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Institut d’Etudes Politiques de Toulouse - 2 ter rue des puits creusés - 31300 Toulouse Mémoire de recherche Présenté par M. Quentin Moutous Directeur de mémoire : M. Bernard Labatut 2010 « L’OCEAN INDIEN, NOUVEL AXE GEOSTRATEGIQUE : LES ENJEUX DE LA PIRATERIE MARITIME AU LARGE DE LA CORNE DE L’AFRIQUE »

Mémoire de recherche - memoires.sciencespo-toulouse.fr · Partie 1 : Le retour des pirates, mise en perspective du « nouveau » phénomène de ... Ponant, Carré d’As et Tanit

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Institut d’Etudes Politiques de Toulouse - 2 ter rue des puits creusés - 31300 Toulouse

Mémoire de recherche

Présenté par M. Quentin Moutous

Directeur de mémoire : M. Bernard Labatut

2010

« L’OCEAN INDIEN, NOUVEL AXE GEOSTRATEGIQUE : LES ENJEUX DE LA

PIRATERIE MARITIME AU LARGE DE LA CORNE DE L’AFRIQUE »

Institut d’Etudes Politiques de Toulouse - 2 ter rue des puits creusés - 31300 Toulouse

Mémoire de recherche

Présenté par M. Quentin Moutous

Directeur de mémoire : M. Bernard Labatut

2010

« L’OCEAN INDIEN, NOUVEL AXE GEOSTRATEGIQUE : LES ENJEUX DE LA

PIRATERIE MARITIME AU LARGE DE LA CORNE DE L’AFRIQUE »

Avertissement :

L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires

de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

Sommaire

Partie 1 : Le retour des pirates, mise en perspective du « nouveau » phénomène de

piraterie maritime

I. Des pirates grecs aux damnés de la mer somaliens : filiation ou nouveau

phénomène ?

II. La Corne de l’Afrique entre tradition maritime et piraterie

Partie 2 : La piraterie au XXIe siècle dans le golfe d’Aden

I. Une résurgence pluricausale du phénomène

II. Des conséquences indéniables

III. Les réponses opérationnelles : un emplâtre sur une jambe de bois ?

IV. L’Océan Indien : nouveau théâtre des rapports de force entre Etats

Partie 3 : Les enjeux juridiques de la piraterie maritime contemporaine

I. La piraterie maritime en droit international

II. Le droit français et la lutte contre la piraterie

III. Impasses juridiques et avancées nécessaires à une lutte judiciaire efficace

Partie 4 : La piraterie à terre

I. La Somalie depuis 1991 : de l’Etat failli aux Tribunaux islamiques

II. Les composantes claniques en Somalie : essai d’anthropologie et de sociologie

sur les pirates

III. Criminalité et piraterie : quelles externalités pour quelles populations ?

1

Introduction

Depuis l’année 2008 et les prises médiatiques de navires français par les pirates au large de la

Somalie, les attentions des journaux et des experts se sont tournés vers la Corne de l’Afrique

et plus particulièrement vers la Somalie, zone grise sinistrée et oubliée des débats

internationaux depuis 1994. Les pirates somaliens, oubliés de la mondialisation, ont su se

rappeler avec force aux esprits occidentaux.

Le phénomène est loin d’être nouveau mais pose un certain nombre de problèmes. C’est en

premier lieu la stabilité du commerce maritime mondial qui est inquiétée. Le principe de libre

circulation maritime est touché et sert de prétexte aux interventions fortes et multilatérales des

Etats. Alors que 90 % du commerce mondial utilise les voies maritimes et que le détroit de

Bāb al-Mandab est un point névralgique de la route Europe-Asie, les pirates somaliens ont

saisi les opportunités d’enrichissement qui se présentaient à eux.

La menace est fondamentalement asymétrique : les pirates sont rapides et connaissent bien la

région lors que les marines nationales doivent couvrir une zone de plusieurs milliers de

kilomètres carrés. Le sujet de la piraterie maritime et plus précisément la lutte contre cette

forme de criminalité obligent à conceptualiser les réponses qui sont apportées qu’elles soient

juridiques, opérationnelles ou terrestres. De la même façon, étudier la piraterie sous tous ses

angles c’est adopter une posture multidisciplinaire, condition sine qua none à une analyse

juste, complète et précise. Les approches opérationnelles et factuelles de la piraterie au large

de la Somalie ont été largement traité à partir de 2008 dans les journaux d’information ; les

premières analyses scientifiques et rapports d’experts s’intéressent exclusivement aux risques

inhérents à la piraterie et aux réponses opérationnelles immédiates qui sont mises en place.

Pourtant, traiter le problème à la fois selon un angle historique et grâce aux apports de

discipline voisines de la science politique – sociologie et anthropologie en premier lieu –

apportent un éclairage à la fois inédit et approfondi du problème.

La méthodologie adoptée s’articule autour d’une déconstruction du phénomène ; loin d’être

monocausale, la piraterie est un phénomène complexe dont il faut isoler et observer les

différentes strates pour en comprendre la nature et ainsi apporter des réponses ajustées aux

problèmes qu’elle soulève. Le parti pris est simple : la piraterie est avant tout un mal terrestre

qui s’exprime en mer. Pourtant, une approche multidisciplinaire du phénomène pose

d’importants problèmes de méthodes et de sources. Le contexte sécuritaire somalien est

2

instable et rend presque impossible la constitution d’un matériau empirique primaire sur la

piraterie à terre et plus globalement sur l’organisation de la société somalienne. La principale

difficulté peut paraître paradoxale : d’un côté les sources concernant la situation à terre et

l’organisation clanique somalienne viennent à manquer alors qu’à l’inverse, les rapports sur

les opérations navales menées à l’encontre de la piraterie ainsi que les articles de presse sont

pléthoriques. Il a fallu à la fois réussir à limiter cet afflux d’observations sur les aspects

purement militaires et se procurer des informations sur la situation à terre.

Afin de se conformer à cette volonté de stratification et d’analyse déconstruite de la piraterie,

le mémoire est construit autour de quatre sections essentielles. En premier lieu, établir une

perspective historique de long terme est essentielle et permet d’extraire – contre toute attente

– des traits communs aux vagues pirates depuis l’Antiquité. Logiquement, ce retour historique

ramène le propos à l’époque contemporaine et conduit à étudier la résurgence contemporaine

de la piraterie en Somalie. L’aspect juridique du phénomène est un enjeu majeur du traitement

efficace de la piraterie et constitue un lien entre l’étude contemporaine de la piraterie et

l’observation de ses dimensions terrestres qui forme la dernière partie du mémoire.

3

Partie 1 : Le retour des pirates, mise en perspective du « nouveau » phénomène de

piraterie maritime

En avril 2008, les journaux de 20 heures ouvrent en grande majorité sur la prise armée d’un

voilier de croisière transitant par le golfe d’Aden pour rejoindre sa zone d’activité de

printemps. L’affaire du Ponant marque le coup d’envoi d’une agitation médiatique qui ne

s’apaisera qu’une année plus tard, en avril 2009, suite à la prise du Tanit.

Bien que l’opinion publique française se soit émue des différentes affaires : Ponant, Carré

d’As et Tanit dont on connait l’issue regrettable1, la piraterie n’est en rien une nouveauté y

compris à l’époque contemporaine. Au début des années 2000, le phénomène sévissait avec

intensité en mer de Chine et dans le détroit de Malacca, sans pour autant attirer l’attention des

médias occidentaux. Les actes de piraterie recensés entre 1999 et 2001 sont pourtant

nombreux ; le BMI recense en effet 164 actes de piraterie réussis en 1999, 242 en 2000 et 153

en 2001. Des experts brandissent le risque de marée noire suite à un abordage au milieu des

récifs du détroit de Singapour mais l’indifférence prévaut.

La piraterie est en réalité un phénomène ancien et qui connaît une évolution sinusoïdale selon

la capacité des Etats riverains à contrôler l’activité de la population sur la côte.

Ce constat simple a néanmoins une conséquence importante ; pour appréhender la piraterie

maritime contemporaine, en comprendre les enjeux, les schémas et les moyens de prévention

ou de répression, une étude historique du phénomène est une alliée incontournable pour une

compréhension intelligente du sujet.

En 1952, Philippe Grosse dans Histoire de la piraterie appréhende avec justesse la nature de

la piraterie qu’il définit comme un corollaire inévitable à la navigation et au commerce

maritime : « La piraterie, tout comme le meurtre, est une branche de l’activité humaine dont

on trouve le plus tôt des traces dans l’histoire. Les références que l’on y voit coïncident avec

les premières allusions aux voyages et au commerce. On peut admettre que très peu de temps

après que les hommes eurent commencé à transporter des marchandises d’un lieu à un autre,

il se révéla nombre d’hommes entreprenants qui trouvèrent profit à intercepter ces produits

1 Le Tanit est un voilier français abordé par des pirates somaliens au début du mois d’avril 2009. Son skipper,

Florent Lemaçon est mort par balle durant l’assaut des commandos français sur le voilier. L’enquête judiciaire a établi, début mai, que le tir était d’origine militaire.

4

au cours de leur trajet. Le commerce suit l’implantation du pavillon ; et le pillage, que ce soit

sur terre ou sur mer, suit le commerce. »2

La première partie de ce mémoire s’inscrit dans une perspective historique. L’étude sur le

long terme du phénomène de piraterie peut nous permettre de dégager des schémas communs

avec le phénomène contemporain ; l’observation conjointe des réponses apportées aux

différentes vagues de piraterie ainsi que de l’histoire longue de la région dite de la « Corne de

l’Afrique » constituent un préalable nécessaire à une étude de la piraterie au XXIe siècle.

I. Des pirates grecs aux damnés de la mer somaliens : filiation ou nouveau

phénomène ?

Les titres de presse de l’année 2008 principalement ont fait grand cas du « nouveau »

phénomène de piraterie que la majorité de l’Occident croyait réservé aux fictions à grand

succès. Plus qu’une innovation en terme de criminalité, il s’agit davantage d’une résurgence

des activités de piraterie à partir des années 1990 jusqu’aux récentes attaques le long des côtes

africaines de l’Océan Indien.

Sur le plan étymologique, le mot pirate vient du grec « peiratès » et du mot latin « pirata »

qui voudraient dire « celui qui tente la fortune ». De fait, la piraterie semble aussi ancienne

que la navigation. Elle est apparue environ 5 000 ans avant J.-C. en Arabie ; certaines cartes

du golfe Persique font par ailleurs mention d’une « côte des Pirates ». De même, les mythes et

légendes de l’Antiquité ainsi que les écrits et chronique historiques font mention de la

présence de pirates dans le bassin méditerranéen. Les premières attaquent recensées dans les

sources antiques remontent au VIIe siècle av. J.-C. et sont situées en Méditerranée et dans la

mer Egée. L’état d’avancée technique de la navigation – absence de compas – oblige les

navires marchands à longer les côtes pour se repérer ce qui en faisait des proies faciles. Le

commerce égyptien, grec, crétois, phénicien et romain est ainsi régulièrement détourné tout

comme le sont les navires de passagers. Le jeune Jules César lui-même fait l’expérience, avec

deux millénaires d’avance sur les otages occidentaux du golfe d’Aden, de la détention et du

système de rançon3.

L’observation de Philippe Grosse sur la nature de la piraterie amène plusieurs conclusions. La

première est que l’apparition de la piraterie est liée à celle de la navigation et du commerce

maritime. Il souligne à raison qu’il s’agit d’une « activité humaine » qui trouve son origine

2 Philippe Grosse, Histoire de la piraterie, Payot, 1952.

3 Capturé en mer d’Egée en 78 av. J.-C., Jules César fût libéré contre le versement de 50 talents d’or.

5

dans l’opportunité du profit. La seconde conclusion qu’on peut faire en se basant sur cette

observation est que la piraterie est un phénomène latent et cyclique : l’hydre pirate tel que

défini par Eric Frécon4 ressurgit par vague au gré des opportunités qui s’offrent à lui.

La mondialisation du commerce international, l’intensité du trafic maritime et la configuration

géographique de la région ont été des facteurs déterminants pour la résurgence de la piraterie.

Quelles furent les conditions d’existence de la piraterie depuis l’Antiquité ? Quels furent les

modus operandi de ces pirates ? Et quelles furent les réponses apportées par les autorités alors

en charge ?

Les réponses à ces questions devraient permettre d’éclairer le phénomène de piraterie

contemporaine tout en présentant de potentiels enseignements sur les mesures potentielles.

1.1 Une histoire millénaire : les vagues de piraterie depuis l’Antiquité

L’étude de la piraterie des origines à nos jours pourrait constituer à elle seule le sujet de

plusieurs ouvrages. Le but recherché ici n’est pas de dresser un tableau exhaustif de la

piraterie depuis les pirates grecs de la mer Egée mais d’extraire les grandes lignes du mode

d’action pirate, d’en dégager des schémas qui constitueront autant de grilles de lecture et

d’analyse de la piraterie contemporaine.

Pour ces raisons, notre étude historique se limitera aux vagues pirates de l’Antiquité et à

celles consécutives à la découverte des Amériques et au développement des nouvelles voies

maritimes entre l’Europe et le Nouveau Monde. La piraterie au Moyen-âge et à la

Renaissance provenant d’Afrique du Nord ne sera évoquée qu’ici. Les pirates, originaires

d’Afrique du nord et appelés « barbaresques », sillonnaient la Méditerranée et attaquaient les

navires marchands génois, vénitiens ou espagnols. L’un d’entre eux, Barberousse, devint

même roi d’Alger au XVIe siècle.

i. La piraterie dans l’Antiquité

Nous avons établi auparavant que piraterie et navigation étaient deux concepts inséparables. Il

convient à présent de préciser cette assertion et de la renforcer.

4 Posdoctorant à la RSIS (S. Rajaratnam School of International Studies) à Singapour. Auteur d’une thèse sur la

piraterie maritime en Asie du Sud-est à l’IEP de Paris.

6

Origines primitives

L’origine de la piraterie est en quelque sorte l’origine même de la navigation. Il serait

inapproprié de croire que la piraterie éclata tout d’un coup et à l’encontre de lois maritimes.

Dans ses premiers temps, la piraterie ne fut ni méprisable ni criminelle et il fallut de facto

attendre plusieurs siècles pour qu’elle soit considérée comme telle par des jurisconsultes. La

navigation remonte quant à elle à la plus haute antiquité et est liée aux besoins des sociétés

primitives de satisfaire leurs besoins élémentaires ; l’obligation alimentaire en étant la

principale. Concernant son origine, les plus anciens auteurs ne rapportent à ce sujet que des

légendes. La légende d’Osoüs se rapproche de la vérité puisqu’elle présente une idée qu’on

retrouve en divers endroits : un riverain de la mer imagina de monter sur le tronc d’arbre qu’il

voyait flotter pour se soutenir sur l’eau, il remarqua sans doute qu’il parvenait à se mouvoir

avec plus de facilité dans le sens de la longueur et sentit la nécessité de se faire un point

d’appui dans l’eau.

Quoiqu’il en soit les fouilles archéologiques de Foresi sur l’île de Sardaigne et de Fouqué à

Santorin ont prouvé que la navigation existait dès l’âge de pierre. Les séries d’objets

découverts ont été taillés sur place mais dans une variété de quartz et d’obsidienne qui

n’existaient pas sur l’île. Il faut donc que la navigation ait été assez avancée à cette époque

pour permettre des échanges entre l’île et le continent.

Le véritable caractère de la piraterie peut être décelé dans ses origines. De manière empirique,

l’humanité est organisée à l’origine sous la forme d’éparpillements nombreux ; des tribus qui

n’offrent en aucune manière un état de civilisation comparable au niveau atteint par les

civilisations chinoises, égyptiennes, grecques ou romaines. Les tribus maritimes, à l’instar de

celles du continent, se disputaient leurs ressources et le produit de leurs travaux. Jules M.

Sestier dans son ouvrage « La piraterie dans l’Antiquité » voit dans ces luttes l’origine du

brigandage et de la piraterie.

Plus intéressant encore, la lecture d’Hérodote nous permet de dresser un parallèle intéressant

entre la piraterie contemporaine et celle pratiquée pendant l’Antiquité grecque. Ce dernier

commence en effet son premier livre et son premier chapitre par le récit d’exploits de piraterie

commis contre des femmes par les Phéniciens. Hérodote nous apprend également que Pâris,

fils de Priam, résolut d’enlever Hélène de Sparte. Ce fut en quelque sorte la piraterie qui fut la

cause de la guerre de Troie.

7

Il est étonnant de voir la fréquence considérable des récits d’enlèvements – la plupart du

temps de femmes ; la femme étant la plus faible tombe aux mains de l’homme et devient sa

propriété – dans les écrits des auteurs anciens. Dès l’Antiquité et bien que les motivations

d’alors furent différentes de celles de maintenant, il semblerait que le phénomène de piraterie

était déjà corrélé à celui de l’enlèvement.

Enfin, l’origine de la piraterie peut également être rapportée aux temps mythologiques

puisque l’exploit de piraterie peut-être le plus ancien est celui qui est consigné dans la légende

de Dionysos. Ovide a fait de cette légende le sujet du troisième tome des Métamorphoses.

Dionysos remporte son plus éclatant succès sur les pirates tyrrhéniens. Emmené captif sous

les traits d’un jeune homme appesanti de sommeil et de vin, ses liens se détachent d’eux-

mêmes et toutes les parties du navire sont subitement enveloppées de lierre. Dionysos prend

alors la forme d’un lion, les pirates se jettent à la mer épouvantés et sont transformés en

dauphins. On peut au même titre évoquer l’expédition des Argonautes ; Jason et ses

compagnons peuvent être considérés comme de vrais pirates si on écarte les fictions dont

l’imagination hellénique l’a paré. En se penchant sur le récit d’Homère et plus précisément

sur l’épisode d’Ulysse chez Eumée, on comprend combien la piraterie était à cette époque une

profession reconnue et répandue. Dressant un portrait qui n’est pas le sien à son hôte, Ulysse

évoque ces actes comme de brillants exploits dignes de l’admiration de son hôte5.

Les pirates grecs

Montesquieu dans Esprit des lois affirme d’emblée que « les premiers grecs étaient tous des

pirates ».

A nouveau on peut tracer un parallèle intéressant concernant une des conditions préalable à

tout acte de piraterie : l’importance du contexte géographique. On étudiera en détail la

géographie physique des côtes d’Afrique de l’Est en détail dans la partie 2 de ce mémoire

mais on peut d’ores et déjà mettre en avant les similitudes entre la situation géographique de

la Grèce antique et celle du détroit de Bāb Al-Mandab aussi bien au niveau de la découpe des

côtes qu’au niveau de l’activité économique régionale.

Durant l’Antiquité, la configuration de la Grèce se prêtait parfaitement à la piraterie.

Pouqueville en donne cette description concise mais néanmoins intéressante : la Grèce est

5 « Avant le départ des fils de la Grèce pour Ilion, déjà neuf fois j’avais conduit contre les peuples étrangers des

guerriers et des vaisseaux rapides, et toutes choses m’étaient échues en abondance. Je choisissais une juste part du butin, le sort disposait du reste et me donnait encore beaucoup », Odyssée, XIV, traduction de Guiget.

8

« placée au centre de l’ancien continent, baignée de trois côtés par la mer, bordée de rivages

découpés par des golfes profonds, abondantes en havres abrités ». On peut ajouter également

que les côtes grecques sont riches en bois, en promontoires et en caps. De plus, la mer d’Egée

est composée d’une multitude d’îles qui constituait un véritable empire sécurisé pour les

pirates. Le tracé des côtes offrait plus d’un refuge aux pirates grecs et fournissait un terrain

plus que favorable à l’exercice de leurs activités.

Si on a vu auparavant comment les temps mythologiques et homériques offraient une place

respectable à la piraterie dans la mesure où les héros grecs s’y livraient ; il faut souligner que,

de la même manière, les habitants de la Grèce et des îles de la mer Egée considéraient le

métier de pirate comme une profession à part entière offrant gloire, réputation et richesse.

Thucydide, l’historien de la guerre du Péloponnèse, livre un tableau très juste des débuts de la

race hellénique : « Anciennement ceux des Hellènes ou des barbares qui étaient répandus sur

les côtes, ou qui habitaient les îles, surent à peine communiquer par mer, qu’ils se livraient à

la piraterie, sous le commandement d’hommes puissants, autant pour leur propre intérêt que

pour procurer de la nourriture aux faibles. Ils attaquaient de petites républiques non

fortifiées de murs et dont les citoyens étaient dispersés par bourgades ; les saccageaient, et de

là tiraient presque tout ce qui était nécessaire à la vie. Cette profession, loin d’avilir,

conduisait plutôt à la gloire. C’est ce dont nous offrent encore aujourd’hui la preuve et des

peuples continentaux chez qui c’est un honneur de l’exercer, en se conformant à certaines

lois, et les anciens poètes, qui, dans leurs œuvres, font demander aux navigateurs qui se

rencontrent s’ils ne sont pas des pirates ; ce qui suppose que ceux qu’on interroge ne

désavouent pas leur profession, et que ceux qui questionnent ne prétendent pas insulter. […]

De cette antique piraterie est resté chez ces peuples continentaux l’usage d’être toujours

armés. […] Les insulaires surtout se livraient à la piraterie »6.

Cette description incomparable livrée par Thucydide, en plus d’être avérée sur le plan

historique, amène plusieurs réflexions vis-à-vis du sujet et de la comparaison avec la piraterie

contemporaine au large des côtes africaines. L’historien affirme que la piraterie était présentée

et considérée comme une « profession » à part entière mais aussi que la piraterie était

logiquement pratiquée par les insulaires, c'est-à-dire par des gens de la mer rompus à la

navigation. Sans dresser un parallèle abusif d’un siècle à un autre, ces informations mises en

perspective avec une étude sociologique de la piraterie somalienne – comme il sera fait dans

6 Thucydide, I, 3, 6, 7, 8.

9

la partie 4 de ce mémoire – sont également représentatives des similitudes entre les vagues de

résurgence du phénomène pirate. Une grande partie des communautés somaliennes, et

principalement celles des côtes, considère davantage la piraterie comme une

activité d’entreprenariat que comme une activité criminelle. A plus forte raison, les pirates,

par les revenus qu’ils s’approprient, sont devenus des partis enviables et représentent « ceux

qui ont réussis ». De la même façon que les insulaires grecs, une grande partie des pirates

somaliens contemporains sont des gens de la mer – bien souvent d’anciens pêcheurs

reconvertis – connaissant leurs côtes et habiles à la navigation.

L’importance de la piraterie à l’époque antique grecque se mesure aussi à la puissance de

certains prince-pirates, notamment le tyran de Samos, Polycrate, qui fut sans doute un des

pirates les plus puissants de Grèce. Les Samiens étaient d’origine carienne et phénicienne et

avaient par conséquent développé un goût précoce pour la navigation et la piraterie ; ils furent

parmi les premiers Grecs à se rendre redoutables sur mer notamment grâce aux soins apportés

à leur flotte et à l’héritage carien. Loin d’être anecdotique, la puissance des Samiens influa

même sur les jeux politiques régionaux. Les Samiens créèrent ainsi un établissement à Oasis

en Haute Egypte et ce fut grâce à des pirates samiens et cariens que le roi Psamétik Ier fut

rétabli sur le trône d’Egypte : les Samiens furent les premiers Grecs à s’établir en Egypte. La

description des enjeux politiques sur Samos est peu pertinente eu égard à une comparaison

avec la situation en Somalie. On retiendra seulement que les dissensions prirent fin avec

l’établissement de la tyrannie par Polycrate. Ce dernier était néanmoins un parfait pirate qui

créa une marine redoutable : il fit construire des vaisseaux plus larges et plus profonds, les

rendit plus léger en modifiant la forme de la proue.

La comparaison entre le modèle grec de piraterie et le modèle somalien trouve ici une

première limite. La piraterie contemporaine au large de la Corne de l’Afrique ne semble pas

présenter de figure dominante à terre comme en mer à la façon d’un Polycrate. En revanche,

on retrouve ce type de figure dominante dans la piraterie qui s’est développé dans les mers

d’Asie du Sud-est au cours des années 1990 et début 2000.

L’observation de la piraterie grecque présente, toutes proportions gardées, des schémas

intéressants et similaires aux schémas contemporains de piraterie. Il semble par conséquent

exister des conditions préalables et nécessaires au développement de la piraterie dans une

zone : un tracé de côtes favorable et une tradition maritime au sein des populations qui permet

10

à ces dernières d’avoir une certaine considération pour l’activité de piraterie ainsi que les

connaissances en navigation essentielles.

Rome et la piraterie

Le second grand empire de l’Antiquité, l’Empire Romain, eut aussi des rapports complexes

avec la piraterie. Contrairement aux croyances communes qui décrivent l’Empire romain

comme un empire presque exclusivement terrestre, les Romains portèrent assez tôt leur

attention du côté de la mer. La position géographique de Rome offrait ainsi une escale

naturelle pour les navires de commerce ainsi qu’un refuge pour les navires fuyant les pirates

en haute mer. Le port d’Ostie fut construit dès le VIe siècle av. J.-C. par Ancus Marcius et les

sources montrent bien que Rome se livrait, dès les premiers temps de la République, à un

commerce actif avec la Sicile, Sardaigne, Carthage et ses colonies d’Afrique. Si une culture

maritime semblait bel et bien exister dans la Rome des premiers âges, les romains n’osaient

pas encore s’aventurer loin dans des mers largement dominées par les flottes grecques.

Les premières expériences romaines en matière de piraterie sont principalement des attaques

subies sur les côtes d’Italie. Il faut attendre une trentaine d’années après la prise d’Antium7 en

338 av. J.-C. pour que les romains organisent une activité pirate à leur profit : le tribun Decius

Mus fit créer deux magistrats appelés duumvirs qui furent chargés de veiller à l’armement des

vaisseaux destinés à piller les côtes. De la même façon la suprématie maritime joue un rôle

majeur dans l’expansion romaine. La grande lutte entre Rome et Carthage est aussi une lutte

pour la domination maritime de la Méditerranée ; la piraterie a alors souvent précédé l’état

légal de guerre, Carthage ne pouvant être attaquée presque uniquement que par voie maritime.

Les actions maritimes romaines en Méditerranée vont néanmoins créer un environnement

favorable au développement de la puissance des pirates. Rome a peu à peu détruit toutes les

flottes de ses voisins mais une fois cela fait n’a pas songé à pérenniser sa domination sur les

mers et encore moins à y faire la police. Sous Marius et Sylla, Rome est déchirée par la guerre

civile et par les luttes contre Spartacus et Sertorius ; le contexte politique à terre ne permet

donc pas d’assurer une quelconque sécurité maritime. Dans cet intervalle les pirates avaient

envahi les mers et y régnaient en maîtres depuis les côtes de l’Asie mineure ; la mer devient le

refuge de ceux qui refusent de se soumettre à la loi romaine. La mise à bas des autres flottes

par la flotte romaine accroit davantage l’opportunité et la sureté des profits pour les pirates.

7 Antium était un des ports principaux duquel partaient les navires pirates armés. Posthumius, un des chefs

pirates de la région ayant pour habitude de piller les côtes de la Sicile fut pris et mis à mort en 339 av. J.-C.

11

La filiation avec la piraterie durant la période de domination grecque et l’héritage laissé aux

vagues de piraterie suivantes est à nouveau visible ici. L’opportunité du profit et le danger

faible sont à nouveau des conditions déterminantes du développement de la piraterie : bien

que Rome soit une puissance dominante, la situation politique à terre ne permet pas aux

autorités de prévenir ce développement. Plus intéressant encore, à l’époque de Mithridate les

pirates ne naviguent d’abord que sur des brigantins8 légers mais sont peu à peu en état

d’armer de nouveaux bâtiments grâce aux richesses obtenues lors de leurs premiers pillages.

On retrouve un schéma de progression identique dans le cadre de la piraterie somalienne : les

pirates somaliens font également preuve d’adaptation et d’évolution technique et

technologique – utilisation progressive d’armes plus sophistiqués, de bateaux-mères ou encore

de systèmes de localisation GPS. Concernant la considération donné à l’activité pirate,

Plutarque dans Vie de Pompée apporte un éclairage pertinent en précisant que la piraterie était

devenu un métier honorable et propre à flatter l’ambition en plus d’être un moyen pour

l’aristocratie romaine ruinée de refaire sa fortune.

L’historien allemand Mommsen apporte également quelques éléments de filiations

intéressants sur la piraterie en Méditerranée à l’époque de Sylla. Pour lui les pirates de Cilicie

– région propice à leur établissement en raison de son relief géographique – formaient un Etat,

plus précisément une « république de corsaires ».9 Sur le plan sociologique, les pirates sont

pour lui les désespérés de tous les pays, mercenaires licenciés, citoyens bannis de villes

détruites du bassin méditerranéen, proscrits de partis vaincus. Bien qu’on ne retrouve que

dans une moindre mesure cette transnationalité dans les pirateries contemporaines d’Asie du

Sud-est ou de la Corne de l’Afrique, la pauvreté économique ou sociale est un dénominateur

commun du passage à l’acte pirate.10

Un épisode retentissant et démonstratif de la domination pirate sur les mers à cette période est

celui de la capture du jeune Jules César près de l’île de Pharmacuse. Il retrouve sa liberté

après 38 jours de captivité contre une rançon de 50 talents d’or ; une somme dont les pirates

ne purent pas profiter puisque César équipa plusieurs galères pour combattre ces pirates, les

prit et les fit exécuter comme il le leur avait promis durant sa captivité. Comme on le verra

dans la partie concernant le traitement et la lutte contre la piraterie, le Sénat prit conscience de

la menace pirate et les expéditions se multiplièrent.

8 Navire plat et léger se déplaçant à la voile et à la rame.

9 Mommsen, Histoire romaine, V, 2

10 A ce propos, lire Moi Osmane, Pirate somalien de Laurent Mérer dans lequel on peut aisément observer la

progression vers le passage à l’acte et l’importance de la situation économique.

12

L’évolution politique de Rome a une conséquence directe sur la résurgence ou l’apaisement

de la piraterie en Méditerranée. Ainsi, suite à l’assassinat de César, la guerre éclate entre les

triumvirs - Octave, Marc Antoine et Lépide – et Cassius, Brutus et Sextus Pompée. Cette

période d’instabilité politique et de guerres intestinales permet la résurgence de la piraterie. A

contrario, la prise de pouvoir d’Octave-Auguste et l’organisation croissante de l’Empire

romain portent atteinte au développement de la piraterie qui fut pourtant instrumentalisé dans

les luttes postérieures à l’assassinat de César ; notamment par Cassius qui pilla l’île de Rhodes

et par Sextus Pompée qui donna une organisation solide à la piraterie et ambitionnait de

maitriser la Méditerranée.11

La piraterie change d’ampleur à partir de la consolidation de

l’Empire romain, elle n’a plus cette force capable d’inquiéter la puissance romaine. La

piraterie durant l’Empire n’est plus visible que par des actes isolés et la « république des

corsaires » de Mommsen n’existe plus. Cette évolution est signifiée par le changement de

statut juridique introduit par le jurisconsulte Ulpien : les pirates ne sont plus des hostes –

ennemis – mais des latrunculi vel praedones – voleurs.

Il faut attendre le IIIe siècle après J.-C. pour voir réapparaitre des activités pirates en parallèle

des invasions des barbares dans l’Empire et encore sont elles en grande partie contenues.

Cette étude succincte de la piraterie sous l’Antiquité a permis de mettre en avant certains

éléments de filiation entre le brigandage maritime antique et la piraterie contemporaine. Des

enseignements concernant les modalités d’apparition de la piraterie ont pu être dégagés ; la

configuration géographique de la région, la tradition maritime des populations côtières,

l’opportunité de profit et les évolutions politiques des autorités riveraines sont des éléments

déterminants.

La piraterie durant l’Antiquité est un phénomène paradoxal : elle est une activité reconnue et

peu dévalorisée, les puissances romaines et grecques en usent tout en le combattant quand

elles en perdent le contrôle et l’usufruit. L’étude des mesures prises – à la fois juridiques et

opérationnelles - pour lutter contre la piraterie est également intéressante et sera faite dans un

deuxième temps. Dans un souci d’efficacité méthodologique et de clarté, nous avons fait le

choix de ne pas traiter de la piraterie au Moyen-âge et pendant la Renaissance pour nous

concentrer sur la vague de piraterie la plus importante et qui fait suite à la découverte des

Amériques.

11

Appien, Guerres Civiles, IV, 65 et suivantes ; Appien, Guerres Civiles, II, 103 ; IV, 83, V, 70

13

ii. La découverte des Amériques et l’âge d’or de la flibuste

Avec la découverte des Amériques et le développement de nouvelles voies maritimes entre

l’Europe et le Nouveau Monde, l’Atlantique va devenir à partir du XVIe siècle un nouveau

foyer d’activité prospère pour des pirates principalement français et anglais. Tout comme dans

la partie sur la piraterie durant l’Antiquité, nous allons nous attacher à ne pas perdre de vue

l’horizon contemporain et le phénomène somalien afin de continuer à étudier les liens de

filiation existants ou les divergences.

La principale difficulté rencontrée dans l’étude de la période est d’écarter les parts de

fantasme et de reconstruction quasiment mythique immanquablement attachées aux figures

imposantes de la piraterie de l’époque telles que le Capitaine Edward Teach dit Blackbeard, le

Capitaine Kidd ou le corsaire Henry Morgan qui dominent la période. Cette vague de piraterie

est couverte par un traitement littéraire et cinématographique plus qu’abondants ce qui

renforce la difficulté de l’étude. L’imaginaire riche de la période ne doit pas être écarté, le

foisonnement des images sera pris en compte même si nous allons nous attacher à étudier le

mode de fonctionnement et les spécificités de cette vague de piraterie qui se déroule dans une

atmosphère d’exploration et de nouvelles découvertes.

La piraterie européenne

Moins connue que la piraterie dans les Caraïbes de la fin du XVII° - début XVIII° siècle, la

flibuste connaît néanmoins un développement important dans les eaux européennes à partir de

la fin du XVI° siècle et notamment dans le cadre des conflits entre Angleterre et Espagne.

L’Angleterre était, plus que tout autre pays européen, un pays au sein duquel la vie maritime

revêtait une importance capitale ; logiquement la piraterie suivait. Le pays était alors décrit

comme une « nation de pirates », une description plutôt sévère puisque la piraterie était

malgré tout endémique dans une grande partie de l’Europe. L’essentiel de la piraterie à

l’époque est un phénomène à échelle réduite – en termes d’importance des flottes pirates – se

déroulant près des côtes et concentré notamment au sud-ouest de l’Angleterre et de l’Irlande.

De la même façon que pour la piraterie sous l’Antiquité, la piraterie européenne de la fin du

XVI° siècle est liée aux efforts de l’Angleterre élisabéthaine pour développer ses voies

maritimes commerciales vers de nouvelles régions ainsi qu’aux conflits continus avec

l’Espagne qui débouchent sur une guerre ouverte en 1585. Cependant, la période est confuse

14

concernant la limite entre piraterie et commerce agressif : la piraterie, le « privateering12

», les

représailles et le commerce « agressif » se côtoient et se confondent rendant une distinction

presque impossible.

Pourtant, au sein de cette piraterie européenne du début de l’époque moderne on observe déjà

les prémisses de ce que sera la piraterie Atlantique dans les décennies suivantes : système

démocratique à bord des navires, fierté et sentiment de fraternité, tortures ou encore partage

du butin.

Pavillons noirs et pièces de huit : la piraterie à la fin du XVII° siècle

Les pirates de l’imaginaire populaire sont bien plus ceux des Caraïbes que ceux de la

Méditerranée ou de l’Europe de l’ouest ; bien que cet état de fait ne rende pas justice à

l’existence ininterrompue des pirates maltais et barbares plus nombreux que leurs homologues

des mers chaudes, cela reflète un changement fondamental dans l’histoire de la piraterie ainsi

que dans la nature et les habitudes des pirates. La seconde difficulté dans l’examen de cette

vague de piraterie réside dans un problème bien connu des historiens, celui des sources. Les

historiens ont pu produire des histoires remarquablement détaillées de la vie dans la Royal

Navy ou dans les marines marchandes ; aidés par des centaines de journaux de bord des

navires de la Royal Navy, par les correspondances entre officiers, les biographies des plus

célèbres officiers et la pléthore d’archives portuaires. En revanche, des données d’une telle

qualité n’existent pas quand on s’intéresse à la piraterie. Les chercheurs sont dépendants des

archives des dépositions des pirates capturés ou de leurs victimes, des procès-verbaux des

procès, des rapports des gouverneurs coloniaux et des quelques journaux de marins ayant

rencontré des pirates ou étant eux-mêmes des corsaires. Il s’agit pour l’essentiel de sources

indirectes qui ne permettent de dresser qu’un tableau imparfait et fragmentaire de la piraterie

à cette époque.

Nous avons pu dresser des comparaisons intéressantes entre la piraterie sous l’Antiquité et les

phénomènes de piraterie contemporaine. Si ce changement de nature est avéré en ce qui

concerne la piraterie des XVII° et XVIII° siècles, quel en l’impact pour la piraterie

contemporaine ? Des liens de filiations peuvent ils malgré tout exister ?

Les pirates sévissant dans les mers des Amériques, principalement entre les années 1650 et

1720, sont de fait les seuls pirates à correspondre à l’image attendue de « vrais » pirates. Ces

12

En français : « corsaires »

15

derniers, et encore plus ceux qui ont écrit sur eux, ont largement contribué à créer la

conception contemporaine du pirate. Etablir des liens de proximité entre ces pirates et les

« bandits de la mer » somalien semble a priori impossible ; s’il est vrai que les imaginaires

soulevés par ces deux pirateries sont éloignés, l’étude des environnements et des modes

opératoires pourrait révéler des liens surprenants.

La piraterie dans les Amériques est au moins aussi ancienne que la colonisation espagnole de

la région ; c’est avant tout les promesses de richesses fabuleuses – l’opportunité du gain – qui

ont attiré et concentré les convoitises des prédateurs de l’époque. En 1968, l’historien A.P.

Thornton présente la région des Caraïbes comme : « a cauldron where the bad blood of

Europe boiled at will ». Les premiers flibustiers sont principalement des huguenots français

arrivant de la Rochelle ou de Dieppe, ils sont rapidement rejoints par des Anglais. Leurs

premiers exploits à Panama, Portobello ou Nombre de Dios viennent renforcer le sentiment de

magie et des richesses sans limites à portée de voile présentes dans la région. Les terrains de

navigation des pirates étaient logiquement déterminés par les lignes maritimes de l’Atlantique

et des Caraïbes puisque c’est sur ces voies de communication que les probabilités de capture

de navires marchands étaient les plus élevées. La zone des Bahamas étaient très fréquentée

par les pirates dans la mesure où ils pouvaient intercepter les navires en provenance

d’Amérique Centrale et à destination de l’Espagne. Le passage entre Cuba et Hispaniola13

était également un des terrains favori des pirates puisqu’ils pouvaient y intercepter les navires

transitant entre l’Europe, l’Afrique et la Jamaïque. De la même manière, Madagascar devint

un refuge de pirates en raison de sa position stratégique sur les voies maritimes allant vers

l’Inde. Comme pour les pirateries antiques et contemporaines, le phénomène est étroitement

lié aux voies de commerce maritime et à un arbitrage rationnel entre risque encouru et

importance du profit réalisable. Dans ce calcul, entrent également en ligne de compte la

configuration géographique de la région qui abaisse le facteur de risque encouru.

L’observation de la configuration physique de la région révèle des caractéristiques classiques

et propices aux activités de pirateries et de pillages. Les îles sont nombreuses, à l’instar de la

longue chaîne des Antilles composée entre autres par la Barbade, St Kitts, la Martinique et la

Guadeloupe, et permettent d’accueillir des bases de repli et des caches pour les pirates. Les

13

« Windward Passage » pourrait être traduit par « Canal du Vent » dans la mesure où les « Windward Islands » sont les « Iles du Vent » dans les Petites Antilles bien que les deux dénominations françaises et anglaises ne décrivent pas exactement le même ensemble d’îles.

16

plus célèbres de ces zones de non-droit sont sans conteste les îles d’Hispaniola14

ou de

Tortuga située à plusieurs nautiques au nord-ouest d’Hispaniola. Le plus souvent contrôlée

par les français, cette dernière a rapidement une rivale anglaise à partir de 1630 sur l’île de

Santa Catalina au large du Nicaragua. Par nature, la piraterie maritime quelque soit son

époque ou sa forme ne peut s’affranchir de bases de repli terrestres sûres. La côte américaine

de Boston à Charleston se découpait en un réseau dense et complexe d’estuaires, de baies, de

criques et d’îles. La région se distingue encore par ses conditions météorologiques qui

induisent des schémas saisonniers de navigation pour les pirates. Bien que les Caraïbes et le

golfe du Mexique aient l’avantage d’avoir des hivers chauds et ensoleillés, ces deux régions

sont aussi sujettes de manière fréquente aux ouragans et aux tempêtes. La Jamaïque en était

souvent la victime et en 1712 le gouverneur Hamilton rapporte qu’un ouragan détruisit 38

navires dans le port de Port Royal et neufs navires à Kingston. Ces particularités

météorologiques ont pour conséquence directe de provoquer des schémas de déplacements

saisonniers chez les pirates. Les mois d’hiver sont passés dans les eaux chaudes des Caraïbes

et ce n’est pas avant les mois d’avril et mai que la plupart des pirates écument à nouveau les

eaux d’Amérique du Nord15

. En plus de cette migration pendulaire nord-sud, les navires

pirates adoptent un mouvement est-ouest régulier en direction des côtes ouest de l’Afrique.

Des littoraux comme la Côte des Esclaves, la Côte d’Ivoire ou de Guinée permettaient aux

navires de s’approprier – comme leurs noms l’indiquent – de l’or, de l’ivoire et des esclaves

africains. Certains équipages poursuivaient l’expédition au-delà du Cap de Bonne Espérance

afin d’attaquer les navires chargés de biens en provenance d’Inde. Pendant une courte période

autour de 1700, un commerce régulier et illégal fût établi entre certains comptoirs de

Madagascar et des autorités corrompues à New York et dans d’autres ports d’Amérique du

Nord16

. Pour autant cette pratique n’était en rien représentative des activités de la majorité des

équipages pirates. Il faut également relativiser le degré de planification des attaques ou des

déplacements ; la nature démocratique de la communauté pirate et des équipages impliquait

qu’un vote auquel participait l’ensemble de l’équipage devait être fait avant tout choix de

destination ou de pillage. De plus, le « Pirate Round » entre Madagascar et l’Amérique du

Nord est moins la règle que l’exception pour ce qui attrait aux activités de piraterie.

14

Aujourd’hui, il s’agit de l’île partagée en deux entre Haïti et la République Dominicaine 15

Blackbeard (Barbe-Noire) était sur les côtes de Virginie en octobre 1717 puis à Charleston et en Caroline du Sud en juin 1718. Pendant la période hivernale entre ces deux bornes, il attaqua des navires au large de St. Kitts et dans la baie du Honduras. 16

Le capitaine Thomas Tew était un des principaux acteurs de ce trafic qui en vint à être appelé « the Pirate Round ».

17

L’essentiel de ces activités est constitué d’attaques de navire, de pillages de ports et de

villages, de trafics d’esclaves. Pour autant, qualifier le volume de ces activités

d’ « important » serait un euphémisme. Ainsi, dans les 16 années qui suivirent la conquête de

la Jamaïque par l’Angleterre en 1655, les corsaires et pirates ont mis à sac 18 grandes villes, 4

villes d’importance moyenne et plus de 35 villages tout en prenant tout navire espagnol ou

marchand qu’ils rencontraient. Certains endroits étaient également attaqués à répétition ; les

ports de Tolu et de Rio de la Hacha en Colombie par exemple. De telles activités permirent à

des hommes charismatiques de s’imposer comme des leaders ; on peut citer du côté des

corsaires les capitaines Jean-David Nau dit L’Ollonais17

ou encore Henry Morgan18

,

probablement l’un des corsaires les plus connus aujourd’hui. Comme on l’a évoqué

auparavant, les pirates ne sont pas en reste avec des figures comme Blackbeard, le Capitaine

Kidd ou Bellamy. L’existence de figures dominantes est une caractéristique qu’on ne retrouve

pas encore dans la piraterie somalienne et c’est par ailleurs une différence importante avec la

piraterie en Asie du Sud-est au sein de laquelle de tels personnages existent19

.

Avant d’étudier les modes opératoires de ces pirates, il faut citer deux aspects importants et

découlant directement du mode démocratique de vie à bord. A bord d’un navire pirate, le

capitaine est usuellement élu à la majorité par l’équipage. Un code des pirates – code de

conduite – fût même établi et régissait un certain nombre d’aspects de la vie à bord. Il est

intéressant de relever qu’un tel code de conduite existe chez les pirates somaliens bien qu’il

s’agisse alors essentiellement d’un code de conduite des pirates à l’égard des otages. Une des

applications de ce code peut être observée dans le journal de Basil Ringrose. En juillet 1681,

ils capturent un navire espagnol au large des côtes chiliennes, le San Pedro. Ringrose note à

propos du butin : « We shared our plunder among ourselves. Our dividend amounted to the

sum of 234 pieces-of-eight to each man ». Le partage du butin est une composante importante

qu’on retrouve logiquement dans les pirateries contemporaines où le montant des rançons est

généralement distribué entre le commanditaire, l’interprète, les pirates et les gardes recrutés à

terre pour surveiller les otages.

Bien qu’il soit fait à grand traits, le tableau de la piraterie à cette époque et dans cette région si

particulière serait incomplet sans un examen du modus operandi dominant. A la lecture des 17

En référence à son lieu de naissance : Les Sables d’Ollone 18

Probablement arrivé dans la région avec une force expéditionnaire envoyée par Cromwell en 1654. Il se fait connaître à partir du milieu des années 1660 comme un capitaine corsaire doué opérant depuis la Jamaïque. Il est nommé amiral en des corsaires en 1668 et se distingue par son charisme et son leadership naturels ainsi que par ses compétences militaires. 19

On peut citer par exemple Mr Pang qui était un parrain réputé au sud de Singapour.

18

comptes-rendus d’attaque fait par les capitaines malheureux auprès des notaires20

, on peut

relever un certain nombre de points communs et par conséquent mettre sur pied un schéma

classique d’attaque. En premier lieu et dans la plupart des cas, les navires attaqués ne tentent

pas – ou alors très peu – de se défendre ; de la même façon les navires pirates ne cachent que

rarement leur identité en hissant un pavillon amical. Une des habitudes des pirates de cette

époque est d’autant plus intéressante qu’elle rompt complètement avec le mode opératoire des

pirates somaliens 21

: si ces derniers sont efficaces c’est avant tout par la rapidité dont ils dont

preuve durant leurs assauts, d’autant plus que cette dernière est souvent la condition sine qua

none de leur réussite. A contrario, les pirates du XVIII° siècle prennent littéralement leur

temps quand il s’agit de piller un navire et avaient toutes les raisons de le faire. La plupart des

attaques avaient lieu hors de vue des côtes et il n’y avait par conséquent aucun moyen pour les

victimes d’appeler à l’aide ; quand bien même l’attaque avait lieu près des côtes, les chances

d’obtenir de l’aide à temps étaient faibles. Durant l’année 1715 par exemple, il n’y avait que 4

navires de guerres et 2 sloops22

pour protéger la mer des Caraïbes soit une zone de 200 miles

du nord au sud et de 50 miles d’est en ouest, incluant de surcroît plusieurs centaines d’îles.

Sûrs de leur supériorité, une majorité des attaques menées par les pirates le sont par un seul

navire : entre 1715 et 1720, 72% des attaques dans les eaux américaines sont menés par un

seul navire. L’association de plus de deux navires pirates reste peu répandue. Cette supériorité

est renforcée par le fait que les pirates déjà à cette époque, et c’est un trait qu’on retrouve dans

la piraterie contemporaine, procédait à une sélection rationnelle de leurs cibles. Ils pouvaient

suivre les navires-cibles à bonne distance pendant plusieurs heures et même plusieurs jours et

évaluer le potentiel de leur cible en termes d’armes et d’équipage.

Les descriptions qui ont été faite de la piraterie durant l’Antiquité et de ce qui a été reconstruit

a posteriori comme l’âge d’or de la piraterie peuvent véhiculer une impression d’impunité à

l’encontre de la piraterie. Bien que reconnue et pratiquée par les principales puissances durant

l’Antiquité et également utilisée comme un moyen préalable de faire la guerre, elle fut

pourtant combattue et réprimée avec force en plusieurs occasions – bien souvent quand les

intérêts et la stabilité des autorités étaient en jeu. Ce sont les mesures de lutte et de répression

qu’on va à présent s’employer à étudier afin de mettre en relief d’éventuels enseignements

concernant la piraterie contemporaine.

20

A ce titre, la lecture des attaques du Princess Galley le 14 septembre 1723 et du Samuel le 13 juillet de la même année est particulièrement représentative. 21

De la même manière les pirates indonésiens restaient rarement plus de dix minutes à bord du bateau-cible. 22

Déformation anglophone de chaloupe, ce terme désigne un navire plus petit qu’une frégate et armé en général de dix à dix huit canons répartis sur un seul pont.

19

1.2 Le choix des armes : la lutte contre la piraterie

Un des principaux défis posé par la piraterie contemporaine et particulièrement par la piraterie

au large de la Corne de l’Afrique23

est d’arriver à limiter ses manifestations dans un premier

temps puis à l’éradiquer sur le long terme. Nous avons déjà évoqué l’image de l’ « hydre-

pirate » ; dans une optique de limitation et d’éradication de la piraterie c’est une image qu’il

parait nécessaire de garder en tête : s’attaquer aux têtes c'est-à-dire aux manifestations

directes du phénomène parait peu judicieux, il faut combattre le problème à la base c'est-à-

dire au corps.

Les mesures prises contre la piraterie contemporaine ont été nombreuses, nous les détaillerons

dans la suite de ce mémoire. Il convient pour le moment de s’intéresser aux formes et à la

nature des réponses apportées aux pirateries antiques et modernes. Dans un souci de clarté, le

découpage chronologique adopté dans la partie précédente sera conservé dans celle qui va

suivre.

i. Les modèles grecs et romains de répression de la piraterie

Si les Phéniciens furent parmi les premiers pirates, avant même les pirates grecs, ils furent de

la même façon les premiers à adopter des mesures de protection contre la piraterie. Le cas de

l’île de Crète est représentatif d’une situation de prééminence maritime. Aristote décrit la

Crète en ces termes24

: « La nature semble avoir placé l’île de Crète dans la position la plus

favorable […]. Elle domine sur la mer et sur une grande étendue de pays maritimes. […]

Cette heureuse position valut à Minos l’empire de la mer ». Thucydide atteste également de la

puissance maritime de Minos en affirmant qu’il fut « celui qui eut le plus anciennement une

marine ». Il semblerait également qu’on lui doive les premières mesures de répression contre

la piraterie menées par les peuples côtiers de la Grèce et plus particulièrement de l’Attique25

.

Les mesures furent avant tout répressives : Minos, allié à son frère Radamanthe établi dans les

îles de la mer Egée, mena une guerre d’extermination contre les pirates. La répression est

durcie avec l’obligation pour les peuples concernés de verser un tribut annuel. Il est

intéressant d’observer que le volet répressif de la lutte contre la piraterie se doubla d’un aspect

législatif. Minos propose aux Grecs un code maritime dont Plutarque et Diodore de Sicile font

23

La piraterie en Asie du Sud-est a été partiellement maitrisée par des politiques de répression et de prévention portée par des Etats forts comme le Japon ou la Malaisie ; puissances qui font justement défaut au cas somalien. 24

Aristote, Politique, II, 8 25

Les Pélasges, les Cariens et les Lélèges menaçaient d’étouffer la société et le commerce naissant par leurs actes de piraterie.

20

connaître la disposition la plus importante : « Les Grecs défendent de mettre en mer aucune

barque montée par plus de cinq hommes ; on n’en excepte que le capitaine du navire Argo,

auquel on donne pour expresse mission de courir les mers pour les délivrer des brigands et

des corsaires ». Le code de Minos met en place un régime spécifique qui sera largement

développé au cours des vagues de piraterie suivante : le navire Argo est doté d’un droit

d’exception lui permettant de combattre la piraterie, cette législation peut être considérée

comme l’ancêtre lointain des lettres de marques et de représailles des siècles suivants.

La puissance maritime de la Crète déclinant après la fin du règne de Minos, c’est l’île de

Rhodes qui se distingue par sa puissance maritime et ses lois maritimes contre la

piraterie. Cependant, bien plus que les îles grecs, c’est Rome qui va se distinguer dans ses

guerres contre la piraterie alliant à la fois des mesures répressives directes, une législation

abondante et une composante terrestre déterminante.

Les guerres de Rome contre la piraterie

La première expédition que Rome organisa contre les pirates est connue sous le nom de

guerre d’Illyrie26

. Les régions hébergeuses des peuples pirates d’Illyrie possédaient un

découpage de côte assez caractéristique : golfes profonds et îles nombreuses parmi lesquelles

la navigation était difficile et dangereuse.

La République romaine, dont le commerce avait à souffrir des attaques des Illyriens, mena

une première guerre contre ces peuples suite à l’échec des négociations diplomatiques. Nous

sommes, dans ces premiers cas de répression, très loin des luttes contre la piraterie maritime

contemporaine qui s’inscrit dans le cadre d’une lutte asymétrique entre pirates et flottes

internationales aux moyens écrasants. La marine romaine mène dans ce cas là des actions de

guerre et non des actions de police des mers ; elle dut combattre les pirates Illyriens par trois

fois avant de mettre fin à la menace. Les affrontements sont frontaux, brutaux et opposent les

flottes romaines aux navires de la reine Teuta.

Un second grand épisode de la lutte romaine contre la piraterie prend place un peu plus tard

dans l’histoire de la République, dans une période charnière entre la République déliquescente

et l’Empire. En 67 av. J.-C., le tribun Gabinius fut à l’origine d’une loi éponyme : la lex

Gabinia qui devait confier à Pompée un imperium presque illimité sur les mers et sur les côtes

de la Méditerranée. D’une durée de trois ans, cette mesure exceptionnelle devait lui permettre

26

Les Illyriens désignent les peuples vivant dans les régions suivantes : Istrie, Illyrie, Dalmatie et Albanie

21

de lever une flotte suffisante pour mettre fin à la menace pirate. Pompée forma plusieurs

escadres dont il délégua le commandement à des chefs expérimentés tels que Tibère Néron,

Marcellus ou Lentelus. Le déroulement des opérations fut un modèle d’habileté : tout ce qui

servait de refuge aux pirates – ports, golfes, repaires, détroits, péninsules – fut pris dans un

filet romain et en quarante jours les flottes des pirates furent dispersées et les mers sécurisées.

Pompée se dirigea ensuite vers l’Orient où il porta un coup décisif à la piraterie en capturant

et vainquant les derniers pirates retranchés dans la citadelle du cap de Coracésium, bâtie par

Diodote Tryphon un ancien chef pirate tué en 144 par Antiochus. En moins de trois mois,

Pompée tua près de 10 000 pirates, en captura 20 000 ainsi que 400 vaisseaux et 120

refuges27

. Pompée tira de ces victoires une gloire encore plus grande que celle dont il jouissait

jusqu’alors ; pourtant la piraterie – malgré les forces romaines importantes qui furent

mobilisées – ne fut pas entièrement détruite. La Cilicie notamment supporta difficilement le

joug romain et la piraterie ne s’est apaisée à cette époque que sous l’action de cette autorité

forte ; néanmoins le phénomène est seulement endormi. Il faut attendre le III° siècle pour que

la piraterie réapparaisse à l’occasion des attaques barbares et du délitement de l’Empire

romain.

En effet, sous l’Empire romain la piraterie acquiert un caractère nouveau. Elle ne se présente

plus comme une nécessité de l’existence des populations des rivages. La bonne administration

des provinces et le renforcement institutionnel de l’organisation de l’Empire contribuèrent

plus que les actions de répression menées sous la République à faire disparaître la piraterie.

Le pouvoir terrestre – celui de Rome – était assez fort pour faire régner l’ordre et la loi dans

les provinces. Sous l’effet de cette organisation et de cette stabilité de l’empire, la piraterie

disparut de la Méditerranée et les flottes impériales furent principalement utilisées pour

assurer la sécurité et le transport. Le cas de la piraterie sous le Haut empire romain est par

conséquent assez représentatif : le lien entre stabilité de la puissance régionale – ici Rome – et

piraterie est prépondérant. On verra comment dans le cas de la piraterie dans l’Océan Indien,

la faiblesse des Etats côtiers est une cause de premier ordre du développement de la piraterie.

Ce ne fut que sous l’Empire romain que les pirates cessèrent d’être considérés comme de

« justes ennemis » et qu’ils furent traités comme des brigands et des voleurs.

27

Appien, De belle. Mith, 91-93 ; Plutarque, Vie de Pompée.

22

Précisions sur la législation maritime concernant la piraterie dans l’Antiquité

Depuis le début de cette partie traitant de la piraterie dans une perspective historique, nous

avons pu mettre en avant à quel point ce phénomène suppose l’existence d’un commerce

maritime lequel fournit des opportunités de gains attractives. Si le commerce avait besoin de

protection, un des premiers moyens de défense fut la réunion de plusieurs navires pour

naviguer ensemble et s’assurer une protection mutuelle.

Les Rhodiens furent durant l’Antiquité un des peuples qui livra le plus de guerres aux pirates

et dont les lois maritimes ont été reprise en grande partie par la loi romaine. Elles contenaient

des règlements sur la police en mer et sur la répression des vols et des attaques. Les lois

criminelles assuraient aussi des peines corporelles sévères, l’exil ou les travaux forcés aux

coupables d’actes criminels en mer. Les législateurs de l’Antiquité mettent également en place

des réformes concernant la discipline à bord des navires de commerce ou de guerre, la

création de douanes à Athènes et à Rome.

Cependant, la lutte contre la piraterie se fait plus forte au cours des XVII° et XVIII° siècles.

La montée en puissance des Etats suite au traité de Westphalie en 1648 et la prolifération

presque épidémique de la piraterie dans les eaux du Nouveau Monde vont donner lieu à des

affrontements répétés entre les marines nationales et les équipages pirates.

ii. La chasse aux pirates à l’époque moderne : procès et exécutions

L’intensité des actes de piraterie atteint un sommet dans les années 1720 : de Boston à la

Barbade, les rapports des gouverneurs locaux font état du même sentiment de détresse et

d’impuissance face aux assauts continus des pirates. C’est principalement la Royal Navy qui

va livrer bataille aux pirates et donner lieu par la même occasion à l’une des périodes les plus

riches de l’histoire de la piraterie. Les navires marchands qui étaient les principales cibles des

pirates, comptaient rarement plus de 20 hommes d’équipage et tout juste 8 ou 10 canons. De

telles caractéristiques ne présentaient aucun risque pour les équipages pirates qui ne pouvaient

être inquiétés que par les navires de guerre de la Royal Navy.

Au tournant de l’année 1720, la majorité des correspondances des gouverneurs des colonies

vers la Grande-Bretagne demande peu ou prou la même chose : un envoi rapide de forces de

la Royal Navy pour protéger les navires marchands. En décembre 1717, le gouverneur de la

Jamaïque déplore qu’aucun navire marchand n’ose à présent prendre le large sans la

protection prodiguée par une navigation en convoi. De la même façon, en mai 1718, une lettre

23

du gouverneur Johnson vers Londres résume un sentiment partagé au sein de toutes les

colonies : « The unspeakable calamity this poor province [Caroline du Sud] suffers from

pirates obliges me to inform your Lordships of it in order that his Majesty may know it and be

induced to afford us the assistance of a frigate or two to cruise hereabouts upon them […]

and our ships taken to the uteer ruin of our trade ».

Pour autant, les autorités à Londres sont tout à fait au courant des problèmes liés à la piraterie

et adoptèrent un éventail de mesures. L’action britannique fût néanmoins ralentie par les

priorités politiques européennes et c’est seulement à partir de 1713 et de la signature du traité

d’Utrecht avec la France que l’amirauté britannique va pouvoir agir avec force contre la

piraterie. La série de mesures prise entre 1700 et 1720 se montre par ailleurs d’une efficacité

surprenante. Un des aspects les plus intéressants dans l’étude de cet âge d’or de la piraterie est

précisément d’observer avec quelle soudaineté la menace pirate s’est effondrée. En 1720, au

point le plus haut, on compte environ 2 000 pirates. Leur nombre tombe à 1 000 dès 1723 et

ils ne sont plus qu’environ 200 à compter de 1726.

A raison les autorités britanniques adressent le problème selon plusieurs angles d’attaques :

par la création d’une législation nouvelle et adaptée, par l’octroi de grâces royales pour les

pirates se rendant aux autorités, par la mise sur pieds de patrouilles navales dans les zones les

plus touchées, par la mise en place d’un système de récompenses pour la capture des pirates,

par des procès et des exécutions publiques et enfin par l’octroi –quelques fois abusif – de

lettres de marque et représailles aux corsaires. Certaines de ces mesures furent, comme on le

verra, plus efficaces que d’autres mais leur effet combiné permit d’éliminer la piraterie en tant

que menace sérieuse pour le commerce dans l’Atlantique et la mer des Caraïbes.

Jusqu’à 1700, la procédure légale de traitement des pirates capturés était édictée dans un acte

du Parlement britannique daté de 1536 et intitulé : « for the punishment of pirates and robbers

of the sea ». Selon ce texte, la piraterie n’est pas traitée dans le cadre de la loi civile mais sous

la juridiction de la Haute Cour de l’Amirauté britannique. Le problème – qu’on a retrouvé par

ailleurs au début de la piraterie contemporaine en Somalie – était que les pirates capturés sous

l’autorité des gouverneurs de colonie devaient être rapatriés à Londres pour être jugés par la

Cour de Oyer and Terminer. Par conséquent, les quelques pendaisons à l’Execution Dock au

bord de la Tamise ont pu être un spectacle divertissant pour la foule londonienne mais

n’avaient que peu d’impact sur les équipages pirates croisant en mer des Caraïbes. La percée

législative a lieu en 1700 avec un texte intitulé « Act for the more effectual suppression of

24

piracy28

». Il met fin à l’obligation de rapatriement des pirates et permet aux cours de la vice-

amirauté – situées dans les colonies – de mener les procès. Il autorise l’application de la peine

de mort et précise que les coupables doivent être exécutés sur ou près de la mer. Cet acte met

en place une mécanique législative efficace et nécessaire mais il fallut attendre quelques

temps avant que les premières exécutions aient lieu dans les colonies29

. Il était par ailleurs

fréquent que les plus jeunes membres d’équipage – des garçons de 15 ou 16 ans pour la

plupart – fussent graciés sous réserve de mettre un terme à leurs activités de piraterie. La

plupart des procès ne duraient pas plus d’un ou deux jours même quand une trentaine de

pirates étaient accusés : les pirates n’avaient presque aucun moyen de défense et les procès

étaient par conséquent très rapides et sans surprises. Mais ce ne fut pas simplement le nombre

de pirates exécutés qui contribua au ralentissement de la piraterie dans la zone : la nature

publique des exécutions ainsi que des procès eurent un impact fort sur les marins tentés par

une vie de pirate en mettant en avant les risques encourus. Les procès, les pendaisons et la

condamnation religieuse de la piraterie eurent un fort effet dissuasif.

L’octroi de l’amnistie aux pirates se rendant d’eux-mêmes aux autorités fut une autre mesure

mise en place par la couronne britannique pour lutter contre la piraterie. Le 5 septembre 1717,

le roi Georges I déclare par procuration royale que tout pirate se rendant de lui-même aux

autorités dans les plus brefs délais serait gracié. L’impact d’une telle mesure est difficile à

quantifier puisqu’il est difficile d’estimer dans quelle mesure les pirates se rendant

abandonnent par la suite toute activité de piraterie ou s’il s’agit simplement de stratégies

d’évitement et d’apaisement des autorités. Certaines études ont montré que la proclamation

royale a eu un effet positif dans certaines zones comme les Bahamas mais qu’elle a eu un

impact nul dans une majorité des régions30

.

Les autorités britanniques, dans leur volonté d’éliminer la piraterie, mirent en place un

système de récompenses pour les marins capturant et remettant aux autorités coloniales les

pirates31

. Mais ce que réclament les marchands et les autorités coloniales avant tout est l’envoi

28

« pour une suppression plus efficace de la piraterie » 29

Un des premiers procès à avoir lieu hors d’Angleterre fut celui du capitaine Quelch en juin 1704. Quelch et 25 de ses pirates furent arrêtés et emprisonnés à Boston en mai 1704. Le procès débute le 13 juin 1704 sous la présidence de Joseph Dudley, gouverneur du Massachusetts et du New Hampshire. Quelch et 6 de ses membres d’équipage furent condamnés à mort et pendus le 20 juin. 30

Le gouverneur Johnson, humilié par le blocus de Barbe-Noire a Charleston, déclare : « I don’t perceive H.M. [His Majesty] gracious proclamation of pardon works any good effect upon them, some few indeed surrender and take a certificate of there so doing and then several of them return to the sport again. » 31

Une proclamation royale de 1717 fixe les récompenses suivantes : 100£ pour un capitaine pirate, 40£ pour un officier supérieur, 30£ pour un officier subalterne et 20£ pour un membre d’équipage.

25

d’un contingent renforcé de navires de guerre pour protéger les eaux et livrer une guerre

maritime aux pirates. En 1718, les rapports de l’Amirauté font état de 67 navires de lignes et

d’environ 13 000 marins. Cette flotte imposante constitue une arme efficace contre la

piraterie : même le plus petit des navires de lignes disposaient d’une cinquantaine de canons

et rivalisait en force avec le Queen Anne’s Revenge de Blackbeard considéré comme le plus

grand des navires pirates. La plupart des navires pirates étaient des sloops de 10 ou 20 canons

qui ne pouvaient en aucun cas tenir dans une confrontation directe avec un navire de ligne

britannique. Le rapport de force asymétrique – à la différence des guerres entre Rome et la

piraterie – est ici évident. Si les pirates ont pu pendant plusieurs années piller dans une

relative sécurité, c’est principalement parce que l’amirauté n’avait jamais mobilisé une force

suffisante à leur encontre. La présence de la Royal Navy fut jusqu’en 1713 plus

qu’insuffisante pour protéger les convois marchands des pirates32

; la signature du traité

d’Utrecht va permettre à la Royal Navy d’agir plus efficacement et d’envoyer de puissants

navires de lignes en mer des Caraïbes. Une liste des navires de la Royal Navy déployés dans

la zone à partir de 1715 indique clairement que l’amirauté britannique a pris la menace pirate

au sérieux. Après 1715, le nombre de navires va progressivement augmenter dans la zone. De

plus ces nouveaux contingents ont pour mission d’agir contre les pirates ; tous les éléments

sont en place pour une série d’affrontements directs entre la Royal Navy et les pirates. Les

plus célèbres mirent fin aux carrières de pirates comme Blackbeard ou Bartholomew Roberts

et furent largement dépeinte dans la littérature et dans la peinture33

, ces victoires de la marine

britannique sont mises en avant dans le cadre d’une véritable guerre de propagande mais ont

néanmoins un effet assez limité sur les autres équipages pirates qui poursuivent leurs activités.

La dernière mesure prise par la Grande-Bretagne – et non la moindre – dans sa lutte contre la

piraterie est l’octroi de lettres de marque à des navires. Depuis Henri VIII, il était d’usage

d’octroyer à des navires une licence appelée « lettre de marque et de représailles » les

autorisant à attaquer et capturer à vue tout navire d’une nation ennemie. C’était une manière

simple et économe d’assister la Royal Navy. Si le traité d’Utrecht en 1713 met fin à l’octroi

de lettres de marque à l’encontre des navires espagnols et français, la pratique demeure en

32

En 1715, on comptait : un 6° rang de 24 canons à New York, un 6° rang en Virginie, un en Nouvelle-Angleterre et un dans le Maryland. Concernant le golfe du Mexique et les Caraïbes, on comptait un navire de 20 canons pour les îles sous le Vent, deux navires dans la Barbade ainsi qu’un navire de 42 canons et deux sloops de 14 canons pour la Jamaïque. Eu égard à la configuration de la région, ces navires ne pouvaient en aucun cas assurer la protection des navires marchands. 33

Barbe-Noire est vaincu lors d’une bataille avec le HMS Pearl de la Royal Navy en 1718. Bartholomew et son équipage sont vaincus en 1722.

26

vigueur dans la mesure où les pirates sont les nouveaux ennemis de l’Angleterre ; les

gouverneurs de colonie octroyèrent un certain nombre de ces licences, autorisant les receveurs

à attaquer et capturer les navires pirates pour le compte de la Grande-Bretagne.

Rétrospectivement, il est surprenant de voir à quel point les actions menées par l’Amirauté

britannique et par les corsaires furent efficaces contre la piraterie dans les Antilles et le long

des côtes américaines. A une époque dépourvue de moyens de communication immédiats, les

informations concernant les mouvements pirates circulent avec efficacité et rapidité. Ces

transmissions informelles entre marins ou de capitaines à marchands finissent par parvenir

aux autorités navales qui peuvent alors envoyer un ou plusieurs navires en chasse. Les

captures et les pendaisons se multiplient sonnant le glas de cet âge d’or de la piraterie.

Cette étude des réponses apportées à la piraterie durant l’Antiquité et au cours de l’âge d’or de

la flibuste aux XVII° et XVIII° siècles a permis de souligner plusieurs points importants que

les contemporains ont parfois reproduit dans la lutte actuelle contre la piraterie. Cette dernière

est intimement liée à la navigation commerciale et se définit par un rapport de force

doublement asymétrique. On peut schématiser ces rapports en montrant que les marines

nationales – comme la Royal Navy – dominent les pirates qui eux-mêmes l’emportent

aisément sur les navires marchands. Les réponses apportées furent également multiformes

dans la mesure où elles ont intégré à la fois des composantes répressives directes, des

avancées législatives et des opérations terrestres visant à prendre par la force les refuges des

pirates. La lutte opposant la Royal Navy à la piraterie dans les Antilles est à ce titre innovante

puisqu’elle intègre aussi un aspect préventif prenant la forme d’une guerre de propagande :

condamnations de la piraterie par l’Eglise et l’Etat, procès et pendaisons publiques…

La rétrospective historique menée depuis le début de ce mémoire ne peut cependant pas être

complète sans un retour et un cadrage historique de la région de la Corne de l’Afrique.

II. La Corne de l’Afrique entre tradition maritime et piraterie

La désignation « Corne de l’Afrique » peut être considérée sous deux formes. La première –

la plus réduite – prend en compte la région immédiatement adjacente à l’endroit où la pointe

terrestre avance dans l’Océan Indien ; cela inclut l’Ethiopie, la Somalie, l’Erythrée et

Djibouti. Une seconde acceptation plus large inclut dans la Corne des pays ayant des relations

avec ceux susmentionnés. Cela inclut le Soudan et le Kenya ainsi que, dans une moindre

mesure, l’Ouganda. La Corne de l’Afrique est largement influencée par l’Egypte dont la

27

première préoccupation fut de garantir la navigation à travers le canal de Suez et en Mer

Rouge.

Durant l’Antiquité gréco-romaine, les traditions de navigation jouent un rôle important dans le

développement du commerce maritime et surtout de la piraterie. Retrouve t’on, dans les

régions côtières des pays de la Corne de l’Afrique, de telles prédispositions et une tradition

maritime forte ?

2.1 Les origines du patrimoine maritime somalien

Rimbaud, Nizan et Monfreid ont, par leurs écrits34

, marqué les représentations des territoires

et des populations de la Corne de l’Afrique qui furent longtemps perçus comme des lieux

« infernaux » où la violence dominait les rapports humains.

L’importance des voies maritimes et de la navigation est établie depuis l’Antiquité. Navigant

principalement sur des boutres35

, les marins de la région ont relié l’Afrique à la péninsule

Arabique pendant des siècles. Ils maitrisaient dès l’Antiquité les mécanismes des vents de

mousson et servaient d’intermédiaires dans le commerce au long cours entre Méditerranée,

Océan Indien et Extrême-Orient ; et cela jusqu’à la venue des Portugais en Inde au XV°

siècle. Ces navigateurs expérimentés fréquentèrent les rivages de la mer Rouge ainsi que de

l’Océan Indien depuis Chiraz en Iran jusqu’au canal du Mozambique. Ils propagèrent dans la

région l’Islam et l’usage de l’arabe comme langue d’échange et de commerce ; ces influences

ont façonnés la civilisation du littoral de l’Afrique de l’Est36

.

Du XVI° au XVIII° siècle, les marchands arabes de la région doivent faire face à une

politique maritime agressive de la part des anglais et des hollandais ; politique ayant pour but

d’éliminer ou au moins d’intimider les marins africains et arabes.

L’ouverture du canal de Suez en 1869 fait de la mer Rouge une route maritime majeure du

globe mais les boutres continuèrent de transporter céréales, épices, textiles, armes et esclaves

entre l’Afrique et l’Asie. Sur le plan sociologique, ces marins étaient principalement issus de

familles d’origine chirazienne, yéménite, omanaise ou arabe. Parmi les peuples de la pointe de

34

Voir Aden Arabie de Nizan ainsi que les correspondances de Rimbaud dans lesquels on perçoit bien le désenchantement des Européens face à l’histoire violente de cette région. 35

Voilier arabe originaire de la mer Rouge. Il est construit en bois et gréé de plusieurs mats à voile latine (en trapèze). Navire utilisé principalement pour le cabotage, il se répand rapidement comme un standard de la navigation en Océan Indien du détroit de Bāb al-Mandab au détroit de Malacca. 36

Civilisation du « rivage » ou Sahel.

28

la Péninsule, les Somali – impliqués dans la recrudescence contemporaine de la piraterie –

sont installés à l’est d’Haraär, entre le golfe de Tadjoura au nord et le fleuve Tana au sud.

Après la Première Guerre Mondiale et face à la concurrence des bateaux à moteur, le déclin

de la navigation des boutres commence en mer Rouge et dans le Golfe d’Aden. Pourtant, la

tradition se maintient jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale et les boutres continuent d’être

utilisées pour les échanges locaux et les trafics illicites. Les puissances britanniques,

françaises et italiennes maintenaient dans ces régions une administration symbolique appuyée

par des cadres locaux. A cette époque déjà, les puissances occidentales étaient incapables de

contrôler la navigation et les frontières terrestres.

La piraterie contemporaine dans la région ne renaît pas seulement à cause d’un opportunisme

face aux richesses transitant par le détroit ; les traditions de navigation existent parmi ces

peuples côtiers qui, depuis l’Antiquité, assument l’essentiel des activités de commerce entre

Afrique et Arabie.

L’histoire violente de la région, et particulièrement de la Somalie, est bien connue à partir des

années 1990. Pourtant, les empires se sont très tôt disputés les régions côtières de la Corne de

l’Afrique à tel point que l’actuelle augmentation de la piraterie est envisagée par certains

auteurs 37

comme la continuation de l’histoire violente de la région.

2.2 Le rôle des empires dans la région

Bien avant 1869 et l’ouverture du canal de Suez, les empires à vocation universelle voulurent

contrôler et s’approprier le commerce entre la Méditerranée et l’Océan Indien. L’enjeu était

de taille puisqu’avant la domination contemporaine des hydrocarbures, des marchandises à

haute valeur unitaire38

transitaient par le détroit de Bāb al-Mandab. Pour parvenir à dominer

ces commerces, les empires devaient tenir les deux rives du détroit et obtenir le soutien des

Ethiopiens et des Yéménites.

L’Egypte tout d’abord, qui contrôle Suez, n’a jamais contrôlé directement l’embouchure

méridionale de la mer Rouge. Elle se limita à y établir quelques comptoirs aux points de

liaison entre les points de chute des caravanes et celui de départ des boutres. Au VI° siècle, le

royaume d’Askum, allié de Byzance, s’empara quelques temps du Yémen. Au VII° siècle, la

conquête arabe du Yémen et de l’Egypte aurait pu faire de la mer Rouge un lac arabe d’autant

37

Alain GASCON en première ligne : professeur de géographie à l’université Paris VIII 38

Epices, myrrhe, encens, esclaves, étoffes et musc

29

que l’Islam sunnite s’était largement répandu sur les rives africaines sous l’action des marins

et des marchands arabes. Un partage religieux commence à se faire dans la région : le

christianisme s’impose en Ethiopie tandis que le chiisme zaydite s’implante au Yémen. En

dépit de cela, les échanges commerciaux sont fructueux dans la mer Rouge alors que dans

l’océan Indien les échanges s’intensifient entre l’Oman, l’Iran, l’Inde et les côtes africaines

swahilies.

Au XVI° siècle, les Ottomans, alors maître de l’Egypte, s’emparèrent des ports de la mer

Rouge mais échouèrent face aux Ethiopiens et aux Yéménites. Il faut attendre 1798 et

l’expédition française en Egypte pour que la Grande-Bretagne réalise à nouveau l’importance

de l’isthme de Suez sur la route des Indes. Cette expédition marque alors le début de

l’affrontement entre la Grande-Bretagne et la France pour le contrôle de la région ; de même

qu’elle révèle la faiblesse de l’emprise ottomane sur l’Egypte et la mer Rouge. En 1839, un

contingent britannique s’installe à Aden, à l’ouverture du détroit sur l’océan Indien. De la

même façon, la France, engagée dans le percement de l’isthme de Suez, s’installe en 1862 à

Obock. Le partage des rivages entre les puissances occidentales est amorcé, l’Italie

s’approprie la baie d’Asäb en 1869. A partir de 1884, les Britanniques sont installés à Berbera

pour empêcher l’installation des Français. Ils doivent néanmoins céder Massawa et la côte du

Benaadir aux Italiens. Enfin en 1888, la Grande-Bretagne doit se résigner à abandonner le

golfe de Tadjoura à la France et à partager le Yémen avec la Turquie.

Il faut attendre la décolonisation consécutive à la fin de la Seconde Guerre mondiale pour que

les lignes de partage de la région entre les puissances occidentales changent. Les luttes

d’influence du XIX° siècle préfigurent – comme on pourra l’observer plus loin dans ce

mémoire – les actions des puissances occidentales dans la région qui sous couvert de

protection de leurs intérêts et du commerce maritime mondial agissent pour étendre leur

sphère d’influence 39

.

La Corne de l’Afrique durant la Guerre Froide

Au début des années 1950, la mer Rouge et le golfe d’Aden étaient encore largement dominés

par la puissance britannique. La France demeurait à Djibouti et les Etats-Unis entraient

également dans le jeu de domination régional en installant une station d’écoute à Qaññäw en

Erythrée.

39

Chine et Russie en première ligne – Pour plus de détails voir Partie 2, IV.

30

La région devient dès le début des années 1960, le théâtre d’affrontements entre Etats-Unis et

URSS. En effet, au tournant de cette nouvelle décennie, la Grande-Bretagne se résigne à

abandonner ses possessions à l’est de Suez pour passer la main aux Etats-Unis implantés

également en Arabie Saoudite. L’URSS soutenait Nasser dans son prosélytisme panarabe et

socialiste au Yémen. Tous les Etats nouvellement indépendants durent choisir un camp. Le

Somaliland britannique – indépendant en 1960 et uni à la Somalie ex-italienne – ainsi que le

Kenya indépendant en 1964 se rangèrent du côté américain. Mais à partir de 1969, le général

Siyaad Barre s’empare du pouvoir en Somalie et aligne le pays sur l’URSS. Le golfe d’Aden

et le détroit de Bāb al-Mandab formèrent alors un couloir stratégique et une ligne de tension

entre les deux blocs. Ces tensions persistantes se traduisirent par un ralentissement du

cabotage entre les rives africaines et asiatiques laissant la place aux pétroliers et aux porte-

conteneurs qui empruntaient le canal de Suez. Bien que le canal fût fermé entre 1967 et 1975,

la pression militaire sur la région ne s’atténue pas : le France renforce sa présence à Djibouti

et la flotte soviétique s’installe à Aden, Socotra et Berbera. La présence militaire et navale

massive dans la région eut pour effet de mettre un terme aux trafics illicites et empêcha la

piraterie d’émerger en même temps que l’intensification du commerce dans le détroit.

La fin de la guerre froide et la chute des dictatures n’entrainèrent qu’une baisse éphémère de

la conflictualité et laissèrent la région ruinée et à la tête d’énormes stocks d’armes. L’histoire

violente de la région se poursuit après 1991 et comme après un violent séisme, les siècles de

tension produisent de nombreuses répliques dont la piraterie fait, à bien des égards, partie.

31

Partie 2 : La piraterie au XXI° siècle dans le golfe d’Aden

Si les affaires du Ponant, du Carré d’As ou du Tanit ont été l’occasion de gros titres à

répétition sur le retour des pirates, ce sursaut ne date pas pour autant de 2008. La piraterie fut

– comme on l’a vu dans la partie précédente – à peu près éteinte pendant les décennies de la

guerre froide ; mais elle refait surface précocement au tournant des années 1980 pour exploser

dans les années 1990.

Entre 1984 et 2007, l’Organisation maritime internationale comptabilise 4 439 actes de

piraterie. De même, l’International Maritime Bureau (IMB) recense 45 attaques en Somalie et

en mer Rouge pour l’année 2003 puis 44 en 2007. Ce chiffre peut probablement être revu à la

hausse dans la mesure où pour être recensé l’acte doit être déclaré. Cette procédure peut

entraîner l’immobilisation du bateau et engager par conséquent des coûts supérieurs à ceux

induits par l’agression ; certains armateurs peuvent choisir de ne pas déclarer l’attaque. La

complexité intrinsèque de la procédure conduit pareillement à passer sous silence un certain

pourcentage des incidents40

. Enfin le comptage des attaques pose problème puisque l’IMB

n’établit pas de distinction entre les attaques perpétrées en haute mer et celles intervenant en

eaux territoriales. Ces dernières ne constituent pas – sur le plan juridique – des actes de

piraterie mais des actes de brigandage.

Tableau 1 – Actes de piraterie tentés et réussis entre 2003 et 2008 dans la Corne de l’Afrique

et en Asie du Sud-est

2003 2004 2005 2006 2007 2008 200941

Evolution42

Total

Mondial

445 329 276 239 263 293 102 -34%

Somalie et

Golfe

d’Aden

21 10 45 20 44 111 61 +428%

Inde et

Bangladesh

85 32 36 52 26 22 N/A -74%

Détroit de

Malacca et

Singapour

151 140 98 66 53 36 2 -76%

Source : IMB, janvier 2009

L’essentiel des attaques en 2008 est concentré dans la région de la Corne de l’Afrique –

environ 38% du total mondial. Au cours de l’année 2009, cette tendance ne faiblit pas puisque

40

L’attaqué doit se signaler à l’autorité compétence. En l’occurrence, le pays où s’est déroulé l’attaque si celle-ci a eu lieu dans les eaux territoriales ou le pays d’enregistrement du navire en cas d’attaque en haute mer. 41

Chiffres pour le premier trimestre 2009 ; janvier à début mai. 42

Calcul effectué pour la période 2003-2008

32

le premier trimestre 2009 est à la fois marqué par un une forte hausse des actes de piraterie

(102 incidents soit une hausse de 20% par rapport au dernier trimestre 2008) et par une

concentration de ces attaques dans le Golfe d’Aden : environ 60% du total mondial au premier

trimestre 2009.

Les statistiques et les cartes publiées par l’IMB sont une référence précieuse dans le cadre

d’une cartographie du phénomène. On peut observer sur le tableau précédent combien l’image

d’hydre-pirate utilisé par Eric Frécon à plusieurs reprises dans ses articles est juste : le

phénomène est partiellement étouffé dans les mers d’Asie du Sud-est pour ressurgir avec

force dans le golfe d’Aden.

Carte 1 : Répartition mondiale des actes de piraterie en 2009

La carte produite par l’IMB et présentée ci-dessus met en évidence les principales zones à

risque pirate : golfe de Guinée, Golfe d’Aden et Détroit de Malacca. Les zones du détroit de

Bāb al-Mandab et du golfe d’Aden sont un point de passage majeur du commerce

international ; près de 16 000 navires par an empruntent cette voie maritime soit une moyenne

de 45 navires par jour et 3,5 millions de barils de pétrole.

La réapparition de la piraterie dans la région de la Corne de l’Afrique soulève plusieurs

interrogations concernant son origine, ses conséquences directes et lointaines et les réponses

33

qui sont apportées par les parties prenantes. De plus, si la coopération internationale en

matière de lutte contre la piraterie a été largement mise en avant dans les sphères médiatiques

et diplomatiques, une analyse à froid des actions des Etats dans la région fait apparaître

l’Océan Indien comme un nouvel enjeu de domination pour les Etats.

I. Une résurgence pluricausale du phénomène

Le retour de la piraterie dans l’Océan Indien à partir des années 2000 est la conséquence d’un

ensemble de facteurs qui vont du milieu physique de la Corne de l’Afrique propice aux

activités illicites à la faiblesse des Etats riverains.

De façon schématique, on peut relever trois conditions principales permettant le

développement de la piraterie :

- Un positionnement géographique propice sur une zone maritime de transit des

richesses

- Une instabilité politique et une autorité publique défaillante à terre

- Une population dotée d’une tradition maritime forte

Ces trois conditions sont réunies dans le cas de la Somalie. A cela, s’ajoutent des facteurs

conjoncturels tels que la diminution de la présence navale américaine et la disparition de la

présence soviétique consécutive à la fin de la guerre froide, l’augmentation forte de la richesse

circulant par voie maritime parallèle à l’augmentation de la vulnérabilité des navires43

, la

surexploitation des zones de pêche somaliennes ou la prolifération des armes à bon marché

suite à la chute du bloc soviétique.

43

Utilisation de plus en plus fréquente de porte-containers et réduction des équipages pour réduire les coûts de transport.

34

1.1 Passer la Porte des Lamentations44

et naviguer dans le Golfe d’Aden : la donne

géographique en Somalie

Carte 2 : La Somalie : Frontières et réseaux de communications

44

Le détroit de Bāb al-Mandab, par lequel le golfe d’Aden communique avec la mer Rouge, est appelé Porte des larmes ou des lamentations

35

Les conditions de navigation dans la région sont particulières et difficiles. De juin à

septembre, les vents de mousson de nord-ouest poussent les eaux de la mer Rouge vers le

golfe et de novembre à avril, sous la pression des vents de sud-est, l’écoulement s’inverse.

Outre ce balancement, les marins doivent louvoyer entre les récifs coralliens affleurant qui

bordent les côtes du golfe. Le golfe d’Aden s’ouvre vers l’est sur l’Océan Indien et le

débouché méridional est contrôlé par l’île yéménite de Socotra. Cette île est de plus reliée à la

pointe de la Somalie par un chapelet d’îles qui contraint les bateaux à longer la côte du

Yémen au nord. La pointe de la Corne qui s’avance dans l’Océan Indien constitue une base

stratégique idéale à mi-chemin entre Arabie et Afrique et permet de dominer le débouché

méridional du golfe sur l’océan.

Le découpage des côtes offre également des possibilités de zones grises innombrables. Les

côtes rocheuses et rectilignes sont coupées par des falaises escarpées, des baies encombrées

d’archipels coralliens (Maasawa, Asäb ou Boosaaso). Au-delà du cap Gardafui, le rivage

rocheux de l’Océan Indien se poursuit puis s’abaisse au sud du port de Eyl – une des bases

des pirates. A la hauteur de Mogadiscio, de vastes lagunes et des marécages sont retenus

derrière un long cordon dunaire. Les côtes rocheuses du golfe d’Aden et de la mer Rouge,

coupées de criques difficilement accessibles de l’intérieur, constituent autant de refuges pour

qui veut dissimuler des activités illicites. En revanche, le littoral bas rocheux puis sableux de

l’Océan Indien est beaucoup moins propice. Seuls quelques ports souvent aménagés par les

colonisateurs : Berbera, Aden, Moka ou Seylac, peuvent accueillir des navires de fort tonnage.

Les autres ne sont fréquentés que par des boutres.

Enfin, l’aridité et les fortes températures estivales règnent sur les rivages de la mer Rouge et

du golfe d’Aden bien que les orages provoquent parfois de subites crues des oueds. L’aridité

règne aussi en Somalie ex-italienne jusqu’à l’équateur. Un courant froid coule vers le sud

parallèlement à la côte somalienne limite l’évaporation et plonge dans des flots plus chauds,

attirant ainsi les bancs de poissons. Ces ressources halieutiques constituent la principale

source de richesse de la Somalie ex-italienne. Les problèmes liés à l’exploitation de cette

ressource par des pêcheurs étrangers forment aussi une des causes du développement de la

piraterie dans la région.

36

1.2 De la pêche à la piraterie

Le processus qui a progressivement amené les pêcheurs somaliens à se reconvertir en pirates à

plein temps est connu ; il ne s’agit pourtant pas d’un glissement automatique et uniquement

induit par les opportunités de gains transitant par le détroit de la mer Rouge puis par le golfe

d’Aden. Dans cette mécanique des pêcheurs devenant pirates, les éléments déclencheurs sont

nombreux et les responsabilités – bien souvent non somaliennes – également.

Les pirates somaliens sont moins des émules de Ben Laden que des pêcheurs ruinés par des

années de guerre civile et par le pillage des ressources halieutiques. La reconversion des

somaliens vivant sur les côtes du Golfe et de l’Océan Indien en pirates à temps complet

remonte à 1991 et à la fin de la dictature de Siyaad Barre. Le président – vraisemblablement

sous l’influence de sa famille – avait distribué à ses enfants, épouses, gendres et frères des

pans entiers de revenus, des bâtiments et des terres de l’Etat somalien. A sa mort, le pillage

des ressources commença et particulièrement celui des ressources halieutiques. A partir de

1970, les Soviétiques avaient permis aux Somaliens de développer la pêche industrielle. Lors

de la sécheresse de 1973 on décida en accord avec la FAO de faire des paysans sinistrés du

nord, des pêcheurs au sud. Ce transfert, en plus d’être un échec, affecta la pêche

traditionnelle. Un nouveau tournant dans le développement de la pêche industrielle est adopté

quand la Somalie, renonçant au socialisme, renoue avec l’Italie pour lancer un nouveau

programme de pêche industrielle sous l’égide de l’Etat. La société responsable de ce

programme fut d’abord dirigée par le demi-frère du président Barre : Cabdirahmaan Barre

puis à partir de 1991 par Maxamed Farax Aydeed. A sa mort en 1991, on assiste à un

processus de privatisation sauvage des zones de pêche largement conduit par des Somaliens

de la diaspora qui agissent en faveur d’un accord entre des seigneurs de la guerre et des

sociétés de pêche. Ces accords eurent deux effets désastreux : ils soumirent les eaux

territoriales somaliennes au pillage des ressources halieutiques par des navires-usines et

permirent aux chefs de guerre – moyennant finances – de noyer au large des conteneurs

d’ordures et de matières toxiques45

. En dépit des conventions internationales46

, la côte

somalienne devint la poubelle de nombre d’entreprises qui réalisèrent des économies

substantielles sur leurs coûts de traitements, le néant politique somalien leur garantissant

l’impunité.

45

Il s’agit bien souvent de déchets industriels ou hospitaliers : produits chimiques, pharmaceutiques, mercure, cadmium, uranium. 46

Principalement la convention de Bamako entrée en vigueur en 1996 et interdisant de déchets dangereux ou radioactifs en provenance de parties non contractantes.

37

Un autre événement – certes tout à fait imprévisible – vient porter un coup sévère à la pêche

traditionnelle somalienne. En décembre 2004, un tsunami ravage les côtes d’Indonésie, de

Malaisie et de Thaïlande. Pourtant les côtes somaliennes, bien que touchées 12 heures plus

tard, ne sont pas épargnées. Entre Hafund et Garaacad, 650 kilomètres de côtes sont

sévèrement touchés en pleine saison de pêche. La vague tue plusieurs centaines de personnes,

rase près de 20 000 habitations détruisant sur son passage bateaux, filets et matériel.

L’écosystème côtier – déjà mis à mal par les matières toxiques déversées au large – est

durablement perturbé. L’eau de mer a salé l’eau douce et les terres arables. La vague a aussi

dévasté la forêt de mangrove déjà affectée par les besoins en bois de chauffage d’une

population poussée sur les rivages par la guerre civile.

Le pillage des eaux somaliennes commence ainsi dès le début des années 1990, en même

temps que la déliquescence de l’Etat somalien. Aucune surveillance de la mer, aucune police

et aucun contrôle à terre permettent aux navires de pêche étrangers de capturer sans limitation

privant les populations côtières de leur principale ressource. Encouragés par le président du

Puntland – autonome par auto-proclamation depuis 1998 – les pêcheurs défendirent leurs

ressources les armes à la main. Ils attaquèrent d’abord les cibles les plus proches et les plus

faciles, agissant avant tout en fonction des opportunités. Les thoniers furent les premières

proies de ces pirates encore peu équipés et aguerris. Le processus fut assez simple ; devant le

succès de leurs premières actions contre les envahisseurs étrangers, les pêcheurs somaliens

diversifient et élargissent leur champ d’action. Si au début des années 2000 les actions restent

limitées à la bande côtière et visent le plus souvent les caboteurs ou les bâtiments en avarie,

les bénéfices des premières rançons permettent de s’équiper et d’intensifier l’activité.

1.3 La piraterie, avatar de la mondialisation : armes et « progrès » de la navigation

En ce qui concerne l’éventail des causes conjoncturelles du renforcement de la piraterie dans

les eaux de la Corne de l’Afrique, la prolifération des armes à bon marché – malgré un

embargo sur les armes depuis 1992 – associé à la modernisation de la navigation permettant la

réduction des équipages ont été des facteurs déterminants pour le développement des activités

pirates.

Les potentialités soulignées auparavant – milieu physique, tradition maritime, désarroi des

populations locales côtières – seraient lettre morte sans la richesse croissante circulant sur les

océans. Les années 1980-1990 ont été celles d’une explosion continue du trafic maritime.

L’invention de la conteneurisation, ainsi que l’a souligné un rapport de l’Organisation

38

Mondial du commerce, a également joué un rôle direct. Ce développement du commerce

maritime mondial est illustré par les 41 000 bateaux circulant annuellement en mer de Chine,

les 30 0000 franchissant le canal de Suez et les 10 000 celui de Panama. Les progrès

technologiques – notamment d’automatisation et d’aide à la navigation – ont permis quant à

eux de réduire le nombre des membres d’équipage : un pétrolier de 230 mètres de long

compte aujourd’hui une vingtaine de marins contre 50 il y a vingt ans. Cette réduction des

équipages est directement liée à la recherche d’un coût minimal de transport – souci de

rentabilité et de marges bénéficiaires – de la part des armateurs mais elle a pour principal

inconvénient de renforcer la vulnérabilité des bateaux et de leurs cargaisons. Ces progrès

favorisent par conséquent davantage les pirates que les bâtiments de commerce à bord

desquels la multiplication des automatismes a entrainé une diminution des marins disponibles

pour la surveillance et la veille. En outre, l’extrême hétérogénéité d’équipages de cultures, de

langages, de formations différents – fruit aussi de la mondialisation – fragilise la cohésion

dans les situations délicates ce qui contribue encore à faciliter le travail des pirates.

Concernant la veille à bord des navires, celle-ci est le plus souvent mal assurée sur beaucoup

des navires de commerce ou de pêche en haute mer. Les raisons en sont multiples : équipages

réduits par rapport à la taille des navires, composition hétéroclite parfois avec peu de langues

communes, médiocrité et disparité des formations, lassitude et monotonie face à une mer

souvent vide. On regarde plus volontiers des vidéos dans les abris de navigation du navire

qu’on ne scrute l’océan avec attention. Les radars sont également stoppés la plupart du temps

par mesure d’économie. Conséquence directe de la mondialisation, cette nouvelle navigation

facilite la tâche des pirates qui peuvent s’approcher sans être vus et monter à bord sans

opposition de l’équipage.

Les conflits des années 1990 ont été source d’une prolifération d’armes à bon marché dans la

région qui a donné aux pêcheurs et marins les moyens de défendre leurs zones de pêche.

L’embargo sur les armes est imposé à la région à partir de 1992 et est violé depuis cette date

là de manière répétée comme le démontrent de nombreux rapports d’Oxfam, d’Amnesty

International ou de l’ONU47

. Les Nations Unies ont décrété en 1992 un embargo

juridiquement contraignant à l’encontre de la Somalie qui n’est toutefois jamais parvenu à 47

Oxfam : Embargos des Nations Unies sur les armes : tour d’horizon des dix dernières années, 10 mars 2006, http://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/embargo.pdf Amnesty International : Somalie, Réexaminer les conditions de l’aide internationale à destination de l’armée et de la police, 2010, http://www.amnesty.org/fr/library/asset/AFR52/001/2010/fr/b50b8da8-b498-40a9-8a60-2d8929c053f0/afr520012010fra.pdf

39

stopper les livraisons d’armes. Les violations sont répandues, systématiques et persistantes ;

elles ont largement contribué à la résurgence des violences dans la région et ont par extension

permis en partie à l’ « hydre-pirate » de se développer.

Le rapport de l’ONU de 2008 met en évidence que les armes alimentant les réseaux criminels

et pirates somaliens transitent principalement par le Yémen. Les restrictions imposées au

Yémen à partir de 2008 ont permis de ralentir les flux entre les deux rives du golfe d’Aden

sans pour autant y mettre un terme. Ce trafic illicite contribue largement à entretenir les

conflits armés à terre ainsi que la piraterie au large des côtes somaliennes.

La piraterie illustre les nouvelles formes de menaces asymétriques, transnationales et non-

étatiques qui émergent lors d’une période d’instabilité régionale. Ces pirates somaliens sont

également des oubliés de la croissance et de la mondialisation ; la piraterie se situe

historiquement au point de rencontre entre les échanges maritimes qui supportent les vagues

de mondialisation et les menaces issues des marges de la mondialisation. Les causes

susmentionnées forment un éventail d’explications aussi large que possible mais non

exhaustif.

Les statistiques invitent dans un premier temps à relativiser le danger pirate au large de la

Somalie. Les probabilités pour un navire d’être victime d’un acte de piraterie restent très

faibles. Ainsi, en confrontant une estimation basse du trafic maritime (16 000 navires par an)

et le nombre annuel d’attaques pour l’année 2008 (111), le risque avoisine 0,7%. D’un point

de vue strictement quantitatif, le nombre de bateaux touchés représente une part infime des

navires transitant par le golfe d’Aden. Si les pirates sont encore loin de prendre en otages la

mondialisation, les conséquences directes et indirectes du phénomène sont manifestes.

40

II. Des conséquences indéniables

Les conséquences possibles de la piraterie ont été un des sujets les plus commentés de l’année

2008 ; les captures médiatisées du Ponant ou du pétrolier saoudien Sirius Star48

ont été

l’occasion pour nombre d’experts de brandir à nouveau le spectre d’un dérèglement du

commerce mondial couplé à un risque environnemental majeur en cas de naufrage d’un

pétrolier. Il convient avant de s’intéresser aux conséquences avérées de la piraterie et aux

risques qu’elle comporte de relativiser son impact à l’échelle globale.

Le golfe d’Aden a été souvent présenté comme le point de passage d’une majeure partie du

pétrole mondial. Pourtant, en 2006, ne transitent par cette voie maritime que 3,3 millions de

barils par jour ; 4 ,8 millions de barils empruntent en effet un pipeline qui coupe par l’Arabie

Saoudite. En comparaison, la consommation mondiale avoisine les 86 millions de barils par

jour et 15 millions de barils traversaient chaque jour le détroit de Malacca en 2006. Même les

300 000 tonnes de capacité du Sirius Star, le plus gros pétrolier attaqué par les pirates

somaliens, ne rivalisent avec les ULCC49

qui peuvent atteindre plus de 500 000 tonnes de

capacité. Enfin, on a comptabilisé en 2008 32 morts ou disparus dus à la piraterie dans le

monde alors qu’on dénombre 70 marins-pêcheurs dans le monde perdant la vie chaque jour

dans le cadre normal de leur profession.

Ces précisions apportées, il ne s’agit pas pour autant d’imaginer que les actes de piraterie

restent sans conséquences. Les risques humains, environnementaux et économiques existent.

48

Le pétrolier est capturé puis détourné le 15 novembre 2008. Il est ensuite ancré au large d’Harardere sous contrôle des pirates, une demande de rançon est ensuite envoyée à l’armateur Vela International, filiale du géant saoudien Aramco propriétaire du navire. Navigant sous le pavillon du Liberia, le pétrolier était dirigé par un équipage réduit à 25 personnes pour un navire d’une longueur de 330 mètres. Il s’agit d’une des prises les plus spectaculaires eu égard à la taille du navire. 49

Ultra Large Crude Carriers

41

2.1 Quel impact économique et financier ?

L’année 2008 a été une année faste pour la piraterie puisque les attaques ont rapporté plus de

30 millions de dollars de rançon. Rapporté au budget du Puntland qui s’élève à 15 millions

d’euros, la somme paraît colossale ; c’est pourtant très peu en regard du trafic maritime dans

la zone du golfe d’Aden puisque transite par le canal de Suez en moyenne 2 millions de

tonnes de marchandises dont 3 ,5 millions de barils de pétrole50

par jour.

L’impact économique et financier est globalement assez limité même si on y ajoute les coûts

liés à l’immobilisation des bâtiments et des cargaisons. En revanche, l’effet est davantage

marqué sur les activités de pêche.

Au cours de la dernière décennie, la zone d’activité des thoniers s’est déplacée sous la

pression des attaques des pirates. Jusqu’en 2000, les armateurs disposaient d’autorisation de

pêche au sein de la ZEE somalienne délivrée par une « autorité somalienne » difficile à

identifier – Gouvernement transitoire, Union des Tribunaux islamiques ou chefs de guerre.

Mais depuis 2006, le gouvernement français, entre autres, interdit la pêche à moins de 200

milles51

des côtes somaliennes et les commandements de forces navales occidentales en

Océan Indien la déconseille à moins de 300 milles des côtes. Ces précautions s’expliquent par

le rayon d’action des pirates qui s’accroît parallèlement à l’augmentation qualitative de leurs

équipements. Ainsi, en septembre 2008 deux tentatives d’attaques ont eu lieu au-delà de la

ZEE somalienne à plus de 400 milles des côtes. Le Sirius Star est capturé à plus de 450 milles

nautiques des côtes kenyanes, au sud-est de Mombasa.

Désormais, les thoniers français respectent une distance de sécurité de 500 milles nautiques

des côtes somaliennes. Ces prises de précaution ont un coût : une diminution de 500 à 700

tonnes des prises annuelles par bateau, soit près d’un tiers des captures réalisées durant la

saison de pêche dans la zone au large de la ZEE somalienne. Cette restriction de la zone de

pêche est d’autant plus pénalisante que les eaux somaliennes sont particulièrement riches ;

l’ouest de l’Océan Indien représentant près de 75% de la pêche thonière française.

Ce sont essentiellement des bateaux espagnols, thaïlandais et japonais qui pèchent dans la

zone. Seuls des palangriers52

asiatiques s’aventurent encore aujourd’hui dans la ZEE

50

En juillet-août 2010, le cours du baril s’établit environ à 80$ soit 280 millions de dollars par jour uniquement en pétrole. 51

1 mille nautique = 1,852 kilomètre 52

La pêche à la palangre consiste en l’utilisation d’une longue ligne de fil de pêche sur laquelle sont fixés des hameçons à intervalles réguliers.

42

somalienne. Si les armateurs français s’interrogent sur l’intérêt de maintenir des bateaux dans

la région, un mouvement de repli sur la zone atlantique a déjà été observé chez les armateurs

espagnols. Or, un équilibre entre les zones atlantiques et indiennes est nécessaire dans la

mesure où l’overfishing d’une zone peut appauvrir considérablement la ressource et

déséquilibrer davantage l’écosystème.

En second lieu, la piraterie a des conséquences importantes sur le coût des assurances

maritimes. Selon le rapport de novembre 2008 de Business Monitor International, le montant

des primes d’assurance pour les navires transitant par le golfe d’Aden et le détroit de Bāb al-

Mandab a été multiplié par 10 et la zone a été classée par plusieurs compagnies d’assurance

en zone de guerre. Ce changement de classification a lieu au début de l’année 2009 et

implique pour les armateurs et gestionnaires de navires une surprime d’assurance beaucoup

plus forte pour les navires transitant par cette zone. A titre d’exemple, pour un tanker de

45 000 tonnes dont la valeur est estimée à une soixantaine de millions de dollars, l’assurance

Risque Ordinaire s’élève à 220 000 dollars par an. Une prime de risque de guerre obligatoire

de 20 000 dollars y serait ajoutée, de même qu’une surprime de 40 000 dollars pour chaque

passage dans la zone concernée53

.

Il est cependant difficile d’apprécier la hausse du coût des assurances sur le plan général

puisqu’il existe dans ce domaine plusieurs marchés et autant d’appréciations du risque. En

outre, les éventuelles surprimes applicables ne font pas l’objet d’une publication officielle

pour des raisons évidentes de concurrence. Les taux de surprimes sont fonction de

l’appréciation du risque et de la situation particulière de chaque armateur. On peut ainsi

relever que pour les assurances Corps54

, les surprimes liées aux risques de guerre ont une

valeur située entre 0,02 % et 0,075 % de la valeur totale du navire.

On relève également des différences notables entre les polices d’assurance françaises et

britanniques. Pour les polices d’assurances françaises, le risque de piraterie entre dans le cadre

du risque normal alors qu’il est assimilé à un risque de guerre pour les polices britanniques.

En 2009, la Lloyd’s de Londres – première bourse mondiale d’assurance – s’est adaptée en

proposant des polices spéciales pour le risque de piraterie ; elles comprennent notamment le

remboursement de la rançon, le paiement des frais légaux ou l’acheminement de l’argent aux

53

Estimation basée sur des informations non-officielles 54

Un navire est communément couvert par deux types d’assurance : une police d’assurance traditionnelle pour le corps du bateau et la cargaison ainsi qu’un contrat de responsabilité civile pour l’équipage et les autres types de risques.

43

ravisseurs. Ces polices d’un nouveau type ne semblent s’appliquer qu’au-delà d’une zone de

500 milles des côtes et les armateurs doivent par ailleurs se protéger contre le manque à

gagner dû à l’immobilisation des navires.

Les conséquences sur les intérêts économiques occidentaux sont en somme relativement

variables et difficiles à mesurer dans certains cas. Pour les armateurs, la piraterie est avant

tout appréhendée comme un surcoût qu’il faut intégrer aux coûts de transports habituels. Dus

à la fois au coût d’immobilisation d’un navire suite à une attaque, à d’éventuelles rançons à

payer ou aux surprimes des assurances ayant classé la zone en risque de guerre ; ces surcoûts

peuvent peser dans les arbitrages effectués par les armateurs et les encourager à dérouter leurs

bâtiments.

Un effet encore limité sur le trafic maritime

La route maritime reliant l’Asie et le Moyen-Orient à l’Europe est une des routes les plus

fréquentées au monde et elle constitue par conséquent une voie stratégique majeure de

l’approvisionnement européen. Sur les quatre détroits traversés par cette route – Malacca, Bāb

al-Mandab, Gibraltar et le Dover Strait – deux sont des zones à risques pirates. Les détroits

internationaux concentrent la majeure partie du trafic et des risques maritimes dans des eaux

resserrées. Ils constituent un point stratégique habituellement surveillé et contrôlé par les Etats

riverains du détroit. La spécificité du golfe d’Aden est précisément que les Etats riverains ne

sont pas en mesure d’assurer le contrôle du détroit de Bāb al-Mandab à cause d’un manque de

moyens – garde-côtes efficaces, moyens technologiques de surveillance – largement renforcé

par les faiblesses politiques et opérationnelles des Etats, en particulier de la Somalie.

Dans ce contexte, les eaux de la Corne de l’Afrique sont le maillon faible de

l’approvisionnement européen dans la mesure où la piraterie du détroit de Malacca a été

combattue et affaiblie. Comme on l’a dit, les Etats riverains ne sont pas en mesure d’assurer

le contrôle et la sécurité du passage et la faible activité maritime régionale ne créé pas une

richesse locale suffisante.

Dans ces conditions, l’opportunité d’un déroutage des navires par le sud de l’Afrique s’est

présentée. Pourtant, rares sont les armateurs l’ayant adoptée. En effet, le passage par Bāb al-

Mandab plutôt que par le cap de Bonne Espérance permet un gain de temps de 14 jours sur un

voyage entre le Golfe Persique et l’Europe. A titre exemple, cela permet aussi un gain en

44

carburant de 800 000 dollars pour un VLCC55

et de 2,7 millions de dollars pour un porte-

containers. La société V-Navy56

évalue par exemple à plus d’un million de dollars le surcoût

du passage par le cap de Bonne Espérance pour un VLCC en intégrant l’économie de 500 000

dollars de la redevance de passage par le canal de Suez. Face à cela, l’arbitrage des armateurs

se rationnalise et la prise de risque induite par le passage du golfe d’Aden reste plus

avantageuse. En comparaison avec le montant moyen des rançons demandées – compris entre

1 et 2 millions de dollars – le risque mérite d’être pris sur le plan strictement financier.

Certaines compagnies comme la compagnie Odfjell ou le groupe danois AP Moller Maersk –

plus gros propriétaire de navires en Europe – ont annoncé avoir suspendu ou envisagé de

délaisser la route du canal de Suez au profit du cap de Bonne Espérance pour toute ou partie

de leur flotte.

Une telle évolution aurait nécessairement des conséquences pour la rentabilité du canal de

Suez qui représente un atout stratégique et financier de premier plan pour l’Egypte. Même si

une baisse de recettes du canal ne mettrait pas à elle seule en péril les équilibres financiers

égyptiens, les inquiétudes de l’Egypte face à la montée de la piraterie dans le golfe d’Aden

sont compréhensibles – à plus forte raison dans une période où le ralentissement économique

a d’ores et déjà entrainé une baisse du trafic d’environ 25 % entre février 2008 et février

2009.

Une estimation contestée du BMI évalue le coût de la piraterie à 16 milliards de dollars par an

pour l’ensemble des acteurs du trafic maritime. Au regard du chiffre d’affaires global du

transport maritime mondial – estimé à 600 milliards de dollars – ce coût reste relativement

faible. Pourtant, la piraterie maritime dans le golfe d’Aden reste porteuse de risques.

55

Very Large Crude Carrier 56

www.v-navy.fr Société de services et de conseil stratégique dans le domaine maritime. Elle propose des solutions en financements, en sécurité et sûreté maritime ou en environnement en basant sa compétence sur d’anciens marins, ingénieurs, architectes navals.

45

2.2 Des risques non négligeables : instabilité des approvisionnements et risques

environnementaux ?

La piraterie se définit avant tout comme une menace asymétrique, de faible intensité et non

conventionnelle. Elle est par nature porteuse de certaines menaces moins directes que les

conséquences économiques et financières étudiées auparavant.

Certains auteurs ont mis en avant que les attaques pirates perturbant le trafic commercial entre

l’Europe et l’Asie via le Moyen-Orient constituent une menace envers la sécurité énergétique

des Etats dans la mesure où 30% du pétrole mondial transite par le golfe d’Aden. La menace

portée par la piraterie sur l’approvisionnement énergétique est en réalité plus indirecte ; les

surcoûts de navigation qu’elle implique – notamment dans le domaine des assurances – se

répercutent sur le prix des biens et du pétrole arrivés à destination.

Le corollaire de cette menace énergétique est une catastrophe environnementale consécutive

la prise d’un pétrolier – comme le Sirius Star – qui pourrait mal tourner et entraîner des

dommages sur le navire : risques de marée noire, pollutions au large ou navires incendiés.

L’évolution des armements des pirates vers l’utilisation d’armes de plus en plus puissante

accroît le risque environnemental. L’attaque du Takayama a mis en avant cette possibilité :

lors de son assaut, les réservoirs de pétrole ont été touchés causant un déversement de matière

dans l’océan. Pourtant, il est peu probable qu’une telle catastrophe soit causée de manière

volontaire par les pirates ; de la même manière que pour les liens présumés entre islamistes et

pirates qu’on étudiera plus tard, il n’est pas dans l’intérêt des pirates somaliens d’attirer

davantage l’attention occidentale en causant une telle catastrophe environnementale.

Ces types de menace ont été largement mis en avant dans des rapports d’instituts de recherche

– Chatham House en première instance – durant l’année 2008. Comme nous l’avons fait

précédemment, elles doivent être mises en perspective de manière globale. En revanche,

l’action internationale dans le golfe d’Aden a été dictée en première instance par l’impact de

la piraterie sur le transit des navires du Programme Alimentaire Mondial à destination de la

Somalie. Ces convois sont vite devenus des cibles privilégiées. Le MV Semlow est détourné

en juin 2005 dans les eaux territoriales et libéré contre rançon le 5 octobre. Le Miltzow est

attaqué au port de Merka le 12 octobre 2005 et libéré 32 heures plus tard. Enfin, les attaques

contre le MV Rozen le 27 février 2007 et le Morjan en octobre 2007 poussent les nations

occidentales à réagir.

46

Les réponses mises en œuvre par la communauté internationale ont avant tout pris la forme

d’actions maritimes et opérationnelles. Comme au temps de la Royal Navy, les marines ont

été mobilisées pour être le fer de lance de la lutte contre la piraterie.

47

III. Les réponses opérationnelles : un emplâtre sur une jambe de bois ?

Face aux actes de piraterie et aux menaces pesant sur les convois du Programme Alimentaire

Mondial, la réaction de la communauté internationale a été avant tout militaire et maritime. Le

mode opératoire des pirates s’est caractérisé par une évolution et une adaptabilité

remarquables. Privilégiant l’asymétrie et l’évitement dans leur opposition aux marines

nationales, ils ont réussi à assurer la pérennité de leurs actions malgré les nombreux

déploiements de navires de guerre dans la région. Les actions concertées dans le cadre de

l’OTAN et de l’Union Européenne ont été présenté – particulièrement pour l’action

européenne – comme des modèles d’action coopérative. Pourtant et à l’inverse de la piraterie

dans les Antilles au XVIII° siècle, la seule réponse maritime a rapidement montré ses limites

face à une menace fuyante et bénéficiant d’un terrain d’action immense.

48

Carte 3 : Représentation des attaques pirates au large des côtes africaines (2009)

3.1 « Les nouveaux flibustiers » : acteurs et pratiques

L’actualité occidentale a eu tendance – particulièrement au cours des années 2008 et 2009 – à

décrire la résurgence de la piraterie en résistant peu à la tentation du sensationnel et de

l’exagération ; un travers qu’on a retrouvé par ailleurs dans certains rapports d’instituts de

recherche se basant sur des analyses à chaud des actualités.

Pourtant, si on s’en tient à des sources fiables – principalement les retours d’expérience des

marines nationales – on peut accéder à une connaissance juste des procédés utilisés par les

pirates dans le golfe d’Aden. Leurs cibles et leurs pratiques diffèrent largement de celles

49

utilisées dans les années 1990 dans le détroit de Malacca et des attaques actuelles dans le

golfe de Guinée.

La façon de procéder des pirates des côtes somaliennes est aujourd’hui relativement bien

connue. Elle se caractérise avant tout par une ingéniosité et une adaptabilité proprement

remarquables. Ces derniers font en effet preuve d’une forte capacité d’adaptation et d’une

certaine imagination pour dissimuler la réalité de leurs activités. Au XVIII° siècle, les pirates

ménageaient la méfiance de leurs proies en hissant des pavillons nationaux ; autre temps,

autre pratique, les pirates somaliens utilisent par exemple un bateau d’immigrants clandestins

pour partir à l’assaut de leur cible. Les techniques et les équipements évoluent également

grâce notamment aux revenus tirés des rançons qui permettent d’acquérir des armes, des

outils de navigation et des moyens de télécommunication plus sophistiqués.

Il semblerait, de manière générale, que les attaques soient conduites avec un boutre qui

remorque deux bateaux de taille plus réduite et équipés d’un moteur hors-bord puissant. Ces

bateaux-mères constituent une des évolutions majeure dans le modus operandi des pirates.

Alors qu’au commencement de leurs activités les pirates-pêcheurs avaient un rayon d’action

limité, ils purent grâce à ce mode de fonctionnement atteindre des cibles croisant à plus de

400 milles nautiques des côtes. Ces bateaux-mères ne sont pas des bâtiments imposants mais

ils permettent de disposer de l’allonge et de la capacité à durer en mer nécessaires pour mener

des attaques au plus loin des côtes. L’équipement armé en revanche reste assez rudimentaire

et les armes bon marché – mitraillette AK-47 et lance-roquettes RPG-7 bien souvent – sont

souvent anciennes et mal entretenues.

La rapidité d’action et l’opportunisme sont aussi des caractéristiques prépondérantes du mode

opératoire des pirates dans le golfe d’Aden. Le groupe de pirate se laisse dériver dans le rail

de navigation et attaque quand une opportunité se présente. Au-delà d’une heure de résistance,

ils abandonnent l’assaut et vont tenter leur chance sur un autre bâtiment. Contrairement à ce

qui a pu être dit à nombreuses reprises, il semble très peu probable qu’un choix préalable des

cibles soit fait dans les ports par un réseau organisé d’informateurs. Si cela était le cas, un

groupe de pirates n’aurait sûrement pas attaqué un pétrolier ravitailleur de la flotte Atalante en

mars 2009. Une erreur reproduite en mai 2010 par d’infortunés pirates qui ont confondus le

Nivôse – une frégate française – avec un cargo civil.

50

Les attaques sont menées de jour et impliquent souvent plusieurs skiffs57

. A en croire la

plupart des témoignages, il s’écoule environ 15 minutes entre le moment où les skiffs sont

aperçus par le navire-cible et l’abordage proprement dit. La violence de ces attaques est plus

ou moins maitrisée : l’usage des armes par les pirates sert principalement à dissuader une

éventuelle défense à bord, le but étant de prendre en otage les passagers et l’équipage.

Le choix des navires-cibles est dicté principalement par deux caractéristiques : la hauteur sur

l’eau et la vitesse du bateau. Plus un bateau est bas et lent, plus il est facile à attaquer. Pour

autant, la taille d’un bâtiment n’est pas nécessairement un handicap pour les assaillants car

plus un navire est grand plus il est difficile d’en surveiller les accès pour l’équipage. C’est

pour cette raison essentielle que les porte-containers constituent une cible facile car, du

château, l’équipage n’a pas la possibilité de contrôler visuellement tous les accès. Les thoniers

– qui furent les premières victimes des pirates – constituent des cibles vulnérables car ils sont

bas sur l’eau, disposent d’une rampe arrière d’accès et sont dans l’impossibilité de se dégager

ou de manœuvrer lorsque le filet est déployé.

L’ensemble de la procédure est relativement bien organisé et codifié une fois le navire-cible

capturée. Les rôles sont clairement répartis et le chef des pirates note toutes les dépenses

engagées. La pratique du crédit est courante et les dettes sont respectées. Il existe même un

système d’amendes pour faire respecter l’organisation de la vie sociale à bord des bateaux. De

même il existe un code de « bonne conduite » à l’égard des otages destiné aux villageois qui

en ont la garde. Enfin, même si l’ambiance à bord peut parfois être tendue, les pirates savent

très bien que s’ils commencent à éliminer des otages, la situation va prendre une autre

dimension et qu’ils risquent de s’attirer l’hostilité des populations côtières et des autorités

religieuses.

Une fois que les pirates ont capturé un navire et pris ses marins en otage, les actions de reprise

de vive force- telles que menées par les commandos français ou américains – sont en revanche

d’une grande complexité. Les pirates restent sur leurs grades et sont lourdement armés, ils

n’hésitent pas de leur côté à faire feu alors que les forces d’interventions sont attentives à

limiter les risques pour les otages et sont soumises à une réglementation d’engagement très

stricte. Par conséquent les réponses opérationnelles occidentales cherchent avant tout à mettre

en place un dispositif dissuasif et préventif.

57

Bateaux de taille réduite rapides car équipés de moteurs hors-bords utilisables uniquement par mer calme.

51

3.2 Les dispositifs maritimes et opérationnels mis en place

L’opération navale est – quelque soit l’époque – une réponse traditionnelle à la piraterie.

Aujourd’hui, les interventions se concentrent dans le golfe d’Aden ; d’une part parce que la

piraterie y est très active et d’autre part parce que l’essentiel des attaques conduites dans le

golfe de Guinée se produisent dans les eaux territoriales du Nigeria ce qui limite fortement les

possibilités d’intervention des marines étrangères.

La lutte contre la piraterie dans le golfe d’Aden a été l’occasion d’une déferlante d’initiatives

opérationnelles de la part des Etats d’abord puis de manière concertée et intégrée au sein de

structures existantes : ONU, OTAN et Union Européenne en première ligne.

i. La France et la lutte contre la piraterie

Au-delà du rôle de la France dans la lutte contre la piraterie, celle-ci a des intérêts particuliers

dans cet espace complexe et qui devient progressivement un centre de gravité mondial. Il lui

faut veiller aux territoires placés sous sa souveraineté : îles de la Réunion, Mayotte, îles

Eparses et TAAF58

.

La France a été parmi les premières puissances à agir contre le développement de la piraterie

dans l’Océan Indien en s’appuyant sur ses moyens d’action pré positionnés sous le contrôle

opérationnel d’Alindien59

. La lutte contre la piraterie s’inscrit en France dans le cadre global

de la mission de sauvegarde maritime. Cette mission a vocation à faire face aux menaces

venant de la mer – la piraterie évidemment – et à assurer la défense des droits souverains en

mer ainsi que la maîtrise des risques liés à l’activité maritime comme la pollution ou les

accidents en mer. Cette mission de sauvegarde maritime s’inscrit par conséquent dans la

logique de continuum sécurité-défense défendue par le dernier Livre blanc.

Un dispositif en place dans l’Océan Indien

Les forces navales françaises en Océan Indien sont composées d’un noyau dur de bâtiments

stationnés en permanence dans la zone. A cela s’ajoutent des moyens de renfort détachés

depuis la métropole pour une durée de deux à six mois. Le dispositif français s’appuie

également sur deux bases militaires navales à Djibouti et à Abu Dhabi, idéalement placées

pour ce qui concerne la lutte contre la piraterie.

58

Terres australes et antarctique françaises 59

Acronyme de la marine française désignant l’amiral commandant de la zone maritime de l’Océan Indien et de ses forces maritimes. Il est aussi le représentant personnel du chef d’état-major des armées et un ambassadeur militaire et itinérant pour les actions de coopération.

52

Concernant Djibouti, bien que le dispositif militaire se soit fortement réduit au cours des

trente dernières années – passant de 5 600 hommes en 1977 à 2 850 aujourd’hui – celui-ci

comporte toujours de multiples atouts. L’implantation se distingue par sa position stratégique

qui en a fait un soutien important à la mission Atalante de l’Union Européenne de lutte contre

la piraterie.

La base militaire d’Abu Dhabi aux Emirats Arabes Unis a été inaugurée en mai 2009 et veut

marquer un tournant stratégique majeur pour la France. Son objectif est triple : entretenir une

présence militaire française dissuasive, constituer un point d’appui essentiel dans le golfe

Persique et faciliter les activités d’entraînement et de coopération régionale.

Dans le cadre du système de sauvegarde maritime, la marine nationale dispose d’un outil

conçu dans les années 1980 : le plan Pirate-Mer. Il s’agit avant tout d’un plan de réaction et

d’organisation décisionnelle et opérationnelle applicable en cas d’attaque terroriste maritime.

Bien qu’il ne fût pas conçu précisément pour les actes de piraterie, il est assez souple pour

être appliqué à ce contexte. Ce plan est mis en œuvre pour la première fois et avec succès lors

de l’opération « Talathine » de reprise de force du voilier Le Ponant. Le plan Pirate-Mer

prévoit l’intervention conjointe du GIGN60

et de la marine. Le premier se concentre sur

l’aspect anti-terroriste de l’action alors que la marine prend en charge le pan maritime. Il met

en place une synergie de toutes les expertises qui s’est révélé efficace lors de la reprise du

Ponant.

Initiatives précoces et prépondérance du renseignement

Le travail de fond en matière de renseignement sur la piraterie est principalement assuré par

des missions complémentaires au sein de la DGSE et de la DRM61

. La DRM a en charge de

produire du renseignement image et électromagnétique – écoutes – et a une tâche de

collaboration avec les navires et les alliés présents sur la zone pour réunir des informations.

La DGSE rassemble quant à elle des renseignements sur la situation à terre afin de cerner le

contexte général des activités de piraterie ainsi que l’environnement des pirates. D’autres

entités de renseignement ont été mises en place pour permettre aux acteurs sur place

d’accroître leurs niveaux d’information.

60

Le GIGN et le commando Hubert – un des six commandos marines – sont les seules unités à disposer de plongeurs qualifiés pour mener un assaut subaquatique, capacité spécifique et d’une grande utilité dans l’assaut de navire pris en otage. 61

Direction général de sécurité extérieure et Direction du renseignement militaire

53

Le Centre de renseignement de la marine (CR-MAR) est créé à Brest en 2005 pour

coordonner la production de renseignement d’intérêt maritime dans le cadre de la mission de

sauvegarde maritime. Il assure également le suivi de la situation maritime des bâtiments civils

et militaires à partir des remontées des systèmes AIS et LRIT62

, la constitution de dossiers de

renseignement -image, la recherche ouverte de renseignements sur Internet ainsi que la tenue

à jour des écoutes dans la gamme VHF63

. Le CR-MAR dispose aussi d’une base de données –

TETRIS – qui permet le suivi des routes de navigation empruntées par 171 000 navires

marchands au cours des 18 derniers mois et sur l’intégralité du globe. En utilisation combinée

avec la surveillance satellite elle permet une information en temps réel et le repérage des

navires suspects : trajectoire atypique, absence de remontées LRIT…

L’échange d’informations entre la marine nationale et les armateurs français est régi par le

Contrôle Naval Volontaire (CNV) qui est un protocole d’échange d’informations et de

coopération destiné à assurer la sécurité des navires et des marins français. Prévu à l’origine

pour les temps de guerre par l’ordonnance du 7 janvier 1959, il a été étendu à la protection des

navires de la marine de commerce en temps de paix par une instruction ministérielle du 27

juin 2001. Le dispositif vise à maintenir le flux d’échanges même au sein des zones à risque.

Les armateurs bénéficient d’un côté d’informations relatives à la situation maritime et

militaire dans la zone de navigation ainsi que des directives sur les routes à suivre et les

comportements à adopter ; d’un autre côté ils signalent leurs positions et itinéraires pour

permettre une intervention rapide en cas de difficulté.

La France a eu – il convient de le souligner – une approche précoce et multilatérale de la

piraterie. Depuis septembre 2007, elle a cherché à rassembler toutes les compétences

politiques, diplomatiques ou militaires afin d’établir un cadre juridique et opérationnel.

Elle est notamment à l’origine d’une première opération de coopération maritime

internationale ; l’opération Alcyon d’escorte des navires du programme alimentaire mondial

est décidée par l’ONU en décembre 2007 sur proposition française. Jusqu’en novembre 2007,

un système officieux d’échange d’informations entre l’OMI, l’OTAN et le PAM était en

place. Mais face à la multiplication des attaques contre les navires affrétés par le PAM,

certains Etats ont alors décidé de fournir des escortes militaires.

62

Système AIS : Automatic Identification System. Système d’échanges automatisé par radio qui permet aux navires et aux systèmes de surveillance de trafic de connaître l’identité, la position et la route de navigation. Système LRIT : Long Range Identification and Tracking. Système d’identification et de positionnement par satellite et couvrant l’intégralité du globe. 63

Very High Frequency. Fréquences radios s’étendant de 30 à 300MhZ.

54

La France s’est également intégré dans les opérations concertées de lutte contre la piraterie,

elle y joue encore un rôle prépondérant tant sur le plan du partage et de la transmission des

informations – un volet essentiel de la lutte contre la piraterie – que dans l’escorte des navires

de la PAM et dans la présence navale militaire sur zone.

ii. Coopération internationale de l’OTAN à l’opération Atalante

La lutte contre la piraterie est marquée, notamment sur le plan opérationnel, par une

coopération internationale et une participation d’Etats ordinairement inactifs dans la sphère

militaire internationale. En plus de cet afflux de pavillons nationaux, les organisations

internationales majeures ont également pris des mesures.

Le rôle du Conseil de sécurité des Nations Unies

Sur la question de la lutte contre la piraterie, le Conseil de sécurité va mettre en place une

série de résolutions qui ont pour double objectif d’alerter la communauté internationale des

enjeux du phénomène et de permettre aux Etats de se substituer, sous conditions, à l’autorité

défaillante de la Somalie pour restaurer la sécurité dans ses eaux territoriales. Les résolutions

adoptées jusqu’à présent se limitent pour la plupart à réguler les interventions en mer ; la

perspective d’une intervention terrestre reste complexe dans la mesure où elle touche

directement à la souveraineté – même défaillante – du Gouvernement Fédéral Transitoire

somalien.

La résolution 1816 est adoptée le 2 juin 2008. Elle autorise, pour une période de 6 mois, les

Etats coopérant avec le gouvernement de transition somalien à entrer dans les eaux

territoriales du pays afin de réprimer les actes de piraterie. Elle permet de faciliter la mise en

place d’un accord de droit de poursuite des navires pirates dans les eaux territoriales

somaliennes. Le texte souligne également le respect de la souveraineté de la Somalie tout en

appelant à renforcer les capacités des Etats côtiers en matière de sécurité maritime. Cela dit, la

résolution 1816 n’établit pas un droit international coutumier et les eaux territoriales des

autres Etats riverains doivent être respectées, seules les eaux somaliennes sont impliquées

dans cette résolution. On trouve d’ores et déjà une limite inhérente à ce texte : les pirates

peuvent se réfugier dans les eaux territoriales des Etats adjacents à la Somalie et par

conséquent échapper à ce droit de poursuite.

La résolution 1831 est adoptée le 7 octobre 2008 à l’initiative de la France qui assure à ce

moment la présidence tournante de l’Union Européenne. Elle a pour principal objet d’alerter

55

la communauté internationale pour encourager les Etats à intervenir dans la zone. Le texte

réaffirme que les efforts entrepris dans les résolutions 1814 – qui met en place le système

d’escorte des navires de la PAM – et 1816 doivent être poursuivis. La seule avancée apportée

par cette résolution est la l’apport clair d’une légitimité à l’envoi de forces navales sur zone.

La résolution 1846 est adoptée le 2 décembre 2008 et vient prolonger d’une durée de 12 mois

les dispositions de la résolution 1816. Deux innovations témoignent néanmoins d’une prise de

conscience vis-à-vis des moyens à mettre en œuvre pour lutter contre la piraterie. Le texte

appelle à une coopération juridique entre Etats ; il s’agit pour la communauté internationale

de se donner les moyens de poursuivre et de juger les pirates. En second lieu, un traitement à

plus long terme de la piraterie est envisagé à travers la demande de présentation d’un rapport

« sur les moyens de garantir durablement la sécurité de la navigation internationale au large

des côtes somaliennes ».

La résolution 1851 est adoptée le 16 décembre 2008 à la demande des Etats-Unis. Elle

apporte une innovation majeure en ouvrant la possibilité d’interventions terrestres sur le

territoire somalien après accord préalable du gouvernement fédéral transitoire. Le droit de

poursuite des pirates est donc étendu à terre64

.

La résolution 1897 adoptée le 30 novembre 2009 encourage la poursuite de la lutte contre la

piraterie et prolonge pour une durée de 12 mois les dispositions de la résolution 1846.

Enfin le Conseil de sécurité a adopté une nouvelle résolution concernant la piraterie en avril

2010. La résolution 1918 traite de la traduction en justice des pirates. Le texte encourage les

Etats à introduire la piraterie comme infraction pénale au sein des droits internes. La poursuite

efficace et l’incarcération des pirates est mise en avant, tout comme les efforts menées dans ce

sens par le Kenya et les Seychelles ; la cour Suprême des Seychelles a rendu son premier

verdict dans une affaire de piraterie dans l’Océan Indien le 26 juillet 201065

.

Si certaines résolutions concernant la piraterie peuvent paraître de moindre importance

puisqu’elles ne font qu’affirmer l’implication de l’ONU ou prolonger les dispositions de

64

Le paragraphe 6 de la résolution 1851 établit que : « *…+ les Etats et les organisations régionales qui coopèrent à la lutte contre la piraterie *…+ et concernant lesquels le Gouvernement fédéral de transition aura donné notification au Secrétaire général sont autorisés à prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en Somalie aux fins de réprimer ces actes de piraterie *…+ » 65

La Cour suprême a condamné à 10 de prison onze Somaliens suspectés de piraterie. Les faits remontent à décembre 2009 : une bande de pirates somaliens avait attaqué sans succès le Topaze, un des navires des gardes-côtes seychellois.

56

résolutions antérieures, d’autres ont une importance capitale puisqu’elles offrent un cadre à la

mise en place de dispositifs de lutte contre la piraterie.

L’intervention de l’Union Européenne : le modèle Atalante – EU NAVFOR

Le dispositif européen de lutte contre la piraterie s’inscrit dans le cadre d’application de la

résolution 1816 du Conseil de sécurité des Nations Unies, il est essentiellement centré autour

de deux initiatives : la NAVCO et l’opération Atalante.

La NAVCO est une cellule de coordination renforcée pour la lutte contre la piraterie dans le

golfe d’Aden mise en place par le Conseil des affaires générales et des relations extérieures le

15 septembre 2008. Cette initiative doit permettre d’assurer une liaison entre les demandes de

protection des navires civils se trouvant dans le golfe d’Aden et les autorités susceptibles de

fournir une telle protection. Depuis sa création, cette cellule a notamment été sollicitée par les

navires du PAM, par l’AMISOM et par diverses associations d’armateurs de commerce ou de

pêche. Il s’agit avant tout d’un outil de préfiguration servant de base au lancement de

l’opération Atalante.

L’opération Atalante lancée le 8 décembre 2008 a été largement présentée comme la première

opération militaire réussie menée dans le cadre de la PESD. Elle s’appuie notamment sur les

résolutions 1814, 1816, 1838 et 1846 du Conseil de sécurité. L’opération a au départ quatre

objectifs :

- Fournir une protection aux navires du PAM par la présence à bord de personnels

armés et par une escorte navale.

- Protéger les navires marchands dans les zones à risque

- Surveiller les zones au large des côtes de la Somalie y compris ses eaux territoriales

- Prendre les mesures nécessaires pour dissuader, prévenir et intervenir afin de mettre

fin aux actes de piraterie.

Sur le plan opérationnel, le commandement de l’opération est assuré par le Royaume-Uni au

quartier général de Northwood. L’état-major embarqué est commandé de façon tournante et

pour une durée de 4 mois par la Grèce, l’Espagne et les Pays-Bas. Le contrôle politique de

l’opération est assuré par le COPS – Comité politique et de sécurité.

Concernant le financement de l’opération, c’est le mécanisme Athéna qui est mis en place.

Les coûts communs estimés à 8,3 millions d’euros servent à financer le quartier général. Au-

57

delà, chaque Etat membre contribue selon son engagement et, comme toujours en ce qui

concerne les opérations de la PESD, ce sont les Etats membres qui s’engagent qui payent : il

n’existe pas de solidarité financière à ce niveau.

L’opération Atalante se voit fixer à l’origine une durée de 12 mois correspondante à la

période d’application de la résolution 1846. Au début du mois de février 2009 et à l’initiative

de l’opération, un corridor sécurisé de navigation est mis en place dans le golfe d’Aden. Ce

couloir maritime baptisé IRTC (International Recommended Transit Corridor) est la zone de

patrouille des différentes forces navales présentes dans la zone : navires européens ou Task

Force 151. Il permet de faire transiter les navires loin des côtes yéménites et des zones

habituelles de pêche, évitant ainsi de nombreuses fausses alertes.

Comme pour toute opération de la PESD, la génération de forces demeure la principale

difficulté. La mobilisation est cependant bien réelle puisqu’au cours de l’année 2009 tous les

Etats membres disposant d’une marine ont participé à l’opération. La combinaison des forces

est un enjeu déterminant de l’efficacité de l’opération, l’opération Atalante comptait en effet 5

navires en avril 2009. En comparaison avec l’immensité de la zone à surveiller, on comprend

l’importance d’une action concertée avec les autres forces navales en présence, américaines

notamment.

L’opération s’appuie sur trois bases navales anti-piraterie installées au Yémen à Aden, à Al-

Mukalla à l’est et Al-Hudaydah à l’ouest.

L’OTAN et les forces navales américaines

L’implication américaine contemporaine dans la zone date de novembre 2002. La Combined

Task Force 150 est coordonnée par la Cinquième flotte américaine et intègre une partie de ses

navires. Elle a pour objectif principal de lutter contre le terrorisme dans la zone en surveillant,

inspectant et arrêtant les entités suspectées de terrorisme. Menant des opérations de sécurité

maritime, elle opère au nord de la mer d’Arabie et dans l’océan Indien en soutien à l’opération

Enduring Freedom et dans le cadre de la guerre contre le terrorisme. La CTF 150 a participé à

la fin de l’année 2008 et au cours de l’année suivante à la sécurisation du golfe d’Aden et à la

lutte contre la piraterie. Elle passe néanmoins le relais à partir de janvier 2009 à la CTF 151

mis en place exclusivement pour lutter contre la piraterie. Le secrétaire général des Nations

Unies précise à son sujet que « contrairement aux autres forces qui composent les Forces

maritimes combinées, le CTF 151 a une mission bien précise qui ne connaît pas de limites

58

géographiques et est conçue comme une structure internationale spécialisée combinant forces

militaires, partage de l’information et patrouilles coordonnées »66

. La CTF 151 a donc un

statut et des prérogatives spécifiques, l’action concertée entre les différentes composantes est

à nouveau mise en avant comme un facteur clé de réussite de l’opération.

L’OTAN a commencé à s’impliquer dans la lutte contre la piraterie à partir de l’été 2008, en

partie en réaction à la mobilisation européenne. Le sommet de Budapest d’octobre 2008 est

l’occasion pour les Alliés d’agir contre la piraterie dans la région : la mission du deuxième

groupe maritime permanent (SNMG2) déployé dans le cadre de l’opération Allied Provider

est réorientée vers la protection des navires du PAM alors qu’il s’agissait au départ d’une

mission de diplomatie navale. De la même façon, le déploiement et la mission première de la

SNMG1 qui devait se rendre en Australie via l’Asie ont été modifiés pour contribuer à la lutte

contre la piraterie. Une nouvelle opération baptisée Allied Protector est mise en place.

L’action de l’OTAN souffre néanmoins d’un certain nombre de lacunes juridiques qui portent

atteinte à l’efficacité de ses opérations. En effet, le mandat du groupe naval ne lui permet pas

de détenir les pirates une fois qu’ils ont été arraisonnés, ni d’intervenir après qu’un navire a

été attaqué. L’OTAN ne dispose pas non plus d’un accord de transfert judiciaire des

prisonniers vers un pays tiers comme cela a été négocié par l’Union européenne. Ainsi, ces

incapacités juridiques ont eu pour conséquence la libération de neuf pirates somaliens

appréhendés par la marine néerlandaise dans le cadre de l’OTAN : les Pays-Bas ne

souhaitaient pas juger sur leur territoire des pirates qui n’avaient pas mis en cause des intérêts

nationaux.

Les interventions opérationnelles dans la région se sont multipliées sous divers mandats.

Cependant, la multiplication des acteurs dans la région rendent un consensus politique

presque impossible malgré le fait que sur le plan opérationnel, les différentes forces sont

amenées à œuvre de manière concertée. Les Etats-Unis veulent favoriser une action de

l’OTAN face à l’intervention européenne. De plus, les réponses opérationnelles, quelques

soient les moyens déployés, atteignent rapidement leurs limites face à la rapidité d’adaptation

des pirates, aux problèmes juridiques et à l’immensité de la zone à protéger.

66

Rapport S/2009/146 du Secrétaire général des Nations Unies.

59

3.3 Limites des réponses opérationnelles à la piraterie

En dépit des efforts reçus ou promis dans le cadre des opérations navales de lutte contre la

piraterie, beaucoup de marins confessent leur impuissance : dans une zone de 6 millions de

km², ils ont des ronds dans l’eau à la poursuite de 400 ou 500 pirates. A cet égard, la carte 3

présentant les actes de piraterie au large des côtes somaliennes au cours de l’année 2009 est

révélatrice ; l’essentiel des abordages ou des tentatives d’abordage sont concentrées dans la

zone de patrouille de sécurité maritime institué en août 2008.

Malgré quelques deux cents arrestations au large de la Somalie, le BMI a compté 29

détournements entre janvier et mais 2009. En 2009, le nombre d’attaques a augmenté : 114 en

cinq mois contre 111 pour toute l’année 2008. Le déploiement de forces navales semble avoir

un effet limité, durant les premiers mois de l’année 2009, 478 marins ont été pris en otages au

large de la Somalie et dans le golfe d’Aden. De la même manière, les rapports d’attaques ou

de tentatives d’abordages font encore aujourd’hui l’objet d’alertes fréquentes sur le site

internet du BMI.

Le premier obstacle à l’efficacité des interventions navales est la zone d’intervention elle-

même qui est à la fois étendue et en mouvement. L’étendue de leur zone d’action et leur

extrême mobilité constituent les principaux atouts des pirates. Leur zone d’action se déplace

et depuis le printemps 2009 les attaques se sont multipliées dans la ZEE des Seychelles, loin

au sud des côtes somaliennes et du golfe d’Aden. Par conséquent, la zone à surveiller pour les

marines nationales est immense : deux millions de km² soit 4 fois la France et 3 100 km de

côtes. Une surveillance en continu et le maintien d’une capacité d’intervention rapide sur

l’ensemble de la zone est une tâche impossible à assurer ; d’autant que le mode d’action des

pirates – l’utilisation de navires trop petits pour être repérés et de radars – rend la tâche

encore plus complexe. Selon certains experts, pour surveiller et intervenir dans un espace

aussi étendu, les moyens aériens sont la clé mais font aujourd’hui défaut aux forces françaises

et européennes. Si le renfort des capacités opérationnelles peut permettre d’accroître

l’efficacité répressive, il ne peut en aucun cas permettre d’apporter un traitement efficace du

problème à long terme. Outre l’étendue de la zone à surveiller, l’éloignement est également

un élément de contrainte pour les forces militaires : les forces stationnées à Djibouti doivent

parcourir 2 000 kilomètres pour arriver sur zone. La base implantée à Abu Dhabi a un

positionnement d’autant plus stratégique à cet égard. Le déplacement des attaques au sud et au

large, comme l’illustre par ailleurs la carte 3, impose à l’opération Atalante de reconsidérer sa

60

zone d’intervention afin de l’étendre au sud ; se pose alors la question des capacités navales et

des moyens à disposition qui font traditionnellement défaut aux opérations de la PESD.

La mobilisation internationale pour lutter contre la piraterie se traduit par une multiplication

des initiatives. Compte tenu de l’étendue de la zone d’intervention, la multiplication des

forces navales dans la région – bien qu’étant un avantage sur le plan quantitatif – pose des

problèmes d’optimisation de l’emploi des moyens disponibles. Ainsi, les Européens

participent à au moins trois opérations similaires : Atalante, OTAN et CTF 151 auxquelles il

faut ajouter la participation à la CTF 150 et les actions nationales. Ces opérations ont les

mêmes objectifs, se déroulent simultanément et emploient les mêmes intervenants à tour de

rôle. Le premier risque porte sur la capacité des Etats à générer des forces de manière

extensible ; la réduction du format des armées et l’étendue de la zone impactent fortement sur

cette capacité. Par ailleurs, si les objectifs des forces en présence sont presque identiques, les

règles d’engagement diffèrent. Une telle présence militaire pourrait avoir un impact négatif

sur les autres enjeux de sécurité de la région.

Un minimum de coordination entre les opérations en cours est nécessaire pour éviter qu’une

concurrence contre-productive voie le jour. Dans l’optique d’une coordination des forces,

trois approches sont possibles et mises en avant dans le rapport de mai 2009 de la commission

Ménard : un partage des responsabilités dans le temps, un partage par zone ou un partage par

tâche. Si la première solution se heurte à un problème de mobilisation des forces, les deux

autres approches sont envisageables. Dans cette optique de synergie des forces navales, un

cadre de coopération a été mis en place en janvier 2009 entre l’opération Atalante et la Chine,

la Russie et l’Arabie Saoudite. Cette coopération est étendue en février 2009 à sept pays

supplémentaires : Egypte, Inde, Japon, Malaisie, Oman, Ukraine et Yémen. Ces accords

mettent en place un système d’échange d’informations, d’association à l’escorte de certains

navires et de partage des retours d’expérience concernant le mode opératoire évolutif des

pirates.

L’efficacité à long terme des interventions opérationnelles est mise en cause par les résultats

obtenus. Bien que les succès soient réels et compliquent l’activité des pirates, ils risquent

aussi de déplacer les zones d’activité – vers les Seychelles – ou d’orienter les pirates vers

d’autres activités illégales : l’immigration illégale notamment comme on le verra en dernière

partie de ce mémoire. Le principal succès des forces navales a été de faire baisser le taux de

succès des pirates : de un sur trois en décembre 2008 à un sur 13 en mars 2009 selon le BMI.

61

La réussite est fragile : en avril 2009, on assiste à une recrudescence des attaques avec cinq

bateaux pris en moins d’une semaine.

Tous les intervenants militaires s’accordent également à considérer que les opérations navales

ne pourront en aucun cas apporter, à elles seules, une solution durable au problème de la

piraterie. Une intervention purement répressive ne peut avoir que des effets limités dans le

temps. La présence navale est nécessaire et devrait servir d’appui à des actions attaquant la

piraterie à ses racines ; ainsi, le rapport daté de 2009 établit qu’ « à long terme, la question des

actes de piraterie et des vols à main armée au large des côtes somaliennes ne sera résolue que

par une approche intégrée permettant de mettre un terme au conflit et de s’attaquer à l’absence

de gouvernance et de moyens de subsistance pour ceux qui vivent en Somalie. »

Les interventions navales concertées ont été présentée – notamment l’opération Atalante –

comme des modèles de coopération interétatique. Pourtant, la prolifération des marines

nationales sur zone en plus de poser des problèmes d’optimisation et de double-emploi des

forces peut aussi être interprétée comme une volonté de la part de certains Etats d’affirmer

leur puissance et leur influence dans la région.

IV. L’Océan Indien : nouveau théâtre des rapports de force entre Etats

4.1 L’afflux de pavillons nationaux et l’extension des zones d’influence

La lutte contre la piraterie a pris une dimension nouvelle en 2009 lorsque plusieurs Etats ont

décidé de déployer des forces sous pavillon national dans le golfe d’Aden afin d’assurer la

protection de navires représentant un intérêt économique national. Les trois Etats les plus

présents dans la zone sont la Russie, la Chine et le Japon mais l’Inde, l’Arabie Saoudite,

l’Iran, l’Indonésie ou la Malaisie ont des bâtiments présents dans la zone.

En 2009, 4 navires de la flotte russe du Pacifique ont été envoyés dans le golfe d’Aden. Ce

redéploiement témoigne d’une triple volonté russe à la fois politique et militaire ; la Russie

veut à la fois participer à l’action internationale contre la piraterie, protéger les navires et les

marins russes ainsi qu’assurer sa présence dans la zone de l’océan Indien.

Le cas du déploiement des trois navires de guerre chinois est encore plus significatif. La

décision chinoise est importante puisqu’elle constitue une grande première pour la Chine qui

n’avait pas effectué d’opérations navale loin de ses côtes depuis plusieurs siècles. La Chine

cherche par ce biais à affirmer son statut d’Etat responsable sur la scène internationale. Sur le

62

plan stratégique et militaire la Chine cherche à étendre sa zone d’influence sur l’océan Indien

tout en souhaitant faire la preuve de sa capacité à remplir des missions de combat en haute

mer. Jusqu’à présent la Chine refusait toute insertion de sa force navale dans un dispositif de

coordination mais l’accepte désormais dans le cadre de la lutte contre la piraterie. Il s’agit

pour la Chine d’un exercice grandeur nature pour une marine chinoise jusqu’alors cantonnée à

une posture côtière.

Enfin l’objectif des missions menées par le Japon est défini de façon nationale puisqu’il s’agit

d’escorter les navires marchands qui ont un lien avec le Japon. Une loi est votée en 2009 pour

permettre aux marins japonais d’ouvrir le feu sur des bateaux pirates mais elle ne permet pas

le droit de poursuite et limite l’usage des armes à certaines circonstances comme la légitime

défense et les évacuations d’urgence. Cette loi prévoit également des peines pour les actes de

piraterie allant de l’emprisonnement pour trois ans à la peine de mort.

Les intérêts diplomatiques, stratégiques et économiques en océan Indien ont largement dicté

les raisonnements et les actions dans la région. En plus de permettre des exercices grandeur

nature aux différentes marines nationales, la piraterie a avant tout représenté une niche

diplomatico-commercial intéressante pour les parties engagées. Les Russes, Indiens et

Japonais ont saisi l’opportunité pour montrer le pavillon alors que les Américains défendent

aussi leurs intérêts dans la région : l’objectif est sans doute de mieux surveiller le point de

passage maritime du golfe d’Aden.

4.2 Le jeu pirate : les enjeux d’influence dans l’Océan Indien

i. Une lutte informelle pour le contrôle des voies maritimes

On a présenté dans les parties précédentes la présence multinationale sur la zone et la

participation presque inédite de certaines puissances comme la Chine, l’Inde ou l’Iran. Une

telle présence dissimule en réalité un enjeu dépassant celui de la lutte contre la piraterie : la

domination des voies de communication. En appliquant une grille de lecture réaliste à la

situation, on peut observer une lutte tacite entre les puissances pour le contrôle des routes

maritimes allant du détroit de Bāb al-Mandab au détroit de Malacca. Au sein d’un monde

multipolaire, l’Océan Indien est devenu une zone d’influence, un échiquier sur lequel

interagissent les superpuissances, les puissances régionales et émergentes.

Au même titre que d’autres puissances, les Etats-Unis sont actifs dans la région. En plus de

créer la CTF 150 en octobre 2007 pour lutter contre le terrorisme et contrôler certaines voies

63

maritimes en mer rouge et en océan Indien, la puissance américaine a aussi des vues sur l’île

de Socotra située à 400 kilomètres des côtes yéménites. La présence américaine dans la région

s’appuie également sur la base kenyane de Manda Bay et sur l’île de Diego Garcia dont le

mandant de location se termine en 2016. L’un des principaux intérêts des Etats-Unis est le

contrôle des détroits stratégiques : Ormuz, Malacca et Aden sont des points considérés

comme vitaux par les stratèges de Washington.

L’Union Européenne est principalement présente dans la région par le biais de la France qui

possède une base à Djibouti et une seconde à Abu Dhabi. Ces deux implantations peuvent

servir de tête de pont pour la France et l’Union Européenne afin de permettre une projection

de puissance plus importante dans le Golfe et dans l’océan Indien.

De son côté, l’Inde considère l’Océan Indien comme son périmètre d’influence naturel allant

du détroit de Malacca au détroit d’Hormuz. Au cours des dernières années, l’Inde a passé

plusieurs accords avec les Seychelles et les Maldives dans les domaines économiques et

militaires. En 2008, l’Inde et le Qatar concluent un accord en matière de défense et de sécurité

maritime. Depuis plusieurs décennies, l’Inde applique la doctrine Indira67

: une doctrine

Monroe appliquée à l’Asie du sud et fortement influencée par Lord Curzon68

. Bien que datant

de la domination britannique sur l’Inde, sa vision reste présente dans la stratégie

internationale contemporaine de l’Inde.

La lutte contre la piraterie a également fourni un cadre d’intervention à la Russie qui a pour

priorité historique d’accéder aux mers chaudes. Elle ne peut par conséquent se permettre de

rester absente de la scène maritime internationale. Ainsi, en janvier 2009 lors d’un discours à

la Nakhimov Naval Academy de St Petersbourg, Medvedev déclare que « sans une force

navale propre, la Russie n’a pas d’avenir en tant qu’Etat ». Il est intéressant de noter que

l’exercice militaire commun russo-indien « Indra » de janvier 2009 en mer Arabe s’est

terminé par des entraînements contre la piraterie maritime au large des côtes somaliennes. A

travers la lutte contre la piraterie, la Russie cherche à protéger ses intérêts nationaux et à

rétablir son statut de grande puissance dans les questions internationales.

Contrairement à d’autres puissances, la Chine ne dispose pas vraiment de postes avancés dans

la région. Le fait de déployer plusieurs navires dans le cadre de la lutte contre la piraterie

67

D’après Indira Gandhi 68

Vice-roi des Indes de 1899 à 1905. Il développe le thème de la centralité de l’Inde dans l’océan Indien. Et dans un ouvrage de 1909 intitulé The place of India in the Empire, il que les ressources matérielles et humaines de l’Inde ainsi que son sens du commerce en font un pays qui peut s’étendre vers l’Afrique et l’Asie.

64

dévoile aussi les nouvelles ambitions chinoises dans le domaine de la projection de puissance

au-delà de sa sphère d’influence directe. Le déploiement de navires de guerre chinois dans la

région est aussi un exercice grandeur nature pour la marine chinoise qui doit faire ses preuves

sur des théâtres d’opération éloignés de ses côtes. Les objectifs de l’armée chinoise sont de

plus en plus définis ; dans un article du Liberation Army Daily daté de décembre 2008, le

journaliste H. Kulun affirme que l’intérêt national dépasse les territoires terrestres, maritimes

et aériens pour inclure les mers dans une perspective plus large et l’espace. La Chine

bénéficie en outre d’accords énergétiques avec le Soudan et reste – malgré la diversification

de ses sources d’approvisionnement – dépendante de l’Afrique sur le plan énergétique.

L’action chinoise au large de la Corne de l’Afrique peut ainsi être vue comme un

prolongement de la stratégie maritime chinoise du « collier de perles » qui consiste à installer

des postes avancés tout au long des voies de communications empruntées par les navires

chinois pour sécuriser les approvisionnements énergétiques.

Sur le plan théorique, ces jeux d’influence peuvent être étudiés à travers la grille de lecture

proposée par Mahan sur l’importance de la domination des mers et océans pour les Etats.

ii. L’influence des thèses de Mahan

Pour l’américain Alfred Mahan, la domination des mers doit être une priorité pour les Etats en

raison de la liberté des mers et de l’exploitation des routes maritimes commerciales. Le

commerce nécessite à la fois une marine marchande, une marine de guerre pour la protéger et

des points d’appui sur les voies de navigation.

En raison de son développement historique face à la Royal Navy, les thèses de Mahan ont une

importance particulière à Washington. Mais ces thèses intéressent de plus en plus la Chine et

l’Inde. La République populaire devrait ainsi disposer d’environ 100 bâtiments de surface à la

fin de l’année 2010 ; parallèlement les capacités amphibies et sous-marines sont modernisées.

Les capacités maritimes chinoises évoluent ainsi peu à peu de la défense côtière à une

stratégie de sea denial et devraient constituer dans plusieurs années une blue-water navy69

.

L’influence de Mahan est de plus en plus présente dans la pensée maritime chinoise. Pour

Holmes et Yoshihara : « Mahan’s influence on Chinese strategic thought was palpable… at a

symposium on sea-lane security in the spring of 2004 ». La vision « mahaniste » de la

69

Le Sea denial est une stratégie opposée au sea control qui consiste à prévenir les actions ennemies en mer sans pour autant s’en assurer le contrôle permanent. Le terme blue-water navy décrit une marine capable de mener des missions de haute mer et loin des côtes de l’Etat d’origine.

65

puissance maritime prend de plus en plus d’importance en Chine qui estime par conséquent

qu’il faut défendre les voies maritimes en construisant une marine capable de garantir une

projection de puissance importante. Le développement économique de la Chine a besoin de

nouveaux marchés pour exporter ses produits finis et importer les matières premières. La lutte

contre la piraterie revêt un enjeu économique majeur dans la mesure où 90% du commerce

chinois se fait par la mer dont 22% à destination de l’Union Européenne et de l’Inde.

A travers ces observations, on peut remarquer que si la piraterie maritime constitue un fléau

important pour le commerce maritime et la navigation de plaisance, elle est aussi devenue

avec les années une opportunité pour les puissances de se positionner sur des voies maritimes

et commerciales de première importance. Les puissances étatiques ne sont pour autant pas les

seules entités à pouvoir trouver leur compte dans le phénomène de piraterie maritime.

iii. Les intérêts « marketing » de la piraterie

En 2009, Joseph le Gall soutient que la piraterie a été l’occasion pour l’Union Européenne de

redorer le blason de la PESD en mettant en avant ses capacités de coopération militaire70

. Les

pirates semblent alors loin de constituer le principal objet de préoccupation tant est mis en

avant l’efficacité de l’opération Atalante et l’harmonie militaire.

Aux côtés des diplomates et des stratèges, ce sont aussi les industriels qui peuvent trouver leur

compte dans cette recrudescence de la piraterie. Ainsi, la mise en place du code ISPS71

à

partir de 2004 impose aux navires d’adopter un plan de sûreté maritime à activer en cas

d’attaque. Pour aider les compagnies à mettre en place des dispositifs préventifs, les

industriels ont proposés nombre de solutions. Lors de deux conférences sur la sûreté maritime

organisées à Singapour en avril et mai 2009, des salons ont accueilli nombre d’industriels

venus présenter leurs produits : émetteur cachés pour indiquer d’éventuels détournements,

systèmes d’alarme, mannequins factices, bastingages électrifiés ou systèmes d’alarme. Des

instituts et des experts ont aussi trouvé dans la piraterie un terrain fertile à exploiter. Enfin, les

compagnies de sécurité privée – anglo-saxonnes pour l’essentiel – tirent aussi profit de la

piraterie en l’appréhendant comme un rapport de force afin de vendre leurs services avec

autant plus d’efficacité.

70

Joseph Le Gall, « La piraterie au service de l’Europe ? », Marine, n°222, 1er

trimestre 2009. 71

International Ship and Port Security. Le code ISPS met en place un plan de sûreté pour les ports et les navires ; le navire et son interface portuaire conviennent des devoirs de chacun concernant la sûreté de l’ensemble. Des agents de sûreté ainsi que des protocoles obligatoires sont établis dans les ports et à bord des navires.

66

L’intervention des sociétés militaires privées est une forme de privatisation des fonctions de

défense. La lutte contre la piraterie donne aussi lieu à une recomposition du rôle de l’Etat et

notamment de ses fonctions de défense. Alors qu’historiquement la piraterie était combattue

exclusivement par les marines de guerre, elle est traitée de manières nouvelles qui vont de la

sous-traitance d’une partie des fonctions de souveraineté à la privatisation de certaines

prérogatives de défense.

La mercenarisation de la sécurité en mer est un phénomène qui couvre l’ensemble des zones à

risques du globe. Ainsi, dans le détroit de Malacca une quinzaine de compagnies de transport

maritime ont opté pour la présence à bord d’anciens militaires formant des équipes

d’intervention de six à huit hommes. Au Nigeria, les plates-formes pétrolières sont sous la

garde d’équipages locaux financés par les sociétés pétrolières.

Le recours à des sociétés militaires privées peut être plus poussé comme le montre la

signature par la société française Secopex d’un contrat couvrant la sécurité de la mer

territoriale somalienne, la création d’une unité de gardes-côtes ainsi que la formation de

personnels somaliens.

Cette privatisation des moyens de défense et de sécurité répond à la fois aux besoins d’Etats

trop faibles pour les assumer et à une marchandisation croissante. Elle pose néanmoins un

certain nombre de difficultés. Dans un document datant de mai 2000, l’Organisation maritime

internationale pointe certaines de ces difficultés et rappelle que si au cours d’une attaque un

membre d’équipage tue un pirate, il est susceptible de faire l’objet de poursuites judiciaires.

Les règles concernant la détention d’armes à bord posent aussi problème dans la mesure où

elles peuvent varier suivant l’Etat dont le navire a le pavillon. De nombreuses interrogations

juridiques compliquent ce type d’activité même si dans la pratique, la présence d’hommes

armés à bord est tolérée à condition que l’usage des armes se fasse en situation de légitime

défense. Bien que les SMP mettent en avant l’effet dissuasif de leur action, la question de

l’attribution des responsabilités en cas de bavure reste sans réponse.

Un des principaux obstacles à une réponse efficace à la piraterie est le manque d’outils

juridiques pour les marins notamment. Ces lacunes juridiques posent principalement des

problèmes sur le plan de la juridiction compétente pour juger les pirates capturés et sur le

droit de détention de ces derniers à bord des navires. En outre, les jugements à terre au sein

des tribunaux occidentaux – l’Espagne ou les Pays-Bas en ont fait l’expérience – sont rendus

67

difficiles en raison des stratégies migratoires mises en place par les pirates qui utilisent ces

procédures judiciaires comme des moyens d’arriver en Europe.

68

Partie 3 : Les enjeux juridiques de la piraterie maritime contemporaine

Les premières interventions opérationnelles sur zone des marines nationales ont mené assez

rapidement aux premières arrestations. Face à ces premiers succès, le cadre juridique de

définition et de traitement de la piraterie s’est montré insuffisant aussi bien au sein du droit

international que dans les droits communs nationaux.

Le traitement juridique de la piraterie a ses spécificités. En effet, elle constitue l’une des rares

infractions internationales – avec la traite des esclaves – à déroger à la loi du pavillon d’après

laquelle, en haute mer et dans les eaux internationales, l’ordre public obéit au droit de l’Etat

de nationalité du navire. De la même façon, elle est aussi l’une des rares infractions

internationales à se voir appliquer le principe de compétence universelle.

Un endiguement efficace de la piraterie passe notamment par l’octroi aux marins d’outils

juridiques efficaces. Aussi bien en droit international que dans les droits communs, des cadres

juridiques adaptés doivent être créés ou renforcés. Au-delà des avancées nécessaires à un

traitement efficace de la piraterie, c’est un problème de compétence judiciaire qui se pose et

principalement la question de la mise en place d’une compétence universelle réservée aux

actes de piraterie.

I. La piraterie maritime en droit international

La piraterie est définie en 1958 par la convention de Genève sur la haute mer. Fidèle au droit

coutumier, la convention définit la piraterie comme tout acte illicite de violence, de détention

ou de dépréciation commis à titre privé et pour des buts personnels contre un navire privé, son

équipage ou ses passagers.

Plusieurs cadres la définissent mais ne proposent aucune mesure contraignante ou répressive

faute de tribunal compétent pour appliquer une éventuelle peine.

1.1 La définition des Nations Unies : le chapitre VII de la charte

Bien que ce chapitre ne traite pas directement de la piraterie, sa lecture peut néanmoins y être

adaptée. Il porte en effet sur les actions du Conseil de sécurité en cas de menace contre la

paix, de rupture de la paix et d’acte d’agression ; il s’agit avant tout d’un dispositif d’urgence

en cas de péril grave pour la stabilité internationale.

L’article 39 de la charte établit que face à une telle situation, le Conseil de sécurité peut

émettre des recommandations et engager des mesures pour maintenir ou rétablir la paix et la

69

sécurité internationales. C’est précisément ce qu’il a fait en prenant les résolutions

mentionnées auparavant. Ces mesures peuvent prendre deux formes : militaires et non

militaires. Les mesures non militaires – couvertes par l’article 41 de la charte – peuvent

prendre la forme d’embargos, de contrôles des importations et des exportations ou de boycotts

divers.

Les mesures impliquant un recours à des moyens militaires sont couvertes par l’article 42 et

peuvent par conséquent prendre la forme d’opérations menées dans le cadre du droit des

conflits armés. Dans ce cas, aucun contrôle juridictionnel n’est appliqué sur les actions

menées et les personnes éventuellement détenues par les forces armées sont considérées

comme des prisonniers de guerre dont le régime de détention est fixé dans le cadre du droit

des conflits armés. De plus, la détention des prisonniers de guerre n’est pas organisée par

rapport à une finalité judiciaire.

On comprend alors que même si la piraterie porte atteinte à la liberté des mers ainsi qu’à la

sécurité des personnes et des biens traversant les zones à risque, il semble difficile de

considérer qu’elle menace directement et globalement la paix et la sécurité internationales ; ce

qui permettrait une réponse militaire dans le cadre des Nations Unies et le classement des

pirates capturés en prisonniers de guerre. Par nature, les pratiques de piraterie sont davantage

visées par le droit commun de la mer.

1.2 La convention de Montego Bay

La convention des Nations Unies sur le droit de la mer – UNCLOS – signée en 1982 à

Montego Bay est le cadre international principal de définition de la piraterie ; c’est la seule

convention internationale qui traite de la piraterie. Entrée en vigueur en 1996, elle définit au

travers des articles 100 à 107 et 110, un régime juridique de droit international de la piraterie

et de sa répression. L’application de cette convention fait entrer le droit commun de la

piraterie dans un droit applicable en temps de paix. La lutte contre la piraterie s’inscrit alors,

pour les Etats signataires, dans le cadre juridique de la police en mer et ne relève pas d’une

situation de guerre comme c’est le cas dans le chapitre VII de la charte des Nations Unies. La

piraterie constitue une infraction pénale qui doit être sanctionnée par voie juridique. La

convention reprend les critères d’identification de la piraterie posés par la convention de

Genève sur la haute mer de 1958.

70

La piraterie est définie dans l’article 101 de la Convention. Cette définition qui sépare

piraterie et terrorisme met en place 4 conditions cumulatives nécessaires pour caractériser

l’acte de piraterie.

- L’acte doit être commis en haute mer c'est-à-dire au-delà des eaux territoriales dont la

limite est située à 12 milles des côtes ;

- L’acte doit être commis avec « violence » : acte illicite de violence, de détention ou de

déprédation dirigé contre un navire, des personnes ou des biens ;

- Le bateau « pirate » doit être un bâtiment civil ;

- L’attaque doit être menée à des fins privées : vol, demande de rançon…

Par ailleurs, les actes commis dans les eaux territoriales d’un Etat ne peuvent être qualifiés de

piraterie dans la mesure où ils se produisent dans des eaux placées sous la souveraineté d’un

Etat. Sur le plan juridique, ils sont qualifiés de « brigandage ». La convention de Montego

Bay amène une définition efficace de la piraterie puisqu’elle ne réserve pas la qualification de

piraterie aux seuls auteurs d’attaques avérées. Elle établit un système de répression des actes

de piraterie commis mais également en cours ou en préparation.

Ainsi l’article 103 fonde la définition du navire pirate sur un critère d’intentionnalité : « Sont

considérés comme navires […] pirates les navires […] dont les personnes qui les contrôlent

entendent effectivement se servir pour commettre l’un des actes visés à l’article 101 ». La

convention inclut des critères d’incitation, de planification et de soutien de telle sorte que ces

trois notions sont sanctionnables comme acte de piraterie au même titre que l’attaque pirate

effectivement réalisée.

Loin de se limiter à ces définitions, la convention de Montego Bay pose des principes qui

doivent orienter l’action des Etats et poser les bases d’une compétence universelle en matière

de répression de la piraterie.

71

Compétence universelle et prérogative publique

L’article 10572

de la convention UNCLOS confère à tout Etat signataire le pouvoir

d’appréhender « en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun

Etat » les auteurs d’actes de piraterie et de les traduire devant ses tribunaux. En ce sens, la

convention introduit, en matière de répression de la piraterie, une capacité de juridiction

universelle.

L’article 100 de la convention prévoit également la mise en place d’autres accords visant la

répression de la piraterie : accords bilatéraux ou multilatéraux ou résolution du Conseil de

sécurité par exemple. Cette possibilité complexifie la répression juridique de la piraterie

puisqu’elle permet à un Etat non capteur – en vertu d’accords de coopération judiciaire ou

d’extradition – qui aurait établi sa compétence pénale, la possibilité de juger un pirate capturé

sur le territoire ou dans les eaux territoriales d’un autre Etat.

L’article 105 peut être considéré comme la clé de voûte dans la définition et la répression de

la piraterie. Il permet avant tout à tous les Etats de poursuivre les navires pirates sans avoir à

prendre en compte le pavillon du navire à poursuivre. L’article 110 accorde aussi une certaine

souplesse aux Etats lors de leurs interventions en établissant qu’un Etat peut, « s’il a de

sérieuses raisons de soupçonner » que le navire considéré se livre à des actes de piraterie,

l’arraisonner en haute mer sans devoir solliciter l’accord de l’Etat pavillon. Ainsi le régime

juridique international de lutte contre la piraterie est également dérogatoire au droit commun

de la compétence de l’Etat pavillon tel que posé dans l’article 9273

de la Convention des

Nations Unies sur le droit de la mer.

Au final, la convention de Montego Bay, en mettant en place une définition relativement

précise de la piraterie et une juridiction universelle en matière de répression de la piraterie,

constitue un premier cadre de référence sur la question même si elle souffre de limites

évidentes et inhérentes à la nature du droit international ; ces limites seront étudiées dans la

dernière partie de cette section portant sur les impasses juridiques et les avancées nécessaires

72

Article 105 de la convention de Montego Bay : « Tout Etat peut, en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun Etat, saisir un navire ou un aéronef pirate, ou un navire ou un aéronef capturé à la suite d’un acte de piraterie et aux mains de pirates, et appréhender les personnes et saisir les biens se trouvant à bord. Les tribunaux de l’Etat qui a opéré la saisie peuvent se prononcer sur les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire, l’aéronef ou les biens, réserve faite des tiers de bonne foi ». 73

Article 92 : « Les navires naviguent sous le pavillon d’un seul Etat et sont soumis, sauf dans des cas exceptionnellement prévus par les traités internationaux ou la convention, à sa juridiction exclusive en haute mer »

72

à une lutte juridique efficace. Les lacunes de la convention UNCLOS et les volontés d’action

libre de certains Etats – les Etats-Unis par exemple – vont donner lieu à un nouveau cadre

signé à Rome en 1988.

1.3 La convention de Rome de 1988

La difficulté de répondre aux exigences de la procédure pénale dans des opérations navales, et

plus encore lors de libération d’otages en milieu maritime, a conduit certains Etats dont les

Etats-Unis à envisager d’agir contre la piraterie en utilisant des moyens uniquement militaires

sans contrôle du juge national. Afin de légitimer cette approche du problème, ces Etats

invoquent le régime juridique du terrorisme basé sur des résolutions du Conseil de sécurité.

Dans la mesure où ces résolutions n’ont pas un caractère permanent et ne mettent pas en place

une norme internationale, la convention pour la répression d’actes illicites contre la sécurité

de la navigation maritime conclue à Rome le 10 mars 1988 ainsi que les protocoles

additionnels de 2005 sont mis en avant. Les Etats concernés militent pour la reconnaissance

de la convention SUA comme source du droit international en matière de lutte contre la

piraterie. Le point essentiel de ce texte est qu’il ne fait pas de distinction entre les

responsables d’actes de violence contre la sécurité de la navigation et permet par conséquent

de traiter juridiquement les pirates comme des terroristes.

Une raison simple explique cette pression américaine en faveur de la convention SUA. La

marine américaine n’a pas la possibilité de mener des actions au profit de la justice dans la

mesure où la notion d’action de l’Etat en mer n’existe pas. L’application de la convention de

Rome au lieu de celle de Montego Bay permet de passer outre la finalité judiciaire de cette

dernière. Une raison politique justifie aussi ce soutien : l’amalgame entre pirates et terroristes

que permet d’établir la convention de Rome permet d’intervenir à terre et d’avoir recours à

des sociétés privées.

Cette approche permet de laisser à l’Etat intervenant une marge d’action maximale

puisqu’elle écarte l’aspect pénal de la piraterie. La France et les Etats-Unis sont en opposition

concernant la nature de cette convention ; la France estime que la convention de Rome est une

base juridique complémentaire mais qu’elle ne peut être considérée comme l’outil principal

de lutte contre la piraterie ainsi que le désirent les Etats-Unis. De plus, ce texte est

incompatible avec le respect de la convention UNCLOS de 1982 puisqu’elle amalgame deux

régimes juridiques – piraterie et terrorisme – distincts.

73

1.4 Des mesures multilatérales : les accords de coopération régionale

L’Organisation maritime internationale se préoccupe de la piraterie depuis 25 ans ; le

problème n’est donc pas inédit pour les organismes spécialisés et a été soulevé pour la

première fois en Suède en 1985. Dans les années 1990, l’OMI a mené une action efficace en

Asie du Sud-est - particulièrement dans le détroit de Malacca – en incitant les Etats côtiers à

s’organiser pour lutter de manière conjointe contre les attaques. Le Japon a notamment joué

un rôle moteur dans l’adoption d’un accord régional : c’est précisément un Etat moteur et fort

qui fait défaut dans le cas de la piraterie au large de la Somalie.

La zone asiatique a été la première à mettre en place un accord de coopération intitulé

« ReCAAP74

». Entré en vigueur fin 2006, cet accord constitue un cadre général de

coopération et de coordination mais ne comporte pas de dispositions détaillées sur les

modalités d’engagement ni sur le droit de poursuite inversé. Comme cela est fait par la suite

dans le cas somalien, l’accord ReCAAP est complété par des accords mutuels ou bilatéraux de

coopération. Fort de ce succès, l’OMI a reporté ses efforts sur la piraterie au large de la

Somalie bien que la situation stratégique soit différente : à l’exception du Yémen et du Kenya,

les capacités militaires de lutte contre les pirates sont quasi inexistantes. L’applicabilité en

l’état des solutions adoptées en Asie du Sud-est est limitée par les capacités propres des Etats

riverains. D’autant plus que l’exemplarité du traitement de la piraterie dans le détroit de

Malacca doit être relativisée : en l’espace d’un mois à la fin de l’année 2008, cinq attaques ont

eu lieu près de Batu Berhenti au sud de Singapour. Douze attaques ont également été

rapportées au sud de la mer de Chine méridionale en 2008.

Dans la région de la Corne de l’Afrique, l’OMI doit réussir à faire comprendre aux Etats

riverains l’intérêt du mécanisme de coopération régionale notamment sur le plan du

développement économique indissociable de la restauration de la sécurité dans leurs eaux

territoriales. Or, ces mécanismes de coopération sont peu acceptés dans la mesure où il est

difficile pour un Etat de reconnaître qu’il n’a pas les moyens d’assurer la sécurité sur son

territoire et qu’il doit par conséquent mettre de côté une partie de sa souveraineté.

74

Regional Cooperation Agreement on Combating Piracy and Armed Robbery Against Ships in Asia. Il est signé par dix-sept pays : Bangladesh, Brunei, Cambodge, Chine, Inde, Indonésie, Japon, Corée du Sud, Laos, Malaisie, Norvège, les Philippines, Singapour, Sri Lanka, Thaïlande, Viêt-Nam et Birmanie.

74

II. Le droit français et la lutte contre la piraterie

Si la France a signé en 1982 puis ratifié en 1996 la convention de Montego Bay, la question se

pose de son applicabilité directe dans l’ordre juridique interne. En l’absence de textes

législatifs introduisant les dispositions de l’UNCLOS relatives à la piraterie dans le droit

interne, il faut s’interroger sur l’existence en France d’un cadre juridique complet et adapté à

l’ensemble des possibilités de répression des actes de piraterie.

Le jugement d’une personne dans le cadre du droit français nécessite l’existence de trois

éléments : une incrimination, un tribunal compétent et une procédure pénale.

2.1 Les incriminations de piraterie en droit commun français

L’incrimination de piraterie figurait dans une loi du 18 avril 1825 pour la sûreté de la

navigation et du commerce maritime ; inadaptée aux nouvelles réalités, elle est abrogée par la

loi n°2007-1787 du 20 décembre 2007 et relative à la simplification du droit. Le texte de 1825

était largement obsolète et non conforme aux dispositions du droit international de la mer

dans la mesure où il se référait à l’autorité royale et aux lettres de marque ou de commissions

régulières. Etaient réprimés dans ce texte le fait de commettre « des actes d’hostilité », le fait

de s’emparer par fraude ou violence d’un bâtiment français ou encore de commettre « à main

armée des actes de déprédation ou de violence envers des navires français ou des navires

d’une puissance avec laquelle la France ne serait pas en état de guerre ».

Il existe cependant plusieurs infractions de droit commun utilisables et a priori suffisantes

pour incriminer la piraterie. Il s’agit notamment de l’infraction d’association de malfaiteurs

qui permet d’interpeller les personnes avant même la commission du crime dès lors que l’on

détient la preuve d’actes préparatoires. Cette incrimination reste conforme au cadre mis en

place par la convention de Montego Bay qui prend traite la préméditation de l’acte de piraterie

comme un acte de piraterie à part entière.

De plus, le seul fait de s’emparer ou de prendre le contrôle par la violence ou menace de

violence d’un navire constitue – en vertu de l’article 224-6 du code pénal – une infraction

punie de vingt ans de réclusion criminelle. Enfin, le droit pénal général peut s’appliquer de

sorte que toutes les infractions d’atteintes à la vie ou aux biens : enlèvement, séquestration,

prise d’otages etc. peuvent être constituées par des faits que commettraient les pirates.

75

2.2 Un tribunal compétent pour juger les pirates

Bien que la convention de Montego Bay mette en place un principe de compétence

universelle pour juger les auteurs d’actes de piraterie, une telle possibilité n’existe pas en

droit français : un lien de nationalité est exigé pour établir la compétence du tribunal. Ainsi,

en matière de piraterie, les auteurs, les personnes ou le bateau attaqué doivent être français. La

convention de Rome ajoute à cette condition une compétence pour les criminels étrangers

appréhendés en France.

Le principe de juridiction universelle mis en place par la convention UNCLOS poserait

quoiqu’il en soit des problèmes pratiques en ce qui concerne le jugement des pirates

appréhendés au large des côtes africaines. Une telle compétence entrainerait un engorgement

des juridictions en raison du nombre et de la lourdeur des procédures de nature criminelle.

Ainsi, la Belgique qui a établi une compétence universelle en matière de génocide doit

aujourd’hui faire face à un afflux important de plaintes. Sans pour autant créer une juridiction

universelle, le lien de nationalité pourrait être étendu à l’interpellation par la marine française.

Mais une telle solution – séduisante au premier abord – risquerait de créer un conflit de droit

avec les autres Etats judiciairement compétents : Etat de nationalité de l’auteur ou des

victimes, Etat du pavillon du navire attaqué. Actuellement, le droit français ne semble pas

reconnaître la possibilité aux juridictions françaises de juger des actes de piraterie commis par

des ressortissants d’un autre Etat dans les eaux internationales et n’ayant commis aucun acte à

l’encontre des nationaux.

La solution reste donc, en l’absence de lien de nationalité, de transférer les auteurs d’actes de

piraterie interpellés vers leur Etat national via une procédure proche de l’extradition. Une telle

procédure peut par ailleurs poser problème au regard de l’obligation de garantir le respect des

droits de l’homme et des droits judiciaires fondamentaux. La mise en place d’un accord avec

un Etat riverain a été une solution privilégiée par l’Union Européenne. Cette dernière dans le

cadre de l’opération Atalante a passé un accord avec le Kenya pour obtenir qu’il juge les

pirates en respectant les principes fondamentaux des Droits de l’Homme et des droits

judiciaires.

76

2.3 Les procédures applicables

En matière d’incrimination utilisable, le droit français ne possède pas de texte traitant

spécifiquement de la piraterie et éprouve donc une certaine faiblesse puisque dans l’optique

d’un jugement des pirates en France c’est l’infraction d’association de malfaiteurs qui doit

être utilisée.

Pour ce qui concerne les procédures applicables, un vide juridique est présent dans la mesure

où la convention UNCLOS est muette à ce sujet.

En France, le seul dispositif existant est celui de la loi n°94-589 du 15 juillet 1994 relative aux

modalités de l’exercice par l’Etat de ses pouvoirs de police en mer. Ce texte définit un cadre

légal qui permet l’intervention en haute mer pour réprimer le trafic illicite de stupéfiants ainsi

que pour lutter contre l’immigration illicite.

Cette loi est par ailleurs partiellement intégrée dans le code de la défense en ce qui concerne

les mesures de contrôle et de coercition possibles à l’encontre de navires étrangers75

. Elle

prévoit que la marine française peut intervenir à bord et dérouter le navire en infraction sous

réserve de l’accord de l’Etat pavillon et seulement après obtention de son accord de

renonciation à exercer sa prérogative judiciaire. Cette loi instaure au profit des officiers de

police judiciaire, et des autorités habilitées, un cadre procédural dérogatoire aux règles

habituelles du code de procédure pénal. Le texte de 1994 constitue une base juridique qui fait

précisément défaut en matière de lutte contre la piraterie. Néanmoins, elle présente une

faiblesse conséquente puisqu’elle ne définit pas la procédure applicable entre l’interpellation

et l’arrivée en France – exception faite de l’obligation d’informer le procureur.

Cette faiblesse juridique a été relevée par la Cour européenne des droits de l’homme en juillet

2008. Dans l’arrêt Medvedyev76

rendu le 10 juillet 2008, la CEDH estime que l’information

du procureur de la République est une garantie insuffisante dans la mesure où elle ne

reconnaît pas à ce magistrat une indépendance suffisante à l’égard de l’exécutif pour pouvoir

être qualifié de « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires » au sens de

l’article 5§3 de la convention européenne des droits de l’homme.

75

Articles L. 1521-1 à L. 1521-10 du code de la défense 76

La CEDH a estimé – dans le cadre de l’interception dans l’Océan Atlantique du navire Winner se livrant à un trafic de stupéfiants – qu’il y avait violation de l’article 5 de la convention européenne des droits de l’homme vis-à-vis des conditions de rétention des personnes soupçonnées. La France a par conséquent été condamnée sur ce fondement.

77

Même si la France fit appel de cette décision en octobre 2008, la procédure est quoiqu’il en

soit un processus difficile à mettre en œuvre car il faut y intégrer des variables liées au temps

et à l’éloignement. Malgré cette demande de renvoi, la CEDH réunie en grande chambre a

rendu le 29 mars 2010 un arrêt qui confirme la violation par la France de l’article 5§1 de la

Convention européenne des droits de l’homme. La CEDH mit en avant dans cet arrêt que la

privation de liberté subie à bord du navire n’avait pas de base légale suffisante.

Bien que ce contentieux soit intervenu dans le cadre d’une opération de lutte contre le trafic

de stupéfiants, il concerne l’ensemble des opérations de police que l’Etat conduit en mer et

par extension la lutte contre la piraterie ou contre l’immigration illégale. Dans le contexte de

ces opérations, les commandants des navires sont susceptibles d’avoir à mettre en œuvre des

mesures privatives ou restrictives des libertés individuelles.

Par conséquent, aussi bien en droit français que sur le plan international, il est nécessaire de

mettre en place un cadre légal efficace et offrant tous les détails de procédure requis pour une

action efficace des autorités maritimes contre la piraterie.

III. Impasses juridiques et avancées nécessaires à une lutte judiciaire efficace

Malgré les cadres internationaux et nationaux en place, le traitement juridique de la piraterie

dans son ensemble reste largement lacunaire. En effet, jusqu’à l’année 2009, environ 80% des

actes de piraterie échappent à la définition de l’article 101 de la convention de Montego Bay.

En outre, les accords de coopération judiciaire ou d’extradition conclus dans le cadre de la

résolution 1816 entre la Somalie et un autre Etat ou de façon bilatérale – comme entre le

Kenya et Atalante – complexifient l’éventail des compétences pénales applicables en

permettant à un Etat non capteur de juger un pirate capturé sur le territoire ou dans les eaux

territoriales d’un autre Etat.

Pour combattre la piraterie dans le cadre d’un Etat de droit, la seule réponse militaire et

opérationnelle ne peut suffire surtout dans la mesure où elle dispose d’outils juridiques

insuffisants. En effet, si l’objectif premier de mettre fin à une prise d’otage en cours et de faire

cesser les agissements délictueux constitue une priorité, cette première phase de la répression

conduit à une seconde qui se joue sur le terrain judiciaire. Dans l’établissement des cadres

juridiques de lutte contre la piraterie, il ne faut pas oublier que les opérations menées contre la

piraterie, si elles utilisent effectivement des moyens purement militaires, sont aussi des

opérations de police en mer qui ont des conséquences juridiques. Or c’est sur cet aspect

78

juridique et judiciaire de la lutte contre la piraterie que les manques sont les plus importants

aussi bien dans le domaine du droit international –malgré la convention UNCLOS – que dans

les droits nationaux.

3.1 Blocages et limites juridiques de la lutte contre la piraterie

Malgré les définitions qu’elle met en place, la convention de Montego Bay ne constitue pas

un cadre de traitement exclusif.

i. Les problèmes posés par la convention UNCLOS

Les dispositions de la convention de 1982 sont avant tout des mesures générales qui n’entrent

pas suffisamment dans le détail eu égard aux conditions et au contexte des actions

opérationnelles. Ainsi l’article 100 incite à la coopération entre Etats mais ne met pas en place

de procédures pour y parvenir.

La principale faiblesse du traitement juridique des pirates réside dans le fait que la définition

de la piraterie – et par conséquent le dispositif prévu pour sa répression – ne s’applique

qu’aux attaques en haute mer. De plus, la convention de Montego Bay est muette en ce qui

concerne les procédures juridiques applicables aux auteurs d’acte de piraterie ; ce vide

juridique est comblé partiellement par les droits nationaux et les accords bilatéraux établis

avec les Etats de la région. Or, la nécessité de recourir aux droits nationaux pour juger les

auteurs ou complices d’actes de piraterie en haute mer rend l’efficacité de la répression

dépendante de la bonne adaptation des droits nationaux au cadre international. Les

dispositions de la convention relative à la piraterie n’ont été pleinement incorporées dans

aucun pays européen, pas plus qu’aux Etats-Unis. Les pays disposant d’une juridiction

universelle en la matière sont également très rares. En Europe, seuls quatre pays ont la

capacité juridique de poursuivre des pirates sans aucun lien de nationalité : la Finlande, la

Suède, l’Allemagne et les Pays-Bas. De la même façon, la convention n’établit aucune

contrainte en ce qui concerne le choix de la juridiction ou en matière judiciaire ; elle ne fait

qu’inciter à un aboutissement judiciaire des opérations militaires sans en présenter les

modalités de procédure.

En outre, la convention impose la nécessité de distinguer deux phases au sein des opérations

d’engagement militaire : la phase purement militaire et la phase de « justice ». Au cours de

cette seconde étape, les moyens militaires interviennent dans le cadre du service de la justice.

La première étape correspond à toutes les actions susceptibles de mener à l’arrestation d’un

79

pirate alors que la seconde est composée de toutes les phases de la procédure judiciaire :

arrestation, rétention, déferrement, mise en examen, mise en détention… Or, cette distinction

est ardue à mettre en place à bord des bâtiments militaires et dans le cadre des urgences

opérationnelles.

Face à une piraterie mouvante et aux modes d’action fortement asymétriques, les droits

nationaux ont été relativement pris au dépourvu. On a vu dans le cas de la France que la seule

incrimination concernant spécifiquement la piraterie date de 1825 et a par ailleurs été abrogée

en 2007. Cette inadéquation juridique et les conditions d’actions opérationnelles propres à la

piraterie entraînent un certain nombre de difficultés à juger les pirates.

ii. Quels obstacles juridiques à un traitement judiciaire efficace de la piraterie en

France ?

La France a d’abord fait le choix de présenter devant ses tribunaux les pirates ayant

directement porté atteinte à la sécurité et à l’intégrité de ressortissants français. Ainsi, une

quinzaine de pirates arrêtés lors des opérations de libération du Ponant, du Carré d’As et du

Tanit sont retenus sur le territoire français.

Cette procédure pose comme on l’a vu précédemment des problèmes juridiques et des

controverses sur la légalité de leur arrestation et des conditions de leur détention. La poursuite

judiciaire des pirates devant une juridiction française doit ainsi faire face à plusieurs

inconvénients. La procédure est avant tout contraignante pour la marine puisqu’elle l’oblige à

quitter la zone d’activité pirate du golfe d’Aden pour ramener les prisonniers en territoire

français. Ces manœuvres sont à la fois coûteuses en temps et en argent. De plus, elle nécessite

aussi de rassembler de nombreux éléments de preuves – notamment en ce qui concerne

l’intention ou la participation indirecte à une attaque – qui ne sont pas toujours disponibles et

pour lesquels les marins ne sont que peu souvent formés. Enfin, elle comporte

intrinsèquement un risque d’échec et donc de libération des pirates.

Les militaires et les commandants de bâtiments ne disposent pas toujours de l’expérience

juridique nécessaire à une lutte judiciaire efficace. En outre, la présence de prisonniers

somaliens sur le territoire français peut se révéler dangereuse pour les bâtiments français

passant par la zone ou pour les éventuels otages.

De plus, bien que la France ait signé en 1982 et ratifié en 1996 la convention de Montego

Bay, se pose la question de son applicabilité directe dans le cadre juridique interne. En

80

l’absence de dispositions spécifiques, la répression de la piraterie obéit aux critères habituels

de compétence des juridictions nationales : l’infraction a été commise sur le territoire de la

République française, l’auteur est de nationalité française ou la victime a la nationalité

française. Le droit français ne semble pas reconnaître la possibilité aux juridictions françaises

de juger des actes de piraterie commis par des ressortissants d’un autre Etat dans les eaux

internationales et n’ayant commis aucun acte à l’encontre des nationaux. Une telle

compétence relève explicitement d’une compétence universelle en la matière.

La constitution de nouveaux cadres juridiques doit répondre à de multiples impératifs en

matière de respect des droits de l’homme et de droits de la défense. Ainsi, une mise à jour du

droit français en la matière doit concilier le respect du cadre international et des impératifs

d’efficacité judiciaire et opérationnelle.

3.2 Les avancées juridiques nécessaires dans la lutte contre la piraterie

i. Renforcer les capacités juridiques des Etats de la région

L’Union Européenne et les Etats-Unis ont davantage fait le choix de transférer les pirates

arrêtés – dans le cadre des opérations navales – vers des Etats de la région : Kenya, Seychelles

et Tanzanie en premier lieu. Pourtant une telle délégation de responsabilité et de leur

compétence judiciaire doit être accompagnée d’une aide à la consolidation des capacités

juridiques et judiciaires de ces Etats.

Pour permettre un aboutissement judiciaire des opérations militaires comme le prévoit la

convention UNCLOS, l’option la plus répandue a été de conclure des accords avec les Etats

régionaux susceptibles d’accueillir des pirates afin de les juger. L’éligibilité des Etats a été

mise en question dans la mesure où le Yémen et Djibouti n’apportaient pas de garanties

suffisantes en matière de peine de mort ; le Puntland en matière de droits de l’homme. La

Somalie a aussi été écartée en raison de son instabilité politique et d’un appareil judiciaire

insuffisant.

Il faut avant tout aider ces Etats à transposer les dispositions de la convention UNCLOS dans

leur législation nationale puis les soutenir dans la constitution et la consolidation de leurs

capacités judiciaires et pénitentiaires. A terme, des Etats comme Djibouti ou la Somalie

devraient disposer de capacités judiciaires suffisantes pour le jugement des pirates : cette

création juridique est une des conditions obligatoires à l’éradication du phénomène dans la

région.

81

La division des affaires maritimes et du droit de la mer du bureau des affaires juridiques de

l’ONU a ainsi pour mission d’aider les Etats à appliquer les dispositions prises dans la

convention UNCLOS. De son côté, l’OMI a dressé un inventaire des lois des Etats sur la

question ainsi qu’une assistance technique pour les Etats qui souhaitent mettre à jour leur

législation nationale contre la piraterie.

Le Kenya a aussi besoin d’une assistance technique dans les domaines judiciaire et

pénitentiaire car face à l’ampleur de la tâche, les autorités judiciaires nationales sont devenues

réticentes à accepter le transfert des pirates capturés dans le cadre de l’opération Atalante.

ii. La mise à jour du droit français

Afin de combler les manques au sein de la législation française, la commission des affaires

étrangères, de la défense et des forces armées remet au Sénat en mars 2010, un rapport portant

sur un projet de loi relatif à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de

l’Etat en mer.

Ce projet de loi – présenté dans le rapport Dulait du 30 mars 2010 – vise trois objectifs. Tout

d’abord, le rapport préconise l’introduction dans le droit français d’un cadre juridique

permettant la répression de la piraterie. En second lieu, le projet de loi tend à faire reconnaître

une compétence quasi universelle aux juridictions françaises pour juger les actes de piraterie.

Enfin, afin de se conformer aux exigences de la Cour européenne des droits de l’homme dans

son arrêt Medvedyev du 10 juillet 2008, le projet de loi met en place un régime sui generis de

rétention à bord des personnes interpellées dans le cadre de la lutte contre la piraterie.

La piraterie maritime doit être mieux définie pour être jugée ; et c’est précisément le but du

projet de loi de mars 2010.

La définition d’un nouveau cadre juridique de répression de la piraterie

On a pu observer dans les paragraphes précédents que le droit français était dépourvu

d’incrimination pénale constitutive d’acte de piraterie. Alors qu’il s’agissait d’une faiblesse

essentielle du dispositif législatif français, le projet de loi ne créé pas une nouvelle

incrimination de piraterie dans le code pénal. Il détermine les infractions utilisables et qui

étaient déjà utilisées dans le cadre des affaires des voiliers français. Les infractions retenues et

susceptibles de répondre aux actes de piraterie tels que définis par la Convention de Montego

Bay sont les suivantes : le détournement d’aéronef, de navire ou de tout autre moyen de

82

transport, l’enlèvement et la séquestration et enfin la participation à une association de

malfaiteurs.

Ces infractions couvrent donc les actes susceptibles d’être qualifiés d’actes de piraterie. La

peine maximale établie est comprise entre 20 ans de réclusion criminelle et la réclusion

criminelle à perpétuité selon les circonstances aggravantes.

Le domaine de juridiction constituait également un point de faiblesse essentiel. Le projet de

loi prévoit, concernant le champ d’application géographique, que les incriminations

s’appliquent aux actes commis en haute mer, dans les espaces maritimes ne relevant de la

juridiction d’aucun Etat et dans les eaux territoriales d’un Etat sous réserve que des

dispositions du droit international l’autorisent. Cette dernière disposition prend notamment en

compte la résolution 1816 du Conseil de Sécurité de l’ONU de juin 2008 tandis que les deux

premières mentions sont reprises de la convention UNCLOS.

Le projet de loi vise également à répondre à une difficulté juridique rencontrée par les

bâtiments de la marine nationale lorsque ces derniers veulent procéder au contrôle de navires

suspects. En effet, en l’absence de commencement d’exécution de l’acte, le droit français ne

permet pas d’agir. Dans ce cas, le projet de loi permet au commandant de procéder à des

mesures de contrôle et de coercition. Ils pourront notamment procéder à la reconnaissance du

navire, envoyer une équipe à bord, contrôler les documents, ordonner le déroutement du

navire ou recourir à l’emploi de la force en dernier recours. Il s’agit là d’une avancée

législative essentielle puisqu’elle permet de renforcer certaines lacunes du droit français. De

plus, au niveau du droit international, ces mesures pourront être prises sans accord préalable

de l’Etat du pavillon.

L’octroi d’une compétence quasi universelle aux juridictions françaises

En droit français, la compétence universelle est établie par les articles 689 et suivants du code

de procédure pénal. Sont concernés par son champ d’application les actes de torture et de

terrorisme, la protection et le contrôle des matières nucléaires, les actes contre la sécurité de la

navigation maritime et de l’aviation civile et les actes de violence illicite dans les aéroports.

Le champ d’application a été étendu pour juger les infractions au droit humanitaire

international commises en ex-Yougoslavie et au Rwanda.

83

La compétence pour juger des infractions commises hors du territoire français est qualifiée de

« quasi universelle » et est soumise à deux conditions :

- procéder d’une convention internationale

- l’auteur présumé doit se trouver en France

Le projet de loi vise par conséquent à introduire dans le droit français la possibilité d’étendre

la compétence des juridictions françaises pour juger d’actes de piraterie commis hors du

territoire national, par des ressortissants étrangers à l’encontre de navires et de victimes d’une

autre nationalité. Deux conditions doivent néanmoins être réunies pour permettre d’établir

cette compétence :

- les auteurs doivent être appréhendés par des agents français

- les juridictions françaises ne sont compétentes qu’en cas de non-entente avec les

autorités d’un autre Etat pour l’exercice par ce dernier de ses prérogatives

juridictionnelles.

Cette seconde condition empêche par conséquent une juxtaposition des prérogatives

notamment dans le cadre des accords bilatéraux conclus entre l’autorité Atalante et le Kenya,

les Seychelles ou la Tanzanie ainsi qu’un éventuel contentieux avec un Etat qui s’estimerait

mieux placé pour juger d’une affaire. Il s’agit avant tout de reconnaître aux juridictions

françaises la faculté de juger les auteurs et complices de piraterie.

Création d’un régime de détention conforme aux recommandations de la CEDH

L’arrêt Medvedyev de la CEDH de juillet 2008 estimait que la France ne souscrivait pas au

respect des droits de détention tels que définit dans la Convention européenne des droits de

l’homme dans la mesure où la seule information du procureur de la République ne constitue

pas une garantie suffisante.

En matière d’encadrement des procédures de restriction de liberté, le projet de loi met en

place une procédure précise qui implique à la fois le juge des libertés et de la détention et le

procureur de la République. La procédure mise en place est la suivante.

Dans un premier temps, immédiatement consécutif à la mise en œuvre de mesures de

restriction ou de privation de liberté, le préfet maritime doit informer le procureur de la

République. Dans les quarante-huit heures qui suivent, le juge des libertés et de la détention

84

est également saisi et statue par ordonnance insusceptible de recours sur les poursuites de ces

mesures pour une durée maximale de 5 jours.

Dans un second temps, une attention particulière est portée aux droits de la personne faisant

l’objet des mesures de restriction et de privation. Le commandant de bord doit faire procéder

à un examen de santé dans les vingt-quatre heures et à un examen médical dans un délai de 10

jours consécutifs à l’examen de santé77

.

La lutte contre la piraterie a ainsi été le lieu d’avancées juridiques destinées à combler les

lacunes du droit français tout en restant en accord avec les principes internationaux. La

répression de la piraterie dans le golfe d’Aden s’établit à la fois sur les plans juridiques et

opérationnels. L’efficacité des marines étant largement réduite si ces dernières ne disposent

pas des outils juridiques appropriés au traitement de leurs prisonniers pirates. L’efficacité à

court terme des solutions proposées repose sur la bonne articulation entre les deux aspects vus

précédemment.

Pourtant, dans une optique d’éradication durable du phénomène, la piraterie ne doit plus

seulement être vue comme une déviance maritime mais comme un phénomène terrestre. Les

bases de la piraterie sont à la fois à terre et dans les réseaux portuaires et c’est à ce corps qu’il

faut s’attaquer pour faire reculer l’hydre-pirate.

77

La différence entre examen de santé et examen médical se situe dans la qualification requise pour leur conduite. Un examen médical doit être réalisé par un médecin alors qu’un examen de santé peut l’être par un infirmier. En effet, certains bâtiments de la marine nationale de faible tonnage ne disposent pas toujours d’un médecin de bord.

85

Partie 4 : La piraterie à terre

L’étude des vagues historiques de piraterie le démontre : la piraterie ne peut être vaincue de

façon durable que par des actions menées à terre. Pendant la période romaine, la piraterie a été

muette tout au long de l’âge d’or de l’Empire romain et n’a ressurgi qu’au début de son

déclin. Sans verser dans le déterminisme en établissant un rapport absolu entre stabilité à terre

et sécurité en mer, il y a néanmoins une leçon à tirer de ces observations. Ainsi, la réduction

de la vague pirate barbaresque au XIX° siècle est notamment passée par la conquête française

de l’Algérie.

S’attaquer aux causes profondes du phénomène revient alors à rétablir une certaine stabilité à

terre : mise en place d’institutions assez fortes et légitimes pour se faire respecter, restauration

d’un Etat de droit, paix civile ou redressement de l’économie sont autant d’outils à utiliser

dans ce but.

La tâche globale est cependant ardue ; la piraterie, pratique déjà ancrée dans les traditions

maritimes régionales, s’est étendue et a des intérêts dans les activités économiques des

régions côtières. L’économie de la piraterie s’est développée et a amenée un certain nombre

d’externalités positives pour ses pratiquants et, dans une certaine mesure, pour la population.

Les points les plus communément développés dès lors qu’on touche à la piraterie maritime

contemporaine sont les aspects opérationnels et juridiques du phénomène. Ce dernier a

pourtant une composante terrestre majeure qui, si elle n’est pas appréhendée correctement ne

permet pas une vision juste du problème. Par conséquent, cette partie s’attachera moins aux

aspects maritimes qu’à un examen de l’histoire récente de la Somalie ou qu’à une étude

sociale voire anthropologique de la piraterie. Les attaques pirates se déroulent en mer et sur

une zone de plus en plus étendue, mais les solutions sont incontestablement à terre. Les

opérations navales, d’une efficacité toute relative, doivent servir de tremplin à la mise en

place de solutions terrestres durables.

Avant tout chose, l’histoire récente du délitement de l’autorité somalienne depuis 1991 va

permettre une émergence de la piraterie de la région. L’épisode – relativement court – des

tribunaux islamiques va à cet égard constituer un passage intéressant. Par ailleurs, la piraterie

s’organise aussi selon des clivages ethniques propres à la région ; le modèle du pirate et du

guerrier est valorisé et la piraterie devient une profession offrant des trajectoires d’ascension

sociale attirantes pour une partie de la jeunesse. Enfin, si les liens entre les réseaux terroristes

86

islamistes et les pirates ont été présenté comme un risque majeur de la région, ils ne doivent

pas être surévalués. Les pirates sont des criminels bien avant d’être des terroristes et une

accointance entre ces phénomènes parait peu probable.

I. La Somalie depuis 1991 : de l’Etat failli aux Tribunaux islamiques

La fin de la guerre froide et la chute des dictatures entraînent tout juste une baisse temporaire

de la conflictualité dans la région. A contrario, la période 1990-1993 est une période de crise

continue en Somalie. L’échec de l’ONUSOM78

en 1993 laisse la Somalie, diminuée du

Somaliland, en proie à une guerre civile violente et sans issue. La chute de la dictature de

Siyaad Barre en 1991 a davantage entrainé le démembrement du territoire et la dissolution de

l’Etat. Le Somaliland déclare son indépendance et la région est alors divisée entre les chefs de

guerre.

1.1 Les interventions occidentales et la mise en place d’un fédéralisme de transition

Pour faire face aux conséquences de la guerre civile consécutive à la fin de la dictature de

Siyaad Barre – menaces de famine essentiellement – l’ONU lance une opération humanitaire

à Mogadiscio à partir de 1992. L’ONUSOM – et particulièrement les casques bleus

pakistanais – subissent des pertes importantes face aux forces armées des factions

somaliennes.

En décembre 1992, les Etats-Unis lancent l’opération Restore Hope sous mandat de l’ONU.

Conçue comme la première intervention menée dans le cadre du droit d’ingérence

humanitaire, cette opération est néanmoins un fiasco. Environ 28 000 soldats américains,

relayés par la suite par 10 000 hommes de la force internationale débarquent à Mogadiscio.

Les combats entre clans gênent le travail des agences internationales d’aide humanitaire et la

violence de certains casques bleus à l’égard de la population somalienne attise les haines. En

octobre 1993, la « bataille de Mogadiscio » fait 19 morts dans les rangs de l’US Army ainsi

qu’environ un millier d’individus côté somalien. Alors que le président Clinton décide de

retirer ses troupes, ce sont les casques bleus de l’ONU qui prennent le relais jusqu’en 1995.

L’ONUSOM II se limite à partir de mai 1993 à des actions d’aide humanitaire. Alors que les

derniers soldats américains quittent la Somalie en mars 1994, les casques bleus s’en vont

78

Opération des Nations Unies en Somalie : Opération humanitaire de l’ONU lancée en 1992 par Georges Bush senior. Elle est interrompue en 1993 par Bill Clinton suite à la mort de marines à Mogadiscio.

87

définitivement un an plus tard. Le pays est alors divisé en plusieurs régions contrôlées par des

factions militaires qui se combattent.

En 1998, la région du Puntland déclare également son indépendance et s’autoproclame région

autonome. Les conférences de réconciliation et de stabilisation se multiplient sans pour autant

démontrer leur efficacité. Bien qu’en août 2000 le Parlement de transition élise un nouveau

président en la personne d’Abdiqasim Salad Hassan, le pays reste largement dominé par les

rivalités claniques.

En janvier 2004, un accord entre les chefs de guerre permet la création d’un Parlement

intérimaire inauguré à Nairobi en août – les conditions de sécurité n’étant pas suffisantes pour

qu’il siège en Somalie. Pourtant, ce gouvernement est divisé dès sa création. La situation se

dégrade rapidement et les parlementaires se divisent sur la question d’une force étrangère et

du statut de la capitale. Après un pugilat à grande échelle à Nairobi lors d’une réunion du

Parlement en mars, une dizaine de ministres et une centaine de députés dirigés par le président

du Parlement Sharif Hasan Shiikh Aadan repartent pour Mogadiscio. Mais depuis 2002, la

situation est beaucoup plus difficile dans la capitale somalienne. En prévision de la

conférence kenyane de réconciliation nationale pour la Somalie en octobre 2002, les factions

ont combattu afin de modifier les rapports de force et l’insécurité a crû avec l’apparition de

bandes criminelles et d’une industrie du kidnapping. Malgré le retour des parlementaires et

des ministres la normalisation est un échec ce qui contribue largement au succès des

Tribunaux islamiques.

1.2 La montée des Tribunaux islamiques et la piraterie

i. L’arrivée au pouvoir de l’Union des Tribunaux Islamiques

Les Tribunaux islamiques sont initialement des réponses locales à l’insécurité. Leur processus

de création est en effet plus ou moins normalisé ; dans un milieu urbain reconfiguré par la

guerre, certaines zones se trouvent sous la domination d’un clan. Ainsi, à la suite de troubles

occasionnés par des bandes criminelles, les anciens de ce clan décident de constituer un

Tribunal islamique. Les anciens prennent notamment garde à nommer des juges qui reflètent

les diverses tendances de l’islam somalien. Les Tribunaux, dont le nombre reste inférieur à 10

jusqu’à 2006, vont engager une lutte contre le banditisme. L’amélioration relative de la

situation n’est ainsi pas le fait du retour des chefs de faction depuis le Kenya mais est la

conséquence de l’action de ces nouvelles institutions.

88

Un conflit éclate rapidement entre les Tribunaux islamiques et l’Alliance pour la paix et

contre le terrorisme international79

. La situation est complexe puisqu’une série

d’affrontements violents converge en un seul conflit entre février et juin 2006 ; sont impliqués

les autorités des Tribunaux islamiques, les chefs de faction et les différents clans. Cependant,

l’implication américaine change la nature de la guerre dans la mesure où la population va faire

front par anti-américanisme et par réaction à une série d’assassinats de personnalités

religieuses. Elle va unifier et mobiliser, au-delà de Mogadiscio, les courants islamiques

habituellement divisés par leurs rituels et leurs idéologies. Des centaines de combattants

arrivent du Somaliland ou du sud de la Somalie. Le Puntland apporte des fonds importants

tout comme la diaspora qui soutient les Tribunaux. Les soutiens ne sont donc pas seulement

claniques, islamiques ou islamistes.

La victoire des tribunaux islamiques est par conséquent due à une situation très particulière.

On peut parler de soulèvement populaire malgré le fait que la population ne soit pas

complètement unanime. Les miliciens des factions – membres de l’Alliance pour la

restauration de la paix – sont soumis aux pressions de leurs familles qui leur demandent de ne

pas se battre « pour les Américains » ; les rues de la capitale sont rendues impraticables par

les civils qui y déposent de grosses pierres pour empêcher une coordination militaire qui était

déjà problématique. Les membres de l’Alliance sous estiment jusqu’à la fin la mobilisation

populaire ainsi que la force militaire des Tribunaux islamiques.

A l’issue des combats, seuls les Tribunaux islamiques sont capables de capitaliser la victoire

dans la mesure où les clans ne sont pas organisés. Même s’il s’agit davantage d’une victoire

par défaut – ce dont les dirigeants de l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI) ont conscience

– la période est cruciale puisqu’elle marque une transformation de la scène politique à

Mogadiscio. La victoire de l’UTI signifie la disparition des factions et de leur domination sur

la politique somalienne. Rapidement, l’influence des Tribunaux croît au-delà de la capitale et

des Tribunaux vont peu à peu se constituer dans d’autres villes.

Les Tribunaux se définissent avant tout comme les garants de la justice. Pourtant, leur période

de domination est très courte. Les incidents se multiplient et les différences idéologiques qui

s’expriment au sein des Tribunaux sont profondes. Les résistances sont de plus en plus

nombreuses au sein de la population qui souffre de plus en plus de l’augmentation des taxes à

partir d’octobre 2006 ou de l’interdiction du qaat. En décembre 2006, les milices des

79

Cette Alliance réunit les chefs de guerre et est soutenue par l’autorité américaine

89

Tribunaux sont largement battues lors de l’intervention éthiopienne soutenue sur les plans

financier et logistique par les Etats-Unis.

Depuis 1991, la situation politique somalienne est instable. La figure 1 présentant les attaques

pirates tentées et réussies entre 2003 et 2008 met en évidence un lien entre la situation

politique et l’activité pirate. En effet, en 2006, alors que les Tribunaux islamiques – qui se

définissent comme une réponse à l’insécurité et comme les garants de la stabilité – remportent

la victoire contre l’Alliance pour la paix et le nombre d’attaques diminue de 55%. Le nombre

d’attaques en 2007, suite à la chute de l’UTI, retrouve presque exactement le même niveau

qu’en 2005 : 44 attaques en 2007 contre 45 en 2005. Les statistiques révèlent bien une baisse

des actes de piraterie en 2006.

De plus, au cours de la période durant laquelle elle a tenu la région de Mogadiscio – d’où

venait alors la majeure partie de la piraterie somalienne – l’UTI a pris le contrôle de Hobyo et

Xaradgeere, deux ports utilisés jusque là par les pirates. Une fois les islamistes chassés par les

forces éthiopiennes, ces ports se sont redynamisés autour d’une activité de piraterie. Il semble

donc que l’UTI a en grande partie influencé le recul de la piraterie pendant l’année 2006.

Moralement, toute activité criminelle est bannie par les mouvements islamistes ; la piraterie –

malgré les revenus qu’elle peut procurer – n’est pas en adéquation avec les intérêts des

islamistes. Elle représente en effet une source de revenus pour le Gouvernement Fédéral

transitoire et tend à entériner le détachement du Puntland d’où viennent la majeure partie des

attaques alors que le projet de l’UTI est la constitution d’un ensemble territorial réunissant

l’ensemble des peuples somali.

ii. Approche institutionnaliste et reconstruction de l’Etat somalien

Le vide institutionnel permet à la violence criminelle et par extension à la piraterie d’exister

en toute impunité. L’année 2006 au regard des actes de piraterie est particulière puisqu’elle

est marqué par une diminution importante des attaques ; pour autant, cette baisse est elle liée

directement à un renforcement institutionnel et autoritaire mis en place par les Tribunaux

islamiques ou l’ampleur du conflit en 2006 a-t-elle été importante au point de centraliser les

violences dans la région autour de Mogadiscio ?

L’analyse institutionnaliste associe l’Etat à une institution ; cette institution doit être comprise

de façon générale comme une entité produisant au sein d’une collectivité des règlements

statutaires assurant la régulation des rapports sociaux. Or dans le cas de l’UTI, la période de

90

domination a été trop courte pour mettre en place des règlements assurant un rétablissement

de l’ordre social et sécuritaire. En revanche, les Tribunaux islamiques se sont définis comme

les garants de l’ordre. Dans la conception wébérienne, l’Etat assure par son autorité et sa

souveraineté une régulation de la sphère sociale potentiellement violente ; il est l’unique

producteur de règles contraignantes et seul détenteur du pouvoir de violence légitime. Sans

Etat depuis 1991, la Somalie ne peut simplement pas lutter contre la piraterie s’exerçant sur

son territoire. A cet égard, la domination politique de l’UTI ne constitue qu’un épisode de

courte durée qui est néanmoins marqué par un fort recul des actes de piraterie. La Somalie est

par ailleurs considérée comme l’Etat le plus failli au monde par le Fund for Peace.

Bien que l’UTI ait été chassée par l’Ethiopie en décembre 2006, les islamistes sont toujours

actifs dans le jeu politique somalien comme en atteste les affrontements réguliers entre le

Gouvernement Fédéral transitoire et les mouvements islamistes.

La décomposition de l’Etat somalien est la conséquence de tensions régionales et internes

complexes. Les clivages claniques inhérents à la Somalie ont ainsi été largement

instrumentalisés par ses voisins – Ethiopie, Erythrée, Yémen ou Egypte – dans la mesure où

ces derniers ont soutenu tel faction ou tel chef de guerre selon leurs intérêts nationaux et

contribuant par leurs livraisons d’armes à alimenter la guerre civile. La dictature de Siyaad

Barre, au pouvoir à partir de 1969, contribue au chaos somalien post-1991 en lançant le pays

dans une politique d’inspiration communiste qui nationalise les moyens de production et

instaure un système économique planifié. La notion de lutte des classes et de nationalisme

pan-somali se heurte au système clanique dominant du pays. Le régime tiendra davantage

grâce à son autoritarisme que grâce au nationalisme pan-somali. Les particularismes sociaux-

culturels somaliens ont aussi un rôle majeur dans la décomposition de l’Etat somalien. Cette

composition clanique de la société somalienne joue un rôle politique majeur et on retrouve

logiquement ces clivages au sein de la piraterie contemporaine. Ainsi pour Bernard Bader,

« l’Etat en Somalie apparaît comme une entité parasitaire, incapable de transcender les

clivages lignagers, comme une simple coalition d’intérêts qui ne contribue d’aucune manière

au bien public et n’a pour seul objet que le détournement, à son profit exclusif, des ressources

nationales ».

Dans un tel contexte, quelles sont les chances de succès des tentatives de reconstruction

politique et institutionnelle sur une base qui se voudrait unitaire et centralisatrice ?

91

Dans l’optique d’une reconstruction politique en Somalie, la structure clanique devrait être

considérée comme un vecteur de mobilisation et non comme la clé de lecture de la

conflictualité.

II. Les composantes claniques en Somalie : essai d’anthropologie et de sociologie

des pirates somaliens

La notion d’Etat semble – comme on l’a vu précédemment – étrangère au fait politique

somalien ; la société somalienne est structurée par des clans, et à chaque clan est associé un

territoire. La piraterie peut ainsi être abordée sur les plans sociologiques et culturels.

L’organisation ethnique somalienne a un impact sur l’organisation de la piraterie ; de la même

façon une approche culturaliste de la situation apporte des éclairages intéressants. Enfin, pour

comprendre l’intégralité du fonctionnement de la piraterie en Somalie, il ne faut pas se

contenter d’observer ses manifestations directes depuis les bâtiments en patrouille, il faut en

quelque sorte soulever le voile pour voir apparaître les pirates dans leur diversité ethnique et

sociale. Ce n’est qu’en recherchant cette profondeur d’appréciation et d’analyse qu’on peut

comprendre les enjeux à terre de la piraterie.

92

Carte 4 : Répartition des clans ethniques en Somalie

Source : Ministère des affaires étrangères – Division géographique – Direction des archives

2.1 Le modèle culturel et l’organisation de la société somalienne

La piraterie contemporaine qui s’est développée en Somalie peut également être approché par

l’intermédiaire de son modèle culturel particulier. L’hypothèse de départ de cette lecture est

que le comportement des individus – ici des pirates somaliens – est aussi déterminé par leur

culture d’origine. Si on a mis en avant précédemment que l’absence d’autorité à terre, la

pauvreté et la tradition maritime des populations côtières ainsi que la proximité d’opportunités

de gains étaient des éléments déterminants, ils n’expliquent pas à eux seuls le basculement

dans une activité criminelle. Si la piraterie est si bien ancrée dans la région de la Corne de

l’Afrique c’est aussi parce que loin d’être considérée comme une activité illégitime, elle est

valorisée à la fois comme métier à part entière et comme un trajet d’ascension sociale. Ainsi,

93

certains pirates reviennent parfois auréolés d’un prestige important et deviennent, grâce à

cette aura mais aussi grâce aux revenus qu’ils se procurent, des partis enviables. La piraterie

dans cette région est déterminée aussi par des traits culturels spécifiques qui donnent un sens

au « métier » de pirate.

La société somalienne est culturellement organisée sur une tradition pastorale particulière ; les

« nomades guerriers » qui composaient cette société avaient pour habitude de s’attribuer des

ressources au gré des pillages et des razzias de troupeaux. Gunther Schlee et Lewis ont

chacun montré à quel point ce processus d’allocation et d’attribution des ressources a une

influence considérable sur la manière dont les individus construisent leurs représentations.

L’existence de cette tradition ajoutée au fait que près de 50 % des Somaliens pratiquent

encore une activité agricole pastorale souligne à quel point ce processus d’attribution a une

influence importante et peut alors se transposer à la piraterie.

Le système clanique structure la société somalienne et a également une influence importante.

Cinq grands clans existent en Somalie et à chacun de ces clan est associé des territoires et des

groupes politiques. La reproduction est assurée par un lignage patrilinéaire. Dans le cadre de

l’hypothèse d’une tradition pastoraliste violente transposée à la piraterie, la violence est un

fait inhérent à la vie de ces groupes dans la mesure où ils sont en concurrence permanente

pour le partage des postes de pouvoir et des ressources. Les pirates du Puntland sont

principalement issus du clan Darod comme l’est le président du GFT jusqu’en décembre

2008 : Abdullahi Yusuf Ahmed. Un expert cité dans le rapport de Chatham House « Piracy in

Somalia : Threatening global trade, feeding local wars » d’octobre 2008 affirme ainsi que

« l’argent va à Yusuf comme un geste de respect envers un leader politique régional ». Dans

ce cas, l’implication des plus importantes autorités somaliennes dans la piraterie va de pair

avec l’organisation clanique de celle-ci : l’argent des rançons obtenues par des pirates Darod

reste dans le clan. Les clans les plus actifs en matière de piraterie sont les Darod précités au

nord et les Bahawein au sud. Comme au sein de la structure sociale, la confrontation entre

clans et sous-clans s’exprime également dans les activités de piraterie ; bien qu’un certain

équilibre soit recherché à bord des bateaux, les accrochages demeurent fréquents.

Cette possible cooptation entre autorités et piraterie mène à une deuxième approche qui

considère la piraterie comme un aspect de la criminalisation de la sphère politique

somalienne.

94

2.2 La piraterie comme criminalisation du politique

Ce modèle, qui s’applique généralement aux guerres civiles, est de plus en plus développé

dans la science politique africaine. L’économie des nouvelles guerres africaines est ainsi

basée sur le pillage et la prédation menée par des chefs de guerre en recherche de

financements. Comme les diamants au Libéria ou le pétrole au sud-Soudan, la piraterie serait

une ressource de pouvoir et un moyen de financement que chercherait à s’approprier par la

violence la sphère politique régulière et les irréguliers : rebelles, islamistes… Djibril Diop80

émet ainsi l’hypothèse qu’une « partie de cette somme colossale [les rançons obtenues] est

recyclée pour le financement de la guerre qui oppose le gouvernement intérimaire aux

insurgés islamistes ».

Des soupçons ont notamment pesé sur le Puntland qui, pour assurer sa survie économique,

aurait trouvé dans la piraterie un réservoir économique de premier ordre. Ces accusations se

sont essentiellement concentrées sur l’administration et la présidence du Puntland. Le

successeur du président Yusuf, élu le 8 janvier 2009 par le Parlement puntlandais,

Cabdirahmaan Maxamed « Faroole » n’échappe pas à la suspicion qui frappait son

prédécesseur. Même s’il s’est engagé à lutter contre la piraterie, il faut souligner ses liens avec

le clan Majeerteen de la fédération Darod qui domine le Puntland et auquel appartient une

majorité des pirates. Comme on l’a vu auparavant, des liens entre islamistes et piraterie

doivent être écartés. Si des connexions entre pirates et groupes politiques peuvent exister,

elles touchent principalement des groupes fondés sur un principe clanique plutôt que

religieux. De surcroît, bien que les Somaliens soient de fervents musulmans, leur islam est

influencé par le soufisme et divisé en confréries rivales qui transcendent et se calquent –

parfois – sur les divisions claniques. Ainsi, les disciples des aw vouent un culte démonstratif à

leurs fondateurs combattu par les réformateurs wahhabites. Au moins trois mouvements

islamiques à doctrine divergente se partagent l’allégeance des fidèles. Selon Gérard Prunier81

,

on est ainsi loin d’assister à une talibanisation de la Somalie.

En Somalie, la piraterie complète des activités criminelles plus traditionnelles : trafic d’armes,

de qaat ou de clandestins à destination de la péninsule arabique ; qui constituent autant de

moyens de financement pour les clans et les chefs de guerre. Dans cette hypothèse, on peut

80

Chercheur au centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal. Ses recherches portent principalement sur la décentralisation, le développement local et les questions de gouvernance. 81

Directeur du Centre français d’études éthiopiennes et chercheur au CNRS spécialisé dans la Corne de l’Afrique et l’Afrique de l’Est

95

alors élargir le questionnement en se demandant si l’appât du gain n’est pas le seul horizon

d’action des groupes de pirates. Si on prend en compte le développement d’une véritable

filière économique et l’enrichissement conséquent de certains groupes de pirates, ceux-ci

doivent davantage être considérés comme des groupes criminels que comme des groupes

rebelles et politisés.

2.3 Approche anthropo-sociologique du pirate somalien

Dès 2008, les experts ont brandi la menace d’une alliance entre pirates et groupes terroristes

islamistes. Une telle alliance serait une erreur de positionnement stratégique pour les pirates

qui prêteraient alors le flanc à une réponse occidentale bien plus forte qu’elle ne l’est déjà.

De plus, le mode de vie des pirates somaliens ainsi que leurs activités criminelles sont loin de

remporter l’adhésion des groupes radicaux : les milices musulmanes en Somalie ont ainsi

témoigné leur vive colère après le détournement du pétrolier Sirius Star qui battait pavillon

saoudien.

Les pirates proprement dits sont plus souvent des pêcheurs reconvertis ou simplement de

jeunes somaliens qui trouvent dans cette activité une opportunité intéressante. Souvent

drogués au qaat, ils ne savent parfois ni lire ni écrire et peuvent être dépourvus de

compétences maritimes ou linguistiques particulière. Comme on l’a vu dans les parties

précédentes, certains d’entre eux sont des pêcheurs poussés vers cette activité criminelle.

Mais un grand nombre vient de l’intérieur du pays ce qui explique que de nombreux pirates ne

sachent pas nager. Ce ne sont pas des professionnels et l’amateurisme reste la règle.

Les rythmes de vie – souvent dissolus – de ces pirates : drogue, alcool et prostitués… sont

donc loin des rigueurs exigées par les mouvements islamistes. De plus, l’afflux massif de

l’argent des rançons dans l’économie locale a également un impact socio-économique fort ; il

transforme les structures sociales dans la mesure où les « nouveaux riches » de la piraterie

font concurrence aux autorités et aux structures claniques et religieuses. Cependant pour les

populations locales les pirates sont moins considérés comme de dangereux criminels que

comme des personnes courageuses et admirées. En outre, la population somalienne adhère

généralement à la thématique de défense des intérêts nationaux dont se réclament souvent les

pirates.

96

III. Criminalité et piraterie : quelles externalités pour quelle population ?

Le « centre de gravité » clausewitzien de la piraterie est incontestablement à terre. Des

rumeurs de réseaux criminels somaliens jusqu’au Canada ont été évoqué à plusieurs reprises

mais demandent à être étayée. Pour autant, la piraterie s’organise autant qu’elle s’appuie sur

des réseaux criminels existants dont elle prolonge les activités. La piraterie dans le golfe

d’Aden intègre ainsi un éventail d’acteurs important pour mener ses activités ; la piraterie

devient alors une véritable activité entrepreneuriale valorisée sur les plans économiques et

sociaux.

Ces hypothèses encouragent à agir à terre, non plus au sein des repaires pirates mais plutôt

contre les pôles des réseaux : les capitales provinciales d’une part – Boosaaso – et dans les

grands ports des pays voisins d’autre part – Mombasa.

Le rapport présenté au Conseil de sécurité des Nations Unies en mars 2009 apporte aussi des

informations sur les lieux d’implantation des pirates. Il établit ainsi que « les principales

milices de pirates seraient issues des populations de pêcheurs établies sur les côtes

somaliennes, en particulier au nord-est et au centre, et [que] leur organisation transposerait les

structures sociales des clans somaliens. Il y a deux grands réseaux de piraterie en Somalie :

l’un au Puntland et l’autre dans la région de Mudug, dans le Sud. Selon certaines

informations, le principal groupe de pirates au Puntland serait basé dans le district d’Eyl,

tandis que des groupes plus petits opéreraient à partir de Boosaaso, Qandala, Caluula, Bargaal

et Garacad. »

Malheureusement, dans le cas somalien, le travail des organisations non gouvernementales –

qui seraient les plus à même d’agir au sein des pôles somaliens – est rendu très délicat par le

chaos qui règne dans le pays. La reconstruction d’un appareil judiciaire et policier légitime est

le préalable à toute prévention et gestion efficace de la menace pirate.

3.1 L’économie de la piraterie : rançons et redistributions

La piraterie en Somalie glisse peu à peu d’une activité essentiellement opportuniste exercée

par des pirates amateurs à une activité criminelle structurée par les clans et les sous-clans.

Bien qu’il ne s’agisse pas encore de crime organisé au sens plein, une véritable logique

commerciale s’est développée.

Les rançons représentent la majeure partie des revenus tirés de la piraterie. Elles sont

généralement versées en liquide par les armateurs, comptées à bord puis réparties entre les

97

différents ayants droits et participants à l’opération. Le partage de la rançon est normalisé et

s’effectue généralement dans les proportions suivantes : 50 % pour la main d’œuvre – les

hommes qui ont mené l’action ce qui peut représenter jusqu’à 80 hommes, 30 % pour le

commanditaire, 15 % pour l’interprète et les intermédiaires puis 5 % pour les familles des

pirates morts. Les rançons se comptent généralement en millions de dollars – par exemple, 20

millions de dollars pour la cargaison de chars du navire ukrainien Faina – et peuvent

également être transportées par canots rapides au Kenya où elles sont prises en charge par les

hawilad82

.

Les modes de répartition des rançons laisse apparaître plusieurs types d’acteurs – les pirates à

proprement parler exclus – liés à l’activité pirate. Les investisseurs commanditaires en

premier lieu sont ceux qui disposent de suffisamment d’argent pour organiser les attaques. Il

s’agit le plus souvent d’investisseurs occasionnels résidant en Somalie ; 10 000 à 20 000

dollars sont nécessaires pour préparer une campagne en mer. La somme permet de louer le

bateau et de se procurer les armes. Le commanditaire confie l’opération à un chef de bande et

veille également à ce qu’un représentant de son clan fasse partie de l’équipe. Pourtant, les

acteurs intermédiaires sont ceux qui vivent véritablement de la piraterie. Les interprètes83

sont

chargés des relations avec les otages et des négociations avec les armateurs alors que les

forces de sécurité gardent les otages et préservent l’ordre à terre près du mouillage84

.

Une des difficultés rencontrée par les pirates une fois l’attaque menée avec succès est

d’entretenir et de nourrir les otages. Une mini-économie alimentée par le montant croissant

des rançons est mis en place dans les zones de mouillage qui sont parfois proches des villages

côtiers. La piraterie devient créatrice d’emplois dans la mesure où les populations des côtes

font venir leurs parents et leurs amis du centre du pays pour les aider dans les activités

afférentes.

3.2 Agir à terre dans un contexte instable

Les interventions armées à terre au cœur des repaires des pirates ont été envisagées pendant

un temps. Cette mesure radicale a cependant été rapidement abandonnée dans la mesure où les

pirates vivent la plupart du temps au milieu des populations civiles ; dans le cadre d’une

intervention opérationnelle à terre, il serait presque impossible de distinguer le pirate du civil.

82

Groupes d’entraide sous contrôle clanique qui surveillent les transferts d’argent 83

Voir Moi, Osmane pirate somalien de Laurent Mérer pour un récit semi-fictif détaillant l’itinéraire d’un pirate 84

Cette répartition stricte des rôles est caractérisée par l’existence d’un code d’honneur et d’un système d’amendes pour faire respecter l’organisation de la vie sociale à bord du navire capturé.

98

L’identification des groupes est complexe car ils se mêlent à la population et se confondent

souvent avec des groupes de pêcheurs réguliers.

Par conséquent, la réponse terrestre à la piraterie doit s’articuler autour de deux axes : la

stabilisation de l’Etat somalien puis son renforcement d’une part et le renforcement des pôles

administratifs et politiques régionaux d’autre part.

L’aide mondiale à la Somalie s’élève à environ 200 millions d’euros par an ce qui n’est pas

considérable d’autant qu’il s’agit pour moitié d’aide alimentaire. Cette relative faiblesse du

montant de l’aide s’explique par le fait qu’en Somalie les notions d’intérêt général et de bien

public ne font pas partie de la culture de classes dirigeantes dominées par des logiques

claniques. La Somalie et surtout le Gouvernement Fédéral transitoire ne peuvent se passer de

l’aide internationale ; ces apports financiers sont un soutien pour les efforts du GFT visant à

restaurer un Etat de droit.

En second lieu, il faut reconnecter les villages côtiers où demeurent les pirates avec les pôles

administratifs et politiques les plus proches. Dans ce but, les aides économiques devraient être

accompagnées d’aménagements urbains et d’infrastructures ; ces aménagements doivent

servir aussi de bassins d’emplois pour les plus jeunes. En effet, excepté les chefs de gang, la

plupart des pirates n’embrassent la carrière que par défaut car l’activité reste dangereuse. En

Somalie, le contexte sécuritaire rend les opérations humanitaires dangereuses ; travailler

davantage avec la mission de l’Union Africaine et avec l’ONU peut être un moyen de pallier à

cette situation. L’établissement de forces de police locales et d’un système judiciaire

opérationnels doivent également être des priorités. Lors d’une réunion à Bruxelles en avril

2009, Hillary Clinton a souligné avec justesse la nécessité de s’attaquer aux flux financiers

générés par la piraterie.

Elle a à cette fin présenté la possibilité de placer un certains nombre de commanditaires sous

le régime des sanctions prévu par la résolution 1844 du Conseil de sécurité bien qu’il soit

établi que les pirates utilisent relativement peu les moyens financiers internationaux. Les flux

financiers issus de la piraterie sont difficiles à isoler puisque les rançons sont presque toujours

versées en liquide. Seul un renforcement des services de renseignement financier peut

permettre d’identifier les circuits financiers utilisés, de comprendre le système bancaire

somalien formel et informel ainsi que les liens avec les pays voisins.

99

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Avertissement : la bibliographie ci-dessous regroupe des articles de presse générale

concernant la piraterie dans l’Océan Indien. Elle n’a aucune vocation d’exhaustivité mais

présente un panel d’articles utilisés et cités au cours du mémoire.

AFP, « Le superpétrolier a jeté l’ancre dans un port somalien », Le Monde, 18 novembre 2008

AFP, « Piraterie : le Japon va étudier l’envoi d’une flotte de protection au large de la

Somalie », Les Echos, 19 novembre 2008

AFP, « Piratage : demande de rançon pour le superpétrolier saoudien », Dépêche AFP 19

novembre 2008

BBC News, « Somali pirates seize French yacht », BBC News, 4 avril 2008

FLECTCHER Martin, « Pirates will free Britons for $2m expenses », The Times, 24 février

2010

103

Les Echos, « Les actes de piraterie au large de la Somalie devenus incontrôlables », Les

Echos, 19 novembre 2008

Reuters, « Les pirates somaliens continuent leurs attaques », Le Monde, 19 novembre 2008

ZECCHINI Laurent, « Face aux attaques de pirates, la mobilisation navale internationale

montre ses limites », Le Monde, 19 novembre 2008

5. Ressources numériques

CONSILIUM, Eunavfor Somalia, www.consilium.europa.eu . Site du Conseil de l’Union

Européenne consacré à l’EUNAVFOR en Somalie

EchoGeo, Entretien entre l’Amiral Laurent Mérer et Eric Frécon au sujet de l’ouvrage « Moi,

Osmane, pirate somalien », 2009 : http://echogeo.revues.org/11419

FRECON Eric, Le retour des pirates. La piraterie maritime au large de l’Indonésie et de la

Somalie, La vie des idées, 4 septembre 2009

GROS-VERHEYDE Nicolas, Bruxelles 2, www.bruxelles2.eu . Site consacré à la politique

étrangère de l’UE et à l’Europe de la Défense

MERCHET Jean-Dominique, Blog Secret Défense, Libération :

http://secretdefense.blogs.liberation.fr

104

Table des matières

INTRODUCTION 1

PARTIE 1 : LE RETOUR DES PIRATES, MISE EN PERSPECTIVE DU « NOUVEAU »

PHÉNOMÈNE DE PIRATERIE MARITIME 3

I. DES PIRATES GRECS AUX DAMNÉS DE LA MER SOMALIENS : FILIATION OU NOUVEAU

PHÉNOMÈNE ? 4

1.1 UNE HISTOIRE MILLÉNAIRE : LES VAGUES DE PIRATERIE DEPUIS L’ANTIQUITÉ 5

i. La piraterie dans l’Antiquité 5

ii. La découverte des Amériques et l’âge d’or de la flibuste 13

1.2 LE CHOIX DES ARMES : LA LUTTE CONTRE LA PIRATERIE 19

i. Les modèles grecs et romains de répression de la piraterie 19

ii. La chasse aux pirates à l’époque moderne : procès et exécutions 22

II. LA CORNE DE L’AFRIQUE ENTRE TRADITION MARITIME ET PIRATERIE 26

2.1 LES ORIGINES DU PATRIMOINE MARITIME SOMALIEN 27

2.2 LE RÔLE DES EMPIRES DANS LA RÉGION 28

PARTIE 2 : LA PIRATERIE AU XXI° SIÈCLE DANS LE GOLFE D’ADEN 31

I. UNE RÉSURGENCE PLURICAUSALE DU PHÉNOMÈNE 33

1.1 PASSER LA PORTE DES LAMENTATIONS ET NAVIGUER DANS LE GOLFE D’ADEN : LA DONNE

GÉOGRAPHIQUE EN SOMALIE 34

1.2 DE LA PÊCHE À LA PIRATERIE 36

1.3 LA PIRATERIE, AVATAR DE LA MONDIALISATION : ARMES ET « PROGRÈS » DE LA NAVIGATION 37

II. DES CONSÉQUENCES INDÉNIABLES 40

2.1 QUEL IMPACT ÉCONOMIQUE ET FINANCIER ? 41

2.2 DES RISQUES NON NÉGLIGEABLES : INSTABILITÉ DES APPROVISIONNEMENTS ET RISQUES

ENVIRONNEMENTAUX ? 45

III. LES RÉPONSES OPÉRATIONNELLES : UN EMPLÂTRE SUR UNE JAMBE DE BOIS ? 47

3.1 « LES NOUVEAUX FLIBUSTIERS » : ACTEURS ET PRATIQUES 48

3.2 LES DISPOSITIFS MARITIMES ET OPÉRATIONNELS MIS EN PLACE 51

i. La France et la lutte contre la piraterie 51

ii. Coopération internationale de l’OTAN à l’opération Atalante 54

3.3 LIMITES DES RÉPONSES OPÉRATIONNELLES À LA PIRATERIE 59

IV. L’OCÉAN INDIEN : NOUVEAU THÉÂTRE DES RAPPORTS DE FORCE ENTRE ETATS 61

4.1 L’AFFLUX DE PAVILLONS NATIONAUX ET L’EXTENSION DES ZONES D’INFLUENCE 61

4.2 LE JEU PIRATE : LES ENJEUX D’INFLUENCE DANS L’OCÉAN INDIEN 62

i. Une lutte informelle pour le contrôle des voies maritimes 62

ii. L’influence des thèses de Mahan 64

iii. Les intérêts « marketing » de la piraterie 65

PARTIE 3 : LES ENJEUX JURIDIQUES DE LA PIRATERIE MARITIME CONTEMPORAINE 68

105

I. LA PIRATERIE MARITIME EN DROIT INTERNATIONAL 68

1.1 LA DÉFINITION DES NATIONS UNIES : LE CHAPITRE VII DE LA CHARTE 68

1.2 LA CONVENTION DE MONTEGO BAY 69

1.3 LA CONVENTION DE ROME DE 1988 72

1.4 DES MESURES MULTILATÉRALES : LES ACCORDS DE COOPÉRATION RÉGIONALE 73

II. LE DROIT FRANÇAIS ET LA LUTTE CONTRE LA PIRATERIE 74

2.1 LES INCRIMINATIONS DE PIRATERIE EN DROIT COMMUN FRANÇAIS 74

2.2 UN TRIBUNAL COMPÉTENT POUR JUGER LES PIRATES 75

2.3 LES PROCÉDURES APPLICABLES 76

III. IMPASSES JURIDIQUES ET AVANCÉES NÉCESSAIRES À UNE LUTTE JUDICIAIRE EFFICACE 77

3.1 BLOCAGES ET LIMITES JURIDIQUES DE LA LUTTE CONTRE LA PIRATERIE 78

i. Les problèmes posés par la convention UNCLOS 78

ii. Quels obstacles juridiques à un traitement judiciaire efficace de la piraterie en France ? 79

3.2 LES AVANCÉES JURIDIQUES NÉCESSAIRES DANS LA LUTTE CONTRE LA PIRATERIE 80

i. Renforcer les capacités juridiques des Etats de la région 80

ii. La mise à jour du droit français 81

PARTIE 4 : LA PIRATERIE À TERRE 85

I. LA SOMALIE DEPUIS 1991 : DE L’ETAT FAILLI AUX TRIBUNAUX ISLAMIQUES 86

1.1 LES INTERVENTIONS OCCIDENTALES ET LA MISE EN PLACE D’UN FÉDÉRALISME DE TRANSITION 86

1.2 LA MONTÉE DES TRIBUNAUX ISLAMIQUES ET LA PIRATERIE 87

i. L’arrivée au pouvoir de l’Union des Tribunaux Islamiques 87

ii. Approche institutionnaliste et reconstruction de l’Etat somalien 89

II. LES COMPOSANTES CLANIQUES EN SOMALIE : ESSAI D’ANTHROPOLOGIE ET DE SOCIOLOGIE

DES PIRATES SOMALIENS 91

2.1 LE MODÈLE CULTUREL ET L’ORGANISATION DE LA SOCIÉTÉ SOMALIENNE 92

2.2 LA PIRATERIE COMME CRIMINALISATION DU POLITIQUE 94

2.3 APPROCHE ANTHROPO-SOCIOLOGIQUE DU PIRATE SOMALIEN 95

III. CRIMINALITÉ ET PIRATERIE : QUELLES EXTERNALITÉS POUR QUELLE POPULATION ? 96

3.1 L’ÉCONOMIE DE LA PIRATERIE : RANÇONS ET REDISTRIBUTIONS 96

3.2 AGIR À TERRE DANS UN CONTEXTE INSTABLE 97

BIBLIOGRAPHIE 99

L’OCEAN INDIEN, NOUVEL AXE GEOSTRATEGIQUE : LES ENJEUX DE LA

PIRATERIE MARITIME AU LARGE DE LA CORNE DE L’AFRIQUE

a piraterie maritime est incontestablement un phénomène complexe qui doit être

abordée sous toutes ses dimensions pour être compris. Son historiographie est

intéressante : tantôt combattue par les autorités terrestres et instrumentalisée, elle

revient sans cesse par vagues dès lors que le contexte économique, politique et géographique

s’y prête.

La menace pirate a ressurgi avec force au cours des années 1990 dans la région du détroit de

Malacca ; combattue par les Etats riverains elle est battue en brèche avec une relative

efficacité. Pourtant, l’hydre pirate ressurgi au début des années 2000 au large d’une région

sinistrée sur les plans économique, politique et humain. Les pirates somaliens – utilisant à

raison leurs connaissances du terrain et privilégiant l’asymétrie à l’affrontement direct – vont

faire peser une menace réelle sur les nombreux navires transitant par le détroit de Bāb al-

Mandab. Dès l’année 2008, certaines prises médiatiques font connaître le problème aux

opinions occidentales.

Ce mémoire se présente avant tout comme un ouvrage de déconstruction et d’observation du

phénomène. La compréhension de la piraterie est privilégiée à sa répression même si un état

est fait des réponses possibles à la menace. Il se propose d’apporter une vision aussi large et

juste que possible de la piraterie en Somalie.

La piraterie en général et au large de la Corne de l’Afrique en particulier est avant tout un

problème terrestre avant d’être une menace maritime ; le contexte instable en Somalie,

l’organisation clanique de la société ainsi que la valorisation de la figure du guerrier et par

extension du pirate sont des causes tout aussi importantes que les opportunités de gains

transitant par le détroit.

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Sécurité maritime, piraterie terrestre, société clanique somalienne, conflits asymétriques,

hydre-pirate et Corne de l’Afrique