pays africains, malgré leur prérogative en matièrede souveraineté nationale.

Le pouvoir de coordination du système permet ainsi d'éviter nonpas seulement que les interventions se fassent en désordre, maissurtout de contrôler les politiques de développement en Afrique etde choisir celles qui, du point de vue collectif des marchands dusystème, répondent le mieux à leurs intérêts communs. Si lemécanisme de Groupe Consultatif est directement dirigé par legrand marabout lui-même, les autres mécanismes le sont par

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d'autres membres du système. C'est le cas du processus de TableRonde qui est géré par le gouvernement africain concerné avecl'appui technique du PNUD; c'est le cas des consultationssectorielles dont le leadership est souvent confié à l'un ou l'autremembre du système marchand. Mais dans tous ces autres cas, lesprincipaux acteurs cherchent à s'assurer que le grand marabout abien donné son feu vert pour aller de l'avant. C'est dire que lesautres membres du système se reconnaissent en lui et lui fontgénéralement confiance même s'il n'existe pas de hiérarchieformelle. Les choses se passent comme dans l'autre mondemaraboutique de l'Afrique.

Dans le cas de la Table Ronde par exemple où le PNUD ne jouepas au coordinateur de l'aide, mais poursuit le renforcement de lacapacité gouvernementale de coordination de l'aide, et où donc il ya quelques chances pour les pays africains de se définir despolitiques de développement de manière autonome, cela est perçucomme un risque par le système marchand. C'est pourquoi le grandmarabout, s'il ne discrédite pas ce processus d'une manière oud'une autre, cherche au moins à le contrôler de près, sinon à lerécupérer.

Le grand marabout dispose aussi du pouvoir de pressionfinancière. En effet, les autres pouvoirs risquent de voir leur forceréelle limitée si le grand marabout lui-même n'avait pas de pouvoird'incitation et de pression financière pour assurer la mise en œuvrede ses prescriptions. Le grand marabout ne se contente passeulement de prescrire les recettes et autres traitements, il lesfinance surtout, et en cela il place l'argent. Lorsqu'un pays africainse trouve en difficultés financières, conjoncturelles ou dedéveloppement, et que le grand marabout lui indique la voie desortie qu'il devrait emprunter et pour laquelle le grand marabout estdisposé à lui avancer les fonds et même à convaincre d'autresacteurs de leur participation financière, que peut bien faire ce payssinon accepter le marché?

La situation devient parfois intenable pour les gouvernementsafricains: les problèmes existentiels de développement qui parfoismenacent leur sécurité, les difficultés pour financer leursprogrammes d'investissement et parfois même leurs dépenses defonctionnement, les autres pressions socio-économiques internes,tout cela fait que les pays africains se sentent poussés aussi bien del'intérieur que de l'extérieur, à aller vers le marabout ou le systèmemarchand du développement pour chercher le salut. Et ils y vontdans des conditions de faible pouvoir de négociation, en fait qu'ilsy vont dans des conditions telles que le grand marabout et lesystème marchand de développement n'ont pas de difficultés pourimposer les conditions de leur soutien aux actions envisagées.

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Le pouvoir de pression et d'incitation financière est importantnon pas seulement pour faire pression sur les gouvernementsafricains, il l'est aussi pour créer un climat de confiance et attirerles autres membres du système dans la mise en œuvre d'uneprescription donnée. Pour ces derniers en effet, le cofinancementd'une opération avec le grand marabout non seulement assure del'existence d'un certificat ou d'une présomption de bonne conduitedu pays africain, mais il rassure aussi sur la bonne fin del'opération.

Il est vrai que la pression du grand marabout et du systèmemarchand de développement sur un pays, qu'il soit africain ou d'unautre continent dépend aussi du poids économique du pays dans lesystème marchand, des difficultés réelles du pays, des alternativespossibles dont le pays dispose, et surtout de la force des principesguides de la classe dirigeante.

Ces quatre pouvoirs sont le fondement de la puissance du grandmarabout. Mais on ne devient pas grand marabout par élection,c'est plutôt par la force des choses, c'est-à:dire par la constructionet le renforcement de ces quatre pouvoirs. Etant donné qu'en réalitéces pouvoirs sont plus ou moins partagés jusqu'à un certain degrédans le système, il n'est pas besoin d'une hiérarchie d'autorité dansle système. Le grand marabout est l'instance dans laquelle chacunse trouve et il sert les intérêts du système. Il est une sorte dePrésident Directeur Général du système marchand de développe-ment avec un Conseil d'Administration où chacun pèse du poids desa contribution, tout en gardant les autres prérogatives qu'il détientpar ailleurs dans le système.

C'est pourquoi à un autre niveau le système comprend les autresmarabouts et imam, (grands et moyens imam) qui sont en fait lesautres bailleurs de fonds, bilatéraux et multilatéraux. Au-delà del'action commune ou conjuguée qu'ils mènent dans le système, ilsont aussi des actions spécifiques selon les secteurs ou les zonesgéographiques. En général ils se réfèrent à l'action conjuguée avecle grand marabout, bien qu'il puisse y avoir des initiativesrelativement individuelles et même des divergences mineures dedoctrine ou de liturgie avec le grand marabout. Ces divergencespeuvent simplement être l'expression de quelque conflit d'intérêt oude stratégie individuelle dans le partage des zones d'action oul'insertion dans le processus de mondialisation. Elles ne portent pasà conséquence et sont généralement réglées entre partenaires dusystème marchand qui finissent par privilégier l'intérêt commun dusystème.

Les imam du système marchand du développement sont aussimarabouts à leur niveau et exercent leur rôle avec les mêmespouvoirs mais à un degré relativement limité en termes géogra-

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phique ou sectoriel. Ainsi un imam européen par exemples'intéressera plus aux pays dits de concentration sur lesquels il peutdévelopper un système d'informations, mener quelques étudessélectionnées ou apporter un appui financier substantiel, et encore!En fait il ne le fera que si cela est vraiment nécessaire, et s'il nepeut pas trouver les mêmes informations et les mêmes étudesauprès du grand marabout ou d'autres institutions du système. Il enest de même pour ce qui concerne le continent dans son ensemblequi relève alors d'une perspective qui dépasse les pouvoirs d'unimam bilatéral. C'est généralement de l'autorité du grand maraboutou des niveaux proches dans le pouvoir maraboutique de dévelop-pement (OCDE et Union européenne par exemple) que cela relève.

Les imam d'ailleurs n'ont pas réellement de doctrine dedéveloppement propre. Ils préfèrent s'en remettre au grandmarabout dont ils sont sûrs de se retrouver en lui, du moins pour lefond et l'essence de la doctrine. Les questions de liturgie peuventfaire l'objet de discussion, mais cela n'est pas le plus important.Nombre d'entre ces imam et marabouts de deuxième niveau onttendance à se réfugier derrière le grand marabout. Le rôle généraldes imam dans le système marchand du développement est decontribuer à la création et au renforcement du cadre du commercedes produits et apparences du développement à l'Afrique, à inciterou pousser les investisseurs privés nationaux à saisir lesopportunités pour faire des affaires en Afrique, à garantir lesrisques que peuvent courir ces investisseurs nationaux, et veiller àce que le système leur assure le bénéfice qu'ils voudraient biengagner. C'est ici que des conflits d'intérêts nationaux entre imampeuvent apparaître, sans que le système ne s'écroule pas pourautant.

Mais le système fonctionne surtout grâce à son armée de petitsmarabouts de quartier et de village, de muezzin et autrescombattants de la "bonne cause" marchande du développement. Cesont notamment (i) les institutions et fora plus ou moinsinstitutionnalisés sous le parrainage du grand marabout et/ou d'unou plusieurs imam, (ii) les sociétés de conseil et de consultationauxquelles il faut ajouter la multitude de coopérants techniques, et(iii) les organisations privées dites de développement, qu'ellessoient volontaires ou non gouvernementales.

Pour bien faire passer le message du commerce dudéveloppement sous un soleil moins réel, et donc plus voilé, il afallu mettre en place des instances de dialogue, de discussion ouréflexion, mais aussi d'action pour que l'Afrique ait le sentiment etla conviction du bien-fondé de l'unicité du discours qui lui estprêché. Ce qui lui est prêché par le grand marabout et les imam estrepris et confirmé par d'autres visiblement plus désintéressés et

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sans doute aussi techniquement bien outillés que le grand maraboutet les imam. Cela contribue à convaincre les plus sourcilleux enAfrique.

Ces fora de dialogue se sont institutionnalisés pour certainsd'entre eux. D'autres sont devenus des instruments d'action plus oumoins appropriés par l'Afrique pour encore une fois mieux réussirleur action. Je ne prêche pas pour la diabolisation de toutes cesinstitutions, je voudrais simplement situer leur origine première etl'un des objectifs majeurs de leur mise en place: servir le systèmemarchand du développement. C'est d'ailleurs principalement pourcela que le système les soutient y compris financièrement. Cela nedit pas que l'Afrique ne peut rien en tirer de bon. Mais elle pourraiten tirer sans doute beaucoup mieux dans le sens de sondéveloppement si les choses étaient probablement conçues et misesen œuvre autrement.

Parmi eux on peut citer les fora globaux comme le ProgrammeSpécial pour l'Afrique, la Coalition Mondiale pour l'Afrique, laFondation pour le Renforcement des Capacités en Afrique, et lesfora sectoriels sur l'Afrique souvent accompagnés par laproduction de documents de stratégie ou de programmes opération-nels dans les domaines comme ceux de l'eau, l'énergie,l'environnement, la santé, etc. sous la direction de la Banquemondiale ou d'un autre acteur important du système. Mais il y a~ussi ceux parrainés par les institutions publiques ou privées desEtats-Unis (le Forum des hommes d'affaires Noirs américains parexemple qui se réunit en Afrique tous les deux ans), de l'OCDE etde l'Union européenne, des pays européens individuels et plusrécemment du Japon avec la Conférence Internationale de Tokyosur le Développement de l'Afrique. Les initiatives se multiplient etmême se concurrencent parfois.

Comme on le voit, chacun veut montrer qu'il se fait du soucipour le développement du continent et qu'il veut le faire en accordavec d'autres et surtout en accord avec l'Afrique elle-même. Lesréunions de ces différents fora se multiplient. Les déclarations etengagements de la ville x se succèdent à ceux de la ville y, mais àla fin du compte c'est le commerce du développement qui se portebien. L'Afrique reste un continent sans lueur certaine de déve-loppement. Les prophètes et marabouts de bonheur n'arrêtent pasde prêcher la sortie du tunnel mais la crise et la pauvreté sontquotidiennement là comme pour narguer les recettes du maraboutet du système marchand.

Véritables boy-scouts et courtiers du système marchand dudéveloppement, les sociétés dites d'ingénieurs conseil et les cabi-nets de consultation naissent chaque jour comme des champignonsdans le paysage du commerce des produits du développement.

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Généralement placés à côté de la source de financementreprésentée par le grand marabout et les imam du développement,ils se comptent aujourd'hui par milliers pour ceux qui opèrent enAfrique. Le plus souvent ils opèrent directement dès qu'ils ont pudécrocher le marché, mais il arrive que pour des raisons d'insertiondans l'environnement national du pays africain considéré, deminimisation de coûts ou autres, ils se sentent enclins à utiliser lescompétences locales individuelles ou institutionnelles.

Ils ont trouvé un créneau particulier pour s'insérer dans cecommerce. Au stade préliminaire ils font l'éclaireur pour ouvrir lesmarchés, préparer les études de pré-faisabilité et de faisabilité,contribuer à la production des connaissances sur le pays par desétudes appropriées qui leur sont confiées par le système, etpréparer la recevabilité des marchandises du développement quiseront proposées par le système ou un imam donné. Lorsque lemarché sur le produit du développement est conclu, ils assurent lamise en œuvre des projets ou des stratégies inspirées par le grandmarabout, aident à définir les mesures complémentaires et autresmodalités d'exécution avec les imams et marabouts de quartier,ainsi que les croyants de la religion maraboutique du développe-ment, c'est-à-dire les pays africains et leurs principaux acteursinternes. Ils veillent à l'application des directives et assurent lesuivi-évaluation.

Leur travail fait réellement partie du système marchand et il estcomptabilisé en tant que tel aussi bien dans le coût de l'opérationde prêt que dans la valeur totale du don fait au pays africainconcerné.

Il y a enfin les ONG et autres volontaires du développement.Dans le système commercial de développement, ces organisationsapparaissent beaucoup plus comme missionnaires de développe-ment (côté marabout) que comme courtiers ou marchandsproprement dits. Elles bénéficient d'un crédit immense du fait deleur côté missionnaire: elles prétendent être les seules ou en touscas les mieux outillées pour atteindre les pauvres, les faireparticiper aux décisions relatives aux projets de développement quiles concernent, et les aider à se prendre en charge. Ellesrevendiquent la souplesse de leur gestion, le faible coût de leuriôtervention et leur capacité de contribuer au pluralisme et à ladécentralisation, et donc au renforcement de la société civile, aulieu du monolithisme et de la centralisation étatiques.

Mais en réalité la situation n'est pas aussi brillante, même sur leplan prétendument missionnaire des ONG du développement. LesONG gèrent les ressources d'un marabout ou d'un imam du systèmedans le cadre de certaines activités qui ne sont pas isolées parrapport à la stratégie de groupe ou individuelle de vente des

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produits du développement. Elles créent quelques emplois pour lesressortissants du pays bailleur de fonds. Elles contribuent àrenforcer l'image de bienfaiteur désintéressé du marabout, tout enjouant le rôle de préparation de terrain pour le commerce desproduits et apparences du développement. De ce fait, elles sontbien partie intégrante du système marchand de développement.

Sur leurs prétentions et revendications, il y a lieu de nuancer leschoses. Les ONG ont aussi une bureaucratie qui n'a rien à envieraux autres; elles tendent à créer des situations conflictuelles avecles adtp.inistrations africaines surtout au niveau local, et parfoisavec l'Etat lui-même. Au niveau local, elles introduisent parfois undouble train de vie et ignorent souvent les faits politiques auxquelsles populations font face et qu'elles auront à affronter dans le cadrede leur projet. Par ailleurs, il n'est pas évident que leur coût defonctionnement par rapport à l'espace touché ou par bénéficiairesoit inférieur à celui des grandes organisations. La structure descoûts des ONG est généralement faible en termes de salaires, maisélevée en termes d'autres contributions notamment en nature(logement, transport, sécurité, etc.)

Leur capacité de toucher les pauvres et de les faire participeraux décisions sur les projets de développement les concernant estde toute évidence limitée par la petitesse de leurs moyens: lecommerce du développement n'est pas un système de charité et lesmarabouts et marchands du développement qui financent les ONGen savent quelque chose. Par ailleurs cette capacité n'est pasl'apanage des seules ONG. Nombre d'autres partenaires, surtoutceux qui ne financent pas en prêts mais plutôt en dons utilisent deplus en plus des procédures et modalités de partenariat directauprès des plus démunis.

Compte tenu de leurs faibles moyens, les ONG ont tendance àse référer aux études et autres rapports du grand marabout ou desautres imam et marabouts de quartier qui sont généralementglobaux. Leur connaissance du milieu africain est doncrelativement faible, ce qui ne les empêche pas de décider de ce quiest bon pour les populations et de la manière de le faire. Les popu-lations sont en général considérées principalement commebénéficiaires, contrairement à la prétention des ONG d'en faire desparticipants actifs dans la conception et la mise en œuvre desprojets de développement.

Enfin la pérennité de l'action des ONG n'est pas toujoursdémontrée. Et ce qu'il faut retenir c'est qu'en dépit de leur vocationmissionnaire du développement et des autres revendications etprétentions qu'elles peuvent avoir, elles sont bel et bien acteurs etdonc partie du système marchand du développement. Leurconnotation missionnaire leur assure en plus une auréole de

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bienfaiteur, mais ne leur enlève pas leur place dans le commerce dudéveloppement.

Le système occupe ainsi le terrain du développement enAfrique, non pas seulement dans le domaine des marchés descapitaux et des autres biens et services classiques, mais aussi danscelui plus crucial des politiques de développement devenues à lafois marchandises et cadres de ventes d'autres marchandises dedéveloppement. Malheureusement pour les pays africains, il nes'agit même pas des instruments de développement dont ils peuventse servir de manière certaine, mais essentiellement des apparencesdu développement.

Par ailleurs et comme on a pu le voir, il ne s'agit pas demarabout de développement, mais plutôt et véritablement desmarchands du développement et qui n'opèrent pas isolément. Bienau contraire, ils constituent un système organisé, avec une certainedistribution de rôles, un mode de gestion des intérêts communs etmême de règlement de divergences. Il faut que l'Afriquecomprenne cette réalité et devienne l'acteur de son propre dévelop-pement en commençant par la conception de ce dernier et lesstratégies de sa mise en œuvre.

Que ceux qui pensent que le développement s'achète en idées eten actions opérationnelles n'aient pas de scrupule à le faire, lesystème marchand du développement est là pour répondre à leursbesoins. Mais au bout du compte on sait qu'il n'y a que la vente desapparences du développement comme le montre l'expérience desquatre décennies de développement en Afrique. Au bout du compteil n'y a que l'intégration du continent dans le processus de polarisa-tion par la mondialisation, sans perspectives véritable d'un déve-loppement humain durable de l'Afrique. Car au même titre que lemarabout moderne des villes africaines exploite la crédulité et lesangoisses existentielles des individus, le système maraboutique dudéveloppement exploite la pauvreté des pays africains et leurcroyance ou leur confiance dans le système qu'ils croient encoremaraboutique, alors qu'il est marchand. L'un et l'autre vendent desbiens et des services qu'ils facturent selon les modalités qui leursont propres.

Par contre ceux qui comprennent qu'il n'y a pas de marabout dedéveloppement de l'Afrique en dehors de l'Afrique et que ledéveloppement ne s'apporte ni ne s'achète auprès d'autres, quelsque missionnaires qu'ils soient, que ceux-là pensent à revoir leurvoie de développement ainsi que la nature et les modalitésopérationnelles de leur relation avec le système marchand dudéveloppement, et donc avec ses grands acteurs depuis le grandmarabout jusqu'aux marabouts de quartier ou de village.

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DEUXIÈME PARTIE

L'ARSE~AL STRATÉGIQUE DUSYSTEME MARCHAND DU

DÉVELOPPEMENT

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CHAPITRE III :L'AIDE COMME INSTRUMENT

STRATÉGIQUEDU SMD

Dans le système maraboutique et marchand du développementen Afrique, l'aide est une catégorie stratégique importante aussibien sur le plan conceptuel qu'opérationnel. L'aide au développe-ment est un instrument capital dans la création ou la pénétration dumarché du développement, la consolidation des positions sur cemarché, la fidélisation des clients, leur attelage au navire central etleur mise au pas selon la voie et l'approche du SMD, ou seulementde certains de ses membres importants.

La littérature sur l'aide est abondante: les analyses de tousbords, nourries des expériences et des leçons des exercicesd'évaluation ont tantôt fait l'apologie, tantôt les critiques les plusacerbes, ou enfin nuancé les positions et préconisé desaméliorations. Mais la question est toujours d'actualité aussi bienpour les donneurs de l'aide que pour les pays africains receveurs, etbien sûr pour les analystes du développement aussi.

Je n'ai r.as l'intention de passer en revue l'ensemble des analysesou les meIlleurs échantillons par catégorie ou série. Je m'intéresseici à l'aide au développement en tant qu'instrument stratégique duSMD en Afrique. Cela m'amène à questionner aussi bien le cadrethéorique qui fonde cet outil que l'expérience pratique durant lesquarante ans de développement aidé par le SMD en Afrique, avantde porter le regard sur l'aide au développement de l'Afrique ausiècle prochain avec une interrogation sur la dynamique possiblede sortie de l'aide.

1. Philosophie et cadre conceptuel

Dans sa philosophie de base, l'aide au développement répond àla théorie des gaps: l'Afrique manque d'experts et techniciens, decapitaux, d'équipements, bref, de facteurs de production et de la

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capacité de les utiliser de manière bénéfique pour le continent.Donc il faut les lui apporter, l'aider à les acquérir pour sondéveloppement. Et depuis quarante ans de développement, lesAfricains en ont reçues sous des formes variées. Cette aide aénormément augmenté par rapport à la création des richessesnationales des pays africains assistés. Ce qui signifie que les gapsque l'on prétendait combler se sont élargis encore, et les besoins enaide se sont accrus.

La crise actuelle de l'Afrique, le fait que les populationsafricaines se retrouvent aussi pauvres qu'il y a quarante ans,l'absence ou la faiblesse d'une véritable dynamique de développe-ment après une telle période d'efforts conjugués par les paysafricains et leurs partenaires qui les aident, tout cela a conduit à laremise en question non pas seulement du modèle de développe-ment suivi, mais aussi de l'aide au développement qui l'a soutenu.Par ailleurs les dernières réponses de l'aide à la crise de l'Afriqueportent principalement sur l'accroissement de l'aide humanitaire oud'urgence, le rééchelonnement, la transformation ou l'annulation dela dette, l'ajustement structurel et ses conditionnalités économiqueset politiques, la mise de l'Afrique dans le siège du conducteur, lenouveau cadre global du développement, etc. Mais il s'est agiplutôt de la complexification de l'aide en général et de l'accroisse-ment de l'aide hors projet en particulier, témoignant par là d'unmalaise réel d'un système d'aide qui se nourrit, se reproduit, et sepérennise, et non plus seulement d'une théorie des gaps à comblerpar l'aide.

En effet, le volontarisme développementaliste des années 1950-60 reposait sur une idéologie qui a marqué les praticiens etdécideurs du développement, mais aussi nombre de théoriciens: leparadigme de rattrapage. Les théories sur le décollage économiqueet les étapes de la croissance étaient la référence en matière depolitique de développement. Et comme la croissance est fonctionde l'investissement - capital et équipement - et du savoir-faire, iln'était pas difficile de comprendre que c'est parce que l'Afrique enmanquait qu'elle était en retard sur le monde occidental. Il n'étaitpas non plus difficile de comprendre que l'Occident, qui en avait,se voyait en conséquence investi d'une mission historiqued'apporter l'aide à l'Afrique pour que cette dernière le rattrape, dansle but de développer le continent, de même que pendant lacolonisation sa mission consistait à civiliser l'Afrique.

La théorie des gaps trouve donc son fondement dans leparadigme du développement. Ce paradigme ayant évolué dans sonappréhension sans nécessairement changer sur le plan fondamental,la mise en œuvre des politiques d'aide a aussi évolué, sans perdreses paramètres de base. C'est pourquoi, il ne suffit pas pour un pays

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africain, d'avoir des gaps pour voir l'Occident voler à son secours.L'aide au pays tient compte d'autres facteurs liés aux gaps: sonallégeance politique, sa situation géopolitique en particulier durantla période de guerre froide, son poids économique ou sa valeurcommerciale, l'intérêt stratégique pour le donneur d'aide, etc.

Une telle théorie peut être questionnée de deux manières: (i) depar son impact et ses résultats sur le développement de l'Afrique aucours de ces quatre décennies de développement du continent; (ii)de par ses fondements conceptuels eux-mêmes.

Du point de vue de cette dernière perspective, il est légitime dequestionner les fondements historiques et théoriques de l'idée selonlaquelle le développement d'un pays peut être impulsé par unmoteur extérieur, et qui plus est un moteur essentiellementfinancier. En effet, il n'y a aucun exemple historique pour étayercette thèse et la logique théorique ne le permet pas non plus.D'abord parce que le développement est un processus complexe detransformation de structures et surtout d'amélioration desconditions de vie des populations par l'élargissement des oppor-tunités qui s'offrent à elles. Par définition, un tel processus ne peutêtre impulsé que de l'intérieur à la fois pour son appropriatioq/internalisation et pour la maîtrise de ses différentes étapes. Amoins de réduire le développement à un enduit extérieur sur uncorps ou une greffe avec les risques de rejet par ce corps, il ne peut

'Yavoir de développement d'un pays de l'extérieur de celui-ci et parun autre pays (J. J. Gabas, 1988).

Même si le développement était réduit au paradigme du "toutcroissance," cette dernière resterait toujours un processus induit, nepouvant donc se matérialiser durablement par apport massifextérieur de capital ou d'aide financière, à moins qu'il ne s'agisse deressources extérieures générées par ses activités intérieures,notamment à travers le commerce extérieur et le rapatriement derevenus. Il est donc difficile de penser comme le font lesprédicateurs du SMD que les capitaux extérieurs apportésmassivement sous forme d'aide sont de nature à faire brûler lesétapes - paradigme du rattrapage -, et faire décoller rapidement leséconomies africaines. L'histoire de ces quatre décennies dedéveloppement en Afrique a d'ailleurs montré que même lesquelques rares exemples qui étaient alors exhibés en modèles dedécollage économique ou de miracle, non seulement étaientcomptés sur les doigts d'une main sur le continent, mais en plus, ilsse sont montrés de véritables illusions de décollage économique.Le SMD avait simplement réussi à travers ces pays (Côte d'Ivoire,Kenya, Cameroun...), à vendre quelques apparences de dévelop-pement, ce qui n'a pas empêché ces derniers d'entrer en crisecomme les autres pays africains, étant donné qu'il s'agissait d'une

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crise d'un même modèle d'accumulation, en dépit du volumemassif d'aide qu'ils avaient reçu.

L'expérience a ainsi montré que contrairement à la penséeconventionnelle du SMD, ce n'est pas l'argent qui fait ledéveloppement. Mais le SMD lui-même a évolué dans sathéorisation et sa justification de l'aide. En effet la controverse surl'efficacité de l'aide, sur son apport réel au donneur plutôt qu'aubénéficiaire officiel - le pays africain par exemple -, la remise encause de certains mécanismes et instruments classiques de l'aide,l'écart croissant entre pays riches (donneurs d'aide) et pays pauvres(receveurs de l'aide), la fin de la guerre froide et le besoin dejustifier la politique d'aide devant le contribuable occidental, toutcela a contribué à faire évoluer la pensée du SMD sur l'aide et lacoopération au développement.

Deux arguments principaux sont avancés pour justifier l'aideoccidentale. D'abord, l'ambition initiale qui voulait que l'aide soitle moteur du développement, est réduite. Les théoriciens de l'aidereconnaissent aujourd'hui que l'aide ne peut jouer qu'un rôled'appui aux efforts et surtout aux politiques de développementinternes au pays concerné et qu'elle ne peut véritablement porterses fruits que dans le cadre de ces politiques si tant est qu'elles sontpertinentes du moins telles que le SMD les définit.

Ensuite, la justification de l'aide occidentale s'est élargie. Faceaux trois grands défis qu'il a cernés dans le monde d'aujourd'hui, àsavoir la pauvreté grandissante et les disparités entre pays et ausein d'un même pays, la maîtrise de l'environnement et lamondialisation, les responsables de l'aide en Occident justifient lacontinuation de leurs politiques sinon l'augmentation de l'aide pourdes raisons humanitaires, des intérêts vitaux de l'Occident et desolidarité mondiale.

En ce qui concerne la première raison, "L'aide au développe-ment exprime le sentiment de compassion que suscitent l'extrêmepauvreté et les souffrances humaines qui affligent, aujourd'huiencore, le cinquième de la population mondiale. (00') L'aide audéveloppement répond à un impératif moral évident. La deuxièmeraison qui nous pousse à œuvrer en faveur du développement e.stqu'il est de notre intérêt de le faire: le développement profite à tousles peuples - aux plus pauvres comme aux plus nantis. Laprospérité des pays en développement offre des débouchés pour lesbiens et services produits par les pays industrialisés. Par ailleurs unclimat de grande sécurité diminue les pressions migratoires, lestensions sociales et environnementales qu'elles suscitent. (...) Latroisième raison qui incite la communauté internationale à soutenirle développement est la solidarité qui lie entre eux tous les peuples.La coopération pour le développement offre la possibilité aux

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peuples de toutes les nations d'associer leurs efforts pour tenter derésoudre des problèmes et poursuivre des aspirations qui leur sontcommuns." (OCDE/CAD, 1996, p.6)

Malgré cette évolution dans l'appréhension de la justification etle rôle de l'aide, la philosophie de base reste la même: l'aideextérieure doit être continuée et même intensifiée parce qu'elleapporte des ressources financières ou technologiques complémen-taires certes, mais également vitales pour inverser la tendance à lamarginalisation des pauvres et obtenir des avancées vers desobjectifs réalistes de développement.

Si la nouvelle politique de l'aide avoue ouvertement l'intérêt dudonneur et le bénéfice qu'il tire de l'aide au développement, ellebascule pourtant dans des considérations d'ordre moral et éthiquesur l'humanitarisme de l'Occident nanti et sa solidarité avec lespeuples pauvres. Il est impératif d'écarter de notre problématiqueles considérations morales et charitables dans le processus dedéveloppement. L'aveu de l'intérêt du SMD dans le maintien del'aide au développement est suffisant pour expliquer théoriquementet la raison d'être des politiques d'aide et leur pérennisation commeinstrument stratégique capital du SMD.

Par ailleurs la marginalisation et l'appauvrissement croissant despays et des peuples en Afrique est la résultante d'un système dontse nourrit le SMD. Ils lui sont inhérents. C'est lui qui les sécrète eten tire profit. La moralisation n'est qu'un voile pour l'Afrique envue de se donner l'image de bienfaiteur, et de chercher l'adhésiondu contribuable occidental aussi. Ce qui est plus important encore,est que la politique d'aide ne s'attaque pas au problème de base et àses mécanismes de fonctionnement qui sécrètent l'appauvrissementdes pays et des peuples, mais agit plutôt comme un palliatif destinéà corriger ou mitiger les effets négatifs du système qui l'engendreet en définit la nécessité.

Conceptuellement, de par les raisons qui la fondent, lesobjectifs qui la sous-tendent, et les résultats escomptés qui lajustifient, l'aide au développement devait être théoriquementconçue pour une période donnée, le temps de combler les gaps, derattraper l'Occident, ou de réussir un décollage économique. Oraucun théoricien ni aucun praticien de l'aide n'a intégré leséléments d'une stratégie de sortie de l'aide. C'est dire que dès saconceptualisation, l'aide s'installe comme un dispositif institution-nalisé du SMD. Ce n'est pas par hasard que sa fm n'est pasréellement envisagée même sur le plan théorique. De même aucunpays africain ne s'est réellement fixé comme objectif de sapolitique, de programmer la fin de l'aide, et donc l'autonomie dansla définition de ses politiques et dans la mobilisation de ressourcesnécessaires, qu'elles soient financières, techniques ou humaines

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sans avoir à les quémander à un donneur d'aide.Pourtant, nombre de théoriciens du développement et donc de

l'aide au développement avaient cru pouvoir calculer les besoins enressources financières pour le développement de certains pays. Desmodèles méthodologiques ont été développés et vendus auxtechniciens et autres imam et muezzin du SMD. La folie del'engouement théorique des années cinquante et soixante avait faitdes émules, mais tout le monde a fini par comprendre le ridicule dece genre d'exercices.

La question théorique de départ: "quelle aide pour queldéveloppement?" n'étant pas posée, - et c'est à dessein qu'on neveut pas la poser -, la conceptualisation de l'aide comme catégorieimportante dans le processus de développement de l'Afrique,appuyé par la charité occidentale ne peut se comprendre que dansla perspective marchande et maraboutique du développement. C'estce qui explique que l'Occident la prêche à travers les politiques,programmes et projets, qu'il la finance et la soutiennepolitiquement ou militairement au besoin.

Mais une donnée est clairement avouée aujourd'hui, lesobjectifs de l'aide consistent à répondre aux intérêts vitaux dudpnneur et du receveur. Avant d'examiner ce double intérêt et lamesure dans laquelle il a été servi de part et d'autre par l'aide àl'Afrique au cours de ces quarante dernières années, il est utiled'analyser les formes d'intervention, les instruments et lesmécanismes fonctionnels de l'aide en Afrique. Cela contribuera àmieux cerner les voies opérationnelles et donc à apprécier l'impactet l'efficacité de l'aide.

2. Champs d'application, formes et acteurs du système del'aide

Même si la philosophie de base n'a pas fondamentalementchangé, l'aide et les politiques d'aide se sont adaptées à l'évolutionpolitique, sociale et économique aussi bien dans les pays donateursque dans les pays africains. Par ailleurs elles ont intégré dans leurspréoccupations les dynamiques de l'évolution politique etéconomique dans le monde comme la fin de la guerre froide et leprocessus de mondialisation. De même avec le questionnementcontinuel sur l'efficacité et les approches, les leçons tirées dedifférentes expériences et périodes ont contribué à nourrir lestentatives de réformes et d'adaptation ou de réponses nouvelles auxproblèmes de l'aide et/ou de développement.

Il en est résulté un processus de complexification de l'aide,élargissant la gamme des domaines d'mtervention, l'éventaild'instruments et d'acteurs, ainsi que les formes d'intervention elles-

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mêmes. Et comme on le verra plus loin, les stratégies d'inter-vention et les mécanismes opérationnels se sont aussi situés danscette dynamique.

L'aide dont il est question couvre généralement les catégoriessuivantes: l'aide publique au développement (APD), l'aidehumanitaire et les secours d'urgence, et l'aide des organisations nongouvernementales, qu'elle soit de la première catégorie - aide audéveloppement - ou de la deuxième - aide humanitaire.

Formes et champs d'applicationLes Rapports sur la Coopération au Développement produits

régulièrement par le PNUD dans le cadre de la mission qui lui a étéconfiée, recensent et analysent les tendances de l'aide et l'évolutiondes déboursements annuels. On y distingue actuellement quatreprincipaux types d'aide qui sont autant de domaines et formesd'intervention. Ce sont:- la coopération technique: celle-ci peut être autonome ou liée àdes projets d'investissements. Dans le premier cas, il s'agit de lafourniture de ressources ou de services visant à assurer le transfertde compétences et de connaissances techniques et administratives,ou de technologie afin de renforcer la capacité nationale àentreprendre des activités de développement, sans que ces ressour-ces soient liées à l'exécution de projets d'investissements. Ellecomprend aussi les activités de pré-investissement telles que lesétudes de faisabilité, lorsque l'investissement n'a pas encore étéapprouvé, ni le financement obtenu. Dans le second cas, il s'agit dela fourniture de ressources et de services visant directement àrenforcer la capacité d'exécution de projets d'investissement précis.Elle comprend bien sûr les études de faisabilité qui y sont liées.- les projets d'investissements: il s'agit du financement en espècesou même en nature de projets d'équipement précis, comme parexemple des infrastructures ou la création de capital productifsusceptible de produire de nouveaux biens et services. Les projetsd'investissement peuvent avoir une composante coopération ouassistance technique selon l'appellation du CAD.- l'aide hors projet: comme son nom l'indique, cette forme d'aidene s'inscrit pas dans le cadre de projets précis d'investissement oude coopération technique. Elle correspond plutôt à des objectifsplus larges d'appui à certaines politiques de développement ou degestion de situations particulières. Elle comprend notamment lesoutien à la balance des paiements, l'aide budgétaire, l'appui auxpolitiques macro-économiques ou sectorielles de réforme, lesprogrammes d'assistance marchandise, d'apports de produits et dedons ou de prêts financiers permettant de payer ces produits, etenfin des ressources provenant des programmes spécifiques

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d'annulation de la dette.L'aide humanitaire et les secours d'urgence: il s'agit de la

fourniture de ressources visant à alléger rapidement des situationsde détresse et à améliorer le bien-être des populations touchées pardes catastrophes naturelles ou sociales. C'est une forme d'aide quin'est pas liée aux efforts de développement du pays et ne vise pas àaccroître les moyens d'action de ce dernier. Elle couvre les aspectsliés à l'alimentation, la santé, l'habillement, l'habitat, etc.

En plus de ces quatre principales catégories ou types d'aide, ondistingue aussi:-l'aide alimentaire comme forme spécifique qui consiste à fournirles vivres à des fins de développement, y compris les dons et prêtspour l'achat de vivres. Les dépenses connexes à la fourniture de cesvivres (transport, stockage, distribution,...) ainsi que la fournituredes articles apparentés (aliments pour bétail, intrants agricoles pourcultures vivrières,...) sont natureJlement incluses dans cette formed'aide. Bien que pouvant être intégrée dans l'aide hors projet, l'aidealimentaire ne l'est pas nécessairement. Ceci tient à la fois à laspécificité de cette forme d'aide, mais aussi au fait historique deson existence antérieure à l'apparition bien récente de l'aide horsprojet.- l'aide militaire qui n'est généralement pas classée dans ces quatreprincipales catégories. De par sa nature et les sensibilités politiquesou stratégiques qui y sont liées, cette aide n'est pas recensée au titrede ces quatre formes principales. Par ailleurs, il s'agit d'une aidequi emprunte des voies relativement obscures qui ne relèvent pasdes services de coopération de part et d'autre, ni encore moins desservices de planification du développement. Elle est donc souventmal connue en termes d'informations techniques ou financières.

En tant que politique et pratique sociales, l'aide a son histoire etse situe dans l'histoire des sociétés et des acteurs qu'elle impliquedans sa dynamique, ou dans sa réponse à la dynamique dominante.De ce point de vue, il est utile de noter que l'aide est le processusqui met en jeu des intérêts et des stratégies qui ne sont pasnécessairement cohérents, que ceux-ci soient avouées ou non. Parailleurs, et de ce fait, les données et les informations sur l'aide nesont pas toujours conformes dans leur contenu et leurcatégorisation, aux définitions retenues.

Comme le dit le Président du CAD, pendant longtemps et enparticulier au cours des deux premières décennies de développe-ment de l'Afrique, les organismes de coopération au développe-ment des pays donateurs "ont toujours considéré que leur rôleconsistait à contribuer à l'acquisition, par les pays en développe-ment, d'infrastructures ou d'équipements. Ils se cantonnent pourl'essentiel à des tâches administratives: envoi de spécialistes

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chargés d'identifier et de concevoir les projets, traitement desdocuments relatifs aux projets, supervision de la procédure depassation des marchés et de l'avancement des travaux. Dans lesannées 1980, avec la prise de conscience de l'importanceprépondérante de l'environnement général et institutionnel, leurchamp d'action s'est élargi. Maintenant, les donneurs interviennentde plus en plus dans des domaines 'sensibles' touchant aux valeurspolitiques, culturelles, historiques et traditionnelles des sociétés, desorte qu'il leur est d'autant plus nécessaire d'appréhender lecontexte local. Cependant, de nombreux organismes d'aide necomptent encore parmi leur personnel qu'un nombre limité d'agentscapables de traiter des questions institutionnelles ou de conduiredes analyses des intérêts en jeu en intégrant la problématiquehomme-femme.

La coopération pour le développement a manifestement un rôleessentiel à jouer face aux problèmes nouveaux et délicats soulevéspar la prévention des conflits et par la remise en état et lareconstruction à l'issue d'un conflit, à côté des autres instrumentsd'action des pouvoirs publics, qu'ils soient politiques, militaires ouéconomiques" (J.H. Michel, 1997).

Il n'y a donc plus aujourd'hui, un domaine de développement oude vie sociale des pays africains où l'aide n'est pas entrée ou dumoins ne se considère pas comme concernée. L'intervention desprogrammes d'aide a été et sera bien sûr inégale compte tenu desintérêts en jeu, des domaines ou secteurs considérés, de la périodehistorique, ainsi que de la zone géographique et des acteurs enprésence.

Mais, on peut schématiser l'évolution de l'aide dans sonapproche et dans l'élargissement de son champ thématique d'action,en quelque quatre périodes correspondant plus ou moins aux quatredécennies de développement de l'Afrique.

La première période est celle des années 1960. Les nouveauxpays indépendants d'Afrique ne sont plus officiellement dans lesempires protégés économiquement par leurs métropoles et doiventaffronter le marché mondial avec les risques baissiers des cours deleurs exportations. De ce fait, ils ont besoin de l'aide financièrenotamment. Ensuite le contexte de la guerre froide appelle uneconcurrence dans les stratégies et alliances pour maintenir les paysafricains dans le camp d'obédience occidentale en général, et decertains grands acteurs de ce camp en particulier.

L'aide consiste donc à donner de l'assistance financière aux payspour soulager leurs difficultés en période de baisse des cours. C'estle sens profond des différents Traités de Yaoundé qui ont étéélargis plus tard en Conventions de Lomé avec les pays dits ACP.Mais c'est aussi le sens des différents programmes d'aide

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alimentaire qui ont été mis en œuvre au cours de cette périodenotamment par les Américains, mais qui répondent aussi auxpréoccupations de la guerre froide.

De ce point de vue, l'aide s'est orientée surtout vers lefinancement de projets dits de développement, souvent de grandedimension et sans articulation entre eux. C'était la période del'idéologie développementaliste de rattrapage, et donc de grandcommerce des apparences du développement. Les donneurs et leSMD dans son ensemble ne veulent pas entendre parler d'unevision globale de développement, ni encore moins de planificationde développement dans laquelle les projets peuvent être identifiés,définis et mis en œuvre de manière cohérente.

Les projets sont vendus en eux-mêmes comme marchandises.Les techniques pour les vendr~ sont multiples, allant de la liaisonde l'aide à des chantages ou autres pressions sur les pays africains.Nombre de pays n'avaient ni la solidité politique, ni les moyenséconomiques et institutionnels pour affirmer la souveraineté de leurposition et la primauté de celle-ci sur la définition et la mise enœuvre de l'aide.

La deuxième période est celle de la deuxième décennie dedéveloppement au cours des années 1970. La guerre froide pèsetoujours de son poids sur les politiques d'aide: les appartenancesidéologiques et les positions géopolitiques des pays tout commel'intérêt économique qu'ils présentent sont des éléments clés dans lamise en œuvre de ces politiques. Les sur-liquidités provenantnotamment du boom pétrolier ajoutent une autre donne à lasituation. On continue donc les approches de la première décenniemais avec un accent encore plus grand sur la vente des apparencesdu développement en termes de projets, mais aussi une certainepriorité à la vente des biens et services, à la conquête des marchéset enfin au placement des capitaux. Le gros de la dette africainedate de cette période.

Mais la philosophie de développement par projets continue etne s'essoufflera que vers la fin de la période, notamment à cause dela crise des économies africaines et de celle de l'endettement, dedésillusions sur les miracles et autres décollages qui étaient chantésou présentés ça et là, et donc finalement de la crise du commercedes apparences du développement. La crise des économiesafricaines au cours de cette décennie, amène à une certainesensibilité aux problèmes de développement rural intégré et dedéveloppement à la base, par le biais de petits projets.

La troisième période est celle des années 1980. La crise de lavente des projets et celle de l'endettement commencent à produireleurs effets. Les donneurs se rendent comptent que, d'une partl'aide ne peut porter ses fruits que dans la mesure où les politiques

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nationales dans les différents pays africains créent unenvironnement permissif à la propulsion de l'économie du marchéaussi bien au plan macro-économique que sectoriel. De l'autre, lavente des projets elle-même essoufflée ne peut être relancée que sices projets se situent dans un cadre large, cohérent et coordonné.

L'aide devient donc essentiellement de l'aide hors projet. Elles'intéresse en particulier aux politiques de réformes économiquesdans le sens de la libéralisation économique, de la limitation durôle de l'État, et surtout de l'engagement d'un processus plus fermed'intégration à l'économie mondiale. En outre la question de ladette apparaît sérieusement au centre des préoccupations. Et l'aideaux réformes économiques est destinée notamment au paiement dela dette des pays africains. C'est au cours de cette phase que lespréoccupations sur la coordination de l'aide se font jour et lesdonneurs mettent en place différents mécanismes de coordinationdont principalement le mécanisme de Groupe Consultatif dirigé parla Banque mondiale, et celui de Processus de Table Ronde animépar le PNUD. Plus tard l'aide hors projet en appui aux politiques deréformes devenant de plus en plus importante, des mécanismessupplémentaires comme le Programme Spécial pour l'Afrique(SPA en anglais) sont également mis en place. On notera que, tousces nouveaux mécanismes non seulement cherchent à résoudre leproblème de la nécessité de la coordination face à la compétitionentre donneurs dans la phase de la vente des projets et autresapparences de développement, mais en plus, ils ne se réfèrent plusaux ensembles politico-économiques qui ont succédé aux empirescoloniaux. Ils se veulent d'un autre cadre institutionnel ouvert à lacompétition de tous les donneurs.

Si jusque-là le SMD n'avait pas encore pris forme de manièreorganisée et s'il opérait de manière plus ou moins dispersée par lebiais de ses différents acteurs soudés principalement par lesproblèmes idéologiques de la période de la guerre froide, ladécennie 1980 a été celle de la coordination, dans ce sens que leSMD se consolidait comme système et organisait l'aide commeinstrument principal de mise au pas et d'attelage de l'Afrique. Enmême temps, l'aide organisée dans la nouvelle dynamique decoordination, permettait au système de gérer le remboursement dela dette due à certains de ses membres, sinon à l'ensemble du SMD.La coordination de l'aide permettait et permet ainsi d'imposer unevue commune sur les politiques de développement et la voie dudéveloppement du continent. Le contrôle de la dynamiqueéconomique nationale est plus facile au niveau des politiques qu'auniveau des projets. L'Afrique n'avait plus des interlocuteurs oupartenaires différenciés en face pour négocier l'aide qu'ils voulaientbien lui accorder, mais un bloc d'interlocuteurs organisés pour la

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mise au pas du continent ou des pays individuels.Comme à l'époque des miracles et décollages économiques

réussis ici et là dans la vente des projets dits de développement, lapropagande du SMD n'a pas manqué de louer les bons disciplesafricains qui ont réussi leurs réformes économiques et réalisé desperformance de croissance modèle, forçant parfois sur la réalitésociale et économique du pays et même sur les chiffres. Lesplaidoyers sont allés jusqu'à prôner une nouvelle démarche, cellede concentrer l'aide sur les bons élèves des réformes, c'est-à-dire enfait ceux qui entrent hardiment dans le processus d'intégration àl'économie mondiale, sans remords pour ce qui concerne la pauvre-té grandissante de leurs populations. On cite les cas de l'Ougandaet du Ghana comme exemples dans ce domaine.

Malgré ce cadre de coordination et d'impulsion des politiquesde développement par le biais de l'instrument stratégique de l'aide,la préoccupation des donneurs au cours de cette décennie estmarquée par les équilibres financiers et les vues de court terme audétriment d'un véritable processus de croissance économiquesoutenue. La primauté accordée aux équilibres financiers est àconsidérer aussi dans le contexte mondial de l'autonomisationcroissante du système financier par rapport au système productif etdes mouvements spéculatifs sur les marchés financiers.

La quatrième période est celle de la décennie 1990. Elle estmarquée par un autre élargissement du champ d'application del'aide au développement: le champ politique. Le contexteinternational est celui de la fin de la guerre froide et les préoccupa-tions d'appartenance idéologique ne pèsent plus comme facteursdéterminants dans l'attribution de l'aide. Le bloc de l'Est a imploséet le SMD n'a plus de concurrent poIitico-idéologique. Unestratégie spéciale de mise au pas et d'attelage de l'ancien bloc del'Est et de ses anciens membres est en cours, et cela devientprioritaire dans les politiques d'aide du SMD, à la fois pour lepotentiel immense de marché que l'ancien bloc de l'Est présente, etpour éviter de donner une quelconque chance à sa ré-émergence.L'Afrique pèse donc peu de choses dans la nouvelle donnemondiale et sa mise au pas demande à être surveillée de l'intérieurpar des systèmes politiques qui correspondent à la dynamique de lamondialisation: le système de gestion des affaires publiques de ladémocratie occidentale.

Au cours des trois premières décennies de développement, lesdonneurs d'aide ont fermé les yeux sur les régimes politiques quiont dirigé l'Afrique jusque-là. Au besoin ils ont soutenu mêmepubliquement les régimes les plus corrompus et les plustortionnaires, de parti unique ou d'homme fort unique, pourvuqu'ils maintiennent le pays dans la mouvance idéologique

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occidentale, ou le tiennent de main de maître pour l'administrationde différentes cures "de développement," exactement comme ontient un enfant pour que le médecin lui fasse boire la décoctionamère qu'il a préparée pour lui.

Par ailleurs, l'appauvrissement croissant des pays et despopulations africaines est une autre situation qu'il faut gérer dans lecontexte de l'intégration au marché mondial. Cela demande unegestion de proximité par des régimes politiques crédibles aux yeuxde leurs populations et donc à mesure de les convaincre du bienfondé des politiques nationales, comme processus d'insertion dansla mondialtsation prônée comme bénéfique pour tous. Les réformespolitiques sont ainsi devenues un nouveau champ d'application del'aide.

Comme on peut encore une fois s'en rendre compte, l'aide et lespolitiques d'aide se sont développées comme un monstre - et enfait elles le sont -, étendant leurs tentacules partout dans lesdifférentes sphères de la vie nationale en Afrique, dictant leur loi etse pérennisant comme dispositif de mise au pas du continent par leSMD. Elles contrôlent à des degrés divers aussi bien les niveauxmeta, macro, meso que micro, c'est-à-dire celui des projets et de lavie dans les communautés de base.

Elles sont devenues un critère stratégique de définition despolitiques nationales, de même qu'un critère de légitimation despouvoirs comme on le verra au chapitre sur la gouvemance CÎ-après. Une pratique d'autocensure des dirigeants pour rester dansles bonnes grâces des donneurs d'aide et bénéficier de leurmagnanimité s'est institutionnalisée. C'est sans doute un desrésultats voulus par le SMD.

Acteurs et activités dans la gestion de l'aideLa gestion de l'aide recouvre différents niveaux d'intervention

politique et opérationnelle. Le niveau politique est celui de ladécision de la politique d'aide du donneur ou du groupe dedonneurs. Il comprend la définition des orientations de l'aide, desparamètres et critères de base, des stratégies de mise en œuvre etdes priorités stratégiques et opérationnelles des politiques etprogrammes d'aide. Le niveau opérationnel comprend les activitésliées à la traduction des politiques d'aide en programmes d'action etprojets concrets. Cette traduction couvre les différentes étapes de lavie des programmes et projets, qui vont de l'identification et laformulation à la mise en œuvre et au suivi-évaluation. Chacun deces niveaux et phases implique une machine administrative degestion, y compris l'administration des interfaces de coordination.Cela se traduit par une multitude de niveaux et de catégoriesd'acteurs.

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Au niveau mondial, l'aide au développement est donc unemachine complexe au service du SMD, mettant en œuvreénormément d'activités dans tous les domaines ci-dessus décrits etsurtout des acteurs institutionnels et individuels dign~s d'unegigantesque armée mondiale, l'armée du développement. A l'imagedu SMD lui-même, l'ensemble de cette gigantesque machinecomprend non pas seulement les institutions nées des pratiqueshistoriques récentes de l'aide depuis que les décennies dedéveloppement de l'Afrique sont proclamées, mais aussi desinstitutions qui ont préexisté à ces pratiques. C'est ainsi que lamachine comprend au centre les institutions de Bretton Woods, lesservices appropriés d'autres organismes multilatéraux commel'Union européenne (DE) avec le dispositif des conventions deLomé, ou l'OCDE avec le Comité d'Aide au Développement(CAD), mais aussi les différents ministères, départements etagences de coopération des pays donneurs de l'aide, nombred'agences du système des Nations Unies, les autres services ayantcette dimension dans leurs attributions, même sans que cela relèveofficiellement des services de coopération - cas de l'aide militaire,des services particuliers des affaires étrangères, etc. -, desorganismes privés comme les entreprises transnationales ounationales, des petites entreprises particulièrement dans le domainedes études et de la vente de l'expertise diverse, des organisationsnon gouvernementales et enfin des individus jouant plus ou moinsle rôle d'éclaireurs, facilitateurs ou électrons mobiles.

En les regroupant, on peut distinguer schématiquement lesacteurs suivants:- Les institutions publiques et para-publiques: elles comprennentles institutions multilatérales et bilatérales d'aide spécialementcréées à cet effet, avec leurs différents mécanismes opérationnels etstructures ad hoc ou consultatives. Leurs structures comprennentaussi bien la prise en charge des questions verticales qu'horizon-tales du développement, et leur organisation interne intègre lespréoccupations thématiques et géographiques de leurs champsd'intervention. Il faut noter que la dimension institutionnelle de lamise en œuvre des politiques d'aide est par elle-même un élémentde l'institutionnalisation de l'aide, comme système qui vit et sereproduit en déconnexion de l'économie ou de la question dudéveloppement en général.- Les entreprises privées, qu'elles soient nationales outransnationales: de nos jours nombre d'entreprises privées quiveulent faire ou font des affaires en Afrique font partie du jeu del'aide. Elles le font indirectement par le truchement de leursliaisons souvent officielles avec les institutions de l'aide, dansl'ouverture des marchés ou la consolidation de ces derniers, et qui

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leur sont facilitées par les institutions publiques d'aide au nom desstratégies et politiques nationales d'aide ou du SMD. Elles le fontaussi de manière directe dans certains cas où elles allient le côtémissionnaire et bienfaiteur du développement par quelques gestesappropriés, aux bonnes affaires et à l'extorsion de surplus qu'ellesréalisent dans les pays africains de leur implantation.- Les cabinets d'études et/ou de fourniture de services techniques:véritables mercenaires dans le commerce du développement, ilssont de tous les niveaux et de toutes les étapes du système d'aide,qu'il soit mondial ou national. Ils tournent autour de toutes lesinstitutions qui financent l'aide à l'Afrique et se targuent dedisposer des meilleurs connaisseurs du continent. Leur rôleconsiste à la fois à faire connaître les marchés existants oupotentiels, les voies possibles de leur conquête, de leurconsolidation, et donc de l'insertion des pays africains dans lemarché mondial. En chiens de garde du système, ils flairent partoutoù il y a des programmes d'aide financière pour offrir leurs serviceset faire partie du festin. Pour les plus importants d'entre eux, ils ontréussi à créer des connections qui leur assurent des marchés, nonpas seulement dans les pays et institutions qui donnent l'aide, maisaussi dans les pays africains bénéficiaires de l'aide.- Les organisations non gouvernementales: elles se multiplientcontinuellement à travers le monde, dans les différents pays etautour de différentes institutions d'aide. Même les pays africainsn'ont pas échappé à ce phénomène étant donné l'auréolehumanitariste et missionnaire des ONG comme couverture pourfaire de bonnes affaires et devenir courroie de transmission desdéboursements d'aide. Leurs campagnes médiatiques et leurpouvoir de lobbying sont tellement forts qu'elles commencent àdrainer une partie encore faible certes, mais croissante de l'aidebilatérale ou des institutions intergouvernementales. L'argent,public et privé, dépensé par les organisations non gouvernemen-tales représente aujourd'hui près de 13% de l'ensemble de l'aide audéveloppement. Et ce taux ne fait que croître. Plus de 2,5 milliardsde dollars fournis par l'OCDE passent maintenant par les ONG,certains donateurs dépensant de cette façon plus d'un quart de leuraide. Les ONG possèdent aujourd'hui, dans les pays endéveloppement, des milliers d'opérateurs.

Les experts et autres vendeurs individuels de services dedéveloppement: ils se présentent généralement comme conseillersou agents techniques. C'est une catégorie non négligeable d'acteurset de bénéficiaires du système d'aide. Ils vivent et se nourrissent dusystème et en sont les propagandistes. Comme les cabinets d'étudeset de services techniques, ils interviennent aussi bien dans laformulation des politiques, stratégies et programmes nationaux de

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développement (pour s'assurer sans doute de leur conformité à ladynamique voulue par le SMD), que dans le cycle de la vie desprojets: identification, formulation, mise en œuvre et suivi-évaluation, tant pour le compte du pays africain receveur d'aide quesurtout pour le compte des donneurs.

En dehors de ces acteurs directs et indirects, il existe aussi lesagents et autres bénéficiaires occidentaux dans la mise en œuvre del'aide. En effet, dès que l'aide au développement ou à lareconstruction d'un pays catastrophé est annoncée, et surtout si elleest en augmentation dans un pays donné, le nombre d'acteurs etd'agents du SMD dans la gestion et la mise en œuvre de l'aideaugmente aussi rapidement: administrations et structures degestion, offreurs de services de toutes sortes, chercheurs demarchés des biens et des services, etc., constituant ainsi des canauxpar lesquels le SMD siphonne l'aide dite au développement oumême humanitaire qu'il a bien voulu donner à l'Afrique.

Malgré la mise au pas et la prise en mains de la quasi totalitédes régimes pplitiques africains par le SMD depuis plusieursdécennies, les Etats africains sont toujours "tenus directement pourles seuls responsables du 'désastre' actuel. Sur le terrain, et au-delàdes discours, ils sont considérés comme incapables de gérercorrectement les volumes d'aide accordés aux pays, tant au plantechnique que du point de vue moral (corruption, détournement defonds...). Le mode de fonctionnement de l'aide, avec le poids sanscesse croissant des 'experts' dans le choix des actions à promou-voir, dans la fixation des crédits à y allouer, dans la défmition et lanormalisation des modalités de mise en place et de gestion desprojets, dans leur conditionnalité, en témoignent largement, quandbien même cela prend une forme de 'rationalisation' dans la gestiondes ressources disponibles (oo.)" (N. Bourenane, 1992). Même sidepuis un certain temps l'appropriation de la gestion de l'aide parles nationaux est à l'ordre du jour, il faut reconnaître que lesprogrès sont lents et sélectifs et la citation précédente garde encorede sa valeur. La dernière revue de l'aide au Mali l'a encore prouvé(PNUD et Gouvernement du Mali, 1997).

3. Stratégies, instruments et mécanismes opérationnels

Si le cadre théorique a évolué, il en a été de même de la mise enœuvre des politiques d'aide ou de coopération au développement.Ces dernières ont adapté continuellement stratégies et instrumentsavec les impératifs historiques ou géopolitiques, ainsi qu'avec lesintérêts politiques des donneurs d'aide.

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Approches conceptuellesComme indiqué dans la première section de ce chapitre,

l'approche conceptuelle de la stratégie des politiques de coopé-ration a évolué au cours des quarante dernières années. Durant lapériode de guerre froide, la stratégie des politiques d'aide augéveloppement consistait en réalité à acheter sinon corrompre lesEtats africains pour qu'ils rejoignent et restent fermement dans legiron occidental. Elle se préoccupait peu ou pas du développement,même si le terme était sur toutes les bouches et dans tous lesdiscours. La corruption des gouvernements pour qu'ils restent danscette mouvance allait ensemble avec tout ce qui pouvait avoirl'éclat et l'attirance du développement comme signes extérieurs dudéveloppement en Occident. Ce qui était par ailleurs nourri etsoutenu par l'idéologie développementaliste de rattrapage. D'où lapériode du commerce des apparences du développement qui avaitaussi une connotation de corruption politico-idéologique.

La stratégie de cette période fermait solidement les yeux surd'autres exigences de l'efficacité de l'aide, qu'elles soient politiques,économiques ou institutionnelles. Ces préoccupations n'apparaî-tront dans la stratégie des politiques de coopération que beaucoupplus tard avec l'essoufflement du bloc soviétique et finalement lafin de la guerre froide. La définition des pays de concentration del'aide américaine en Afrique, de même que celle de la France, de laGrande-Bretagne ou de la Belgique pour ne citer que ces quatredonneurs obéissait à cette logique. Les concepts de pays deprogramme ou de champ par exemple relèvent de cette perceptionstratégique de l'aide: les intérêts économiques du donneur certes,mais aussi ses intérêts géopolitiques et idéologiques. Mais celareste valable pour d'autres donneurs occidentaux.

Dans la même veine, l'aide avait l'ambition avouée d'assurer ledéveloppement et donc le bien-être aux pays qui se mettaient dansla voie de développement inspirée et soutenue par l'Occident. Mais,les questionnements sur l'efficacité des politiques de coopération etles échecs ou demi réussites constatés sur l'ensemble du continentont amené les donneurs d'aide à revoir leur stratégie. C'est ainsique la redéfinition du cadre conceptuel de la coopération est alléede pair avec celle des objectifs de l'aide. Les objectifs de l'aide ontdonc été revus à la baisse, ne cherchant plus à s'attribuer lafonction centrale d'assurer le développement en Afrique, maisgagnant en précision. Le résultat étant à la fois de se dédouaner encas d'échec, et d'impliquer davantage les receveurs d'aide dans laresponsabilité de la crise qui était déjà là au cours de la secondedécennie du développement de l'Afrique.

En fonction de ces objectifs plus précis, des prioritéssectorielles ou trans-sectorielles ont été définies comme axes

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majeurs d'intervention de la coopération au développement: sécu-rité alimentaire, cadre et développement institutionnels, ressourceshumaines, développement social, environnement, secteur privé,etc., avec des accents variables selon la sensibilité de l'époque et dubailleur de fonds.

Mais, la philosophie de base de la coopération avec l'Afrique estrestée la même: aider son insertion économique au marchémondial et son intégration politique dans le giron occidental. C'estpourquoi, la question des exportations reste en permanence àl'ordre du jour de la coopération: diversification, prix et cours desmatières premières, politiques de change, fiscalité douanière, etc.,sont toujours au centre du modèle de développement voulu pourl'Afrique et donc des stratégies d'aide.

Instruments stratégiques

L'aide projet et/ou l'aide programmePendant plus de deux décennies, l'aide au développement a

utilisé principalement l'outil projet comme cadre opérationnel. Lesprojets se sont multipliés et se multiplient encore de nos jours aupoint que nombre de pays africains ont des portefeuilles de projetsde développement, humanitaires ou autres qui s'élèvent parfois àsix cents. De sorte que les administrations africaines sont souventnoyées dans la gestion des projets et la préparation des rapportsréguliers à présenter aux missions d'inspection des donneurs. Ce nesont plus des administrations chargées de gérer ou administrerleurs pays respectifs, mais plutôt des administrations chargées degérer les projets des bailleurs des fonds dans leurs pays. Ce qui,d'une certaine manière se justifie par le fait que souvent ce sont cesprojets qui les entretiennent et les font fonctionner. Mais cesadministrations ont aussi leur mission de base: la gestion politique,économique, sociale et culturelle du pays pour son développement,qui ne peut être réduite à la gestion du portefeuille des projets desdonneurs. Pourtant, cette dernière consomme une grande partie dutemps de ces administrations.

La stratégie de l'approche projet comme instrument de base dela coopération au développement est discutable même sur le planconceptuel et historique. En effet, quel est le statut théorique d'unprojet dans la dynamique du développement? Par définition cen'est ni une entreprise qui a sa dynamique de création de valeurs etde reproduction, ni encore moins un instrument conventionnelpermanent dans le fonctionnement de l'administration ou d'unecommunauté donnée. De ce fait il reste un instrument de courtterme dont les limites dans l'efficacité de l'aide font souvent qu'ilest appelé à se répéter par des reconductions en plusieurs phases

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opérationnelles plus ou moins redéfinies, ou sinon à être arrêté sanslendemain durable par fatigue du donneur.

Par ailleurs il n'existe pas d'expérience historique, ni enOccident ni ailleurs, de développement d'un pays réalisé par lebiais d'une litanie de projets, même s'il y en avait autant que lapopulation du pays. De par sa propre notion, un projet est laprojection de l'idée de ce que le bailleur de fonds veut faire pour letemps qu'il veut bien le faire. Alors que le seul projet valabledevrait être le projet de développement de la communauté ou dupays concerné, et pour la mise en œuvre duquel les activitésprévues pour être réalisées par les différents acteurs nationauxdevraient bénéficier de l'appui extérieur. Ce qui est une perceptionet une approche opérationnelle différentes de la situation actuelledes projets en Afiique.

Les principales critiques des faiblesses de l'approche projetrelèvent notamment:- la multiplicité des activités dispersées sans coordination niintégration dans une vision cohérente du développement global ousectoriel;- le fait qu'ils sont le plus souvent définis par l'offre et non par lademande, ce qui se traduit finalement par la faiblesse de l'engage-ment de la partie nationale dans la vie du cycle du projet;- ils ne sont pas souvent en conformité effective avec les prioritésnationales du développement s'ils n'opèrent pas à contre-courant;- le long processus de leur cycle couvrant l'identification, laformulation, l'approbation par le donneur et par le receveur, lefinancement, la mise en œuvre et plus tard le suivi-évaluation quiprennent du temps et ralentissent de ce fait le rythme de débour-sement des fonds, aggravé notamment par les différentes condi-tionnalités comme on va le voir;- ils exigent souvent la contrepartie financière nationale qui n'estpas nécessairement prévue dans les, budgets nationaux ou qui entous cas est difficile à dégager par l'Etat africain ou la communautéafricaine concernée.

Ces critiques associées aux réalités sur le terrain, ont amené lesdonneurs à revoir les instruments stratégiques de mise en œuvre del'aide au développement. On est donc passé de l'approche projet àl'aide hors projet qui comprend en particulier l'aide programme oud'appui à certaines politiques, comme celle des réformeséconomiques.

Cette nouvelle approche stratégique dans les politiques de l'aidevise non pas à abandonner l'aide projet, mais plutôt à la continuer,mais dans une vision sectorielle, trans-sectorielle ou macro-économique plus large et sans doute voulue plus cohérente. Onespère accroître l'efficacité, l'efficience et la coordination des

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activités des projets en les situant dans un cadre d'ensemble appuyépar les donneurs. On espère surtout pouvoir mieux influencer lespolitiques dans le sens voulu par les donneurs, qui est celui de lalogique du SMD en Afrique.

Il est évident que l'effort de situer les activités microéconomi-ques ou microsoclales dans une vision sectorielle ou globale pluslarge est une bonne intention et une approche porteuse qu'il fautappuyer. Cependant, dans le cas de l'aide hors projet telle quepratiquée actuellement, l'approche amène avec elle un certainnombre de faiblesses qui ne sont pas de nature à faciliter la tâchede développement aux pays africains aidés, ni à impulser unevéritable dynamique autonome de développement sur le continent.

D'abord, il n'existe pas de politique ni programme sans projetsconcrets de mise en œuvre, sinon ce seraient des coquilles vides.Dès lors les projets dits de développement continuent et nes'arrêtent pas, et cela avec nombre de leurs faiblesses relevées ci-dessus. De plus l'aide programme ou d'appui aux politiques ajouteun autre niveau de gestion qui alourdit la machine del'administration de l'aide en demandant encore plus d'efforts sinonde ressources humaines et institutionnelles.

Ensuite, compte tenu de la portée stratégique de l'aide d'appuiaux politiques et programmes, les donneurs la pilotent et la gèrentpar eux-mêmes, et sont peu enclins à son appropriation par lesnationaux. Les prétextes sur la faible capacité des nationaux et deleurs institutions, et sur la corruption qui les caractérisent nemanquent pas pour justifier cette attitude, d'autant plus qu'elleouvre d'autres chantiers pour l'aide: il faut aider l'Afrique àrenforcer ses capacités, et lui apprendre les règles de bonne gestionresponsable et transparente qu'elle ne semble pas connaître.

Troisièmement, une politique ou un bon programme ne font pasnécessairement en eux-mêmes de bons projets, et inversement, lesbons projets ne font pas nécessairement de bons programmes ni debonnes politiques; on a besoin des uns et des autres, de leurappropriation par les nationaux et de leur intégration dans le projetde développement autonome du pays africain concerné.

Quatrièmement, l'expérience a montré que l'aide d'appui auxpolitiques et programmes de développement était et est en réalitéde l'aide aux politiques de réformes et autres politiques liées, tellesque conçues et inspirées par le SMD avec ses acteurs principaux,telles les institutions de Bretton Woods. Et comme on le sait, il nes'agit pas des politiques de développement, mais principalementdes politiques de mise au pas et d'attelage de l'Afrique dans sonintégration au processus de mondialisation. C'est révélateurd'ailleurs que, dans le langage de nombre d'acteurs importants duSMD, la référence au développement disparaisse de plus en plus

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aujourd'hui avec la mise en exergue du commerce plutôt que del'aide au développement.

Enfin, l'approche de l'aide programme ou aux politiques, semblegarantir au donneur et au SMD, le contrôle des voies et stratégiesde développement de l'Afrique, pour s'assurer de son cheminementdans le sens voulu de l'insertion dans le processus de mondialisa-tion. Les stratégies de développement des pauvres pays africainssont définies non pas de manière autonome, mais avec les paysriches qui tiennent à s'assurer qu'elles répondent bien à leurspropres stratégies. Par le biais de ce qu'on appelle le dialogue despolItiques, les pays riches et le SMD s'arrogent ce droit de définirles politiques et programmes de développement en Afrique, pour labonne et simple raison qu'ils en sont partiellement les financiers, etque l'Afrique est demandeur de leur aide!

L'aide liée et l'aide conditionnéeDès le début de la première décennie du développement, les

donneurs d'aide avaient tendance à lier l'octroi de leur aide àl'acceptation par le pays africain receveur de certaines réciprocités.Pour bénéficier de l'aide, il était souvent demandé aux paysafricains d'accorder certains avantages commerciaux au paysoffreur de l'aide: garantie de vendre au donneur les matièrespremières ou une certaine quantité de matières premières exportéespar le pays receveur de l'aide, acceptation de passer les marchésouverts par la mise en œuvre de l'aide aux entreprises du paysdonneur, acceptation par le pays receveur de recevoir les experts etautres assistants techniques fournis par le donneur, et ou de leurfournir certains services à charger au budget de l'Etat (logement,transport, partie locale de salaire...), engagement de donner certainsmarchés même non financés sur le budget de l'aide aux entreprisesdu pays donneur, engagement d'accepter certains matériels dansl'enseignement, la santé, le transport, etc.

Pendant longtemps on a parlé de l'aide liée comme d'unmécanisme fonctionnel inévitable et l'Afrique n'avait pratiquementpas de choix sinon l'accepter. La remise en cause de l'efficacité del'aide en Afrique a amené aussi celle de certains de ses instrumentsstratégiques. Il en est découlé une critique de l'aide liée commemécanisme opérationnel nocif pour l'efficacité de l'aide, commepour ses objectifs déclarés: le développement de l'Afrique. La faceréelle de l'aide comme instrument de la stratégie économique dudonneur dans l'ouverture des marchés à ses entreprises était tropmise en avant. Sans qu'elle disparaisse totalement, l'aide liée n'estplus aussi mise à l'avant-plan. Les engagements liés à l'aide ne sontd'ailleurs jamais mis par écrit, et ne font pas souvent partieofficielle des accords signés, bien que cela soit arrivé parfois. Lesclauses de liaison de l'aide sont formulées et gérées dans d'autres

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couloirs que ceux qui annoncent l'entrée du bienfaiteur ou sonouverture d'une activité donnée. Seul le côté humanitaire, amical etmême missionnaire est loué avec fanfares lors de la signature desaccords d'aide.

Stratégiquement, les bailleurs ont remplacé le terme de l'aideliée par celui de conditionnalité. En réalité la conditionnalité n'estrien d'autre qu'un autre instrument de liaison de l'aide. Le mêmephénomène s'appelle aide liée lorsqu'il s'agit des projets, mais ils'appelle conditionnalité lorsqu'il s'agit de l'aide aux politiques etprogrammes. La conditionnalité de l'aide date en fait du début despolitiques d'aide à l'Afrique et elle est passée par trois périodeshistoriques.

La première période est celle de la guerre froide et ducommerce pur de l'aide-projets. La conditionnalité consistait à êtreet rester dans le camp idéologique de l'Occident. C'est dire que laconditionnalité politique était et est toujours restée active dès lapremière décennie du développement du continent, bien qu'elle aitmis un accent particulier sur la dimension idéologique ou politique.Des pays africains étaient sollicités pour jouer au gendarme sous-régional de l'Occident ou à la vitrine des apparences du dévelop-pement tel que prêché par l'Occident et son système de valeurs.

La deuxième période est celle de l'aide aux politiques etprogrammes, où la conditionnalité est posée en termes d'adoptiondes politiques de réformes, prônées par les mw et les autresacteurs importants du SMD. L'aide n'est accordée que si le paysafricain accepte de mener les politiques économiques telles quedéfinies par le SMD. La conditionnalité porte non seulement sur lamise en œuvre de ces politiques globales, mais aussi sur celle deleurs composantes macro-économiques ou sectorielles, et mêmesur le rythme de mise en œuvre des politiques de réformes. Desmissions d'inspection sont régulièrement envoyées pour faire lepoint, s'assurer des engagements du pays, et faire rapport auxautres acteurs du SMD lors de réunions spécifiques des dispositifsde coordination du système. Au besoin c'est le pays lui-même quifait rapport et montre à quel point il a obéi et mérite amplementl'aide du SMD. Les pays sont alors plus ou moins classés dansl'ordre méritoire de bons élèves, indépendamment de l'impact réel,et des progrès réalisés dans l'amélioration des conditions de vie deleurs populations.

La troisième période est celle de la décennie 1990. En plus de laconditionnalité des réformes économiques, une autre conditionnali-té est venue s'ajouter, celle des réformes politiques dans le sens dela démocratisation des régimes politiques à l'Occidentale, ou debonne gouvemance comme on le verra plus loin. C'est dire quecette catégorie ne nie, ni ne remplace la conditionnalité

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économique, elle la renforce et cherche à lui offrir les conditions desa réussite.

Mais cette conditionnalité va au-delà des réformes politiquesentendues simplement au sens de transition des régimes dirigistesd'hommes forts à parti unique vers les régimes démocratiques. Elleimplique aussi l'engagement de la base sociale dans le sens despolitiques de réformes et des politiques de transition démocratique.En effet, aussi bien les analystes que les décideurs de l'aide ontnoté et montré que les politiques de réformes, même bien élaboréesdans le sens voulu par le SMD, ne garantissaient ni leur mise enœuvre, ni encore moins leur efficacité opérationnelle. L'adhésionde la base et donc de la société civile était importante sinoncruciale dans cette perspective. Il fallait donc sensibiliser lesdifférentes composantes de la société civile dans l'élaboration et lamise en œuvre des politiques soutenues par l'aide pour éviter que lemanque d'adhésion se traduise en remise en cause et des politiqueset de leurs fmanciers. D'où l'exigence d'associer au-delà de l'Etat,nombre d'autres acteurs locaux aux programmes de coopération.Ceci était pratiqué déjà aussi bien par la Banque mondiale dans sanouvelle approche de formulation des cadres d'assistance aux pays,que par l'Union européenne dans la préparation de nouvellesphases de la Convention de Lomé. Mais d'autres acteurs importantssont dans la même dynamique avec parfois des formulesdifférentes (Commission Economique et Sociale, 1997).

Cet aperçu montre combien recevoir l'aide de l'Occident pèsesur le développement et les tâches quotidiennes des act~ursnationaux. Le prix de l'aide est donc lourd à payer pour les Etatscomme pour le pays dans son ensemble. Et si l'Afrique pouvait s'enpasser? Le SMD et ses divers prélats, marabouts et autres imamcontinuent à faire croire que l'Afrique ne peut pas s'en passer et lespays africains eux-mêmes en sont convamcus. Je dois dire que jen'aurai rien à y redire si les conditionnalités avaient montré leurefficacité ne fût-ce que là où elles ont été appliquées à la lettre parles bons élèves. Or précisément les choses ne sont pas aussiévidentes. Les évaluations des politiques de réformes en Afrique,même par les meilleures volontés du monde n'ont pu le prouver.

Il faut donc questionner la conditionnalité. Notons d'abord queles conditionnalités ne sont pas nécessairement cohérentes entreelles. Comme on le verra plus loin, les conditionnalités économi-ques ne vont pas toujours ensemble avec les exigences des condi-tionnalités politiques. Par ailleurs les contradictions peuvent appa-raître entre les conditionnalités macro et sectorielles, reflétant parlà les contradictions entre le Ministère des finances et lesMinistères sectoriels techniques, elles-mêmes se traduisant parfoisen contradictions entre les exigences macro des mw et les

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approches sectorielles des bailleurs de fonds bilatéraux. Même si ledialogue entre ces différentes catégories de donneurs peut aider àrésoudre ou atténuer ces contradictions, il est évident que cela estsource de tiraillements pour le demandeur d'aide et doncd'inefficacité des conditionnalités.

Il faut rappeler à ce niveau que l'aide d'appui aux politiques etprogrammes influence l'orientation des politiques de développe-ment dans le sens des intérêts stratégiques, économiques, politiquesou technologiques des donneurs d'aide, et que cette aide estaccordée comme un paquet, comprenant non pas seulement le donou le prêt, mais aussi la manière de l'utiliser et le type de stratégiesou programmes qu'elle peut appuyer.

Sur cette base, le questionnement de l'efficacité des condition-nalités se pose en termes de leur raison d'être, de leur contenu et deleurs résultats. La raison d'être des conditionnalités selon sesdéfenseurs est, pour les donneurs, de s'assurer que leur argent estutilisé conformément à leur volonté et de la manière qu'ils pensentêtre la mieux indiquée, pour servir les politiques et programmesqu'ils soutiennent. Une telle justification est sans doute pertinente.Mais qui a le droit de dire au pays receveur la voie de développe-ment qu'il doit suivre et la manière à adopter pour y arriver?Quelle que soit la nature du dialogue des politiques noué à cet effetpour les besoins de l'obtention de l'aide, les politiques sontpréparées principalement pour avoir la bénédiction des donneursd'aide et non pour engager les peuples dans une dynamique dedéveloppement à laquelle les donneurs d'aide viennent se rallier.Cela est en soi une cause de l'échec futur quasi inévitable de laconditionnalité et donc de l'aide.

Il se pose ensuite la question du contenu et de la portée desconditionnalités. Il faut distinguer à cet égard deux types deconditionnalités. Il y a d'abord celles qui sont externes, c'est-à-direexogènes, politiques, techniques ou environnementales, qui n'ontrien à voir avec les politiques spécifiques ou les programmesconcernés dans leur définition ou leur mise en œuvre. Il y a aussiles conditionnalités qui sont des conditions internes faisant de cefait partie des politiques ou programmes en tant que mesuresinhérentes d'accompagnement, ou comme repères et étapesnécessaires dans la performance du programme. Il faut éviter deconfondre ces deux catégories de conditionnalités car elles ont uneportée et un impact différents sur l'efficacité de leur mise en œuvreet donc de l'aide. Or malheureusement les donneurs ont tendance àmettre l'accent sur la première catégorie plutôt que sur ladeuxième, montrant par là que leur objectif est avant tout decontrôler et orienter les politiques de développement de l'Afrique.Les conditionnalités apparaissent donc comme un ensemble de

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mesures de mise au pas du continent. Par ailleurs il faut noter quecomme dans le cas de l'aide liée, il y a parfois des conditionnalitésécrites et avouées et d'autres qui ne le sont pas, ce qui ne fait quecompliquer la situation des pays africains receveurs de l'aide etl'efficacité des conditionnalités. Les conditionnalités exogènes sontdonc en réalité des pressions politiques des prêteurs d'argent dansle cadre de leur commerce du développement, mais parfois aussi devrais donneurs qui de toutes façons appartiennent au même SMD.

II y a en troisième lieu la question des résultats des conditionna-lités. Les analyses montrent qu'ils sont faibles et douteux, commel'expérience des conditionnalités en matière de politiques deréformes économiques l'ont montré. De plus les conditionnalitésrenforcent l'absence d'appropriation qui est pourtant un principeimportant pour l'efficacité et l'efficience de l'aide. Enfin lesconditionnalités diminuent ou affaiblissent l'engagement des paysreceveurs d'aide et leur responsabilité dans la mise en œuvre despolitiques et programmes financés par l'aide.

Il reste néanmoins une question que beaucoup se posent:comment faire pour que les conditionnalités deviennent instru-ments ou facteurs plutôt qu'obstacles dans la mise en œuvre desprogrammes d'aide au développement? Je pense que la réponsecomprend une double composante: d'abord il faut limiter le pluspossible la conditionnalité à la catégorie des conditions internesinhérentes à la réussite du programme, et pas trop à celle desconditionnalités externes. Ensuite, même pour les conditionnalitésinternes, il faut un dialogue franc et un engagement mutuel libresur le partage des responsabilités entre partenaires dans la mise enœuvre des politiques et programmes de développement, et non desconditions posées par le donneur vis-à-vis du receveur oudemandeur de son aide.Le renforcement des capacités en Afrique

Enfin, il yale concept de renforcement des capacités, qui est àla fois instrument stratégique et approche conceptuelle dans la miseen œuvre des politiques et programmes d'aide. La Banquemondiale l'a même proclamé et prêché comme le maillonmanquant de la chaîne dans le processus du développement del'Afrique. Conçu au départ comme assistance ou coopérationtechnique destinée à combler les gaps de compétence en Afrique,cet instrument a évolué dans ses objectifs, son contenu et sa miseen œuvre en Afrique, notamment en réponse aux leçons del'expérience et aux objectifs ultimes que lui assignent ses financiersdu SMD. Il est tellement crucial dans le dispositif de l'aide et doncdans le nouvel arsenal idéologique de la stratégie du SMD qu'unchapitre à part lui est réservé dans ce livre.

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Mécanismes opérationnelsIl n'est pas toujours facile de faire une distinction entre les outils

et les mécanismes opérationnels. Néanmoins je l'ai tenté poursérier les outils de la stratégie de mise en œuvre des politiquesd'aide. Il faut donc qu'ils soient compris comme des éléments d'unmême dispositif, se renforçant mutuellement, les uns apparaissanthistoriquement à la suite d'autres, en réponse aux questionsspécifiques ou aux difficultés particulières qui naissent de l'exécu-tion des programmes d'aide. Je mentionnerai ici deux mécanismesliés, et faisant suite aux conditionnalités.

Il y a quelques années, la Banque mondiale, faisant suite àcertaines préoccupations apparues lors des réunions des bailleursdes fonds dans le cadre du Programme Spécial pour l'Afrique(SPA), notamment par le Japon, mais aussi aux critiques faites auxprogrammes d'ajustement structurel eux-mêmes, a lancé l'idée d'unprogramme intégré d'investissement sectoriel. L'idée n'est pasnouvelle en elle-même. Elle se situe dans la foulée de l'aide d'appuiaux politiques et programmes et se présente comme une approchequi se veut dans l'au-delà de l'ajustement. Les caractéristiques del'approche ne la différencient pas de l'approche programmepréconisée par d'autres donneurs dont le PNUD, ni de l'approchedes consultations sectorielles soutenues par ce dernier. Mais ce quiétait nouveau dans le langage de la Banque en tant qu'acteur centraldu dispositif du SMD en Afrique, c'est que dans la foulée de cetteapproche, il faille maintenant - en fait depuis 1994 - "mettre legouvernementafricaindans le siège du conducteur." ,

D'abord cela est une reconnaissance que jusque-là les Etatsafricains n'étaient pas assis sur ce siège dans le pilotage de leurspolitiques de réforme ou de développement. Les échecs despolitiques de réformes poussent leurs inspirateurs non pas à lesrevoir, mais plutôt à revoir la démarche dans leur appropriation etles instruments de mise en œuvre. C'est dans ce contexte qu'il fautsituer ce nouveau slogan des donneurs d'aide. L'OCDE l'a repris àsa manière dans sa nouvelle conditionnalité des politiques deréformes.

Ensuite le slogan peut être captivant mais il est malheureux. Carqui "met les États africains dans le siège du conducteur?" Il fautentendre par là bien sûr les donneurs d'aide. Est-ce leur rôle? Est-ee cela le partenariat? Par ailleurs si les bailleurs des fondsindividuels ou dans le cadre de leur coalition au sein du SMD enAfrique, mettent le gouvernement africain sur le siège duconducteur, et s'asseyent eux-mêmes sur le siège arrière du patronavec un bâton pour taper sur l'épaule gauche ou droite duconducteur selon qu'ils veulent qu'il vire dans ce sens-ci ou dans cesens-là, et à la vitesse qu'ils lui dictent, alors mettre ce

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gouvernement sur le siège du conducteur c'est simplement en faireun chauffeur, sinon un garçon de course. Ce qui est pire.

Depuis cette année, une autre idée-slogan est apparue, s'ajoutantau premier slogan: c'est l'idée d'un cadre global de développement(comprehensive developmentframework ou CDF). L'idée naît d'uncertain nombre de constatations et de leçons tirées de la mise enœuvre des programmes d'aide et de leurs conditionnalités. Il y ad'abord le principe selon lequel les programmes d'aide auxpolitiques et projets sont conçus de manière à se préoccuper plusdes résultats que du volume des projets ou des déboursements.Ceci devrait apparaître non pas seulement dans la conception, maisaussi dans la mise en œuvre et surtout dans l'évaluation. Il y aensuite les critiques des politiques de réforme qui ont finalementconduit la Banque mondIale à comprendre que le développementn'était ni réductible aux préoccupations macroéconomiques seules,ni morcelé entre les équilibres macroéconomiques et lesdimensions structurelles, humaines et sociales de la vie despopulations. Ces questions qui sont de long terme font partie duprocessus de développement et doivent être intégrées auxpréoccupations macroéconomiques comme composantes d'unmême puzzle. Car une politique macroéconomique qui a des effetssociaux, humains ou structurels négatifs dans l'immédiat ou à longterme n'est pas une bonne politique macroéconomique.

Mais encore une fois, il s'agit d'un autre slogan ou mécanismeopérationnel conçu par les poids lourds du SMD, que l'on veutvendre aux pays africains comme cadre de développement et doncd'octroi et de coordination de l'aide. En outre, ce cadre se veut ouse proclame ouvert aux autres intervenants, pour l'intégration deleurs programmes d'aide. Des critiques n'ont pas manqué,exprimant à la fois des doutes sur la valeur ajoutée de ce mécanis-me, son appropriation par les pays africains, la complexificationqu'il ajoute aux dispositifs, instruments et mécanismes existants, etla crainte ou la suspicion pour les pays africains de rentrer dans unautre piège de conditionnalité.

Enfin, comme dans tous les discours de lancement de nouvellesidées slogans, l'écart entre la théorie et la pratique est toujoursgrand. Les donneurs et la culture de leurs institutions sont suffi-samment lourds pour résister, sinon s'opposer à la mise en œuvredes nouvelles conceptions, qui apportent des changements aux pra-tiques en cours qui font l'identité professionnelle des institutionsd'aide.

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4. Efficacité et pertinence de l'aide

La question de l'efficacité et de la pertinence de l'aide se poseaussi bien dans l'intérêt des donneurs que des receveurs d'aide. Sile système d'aide a été mis en place et s'est développé commesystème, c'est sans doute pour répondre à certains besoins, réaliserles objectifs qui lui sont fixés et atteindre les résultats attendus depart et d'autre. La question a une double dimension: l'efficacité entermes de réalisations et de résultats atteints, et la pertinence entermes de problème posé et de l'approche dans la solutionpréconisée et mise en œuvre.

L'impact de l'aide: bilan négatif ou résultats mitigés?Une riche littérature sur la question existe, alimentée

abondamment et continuellement aussi bien par les analystes dudéveloppement que par les décideurs et acteurs. Les idées bien sûrvarient selon les points de vue des uns et des autres dans le débat.De ceux qui soutiennent la thèse de l'impact négatif à ceux quidéfendent celle du rôle positif, il y a assez de place pour lespositions intermédiaires et nuancées. Après tout il n'est toujourspas facile de trancher entre le verre à demi-plein et ou à demi-vide.Mais la question ne doit pas être laissée au subjectivisme des uns etdes autres, car il y a aussi le langage des faits réels auxquelsl'Afrique et ses partenaires font face.

Dès le départ, le système d'aide s'était fixé comme objectifd'être l'acteur principal dans la promotion du développement enAfrique, principalement en comblant les déficits du continent enressources financières, matérielles et techniques. C'est doncessentiellement par rapport à la question du développement ducontinent qu'il faut examiner les performances de l'aide.

Au-delà des formes d'intervention de l'aide au développement,il faut sans doute considérer aussi son volume. L'évolution de l'aideà l'Afrique au cours des vingt-cinq dernières années montre demanière évidente une courbe d'abord montante puis descendante,en particulier depuis le début de cette décennie. Cette chute del'aide globale au développement est particulièrement sensible pourl'aide bilatérale depuis la fin de la guerre froide. En réalité si l'onconsidère que la part de l'aide humanitaire ou des situationsd'urgence devient de plus en plus importante dans l'aide audéveloppement à l'Afrique, la proportion réelle de l'aide audéveloppement proprement dite est donc encore plus en baisse quel'aide totale (voir tableaux 3.1 et 3.2). En effet, l'aide bilatérale achuté de plus de 15% entre le début de la décennie et 1996,entraînant l'aide multilatérale dans ce mouvement, mais dans desproportions limitées. Actuellement on considère que l'Aide

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publique au développement (APD) est à son niveau le plus basdepuis une quarantaine d'années, inférieure à 0,33% du PNB despays développés fournisseurs d'aide, alors que l'objectif fixé decommun accord au sein de l'ONU et accepté par tous est de 0,7%.

Tableau 3.1 Aide Publique au Développement accordée àl'Afrique Sub-Saharienne (en millions de doUars)

1973 1980 1985 1992 1993 1994 1995 19961231 4 905 5635 II 495 10988 II 068 10788 9740APD

bilatéraleAPDmulti-latéraleTotal 1700 6704 8433 18673 17522 18481 17268 16337Source: CMA, Rapport annuel1997/1998.

Après quarante ans de développement et de développement aidépar les donneurs en Afrique, les faits qu'on constate sont ceux de lapanne du développement sur le continent, de l'accroissement de lapauvreté, (et l'Afrique est annoncée comme seul continent où lapauvreté va encore s'accroître au prochain siècle), de l'écartgrandissant entre ceux qui aident au développement de l'Afrique etl'Afrique elle-même, de la marginalisation du continent desbénéfices de la mondialisation, de l'absence de décollages et autresmiracles économiques soutenus, de la détérioration des conditionsen termes de ressources de l'environnement, de la prolifération desconflits et crises politiques, etc. S'il faut condamner globalementl'inefficacité sinon l'effet pervers des politiques de développementmises en œuvre en Afrique pour ce résultat négatif, il faut aussicondamner l'aide au développement qui a soutenu ou financé cespolitiques. Le reproche est partagé et probablement plus pour lesdonneurs que pour les receveurs, contrairement aux idéesrépandues par les premiers dans leurs prises de positions au coursdes dernières années.

Mais ce résultat global doit être disséqué car il y a sans doutedes domaines ou des périodes où l'effet positif et bénéfique despolitiques de développement et donc aussi de l'aide qui les asoutenues doit être reconnu et salué. C'est cette considération quifait dire à nombre de décideurs et d'analystes que l'impact de l'aideen termes de résultats est mitigé.

Dans son effort de re-conceptualisation du Rôle de lacoopération pour le développement à l'aube du XXlème siècle, leCAD et donc l'OCDE reconnaissent cette situation sur base delaquelle ils se proposent de réformer le système d'aide enredéfinissant aussi bien les objectifs pour coller à cette triste réalitéet en restant modestes dans les ambitions, qu'en recherchant uneapproche plus participative dans la gestion de l'aide. Les troisenjeux ou raisons majeures par lesquels le CAD justifie la

468 1798 2798 7178 6533 7412 6580 6597

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continuation de l'aide commencent par le motif humanitaire decharité envers ces pauvres qui augmentent en nombre, et sont deplus en plus distancés en tant que populations au sein d'un mêmepays ou en tant que pays par rapport à ceux du Nord (CAD, 1996).

Il en est de même de l'Union européenne qui dans son Livre vertsur les relations entre l'Union européenne et les pays ACP à l'aubedu XXlème siècle: enjeux et options pour un nouveau partenariat,fait le même diagnostic sur les résultats de l'aide à travers les méca-nismes de la Convention de Lomé. Le livre vert reconnaît la fai-blesse des résultats de la convention en termes d'impact sur le dé-veloppement dans bea,!coup de pays ACP et principalement enAfrique (Commission Economique et Sociale/Union européenne,1997).

Mais il faut d'abord rendre à César ce qui lui est dû, et doncsaluer les résultats positifs soutenus pendant une certaine période etnotamment au cours des deux premières décennies du développe-ment de l'Afrique, ou simplement des résultats ponctuels notam-ment avec l'aide humanitaire, et les progrès réalisés en particulierdans les secteurs sociaux. Mais contrairement à l'opinion expriméepar le CAD, d'ailleurs en contradiction avec certains passages dansle même rapport, ces progrès ne peuvent être attribués à l'aide audéveloppement seule. La plupart d'entre eux correspondentessentiellement à la période de volontarisme étatique des leaderspolitiques de l'époque dans l'amélioration des conditions socialescomme partie de leurs programmes durant la lutte d'indépendance.

De sorte que si l'aide au développement peut revendiquer cesrésultats positifs des progrès sociaux en Afrique, il revient d'abord~ux politiques sociales volontaristes menées hardiment par lesEtats africains au cours de cette période. C'est sans doute parcequ'elle appuyait ces politiques sociales volontaristes en période deguerre froide, que l'aide a pu contribuer à ces résultats appréciés detous. Tout en reconnaissant qu'il s'agit ici d'un César à double tête,il y a lieu de reconnaître le rôle clé du politique dans un processusde développement, et c'est pour cela que le système d'aideaujourd'hui reconnaît qu'il faut des politiques pertinentes pour quel'aide porte ses fruits.

Mais on se rendra compte que, tant que ces politiques étaientdéfinies sans l'implication du SMD qui à l'époque ne s'intéressaitqu'au commerce des projets, refusant toute idée d'une visionglobale du développement, l'aide projet a pu s'y insérer tant bienque mal et est aujourd'hui à même de revendiquer les progrèsréalisés. Mais depuis qu'au cours de ces deux dernières décenniesces politiques sont définies avec ou par le SMD, les progrèsréalisés sont en stagnation sinon en régression.

De sorte que sans lier quelques bons résultats de l'impact de

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l'aide ici et là à une forme particulière, à un bailleur de fondsparticulier ou à une période spécifique donnée, le bilan d'ensembleest négatif. Le développement est en panne en Afrique, la pauvretéy est grandissante, le continent est de plus en plus marginalisé dansles relations économiques internationales, de plus en plus endetté etencore plus dépendant de l'aide. Il est devenu l'objet d'études,rapports, réunions et mécanismes d'aides qui se multiplient d'annéeen année sans jamais approcher la solution de ses problèmesfondamentaux.

Ce point de vue est soutenu aussi par nombre d'analystesindépendants. Sous la plume de Nicolas Van de Walle et TimothyA. Johnson, Overseas Development Council écrit que "l'aide n'apas permis la croissance économique et l'allégement de la pauvretédans la plupart des pays africains. De 1980 à 1993, le taux decroissance économique du continent a été négatif. Bien que l'aideait contribué à l'amélioration des indicateurs de bien-être humaintels que les taux de mortalité infantile et d'analphabétisme,l'Afrique est toujours en retard sur les autres régions du monde. Ilest difficile de distinguer l'aide des autres facteurs qui ont puinfluencer la croissance et le développement économiques, ycompris les politiques sectorielles et macroéconomiques dugouvernement qui reçoit l'aide, la dotation du pays en ressourceshumaines et physiques, les systèmes politiques actuels, et l'envi-ronnement international." (N. Van de Walle, T. Johnson, 1994).

Dans les tentatives d'explication de ces résultats faibles de l'aidesur le développement de l'Afrique, on a tendance à privilégier ladimension technique, et en particulier les faits liés à la gestion dusystème d'aide. Les principales faiblesses citées sont notamment:la faible appropriation de l'aide par les bénéficiaires, la mauvaiseou inefficiente coordination de l'aide, l'inaptitude des pays africainsà faire face aux frais qu'occasionne l'exécution des programmesd'aide, ainsi que la prolifération des projets indépendants avec destermes, des durées, des conditions et des procédures variés. Cesraisons techniques sont sans doute fondées et on peut les élargirencore. Mais il faut considérer aussi la dimension politique desprogrammes d'aide et leur pertinence pour comprendre le faibleimpact du système d'aide sur le développement de l'Afrique.

Au vu de ces bilans, les défenseurs tous azimuts de l'aide audéveloppement font un raisonnement a contrario ou par défaut, etconcluent que la situation de l'Afrique serait pire si elle n'avait pasreçu ce volume important de l'aide occidentale. En réalité il s'agitd'un raisonnement défensif inapproprié. Ce qui est certain c'est quel'Afrique ne serait pas morte si elle n'avait pas reçu le type et laforme d'aide dont elle a bénéficié depuis les années desindépendances. Il n'y a pas non plus de raisons pour certifier aussi

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fortement que la situation aurait empiré, puisqu'elle l'a faitaujourd'hui malgré l'aide. Par contre, il me semble qu'en jouantdans le sens du dépouillement de l'Afrique de ses facultés de seprendre en charge, l'aide montre que, si elle n'était pas là avec seseffets pervers, l'Afrique aurait pu constituer et développer cesfacultés. L'Afrique aurait donc réussi même avec des balbutiementsinévitables de départ. Ce que l'aide n'arrive pas à réaliser c'estd'amorcer une dynamique de développement humain, appropriée etmaîtrisée par les Africains. Si tel avait été le cas, la situationn'aurait pas empiré.

Pertinence ou dimension pernicieuse de l'aide?Malgré ces effets non évidents sur le développement du

continent, les défenseurs de l'aide aussi bien du côté des donneursque du côté des receveurs affinnent qu'il faut la continuer, quel'Afrique en a encore besoin pour longtemps, et ce qu'il faut fairec'est adapter ou réfonner le système d'aide pour améliorer sonefficacité. Cependant et comme indiqué plus haut, il n'existe pasd'exemple historique de développement réussi grâce à l'aideextérieure. Le plan dit Marshall était un programme de recons-truction de l'existant détruit par la guerre en Europe et non deconstruction du développement qui n'existe pas encore comme enAfrique. Par ailleurs des exemples qui sont donnés sur le modèleasiatique, qu'il s'agisse des pays comme le Japon et la Chine ou des"dragons" comme Taiwan, Singapour, Hong Kong, Corée du Sudne sont ni des modèles dans la réussite d'un développement assistépar l'aide e.xtérieure, ni encore moins d'un développement nondirigé par l'Etat (H. Jaguaribe, 1994). Bien au contraire, ce sont desexemples de réussite grâce aux politiques nationales et à lamobilisation de ressçmrces nationales, humaines, technologiques etfinancières par un Etat sachant donner une direction aux effortsnationaux, et surtout sachant s'affinner dans cette direction. Et celaa pu attirer des investissements extérieurs qui ont accompagné lesefforts nationaux.

Il faut donc requestionner l'aide, non pas seulement pour ledéveloppement qu'elle n'a pas réussi durant une présence de quatredécennies, mais aussi sur les effets pervers qu'elle a provoqués.

Panni ces effets qui sont aussi des traits caractéristiques dusystème d'aide actuel on peut mentionner (M. Kankwenda, 1992) :(i) Une hypothèque sur l'avenir et donc sur le développement del'Afrique

En effet, dans sa grande majorité, la dette africaine est une detteà long tenne ; elle a une liaison évidente avec la structure et lesfonnes de l'aide même si au cours des dernières années les donssont en augmentation par rapport aux prêts du SMD pour le

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développement. Par ailleurs, qu'elle soit accordée au titre de donsou de prêts, l'aide comprend comme on l'a vu, l'aide aux projetsd'investissement censés contribuer à l'expansion économique, etl'aide hors projet.

Dans la première catégorie, il y a certes des cas de réussiteexemplaires ici et là, mais ils ne sont pas assez nombreux, ni assezsignificatifs au niveau continental pour sauver l'honneur de l'aidequi bénéficie aux projets d'investissement. Le reproche qui est faitaux pays africains d'avoir investi dans des projets gigantesques,improductifs ou peu rentables, mal préparés, etc. doit être adressé àcette catégorie d'aide, car aucun projet substantiel en Afrique n'a vule jour sans l'assistance des donateurs. La crise économique peutêtre attribuée à une mauvaise politique d'investissements, dont laresponsabilité à cet égard ne peut être que partagée.

Quant à la deuxième catégorie - aide hors projet -, sans nierson utilité dans certaines situations, il faut reconnaître qu'il s'agitessentiellement d'une aide à la consommation, destinée parfois àouvrir, garantir ou développer le marché pour le donateur ou legroupe de donateurs. Or, cette catégorie a connu une croissancebeaucoup plus rapide au cours des dernières années sans corréla-tion évidente avec la croissance économique des pays africainsassistés. L'aide a aussi hypothéqué l'avenir du continent, sans luiouvrir des perspectives rassurantes pour son avenir.(U) Un système de siphon et de calmant politique

L'aide arrive en effet, comme un carburant du développement.C'est pourquoi, elle entre par la grande porte avec fanfares etcérémonies médiatisées de signatures des accords. Mais depuislongtemps et en dehors des apparences, le moteur du développe-ment ne s'est toujours pas mis en marche. Simplement parcequ'entre autres raisons non souvent avouées, le carburant a étésiphonné par le canal d'autres tuyaux qui sont le service de la detteet la baisse des cours des matières premières, dont le manque àgagner à lui seul dépasse la totalité de l'aide extérieure. Mais il y aaussi la vente de la technologie pour des projets d'investissements àrentabilité douteuse pour l'Afrique, le jeu de la surfacturation, etc.Plus de la moitié de l'aide française est liée à l'achat des produits etservices français, contre les deux tiers de l'aide britannique. Danscet ordre d'idées, Claude Freud, se référant à une étude réalisée en1988 pour le compte du Ministère français de la coopération sur"l'impact de l'aide publique au développement sur l'économiefrançaise," donne quelques chiffres et coefficients qui sontédifiants, notamment en termes d'effets retour en exportations del'aid,e publique française.

A l'époque, l'assistance technique avec 29 000 coopérants sur leterrain avait créé autant d'emplois pour les Français, chiffre auquel

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il faut ajouter la machine administrative de gestion de cettecoopération en France et le contenu en exportations &ançaises desdépenses locales des expatriés. Le taux de retour des salaires descoopérants était alors de l'ordre de 70%, soit quelque 3,5 milliardsde francs &ançais alors que la France n'avait déboursé en réalitéque 3,9 milliards auxquels il faut ajouter les dépenses assuméeslocalement par le pays assisté. De sorte que par rapport auxdéboursements stricts de la France, le taux de retour s'élève enréalité à 89%.

Si le taux de retour pour le guichet Fonds d'Aide et deCoopération (FAC) qui finance la coopération technique est déjà siélevé, il l'est encore plus pour les autres guichets de l'aidef,rançaise. Ainsi pour l'ancienne Caisse Centrale de CoopérationEconomique (CCCE) aujourd'hui Agence Française de Développe-ment, qui finance principalement la fourniture des biens d'équipe-ment, le taux de retour est de l'ordre de 80%. Les prêts du Trésorqui sont accordés à des conditions plus favorables que ceux de laCCCE vont principalement dans la fourniture des biensd'équipement industriels dans les domaines qui ne font pasconcurrence aux industries françaises. Dans ce domaine le taux deretour est de l'ordre de 100%. "Mais, en fait, il est beaucoup plusimportant, car on peut estimer que, sans les conditionsavantageuses qu'offre le Trésor, ces exportations n'auraient pas puse faire. C'est donc à près de 300% qu'il faut chif&er ce taux." (C.Freud, 1988)

Mais, le retour ne s'arrête pas à l'aide bilatérale. Il faut aussiprendre en compte les effets bénéfiques de l'aide multilatérale surl'économie française. On estimait à l'époque que, les décaissementsde la Banque mondiale en faveur des entreprises &ançaisess'élevaient, depuis la fondation de l'institution jusqu'à la date del'étude, à 2 596 millions de dollars, nettement au-dessus desapports français, soit quelque 1 674 millions de dollars, soit untaux de retour de 150%. De même, la part du marché obtenue parles entreprises françaises dans le cadre du Fonds Européen deDéveloppement (FED) s'est élevée à 967 millions d'ECUs contredes versements &ançais de l'ordre de 1 195 millions d'ECUs, soitun taux de retour d'environ 81%. L'auteur ajoute que l'examen descontributions aux organisations dépendant des Nations Uniesfaisait apparaître un taux encore plus avantageux, de l'ordre de350%.

Si je me suis attardé sur l'exemple français ce n'est pas parcequ'il fait exception, mais plutôt pour son côté illustratif de lapratique de l'aide par les donneurs. Même sans chiffres précis, nouspouvons estimer que d'autres bailleurs de fonds font la mêmechose, et de ce fait cet exemple est valable pour les États-Unis, la

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Grande-Bretagne, l'Allemagne, le Japon, etc. Le système de siphonde l'aide est une réalité que les bailleurs ne perdent pas de vue. Sil'aide n'impulse pas le développement en Afrique, il a certainementcontribué à la croissance chez ses donneurs en Occident. De mêmeles relations entre les acteurs bilatéraux et multilatéraux montrentqu'il s'agit véritablement d'un système marchand du développementen Afrique.

L'aide est donc ressortie par d'autres portes et fenêtres del'arrière-cour, et elle est autrement plus importante que lorsqu'elleest entrée. C'est pourquoi l'Afrique se trouve être exportateur net decapitaux. La fonction apparente de l'aide est celle d'appui audéveloppement de l'Afrique, tandis que sa fonction réelle est cellede soutien à la croissance au Nord, de déculpabilisation desdonateurs, et de calmant politique pour les receveurs, destinéeentre autres à voiler le système de siphon et à instaurer un systèmede clientélisme sur l'échiquier international.iii) Une capitalisation des connaissances au détriment de l'Afriqueet enfaveur des bailleurs de fonds

L'aide est toujours précédée, accompagnée et suivie d'unsystème de production de connaissances sur l'expérience dedéveloppement concernée: analyse de situations, des stratégies,des politiques, programmes et projets et de leurs résultats. Lesdonateurs se sont appropriés ce système, en particulier par le biaisde leurs institutions multilatérales qui en sont devenuesdépositaires et sources de référence.

Ce faisant, ils se sont accaparés un autre pouvoir: ils sontdevenus référence au détriment de l'Afrique et de sa propreproduction du savoir qui est devenue suspecte et même mal consi-dérée. Ainsi même sur ce plan, l'aide a eu un rôle de stérilisationsur la capitalisation du savoir pour le développement en Afrique.

Une déconnexion se produit entre la coopération technique et laproblématique des ressources humaines nationales et dudéveloppement des capacités.

L'objectif primordial de l'assistance technique est depromouvoir le développement économique et social par le renfor-cement des capacités humaines et institutionnelles, la formation etdonc le transfert des connaissances et du savoir-faire, afm que lepays assisté soit capable de piloter seul sa dynamique dudéveloppement.

De toute évidence cet objectif n'est pas - encore? - atteint enAfrique. L'assistance technique a pris des proportions inquiétantesdans la majorité des pays: 30 à 40% de l'aide extérieure totale, soitgénéralement plus de 100 millions de dollars, un nombreimpressionnant d'experts allant jusqu'à égaler celui des diplômésnationaux de l'enseignement supérieur, et avec une fraction non

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négligeable des qualifications douteuses.Les effets sont notamment le chômage ou le sous-emploi des

compétences nationales, la fuite des cerveaux et en conséquence lebesoin de nouveaux experts de la coopération technique. Enfin lescontraintes budgétaires des Programmes d'Ajustement Structurel(PAS) aidant, il n'est pas possible de maintenir les fonctionnairesen poste, de les motiver, ni encore moins d'en recruter de nou-veaux, bien que les tâches de développement n'aient pas diminué.L'assistance technique apparaît ainsi comme un complémentnécessaire pour les receveurs, d'autant plus qu'elle apporte outrel'expert, l'équipement et le matériel voulus (véhicules, machines debureau, fournitures...) que les budgets nationaux n'autorisent plus.L'aide à l'ajustement a renforcé les besoins de l'assistance.(iv) Une aide de diversion des tâches de développement.

Ceci est valable en particulier pour la gestion des projets etprogrammes d'aide. En effet, gérer en moyenne trois à quatre centsprojets de développement provenant d'une centaine ou de quelquesdizaines de donneurs (dont les ONG) avec des conditions dedéboursement différentes, des durées variées, etc., préparer desrapports sur leurs activités de manière à montrer aux missionsd'inspection des donateurs que les choses se passent bien, gérer cesmissions elles-mêmes qui sont devenues de plus en plus fréquentesau point qu'elles font parfois des embouteillages pour les adminis-tr~tions locales, tout cela fait que la machine administrative del'Etat n'existe plus que pour gérer l'aide et non gérer le développe-ment du pays. En cela l'aide divertit des tâches du développement.

Par ailleurs, certaines formes d'aide participent de cettediversion. Nombre de bailleurs de fonds ont monté et suréquipé desarmées nationales africaines au-delà des besoins de sécurité despays concernés, même là où une force de police ou de gendarmerieaurait largement suffi. L'aide au développement dans l'armée estdestinée plutôt à assurer une présence militaire conforme auxintérêts stratégiques du donneur en Afrique, à créer des besoins etouvrir le marché aux industries militaires plutôt qu'à résoudre lesproblèmes de sécurité ou encore de développement en Afrique. Encontrepartie les budgets nationaux ont eu à consacrer uneproportion de plus en plus importante des ressources aux dépensessimilaires, au lieu de les orienter vers des projets de développementdans le domaine économique et social. Après avoir financé cesarmées et forces de sécurité parallèles, et poussé les pays africainsà ces folles dépenses pour acheter les équipements, les armes et lesmunitions, les donateurs sont aujourd'hui du fait de la crise, lespremiers à condamner les gouvernements africains pour lesdépenses militaires, comme si l'improductivité de ces dernièresn'était pas connue auparavant.

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(vi) Un renforcement de la dépendance et du sous-développementL'aide a développé une mentalité d'assisté, comme si c'était

l'effet voulu par les donateurs, même si cela n'est pasnécessairement un calcul cynique de départ. Tout le monde estconvaincu qu'il faut la maintenir parce qu'elle est nécessaire sinonvitale pour l'Afrique, qui ne peut plus s'en passer. Les paysafricains eux-mêmes se battent pour en obtenir davantage; celui àqui il est dit que l'aide va lui être suspendue ou refusée pour desraisons politiques ou de mésentente avec le centre du SMD àWashington pleurniche pour que sa cause soit entendue. Lesystème d'aide a développé ses propres machines de fonctionne-ment qui défendent le bien-fondé de leur existence et de leuragrandissement continuel, les économies nationales des donneursen sont les bénéficiaires, les dirigeants politiques de ces pays enont fait un instrument de mise au pas des pays africains et deprotection de leurs intérêts économiques, politiques ou stratégi-ques. Le système a acquis sa loi propre d'existence et dereproduction.

Le Mali a eu une expérience particulière à cet égard et qui estriche d'enseignements pour les autres pays africains. Un exerciced'évaluation de l'aide au pays a été entrepris avec la participationdes partenaires eux-mêmes, le Gouvernement et la Société Civile.Cet exercice mené selon une méthodologie préparée par l'OCDEest arrivé à des conclusions qui bien sûr confirment l'appréciationque l'on connaît. Après avoir relevé quelques aspects sectorielspositifs notamment dans le domaine social, le Mali trouve que,dans l'ensemble, la pauvreté est grandissante, que le pays estdevenu encore plus dépendant de l'aide, et qu'en matière desressources environnementales, le médecin vient après la mort! Lerapport de l'évaluation de l'aide au Mali conclut: "derrière lesentiment généralisé de la non durabilité des effets de l'aide, secache la critique de fond selon laquelle l'aide est incapable depréparer sa propre relève. (...) Comment après tant d'années et tantdevolume d'argent injecté dans son économie, le Mali n'a pas pu sepasser jusque-là de l'aide extérieure (...) et les Maliens sedemandent si quelque part, l'aide n'a pas un intérêt dans son propremaintien, autrement dit à se perpétuer." Et la conviction debeaucoup de participants à l'exercice d'évaluation est que "l'aide n'apas fondamentalement une motivation de développement. C'estessentiellement un instrument politique qui sert à orienter les choixnationaux ou à financer des slogans fabriqués à l'étranger, tels queles droits de la femme, la santé pour tous, la protection del'environnement, l'autosuffisance alimentaire, etc. Par ailleurs,l'idée qui domine le débat sur l'aide est que son volume est plutôtfonction des potentialités économiques du bénéficiaire, et non du

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degré de pauvreté du pays." (PNUD et Gouv. du Mali, 1997)On comprend ainsi par exemple, que l'assistance technique

n~aboutit pas au renforcement institutionnel des capacités, maisplutôt à leur substitution, et que l'aide alimentaire qui n'est plusd'urgence, est devenue structurelle et destinée à combler lesinsuffisances permanentes des structures de production agricole.Tout cela, avec le résultat que l'on connaît, contribue à renforcer lerapport assistant/assisté dans le système d'aide au développement.

L'aide au développement et la politiqueAu niveau du continent dans son ensemble, l'aide publique au

développement est en baisse et cela est connu. L'Afrique restemalgré cela, le continent qui reçoit le plus d'aide par tête d'habitant.Celle-ci est tombée de 33 dollars en 1991 à 26 dollars par tête en1996 pour l'Afrique au Sud du Sahara, alors qu'elle s'est maintenueà 5 dollars pour l'Asie de l'Est et le Pacifique, est tombée de 19$ à17$ pour l'Europe et l'Asie Centrale, de 43$ à 17$ pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord et de 7$ à 4$ pour l'Asie du Sud. Leseul continent où elle a augmenté est l'Amérique latine où elle estpassée de 13$ à 17$ par habitant au cours de la même période (voirtableau 3.2). Cela contribue à comprendre le faible impact del'aide.

Mais le continent africain est surtout celui qui dépend le plus del'aide étrangère, que cette dépendance soit mesurée en termes depourcentage du PIB, de l'investissement intérieur brut oud'importation des biens et services. Et cela a des implications surles rapports de partenariat avec le SMD, qui de ce fait est enposition de force en Afrique.

Le plus grand résultat de l'aide, et donc son objectif ultime, doitêtre la fin de l'aide pour avoir accompli en temps voulu la missionqui lui est confiée. Ce qui n'est pas le cas avec le système actuel.En effet, une aide qui s'auto-entretient en tant que système n'est pasune aide au développement. Ce système accroît les besoins del'aide chez les pays africains, affecte leur dignité, accapare leurénergie pour préparer les dossiers de demande d'aide et pour lagérer quand elle est accordée, tandis que de l'autre côté, il renforcela position dominante, l'allure de bienfaiteur et même le droit audiktat chez les donneurs d'aide. Il ne s'agit plus de la solidarité oudu partenariat pour le développement qu'on prétend instaurer, maisde la pérennité du déséquilibre développés/en voie dedéveloppement, ou de développés/sous-développés. Il y a donc co-responsabilité des donateurs et des receveurs d'aide dans la criseactuelle de l'Afrique. Cette crise structurelle est par elle-même lesigne de la crise existentielle du système d'aide.

Mais la question la plus importante dans la pertinence de l'aide

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est sa dimension politique. En effet, le développement est paressence une dynamique politique parce qu'elle concerne les intérêtset le devenir des peuples africains, parce qu'elle est un chemine-ment pour un choix de société qui est un choix politique, parcequ'elle exige la participation et l'appropriation de son processus etde ses résultats par ces populations, et demande donc des arbitragesnationaux à chaque étape historique de ce processus.

Par ailleurs et comme on vient de le voir, l'aide audéveloppement est en elle-même un autre processus politique qui asa dynamique et sa raison d'être et dont la logique defonctionnement ne va pas nécessairement ensemble ni encoremoins en cohérence avec celle de l'autre dynamique politique, celledes pays assistés de l'Afrique. Les conflits de logique et d'intérêtsentre les deux dynamiques ne peuvent être résolus dans le rapportdonneur/receveur, vu que les avantages qu'on en tire sont siinégaux. De plus la dynamique du développement de l'Afrique doitêtre un processus d'autopropulsion et non celui de propulsion ou detraction par un moteur externe quelle que soit sa puissance,financière ou technique dans ce cas-ci.

Or, jusqu'ici le système d'aide, tout en influençant sérieusementaussi bien la sphère politique que les politiques de développementen Afrique, semble ignorer volontairement la questionfondamentale dans cette relation: quelle aide pour queldéveloppement? S'il s'agit du développement de l'Afrique parl'Afrique, dans ce cas, il faut laisser les peuples africains et leursgouvernements définir leur voie de développement eux-mêmes.Personne ne peut prétendre connaître mieux que les Africains lameilleure voie de développement qu'ils devraient emprunter. Or lesprogrammes d'aide se sont arrogés le droit de définir pour l'Afriqueou à la rigueur en dialogue avec elle les politiques dedéveloppement du continent. De quel droit? Du droit de ceux quifinancent la mise en œuvre de ces politiques face à ceux qui leurdemandent leur aide! Dans quel but? Celui de s'assurer quel'Afrique, continent d'avenir, n'échappe pas à l'emprise occidentaleet serve les intérêts de l'Occident.

C'est dire que si l'aide est dans l'équation politique du donneur,il faut qu'elle soit aussi dans celle du receveur. Et si pour uneraison ou une autre elle ignore cette équation politique, elle ne peutêtre qu'inefficiente et même dangereuse.

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Ce qui revient à dire que pour l'Afrique ou pour un pays africaindonné, la maîtrise de l'aide au développement passe par la maîtrisede ses stratégies de développement, l'aide n'en étant qu'uninstrument d'ailleurs externe. De ce fait, l'aide doit nécessairementêtre maîtrisée, c'est-à-dire mise au pas des politiques de développe-ment, à l'inverse de ce que l'Afrique vit aujourd'hui. Je mepermettrai d'ouvrir une parenthèse ici pour montrer l'importance dupolitique dans la formulation et la gestion de l'aide extérieure etsans doute aussi dans son efficacité. Je prendrai pour celal'exemple de la situation des pays africains en crise. Les conflitssont devenus un nouveau domaine d'intervention des politiquesd'aide et des programmes de coopération.

La crise politique peut être pacifique ou se développer enaffrontement violent de type conflit armé et même en guerre civile.Elle peut être passagère ou durable, larvée et rampante ou d'uneescalade brusque et brutale. Lorsque la crise éclate avec incidentsviolents ou se développe en conflit armé, les bailleurs de fonds,familiarisés plutôt avec les programmes et projets classiques d'aideau développement, sont relativement désarmés devant la nouvellesituation. Leùr réaction normale consiste d'une part à stopper touteaide au développement et fermer boutique, ou geler leurs program-mes de coopération en gardant juste une présence symboliqueminimale, et de l'autre, à mettre l'accent sur l'aide humanitairesouvent sans autre perspective que celle des besoins immédiats:nourriture, médicaments, habillement, logement... Les quelqueseffets parfois négatifs de cette généreuse assistance ne sont pastoujours analysés ni encore moins pris en compte.

Pendant une période qui peut être longue, la questionfondamentale du développement est reléguée à l'arrière plan, sinonoubliée. La littérature qui devient de plus en plus abondante sur lesproblèmes de gestion et de résolution des conflits et de gestion post-conflits s'intéresse plus aux questions de médiation, de diplomatiepréventive, de réconciliation et plus tard de démobilisation, etd'enlèvement des mines. Dans la perspective des principaux parte-naires extérieurs, ces questions sont souvent considérées commeproblèmes spécifiques aux ministères des affaires étrangères et desservices de sécurité ou de maintien de la paix, plutôt qu'exigences etpréconditions pour le développement, et dans ce sens, pouvant fairepartie des programmes de coopération au développement.

Une autre littérature encore plus prolifique est celle qui concernela gestion post-crise, avec notamment le concept de continuum, c'est-à-dire de l'aide humanitaire à la réhabilitation, la reconstruction, laréinsertion, et au développement humain durable, appelé aussi déve-loppement curatif. Même au sein du PNUD, des travaux se dévelop-pent de plus en plus pour traiter de la gestion des situations post-crise.

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Cette perception, et la réaction des partenaires en situation de criserelèvent en fait d'une perception de la problématique du développe-ment et de la coopération au développement qui me semble erronée.En effet, le développement est d'essence politique dans la mesure oùil concerne les conditions de vie et le devenir des peuples, des nationset des pays et les engage. Les techniques de conduite et de gestiondes programmes de coopération ont tendance à privilégier ladimension technique du développement et perdre complèt~ment devue la dimension politique qui pourtant est primordiale. A chaquephase ou étape du processus politique de développement, il fautsavoir trouver les techniques ou les combinaisons techniques appro-priées. Les processus politique et technique de développement sontliés et le premier est déterminant pour le second.

Les causes d'une crise politique, qu'elle soit violente ou pas,préexistent à la phase d'éclatement du conflit. Ces causes et leurspremières conséquences évoluent et se nourrissent mutuellement. Lasituation dégénère et certains signes avant-coureurs de la crise se fontde plus en plus visibles jusqu'à ce que la crise éclate et se transformeen conflit armé. Durant toute cette période de maturation de la crise,les responsables des programmes de coopération sont dans le pays,assistent à cette évolution sans souvent en voir les implications surleurs programmes de coopération, qu'ils continuent d'ailleursnormalement, et semblent être surpris par l'éclatement de la crise. Etleur réaction est celle que l'on connaît, fermer boutique et attendreque les conditions de sécurité leur soient de nouveau assurées pourqu'ils reprennent leurs programmes de coopération, afin qu'ilsreconstruisent ce qui a été détruit: capacité de gestion du développe-ment, inftastructures économiques et sociales, industries, plantations,etc., en fait pour refaire ce qu'ils avaient fait pendant des dizainesd'années avant la crise.

C'est là une réaction des personnes qui n'ont pas su à chaque étapedu développement, et à chaque phase de maturation de la crise, lier leprocessus politique de développement (qu'ils ont négligé par myopieou naïveté complice) au processus technique de développement danslequel ils se veulent experts. Or précisément le développement est un,c'est-à-dire un processus entier bien qu'ayant des multiplesdimensions.

Tout ceci revient à dire que, le seul continuum est celui dedéveloppement, ou si l'on veut, de développement humain durable,avec sa connotation sécurité humaine, qui est une composanteintégrante de ce concept. Ce développement peut passer par desphases de crise plus ou moins ouverte, plus ou moins violente, maisc'est d'abord le développement qui doit rester à l'avant-plan, quitte àlui fixer à chaque étape les priorités appropriées, et les programmesde coopération conséquents.

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Il se pose alors pour l'ensemble des bailleurs de fonds un doubleproblème:(i) Comment créer, développer ou renforcer d'abord sur le terrain etensuite au siège, la capacité de l'agence de coopération de lire politi-quement la réalité du pays et l'intégrer dans les programmes decoopération? Une telle capacité d'analyse manque souvent chez lesexperts et techniciens, habitués qu'ils sont aux conditions "normales"de travail de la coopération au développement. Au~delà de quelquesbrefs rapports sur la situation (politique ou sécuritaire), destinésplutôt à informer sur la menace éventuelle que la situation peut repré-senter pour la poursuite des activités de coopération et la présence descoopérants, il n'y a pas vraiment d'intégration de cette analyse dansune défmition innovante des programmes de coopération.CH)Commentfaire du programme de coopération au développement,un instrument de politique de prévention, de gestion/solution et desortie des crises? En d'autres termes comment maintenir lecontinuum développement humain durable en intégrant aussi bien lespériodes "normales" de vol que celles des secousses et des turbulen-ces? Car il n'y a que le développement qui permet de prévenir et derésoudre les crises. Et quand il y a crise politique, en réalité c'est qu'ily a crise de développement, ou mieux crise du processus politique dedéveloppement. Il n'y a donc pas de raison pour que la coopération audéveloppement ne se préoccupe pas de la prévention des crises et dela consolidation de la paix.

Par ailleurs, il est évident et reconnu aujourd'hui sans doute plusqu'hier, que la paix et la démocratie font partie intégrante duprocessus de développement humain durable, et que ce dernier estimpossible sans la paix et la démocratie au sens de participation etpartage de pouvoir politique certes, mais aussi de partage équitabledu pouvoir économique et autres avantages du progrès social. Il vadonc de soi que la coopération au développement se sente concernéeet se trouve impliquée dans les composantes paix, prévention etrésolution des conflits, et dans les politiques et programmes visantdirectement le progrès économique et social.

Le rôle des partenaires au développement est dès lors trèsimportant aussi bien dans les activités de développement en situations"normales" que dans la prévention et la résolution des conflits, ou laconsolidation de la paix en situations de turbulence ou conditions"spéciales" de développement. Ce rôle consiste à :- ne pas séparer artificiellement le processus politique du processustechnique du développement du moins au niveau de l'analyse et de ladéfmition des stratégies d'intervention;- maintenir le cap et l'idée de l'unicité du "continuum développe-ment" qui seul devrait commander la nature et les modalitésd'intervention à chacune de ses péripéties;

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- faire de leurs politiques et programmes de coopération uninstrument efficace de développement, c'est-à-dire de sécurité humai-ne et sociale, contribuant aussi bien à la prévention des crises, leursolution/gestion, la réhabilitation et la relance post-crise, et bien sûr leprogrès économique et social en conformité avec les exigences etpriorités de chaque phase du continuum développement;- se considérer comme acteurs de seconde zone, mais dont la missionest très importante, et consiste à : faciliter la tâche aux acteursnationaux, utiliser les ressources et moyens dont on dispose pourconsolider les forces de stabilisation et en particulier dans le renforce-ment de la société civile, plaider pour la cause de la paix au besoin enutilisant une certaine pression de la communauté internationale, encommençant par les organisations sous-régionales et régionales, etenfm harmoniser leurs discours, partager leurs analyses et coordonnerleurs interventions pour augmenter les chances de succès de leursactions;- lancer des actions prioritaires conjuguées en direction des causesprofondes et immédiates du conflit et de leurs conséquences les plusnocives telles qu'elles découlent de l'analyse;- distinguer certes entre les actions directes prioritaires de court etmoyen termes (actions humanitaires et d'urgence), et celles de moyenet long termes (dialogue, réhabilitation, reconstruction, relance etdéveloppement), mais sans faire une déconnexion complète entre lesdeux perspectives (M. Kankwenda, 1996).

Cette longue parenthèse veut simplement réaffirmer l'unicité dela problématique du développement bien qu'ayant un doubleprocessus politique et technique, mais aussi la primauté dupolitique sur le technique. Une aide au développement qui volon-tairement ou par myopie ne se préoccupe pas de l'adéquation de sesinstruments et mécanismes techniques avec une politique de déve-loppement acceptée et validée ou légitimée au niveau national dupays assisté, court de manière inévitable au devant du risqued'échec ou de fuite dès qu'elle est mise en cause par le truchementde la remise en cause des politiques qu'elle soutient. Le donneur estalors désillusionné et désemparé. Si le processus politique dedéveloppement est malade ou en panne, il n'y a pas d'aide audéveloppement qui soit fructueuse ni encore moins de manièredurable, quels que soient la perfection de ses instruments et levolume de ses interventions.

Au terme de cette analyse, la question que les analystes etdécideurs se posent est celle de savoir "quelle aide alors pour ledéveloppement de l'Afrique au XXlème siècle ?" Des propositionsde réformes du système d'aide qui sont en cours ou envisagées àcet effet portent essentiellement sur:

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- le choix de secteurs ou domaines prioritaires, et en particulierceux en faveur de la croissance par la diversification économiquepour l'exportation et la compétitivité commerciale, la gestion del'environnement et la pauvreté, sans pour cela perdre de vue laréalisation des projets d'infrastructures;- la réaffirmation de valeurs et principes philosophiques de l'aidecomme l'humanitarisme, la solidarité et le partenariat;- la réforme des instruments de gestion de l'aide pour améliorerl'efficacité de celle-ci;- et enfin quelques réformes d'amélioration des mécanismes opéra-tionnels : de l'approche projet à l'approche programme, accent surle renforcement de capacités, élargissement de la base de la coopé-ration pour y associer la société civile notamment, réduction descoûts de gestion de l'aide, partenariat et partage de responsabilités,mise des gouvernements sur le siège du çonducteur, cadre globalde développement, etc. (Commission Economique et Sociale,1997; OCDE, 1996)

Comme on peut s'en rendre compte, les réformes proposéespour le système d'aide au développement de l'Afrique au prochainsiècle se concentrent en réalité sur l'arsenal technique de mise enœuvre des politiques et programmes d'aide. La question fondamen-tale évoquée ci-dessus est ignorée; de fait il est continuellementréaffirmé que pour que cette aide puisse porter ses fruits - je nesais plus très bien lesquels -, l'Afrique doit continuer assidûment àmettre en œuvre les politiques de réformes économiques-macroéconomiques et sectorielles - définies ou co-définies avec lesbailleurs de fonds, c'est-à-dire en fait avec le SMD.

C'est dire que, les politiques actuelles d'insertion de l'Afriquedans le processus de mondialisation au bénéfice du SMD sontcelles qui conviennent et qu'elles ne doivent pas être questionnéespar l'Afrique. Il appartient à cette dernière de les appliquercorrectement et de manière musclée au besoin, et aux bailleurs defonds d'appuyer les pays qui montrent qu'ils sont décidés à lesappliquer fermement. Il est de plus en plus conseillé aux donneurs,de concentrer l'aide sur les pays qui sont bons élèves dansl'application des réformes, et de laisser tomber les autres parce quedit-on l'aide accordée à ces derniers est une perte (Banquemondiale, 1999). En d'autres termes l'aide n'est utile à ladynamique en cours dominée par les donneurs que quand le payssuit la voie du développement définie avec le SMD.

Dans le titre de ce livre, j'ai emprunté à l'islam le termemarabout non pas dans son sens originel, mais plutôt dans celuidéformé, couramment utilisé en Afrique et particulièrement enAfrique de l'Ouest, pour rendre correctement l'image du systèmemarchand de développement en Afrique, qui se donne les allures

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de marabout du développement. La conclusion de ce chapitre medonne l'occasion d'une référence au christianisme: par lui, avec luiet en lui. Les choses en effet sont faites de sorte que l'Afriquecomprenne qu'elle n'a de salut que par l'Occident, avec l'Occidentet en Occident. L'Occident est et doit être sa référence et sonmodèle, le fournisseur indispensable de la grâce et de l'énergie dontl'Afrique a besoin et enfin le dépositaire et le garant du salut ducontinent.

C'est cette philosophie qu'il faut remettre en cause pourl'Afrique de demain. Il faut pour cela revenir au point de départ :quelle voie de développement pour l'Afrique du prochain siècle etquelle aide alors? En remettant la question politique au centre dela problématique du développement et de l'aide, on se rend comptealors que le leadership politique du développement est lui-mêmeen panne en Afrique (voir plus loin). L'Afrique a besoin deconstruire et renforcer ce leadership dans le sens de la capacité etde la volonté politiques continuellement affirmées, de se définir etmettre en œuvre la dynamique du développement humain. Cescapacité et volonté politiques orientent la politique d'aide audéveloppement et s'imposent à elle et doivent l'être. Et de ce faitelles sont le cadre intégrateur des programmes d'aide des bailleurs.Les donneurs, s'ils sont réellement des donneurs de l'aide audéveloppement, devraient s'intégrer et considérer les politiques etprogrammes de développement définis sur cette base comme desdonnées dont ils doivent tenir compte. Ils ne devraient donc pasexiger, qu'ils définissent eux-mêmes ou participent à la définitionde ces politiques, en donnent le feu vert et décident alors del'accord de leur aide!

Or, si ce leadership politique du développement est pourl'essentiel en panne en Afrique, les donneurs d'aide n'ont pas intérêtà le renforcer, vu les risques de "dérapage en politiques dedéveloppement." C'est pourquoi l'attention et l'énergie se portentplutôt sur les rouages de la dimension technique de la gestion del'aide, dimension pour laquelle on imagine des réformes, desinnovations et autres raffinements, mais limités seulement à cettesphère.

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CHAPITRE IV :LA CONDITIONNALITÉ DES RÉFORMES

ÉCONOMIQIIES DANS LE DISPOSITIFDU SYSTEME MARCHAND DU

DÉVELOPPEMENT

Depuis le début de la décennie 1980, les programmes destabilisation et d'ajustement dit structurel formulés par ou avec lesinstitutions de Bretton Woods sont en application partout enAfrique. Après deux décennies - 1960-70 - marquées par la ventedes apparences du développement, ce commerce s'est essoufflé, lacrise des économies africaines s'est avérée plus sévère qu'on ne lesoupçonnait auparavant, la crise de l'endettement s'annonçait et lesindicateurs économiques et sociaux semblaient presque tous être aurouge. Il a fallu diagnostiquer le mal et imaginer d'autres stratégiesde réponse - résolution ou gestion - à la crise des pays ducontinent. Les partenaires de l'Afrique s'y sont mis individuelle-ment ou surtout de manière concertée, et les institutions de BrettonWoods ont pris la tête des équipes de médecins venues au chevetdes malades de développement africains.

Dix ans de traitement de choc n'ont pas permis au malade dequitter le lit d'hôpital. Nombreux sont ceux qui ont considéré queles années 1980 ont été une "décennie perdue" pour le continent.Ce qui n'est ni de l'avis ni du goût du médecin, d'ailleurs plusmarabout que médecin. Et de ce fait, il s'est entêté. Il est convaincudans son autorité professionnelle, que ses prescriptions sont lesmeilleures qu'on puisse trouver, la faute revient aux malades quin'ont pas eu le courage de les suivre conformément au moded'emploi qu'il a indiqué. Il faut donc les continuer parce que c'est laseule porte de salut pour les pays du continent. Depuis deuxdécennies donc l'Afrique est sous ajustement ou mieux sous la con-ditionnalité des politiques de réformes économiques prescrites par

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le grand marabout et soutenues par tous les grands acteurs du sys-tème marchand du développement. C'est pourquoi il faut s'arrêtersur cette composante capitale de la stratégie du SMD en Afrique.

En effet, dans le dispositif stratégique du SMD, les réformeséconomiques et financières occupent une place de choix, et ce àdifférents titres. Il est donc nécessaire de les examiner ici danscette perspective. Les programmes d'ajustement structurel sontapparus comme la composante essentielle des politiques deréformes préconisées pour l'Afrique, et qui sont devenues la"politique africaine de développement" soutenue par le SMD aucours des deux dernières décennies. Bien qu'ayant connu desadaptations conjoncturelles de pensée, ou de réponse mitigée auxcritiques conceptuelles et aux résistances opérationnelles, lespolitiques de réformes et les PAS sont restés fondamentalement lesmêmes, parce que reposant sur un immuable paradigme. Le faitqu'on parle aujourd'hui plus de réformes économiques que deprogrammes d'ajustement structurel ne change donc pas le fond dela pensée, car de toutes façons la stabilisation et l'ajustement sontau cœur de ce qui s'appelle politiques de réformes économiques enAfrique. J'utiliserai donc parfois indifféremment réformes écono-miques et PAS dans ce cadre.

Il y a déjà eu énormément d'écrits, de réunions et de débats surles réformes et les programmes de stabilisation et d'ajustement enAfrique. Il y a déjà eu énormément de polémiques entre les tendan-ces apologétiques dans leurs multiples versions et les tendancescritiques de ces politiques. Il n'est donc pas dans mon intention deme prononcer encore sur ces questions, ni de rentrer dans cettepolémique devenue classique. Mon intention est plutôt d'examinerles réformes économiques en tant que composante de la stratégiedu SMD ou du moins de son grand marabout dans le contexteactuel de la mondialisation.

1. La raison d'être des politiques de réformes

Dans sa littérature, le SMD présente les programmes de stabi-lisation et d'ajustement comme la seule réponse viable à la criseéconomique et sociale du continent. L'ambition légitime avouée deces politiques est non pas d'aider les pays africains à gérer la crise,mais plutôt de les mettre sur le sentier de résolution de la crise. Ilsdoivent donc être analysés comme stratégie de sortie de crise.

La littérature conventionnelle du SMD présente la crise elle-même comme principalement la chute de la croissance économi-que, se manifestant en particulier dans les déséquilibres macro-financiers internes et externes, ainsi que dans les distorsiolfs du jeu"normal" des règles du marché par les interventions de l'Etat dans

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ce qui doit être la vie "marchande" de la société. Le contenustabilisation des politiques de réformes cherche à résoudre lesproblèmes de la première catégorie - déséquilibres financiersinternes et externes -, tandis que la composante ajustementstructurel de ces politiques ambitionne de corriger les distorsionssignalées en deuxième catégorie. Le terme structurel dans lalittérature du SMD sur les pplitiques de réforme se réfère donc àl'Intervention et au rôle de l'Etat qui sont considérés comme créantdes distorsions intolérables pour les règles de jeu de l'économielibérale, entendue comme gage de la croissance, et non à l'ajus-tement des structures économiques entrées en crise.

Les remèdes proposés pour la composante stabilisation et dontla mise en œuvre est continuellement surveillée, portent sur lesrestrictions de la demande, notamment à travers la réduction desdépenses publiques et des importations, mais aussi de la déva-luation de la monnaie en vue du rétablissement de l'équilibre bud-gétaire et de la balance des paiements. Pour la composante ajuste-ment structurel, les remèdes comprennent principalement les mesu-res de libéralisation du commerce, de la production des biens etservices marchands et même d'une bonne partie des services nonmarchands (bref la "marchandisation" de la vie sociale et écono-mique), ainsi que la limitation des formalités et droits de douane.

Pour apprécier aussi bien la pertinence conceptuelle de l'analyseet des mesures ou remèdes préconisés que leurs réalisme,cohérence et opérationnalité sur le terrain, il faut en faire uneanalyse critique qui combine les approches interne et externe (M.-F. L'Hériteau, 1986). Dans une approche interne où on se situedans la logique des politiques de réforme et en accepte le cadre deréférence, on peut questionner le réalisme et la cohérence desobjectifs et des mesures préconisées, des moyens mis en œuvre etdes résultats escomptés ou atteints. On peut aussi rechercher lessolutions complémentaires aux dérapages et effets secondaires nonvoulus, et envisager des adaptations des politiques de réformeselles-mêmes tout en restant dans leur cadre de référence de base.C'est ce qui a conduit notamment à des "générations des program-mes d'ajustement," et dans ce cadre à la "révision" du fameuxconsensus de Washington par exemple. Cette forme de critique -interne - des politiques de réformes peut être faite aussi bien parleurs défenseurs que par leurs pourfendeurs. Alors que lesdéfenseurs s'y arrêtent, les pourfendeurs vont généralement plusloin en intégrant à leurs arguments une approche externe despolitiques de réformes.

L'approche externe questionne le cadre de référence et lalogique des politiques de réformes, remet en cause le bien-fondédes objectifs déclarés, de l'approche, des mesures et des moyens

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mis en œuvre. Une telle approche remet en cause aussi bien lapertinence de l'analyse de la crise, que celle des politiquesproposées, ainsi que leur adéquation par rapport au problème dudéveloppement du continent. La première tentative critique danscette direction a été historiquement celle formulée par la CEA en1989 avec la publication du "Cadre Africain de Référence pour lesProgrammes d'Ajustement Structurel en vue du Redressement et dela Transformation Socio-Economiques," dit CARPAS. Maisd'autres cercles ont vite emboîté le pas à la CEA et le SMD afinalement compris qu'il avait intérêt à rectifier le tir même s'il nechangeait pas le fusil d'épaule.

C'est donc un vieux débat bien que continuant encore sousdifférentes formes dans la mesure où la réalité a montré les limitessinon les échecs des politiques de réformes comme réponse à lacrise des pays africains. Par ailleurs la crise du continent duredepuis plus de vingt-cinq ans, et elle est toujours là, narguant aussibien le grand marabout et tout le SMD que leurs disciples africains,et bien sûr, les populations du continent. La continuation du débatmême sous d'autres formes s'explique par le poids important despesanteurs du paradigme à la base des politiques de réformes aussibien du côté du SMD que du côté des pauvres pays africains etleurs appareils politiques. Mais elle s'explique aussi par la crise enmatière de pensée de développement dans le chef du SMD. Depuisquelques années, il n'y a ni innovation conceptuelle significative, niadaptation conjoncturelle qui soit porteuse, mais simplement unerépétition incantatoire des différents versets du même dogmeauquel le SMD tient fermement. Le souci restant avant tout decontinuellement chercher des preuves et pièces à convictionremodelées au besoin, pour convaincre les dirigeants et chercheursafricains, et s'assurer de leur il}1plication active dans la mise enœuvre des politiques de réformes, quitte à accepter des critiques etpropositions correctives dans le cadre de leur logique interne.

Sans rentrer encore dans cette double discussion, où plein dechoses ont déjà été dites, je voudrais cependant souligner quelquesfaits qui me paraissent importants dans la perspective de cetteétude. Le refus du "grand marabout" et avec lui de tout le SMDd'analyser la nature de la crise socio-économique du continent entermes de crise d'un modèle d'accumulation essoufflé, mais plutôten termes de ralentissement de la croissance, ou même de ladécroissance des économies africaines n'est pas Ull"exercice neutre.Il est intentionnel parce qu'apologétique.

En effet, poser le problème de la nature de la crise de l'Afriqueen termes de modèle d'accumulation essoufflé revient à se référeraux structures économiques de l'Afrique dans leur histoire et leurfonctionnement actuel. Cela revient à les remettre en cause, ou du

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moins à ouvrir un débat sur leur changement qualitatif. En d'autrestermes cela revient à remettre à l'ordre du jour la question de lanature et de la voie du développement du continent. Or lesstructures économiques actuelles en Afrique ne dérangent pas leSMD, bien au contraire. Ce n'est donc pas sans raison que lediscours du SMD sur les politiques de réforme ne se réfère pas auconcept de développement. La valeur centrale prêchée du SMD, lacroissance, reste l'objectif primordial à réaliser par le plein jeu desrègles du marché. Les autres desiderata et plaintes des Africainstrouveront leurs satisfactions dans l'accomplissement du paradigmeet de sa valeur centrale. Il n'est donc pas question de remettre encause la logique fondamentale des structures en place, qui sontcelles que les pères fondateurs du SMD ont mises en place.

Par ailleurs une telle analyse permet de disculper le SMD et sespères fondateurs, et de renvoyer la responsabilité de la crise auxgouvernements africains dont on dit que les politiques -monétaires, de change, directives et interventionnistes - sont à la

base de la crise de leurs pays. Silence donc sur le fait que cespolitiques ont été inspirées sinon dictées en grande partie etfinancées d'une manière ou d'une autre par le SMD ! Silence sur lacomposante la plus importante de ces politiques, celle portant surles structures de production qui ont amené à la crise et qui ont ététrès soutenues par le SMD, aussi bien durant les décennies decommerce des apparences du développement, que durant lesdécennies de vente de cadres des politiques de relance ducommerce des mêmes apparences, vente qui s'essoufflait avec lacrise. Silence enfin sur le fait que si ces politiques aujourd'huicondamnées ont contribué à la crise ou plutôt à son amplification,durant tout ce temps ces politiques ont été bénéfiques à quelqu'und'autre de l'autre côté, c'est-à-dire aux principaux acteurs du SMD.

Les 1flbleaux 4.1 et 4.2 montrent clairement à partir de l'exem-ple des Etats-Unis que la part de l'Afrique dans les investissementsdirects étrangers américains dans le monde est ridicule, et en baisseconstante. Elle est tombée de 2,0% en 1982 à 0,8% en 1993, doncen pleine période des programmes de réformes économiques.Cependant le revenu tiré de ce montant représente en pourcentagebon an mal an deux à trois fois supérieurs en termes de part del'Afrique dans le revenu total de l'IDE américain dans le monde.

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De même les taux de rendement des IDE américains par régionindiquent que l'Afrique est le continent où les taux sont les plusélevés, bien qu'en baisse. Ils sont passés de 41,3% à 25,5% entre1980 et 1993, alors qu'ils sont tombés de 24,4% à 16,6% dansl'ensemble des pays en développement et de 16,6% à 8,6% pourl'ensemble des pays développés (tableau 4.2). Les investissementsaméricains à l'étranger sont ponc plus rentables en Afrique qu'ils nele sont nulle part ailleurs. Etant donné que ces investissements sefont principalement dans le secteur primaire et celui des services,et que c'est la tendance générale des IDE en Afrique, il y a lieu depenser que les autres membres du SMD en tirent des profitssemblables.

Mais la littérature conventionnelle garde aussi un silencesuspect sur nombre d'autres aspects importants du processus demise en œuvre des politiques de réformes. Bien que l'accent soitmis sur la réduction des dépenses publiques, cette préoccupation neconcerne pas les dépenses de remboursement de la dette envers leSMD et en particulier envers son grand marabout. Bien aucontraire, cela paraît être même un des objectifs majeurs de cespolitiques. Et s'il y a un résultat non déclaré effectivement atteintdans la limite des ressources disponibles, c'est bien le rembourse-ment des dettes envers le SMD, au détriment de la demande inté-rieure et de l'importation notamment des biens de première néces-sité et des biens d'équipement, actions qui sont de nature à relancerl'offre intérieure. Les politiques de réformes ne disent pas quelquechose sur cet objectif ultime qui est le leur dans l'intérêt du SMD.

Il y a trois ans, en 1996, j'étais étonné de voir la CoalitionMondiale pour l'Afrique, cette autre création du SMD qui joue aumuezzin du système, organiser sous le parrainage du SMD" desréunions auxquelles étaient conviés même des Chefs d'Etatsafricains pour discuter de la réaction de l'offre aux politiques deréformes. Une étude avait été entreprise dans différents paysafricains pour comprendre comment l'offre avait réagi aux soi-disant incitations des politiques de réformes. Les conclusionsétaient quasi unanimes: l'offre n'a pas réagi positivement, ce quin'était pas étonnant parce que de toutes façons la croissance n'étaitpas au rendez-vous, et en tous cas pas attribuable aux politiques deréformes. La question en discussion était donc de savoir pourquoielle n'avait pas réagi positivement. Ce qui m'étonnait et m'étonneencore, c'est qu'une telle question fasse l'objet d'un débat organisépar un des instruments du SMD comme si l'offre avait jamais étédans l'équation des politiques de réformes. Ce qui m'étonnait aussiest que le SMD n'avait pas besoin de ce genre de réunionscoûteuses pour comprendre la réalité des choses en ce qui concernela réaction négative de l'offre. Ce qui m'étonnait enfin, c'est qu'on

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cherche à distraire des responsables africains dans des discussionsdestinées juste à les faire croire qu'ils participent au remodelaged'une stratégie de croissance extravertie qui ne porte pas ses fruitset dont ils devraient malgré tout se nourrir d'espoir pour l'avenir deleurs pays!

Dans leur conception comme dans leur mise en œuvre, cespolitiques mettent un accent particulier sur la croissance à traversla promotion des exportations. Je reviendrai sur cette stratégie plusloin, mais il est important de noter déjà ici que la persistance duSMD à prêcher pour cette stratégie et même à l'imposer est àmettre en relation avec ses propres intérêts plutôt qu'avec lacroissance économique en Afrique ou encore moins avec le déve-loppement du continent. En effet, les pays africains sont tradition-nellement exportateurs de quelques matières premières agricolesou minières. La baisse tendancielle des cours de ces matièrespremières pour des raisons connues qu'il n'est pas nécessaire dereprendre encore, l'évolution négative des termes d'échange entrel'Afrique et en particulier les pays du SMD, l'échange inégal, lestransferts de capitaux qui se font de plus en plus en faveur duSMD, la perte continuelle de la part du marché mondial desmatières premières africaines, la fin des miracles et autres décolla-ges économiques par la promotion des exportations autrefoischantés par le système, tout cela fait qu'il est difficile de continuerà vendre la même recette aux pays africains à moins d'y avoir unintérêt personnel. Et effectivement c'est parce que le SMD y aintérêt, à travers tous ces mécanismes évoqués ci-dessus, qu'ilcontinue à maintenir sa prédication sur la nécessaire extraversiondes économies africaines. La littérature conventionnelle encore unefois garde un silence compréhensible sur ces aspects des politiquesde réformes.

Par ailleurs, la littérature conventionnelle garde aussi un silencesur une dimension importante des politiques de réformes: lecontexte mondial, et en particulier celui des pays du SMD aumoment de la conception et de la mise en œuvre des politiques deréformes. Ces dernières sont-elles exclusivement conçues pourrésoudre les problèmes de la crise des économies africaines, ou est-ce aussi ou plutôt, comme partie de la solution de la crise des paysdu SMD lui-même? Naturellement s'il est démontré que les politi-ques de réformes sont plus bénéfiques aux pays membres du sys-tème marchand du développement qu'aux pays africains auxquelsle "développement" est vendu, et si par ailleurs il peut être démon-tré qu'historiquement le SMD connaissait un ou des problème(s)spécifiques, ou courrait des risques à la solution desquels lespolitiques de réformes ailleurs ou surtout en Afrique faisaientpartie de la stratégie de réponse, (voir plus loin dans cette section),

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on comprendra pourquoi le SMD garde silence sur cette dimension.On peut donc en toute légitimité se demander à quelles crises, ou àquels problèmes les politiques de réformes cherchent à apporterune réponse, celle ou ceux de l'Afrique ou est-ce plutôt du SMD.

Entre-temps, le SMD, dans sa position de marabout (à la foisprofesseur et médecin) doublée de celle de gendarme (bailleur defonds conditionnel et contrôleur de la mise en œuvre), a acquis un"fauteuil au Conseil des Ministres" (Z. Laïdi, 1989) des différentsgouvernements africains et est devenu une "figure dans le paysagepolitique national" (M.-F. L'Hériteau, 1986) des pays africains,notamment par le truchement du grand marabout. Il n'y a plus despolitiques qui soient élaborées ou mises en œuvre sans soninspiration, ou pire, sans son impulsion ou sa dictée et son contrôle.Il conçoit et contrôle la gestion non pas seulement des politiquesmacro-économiques et sectorielles, mais surtout en synthèse, lebudget de l'État. Les gouvernements africains ressemblent quelquepart à des agences nationales d'exécution des politiques du SMD.

Depuis la mise en œuvre de ces politiques, le SMD, et enparticulier son grand marabout, n'a arrêté de produire des études,rapports, et documents de politiques destinés à convaincre aussibien les membres du système que les pays africains destinatairessur l'état de la situation et .le bien fondé des interventionspréconisées. La production de ces études et rapports est devenue enelle-même une activité autonome ayant sa raison d'être. Lesmultiples départements ou services du grand marabout et dusystème se font presque concurrence dans ce domaine; c'est à quivendra mieux son idée et se fera une visibilité dans le paysagemarchand du développement, ou dans l'orientation de l'action del'institution. Avant que les Africains aient terminé la lecture d'uneétude, ou avant qu'ils l'aient digérée pour en comprendre lapertinence, d'autres rapports sont déjà sur leurs tables. Desséminaires et ateliers d'appui à l'assimilation des recettes et autresanalyses du marabout complètent l'entreprise intellectuelle ducommerce du "développement". Toute cette production souventrépétitive, et donc pas toujours innovatrice malgré quelquesrattrapages dans le langage pour être à la mode ou pour apportercertaines réponses de style à quelques critiques, devientinfantilisant pour l'Afrique. C'est ici qu'il faut poser une autrequestion: qui demande tout cela au SMD et dans quel intérêt?Tout cet investissement en ressources humaines, financières etmatérielles n'est pas de l'argent jeté par la fenêtre; il doit êtrerentable à quelqu'un et il n'est pas encore évident que ce soitvraiment aux pays africains. Je voudrais souligner dans cetteentreprise le refus aux Africains du "droit à la parole."

Comme dit plus haut, lorsque le continent a par moment tenté

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de s'accorder cette parole, que ce soit à travers le Plan d'Action deLagos, le CARP AS, le Traité d'Abuja, l'Agenda du Caire pourl'Action, etc., le SMD n'a pas manqué d'ignorer tout cela ou mêmede'le tourner en dérision comme pour dire: "OK dites ou faites-le,mais on verra qui va vous donner l'argent pour le mettre en œuvre."La production du SMD se faisait avec tellement de fanfare que lepetit lance-voix des Africains se faisait à peine entendre en Afriquemême! Et puis si les politiques de stabilisation et d'ajustement ontleurs financiers, en plus organisés en SMD, qui est le financier desCARPAS, Plan d'Action de Lagos et autre Déclaration du Caire?Ce ne sont en tous cas pas les pays africains, eux-mêmes quéman-deurs de l'aide pour financer les politiques que le marabout leurprescrit. Leur premier souci semble être celui de dire constammentau SMD "nous avons appliqué vos prescriptions, nous sommes vosbons élèves malgré peut-être quelques dérapages, mais s'il vousplaît donnez-nous votre aide, nous en avons énormément besoin."L'Afrique devrait-elle continuer à produire des mort-nés, en termesde politiques de développement, comme simplement pour sedonner une certaine bonne conscience?

J'ai dit au cours de cette section que je n'avais pas l'intention dediscuter encore une fois, ou faire l'évaluation des résultats despolitiques de réformes, parce que cela a été largement fait dans denombreux cercles, à des différentes étapes de mise en œuvre de cespolitiques et dans les divers contextes nationaux, sous-régionauxou régionaux. Je voudrais plutôt m'intéresser à relever quelquesfaits dans la perspective du rapport entre ces politiques et le SMDlui-même. Cela me permet d'affirmer sans doute à la suite d'autres,qu'il y a deux logiques en présence: la logique du développementqui est celle des aspirations profondes des populations africaines etdont les dirigeants devraient être les chefs d'orchestre, et celle duremboursement des dettes et de la croissance extravertie dans unprocessus économique de mondialisation sous le contrôle du SMDet de ses principaux acteurs. Si la première logique impliquenécessairement une stratégie de sortie de crise, et donc la remise encause du modèle d'accumulation actuel et la transformationconséquente des structures économiques, la seconde par contre estcelle de la gestion de la crise avec l'espoir d'en mitiger les effetsnégatifs les plus frustrants pour les Africains.

C'est dire qu'il n'y a pas lieu d'attendre des politiques deréformes qui relèvent de la seconde logique des résultats quirelèvent de la première. C'est dire que même si les démonstrationsles plus habiles tentent de prouver que les deux logiques peuventêtre complémentaires, je dois réaffirmer que les paradigmes debase et les règles canoniques de ces logiques ne sont pas aussicompatibles dans leurs services à leurs bénéficiaires respectifs. En

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effet, la logique du développement et donc de sortie de crise estcensée répondre aux aspirations profondes des peuples africainsqui sont le plein emploi, l'accès aux services sociaux de base, lasécurité humaine dans tout'ès ses dimensions politique, écono-mique, sociale, culturelle et environnementale, alors que la logiquede gestion de crise produit le chômage, la marginalisation et lapaupérisation.

Des nuages sombres persistent dans le ciel du continent. Ce sontnotamment: l'absence d'une croissance soutenue, la crise del'endettement, la modicité des investissements directs étrangers parrapport à d'autres continents ou régions en développement (moinsde 3% dont l'essentiel va à l'Afrique du Sud et un peu au Nigéria),la place ridicule dans le commerce mondial et la croissance de lapauvreté aussi bien en termes de revenus qu'en termes de déve-loppement social (on a constaté dans nombre de pays, une baissedes indicateurs sociaux depuis la mise en œuvre des politiques deréformes). Cette persistance permet de revenir à la question impli-cite de départ: quel était le problème réel que le SMD a cherché àrésoudre dans le contexte d'alors, lorsqu'il a eu le génie des politi-ques de réformes aujourd'hui largement appliquées en Afrique?

J'emprunterai ici quelques éléments d'analyse à S. Amin (1996)qui rappelle judicieusement le contexte des politiques de stabili-sation et d'ajustement du côté du SMD. Un des traits caractéris-tiques de la crise actuelle de l'économie libérale notamment dansles pays développés est que la soumission de la machineéconomique à la loi exclusive du profit et du profit immédiat (dansune structure donnée de répartition du revenu), a fait que les profitstirés de la production s'accumulent, sans trouver suffisamment dedébouchés dans des investissements financièrement rentables, etsusceptibles de relancer les capacités de production des segmentsnationaux du système mondial de production. Une telle crisedemande que ce système et ses segments nationaux soient revusdans leurs structures de production. Il n'existe pas encore uneautorité supranationale de règlement de crise à ce niveau. L'on secontente donc de gérer la crise comme si elle était un problèmeconjonctureL C'est pourquoi on continue à parler de récession oude reprise ici et là.

Il existe ainsi de plus en plus une accumulation de capitaux,flottants que le boom du pétrole des années 1970 n'a faitqu'alimenter. Gérer la crise dans le chef des principaux paysmembres du SMD consiste à chercher d'autres débouchés à cescapitaux flottants pour éviter leur dévaluation brutale et massivequi ne contribuerait qu'à l'effondrement du système productif~ondial et à de segments nationaux. Le fameux Consensus deWashington dans sa première version préconise une même recette

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doctrinale: libéralisation tous azimuts des prix, salaires, changes,rapports avec l'extérieur, privatisation. Dans cette perspective leschoses se tiennent ensemble: libéralisation du mouvement desmarchandises et des capitaux au niveau international, adoption destaux de changes flottants, relèvement des taux d'intérêt,permanence du déficit de la balance des paiements américaine,endettement des pays en développement dont ceux d'Afrique,privatisations, intervention dans les crises financières de certainesbanques dans les pays en développement, etc., tout cela ouvre desperspectives à l'immense masse des capitaux flottants pour lesquelsil faut trouver des débouchés et éviter l'effondrement du système.Pour l'Afrique, E. Jaycox, vice-président de la Banque mondialepour l'Afrique déclarait il y a six ans que la Banque avait quelquequatorze milliards de dollars non déboursés pour le continent etque cela faisait un vrai problème pour son institution. C'estpourquoi au-delà de la continuation des politiques de réformes,d'autres recettes et conditionnalités sont ajoutées au dispositif duSMD : renforcement des capacités, bonne gouvernance, etc.

Comme le dit S. Amin, "on se fera une idée de l'énormité de lagrandeur de cet excédant en rapprochant deux chiffres: celui ducommerce mondial, qui est de l'ordre de 3 000 milliards de dollarspar an et celui des mouvements internationaux de capitauxflottants, qui est de l'ordre de 80 à 100 000 milliards, soit trentefois plus important." (S. Amin, 1996, p.6) La dernière crise deséconomies de l'Asie du Sud-Est est aussi à analyser dans cecontexte de capitaux flottants qui se trouvaient des marchésspéculatifs dans des économies émergentes. D'autres hypothèsesdisent aussi qu'elle peut avoir été provoquée pour pénaliser ceséconomies et élargir l'éventail des possibilités d'interventiond'autres capitaux flottants.

On comprend donc le rôle que le SMD s'est assigné et surtout lerôle qu'il a confié au grand marabout du système dans la gestion dela crise: impulser sinon imposer la libéralisation aussi bien auxpays en développement qu'à ceux de l'Europe de l'Est, soumettreles économies des pays en développement à l'impératif duremboursement de la dette, gérer le flottement des monnaies, ettrouver les cadres de politiques et programmes qui ouvrent d'autresperspectives de placement de l'argent. Il est bien entendu que lesgrandes décisions stratégiques de dérogation limitée à ces règles oude leur renforcement soient prises par le Groupe dit des sept (G7)ou préparées dans un 9adre de gestion doctrinale comme celui desréunions du Forum Economique Mondial à Davos, ou autresrencontres de l'OCDE.

Les politiques de réformes en Afrique sont donc à analysersurtout dans cette perspective et non dans celle de la littérature

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conventionnelle à leur sujet. C'est cela qui permet de comprendre àla fois leur contenu, la pertinence de leur stratégie, l'appréciationqu'on peut faire de leurs résultats en Afrique, l'acharnement têtu duSMD à les maintenir dans leur essence malgré la médiocrité desrésultats pour le continent, et enfin le fait que le SMD en ait faitune conditionnalité pour l'aide, le rééchelonnement de la dette, etmême les "prêts au développement". Le SMD a fait clairementcomprendre aux pays africains que son "aide" est conditionnée à lasignature des accords avec le grand marabout et donc à l'adoptiondes politiques de réformes et leur mise en œuvre. Cette dernière estfaite sous le contrôle du grand marabout qui en fait des rapportsréguliers aux principaux acteurs du système.

2. Portée de la conditionnalité des réformes économiques

Les réformes économiques sont apparues non pas seulementcomme politiques de stabilisation et d'ajustement prescrites ouconseillées aux pays africains par leurs partenaires audéveloppement, mais beaucoup plus comme conditionnalité àremplir par les pays africains pour bénéficier de l'aide ou des prêtsau développement de la part des pays et institutions membres duSMD. Cette dimension des politiques de réformes - conditionnalitéde l'aide -, mérite qu'on s'y arrête un moment pour en saisir lecontexte, la portée des objectifs et des composantes, ainsi que lafonctionnalité du dispositif pour les pays africains dans leurrelation avec le système marchand du développement.

Comme dit plus haut, l'analyse à la base de la prescription despolitiques de réformes mettait la responsabilité exclusive de lacrise sur les épaules des gouvernements africains pour leurspolitiques "interventionnistes et inadéquates." Cela contribuait enmême temps à décharger le SMD de cette responsabilité, tout en luidonnant le beau rôle, celui de marabout, combinant à la fois lafonction de professeur et de médecin, capable de diagnostiquer lemal existentiel du continent, et de prescrire le meilleur traitement.Et comme le médecin est aussi pharmacien en tant que financierdes prescriptions, son rapport avec le malade africain change àcause notamment du rapport de force qui lui est alors tropfavorable. Il peut donc poser des conditions et s'accorder d'autrespouvoirs additionnels..Par ailleurs le contexte est celui de l'accumulation des capitauxflottants comme il a été dit précédemment, et le SMD a un intérêtparticulier à la mise en œuvre de ces politiques, qui sont en elles-mêmes aussi une nouvelle catégorie de marchandises du dévelop-pement. Mais le contexte est également celui de la raréfaction desressources d'aide au développement proprement dite, et donc de la

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nécessité de sélectionner les interventions qui pourraient tomberdans cette catégorie. Les critères de cette sélection deviennent ainsipartie du dispositif de conditionnalités. Les politiques de réformessont donc sorties du cadre de conseils prodigués aux partenairespour devenir des conditions préalables et concomitantes de l'octroide l'aide. Elles sont devenues instrument au service d'une politique.

Dans l'accord signé avec les institutions de Bretton Woods, lespays africains adoptent les politiques de réformes et s'engagent àles mettre en œuvre pour rétablir les équilibres macroéconomiqueset macrofinancier~ rompus, et corriger les distorsions dues auxinterventions de l'Etat dans la sphère de l'économie; mais en mêmetemps il est convenu que cet engagement est une conditionpréalable au déboursement de l'aide du grand marabout. Parailleurs ce qui préoccupe le grand marabout c'est d'abord et avanttout de relancer l'enveloppe de ses prêts au titre des projets quis'essoufflent. Les politiques de réformes lui donnent l'occasiond'élargir le champ et les opportunités d'intervention. Tout encontinuant à augmenter son portefeuille de projets, la vente despolitiques de réformes permet au grand marabout, et en particulierà la Banque mondiale, non pas seulement d'élargir le champ' devente possible de ces projets, mais surtout d'ouvrir des possibIlitésde déboursements rapides sur une période courte, déboursementscontrôlables semestriellement, alors que le décaissement des prêtsau titre des projets prend beaucoup plus de temps. Cela permet demaintenir un bon niveau d'affaires. Adopter ces politiques commeconditionnalité de l'aide du grand marabout consiste donc à aiderce dernier à placer rapidement ses prêts, et pour le pays africain, àlui être redevable.

Par ailleurs et comme indiqué plus haut, les politiques deréformes ont un contenu en termes de politique de développement,de voie de sortie ou de mode de gestion de la crise, et propagent unparadigme qui a ses canons, ses valeurs centrales et même saliturgie. Les pays africains qui rentrent dans le jeu de cetteconditionnalité devraient donc être parfaitement conscients ducontenu et des implications de la logique d'action dans laquelle ilsengagent l'être et le devenir de leurs populations.

D'un autre point de vue, les politiques d'ajustement et destabilisation sont devenues la porte d'entrée ou le prétexte qui apermis au grand marabout de définir les politiques économiques etsociales des pays africains, et d'en contrôler la mise en œuvre nonpas seulement pour accélérer le déboursement des prêts, mais aussipour veiller à l'intégration ou l'enracinement des pays africainsdans la logique du paradigme prêché par le marabout. Lespolitiques de réformes ne sont donc pas seulement une condition-nalité liée à la mise à disposition des ressources financières, elles

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ont une dimension d'engagement dans une voie idéologiquementdéfinie.

La formulation et la mise en œuvre des politiques de réformes,même si elles propagent le même type de recette, ont toujours desparticularités liées au contexte propre du pays certes, mais aussi durythme des affaires du grand marabout ou du SMD dans le pays oula région, et des objectifs spécifiques qu'il peut s'assigner à ceteffet. Dans ce cadre, elles sont toujours précédées et accompagnéespar la production d'études, rapports et autres informationsnécessaires à la conclusion du marché entre le marabout et le paysafricain considéré. C'est ici que le grand marabout met tout sonpoids idéologique, et son autorité morale ou scientifique pourimposer ou inspirer ces politiques et s'assurer de la vente de samarchandise. Que l'acheteur africain soit entièrement ou partielle-ment convaincu des démonstrations qui lui sont faites, cela importepeu, l'essentiel est qu'il adopte les politiques préconisées, et qu'ilrentre dans la logique de la conditionnalité pour avoir lesressources dont il a besoin. Au besoin le marabout est capable defaçonner les informations qui l'arrangent pour bien vendre lespolitiques de réformes. Z. Laki (1989, p.161) cite justement un res-ponsable de la Banque mondiale qui dans un cas précis a déclaré"nous avons été volontairement optimistes sur l'évolution de lademande des matières premières afin de 'manipuler' le marché dansun sens favorable à la hausse des prix et par conséquent aux reve-nus des pays en développement." La conditionnalité implique doncdans nombre de cas, la soumission aux informations et analyses dumarabout, et par là la perte de son autonomie d'analyse.

Je me permettrai de rappeler encore une situation (déjà évoquéeau chapitre II) que j'ai vécue dans ce sens et dans laquelle j'ai pujouer un certain rôle dans mon pays. Les experts de la Banqueavaient amené une étude dans laquelle ils avaient évaluénotamment le taux de croissance de l'économie au cours de l'année1984 et sur cette base avaient fait des projections sur le courtterme. Cela avait évidemment des implications sur les estimationsbudgétaires, la capacité d'investissement et de mobilisation desressources fiscales, et celle de remboursement des dettes parexemple. Au début, la mission de la Banque avait réussi à faireaccepter son analyse par la Banque Centrale et le Ministère desFinances. Au Ministère du Plan où je travaillais comme conseilleréconomique, j'avais réussi avec quelques collègues à contesterl'analyse de la Banque et ses méthodes de calcul. Tout était parti del'estimation et des projections de la valeur ajoutée de l'agriculturemarchande et non marchande et du secteur de l'auto-construction,et cela m'avait conduit à relever d'autres erreurs de l'analyse. Cequi pour moi était simplement un exercice d'experts, avait un poids

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politique dont je n'avais pas pris la mesure au départ. Lacontestation de l'analyse et des chiffres de la Banque déjà acceptéspar les deux autres institutions nationales, était perçue comme uneatteinte à l'autorité de la docte institution et risquait de porterpréjudice à ses affaires dans le pays. Heureusement que j'avaisl'appui de mon ministre et tout le monde reconnaissait la soliditédes études du ministère du plan. Autrement j'aurais été sacrifié surl'autel des affaires du grand marabout. J'ai réussi alors à ce que legouvernement organise un séminaire spécial où experts desMinistères du Plan et des Finances et ceux de la Banque Centraledevaient se rencontrer pour discuter des problèmes méthodologi-ques de l'évaluation de certains indicateurs et de leurs projections.Il n'a pas été difficile de nous entendre au niveau technique: il yavait un consensus sur les erreurs de la Banque mondiale.

Ce témoignage de l'expérience personnelle illustre et confirmesimplement le fait que la conditionnalité des politiques de réformesrenferme avec elle une certaine dose d'abdication scientifique outechnique pour le pays africain. Il faut accepter aussi la lecture desfaits nationaux non pas nécessairement par soi-même, mais plutôtcomme ils sont lus par le grand marabout et le SMD.

Bien que les programmes de stabilisation et d'ajustement soientélaborés et signés avec le grand marabout, leur conditionnalité nese limite pas à ce dernier. Ils deviennent automatiquement laconditionnalité exigée par tout le système marchand du développe-ment. Et c'est là que le grand marabout montre qu'il agit effective-ment au nom du système et en vertu des pouvoirs qui lui sonttacitement conférés. Le respect de la conditionnalité des politiquesde réformes devient alors le visa d'entrée en opération des autresprogrammes d'aide.

Le discours qu'on entend dans les milieux gouvernementauxafricains est pratiquement le même: "le FMI et la Banquemondiale nous obligent à adopter des politiques de stabilisation etd'ajustement avec leur austérité simplement parce qu'ils veulent-ou tiennent à - nous accorder des prêts dont ils savent que nous neserons pas en mesure de rembourser. De plus nous ne pouvons plusrecevoir d'aide ou emprunter auprès d'autres organismes publicssans présenter au préalable un certificat de bonne conduite délivrépar ces institutions. Et pour qu'elles nous le livrent, il faut adopteret bien mener leurs politiques de réformes!" La conditionnalité despolitiques de réformes économiques est donc la conditionnalité detout le système et non seulement celle de son grand marabout. Desorte qu'en l'acceptant, les pays africains se mettent sous la tutelledu grand marabout certes, mais celui-ci devient une sorte de PDGd'une grosse affaire dont le conseil d'administration est composédes autres membres importants du SMD. C'est là que le rôle

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idéologique et surtout politique du grand marabout et donc despolitiques de réformes apparaît dans le dispositif du SMD. Legrand marabout doit contribuer à ouvrir ou élargir les voies desprofits pour les principaux membres du SMD. Même les grandesentreprises des pays membres du SMD comptent sur lui.

Il est toujours prêché théoriquement qu'un pays peut refuser derentrer dans le jeu de cette conditionnalité et ne pas adopter lespolitiques de réformes. Le grand marabout crie à qui veutl'entendre que ce sont les pays eux-mêmes qui viennent vers lui etqu'il n'oblige personne à venir emprunter auprès de lui. Mais onsait que même si le Zimbabwe l'a fait dernièrement avec le FMI, ilest difficile et très risqué pour un pays africain de dire non augrand marabout et renoncer à la conditionnalité des politiques deréformes économiques. D'une part, parce que ces pays sont déjàpresque tous endettés auprès du grand marabout et cela risque decompromettre leurs chances dans les discussions sur la detteactuelle comme sur les perspectives d'emprunts futurs auprès dugrand marabout ou du SMD dans son ensemble (M. Khor, 1999).De l'autre, c'est tout le système qui va se coaliser contre le paysafricain qui aurait pris le courage de donner un tel "mauvaisexemple," et de créer ainsi un précédent qui montre qu'on peut sepasser du SMD. Non seulement l'aide lui sera refusée, mais desactions agressives de dissuasion et si nécessaires de punition serontsans doute entreprises par le SMD contre le pays en question.

Mais cette épreuve est sans doute un prix à payer pourconstruire une autre logique d'action, celle du développement.Cette épreuve exige que les stratégies de sortie du système de l'aideet donc de la conditionnalité des réformes économiques du type decelles actuellement en cours en Afrique soient esquissées etdiscutées au niveau national. Après quatre décennies de développe-ment assisté sans développement, l'Afrique ne peut se permettre leluxe de continuer à dépendre d'une aide conditionnée à l'adoptiond'une logique douteuse pour son développement. Le continent aassez pataugé dans le cercle vicieux de cette aide sans voir leslueurs du jour, et il est grand temps qu'il la questionne du point devue de sa propre perspective et de celle du devenir des populationsafricaines.

Tels sont les principaux éléments significatifs et lesimplications des politiques de réformes économiques en tant queconditionnalité de l'aide et des prêts au développement, avec lalogique de base qui est la leur. Mais il faut poser ici une autrequestion: celle de ce qu'on espère obtenir au bout de la course. Lesprogrammes de réformes eux-mêmes indiquent ou font miroiter lesrésultats attendus comme un bonheur promis: la croissanceéconomique grâce au rétablissement des équilibres financiers

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rompus, à la privatisation, à la dévaluation des monnaies et à lalibéralisation des prix, des salaires, des changes, des relations avecl'extérieur et bien sûr grâce à la réduction de la demande. Mais lacroissance n'a pas été au rendez-vous, et encore moins la sortie decrise. Vingt années de tâtonnements et d'apprentissage même pourle grand marabout ont réussi à semer le doute, ou parfois àconvaincre quelques chercheurs, fonctionnaires et sans doute lespopulations, que les politiques de réformes économiques prescritespar le marabout ne sont pas porteuses d'espoir de sortie de crise.Mais les tenants de la doctrine au sein du SMD ne peuvent avoir lecourage de s'en détourner ou même de la remettre en cause. Etnombre de dirigeants africains qui dans leurs besoins de l'aide duSMD pensent être réalistes continuent à prêcher, menaces à l'appui,de poursuivre le chemin de l'hypothétique salut défini dans lesprogrammes de réformes économiques.

Les espoirs de ceux qui continuent dans cette voie relèvent dedeux ordres de considérations. D'abord la faiblesse politique ou deleadership politique de nombre de pouvoirs africains qui ne sontpas toujours à même de mobiliser leurs peuples dans une directionautonome de développement et de les engager effectivement dansle processus de mise en œuvre de cette voie. Le poids despesanteurs de l'héritage colonial et de la pauvreté dans le pays sontbien mis à profit par le SMD et les équipes nationales de sespartenaires détenteurs du pouvoir.

Ensuite l'existence toujours forte de certains mythes commecelui de la croissance par le marché extérieur, celui de l'attractiondes investissements directs étrangers ou enfin celui de la réductionvoire de la suppression de la dette, tout cela pouvant être obtenugrâce à la bonne application des recettes des programmes deréformes économiques.

Pourtant les faits démontrent chaque jour un peu plus qu'il s'agitplus de mythes que d'espoirs fondés sur la réalité ou la pertinencede la logique de ces réformes. Pour ce qui est du premier mythe(voir la section 3 suivante) en effet, non seulement il n'y a pas eude croissance soutenue en Afrique, mais en plus et malgrél'augmentation de nombre d'exportations africaines, la part del'Afrique dans le marché mondial prise globalement ou parcatégorie spécifique de produits d'exportation continue de baisser.La chute continuelle des prix des produits de base exportés par lespays africains les éloigne chaque jour un peu plus de la prospéritépartagée promise par les politiques de réformes économiques, etque font miroiter encore les défenseurs de la mondialisation tousazimuts. Le continent est de plus en plus marginalisé dans leséchanges mondiaux et on continue à lui prêcher le mythe et l'espoirdont le marché mondial serait porteur. Il faut nécessairement

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RégionPays développésPays en développementAfriqueAsie et PacifiqueAmérique latine etC!lralbesEurope centrale etorientaleMondeEn milliards de dollarsSource: CNUCED

Par ailleurs la répartition de ce dérisoire pourcentage sur lecontinent se fait principalement en faveur de deux pays: l'Afriquedu Sud et le Nigéria. Il n'est donc pas prouvé que les pays quiappliquent les politiques de réformes sont ceux qui attirent ouencore moins bénéficient effectivement de l'accroissement desIDE. En fait comment en serait-il autrement quand on sait que lespolitiques de stabilisation et d'ajustement ont eu comme fonctionprincipale de réduire la demande, aussi bien intérieure que mêmeextérieure. Elles ,ont donc de ce fait un effet négatif sur lesinvestissements. Etant donnée la faiblesse des marchés financiersen Afrique, les IDE que le continent est à même d'attirer sont dansle domaine de la production des biens primaires, des services, et dela vente de technologies. Mais, même dans ces cas, ils tiennentcompte aussi bien du potentiel économique ou de ressourcesnaturelles des pays, des dimensions des marchés nationaux, quedes conditions de sécurité physique et financière, et notamment despossibilités de réexportation de capitaux ou de profits. Toutes

.choses qui font la différence entre le Kenya ou le Mozambiqued'une part et le Niger de l'autre ou entre l'Angola et le Mali, et non

remettre en cause ce mythe, et revoir aussi bien les structureséconomiques que les opportunités qui peuvent faire de lapromotion des exportations une composante d'une politique decroissance endogène et donc du développement humain durable enAfrique.

Quant au mythe de la croissance des investissements directsétrangers, et comme déjà indiqué plus haut, les politiques deréformes n'ont pas permis au continent d'attirer plus de capitauxétrangers qu'auparavant. Bien au contraire la part du continent dansces mouvements de capitaux ne cesse de chuter au point de ne plusreprésenter qu'un peu plus de 1% des investissements directsétrangers dans le monde aujourd'hui, alors que l'Asie et le Paci-fique d'une part et l'Amérique latine et les Carai'bes de l'autre necessent de voir leur part sensiblement augmenter (voir tableau 4.3).

Tableau 4.3. Distribution géographique de l'accueil des IED(1983-1997) (pourcentages)

1983/88 1991 1992 1993 1994 199578,4 72,2 68,4 63,4 58,2 63,921,5 26,2 29,1 33,3 39,3 31,9

2) 1) IJ 1) 2) 1~11,4 14,7 17,1 26,3 25,0 20,57,8 9,6 10,0 7,9 Il,8 9,6

0,1 1,6 2,5 2,8 2,4 4,3 3,7 4,6

1~1~1~1~1~1~1~1~93,3 159,4 175,8 217,6 243,0 331,2 337,5 400,5

1996 199757,9 58,238,5 37,2

1,4 1,223,8 21,813,0 14,0

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la plus ou moins bonne application des réformes économiqueséventuellement certifiée par le grand marabout. Mais le mythepersiste et la compétition entre pays africains pour avoir plus d'aidegrâce à la mise en œuvre des programmes de réformes est devenueaussi une compétition pour attirer les quelques miettes d'IDE quipeuvent tomber en Afrique.

L'autre mythe est enfin celui de l'allégement de la dette sousforme de rééchelonnement ou surtout de son annulation. J'aimontré précédemment que parmi les objectifs non déclarés despolitiques de réformes du grand marabout, il y a la marche forcéevers l'intégration dans la mondialisation et j'y reviendrai, mais qu'ily a aussi l'exigence impérative de remboursement de la dette del'Afrique envers les principaux acteurs du SMD. Cela limite déjàpour les pays africains, toute ambition ou tout espoir démesuréd'annulation de la dette par le SMD. Le système est tellementsolidaire sur cette question qu'il a trouvé des mécanismes pour quecertaines aides bilatérales qui relèvent de l'APD soient utiliséesdirectement pour le remboursement des dettes envers le grandmarabout - lui il fait des affaires en prêtant directement sonargent -, ou même envers le Club de Paris ou celui de Londres.

L'aide au développement et surtout les prêts au développementsont venus comme un apport de ressources financières qui~anquaient et manquent aux pays africains pour lancer leurséconomies et amorcer le processus de leur développement. C'étaitla fonction officielle proclamée depuis le début des indépendancesafricaines. Quelque vingt ans plus tard, l'Afrique devient de plus enplus incapable de rembourser ses dettes sans y consacrer l'essentielde ses revenus d'exportations, sans sacrifier des dépensesd'investissement stratégiques pour son développement, ou lefonctionnement normal de la machine de l'État. Les programmesde réformes vont faire le gendarme pour que le continent continueà rembourser ses dettes, fût-ce au prix de ces sacrifices. Tout lemonde crie, le poids de la dette est trop lourd pour l'Afrique! Ilfaut le lui alléger. Des formules ont été imaginées et ont évoluénon pas seulement pour l'Afrique, mais aussi pour le monde endéveloppement en général.

Il a été démontré que dans nombre de cas - celui du Mexiqueest devenu classique -, la crise de la dette ne menace pas vraimentle système financier international. Les prêteurs ont généralementpris des dispositions pour avoir toujours des provisions pour leurscréances douteuses, et qu'ils restent malgré tout capables dedistribuer des dividendes substantiels à leurs actionnaires. Bien queparfaitement conscient de cette situation, le SMD n'aime pasbeaucoup procéder à des rééchelonnements et encore moins à desannulations des dettes. Il se fait longuement prier avant d'adopter

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une quelconque formule d'adoucissement. De sorte que chaque foisqu'il sort une de ces décisions, comme la dernière prise au Sommetdes 8 à Cologne en Juin 1999 dernier en faveur des pays les moinsavancés (PMA) et moyennant certaines conditions, il apparaîtcomme un grand bienfaiteur capable d'honnêtes sacrifices pour sespartenaires. Il faut donc mériter de tels sacrifices de la part de sesbienfaiteurs et se montrer bon disciple digne de bénéficier de plusde magnanimité encore. D'où la compétition entre les pays etnotamment ceux d'Afrique pour être de la catégorie choisie danschaque formule pour bénéficier des largesses du système. Il estutile de s'arrêter un moment sur le cas spécifique de la detteafricaine.

3. Réformes économiques et endettement de l'Afrique

L'endettement de l'Afrique se justifie sans doute par lesobjectifs de transformation accélérée des structures économiques etsociales, les objectifs, de croissance économique et dedéveloppement humain. A ce titre d'ailleurs presque tous les paysdu monde ont dû recourir à l'endettement à un moment ou un autrede leur histoire. Mais ce qui devient un problème pour l'Afrique,c'est l'incapacité du continent à rembourser sa dette dans le respectdes échéances, l'effet cumulatif de cette dette avec la capitalisationdes intérêts, et la charge lourde que cela représente pour leséconomies africaines. Ce qui devient problème, c'est le caractèreétouffant de cette dette, qui contractée à l'origine comme facteurd'accélération de la croissance et du développement, devient aucontraire véritables frein et contrainte au développement ducontinent, ponctionnant même ses maigres ressources.

La question qui se pose déjà à ce niveau est cel1e de savoircomment et pourquoi l'Afrique n'arrive pas à assurer sa croissanceéconomique de manière soutenue grâce à ces ressourcesempruntées, pour pouvoir ainsi rembourser sa dette?

Trois raisons majeures sont avancées pour expliquer cettesituation:

D'abord il y a la qualité des projets qui ont été réalisés ou misen œuvre. Dans beaucoup de cas, il s'agit de projets mal étudiés,dans ce sens que leur impact réel sur la croissance économique estfaible sinon nul. Donc des projets improductifs ou à faible rentabi-lité, mal agencés entre eux, mal encadrés, mal gérés, et tenant pluscompte des considérations politiques des dirigeants que des consi-dérations économiques. D'où une capacité faible de génération deressources financières, et donc de remboursement de la dette.

Ensuite, il y a les rééchelonnements qui entraînent la capitalisa-tion des intérêts et alourdissent ainsi le poids de la dette africaine

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pour les maigres finances de ces pays, et en l'absence d'unecroissance soutenue. La capitalisation des intérêts échus et nonpayés est donc une des causes de la crise de l'endettement des paysafricains malgré les efforts d'allégement déployés par les bailleursde fonds.

Enfin de manière générale, la mauvaise gestion économique etfinancière des responsables africains, qui fait que l'allocation desressources financières notamment, n'est pas assez optimale. Bienau contraire, beaucoup d'aberrations qui font qu'on est en droit dese demander si les pays africains veulent bien aller de l'avant oupas. Ce qui fait que le financement extérieur ne trouve pas toujoursle meilleur environnement pour jouer le rôle de stimulant de lacrOIssance.

Les conséquences de cette crise de l'endettement sontnombreuses et parmi elles:- la pression sur les recettes d'exportations. Ce prélèvementdiminue le volume de devises disponibles pour les importations desbiens d'équipement, d'approvisionnement et de consommation,même les plus nécessaires pour la croissance économique et pourles populations;- la pénurie de devises pour les importations contribue à son tour àfaire pression sur le taux de change au détriment de la monnaielocale;- les sorties de fonds au titre du service de la dette ont tendance àprovoquer un déséquilibre de la balance des paiements, dans uncontexte de baisse de cours de matières premières exportées par lespays africains, et en particulier le déficit de la balance des capitaux,amplifié par la méfiance des bailleurs, et entraînant ainsi unfreinage de nouveaux crédits;- 1a pression sur les finances publiques en rest}:eignant les moyensde fonctionnement normal de l'appareil d'Etat, et surtout lesmoyens de financement du développement économique et social;- la diminution de la capacité du pays à mobiliser même le surpluséconomique et à l'utiliser pour les besoins de la croissance écono-mique et de l'amélioration des conditions sociales de sespopulations.

Ainsi, l'analyse même sommaire des conséquences de l'endette-ment des pays africains, montre qu'il ne favorise pas du tout lacroissance économique et la lutte contre la pauvreté dans ces pays,contrairement aux intentions avouées de départ. L'endettement estdevenu une contrainte qui pèse sur leur développement. Et cecis'est accentué en particulier au début des années 80 lorsque les tauxd'intérêt ont connu une hausse très forte sous l'impulsion de laRéserve fédérale américaine. L'encours de la dette africaine quiavait été multiplié par 12 entre 1970 et 1980 représente maintenant

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des charges d'intérêts trois fois supérieures, à une période de baissedes prix des matières premières exportées par le continent. D'où lecycle infernal qui consiste à emprunter auprès des uns pourrembourser les autres, et en particulier pour rembourser auxinstitutions internationales. Les politiques de réformes intervien-nent dans ce contexte, et on comprend le problème de fond quipréoccupe les bailleurs de fonds et le SMD, mais aussi pourquoi ladette des pays afriçains est devenue un moyen de chantage duSMD sur ces pays (E. Toussaint, 1997).

Des solutions ont été proposées et certaines mises en œuvre. Onpeut distinguer parmi elles les solutions politiques et les solutionstechniques en vue d'alléger le poids de la dette pour les paysafricains.

Les solutions politiques sont celles prises par les autoritéspolitiques des bailleurs ou des débiteurs. On trouve dans cettecatégorie l'annulation pure et simple de la dette ou moyennantcertaines conditions, la conversion en dons par le créancier, etc.Ceci peut se faire par négociations ou par décision unilatérale ducréancier. Peu de créanciers y sont réceptifs même s'il y a eu uneévolution dans ce domaine, en particulier pour les institutionsfinancières internationales.

Il y a également dans cette catégorie le refus de paiement ou lasuspension de paiement décidés unilatéralement par le paysdébiteur. Cette solution engendre toujours des conflits avec lesbailleurs de fonds qui n'hésitent pas à utiliser les nombreux moyensde pression à leur disposition.

Il y a enfin la fixation unilatérale ou négociée du taux accepta-ble de la part exigible du service de la dette, soit en tant que ratiodes dépenses budgétaires, soit en tant que pourcentage des recettesd'exportations, bref par rapport à la capacité de remboursement dupays. Sauf quand elles sont négociées, ou quand elles proviennentde la décision du créancier en faveur du débiteur, les solutionspolitiques émanant de la décision unilatérale du débiteur onttoujours des répercussions négatives sur celui-ci.

Les solutions techniques sont en réalité des mécanismes etmontages économico-financiers mis en place conjointement pourconcrétiser les décisions politiques d'allégement du poids de ladette des pays africains, et en même temps dans le respect desintérêts du pays créancier. Dans cette catégorie, il y a d'abord lerééchelonnement qui, au fur et à mesure qu'il se répète, devient uncercle quasi-vicieux, alourdissant de plus en plus le poids de ladette pour les années à venir et donc hypothéquant l'avenir ducontinent. Il contribue tout au plus à décrisper la situation à courtterme, mais renvoie le poids aux années futures, que cerééchelonnement soit conditionné ou non à la mise en œuvre des

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politiques de stabilisation et d'ajustement.Il y a également les conditions de faveur à négocier avec les

bailleurs des fonds et portant sur le taux d'intérêt, la période degrâce et celle de remboursement, etc. Dans cet ordre d'idées, il y aaussi les programmes spéciaux initiés notamment par lesinstitutions mternationales pour certaines catégories de pays qui,moyennant certaines conditions, deviennent éligibles à ces pro-grammes. On peut aussi mentionner la conversion de la dette eneffets-obligations, par exemple les négociations sur les marchésdes capitaux. Cette solution a plusieurs versions sophistiquées,accompagnées parfois par des programmes d'exportationsambitieux. Enfin il yale paiement de la dette en monnaie locale,pouvant être utilisée pour les dépenses locales du bailleur -investissements ou autres -, ou dans le cadre des fonds de

contrepartie. Les imaginations sont fertiles dans le raffinement decertains de ces montages économico-financiers et les formules semultiplient continuellement.

Mais si le problème de l'endettement des pays africains et de sesconséquences sur l'économie est réel, on peut cependant formulerquelques réserves quant à certains éléments d'explication qui sontavancés, et aux solutions qui sont préconisées. Car il est vrai quel'Afrique est insolvable aujourd'hui à l'égard de ses créanciersextérieurs, et cela est dû entre autres raisons au fait que les fondsempruntés ont été utilisés pour financer des projets improductifs ounon rentables financièrement. Mais on ne doit pas perdre de vueque cela l'a été au terme d'un marché qui a bénéficié sans doute auxp'rêteurs, directement ou indirectement, individuellement oucollectivement, et que de toutes façons les projets eux-mêmesétaient techniquement étudiés par ou avec l'appui d'experts ducréancier.

En effet, dans la structure de la dette extérieure des paysafricains, l'essentiel des crédits est destiné aux projetsd'infrastructure, à ceux des activités d'exportation minières ouagricoles, et à quelques éléphants blancs, gros complexesindustriels pour le marché interne.

Cette orientation s'explique: les intérêts des bailleurs dans lesecteur d'exportation des matières premières qui approvisionnentleurs industries de transformation et dans les infrastructures pourévacuer ces matières premières vers les ports d'exportations, lesintérêts des bailleurs dans l'ouverture des marchés aux entreprisesde construction et ou de fourniture de l'équipement, le toutcontribuant ainsi à la croissance économique dans les pays duSMD. Ce sont là autant d'éléments d'explication qu'il faut intégrerà l'analyse. De sorte que ce sont finalement les pays du Nord quiont bénéficié de leurs crédits à l'Afrique, tout en mettant une corde

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au coup de cette dernière non pas seulement pour rembourser ladette, mais aussi pour continuer à jouer son rôle fondamentaltraditionnel tel que défini depuis la période coloniale.

Les projets qui s'inscrivent dans cette vision ont des chancesd'être financés et le SMD y veille, prêt à utiliser les moyens depression politique ou économique, et même à jouer avec des potsde vin s'il le faut. Mais les projets qui tendent à financer lesactivités qui risquent de sortir les pays africains de ce rôle sontgénéralement refusés, sous des prétextes divers et les théories nemanquent pas pour le justifier. Pour les pays africains, les bailleursdes fonds au sein du SMD sont en effet à la fois financiers,théoriciens du développement, conseillers économiques et sociauxavisés, et parfois décideurs.

La situation de la dette africaine aujourd'hui varie selon lessources et les estimations. Mais je me référerai aux données de laCEA qui me paraissent plus proches de la réalité (voir tableau 4.4).L'encours global de la dette africaine s'est beaucoup accru au coursde cette décennie, atteignant quelque 350 milliards de dollarsaméricains, soit près de 70% du PIB du continent et plus de 300%des recettes d'exportation sur la période! En même temps, leservice de la dette se situe dans la fourchette de 31 à 40 milliardsde dollars, soit de 21,3 à 31% des recettes d'exportations. Oncomprend déjà pour qui fonctionnent les économies africaines.Comparé à l'endettement total des pays en voie de développement,la dette africaine "représente un peu plus de 9% (2465,1 milliardsde dollars), mais près de 70% du PNB de l'Afrique subsaharienne(330,6 milliards de dollars), contre 29% en 1980, et 232% de sesexportations totales, contre 100% en 1980. La dette réunie duBrésil et du Mexique est supérieure à celle du continent africain,mais la différence réside dans l'accès aux marchés internationauxde capitaux pour financer leur développement." (MarchésTropicaux, 25/6/1999, p.1308). Si on ne considère que la dettetotale de l'Afrique au Sud du Sahara, "où vivent plus de 10% deshabitants de la planète, elle représel}te moins de 1% des detteslibellées en dollars dans le monde" (E. Toussaint, 1997). Certainsestiment que vu le coût social de cette dette en Afrique, refuser del'annuler équivaut à un refus de porter assistance à une personne endanger de mort.

Tableau 4.4. Dette extérieure de l'Afrique1993 1994 1995 1996

En-cours global (millions de US$) 301,7 312,2 329 340,6En % du PIB 65,4 66,3 68 67,8En % des recettes d'exportations 345,6 302,1 304,9 293,4Service de la dette (millions de US$) 37,7 38,3 32,9 31En % des recettes d'exportations 28,3 25,8 30,5 29,3Source: CEA, Rapport Economique sur l'Afrique, 1998.

1997349

67,5283,9

3321,3

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Les estimations peuvent varier selon les sources, mais la réalitéreconnue par tous est que l'endettement de l'Afrique est très lourdnon seulement par tête d'habitant, mais aussi par rapport auxcapacités de remboursement du continent. Et de fait le FMI lui-même estime que seulement 30% du service de la dette exigible esteffectivement réglé par les pays africains. Dans l'encours global, ladette à long terme du continent représente près de 79% du totaldont 44% de créances bilatérales, 32% de créances multilatérales et24% de créances privées. La part croissante de la dette multilaté-rale combinée à la crise de l'endettement a conduit les institutionsde Bretton Woods à la suite de longues tractations, et à l'exemplede créanciers publics bilatéraux, à imaginer une formule pourparticiper au processus d'allégement de la dette de certainescatégories de pays. C'est dans ce cadre qu'est née l'Initiative enfaveur des pays pauvres très endettés (IPPTE).

Cette initiative a fait beaucoup de bruit et le grand marabout n'apas manqué de se féliciter de ses largesses envers les pays pauvres.Les critères d'éligibilité sont cependant très limitatifs pourl'Afrique. Les principaux d'entre eux sont (i) être déjà éligible auxseuls prêts concessionnels de l'IDA, (ii) démontrer son engagementdans la mise en œuvre des programmes de réformes économiquesconclus avec le grand marabout sur une période totale de six ans(trois ans de mise en œuvre soutenue des PAS et trois ansd'application de mesures additionnelles d'accompagnement liées aubénéfice de l'initiative), (iii) avoir un niveau d'endettementconsidéré comme insoutenable, calculé en termes de pourcentagede valeur actuelle nette de la dette comprise entre 200 et 250% dela valeur des exportations, ou d'un service de la dette représentant20 à 25% des exportations.

Il a été prouvé que quelque 12 à 15 pays africains pouvaientespérer être éligibles et bénéficier d'une telle initiative et pas tousles pays pauvres très endettés du continent. Et s'ils voulaient enbénéficier quand même, ils devaient non seulement rentrer dans laconditionnalité des programmes de réformes, mais surtout montrerqu'ils ne sont pas les derniers montés dans le train pour les besoinsde la cause. Ils doivent être de bons élèves sur une longue périoded'épreuve qui rassure le marabout du façonnement réel des futursrécipiendaires. C'est ainsi qu'en Afrique, seul l'Ouganda a pubénéficier de l'initiative depuis l'année dernière. Quelque quatreI!utres pays sont à des étapes différentes dans le processus:Ethiopie, Guinée Bissau, Bénin et Burkina Faso et ils sont suivispour se rendre compte des progrès dans la marche vers le bénéficede l'initiative. C'est ainsi que le cas du Sénégal pourtant admis audépart est devenu douteux!

Malgré une sélectivité trop discriminatoire, une générosité très

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limitée et une procédure trop lourde dans la mise en œuvre, lemythe du bénéfice de l'initiative comme des autres formules dictebeaucoup le comportement du SMD et des potentiels bénéficiairesafricains. Il y aura sans doute beaucoup d'appelés et peu d'élus.Mais même parmi les élus, les rééchelonnements et les annulationscontribueront de toute évidence à l'allégement du poids de la dette,sans que le problème de la capacité d'endettement ultérieur fondéesur une croissance soutenue soit résolu. Ce qui n'est pas garanti parla conditionnalité des réformes économiques.

Je me résume: je ne disculpe pas les autorités et les respon-sables des politiques économiques africains. Ils assument la res-ponsabilité de la crise actuelle avec ses conséquences sur le déve-loppement de ces pays. Mais c'est une responsabilité partagée avecles bailleurs de fonds qui en ont largement bénéficié. Quant auxsolutions préconisées, ce qui importe c'est l'avenir, le développe-ment futur du continent. Obtenir un allégement de la dette ou sonannulation pure et simple est sans doute une très bonne chose. Maisqu'est-ce qui garantit que les bailleurs se décideront encore à fairedes crédits significatifs aux pays africains dans l'avenir? Et surtoutqu'est-ce qui garantit que même s'ils le faisaient, les pays africainsne vont pas se retrouver dans vingt ans, dans la même situationqu'aujourd'hui? Enfin, tant que les causes profondes de la crise del'endettement ne sont pas intégrées à la recherche des solutions, ya-t-il une solution durable quelconque dans ce contexte?

Ce qui est en crise et constitue une dimension importante del'endettement de l'Afrique, c'est sans doute la division interna-tionale du travail qui cantonne l'Afrique de gré ou de force dans lerôle de porteur d'eau et de bois. Tant que les bailleurs et le SMD nelui laisseront pas la liberté de décider de l'utilisation des créditsdans les activités qui la sortent de ce rôle, la crise de l'endettementsera permanente, malgré des moments passagers de décrispation dela situation dus à des mesures et programmes spéciaux de réductionde la dette, ou à des périodes de hausses de cours des matièrespremières exportées par les pays africains.

C'est pourquoi, au lieu de laisser leur attention accaparée par ceproblème de la dette, mais sans laisser tomber leur lutte pourobtenir l'allégement de ce fardeau, les pays africains devraient dèsmaintenant consacrer l'essentiel de leurs énergies dans la mobi-lisation de ressources internes humaines, matérielles, naturelles etfinancières, y compris celles exportées frauduleusement, dansl'objectif d'une croissance et d'un développement basés sur lesbesoins internes. Car diminuer le rôle relatif des ressources exté-rieures dans le développement, c'est lutter efficacement contre lapauvreté et assurer une croissance économique autonome etdurable.

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4. Réformes économiques et compétitivité de l'Afriquesur le marché mondial

Théories courantes et conseils à l'AfriqueDans la perspective des théories conventionnelles synthétisées

dans le fameux Consensus de Washington, le monde évolue etaurait même déjà atteint "la convergence universelle" vers un bien-être mondial partagé, notamment grâce à l'adoption des valeurscommunes d'un même paradigme et de ses différentes compo-santes: la prééminence du marché, la libéralisation commerciale etfinancière, les équilibres budgétaires et des balances des paiements,le rôle du privé et du profit comme moteur de la réalisation, dubien-être général, avec une limitation de l'intervention de l'Etatdans la vie des sociétés. Comme indiqué plus haut, les programmesde stabilisation et d'ajustement mis en œuvre en Afrique relèventde cette idéologie. Les doctrines de développement actuellementdominantes en particulier en Afrique n'en sont qu'une application.

Il est ainsi conseillé aux pays africains de s'insérer activement,c'est-à-dire de s'ajuster au processus de mondialisation enpromouvant la croissance de levrs économies par le biais del'expansion de leurs exportations. A cet effet, les théories courantescontinuent de leur vendre les mêmes recettes: dévaluation desmonnaies et libéralisation des taux de changes, liberté decommerce et donc ouverture quasi généralisée des frontières,~ccroissement et diversification des exportations sur base desavantages comparatifs spécifiques, croissance et développementpar le commerce internatiOnal, etc. Le marché mondial est présentéalors comme un lieu de bien-être à partager, et dont les forces etrègles de jeu assurent un jeu compétitif équitable sinon parfait, aubénéfice de tous les participants. C'est pourquoi l'Afrique commeles autres régions dites en développement devraient activement yparticiper et ce dans leur intérêt bien pensé. Il leur appartientsimplement d'étudier les voies et moyens de renforcer leurcompétitivité et leur créativité pour percer le marché mondial et s'ypositionner avantageusement. Et les programmes de réformeséconomiques sont là pour les y aider.

Il s'agit là d'un corps doctrinal qu'il faut continuellementremettre en cause à la lumière des faits historiques (passés etprésents), bien que de semblables remises en cause aient déjà étéfaites dans de nombreux cercles. Mais devant l'acharnement à fairecroire aux Africains et aux pays en développement en général quec'est leur seule voie de salut devant le processus de mondialisation,il faut aussi s'acharner à démontrer les limites de cette approche.Les affirmations, répétitions et autres tautologies du genre "lespays qui accroissent rapidement leurs exportations et leur part sur

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le marché mondial sont ceux qui connaissent des taux decroissance rapide" n'ajoutent rien de convaincant à la démonstra-tion. Un pays dont la croissance dépend essentiellement ou à uneproportion significative du secteur d'exportation ne peut queconnaître une croissance rapide lorsqu'il réussit à augmenter sesexportations. Les miracles et décollages économiques chantésautrefois pour la Côte d'Ivoire par exemple ne relèvent-elles pas deces affirmations? Mais où en sommes-nous aujourd'hui?

Ce qu'il faut souligner cependant, c'est qu'un tel corps doctrinalignore superbement, volontairement ou par myopie idéologique,mais sans doute aussi pour des raisons d'intérêts bien pensés desgrandes puissances économiques mondiales - pays et sociétéstransnationales qui relèvent de leurs nationalités -, le fait que lesconcepts de liberté de commerce, d'avantages comparatifs naturels,de libéralisation des taux de change, concurrence parfaite, etc. nesont plus véritablement les forces motrices du commerceinternational (R. Lopes Braga, 1998).

Le marché mondial actuelLe marché mondial est aujourd'hui et depuis bien longtemps

plutôt un marché déséquilibré, parce que composante et reflet duprocessus de mondialisation qui implique polarisation et marginali-sation. L'asymétrie sur le marché mondial s'exprime d'abord par lefait que les différents mécanismes mis en place: les Accords duCycle de Négociations d'Uruguay, les règles de jeu de l'OMC, lesdispositions de la Convention de Lomé pour les pays ACP, etc.,tout cela reflète le déséquilibre des forces en présence, notammentdans les négociations et pouvoirs de marchandage entre la coalitiondes pays économiquement riches et puissants, et ceux du tiersmonde. La libéralisation et l'ouverture des marchés sont quasiobligées pour ces derniers alors que les marchés des premiersrestent encore fermés surtout dans les domaines (secteurs etprodujts) où ils sont moins compétitifs par rapport aux pays dits duSud. A cet effet, le PNUD indiquait dans le Rapport Mondial sur leDéveloppement Humain que l'accès restrictif aux marchésmondiaux se soldait déjà à l'époque par un manque à gagner de 500milliards de dollars pour les habitants les plus pauvres de laplanète, soit dix fois plus que ce que ces pays reçoivent au titre del'aide extérieure. Et le PNUD dénonçait ainsi le paradoxe qui faitque les marchés nationaux s'ouvrent ou sont forcés à s'ouvrirnotamment par le jeu des programmes de réformes économiques,alors que les marchés mondiaux eux demeurent fermés, surtout auxproduits des pays pauvres (PNUD, 1992).

Mais l'asymétrie relève d'un phénomène plus fondamental dumode de fonctionnement du processus de mondialisation lui-même

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dont le marché mondial n'est qu'un terrain d'expression. Le dernierRapport Mondial sur le Développement Humain consacré auprocessus de mondialisation montre à cet effet comment, cettedernière bien que censée ouvrir des opportunités à tous, fonctionneplutôt comme un processus de polarisation, d'accumulation inégalede richesses, et de marginalisatlOn entre pays industrialisés et payspauvres du Sud certes, mais aussi entre catégories de populationsau sein des pays.

Le PNUD constate en effet que le cinquième de la populationmondiale vivant dans les pays les plus riches représente 86% dupm mondial, 82% des marchés d'exportation, 68% de l'investis-sement ~irect étranger et 74% de l'ensemble des lignes télépho-niques. A l'autre extrémité, le cinquième de la population occupantle bas de l'échelle, et vivant dans les pays pauvres, ne détient quantà lui qu'environ I% de chacune de ces ressources. Par ailleurs cesécarts sont croissants, ceux qui profitent de la mondialisationaugmentant de plus en plus leurs fortunes au détriment desmarginalisés et des exclus du processus de mondialisation. Ainsi enest-il de l'écart de revenus entre les 20% les plus riches et les 20%les plus pauvres de la population qui est passé de 30 contre 1 en1960 à 60 contre 1 en 1990, et à 74 contre I en 1997; en 1998, lespatrimoines des trois personnes les plus riches du mondedépassaient ensemble le PNB global des 48 Pays les MoinsAvancés parmi lesquels 32 sont des pays africains (PNUD, 1999).

Au-delà de cette dimension, et sans doute dans ses mécanismesde marginalisation et d'appauvrissement des pays pauvres du Sud,la mondialisation est porteuse des menaces sur la sécurité humaineen particulier pour les populations des pays pauvres comme ceuxd'Afrique: destruction des ressources de l'environnement par leurexploitation extensive, réduction significative sinon suppressiond'opportunités d'emplois pour de larges franges de populations sansgrande formation, élargissement du marché mondial du crime audétriment de la paix et de la mobilisation des ressources pour ledéveloppement, crises financières avec leurs risques de répercus-sions négatives sur la croissance économique des pays pauvres, etc.

Cette asymétrie et cette polarisation montrent que laconcentration des richesses au Nord et particulièrement dans lespays industrialisés fait que l'essentiel de la demande sur le marchémondial est situé au Nord et dans lesdits pays, que les vraies forcesqui commandent l'économie et les marchés mondiaux y sont aussiconcentrés. Les implications de cette concentration sont que lespays comme ceux d'Afrique sont appelés principalement à s'ajusterà ce processus, et donc à répondre à la demande des paysindustrialisés, si tant est qu'elle s'adresse à eux de manièresignificative et leur accorde une certaine part de marchés pour les

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produits africains. On peut déjà prendre la mesure des limites pourl'Afrique des stratégies de développement basées sur la réponse à lademande du Nord.

En même temps cette asymétrie et le processus de polarisationpar la mondialisation montrent que les forces motrices du marchémondial actuel ne sont plus les avantages comparatifs naturels, lecommerce libre, la politique de change ou des tarifs douaniers. Cesforces se trouvent ailleurs et en tout cas pas (encore ?) dans lesmains des pauvres pays d'Afrique.

Les sociétés transnationales sont la première force motrice dumarché mondial actuel et qui de ce fait fonnent des oligopoles àmême d'introduire toutes sortes de distorsions en tennes de prix, deconditions de marché, de concurrence, de volumes de transactions,etc. L'essentiel du commerce mondial des pays développés se fait àtravers leurs sociétés transnationales. C'est ce qui leur a pennisd'augmenter leur part dans les exportations mondiales qui estpassée de 67% au début de la décennie 1960 à quelque 75% audébut de cette décennie 1990. Par ailleurs une grande partie ducommerce mondial représente les échanges internes aux flnnestransnationales. Les estimations varient mais les situentgénéralement au-dessus de 40% du commerce mondial. Les paysindustrialisés sont ainsi en contrôle de la quasi-totalité des produitsd'exportation. Ce qui fait de l'Afrique une sorte d'année detravailleurs à domicile des entreprises du Nord et en particulier dessociétés transnationales. Les comparaisons par région indiquentque depuis le début des années 1980 jusqu'au milieu de la décennie1990, la croissance annuelle des exportations africaines a chuté de1% en moyenne, alors que l'Asie et l'Amérique latine connaissaientdes taux de croissance des exportations de l'ordre de 7% et 5%respectivement sur la même période. De ce fait la part de l'Afriquedans le commerce mondial est tombée de 6% à 2% sur la mêmepériode alors que l'Amérique latine maintenait sa part à 5% et quecelle de l'Asie grimpait de 16% à 27%.

Tableau 4.5. Indicateurs économiques récents en Afrique 1993-1997 (en taux de croissance annuelle)

1993 1994 1995 1996o 2 2,7

0,9 3,9 1,5-os -05 -02-D'8 2:9 4:5..Ù 1,2 1,5

2,4 2,4 2,2

IndicateursCroissance des secteursAgricultureMinesIndustriesTermes de l'échange (indice ;1990 = 100)Part de l'Afrique dans le commercemondialSource: CEA, Rapport Economique sur l'Afrique, 1998.

Mais en réalité la situation a continué à se dégrader pourl'Afrique au cours de la deuxième moitié de cette décennie. La part

45,26,52,54,6

2

19972,91,73,82,5

I

1,9

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de l'Afrique dans le commerce mondial est tombée en dessous de2% - 1,9% depuis 1997 - (voir tableau 4.5). Par ailleurs et commeon le verra au tableau 4.6 suivant, si la part du continent dans lecommerce mondial est continuellement en baisse, la dépendanceéconomique de l'Afrique par rapport à ce marché est par contre enaugmentation. La faible croissance économique du continent sur lapériode des politiques de réformes est donc une croissance dedépendance et d'insertion au processus de mondialisation. Cettedernière est d'une certaine manière, une sorte de vaste toiled'araignée tissée principalement par les entreprises multinationaleset transnationales, avec l'appui des institutions financièresinternationales et du SMD dans son ensemble.

En tant que véritables forces motrices sur le marché mondial,les sociétés transnationales opèrent en particulier par le biais del'investissement direct étranger (IDE). Leur politique dans cedomaine vise à diversifier les sources d'approvisionnement et àcontourner les barrières douanières là où elles existent, enétablissant des antennes de production locale, en produisant locale-ment pour les besoins du marché mondial, en investissant dans lesnouvelles technologies porteuses, en privilégiant l'accès auxressources stratégiques ou vitales disponibles, etc. La politique dessociétés transnationales en matière d'IDE est donc déterminantepour l'orientation du commerce mondial, la part des marchéspotentiels pour les pays pauvres d'Afrique et du monde endéveloppement en général, et donc pour le rôle respectif qui peutleur être assigné sur le marché mondial.

Un autre élément important de leur stratégie est le poidsgrandissant du commerce de l'immatériel: savoir et savoir-faire,information, communication et toute technologie de support (H.Quane, 1999). C'est ici qu'il faut souligner encore le rôle crucialdes avancées technologiques dans la création et le renforcementdes avantages comparatifs. Ces derniers sont dans le monded'aujourd'hui, fondés sur les acquis technologiques plutôt que surles gis~ments et dotations réels ou potentiels des ressourcesnaturelles du sol et du sous-sol. Celles-ci ne peuvent d'ailleurs êtrevalorisées et transformées avec un avantage comparatif que grâce àdes performances technologiques qu'il faut développer et maîtriser.Ce sont là les nouvelles forces motrices qui opèrent et régentent lemarché mondial aujourd'hui, et non les concepts conventionnels deliberté de commerce, de change ou d'avantages comparatifs.

Espoirs et limites de la compétitivité africaine sur le marchémondial

Les programmes de réformes économiques et toutes lespropagandes conceptuelles ou idéologiques du même paradigme de

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base promettent à l'Afrique non seulement une croissance écono-mique soutenue par le biais de la promotion des exportations, maisaussi l'afflux de capitaux au titre de l'aide et surtout desinvestissements directs étrangers, et la récupération de la part demarché perdue par l'Afrique et pourquoi pas son accroissement. Iln'en résultera selon cette propagande, qu'un bien-être général dansle partage du bonheur de la mondialisation. Il a été montréprécédemment qu'il n'en est rien. Les programmes n'ont amené nicroissance économique, ni afflux des IDE, ni bien-être mondialéquitablement partagé.

Cependant c'est en vue de cet espoir de bonheur promis àtravers l'insertion dans le marché mondial que l'on recommande àl'Afrique de mener en plus des programmes de réformes écono-miques, des politiques d'accroissement des exportations. Cecipermettrait à l'Afrique d'une part de récupérer la part du marchéperdue notamment pour les produits de base pour lesquels certainspays asiatiques ou latino-américains l'ont évincée, et de l'autre dediversifier ses exportations et conquérir de nouveaux marchés. LeSMD a même trouvé par là un autre créneau pour ses affaires enAfrique. Le continent est réputé ne pas avoir des capacités dans cedomaine, et il faut que le SMD les lui apporte. Des exercicescoûteux de formation à travers les séminaires et ateliers notam-ment, ont occupé le devant de la scène pour que l'Afrique disposed'une capacité convenable de négociations, de promotion et dediversification des exportations. Pourtant la réalité des économieset exportations africaines limite sérieusement les espoirs du paradispromis.

Les exportations africaines sont comme on le sait dominées parla composante matières premières de base, qu'elles soient agricolesou minières, et qui représentent en moyenne plus de 60% desexportations du continent, alors que cette part des produitsprimaires ne représente plus que 25% en moyenne pour les autrescontinents qui ont augmenté leur part de produits manufacturés ouayant un niveau acceptable de valeur ajoutée. La compétitivité pourl'Afrique consisterait d'abord à accroître ses exportationstraditionnelles dans ce domaine pour récupérer la part perdue dumarché. Avec la tendance baissière des cours des matièrespremières, cette stratégie consiste en réalité à pousser les paysafricains à se faire une concurrence entre eux pour une part demarché déjà réduite. Par ailleurs l'augmentation de l'offre due àcette politique va accélérer la chute existante des prix des produitsprimaires. Les pays africains pourront ainsi connaître descroissances en volume de leurs secteurs d'exportations, et par là deleurs économies sans en tirer des bénéfices en termes de revenus.

Au cours des quinze premières années des politiques de

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stabilisationet d'ajustement- mais le phénomène a commencé bienavant -, les cours du cuivre, du café et du bois par exemple ontbaissé en moyenne de 40%, ceux du cacao et du coton de 30%, etceux du fer de 60%. Partant de l'exemple de la Côte d'Ivoire,Gombaud montre que depuis le lancement de la culture de cacao audébut des années 60, ce pays a augmenté sa production par sept,mais que les prix ont chuté de moitié, alors que les superficiesavaient plus que doublé et que la dette extérieure avait étémultipliée par cinquante (J.-L. Gombaud, 1994)! Donc en fin decompte un gaspillage de terres utiles et de ressources financières.Et la Côte d'Ivoire est encore plus dépendante de la culture decacao. C'est dire que même en cas de soulagement financier decourt terme dû à une montée conjoncturelle des prix, ou à uneopération de dévaluation, la politique de promotion desexportations ligote le continent à long terme.

Comme le dit encore J.-L. Gombaud, ceci montre qu'en réalitéce ne sont pas les estimations ou "projections volontairementoptimistes" de la Banque mondiale pour les besoins de la cause quiferont croire aux Africains avertis, que les prix de leurs produits debase qui se sont effondrés au cours de la courte période de reprisemondiale des années 1980, vont prochainement se redresser dansune conjoncture de dépression de l'économie mondiale, dépressionqui est en elle-même une manifestation de la crise structurelle deséconomies libérales. Par ailleurs, une des premières concurrencesdes produits de base africains n'est pas la percée des autresproducteurs asiatiques et latino-américains, c'est surtout laproduction des produits synthétiques de remplacement par les paysindustrialisés et leurs firmes transnationales. Et les progrès dans cedomaine continuent encore à donner l'avantage aux paysindustrialisés au détriment des pays exportateurs des matièrespremières brutes ou quasi-brutes.

On comprend en même temps les limites de l'opération dedévaluation, qu'elle soit faite au niveau national ou à celui d'unezone monétaire comme celle du franc CFA. On sait dans ce.domaine que les prix des matières premières ne dépendent pasbeaucoup de la fameuse loi de l'offre et de la demande. C'est unetoute autre machine des pays industrialisés et de leurs firmestransnationales qui décide des cours de ces produits, dans leursintérêts bien stratégiquement pensés, tout en ayant bien sûr un œilsur la situation de l'offre et de la demande; et leur positionoligopolistique leur donne le pouvoir de distorsions qu'ils veulentsur le marché mondial de ces produits. Les pays en développementexportateurs et en particulier ceux d'Afrique ont peu de pouvoirsd'influence à ce sujet. Par ailleurs les exportations de matièrespremières d'un pays ne deviennent pas moins chères sur le marché

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mondial du fait de la dévaluation de la monnaie du pays. Si laproduction de ces matières premières augmente du fait de ladévaluation, elle risque sur le plan extérieur, de contribuersimplement à l'augmentation de l'offre et donc à la baisse des coursau profit des demandeurs. Une telle théorie s'applique sans douteaux produits manufacturés. La dévaluation contribuera certes àdiminuer les coûts locaux de production, mais elle va en mêmetemps renchérir les coûts externes.

On comprend aussi, les limites des accords correctifs des effetsnégatifs de la forte implication et de la forte dépendance deséconomies africaines dans l'exportation des matières premières,comme les différentes versions de la Convention de Lomé entre lespays de l'Union européenne et les pays ACP. Et on comprend enfinque la politique des programmes de réformes comme les politiquesde promotion des exportations qu'elles fondent ne se font pasvraiment au bénéfice des pays africains, mais plutôt dans l'intérêtdes pays industrialisés et du SMD.

Ce raisonnement reste, à des degrés variables, valable pour lespolitiques de diversification des exportations prônées pour les paysafricains. D'abord si la diversification se fait dans le sens de lapromotion d'autres produits de base, non seulement ils vont êtreconfrontés aux mêmes problèmes du moins à moyen terme, aprèsavoir apporté peut-être un ballon d'oxygène à court terme, mais ilsvont buter sur une première difficulté de taille. La découverte et lapromotion sur un marché extérieur de ses produits exige des étudessur la demande actuelle - réelle et potentielle -, et sur ses:tendances. Elle implique aussi la capacité de promotion àl'extérieur des produits de sa culture, la mise en place de structuresappropriées de promotion qui sont généralement coûteuses, etc.

Ensuite, si la diversification veut porter sur le lancement denouveaux produits, et notamment de produits manufacturés, saufcas de sous-traitance ou de redéploiement d'une activité dessociétés transnationales, elle doit également investir dans lesrecherches technologiques pour ouvrir ou pénétrer un marché avecun nouveau produit de consommation, ou avec un produit de faiblecoût de production. Elle doit aussi investir dans la promotion de laculture du pays et des produits de consommation de cette culture,dans la consolidation de la position sur le marché extérieur ainsigagné ou du moins de sa part dans ce marché, et enfin dans laprévention de l'entrée ou de l'accroissement de la part des autresconcurrents sur ce marché extérieur.

Tout cela est coûteux et risqué pour les pays africains en buteaux problèmes de lutte contre la pauvreté et de transformations destructures économiques. Compte tenu de la modicité et destendances actuelles des IDE en Afrique, toute politique de

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promotion des exportations exigera des efforts importants sinondes sacrifices de la part des pays africains et ce pour des résultatsmédiocres. Qui va alors financer une véritable politique depromotion des exportations? Les pays industrialisés eux-mêmes etleurs firmes transnationales ne semblent pas être prêts à le faire.D'une part parce que leurs projections de l'évolution des cours desmatières premières et leurs prévisions des tendances des marchésn'assurent pas la rentabilité des investissements dans ces secteurs.De l'autre, il s'agit quand même d'investissements lourds qu'ilsn'osent pas risquer en Afrique pour des raisons déjà évoquées plushaut qui se traduisent pour eux en ce qu'ils appellent le taux derisque élevé du continent. Les pays africains ne peuvent doncs'engager dans une telle politique douteuse et risquée pourl'amélioration des conditions de leurs populations qu'en empruntantauprès du SMD et en se soumettant à ses conditionnalités. L'avenirne peut être hypothéqué autrement.

Lors d'une réunion au siège de l'ONU en 1994, l'ancienPrésident de la Tanzanie avait exprimé avec lucidité les limites dela conquête du marché mondial pour les pays du Sud en donnantune image géniale de la compétitivité économique, mais empruntéeà la boxe. Julius Nyerere avait demandé à la salle de le regarder etnoter que s'il devait être boxeur, il serait probablement poids plumeou coq. Et que si quelqu'un organisait un match de boxe entre lui etCassius Clay dit Mohamed Ali à l'époque où il était poids lourd surle ring, prétendant que les règles du jeu étaient les mêmes pourtous et qu'ils avaient en tant que boxeurs les mêmes chances degagner, celui-là mentait malicieusement car il connaissaitpertinemment bien et à l'avance le vainqueur de la compétition.

Réformes économiques et ajustement au marché mondialLes réformes économiques sont destinées de ce point de vue,

non pas seulement à assurer le remboursement de la dette, maissurtout à tracer la voie de l'ajustement des économies africainesdans leur insertion dans le processus de mondialisation, et àcontrôler la marche et les progrès de ces économies dans cette voie.Mais comme déjà indiqué, les bénéfices théoriques desopportunités que la mondialisation ouvrirait aux pays africains quirentrent sous tutelle du SMD à cet effet ne sont pas évidents. Bienau contraire les risques et menaces sur la prospérité des paysafricains dans le sens de leur développement humain durablecemfirment que la mondialisation actuelle est un processus depolarisation, de marginalisation et même d'exclusion du grandnombre et en particulier des populations africaines de ses bienfaits.

La convergence universelle et le paradis du bonheur mondialpartagé ne semblent pas se pointer à l'horizon, ni même s'inscrire

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dans la dynamique de la logique en cours. Les réformes économi-ques seraient contraires à leur objectif fondamental si ellespouvaient ramer à contre courant et sortir les pays africains de ladynamique de polarisation et de marginalisatIon. La révision, duConsensus de Washington pour reconnaître quelque rôle à l'Etatcherche simplement à atteler un acteur important dans un rôled'accompagnement et de facilitation de la dynamique prônée par ladoctrine de base du Consensus. Il n'y a pas en cela une quelconquenouvelle stratégie plus porteuse de développement humain queréclament les populations du continent.

Tableau 4.6. Intégration à l'économie mondialeEchanges Echanges de biens

(% du PNB) (% du PNB en biens)1986 1996 1986 1996

Monde 20,7 29,1 63,8 93,8Faibles revenus 7,1 7,9 33,8 56,9Sans la Chine et l'Inde 12,08 15,7 50,S 92,4Revenus intermêdiaires 12,5 21,8 53,3 SI,1Faibles revenus intermédiaires 12,5 20,0 47,1 84,5Revenus intermédiaires élevés 12,5 24,1 59,0 77,6Revenus faibles et moyens 10,4 15,2 46,1 76,SAsie de l'Est et Pacifique 9,1 13,0 4S, I 127,3Europe et Asie centrale 25,5 57,2 79,7Amérique latine etCararbes 7,9 17,3 40,6 61,7Proche-Orient et Afrique du Nord 19,4 18,9 52,1 78,4Asie du Sud 4,9 5,8 22,1 39,2Afrique sub-saharienne 15,8 18,9 70,3 102,5llauts revenus 26,S 38,9 70,4 178,8Source: Banque mondiale, Indicateurs du développement mondial, Washington, 1998.

En réalité, l'Afrique est le continent qui semble être le plusintégré dans l'économie mondiale et en dépend le plus. Et cettedépendance de l'Afrique par rapport à l'économie mondiale s'estencore accrue au cours des deux dernières décennies, c'est-à-direcelles des politiques de réformes. Le tableau 4.6 donne la mesurede l'intégration de l'Afrique en termes de commerce mondialexprimé en pourcentages de PIB en parité de pouvoir d'achat, et entermes de commerce des biens exprimés en pourcentages de laproduction brute des biens dans le pays.

L'intégration de l'Afrique subsaharienne à l'économie mondialeet donc la dépendance de cette dernière est passée de 15,8% à18,9% entre 1986 et 1996 contre 10,4% et 15,2% pour l'ensembledes pays à revenu faible et intermédiaire selon le premier critère.Les chiffres montrent le même degré de dépendance ensuite pour ledernier critère. Mais comme les exportations africaines sontessentiellement des produits primaires dont les cours sontconstamment à la baisse, on comprend l'inégalité dans le moded'insertion de l'Afrique dans le processus de mondialisation. Oncomprend aussi dans quel sens les réformes économiques ontcontribué à cette insertion.

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Tableau 4.7. Croissance économique en Afrique et dans lemonde (1980-1998)

Valeur du PIB(millions de dollars)

1980-90 1990-98 1980 1998Argentine -0,4 5,3 76 962 344 360Australie 3,4 3,6 160 110 364 247Brésil 2,7 3,3 234873 778292Canada 3,3 2,2 266002 598 847France 2,3 1,5 664 596 1432902Inde 5,8 6,1 186439 383429Italie 2,4 1,2 449913 1 171 044Japon 4,0 1,3 I 059254 3 783 140Corée du Sud 9,4 6,2 62803 297900Mexique 0,7 2,5 223505 393224Pays-Bas 2,3 2,6 171 861 382487Nigéria 1,6 2,6 64202 41 353Norvège 2,8 3,9 63419 145896Singapour 6,6 8,0 Il 718 85425Afrique du Sud 1,2 1,6 78744 116730Espagne 3,0 1,9 213 308 551 923Thaïlande 7,6 7,4 32304 153909Royaume-Uni 3,2 2,2 537 389 1 357 429États-Unis 3,0 2,9 2709 000 8210 600AfriqueSub-Saharienne 1,8 2,2 270391 316517Monde 3,2 2,4 10 939459 28 854 043Source: d'après Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde, 1999/2000.

Il est utile de noter comment les économies africaines sous~ustement ont réagi à ce processus pour démontrer, s'il en étaitencore besoin, que la mise au pas par la stratégie des politiques de,réformes n'a pas servi le continent. En effet, les données de laBanque mondiale montrent que la croissance du PIB en Afrique auSud du Sahara par exemple (celle qui est la plus soumise auxpolitiques de réformes) est passée de 1,8% sur la période 1980-90 àquelque 2,2% sur la période 1990-98 (voir tableau 4.7) ! Ce quid'ailleurs est minable comme croissance économique globale enASS. De plus, il n'est pas démontré qu'elle est attribuable auxpolitiques de réformes, quand on considère par exemple le poids del'agriculture dans la croissance économique en ASS, et l'effetpositif non négligeable de la bonne pluviométrie sur ce secteur.

Par ailleurs cette croissance n'atteint même pas celle de la.population du continent au cours de la même période. Oncomprend que la richesse par tête d'habitant en Afrique évolue enforme de pente descendante et que la pauvreté s'accroissedavantage pendant la période des cures des réformes économiquessoutenues par le SMD.

Par rapport aux politiques de réformes, le tableau 4.7 apporteencore une autre lumière. Alors que tous les pays non africainsindiqués sur ce tableau ont vu leur PIB multiplié par deux, trois,quatre, cinq, six et même plus de sept fois comme à Singapour, lespays africains et l'Afrique sous programmes de stabilisation et

Pays Taux de croissance du PIB

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d'ajustement ont pratiquement végété. En vingt ans de politiques deréfonnes économiques, le PŒ de l'ASS est passé de 270 milliardsde dollars à 316 milliards, soit une augmentation de 17%! Lespàys comme l'Argentine, l'Australie, le Brésil, l'Inde, le Mexique,les Pays-Bas ou l'Espagne dont le pm était inférieur ou même deloin derrière celui de l'ASS en 1980 avant la mise en œuvre desprogrammes d'ajustement, ont aujourd'hui un niveau de pm de loinsupérieur à celui de l'Afrique noire dans son ensemble. Certainssont devenus porteurs d'aide à l'Afrique! Le cas de la Norvège parrapport au Nigéria, ou à l'Afrique dans son ensemble est plusqu'édifiant.

Malgré ces échecs ou ces faibles performances des politiques deréformes, le discours du SMD et de ses principaux acteurs consisteà entretenir l'illusion de la croissance et du développement, oud'autres miracles économiques possibles en Afrique par le biais desmêmes politiques avec au besoin des ingrédients additionnels pourrépondre aux exigences de la "mondialitarisation". Cela donne etentretient l'espoir des pays africains, et justifie leur adhésion auSMD. C'est Ici que la manipulation plus ou moins subtile deschiffres joue aussi un rôle important. "Les procédés classiquesconsistent, pour masquer la réalité, à remplacer les anciens itemspar de nouveaux, rendant impossibles les comparaisons dans letemps qui pourraient se révéler non conformes au discours officiel,ou à choisir des périodes de référence les plus favorables à ladémonstration. Sachant que, au cours des années 1960 à 1980,nombre de pays ont connu des progrès sensibles en matière dedéveloppement économique et social et que, depuis, ces progrès sesont ralentis ou ont fait place à une régression avec les plansd'ajustement structurel, on sera tenté, pour dissimuler l'effetnégatif, de prendre pour référence, l'année 1970 plutôt que l'année1980, où les résultats étaient les meilleurs, qu'il s'agisse demortalité infantile ou d'espérance de vie" (Ch. De Brie, 1997,p.16). C'est cela qui alimente tous les bulletins de santésatisfaisants proclamés par le SMD et ses porteurs de voix dans lapresse ou les facultés.

Mais la mondialisation est là et il faut faire avec. Il ne s'agit pasde l'ignorer. Il ne s'agit pas non plus de s'y soustraire car dans lecontexte du marché mondial actuel et des économies faiblesd'Afrique, ce ne peut être qu'un suicide, que ce soit pour un paysafricain isolé ou pour un groupe donné de pays. Deux optionssemblent être possibles pour l'Afrique avec ce que cela veut direcomme volonté politique et engagement conséquent dans la voie dela décision stratégique prise. La première option qui se dit"réaliste" estime que les forces en présence sont trop déséquilibréesen défaveur de l'Afrique, et qu'en conséquence le continent a

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intérêt à accepter les réformes économiques comme voie d'inser-tion dans la mondialisation dans le respect de ses principes et deses lois de développement. Cette option fait miroiter l'espoir de lagarantie de l'aide et des autres composantes du bonheur promisdont il a été question ci-dessus. On l'accepte donc en connaissanceou non, de ces limites et on espère toujours continuer le dialogue etla discussion pour obtenir lentement une humanisation nonpolarisante du système.

L'autre option consiste aussi.à s'inscrire dans la mondialisation,avec une stratégie collective (régionale par exemple) ou indivi-duelle, mais dans la perspective des priorités et exigences du déve-loppement humain durable. Elle se veut une option d'insertionmaîtrisée dans la mondialisation avec des possibilités de choixd'opportunités non pas conformément à l'illusion de progrès par lemarché mondial, mais plutôt et avant tout en conformité avec laprimauté de la transformation des structures économiques etsociales, comme composante et stratégie du véritable développe-ment du continent. C'est sans doute ce que W. Bello (1999) appelleun modèle de dé-mondialisation limitée. C'est dans ce sens qu'ilfaut envisager la possible multipolarisation du système.

C'est à ce niveau que le rôle de l'Etat est crucial. En effet, cedernier est un acteur qui a une position stratégiquement détermi-nante dans la dynamique de mondialisation. Son rôle et même sanature dépendront certes de l'option choisie. Mais dans cettedeuxième option, son rôle sera autrement plus actif dans ladynamique d'ensemble du développement et dans le partenariatavec la société civile et le secteur privé, que dans la premièreoption où la dynamique du tout profit par le marché le marginaliselui-même et le réduit aux fonctions spécifiques de préparation deterrain à la réalisation du profit et à la surveillance de la sécurit~ dece dernier. Pourtant le marché, lorsqu'il entre en crise, c'est à l'Etatqu'il revient de le sauver. On ne peut donc imaginer qu'unproblème aussi important que le développement des populationsqui dépasse le cadre des lois du marché, puisse être réduit à unerésultante du fonctjonnement de ce dernier. Il est de la premièreresponsabilité de l'Etat africain. Il n'y a pas de pensée unique, ni enmatière de compétitivité et de ses instruments, ni en matière depolitiques de réformes économiques, ni encore moins en matière devoies et stratégies de développement. Les pays africains ont le droitet le devoir d'explorer d'autres voies, d'imaginer et d'innover, dansla perspective ouverte par le paradigme de développement humaindurable.

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5. Réformes économiques et "mondialitarisation" deséconomies africaines

Inversion des valeurs et rôle de l'ÉtatDans le Consensus de Washington, que ce soit dans sa version

originale ou celle dite révisée, tout comme dans les discussionsentre tenants et adversaires sur le paradigme qui le fonde, sesvaleurs de base ou les politiques qui en découlent, la questionfondamentale reste celle du rapport entre l'économie et la société.Pour les tenants du paradigme, l'économie, entendue au sens del'économie libérale avec ses valeurs de marché, de profit privé et delibre-échange sont la seule référence salutaire, stable, qui ne sediscute pas et ne se remet pas en cause. L'existence et le fonction-nement plein de ce paradigme est l'objectif de la société, tandis quel'tntérêt public ou le bien-être humain et social en sont unerésultante. La société elle-même a donc intérêt à ce que ce paradig-m~ ne souffre pas de contrainte quelconque à sa pleine réalisation.L'Etat dans cette conception devient un outil au service de ceparadigme, et sa raison d'être est de faciliter le plein jeu des règlesde fonctionnement idéal du paradigme et veiller à la sécurité de cesvaleurs et des acteurs au service du paradigme. Dans ce sens, lamondialisation qui est une étape dans le développement del'économie libérale est inévitable. Elle est même bienfaitrice ou entout cas porteuse de bonheur pour tous et il faut se résoudresimplement à s'y insérer activement. Les politiques de réformeséconomiques appliquées à l'Afrique relèvent de cette straté~ie.

Quant aux adversaires du Consensus, ils estiment qu'Il y a làune inversion des valeurs dans le rapport entre l'économie et lasociété. Cette dernière qui veut dire l'intérêt public, le bien-êtrehumain et social est la valeur première et l'objectif au serviceduquel l'économie, fût-elle libérale, doit fonctionner et sedévelopper. L'économie et son ,développement sont des moyens etnon des fms. Dans ce sens, l'Etat, en tant que garant et premierresponsable de l'intérêt public doit être non pas un agent "mou,"mais plutôt un acteur, dynamique et responsable de la régulationdes distorsions économiques, sociales et politiques inhérentes aumarché. On ne peut laisser ce dernier auto-réguler ses propresdistorsions qui lui sont inhérentes. Il en est incapable, et l'histoirele prouve.

Les idéologues du paradigme du tout marché sont puissants,économiquement, financièrement, politiquement et bien sûr aussimilitairement. Ils mobilisent à leur service l'ensemble des moyensdont ils disposent non pas seulement pour convaincre ceux d'entreeux qui seraient hésitants, mais surtout ceux qui semblent ne pasadopter la ligne de conduite de ce paradigme. Les organisations

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éqonomiques et financières, tout comme les médias et lesuniversités sont devenus des agents actifs au service du paradigme.Mais la réussite du paradigme exige parfois que ceux qui résistentsoient mis au pas économiquement ou même militairement. Lamise au pas économique elle-même a de toute évidence uneconnotation militaire de par ses mécanismes de conditionnalités, decontrôle de la mise en œuvre des politiques de réalisation duparadigme, et de suivi de progrès dans cette voie. C'est pourquoi jel'appelle la mondialitarisation. C'est comme cela qu'elle est sentieet vécue en Afrique notamment, à travers les conditionnalités despolitiques de réformes économiques. Elle a une dimension impi-toyable envers les populations des pays en développement. Onrapporte par exemple que le Mozambique dont un quart des enfantsmeurent de maladies infectieuses avant l'âge de cinq ans, consacredeux fois plus d'argent au remboursement de sa dette qu'auxdépenses de santé et d'éducation.

La mondialisation dont on parle est donc celle du paradigme dumarché. Elle est appelée à renforcer la puissance des maîtres duprocessus pour qu'ils mettent au pas la majorité de ceux qui s'yopposent ou y résisten~, ou parfois pour qu'ils distribuent "gracieu-sement" quelques miettes dans un élan d'humanisme. De ce fait ellea besoin d'Etats "mous" ailleurs que dans les pays de sesprincipaux maîtres: mous par rapport au paradigme du marché,mais mous aussi par rapport à la direction et aux chefs duprocessus de mondialisation. Le reste découle de cette conceptionet de ses implications "naturelles."

La question du rôle de l'Etat dans la société devient donc unequestion stratégique centrale. Faut-il simplement en faire uninstrument de cette inversion de valeurs et de ce fait soumis etfonctionnant au service du marché? C'est ce que prône la doctrineet l'idéologie du Consensus de Washington. Pourtant la réalité dansles principaux pays industrialisés montre que l'Etat, bien querelativement diminué par rapport au passé, y joue encore un rôleclé aussi bien au Jliveau national qu'au niveau international.

En effet, les Etats ont un premier rôle à jouer pour garantir uncertain niveau de sécurité humaine à leurs populations, enparticulier celles marginalisées ou exclqes par le processus demondialisation. C'est ce que font tous les Etats des pays industriali-sés et ils se donnent des moyens appropriés. On note par exempleque la part des dépenses publiques dans tous les grands paysinpustrialisés reste supérieure au tiers de leur PIB. Ceci permet àl'Etat non seulement de pouvoir remplir ses fonctions et responsa-bilités par rapport aux populations, mais aussi par rapport aumarché lui-même notamment en contribuant à la relance de lademande dans une optique plus ou moins keynésienne. C'est ainsi

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que la part des dépenses publiques dans le pm dépasse les 40% auRoyaume-Uni, approche les 50% en Allemagne et en Espagne, etdépasse les 50% en France. Il est significatif de noter aussi que lesdépenses du personnel représentent encore trois quarts desqépenses budgétaires au Japon et en France, près des deux tiers auxEtats-Unis, et plus de la moitié en Allemagne. Dans le même 9rdred'idées, il a été relevé que si entre 1980 et 1997, le PIB des Etats-Unis, pays chef de file des tenants et bénéficiaires du paradigme, aété multiplié par 2,6, les dépenses publiques totales 9nt étémultipliées par 3,2 ! (B.F. Tchouigoua, 1999). C'est que l'Etat auxUSA accroît sa part de richesse plus vite que la crOIssance de larichesse nationale elle-même.

C'est dire que ce que l'on refuse aux États africains sous régimede conditionnalités des réformes économiques, est de la pratiquecourante dans les pays ,industrialisés. Un secteur privé dynamiqueet fort a besoin d'un Etat fort comme partenaire à même de leprotéger, mais aussi de veiller à ses dérives inévitables. Mais celava être accepté plutôt pour les pays du monde développé, du moinspour les principaux d'entre eux. C'est le sens du Consensus réviséqui n'a fait que reconnaître partiellement cette réalité.

Mais sur un autre plan, international, l'Etat joue encore un rôleplus visible. Les acteurs les plus importants de la mondialisationsont aujourd'hui les sociétés transnationales. Çes dernières sont enrelations parfois conflictuelles avec leurs Etats certes, mais demanière plus fondamentale, elles sont en complicité ou connivenceavec leurs Etats. Car les considérations st:t;atégiques de leurexpansion et les intérêts stratégiques de leurs Etats sur l'échiquiermondial sOI}t en complicité. La mondialisation bénéficie dedécisions d'Etats en faveur des sociétés transnationales et desoligopoles puissant~ qu'elles constituent. Ces firmes et oligopolesattendent de ces Etats notamment le soutien politique à leurexpansion, l'appui à l'acquisition des entrepris~s étrangères enprivatisation notamment en Afrique (puisque les Etats en profitentde toute manière), la capacité de générer et gérer l'utilisation denouvelles technologies, d'organiser le système monétaire et finan-cier, de contrôler l'accès aux ressources naturelles de la planète, defabriquer et/ou détenir les armes de destruction massive.

Mais elles attendent aussi de leurs Etats la capacité d'adopter etd'imposer en cas de crises, des politiques de gestion qui entransfèrent le poids sur les pays du tiers monde et notamment ceuxd~Afrique. Les conditionnalités g.es réformes économiques relèventde cette perception du rôle de l'Etat capitaliste industrialisé commesauveur des entreprises nationales en difficulté, ou courant lerisque de ces difficultés. La crise asiatique est semble-t-il à analy-ser aussi dans cette perspective de déstabilisation des économies

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émergentes pour le bénéfice de la relance de certaines activités dessociétés transnationales et des économies des pays industrialisés.De sorte que même la soi-disant croissance tirée par lesexportations ou une insertion plus grande dans les marchésextérieurs e~t pratiquement et historiquement une résultante del'action de l'Etat du Nord sur le terrain économique.

Le paradis promis en 2020 ?Dans un rapport récent, l'OCDE estime que si les choses

continuent comme elles sont maintenant en Afrique, la situationsera catastrophique en particulier pour l'Afrique au Sud du Saharaen, l'an 2020. Les raisons sont simples: l'Afrique aura en cemoment-là une population de 1,1 milliard d'êtres humains dontprès de la moitié en-dessous de vingt ans. Des politiquesinappropriées conduiront le continent à un coût humain intolérableen termes de : menaces de la pauvreté grandissante, généralisationdu crime, migrations vers d'autres cieux, drogues, insécuritésalimentaires, crises financières, expansion du SIDA, etc. Cela vamenacer la sécurité et le bien-être du reste du monde et en particu-lier des pays membres de l'OCDE. Le rapport estime pourtant quesi l'Afrique conduit des politiques appropriées et fait des progrèsdans ce sens, le continent sera une source importante du dévelop-pement du commerce et un partenaire pour le XXlème siècle.

Les politiques sont proposées en conséquence (libéralisation ducommerce, des mouvements de capitaux, politiques de réformes,etc.) en direction de cette vision de faire de l'Afrique du XXIèmesiècle, un partenaire des pays de l'OCDE d~ns le commerce et parlà, dans le partage du paradis du "Nouvel Age Mondial" envisagépour 2020. Et ceci est considéré comme un scénario de hauteperformance par rapport au scénario classique. La stratégie de miseen œuvre de cette vision couvre bien entendu les politiques deréformes économiques dans les pays en voie de développement, etpour ceux de l'OCDE, la libéralisation du commerce et desmarchés financiers, ainsi que la recherche de cohésion sociale. Lastratégie comprend aussi le renforcement du système multilatéral,la consolidation de l'intégration des économies des pays nonmembres de l'OCDE dans l'économie mondiale et plus d'attentionaux questions de l'enyironnement (OCDE/CAD, 1997).

Mais le "Nouvel Age Mondial" n'est autre chose que le bonheurpartagé dans la mondialisation tel que prôné par les doctrinaires duConsensus de Washington. Il s'agit d'un appel aux pays,notamment ceux d'Afrique, non pas seulement à comprendre lesavantages et opportunités que leur offre la mondialisation duparadigme du marché, mais aussi une invitation quelque peumusclée à s'y insérer. La seule politique possible qui soit porteuse

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pour l'avenir et le bien-être de l'Afrique est celle qui bénéficie duconsentement des riches de la planète, et qui bien entendu traduitl'idéologie des intérêts des grands détenteurs du capital au niveaumondial et de leurs priorités.

La réalité de la mondialisation et du paradigme du marché estpourtant, comme indiqué plus haut, celle de l'asymétrie cumulativedes richesses entre les "barons" de la mondialisation et les autrespeupJes et pays. Les projections du bien-être partagé dans le "Nou-vel Age Mondial" ne changent pas cette asymétrie, même si elleslaissent entrevoir l'espoir d'une amélioration pour les pays en voiede développement. Il faut bien justifier l'insertion dans la mondia-lisation en faisant miroiter un espoir de bénéfice quelconque.

Or comme le rappelle le secrétSlire général des Nations Unies àla- réunion annuelle du Forum Economique Mondial en 1997,aujourd'hui plus de 60% de la population mondiale vit avec moins

. de deux dollars américains, et une centaine de pays dans le mondeconnaissent une situation pire qu'il y a quinze ans ! Pourtant, lesflux de capitaux privés vers les pays en développement ont étémultipliés par trente cinq, passant de 5 milliards de dollarsaméricains au début des années 1970 à 176 milliards actuellement,et que les flux de l'aide publique au développement n'ont cessé debaisser. La situation actuelle d'asymétrie cumulative des richessesest donc le produit de ce grand flux de capitaux privés vers les paysen voie de développement et des politiques qu'ils soutiennent. End'autres termes le marché n'a pas été capable de distribueréquitablement le bonheur de la mondialisation. Bien au contraire, ilen a été un agent négatif actif. Pour rappel, le Rapport mondial surle développement humain 1999 constate entre autre que 20% de lapopulation mondiale vivant dans les pays riches représentent 86%du PIB mondial, 82% des marchés d'exportation, 68% del'investissement direct étranger, et que les 20% de la populationvivant dans les pays pauvres ne détiennent qu'environ 1% de cesrichesses. En même temps, l'écart de revenus entre les 20% les plusriches et les 20% les plus pauvres s'agrandit continuellement,passant de 30 contre 1 en 1960 à 74 contre 1 en 1997.

On peut donc légitimement se poser la question de savoir à quiprofite la mondialisation et comprendre pourquoi certains en sontles défenseurs acharnés, au point de l'imposer aux autres. On peutaussi se poser légitimement la question de savoir combien ou quelpourcentage de richesses accumulées par les "barons" de lamondialisation provient des pays en voie de développement et deceux de l'Afrique.

Faut-il continuer ce processus dans son contenu fondamental,au-delà des raffinements et rafistolages de discours selon lesconjonctures et les opportunismes, ou faut-il imaginer un processus

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de mondialisation alternatif? Le marché a montré qu'il est uneformidable machine de création de richesses, mais un pitoyableacteur dans la création et la construction d'une société humaine,juste et décente. La mondialisation actuelle, c'est-à-dire par lemarché mondial et la recherche du profit privé n'est donc pas lavoie de développement inévitable pour l'Afrique. Le continentdevrait avoir le droit légitime de demander des comptes à ceux quile lui prêchent à longueur de journée, le lui exigent pour leur aide,et en profitent pour s'enrichir au détriment des populationsafricaines. Le continent devrait aussi prendre courageusement laliberté de recherche de voies innovatnces d'alternatives pour uneautre mondialisation qui fasse leur bonheur, et avec d~s stratégiesde mise en œuvre et des acteurs diversifiés, dont l'Etat commeresponsable du bien-être social et de l'intérêt public, y compriscelui du marché. Le continent devrait enfm se positionner commeacteur efficace d'une insertion maîtrisée dans la mondialisation etnon seulement comme un agent à la recherche des formulesd'adaptation et d'auto-ajustement aux pressions de la mondiali-sation et de ses "barons."

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CHAPITRE V :, ,LA PORTEE DE LA CONDITIONNALITEDE LA BONNE GOUVERNANCE ET DE

LA DÉMOCRATISATION

Depuis une dizaine d'années, le concept de gouvernance oumieux de bonne gouvernance est devenu l'un des thèmes majeurs etdonc l'un des instruments stratégiques de la prédication dumarabout en Afrique. Le raisonnement est simple, si l'Afrique nedécolle toujours pas malgré les traitements de choc administrés etinnovés de période en période, c'est d'abord parce que le continentest mal dirigé. Les différentes prescriptions et les réformeséconomiques sont mal appliquées, mal comprises et/ou pas suffi-samment acceptées. Les responsables politiques et administratifsdevraient être de bons gestionnaires des affaires publiques, respon-

.

sables devant la société et donc transparents dans l'affectation etl'utilisation des ressources, et bénéficiant de la confiance des popu-lations dans leur gestion de la chose publique. La gouvernance estainsi entrée dans les préoccupations des programmes de coopéra-tion au développement.

Cette perception n'était P!!Sdifficile à démontrer comme dans laplupart des pays africains l'Etat était ou est encore dirigé par uneclasse ou une coalition de classes de type bureaucratique etclientéliste, ou militaro-bureaucratique sans assise économiquepropre, et souvent à parti unique de droit ou de fait. Que danscertains cas les régimes politiques soient dirigés par une classepolitique à connotation commerçante comme au Nigéria par exem-ple, ou par une classe à connotation agro-paysanne comme en Côte<:J'Ivoire,au Kenya ou au Cameroun, le fonctionnement réel desEtats africains était plus ou moins le même. Ses caractéristiquesmajeures de ce point de vue sont la corruption, la kleptocratie, ladilapidation et le détournement des ressources publiques ainsi quel'autoritarisme de tous les régimes qui se veulent forts et stables.

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Comme pour les autres instruments stratégiques développés etmis en œuvre par le marabout pour renforcer ou innover sonarsenal idéologique et conceptuel sur les politiques de dévelop-pement en Afrique, la gouvernance doit être apprise aux dirigeantset populations africaines, faire l'objet de campagnes de prêche aussifortes que convaincantes par l'ensemble du système marchand dudéveloppement. Ce dernier doit trouver suffisamment de ressourcespour financer et soutenir aussi bien les campagnes de prédicationelles-mêmes que surtout la mise en œuvre des principes de bonnegouvernance par les bons disciples.

Le raisonnement reste classique dans la pure tradition de l'aideau développement depuis une quarantaine d'années: l'Afrique peutse développer, mais il lui manque - encore un gap à combler - lacapacité de concevoir et bien gérer les affaires publiques et depropager ou institutionnaliser les pratiques conséquentes; lemonde maraboutique ou plutôt marchand du développementconnaît et dispose de cette capacité. Il lui revient donc de l'apporterà l'Afrique, la lui apprendre, exiger sa mise en œuvre et financercette dernière, au besoin en prêtant les ressources aux paysafricains intéressés.

Mais on n'arrive pas à cette conclusion seulement par unraisonnement théorique. La pratique de l'aide au développement, lamise en œuvre des différentes prescriptions, la faiblesse desrésultats qui menace toujours l'autorité stratégique du marabout, larésistance populaire ou de classe à certaines prescriptionsimportantes, tout cela a conduit à remettre au centre des analyses etdes préoccupations la question fondamentale que le systèmemaraboutique et marchand du développement voulait et avaitnoyée jusque-là: la question politique du développement. Trèsvolontairement en effet le marabout, plus marchand que marabout,avait mis en exergue plutôt la dimension technique dudéveloppement, comme si la nature profonde de la problématiquedu développement n'était pas d'abord politique.

La réapparition du poisson que l'on avait noyé pendantlongtemps pour des raisons idéologiques fait qu'on ne peut pluscontinuer à fermer les yeux. Il faut l'intégrer dans l'équation dudéveloppement et au besoin en être le porte-flambeau, c'est-à-direle penseur et le financier de la mise en œuvre de cet importantinstrument stratégique. Cela permet de limiter la dimensionconceptuelle et opérationnelle à un certain contenu. C'est pourquoiil faut d'abord analyser la petite histoire de l'entrée du concept degouvemance dans l'arsenal stratégique du système marchand dudéveloppement, questionner sa pertinence aujourd'hui et sa portéepour l'Afrique de demain dans le contexte de la mondialisation.

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1. Les origines actuelles de la gouvernance

Je me permets de rappeler brièvement les éléments essentielsd'une analyse reprise au premier chapitre. La crise économique queconnaît l'Afrique depuis quelque vingt ans est une crise de sonmodèle d'accumulation et donc d'insertion dans l'économie mon-diale, modèle arrivé dans une impasse; il s'écroule, sans être capa-ble de se reproduire ni de produire un modèle de rechange. Quellesque soient les stratégies proposées par le marabout, les médicationsprescrites ou toute autre prédication qui ne s'adresse pas à cettequestion économique centrale, consisteront simplement à gérer lacrise ou à la reporter partiellement dans le temps ou l'espace enrafistolant le même modèle, mais pas à résoudre la crise.

En effet, aussi bien dans les pays dits miniers que dans les paysagricoles, ce modèle se caractérise par la primauté de la fonctiond'exportation des matières premières comme fonction principalesans construction d'une base d'accumulation interne solide pouvantlui venir en aide ou atténuer sa chute lorsqu'il est en crise. End'autres termes l'accumulation qui a permis de financer les appa-rences de développement en Afrique, et donc le modèle au cours deces quatre décennies de développement, a été assurée par lafonction d'exportation des matières premières du sol et du sous-sol.

Dans la mesure où les pays africains n'ont pas la maîtrise ducircuit de réalisation extérieure de leurs surplus économiques,même cette base d'accumulation reste non pas seulement précaire,mais surtout étriquée. Par ailleurs la détérioration continuelle destermes de l'échange et la baisse tendancielle des cours des matièrespremières exportées par l'Afrique n'ont fait que réduire lespossibilités d'accumulation pour le continent. On a parlé d'unprocessus d'accumulation raté ou de la faillite de la théorie desavantages comparatifs portant sur l'exportation des matières pre-mières. On prêche aujourd'hui pour que les pays africains conti-nuent la même fonction d'accumulation en cherchant les créneauxd'exportation de produits manufacturés non produits par les paysdéveloppés, ou au moins plus compétitifs!

Ayant conduit les pays africains à cette crise, les classesdirigeantes et leurs supports maraboutiques du développement nepouvaient continuellement voiler la dimension politique de la crisedu modèle et de sa gestion, ni empêcher la crise de se manifesterdans les autres sphères - politique et sociale - de la vie des sociétésafricaines.

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La crise de la composante politique du modèle

La composante politique du modèleLe caractère étriqué de la base d'accumulation - externe par

ailleurs - de ce modèle n'est pas qu'économique, il est aussi social.C'est un modèle d'exclusion et non de participation.

Il en résulte que sur le plan socio-politique, la survie d'un telmodèle d'accumulation entraîne, entre autres conséquences, lalimitation de la base sociale du développement et de préoccu-pations sur la dimension sociale et humaine du développement. End'autres termes, à quelques exceptions près, le modèle a conduit àdes structures politiques unitaires, totalitaires, paralysantes oustérilisantes en vue de contenir les autres forces dans une certainediscipline. Ce n'est donc qu'une autre forme de continuation de cequ'on a appelé "le mode de production colonial." Ce qui, dans unecertaine mesure, pousse les structures politiques en place àprivilégier une forme d'utilisation du surplus économique tiré de lafonction d'exportation. C'est un surplus de fonctionnement dumodèle et non du développement. ,

En écrasant la société civile, l'Etat africain l'empêchait d'~treelle-même, c'est-à-dire autre chose que la caricature de l'Etattotalitaire et autocratique. De même, étouffant systématiquementles élans de créativité P9uvant jaillir spontanément des différentescomposantes sociales, l'Etat a fini par bloquer les chances de déve-loppement économique ,et social, et s'est condamné à la stérilité.tar il n'y a pas d'Etat créateur sans société créatrice etréciproquement.

L'effondrement du système économique en Afrique est ainsi,pour une large part, le résultat des conditions politiques et socialesdu continent, caractérisées par la mauvaise administration, le man-que de responsabilité publique et de participation de la majorité dela population, un rétrécissement croissant de la base de la prise desdécisions, et la crise de confiance entre les gouvernants et les gou-vernés. La transformation de toute l'économie politique en écono-mie du despotisme, où l'autoritarisme et la "kleptocratie" rempla-cent la démocratie, la responsabilité de l'autorité publique et la res-ponsabilisation politique, non seulement ont porté atteinte à la li-berté des individus mais, en outre, ont mené à la marginalisation deceux-ci dans le processus de développement. Résultat: la popu-lation a été totalement oubliée (A. Adedeji, 1991).

La composante politique du modèle économique n'offraitaucune contrepartie politique aux populations. Dans la plupart despays, la confiscation des pouvoirs économique et politique audétriment du peuple, souverain primaire, se traduisit parl'émergence d'un parti unique. Ce dernier devenait vite un jouet auxmains d'un président dictatorial, illuminé ou éclairé, qui modifiait

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ou corrompait la constitution pour assurer la survie de son règne.Et comme le dit si bien McCarthy (1991, p.80): "dès que

l'équilibre fondamental des pouvoirs garantis par la Constitutionétait fragilisé, les autres barrières ne tardaient pas à céder. Lesdroits de l'homme étaient ignorés, la liberté d'expression abandon-née et les opposants politiques emprisonnés. Les assemblées légis-latives devinrent des machines à approuver. Les juridictions perdi-rent leur indépendance et cessèrent de rendre la justice, du moinsen ce qui concerne les affaires de l'Etat."

En dépit des différences de colorations idéologiques desrégimes politiques africains, tout le continent était tenu en mainspar des "régimes forts" à quelques exceptions et nuances près,parce qu'il s'agissait des composantes politiques d'un même modèlede développement économique, d'un même mode d'insertion dansl'économie mondiale et donc de systèmes politiques qui, pourl'essentiel, jouaient le rôle de "chiens de garde" du grand capital.

Dans ces conditions, ce modèle n'a pu être ni durable ni auto-entretenu en Afrique; c'est pourquoi les miracles et les décollageschantés ici et là n'ont pu aller loin. Car le tarissement ou l'amenui-sement de la base d'accumulation (externe), suite notamment à ladétérioration des tennes de l'échange et à la chute de la productiond'exportation ou de la rentabilité de ce secteur, ne permet plus defaire fonctionner le modèle. Il entre en crise par manque d'autresource d'accumulation. C'est pourquoi la crise du modèle apparaîtnon pas seulement comme une crise des structures économiques,mais aussi comme celle des structures politiques.

La crise de la dette et l'incapacité de respecter les échéances deremboursement qui en découle, acheva de focaliser l'attention surles équilibres macro-financiers et les problèmes de gestion. Ladette contractée pour financer le développement s'est transforméeen dette pour le sous-développement.

y a-t-il des coupables? Oui. Ce sont d'abord ceux qui ontaccepté ce modèle pour l'Afrique, en ont porté le drapeau, l'ontdirigé ou géré dans le refus et de l'endogénéisation de l'accumu-lation et de l'élargissement de la base sociale du développement.Mais ce sont aussi ceux qui ont "proposé," vendu ou imposé cemodèle à l'Afrique, l'ont financé, soutenu politiquement et en onttiré le bénéfice économique, politique, scientifique ou autre.

C'est pourquoi l'inefficience de l'investissement public tantdécrié en Afrique n'est pas un hasard. Les vendeurs et les acheteursde la technologie, comme ceux qui ont garanti l'investissement ensavent quelque chose.

Dans ces conditions, chercher à résoudre partiellement la crisepar le sommet en tennes de changement des instruments et despolitiques de gestion comme l'ont fait les programmes d'ajustement

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structurel, ne peut donner les fruits escomptés.L'ajustement structurel et l'exacerbation des contradictions(i) Les contradictions sociales

La crise économique et sociale de l'Afrique s'est accentuéesurtout au cours de la décennie 1980, mais elle avait en faitcommencé bien avant. En effet, d'une décennie à l'autre depuis lesindépendances, les performances économiques évoluaient demanière régressive pour la plupart des pays. C'est précisémentparce que les origines réelles de la crise étaient liées aux structureséconomiques de l'Afrique (modèle d'accumulation).

Des solutions ont été préconisées et mises inégalement enœuvre aussi bien au niveau des pays africains eux-mêmes (Stra-tégie

.de Monrovia, Programme prioritaire et autres programmes

régionaux et sous-régionaux), que de la communauté inter-nationale. Mais la solution qui a eu le plus d'impact parcequ'appliquée effectivement par la majorité des pays et soutenuethéoriquement, financièrement et techniquement par les bailleursde fonds est l'ajustement structurel.

En réalité, à chaque fois que l'Afrique, sous la poussée de sescadres techniques le plus souvent, se préparait un programme desolution à la crise, solution qui généralement touchait lesconditions structurelles du modèle d'accumulation, les bailleurs defonds, le FMI et la Banque mondiale en tête, ont eu à proposer descontre-solutions, en refusant bien sûr d'apporter le soutien néces-saire aux solutions africaines, étant assurés que, de ce fait ces der-nières ne verraient jamais le jour vu la pauvreté des pays africains.

Les PAS n'eurent donc pas de difficultés à s'imposer. Mais con-trairement aux propositions africaines, ces programmes n'ont saiside la crise que ses manifestations en termes de déséquilibres finan-ciers internes et externes: détérioration des termes de l'échange,aggravation du déficit budgétaire et de la balance des paiements,inflation galopante et épuisement des réserves en devises.

Les mesures de réforme et les instruments de politiqueéconomique préconisés par les programmes de stabilisation etd'ajustement portent principalement sur l'ajustement des taux dechange au moyen de la, dévaluation, le contrôle de la massemonétaire et du crédit à l'Etat ou à l'économie, la politique du tauxd'intérêt en vue d'encourager l'épargne intérieure et l'allocationjudicieuse des ressources, la politique fiscale et budgétaire destinéeà réduire les dépenses publiques et le fmancement du crédit, lalibéralisation du commerce, des régimes de paiement, ainsi quecelle des prix des biens et services.

Les résultats ont été médiocres sinon désastreux (CEA, 1990) :la croissance n'a cessé de régresser, les équilibres financiers sontrestés fragiles, les mouvements nets de capitaux se font au

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détriment de l'Afrique, le secteur privé local reste minable, lechômage et la pauvreté se sont amplifiés, le déficit alimentaires'est accru, le taux d'inflation a grimpé avec la politique de véritédes prix, le taux de scolarisation a baissé et la mortalité infantile aaugmenté, les graI}des endémies sont revenues (trypanosomiase,paludisme, etc.), l'Etat étant soumis à une discipline budgétaire deremboursement de la dette. Alors que le credo était celui du "toutmarché," les mesures mises en œuvre contribuaient au contraire àréduire la demande populaire et donc à rétrécir les marchés natio-naux des biens et services de consommation de masse. Ce quicontribuait, non pas à relancer l'appareil de production, mais à leliquider.

Comme le dit si bien le Président de la commission de dévelop-pement du Parlement européen: "les critères de l'ajustement struc-turel de Bretton Woods sont parfaits pour la Suède mais complète-ment aberrants pour un pays comme la Zambie ou le Mozambique.Je l'ai dit publiquement à l'Assemblée Paritaire à Kampala:arrêtons le massacre (...), il n'y a pas un pays où cela a été réussi,du moins en ce qui concerne le peuple. Il n'y a pas un pays où celaa réussi, pourquoi? Les statistiques montrent que ces dix dernièresannées, il y a eu un transfert de capitaux permanent des. pays lesplus pauvres du monde vers les pays les plus riches." (H. Saby,1991, p.60)

Le fardeau de l'ajustement comme celui de la crise a donc étéporté principalement par les populations, notamment par le biaisd'importantes réductions des dépenses publiques intérieures avecde graves conséquences économiques et sociales. Ce que lespopulations africaines attendaient de leurs gouvernements étaitqu'ils construisent les ponts et les routes, les écoles et lesdispensaires, qu'ils stabilisent la monnaie, appuient le secteur privé,améliorent l'habitat, créent des emplois, stimulent l'agriculture etl'élevage, etc. Il s'agit là de toutes les attentes que les gouverne-ments sous programmes de stabilisation et d'ajustement structureln'étaient pas capables de satisfaire.

Sans résoudre le problème de la crise ne rut-ce qu'en sadimension économique, les PAS, en tant que solution des bailleursde fonds, ont eu comme effets d'un côté l'appauvrissement despopulations et des pays, et de l'autre l'afflux des capitaux dans lespays "donateurs." Ce faisant, ces programmes exacerbaient lescontradictions sociales du modèle d'accumulation en place, dont lacrise ne permettait plus facilement aux classes dirigeantes dedistribuer les prébendes et autres rentes à leurs clients politiques. Sipour les populations l'ajustement était une pilule amère, la classepolitique continuait à mener son même train de vie. Ce qui acontribué à l'isoler davantage et à créer des tensions sociales.

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Nombre de dirigeants africains avaient fini par le comprendre.En effet dès 1986, Mobutu qui pendant plus de deux ans avait

reçu les félicitations du FMI du fait que son gouvernement avaitrespecté constamment les critères de performance de cetteinstitution, a fini par se révolter en affirmant qu'il avait un contratautrement plus important pour lui: c'était celui avec son peuple.Car disait-il, "on ne mange pas les fleurs et les félicitations du FMIet de la Banque mondiale."

De même, Bongo à qui les institutions de Bretton Woodsdemandaient une deuxième opération de réduction des salaires,s'est révolté à son tour en début 1990 estimant que ces "gens-là"voulaient sa mort.(ii) Contestations du modèle et exigences de démocratisation

Les programmes de stabilisation et d'ajustement sont dans unecertaine mesure la goutte qui a fait déborder le vase. Ils ont permisd'une part de dévoiler ce qui couvait comme mécontentement, et del'autre, de canaliser ce mécontentement dans une direction moinséparse dans son expression. Une douloureuse décennie de déclinéconomique est donc à la base d'un mouvement de contestation.

En effet: "des années durant, la plupart des africains ont vubaisser plus que jamais leur niveau de vie, tandis que les salaireschutaient en termes réels, que les exploitants touchaient un prixinsuffisant pour leurs récoltes, que les écoles et les dispensairesétaient laissés à l'abandon et que le nombre des jeunes sans emploine cessait de grossir dans les villes. Nombreux étaient, dans tousles pays, ceux qui mettaient en cause la gestion de l'Etat,l'accusaient de corruption et se disaient révoltés par l'indifférence.

Au Maroc, au Nigéria et en Zambie, de brusques hausses deprix ont provoqué des émeutes populaires. L'incapacité dugouvernement béninois à payer, des mois durant, les traitementsdes fonctionnaires a contribué à déclencher des mouvements degrève et de protestation politique. Au Nigéria une réduction dumontant des bourses universitaires a été à l'origine des premièresprotestations, celles des étudiants. En Côte d'Ivoire, les travailleursont vivement réagi quand le gouvernement a annoncé qu'ilentendait lever un impôt de solidarité qui frapperait tous lestravailleurs des secteurs public et privé. La baisse sensible desrevenus du pétrole enregistrée au Gabon s'est traduite par desmesures d'austérité, ainsi que par des barricades, des affrontementsavec la police et des grèves.

Une bonne partie de la population a lié difficultés économiqueset absence de libertés fondamentales. Faute d'avoir pris part auxdécisions politiques, elle ne s'est pas sentie tenue d'accepterdavantage de sacrifices, à l'évidence inégalement répartis. Desgriefs pressants mais localisés se sont donc en peu de temps

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transformés en une contestation populaire des systèmes établis degouvernements" (E. Harsch, 1991).

Et cette liste peut s'allonger. L'ajustement a été vécu par lespopulations comme une politique d'austérité imposée par lesclasses dirigeantes avec la complicité de leurs bailleurs de fonds.La contestation de l'ajustement devenait ainsi non pas seulementcelle de cette politique, mais aussi de ceux, dirigeants nationaux etleurs partenaires extérieurs qui l'avaient définie, financée et miseen. œuvre, sans une particIpation quelconque des populationsautrement que dans le sacrifice de l'ajustement.

Le drame aujourd'hui en Afrique est que les populationssemblent être "exclues" du processus de croissance dans la mesureoù sans avoir partagé le bénéfice des périodes de vaches grasses,elles portent presqu'exclusivement le poids de la crise. Et ce qu'onleur demande c'est de garder le silence et d'accepter le fardeau avecdes promesses de lendemains meilleurs auxquels personne ne croit..

Le poids de la crise ne peut être allégé pour tous que si lesbénéfices ont été réalisés et distribués équitablement. Car lastabilité économique et surtout politique recherchée avec l'ajuste-ment du modèle qui est aujourd'hui en crise a conduit à des institu-tions politiques personnalisées, totalitaires et stérilisantes. C'esttout cela qui est mis en doute (M. Kankwenda, 1990). Organiséeavec plus ou moins de bonheur ici, ou pas organisée du tout là-bas,la mise en cause des structures économiques et de leurs institutionspolitiques s'est faite sentir un peu partout en Afrique.

Il faut distinguer ici trois niveaux de contestation: le premierest celui de la remise en cause du modèle d'accumulation qui est encrise. Le second est celui de la contestation de l'ajustement dans sadéfinition ou sa mise en œuvre en tant que solution à la crise, et letroisième est celui du processus d'élaboration et de mise en œuvredes décisions de politique économique comme l'ajustement.

En remettant en cause le modèle, les populations africainescontestent en même temps la solution de leurs dirigeants, et aveceux, leurs partenaires ainsi que le mode de prise de décision et demise en œuvre. En d'autres termes les peuples africains contestentet le modèle d'accumulation et sa composante politique.

Or l'ajustement et ses défenseurs n'ont remis en cause ni l'un nil'autre, mais simplement le mode de gestion "technique" peu libéralde la classe dirigeante. Le mécontentement et la contestationrisquant d'être un ouragan qui balaie le modèle et sa composante. politique, il était devenu évident et urgent de les contenir au seulniveau de la contestation du processus de prise de décision. Laréussite même de l'ajustement en tant qu'acceptation de ses effetspar les populations africaines en dépend.

C'est pourquoi l'exigence de démocratisation fut vite saisie

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comme exigence de participation des populations concernées auprocessus de prise de décision politique ou de politiqueéconomique, en vue de la contenir dans ces limites. La reconnais-sance du pluralisme politique permettait ainsi de soulever lecouvercle d'une marmite en ébullition pour faire passer l'air etcontenir l'explosion probable. C'est pourquoi, les tenants del'ajustement l'ont présenté comme une nouvelle conditionnalité àleur aide, en vue de l'imposer à leurs alliés, c'est-à-dire les classesdirigeantes africaines qui ne l'ont pas compris.

La contestation du modèle et de sa composante politique estdonc réduite à leur manifestation apparente: l'exigence dedémocratisation en tant que pluralisme politique, syndical oumédiatique. Cette opération ressemble étrangement à celle desannées 1960 : la lutte pour l'indépendance qui était la contestationd'un ordre pour la construction d'un autre ordre, et qui a étéremplacée par son exigence apparente: la direction politique parles nationaux.

Les choses se passent comme si après avoir tracé et indiqué lavoie de développement à l'Afrique - le modèle qui est en crise -,vendu et financé les programmes et projets les plus fous, soutenules systèmes politiques de gestion de ce type de développement, lesystème mondial se rend compte, face à l'ampleur de la crise et deson danger, que l'Afrique est un poids mort. Il lui fait endosserl'entière responsabilité de ses malheurs et conditionne sesinterventions en Afrique à la "bonne gouvernance" et à ladémocratisation. C'est quoi alors la démocratie et la gouvernanceen Afrique?

Nécessité des réformes politiques et émergence du concept degouvernance

Les réformes économiques et leurs résultats boiteux, larésistance politique à ces réformes, tout cela amena donc lesmarabouts et marchands du développement en Afrique à introduirela préoccupation politique dans l'arsenal de leurs prescriptions oude leurs marchandises. Comment définir et introduire la dimensionpolitique du développement dans les stratégies de l'aide et surtoutquel contenu lui donner pour arriver à la vendre? C'était unquestionnement nouveau auquel le système maraboutique etmarchand n'était pas bien préparé. C'est pourquoi l'introduction desréformes politiques dans les politiques de développementpréconisées a connu et connaît deux difficultés majeures: a) limiterl'entendement des réformes politiques à la "rationalité" dans lagestion des ressources publiques, à la conception et la mise enœuvre des politiques économiques ou d'un certain type de réformeséconomiques, et donc éviter de poser publiquement le problème du

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processus politique du développement, ou bien b) affronter ceproblème et le poser avec la seule médication et marchandisedisponible comme solution, c'est-à-dire l'exigence de la mise enœuvre du système de gouvernance de la démocratie à l'occidentale.

Dans un document bien pertinent à la fois dans son analyse desorigines de cette préoccupation que dans le reflet de la visionaméricaine de la thématique de bonne gouvernance en Afrique,l'USAID explique comment une combinaison de facteurs aussibien internes qu'externes a conduit à l'émergence de la préoccu-pation sur les réformes politiques, et donc sur la gouvernance.Parmi ces facteurs il y a les pressions internes en faveur de lalibéralisation politique, du partage équitable des richesses et durespect des droits fondamentaux de l'homme. Il y a aussi lesréactions aux exigences des politiques de réformes économiques etde l'intégration maléfique au processus de mondialisation. Et il Y aenfin des pressions externes venues de la part des bailleurs defonds de l'Afrique dans le contexte de l'après-guerre froide et de lachute de l'aide publique au développement. La gouvernance estperçue alors comme solution à ces pressions, et entendueprincipalement dans le sens de compétence technique pour gérerles politiques de réformes économiques, combinée avec l'autoritépolitique nécessaire pour les conduire (USAID, 1992).

Les institutions de Bretton Woods ont systématiquement évitéde poser directement le problème politique, et préfèrent donc lapremière approche: les réformes politiques à introduire pouraccompagner les réformes économiques et faciliter le processus deleur acceptation et de leur efficacité doivent être limitées à cetteapproche. Les autres organismes de coopération du système desNations Unies et surtout les agences bilatérales de coopération onteu à poser clairement le problème sous sa deuxième acception. Cequi est une conception plus globale, bien qu'elle ait aussi évolué.C'est pourquoi il y a lieu d'examiner le contenu de la gouvernanceet sa pertinence pour le développement de l'Afrique d'aujourd'hui etde demain.

2. Contenu et pertinence du nouvel instrument

De manière générale cependant, l'appréhension globale duconcept dans la deuxième approche présentée ci-dessus estaujourd'hui celle qui domine aussi bien en théorie qu'en pratique.Chaque membre ou acteur du système maraboutique dudéveloppement met l'accent sur ce qu'il est à même de mieuxvendre à l'Afrique ou sur ce qui l'arrange le mieux pour renforcerles stratégies qu'il appuie, prescrit ou vend par ailleurs. C'est ainsique les institutions de Bretton Woods, tout en mettant l'accent sur

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la gestion "rationnelle" et transparente des ressources publiques,ainsi que sur la conception et la mise en œuvre des politiqueséçonomiques et de réformes appropriées telles qu'elles lesprêchent, se retrouvent en fin de compte dans une des composantesde l'approche globale.

Le système maraboutique peut donc moyennant une certainedistribution de rôles, arriver à conjuguer les efforts pour prescrireune médication "gouvernance" dans laquelle tout le systèmefonctionne à la satisfaction des exigences politiques générales dumodèle de l'économie libérale, et de ses exigences particulières enpériode active du processus de mondialisation.

NotionDans cette appréhension globale, la gouvernance est l'ensemble

des mécanismes existant dans un pays pour assurer la gestion desaffaires publiques. Elle est l'exercice des pouvoirs économique,politique et administratif en vue de gérer les affaires publiques d'unpays à tous les niveaux. La gouvernance englobe les mécanismes,les processus et les institutions par le biais desquels les citoyens etles groupes expriment leurs intérêts, exercent leurs droits politiqueset/ou juridiques, assument leurs obligations, et auxquels ilss'adressent en vue de régler leurs difficultés. La notion dedémocratisation qui n'est pas seulement politique, et celle dedécentralisation qui n'est pas seulement administrative, font partiedu concept de gouvernance.

Au-delà de ce contenu général, la Bonne Gouvernance secaractérise par la participation, la transparence et la responsabilité.Elle promeut le règne du droit et non des individus, une justiceégale pour tous devant la loi, et garantit que les priorités politiques,sociales et économiques se fondent sur un large consensus social,ce qui assure que les pauvres et les plus vulnérables participent auxdécisions notamment sur l'affectation des ressources pour cespriorités de développement. Ces composantes de la Bonne Gouver-nance sont liées et se renforcent mutuellement.

Le concept de Gouvernance va au-delà de celui de l'État. C'estpourquoi il y a trois acteurs principaux concernés par la gouver-nance : (i) l'Etat, qui comprend les institutions politiques (exécutif,législatif et judiciaire) et le secteur public, (ii) le secteur privé,composé des entreprises pri\;'ées et du secteur informel ou nonstructuré, et enfin (Hi) entre l'Etat et l'individu, la société civile, quicomprend des individus et des groupes qui agissent de manièreplus ou moins concertée sur les plans politique, social, culturel ouéconomique. La capacité d'interaction et d'ajustement permanentsde ces trois acteurs est primordiale dans tout processus d'enracine-ment de la Bonne Gouvernance.

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La Bonne Gouvernance se définit donc par rapport à l'objectifpoursuivi (le Développement Humain), aux résultats atteints(progrès dans le Développement Humain), et enfin par rapport auxmécanismes mis en place (efficacité et efficience de l'interactionentre les trois acteurs). Elle est de ce fait un système de gestion desaffaires publiques qui a les caractéristiques suivantes:- "Participation: dans le cadre d'une bonne gouvernance tous leshommes et toutes les femmes doivent être associés au processus dedéveloppement, soit directement, soit par l'intermédiaire d'instru-ments légitimes qui représentent leurs intérêts;- Transparence: la bonne gouvernance offre à tout individuconcerné la possibilité de s'informer et/ou de demander desc0!llptes ;- Equité: une bonne gestion des affaires publiques doit garantirl'impartialité du système judiciaire et la même possibilité pour tousd'améliorer ou au moins de maintenir leurs conditions de vie;- Responsabilité: les décideurs au niveau du Gouvernement, dusecteur privé et de la société civile rendent des comptes au public;- Efficacité et efficience: les mécanismes de gestion et lesinstitutions donnent des résultats satisfaisants pour l'ensemble, etnotamment aux groupes les plus pauvres, et utilisent au mieux lesressources du pays;- Alternance: les gouvernants et les gouvernés sont convaincus etfont en sorte que les changements s'opèrent selon un processusdémocratique;- Vision stratégique: les dirigeants et le public ont une vasteperspective à long terme de la bonne gouvernance et du DHD, ainsiqu'une idée de ce qui est nécessaire à un tel développement.

Ces caractéristiques représentent une situation idéale. Aucunpays ne peut prétendre les réunir toutes. Par ailleurs il convient dementionner qu'il n'existe pas de modèle unique de bonne gouver-nance. L'histoire et la culture de chaque pays influencent énormé-ment les particularités de chaque expérience.

En tant que système et mode de gestion des affaires de la cité, lanotion de gouvernance couvre les règles et procédures aussi bienformelles qu'informelles. Elle ne préjuge pas de la qualité de cesrègles ni de leur mise en œuvre à travers des pratiques concrètes entermes d'organes, d'instruments de cette gestion, ni de la pertinencedes mécanismes fonctionnels et des programmes. Cependantlorsqu'il s'agit de juger de l'efficacité de tout ce dispositif et de sonfonctionnement par rapport à la capacité d'atteindre les objectifs dedéveloppement humain et donc de concevoir, mettre en œuvre etassurer le suivi-évaluation des politiques et programmes de déve-loppement (politiques, économiques et sociaux), le qualificatifcomplémentaire de bonne gouvernance apparaît. Il permet alors

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d'apprécier la pertinence et l'efficacité du système de gouvernanced'un pays.

Sur un autre plan et comme le distingue Goran Hyden (1996), ily a quatre niveaux dans la gestion des affaires de la cité. Il y ad'abord le niveau meta ou véritablement politique, qui concerne lesquestions fondamentales de la nature et du mode de fonction-nement du pouvoir politique, et qui crée de ce fait l'environnementet le cadre du jeu des acteurs aussi bien à ce niveau que surtout auxautres niveaux inférieurs. Il y a ensuite le niveau macro qui estcelui des options économiques et sociales de base, de la conceptiond~s stratégies et politiques nationales, en particulier des politiquesde développement. Ce niveau interpelle la capacité des institutionsde direction politique surtout à concevoir, superviser la mise enœuvre et le suivi des politiques de développement. Le troisièmeniveau, le niveau meso, est celui de traduction de ces stratégies etpolitiques en programmes opérationnels et réalistes et d'en assurerl'exécution de manière efficace et efficiente. Il interpelle enparticulier la capacité manageriale de l'administration publiquedans la promotion du développement socio-économique. Il y aenfin le niveau micro qui est celui de la gestion des cycles desprojets de manière efficace et efficiente.

Hyden estime cependant que seul le niveau meta est celuiauquel le concept de gouvernance s'applique ou devrait s'appliquer.Il me semble pourtant que chacun des quatre niveaux (meta,macro, meso et micro) a à la fois une dimension politique et unedimension technique ou instrumentale. Réduire les trois autresniveaux à la seule dimension technique est une erreur théoriquequ'exploitent facilement ceux qui, comme on le verra plus loin,veulent cantonner les institutions publiques africaines et enparticulier l'Etat à certaines fonctions spécifiques dans l'opération-nalisation de la bonne gouvemance. En effet, les questions dudétenteur du pouvoir de décision et de son exercice, de l'orientationou de la sanction entre autres aussi bien des politiques de dévelop-pement, des programmes que des projets, sont bien politiques.Elles ne sont pas nécessairement résolues dans les textes fonda-mentaux ou constitutionnels qui organisent le pouvoir au niveaunational ou global, et encore moins dans les pratiques non écrites.Par exemple la question des options économiques et sociales debase est hautement politique et donc du niveau meta.

Mais plus globalement, le développement humain et le progrèssocio-économique recouvrent un double processus: le processuspolitique et le processus technique du développement. C'estpourquoi je suis de ceux qui pensent que ces quatre niveaux dans lagestion des affaires de la cité se distinguent certes et ont un impactdifférent et complémentaire sur la pertinence du concept et son

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opérationnalisation, aussi bien dans la dimension politique quetechnique du processus. En conséquence je considère que leconcept s'applique bien aux quatre niveaux identifiés et dans leurdouble dimension.

Pertinence du concept

. Il est utile d'examiner ici la pertinence et l'opérationnalité decette nouvelle prescription et sa "commerciabilité." Pour ramenerla discussion aux questions qui me paraissent essentielles, jeconsidérerai successivement a) les relations entre la gouvernanceet/ou les réformes politiques qu'elle implique et les réformeséconomiques déjà prescrites oy en cours, b) la gouvernance telleque prêchée et le rôle de l'Etat dans la direction politique etéconomique du pays et c) enfin la gouvernance et les exigences dela mondialisation.Gouvernance et réformes économiques

Comme développé plus haut, les revendications sociales etpolitiques internes venant de différentes couches de la population,avec des perspectives et des objectifs limités ou larges, sur desbases de perceptions à connotations diverses (sociales, ethniques,religieuses, économiques ou ouvertement politiques), sont le fac-teur interne le plus important dans l'acheminement des sociétésafricaines vers un système de gestion publique plus ouvert et parti-cipatif. Il faut reconnaître bien sûr le rôle non négligeable joué parles événements extérieurs comme ceux du démantèlement du blocsoviétique, et la reprise en main de la chanson par les bailleurs defonds de l'Afrique, pour en faire une conditionnalité additionnelle àla litanie existante pour le déblocage de l'aide au développement.

Thandika Mkandawire (1996) résume la situation des originesinternes de l'appel au changement politique en montrant qu'ilexistait d'une part la transformation de la scène politique etl'émergence de différents mouvements sociaux qui exerçaient sur lesystème politique des pressions de la nature de celles connuesdurant les glorieuses luttes pour l'indépendance, et de l'autre, il yavait et il y a t9ujours l'impact de la crise économique sur la visionpolitique de l'Etat par ces différents mouvements et forces socio-politiques. Et il montre en particulier comment la crise économiquea joué un rôle important dans l'accélération et le rapprochement deces forces dont les objectifs initiaux ne sont ni directement ninécessairement liés à la conjoncture économique, mais plutôt à lacomposante politique du modèle d'accumulation. C'est le casnotamment des mouvements des droits de l'homme, des mouve-ments identitaires ethniques ou religieux, et des différentes luttescontre les formes variées de l'exclusion sociale.

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L'impact de la crise économique et les effets négatifs desstratégies d'ajustement proposées ont en effet contribué à accélérerle processus. D'abord ils ont dévoilé les inefficacités dans lagestion macro-économique et mis en exergue le phénomèneomniprésent de la corruption des mécanismes fonctionnels desrégimes politiques qui demandaient ou imposaient aux populationsde supporter patriotiquement le fardeau de la misère et del'austérité. Ensuite nombre d'acquis en termes de développementsocial et de sécurité sociale pour les populations ont été supprimésou mis en cause par les PAS comme exigence et composante despolitiques de réformes économiques, contribuant par là àl'insécurisation des populations et à la réduction de la gamme deleurs opportunités. En troisième lieu, les PAS ont fait annulernombre d'autres acquis sur le plan économique: soutien à lapolitique des prix, aux programmes agricoles en faveur despaysans, aux subventions économiques, etc. pour des raisonsd'idéologie et de soi-disant orthodoxie libérale à l'anglo-saxonne,réduisant la gestion du développement d'un pays à celle d'uneentreprise conformément aux lois du marché. Quatrièmement ~outcela a révélé au grand jour les faiblesses et la dépendance de l'Etatafr:icain aux institutions et puissances étrangères, compromettantdu coup sa position, sa crédibilité et la base (devenue ainsi externe)de sa légitimité. Enfin, tout cela a aussi cpntribué à réveiller lesconsciences sur la complicité entre l'Etat et les puissanceétrangères certes, mais surtout sur le fait que les prescriptions dumarabout ne sont pas dans l'intérêt des peuples, donc pas dans lesens du développement. C'est d'ailleurs révélateur que ce sont lesorganisations de masses, syndicales et humanitaires qui ont étéparmi les plus virulents pourfendeurs des politiques de réformeséconomiques prescrites par le marabout.

Pour différentes raisons déjà évoquées précédemment, il y a euégalement des pressions externes de la part des bailleurs de fondsen faveur de l'introduction des réformes politiques. Il y a eud'abord l'objectif de la réussite des programmes de réformeséconomiques. Ces derniers ayant un fort potentiel d'impopularité etun risque élevé de soulever des réactions de résistance, il faut qu'ilssoient menés de main ferme par des régimes politiques assezinsensibles à ces résistances et qui de ce fait relèvent d'un systèmede gouvernance autoritaire. On est donc amené à revoir ce systèmede gouvernance. Par ailleurs les régimes forts de gestion despolitiques et programmes de réformes sont aussi des régimes decorruption. Ceci s'explique par différents facteurs liés à la naturedu pouvoir et aux voies de son acquisition et de son maintien, maisaussi d'une certaine manière aux PAS eux-mêmes. En effet si lerégime politique à même de conduire les réformes économiques

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telles que prescrites par le marabout doit être relativement isolé descouches populaires et capable de conduire ces programmes demanière musclée, il devient par le fait même un régime appelé àdévelopper le clientélisme et la corruption. Il ne peut pas lui-même(c'est-à-dire ses classes dirigeantes) être soumis aux exigences del'austérité et des privations des politiques des PAS. De même ildevra entretenir l'appareil politico-policier qui permet de contenirles pressions venues de la base ou d'autres forces sociales, écono-miques ou politiques. La "dérive" autoritaire et le développementdes mécanismes de corruption sont donc relativement liés dans lamise en œuvre des programmes de réformes économiques.

L'une des grandes composantes sinon la pièce maîtresse de lagouvemance est la démocratie, prêchée beaucoup plus selon sonmodèle occidental. Or même vue sous cet angle, il est évidentqu'elle est en conflit avec l'essence des exigences politiques de cesprogrammes de réformes. C'est là qu'il y a une différence profondeentre la compréhension de la démocratisation telle que réclaméepar les populations africaines et son entendement par lesin.stitutions du système marchand du développement. Ne pouvantpas jouer le jeu plein de la démocratisation politique et économiqueporteur de la mise en cause de son modèle économique et politique,et ne voulant ni ne sachant imaginer un modèle différent, le sys-tème marchand du développement s'en est remis à un produit toutfait, qui en plus renforce l'occidentalo-centrisme de son modèle: lesystème de démocratie et de gouvernance à l'occidentale.

Pour le système maraboutique ou marchand de développement,tout régime politique à même de mener "efficacement" sesréformes économiques et financières, même s'il ne fait que peud'ouverture politique, est largement soutenu, félicité et présenté enexemple de gestion économique (et non de démocratie). C'est dansce contexte qu'~l faut compr~ndre que les régimes politiques del'Ouganda, de l'Erythrée, de l'Ethiopie, du Rwanda, du Ghana, etc.,qui sont pourtant des régimes à "hommes forts", peu ouverts auxrecettes de bonne gouvemance à l'occidentale, sont présentéscomme des régimes dirigés et tenus par des leaders de ce que leSMD appelle la nouvelle génération d'hommes politiquesafricains! Silence est fait sur le parti unique de fait, sur l'ignorancede la bonne gouvemance, et sur les indicateurs de développementhumain, mais large publicité sur leur capacité de contenir leurspopulations pour assurer la mise en œuvre des réformeséconomiques, au point de les présenter en modèle pour l'Afrique!

Quelle démocratisation ou gouvemance faut-il alors pourl'Afrique?

Si d'une certaine manière c'est la résistance aux politiques deréformes du SMD qui a généré ou accéléré le processus

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démocratique et l'exigence de bonne gouvemance en Afrique, il estclair qu'il n'y a pas cohérence entre les deux processus. Par ailleursles pratiques mêmes du SMD montrent qu'il soutient les régimespolitiques qui bien que présentés comme bons disciples et grandsajusteurs en Afrique, n'ont pas une grande sensibilité au processusdémocratique transparent, à la gestion participative ou à la bonnegouvemance en général. En d'autres termes les effets négatifs desPAS et autres programmes de réformes notamment sur les acquissociaux de développement, ne semblent pas être compatibles avecles exigences de la démocratisation et de la bonne gouvemance,telles que fondamentalement exprimées par les revendicationspopulaires. Il faut marier les deux processus de réformes certes,mais il faut au préalable redéfinir leurs contenus respectifs.

Les contradictions ou du moins les conflits entre les deuxcatégories de réformes sont reconnus non pas seulement par lesanalystes, mais aussi par les décideurs des politiques économiquesou de développement que sont le SMD et ses principaux acteursd'une part, et de l'autre les africains eux-mêmes (CGA, 1994). C'estpourquoi il est reconnu que les réformes économiques ne peuventréussir si elles n'ont pas l'appui populaire, et que les populations neles accepteront pas seulement du fait des campagnes d'explications,mais aussi de l'intériorisation de ces réformes notamment par deuxtypes d'action. Le premier est l'instauration d'un système de filetsde sécurité sociale pour alléger les souffrances des populations quiseraient victimes des effets de ces réformes, en leur faisant croireque ces effets négatifs sont passagers et que les meilleurslendemains sont au bout du tunnel. Ce qui bien sûr ne résout pas leconflit entre les exigences des deux catégories de réformes, mais ytrouve simplement un palliatif par des mesures d'accompagnementde court terme. En même temps, on fait comprendre aux paysafricains qu'ils n'ont pas une autre voie de sortie de la crise que depoursuivre vigoureusement les politiques de réformes prescritespar le SMD et qui sont une condition de son aide. C'est dire doncqu'on maintient la contradiction non résolue, mais qu'il faut biengérer. C'est la raison d'être du deuxième type d'action, la gouver-nance, entendu comme système de gestion de ces conflits pourrester dans les bonnes grâces du SMII et réussir son insertion dansla mondialisation. Le rôle du nouvel Etat africain est tout tracé.Gouvemance et rôle de l'État en Afrique

La Banque mondiale le dit de manière aussi claire que nette:"en Afrique subsaharienne, la voie que devront suivre lesprogrammes d'ajustement est toute tracée (c'est l'auteur quisouligne) : poursuivre les réformes macro-économiques, compléterles réformes du commerce extérieur et du secteur agricole,restructurer les finances publiques et créer des conditions propices

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à l'essor du secteur privé dans les différents secteurs de laproduction des biens comme dans le secteur des services. Le succèsde, ces réformes suppose une transformation radicale du rôle del'Etat, qui n'ira pas sans difficultés dans le contexte africain,caractérisé par la faiblesse des institutions et souvent par une trèsvive résistancepolitique." (soulignépar l'auteur) ,

Ce discours et tout le processus de re-conceptualisation de l'Etaten Afrique, de la redéfinition de son rôle et de ses mécanismesfonctionnels, ainsi que toute la nouvelle prédication sur la bonnegouvemance en Afrique montrent le problème de fond, à savoirl'impossibilité de gérer de l'extérieur le processus de réformes insti-tutionnelles et économiques, et l'impOI;tanceque les débats actuelsautour de la re-conceptualisation de l'Etat et autour des fins socia-les du développement et des décisions qui en découlent, soientréappropriés par les pays concernés..

Commencées comme mesures de techniques de court termeallant de la stabilisation à l'ajustement et la relative "désétatisa-tion," les mesures de réformes économiques ont fini par devenir laseule stratégie de développement fortement recommandée aux paysafricains sans autre perspective de long terme, bien qu'elles aientpourtant un impact sur ce, dernier. Dans cet ordre d'idées, changerradicalement le rôle de l'Etat revient, pour d'influents courants depensée du SMD, à en faire un instrument dont la capacité techniquede conception et de mise en œuvre des réformes économ,iquesprescrites doit être renforcée. L'objectif est de rendre cet Etat àmême de mener et orienter ses interventions dans le sens voulu parle SMD, c'est-à-dire en délaissant certaines stratégies de dévelop-pement comme les stratégies non orientées vers l'exportation, oucelles qui favorisent les politiques redistributives et des réformessociales, ou enfin celles du renforcement du ,rôle économiquestratégique et de direction économique de l'Etat, en tant quepremi~r responsable du développement humain de ses populations.

L'Etat est donc réduit ici au rôle d'un outil technique crucialdans la promotion et la mise en œuvre d'une certaine forme dedéveloppement - celui voulu par le SMD - et ce, en utilisant lesprérogatives de la puissance publique. Par ailleurs les moyens pourjouer ce rôle lui sont prescrits par ses partenaires extérieurs, libre àlui de les intérioriser et de les faire partager par ses populations etses cadres aux différents niveaux de responsabilité. ,

La nature, le fonctionnement et le rôle de l'Etat sont ainsidéfmis par rapport aux exigences du marché. Ce dernier est présen-té comme si son développement ne pouvait aller qu'avec l'affai-blissement du premier. Une sorte de propagande contre la "com-pétition" entre les deux est menée de front en contradiction avec leprincipe général de compétitivité pourtant prôné comme base du

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libéralisme. Pour le SMD, ou du moins pOJlf ses principauxacteurs, la bonne gouvernance est assurée si l'Etat est réduit à lacapacité technique de gérer les ressources publiques et lesmécanismes fonctionnels en faveur des réformes économiques etde l'intégration à l'économie mondiale. La gouvernance qui privilé-gierait les pesanteurs politiques, économiques et sociales internesdu développement à l'encontre partielle ou totale de la dynamiquedes réformes en cours yst combattue. Il est vrai que la perceptiontechnique du rôle de l'Etat et son instrumentalisation conséquenteont un soubassement idéologique et politique.

D'autres courants néanmoins mettent aussi l'accent sur lagouvemance comme exercice du pouvoir politique, et passeulement technique, de l'Etat en termes de processus socio-politique du développement au-delà du processus technique. Maispour le SMD, même ceux qui ont cette conception, l'essentiel estde renforcer les autres ingré,dients du système de gouvemance et dela démocratie à l'occidentale: renforcement des pouvoirs politiquesclassiques (exécutif, législatif et judiciaire) et de leur indépendanceou séparation, gestion participative des affaires publiques, trans-parence et lutte contre la corruption, responsabilisation et devoir derendre compte, cadre juridique et institutionnel du développement,réformes institutionnelles et notamment de la fonction publique,décentralisation, rôle de la société civile, rôle de l'armée,mécanismes de la transition politique, démocratie, etc. Ces ingré-dients qui semblent couvrir les quatre niveaux de gouvemancedistingués ci-dessus mettent l'accent beaucoup plus sur la dimen-sion technique du processus de développement plutôt que sur la .dimension politique sur laquelle le SMD voudrait agir sansapparaître au grand jour, ni IToisser des susceptibilités. Cesingrédients sont devenus ainsi des produits marchands et desinstruments de prédication des différents acteurs du système, avecdes accents variables d'un acteur à un autre.

En réalité ce deuxième courant élargit simplement lesmécanismes et le cadre d'appui aux politiques et programmes deréformes économiques. L'Etat reste confiné dans son rôleinstrumental et fonctionnaliste. Il est appelé à développer sescapacités techniques et institutionnelles pour assurer la réussite desprogrammes économiques définis ou inspirés par le SMD, et non àles penser ou repenser et en tout cas pas à les remettre en causedans leur dimension politique pour une stratégie différente dedéveloppement. Son rôle consiste ainsi d'une part à mettre enœuvre tous les mécanismes en son pouvoir au service desentrepreneurs privés - nationaux et étrangers -, à laisserpleinement jouer les forces du marché et en particulier du marchéinternational, en cherchant tout au plus à s'y adapter, et enfin à

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mobiliser sinon à encadrer la société civile contestataire dans lamême direction. Il devient fondamentalement un agent d'exécutionsous des formes variées, des politiques macro-économiques etsectorielles ou thématiques, définies ou inspirées par le SMD et quilui sont présentées - en fait vendues - comme l'unique voiepossible de développement et de salut, et de ce fait pouvantbénéficier du soutien politique, [mancier et même militaire duSMD.

Plus grave encore est la signification politique de cette approchedu SMD pour les Etats et les dirigeants africains. Leur capacité derésistance ou d'entêtement par rapport aux revendicationspopulaires contre les politiques de réformes économiques estconsidérée comme une qualité de bonne gouvernance, présentée enexemple et remerciée par l'aide au développement en particulier lemécanisme du Programme Spécial pour l'Afrique (en anglais SPA),des autres dispositifs de coordination de l'aide ou de,s programmesde coopération individuels des bailleurs de fonds. A cet égard leSPA joue à la fois le rôle de mécanisme de suivi policier conjointde la mise en œuvre des politiques de réforme par le SMD, et desanction de cette mise en œuvre.

Un exemple frappant de la légitimation extérieure des Étatsdans ce processus est donné par le contrôle budgétaire et la revuedes dépenses publiques par le SMD, notamment par la Banquemondiale qui joue ainsi le rôle du bras opérationnel le plusimportant du SMD, de veilleur et de garant de l'intégration despays attelés au processus ,de mondialisation. Du fait d'êtrequémandeurs de l'aide, les Etats africains courent le risque dedevenir leur propre caricature car se voyant imposer la nature et levolume de ressources à affecter à certaines activités, y compriscelles de souveraineté. Ces exercices d'inspection sont régulière-ment rapportés au SMD pour sanction et décision finale.

Ainsi, être responsable de la définition d'un autre projet desociété dans ses différentes composantes y compris l'économique,être pleinement acteur dans la mise en œuvre économique de ceprojet en partenariat et non en compétition avec les autres acteursnationaux, veiller à court et à moyen terme au bien-être et àl'épanouissement des populations dans toutes les politiques etprogrammes y compris dans leurs divergences avec les politiquesdu SMD, ce niveau de responsabilité politique et ses implicatiJ:msen termes de système de gouvernance semblent être interdit à l'Etatafricain. Pourtant la pertinence des instruments et mécanismestechniques de bonne gouvernance dépend grandement des optionset des pratiques dans le processus politique de développement. Cesont ces options et pratiques qui doivent en réalité guider dans lechoix de ces instruments et mécanismes. Les choses se passent

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comme si le processus politique du développement et la dimensionpolitique de la gestion des affaires de la cité étaient déjà pensés etd~finis pour l'Afrique par le SMD. Il ne reste et n'est demandé àl'Etat africain qu'à suivre les leçons et maîtriser les instruments dela gestion technique de bonne gouvemance tels que conçues pourlui par le SMD. ,

Cette approche du rôle de l'Etat est non pas seulement présentéecomme voie unique ou du moins principale de salut économique,mais elle est aujourd'hui dans son ensemble ou parfois danscertaines de ses composantes, présentée surtout comme nouvelleconditionnalité pour bénéficier de l'aide des bailleurs de fonds.Malgré la faible efficacité des conditionnalités en général, celle-ciest devenue un moy~n de pression tantôt direct tantôt indirect pourimposer un nouvel Etat instrumentalisé à l'occidentale mais dansune version tronquée. Cependant, malgré certaines résistances dequelques pays africains, ou de leurs organisations de masse,l'USAID (1992) montre que la pression a des effets positifs dans lamesure où les pays africains se disputent les bonnes grâces duSMD par ces temps de baisse de l'aide publique au développement.Ils sont tous disposés à jouer ce nouveau rôle à des degrés divers etsous des formes variées, si tant est que cela peut amener unecertaine croissance et donc une certaine paix sociale et lesmaintenir dans le parapluie du SMD.

Néanmoins, il n'y a aucune garantie ni encore moins unerelation directe entre la mise en œuvre de ce système degouvemance et l'afflux de l'aide étrangère ou de l'investissementdirect étranger en Afrique. Il n'y a pas non plus de lien direct entrecette gouvernance et la garantie d'une croissance économiquedurable, surtout si elle doit être fondée sur l'exportation desmatières premières, ou celle plus problématique de nouveauxproduits industriels que l'Afrique se mettrait à produire dans lecadre des réformes qui lui sont pre,scrites.

Il est pourtant évident que l'Etat africain réduit à ce rôle nepourra à la longue réussir ces réformes sans réinvention et ré-appropriation du processus de ces réformes, et sans se reposer surun large consensus interne. Cette ré-appropriation et ce consensusvont à l'encontre de l'adoption de stratégies bancales définies àl'ayance comme c'est le cas aujourd'hui. Par ailleurs le modèled'Etat qui est prescrjt à l'Afrique n'est pas à proprement parler unmodèle du rôle de l'Etat, ni dans la majorité des pays européens quisont la base du modèle occidental qu'on veut vel}dre et financer enAfrique, ni encore moins dans les nouveaux Etats industrialisésd'Asie dont l'exemple est constamment prêché aux Africains.L'histoire pa~sée et actuelle montre précisément le contraire, c'est-à-dire que l'Etat y a joué et même continue à jouer un rôle actif

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dans la dynamique économique, aussi bien comme concepteurpolitiquement responsable du devenir économique du pays et deses populations, que comme acteur dynamique de la mise en œuvred'une stratégie nationale de développement, y compris dans lamanière spécifique d'insertion du pays dans l'économie mondiale.L'exemple de la Chine qui connaît des taux de croissanceéconomique faramineux et soutenus depuis une quinzaine d'annéesest là avec les autres exemples évoqués ci-dessus pour porter undémenti à la marchandise qu'on veut fmancer et écouler enAfrique. C'est là aussi la preuve du caractère à la fois idéologiqueet apologétique de la nouvelle marchandise et du nouveau sermondu marabout.

Par ailleurs il est utile de voir comment historiquement l'Étatafricain s'est impliqué activement dans le processus dedéveloppement et est devenu un acteur économique important demanière générale ou dans certains secteurs jugés stratégiques. Lechangement de l'héritage colonial sur les plans politique,économique et social était et reste la revendication fondamentaledes luttes d'indépendance qu'avaient pu incarner un certain nombrede leaders politiques. Que ces luttes soient plus tard récupérées pardes forces internes et ou externes est une autre question qu'il estutile d'examiner notamment dans le contenu du concept degouvet;nance d'aujourd'hui. Ce qu'il faut retenir historiquement estque l'Etat africain était et est encore la seule force qui pouvaitmaîtriser la dynamique post-coloniale, notamment dans leprocessus d'accumulation pour se donner une base économique etrenforcer sa capacité de réponse aux attentes des populations pourlà promotion d'un développement économique accéléré et l'accèsaux services sociaux essentiels. Ceci était et est encore d'autantplus valable que le secteur privé africain était inexistant,emqryonnaire ou parasit~ (C. Lopes, 1996).

A ce titre un tel Etat non seulement joue pleinement sesprérogatives en tant que premier responsable du développement etdu bien-être de ses populations, mais, en plus et comme démontré~illeurs y compris dans les nouveaux Etats industrialisés d'Asie, cetEtat est à même d'être le rempart de protection des populationscontre les chocs extérieurs dont ceux de la mondialisation, ou êtreun facteur pour faciliter la compétitivité dans une économie qui semondialise. Comme le disait le Présjdent du Burkina Faso, "lapolitique du désengagement total des Etats du secteur agricole metbrutalement le producteur africain, seul et très souvent inorganisé,face au péril d'un marché international impitoyable qui lui vend desintrants renchéris tout en requérant de lui des produits à bas prix"(B. Compaore, 1996). Ceci est sans doute valable pour d'autressecteurs économiques politiquement ou socialement stratégiques,

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et souligne le rôle protecteur crucial de l'État.En contraignant l'État africain à abandonner ce niveau de

responsabilité par le truchement de cette conditionnalité, lesbailleurs s'arrogent le droit de décider des voies de développementde l'Afrique, de sa}1ctionner leur mise en œuvre, et ficellent enmême temps cet Etat dans l'idéologie et la pratique de bonnegouvemance. Le néo-libéralisme triomphant est une idéologiefonctionnaliste au service de la mondialisation.

Si la mise au pas de l'Afrique pour qu'elle soit insérée dansl'économie mondiale dans l'intérêt des forces dominantes duprocessus de mondialisation passe par les réformes économiquesque le SMD préconise, l'opération ne peut réussir que si elle estaccompagnée au même titre par la mise au pas du processuspolitique de développement, mais dans sa version instrumentalisteet technicienne. C'est là le fondement de la gouvemance commecomposante stratégique essentielle du nouveau sermon dans lapolitique du marabout.

Compte tenu de ce contexte marqué par la nécessité de mettreen œuvre des ressources pour réussir ces deux catégories deréformes, et l'engouement forcé des pays africains qui s'engagentdans la danse et en compétition pour des ressources limitées, leSMD a ouvert ainsi un nouveau marché pour ses autres acteurscomme indiqué plus haut. Les centres et instituts spécialistes enbonne gouvemance et en démocratie ou en certaines des compo-santes comme la transparence, la lutte contre la corruption, endéveloppement participatif... etc., des cabinets d'études, des expertset réseaux de prophètes, imam et muezzin de toutes sortes sur latransition politique, le processus électoral ou la gestion et larésolution des conflits et autres diseurs de bonne parole en bonnegouvemance sont apparus ici et là, aussi bien en Occident qu'enAfrique même. Le marché de la bonne gouvemance est juteux, lademande provoquée étant abondante. Les mécanismes instrumen-taux comme la Coalition Mondiale pour l'Afrique ne sont pasrestés à l'arrière-plan de la nouvelle lutte pour la réussite desréformes préconisées pour le salut de l'Afrique. Les ateliers,séminaires, colloques et fora de haut niveau, les publications etproductions de documents supports de la prédication se sontmultipliés et se multiplient pour apprendre aux Africains commentrenforcer leurs capacités technique et institutionnelle de bonnegouvemance. .

Pourtant les capacités institutionnelles de l'Etat africain dans lagestion du développement et donc aussi des affaires publiques ontété affaiblies par les programmes de réformes eux-mêmes, sansqu'ils soient les seuls responsables. En effet, les visites régulièresdes différents inspecteurs et négociateurs du SMD pour préparer ou

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faire le suivi de la mise en œuvre des réformes et des programmesparticuliers des autres marabouts et imam mobilisent les cadres etles institutions longtemps avant ces missions non pas pours'occuper des tâches quotidiennes de développement, mais plutôtpour préparer les rapports à présenter aux inspecteurs du SMD. Demême la concurrence entre marabouts et imam de différentsniveaux crée une certaine incohérence qui multiplie le nombre deprojets dits de développement à gérer par les institutions et cadresnationaux, multipliant par là les charges de gestion avec unappareil administratif réduit par les exigences des programmes deréformes. Il y a aussi non pas seulement la réduction des effectifs,mais aussi celle des salaires recommandée par les PAS notamment,et qui ne peut que diminuer la capacité des Etats africains dans lagestion du développement.

Cette analyse conduit de plein pied à la question de lacorruption, un autre ingrédient important dans la thématique de labonne gouvemance. Les causes majeures de la corruption sont liéesà l'existence de fortes inégalités sociales et économiques, à lapaupérisation des compétences et au système de clientélismepolitique, qui amènent les cadre~ à se prostituer et à rechercher lesrentes de leur position dans l'Etat ou dans l'exercice de leursfonctions publiques. Nombre de recettes prescrites par lespolitiques de réforme ont non pas seulement cS"tautre effet négatifde diminuer la capacité institutionnelle des Etats africains, maisaussi celle de contribuer d'une certaine façon à l'accélération ou aurenforcement du système de corruption. Lorsque les compétencessont sous-payées, et donc sous-évaluées, il se produit un systèmed'inversion de valeurs éthiques et professionnelles, et sans douteaussi la démotivation et la baisse de la productivité (PNUD etUNICEF, 1995). Dans certains cas il est symptomatique de noterque le SMD est allé jusqu'à atténuer les effets négatifs de sespolitiques de réformes sur la fonction publique africaine" enfinançant des compléments de salaires aux fonctionnaires de l'Etat.Ce qui n'est qu'une mesure temporaire dont il n'est pas facile desortir et qui compromet la crédibilité et la légitimité des régimespolitiques qu'il soutient. ,

Quelle bonne gouvemance peut-on attendre d'un tel Etat? C'estdonc sur un tel socle qu'il faut bâJir le nouvel instrument. Quelle ensera la réceptivité du côté de l'Etat africain même si sa demandeforcée existe?

Par ailleurs dans nombre de cas, il s'est avéré que le soutien à lagouvemance sous ses différentes formes et composantes estgénéralement ponctuel ou, en tout cas de courte durée et mêmeopportuniste. Dès que le processus électoral souvent largementsoutenu est terminé, les nouvelles institutions démocratiques qui

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héritent des économies en crise et exsangues, éprouvent beaucoupde difficultés devant les espoirs qu'elles ont soulevés de la part deleurs bases et face à des moyens humains, matériels et financierstrès faibles. Situation souvent exploitée et par les oppositions et parles groupes militaristes pour fragiliser les nouvelles institutions,mais aussi parfois par certains bailleurs de fonds particuliers, si lesdirigeants de ces nouvelles institutions démocratiques semblentprivilégier le bien-être de leurs bases sociales et non l'insertiondans la dynamique pour laquelle les élections et le reste duprocessus ont été financés. Elles ne sont pas toujours soutenues àces périodes spécifiques capitales pour asseoir le processusdémocratique. Des cas d'échecs de ces processus en Afrique nesont pas inconnus. L'enracinement de la culture démocratique, quiest une œuvre de longue haleine n'est pas souvent au programmede nombre d'acteurs du SMD.

L'Afrique est ainsi à la fois terrain d'essai et objetd'encadrement suivi et attentionné pour s'assurer de son insert,iondans le processus de mondialisation, mais aux conditions d'un Etataffaibli et d'une société civile mise au pas.Gouvernance et exigences de la mondialisation

L'économie libérale est passée des systèmes nationaux deproduction à l'interpénétration et la formation croissantes desegments d'un système mondialisé de capitaux, de produits, detechnologies et de flux migratoires. La mondialisation s'affirmeainsi comme un processus de polarisation par l'économique et quien même temps accélère les mécanismes de la généralisation de lamarchandise dans les sphères autres qu'économiques etd'intégration polarisée des espaces. Les frontières nationales etl'Etat-nation qui les représente ou les gère perdent de leursubstance politique et économique (S. Amin, 1993). Il faut ré-inventer l'Etat et son rôle à la lumière des exigences de lamondialisation. Ceci est sans doute valable P?rtout, mais devientune nécessité en termes de mise au pas de cet Etat dans les pays endéveloppement dont ceux de l'Afrique.

En second lieu, la mondialisation en créant et renforçant leprocessus de polarisation économique entre pays, et la segmenta-tion verticale ou vertico-spatiale, revigore la compétition entregrandes forces économiques planétaires et met en exergue lesenjeux géo-politiques du processus. C'est dans ce cadre qu'il fautcomprendre les mécanismes d'attelage économique, politique oumilitaire des régions et sous-r~gions africaines à l'Europe ou àcertains pays européens, aux Etats-Unis, ou au Japon. Ce sontnotamment les sommets France-Afrique, la convention Europe-pays ACP, les récentes initiatives américain~s notamment avec laconférence de Washington dite conférence Etats-Unis/Afrique, la

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francophonie et ses dérivés, le commonwealth et ses dérivés, ainsique les autres dispositifs de dialogue et de coordination par leSMD. Dans l'optique du SMD, le processus de créationsd'ensembles régionaux en Afrique relève de cette approche en tantque mouvement de création ou d'élargissement des airesgéowaphiques de son marché, vu qu'il va en bénéficier plus que lescapItaux nationaux africains quasiment inexistants ou attelés eux-mêmes.

Troisièmement, la mondialisation, de par la polarisationéconomique et les autres mécanismes de son fonctionnement,renforce des phénomènes asymétriques et des sources de dysfonc-tionnements qu'il faut alors gérer tant au niveau de chaque paysafricain (règles de bonne gouvernance), que bien sûr au niveaumondial par des actions parfois musclées sur le plan économique etfinancier, politique ou même militaire. En effet, la mondialisationsecrète de par sa nature et ses mécanismes de fonctionnement, lesinégalités croissantes entre pays riches du Nord et pays pauvres duSud, tout comme au sein des pays entre couches dirigeantes richeset larges segments pauvres de la population. Ces situations sont enelles-mêmes des situations de crise économique ou financière, maisaussi des crises politiques et sociales du système. Car dans uncontinent comme l'Afrique, le commerce des apparences dedéveloppement des deux premières décennies de développementréussissait aussi parce qu'il répondait aux idéologies post-indépendance de modernisation, de rattrapage et d'industrialisation.Les illusions développementalistes accentuées par la crise écono-mique, l'inefficacité des réformes économiques dans la solution dela crise, et les inégalités exacerbées par le processus demondialisation dont les PAS sont un des instruments, tout cela créedes tensions socio-politiques dont on ne connaît pas bien le pouvoirde détonation. En tant que telles, elles sont explosives parce quereflétant une contradiction de base dans le système et son dispo-sitif. Ces situations doivent être prévenues, gérées et maîtrisées. Lafonction première de la bonne gouvernance en Afrique apparaîtainsi nettement sous cet éclairage.

Dans l'ordre mondial actuel, les prescriptions idéologiquesanglf>-américaines sont devenues des règles formelles auxquellesles Etats doivent se soumettre chacun pour leur part, sous peine dedevenir des parias économiques. Le GATT (Accord général sur lestarifs douaniers et le commerce) et l'OMC (Organisation mondialedu commerce) ne sont que les manifestations formelles les plusévidentes de la doctrine selon laquelle, quand il s'agit de capitauxet de marchandises, moins les Etats individuels agissent dans ledomaine économique, mieux le monde se portera. Lys négociationsbilatérales, au moins celles dans lesquelles les Etats-Unis sont

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engagés, délivrent ce message de façon encore plus agressive. Lesreprésentants privés du capital international et, dans le cas des paysen développement, les organismes financiers internationauxcomme le FMI, exercent une tutelle analogue.

Les effets de cette uniformité idéologique mondiale (appeléeaussi consensus de Washington) vont bien au-delà des contraintesimposées par une quelconque logique structurelle ,de l'économieinternationale. Le fait que l'engagement actif d'un Etat pour amé-liorer les conditions économiques sur son territoire soit susceptiblede déclencher l'opprobre, non seulement d'acteurs privésimportants, mais aussi de l'hégémonie qui règne sur le monde, faitde toute intervention d'un Etat une dé9ision très risquée.

La mise au pas sinon au ban des Etats qui résistent à ce proces-sus ou cherchent à s'y insérer différemment semble être ainsi uneexigence majeure de la mondialisation sur le plan politique ou degestion des affaires publiques. La gouvernance pour les paysafricains apparaît ainsi comme l'exigence de mise en place au plannational des systèmes politiques et administratifs de gestion dumarché, de ses contradictions, des crises du processus d'intégrationà la mondialisation, et des situations explosives qu'elle aggrave,crée ou est à même de créer. La gouvernance est de ce fait uneréponse construite comme un système de normes et de structuresde gestion nationale et mondiale pour faire face aux défis duprocessus de mondialisation, y compris la gestion des écartscroissants et leurs conséquences sur les plans, économique,politique et social. Instrumentaliser et privatiser l'Etat en sont lecontenu (PNUD, 1998).

Par ailleurs le SMD se propose en plus de mettre en placed'autres mécanismes de surveillance de cette gouvernance enAfrique en plus de ceux déjà existants. Entre autres l'USAID avaitlancé l'idée de la création de la Commission Africaine sur laDémocratisation, comme dispositif international destiné àapprécier les progrès des pays africains dans ce domaine, pour queces pays puissent bénéficier de l'aide occidentale. Cela faisait partiedes moyens de pression indirecte pour mettre l'Afrique au pas de lamondialisation (USAID, 1992). Dans ce même document, l'USAIDrapporte que même la Coalition Mondiale pour l'Afrique, une autrecréation instrumentale du SMD, a proposé de mettre en place unforum spécial regroupant les bailleurs de fonds bilatéraux etmultilatéraux et des Africains pour dialoguer sur l'amélioration etles progrès des pays africains dans la mise en œuvre des stratégiesde bonne gouvernance, et de coordonner la réponse, c'est-à-direl'aide des bailleurs de fonds pour soutenir ces progrès.

C'est pourquoi questionnant à juste titre le modèle de bonnegouvernance prêché et prescrit pour l'Afrique, et le fait d'en faire

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une nouvelle conditionnalité, le Président du Burkina Faso insistaitsur la nécessité de donner priorité aux problèmes de dévelop-pement humain durable et aux aspirations profondes des popu-lations au bien-être et au moins à leur survie. Il dénonce le principemême de calquer le modèle de la démocratie occidentale sur despeuples qui ploient sous le poids de la pauvreté et de la misère, etqui vivent ou survivent de la main tendue ou des pitances de lanature. Il en est de même d'un processus dit de bonne gouvernanceou de démocratisation qui ressemble plutôt à celui de légitimationde la dictature économique d'une minorité sur l'ensemble despopulations africaines (B. Compaore, 1996).

3. Quelle gouvernance pour l'Afrique de demain?

L'évolution de la pensée de développement chez le maraboutmontre comment systématiquement ce dernier a cherché sesmarchandises et prescriptions d'abord dans la sphère del'économique, ignorant ouvertement le politique pour des raisonsidéologiques évidentes. Les thèmes centraux de ses prescriptionsont porté successivement sur les projets dits de développement, lesprogrammes et les politiques de réformes au cours des troispremières décennies de développement, et finalement sur lapolitique elle-même depuis le début de cette décennie.

Les quatre décennies de développement en Afrique ont donccorrespondu à quatre stratégies mises en œuvre, encouragées etfinancées par le SMD. Et on connaît les résultats. Avec le thème deréformes politiques, il est enfin reconnu même sans l'avouerdirectement, que le problème du développement, en Afrique ouailleurs, est d'essence politique, et qu'il faut de ce point de vue ré-introduire cette dimension dans la problématique en cause. Certeset comme expliqué ci-dessus, la manière tronquée dont le SMD l'afait n'est pas celle qui est porteuse de l'avenir radieux pourl'Afrique.

Bonne gouvernance et développement humain durable (DHD)Comme on peut s'en rendre compte, les composantes, les carac-

téristiques et les aspects prioritaires du DHD d't\ne part, et del'autre les composantes et les caractéristiques de la Bonne Gouver-nance se recoupent, ou se renforcent mutuellement, les uns étantparfois les conditions de réussite des autres: larges opportunités etéquité, lutte contre la pauvreté et participation, efficacité etefficience, responsabilité et transparence, vision stratégique etassurance pour les générations futures, etc. sont autant de couplesqui soulignent la force des liens entre les deux concepts. LeDéveloppement Humain Durable, c'est-à-dire le développement de

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l'homme, par l'homme et pour l'homme, est indissociable de labonne gouvernance. En d'autres termes, la Bonne Gouvernancen'est autre chose que la socialisation du développement, et en celaelle est le pilier stratégique majeur du DRD.

Chaque acteur de la gouvernance a ainsi un rôle spécifique àjouer qui lui permet de contribuer à la construction dudéveloppement humain.

L'État, Les fonctions de l'État sont multiples. Dans le contexte actuel

l'Etat a tendance à se dégager de plus ~n plus des activités deproduction. D'une façon générale l'Etat doit assumer laresponsabilité des services publics et celle de créer un environ-nement politique, éçonomique, social, administratif et juri4iquepropice au DRD. L'Etat a un rôle normatif et d'orientation. A ceteffet, il définit un cadre global d'intervention. Il assure par ailleursles fonctions de défense des droits de la personne et de l'intégritéterritoriale, de mobilisation de ressources, de renforcement descapacités tant au niveau adminjstratif que dans les secteurs privéset dans la société civile. Mais l'Etat est aussi un acteur économique,avec un rôle stratégique dans certains secteurs ou dans certainesactivités économiques, en conformité avec les exigences de laprotection de l'intérêt général et du bien-être public. II ne peut êtreconfiné aux seules tâches d'orientation et de création del'environnement favorable à la promotion des affaires desentreprises privées.Le secteur privé

Le secteur privé assume au premier chef les fonctions decroissance économique, de créjltion de richesse et d'emplois etdonc de génération de revenus. Etant donné q,ue le secteur privé n'apas toujours la notion de l'intérêt général, l'Etat doit intervenir detemps en temps pour corriger les discriminations et permettre unlibre jeu des mécanismes du marché tout en contenant ses dérives.La société civile

Les organisations de la société civile ont pour mission depermettre aux populations de participer aux activités économiqueset sociales et d'être capables d'influer sur les décisions et politiquesqui les concernent, et d'accéder aux ressources publiques, enparticulier par le canal des programmes en faveur des pauvres. Ledynamisme de la société civile devrait constituer un contrepoidssocial qui permet de réguler les inégalités et d'éviter ou du moinsde limiter les tentations aux dérives sociales, politiques ouéconomiques.

Dans tous les cas, la problématique du Développement Humain

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comme celle de la Bonne Gouvernancene peuvent plus sur le planopérationnel en particulier, être considérées ni seulement en elles-mêmes, ni dans le seul contexte national. Le processus demondialisation actuel a de profondes implications aussi bien sur leDHD que sur - cela va de soi - la Bonne Gouvernance dans lespays en développement. En effet, ce processus influence lesmodèles de croissance économique, la configuration sociale et lagestion politique des pays en développement.

Le fait que chaque acteur ou catégorie d'acteurs ait un rôle àjouer, participe de l'exigence de bonne gouvernance et de ladémocratisation dans les différentes sphères de la vie despopulations que sont non pas seulement le politique bien qu'il soittrès déterminant, mais aussi l'économique, le social, le culturel etpourquoi pas le religieux (A. O. Konaré, 1996). Vu sous cet anglec'est le problème d'élargissement de l'assise politique du systèmede gouvernance et de la base sociale du développement qu'il fautposer et résoudre pour l'Afrique de demain.

Signification économique et exigences politiquesIl ne faut donc pas se limiter à la recherche des modes de

gestion de la crise mais entreprendre plutôt de la résoudrecourageusement en allant au-delà et poser les fondements d'unautre modèle de développement économique et social endogénéisé,c'est-à-dire basé sur une fonction d'accumulation interne conscienteet solide, et sur un élargissement de la base sociale dudéveloppement.

L'internalisation de la base d'accumulation et sa consolidationdoivent être une préoccupation primordiale pour le développementà long terme de l'Afrique. C'est sa seule garantie sûre en l'absenced'une mainmise coloniale ou économique sur d'autres régions dumonde. Son caractère conscient signifie que les secteurs bases del'accumulation sont en relation non pas d'extorsion de valeurs, maisd'échange de surplus avec les autres secteurs en vue d'assurer undéveloppement soutenu.

L'élargissement de la base sociale du développement signifienon pas seulement l'établissement de rapports d'accumulationconsciente, c'est-à-dire d'échanges de surplus entre les différentescomposantes de la population au travers des secteurs économiquesqu'elles représentent, mais leur participation pleine au processus dudéveloppement aussi bien dans sa dimension économique quesocio-politique.

C'est cela que les peuples africains demandent. Et lestransformations qu'ils exigent portent non pas seulement surl'internalisation économique du développement, mais aussi sur lesstructures socio-politiques correspondantes. Le drapeau du

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nouveau modèle de développement ne peut plus être porté par lemême type de complicité que celui du modèle qui est en crise. Lalutte pour la qualité de la vie des populations en dépend. C'est à cetitre que la couverture des besoins économiques (alimentation,habillement...) et sociaux (éducation, santé, logement, emploi) debase peut être assurée à la majorité de la population.

Il s'agit en même temps de réussir l'élargissement de la basesociale du développement. Ce qui signifie que la croissancesoutenue est l'affaire de tous: jeunes et vieux, hommes et femmes,mondes rural et urbain, compmnautés de base et directionsadministratives ou politiques, Etat et opérateurs privés. Chaquecatégorie doit être partie prenante et se sentir concernée. Il fautdonc réussir cette sensibilisation et cette mobilisation. Ce quisignifie aussi la libéralisation de la pensée et de la parole, lasuppression des mécanismes de paralysie de la créativité desindividus et des communautés, la décentralisation économique etpolitique. Une des leçons majeures à tirer de l'évolution de lasituation socio-économique en Afrique, corroborée d'ailleurs parcelle des pays de l'Est européen et même par celle d'autrescontinents, est que la démocratisation de la société est uneexigence du développement.

La démocratisation développe l'esprit d'émulation et decompétitivité, libère le potentiel créatif des populations, met desgarde-fous à toute centralisation abusive de la pensée, du pouvoiret des richesses, assure un autocontrôle social, stimule le progrèséconomique et social et veille à la prise en main par la société deson propre devenir. Elle implique l'ouverture du débat, latransparence dans la gestion de la chose publique, la libertéd'opinion et de son expression et la séparation des pouvoirs. Toutesles sociétés totalitaires, qu'elles soient de type libéral ou socialiste,se sont montrées stérilisantes, et constituent de ce fait, un frein auprogrès économique et social, même si par moment, ellesréussissent à mettre les, populations au pas et à réaliser unecroissance économique. A la longue les peuples embrigadés vontse démobiliser et la crise éclater.

Le nouvel État africain doit politiquement restructurer sesrapports avec la société civile en vue de lui restituer son potentielde créativité. Ce qui implique des rapports de dialogue avec lasociété civile, l'acceptation de la démocratisation de la pensée et dupouvoir (pluralisme politique et culturel), ainsi que la décentralisa-tion du processus de décision pour permettre la participation desdifférentes couches sociales concernées. Les composantesfondamentales de toute démocratie citées ci-dessus (l'ouverture dudébat dans la société et sur la société, la liberté de presse, latransparence, la séparation ou le partage des pouvoirs, la liberté

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politique d'association et sans doute aussi la possibilitéd'alternance) ne doivent pas effrayer. Elles sont garantes de lastabilité et permettent de construire l'unité sur des bases solides.

Il ne s'agit pas d'un vœu à la mode, mais à la fois d'une exigencefondamentale et d'une composante du contenu du développement àlong terme de l'Afrique. C'est le sens de la socialisation du déve-loppement. Les prétextes de l'existence des forces centrifuges duesà la diversité ethnique ou culturelle pour justifier les structurespolitiques décadentes ne peuvent plus tenir car le pluralisme ethni-que et culturel existe partout. De plus, les peuples africains ontatteint un degré de maturité élevé qui peut êtt:e soumis à l'épreuvede la convivance démocratique. Le nouvel Etat africain ne peutdonc ne pas être un agent économique sous des formes et degrés àétudier dans chaque pays et dans chaque sous-région. Il doit enplus baigner de manière créative dans une société créative etdémocratique.

Le développement implique la transformation des structureséconomiques, politiques et sociales. De ce fait, on ne peut espérerréussir la démocratisation de la société en transformant et démo-cratisant uniquement les structures politiques. Car la dé-mocratisation des structures et institutions politiques seules ne peutêtre portée par les structures économiques actuelles. Elle seraittronquée et caricaturée. La démocratisation de la société africainedoit donc comprendre la maîtrise, par les peuples africains, à la foisde leurs structures économiques et des structures politiques etsociales.

Comment les peuples africains peuvent-ils arriver au contrôlede ce processus pour qu'il ne soit pas vidé de son contenu et donccaricaturé? Comment peuvent-ils s'assurer que les modèles dedéveloppement de l'avenir seront formulés et exécutés sur base desbesoins et priorités tels qu'ils les expriment eux-mêmes, et comptetenu des réalités socio-économiques africaines (A. Drabek, 1991) ?

Il faut pour cela, que la démocratisation soit traduiteeffectivement en participation au pouvoir économique, politique etsocio-culturel. Au niveau de la conception des programmes d'ac-tions comme surtout à celui de leur mise en œuvre, la participationdes populations et de leurs communautés, organisations et associa-tions de base, est capitale pour le succès de la dynamique véritabledu développement humain.

Outre la nécessité de leur information, de leur sensibilisation, ily a celle de leur intervention en tant que sujet et bénéficiaire dudéveloppement. Les activités de développement à la base et de self-reliance collectif au niveau local sont une composante de lasocialisation du développement. Les groupements villageois ou dequartier pour les activités d'intérêt public local, les associations et

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coopératives des paysans, des artisans ou d'autres catégories socio-professionnelles, les ONG, les tontines, les associations féminines,sont des formes d'intervention de la société civile dont lesinitiatives doivent être encouragées et même soutenues par l'État.

Le nouveau modèle de développement exige non pas seulementque ces formes participatives collectives existent, mais aussiqu'elles aient pleinement voix au chapitre ~n tant que partenairespour le développement aux côtés de l'Etat et de l'entrepriseafricaine. Ceci est d'autant plus important que l'investissementhumain, la valorisation et la mise à contribution des compétenceshumaines doivent avoir au moins la même importance que lescapitaux dans la nouvelle fonction de développement. Mais il s'agitlà, d'un modèle de gouvernance et de démocratisation autre quecelui de gestion des programmes des réformes et d'intégration dansla mondialisation.

Contraintes et limites à la démocratisation et à la bonnegouvernance

Les réformes économiques et les PAS en particulier sontapparus, en réalité, comme l'élimination des "tares" de la gestionnon libérale, ou de la gestion libérale biaisée, pour la conformer àl'idéal libéral tel que voulu et contrôlé par les pays riches, avec lesinstitutions de Bretton Woods œuvrant comme leur "manager"collectif vis-à-vis des pays à "ajuster."

Par ailleurs l'implantation d'un autre modèle de développement,de la formulation de la stratégie de sa mise en œuvre à saréalisation, exige une organisation sociale dont la dimensionpolitique est indéniable dans la mesure où elle implique unprocessus d'identification des besoins, de négociation des prioritéset de décisions successives durant les différentes phasesd'exécution. Et ceci se comprend aussi bien au niveau des intérêtsde la collectivité nationale, qu'à celui des différentes forceséconomiques et sociales qui la composent (PNUD, 1991).

Comme indiqué plus haut, la démocratie et la bonnegouvernance seront différentes selon qu'il s'agit de la "démocra-tisation et de la gouvernance de l'ajustement" ou de la "socialisa-tion du développement". Le premier entendement est celui duSMD dans son approche à la gouvernance tandis que le second estune exigence du développement humain.

En effet si la logique du premier processus est un modèle dedéveloppement axé sur l'intégration dans les échanges mondiaux,et la croissance maximale du revenu global, sur l'investissementinternational et sur le critère de rentabilité financière, la logique dudeuxième au contraire, donne la priorité aux intérêts de lacollectivité nationale, impliquant une soumission des rapports avec

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l'extérieur aux priorités nationales, le dialogue social collectif etpermanent entre les principaux intérêts des groupes composant lacollectivité nationale, et surtout la responsabilité du pouvoir à tousles niveaux à l'égard de lui~même et à l'égard de ses mandants(PNUD, 1991).

La bonne gouvernance ou la démocratisation de l'ajustementdans l'optique du SMD ne peut résoudre trois difficultés majeuresqui sont en fait les limites au développement humain. La premièreest inhérente à toute démocratie bourgeoise. Cette dernière en effetest contenue dans la sphère du jeu politique alors que la vieéconomique et ses pesanteurs ne sont et ne peuvent êtredémocratisées. Ce qui est valable aussi bien sur le plan interne quesur le plan international.

Sur le plan international c'est la deuxième limite, on reconnaîtfacilement le droit des peuples à l'autodétermination et àl'indépendance, et celui des pays à l'égalité politique, mais on neleur reconnaît pas le droit économique. Car en effet, le droitéconomique des peuples c'est le droit de produire et d'échangerdans le monde sur des bases justes. C'est un droit dont l'applicationsuscite des contradictions fondamentales et des conflits d'intérêts.

L'OMC on le sait, c'est aussi et paradoxalement, le blocage dessystèmes d'économie libérale, car ce système repose officiellementsur la loi de l'offre et de la demande, avec un régulateur qui s'ap-pelle marché. Or, dès l'instant où il y a des positions dominantes, lemarché libre est bloqué, et donc le régulateur bloqué.

"Alors nous sommes dans un système qui a une apparencelibérale, mais qui est en réalité un système de dictature économiquedes plus graves [...]. Dès l'instant où les institutions de BrettonWoods vous déroulent le programme des Chicago boys dans unpays qui est étranglé par sa dette, on ne fait que l'étranglerdavantage. La Banque mondiale et le Fonds MonétaireInternational ont été les instruments de l'étranglement permanentde la plupart des pays au niveau économique, et par conséquentdémocratIque, et du blocage du respect des droits de l'homme." (H.Saby, 1991 p.58)

Pour l'Afrique, la logique reste la même, car l'implantation del'exploitation et de la domination capitalistes, depuis la traitenégrière jusqu'à ce jour, a toujours été un refus systématique de ladémocratisation.

En réalité, la démocratisation et la gouvernance de l'ajustementtelles que prêchées et pratiquées actuellement en Afrique sont surle plan international, essentiellement de l'adaptation et del'uniformisation des systèmes politiques à la mondialisation del'économie. Et la démocratie n'est acceptée par le SMD et lespuissants de ce monde que dans ces limites.

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Sur le plan interne - c'est la troisième limite -, ladémocratisation de l'ajustement est une réponse politique - doncpartielle - à une crise qui est totale, c'est-à-dire économique,politique et sociale. Dans la mesure où les principales forces quicontrôlent les économies africaines sont extérieures à l'Afrique, lejeu démocratique apparaît simplement comme un mouvement deréponse partielle aux aspirations des peuples en vue d'apaiser lestensions, continuer le processus d'exploitation capitaliste etparachever l'intégration à l'économie mondiale. C'est sans doutepour cela aussi que les transitions politiques ont été, comme parhasard, généralement confiées aux anciens cadres et collaborateursdes institutions financières internationales: Bénin, Congo, Côte-d'Ivoire, Zaïre...

C'est pourquoi, contenue dans ces limites, cette démocratie estsoutenue et même présentée comme conditionnalité par le SMD.C'est pourquoi aussi on veut en faire une formule libérale trans-férable à l'Afrique, et au nom de laquelle les néo-monocrates etautres mendiants politiques se disant démocrates, paradent devantl'Occident à la recherche des philanthropes ou vendeurs des formu-les démocratiques pour espérer être légitimés (W. Bazunini, 1991).

Dans ce contexte, le processus de démocratisation actuelle enAfrique risque d'aboutir simplement à une nouvelle génération dedespotes bienveillants chargés du "bien~être" des collectivités. Cesderniers continueraient à détenir ou à confisquer le pouvoir réel audétriment des peuples africains, mais tolérant que quelques "fousdu roi" puissent s'agiter sur le plan du pluralisme politique,syndical ou médiatique. C'est la bonne gouvernance du SMD,prêchée avec les exemples du Ghana et de l'Ouganda par exemple.

La démocratisation en cours et la "bonne gouvernance" dontelle est le pilier n'auront de portée heureuse pour les peuplesafricains que si elles sont une composante politique d'un autremodèle de développement. Et réciproquement, cet autre modèle nesera bienfaisant pour ces peuples que s'il est démocratisé et s'il y aune socialisation du développement. Ce qui exige que ce processussoit négocié par et avec les différentes couches des sociétésafricaines et donc mené par les peuples, organisé économiquementet politiquement, en palabre ou dialogue permanent sur lesdécisions à prendre et sur leur mise en œuvre.

En mettant l'accent sur le rôle primordial de la dynamiqueinterne dans l'appréhension du processus de démocratisation enAfrique, il ne faut pas non plus tomber dans l'autre extrême etoublier le contexte international et le rôle des forces externes. Unautre écueil à éviter c'est de privilégier le rôle des facteurs internesnégatifs en déculpabilisant l'Occident: les dictatures et la mauvaise

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gestion économique sont présentées aujourd'hui comme de la seuleresponsabilité des Africains. Ce texte a cherché à éviter ces deuxécueils. Mais il a voulu mettre en garde contre le masquedémocratique qui se répand ici et là, contre la récupération du sensde la revendication populaire démocratique, et enfin contre larépétition de 1960. Pas plus que le développement, la démocratien'est une nouvelle religion avec ses postulants, ses adeptes, sahiérarchie et ses canons. Elle est partie intégrante et exigence dudéveloppement, et c'est pourquoi l'Afrique de demain doit êtredémocratique, au sens véritable de la socialisation ou de ladémocratisation du développement. Comprendre la signification etla portée du processus démocratique en Afrique c'est aussi poser laquestion de l'Afrique de demain: quel sera son rôle et sa placeaussi bien dans l'économie mondiale que dans la configurationpolitique du prochain siècle? C'est amorcer le débat sur leschances du continent de se positionner économiquement etpolitiquement pour mieux affronter les défis de l'avenir.

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CHAPITRE VI :LE PRÉTEXTE DU RENFORCEMENT DES

CAPACITÉSEN AFRIQUE

Depuis le début de cette décennie, la question de la "cons-truction" ou de la formation des capacités en Afrique est à l'ordredu jour aussi bien des pays africains eux-mêmes que surtout deleurs partenaires au développement. II est partout affirmé quel'Afrique manque des capacités pour assumer les fonctionsessentielles de gestion de son développement, et même que c'estl'ingrédient qui lui a continuellement fait défaut et qui est à la basede ses maigres résultats en matière de progrès économique etsocial. En même temps l'analyse qui conduit à cette conclusionpréconise des remèdes à cette situation. Ces capacités existentquelque part, en fait en Occident, et il appartient aux bailleurs defonds de les apporter au continent et aux pays africains, en accordavec eux puisqu'il y va de leur intérêt. Mais cela doit se faire aussien coordination entre donateurs eux-mêmes.

Suivant les auteurs et les institutions, la terminologie se réfèretantôt à la création ou à la construction des capacités, tantôt à leurrenforcement, selon que le constat de base est le manque ou lafaiblesse. Mais le terme le plus répandu est celui de "construction"ou création des capacités, qui est utilisé même par ceux qui pensentqu'il y a quand même une capacité et qu'il s'agit simplement de larenforcer. C'est dire que le constat du manque ou de l'absence descapacités en Afrique est le plus dominant, et c'est en réponse à ceconstat que la problématique des capacités est appréhendée commenouvelle artillerie de l'arsenal stratégique du SMD en Afrique.J'utiliserai pour ma part et invariablement le terme construction ousurtout formation des capacités qui me semble plus près de l'idéede capacity building en anglais.

Si le concept paraît nouveau, il indique seulement une nouvelleapproche à une problématique qui elle-même n'est pas nouvelle. En

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plus du manque du capital financier et des équipements, lecontinent africain manque aussi des compétences et de l'expertise,du savoir et du savoir-faire nécessaires à son développement. C'estl'essence même de la théorie des gaps dont j'ai déjà parlé plus haut.Et le SMD avait trouvé ou du moins avait cru trouver la réponseappropriée à ce problème. L'assistance technique ou commeappelée plus tard la coopération technique était la réponse duSMD. Le déficit de compétences qui manquaient à l'Afriquepouvait être comblé par la "fourniture" des coopérants techniquespour aider l'Afrique à faire face convenablement aux exigencestechniques de son développement. Quatre décennies dedéveloppement et d'apport de plus en plus croissant, et de plus enplus coûteux de la coopération technique ne semblent pas avoirrésolu le problème. L'Afrique n'a toujours pas de capacités pour segérer et gérer son économie et encore moins son développement.

C'est pourquoi il faut remonter la petite histoire de l'aidetechnique au développement, et de sa transformation en aidetechnique de construction des capacités en Afrique, et ce à lalumière de l'évolution de la stratégie du SMD, pour comprendre lebien fondé, la portée et le contenu exact de la construction descapacités comme élément de l'arsenal du SMD sur le continent.

Cela m'amène à diviser ce chapitre en trois parties: j'examineraid'abord le fil conducteur des trois premières décennies dudéveloppement dans ce domaine; j'analyserai ensuite l'approcheactuelle de la construction des capacités par le SMD avant deporter mon regard sur cette question pour l'Afrique de demain.

1. De la coopération technique à la "construction" descapacités

Dès le début des indépendances africaines, la fin de lacolonisation voulait dire que l'Afrique devait faire face seule auxdiverses contraintes et défis du développement. Il est apparu trèsvite que le continent n'avait pas de moyens techniques suffisantspour prendre en main non pas seulement les tâches courantes degestion, mais aussi celles de penser et mettre en œuvre une autrevoie de développement que celle qui lui était tracée par le pouvoircolonial. Il lui fallait développer ses propres compétences à ceteffet, et cela demandait du temps.

Avant que les pays africains aient le temps de penser clairementle contenu et la stratégie de cet autre développement, et surtoutavant qu'ils aient le temps de définir la nature et le volume decompétences dont ils avaient besoin, une solution de facilité toutaussi intéressée leur était proposée: généralement l'anciennemétropole offrait sa coopération au développement en laissant une

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bonne partie des anciens agents coloniaux et en fournissant d'autresnouveaux cadres. Le gap à combler semblait être plus importantque durant la période coloniale. Outre l'offre des coopérantstechniques par l'ancienne métropole, d'autres acteurs importants duSMD offraient aussi avec leur aide financière ou matérielle, desbataillons de coopérants techniques que dans les circonstances del'époque, les pays n'avaient pas de raisons majeures de refuser.

Les objectifs de la coopération techniqueEn pleine période de guerre froide, où les pays occidentaux

cherchaient à corrompre le plus possible les pays africains pour lesavoir et les maintenir dans leur camp idéologique, et servis parl'illusion développementaliste de rattrapage de l'Occident quenourrissaient les dirigeants africains eux-mêmes, les paysdonateurs avaient ainsi poussé l'accélérateur sur la vente desapparences du développement en termes de projets d'infrastruc-tures, de complexes industriels ou de projets agricoles. Cette aidefinancière allait de pair non seulement avec la vente deséquipements, mais aussi avec la fourniture des services des expertssous forme de coopérants techniques. Dans beaucoup de casd'ailleurs la coopération technique faisait partie d'un paquet appeléaide liée, dans ce sens que le pays africain à qui l'aide financièreétait accordée devait accepter en même temps les services techni-ques des coopérants, le paiement des équipements, nécessaires ounon, fournis par les entreprises du pays donateur, ou la passationdes marchés de réalisations à ces entreprises.

Le premier objectif déclaré de la coopération technique est doncd'aider les pays africains à identifier, définir, mettre en œuvre,négocier le financement et gérer les projets de développement.Mais puisqu'il s'agit de combler un gap de compétences, le secondobjectif de la coopération technique est de transférer le savoir et lesavoir-faire des coopérants à leurs homologues africains afin queceux-ci soient finalement à même de remplir les fonctions momen-tanément assurées par l'expertise étrangère. Mais en réalité lacoopération technique a des objectifs non déclarés qui apparaissentclairement dans le jeu de ses activités opérationnelles. Elle estsurtout offerte pour rendre service à son fournisseur et par là auSMD. Elle prospecte et ouvre des marchés à ce dernier, fidélise laclientèle, veille au risque de dérapage éventuel des pays africainsqui seraient tentés par des offres hors du SMD ou en son sein, maispar d'autres acteurs autrement plus outillés, et contribue enfin à lasurveillance de la marche du continent dans le sens - cheminementéconomique et politique - voulu par le SMD. La coopérationtechnique est en réalité une armée avec ses officiers et ses hommesde troupe, avec ses stratèges de l'air, de mer et de terre, mais pour

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des fonctions non militaires, bien que parfois en rapport avec cesdernières. C'est pourquoi elle se pérennise car ses objectifsvéritables ne sont pas ceux qui sont déclarés. C'est pourquoi elleest habillée avec les apparences bénévoles et bienfaitrices.

La mise en œuvre de la coopération techniqueLes études du PNVD et celles de l'OCDE/CAD qui datent

pourtant d'il y a quelque sept ans montrent que la coopérationtechnique fournie à l'Afrique subsaharienne s'élevait à 3,2 milliardsde dollars américains il y a dix ans, soit 25% de l'aide publique audéveloppement accordée à ces pays. Dans certains pays elledépasse les 50% de l'aide publique. Mais même alors, ces chiffressous-estiment le coût réel de la coopération technique dans lamesure où ils ne prennent pas en compte le coût de la coopérationtechnique fournie par les pays et organisations non membres del'OCDE, la coopération technique sous fonne de prêts ou celleincluse dans les projets d'investissements.

Le volume global de la coopération technique (CT) a augmentéde 30 à 40% durant les années soixante-dix; il est resté plus oumoins au même niveau au cours des années quatre-vingts. Sonimportance relative elle, a diminué, tombant de 40% de l'aidepublique au développem~nt en 1970 à quelque 24% à la fin de ladécennie quatre-vingts. A cette m~me période, la CT représentaiten moyenne 14% des recettes de l'Etat en Affique subsaharienne, etplus de 30% dans dix pays du continent. A la même période, lecoût de la CT était égal à 14% de l'ensemble des exportationsafricaines, et dans dix huit pays du continent, elle dépassait 30% dela valeur de leurs exportations. Dans certains pays commel'Ouganda ou la TanzanIe par exemple, la CT coûtait plus que lebudget total des salaires du secteur public!

De manière générale, l'outil le plus important utilisé pour lafourniture des services de CT est l'expert résident expatrié pour unedurée dite de long tenne, c'est-à-dire dépassant un an. Cette catégo-rie de CT représentait en moyenne 76% de l'enveloppe globale dela CT en Afrique. La majorité de ces experts travaillait souventdans les secteurs de l'agriculture, de l'éducation et de la santé. Les24% restants du coût de la CT se répartissaient entre les expertsconsultants de courte durée, les bourses d'études accordées auxressortissants des pays africains bénéficiaires de la CT, ainsi qu'auxséminaires de fonnation sur place ou à l'extérieur et aux voyagesd'études.

Le nombre de coopérants techniques varie d'un pays africain àl'autre bien sûr, mais la fourchette allait de 117 experts expatriés enGambie à 2 290 experts au Mozambique. Un cas extrême maissignificatif à l'époque est celui de la Guinée Bissau avec plus de

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500 coopérants techniques. c'est-à-dire plus que le nombre decadres diplômés des études supérieures qui était de l'ordre de 400(PNUD. 1993). Les estimations du CAD situent à quelque 80000.le nombre total de coopérants techniques en Afrique au début decette décennie. alors que les chiffres avancés par la Banquemondiale sont encore plus élevés. soit près de 100 000 experts. quicorrespondraient aux cadres supérieurs africains œuvrant enOccident. Mais ces chiffres sont difficilement vérifiables.

Malgré les réformes entreprises suite à la remise en cause desprincipes, des modalités opérationnelles. de la pertinence même etde l'efficacité de la CT. la situation n'a pas encore sensiblementchangé. La CT continue à reposer essentiellement sur son instru-ment de base, l'expert résident expatrié. Par ailleurs une très bonnepartie de ce personnel expatrié continue à assumer des tâchesopérationnelles d'appui direct. Une opération conçue pour comblerun déficit de court ou tout au plus de moyen terme s'est éterniséesans que les perspectives de sortie du déficit soient envisageables.Le fonctionnement de la CT comme de l'aide en général continuede créer les besoins de CT et de l'aide. D'où la remise en cause decet instrument stratégique de l'aide au développement.

L'efficacité de la coopération techniqueLe constat général est que la CT a rendu et rend des services

appréciables lorsqu'il s'agit de faire rapidement un travail donnédans le traitement des dossiers de bureau, dans l'éducation ou lasanté par exemple. Un certain travail de gestion du développementa donc pu être accompli grâce à la CT en l'absence des capacitésafricaines ou en soutien aux faibles capacités africaines. Il estévident qu'il y a des doutes sur le rapport coûtlbénéfice d'une telleopération qui est connue comme très coûteuse.

Par ailleurs et de l'avis de tous. fournisseurs comme receveursde la CT, cette dernière n'a pas été capable de réaliser son objectifdéclaré ultime: le transfert de connaissances et de savoir-faire auxcadres africains dans le court ou moyen terme pour combler ledéficit des compétences constaté au départ. Le problème dumanque de compétences pour gérer le développement est restéentier, que ce soit au niveau des individus ou des institutions. Cetteincapacité de la CT à atteindre son principal objectif déclaré estsouvent liée dans l'analyse. à la modalité d'utilisation de l'expertrésident expatrié. censé transférer son savoir-faire aux homologuesafricains. Ceci n'a pas fonctionné comme souhaité pour plusieursraisons dont les principales sont expliquées ci-dessous.

En effet. la CT comme instrument important de l'aide audéveloppement a des effets négatifs dans le contexte politique.économique et social de l'Afrique d'aujourd'hui, et même contraires

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à ses objectifs déclarés. D'abord la persistance de la CT avec desexperts résidents expatriés va à l'encontre de l'objectif de voir ledéveloppement d'un pays pris en mains et approprié par sespopulations et en particulier piloté et géré par ses cadres etinstitutions dirigeantes. C'est en mettant les cadres africains àcontribution, dans le "siège du conducteur" ou du contremaîtrequ'ils s'approprieront progressivement du savoir et du savoir-faireplutôt qu'en les laissant dans le statut d'observateur. On n'apprendpas en observant les autres jouer ou faire, mais au contraire enjouant ou faisant comme eux ou différemment. C'est cela qui peutrenforcer les qualifications et la compétence technique. Ensuite eten relation avec cela, la CT est plus dictée par l'offre que par lademande. L'offreur qu'est le pays ou l'institution donatrice sepréoccupe plus de contrôle financier des déboursements de sesprêts, de la mise en œuvre de ses projets, bref de ses intérêts dansl'utilisation de la CT que des besoins réels du côté du pays africainreceveur, et encore moins du renforcement de ses capacités à sepasser de la coopération technique. Du côté demande aussi, la CTest généralement acceptée non pour le besoin d'expertise qu'ellepermet de satisfaire ou pour la formation de compétences localesqu'on est en droit d'attendre d'elle, mais plutôt pour les avantagesmatériels et facilités de travail qu'elle amène avec elle. On disait auNiger, qu'on acceptait la CT parce qu'elle est "habillée," dans cesens que la CT apporte avec elle les véhicules, les équipements debureau, le carburant, les fournitures, etc. Elle apporte donc de l'aidebydgétaire voilée, pour faire face aux dépenses que le budget del'Etat ne pouvait affronter, en particulier en période d'ajustement.Enfin il a été noté que la grande distance dans les salaires etconditions de travail entre les coopérants techniques et les cadresnationaux africains, est elle-même source de tensions exacerbéesentre les deux groupes de cadres, contribuant par là à ladémoralisation des fonctionnaires et donc naturellement à ladépendance du pays vis-à-vis de la CT.

Un autre problème que soulève la CT est qu'elle passe outre lebesoin d'utilisation effective et efficace des ressources humainesnationales existantes. Ces dernières sont alors perdues, gaspilléesou confinées dans des fonctions quelconques d'institutionspubliques mal gérées. Celles qui le peuvent se dirigent vers lesecteur privé où leur compétence est mise en valeur, ou s'expatrientdans d'autres pays. Celles qui ne le peuvent pas restent au chômagependant que la CT a offert des emplois juteux aux experts ettechniciens étrangers. La CT contribue donc à dévaloriser lescompétences nationales ou même à les chasser, créant de plus enplus de vides de compétences et renforçant ainsi le besoin de saprésence, tout en contribuant partiellement à la résolution du

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problème du chômage dans les pays donateurs de la CT. De sorteque dans bon nombre de pays, le problème réel n'est pas celui del'absence ou de la faiblesse des compétences nationales, maisplutôt celui de leur utilisation, de leur motivation et de leurmaintien dans la valorisation de leur expertise au service dudéveloppement de leur pays.

Par ailleurs la CT s'occupe officiellement du transfert desqualifications et des compétences plus ou moins à la pièce, sans sepréoccuper du contexte et de l'environnement dans lequel lescadres qualifiés travaillent, et qui n'est peut-être pas incitatif etstimulant pour faire éclore leur potentiel technique.

Vis-à-vis des cadres nationaux, la CT apparaît ainsi comme undésaveu de leur compétence et de leur moralité professionnelle parles pouvoirs publics et par les donneurs de cette forme d'aide. Parrapport aux autorités nationales, la CT étant gérée par ses don-neurs, c'est aussi une forme de méfiance à leur égard comme ellesn'en contrôlent pas du tout ni le processus, ni encore moins lesressources (PNUD, 1993).

Ainsi et contrairement aux idées répandues, la CT n'est plusjustifiée par la soi-disant inexistence des capacités de gestion enAfrique, parce que c'est elle-même qui détruit ou décourage cescapacités là où elles existent. Par ailleurs il n'est pas toujoursprouvé que les coopérants techniques avaient l'expertise voulue, niqu'ils en avaient à la hauteur de celle des cadres nationaux nonutilisés. Dans nombre de cas il est arrivé que les coopérantstechniques apprennent leur travail auprès des cadres nationaux, cequi ne fait que frustrer davantage ces derniers, contribuant ainsi àaffaiblir les capacités nationales par démoralisation.

Le CAD (1993) dans ses nouveaux principes en matière decoopération technique, explique la médiocrité des résultats de cettedernière par un certain nombre de facteurs. Parmi ceux-ci on peutretenir:-le manque de vision stratégique sur l'objectif de construction descapacités nationales, dû à la focalisation sur la gestion des problè-mes quotidiens et les apports techniques à fournir;- la préoccupation dominante est celle du présent et non de ladurabilité des résultats après la CT. Mais cette préoccupationn'était prise en compte ni par les donneurs ni encore moins par lesreceveurs eux-mêmes, car selon le CAD, le cadeau empoisonné dela CT s'est révélé "trop tentant pour être refusé mais trop typé pourêtre adapté, trop cher pour être réparé mais exactement ce qu'ilfallait pour donner naissance à d'autres demandes d'aide" ;- l'environnement institutionnel, politique, économique et socialapproprié pour que la CT donne pleinement les résultats qui sontattendus d'elle n'a pas toujours été pris en compte dans la

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formulation de la demande ou de l'offre de la CT ;- l'inadéquation des modalités d'acheminement de la CT, que cesoit en termes de la sous-utilisation des qualifications locales, de lapréséance des objectifs de court terme sur le développement insti-tutionnel, ou de l'échec de l'alliage expert expatrié et homologuenational;- les systèmes de formation et d'éducation de la CT notamment àtravers les bourses d'études ne relèvent ni d'une vision cohérentedes besoins en compétences, ni d'un examen approfondi du cadreinstitutionnel de départ et d'accueil des qualifications formées;- la non maîtrise de la gestion de la CT par les pays africainsbénéficiaires;- et plus important que toute autre explication, la logique perversedu système d'aide global lui-même. D'abord parce qu'il n'est pasévident que le donneur de la CT lui-même dispose de la capacitéinstitutionnelle et analytique voulue "pour appréhender les problè-mes de développement dans toute leur complexité, et notammentpour fournir des programmes de CT appropriés." Ensuite parce quele poids du donneur est toujours plus important que celui dureceveur, et de ce fait ce sont les intérêts du donneur qui pèsentdans la balance et non les intérêts et les besoins du receveur qu'iln'arrive souvent pas à faire valoir. En troisième lieu, du fait desprocédures bureaucratiques de l'acheminement de l'aide du donneurqui donnent plus de travail aux administrations africaines pourrépondre aux exigences bureaucratiques des donneurs. Enfin lespressions larvées et les intérêts visés ou acquis des donneurs de laCT. "Des groupes de pression, politiques et économiques, ontparfois intérêt à ce que l'aide soit liée, ce qui implique le recours àdes formes d'aide particulières en tête desquelles vient la CT."

Il faut noter à ce propos que la CT est devenue en eUe-même età l'image du système d'aide dont eUe fait partie, un système établiqui vit, fonctionne et se reproduit en tant que tel. C'est pourquoimalgré les efforts définis en matière de réformes, les procédures,les attitudes et les instruments de la CT ont peu évolué. "Dans lespays occidentaux, toute une pléiade d'organismes, d'institutions,d'instituts de recherche et de personnes sont devenus tributaires dela CT car celle-ci est indispensable à leur survie et leur assure unemploi. A cela s'ajoute la politique plus générale des pays dévelop-pés pour qui la CT est un moyen de prolonger leur présenceéconomique et culturelle en Afrique et de tenir leurs experts à lapointe des connaissances concernant l'Afrique."

On estime enfin que la CT n'a pas su s'adapter aux changementsintervenus en Afrique, créant ainsi un environnement différent donteUe doit tenir compte. Parmi ces changements on peut mentionnerl'existence de compétences techniques sous-utilisées ou au

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chômage que la coopération devrait aider à valoriser, ce qui à monavis est une opération suicidaire qu'aucune CT ne peut envisagerrésolument. On peut mentionner aussi les difficultés politiques etsocio-économiques que connaissent nombre de pays africains, etqui contribuent à affaiblir leurs administrations, alors que parado-xalement les compétences humaines nationales existent, et que lespays n'ont pas toujours les moyens de valoriser ou de retenir. LeCAD mentionne enfin la conscience et la conviction de plus enplus grandes de part et d'autre que la solution aux problèmes detransformations structurelles en Afrique doit aller au-delà desefforts actuels des PAS, et surtout qu'elle passe par la "création descapacités et par un développement institutionnel durable."

C'est donc sur cette base, en direction des effets négatifs de laCT que l'on souhaite corriger, en direction de certaines des causesde dysfonctionnement de la CT et enfin, en fonction des leçons quel'on tire de ces expériences de CT, que la réforme de cette dernièreest envisagée.

Les propositions de réforme de la coopération techniqueLes propositions de réforme ont été formulées soit par le CAD

lui-même, soit par les études individuelles ou de groupes de paysou d'institutions fournissant la CT, y compris les agencesmultilatérales, soit enfin par d'autres organismes indépendants. Demanière générale il est préconisé un certain nombre de principesvalorisant parfois des pratiques déjà en cours chez certainsfournisseurs de la CT comme les agences du système des NationsUnies. Dans une étude menée sur le cas du Niger, j'avais alorspréconisé pour l'efficacité de la CT, quatre principes qui sont: lafonctionnalité du cadre institutionnel pour que la CT repose sur desstructures bien agencées entre elles et bien organisées par rapportà leurs fonctions, la conformité aux besoins effectifs exprimés desservices assistés ou à assister, la capacité d'absorption de l'assisté,car "l'inoculation" d'une CT au-delà des capacités d'absorptionhumaine et financière de l'assisté ne peut que nuire à l'efficacité desprogrammes de CT, et enfin le principe de non pérennisation de laCT (M. Kankwenda, 1991). Si ceci peut être valable ou acceptablepour les donneurs comme les agences des Nations Unies, il estévident que certains de ces principes ne le sont pas pour nombre dedonneurs bilatéraux et même certains multilatéraux.

Néanmoins le CAD a fait une synthèse de ces principes commeperçus par les donneurs qu'il représente. Ces derniers consistent à :- fixer des objectifs clairs à la CT en direction de sa raison d'êtreultime qui doit être la création des capacités de gestion du dévelop-pement ;- s'adapter à l'environnement institutionnel existant de manière

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souple et selon la situation concrète du pays africain concerné;- associer les bénéficiaires et obtenir leur engagement;-:appliquer à la CT le principe de la moindre intervention qui com~plète ou valorise les capacités nationales existantes où cela estindiqué et souhaitable;- rechercher une gestion efficace de la CT par le bénéficiaire.

Ces principes ont été traduits dans des recommandations etpropositions pratiques de réformes:- d'abord il y a la primauté de l'approche par la demande. Il estrecommandé que la CT réponde à une demande existante et expri-mée comme telle. Ce qui permet de penser que les bénéficiairesvont se sentir responsables et propriétaires des interventions de laCT. Sur le plan de la conception, cela veut dire que c'est le paysafricain qui définit ses besoins en CT conformément à ses prioritésde développement, à l'analyse des capacités dont il dispose et àl'objectif de création des capacités qui lui sont nécessaIres à ceteffet. La CT devrait dès lors non pas seulement répondre auxbesoins de compétences telles que formulés par les autoritésnationales du pays africain concerné, mais aussi aider le pays àdisposer de la capacité de formuler et mettre en œuvre unepolitique conséquente dans le domaine de la CT. Cette mise enœuvre passe par la traduction de cette politique nationale enprogramme opérationnel de construction des capacités qui offriraitun cadre d'intervention à tous les donneurs de la CT pour cons-truire, former ou renforcer les capacités de manière coordonnée,avec des objectifs précis et dans un horizon temporel gérable partous et en particulier par le pays africain demandeur de la CT.

Cette recommandation est sans doute belle et pertinente, maiselle obéit à une logique de maîtrise de la dynamique du développe-ment qui n'est pas celle du SMD. C'est pourquoi ce dernier peutindéfiniment la prêcher ou l'appuyer dans le discours et les théoriessans jamais effectivement la mettre en pratique comme d'ailleursreconnu par le CAD en parlant de la distance entre les propositionsthéoriques de réformes et la persistance des attitudes et pratiquesdites du passé.

Ensuite il y a la proposition d'un autre mode de gestion de la CTqui peut être entendue dans le sens du transfert de la gestion de laCT au pays bénéficiaire et donc de renforcer sa capacité à cet effet.Certains donneurs de CT qui ne veulent pas se défaire d'une aussiimportante stratégique fonction parlent de la cogestion de la CTavec les pays africains receveurs. La première approche va dans lesens de la pratique actuelle des agences des Nations Unies qui fontde l'exécution nationale une modalité de plus en plus importantenon pas seulement de la CT, mais aussi de l'ensemble de leursprogrammes d'aide au développement. Tandis que la seconde

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reflète plutôt la résistance des donneurs bilatéraux et autresmultilatéraux encore attachés à leurs intérêts stratégiques dans laCT. Cela implique aussi la poursuite en pratique des objectifs etrésultats bien ciblés, en termes de formation ou de renforcementdes capacités, comme indicateurs de l'utilisation efficace de la CTet de l'exécution des programmes y afférant. Ces résultats doiventdès le départ être intégrés dans la conception et la formulation desprojets où il y a une composante CT. Une autre implication est lerecours aux modalités peu coûteuses des experts et conseillers decourte durée plutôt que des experts résidents expatriés de longuedurée.

L'autre proposition porte sur le principe de la meilleureutilisation et de la valorisation des compétences nationales.L'appropriation de la dynamique du développement et la formationdes capacités durables de pilotage et de gestion du développementpassent par l'utilisa~ion valorisante des compétences du paysreceveur de la CT. A cet effet, nombre de donneurs avaient déjàmis en place un système d'incitations pour certaines catégories decadres, soit directement utilisés dans la mise en œuvre des projetset programmes de développement financés par ces donneurs, soitdans le cadre général de recherche d'un environnementinstitutionnel stimulant pour la mise en œuvre des politiques deréformes dans lesquels lesdits projets et programmes s'insèrent.Ces pratiques sont sérieusement critiquées par nombre d'analystespour leurs effets destructeurs des capacités des administrations etinstitutions africaines (PNUD et UNICEF, 1995).

En vue de réduire les effets négatifs de ces pratiques, lesrecommandations de réformes actuelles suggèrent dans ce cadreque les fonds d'incitation et autres compléments de salaires ouavantages en nature donnés par les bailleurs de fonds soient géréspar le pays receveur. Des variantes à cette formule sont diverses,mais l'idée générale, non encore acceptée par les donneurs est detransformer ces fonds et les ressources de la CT elles-mêmes enaide budgétaire aux pays africains, pour renforcer l'utilisation, lavalorisation et le maintien de l'expertise nationale et donc renforcerles capacités du pays. Cela peut se faire suivant un horizontemporel à convenir et avec des modalités de sortie de ce schémaen rapport avec les progrès économiques et sociaux réalisés demanière générale, et dans la construction des capacités enparticulier. Mais les donneurs de l'aide sont peu réceptifs à unetelle proposition, arguant qu'il appartient aux pays africains deprendre en charge leur personnel, alors qu'ils font de l'aidebudgétaire quand il s'agit de la mise en œuvre des programmesd'ajustement. Le fond du problème est sans doute ailleurs, vu lecaractère stratégique de la composante CT dans l'aide au

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développement.Par ailleurs, on notera que les propositions de réformes de la CT

qui sont avancées ici concernent essentiellement la gestion de cettedernière, et non pas du tout sa remise en cause en termes deprincipe et pertinence. C'est dire que les propositions de réformequi prennent l'allure osée de remettre en cause le principe de la CT,ou de donner l'autonomie voulue aux pays receveurs, de se doterd'une politique ou d'un programme dont l'objectif ultime pourraitconduire à la sortie du système de CT a peu de chances de voir lejour de manière durable. C'est dans ce cadre qu'il faut comprendreles préoccupations des réformes principalement orientées vers lesmodalités de gestion de la CT.

C'est dans ce cadre aussi qu'il faut comprendre les difficultés"politiques" de l'initiative du PNUD avec les exercices NaTCAP(National Capacity Analysis and Programming). Ces derniersconsistent à appuyer les pays africains ou en développement engénéral à maîtriser la gestion de la CT. La méthodologiepréconisée comprend la mise en place de bases de données fiablessur les apports de CT, la formulation d'une politique nationale dansce domaine, et la traduction de cette dernière dans un programmeou des programmes prioritaires de CT s'inscrivant dans desstratégies macro-économiques et sectorielles appropriées. Il estentendu que tout cela doit être piloté et géré dans un cadreinstitutionnel défini et surtout coordonné. Bien que la troisièmeétape de la méthodologie ait semblé lourde pour certains pays - cequi n'était pas le cas pour d'autres cependant -, et bien que lesavantages des NaTCAP avaient été reconnus par l'ensemble desbailleurs de fonds, leur objectif ultime n'était pas conforme à lastratégie de CT de ces derniers. Le soutien et l'appréciationthéorique ne se sont pas traduits en actes. Bien au contraire lesfaiblesses de l'exercice dans la phase pilote dans certains pays ontété exploitées par certains donneurs importants pour combattre lapromotion des exercices NaTCAP. Les seules propositions deréformes qui ont les chances de réalisation et ce à un rythme lent,sont celles qui se limitent à ménager les intérêts des uns et desautres et en particulier des donneurs dans la gestion de la CT.

Cette limitation de départ est importante pour comprendre lasuite dans la mise en œuvre des réformes. Cependant, les leçons del'expérience et les propositions ont mis à l'avant plan unepréoccupation nouvelle comme objectif principal de la CT et oùmalheureusement cette dernière n'a pas réussi durant les troisprécédentes décennies du développement: la création des capacitésindividuelles et institutionnelles en Afrique, analysée commefacteur stratégique important pour que le continent réalise desprogrès économiques et sociaux et maîtrise le processus de son

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développement.Il faut maintenant voir de quoi il s'agit dans ce nouveau concept

devenu une grande préoccupation des donneurs comme desreceveurs d'aide en Afrique, en particulier depuis le début de cettedécennie. Il en sera de même de la CT comme instrument oumécanisme ancien appelé à remplir un nouveau rôle à cet effet.

2. L'approche du SMD dans la "construction" descapacités en Afrique

Contexte historique et notionLa préoccupation semble avoir émergé au début de cette

décennie. Le contexte est celui de la mise en œuvre des politiquesde réformes économiques en Afrique. Ces politiques commencéesau cours de la troisième décennie du développement de l'Afriquesont en application dans près de trois quart des pays africains ausud du Sahara. Les résultats sont mitigés pour ne pas dire négatifset décevants pour les pays receveurs de l'aide à l'ajustement. Lescritiques de ces programmes fusent de partout, y compris par lesinstitutions multilatérales des Nations Unies comme l'UNICEF oula CEA. Des études de certaines agences bilatérales de coopérationau développement arrivent aux mêmes conclusions critiques. Lespays receveurs eux-mêmes ont des difficultés internes à faireavaler ce qu'on a appelé la pilule amère des politiques de réformes.Les organisations syndicales nationales ou internationales s'enprennent aussi à ces politiques.

Le SMD convaincu de la nécessité de ces politiques pour sonprojet à lui - mise au pas et attelage forcé de l'Afrique au processusde mondialisation - n'arrive pas à avoir le courage de reconnaître lanature perverse de ces politiques en termes de développementhumain durable. Les échecs ou résultats mitigés sont dus auxhésitations et aux manquements dans la discipline de mise enœuvre de ces politiques par les gouvernements africains. Mais enmême temps le SMD cuisine une autre solution à la mise en œuvrede ces politiques de réformes. Dans une première tentativeconcoctée vers la fin de la troisième décennie, il s'agit de maintenirles réformes sinon de les continuer vigoureusement, mais depromouvoir en plus des actions de réduction des effets négatifs deces politiques. Les programmes dits de dimensions sociales del'ajustement ont été formulés et lancés dans nombre de paysafricains. Ils ont dû être finalement abandonnés après avoirconsommé énormément de ressources dans des enquêtes bidons quine contribuaient absolument pas à la connaissance des problèmessociaux engendrés par les PAS, ni encore moins à résoudre cesproblèmes. Au contraire les gouvernements qui les appliquaient

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sans trop de remords sur les conditions sociales médiocresauxquelles leurs populations étaient soumises recevaient les fleursdu SMD et étaient cités en exemple. Au besoin les donnéeschiffrées pouvaient être tordues pour que leur soi-disant bonneperformance soit citée en exemple.

Mais malgré cela, ces gouvernements avaient des problèmessocio-politiques internes avec leurs populations soumises aux PAS.Et les oppositions internes comme les mouvements de la Sociétécivile exploitaient cette situation pour dénoncer ces politiquescertes, mais aussi les gouvernements qui les appliquaient et lesbailleurs de fonds qui les finançaient et parmi eux le FMI et laBanque mondiale. Le deuxième élément de la stratégie du SMD futdonc non pas de revoir la nature et le contenu de ces politiques deréformes ou même les séquences de leur mise en œuvre, maisplutôt de s'assurer que ces politiques sont acceptées par les autrescomposantes de la société et notamment par les cadresgouvernementaux.

L'idée de base est que si ces différentes forces techniques etsociales sont impliquées dans la formulation de ces politiques, ellesles internaliseraient et ne feraient pas de résistance à leur mise enœuvre. Bien au contraire elles en seraient les acteurs, à la grandesatisfaction et du SMD et aussi de leurs gouvernements quiauraient ainsi moins de problèmes de contestation interne (Banquemondiale, 1994). Le raisonnement pour le SMD est simple: si lespays africains n'appliquent pas des politiques qui sont préconiséescomme voie de salut, c'est parce qu'ils ne connaissent pas cespolitiques et ne savent pas comment les formuler ou les mettre enœuvre, c'est-à-dire parce qu'ils n'ont pas les capacités nécessairespour cela. Mais ce raisonnement est présenté différemment: lespolitiques de développement suivies jusque-là en Afrique ontconduit à la crise économique et sociale actuelle, parce que malconçues et mal exécutées. L'application des nouvelles politiques degestion de crise plutôt que de sortie et encore moins dedéveloppement demande des capacités que l'Afrique n'a pas. Dansles deux cas le SMD se fait le devoir d'aider l'Afrique à avoir cescapacités.

La question de l'existence ou non des capacités ne se posait pasjusque-là dans le chef du SMD. Elle est apparue avec la résistanceet la lenteur dans l'application des politiques de réformes, et doncavec la lenteur de la vente des projets qui y sont liés, et bien sûravec aussi la crise de la dette africaine. En même temps celapermettait de disculper le SMD dans la mauvaise performanceéconomique du continent. Il a tout fait pour aider l'Afrique à s'ensortir et a même des ressources qui chôment, mais l'Afrique n'a pasde capacités pour mener les bonnes politiques de réformes. C'est là

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un autre chantier qui s'ouvre pour le SMD dans son arsenalstratégique.

Dans une allocution faite en mai 1993 et restée célèbre à ceteffet, le vice président de la Banque mondiale pour la régionAfrique donne Ie point de vue de son institution (E. Jaycox, 1993).Selon la Banque, l'absence des capacités en Afrique explique nonpas seulement la mauvaise gestion des économies africaines, maisaussi l'incapacité de ces pays à savoir répondre adéquatement auxdonnées de l'évolution de l'économie mondiale en ce qu'elle ad'impact sur l'Afrique. En d'autres termes, c'est ce que lespolitiques de réformes proposent à ces pays. En outre le groupe dela Banque qui prête généralement quelque quatre milliards dedollars à l'Afrique, disposait à cette date-là de plus de quatorzemilliards attendant hypothétiquement leur déboursement. Et laBanque conclut que cela est dû au problème de capacités quimanquent au continent. Dorénavant il faut donc faire les opérationsen Afrique en intégrant cette préoccupation, car en réalité cela veutdire que les affaires ne marchent plus en Afrique et cela dérangeles opérations de mise en œuvre de la stratégie du SMD.

Mais si les pays receveurs de l'aide en Afrique sont à blâmer dece manque des capacités qui permettraient au SMD de faire debonnes affaires en Afrique, les pays donateurs aussi reçoivent leurpart de responsabilité dans l'analyse de la Banque. Tout enreconnaissant avec courage - ce que j'apprécie - que la Banquen'est pas un donateur, mais plutôt un prêteur, la Banque estime quele reproche fait aux autres donateurs lui est attribuable aussi. C'estque l'essentiel de la CT apportée par les donneurs est imposé et necorrespond pas à une demande interne, sauf de la part desdonateurs eux-mêmes. Et cela sans effet positif sur la création descapacités, mais contribuant plutôt à leur affaiblissement. C'est toutcela que la Banque veut changer.

M. Jaycox reconnaît que cela est devenu embarrassant pour laBanque à différents points de vue: quatorze milliards nondéboursés, critiques sur l'approche des IBW comme imposant despolitiques de l'extérieur pour appuyer une maigre minorité,situations économiques et sociales difficiles sur le terrain,économies gérées de Washington par le Fonds ou la Banque, etc.Et c'est cela qui doit changer.

Le premier domaine de changement est celui de l'utilisation descapacités locales. La Banque reconnaît qu'elle ne va plus dire auxdirigeants africains: "faites ceci ou appliquez ces poJitiques etvous aurez notre argent" comme elle le faisait ou le fait. A partir dumoment où elle s'est rendue compte de cette situationembarrassante, elle va recommander aux pays africains d'utiliser lacapacité nationale, parce qu'elle existe dans les universités, dans le

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secteur privé, ailleurs dans d'autres pays ou organisations. Il leurappartient de les mettre au travail et au service de leurs économieset la Banque prêtera l'argent pour une telle facture, et ne veut plusen aucun cas continuer à faire le travail de formuler les politiquesou suivre leur mise en œuvre au nom et en lieu et place des paysafricains.

La Banque reconnaît qu'elle dépense annuellement et au-delà deson budget administratif une somme de vingt millions de dollarspour les études et rapports sur la situation économique des paysafricains. Or ce travail peut être fait par des cadres et consultantsafricains et au moindre coût. La meilleure façon de valoriser cetteexpertise est donc d'utiliser une partie de cet argent pour faire faireces rapports économiques sur les pays africains par les expertsafricains eux-mêmes.

Enfin la Banque estime qu'elle devrait en finir avec la pratiqued'experts expatriés résidents et unités de gestion des projets auniveau national. Sans s'y référer, il est cependant clair que laformule d'exécution nationale des agences des Nations Uniesdevrait être d'application. Les ministères doivent utiliser leurscapacités pour gérer ces projets. En réalité la Banque comme leSMD dans son ensemble n'est pas prête à se passer complètementde la CT de long terme. Ce qu'elle souhaite c'est que cette CT aidenon plus seulement à appuyer le pays africain emprunteur à mieuxrespecter les conditionnalités, mais qu'elle contribue aussi à aiderce dernier à former sa capacité de gérer effectivement le projet et laCT elle-même.

Il y a donc une ambiguïté dans le contexte de départ du conceptde construction ou de formation des capacités. D'une part il estaffirmé que l'Afrique n'a pas de capacités, et de l'autre les mesuresannoncées tendent à pousser à l'utilisation des capacités nationales.Ce qui est une reconnaissance de leur existence. Par ailleurs lescapacités dont on parle et se préoccupe sont celles d'appropriationdes politiques de réformes dans leurs diverses générations, c'est-à-dire les capacités de formuler et mettre en œuvre des politiques quivont dans le sens de la stratégie du SMD. Seules ces dernièrespeuvent être approuvées et financées par lui, et donc déclaréescomme bonnes politiques économiques. La capacité d'élaborerd'autres politiques surtout si ces dernières tendent à sortir l'Afriquedes auspices du SMD, ou de lui donner une certaine marged'autonomie par rapport au SMD, n'est pas la capacité dont il estquestion ici. Elle est considérée comme ne menant pas à la voie dusalut tel que prêché par le SMD.

C'est pourquoi on se préoccupe beaucoup dans le dialogue despolitiques, dans l'élaboration des stratégies des pays comme dans laconduite des opérations d'ajustement, de constituer pour le SMD

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une base sociale à ces politiques et programmes, de renforcer lesgroupes institutionnels, économiques ou sociaux qui appuient lespolitiques de réformes (Banque mondiale, 1994). Dans cette pers-pective, on cherche à créer un partenariat avec la partie nationaledans l'élaboration de ces politiques et programmes. Il est recom-mandé par exemple que les documents de stratégie d'interventionde la Banque soient préparés en collaboration avec la partienationale, et que les premières moutures des documents de cadrepolitique ou des programmes d'ajustement soient préparées par lapartie nationale, quitte à recevoir les ajustements ultérieurs et lequitus de la Banque, au nom du SMD et avant leur mise en œuvre.Au moins le pays se reconnaîtra dans ces politiques et programmespour y avoir participé. Le SMD élargit ainsi le cercle de ses agentset courtiers en les installant dans les rouages du pouvoiréconomique et politique.

La notion de création des capacités suivant cette approche duSMD se réfère donc essentiellement à la capacité technique desservices et institutions de l'Etat et des individus dans leur sein, deformuler et mettre en œuvre les politiques de réforme, présentéecomme la capacité de gestion de l'économie dans une perspectiveprincipalement macroéconomique et secondairement sectorielle.En réalité la capacité dont il s'agit est aussi celle des gestionnaireset services nationaux de faire l'exécution et le suivi desprogrammes de réformes, en atteignant rapidement des objectifs decourt terme comme conditions de déboursements ultérieurs desaides ou des prêts au développement. Cette perception un peulimitée de la formation des capacités reste dominante bien que pastoujours partagée par d'autres intervenants.

Dans un développement ultérieur au sein de la mêmeinstitution, les idées ont évolué et élargi le concept. La capacité estcomprise comme l'ensembles "des peuples, institutions et pratiquesqui rendent les pays à même d'atteindre leurs objectifs dedéveloppement." Cet élargissement de la perspective du conceptest dû principalement à l'implication d'Africams dans le nouvelexercice de re-conceptualisation: gouverneurs africains de laBanque, ministres et autres experts qui ont participé au processus.La création des capacités devient alors l'investissement dans lecapital humain, les institutions et les pratiques. C'est le sens de lanouvelle initiative lancée dernièrement par la Banque et appelée"partenariat pour la construction des capacités en Afrique" (Banquemondiale, 1994).

Le PNUD quant à lui, synthétisant l'évolution des idées et tirantles leçons de diverses expériences dans ce domaine, y compris lasienne - le PNUD est le plus grand organisme multilatéral defourniture des services de CT -, a lancé depuis quelques années le

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concept de développement des capacités sur lequel je reviendraiplus loin. Mais je m'en tiendrai dans cette section à la conceptiondominante de la formation des capacités telle que mise en œuvrepar le SMD.

Acteurs et instruments de la "construction" des capacités enAfrique

Que la notion s'applique exclusivement à la gestion macro-économique ou de l'économie en général, ou qu'elle s'applique auchamp plus large des capacités de piloter et gérer le développementhumain durable, la création et le renforcement des capacitésimpliquent l'action des diverses catégories d'intervenants danschacun de ces champs, bien qu'à des l}iveaux différents.

Au niveau interne il y a d'abord l'Etat, qui doit être compris à lafois comme acteur ou sujet que comme objet de la formation descapacités. Bien que le SMp le perçoive plutôt comme objet, jepense pour ma part que l'Etat est essentiellement sujet car il luiappartient de définir la voie du développement et les politiquesd'acquisition des capacités nécessaires à cet effet. Un tel rôle estéminemment politique et ne peut être laissé à, ou être co-exercéavec la CT du SMD. Cepenqant, à ce niveau déjà, la participationdes partenaires internes de l'Etat est importante. Ce sont le secteurprivé et la société civile. Leur rôle à ce niveau politique s'analyseen termes de maîtrise de la dynamique du développement nationalpar leurs diverses composantes, de leur adhésion aux stratégiesdéfinies et de l~ur implication active dans la mise en œuvre de cesstratégies. Un Etat "capable" est celui qui est à même de remplirses fonctions de souveraineté en matière de développement demanière efficace, efficiente et équitable dans la conception, lamise en œuvre et le suivi des stratégies, politiques et programmesde développement. Il doit se doter de cette capacité et créer lecadre qui permette à ses partenaires nationaux de s'en doter et lesappuyer dans ce sens. ,

Au niveau technique cependant, l'Etat, comme ces deuxdernières catégories d'acteurs, sont aussi bien sujets qu'objets de laconstruction des capacités. Sujets en tant que détenteurs d'un savoiret d'un savoir-faire qui existent et qu'il faut utiliser ou valoriser.Objets en tant que nécessiteux d'une amélioration ou d'acquisitiond'un savoir-faire nouveau requis pour l'exécution des tâchesnouvelles dans le processus de maîtrise. et de gestion dudéveloppement aux niveaux et dans les sphères d'action qui sontles leurs.

À côté de ces trois catégories d'acteurs, il y a aussi lespartenaires extérieurs de développement, qu'il s'agisse des agencespubliques d'aide, des entreprises privées ou des ONG et autres

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organisations de la société civile internationale. Leur rôle devraitapparaître plutôt au stade de mise en œuvre des politiques etprogrammes de formation ou de renforcement des capacités telsque définis par la partie nationale. Cette perception du rôle despartenaires extérieurs est relativement acceptable par les agencesdu système des Nations Unies ou les ONG et autres acteurs de lasociété civile internationale, car les acteurs du secteur privéextérieur se réfèrent essentiellement aux capacités requises pour ledéveloppement de leurs affaires.

Malheureusement cette conception du rôle des partenaires audéveloppement dans la formation des capacités n'est pas celle quepartagent le SMD et ses grands acteurs. D'abord parce qu'ils ont laprétention d'être les détenteurs des capacités qui manquent àl'Afrique et du modèle de développement qu'ils veulent quel'Afrique suive, comme si malgré l'évidence, les économies et lessociétés occidentales ne connaissaient pas des crises, comme si lesentreprises occidentales ne connaissaient pas des faillites. Ensuiteet en tant que financiers de ces politiques et programmes, ilsutilisent souvent l'occasion de leur implication dans la mise enœuvre de ces programmes et politiques pour exiger leur re-formulation, et participer ainsi à la définition des stratégies dedéveloppement pour mieux les influencer dans le sens qu'ilsveulent bien financer.

De manière générale, les acteurs étrangers sont perçusuniquement comme sujets de construction des capacités car ce sonteux qui vont former les nationaux et assurer le transfert du savoir etdu savoir faire. Je pense qu'il s'agit là d'une autre erreur du SMD,car même si les voies et stratégies du développement sont calquéessur le modèle occidental, et les programmes de formation descapacités élaborés suivant le même modèle, leur mise en œuvredemande que les Occidentaux eux-mêmes développent aussi lacapacité d'appréhender les problèmes complexes de développementdans le cadre africain, et dans le contexte mondial actuel, et cellede transférer un quelconque savoir-faire de développement si tantest qu'ils l'ont. C'est pourquoi je pense que le SMD est dans ce casaussi objet de formation des capacités. Il ne peut prétendre en êtreuniquement le détenteur ou le dépositaire. Ceci est d'autant plusvrai que la formation ou le renforcement des capacités ne peut seréaliser de manière efficace qu'en prenant en compte les normessociales, les valeurs et attitudes propres au contexte spécifique desinstitutions et des pays considérés.

Dans une autre perspective, les acteurs dans chacune descatégories comprennent les individus certes, mais aussi lesinstitutions qui interviennent ou sont concernés par laproblématique de construction des capacités de pilotage et de

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gestion du développement.Le premier instrument de construction des capacités est ainsi

l'éducation et la formation en matière de gestion économique ou dudéveloppement en général. Les universités occidentales et lescentres de formation ou de recherche du SMD sont considéréscomme des lieux appropriés pour faire acquérir les capacités quimanquent aux Africains. Ceci se fait à travers les programmesclassiques de formation de ces universités et centres, ou plutôt desprogrammes spéciaux de gestion économique spécifiquementconçus pour les Africains, généralement au niveau maîtrise. Demême des actions d'appui ciblées sur certaines universités etcentres en Afrique ont été menées ou le sont encore dans cetteperspective. Ces actions ont été appuyées par des programmes debourses aux cadres africains envoyés ou admis dans l'enseignementsupérieur nord américain ou européen, mais aussi dans denouveaux réseaux africains mis en place à cet effet comme leProgramme de Troisième Cycle Interuniversitaire (PTC!) pour lespays francophones ou le programme du Consortium Africain deRecherche Economique (AERe) pour les pays anglophones. C'estdans ce cadre que les cadres africains ont suivi des séminairesconçus à leur intention dans les instituts et centres de formationaussi bien des membres du SMD comme l'Institut deDéveloppement Économique de la Banque mondiale ou d'autresailleurs en Occident, que dans des ateliers et séminaires spécifiquesconduits par d'autres acteurs.

Dans cette perspective, le SMD ayant montré qu'il avait desmoyens financiers pour vendre et faire accepter sa stratégie dans cedomaine, les centres et institutions privés se sont vite annoncés iciet là en Occident comme pourvoyeurs du savoir et du savoir faireen matière de gestion du développement en Afrique. Les courtiersdu développement au service du SMD éclosent et poussent commedes champignons aussi rapidement que toute nouvelle initiative duSMD est à la mode. Le commerce du développement et de sesoutils sera toujours fructueux pour tous sauf pour l'Afrique eIIe-même.

Le deuxième instrument est bien sûr la CT. Elle est censéedevoir être réorientée pour qu'elle atteigne cet objectif de créationdes capacités qui est devenu sa raison d'être ultime. Les réformesannoncées ci-dessus visent à rendre cet instrument performant dansla construction des capacités de gestion du développement enAfrique. Il est aussi attendu que la CT sera à même d'assumer desfonctions de formation sur le tas ou en cours d'emploi et donc detransfert du savoir-faire aux homologues africains, si tant est queles autres mesures d'incitation et de motivation de ces cadres sontréalisées et leurs compétences mises à contribution et utilisées

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effectivement. Mais comme déjà indiqué, ces réformes sontlimitées à la sphère de la gestion de la CT. Et même dans ceslimites, il n'est pas garanti que les mesures d'accompagnementnécessaires qui doivent être appliquées aussi bien par les pays etinstitutions qui donnent la CT que les pays africains qui lareçoivent seront effectivement mises en œuvre. Par ailleurs laformation des capacités par la CT semble être pour cette dernièreune opération suicide qui a peu de chances d'aboutir pleinement.

Le troisième instrument est celui de l'échange des experts et oude jumelage entre les institutions africaines et celles de l'Occident.Cet instrument est sans doute porteur d'un potentiel réel detransfert de connaissances et de savoir-faire. Il reflète unpartenariat entre institutions sur base de l'évaluation de leursbesoins respectifs en formation ou renforcement des capacités.Mais encore faut-il que ces besoins se situent eux-mêmes dans lecadre des besoins en capacités exprimés au niveau des institutionset des programmes nationaux de construction des capacités. Dansce cas il est permis d'espérer que les compétences une fois acquisesdans cet échange ou ce jumelage seront effectivement utilisées etvalorisées. C'est dans cet ordre d'idées qu'il faut égalementconsidérer les voyages d'études et stages dans des servicestechniques extérieurs auprès des institutions qui remplissent lesmêmes fonctions dans des contextes de développement semblables.C'est là que la Coopération technique Sud-Sud semble êtreprobablement l'un des meilleurs instruments de construction descapacités nationales de pilotage et de gestion du développement.

Le quatrième instrument est la Fondation pour le développe-ment des capacités en Afrique (ACBF), cet instrument spécifiquemis en place par le SMD sous l'impulsion de la Banque mondiale.Produit d'une initiative du même nom qui se voulait être africaine,la fondation a pour but de concrétiser les objectifs de l'initiative quiconsistent à construire/former une masse critique significative deprofessionnels africains spécialistes en analyses des politiquesmacroéconomiques et en gestion économique, et qui seront à mêmede mieux gérer le processus de développement et d'utiliserefficacement les capacités d'analyse et de gestion économiquesexistantes. L'horizon temporel pour atteindre ces objectifs est fixé àune fourchette allant de dix à vingt ans, au bout duquel l'Afriqueest supposée avoir résolu le problème de manque de capacités, enparticulier dans le domaine de gestion macroéconomique. Outre lefinancement des autres instruments nationaux ou régionaux deconstruction des capacités existant en Afrique, et en particulier lescentres de formation et les bourses d'études dans ces centres, laFondation contribue à la mise en place d'autres centres etinstruments, et initie aussi des programmes appropriés de

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formation en cours d'emploi.C'est ainsi que la Fondation finance partout où elle est sollicitée,

la mise en place des unités d'analyse des politiques économiques,destinées principalement à l'internalisation des programmes deréformes économiques. Ces unités sont censées appuyer lesgouvernements africains dans la formulation et la mise en œuvredes réformes préconisées par le SMD (Banque mondiale, 1994).C'est dire que dans le sillage des instruments existants, naissent etse développent d'autres instruments de proximité pour veiller à lamise au pas des pays africains dans leur marche surveillée versl'intégration au processus de mondialisation. Par ailleurs, et ceciexpliquant cela, la Fondation estime que ces unités d'analyse despolitiques économiques doivent être placées dans des structures ouinstitutions stratégIques pour qu'elles puissent influencer lesdécisions sur les politiques économiques et leurs mises en œuvre.Mais tout en gardant une certaine autonomie de pensée, ces liçuxstratégiques sont généralement les cabinets des chefs d'Etatafricains ou des premiers ministres. La mesure de succès oul'indicateur d'efficacité serait le fait que "les gouvernementsafricains arrivent à formuler seuls leurs programmes économiqueset que ceux-ci soient acceptés ou approuvés" (ACBF, 1995), sansdoute par les institutions de Bretton Woods ou le SMD en général.Ce qui montre encore une fois qu'il s'agit de faire en sorted'intérioriser les réformes économiques. Pourtant la viabilité et lapérennité de ce genre d'instruments sont douteuses et ceci estperceptible dès leur conception. Ils ne répondent pas à une deman-de réelle des structures politiques ou techniques en place; ils sontle produit d'une offre intéressée et d'un marketing qui ne trouved'écho que parce qu'ils apportent des facilités de travail. Leursurvie après l'appui des donateurs est donc plus qu'improbable.

Il est utile de noter ici que les fonctions que l'on assigneaujourd'hui à ces unités ne sont autres que celles autrefois exercéespar les ministères du plan des premières décennies du développe-ment en Afrique. Ces ministères remplissaient ces fonctions dansune perspective plus large qui ne se limitait pas. à la gestionmacroéconomique, mais plutôt au pilotage et à la gestion dudéveloppement. Bien que leur performance n'était pas que positive,ces ministères constituaient de toutes façons des institutionsd'affirmation et de maîtrise de la dynamique du développement parles pays africains. Le SMD a combattu leur existence en période deguerre froide comme ayant des germes idéologiques du communis-me. Aujourd'hui, il n'existe pratiquement plus de ministres du planen Afrique, ou s'ils existent même simplement de nom, ils neremplissent plus la fonction essentielle de planification, ni degestion du développement. Le SMD voulant limiter les

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gouvernements africains à la sphère de gestion économique, apréféré confier ces fonctions aux ministères des finances que lesIBW contrôlent mieux. C'est pourquoi la recherche des équilibresmacro financiers est devenue le centre des préoccupations audétriment même du concept de développement. La gestionéconomique elle-même est réduite à la gestion des politiques finan-cières, fiscales, de change, budgétaires ou commerciales, et à lalibéralisation et la privatisation. Le développement a disparu sur laroute quelque part.

Le cinquième instrument est la création des centres ditsd'excellence soit de manière autonome, soit au sein des institutionsd'enseignement et de recherche existants. C'est ainsi qu'uneancienne idée reprise récemment dans le partenariat pour laconstruction des capacités en Afrique a pu être concrétIsée. Leprincipe à la base est qu'il faut diminuer le recours aux centres deformation situés très loin de l'Afrique comme celui de la Banquemondiale elle-même parce que cela est coûteux. Il faut doncrapprocher ces centres des bénéficiaires de leurs services. C'estdans cet esprit qu'il faut comprendre la récente création d'un centredit d'excellence, pour former les analystes économiques et lesgestionnaires de l'économie, qui sera bientôt ouvert à Abidjan enCôte d'Ivoire pour toute l'Afrique de l'Ouest. Encore une fois ils'agit non pas d'un partenariat, mais d'une institution du SMD danssa politique de proximité dans la surveillance des politiqueséconomiques en Afrique. Il est d'ailleurs permis de douter de lapérennité de telles institutions car il est quasi certain que les paysafricains qui seront sollicités d'y envoyer les cadres n'ont pas lesmoyens ni de financer la formation de ces cadres dans l'institution,ni encore moins de financer le fonctionnement du centre lui-même.Il est à prévoir que la Banque mondiale cherchera à élargir lefinancement du centre et de ses programmes de formation àd'autres membres du SMD, puisqu'après tout l'institution leur rendservice à eux tous. À moins de faire financer partiellement le centredans les phases ultérieures sur les prêts accordés aux pays africainsqui y envoient leurs cadres en formation.

Dernier né de la série des instruments proposés par lesconcepteurs du partenariat, les secrétariats nationaux à établir danschaque pays pour s'occuper de l'ensemble des tâches deconstruction des capacités: vision, stratégies, priorités, program-mes d'action, etc. Ces secrétariats seront eux-mêmes coiffés ousupervisés au niveau international par un Groupe Consultatif pourla construction des capacités en Afrique, composé des membres duSMD donc multi-donateurs, et présidé par le Président de laBanque mondiale qui sera assisté en cela par un secrétariatapproprié à créer au sein de la Banque. Bien que présenté

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officiellement par la Banque comme initiative de ses gouverneursafricains, le projet est en réalité une composante de la stratégie duSMD conduite par la Banque dans son rôle de grand marabout dusystème. Outre les réunions de vente de l'initiative et campagnesauprès des ministres africains des finances devenus responsables enAfrique de la construction des capacités de gestion dudéveloppement, le Président de la Banque a personnellementorganisé en 1997 deux réunions de haut niveau respectivemel)t àKampala en Ouganda et à Dakar au Sénégal, avec les Chefs d'Etatafricains pour vendre l'idée et la faire légitimer comme demandevenue de l'Afrique.

Dans ce même cadre, il est proposé un autre instrument, la miseen place d'un Fonds fiduciaire pour la création des capacités enAfrique que la Banque mondiale est sollicitée de financer au départpour inciter d'autres partenaires de l'Afrique à y contribuer. Lefonds est appelé à financer gratuitement des activités sélectionnéesde création des capacités qui ne seraient pas autrement financéessinon avec lenteur par d'autres sources.

Pourtant, tout ceci va à l'encontre du besoin de consolidation dela Fondation africaine pour le renforcement des capacités qui existedéjà, et qui ne serait que diminuée du fait d'une telle doublure.Mais beaucoup plus important que cela, la valeur ajoutée dupartenariat est très discutable. Les initiatives en matière de forma-tion ou de renforcement des capacités en Afrique sont nombreuses.Le besoin aujourd'hui est de renforcer la cohésion et la synergieentre les différentes initiatives plutôt que d'en lancer de nouvelles,contrairement à ce que le SMD lui-même avec la Banque en têteprône aux pays africains en matière de création des institutions. Lapertinence des nouveaux instruments n'est donc pas prouvée. Maisla multiplication des instruments et mécanismes opérationnels surla formation des capacités de gestion économique montre à quelpoint ce problème préoccupe le SMD. Il est évident que ce n'estpas pour les beaux yeux de l'Afrique ni encore moins pour sondéveloppement que le SMD déploie tous ces efforts. Ces derniersne peuvent s'expliquer que par l'intérêt bien pensé du SMD enAfrique. Le continent continuera donc longtemps encore à gérerdes initiatives cuisinées ailleurs, et qui lui sont vendues soi-disantpar ses partenaires au développement, mais le divertissantréellement de la prise en mains de ses responsabilités en matière dedéveloppement humain durable.

Dimensions et domaines prioritairesQuel que soit le domaine dans lequel on veut construire la

capacité de gestion du développement, il s'agit de rendre les acteursà même de mener à bien les fonctions essentielles qui leur

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permettent d'atteindre les objectifs de développement qui sontvisés. Or ces fonctions sont généralement assumées non passeulement par des individus, mais aussi par des institutions oustructures et leurs démembrements, opérant en interaction au seinde la machine étatique, mais ayant aussi des rapports decollaboration avec d,es institutions pri,;ées ou de la société civile,donc en dehors de l'Etat. C'est pourquoI on parle alors de complexeinstitutionnel qui fonctionne dans un environnement spécifique,avec ses facteurs de réussite et ses contraintes.

Ainsi en plus des acteurs déjà analysés ci-dessus, la formationdes capacités pour la gestion du développement couvre différentesdimensions impliquées dans l'exécution de la fonction considérée,ou dans le domaine de la capacité recherchée. Ces dimensions sontles suivantes:- il y a d'abord la dimension nationale de la problématique de for-mation des capacités. C~tte dimension se réfère à la fois à la néces-sité d'aller au-delà de l'Etat et d'élargir la préoccupation aux autrespartenaires du secteur privé et de la société civile, et aussi à lanécessité de l'appropriation nationale du processus de constructiondes capacités;- en second lieu, il y a la dimension liée aux mécanismes fonction-nels ou à l'interaction entre structures et institutions impliquéesdans l'exécution d'une fonction ou un complexe de fonctions. Eneffet l'efficacité de la construction des capacités pour mener à bienun certain nombre de fonctions ne dépend pas que de la loca-lisation de structures "capables," mais aussi du mode d'interaction,des méthodes de travail ou des mécanismes fonctionnels entre cesinstitutions et structures, jouant des rôles différents mais encomplémentarité, pour que le complexe institutionnel soit efficacedans la réalisation des fonctions qui lui sont attribuées;- une dimension institutionnelle qui rende les structures et institu-tions concernées à même de remplir leurs fonctions efficacementde par leur mode de fonctionnement interne et leurs méthodes detravail ;- une dimension individuelle liée à la capacité des ressourceshumaines appelées à réaliser ou exercer des tâches précises dansl'exécution des fonctions confiées à leurs institutions ou structures;- enfin une dimension environnementale dans le sens du contextesocial et institutionnel dans lequel le complexe institutionnelfonctionne ou va fonctionner pour remplir les fonctions de gestiondu développement. Cette dimension doit être prise en compte dèsle départ du processus de construction des capacités, car il enassure non pas seulement l'efficacité, mais aussi la pérennité.

Mais toutes ces dimensions ne sont valables dans tous lesdomaines de formation des capacités que comme arsenal technique

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dans ce processus. Il existe sans doute une dimension plus largecelle-là, qui est la dimension politique. Elle concerne la définition,en conformité avec le projet de société que l'on veut construire oula voie du développement tracée, la définition d'une vision descompétences requises, et la politique de leur acquisition qui tracentalors la voie aux programmes de construction des capacitésnationales non pas seulement de gestion, mais aussi et avant tout,de pilotage du développement. Cette dimension comprend aussi ladéfinition des priorités de formation des capacités, y compris cellede définir et gérer le mode de changement dans le processus dudéveloppement.

Pour les tenants de la vision du SMD, la formation descapacités est envisagée pour le domaine de la gestion économiqueessentiellement dans son sens techniciste restreint. Elle estd'ailleurs principalement axée sur l'État et ses institutions. Lagestion de l'économie dans ce sens est entendue comme devantremplir quatre fonctions principales: (i) la collecte, le stockage, ladiffusion et l'analyse des informations, (ii) la formulation desstratégies, des politiques et des programmes économiques ainsique des mesures de mise en œuvre y afférant. Cette fonctioncomprend les exercices de prospective de long terme, deplanification stratégique de moyen terme - exercices dont le SMDne veut pas entendre -, et la programmation de court terme, ycompris la programmation financière; (iii) la mise en œuvre et lacoordination opérationnelle des programmes et projets, comprenantl'exécution physique et financière, ainsi que la mobilisation desressources; et enfin (iv) le suivi-évaluation des plans stratégiquesde moyen terme, les programmes de court terme et l'exécution desprojets qu'ils comprennent.

Il s'agit en fait pour les défenseurs de cette approche, desfonctions directement impliquées dans la gestion macroécono-mique et ses diverses composantes telles que comprises dans lesprogrammes de réformes économiques. Et quand la Banquemondiale en parle, la formation des capacités se résume à lacapacité des nationaux à remplir les fonctions et tâches liés à sesopérations: la formulation et la mise en œuvre des politiques etprogrammes macroéconomiques de réformes, des études etprogrammes sectoriels d'ajustement, ainsi que des projets financéspar cette institution.

Dans le même esprit, la création des capacités a été élargie à lasphère de gestion des affaires publiques ou gouvernance économi-que, dans le sens de faire acquérir aux Africains le sens de la bonnegestion macroéconomique des réformes de manière participative -c'est-à-dire avec le consensus des autres membres de la société-,transparente et responsable vis-à-vis de la base, c'est-à-dire sans

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corruption. La gouvemance entendue dans le sens limité des IBWdevient ainsi le deuxième domaine d'application du processus deformation des capacités. Mais elle n'est en réalité qu'unecomposante de la gestion économique.

D'autres analystes et acteurs du développement estiment que lagestion du développement va au-delà de la seule sphère de gestionmacroéconomique ou des réformes. De ce fait ils pensent qu'ilserait utile d'élargir le domaine de la gestion économique auxautres composantes économiques du pays, comme le développe-ment des secteurs économiques ou productifs. D'autres aussiestiment que le problème des capacités se pose en termes "d'habili-W' de remplir les fonctions techniques de gestion du développe-ment, et que dès lors on ne peut limiter la formation des capacitésaux seules fonctions économiques même entendues dans leur senslarge. C'est pourquoi ils ont pensé inclure dans le processus deformation des capacités d'autres domaines considérés commeimportants ou stratégiques pour que l'Afrique soit à même de gérersa dynamique de développement. Le développement étant entendunon pas comme processus de changement pour l'insertion del'Afrique dans l'économie mondiale, ni encore moins commeprincipalement la réalisation du paradigme de croissanceéconomique, il faut donc considérer aussi les dimensions humaineou sociale et environnementale du développement.

Mais les capacités ne sont pas seulement celles de gérer unprocessus fût-il du développement sans en avoir la maîtrise entermes d'orientations et de priorités stratégiques. Les capacitésdevraient donc rendre les Africains à même de piloter et gérer leurdynamique de développement. A ce titre elles comprennent aussibien le niveau politique de définition des voies et stratégies dedéveloppement et sans doute aussi de prévention et de résolutiondes conflits, que le niveau de la gestion technique des domaineséconomique, humain ou social, environnemental, bref, lagouvemance du développement humai!). Et dans tous cesdomaines, il faut tenir compte de l'acteur Etat, du secteur privé etdes organisations de la société civile.

Une telle conception de la problématique de construction descapacités en Afrique n'est sans doute pas celle du SMD, vu qu'elleimplique et est basée sur des objectifs fondamentaux qui ne sontpas les siens. Le problème n'est pas de savoir seulement quellescapacités il faut former en Afrique ou de quelles capacités lecontinent a besoin et comment les former, mais il est plusfondamental, celui de savoir quelles capacités et pourquoi?L'entendement de la problématique est différent selon que laréponse est pour gérer les réformes macroéconomiques ou pourlancer une dynamique de développement humain durable.

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Les niveaux politique et technique sont donc liés entre eux et enrapport dialectique dans la problématique de construction descapacités en Afrique. C'est pourquoi on ne peut ni les séparer, nilimiter le problème de capacités au seul niveau technique. Car lescapacités de piloter et gérer le développement se réfèrent aussi à lavision du développement et aux valeurs et normes sociales, auxobjectifs fondamentaux et aux priorités stratégiques de leurréalisation. C'est pourquoi le SMD veut prendre le leadership duprocessus de formation des capacités en Afrique.

Dès lors, le choix des domaines prioritaires ne peut être définide manière abstraite et générale pour toute l'Afrique. Il dépend dela phase historique et des priorités de développement de chaquepays à chaque phase de développement. La détermination de cespriorités se fonde sur l'analyse qui est faite de la situation descapacités existantes, des besoins complémentaires qui endécoulent, et de la position stratégique de certaines capacités parrapport à d'autres dans la phase précise de la dynamique dudéveloppement national.

Démarche méthodologique et mécanismes opérationnelsIl y a énormément de différences dans l'action entre les

partenaires au développement dans la conduite effective desactions de formation des capacités. Pour le SMD et ses principauxacteurs dont les IBW, les besoins de capacités qu'ils veulent voirformer se situent dans la gestion des projets, programmes etpolitiques de réformes qu'ils financent. Cela induit une démarche etdes mécanismes opérationnels qui mettent l'accent sur des acteurset des priorités temporelles qui ne sont pas nécessairement lesmêmes que pour ceux qui posent le problème différemment. Parailleurs, et avec des contradictions non seulement entre acteursexternes de la construction des capacités, mais aussi au sein d'unemême institution, l'approche ou l'accent varient selon qu'onconsidère que les capacités n'existent pas et qu'il faut les formerdans ces domaines d'intervention, ou au contraire qu'elles existentet que le problème majeur réside dans leur utilisation, leur maintienet leur motivation.

Néanmoins le PNUD, encore une fois tirant les leçons desexpériences des uns et des autres, a pu élaborer une synthèse etproposer une démarche méthodologique relativement lourde, maisqui se résume en quatre phases. Ces phases répondent à desquestions spécifiques dans le processus méthodologique deconstruction des capacités. Ces questions sont: (i) où sommes-nous aujourd'hui, qui est une phase de bilan et d'évaluation de lasituation des capacités nationales, (ii) où voulons-nous aller, quidonne la vision et les objectifs à atteindre en matière de capacités,

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(iii) comment pouvons-nous y arriver, qui définit les stratégies demise en œuvre et les actions nécessaires pour atteindre les objectifset réaliser la vision, et enfin (iv) comment pouvons-nous nousmaintenir à ce niveau là, qui indique les actions à entreprendre oula démarche à suivre pour assurer la pérennité des résultats.

Cette démarche s'applique au problème des capacités sur le plannational ou à celui des domaines, thèmes et secteurs particuliersdans lesquels on veut construire les capacités. Par ailleurs et dansun effort de simplification, il est recommandé de distinguer troisniveaux de construction des capacités: (i) le système ou niveau del'environnement qui concerne l'ensemble des entités opérant pouratteindre certains objectifs et réaliser des fonctions spécifiquesselon des procédures et règles de jeu convenues ou établies; (ii)l'entité, l'organisation ou l'institution qui est partie ou composantedu système et (iii) l'individu qui concerne les personnes impliquéesdans les tâches d'une fonction de l'entité, ou celles qui en reçoiventl'impact en dehors de l'entité. A chacun de ces niveaux, lesdimensions de la construction des capacités déjà analysées plushaut doivent être prises en compte, et les quatre phases ci-dessusindiquées leur sont applicables (PNUD, 1997).

Dans une démarche similaire, une étude faite pour le compte del'Agence Canadienne pour le Développement International (ACDI)propose un cadre méthodologique et une démarche semblables,mais plus complexes encore (la matrice comprend huitperspectives, avec chacune sept à neuf variables) et théorisés àpartir de l'exemple des capacités à l'occidentale. Du fait de cettecomplexité, le cadre méthodologique est présenté simplementcomme une vue d'ensemble de la problématique, offrant auxintervenants les possibilités de se définir des points d'entrée ou decoordonner les actions entre eux (P. Morgan, 1992).

Sans vouloir passer en revue les variantes des mécanismesopérationnels des interventions des donneurs, on peut les résumeravec la Banque mondiale en quatre catégories qui ne sont pasnécessairement distinctes. Il y a d'abord l'utilisation poussée del'instrument formation et éducation. La formation doit être intégréedans les projets, programmes et politiques financés par lesdonateurs, et ce depuis leur conception jusqu'à leur évaluation.Ceci concerne principalement les ressources humaines impliquéesdans la mise en œuvre de ces activités et les institutions danslesquelles elles travaillent. Le deuxième mécanisme est l'appui auxinstitutions et centres qui peuvent assurer cette formation enAfrique même. Le troisième mécanisme comprend à la fois laré,forme de la Fonction Publique, en redéfinissant les misions del'Etat pour lui permettre de ne retenir que les capacités dont il abesoin, et l'appui conséquent aux opérateurs privés qui peuvent

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assurer certaines tâches jusque là exercées par l'État. Le quatrièmemécanisme est l'implication des média dans le processus deconstruction des capacités en Afrique, à la fois comme objet deformation et comme acteurs, pour qu'ils soient partenaires avisésdes réformes économiques (E. Jaycox, 1993). La valorisation et lamotivation des compétences nationales existantes par desprogrammes d'incitation fmancière et en nature sont considéréessérieusement comme un mécanisme important que les bailleurs defonds devraient utiliser de manière coordonnée dans la formationdes capacités en Afrique. C'est à ce titre qu'on considère que cettequestion devrait être à l'ordre du jour des conférences de TableRonde et des réunions des Groupes Consultatifs. L'appui auxcabinets et bureaux locaux de consultants est aussi considérécomme un autre mécanisme opérationnel que les donateurs peuventmettre en œuvre.

Mais cette vision encore limitée des mécanismes opérationnelsdans la construction des capacités était due au fait que pour laBanque, la préoccupation fondamentale reste celle de l'argentqu'elle n'arrive pas à débourser et de la marche lente desprogrammes de réformes. Les mécanismes ne semblent donc pasêtre dictés par une vision d'ensemble cohérente du problème deconstruction des capacités. C'est pourquoi il est difficile au SMDd'appliquer une démarche méthodologique cohérente à laconstruction des capacités qui répondent non pas aux besoins encapacités du pays, mais à ceux du donneur dans la réussite desprojets et programmes qu'il finance.

Ce n'est donc que plus tard et notamment grâce aux analyses etexpériences d'autres acteurs, que s'est imposée progressivementl'idée d'une approche globale avec parmi les mécanismes opéra-tionnels, la formulation de programmes nationaux ou sectoriels deformation des capacités, en particulier dans les domaines degouvernance, de la gestion du développement économique, de lapromotion de la femme et de l'environnement, tels que promus pard'autres acteurs dont les agences des Nations Unies.

3. Quelles capacités pour quel développement del'Afrique de demain?

Le point de départ pour le SMD est que les gouvernementsafricains n'ont pas avec eux ou auprès d'eux les capacitéstechniques nécessaires qui puissent les assister à la formulation etla mise en œuvre des programmes de réformes macroéconomiqueset financiers que les donateurs sont disposés à financer. Pire, mêmesi ces capacités existent à un certain niveau, les gouvernementsafricains ne sont pas capables de les utiliser de manière motivée et

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continue. Il appartient donc au SMD de le faire pour cesgouvernements et avec eux.

Or on sait que la préoccupation pour la formation des capacitésest apparue avec les lenteurs dans la mise en œuvre des politiqueset programmes de réformes. Et le contenu qui est donné à laconstruction des capacités reflète encore lourdement cettepréoccupation comme indiqué plus haut. C'est pourquoi il est utiled'analyser les rapports entre les programmes de réformes et laperformance des capacités de pilotage et de gestion du dévelop-pement en Afrique.

Le SMD et l'affaiblissement des capacités en AfriqueComme pour les réformes politiques analysées au chapitre sur

la "bonne gouvernance," les programmes de réformes macroécono-miques et financiers et l'ensemble des pratiques du SMD dansl'aide au développement sont en contradiction avec le principe deconstruction des capacités, fussent-elles de gestion économique.

Progressivement, le SMD a transformé les administrations afri-caines en administrations locales des projets qu'il finance. Cesadministrations sont occupées non pas à gérer leurs stratégies etpolitiques de développement, mais plutôt le portefeuille de projetsdits de développement financés par les bailleurs de fonds. Aubesoin ces derniers ont créé des structures parallèles de gestion deces projets, excluant ainsi les administrations africaines de la con-naissance et de l'appropriation de ces activités, éléments qui sontde nature à renforcer leurs capacités.

Outre la gestion d'un portefeuille de projets dispersés, obéissantà des procédures et règles financières variées et qui ne sont pasnationales, ces administrations ont en plus le devoir de préparer lesnombreuses missions de suivi ou de contrôle que des partenairesdépêchent selon leurs propres calendriers, sans nécessairementrespecter celui des gouvernements africains. Dès le départ d'unemission d'un partenaire, les administrations africaines n'ont mêmepas le temps de souffler et encore moins de s'occuper de leurstâches de piloter ou ~érer le développement, qu'elles pensent déjàaux prochaines missIOns trimestrielles du même partenaire ou àcelles d'autres partenaires. Il n'y a qu'à relever le nombre demissions annuelles des partenaires dans un pays et la durée de leurséjour à laquelle il faut ajouter le temps de préparation de cesmissions pour comprendre le volume et la qualité des énergiesmobilisées par un gouvernement africain rien que dans la gestionde ses rapports avec les partenaires au développement. Et lorsqueces missions sont lourdes avec dix à quinze personnes commecelles de la Banque mondiale par exemple, le pauvre pays africainn'a même pas le temps de réfléchir calmement sur la nouvelle

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recette qu'on veut lui vendre.Par ailleurs, les bailleurs de fonds sont bien contents d'inviter

les responsables politiques et techniques à des cérémoniesd'inauguration de leurs nouveaux bureaux, ainsi que d'ouverture etde clôture des séminaires, ateliers et conférences qu'ils organisentou financent. Nombre d'entre eux se vantent d'avoir eu à leurcocktail plus d'autorités que d'autres, ainsi qu'en nombre ou enhiérarchie plus élevée. Tout cela contribue au divertissement et à lasous utilisation des capacités. Les voyages d'études acceptés pluspour ce qu'ils apportent financièrement que pour leur enrichisse-ment substantif ou méthodologique ont peu d'impact sur laformation des capacités et contribuent de toute,s façons à diminuerle temps que les cadres passent à leur travail. A moins que cela sefasse dans un cadre cohérent de mise en œuvre d'un programme deformation ou de renforcement des capacités.

Enfin, on a vu que la CT en s'occupant des tâches opération-nelles et de substitution, en marginalisant les cadres nationaux de-venus apprentis par observation plutôt que par la pratique, en con-tribuant à la frustration et à la démoralisation des compétencesreléguées dans des mauvaises conditions de travail, a contribué à samanière à affaiblir les capacités des gouvernements et administra-tions africaines.

Entre-temps les pays africains ont continué à former les cadresdans tous les domaines possibles du développement, et dans lesmeilleures universités et grandes écoles occidentales, ousimplement dans les institutions d'enseignement supérieur auniveau national ou régional. Au point qu'il existe aujourd'hui despays africains qui n'ont vraiment pas besoin de CT, ni d'êtredivertis par le SMD avec ses programmes de construction descapacités. Si certains de ces cadres ont quitté leur pays pour secaser à l'étranger, en Afrique ou ailleurs, nombreux sont ceux quisont restés au pays, pleinement utilisés, sous utilisés ou enchômage. Il est d'ailleurs caractéristique de noter que lesentreprises privées étrangères qui opèrent en Afrique ne seplaignent pas vraiment de l'inexistence des capacités, qu'ellesfinissent toujours par trouver et renforcer. Si ces cadres qui ont faitles mêmes études que leurs homologues occidentaux existent,pourquoi seraient-ils devenus si médiocres et nécessitant uneformation complémentaire ciblée que viendraient leur donner leursanciens collègues de classe en Occident?

Ce qu'il faut reconnaître et réaffirmer est que toute capacité nonutilisée se déprécie et s'affaiblit. Dès lors les interventions despartenaires au développement en divertissant les capacités des paysafricains dans des opérations de gestion de leurs portefeuilles deprojets, de réunions et autres rencontres sans grand intérêt, ou en

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les excluant du processus d'apprentissage pratique et d'appropria-tion des tâches du développement, ont contribué énormément àaffaiblir les capacités africaines même en matière de gestion éco-nomique. Par ailleurs la non utilisation des cadres africains ou leursous-paiement contribuent à inverser les valeurs dans la société. Aquoi bon pour les plus jeunes d'aller passer quinze ou vingt ans surle banc de l'école s'il faut terminer par des conditions de viemisérables ou simplement par le chômage? C'est dire que l'effet detoutes ces actions sur l'affaiblissement des capacités risque d'êtrede longue durée, justifiant encore plus les interventions du SMD.

Mais le coup de grâce à la formation des capacités est venu avecles programmes d'ajustement structurel, notamment par les coupesbudgétaires, la réduction ou la limitation des salaires et la réductiondes effectifs des administrations africaines. Le souci majeur étantcelui des équilibres financiers; les PAS se sont préoccupés plus dela réduction des coûts pour l'Etat que de l'amélioration du résultat,c'est-à-dire de l'amélioration de l'efficacité dans la délivrance desservices de développement aux populations, et à l'amélioration dela gestion du développement qui est attendue de cesadministrations.

Une étude récente commanditée par le PNUD et l'UNICEF amontré qu'une fonction publique capable, c'est-à-dire efficace etefficiente est une condition sine qua non du développementhumain et de la réalisation des objectifs mondiaux dedéveloppement social. Elle sera alors à même de fournir lesservices publics de base (soins de santé, éducation, eau etassainissement, vulgarisation agricole, services d'ordre, recouvre-ment d'impôts, entretien des infrastructures de base) qui sont d'uneimportance vitale pour les économies africaines et le développe-ment social de leurs populations.

Or les PAS n'ont pas vu en ces administrations l'instrument debase stratégique dans la gestion du développement, ils n'y ontvolontairement vu que le coût comme si ce coût n'était pas à lahauteur de ces tâches. En limitant ou réduisant les rémunérationsdans la fonction publique africaine, les programmes de réformesont fait que "les fournisseurs de services publics recourent à desstratégies de survie telles que la réduction de la présence sur leslieux de travail et une attention peu soutenue à la tâche, uneacceptation limitée de la formation, la tarification des usagers àtitre privé, la corruption et la répartition disproportionnée desheures de travail pour maximiser leurs revenus personnels" (PNUDet UNICEF, 1995, p.2). Il est évident que de telles pratiques desurvie sont induites par la sous-évaluation des capacités, queparadoxalement on cherche à construire. ,

L'étude montre à partir du cas de l'Ethiopie, du Mali, du

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Mozambique, du Rwanda et de la Tanzanie, que la rémunérationréelle pour la plupart des fonctionnaires a chuté de moitié, sinon detrois quarts comme dans le cas du Mozambique et de la Tanzanie.Le résultat en est la diminution spectaculaire de la prestation desservices publics de base dans ces pays et cela reflète la situationgénérale en Afrique. On estime en termes réels par habitant, quel'accès aux services publics a diminué d'environ 50% depuis 1980.L'autre effet est bien sûr la forte diminution de la productivité dutravail dans la fonction publique vu les efforts et les énergies queles fonctionnaires dépensent dans les stratégies de survie ci-dessusdécrites. Enfin il faut remarquer que la mauvaise performance de lafonction publique dans la délivrance des services publics de baseénumérés ci-dessus - collection d'impôts, entretien desinfrastructures économiques et sociales, vulgarisation agricole,services d'ordre -, contribue à réduire aussi la base de la croissanceéconomique et du développement humain en Afrique.

L'étude montre en outre que les effectifs de la fonction publiquene sont pas aussi pléthoriques que les programmes de réformes lelaissent entendre, si l'on considère les besoins de développement,c'est-à-dire de pilotage et de gestion de l'économie certes, maisaussi de fourniture des services de base, d'entretien desinfrastructures, de recouvrement des impôts et de maintien del'qrdre qui pour le moment en Afrique ne peuvent l'être que parl'Etat. L'étude montre enfin qu',au cours des années 1960-70, "laproduction et les recettes de l'Etat par habitant ont augmenté demême que les prestations de services publics par habitant. Leseffectifs de la fonction publique se sont accrus rapidement dans lespays qui accordaient une haute priorité à l'expansion rapide del'accès à l'éducation primaire, aux soins de santé de base et à l'eauen milieu rural. (...) La productivité et la discipline étaient bienmeilleures car, étant donné les niveaux de rémunération, il étaitpossible de veiller à la présence effective au travail, à l'attentionaccordée à la tâche et à l'acceptation de la formation nécessaire. Parailleurs, le moral de l'administration publique et les attentes dupublic étaient supérieurs, ces deux facteurs ayant une influencepositive sur le rendement et les résultats. "

Devant ces résultats, les bailleurs de fonds, y compris nombred'agences des Nations Unies se sont préoccupés de la situation nonpas en termes de renforcement des capacités, mais plutôt deformules diverses de complément de salaires et de paiementsd'incitation des fonctionnaires impliqués dans l'exécution de leursprojets et programmes. "Ces mesures ont eu des conséquencesnéfastes en ce qu'elles font obstacle au renforcement des capacitésnationales et affaiblissent la durabilité du processus du développe-ment et le sentiment d'en être partie prenante." Ces pratiques

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introduisent de nouvelles formes d'inégalité dans les fonctionspubliques africaines, renforcent chez, certains cadres leurallégeance aux bailleurs plutôt qu'à leurs Etats, et provoquent ainsides distorsions préjudiciables à I~ construction des capacitésinstitutionnelles dans les appareils d'Etat en Afrique.

C'est en fonction de cette analyse de la situation des capacitésen Afrique, et de l'objectif d'un autre paradigme du développementpour le continent, qu'il faut poser autrement le problème descapacités et examiner certaines propositions d'action.

Développement humain et développement des capacités nationalesen Afrique

Les exemples historiques du développement dans le monde, ousimplement de la croissance économique montrent le rôle crucialdes ressources humaines et donc des capacités dans le processus deréalisation des progrès économiques et sociaux. Le rapport mondialsur le développement humain édition 1996, après une étude surquelque soixante-dix pays sur une période de trente ans, montrequ'aucun pays n'a pu réaliser des taux records de croissance entermes de revenus par tête d'habitant - en fait supérieurs à 3% paran - sans avoir eu au préalable à développer rapidement lescapacités de ses ressources humaines. De même, le rapport montrequ'aucun pays ne peut maintenir une amélioration en termes dedéveloppement humain sans une croissance économique soutenue.

Les exemples des pays industrialisés comme de ceux endéveloppement, et en particulier des économies dites émergentesmontrent justement que les pays qui ont eu des niveaux élevés enmatière de formation des ressources humaines, sont ceux qui plustard ont eu des taux de croissance élevés et de manière soutenue.Les cas du Japon et de la Suède entre autres sont de bonnesillustrations historiques de cette conclusion. On montre pour leJapon en effet que les réformes de l'ère Meiji commencées en 1868ont permis à ce pays d'aller rapidement du taux de scolarisationfaible de 28% des enfants en âge scolaire en 1873 à plus de 96% en1905. Le cas de la Suède est similaire. Le nombre d'enfants admisà l'école primaire a doublé entre 1850 et 1870, alors qu'en mêmetemps l'alphabétisation universelle était atteinte dès 1875. Demême, dans le monde en développement, le rapport donne lesexemples de nombreux pays en particulier en Asie: Corée du Sqd,Taiwan, Malaisie ou Singapour et aussi en Afrique comme l'lIeMaurice. Sans entrer dans les détails, le cas de la Corée peutpermettre d'illustrer cela. Si les performances économiques de laCorée du Sud sont remarquables avec des taux de croissanceannuels moyens dépassant les 7% sur une longue période, c'estaussi parce que la Corée a fait des progrès plus que remarquables et

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dont on parle moins en matière de ressources humaines. Alorsqu'en 1945, quelque 13% des adultes coréens étaient passés par unsystème scolaire formel, en 1960, quelque 56% des Coréensavaient fait leur école primaire et entre 1960 et 1990 une formationscolaire supplémentaire d'une durée de cinq ans avait été fournie àtous les enfants coréens, ce qui élevait le niveau moyen de scolari-sation à 9,9 années d'études, donc plus élevé que même dans lespays de l'OCDE. Le taux d'alphabétisation des adultes a atteint les90%, rivalisant avec celui de ces mêmes pays. Ces performancesdans la formation générale des populations d'un pays contribuent àaméliorer leur productivité et à réaliser des taux élevés de crois-sance économique, qui à leur tour permettent d'investir encore plusdans l'amélioration des ressources humaines (PNUD, 1996).

Depuis longtemps les théories économiques montrent que lacompétitivité sur les marchés ne repose plus sur les avantagesnaturels - la dotation en ressources ou la position géographique-,ni sur les seuls investissements en capital, mais plutôt et beaucoupplus sur les capacités humaines et institutionnelles qui rendent lespays et les populations aptes à saisir les opportunités, à s'adapteraux changements des marchés ou des technologies. Dans ce senschaque pays a besoin de continuellement développer ses capacitésy compris les pays développés. Les données en Afrique indiquentune situation encore préoccupante malgré les efforts énormes et lesprogrès réalisés. En 1960, le taux de scolarisation tous niveauxconfondus était de 17,5%. Pendant qu'ils acceptaient des armées decoopérants techniques pour les aider à gérer le pays, les paysafricains ou du moins la plupart d'entre eux ont beaucoup investidans l'éducation. Les dépenses d'éducation et corrélativement lestaux de scolarisation ont vite grimpé, ce qui changea significative-ment la situation. En moins d'une génération après les indépen-dances, les taux d'alphabétisation des adultes et de scolarisation, eten particulier la proportion de cadres et techniciens qualifiés ontsensiblement augmenté. Les progrès réalisés au cours des deuxpremières décennies ne pouvaient être soutenus avec les coupesbudgétaires de la troisième décennie du développement dans lecadre des programmes de réformes.

Le taux d'alphabétisation des adultes était passé de 27% en1970 à 55% en 1993, mais restait tout de même inférieur à celui del'Asie du Sud-Est par exemple qui est de 86% ou de celui del'ensemble des pays en développement qui est de 61%. Il en est demême pour le taux de scolarisation tous niveaux confondus quipassa de 17,5% en 1960 à 39% en 1980 et tomba par après à 36%en 1990, encore inférieur à celui des pays de l'Asie du Sud-Est quiétait de 54%, ou celui de l'ensemble des pays en développementqui était de 47%. La moyenne d'années scolaires en Afrique au Sud

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du Sahara était de 1,6 en 1992, le niveau le plus bas du monde,égal à un tiers seulement de la durée moyenne de scolarisation enAsie du Sud-Est, ou quelque 41% de la même durée dansl'ensemble des pays en développement. Ainsi, non seulement leniveau général d'instruction est bas, mais les cadres formés eux-mêmes ne sont pas utilisés pleinement dans les pays africains pourdes raisons expliquées à la section précédente. Ce qui contribue àbaisser le niveau général de performance des ressources humaines,et sans doute aussi des institutions en Afrique. Si on admet leconsensus actuel sur le paradigme du développement humaindurable comme un développement centré sur l'homme, équitable etparticipatif dans ses progrès économiques et politiques, et durabledans ses dimensions sociale et environnementale, le développe-ment des ressources humaines et donc des capacités est une com-posante de ce paradigme et en même temps le facteur fondamentalde sa réalisation. La construction des capacités est alors un proces-sus de "renforcement" des pouvoirs des peuples pour qu'ils pren-nent pleinement part à cette dynamique en réalisant leur potentiel,en élargissant et saisissant leurs opportunités, et en développant etutilisant leurs capacités. Un développement aussi participatifgarantit l'appropriation et la durabilité de la dynamique. Il assureen même temps la croissance économique et la démocratie.

Le problème de la formation des capacités en Afrique se posedonc non pas en termes étroits des capacités de gestion desprogrammes et projets des donateurs, ni en ceux des capacités degestion des équilibres macroéconomiques et financiers desprogrammes des réformes, mais en celui plus large et plus globalde renforcement des pouvoirs des populations africaines pourqu'elles réalisent leur développement humain durable sous laconduite d'un leadership du développement encore à construire oupromouvoir en Afrique. De manière plus concrète, il couvre lescomposantes suivantes: (i) d'abord faire des progrès rapides etsubstantiels en matière d'alphabétisation pour tous et de scola-risation primaire universelle, et les premières décennies dedéveloppement ou les exemples du Japon ou de la Corée ontmontré que cela est possible en quelque vingt ou trente ans ; (ii)ensuite renforcer les services publics de base pour qu'ils remplis-sent correctement leurs fonctions en mettant la priorité sur lademande et l'utilisation des capacités existantes, en augmentantleur productivité et en améliorant les conditions de travail qui leursont offertes et l'environnement général dans lequel ils opèrent;(iii) enfin, renforcer le système de gouvemance ou de gestion desaffaires publiques et des institutions de la société civile pour amé-liorer l'environnement politique, social et économique qui renforceles pouvoirs des populations pour qu'elles participent pleinement à

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la dynamique du développement humain de leurs pays.C'est en cela que le PNUD parle non pas de construction ou

formation des capacités, puisqu'après tout il en existe et nonutilisées, mais de développement des capacités en intégrant dans lapréoccupation non seulement la formation des capacités, mais aussileur utilisation, leur rétention et la possibilité de leur restaurationlorsqu'elles sont affaiblies ou perdues. L'élaboration des stratégiesde développement des capacités doit tenir compte de cetteapproche plus globale au niveau de leur formulation et de leur miseen œuvre, ainsi que des dimensions et des acteurs du dévelop-pement des capacités comme expliqué plus haut (PNUD, 1994).C'est dans cette direction que les partenaires au développementdevraient orienter leurs programmes d'appui aux stratégies de déve-loppement des capacités en Afrique dans les trois composantes ci-dessus présentées: (i) aider à promouvoir et étendre l'éducation debase pour tous ainsi que l'alphabétisation des adultes, (ii) arrêter oudiminuer sensiblement les services de CT et réorienter les ressour-ces qui y sont consacrées à l'utilisation, la motivation et la rétentiondes capacités humaines existantes, et enfin (iii) appuyer l'améliora-tion de l'environnement global du développement par le renforce-ment de la gestion des institutions de la société civile.

En ce qui concerne la deuxième mesure qui consiste à consacrerune partie des ressources de la CT à l'utilisation et la motivationdes cadres africains comme composante de la stratégie du dévelop-pement des capacités, les estimations de l'étude précitée du PNUDet de l'UNICEF montrent que pour le cas de la Tanzanie, la réallo-cation d'un tiers seulement des ressources financières consacrées àla CT pourrait libérer 90 à 100 millions de dollars, soit presquel'équivalent du budget des salaires de tout le secteur public. Unetelle démarche peut aussi se faire sur une base contractuelle: puis-qu'il s'agit d'une aide budgétaire, les fournisseurs de l'aide au déve-loppement et non les prêteurs d'argent, pourraient en même tempsprévoir des modalités de sortie progressive. Le pays africain quireçoit cette aide au développement des capacités s'engageant ainsià prendre en charge progressivement un pourcentage du montantde la CT reconvertie, au fur et à mesure qu'il réalise des progrès enmatière de développement des ressources humaines, et qu'il tire desbénéfices en termes de croissance et de progrès économique etsocial. Il est vrai qu'une telle proposition rencontrera des résistan-ces sinon des oppositions de la part du SMD, soit parce que lesprogrès ainsi attendus ne sont pas certains aux moments où on lesattend, soit parce que cela diminuerait les avantages multiples quele SMD attend de l'utilisation de la CT en Afrique. L'Afrique abesoin de renforcer les pouvoirs de ses populations et d'unemanière durable, plus que de transferts de savoir-faire par le SMD.

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TROISIÈME PARTIE

REGARD VERS LE XXIème SIÈCLE

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CHAPITRE VII:Ll1TTER POUR QUELDEVELOPPEMENT?

Quarante ans de développement sans développement, maisaccompagnés des politiques et mesures se traduisant par des indi-cateurs économiques en régression, des pertes des acquis en pro-grès social et une croissance de la pauvreté, n'ont pas créé que desdésillusions et des désespoirs chez nombre d'Africains. Ils ont aussiaccentué le sentiment d'impuissance et de dépendance chezd'autres.

Le SMD lui-même commence à se rendre compte que sa boîte àidées ne fonctionne plus à la hauteur de ses ambitions dans le com-merce du développement. Il n'y a plus de fondement idéologiquecrédible à la vente de différents produits et apparences du dévelop-pement tant que ce dernier ne montre pas le bout du nez. Lasolution ne serait-elle pas de faire disparaître le concept de déve-loppement lui-même du discours, de le relativiser, de montrer qu'ilest une résultante de long labeur de croissance, au prix d'un effortet de sacrifices soutenus? Pour les pays africains, la solution neserait-elle pas simplement de s'accrocher aux recettes d'une crois-sance promise mais toujours hypothétique et possible à la fois,avec les appuis financiers qui recréent espoir et confiance dans leSMD?

Pour l'Afrique, devant les désillusions et les désespoirs, ildevient légitime de se poser des questions sur la pertinence desperceptions maraboutiques et de la pertinence des marchandises dudéveloppement. Il y en a qui n'y croient plus, le développementn'est plus mobilisateur, il faut peut-être l'oublier ou le garder dansle discours comme le fait le SMD. Chaque pays ou presque,cherche toujours à trouver le petit boulon de sauvetage pourattacher la corde de sa pirogue au navire du SMD.

D'autres par contre, en dépit des désillusions et sans doute aussi

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à cause d'elles, comprennent qu'il y a des raisons de ne pas fermerle chapitre développement de l'Afrique, mais qu'au contraire, il fautlutter pour l'ouvrir et surtout l'écrire. Le XXlème siècle doit êtrecelui de l'écriture historique du chapitre développement pourl'Afrique. Et cela s'entend comme une lutte engagée de tous lesacteurs africains pour sortir de l'impasse du paradigme actuel etpour l'écriture collective, du chapitre d'un autre paradigme dedéveloppement.

Dans cette perspective, il faut rappeler que le développementhumain comme on le sait, concerne l'avenir et le devenir despeuples et des PilYs.Il implique des transformations de structures etde rapports. A ce titre, il constitue un terrain privilégiéd'affrontements d'intérêts des groupes et des pays qui semanifestent sur le plan théorique, idéologique, économique,politique, social et culturel, et ce aussi bien au niveau internequ'externe, notamment entre l'Afrique et le SMD. Les divergences,parfois profondes, sont donc inévitables. Mais si la causecommune, aux peuples et pays africains est celle du développementde l'Afrique, il faut que la volonté réelle de la faire triompher primechez les uns et les autres.

Ce chapitre essaie de donner dans ses grandes lignes, leparadigme de base d'une autre voie de développement que celle quia fait faillite en Afrique. Pour la transition du continent du XXèmeau XXlème siècle, le contenu spécifique de cette voie dedéveloppement sera expliqué dans le chapitre suivant, en relationavec la stratégie de sa mise en œuvre.

1. La crise du développement dans le mondecontemporain

Un des mythes les plus répandus actuellement est, que lasituation est satisfaisante dans la plupart des pays, du fait qu'ilssont ou seront entraînés par une quinzaine de pays à économie encroissance rapide, et qui seront de ce fait stimulés par lesperspectives de la mondialisation des marchés, à laquelle ilsdevraient plutôt s'adapter (PNUD, 1996 et 1999; P.N. Giraud,1996). Les bulletins de santé satisfaisants que publient les institu-tions financières internationales, repris par les média à longueur dejournée et de colonnes, ne cessent de répéter continuellement quel'espoir et les miracles sont visibles à l'horizon. Pourtant la réalitéest toute différente.

En effet, nous ne vivons pas aujourd'hui un monde unique detransmission de croissance et du développement, mais deux universqui résultent en partie de la faillite de la croissance dans plus d'unecentaine de pays dans le monde, où le revenu par habitant est

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devenu inférieur à celui d'il y a 15 ans et où en conséquence plusd'un quart de l'humanité, soit 1,6 milliard de personnes se trouventdans une situation plus précaire qu'il y a quinze ans. Dans 70 paysdits en développement, les niveaux de revenus sont inférieurs àceux des années 1960-70. Le déclin économique de nombre de cespays est plus profond que la dépression des années 1930.

Certes, de nombreux autres pays ont enregistré une fortecroissance économique au cours des dernières décennies, et le casdes "tigres industriels" de l'Asie est là pour le rappeler. Mais cettecroissance a été très inégale et a entraîné dans son sillage lechômage, le renforcement des écarts entre revenus et l'appauvris-sement d'un nombre plus important encore de personnes. Alors quele revenu mondial a été multip'lié par six entre 1960 et 1993 pouratteindre quelque 23 000 mIlliards, 1,3 milliard de personnesvivent avec moins d'un dollar par jour, alors que 3,3 milliards, soit60% de l'humanité, vivent avec à peine deux dollars par jour et quetrois cinquièmes vivent encore dans une pauvreté abjecte.

Rappelons que la proportion entre les revenus des 20% desménages les plus riches par rapport à ceux des ménages les pluspauvres est passée de 30 à 1, à 60 à 1 au cours des trois dernièresdécennies et à 74 à 1 en 1997. Dans le même laps de temps, les20% des ménages les plus pauvres ont vu leur part du revenumondial tomber de 2,3% à 1,4%. Aujourd'hui, la valeur nette des358 personnes les plus riches du monde est égale au revenucombiné des 45% les plus pauvres de la population mondiale, soit2,3 milliards de personnes. Les pays dits en développement quicomptent 80% de la population mondiale ne représentent que 20%de la production mondiale; et malgré la croissance intervenue dansces pays, la part des pays de l'OCDE dans la production mondialeest passée de 68% en 1960 à 72% en 1990 !

Les écarts entre le revenu par habitant des pays industrialisés etcelui des pays "en développement" au lieu de se combler ou dumoins de se réduire, se sont encore élargis, passant de 5 700 dollarsà 15 400 entre 1960 et 1993 ! Et cette situation n'est pas quespatiale, elle est aussi ~ociale, et existe même au sein d'un mêmepays. Par exemple aux Etats-Unis aujourd'hui, la part de l'actif totaldétenue par 1% des ménages les plus riches a presque doublé,passant de 20% à 36% entre 1975 et 1993. Les proportions sembla-bles se retrouvent dans les autres pays industrialisés. Le RapportMondial sur le développement humain consacré à la mondialisa-tion, démontre encore avec force l'accroissement de ces inégalitésau profit des pays riches du Nord. De toute évidence, il n'y a niconvergence post-ajustement, ni bonheur partagé dans lamondialisation.

Qu'est-il donc arrivé après des décennies de développement?

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Quels sont les résultats des efforts et des aides au développementdans le monde? Où est le développement alors? Est-ce dansl'accumulation des richesses au Nord au détriment du Sud? Est-cedans l'accumulation des richesses entre les mains de quelques unsau Nord et/ou au Sud? Bien sûr que non et je vais y revenir.

En fait il y a une triple crise qui c~ractérise cette situation (T.Banuri et Ali, 1994). La crise de l'Etat à qui on ne reconnaîtpresque plus le rôle d'agent ou acteur du développement:l'institution a perdu beaucoup de son autorité et de la crédibilitédont elle a toujours bénéficié, et sa capacité à influer sur le coursdes choses est réduite économiquement. Le marché, considérécomme l'institution la mieux appropriée pour assurer ledéveloppement n'a pas fait mieux: la croissance n'a été ni par tousni encore moins pour tous comme on l'a vu, les ressources del'environnement sont en destruction croissante, les autres valeurssociales sont ignorées ou soumises à la loi de la croissanceéconomique et du profit, la fracture sociale et géographique est deplus en plus grande. La science, bien qu'ayant fait pourtant desprogrès considérables qui ont contribué à la croissance économiqueglobale, n'a pas pu guider le monde à éviter les maux évoqués ci-dessus. Dans cette perspective et pour ne prendre ici que le cas dela théorie du développement, cette dernière, en particulier dans sacomposante dominante, est restée préoccupée principalement àthéoriser l'existant et le dominant, sinon à en faire l'apologie, et n'adonc pas pu apporter l'éclairage souhaité aussi bien à l'analyse qu'àla pratique du développement. Elle s'est plus ou moins focalisée surles questions de croissance économique, voilant sa crise etescamotant en même temps la question centrale de développement.Le Sud ne pouvait en attendre salut. Réalités institutionnelles,économiques et sociales, processus et théories de développementsont donc en crise, et cela traduisait en fait la crise d'un modèle dedéveloppement.

Je rappellerai ici les caractéristiques actuelles du contexteéconomique mondial à l'aube du XXlème siècle comme analyséesdans le premier chapitre: dictature économique collective du Nordsur l'échiquier mondial, montée du néo-libéralisme conservateurqui fait que le développement n'est plus une catégorie dans lespolitiques économiques et sociales, ni dans le dialogue entrepartenaires, le sacre du principe de compétitivité sur le marchémondial comme seule planche de salut, lutte pour le contrôlescientifique et technologique entre puissants du monde, formationde grands ensembles régionaux actifs, marginalisation de l'Afriqueet insécurité humaine des pauvres.

Tout cela signifie absence de développement et des perspectivesde développement pour le continent. C'est dans ce contexte que

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l'Afrique dont le développement est en panne depuis longtemps,veut encore y croire, veut encore ouvrir le chapitre et engager sesressources pour son développement. Mais y a-t-il encore possibilitéd'une lutte porteuse pour le développement du continent? Si oui,pour quel développement? Celui qui est en panne depuislongtemps, soutenu financièrement par le SMD ou est-ce un autre?

2. Le concept de Développement Humain Durable (DHD)

Le concept de développement est l'un de ceux qui ont un statutthéorique ambigu, et les discussions et malentendus que l'onconnaît sur le plan théorique ou des politiques de développementsont dus souvent à cette ambiguïté. C'est pourquoi j'aimerai laclarifier d'entrée de jeu. Certes ce problème ne se pose pasvraiment lorsqu'il s'agit du "développement" d'un secteuréconomique ou d'une discipline scientifique. Mais lorsqu'il s'agitdu développement d'un pays ou d'une société, l'ambiguïté apparaît.

En tant que concept, le développement peut avoir un statutthéorique explicatif, il se réfère alors à un concret pensé, à unexistant dont il faut connaître les lois et mécanismes de fonctionne-ment actuels et futurs, et qu'il faut appliquer par imitation ouadaptation. Mais il peut aussi avoir un statut théorique normatif, etse réfère alors à des valeurs normes, à un idéal qu'il faut construireet dont il faut aussi définir les lois et mécanismes de fonctionne-ment ainsi que les pratiques qu'il requiert.

La théorie conventionnelle du développement qui a ététotalement dominante au cours de ces cinquante dernières années,et qui continue à bénéficier de l'appui aussi bien des analystes quedes praticiens du développement, est fondée sur la premièreappréhension du statut théorique du concept (explicatif). Lesapproches alternatives, dont le DHD se réclame, sont restéesmarginales, souvent sans appui des praticiens et souvent aussi,combattues comme théories - au sens péjoratif du terme - ou rêveset idéologies. Ces approches relèvent souvent de la secondeappréhension du statut théorique du concept (normatif).

Dans son dernier livre, Gilbert Rist synthétise bien la définitionde l'approche conventionnelle du développement et je le cite: "Ledéveloppement est constitué d'un ensemble de pratiques parfoiscontradictoires en apparence qui, pour assurer la reproductionsociale, obligent à transformer et à détruire, de façon généralisée,le milieu naturel et les rapports sociaux en vue d'une productioncroissante de marchandises (biens et services) destinées à traversl'échange, à la demande solvable."(G. Rist, 1996, p. 27)

On peut discuter cette définition ou certains de ses éléments.Mais elle renferme l'essentiel du discours dominant ou

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conventionnel sur la question: le développement c'est le dévelop-pement du capitalisme ou de l'économie libérale en Occident etdans le monde. Donc il existe déjà - en Occident sans doute -, et ilfaut simplement le comprendre, saisir les lois et mécanismes deson épanouissement ou de sa mondialisation, et enfin concevoir etmettre en pratique les politiques appropriées d'imitation oud'adaptation.

L'approche conventionnelle, en dépit de quelques variantesd'écoles ou de liturgies, peut être caractérisée notamment par le faitqu'elle est essentiellement linéaire, car pour elle, il y a un seulchemin que tous les pays devraient emprunter. L'enjeu pour ceuxqui sont en retard ou en arrière sur ce chemin est "de rattraper" lesautres ou du moins de s'accrocher à eux. Il s'ensuit que la meilleureapproche, ou la meilleure politique est de suivre les ingrédientspréconisés par ceux qui sont en avance ou en tous cas de les imiter.Les transferts de capital et de technologie - humaine et matérielle -sont considérés comme le principal moyen d'atteindre l'objectif derattraper .l'Occident ou d'améliorer sa position par rapport à cedernier. Etant donné que le regard est sur les autres, les pays "endéveloppement" sont encouragés à abandonner leurs coutumes ettraditions. Par ailleurs seul l'investissement et en particulierl'investissement en capital physique est la base du progrès, car ilassure la croissance économique, crée des richesses, ultime objectifdu développement. L'approche est essentiellement économique.L'investissement en capital humain apparaît plus tard, mais commecomplément indispensable de l'investissement en capital physique.

Le reste des préoccupations est considéré comme jouant un rôlesecondaire, ou plutôt comme devant découler de la croissanceéconomique et de l'investissement physique en capital. Enfin cetteapproche ne connaît en réalité que deux acteurs: l'Etat et bien sûrle marché, principal agent de la croissance. Elle ignore ou négligela société civile qu'elle subordonne aux besoins de développementdes deux autres acteurs.

Mais le paradigme de l'approche conventionnelle, sans changerde substance - "la croissance économique ou la création derichesses est l'objectif premier de développement comme le montrele modèle occidental" - a connu une évolution avec des phases quisont plutôt des nuances différentes, selon qu'avec l'expérience, letemps ou les stratégies du Nord, on voulait mettre l'accent sur unevariable ou une autre. Ainsi la croissance économique a étépréconisée d'abord à travers la croissance industrielle au cours desannées cinquante, ensuite à travers l'intensification agricole et ledéveloppement des infrastructures au cours des années soixante,puis en gardant la même perspective mais avec une certainesensibilité à la distribution de la croissance, notamment par la

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stratégie des besoins de base ou les préoccupations dedéveloppement rural intégré au cours des années soixante-dix. Aucours des années quatre-vingts, le néo-libéralisme triomphantatt:lena les politiques d'ajustement avec leur recettes classiques quel'qn connaît: privatisations, libéralisations, réduction du rôle del'Etat, gestion macro-économique presque dictée de l'extérieur,promotion des exportations.

Mais pour bien comprendre cette évolution et en particulier cequi est arrivé au cours de la décennie quatre-vingts, et plus tard aucours de la décennie 1990, il faut que je m'arrête un moment pourrappeler un aspect important de la stratégie de croissance, et lamise en œuvre du credo ou du paradigme conventionnel qui ontfait l'objet de la première partie de ce livre. Le marché reste aucœur du paradigme.

Au cours des décennies soixante et soixante-dix, toute tentativede s'écarter du marché, de prôner un modèle de développementautre que celui de l'Occident, et notamment toute tentative deplanification qui sentait le "socialisme," était combattue ou simple-ment découragée. Le développement en Occident est la résultantedes projets d'investissement individuels. En conséquence onconseilla plutôt le renforcement de la capacité d'analyse desprojets, sans autre perspective que celle microéconomique. Lescodes d'investissements et les commissions nationales qui en sonten charge naissaient ici et là non pas comme outils d'un développe-ment maîtrisé, mais plutôt comme grille de triage des investisse-ments pouvant bénéficier des avantages du code. Vendeurs de pro-jets d'investissements, de capitaux ou de technologies et conseillersen négociation de projets trouvèrent un nouveau marché fertile.

On loua les mérites du système: on crut apercevoir lesdécollages économiques ici et les miracles de développement là-bas. Mais le système commença à s'essouffler: les projets ne sevendaient plus bien, l'endettement devenait accablant pour nombrede pays, les exportations ne rapportaient plus assez, le bien-être despopulations n'était toujours pas au rendez-vous, les apparences dudéveloppement ne trompaient plus personne, et les voix humanisteset autres alternatives, marginales jusque-là, commençaient à sefaire entendre dans la dénonciation du modèle de développementen place. Des décennies de vente de capitaux, de projets d'investis-sements et de technologies dévoilaient leur véritable essence:commerce des apparences du développement au profit del'Occident. C'est dans ce contexte qu'il faut comprendre la stratégiedes décennies suivantes. Sans disparaître, la vente des projets doitfaire une importante place à une vision globale et sectorielle et sesituer dans cette vision. La prescription des politiques macro-économiques et sectorielles ouvre des perspectives nouvelles à la

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vente des projets certes, mais aussi à une autre catégorie de prêts etde déboursements rapides. De plus, elle oriente la marche dudéveloppement dans le sens souhaité et voulu par le paradigme del'approche conventionnelle, celui du SMD. Les politiques destabilisation et d'ajustement sont arrivées dans ce contexte.

Mais comme au Sud le développement n'est toujours pas aurendez-vous, et à l'exception de ses apparences ou de quelquesprogrès mineurs que l'on peut vanter ici et là, la décennie 90 vaconnaître un double concours de circonstances. D'une part lesconceptions humanistes plus sensibles à la dimension humaine etsociale du développement, au problème de l'emploi et de lapauvreté, et la persistance d'approches alternatives, minoritairesjusque-là aussi bien dans les pays en développement que surtout enOccident, créaient de courants de pensée auxquels on ne pouvaitplus ne pas être sensible face aux réalités. De l'autre, l'approcheconventionnelle elle-même en crise, se sentait interpellée et semettait à la recherche des raccourcis pour les éléments de lacritique qu'elle pouvait intégrer à ses canons et paradigmes de basequ'elle ne peut évidemment pas renier. La décennie 90 connut doncune certaine sensibilité à la question de la pauvreté et par là, à laqualité de vies humaines (M. Askwith, 1994). Le SMD n'a pasmanqué de récupérer dans son langage certains paramètresempruntés aux approches alternatives. Ce qui stratégiquement estde bonne guerre.

Les approches alternatives, généralement marginales ousimplement marginalisées, se servaient d'une part de leur analysede la réalité et de la critique qu'elles faisaient des échecs du modèleconventionnel, et de l'autre de leurs visions normes ou idéal dudéveloppement pour s'affirmer. Elles se caractérisent d'abord parleur reconnaissance de la diversité des chemins de développementque les pays peuvent emprunter, et non par la reconnaissance duseul capitalisme selon les lois et canons du marché. Cetteperception met l'accent sur la capacité à innover, à imaginerd'autres voies plutôt que sur la capacité à imiter l'Occident ou àintégrer son marché. Cette capacité à innover est bien entenduancrée dans l'expérience et les traditions des pays. Les approchesalternatives mettent la personne humaine au centre du processus dedéveloppement et privilégient ainsi les questions relatives àl'éducation et au renforcement institutionnel. L'atout majeur n'estplus le capital physique pour la croissance économique et lacréation de richesses, mais plutôt le capital humain et social. Dèslors le mode de gestion des affaires publiques ou de la cité, et leniveau de participation effective des populations à la réalisation deleur bien-être, et à l'amélioration de la qualité de leur vie entrentréellement en compte.

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Si chemin faisant certaines de ces approches alternativessemblaient apporter plutôt une différence de nuances ou d'accentssur certains éléments, à l'extrême il s'est avéré qu'il y avait réelle-ment une différence d'approche ou de perspective. Le concept deDéveloppement Humain ou si l'on veut de Développement HumainDurable ne le dit pas assez, mais en cherchant à produire unesynthèse nouvelle des approches alternatives en un concept intégréet cohérent, il ouvre bien sûr une inversion de la perspective.

On a vu que le monde d'aujourd'hui est fait d'énormes inégalitésdans les conditions de vie des êtres humains, et qu'il pèse de vraiesmenaces sur les perspectives d'avenir dans ces conditions de vie. Ils'ensuit qu'on ne peut identifier le développement du capitalisme audéveloppement d'un pays. Ce dernier est censé assurer le bénéficeéquitable des richesses produites à tous sans distinction de classe,de sexe, de race, de communauté ou de génération. C'est le refus deces discriminations et inégalités qui fonde la plupart des approchesalternatives qui prônent un développement qui doit être humain. Leprincipe de base de cette perception du concept est l'universalismedu développement. Voici deux siècles, Mary Wollstonecraftécrivait dans "Une revendication pour les droits de la femme, c'estde la justice que le monde veut et non de la charité." C'est ceprincipe qui s'applique ici en matière de développement. Ce dernierne peut être partisan, bien au contraire il doit bénéficier à tous lesêtres humains, et c'est le respect du principe de l'universalisme quipeut lui assurer une base durable dans un ordre social plus juste (S.Anand et A.K. Sen, 1994).

Il faut reconnaître que les préoccupations sur la dimensionhumaine du développement ne sont pas récentes dans la littératureéconomique. Elles sont presqu'aussi vieilles que la discipline elle-même. Mais c'est l'approche qui prônait la production marchandedes biens et services et la maximisation des richesses pour le payscomme paradigme de base, qui est restée dominante dans la penséeet a même été intensifiée par la suite. Les questions de privation etd'épanouissement de la vie humaine devenaient secondaires, ouétaient considérées comme pouvant être résolues d'elles-mêmes parla recherche de l'accroissement des richesses. D'où l'accent sur lePNB, la croissance économique, l'opulence nationale, etc. Il estvrai que la richesse est un facteur important qui peut contribuer aubien-être des vies humaines, mais il ne peut l'être qu'en conju-gaison avec d'autres facteurs qu'il ne faut pas négliger ni oublier.

C'est ici que la différence de nuance au début devientréellement une inversion de perspectives, ou du moins elle doitl'être. En effet, si l'approche conventionnelle se concentre surl'opulence et la maximisation de richesses comme paradigme debase du développement, la préoccupation centrale des approches

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alternatives est la qualité de la vie humaine de chacun. Dans sespremières expressions, cette préoccupation semblait être plus unedifférence d'accent à mettre sur l'une ou l'autre composanteimportante dans ce qui peut être considéré comme un mêmeparadigme de développement et les politiques afférentes, et nonvéritablement une inversion de perspectives. Les approcheshumanistes, l'école d'Amérique latine et autres courants prochesavaient amorcé des virages dans ce sens.

C'est dans le développement de ces approches alternatives quepresqu'à l'extrême le concept du développement humain,synthétisant tout le cheminement, propose une inversion deperspectives. Le principe guide de cette inversion est un retour àAristote. En effet, contrairement aux théoriciens ultérieurs - Th.Mun ou A. Lewis par exemple -, Aristote écrit que la richesse n'estévidemment pas ce que nous cherchons, car elle est sans aucundoute utile pour quelque chose d'autre que nous cherchons.L'inversion vient du fait que non seulement la qualité des vieshumaines n'est plus secondaire dans la problématique, ou plutôtqu'elle n'est plus considérée comme pouvant découler simplementdu parachèvement du paradigme de maximisation de la richesse, etque de ce fait la personne humaine n'est plus perçue avant toutcomme facteur de production pour la maximisation de la richessede la nation, bien au contraire c'est la qualité des vies humaines quidevient le paradigme central et la maximisation des richesses de lanation devient un facteur contribuant. Nous recherchons la richessepour un objectif et un idéal: l'amélioration de la qualité des vieshumaines. C'est en cela que le développement n'est ni économiqueni capitaliste, ni encore moins occidental, il est humain.

Mais les deux principes de l'universalisme du développement etde la richesse au service de la qualité des vies humaines requièrentque la même attention soit accordée aussi bien aux vies humainesactuelles que futures. Il n'y a plus d'universalisme si la qualité devie des générations actuelles est assurée au détriment desgénérations futures. Déjà dans le Rapport de la CommissionBrundtland intitulé "Notre Avenir Commun," la question de ladurabilité du développement était clairement réaffirmée et avecforce: répondre aux besoins des générations présentes sanscompromettre la capacité des générations futures de répondre auxleurs. Et ceci se réfère aussi bien aux capacités en termes deressources environnementales qu'en termes de ressourceshumaines. Le développement n'est durable que si les gens sontcontinuellement à même de prendre en mains leur propre destinée,actuelle et future. Or précisément le marché, le canon de base del'approche conventionnelle ne prend pas vraiment en c0!llptel'intérêt des générations futures. C'est là une des missions de l'Etat.

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Ce petit historique me permet maintenant de donner le contenudu concept de Développement Humain Durable (DHD) : c'est leprocessus de transformations économiques et sociales qui consisteà élargir les opportunités, les choix et les capacités despopulations qui constituent la société, à travers la formation ducapital social en vue de leur permettre de répondre aussiéquitablement que possible aux besoins des générations actuellessans compromettre ceux des générations futures. Cette définitionse situe donc dans le processus d'enrichissement et d'élargissementcritiques du concept de développement en lui apportant une visionintégrée pour rendre compte et de la réalité et de l'idéal dedéveloppement.

Le DHD est donc un développement centré sur la personnehumaine et l'amélioration de la qualité de sa vie, cette dernièredevant être équitable et durable sur le plan économique, social,politique et environnementaI. C'est un développement qui ne secontente pas d'engendrer la croissance et de maximiser la richessepour les pays, mais se préoccupe surtout d'en distribueréquitablement les bienfaits, qui régénère l'environnement au lieu dele détruire, qui offre un plus large éventail de choix et depossibilités aux individus et leur permet de participer aux décisionsqui influent sur leur existence, bref un développement quipréconise pour le présent comme pour le futur une croissanced'intégration sociale fondée sur l'emploi pour tous, et non unecroissance d'accumulation pour certains et de destruction d'emploiset d'environnement ou d'appauvrissement et de marginalisationsociale pour les autres.

Le DHD se caractérise ainsi par:- l'existence d'une aptitude des hommes et des femmes à opérer deschoix, et donc à participer à la prise des décisions qui ont une inci-dence sur leur vie;- l'existence de moyens permettant aux populations de travaillerensemble et d'agir de façon concertée;- une répartition équitable des fruits du développement;- et un système de production efficace et efficient pour les popula-tions présentes et celles à venir.

C'est en cela que le DHD est un processus de socialisation dudéveloppement, dans ce sens qu'il en élargit la base sociale.Permettez-moi de faire une remarque importante ici pour évitertoute interprétation équivoque. Le DHD, tout en préconisant cetteinversion d'approche ne prêche pas du tout le rejet de l'économielibérale. Celle-ci a fait connaître au monde des progrès immenseset autrement plus significatifs et rapides qu'aucune autre périodehistorique par rapport aux précédentes périodes: par exemple lemoyen âge par rapport à l'Antiquité, la Renaissance par rapport au

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moyen âge, etc. De ce fait certains des progrès ont contribué d'unemanière ou d'une autre à l'amélioration de la qualité de vie del'humanité. Mais celle-ci est apparue comme résultante de lapoursuite d'un autre objectif. L'inversion de la perspective dans leDHD consiste simplement, (i) à montrer les limites de l'approcheconventionnelle et notamment le fait que le développement dessociétés n'est pas réductible au développement de l'économielibérale, (ii) à s'inscrire en faux contre l'affirmation voilée ououverte de l'approche conventionnelle que le développement estcapitaliste et occidental, et surtout (iii) à changer de paradigme dedéveloppement en faisant du paradigme de l'approche convention-nelle plutôt un des moyens de réalisation du nouveau paradigme.

Ce retour à Aristote est aussi un retour à E. Kant d'une certainemanière. Ce dernier disait en effet qu'il faut traiter l'humanitécomme l'ultime fin en soi et non comme moyen seulement. Leprincipe d'universalisme requiert que cette conception soitd'application à toutes les personnes humaines sans distinction derace, classe sociale, sexe, nationalité ni génération. Même si ellessont aussi moyens de production, ce n'est pas ce qui est primordialen elles, c'est plutôt et avant tout leur personnalité humaine quiprime (S. Anand et A.K. Sen, 1994).

Tels sont la petite histoire, le contenu et l'apport du concept deDHD. Mais en le lançant, le PNUD ne prétend pas clore le débat.Bien au contraire il propose simplement une autre approcheautrement plus riche, et ouvre une autre perspective autrement plusstimulante aussi bien à l'analyse théorique qu'aux politiques dedéveloppement. Il est une invitation à un dialogue sur le dévelop-pement fondé sur d'autres canons et paradigmes. Les réunions, con-férences et publications comme celle-ci font partie de cette invita-tion. Je m'aligne bien dans cette approche et les luttes des pays afri-cains pour le continent du XXlème siècle devraient être orientéesvers la concrétisation de cet autre paradigme de développement.

Mais l'approche conventionnelle, celle du SMD, est encoretoute puissante. Elle domine et reste omniprésente dans la presse,les amphithéâtres, les travaux de recherche, les programmes decoopération, etc. et bénéficie de l'appui financier, politique et moraldes puissantes institutions bilatérales et multilatérales. Bien que sefaisant de plus en plus entendre, l'approche qu'implique ce conceptde développement humain est encore relativement marginale, etpour éviter sa récupération et son instrumentalisation au service del'approche conventionnelle soutenue par le SMD, il faut qu'ellecrée des courants de pensée à même d'influencer les politiques dedéveloppement.

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3. Les implications du paradigme

Renforcer les capacités des populations à saisir les opportunitéset choix qui se présentent à eux pour améliorer leurs conditions devie requiert qu'on investisse dans la santé, la nutrition et surtoutdans leur éducation. Cette exigence est non seulement importanteen elle-même de par le contenu du concept, mais elle est aussiimportante du point de vue instrumental, car elle augmente etrenforce leur capital humain, leur productivité et leur habilité àgénérer encore de revenus élevés dans le présent et le futur.Investir dans les services sociaux de base ou dans le dévelop-pement social en général et en particulier dans le développementdes ressources humaines devient ainsi une des implicationsmajeures de cette approche.

Mais les capacités individuelles ne peuvent être pleinementopérationnelles et porter le maximum de fruits aux individus dansleur quête d'une vie humaine meilleure, qu'en fonction de l'appuiinstitutionnel que la société leur offre. Les institutions socialescomprennent une vaste gamme qui couvre aussi bien la famille, lesystème d'éducation et de santé, que les diverses formes et modesd'organisation de la société civile par exemple. C'est de la complé-mentarité active entre les capacités des individus et l'appui desinstitutions sociales que dépend le succès des réalisations, d~sopportunités et des choix.' .

La deuxième catégorie d'implications veut que si le marché joueet devrait continuer à jouer un rôle important pans la création desrichesses - et il l'a montré historiquement -, l'Etat ne peut pas êtreréduit simplement au rôle de garant du plein jeu du marché sanspréoccupation ni responsabilité significatives dans l'améliorationde la qualité de vie humaine de ses populations. De même, lasociété civile n'est plus seulement un ensemble de consommateurs,mais un acteur actif dont le rôle politique, économique, social etculturel fait partie de l'équation du développement humain durable.Dès lors les questions de gouvernance, c'est-à-dire de gestion desaffaires publiques ou de la cité, avec ce que cela implique entermes de cadre politique, social, économique et culturel global, depouvoir et de capacité participative des populations aux tâches dedéveloppement et de leur appropriation de ce processus, lesquestions de démocratisation et de droits de l'homme - le droit àune meilleure qualité de vie n'est-il pas un des droits les pluslégitimes des populations -, toutes ces questions font partieintégrante du DHD.

C'est dire que d'autres ratiopalités et notamment celle du bien-être individuel et global dont l'Etat est responsable, et celle de sujetet acteur de développement qui incombent à la société civile sont

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au centre d'un autre partenariat, à la différence de la rationalité demaximisation du profit, de la croissance et de la production derichesses qui sont la prédilection du marché.

La troisième catégorie d'implications concerne les informations,valeurs et indicateurs de référence aussi bien pour l'analyse quepour la formulation et la mise en œuvre des polItiques de dévelop-pement. Des discussions importantes ont eu lieu et continuentencore entre spécialistes (économistes, anthropologues, sociolo-gues, philosophes et autres juristes), individuellement ou en tantque représentants des institutions, sur les valeurs et indicateursqu'il faut privilégier pour apprécier le progrès économique et socialet donc le développement d'une société. Le DHD privilégie lesvariables qui sont directement liées à la qualité des vies humaines,les distinguant des autres variables qui ont aussi leur valeur certes,mais qui ont plutôt une valeur instrumentale comme moyens pouratteindre d'autres objectifs ultimes. Il est donc utile de distinguerles caractéristiques qui sont intrinsèquement valables en elles-mêmes (la qualité de la vie qu'un peuple peut mener), de celles desvaleurs qui sont recherchées pour autre chose (la richesse et lerevenu par exemple).

Si la production de richesses et la croissance économique sontimportantes, elles ne le sont que comme moyens pour d'autres fins.Elles ne peuvent donc pas en termes de valeurs et indicateurs deréférence prendre la place de ces fins. Car ce qui est crucial pour laproblématique du développement humain, c'est ce qu'on fait de larichesse et du bénéfice de la croissance pour élargir et diversifier lechamp des possibles pour les populations. Et de fait la lecture duprogrès des pays par l'appréhension de la qualité de vie despopulations que préconise l'approche DHD montre précisément,que ce ne sont pas nécessairement les pays à haut revenu parhabitant - valeur et indicateur que privilégie l'approcheconventionnelle -, qui ont les meilleures performances en termesde développement humain.

Enfin l'autre implication, liée aux précédentes, concerne laplace de ce qu'on peut appeler la "dimension socio-institutionnelledu capital social" dans cette approche. Si l'approche conven-tionnelle privilégie le rôle du capital physique dans la croissance,le DHD tout en insistant sur le rôle des autres formes de capital -naturel, humain et institutionnel- qu'il faut aussi renforcer, met àl'avant-plan une autre dimension liée à la structure des relationsentre acteurs, comme formes volontaires de régulation sociale,comme engagement moral qui soude une société et en constitue lesubstrat social au nom duquel la collectivité fait des décisions, etau nom duquel les acteurs entrent en interaction dans l'intérêt de lacommunauté. Cette dimension du capital social assure l'interaction

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aussi bien intra-génération qu'inter-génération, et elle se réfèrenotamment aux traditions et à la culture, c'est-à-dire aux valeursidentitaires qui régentent les rapports des membres de la sociétéentre eux et avec la nature, et aussi entre eux et les générationspassées et à venir, et qui permettent ainsi d'enraciner la dynamiquedu DHD dans une socIété.

C'est en cela que la culture, en tant que mode d'appréhension etd'utilisation des valeurs d'usage et des valeurs marchandes dansune société, revêt toute son importance dans la dynamique dudéveloppement humain. Elle n'est pas un secteur à côté d'autres etqu'on "valoriserait" ou "développerait" pour les besoins de touris-me ou de conservation muséologique. Elle est le système de va-leurs de référence par lequel on appréhende les transformationséconomiques et sociales impliquées par le développement humain,et de ce fait, elle est le mode ou le filtre de leur intégration dans ladynamique de la société. Sans cette dialectique, les apparences dudéveloppement resteront apparences, c'est-à-dire du vernis sur unsocle culturel tout à fait différent. Il n'y a pas pour l'Afrique, dedéveloppement en apparence, mais le besoin d'une intégration desprogrès humains dans le monde et le système de valeurs culturellesafricaines.

Je dois donc dire à ce niveau qu'un conflit de systèmes devaleurs peut exister, et souvent il apparaît effectivement, entredeux paradigmes de développement, mais cela ne veut pas dire quel'Afrique a des valeurs culturelles qui la poussent à refuser ledéveloppement, parce que ce dernier n'est pas synonyme de l'occi-dentalisation.

Comme on peut s'en rendre compte, sans le capital social, enparticulier dans sa dimension socio-institutionnelle, les autresformes de capital: physique, humain, institutionnel ou environ-nemental ne peuvent être maintenues ni utilisées proprement.L'expérience africaine en témoigne d'ailleurs quotidiennement. Lalittérature conventionnelle prêchant surtout pour le douteuxrattrapage du Nord par l'imitation des pratiques institutionnaliséesdans les pays industrialisés, a accordé peu d'attention à cette formede capital, comme si l'environnement socio-institutionnel et lecontexte historique du développement étaient les mêmes.

Tel est le contenu et tel est le contour d'un paradi~me alternatifde développement pour lequel l'Afrique du procham siècle doitlutter. On ne le répétera jamais assez: il n'y a pas de pensée uniqueen matière de voie de développement. Après quarante ans dedéveloppement assisté conformément au paradigme conventionnel,il est plus que temps que l'Afrique s'imagine et conçoive d'autresvoies de développement, et qu'elle lutte pour se faire entendre, etfaire accepter son droit légitime à le faire.

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Les progrès de cette approche alternative peuvent être appré-hendés et même mesurés conformément au système de valeurs dece paradigme. Les rapports du PNUD proposent des indicateurscomposites à partir des valeurs considérées comme fondamentalesdu point de vue du développement humain dans toute société:mener une vie longue et en bonne santé, acquérir une instruction etdes connaissances de base, et avoir accès aux ressources néces-saires à un niveau de vie décent.

Certes l'appréhension du développement humain et des progrèsdans ce domaine va au-delà de l'utilité d'un indicateur compositecomme l'Indicateur du Développement Humain (IDH) dont la baseest relativement étroite du fait d'être limité à trois composantes,même si elles reflètent trois opportunités fondamentales dans unesociété. C'est pourquoi il faut tenir compte d'autres informations,facettes qualitatives et instruments de mesure existants ou àdévelopper, dans la perspective d'une autre échelle de valeurs pourl'appréhension de la qualité de la vie et du bien-être des popula-tions africaines au prochain siècle.

Il appartient donc aux Africains eux-mêmes: décideurs gouver-nementaux et privés, chercheurs, analystes et enseignants, acteursdu développement à différents niveaux ou d'autres personnes quipartagent l'approche de cet autre paradigme de développement, decontribuer à l'enrichissement de son approche, des stratégies ouprogrammes de sa mise en œuvre, et donc de ses instruments demesure. Il appartient aux Africains d'en être les fervents avocats ycompris devant les partenaires de développement pourtantpuissants représentants et défenseurs acharnés de l'approcheconventionnelle, c'est-à-dire du paradigme de tout marché.

En 1994, l'Assemblée Générale des Nations Unies, enapplication d'une résolution prise un an auparavant, organisait desjournées de discussions ou réflexions appelées ''Auditions mondia-les sur le développement". Ces journées partaient du constat que ledéveloppement était en danger de disparaître de l'ordre du jourplanétaire depuis la fin de la guerre froide. L'approcheconventionnelle soutenue notamment par le SMD parle plus ducommerce et des affaires que du développement. Le souci était nonpas seulement de remettre la question du développement à l'ordredu jour mondial, mais aussi de forger un consensus sur une visiondu développement qui privilégie la croissance et le développementau service des populations et non l'inverse.

Le président de l'Assemblée Générale d'alors exprimait lapréoccupation des Nations Unies en insistant sur le besoin d'undéveloppement qui mette au premier plan les possibilitésindividuelles en matière d'éducation, de santé, de choix d'emploi

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pour la réalisation du potentiel humain, et qui doit se traduire parde meilleures conditions de vie pour les individus.

Les auditions mondiales étaient à la recherche d'idéesnovatrices ou neuves pour faire avancer une nouvelle campagnevers une stratégie de développement pour l'an 2000 et au-delà.L'invitation était faite à toutes les personnes et institutionsintéressées et à même d'y apporter une contribution. Cetteinvitation reste toujours d'actualité.

Mais cet appel s'adresse surtout aux pays et aux populations lesplus concernés, et parmi eux les Africains, afin qu'ils mobilisent lesforces conceptuelles et opérationnelles en faveur d'un autredéveloppement. Car le développement des pays du Sud dépendavant tout de leurs propres efforts et il est de leur responsabilité.Cette responsabilité est donc double: à la fois conceptuelle etopérationnelle. La mise en œuvre d'un autre modèle ou d'une autreapproche de développement ne peut se faire qu'en rapport, ou avecl'éclairage d'un autre cadre conceptuel que les analystes, lespraticiens et les décideurs, ont la responsabilité de développer enAfrique. Cela fait partie de la lutte pour une autre Afnque duXXlème siècle.

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CHAPITRE VIII:ET AVECQUELLE STRATÉGIE?

Le XXIème siècle n'arrive pas que pour l'Afrique, il arrive pourtous les continents, pour les grands ensembles régionaux et pourtoutes les firmes transnationales. Chacune de ces entités s'y prépareet élabore sa stratégie de J11anièreconséquente. Le Consensus deWashington et le Forum Economique Mondial de Davos notam-ment font partie de cette logique. C'est que le SMD n'y échappepas, il prépare aussi le XXIème siècle.

Par ailleurs, la réalité de la mondialisation est là, et même si ellen'était pas inévitable, elle est historiquement présente et il faut faireavec. Nous avons vu que dans sa forme néo-libérale dominante, elleest un double processus de polarisation et d'intégration économique,politique et même sociale et culturelle. Mais elle est aussi et de ce faitun processus d'attelage et de mise au pas de l'Afrique à unedynamique dont elle ne tire pas grand profit en termes de progrèséconomique et social, donc de développement humain.

Nous avons vu aussi que la mondialisation amène avec elle unautre processus, celui de lutte et de compétition entre puissants duSMD autour des enjeux des marchés, des technologies de communi-cation, des ressources de la nature et de l'environnement en général,de l'électronique et de l'espace, dans lesquels l'Afrique n'a presquepas de mot à dire. Comme on dit, quand les éléphants du SMD sebattent, et il arrive qu'ils se battent, c'est l'herbe africaine qui en pâtit.

Dans ce contexte, y a-t-il quelque chose, une stratégie quelconquepour l'Afrique de demain? Faudrait-il lutter pour détruire le SMD ousimplement se soumettre entièrement aux lois de fonctionnement desa machine, sous prétexte que c'est la seule voie de salut? L'Afriquen'a pas les moyens de la première option stratégique, et ce serait uneignorance coupable de la réalité des choses. La deuxième option estcatastrophique pour le continent et l'expérience des quarante ans dedéveloppement le montre, malgré les chansons et sermons répétés duSMD.

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Entre les deux extrêmes, il y a sans doute un chemin possible deconstruction d'une autre voie de développement et d'un autrepartenariat, pour un rôle plus porteur en terme de développementhumain, et une place significative pour l'Afrique de demain surl'échiquier mondial. En fait n'est-ce pas ce que la Chine essaie defaire, avec sans doute les moyens à sa disposition?

De ce fait, la définition de la place de l'Afrique et des objectifs deson développement au XXIème siècle doivent tenir compte non passeulement des ambitions et objectifs de développement humain ducontinent, mais aussi de la volonté politique et des politiqueséconomiques des principaux partenaires de l'Afrique, qui marquentl'évolution de l'économie mondiale. En effet, les pays et à travers euxles continents sont en train de se positionner en vue du rôle qu'ilsentendent jouer sur l'échiquier international au siècle prochain. Lapréparation du développement à long terme de l'Afrique doit donctenir compte du devenir de l'Europe, principal partenaire économiquedu continent, de l'Amérique et en particulier de l'Amérique du Nord,mais aussi de l'Amérique du Sud et de l'Asie, tel que ce devenir sedessine aujourd'hui au travers des redéploiements en cours.

En d'autres termes, dans l'interdépendance à la fois inévitable etindispensable des continents au prochain siècle, il faudra convenir durôle de l'Afrique, un rôle de développement et non d'appendice del'économie mondiale. Par ailleurs c'est le contenu de ce dévelop-pement qui peut indiquer ou guider le choix des stratégies et autresinstruments politiques appropriés.

C'est pourquoi il faut préciser les objectifs et les enjeux dudéveloppement humain pour l'Afrique de demain, avant de donner lesgrandes lignes de la stratégie de construction d'une telle voie dedéveloppement dans le contexte de la transition vers le XXIèmesiècle.

1. Quel développement humain pour l'Afrique dedemain?

Les grandes lignes et le contenu général de ce paradigme ont étéanalysés au chapitre précédent. Il s'agit maintenant d'en préciser lesobjectifs et les enjeux pour l'Afrique avant de formuler les axes d'unestratégie de développement humain pour le prochain siècle.

Les objectifsCompte tenu des caractéristiques économiques et socio-politiques

du modèle actuel du développement en Afrique, les efforts pourl'Afrique du XXlème siècle doivent viser non pas seulement la sortiede la crise actuelle, mais plutôt poser les fondements d'un autremodèle de développement économique et social endogénéisé, c'est-à-

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dire basé sur une fonction d'accumulation interne consciente solide, etsur un élargissement de la base sociale du développement. Il s'agit làde deux principes-guides pour la défmition du développementhumain de l'Afrique au XXlème siècle.

L'internalisation de la base d'accumulation signifie, que lafonction principale se réalise sur le marché national, sous-régional ourégional, et que les secteurs bases de l'accumulation sont en rapportnon pas d'extorsion de valeurs, mais d'échange de surplus avec lesautres secteurs en vue d'assurer un développement soutenu.

L'élargissement de la base sociale du développement signifie, nonpas seulement l'établissement des mpports d'accumulation consciente,c'est-à-dire d'échanges de surplus entre les différentes composantesde la population au travers des secteurs économiques et sociauxqu'elles représentent, mais surtout leur pleine participation auprocessus du développement, aussi bien dans sa dimensionéconomique que sociale et politique pour leur plein épanouissement.

Mais ceci implique qu'un troisième principe, bien préalable etd'exigence permanente soit suivi et respecté: c'est celui de la paix etde la sécurité physique et politique des populations et des pays enAfrique.

Basés sur ces principes, les objectifs du développement ducontinent au prochain siècle sont les suivants:La construction de la paix et de la stabilité politique

Avec huit millions de réfugiés, l'Afrique est le continent le plusaffecté par les conflits armés, d'origine interne pour leur majorité,mais avec quelques cas d'origines externes. Les effets dévastateursde ces conflits sur le développement humain sur le continent sontinnombrables. Ils affectent la vie économique, le progrès et le bien-être social, ainsi que l'environnement, et mettent en danger ledevenir des peuples, des pays et des régions entières en Afrique.

La mondialisation du crime a sans doute sa part de responsabilité,mais c'est qu'elle a exploité des faiblesses et des ambitions internes.Par ailleurs les récents événements en Europe Centrale, notammenten Bosnie et au Kosovo ont montré que pour les puissants de cemonde, moins d'un million d'habitants en Europe, pesaient de loinplus que des dizaines de millions d'Africains. Jamais une mobilisationsemblable n'a vu le jour pour mmener la paix en Affique.

C'est dire que les Africains doivent prendre sérieusement cettequestion en mains et se mettre à la tâche de prévention, de gestion etde résolution des conflits qui les affectent, que ceux-ci soient internesou externes. La paix et la stabilité politique en Affique sont à la foisobjectif premier et enjeu stratégique incontournable pour le continentd'aujourd'hui et de demain. Aucun autre objectif de développementhumain durable en Affique ne peut être raisonnablement envisagé, etencore moins réalisé sans le préalable de la paix et de la stabilité

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politiques. Car comme dit plus haut, le processus politique dedéveloppement est premier alors que le processus technique, bienqu'important, est second.Une croissance économique auto-entretenue et endogène

Une telle croissance repose sur des ressorts internes qui sont dessecteurs tournés vers les marchés locaux et/ou régionaux.

Ce qui exige d'une part, la transformation et la réorientationprofonde des structures de production (dans l'agriculture, l'industrie,les mines, les infrastructures économiques et sociales), de celles deconsommation, et enfin des capacités humaines et institutionnelles enAfrique.

Ce qui exige d'autre part, que les pays africains soient toujourscapables d'identifier et de privilégier dans leurs politiques dedéveloppement, les secteurs porteurs de la croissance à chaque étapehistorique du processus du développement, compte tenu del'évolution économique et sociale dans le monde, et en particulier duprocessus de mondialisation.

Il ne s'agit certes pas de prôner ici une voie de développementautarcique africaine. L'interdépendance est inévitable et indispen-sable. Mais il n'y a interdépendance que s'il y a un certain degréd'autonomie. L'Afrique du XXIème siècle ne peut plus compter surl'avantage comparatif des matières premières que la technologiemoderne remplace de plus en plus, ni continuer à être simplementconsommatrice d'une technologie et des biens et services venusd'autres continents, et qu'elle sera de moins en moins capable depayer. Et elle ne peut pas non plus se condamner à une sous-utilisation de ses propres ressources naturelles et humaines. Sansabandonner la fonction d'exportation, l'Afrique doit parvenir à lamaîtrise de cette dernière dans l'optique du renforcement de l'endo-généité et de la socialisation de son développement.L'amélioration du bien être des populations et la lutte contre lapauvreté.

Le degré de pauvreté réelle en Afrique, dans l'entendement que leRapport Mondial sur le Développement Humain lui donne, estbeaucoup plus élevé et plus profond que ne le laisse entendre lesmoyennes nationales de PNB par habitant. Par ailleurs l'Afrique est leseul continent pour lequel la pauvreté s'annonce grandissante pour lesiècle prochain.

C'est pourquoi l'exigence de l'équité dans la croissance en Afriquen'est pas une simple préoccupation de charité ou de mouvementdémocratique à la mode. C'est le contenu et l'essence même dudéveloppement humain durable, c'est-à-dire sa finalité ultime.

Les transformations qu'il exige portent non pas seulement surl'internalisation économique du développement, mais aussi sur les

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structures socio-politiques correspondantes. Le drapeau du nouveaumodèle de développement ne peut plus être porté par le même typede complicité socio-politique que celui du modèle actuel. La luttepour la qualité de la vie des populations en dépend. C'est à ce titreque la couverture des besoins économiques, physiques (alimentation,habillement, logement...) et sociaux (éducation, santé et nutrition, eaupotable et assainissement, emploi) de base peut être assurée à lamajorité de la population.

Ce faisant, il faut en même temps réussir l'élargissement de labase sociale du développement. Ce qui signifie d'une part que lacroissance soutenue doit être l'affaire de tous, communautés de baseet directions administratives ou politiques, monde rural et urbain, Étatet opérateurs privés. Chaque catégorie doit être partie prenante et sesentir concernée. Ce qui signifie d'autre part que la société met enplace des mécanismes de libération de la pensée et de la parole, desuppression des obstacles et autres facteurs de paralysie de lacréativité des individus et des communautés, et de décentralisationéconomique et politique.

Les enjeuxLa mise en œuvre d'un tel processus de développement passe

toujours par le relèvement de certains défis qui pèsent sur ce typede dynamique, mais qui constituent aussi des victoires quel'Afrique doit remporter sur elle-même. Ce sont les enjeux à longterme du développement du continent. Parmi eux on peut citer lesprincipaux suivants:Une croissance démographique vertigineuse

La croissance démographique de l'Afrique - qui se situe à quelque3% par an y compris pour les premières décennies du siècleprochain -, est une voie à double sens. Dans son sens aller, elle estporteuse de progrès économique et social, car par définition lacroissance de la population est une exigence pour le développement,et elle est synonyme d'augmentation de bras pour la production etd'élargissement du marché pour les producteurs, indépendamment deleur qualité. Dans son sens retour, elle constitue un frein àl'augmentation de la part de chacun si la croissance économique n'estpas plus élevée, car elle augmente les bouches à nourrir et mobilisede ce fait une partie de l'énergie de la société qui devrait êtreconsacrée aux autres tâches de production. Par ailleurs elle représentedans les conditions actuelles de pauvreté, une menace pourl'environnement, et accélère la croissance urbaine avec sa cohorte deproblèmes sociaux et d'exigences en investissements.

Mais toute médaille a son revers et il faut éviter de ne voir que leretour de la voie. La densité démographique de l'Afrique même par

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superficie de terre arable n'inspire aucune inquiétude par rapport auxautres continents. C'est pourquoi ce serait une erreur de généraliserpour le continent un raisonnement de type statique: "la croissance enAfrique n'atteindra jamais X%, donc la part de chacun va diminuerparce que la population croît de Y%. En conséquence au lieu de jouersur la croissance de la production et les autres variables dudéveloppement, il faut plutôt procéder à la réduction de la populationpar les différentes techniques de contrôle des naissances ou autresmoyens similaires." Il est vrai comme dit plus haut que le SMD apeur de l'augmentation des pauvres en Afrique et il a raison. Maisl'Afrique non plus ne doit pas continuer à en produire davantage.

L'enjeu pour l'AtTique, c'est de trouver et gérer l'équilibrenécessaire entre l'exigence pour le développement que lui impose lacroissance démographique, et la maîtrise de l'accroissement de lapauvreté ou mieux l'élimination de cette dernière, et ce, à chaquephase de son développement. Car si la croissance démographique estune exigence de développement, le développement lui, est porteur decontrôle sinon de limitation des naissances.

II n'y a donc pas de généralisation abusive à faire, mais il fautplutôt examiner attentivement dans chaque pays et surtout danschaque sous-région, les voies et moyens de maîtriser cet équilibre.Sinon au rythme où vont les tendances de croissance de ces deuxvariables, l'Afrique est réellement menacée de famine et de misèregénéralisée. D'où la nécessité pour chaque pays, de se défmir unepolitique et des programmes conséquents en matière de population, etd'en assurer l'exécution en vue de respecter l'équilibre et d'éviter toutdérapage dangereux.La bonne gouvernance et la démocratisation de la société

Une des leçons majeures à tirer de l'évolution de la situationsocio-économique en Afrique, corroborée d'ailleurs par celle des paysde l'Est européen et aussi sur d'autres continents, est que la "bonnegouvernance" et la démocratisation de la société sont non seulementune exigence du développement, mais qu'elles en font partieintégrante. La socialisation de la base du développement ne peut secomprendre autrement.

Comme expliqué au chapitre V, je distingue ici le processusactuellement en cours en AtTique dont l'essence est plutôt ce quej'appelle "la gouvernance et la démocratisation de l'ajustement," et leprocessus de "socialisation du développement," utopique sans doutepour certains, mais que je considère alors comme l'essence de ladémocratisation de la société dont il est question ici.

Si les deux processus peuvent avoir des ressemblances, ils sontcependant bien différents. Dans le premier cas, l'acceptation plusapparente que réelle du pluralisme politique, syndical et médiatiqueest plutôt de l'adaptation ou de l'uniformisation des systèmes socia-

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politiques à la mondialisation de l'économie. La logique est ceUe dumaintien et de la consolidation du modèle actuel de développement,axé sur l'intégration dans les échanges mondiaux dont on ne contesteni la nature ni les formes. Le pluralisme tel qu'il s'implante dansbeaucoup de pays afticains aujourd'hui, semble être destiné à donnerà certains l'occasion de se défouler, et aux. autres l'illusion departiciper au processus de prise de décisions de politique économiqueet sociale, et donc de se sentir engagés et aux dirigeants la légitimitéqu'ils veulent avoir.

Dans le deuxième cas, la logique du processus donne priorité auxintérêts de la collectivité nationale ou sous-régionale, impliquant unesoumission des rapports avec l'extérieur aux priorités nationales ousous-régionales, le dialogue social collectif et permanent entre lesprincipaux intérêts des groupes composant la collectivité, et surtout laresponsabilité du pouvoir à tous les niveaux vis-à-vis de lui-même etde ses mandants (PNUD, 1991).

La notion de "gouvernance", avec ce qu'eUe implique dans lanature et l'organisation du pouvoir politique et de ses institutions, laqualité et le rôle de ses instruments, ainsi que la nature et le mode defonctionnement des relations de partenariat entre les sociétéspolitique et civile, doit être comprise et mise en œuvre dans cedeuxième sens et non dans le premier tel que prôné comme nouvellerecette du SMD.La science et la technologie

Le développement repose sur le savoir et le savoir-faire, ainsi quesur les progrès réalisés dans ce domaine. C'est en cela que la maîtrisede la science et de la technologie constituent une clef pour ledéveloppement à long terme de l'Afrique. La science et la technologiene sont pas un luxe pour le continent. Elles ont un rôle décisif à jouerpour l'Afiique de demain, en tant qu'instrument indispensable etlevain dans tout processus de développement.

L'endogénéisation de la dynamique du développement passe parcelle de la science et de la technologie. Il s'agit pour l'Aftique non passeulement de se tenir informée des progrès scientifiques ettechnologiques réalisés ailleurs, mais surtout de maîtriser laconnaissance de ses propres problèmes de développement. Mais ils'agit aussi pour l'Aftique, de mettre régulièrement au point desinstruments techniques adaptés à cet égard, et de savoir s'investir demanière stratégique dans les technologies du futur pour la solution deces problèmes à chaque étape du processus de développement.

C'est ici qu'apparaît l'étemel problème de la division internationaledu travail qu'il ne serait ni utile, ni réaliste d'ignorer ou oublier. Eneffet, l'Afrique ne peut assurer son développement en restantmaintenue dans un rôle qui la rend de plus en plus receveur et demoins en moins donneur de quelque chose d'indispensable, qui fait

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d'elle réellement un partenaire des autres continents. Et l'Afrique nepeut jouer un tel rôle, ou se fi'ayer un chemin vers ce rôle, que si elles'investit dans le développement de la science et de la technologie.

Il ne s'agit certes pas de demander simplement aux partenairesindustrialisés de l'Afrique de lui réserver une place ou une fi'actiondéterminée des activités économiques "développantes" ou considé-rées comme telles. Le continent doit plutôt déployer des efforts pours'assurer une place de partenaire et non d'enfant porté au siècle pro-chain. Ce qui implique que l'Afrique développe son génie créateur,pour s'affirmer comme donneur et partenaire indispensables, par lavalorisation de ses nombreuses et diverses capacités naturelles ethumaines.

D'où la nécessité pour l'Afi'ique de s'assurer des secteurs ouchamps de compétitivité internationale pour le futur, par desinitiatives dans des domaines qui sont à sa portée, en termes deproduits ou de savoir-faire, aussi bien pour défendre et développerson marché intérieur que pour avoir accès au marché extérieur.

L'enjeu de la science et de la technologie est primordiale pourl'Afrique. C'est pourquoi il faut revoir la maigre place que les paysafi'icains dans leur ensemble réservent à la recherche scientifique ettechnologique. C'est pourquoi l'Afrique doit être capable de lancerdes programmes significatifs de promotion de la science et de latechnologie au service du développement, soit au niveau national,soit surtout au niveau sous-régional et régional. Bien que l'expérienceen cours avec les institutions régionales de recherche technologiquede la CEA soit décevante en termes de viabilité et de valorisationnationales ou régionales de leurs produits (cas du Centre RégionalAfricain de Technologie (CRAT) à Dakar ou de l'African RegionalCenter for Development Management (ARCEDEM) à Ibadan), ils'agit là d'un domaine où la coopération interafricaine doit sedévelopper à l'avenir.L'environnement

Une des batailles qu'il faut engager et gagner est celle de lagestion maîtrisée de l'environnement. Il s'agit d'assurer la protectionde l'environnement et de la régénération des ressources naturellespour les générations actuelles et futures. L'Afrique est immensémentriche d'une faune et d'une flore exceptionnelles qui en font uneréserve pour l'Humanité. Les ressources naturelles de l'environne-ment sont à l'Afrique ce que la forêt est aux peuples chasseurs, larivière aux peuples pêcheurs et le grenier aux peuples agriculteurs.Les détruire ou les laisser détruire revient à détruire et le cadre de viedes peuples africains, et la base première de tout effort dedéveloppement qui se veut durable sur ce continent.

Cependant, l'accroissement démographique dans la pauvreté estune menace pour l'environnement. Car la destruction de

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l'environnement n'est pas seulement un problème d'ignorance oud'imprudence, c'est surtout une conséquence de la lutte quotidiennepour la survie. Or l'environnement africain doit être une sourceinépuisable de la vie, et de la vie de bonne qualité.

Et ce n'est pas par la création des parcs et réserves, la mise enœuvre des règlements et autres appareils policiers de protection pourles besoins du tourisme, de la science ou de l'amour de la natureseulement, que l'on peut sauvegarder l'environnement et assurer la vieaux génératiOns futures en Afrique, si les générations actuelles sontcomplètement démunies et condamnées à surexploiter l'environne-ment. Mais c'est plutôt en assurant à ces dernières, ou mieux en lesengageant dans un processus de croissance soutenue et équitable, quele discours sur la protection de l'environnement peut réussir.L'Afrique de demain sera nue au propre comme au figuré si une tellecroissance n'est pas réussie aujourd'hui.

Le domaine de l'environnement est l'un de ceux où l'interdépen-dance internationale doit être réaffirmée avec force. Car contraire-ment à la politique de déculpabilisation du SMD qui fait reposer laresponsabilité de la détérioration de l'environnement africain sur lesseules épaules des Africains, le monde industrialisé partage large-ment cette responsabilité. Cette dernière apparaît aussi bien dansl'exploitation de type pillage qu'il fait des ressources naturelles du solet du sous-sol en Afrique, dans la tendance à faire de l'Afrique unepoubelle internationale, que dans la pollution et les autres perturba-tions qu'il cause à l'environnement, tant sur le territoire des paysindustrialisés eux-mêmes que sur celui des pays africains.

Faut-il rappeler ici que dans la compétition pour le contrôle desressources de la nature, l'environnement reste un des secteurs clés dudevenir du monde au XXIème siècle, et qu'en conséquence l'Afriquequi en est si bien pourvue, devrait avoir la maîtrise de la gestion decet enjeu du développement.

2. Esquisse d'une stratégie de développement pour leXXIème siècle

Atteindre au siècle prochain le développement humain dont lecontour et le contenu sont ainsi définis, et en maîtriser les enjeux, estla question de base de toute stratégie autonome. La présente sectionva en présenter les éléments, discuter de ses moyens et en examinerle mode de gestion.

Les éléments composants

Les éléments transversaux de la stratégie.(i) Une insertion maîtrisée dans le processus de mondialisation.

La préoccupation stratégique de base à cet égard consiste à établir

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et conserver une certaine autonomie dans le partenariat avec le Nord,y compris les institutions et les entreprises multinationales par letruchement desquelles le Nord exerce sa domination sur le Sud engénéral. Il s'agit de construire cette autonomie, en particulier enmatière de contrôle du secteur et des flux financiers d'une part, et del'autre, dans la transformation des structures économiques et socialesnationales, notamment par les mécanismes de coopération régionale,de contrôle du commerce extérieur et des mouvements des capitaux,et cela en minimisant les effets négatifs des facteurs extérieurs.

Les axes prioritaires d'une telle stratégie comprennent (W. Bello,1999)notamment: .

- le besoin de fonder la croissance économique essentiellement surles ressources et les investissements internes;-la nécessité de fonder les politiques de croissance non sur lessecteurs d'exportation vers des marchés mondiaux si instables, maisplutôt sur les secteurs orientés vers les marchés intérieur et régional;-l'objectif de croissance certes, mais surtout d'équité et de pérennité,bref du développement humain durable pour les populations ducontinent, comme paradigme de base qui dicte les choix despolitiques d'insertion dans la mondialisation, et l'ordre prioritaire desséquences de cette insertion. Bello appelle cela un "modèle de dé-mondialisation limitée", ou plutôt de déconnexion limitée de lamondialisation.(ii) Une gestion publique saine et efficiente

Le développement est un processus daJ)s lequel public et privésont partenaires. Mais dans la mesure où l'Etat est responsable aussibien de l'orientation de la société que du cadre des activités dedéveloppement, sa propre gestion est d'une importance particulièrepour ces activités. ~i l'efficience du privé est essentiellementfmancière, celle de l'Etat, tout en étant essentiellement sociale, nedevrait pas inutilement porter préjudice à la première.

, Dans cet ordre d'idées, deux principes peuvent guider l'action del'Etat au niveau technique: un minimum de discipline de l'entrepriseprivée dans le secteur public, et l'instauration d'une administration dedéveloppement (à la fois partenaire et guide de l'administré) et nonessentiellement de police politique, économique, fiscale ou juridiquecomme aujourd'hui.

Au-delà de ces deux principes, cet élément de la stratégie couvretrois composantes: le rapport public/privé qui a une portée politique,l'accroissement de la production et de la productivité, et l'allocationdes ressources.

En ce qui concerne la première composante, il faut noter d'abordque le développement d'un pays ou d'un continent n'est pas réductibleau développement des affaires dans ce pays ou ce continent: les deuxsont souvent en conflit sur nombre de paramètres importants du

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développement économique et social. Par ailleurs, le développementest d'essence politique, et il a une connotation volontariste qu'il seraiterroné de perdre de vue, pour en faire simplement une résultante dumarché. C'est pourquoi il ne peut être question de généralisationabusive du principe du tout marché comme voie unique dedéveloppement sûr et durable. Le marché a d'ailleurs prouvé lecontraire. C'est dire qu'il faut être à l'écoute du marché sansnécessairement le suivre à la lettre. L'exemple d'une croissancesoutenue, avec un taux supérieur à 10% que la Chine réalise depuisplusieurs années consécutives, en maintenant son orientationd'économie de marché socialiste, devrait pouvoir inspirer nombre dedécideurs en Afiique. Et aucun puissant du Nord n'ira imposer desprogrammes d'ajustement à la Chine même s'il veut prêter de l'argentà ce pays. Il n'y a pas de raison de penser qu'une Afrique unie nepuiss~ pas avoir les mêmes performances.

L'Etat est en effet garant de l'intérêt général et de ce faitresponsable du cadre de développement économique et social d'unpays. Le privé ou le marché ne sont pas porteurs de développementpar vocation, mais y concourent dans certaines conditions. Dansd'autres ils sont créateurs de,pauvreté, de chômage, de sans logis, etc.Du reste l'intervention de l'Etat a été déterminante dans la prospéritédu privé sur d'autres continents, y compris les nouveaux Étatsindustriels de l'Asie aujourd'hui présentés comme modèles. Lesformes et modalités de cette intervention (subventions, détaxations,protection...) pour assurer un marché aux privés nationaux et garantirleur promotion, ont varié selon les périodes, m~is il n'y a pas deraison de les interdire systématiquement aux Etats africains. Larégulation économique et s9ciale ne devrait pas être laissée aux règlesdu marché. Du reste c'est l'Etat qui sauve le marché lorsque la folie defonctionnement de ses r~gles le conduisçnt aux crises.

Le slogan "moins l'Etat et mieux l'Etat" devra guider la mise enœuvre de cette stratégie. L'entendement qu'il faut en avoir n'qst pascelle de la théorie conventionnelle et des PAS qui excluent l'Etat detoute activité économique et le limitent à la préparation du terrain etde l'environnement pour que les,entreprises privées fassent de bonnesaffaires. L'idée est plutôt que l'Etat devrait limiter ses interventions àquelques secteurs stratégiques pour le développement humain, etpromouvoir un partenariat et une compétition de développement avecle secteur privé, les communautés de base, et les autres composantesde la société civile. De plus dans les quelques secteurs ainsi choisispour son intervention, l'Etat doit être efficace et efficient au senssocialde l'intérêtgénéral. ,

Par ailleurs, il est des domaines où seul l'Etat est du moins dans unpremier temps capable de réaliser certains investissements et d'yintéresser les privés par après. Les résultats que l'Afrique a atteints au

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cours des deux premières décennies de développement dans lesdomaines de l'éducation, de la santé, des infrastructures ~conomiques,ets;.ne pouvaient être possibles sans l'intervention de l'Etat. Du reste,l'Etat colonial avait assumé ces fonctions sans perdre ni dansl:efficience de la gestion, ni dans la promotion du secteur privé. LesEtats africains doivent donc savoir jouer sur les deux tableaux:marché et satisfaction des besoins du développement humain, privé etpublic, initiatives individuelles et une certaine maîtrise de la marchecollective vers le bien-être pour tous.

En ce qui concerne la seconde composante - accroissement de laproduction et de la productivité -, il s'agit de diversifier la productionet d'augmenter la capacité productive de l'Afrique en direction de lademande nationale, sous-régionale et régionale. Cet élément de lastratégie implique un renforcement des capacités en ressourceshùmaines, un recours à la science et aux techniques les mieuxadaptées, mais aussi les plus dynamiques, ainsi qu'une coopérationinterafricaine dans ces domaines, et la promotion des marchésnationaux et sous-régionaux.

La troisième composante - allocation efficiente des ressources -,comprend la création d'un environnement propice à l'investissementet surtout à l'investissement productif par les opérateurs économi-ques, le relèvement du taux de fonnation brut de capital fixe, etl'orientation de ces investissements au détriment des dépensesimproductives. Mais, cela devrait se faire principalement en directiondes secteurs productifs ou de soutien à la production, et des secteurssociaux confonnes à l'objectif de croissance auto-entretenue etéquitable. Elle implique de veiller constamment à la rentabilitééconomique (et pas nécessairement financière) des investissementspublics, et à la répartition adéquate des revenus en vue d'une part, derelancer la demande nationale ou régionale, et de l'autre, d'y répondrepar des investissements appropriés.(iii) L'intégration des économies africaines au niveau national etsous-régional

Le morcellement des économies afTicaines pèse comme unecontrainte sur le développement du continent. C'est pourquoi la miseen œuvre du processus de leur intégration est une nécessité pourl'Afrique de demain. Elle comprend l'intégration des marchés sansdoute, mais aussi celle des structures de production (ou du moins leur.harmonisation), et celle des infTastructures économiques (réseauxroutiers, ferroviaires et électriques, centres de recherche scientifiqueet technologique) et sociales (Universités et centres d'excellence,centres de santé spécialisés, etc.).

Si les pays africains ont fait peu de progrès dans ce domaine endehors des vœux politiques, c'est d'abord parce qu'il n'y a pasencore de contraintes véritables ainsi ressenties au niveau interne

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ou externe. Dans un contexte où l'intégration est plutôt portée parles sphères politiques que par les intérêts économiques, il estdifficile de faire des progrès rapides et tangibles. Les nationalismeset les bureaucraties se combinant aux jeux des forces externes ontstérilisé les organisations sous-régionales.

L'intégration doit être portée par des intérêts économiques solides,par exemple le développement du capital industriel, financier oucommercial, qui se sent de plus en plus à l'étroit dans les limites desfrontières locales ou nationales. De ce fait il est porteur et demandeurde l'intégration. Il en est aussi l'agent et l'acteur qui lui donnesubstance. Les arrangements formels en termes d'organisations insti-tutionnelles, juridiques et autres devraient venir en réponse à cettedemande, et ils ont alors plus de chance de réussite rapide. C'estpourquoi le rôle du secteur privé est important sinon fondamentaldans le processus d'intégration. Les efforts politiques en Afriquedoivent en tenir compte, et développer une planification stratégiquede cette intégration.

Approfondir aujourd'hui le dialogue et le processus commencédans le Traité d'Abuja entre pays africains, fait partie de l'exigence dela construction de l'autonomie collective qui est indispensable audéveloppement de l'Afrique de demain. Chaque sous-région devraitdonc se définir un programme approprié d'intégration économique àla lumière des objectifs de développement du continent au prochainsiècle, du potentiel de la sous-région, de ses opportunités, etc. Desquestions à la fois politiques et pratiques à résoudre porterontnotamment sur le choix des pôles économiques sous-régionaux etrégionaux, l'élaboration des programmes sectoriels sous-régionaux etrégionaux d'intégration, la défmition des clés de répartition des coûtsdes projets sous-régionaux d'intégration, la mise en place desstructures d'exécution et des instruments de fmancement, etc. Mais ils'agira aussi et au-dessus de tout cela, de discuter les formes etmodalités d'intervention du secteur privé africain dans ce processus,afin qu'il joue pleinement son rôle intégrateur dans la direction tracéepar les autorités.

Face au processus de mondialisation et de formation de grandsensembles économiques entre pays économiquement puissants,l'Afrique, continent de pays économiquement faibles, n'a pas d'autrechoix que d'y répondre par l'accélération de son processusd'intégration économique. Mais il faut éviter de tomber dans le piègetendu par le SMD dans son soutien au processus d'intégration enAfrique. Car ce que le SMD cherche, c'est l'élargissement desmarchés sans barrières pour ses investissements et son commerce enAfrique. Investir en Côte d'Ivoire en comptant sur le marché de laCEDEAO profitera plus au capital européen plutôt qu'au jeune capitalafricain dans les conditions actuelles.

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(iv) La compétitivité internationaleL'économie mondiale, bien qu'en mouvement, est une donnée

incontournable pour l'Afrique. Le continent doit pouvoir compteravec elle. C'est pourquoi il ne peut être question ni de se couper dusystème économique mondial, ni même simplement d'envisager de lefaire, et l'Afrique n'en a pas les moyens, dans le contexte de mondia-lisation en cours.

Cependant, l'économie mondiale n'est pas le marché parfait durêve des classiques, même si le néo-libéralisme triomphant veut lelaisser croire. Ses catégories ne peuvent toutes être modèles ouréférences pour les pays africains parce que l'économie mondialeétant devenue un terrain où les intérêts des différents pays ou desdifférents continents sont en conflit, ses catégories sont l'expressiondes rapports de force dans le système économique international.

La stratégie pour l'Afrique consisterait plutôt à développer sacapacité d'utilisation de l'économie mondiale en fonction desexigences d'une croissance endogénéisée, durable et équitable. C'estpourquoi l'Afrique doit développer sa capacité créative en vue depasser progressivement du rôle d'exportateur de matières premièresbrutes que lui assigne le rapport de force actuel, à celui d'exportateurde produits et savoir-faire spécifiques, de l'avantage comparatif dû àla nature, à l'avantage comparatif dû à l'effort et à la créativité. Il estbien entendu que dans ce processus de transition, la nature et le degréd'ouverture des portes et fenêtres sur l'économie mondiale doiventêtre appréciés à chaque phase. Ce qui est d'ailleurs la pratique mêmeentre économies industrialisées.

Cette stratégie exige pour l'Afrique de développer ce qu'on appelle"l'entreprenariat technologique. " Avec le processus demondialisation, "les progrès technologiques rapides en sciences del'information, microélectronique, robotique, sciences biomédicales,spaciologie et autres domaines de pointe s'accélèrent et modifientconsidérablement nos modes de vie. Les marchés de ces technologiesconnaissent de même une croissance accélérée" (R. Lalkara, 1996,p.27). Mais comment les pays africains peuvent-ils suivre un tel mou-vement et prétendre le rattraper quand ils 'sont encore pris dans lesméandres de la lutte contre la pauvreté, de la protection de l'environ-nement, de la croissance économique et de l'accès aux servicessociaux de base? Comment le penser quand on sait que la science etla technologie sont cumulatives, et ont donc tendance à se développerplus vite lorsqu'elles s'appuient sur des infrastructures et le savoirexistants, en termes d'universités techniques, de laboratoires etcentres de recherche, de réseaux techniques, de financements, etc. ?

En réalité, ces difficultés soulignent encore plus la nécessité pourl'Afrique de développer l'entreprenariat technologique comme forcede la croissance économique, de positionnement dans le processus de

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mondialisation, et de lutte contre la pauvreté pour un développementhumain durable. D'où la nécessité de recherches coopératives entrepays africains, de négociations conjointes de licences, de formationd'entreprises technologiques conjointes, etc.

La mondialisation est aussi un processus de changements rapidesdans le monde et l'Afrique doit pouvoir développer sa stratégie demaîtrise de son insertion dans ce processus. De ce point de vue, lanotion de "produits uniques" (J. Ben-Dak, 1996) peut être une sourced'inspiration. Il s'agit de produits obtenus à partir de sources dematières premières "uniques," ou rares et qui sont peut-être assezabondantes en Afrique. Ces produits peuvent aussi l'être du fait desconnaissances traditionnelles ou modernes développées en Afrique.Ces produits peuvent couvrir différents secteurs de production:alimentation, pharmacologie, biochimie, etc. Ils peuvent venir de lapromotion et l'amélioration de produits existants sur place en Afrique,d'un processus local de recherche-développement, de l'acquisition denouvelles techniques dans la fabrication ou l'emballage de produitsmême empruntés ailleurs, mais auxquels la combinaison des inputslocaux permet d'obtenir de nouveaux produits ou de nouvellesprésentations.

L'Afrique a sans doute un potentiel prometteur des "produitsuniques" qu'il faut découvrir et faire valoir notamment par unréexamen de l'utilisation de matériaux abondants et peu onéreux dansles différents secteurs de la vie sociale. Mais comme indiqué auchapitre IV, cela demande un certain niveau d'engagement etd'investissement que peu de pays africains peuvent affionter seuls.(v) La consolidation des capacités humaines et institutionnelles

L'Afrique du XXIème siècle doit être capable par elle-même deproduire le savoir sur elle et son devenir, de penser la direction de sondéveloppement et les voies de sa mise en œuvre, et de se doter deshommes et des femmes, des institutions, et de l'organisationconséquente pour cela.

On assiste aujourd'hui au règne de gourous et marabouts dedéveloppement. La production du savoir sur l'Afrique, la définitiondes politiques globales et sectorielles pour sortir de la crise, ou mieuxpour développer le continent, la formulation des programmes decoopération, la mise en œuvre des projets de développement, lanégociation des financements, tout cela est devenu un terrainfructueux d'un nouveau type de commerce, le commerce dudéveloppement en Afrique.

Le diagnostic de la maladie du développement en Afrique, laprescription des traitements et des modes de leur administration sontdevenus de la responsabilité de ceux qui {>rêtentl'argent à l'Afrique.

Il n'y a plus un gouvernement africain qui n'exécute pas unprogramme de gestion macro-économique ou d'ajustement sectoriel

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élaboré par les institutions de Bretton Woods ou sur leur inspiration,même dans les domaines où elles n'ont pas l'autorité voulue, ou lemandat statutaire. L'Afrique est devenue agence d'exécution de sesbailleurs de fonds pour les politiques de son développement.Lorsqu'un pays ou tout un continent perd le droit de produire le savoirsur lui-même, de penser le contenu et l'orientation de sondéveloppement, et de se définir les stratégies et programmes de miseen œuvre appropriés, du fait de ses faiblesses techniques etfinancières, il y a peu de chance qu'il ait une place au soleil duXXlème siècle. On ne peut entrer au siècle prochain que commeacteurs et sujets y compris dans le domaine conceptuel, et non en tantqu'objet de la pensée des autres, fussent-ils partenaires audéveloppement.

C'est devenu un terrain de lutte cruciale: les politiques desbailleurs de fonds sont celles d'intégration de l'Afrique à lamondialisation dans une position d'appendice du système mondial.L'Afrique doit lutter contre une telle dynamique et se doter descapacités qui lui permettent de formuler ses politiques dedéveloppement, de les défendre, et de chercher les moyens de leurmise en œuvre, avec un certain degré d'autonomie, au lieu de secontenter des politiques qui peuvent avoir l'approbation et lefinancement de ses bailleurs du Nord.

Cette capacité comprend non pas seulement celle des ressourceshumaines et institutionnelles, mais aussi le renforcement desmécanismes de leur fonctionnement efficace et efficient,l'organisation des rapports fonctionnels, la rétention de ces capacitéset, au-dessus de tout ce dispositif technique, la capacité de ladirection politique de développement.Les éléments sectoriels

Les études montrent que notre continent est le seul où la pauvretéira grandissante et que bientôt, un pauvre sur trois dans le monde seraafricain. Pour renverser une telle tendance, l'Afrique du prochainsiècle doit être capable de nourrir son monde, de l'habiller, de leloger, de le soigner et de l'éduquer. Il faut donc des stratégiessectorielles conséquentes.

Deux principes peuvent guider la formulation et la mise en œuvredes stratégies sectorielles. D'abord le choix des secteurs bases de lacroissance économique et les mécanismes de transfert de surplus pourle développement des autres secteurs dans le modèle d'accumulationqui est défini. C'est ici le lieu de s'assurer non pas seulement deschances de croissance économique durable, mais aussi de sadistribution équitable au profit d'un développement humain durable.D'où le deuxième principe, la satisfaction des besoins économiques etsociaux de base, et donc l'amélioration de l'indice de développementhumain.

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Sur cette base, on peut esquisser les grandes lignes des stratégiessectorielles, au moins pour les secteurs économiques clefs.(i) L'agriculture

C'est sans doute un lieu commun, mais on ne peut s'empêcher d'yrevenir, car la base de tout développement économique et social del'Afrique est son agriculture, au sens large du terme. L'objectifrégional prioritaire est un taux de croissance qui lui permettra auXXIème siècle, de couvrir les besoins alimentaires de l'Afrique, et.sans doute un taux plus élevé encore pour les pays à haut potentielagricole. Le deuxième objectif c'est d'être la base du développementindustriel du continent. La fameuse révolution verte ne peut se fairesans l'industrialisation de l'agriculture africaine. C'est la seule manièrenon pas seulement d'augmenter la productivité de ce secteur et delibérer les ressources pour d'autres, mais c'est aussi la seule manièrede faire de l'agriculture une véritable base du développement.

Pour que l'agriculture joue ce rôle, il faut des mesures concrètestouchant le statut foncier là où c'est nécessaire, le renforcement de laproductivité agricole, la recherche agronomique tournée vers lescultures vivrières et d'approvisionnement industriel, la formation et lavulgarisation agricoles, la mise au point des techniques culturales etdes technologies appropriées en matière de travaux agricoles et post-agricoles, les infrastructures économiques et sociales adéquates, lesystème des prix, le crédit agricole et le système decommercialisation.

La mise en œuvre d'une telle stratégie doit être envisagée dans saglobalité, avec tous ces éléments, non pas seulement au niveaunational, mais aussi au niveau sous-régional.(H)L'industrie

L'Afrique doit marcher sur ses deux pieds: le développement del'agriculture est lié à celui de l'industrie dans un rapport dialectique,les deux secteurs s'entraînant l'un l'autre.

Il s'agit d'abord d'une industrie basée en premier lieu sur lademande nationale et sous-régionale. Cette demande n'est pas cellequi résulte d'un modèle d'import substitution répondant aux besoinsde consommation urbaine actuelle comme source principaled'orientation. Elle doit être plutôt celle qui est dictée principalementpar les besoins de l'agriculture africaine, les structures deconsommation populaires, courantes ou nouvelles, mais découlant duchoix des besoins essentiels ou de base des populations, et desbesoins propres de la phase d'industrialisation concernée.

Des mesures et modalités concrètes de la mise en oeuvre de cettestratégie devraient être examinées au niveau national et sous-régional: l'harmonisation des structures de production, l'intégrationde l'environnement économique, le système d'incitation, la formation,ainsi que le recours aux technologies à la fois dynamiques et adaptées

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au contexte économique, social et culturel de l'Afrique.Il s'agit ensuite, et dans les limites indiquées au chapitre IV, d'une

industrie compétitive, car c'est dans ce secteur en particulier quel'Afrique doit s'affmner aussi bien sur le marché national, régionalqu'international. Savoir découvrir les créneaux porteurs, mettre àcontribution ses capacités créatrices et innovatrIces, est autant lacomposante que la voie la mieux indiquée pour la stratégieindustrielle de développement en Afrique.

Enfm, il faut aUSSIintégrer à cette approche, la problématique dela promotion de la petite et moyenne industrie, ainsi que de la micro-entreprise industrielle du secteur informel. La crise économique del'Afrique a mis au jour l'une des facettes du potentiel créatif descommunautés de base, et qui s'est exprimé dans le dynamisme et lacapacité d'adaptation de l'informel.

En plus de la création d'emplois fussent-ils précaires, le secteurinformel a su se faire une place dans sa réponse au marché local,c'est-à-dire être compétitif. C'est pourquoi favoriser l'éclosion de lamicro-entreprise informelle et en faire une base d'émergence des PMIest une composante de la stratégie d'industrialisation de l'Afrique.(iii) Les mines et l'énergie

Ce secteur a joué avec l'agriculture d'exportation, un grand rôledans les péripéties de la croissance et de la crise des économiesafricaines. Il a su être à la fois source des espoirs et/ou des folies,mais aussi objet des rapports économiques conflictuels entre le Nordet le Sud. C'est pourquoi la stratégie de développement de l'Afriquedans ce secteur doit être très prudente.

Les études sont concordantes: les perspectives du marchémondial des matières premières ne sont pas encourageantes pourl'Afrique, aussi bien du point de vue du volume de la demande quedes prix offerts. Or dans beaucoup de cas, l'exploitation minière estau stade de la roche mère. Ce qui occasionne de très grosinvestissements pour l'augmentation de la production, que ce soit entermes de renouvellement d'équipements ou d'extension desexploitations. Il est à craindre dans les conditions actuelles de crise etnotamment de celle de l'endettement, que l'Afrique ne puisse trouverdes ressources pour développer ce secteur tout en mettant l'accent surles secteurs d'endogénéisation de la croissance.

C'est pourquoi l'Afrique devrait se limiter à rationaliser la gestionde ce secteur, accroître sa rentabilité, maintenir au moins le niveau dela production, envisager les possibilités de transformation locale et desous-traitance industrielle autour de l'industrie minière ou desressources minérales - cette dernière doit faire des petits -, et enfincréer les conditions pour stimuler les investissements privés africainsdans le secteur minier.

Quant à l'énergie, la stratégie sectorielle doit être celle de

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l'électricité villageoise en vue d'ouvrir les possibilités detransformations des structures, et de libérer le potentiel créateur desopérateurs des PME/PMI, du secteur informel et des communautés debase, et bien sûr aussi de protéger l'environnement. Une exploitationsous-régionale de certaines sources d'énergie électrique existantes,hydrauliques ou autres, doit être un des objectifs de cette stratégie, enliaison avec celle de développement industriel.(iv) Les infrastructures économiques et sociales

Secteur à la fois d'appui et d'accompagnement indispensable auxautres stratégies sectorielles, les infrastructures constituent un desmaillons faibles des structures économiques en Afrique. Sans nier lesefforts qui ont été déployés et les réalisations dans ce domaine, il y alieu d'affirmer que l'Afrique a encore beaucoup à faire pour se doterdes infrastructures appropriées en vue de la croissance endogène etdurable.

Il s'agit de disposer des infrastructures économiques dedésenclavement de l'arrière-pays, d'intégration de l'espace et desmarchés au niveau national et sous-régional, et de réponse techniqueappropriée aux demandes et besoins de progrès des entreprises. Cesinfrastructures comprennent les réseaux de transports routiers,ferroviaires et aériens, ainsi que les réseaux électriques et detélécommunications. Elles comprennent aussi les centres derecherche scientifique et technologique. Sur le plan social, il s'agit dedisposer des infrastructures qui assurent la qualification et la bonnesanté des ressources humaines.

Il ne suffit pas de créer ces infrastructures, encore faut-il disposerde la capacité de maintenance nécessaire pour leur fonctionnement aubénéfice des programmes sectoriels qu'elles appuient, et dudéveloppement économique et social en général. Car si ce n'est pas lecas, ces infrastructures peuvent devenir un goulot d'étranglementsérieux pour l'ensemble de la machine économique.(v) Les secteurs sociaux

Investir dans l'homme et lui assurer un niveau décent d'accès auxservices sociaux de base est une composante prioritaire du processusde développement dont il assure la durabilité. C'est pourquoi lastratégie dans ce domaine recouvre deux préoccupations globalesmajeures: l'éducation et la santé.

En ce qui concerne l'éducation, il s'agit d'abord de relever leniveau général de l'instruction par les moyens scolaires et extra-scolaires, et aussi d'augmenter en nombre et en qualité lesqualifications professionnelles et techniques requises pour les besoinsd~s différentes actions de développement. En effet le niveau générald'alphabétisation est encore bas en Afrique, et pire pour certains pays,il est en déclin au cours de ces deux dernières décennies. Les risquesd'une Afrique "d'illettrés" n'ont pas manqué d'être envisagés pour le

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prochain siècle si les choses ne changent pas rapidement. Et lesprogrammes de coopération technique qui se justifient officiellementpar cet état de choses ne semblent pas avoir résolu le problème. Ils sesont pérennisés. Or le caractère soutenu et durable de la croissancedépend de l'investissement. que la société réalise dans ce domaine.Sartre ne disait-il pas qu'une société décide du nombre de ses mortspar le niveau et la qualité d'allocation de ressources qu'eUe consacreau secteur de la santé. Mais ceci est aussi valable pour le secteur del'éducation.

Mais il s'agit aussi de la valorisation des ressources humainesainsi formées. En effet, c'est un gaspillage et en tout cas un effortcontre-productif, de former les compétences et ne pas savoir lesmaintenir et les utiliser individuellement ou institutionneUement aubénéfice du développement de l'Afrique. Le paradoxe actuel est quele continent pullule de compétences variées et de haute qualité, etqu'il en exporte même, alors qu'en même temps les gouvernementsrecourent à l'assistance technique, soit par choix complice, soit parobligation de l'aide liée.

Du point de vue de la santé, il faut l'entendre au sens large,comprenant bien sûr la santé physique et mentale classique, maisaussi la santé génésique, la nutrition et l'accès à l'eau potable. Leproblème pour l'Afrique est d'améliorer le niveau général desconditions sanitaires et h~iéniques des populations en leur facilitantl'accès aux soins de santé primaires. Ce qui exige de relever le tauxd'encadrement médical sans doute, mais surtout de promouvoir desprogrammes et campagnes de formation et d'information descommunautés de base sur les règles générales d'hygiène, de salubrité,d'alimentation équilibrée et de santé familiale et publique. Tout endéveloppant les programmes de médecine préventive, l'Afrique devraaussi "démédicaliser" la santé et promouvoir la capacité des popu-lations d'être responsables de leur santé.

Les moyensLe raisonnement classique décrète que le développement est

fonction de la croissance économique, elle-même fonction de l'inves-tissement en capital. En conséquence l'Afrique, pauvre en capitaux,doit développer son secteur d'exportation pour gagner ces derniers, etde ce fait eUe doit être "assistée" par ceux qui ont des capitaux. D'oùtoute la panoplie des "aides" au développement avec sa cohorte decontraintes pour le développement humain sur le continent.

Sans nier l'importance des capitaux - intérieurs et extérieurs-pour le développement à long terme de l'Afrique, il y a cependant lieude revoir la relation. Le développement est avant tout le résultat dutravail humain, c'est-à-dire du capital humain, utilisant plusieursressources parmi lesquelles les ressources financières. Partant de ce

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raisonnement, il faut distinguer les ressources que l'Afrique doitmobiliser pour sa stratégie de développement humain à long terme, etdonner priorité à celles qui lui permettent de renforcer son autonomiecollective.Les ressources internes

Elles comprennent:(i) Les ressources humaines: celles-ci constituent la première forcede transformation des structures économiques et sociales, autantqu'elles sont agents et bénéficiaires de ces transformations dans toutprocessus de développement. Il faut leur donner le rôle primordialqu'elles ont, savoir les valoriser et les mobiliser dans le sens dudéveloppement souhaité. Le processus de socialisation du développe-ment présenté ci-dessus, les stratégies aussi bien transversales quesectorielles, le dispositif de libémtion du potentiel créatif desindividus et des communautés, tout cela n'est possible et réalisableque grâce aux ressources humaines de l'Aftique. Ces dernièresconstituent de ce fait le premier atout important à la disposition despays arncains. Même le capital financier est créé par l'homme, et ilfaut donner à ce dernier les possibilités et les opportunités de le créeren Aftique.(ii) Les ressources naturelles du sol et du sous-sol: l'Aftique enpossède sous des formes variées et souvent en abondance. Ce n'estpas le lieu de les recenser ici. Mais l'Afrique n'en a pas toujours lamaîtrise au niveau de la production, de la valorisation et de lacommercialisation, pour pouvoir en faire la base d'une croissanceendogène, ou du moins une source de surplus substantiel mobilisablepour le financement du développement.

Par ailleurs, non seulement une bonne partie de ces ressourcesn'est pas encore exploitée, mais celles qui le sont n'obéissent pastoujours à un cadre cohérent de croissance durable. Enfin cesressources sont peu transformées localement en Afrique, même pourdes utilisations dans les petites industries rurales ou urbaines. Lesefforts à mener dans le cadre de la mobilisation des ressourcesnaturelles de l'Afrique devraient être étudiés minutieusement auniveau national et sous-régional. L'importance de ces ressources estbien connue du SMD qui, dans ses calculs et ses intérêts stratégiques,sait en faire l'objet de sa politique de coopération.(iii) Les ressources financières: les capacités d'auto-financementpour les investissements d'un certain niveau ne sont pas négligeablesen Afrique. Après tout combien d'entrepreneurs européens, indo-pakistanais, libano-syriens, etc., ont débarqué mains vides dansnombre de pays africains, mais sans doute avec la malignité de leursavoir-faire, et ont constitué des fortunes colossales en terreafricaine? Par ailleurs, combien de fortunes colossales africainesopèrent aujourd'hui dans les banques et autres systèmes financiers et

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immobiliers en Europe et en Amérique du Nord? C'est que lepotentiel et l'effectivité de ressources fmancières en Afrique ne sontpas à négliger. Le problème pour l'Afrique est de savoir mobiliser cesressources, canaliser les possibilités de développement qu'ellesreprésentent, et gérer leur utilisation confonnément aux besoins dechaque phase de développement. Ceci vaut à la fois pour lesressources fmancières publiques (budgétaires et non budgétaires) etpour les ressources financières privées. Ce sont des ressourcesafricaines et elles doivent être mobilisées pour le développement ducontinent. C'est cela qui attirera des financements et des investisse-ments extérieurs. C'est cela qui retiendra ou fera revenir les capitauxafricains qui ont tendance à fuir le continent, du moins pour lescapitaux"honnêtes."Il n'y a pas d'autresvoies. .

(iv) Les moyens institutionnels: l'Afrique dispose sans doute desmoyens techniques institutionnels de direction et de gestion dudéveloppement. Ces moyens n'ont pas toujours eu le succès qu'ilsméritent dans le processus de développement de l'Afrique au cours deces dernières années. Ils doivent à leur tour être repensés, renforcés etmobilisés pour qu'ils soient efficaces et efficients dans le processusdu développement humain du continent au siècle prochain.Les ressources externes

Elles comprennent à leur tour :(i) Les ressources publiques: ce sont principalement les dons enespèces ou en nature (y compris la coopération technique), les prêts,ainsi que les transfonnations ou annulations de dettes. Tout cela estgénéralement présenté comme aide au développement, donnant laconnotation solidarité internationale et sens d'humanisme même aucommerce d'argent, et parfois cachant le calcul politique dont l'aidepeut être porteuse.

Comme tout le monde le sait, et à l'exception de quelques cas enparticulier pour les situations de catastrophes naturelles ou sociales,l'aide en nature n'a pas que des effets positifs sur le développement del'Afrique. Ceci est dû notamment au manque de programmation et àla déficience de la gestion de cette aide aussi bien par les paysafricains "bénéficiaires" que par les pays donateurs (PNUD, 1993).

Quant à l'aide en capital, elle appelle quelques remarques.L'Afrique est aujourd'hui exportateur net de capitaux. Si lespartenaires sont réellement engagés au titre de l'aide audéveloppement de l'Afrique, il faut qu'ils l'augmentent. Sinon il n'y apas de raison pour l'Afrique de recourir aux ressources fmancièrespubliques externes. Or depuis l'effondrement de l'empire soviétique etla fin de la guerre froide, les impératifs du positionnement auXXIème siècle ont orienté les capitaux publics et privés du Nord versl'Europe de l'Est et l'Asie, et ce mouvement s'annonce ascendant.Entre-temps certains calculs ont indiqué que les besoins en capitaux

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de l'Afrique augmentent, passant de 22 milliards de dollars au débutde la décennie à plus de 30 milliards aujourd'hui. On peut discuter dela valeur de ces estimations - faibles de toute évidence -, et de leurpertinence. Mais l'accroissement des besoins de financement del'Afrique malgré les aides reçues est une réalité indéniable. Et lesAfricains continuent de plaider leur cause auprès de leurs bailleurs oupartenaires, les suppliant de ne pas oublier le continent noir. On n'estpas loin de la mendicité. Et comme le disait M. Julius Nyerere, on nerespecte pas un mendiant, surtout s'il est valide.

Pour l'aide qui arrive et arrivera en Afrique, outre l'exigence deconditions concessionnelles, il faut qu'elle évite de se lier à la condi-tionnalité d'un ajustement structurel autre que celui exigé par lastratégie esquissée ici. C'est le lieu ici de souligner que la stratégie enmatière d'aide devrait pour l'Afrique se situer dans la perspective desortie du système d'aide. Le continent ne peut indéfmiment continuerà se programmer comme continent aidé ou à aider.(ii) Les capitaux privés: ils sont devenus plus exigeants encore àl'égard de l'Afrique. Il n'est plus facile de les attirer par des zonesfranches, des législations fiscales libérales, des codes d'investisse-ments ou l'existence d'une ressource ou d'un facteur de productionbon marché. Cela ne suffit plus. Les choses sont devenues pluscomplexes encore pour l'Afrique, considérée aujourd'hui comme unteITain à haut risque. Jusqu'où l'Afrique devra-t-elle faire desconcessions pour attirer les capitaux extérieurs privés: vendre lecontinent entier? Par ailleurs faire des bonnes affaires en Afriquen'est pas nécessairement synonyme de développement et les Africainsdoivent y être attentifs dans leur quête des investissements extérieurs.

Le problème est de savoir dans quelle mesure une stratégieautonome de développement telle qu'esquissée ici, peut avoir l'appuides partenaires de l'Afrique, et bénéficier de leur aide publiquecroissante et conséquente, et aussi des investissements extérieursprivés? Il y a des raisons d'en douter et c'est cela qui doit convaincreles Africains de compter d'abord sur le potentiel énorme de leursressources internes et de mettre en œuvre des politiques demobilisation et de valorisation de ces ressources. C'est cela quiattirera aussi bien les aides que les investissements privés étrangers.

La gestion de la stratégieLa gestion du développement est un processus par lequel les

responsables du pays créent et sont capables de maintenir unenvironnement économique, social et politique dans lequel lesprincipaux acteurs du développement et parmi eux les différentescomposantes de la société civile, peuvent réaliser les activités etatteindre les objectifs de développement que la société s'est fixés demanière efficace et efficiente (J. Brito, 1995). Elle comprend la

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capacité d'anticiper, de planifier stratégiquement le futur et tracerl'orientation à suivre pour atteindre les objectifs, de mobiliser lesressources effectives et potentielles, d'organiser la marche dans lamise en œuvre de la stratégie, ainsi que la capacité de pouvoir gérercontinuellement le changement.Anticipation et planification stratégique du futur

On ne gère pas une stratégie de développement, même si elle étaitd'intégration plate au processus de mondialisation de l'économie demarché en naviguant à vue. Gouverner c'est prévoir dit-on. Lesgouvernants amcains devront donc développer au niveau national etsous-régional des capacités de construction d'une vision commune dufutur, partagée par la société nationale ou sous-régionale selon le cas.

Anticiper ce n'est pas seulement entrevoir le futur tel qu'il sedessine compte tenu de l'analyse de la dynamique nationale,régionale et mondiale. C'est surtout se défmir sur cette base le futurnational ou régional que l'on veut construire. Ceci devrait être unefonction de gestion du développement reconnue socialement etinstituée comme telle.

Cette fonction consisterait à réfléchir sur le futur, comprendre leschangements et processus en cours ou prévisibles: leur nature et leursformes, le pourquoi et le comment des changements, leur impact surle pays, la sous-région et l'Afrique entière, les opportunités et lesrisques qu'ils représentent pour le Continent, les relations entre lesdifférentes forces de changement, les raisons et le degré de résistanceaux ou d'insertion dans le changement, et les conséquences sur lepays ou la région. Cela signifie de manière générale, la conduite desétudes de prospective et de scénarios de long terme.

Les instruments pour cette fonction sont les institutionsconventionnelles de planification qu'il faut réorienter en outils deplanification et de gestion stratégiques, les équipes d'études futuristesou des unités d'intelligence stratégique à promouvoir surtout auniveau régional, mais dont le rôle doit être pleinement intégré dans leprocessus de prise de décisions sur les politiques de développement.Tracer le chemin ou définir l'orientation

Cette fonction couvre d'abord les tâches suivantes: collecterl'information économique et sociale sur l'Afrique et le monde etsavoir la stocker, analyser la situation continentale et mondiale pourpouvoir se définir l'orientation et les objectifs spécifiques du modèlede développement que l'on veut construire, en cerner les défis, etsurtout concevoir la stratégie appropriée.

Ensuite les stratégies indiquées pour atteindre le développement àlong terme de l'Afrique doivent être traduites en instrumentsopérationnels. Autrement dit, ces stratégies devraient prendre corpsen termes de politiques et programmes de développement, c'est-à-dire

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en mesures concrètes d'application et en programmes d'action:réformes, investissements, gestion courante, etc.

Ces instruments opérationnels peuvent être macro ou sectoriels,mais ils ne peuvent être définis de manière abstraite ou théorique. Ilsdoivent être étudiés face aux situations concrètes nationales ou sous-régionales, en fonction des objectifs de développement certes, maisaussi de chaque phase de la marche sur le chemin tracé.

Enfm, tracer le chemin, c'est aussi indiquer les nécessaires séquen-ces de la marche, les étapes de la mise en œuvre, et savoir les revoircontinuellement compte tenu des changements dans l'environnement,et des résultats atteints dans la mise en œuvre de la stratégie.Mobiliser les ressources et organiser la marche

Organiser la marche vers le développement est une autre fonctionimportante de la gestion. Il s'agit de connaître les ressources dont ondispose ou peut disposer, de connaître les acteurs et définir leurs rôlesrespectifs, d'identifier les obstacles et autres freins, et enfin de mobili-ser aussi bien les ressources que les acteurs dans le sens de la mise enœuvre de la stratégie, et conformément à ses différentes séquences.

Gérer le développement c'est donc savoir mobiliser les ressourcesci-dessus identifiées, et les utiliser comme facteurs et agents deschangements souhaités, et ce de manière efficace et efficiente. Maisc'est aussi défmir les rôles des acteurs identifiés et s'assurer quechaque catégorie d'acteurs remplit son rôle et que l'ensemble de ladynamique est coordo~é.

Ces acteurs sont: l'Etat africain, dont il faut redéfmir le rôle dansce processus, l'entreprise africaine, la société civile et en particulierles communautés de base, et les partenaires extérieurs. Je ne vais pasm'étendre sur ces questions. J'aimerais simplement souligner que levéritable partenariat entre les acteurs devrait être le mot clef dansleurs relations~comme il doit l'être pour la gouvernance.Ci)Le nouvel Etat a&icain

r Agent principal du processus de transformation des structures,l'Etat est avant tout le centre de conception d'qn projet de sociétépolitique et civile et de sa mise en œuvre. A ce titre il a desresponsabilités aussi bien économiques que politiques.

Sur le plan économique, il faut réaffirmer son rôle et son droit dedirection et de maîtrise du processus de développement. Il a unefonction et un large pouvoir d'orientation et de stimulation surl'ensemble de l'activité économique surtout dans le contexte defaiblesse de l'entreprise privée arncaine, qui n'a pas encore assumé lestâches de croissance comme dans d'autres continents. Au besoin ilagit comme un opérateur économique dans les secteurs qu'il jugestratégiques pour le développement du pays. L'économique ne doitpas être de l'exclusivité de l'entreprise privée seule. On connaît .lesdérives du marché. Un secteur privé créateur a besoin d'un Etat

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créateur et vice versa.. Sur le plan politique de même, une société créatrice a besoin d'un

Etat créateur et vice versa. Car, si comme ~u cours des dernièresannées et même encore aujourd'hui, l'Etat afiicain étouffesystématiquement les élans de créativité pouvant jaillir spontanémentdes différentes composantes sociales, il fmit toujours .par bloquer leschances de développement économique et social. L'Etat devra doncrestructurer ses rapports avec la société civile en vue de restituer àcelle-ci son potentiel de créativité. La socii}.lisationdu développementse ressent beaucoup dans les rapports de l'Etat avec sa société civile.(ii) L'entreprise africaine

L'entreprise africaine est d'abord une entreprise, et de ce fait elledoit obéir à la logique de l'accumulation capitaliste, sans quoi elle nepeut ni exister ni porter ce nom. Elle sera donc caractérisée par lesouci d'optimisation dans l'utilisation des ressources (facteurs), larecherche du profit maximal, l'esprit d'innovation en vue de maintenirla compétitivité, la prévision et le goût du risque.

Mais les modalités opérationnelles de toute entreprise, les formeset les niveaux de production et de réalisation de surplus, varient avecles phases de développement de l'économie de marché, et les compo-santes culturelles de la société civile. C'est en cela que l'entrepriseaméricaine diffère de l'entreprise européenne ou japonaise, et quel'entreprise des années vingt n'est pas celle d'aujourd'hui.

L'entreprise africaine ne peut donc être simplement unetransposition calquée de l'entreprise occidentale d'aujourd'hui prisecomme modèle de référence, sans étude de ses conditions d'insertiondans la société africaine actuelle. Sur le plan socio-culturel, on peutnoter en Afrique (i) la connotation familiale ou lignagère de laproduction et de la jouissance de la richesse et même del'appropriation des moyens de production, (ii) la possibilitéd'utilisation d'une main-d'œuvre familiale ou lignagère dans unrapport qui n'est pas toujours contractuel ni pleinement salarial, (iii)la prise en charge en retour de certains frais sociaux non liésdirectement au fonctionnement de l'entreprise, (iv) la chaleur dans larelation humaine qui exige de l'employeur ou du chef une attitudeteintée de convivialité et de solidarité dans les relations avec lestravailleurs, etc. Il est symptomatique de noter que l'Occidentdéveloppe aujourd'hui le concept d'entreprise alternative face auxeffets négatifs de l'entreprise actuelle sur le développement humain. Ils'agit d'entreprises qui ne voient pas que la rentabilité fmancière, et neregardent pas à leur environnement uniquement en termes de marchéet/ou de source de matières premières ou de main-d'œuvre. Ellesconsidèrent que leur progrès durable et leur prospérité dépendentaussi de l'équilibre de l'environnement naturel et du progrès socialauxquels elles doivent contribuer. Ce concept semble être plus proche

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de ce que l'entreprise africaine devrait être.Le problème pour l'entreprise africaine est de savoir insérer les

exigences fondamentales de l'accumulation à ce contexte socio-culturel, ou mieux de savoir utiliser ce cadre pour la réussite de sonobjectif, dans les conditions économiques et technologiques de sonenvironnement.(iii) Les populations et leurs communautés de base

Le développement économique et social ne s'apporte pas del'extérieur, il se construit de l'intérieur, s'internalise et s'endogénéise.Autant l'Afrique doit se développer elle-même, avec éventuellementl'assistance extérieure, autant les pqpulations doivent construire leurdéveloppement, en s'appuyant sur l'Etat et d'autres acteurs internes.

Il n'appartient donc pas aux Etats africains d'apporter ledéveloppement à leurs populations. L'expérience a montré dans cedomaine l'inefficacité des programmes et projets de développementinitiés d'en haut et ou de l'extérieur.

Différentes formes de participation collective et de responsa-bilisation des groupements, des associations et autres composantes dela société civile doivent être encouragées et soutenues dans leursefforts de maîtrise du processus de développement. Les populationset leurs organisations ou associations doivent en être à la fois acteurset bénéficiaires. Il faudra en particulier valoriser le rôle desassociations des femmes et des jeunes.

La jeunesse de la population du continent dans un contexte degrand essor démographique constitue un défi pour les pouvoirspolitiques, à la fois par l'ampleur des attentes et les limites desréponses qui peuvent être apportées. Ceci, lié à la faiblessed'ouverture des régimes politiques, renforce le potentiel de détonationsociale en Afrique. Pourtant les jeunes sont porteurs d'un autrepotentiel, celui de changement dans le sens du progrès économique etsocial, à cause notamment de la faiblesse de leurs liens avec le milieutraditionnel, de leur réceptivité aux transformations structurelles, etde l'exigence de démocratie ou d'ouverture générale vers l'avenir quicaractérise toute jeunesse.

C'est pourquoi gérer le développement dans l'Afrique du XXIèmesiècle, c'est aussi savoir saisir l'opportunité de l'atout que représente lajeunesse de la population africaine, qu'il faut mobiliser dans un projetde société répondant aux exigences d'équité sociale, d'ouvertureauprogrès économique et social, d'esprit de démocratie et de digniténationale.

De même, le développement humain en Afrique ne peut seconcevoir ni réussir s'il n'intègre pas la promotion de la femmeafricaine et sa pleine participation à ce processus. Au sein de lafamille, elle est le meilleur acteur de transmission des valeursanciennes ou modernes dès qu'elle y est acquise. Elle joue un rôle

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crucial dans la sécurité alimentaire, environnementale, économique,et sociale (santé et éducation). La lutte contre la pauvreté humainedans toutes ses dimensions en Afrique, ne peut porter ses fruits sansl'implication effective de la femme africaine à la fois comme acteur etcomme bénéficiaire.

De ce fait le développement humain de l'Afrique de demain doitêtre porté par les femmes du continent.(iv) Les partenaires extérieurs

Personne ne peut objectivement nier le besoin de l'aide audéveloppement pour l'Afrique du XXIème siècle. Mais l'expérienced'une Afrique qui en a bénéficié depuis plus de quarante ans, et quimalgré tout est entrée dans une crise sans précédent, doit inviter à laréflexion. Ce ne sont pas seulement les Africains qui sontresponsables de l'échec. Ceux qui ont financé et soutenutechniquement, politiquement et parfois militairement les politiquesmises en œuvre en Afrique sont co-responsables.

L'aide s'est installée en un système qui s'auto-entretient, et qui dece fait ne peut plus être considérée comme de l'aide au développe-ment. Son besoin augmente de plus en plus. A quoi a-t-elle servialors? On peut aussi se demander dans ces conditions quel jour elleva prendre fin. L'Afrique ne peut se condamner à être continuelle-ment assistée ou "aidée" par les autres. Il faut donc repenser l'aide audéveloppement: sa philosophie, sa nature, ses formes, ses modalités,les raisons et les moments d'y recourir, les conditions de ce recours etde son octroi, ainsi que la programmation de sa fin.

Mais organiser la marche c'est aussi savoir gérer le changement,renforcer les forces et facteurs d'accélération du changement selon lesséquences définies, résoudre le problème des forces et facteurs derésistance au changement, et faire du changement l'œuvre et leproduit de tous par le dialogue ou la palabre, la participation desdifférentes composantes de la société et l'engagement de tous ceuxqui sont concernés. Gérer le changement c'est enfm savoir se donnerles instruments de changement dont on ne dispose pas, en termes decapacité individuelle et institutionnelle, d'organisation et demécanismes fonctionnels.

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CONCLUSION

En écrivant ces pages, j'ai voulu remplir une partie de mondevoir et de mes obligations envers notre continent, en apportantun regard différent sur la réalité de ces quarante dernières annéesen Afrique, et sur les perspectives dont cette réalité est porteuse. IIest grand temps que les Africains fassent la distinction entre la partdu réel et celle de l'idéologique, de l'humanisme et du partenariatintéressé, du bonheur partagé et du rapport léonin dans les thèmesstratégiques et les recettes du système marchand du développe-ment. Le monde se "mondialise" et l'Afrique ne peut rester endehors de ce processus. Mais elle ne peut se résigner à y entrermains et pieds liés. Elle doit être acteur, et maîtriser son insertiondans cette dynamique à la lumière de la voie de développementqu'elle se définit et pense être la mieux indiquée pour le bien-êtrede ses populations.

Mettre l'Afrique dans la dynamique du développement humain,c'est contribuer à construire un monde pluricentriste et multipolairedans l'intérêt de tous, et à l'encontre de l'unipolarisation duprocessus actuel de mondialisation. Par ailleurs l'exigence depluricentrisme et de multipolarité n'est pas qu'économique oufinancière, elle est aussi conceptuelle, y compris en matière depensée du développement.

Le ton général du texte peut paraître pessimiste à certains. Loinde là. C'est dû sans doute à la gravité de la situation du continent,au souci de mettre l'accent sur les limites réelles des recettes etstratégies du SMD, et à la force de l'espoir de contribuer aussi à unautre éclairage dont le continent a besoin pour mieux fonder lespolitiques conséquentes pour le XXIème siècle.

Mais en terminant ce propos, j'ai aussi, et paradoxalement, lesentiment d'avoir répété des choses connues, d'avoir remâché desgénéralités d'intellectuels sans prise sur la réalité, et cela m'a amenéà me poser la question de la portée de mon texte.

J'ai voulu partager une autre lecture de la réalité, et discuter de

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la gestion d'une stratégie de développement autonome de l'Afriquedans le contexte du processus de mondialisation au XXlème siècle,et du mouvement de double libéralisation politique et économiqued'un continent marginalisé sur l'échiquier mondial. Il est vrai quebeaucoup de choses ont déjà été dites et redites dans ce sens, maissérieusement ou sournoisement combattues par les forcespolitiquement et économiquement dominantes. Elles ont été trèssouvent tournées en dérision par ceux qui ont refusé et continuentde refuser à l'Afrique le droit de produire le savoir et le savoir-fairesur elle-même. Faudrait-il abandonner la lutte et s'incliner devant lathéorie et la doctrine du plus fort? Car après tout, le domaine dudéveloppement est un terrain de luttes entre forces et intérêtspolitiques et économiques au niveau national et surtout internatio-nal. Les intérêts des pays et des continents sont en jeu.

J'ai donc choisi de reprendre, ou plutôt de participer à la mêmelutte d'intellectuels. Il ne s'agit pas pour moi - un individu - deformuler une politique de développement de l'Afrique en termesopérationnels concrets, je n'en ai pas l'ambition. J'ai voulu plutôtindiquer sur base de la situation d'ensemble du continent tellequ'elle s'annonce au siècle prochain, les conditions de base et lesaxes majeurs pour la définition d'une telle politique en termesopérationnels, et alors par des institutions africaines appropriées.C'est pourquoi aussi, je ne me suis pas donné la peine d'encombrerle lecteur de trop de chiffres si parlant pourtant, et que tout lemonde connaît par ailleurs.

Je voulais ici participer à l'interrogation que les intellectuelsafricains, se voulant au service du continent et de leurs peuples, seposent sur le devenir de leur continent tout en tentant des réponsesà la veille du XXlème siècle. Il est plus que temps en effet, ne fût-ce que par moments que l'on voudrait historiques, que le discourssoit réapproprié par les Africains. Car c'est un droit fondamental depenser et décider de son devenir, le reste des actions et effortsn'étant que la concrétisation de ce qui est défini dans l'exercice dece droit.

Mais c'est ici qu'il y a un risque majeur, celui d'un autreexercice d'intellectuels, heureux et satisfaits de pouvoir parler etsoulager leurs consciences, convaincus de leur mission de dire auxresponsables politiques ce qu'ils prétendent ou croient que ceux-cine connaissent pas. Ce qui finalement court le risque d'ajouter à laconfusion des productions, études et rapports existants, et donc auxprédications des prophètes et aux prescriptions des marabouts dudéveloppement en Afrique.

Les intellectuels africains continuent de prêcher, mais la portéede leur discours est peu évidente. Ils n'ont ni la force politique etsociale, ni la puissance économique qui leur permettraient de faire

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passer leur message. Ils n'ont pas d'organisations qui leur donne lepoids nécessaire dans le processus de prise de décisions sur lesquestions de politiques de développement. Les programmesd'ajustement structurels ont réussi à passer pour politique dedéveloppement et sont appliqués dans toute l'Afrique, simplementparce qu'ils étaient une condition d'accès aux ressources d'un pluspuissant et dont l'Afrique a besoin, alors que le CARPAS de laCEA, bien qu'adopté par les hauts responsables africains, n'ajamais pu voir un début de réalisation.

II se pose donc le problème de conditions et de chances d'unnouveau discours sur une stratégie autonome de développement del'Afrique, et par là, le problème d'identification des forcesporteuses d'un tel discours et les possibilités de sa mise en oeuvre.Plus exactement, lorsque les intellectuels africains tentent uneréponse ou même répondent à la question: "quelle place et queldéveloppement pour l'Afrique dans le monde du XXlème siècle ?"et esquissent une stratégie pour "inventer notre futur," à quis'adressent-ils? Aux dirigeants politiques qui peuvent superbementignorer cela, revendiquant leur sens de réalisme politique contre lerêve utopique des intellectuels?

La proposition de construire une société africaine ou mieux dessociétés africaines - il n'y a pas une mais plusieurs Afriquesrépètent continuellement le SMD et ses adeptes -, sur base deséconomies en croissance soutenue, assurant une vie décente à lamajorité, en offrant des opportunités à ceux qui ne sont pas encoreprospères, et ce dans un processus participatif de socialisation dudéveloppement, cette proposition requiert en effet des forcesporteuses qu'il faut identifier, sensibiliser et mobiliser. Dans cetteperspective, l'existence des courants de pensée actifs etdynamiques en Afrique peut y contribuer, et les intel1ectuels ont unrôle à jouer dans ce sens.

Mais au-dessus de tout cela, la mise en œuvre d'une stratégieautonome de développement requiert un autre leadership africain.

L'Afrique a eu des leaders pour sa libération du joug colonial,c'est-à-dire des dirigeants qui avaient une vision nationale dudevenir politique du pays, et qui mobilisaient leurs peuples autourdes idéaux de cette vision. De ce fait ils se sentaient à des degrésdivers, des responsabilités à l'égard de leurs peuples dans le sensdu bénéfice social et économique de l'indépendance. La générationdes dirigeants politiques de l'indépendance, quel1e que fût leuridéologie, avait donc - du moins pour la plupart d'entre eux -, unecarapace de meneurs de peuples vers un objectif de progrèscollectif, même si les fortunes ont été inégales. C'est pourquoi, lesquinze à vingt premières années des indépendances ont été desannées de progrès économique et social pour l'Afrique: les taux de

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croissance économique comme les réalisations dans le secteursocial - éducation et santé - ont été notables au cours de cettepériode. On a pu partager un rêve de bien être dans la lutte, leminimum à faire est qu'il y ait au moins un début de réalisation.

Pour être soutenu, cet effort exigeait un autre type deleadership, le leadership du développement, après celui de lalibération politique, dont la mission historique pouvait êtreconsidérée comme terminée. C'est le grand défi de l'Afriqued'aujourd'hui et au-delà d'elle, de l'Afrique du XXlème siècle:trouver les voies et moyens d'éclosion et de renforcement desleaders du développement, ceux qui incarnent une autre vision dudéveloppement, en sont porteurs, et peuvent ainsi amener lecontinent à faire face aux défis actuels et futurs de la socialisationdu développement, dans sa conception et son opérationalisation.

Il faut faire renaître le "rêve africain." Cette renaissancenécessite un nouveau modèle de pensée positive pour appréhenderce qui est faisable, compte tenu des ressources humaines etnaturelles du continent, et dans le contexte de la mondialisation.Cette renaissance requiert une nouvelle vision du développementnational et régional fondée sur ce que sont et seront les attentes, lesaspirations et les espoirs des générations actuelles et futures enAfrique (E. Johnson-Sirleaf, 1996).

C'est en cela que je prêche un rêve utopique, au sens noble duterme. C'est-à-dire un rêve inscrit dans le champ du possible,auquel on croit fermement et pour lequel on doit se battre, etcontinuellement se battre, afin qu'il puisse devenir réalité un jour.Car je sais que toute stratégie autonome de développement del'Afrique au XXlème siècle sera combattue par le SMD sousdifférents prétextes et sous différentes formes, pour le dangerqu'elle représente de limiter le marché et l'aire de contrôle de cedernier, et aussi pour ce qu'elle signifie comme positionnement del'Afrique en tant que sujet pensant son mode d'insertion dans leprocessus de mondialisation.

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BIBLIOGRAPHIE

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Conclusion:JOHNSON-SIRLEAF E. (1996), Le défi de la génération actuelle de pirigeantsafricains, Communication à la Conférence des Ministres Africains de l'Economie.des Finances et du Plan, Ouagadougou, janvier.

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TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE de Samir Amin

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIEQVA TRE DÉCENNIES D'ILLUSIONS DEDEVELOPPEMENT

CHAPITRE I : L'IMPASSE DU DÉVELOPPEMENTEN AFRIQUE1. Quarante ans de développement ou d'illusions?2. Le contexte économique mondial à l'aube du XXIème

siècle3. Le développement de l'Afrique à l'heure de la

mondialisationComprendre la mondialisation...Et l'économie africaine qui s'embarque dans lamondialisation

4. La nécessité du retour à la case de départ

CHAPITRE II : QUAND LE MARCHAND S'HABILLEEN MARABOUT DU DEVELOPPEMENT1. Le marabout dans la société africaine2. Marabouts modernes ou marchands du développement3. Le système marchand du développement (SMD)

DEUXIÈME PARTIEL'ARSENAL STRA1ÉGIQUE DU SYSTÈMEMARCHAND DU DEVELOPPEMENT

CHAPITRE III : L'ARSENAL STRATÉGIQUE DUSMD1. Philosophie et cadre conceptuel2. Champs d'application, formes et acteurs du système de

l'aideFormes et champs d'applicationActeurs et activités dans la gestion de l'aide

3. Stratégies, instruments et mécanismes opérationnelsApproches conceptuellesInstruments stratégiques

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Mécanismes opérationnels4. Efficacité et pertinence de l'aide

L'impact de l'aide: bilan négatif ou résultats mitigésPertinence ou dimension pernicieuse de l'aide?L'aide au développement et la politique

CHAPITRE IV : LA CONDITIONNALITÉ DESRÉFORMES ÉCONOMIQUES DANS LE DISPOSITIFDUSMD1. La raison d'être des politiques de réformes2. Portée de la conditionnalité des réformes économiques3. Réformes économiques et endettement de l'Afrique4. Réformes économiques et compétitivité de l'Afrique sur

le marché mondialThéories courantes et conseils à l'AfriqueLe marché mondial actuelEspoirs et limites de la compétitivité africaine sur lemarché mondialRéformes économiques et ajustement au marché mondial

5. Réformes économiques et "mondialitarisation" deséconomies africainesInversion des valeurs et rôle de l'ÉtatLe paradis promis en 2020 ?

CHAPITRE V : LA PORTÉE DE LACONDITIONNALITÉ DE LA BONNEGOUVERNANCE ET DE LA DÉMOCRATISATION1. Les origines actuelles de la gouvernance

La crise de la composante politique du modèleNécessité des réformes politiques et émergence duconcept de gouvernance

2. Contenu et pertinence du nouvel instrumentNotionPertinence du concept

3. Quelle gouvemance pour l'Afrique de demain?Bonne gouvemance et développement humain durableSignification économique et exigences politiquesContraintes et limites à la démocratisation et à la bonnegouvernance

CHAPITRE VI : LE PRÉTEXTE DURENFORCEMENT DES CAPACITÉS EN AFRIQUE1. De la coopération technique à la "construction" des

capacitésLes objectifs de la coopération techniqueLa mise en œuvre de la coopération technique

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L'efficacité de la coopération techniqueLes propositions de réforme de la coopération technique

2. L'approche du SMD dans la "construction" des capacitésen AfriqueContexte historique et notionActeurs et instruments de la "construction" des capacitésen AfriqueDimensions et domaines prioritairesDémarche méthodologique et mécanismes opérationnels

3. Quelles capacités pour quel développement de l'Afriquede demain?Le SMD et l'affaiblissement des capacités en AfriqueDéveloppement humain et développement des capacitésnationales en Afrique

TROISIÈME PARTIEREGARD VERS LES XXIème SIÈCLE

C~ITRE VII: LUTTER POUR QUELDEVELOPPEMENT?1. La crise du développement dans le monde contemporain2. Le concept de Développement Humain Durable3. Les implications du paradigme

CHAPITRE VIII: ET AVEC QUELLE STRATÉGIE?1. Quel développement humain pour l'Afrique de demain?

Les objectifsLes enjeux

2. Esquisse d'une stratégie de développement pour leXXIème siècleLes éléments composantsLes moyensLa gestion de la stratégie

CONCLUSION

BffiLIOGRAPHIE

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233233

238244248

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LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1.1. Indicateurs économiquesTableau 1.2. Croissance du PIB en AfriqueTableau 1.3. Épargne et investissement en AfriqueTableau 1.4. Indicateurs sociauxTableau 3.1. Aide publique au développement accordée à

l'Afrique subsaharienneTableau 3.2. La dépendance vis-à-vis de l'aideTableau 4.1. Revenu total des investissements directs des

États-Unis en Afrique et revenu par sociétéaffiliée par région, 1982-93

Tableau 4.2. Taux de rendement des investissementsdirects des États-Unis, par région, 1980-93

Tableau 4.3.Distribution de l'accueil des lED (1983-97)Tableau 4.4. Dette extérieure de l'AfriqueTableau 4.5. Indicateurs économiques récents

en Afrique 1993-97Tableau 4.6. Intégration à l'économie mondialeTableau 4.7. Croissance en Afrique

et dans le monde (1980-98)

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37414245

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167173

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Collection "Économie et Innovation"

Ouvrages parus

J.L. CACCOMO, Les défis économiques de l'information, La numérisa-tion, 1996.D. UZUNIDIS et S. BOUTILLlER, Le travail bradé. Automatisation,mondialisation, flexibilité, 1997.Ch. PALLOIX, Y. RIZOPOULOS (sous la direction de), Firmes et éco-nomie industrielle, 1997.A. MAILLARD, Le marché inhumain et comment le dompter, 1998.B. LAPERCHE, Lafirme et l'information, Innover pour conquérir, 1998.S. SAMMUT, Jeune entreprise, La phase cruciale du démarrage, 1998.N. EL MEKKAOUl DE FREITAS, Fonds de pension et marchés finan-ciers, 1999.J.P. MICHIELS et D. UZUNIDIS (coordinateurs), Mondialisation etcitoyenneté, 1999.T. VERSTRAETE, Entrepreneuriat, connaître l'entrepreneur, Compren-dre ses actes, 1999.H. JORDA, Travail et discipline, De la manufacture à l'entreprise intelli-gente, 1999.R. BELLAIS, Production d'armes et puissance des nations, 2000.B. LESTRADE et S. BOUTILLlER (sous la direction de), Les mutationsdu travail en Europe, 2000.

Série Krisis

P. LAFARGUE, Le déterminisme économique de Karl Marx (1909), série"Krisis" 1997.A. NICOLAÏ, Comportement économique et structures sociales (1960),série "Krisis", 1999.J. CHAILLOU, Travail simple, travail qualifié, Valeur et salaires,Approche mathématique, série "Krisis", 2000.

Série Clichés

S. BOUTILLIER, D. UZUNIDIS, Port et industries du Nord, Clichésdunkerquois, série "Clichés", 1998.D. HILLAIRET, L'innovation sportive, Entreprendre pour gagner, série"Clichés", 1999.

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INNOVATIONSCahiers d'économie de l'innovation

Éditions L'Harmattan (Paris)Revue/ondée en 1995

publiée avec le concours de l'Universitédu Littoral Côte d'Opale

Numéros déjà parus:

nOl Progrès et ruptures, 1995-1 : 100 trancs (15,24euros)

n02 Innovation, croissance et crise, tome l, 1995-2: 100 trancs (15,24euros)

n03 Innovation, croissance et crise, tome 2, 1996-1 : 110 trancs (16,77euros)

n04 1. Schumpeter, Business Cycles et le capitalisme, 1996-2: 130 francs (19,82euros)

n05 Structures industrielles et mondialisation, 1997-1 : 110 trancs (16,77euros)

n06 Karl Marx, le capital et sa crise, 1997-2: 150 trancs (22,87euros)

n07 La valeur du travail, 1998-1 : 120 francs (18,29euros)

n08 Petite entreprise, le risque du marché, 1998-2: 90 francs (13,72euros)

n09 Travail et Capital, la mésentente, 1999-1 : 90 trancs (13,72euros)

nOlO Le salariat en triches, 1999-2: 110 francs (16,77euros)

n011 Déséquilibre. Innovations et rapports sociaux, 2000-1 : 120 trancs (18,29euros)

Abonnement annuel: 220 francs (33,54 euros)

RenseignementsDimitri Uzunidis Laboratoire RII

téléphone: 03.28.23.71.35email:[email protected]

Achevé d'imprimer Je 26 avril 2000 sur les presses de Dominique Guéniot,imprimeur à Langres - Saints-Geosmes - Photocomposition: L'Harmattan

Dépôt légal: mai 2000 - N° d'imprimeur: 3963