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i
Faculté des sciences sociales et politiques Département de science politique
L’impact des opportunités de financements européens sur le secteur associatif.
Le cas des associations de jeunesse à Wroclaw
Présenté par Charlotte MARTIN
sous la direction du Professeur Ramona COMAN
Assesseur : Amandine CRESPY
En vue de l’obtention du grade de Master en Sciences Politiques, finalité Politique et société en Europe centrale,
Russie, Caucase
Année académique 2012-2013
ii
Remerciements
Avant toute chose, j’aimerais remercier toutes les personnes qui ont participé de loin
ou de près à l’élaboration de ce travail. Je tiens d’abord à remercier mon directeur de mémoire, le professeur Ramona Coman,
qui aura su guider ma recherche et se montrer disponible, à l’écoute et de bon conseil malgré mes innombrables requêtes. Toute ma gratitude va aussi à Cédric Pellen, pour ses remarques critiques et ses suggestions qui m’auront permis d’avancer dans cette entreprise complexe qu’est la rédaction d’un mémoire. Leur encadrement pédagogique m’aura été précieux tout au long de ce travail.
Je remercie également les représentants des associations Semper Avanti et Angelus
Silesius et de la Fondation Krzyzowa pour le temps qu’ils m’ont accordé, mais aussi pour leur confiance. Mes remerciements vont aussi à Anna Paczesniak et Ida Orchewska de l’Université de Wroclaw pour leurs contacts au début des entretiens.
Merci enfin à toutes les personnes qui auront su m’écouter, me conseiller et me soutenir lors de cette période stressante : Anny, Coco, France, Géraldine, Mr K., …
iii
Résumé
Face au caractère contraignant des critères conditionnant l’accès aux financements
communautaires depuis 1999 suite à la crise de la Commission Santer, ce travail a pour but
d’interroger les effets des programmes européens de financement sur les acteurs associatifs
qui en bénéficient dans la société polonaise dite « post-communiste ». Nous nous sommes
ainsi posé la question de savoir dans quelle mesure les conditions d’octroi des fonds
européens entraînent la professionnalisation des acteurs associatifs polonais qui en
bénéficient.
La recherche menée ici tente de démontrer que les opportunités de financements
européens entraînent une professionnalisation du monde associatif polonais de par les
modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds communautaires. Pour ce faire, l’étude
se base sur l’analyse de trois organisations de jeunesse à Wroclaw et ce, à travers une
catégorisation de deux indicateurs de la professionnalisation : une technicisation des
méthodes de gestion des projets d’une part, et une sélectivité accrue des critères de
recrutement d’autre part.
Les observations recueillies dans le cadre d’entretiens avec les représentants de ces
trois organisations démontrent que les modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds
communautaires influent davantage sur les pratiques des acteurs que sur les logiques présidant
à leur entrée au sein des organisations. Après les avoir mises en perspective, nous avons en
effet montré que l’acquisition des compétences techniques requises au sein des organisations
étudiées pour répondre aux exigences européennes ne résulte que partiellement des
dispositions, parcours et propriétés sociales des acteurs qui y travaillent.
Ce faisant, nous en avons conclu que le processus de professionnalisation comme
résultat des conditions d’octroi des financements européens opère davantage au sein même
des organisations, par le biais de la gestion des projets, qu’en amont de ces dernières, comme
le laissaient supposer jusqu’ici les travaux sur la question. Nous avons ainsi montré l’intérêt
de porter une attention particulière aux processus d’apprentissage internes à l’organisation
assurés par le groupe de pairs pour saisir les modalités par lesquelles les acteurs parviennent à
maîtriser ces nouvelles techniques de gestion.
iv
Table des Matières Introduction ........................................................................................................ 1
I. Le secteur associatif en Pologne ............................................................. 8
1. LA NOTION DE SECTEUR ASSOCIATIF .............................................................. 8
2. LE SECTEUR ASSOCIATIF POLONAIS : SON HISTOIRE, SES
SPECIFICITES ......................................................................................................... 11
2.1. Le secteur associatif polonais en chiffres ............................................................ 12
2.2. De l’association civique à la gestion du social postcommuniste ........................ 15
2.3. La dépendance aux donateurs étrangers .............................................................. 17
II. La professionnalisation comme angle d’approche du secteur associatif polonais ......................................................................................... 21
1. QU’EST-CE QUE LA PROFESSIONNALISATION? ............................................ 21
1.1. Les origines wébériennes d’un concept .............................................................. 22
1.2. Une professionnalisation sans profession ? ......................................................... 24
2. SAISIR LE PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION DANS LE CADRE
DES FINANCEMENTS COMMUNAUTAIRES .................................................... 27
2.1. Des pratiques, des savoir-faire et des savoir-être transformés ............................ 29
2.2. De nouveaux critères de recrutement .................................................................. 33
III. Méthodologie .......................................................................................... 38
1. STRATEGIE DE RECHERCHE .............................................................................. 38
2. PRESENTATION DU TERRAIN ............................................................................ 39
3. LE DEROULEMENT DE L’ENQUETE QUALITATIVE ...................................... 43
IV. Les fonds européens, quel effet professionnalisant ? ......................... 47
1. LOGIQUES DE RECRUTEMENT DES ACTEURS ASSOCIATIFS .................... 47
2. TECHNICISATION DES PRATIQUES ASSOCIATIVES ..................................... 53
5
2.1. L’expertise comme mode d’investissement des pratiques associatives .............. 54
2.2. La diffusion de la pratique du partenariat et « l’ouverture internationale » ........ 60
3. MODES D’ACQUISITION DES SAVOIRS ........................................................... 66
3.1. La formation des acteurs par les programmes de financement comme
« facilitateur » ...................................................................................................... 66
3.2. L’apprentissage informel : les collègues, les partenaires, les mentors ................ 68
Conclusion ......................................................................................................... 72
Bibliographie ..................................................................................................... 77
Annexes – Entretiens ........................................................................................ 84
1
Introduction
Joining the EU was definitely a turning point for the Third sector in Poland. It changed the situation a lot. Even though we were already benefiting from European funds before entering the EU, it’s good to remember that there is a difference between the very first EU funds and the one we are applying for nowadays. It was easier at the beginning, also in the youth field. The financial rules were more relaxed. But then, they got more and more complicated and we sometimes put more efforts in the administrative part of the work, which makes no sense1.
Cet extrait d’entretien avec un responsable associatif polonais illustre le tournant décisif
qu’a pu constituer l’intégration à l’Union européenne (UE) pour le secteur associatif polonais,
d’autant plus que celui-ci n’était qu’au début de sa recomposition lorsque le pays a commencé
son chemin vers l’adhésion. Plus généralement, ces propos illustrent également l’évolution de
la politique européenne envers les organisations du secteur associatif. Dans le cadre du
processus de réforme initié par le président de la Commission européenne Romano Prodi en
1999 suite à la crise de la Commission Santer, une série de nouveaux critères conditionnant
l’accès aux financements communautaires est imposée aux acteurs associatifs. A titre
d’exemple, on peut retenir l’importance de la qualité du personnel de l’association, la
rentabilité du projet, l’approche de gestion du cycle du projet, l’évaluation, la transparence ou
encore l’audit budgétaire.
Par le caractère contraignant des critères sur lesquels elles reposent, les conditions
générales d’accès aux financements européens invitent à interroger les effets de l’intégration
européenne sur les acteurs associatifs qui en bénéficient dans la société polonaise dite « post-
communiste ». Différents travaux menés depuis le début des années 2000 contribuent à la
compréhension de l’impact des opportunités de financements européens sur leurs
bénéficiaires2. Ces études considèrent, de manière générale, que la spécificité des exigences
européennes entraîne une professionnalisation de ces derniers3.
Dans le cadre de cette recherche, la « professionnalisation des acteurs associatifs »
sera entendue à travers une double acceptation. Nous suivons d’abord Sabine Saurugger et
1 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, Wroclaw, p.50 2 Par « opportunités de financements européens », il faut comprendre le soutien financier apporté par la Commission européenne à un ensemble d’organisations établies dans les Etats membres. Ces financements permettent à leurs bénéficiaires de mettre en œuvre des projets ou des activités en rapport avec des politiques de l’UE dans différents domaines (recherche, éducation, santé, aide humanitaire, protection des consommateurs ou de l’environnement, etc.). 3 SANCHEZ-SALGADO, R., « NGO Structural Adaptation to Funding Requirements and Prospects for Democracy : The Case of the European Union », Global Society, vol.24, n°4, 2010, p.512
2
Wolf Eberwein dans leur définition minimale de la professionnalisation comme « le processus
par lequel l’objectif normatif [de l’organisation] est complété par les connaissances et
compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des activités menées
par cette dernière4 ». Nous avons choisi cette définition car elle illustre bien une des premières
composantes du processus qu’est la spécialisation des pratiques associatives, opposée à
l’amateurisme5 auquel elles sont souvent associées. A cette première définition, nous ajoutons
néanmoins un indicateur supplémentaire dont l’importance est soulignée dans les travaux de
Matthieu Hély6. En plus de l’émergence de savoirs et savoir-faire spécialisés dont les acteurs
sont amenés à faire un apprentissage contrôlé, le processus de professionnalisation du secteur
désigne également, selon lui, son émergence comme nouvelle filière d’emploi pour laquelle
un certain nombre d’acteurs vont être amenés à consacrer une part substantielle de leur temps
et de laquelle ils vont tirer l’essentiel de leurs revenus financiers.
Comme le souligne Rosa Sanchez-Salgado7, les recherches menées depuis le début des
années 2000 sur les effets structurants des fonds européens en termes de professionnalisation
ont davantage vocation à étudier l’impact d’un tel processus sur le potentiel démocratique de
leurs bénéficiaires – en termes de participation au processus d’élaboration des politiques
publiques8 ou à leur mise en œuvre 9 – que les recompositions organisationnelles internes qui
en résultent. Ces travaux tendent par ailleurs à limiter leur champ d’étude aux mouvements
sociaux et groupes d’intérêt évoluant dans l’arène européenne uniquement10.
Les objectifs qui motivent notre étude relèvent plutôt d’une échelle différente. Au lieu
de considérer les organisations de la société civile au niveau européen comme acteur social
clé, l’analyse se penche sur les organisations du secteur associatif au niveau national11 en vue
4 EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., « Professionalization and Participation : NGOs and Global Participatory Democracy ? A Research Agenda », Paper presented at the IPSA Biannual Congress, Santiago, July 2009, pp.2-3 5 Par amateurisme, nous faisons ici référence à l’ignorance ou à l’empirisme de celui qui pratique une activité de manière occasionnelle et sans préoccupation d’efficacité ou de rendement. 6 HELY, M., Les métamorphoses du monde associatif, Paris, PUF, 2009, p.69 7 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.512 8 SMISMANS, S. (ed.), Civil Society and Legitimate European Governance, Cheltenham, Edward Elgar, 2006 ; KOHLER-KOCH, B. FINKE, B., « The Institutional Shaping of EU-Society Relations: A contribution to Democracy via Participation? », Journal of Civil Society Studies, 2007, pp.205-221. 9 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.509 10 MICHEL, H. (dir.), Lobbyistes et lobbying de l’Union européenne. Trajectoires, formations et pratiques des représentants d’intérêts, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2006 ; SAURUGGER, S., « The Professionalization of Interest Representation : A Legitimacy Problem for Civil Society in the EU ? », in SMISMANS, S. (ed.), op. cit., pp.260-276 ; MCCARTHY, J., ZALD, M. (dir.), Social Movements in an Organizational Society. Collected Essays, New Brunswick, Transaction Publishers, 1987 11 Les organisations opérant au niveau national se distinguent des réseaux européens et autres euro-groupes de par la nature de leurs activités qui se rapprochent davantage des prestations de service que des campagnes de sensibilisation et d’« advocacy ».
3
de questionner les potentiels liens entre leur professionnalisation et les financements
communautaires. En employant le terme de « secteur associatif », nous renverrons aux formes
légales des associations et des fondations, excluant de ce fait de notre champ d’analyse les
syndicats, les organisations professionnelles, les partis politiques ou les organismes
confessionnels. Les raisons de ce choix seront exposées plus en détail dans la suite de ce
travail.
Nous aimerions toutefois préciser dès à présent qu’en employant le terme de « secteur
associatif », cette recherche tend à se démarquer des approches en termes de « société civile »,
devenu l’outil d’analyse privilégié dans les études sur le post-communisme pour désigner les
initiatives collectives qui ne relèvent pas de l’Etat et ainsi témoigner du « retour réussi aux
règles de la démocratie12 ». Si ces approches ne sont pas forcément inintéressantes en soi,
elles tendent à laisser dans l’inanalysé les logiques organisationnelles de transformation des
organisations en se concentrant sur leur rôle de contrepouvoir. Aussi, en choisissant le secteur
associatif comme angle d’approche de l’impact des opportunités de financements européens,
nous avons la volonté de saisir la dynamique des changements à l’œuvre en termes
organisationnels – sur les modes de fonctionnement interne, les profils et les pratiques
concrètes des acteurs étudiés – et non en termes démocratiques – sur leur capacité de
participation aux processus décisionnels.
Aussi, l’interrogation principale à laquelle nous nous efforcerons de fournir des
éléments de réponse dans le cadre de cette recherche est la suivante : « Dans quelle mesure
les opportunités de financement européen conduisent-elles à la professionnalisation du
secteur associatif polonais ? ». En d’autres termes, ce mémoire questionnera l’impact des
contraintes liées aux conditions générales de financements européens sur les modalités de
recrutement des travailleurs associatifs polonais, et donc sur leur profil et la nature de leurs
compétences, ainsi que sur leurs méthodes concrètes de travail et leurs techniques de gestion
des projets.
En s’appuyant sur la littérature existante, sur laquelle nous reviendrons ultérieurement,
nous avançons l’hypothèse générale que les opportunités de financement européen entraînent
une professionnalisation du monde associatif polonais de par les modalités pratiques
d’obtention et de gestion des fonds communautaires. Nous pensons que l’accès aux
12 DEVAUX, S., Engagements associatifs et postcommunisme. Le cas de la République tchèque, Paris, Belin, 2005, p.11
4
financements communautaires constitue un « vecteur »13 de professionnalisation pour leurs
bénéficiaires en diffusant les connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître
l’efficacité et la performance des activités menées par les organisations bénéficiaires. De cette hypothèse générale découlent deux autres hypothèses qui sous-tendront
également notre analyse. D’une part, concernant le profil des travailleurs associatifs, l’accès
aux financements européens entraîne une sélectivité accrue des critères de recrutement par
l’emploi de spécialistes détenant des savoirs dans un domaine déterminé et utiles au
fonctionnement de l’organisation. D’autre part, concernant leurs méthodes de travail, la
conformité aux critères d’octroi des fonds communautaires se traduit par une technicisation14
des pratiques associatives.
Le choix de ces hypothèses ne relève pas du hasard : il reflète les conclusions de la
majorité des recherches réalisées sur la professionnalisation comme résultat des financements
communautaires qui désignent les critères d’octroi des fonds européens comme le facteur
déterminant de la structure organisationnelle et sociale des organisations bénéficiaires15.
L’intérêt même de cette étude réside donc dans la question de savoir, si oui ou non, ces
hypothèses largement partagées s’appliquent au cas de la République de Pologne.
La démarche adoptée dans cette étude prend donc la forme d’une approche déductive,
partant d’un modèle général et explicatif pour aboutir au cas particulier. En effet, l’idée n’est
pas ici de se servir d’une étude de cas – la République de Pologne – pour dégager des
régularités variables en d’autres lieux mais bien d’appliquer un modèle à un cas concret.
Autrement dit, le cas de la Pologne est analysé à travers une catégorisation d’indicateurs de la
professionnalisation, indicateurs qui représentent une généralisation et une conceptualisation
de l’état de l’art sur la question de l’impact des opportunités de financements européens.
Pour vérifier ces hypothèses, nous avons choisi de réaliser une enquête empirique
qualitative par entretiens portant sur le secteur associatif polonais, un des plus importants pays
13 Par « vecteur », il faut comprendre tout ce qui sert à véhiculer un message ou des informations. Dans le cadre de cette étude, le terme « vecteur » renvoie au fait de diffuser les connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des activités menées par les organisations bénéficiaires. 14 Le terme « technicisation » est ici entendu comme un processus désignant l’ensemble de pratiques visant à faire en sorte qu’une problématique soit appréhendée moins comme une question de société que comme une question technique, c’est-à-dire nécessitant des grilles de lecture et la mobilisation de ressources alternatives ou différentes de celles que nécessiterait l’approche habituellement mobilisée. 15 EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., pp.1-26 ; SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, pp.507-527 ; WEISBEIN, J., « La Fédération française des maisons de l’Europe (1960-2000). La trajectoire d’un militantisme européen de terrain », in ALDRIN P., DAKOWSKA D. (dir.), « Promouvoir l’Europe en actes. Une analyse des petits entrepreneurs de la cause européenne », politique européenne, n°34, 2011, pp.37-62.
5
bénéficiaires des fonds européens de la région depuis la « chute » du régime communiste16.
Face à la diversité des organisations et à l’impossibilité matérielle de réaliser un travail
empirique de qualité sur l’ensemble du territoire, notre analyse portera sur trois organisations
actives dans le domaine de la jeunesse et ayant leur siège dans la région de Wroclaw. Le
choix du type d’organisations que nous avons étudiées se justifie de la manière suivante : pour
neutraliser autant que possible les interférences liées à une diversité des sources européennes
de financements, et donc des exigences auxquelles les bénéficiaires doivent se conformer17,
nous avons retenu des organisations bénéficiant toutes du même type de financement : le
programme d’initiative communautaire Jeunesse en action qui a financé, de 2000 à 2006 puis
de 2007 à 2013, des projets pour la promotion de la coopération européenne dans le domaine
de la jeunesse18. C’est en ce sens que Wroclaw se révèle être un cas d’étude pertinent et
représentatif. Quatrième ville de Pologne par sa population (633 000 habitants) et troisième
ville étudiante du pays, la capitale de la voïvodie de Basse-Silésie compte en effet aujourd’hui
certains des plus gros bénéficiaires de fonds européens dans le cadre du programme Jeunesse
en Action dans la région19.
Plus précisément, notre analyse du secteur associatif de Wroclaw a porté sur les trois
organisations suivantes : l’association Dom spotkan im. Angelusa Silesiusa20 et l’association
Semper Avanti21, d’une part, et la Fondation Krzyzowa dla Porozumenia Europejskiego22
(Fondation « chemin de croix » pour la compréhension mutuelle en Europe) d’autre part.
Celles-ci ont pour objectif affiché d’aider au développement personnel et professionnel des
jeunes. Elles visent notamment à les familiariser avec les divers moyens et outils pouvant leur
permettre de s’épanouir sur le plan scolaire, culturel mais aussi parfois politique. Ces trois
16 La Pologne perçut en effet plus de la moitié des fonds structurels (13,8 milliards d’€ sur un total de 20 milliards) alloués aux dix nouveaux Etats membres pour la période 2004-2006. Pour plus de détails, voir AÏSSAOUI, H., « L'élargissement européen au prisme des fonds structurels : vers une européanisation de la gestion publique du territoire en Pologne ? », Politique européenne, n° 15, 2005/1, pp. 61-84. 17 Il s’agit en effet de faire la distinction entre les fonds directement administrés par la Commission européenne, dont les programmes communautaires tels que Jeunesse en Action font partie, et les fonds redistribués par les autorités nationales et régionales, tels que le Fonds européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE), aussi appelés « fonds structurels » ou « fonds de cohésion ». Dans ce dernier cas, les exigences européennes ne viennent pas directement du niveau européen mais sont relayées par les Etats membres. 18 Un tel programme s’adresse aussi à d’autres types d’acteurs comme les collectivités territoriales, les entités parapubliques, les organismes de formation et les entreprises. Mais l’usage des fonds européens fait par ces derniers n’entre pas dans le cadre de cette analyse dont le champ d’étude se limite aux organisations du secteur associatif. 19 D’après le site Internet http://eacea.ec.europa.eu/youth/results_compendia/results_en.php (page consultée le 25 juin 2013) 20 http://www.silesius.org.pl/ 21 http://semperavanti.org/ 22 http://www.krzyzowa.org.pl/
6
organisations bénéficiant toutes des fonds européens dans le cadre du programme Jeunesse en
Action depuis le début des années 200023, elles paraissaient constituer des observatoires
privilégiés des potentiels liens entre la professionnalisation des acteurs associatifs et les
financements communautaires, en permettant de neutraliser autant que possible les
interférences liées à un degré d’ancienneté différent de leur statut de bénéficiaire.
Pour analyser l’impact des opportunités de financement sur la transformation des
organisations du secteur associatif, quatre étapes jalonneront ce mémoire. La première
s’attachera à replacer notre recherche dans la littérature scientifique sur le secteur associatif
en Pologne. Il s’agira de présenter les questionnements qui ont traversé la littérature sur le
sujet et d’inscrire ainsi notre étude dans un cadre scientifique particulier. La seconde
présentera le cadre théorique dans lequel s’inscrit la problématique au centre de ce travail en
référence aux opportunités de financement découlant de l’intégration européenne et permettra
ainsi de préciser l’objet de la recherche. Dix ans après l’adhésion à l’Union européenne, de
telles opportunités de financement sont à prendre en compte dans l’étude du secteur associatif.
Les méthodes de gestion des projets que ces dernières imposent de manière plus ou moins
implicite nous serviront de grille de lecture. Il s’agira donc d’identifier des indicateurs
permettant de caractériser objectivement la professionnalisation d’une association face au
système de financement européen.
Dans un troisième temps, nous décrirons la méthodologie utilisée pour mener à bien la
réalisation de la recherche. Y seront explicités les méthodes de recueil d’informations, le
choix des acteurs ainsi que les limites associées à la recherche. Finalement, le quatrième et
dernier chapitre tentera de mettre en avant les effets de l’usage des fonds européens sur les
acteurs associatifs polonais au niveau local. Il retracera le processus de leur
professionnalisation sous deux dimensions : la structure sociographique des groupes d’une
part, et l’investissement par les acteurs associatifs de nouvelles pratiques d’autre part.
L’objectif sera alors d’identifier les éléments majeurs des opportunités de financements
européens ayant exercé une influence sur l’état de professionnalisation du secteur associatif
polonais. En d’autres termes, cette dernière partie tendra à mettre en évidence, à la lumière de
la catégorisation fournie dans le deuxième chapitre du mémoire, le degré d’influence des
critères de financements européens sur les pratiques adoptées par l’objet d’étude principal –
les associations de jeunesse à Wroclaw – afin d’infirmer ou confirmer l’hypothèse : les
opportunités de financement européen conduisent à la professionnalisation du secteur
23 Pour la période 2000-2006, le programme européen dans le domaine de la jeunesse portait le nom de « Programme Jeunesse ».
7
associatif polonais post-communiste de par les modalités pratiques d’obtention et de gestion
des fonds communautaires.
8
I. Le secteur associatif en Pologne
L’existence d’un secteur associatif en Pologne est antérieure à la chute du régime
communiste et ne procède nullement d’une création ex nihilo. Ce qui a changé, cependant,
c’est son ampleur et sa nature. Ainsi, avant même d’aborder l’enjeu crucial des effets de
l’impact des financements européens sur le secteur associatif polonais, nous commencerons
par préciser le sens qui lui sera conféré ici. Nous nous pencherons ensuite sur l’évolution du
rôle et de la place du secteur associatif sur la scène polonaise. En regard de sa recomposition
depuis la « chute » du régime communiste, nous essayerons de confronter la manière dont la
trajectoire du secteur associatif polonais fut communément appréhendée dans la littérature
dans les vingt dernières années. Une fois que nous aurons retracé l’évolution de la littérature
portant sur ce dernier, nous pourrons ainsi préciser l’approche théorique et méthodologique
qui sera la nôtre.
1. LA NOTION DE SECTEUR ASSOCIATIF
Le secteur associatif dans le contexte post-communiste a été essentiellement étudié
dans le cadre de la littérature sur la société civile. Dès les premières années de la transition
démocratique, ce concept devient l’outil d’analyse privilégié pour désigner les initiatives
collectives qui ne relèvent pas de l’Etat et ainsi mesurer la « réussite » de la démocratie24. En
Pologne, comme dans toute la région, la notion de société civile s’est ainsi imposée en tant
que critère d’appréciation de la démocratisation25.
A travers toutes ces études, l’idée essentielle est que la consolidation démocratique ne
peut se faire sans une société civile active constituée en contre-pouvoir fort26. Plutôt que de
prendre les organisations qui la composent et leurs modes de fonctionnement interne comme
objet d’étude, ces travaux questionnent avant tout l’existence d’une société civile libérale, au
sens d’un contrepouvoir indépendant entre l’Etat et le marché27. Aussi, la question que ces
approches en termes de société civile tendent à poser en conclusion de leurs analyses des
24 BERNHARD, M., “Civil society and democratic transition in East Central Europe”, Political science quaterly, vol.108, n°2, 1993, pp.307-326 ; MOLNAR, M., La Démocratie se lève à l’Est. Société civile et communiste en Europe de l’Est : Pologne et Hongrie, Paris, PUF, 1990 25 DEVAUX, S., op. cit., p.12 26 LEFEBVRE, S., « Les changements dans les Etats communistes : l’importance de la société civile », Revue française de science politique, vol.40, n°4, 1990, pp.607-622 27 DI PALMA, G., “Legitimation from the top to civil society: politico-cultural change in Eastern Europe”, World Politics, vol.44, n°44, 1991, pp.49-80
9
nouvelles tendances à l’œuvre dans le secteur demeure immanquablement celle de leurs effets
sur la consolidation démocratique du pays étudié.
Face à la croissance numérique des associations et des fondations dans les années
1990, les auteurs font reposer leurs travaux sur une approche quantitative pour étudier ce qui
est souvent décrit comme « le réveil des sociétés civiles28 ». Mais cet enthousiasme est vite
retombé passé la période d’émerveillement de la fin des régimes communistes et du début de
la période de transition. Et c’est une lecture quelque peu « désenchantée29 » qui semble avoir
dominé la littérature par la suite. Les chiffres révélant un manque d’activisme et d’implication
citoyenne dans les pays de la région, les auteurs questionnent alors les différents facteurs
susceptibles d’influencer ce qu’ils appellent « la faiblesse » de la société civile et mettent en
perspective les statistiques de la région avec ce qui peut se passer dans les démocraties
occidentales, avec l’idée d’un « rattrapage » des pays de l’Est par rapport à l’Europe
occidentale30.
Si elles ne sont pas inintéressantes en soi, ces démarches ne permettent pas
d’appréhender les acteurs eux-mêmes, leur mode de fonctionnement interne, leurs objectifs,
les moyens humains et financiers qu’ils mobilisent pour les atteindre et les difficultés
auxquelles ils sont confrontés. Le propos de notre recherche consistant à interroger les effets
de l’intégration européenne en termes organisationnels, nous avons fait le choix de nous
départir du concept de société civile pour privilégier celui de « secteur associatif ». Nous
avons ainsi la volonté de mettre davantage l’accent sur les logiques organisationnelles de
transformation internes du secteur que sur son rôle de contrepouvoir et sa capacité de
participation aux processus décisionnels.
Pour réaliser cette recherche, nous avons choisi d’utiliser la définition du secteur
associatif résultant de l’enquête réalisée dans le cadre du programme John Hopkins de
comparaison internationale du secteur dans 22 pays. Il en ressort que les entités qui le
composent partagent cinq caractéristiques essentielles qui nous autorisent à en parler comme
d’un secteur social à part entière :
Tout d'abord, ce sont des organisations, c’est-à-dire qu’elles ont une identité institutionnelle. Deuxièmement, elles sont privées, c'est à dire qu’elles ne font pas partie de l'appareil de l'Etat. Troisièmement, elles sont sans but lucratif, elles peuvent réaliser des profits, mais elles ne les distribuent pas à leurs propriétaires ou administrateurs. Quatrièmement, elles sont autonomes, c'est à dire qu'elles jouissent d'un degré
28 MOLNAR, M., op. cit., p.65 29 PIROTTE, G., « La société civile roumaine post-communiste », Autrepart, vol.4, n°48, 2008, p.154 30 MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), Developments in Central and East European politics, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2007, p.227
10
significatif d'autonomie par rapport à l’Etat. Enfin, elles sont volontaires, la participation en leur sein n'est pas obligatoire et elles mobilisent les énergies et les ressources des personnes librement données31.
En rappelant les conditions nécessaires à l’existence des organisations composant le
secteur associatif, cette définition présente l’intérêt de placer leurs caractéristiques
organisationnelles au centre de l’analyse et nous permet ainsi de les distinguer d’autres
groupements. Celles-ci doivent d’abord se constituer de façon indépendante par rapport à
l’Etat. Leurs membres ne sont donc ni rémunérés par celui-ci ni recrutés sur base de concours.
Leur caractère volontaire implique ensuite que ces organisations résultent d’un acte délibéré
et intentionnel. Cette caractéristique ne fait donc pas référence à l’absence de personnel
rémunéré en leur sein mais à l’absence de contraintes ayant précédé leur formation. Enfin,
elles doivent être institutionnalisées et généralisées au travers de lois garantissant leur
existence.
Face à la spécificité de la loi polonaise concernant le statut des membres du secteur
associatif, nous aimerions préciser cette définition à l’aide du critère juridique. D’une part,
deux lois principales réglementent aujourd’hui le secteur associatif en Pologne. Il s’agit des
lois de 1984 et de 1990 qui introduisent respectivement le statut de fondation (fundacja) et
d’association (stowarzyszenia) 32 . L’absence de législation concernant les associations
jusqu’en 1990 a entraîné pendant plusieurs années un usage assez lâche de la catégorie des
fondations, introduisant une confusion entre ce statut et celui des associations civiques.
L’appellation « fondation » recouvrait alors souvent une organisation qui relevait de la
catégorie des associations. Cela a faussé la répartition des organisations selon leur statut mais
aussi selon leurs fonctions, « les associations étant censées fournir des services d’utilité
sociale à leurs membres alors que les fondations soutiennent les initiatives civiques33 ».
D’autre part, il est important de souligner que les nouveaux dispositifs juridiques relatifs
à la liberté d’association établis au début des années 1990 reposent sur une distinction entre le
statut des associations civiques et celui des congrégations religieuses d’une part, et des partis
politiques d’autre part. Alors que dans certains pays, comme en France, les partis politiques
ont relevé pendant longtemps de la seule loi de 1901 sur les associations, le système polonais
31 Cité in MAYER, N., BELORGEY, J-M., JEANTET, T. et al., Les associations et l’Europe en devenir, Paris, Documentation française, 2001, p.67 32 LES, E., The voluntary sector in post-communist East Central Europe: from small circles of freedom to civil society, Washington, CIVICUS, 1994, pp.23-24 33 DEVAUX, S. (dir.), Les nouveaux militantismes dans l’Europe élargie, Paris, L’Harmattan, 2005, p.81
11
a rapidement distingué les deux types de regroupements34. Selon Sandrine Devaux, « cela
tient à l’amalgame qu’avait produit l’usage politique des organisations sociales sous le
système communiste35 ».
En employant le terme de secteur associatif, nous renverrons donc aux formes légales
des associations et des fondations, excluant de ce fait de notre champ d’analyse les syndicats,
les organisations professionnelles, les partis politiques ou les organismes confessionnels, ces
derniers faisant l’objet d’une autre législation36. C’est à l’évolution du rôle et de la place du
secteur associatif sur la scène polonaise depuis la « chute » du régime communiste que la
prochaine section sera consacrée.
2. LE SECTEUR ASSOCIATIF POLONAIS : SON HISTOIRE, SES SPECIFICITES
Loin d’être « un phénomène post-198937 », le paysage associatif de la Pologne
communiste ne se limitait pas aux organisations de masse centralisées. Au-delà des
organisations formelles et professionnelles contrôlées par l’Etat38, la vie associative se
composait également d’un secteur partiellement indépendant d’organisations politiques,
religieuses et culturelles informelles39. Un nombre non négligeable d’organisations pré-
communistes ont en effet survécu sous le régime communiste au niveau local, principalement
dans le domaine des loisirs, de l’éducation et de la culture, sans avoir à subir d’ingérence
politique directe40. La Pologne a par ailleurs connu à plusieurs reprises d’importantes
mobilisations « par le bas » par les différents segments de la société (travailleurs, étudiants,
intellectuels, paysans, catholiques) revendiquant une plus grande autonomie des organisations
existantes. En 1980, celles-ci aboutissent à l'émergence du mouvement Solidarność et à sa
suppression en 1981. Cette vie sociale non étatique ne constituait pas pour autant une sphère
pleinement autonome de la sphère politique et régie par un cadre légal garantissant son
34 HEURTAUX, J., « Démocratisation en Pologne: la première loi sur les partis (1989-1990) », Critique Internationale, n°30, 2006, pp.171-172 35 DEVAUX, S., op. cit., p.75 36 ABELE, C., Civil society assistance in Central and Eastern Europe. The cases of Poland and Slovakia, PhD thesis, Humboldt University, Berlin. 2006, p.154 37 REGULSKA, J., « NGOs and Their Vulnerabilities During the Time of Transition. The Case of Poland », Voluntas, vol.10, n°1, 1999, pp.61-71 38 Parmi celles-ci, on retrouve des organisations de jeunesse, des syndicats, des associations professionnelles, des clubs de sport, des organisations de loisirs et de détente, … 39 Parmi celles-ci, on retrouve des structures souterraines du mouvement Solidarnosc, des organisations religieuses, des droits de l’homme, des membres de l’opposition politique illégale, des mouvements artistiques et culturels, … 40 Pour une présentation de ces organisations, voir GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Polish Tradition of Self-organization, Social Capital and the Challenge of Europeanisation » in FRAN, A. (ed.), Social Capital and Governance, Berlin, Lit Verlag, 2006, pp.255-256
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existence. Ce qui a changé avec la « chute » du régime communiste, c’est donc sa nature et
son ampleur.
Sur la base de la littérature sur le secteur associatif polonais dans les vingt dernières
années, il est possible de conclure à l’existence de plusieurs grandes tendances qui ont jalonné
la recomposition de celui-ci depuis 1989. Nous en relèverons trois : la première correspond,
au début des années 1990, à la prolifération des structures associatives suite au recouvrement
de la liberté d’association. La seconde renvoie à la détérioration de l’Etat providence
socialiste. Face aux vides institutionnels conséquents dans le système de protection sociale et
le déclin de la couverture des services pendant la transition, les organisations composant le
secteur deviennent des compléments à l’Etat. Enfin, les donateurs étrangers et les
organisations internationales comme l’Union européenne ont également joué un rôle
important dans la recomposition du secteur, leurs financements étant devenus une source
essentielle de revenus.
2.1. Le secteur associatif polonais en chiffres
Les premières années de la transition en Pologne ont été marquées par un processus de
reconstitution et de recomposition du secteur associatif. Celui-ci se traduit par l’adaptation
des organisations sociales héritées du régime communiste au nouveau contexte démocratique
d’une part, et par l’émergence rapide de nouvelles organisations dans tous les secteur de la vie
associative d’autre part 41 . Aux quelques organisations autorisées par le gouvernement
polonais a succédé dans les années 1990, suite au recouvrement de la liberté d’association, ce
que Gauthier Pirotte appelle « une floraison associative42 ». C’est dans les premières années
post-communistes que le taux de croissance du nombre d’organisations est en effet le plus
élevé. On observe ainsi une croissance de 400% du nombre d’ONG enregistrées entre 1989 et
199343. La croissance se stabilise à partir de 1994 et le pays compte environ 53 000 ONG
enregistrées (45 891 associations et 7 210 fondations) en 2004, date à laquelle l’étude
nationale la plus récente a été réalisée44. C’est le constat de cette croissance rapide du nombre
41 Dans le cas de la Pologne, on observe l’apparition d’un large spectre d’ONG, de fondation, d’organisation de charité, religieuses et de défense des minorités ethniques. 42 PIROTTE, G., loc. cit., p.158 43 EKIERT, G., FOA, R., « Civil Society Weakness in Post-Communist Europe: A Preliminary Assessment », Carlos Alberto Notebooks, n°198, 2011, pp.24-25 44 Ces données proviennent d’un sondage organisé par la Klon / Jawor Association, la principale organisation de recherche sur le secteur sans but lucratif en Pologne. NGO in Poland – basic facts, Warsaw, Klon/Jawor Association, 2004, disponible sur http://www.ngo.pl/files/01english.ngo.pl/public/Basic_facts_2004.pdf (page consultée le 14 juillet 2013). Il s’agit de préciser que le sondage sur lequel reposent ces données se concentre principalement sur les organisations constituées en associations et en fondations privées. Ces chiffres n’incluent
13
d’associations et de fondations peu après la « chute » du régime qui est à l’origine de
l’enthousiasme des premiers travaux face à ce qui est souvent décrit comme le « réveil naturel
des sociétés civiles 45 ». Mais cet enthousiasme est vite retombé passé la période
d’émerveillement de la fin des régimes communistes et du début de la période de transition.
Et c’est une lecture quelque peu « désenchantée46 » qui semble avoir dominé la littérature par
la suite.
Les changements ayant affecté le secteur associatif en Europe centrale et orientale à la
suite de la « chute » du communisme ont entraîné une multitude de travaux, reflétant des
influences théoriques d’une grande diversité. De manière générale, il est toutefois possible
d’identifier deux types d’approche dominant cette littérature. Celles-ci se distinguent
principalement par la manière de mesurer la nature des changements affectant ce secteur dans
les anciennes Républiques populaires. Alors que les auteurs se rattachant à la première
interprètent ces changements récents en termes quantitatifs et développent dès lors une lecture
quelque peu pessimiste de ces derniers47, ceux s’inscrivant dans la seconde tendent à l’inverse
à insister sur l’importance de ce qui se trouve sous les statistiques. Les auteurs appartenant à
cette deuxième catégorie adoptent ainsi une approche dite plus « qualitative » du phénomène
de recomposition du secteur associatif, plaçant la focale sur les acteurs, leurs objectifs et les
enjeux auxquels ils doivent faire face48.
Les études quantitatives reposent généralement sur un des deux indicateurs suivants :
le nombre d’organisations non-gouvernementales (ONG) ou le niveau de participation des
citoyens 49 . Si chacun vient nourrir cette idée de faiblesse du secteur mentionnée
précédemment, c’est surtout le deuxième qui est source d’inquiétude. En effet, en termes de
nombre d’ONG, « Central and Eastern Europe seems to have a fairly vibrant civil society50 ».
Ainsi, entre 1992 et 1997, le nombre de fondations a presque doublé en Pologne, et le nombre
d’associations quadruplé51.
donc pas les syndicats, les partis politiques, les associations religieuses, les pompiers volontaires, les comités de parents et d’autres types d’associations informelles qui auraient considérablement augmenté ce résultat. 45 MOLNAR, M., op. cit., p.65 46 PIROTTE, G., loc. cit., p.154 47 HOWARD, M., The weakness of civil society in post-Communist Europe, New-York, Cambridge University Press, 2003 ; COLAS, D., op. cit., pp.29-55 ; GLENN, J., Framing Democracy : Civil Society and Civic Movement in Easter, Europe, Stanford. CA, Stanford University Press, 2001 48 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., pp.1-45 ; MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., pp.213-228 ; PIROTTE, G., loc. cit., pp.153-164 49 MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., p.216 50 Ibidem. 51 LES, E., « Defining the Nonprofit Sector: Poland », Working Papers of the Johns Hopkins Comparative Nonprofit Sector Project, n°36, edited by SALAMON, L., ANHEIER, Baltimore, The Johns Hopkins Center for Civil Society Studies, 2000, p.12
14
Toutefois, cette croissance du nombre d’ONG enregistrées n’est désormais plus
considérée par les chercheurs comme un indicateur pertinent de l’état réel du secteur dans la
région. Le cas de la Pologne est assez exemplaire à cet égard puisque, comme le rappelle
Anna Gasor-Niemiec et Piotr Glinski dans leur étude sur l’européanisation de la société civile
polonaise, on peut supposer que « more than ¼ of the NGOs registered in Poland are not
functioning or are even non-existent (…)52 ». C’est dès lors davantage sur le taux de
participation à la vie associative que la majorité des auteurs se basent pour dénoncer la
faiblesse de la société civile en Europe centrale et orientale53.
Qu’il s’agisse d’une étude basée sur les European Value Surveys (EVS) ou sur le
World Values Survey (WVS), « the degree of activity and membership of civil society
organizations in Central and Eastern Europe is extremely low, both in absolute and relative
terms54 ». Si l’adhésion aux organisations non-gouvernementales passe de 5,5% de la
population en 1990 à 13,7% en 1995 et 16% en 199755, certaines données suggèrent que le
taux d’adhésion aux organisations est exceptionnellement bas en Pologne aujourd’hui en
comparaison avec les pays de l’Europe de l’ouest mais aussi avec les autres pays
postcommunistes56. Par exemple, selon le European Social Survey 2005, seuls 5% de la
population déclarait appartenir à une organisation sportive, artistique ou caritative pour
31,9% en Finlande et 21,2% en Autriche. En République tchèque, 9,8% des répondants
déclarent être membres de telles organisations57. En termes de taux d’adhésion et de
participation, la vie associative polonaise se retrouve au bas des classements internationaux58.
C’est sous l’angle de l’ensemble de ces données que la période postcommuniste a
52 GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Europeanization of Civil Society in Poland », Rev. Soc. Polit., vol.14, n°1, 2007, p.32 53 A titre d’exemple de travaux se plaçant dans cette perspective, on peut retenir : ROSE-ACKERMAN, S., From Elections to Democracy : Building Accountable Government in Hungary and Poland, Cambridge and New Yord, Cambridge University Press, 2005 ; BASHIKOROVA, E., « Political Participation in Central and Eastern Europe. Results of the 1999 European Values Surveys » in FUCHS D., ROLLER, E., WESSELS, B. (eds.), Burger und Demokratie in Ost und West : Studien zur politischen Kultur und zum politischen Prozess. Festschrift fur Hans-Dieter Klingemann. Opladen : Westdeutscher, 2002, pp.319-322 54 MUDDE, C., « Civil Society », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., p.217 55 GLINSKI, P., « The Development of the Third Sector in Poland – The relationship between the Third Sector and Other Sectors », Conference paper at the 1999 Voluntas Symposium : Ten Years After : Civil Society and the Third Sector in Central and Eastern Europe. Prague, October 15-16, 1999, p.9 56 HOWARD, M., op. cit., p.58 57 Cité dans EKIERT, G., KUBIK, J., WENZEL, M., « Civil Society in Poland after the fall of communism : A diachronic perspective », Paper presented at the 20th International Conference of Europeanists, Amsterdam, 25-27 June 2013, p.11 58 Pour une étude générale et plus approfondie sur le sujet, voir JASINSKA-KANIA, A., MARODY, M. (eds.), Poles among Europeans, Warszawa, Wydawnictwo Naukowe Scholar, 2004 ; GAWIN, D., GLINSKI, P. (eds.), Civil society in the making, Warsaw, IFiS Publishers, 2006 ; GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., « Polish Tradition of Self-organization, Social Capital and the Challenge of Europeanisation » in FRAN, A. (ed.), op. cit., pp.237-266
15
généralement été étudiée comme celle d’un secteur associatif en pleine reconstruction
particulièrement faible.
Bien que continuant à imprégner de nombreux travaux, les lectures quantitatives du
secteur associatif ont été l’objet de vives critiques ces dernières années59. Elles ont notamment
été remises en cause par des auteurs qui, refusant d’interpréter les changements récents en ne
prenant en compte que le poids numérique des organisations ou leur nombre de membres,
considèrent, pour reprendre les termes d’Ekiert, qu’une telle approche ne permet de
développer qu’« une vision unidimensionnelle60 » de la vie associative. Seule l’étude de
différentes dimensions de la vie associative à l’aide de sources variées – autres que les
sondages d’opinion publique – permet d’abandonner les généralisations au sujet de la
faiblesse des organisations du secteur associatif post-communiste61.
Dans cette perspective, une attention particulière est accordée aux acteurs eux-mêmes,
à leurs objectifs et aux difficultés auxquelles ils sont confrontés. Cherchant à adopter une
démarche dite « qualitative », ces auteurs s’attachent plus spécifiquement à débattre de la
question de la vie associative dans son contexte politique et social plus large. Ils examinent
ainsi les logique internes – stratégies des acteurs répondant à la nouvelle donne économique,
politique ou sociale postcommuniste –, mais aussi externes – politiques de soutien à certaines
organisations du secteur par les partenaires occidentaux –, à la jonction desquelles elle se
trouve62. C’est dans cette dernière tendance que nous aimerions inscrire la présente recherche.
2.2. De l’association civique à la gestion du social postcommuniste
Cette prolifération associative « post-1989 » doit s’appréhender en tenant compte d’un
autre changement, celui du déclin de l’Etat providence socialiste. Les vides institutionnels
conséquents dans le système de protection sociale et le déclin de la couverture des services
pendant la transition ont en effet largement façonné la reconstruction du secteur associatif,
composé initialement des organisations existant déjà sous le régime communiste ou tolérées
par ce dernier d’une part, et des associations civiques des premières heures postcommunistes
d’autre part 63 . Ce repli aboutit au développement d’un secteur associatif cherchant à
« répondre aux défaillances du marché et de l’Etat dans l’approvisionnement de services
59 Pour une critique rigoureuse des approches quantitatives, voir l’ouvrage de KOPECKI, P., MUDDE, C. (eds.), Uncivil Society ? Contentious politics in post-communist Europe, London, Routledge, 2005 60 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.37 61 Ibid., p.38 62 PIROTTE, G., loc. cit., p.155 63 LES, E., loc. cit., p.20
16
sociaux et l’accès à un minimum de bien-être pour tous64 » et prenant en charge les coûts
sociaux de la transition, sans toutefois que celui-ci soit considéré comme un secteur autonome
pour autant65.
Contrairement à la situation observée chez son voisin roumain66, la fin du régime
communiste en Pologne a été marquée par la structuration et le renforcement d’un réseau
d’organisations contestataires – généralement qualifiées d’associations civiques67 – capable
d’exercer une pression sur l’appareil d’Etat 68 . Comme évoqué précédemment, ce qui
différencie la Pologne, comme la Hongrie, des autres pays de la région c’est l’existence d’un
secteur partiellement indépendant d’organisations politiques, religieuses et culturelles
informelles. Cette vie associative relativement autonome ainsi que les interventions de
l’Eglise catholique – principale force d’opposition au système communiste qui devint par la
suite un acteur essentiel dans la renaissance du secteur en Pologne 69 – influencèrent
directement le mode de démocratisation et de transfert du pouvoir en 1989 qui prit, en
Pologne comme en Hongrie, la forme d’une transition négociée70.
De nos jours, beaucoup de ces associations citoyennes ou de « révolutionnaires » ont
disparu. Mais celles qui sont restées actives au sein de la société locale ont subi une évolution
intéressante. De manière générale, l’augmentation constante du nombre d’organisations au
cours des deux dernières décennies s’est en effet doublée de changements importants dans la
composition sectorielle de ces dernières, entraînant ainsi la fragmentation et la spécialisation
du secteur associatif71. Les données polonaises reflètent cette tendance. Un examen de la
composition du secteur associatif en Pologne entre 1996 et 1997 révèle que la plus grande
partie des organisations sont actives dans le domaine des services sociaux (51%), les soins de
santé et l’assistance sociale y constituant leur champ d’activité principal, suivis par la
jeunesse, la culture et l'éducation (24%), le développement local et régional (17%), et le
64 PIROTTE, G., loc. cti., p.162 65 LES, E., loc. cit., pp.20-21 66 PIROTTE, G., loc. cit., p.155 67 Par association civique, il faut entendre des groupements qui se mobilisent autour de la question des droits (politiques, économiques, sociaux et culturels) des citoyens et de leur statut. 68 POTEL, J-Y., « Solidarnosc. La société en dissidence » in BAFOIL, F. (dir.), La Pologne, Fayard, 2007, p.229 69 FAMULICKI, J-C., « La société et l'Eglise catholique en Pologne », Matériaux pour l'histoire de notre temps, 2001, n°61- 62. pp. 80-87 70 MILLARD, F., « The Czech Republic, Hungary and Poland », in BATT, J., LEWIS, P., WHITE, S. (dir.), op. cit., p.37 71 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.27
17
développement économique (10%). Les activités liées aux sports et aux loisirs constituent
d’autres domaines d’activité importants72.
Dans ce contexte, comme l’explique Grzegorz Ekiert, « the majority of organizations
are no longer ever single-issue organizations 73 ». Il s’agit plutôt des petites cellules
spécialisées dans un domaine de compétences, engageant des professionnels et développant
un rapport de service auprès des populations bénéficiaires. Le secteur offre ainsi des nouvelles
opportunités d’emplois notamment pour les jeunes diplômés universitaires. Toutefois, les
services individuels fournis par ce dernier doivent rester compétitifs par rapport aux anciens
services fournis par l’Etat. Faute de récoltes suffisantes de fonds locaux, une telle évolution
est donc souvent jugée responsable de la dépendance accrue des organisations aux fonds
octroyés par l’Etat, l’administration locale ou les acteurs extérieurs74.
2.3. La dépendance aux donateurs étrangers
Cette situation fait donc apparaître une caractéristique importante du secteur associatif
polonais. L’analyse de son évolution révèle la création d’un réseau d’organisations répondant
certes à certains besoins de la société polonaise postcommuniste mais tout en restant
financièrement dépendant des fonds occidentaux. En effet, si la fin des années 1980 est
marquée par une vague d’autonomisation financière à l’égard des instances étatiques75, on
observe, de manière presque concomitante, la mise en place de politiques de soutien aux
acteurs de la société civile par les partenaires occidentaux. L’Eglise joue également un rôle
déterminant dans la renaissance du secteur en Pologne en devenant tour à tour pour les
organisations qui le composent un fondateur, un commanditaire ou un partenaire 76 .
Totalement dépendants des ressources financières fournies par le gouvernement sous le
régime communiste 77 , les acteurs associatifs ne sont plus contraints, au début de la
transformation, de se tourner vers l’Etat qui, suite au mouvement de libéralisation de
l’économie, n’a plus le monopole de la distribution des ressources financières78.
72 Ces données proviennent d’un sondage organisé par la Klon / Jawor Association, la principale organisation de recherche sur le secteur sans but lucratif en Pologne. NGO in Poland – basic facts, Waesaw, Klon/Jawor Association, 2004, disponible sur http://www.ngo.pl/files/01english.ngo.pl/public/Basic_facts_2004.pdf (page consultée le 14 juillet 2013). 73 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.22 74 PIROTTE, G., loc. cti., p.161 75 PACZESNIAK, A., « Les relations entre l’administration publique et les ONG après l’adhésion de la Pologne à l’Union européenne », Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol.40, n°2, 2009, p.114 76 LES, E., op. cit., p.39 77 Il s’agit ici de mentionner l’exception que constituent les organisations religieuses qui ont toujours bénéficié d’une autonomie interne. 78 LES, E., loc. cit., p.11
18
Face à la prolifération associative des premiers mois de la transition, les partenaires
occidentaux mettent ainsi en place « des politiques de renforcement des nouveaux acteurs de
la société civile79 ». L'Union européenne, la Banque mondiale et les Etats-Unis deviennent
parmi les principaux bailleurs de fonds en Europe centrale et orientale, même si le
pourcentage du budget de l'aide américaine et européenne à la démocratie réservée à la société
civile n'était pas particulièrement élevé 80 . La Pologne devint ainsi un des principaux
bénéficiaires de l'aide occidentale dans la région81 et les organisations polonaises ont pu, dans
un premier temps, « s’exprimer et accomplir leur mission sans trop se préoccuper des
questions économiques82 ».
Si les années 1990 sont marquées par l’intervention d’organisations étrangères telles
que l’Open Society Institute (OSI) ou l’United States Agency for International Development
(USAID)83, l’arrivée des fonds européens avec l’ouverture des négociations d’adhésion à
l’UE à la fin de la décennie a provoqué le départ progressif des bailleurs de fonds américains
vers des destinataires encore plus à l’Est. Le budget du programme d’aide communautaire aux
Pays d’Europe centrale et orientale (PECO) en vue de leur adhésion – Poland and Hungary
Aid for Reconstruction of Economy (PHARE) – prévoyait une ligne accordée au soutien à la
société civile.
Toutefois, ces programmes européens de financement se sont montrés très sélectifs et,
à la fin des années 1990, on trouve une répartition des revenus en circulation au sein du
secteur ONG polonais pour le moins inégalitaire. Les procédures d’octroi varient en effet d’un
donateur à l’autre. Alors que les Américains concèdent les fonds en amont du projet, l’UE ne
les libère qu’une fois celui-ci accompli. Or, face à ce système de remboursement de projets,
les organisations polonaises ne sont pas capables d’avancer les fonds financièrement. En effet,
seuls 20% des organisations polonaises ont des réserves financières, le reste du secteur ne
présentant aucun actif significatif84. Parallèlement, le secteur associatif polonais présente une
79 PIROTTE, G., loc. cit., p.159 80 L’aide directe accordée aux ONG par l’USAID et l’UE constitue un objet financier mineur qui représente moins de 2% de l'aide globale accordée : RAIK, K., Promoting Democracy through Civil Society : How to Step Up the EU’s Policy towards the Eastern Neighbourhood, Brussels, Centre for European Policy Studies, CEPS Working Document 237, 2006, p.15 81 WEDEL, J., Collision and Collusion – The strange case of Western aid to Eastern Europe 1989 – 1998, New York, St. Martin’s Press, 1998, p.205. 82 PACZESNIAK, A., loc. cit., p.115 83 Entre 1990 et 2000, l’USAID a ainsi dépensé un budget de 128 millions de dollars pour financer le développement des ONG en Pologne : ABELE, C., Civil society assistance in Central and Eastern Europe. The cases of Poland and Slovakia, PhD thesis, Humboldt University, Berlin. 2006, p.329 84 GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.32
19
faiblesse récurrente à développer des activités génératrices de revenus et la situation
économique de celui-ci, déjà médiocre, s’est détériorée au fil des ans85.
Ainsi, étant donné la nature erratique et à court-terme de l’aide financière extérieure,
c’est donc de manière presque inévitable que le problème de la viabilité financière se pose dès
199886. La totale indépendance du secteur associatif est donc une utopie du point de vue
financier et 35 % des revenus des ONG proviennent de fonds publics (soit des collectivités
locales soit de l’État) au tournant des années 200087. Cependant, certains auteurs insistent sur
la nécessité de relativiser l’importance de leur rôle dans le développement du secteur
associatif, la récolte des fonds locaux demeurant toujours un exercice délicat en Pologne88.
Outre le scepticisme des organisations du secteur associatif à l’égard des financements
étatiques dès le début des transformations, qui redoutent de perdre une indépendance
récemment gagnée, le flou du cadre légal régissant les relations entre le secteur associatif et
étatique permet également de relativiser l’importance du rôle de l’Etat dans le développement
du secteur non-gouvernemental. La plupart des dispositions fiscales et financières ayant été
introduites furent généralement soit supprimées peu de temps après soit rendues inapplicables
par des procédures bureaucratiques 89 . Ainsi, comme l’explique Anna Paczesniak, « la
collaboration entre les ONG et les pouvoirs locaux se limite, dans le meilleur des cas, à des
exonérations fiscales ou à l’attribution de locaux plutôt qu’au versement concret de fonds.
Rares sont ceux qui se décident à déterminer le montant à affecter au financement des
ONG90 ». De tels comportements se soldent dès lors par « la faiblesse des ressources
financières allouées par les budgets municipaux pour soutenir le fonctionnement des ONG
(…)91 ».
Enfin, pour favoriser le don aux associations, la loi polonaise de 2003 « sur les
activités d’utilité publique et le volontariat » (Ustawa o działano ci, 2003)92 permet à présent
au contribuable de verser jusqu’à 1% de son imposition aux ONG locales. Mais en 2004,
seulement 80 000 contribuables, soit environ 0,25% des polonais adultes et 0,35% des
contribuables, ont eu recours à cette option93.
85 Le budget de la moitié des ONG est passé de 19 000 PLN (nouveaux zlotys) en 2001 à 13 000 PLN en 2003 et 10 000 PLN en 2005. 10 % des organisations n’avaient aucun revenu en 2005 et 20 % d’entre elles devaient se contenter d’un budget annuel de 1 000 PLN (environ 300 euros) : PACZESNIAK, A., loc. cit., p.117 86 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.16 87 GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.32 88 REGULSKA, J., loc. cit., p.66 89 Ibid., p.67 90 PACZESNIAK, A., loc. cit., pp.118-119 91 Ibidem. 92 Cette loi réglemente la collaboration des institutions étatiques et des collectivités territoriales avec les ONG. 93 GASIOR-NIEMIEC, A., GLINSKI, P., loc. cit., p.36
20
Pour résumer, la réorientation des programmes de financements étrangers de soutien à
la société civile vers d’autres pays, à laquelle s’ajoute la rareté et la parcimonie des fonds
publics polonais marque le début d’une nouvelle problématique : trouver des fonds. L’une des
principales pistes pour les acteurs de la société civile au tournant des années 2000 réside alors
dans les fonds structurels européens94. Le rapport « NGO sustainability Index 2004 » de
l’USAID explique ainsi que « more and more organizations have (…) great expectations of
EU funding that has come available – more than 70% say that they plan to submit
proposals95». Or, « the capacity of the organisation to secure sustainable sources of income96»
est souvent décrite comme une composante essentielle de sa professionnalisation dans la
mesure où les compétences demandées par ces organisations deviennent de plus en plus
précises et techniques97. La soumission à l’agenda des donateurs constituant un des seuls
moyens de subsistance de ces organisations, ces dernières se perfectionnent en vue d’être dans
les critères d’octroi des fonds et des différentes subventions. Ainsi, pour la Pologne, comme
pour d’autres pays postcommunistes, on peut supposer, comme le souligne Grzegorz Ekiert,
que le processus d'élargissement de l'UE a constitué un tournant critique dans le modèle de
transformation des organisations de la société civile98. Il rejoint en cela l’analyse de Rosa
Sanchez-Salgado selon laquelle les pressions européennes sont plus importantes lorsque les
organisations ne sont pas encore parvenues à développer une dynamique de croissance stable.
Or, le secteur associatif n’était encore qu’au début de sa recomposition lorsque la Pologne
commence son chemin vers l’adhésion. Par conséquent, il lui était impossible, si l’on suit le
raisonnement de Rosa Sanchez-Salgado, d’absorber les opportunités européennes sans que
leur propre dynamique de développement n’en soit modifiée.
Le propos de notre recherche consistant à interroger les effets des programmes de
financements européens sur les recompositions organisationnelles internes du secteur
associatif en termes de professionnalisation, c’est sur ce point que portera le prochain
chapitre.
94 Voir le programme des fonds structurels européens: http://ec.europa.eu/regional_policy/sources/docoffic/official/regulation/newreg/-10713_fr.htm (page consultée le 8 juin 2013) 95 USAID [2004], The 2003 NGO Sustainability Index Report, Washington, USAID, pp.196-197 96 FAGAN, A., « The new Kids on the block – Building environmental governance in the Western Balkans », Acta Politica, vol.45, n°1/2, 2010, p.215 97 PIROTTE, G., « La greffe d’une société civile en Europe de l’Est et en Afrique subsaharienne. Réflexions à partir d’expériences transitionnelles en Roumanie et au Bénin », Civil society network workshop, Allocution à la Maison des sciences de l’Homme, Paris, 12-14 juin 2003. Disponible à l’adresse URL suivante http://cisonet.wzb.eu/download/workshop12-140603pirotte.pdf (page consultée le 17 juillet 2013) 98 EKIERT, G., FOA, R., loc. cit., p.21
21
II. La professionnalisation comme angle d’approche du secteur associatif polonais
L’objet de notre recherche est d’étudier les effets de l’intégration européenne sur le
secteur associatif dans une optique organisationnelle. Nous l’avons vu, répondre à cette
question implique d’en restituer l’étude dans le cadre d’une démarche scientifique allant au-
delà des considérations de faiblesse du secteur. En se démarquant des visions normatives pour
étudier les enjeux qui marquent l’évolution du monde associatif depuis la « chute » du régime
communiste, une telle approche permet en effet de mettre à jour l’enjeu sous l’angle duquel
nous souhaitons aborder ce secteur : celui de l’impact des opportunités de financements
européens. Dans cette optique, l’apport théorique du concept de « professionnalisation » nous
permettra d’aborder l’analyse du secteur associatif de Wroclaw sous l’angle des logiques
organisationnelles de sa recomposition.
Il convient donc maintenant de présenter l’outil que nous utiliserons comme cadre et
comme référence théorique à notre étude de cas. Le terme « professionnalisation » pouvant
avoir de multiples acceptions d’une étude à l’autre99, nous nous attacherons dans un premier
temps à préciser le sens qui lui sera conféré ici. Il conviendra, dans un deuxième temps, de
questionner les liens entre les opportunités de financements européens et la
professionnalisation de leurs bénéficiaires dans le monde associatif, ceux-ci étant
généralement davantage considérés – comme nous le verrons plus en détail dans la suite de ce
chapitre – comme des volontaires ou des activistes. Autrement dit, il s’agira de poser la
question de savoir dans quelle mesure ce processus de professionnalisation peut être
attribuable aux opportunités de financements européens.
1. QU’EST-CE QUE LA PROFESSIONNALISATION?
Le concept de « professionnalisation » est souvent évoqué lorsque l’on traite de
l’évolution du secteur associatif100. Loin d’avoir été initialement forgé par les chercheurs
désireux de saisir les transformations à l’œuvre dans les secteurs associatifs « post-
communistes », la notion a en effet été mobilisée auparavant à l’égard de phénomènes sociaux
se développant dans des contextes socio-politiques variables. La conceptualisation du terme
99 LE NAËLOU, A., « Pour comprendre la professionnalisation dans les ONG : quelques apports d'une sociologie des professions », Revue Tiers Monde, n° 180, 2004/4, pp.777 100 LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., « Quelle professionnalisation pour le monde associatif ?. Entretien avec Matthieu Hély », La Vie des idées, 25 novembre 2011. Disponible à l’adresse URL suivant: http://www.laviedesidees.fr/Quelle-professionnalisation-pour.html (page consultée le 15 avril 2013), pas de pagination
22
dans la littérature portant sur ce secteur fait son apparition à la fin des années 1980. Les
travaux sur la question se développent alors surtout à propos de l’étude des ONG dans
l’hémisphère nord, plaçant la focale sur les organisations actives dans l’humanitaire et le
développement international101. La réduction du périmètre d’intervention de l’Etat social et la
libéralisation de la société civile dans les années 1980102, suivis par le mouvement de
salarisation et la croissance de leurs capacités organisationnelles sont autant d’éléments sur
lesquels s’est construite la théorisation du mouvement de professionnalisation du secteur
associatif.
Bien que l’émergence et le développement d’un phénomène de professionnalisation
aient suscité une attention soutenue de la communauté scientifique, certains axes de réflexion
concernant la définition de la professionnalisation ainsi que les raisons de son renforcement
restent controversés. C’est donc ce dernier point qu’entend développer cette première section.
1.1. Les origines wébériennes d’un concept
Les travaux du sociologue allemand Max Weber sont fondateurs pour l’étude de la
professionnalisation et l’analyse de celle-ci comme un fait social103. C’est Weber le premier
qui, suivi par Talcott Parsons, souligne l’importance des professions dans la société
occidentale moderne, et définit le processus de professionnalisation comme « le passage d’un
ordre social traditionnel à un ordre social où le statut de chacun dépend des tâches qu’il
accomplit, et où elles sont allouées selon les critères « rationnels » de compétence et de
spécialisation104 ». Cette définition est le résultat d’une étude sur l’apparition de la politique
comme activité professionnelle spécifique au début du 20e siècle, dans laquelle Weber y
décrit la professionnalisation des élus comme un processus par lequel des acteurs vivant
« pour » la politique en arrivent à vivre « de » celle-ci.
Malgré la nature différente de notre objet d’étude, le concept de la professionnalisation
politique issu de la sociologie wébérienne et interactionniste pose un élément essentiel à notre
travail. Il permet en effet l’étude de l’émergence de nouvelles catégories d’acteurs que
plusieurs éléments viennent spécifier : des intérêts propres (liés à ceux de leurs bénéficiaires),
101 LEWIS, D., The management of NGDOs : An introduction, London, Routledge, 2001 ; FROELICH, A., « Diversification of revenue strategies : Evolving resources dependence in nonprofit organizations », Nonprofit and Voluntary Sector Quaterly, n°28, 1999, pp.246-268 ; DAUVIN, P., SIMEANT, J., Le travail humanitaire. Les acteurs des ONG, du siège au terrain, Paris, Presses de Sciences Po, 2002, pp.113-132 102 LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit. 103 WEBER Max, Le savant et le politique, Préface de Raymond Aron, Paris, Editions 10-18, 1996 (1ère édition originale 1919) 104 BOUDON, R., BOURRICAUD, F., Dictionnaire critique de la sociologie, Paris, Presses universitaires de France, 2011, p.472
23
de nouvelles conceptions des formes de l’action, de nouveaux types de compétences, de
savoir-faire et de ressources (ajustés aux spécificités de l’action associative financée par les
donateurs internationaux et découlant aussi des trajectoires et propriétés qui sont les leurs) et
de nouvelles carrières professionnelles. Comme le montrent les études sur les acteurs
associatifs, certains d’entre eux deviennent en effet des « spécialistes » et vivent de leur
activité au sein du secteur. On observe ainsi le recul du bénévolat105 au profit de formes
salariées d’activité et d’une valorisation d’un panel de compétences diverses nécessaires au
fonctionnement de l’organisation
Bien que le concept serve désormais de point d’appui aux études visant à étudier des
processus par lesquels se différencient des espaces de l’activité sociale ou politique, il s’agit
néanmoins de relever les ambiguïtés intrinsèques au concept lorsque ce dernier se voit
appliqué au monde associatif. L’approche fonctionnaliste anglo-saxonne, qui domine la
sociologie des groupes professionnels, définit en effet la professionnalisation de certains
emplois ou activités (occupations en anglais) comme « le processus historique à travers lequel
un groupe professionnel quelconque (occupational group) se fait reconnaître comme une
profession, tout en se dotant progressivement des attributs « fonctionnels » de ce type de
groupement 106 ». Pour être reconnue comme profession, une occupation doit adopter
successivement six caractères : l’exercice à plein temps, une réglementation de l’activité, la
formation scientifique des membres avant tout exercice de l’activité par des écoles
spécialisées, l’association professionnelle permettant la participation des membres, une
protection légale du monopole et un code de déontologie107. Cette définition du processus de
professionnalisation permet de différencier les emplois qualifiés reposant sur des acquis
scientifiques, des emplois peu qualifiés, essentiellement pratiques. Selon Wilensky, n’importe
quel type d’activité ne peut acquérir l’ensemble de ces attributs. Il considère qu’une
spécificité professionnelle est difficilement reconnue comme une discipline universitaire, ce
qui rend difficile, voire utopique « la professionnalisation de n’importe qui ». Aussi, « il
existe des activités qui peuvent devenir des professions et se référer à des savoirs théoriques
et d’autres qui ne le peuvent pas108 ».
L’action associative n’étant généralement pas considérée comme aboutissant à
l’institutionnalisation d’une profession spécifique, la désignation de ce processus par le terme 105 Le terme de « bénévolat » fait ici référence à la situation d’une personne qui accomplit un travail gratuitement et sans y être obligée. 106 DUBAR, C., TRIPIER, P., Sociologie des professions, Paris, Armand Colin, 1998, p.90 107 WILENSKY, H., « The professionalization of everyone ? », American Journal of Sociology, n°2, 1964, p.139. Cité dans DUBAR, C., TRIPIER, P., op. cit., p.90 108 DUBAR, C., TRIPIER, P., op. cit., p.91
24
de « professionnalisation » est jugée inappropriée par certains. C’est face à cette ambiguïté
conceptuelle que certains auteurs parlent de « professionnalisation sans profession », comme
le font Anne Le Naëlou109 et Jean Freyss dans son analyse historique et sociopolitique des
mouvements de solidarité internationale en 2004, pour désigner « la mobilisation de
professions socialement constituées, chacune ayant, en dehors du monde associatif, son
existence propre, son domaine de compétences, [...] son marché du travail110 ».
1.2. Une professionnalisation sans profession ?
Face à ces difficultés conceptuelles, Matthieu Hély nous explique – en reprenant les
termes de Demazière et Gadéa – que mobiliser la notion de professionnalisation dans
l’univers associatif permet d’étudier les dynamiques professionnelles comme « des processus
évolutifs, vulnérables, ouverts, instables111 » qui ne conduisent pas nécessairement pour un
groupe professionnel à se constituer en une profession au sens strict du terme. On retrouve la
même idée dans les travaux de Pascal Ughetto et de Marie-Christine Combes pour qui
« la professionnalisation du secteur peut s’entendre de différentes manières qui n’ont que très
peu à voir avec les fameuses professions, au sens développé par la sociologie du même
nom 112 ». Ainsi, pour le dire autrement, les enjeux liés à l’apparition du mot
« professionnalisation » dans l’univers associatif ne concernent pas tant le résultat auquel peut
aboutir le processus – la constitution d’une profession – mais surtout ses effets en termes
d’efficacité et de mobilisation des personnes dans de nouveaux contextes de travail ainsi que
leur capacité à vivre de cette activité113.
Comme l’observent P. Ughetto et M-C. Combes, la professionnalisation désigne alors
« soit l’importation de méthodes se voulant professionnelles par opposition à un amateurisme
associé aux bénévoles, soit l’embauche de spécialistes [...] dûment formés aux techniques
utiles dans les « fonctions » de l’entreprise comme le marketing, la communication, les
ressources humaines etc114 ». C’est la raison pour laquelle le terme est fréquemment employé
109 LE NAËLOU, A., loc. cit., p.775 110 FREYSS, J., « La solidarité internationale, une profession? Ambivalence et ambiguïtés de la professionnalisation », Revue Tiers Monde, vol. 4, n°180, 2004, p.771 111 DEMAZIERE, D., GADEA, C. (dir.), Sociologie des groupes de professionnels, Paris, La Découverte, 2009, p.20 112 MACDONALD, M., The Sociology of the Professions, Londres, Sage, 1995 113 WITTORSKI, R., Professionnalisation et développement professionnel, Paris, L’Harmattan, 2007, pp.21-22 114 UGHETTO, P., COMBES, M-C., « Entre les valeurs associatives et la professionnalisation : le travail, un chaînon manquant ? », Socio-logos. Revue de l'association française de sociologie, n°5, 2010, mis en ligne le 08 juin 2010. Disponible à l’adresse URL suivante : http://socio-logos.revues.org/2462 (page consultée le 27 avril 2013), pas de pagination
25
comme un équivalent de celui de salarisation115. Selon Maud Dussuet, il s’agit cependant de
deux processus distincts. Le terme de salarisation est souvent interprété comme décrivant « le
passage d’un travail bénévole, non rémunéré, à un travail qui, parce qu’il est rétribué par un
salaire, serait d’emblée, et dans le même mouvement, reconnu comme professionnel116 ». Or,
ce qui différencie le travail professionnel des autres formes de travail, c’est surtout « la mise
en œuvre de l’expertise détenue dans un domaine déterminé117 ».
Cette acception du terme fait ainsi clairement apparaître que la professionnalisation du
monde associatif renvoie prioritairement aux transformations de la pratique du bénévolat, ce
processus renvoyant lui-même à une rationalisation et une technicisation118 des activités
pratiques et gestionnaires [...]119. C’est pour cette raison que ce dernier est souvent associé à
celui de bureaucratisation. Mais pour l’auteur Sabine Saurugger, il s’agit toutefois de
distinguer ces deux termes. S’ils supposent tous deux le développement de connaissances
spécialisées, « les systèmes de contrôle auxquels les bureaucrates et les professionnels sont
soumis diffèrent120 » : le premier prend la forme d’une hiérarchie, le second celle d’une
évaluation par les pairs.
Pour résumer, qu’on l’associe à une salarisation ou à une bureaucratisation, l’idée
d’une professionnalisation du monde associatif repose avant tout sur la recherche de
l’efficacité accrue des actions menées par l’organisation et donc sur le recul des pratiques
bénévoles généralement associées à de l’amateurisme. De manière générale, comme le
résume Ughetto et Combes, « professionnalisation » s’oppose surtout à « amateur » – « c’est-
à-dire à l’ignorance ou à l’empirisme de celui qui pratique l’activité de manière occasionnelle
et sans préoccupation d’efficacité ou de rendement » – et devient synonyme de méthodes,
systématicité, connaissances profondes des bases du métier, .... C’est pour cette raison que la
notion de professionnalisation du secteur associatif est souvent considérée comme résultant de
l’adoption de méthodes importées du monde de l’entreprise. Ainsi, la professionnalisation fait
souvent prévaloir l’idée d’ « un processus d’adaptation des structures sur un modèle ayant de 115 LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit. 116 DUSSUET, A., FLAHAULT, E., « Entre professionnalisation et salarisation, quelle reconnaissance du travail dans le monde associatif ? », Formation emploi, n°111, 2010, p.37 117 Ibid., p.40 118 Le terme « technicisation » est ici entendu comme un processus désignant l’ensemble de pratiques visant à faire en sorte qu’une problématique soit appréhendée moins comme une question sociale que comme une question technique, c’est-à-dire nécessitant des grilles de lecture et la mobilisation de ressources alternatives ou différentes de celles que nécessiterait une approche associative. 119 LOCHARD, Y., TRENTA, A., VEZINAT, N., loc. cit. 120 SAURUGGER, S., « Analyzing Civil Society Organizations. Changing Structures in the EU. Lessons from the social movement and party politics literature », Paper presented at the ECPR Joint Sessions, « The Professionalization and Individualized Collective Action : Analysing New ‘Participatory’ Dimensions in Civil Society », 15-19 April 2009, Lisbon, Workshop 5, p.7
26
nombreux point communs à celui d’autres prestataires de services privés liés aux contrats et
financements publics121 ». Cela s’explique par la capacité qui est la leur de proposer, sans
considération pour les spécificités associatives, des méthodes éprouvées et efficaces122.
Cependant, la professionnalisation des membres du secteur associatif constitue un
processus complexe, non linéaire et bien plus multi-facettes qu’on ne pourrait le penser123 ; un
processus qui ne peut être réduit entièrement à la capacité des acteurs associatifs à accroître
leur efficience. En définissant et utilisant le concept de professionnalisation pour les fins de
cette recherche, il est important de préciser que ce processus est ainsi souvent associé au
déclin de l’activisme radical et de la participation de masse124. Aux yeux des critiques, la
professionnalisation croissante conduit à une réorientation du secteur : l’accent est moins mis
sur l’engagement et la réalisation des objectifs normatifs de l’organisation que sur la
maintenance et le développement organisationnel125.
En définitive, comme le rappelle Anne Le Naëlou, « les phénomènes désignés sous le
terme de professionnalisation sont d’une grande complexité126 », tout comme l’exercice de sa
définition. Néanmoins, nous suivons Sabine Saurugger et de Wolf Eberwein dans leur
définition de la professionnalisation – qu’ils qualifient eux-mêmes de « minimale » – comme
« le processus par lequel l’objectif normatif [de l’organisation] est complété par les
connaissances et compétences nécessaires afin d’accroître l’efficacité et la performance des
activités menées par cette dernière127 ». Nous avons choisi cette définition car elle est plus
simple que celles que proposent certains auteurs qui tentent d’intégrer toutes les
caractéristiques du processus et qui rendent la grille de lecture illisible. A cette définition,
nous ajoutons néanmoins un indicateur supplémentaire dont l’importance est soulignée dans
les travaux de Matthieu Hély128. En plus de l’émergence de savoirs et savoir-faire spécialisés
dont les acteurs sont amenés à faire un apprentissage contrôlé, le processus de
professionnalisation du secteur désigne également, selon lui, son émergence comme nouvelle 121 LE NAËLOU, A., loc. cit., pp.775-776. Dans cette perspective, le processus fait référence à une gestion administrative performante, des stratégies financières, une salarisation croissante et une politique de recrutement sur définition de postes et de profils, une gestion rationnelle du temps de travail, un fonctionnement adapté au marché en tant que prestataire de services pour des « clients », … 122 UGHETTO, P., COMBES, M-C., loc. cit. 123 LE NAËLOU, A., « ONG : les pièges de la professionnalisation », Revue Tiers Monde, n°180, 2004, p.729 124 FREYSS, J., loc. cit., p.735 ; EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., p.3 ; SAURUGGER, S., “The Professionalisation of Interest Representation: A legitimacy Problem for Civil Society in the EU?”, in SMISMANS, S. (ed.), op. cit., pp.260-276 125 LE NAËLOU, A., « ONG : les pièges de la professionnalisation », Revue Tiers Monde, n°180, 2004, p.729 ; SIMONET, M., « Le monde associatif : entre travail et engagement », in ALTER, N. (dir.), Sociologie du monde du travail, Paris, PUF, 2006, pp.191-207 126 LE NAËLOU, A., loc. cit., p.777 127 EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit., pp.2-3 128 HELY, M., op. cit., p.69
27
filière d’emploi pour laquelle un certain nombre d’acteurs vont être amenés à consacrer une
part substantielle de leur temps et de laquelle ils vont tirer l’essentiel de leurs revenus
financiers. Cet élément fait ici écho au processus identifié pour la première fois par Max
Weber dans son étude sur la professionnalisation des élus comme renvoyant à un processus
par lequel les acteurs vivant « pour » la politique en arrivaient à vivre « de » celle-ci. La
« professionnalisation des acteurs associatifs polonais » sera donc entendue à travers cette
double acception que l’on tentera de restituer tout au long de ce travail.
Parvenant à la fin de cette première section consacrée à la présentation des enjeux
entourant la notion de professionnalisation, essayons maintenant d’apporter quelques réponses
théoriques à la question qui nous guide depuis le début. Dans la section suivante, il s’agira de
se poser la question de savoir dans quelle mesure ce processus de professionnalisation peut
être attribuable aux opportunités de financements européens.
2. SAISIR LE PROCESSUS DE PROFESSIONNALISATION DANS LE CADRE DES FINANCEMENTS COMMUNAUTAIRES
Si la littérature met généralement l’accent sur le rôle de l’Etat dans la
professionnalisation des acteurs associatifs en Europe dans les années 1990, elle insiste
davantage sur le rôle des donateurs publics internationaux au tournant des années 2000. Les
chercheurs ne parlent désormais plus de « government-driven professionalization129 » mais
bien d’un phénomène survenant dans le cadre et de façon subordonnée à la structure
d’opportunité politique et économique que constitue l’Union européenne130. Chez certains
auteurs, on retrouve ainsi l’idée que « the European Union promotes a very specific version of
professionalization131 ».
La société civile étant désormais pensée par les responsables européens comme un
facteur de légitimation du système politique européen de par sa capacité à rapprocher l’UE de
ses citoyens132, les différentes études menées depuis le début des années 2000 en termes de
professionnalisation du secteur ont d’abord vocation à évaluer leur potentiel démocratique et
donc légitimateur de l’UE. Celle-ci est en effet généralement décrite comme impliquant un
transfert de pouvoir des volontaires et activistes aux experts et donc la monopolisation de la
129 FROELICH, A., loc. cit., p.256 130 FAGAN, A., loc. cit., p.208 131 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.512 132 KOHLER-KOCH, B., « Organised interest in European Integration : the evolution of a New type of Governance ? », in WALLACE, H., YOUNG, A. (ed.), op. cit., pp.42-68 ; GROSSMAN, E., SAURUGGER, S., Les groupes d’intérêt. Action collective et stratégies de représentation, Paris, Armand Colin, 2006
28
participation par une élite de professionnels133. Ces travaux donnent alors à penser le potentiel
démocratique de ces organisations comme étant directement lié à leur degré de
professionnalisation. Ainsi, si les études portant sur les interactions entre l’UE et les acteurs
de la société civile sont en plein essor depuis le début des années 2000, ce sont surtout les
organisations évoluant dans l’arène européenne qui ont suscité l’intérêt des chercheurs,
limitant leur analyse à l’évolution des groupes d’intérêt134 et de l’action collective135.
Une frange de la littérature se démarque cependant de cette tendance. La question
n’est en effet pas uniquement pour ces auteurs de savoir si les modèles organisationnels et les
nouvelles techniques de gestion transférés par l’Union européenne à travers des conditions de
financements spécifiques entrent en contradiction avec le concept de démocratie participative
mais si ces derniers conduisent à la formalisation de nouvelles pratiques, savoir-faire
spécifiques. Ayant pour but d’élaborer un cadre analytique qui permettrait l’étude des effets
structurants de l’UE sur ces organismes, ces travaux fournissent un ensemble d’éléments
permettant de conceptualiser ce qui devrait précisément être analysé lorsqu’on étudie la
professionnalisation comme conséquence de l’usage des fonds communautaires.
En nous appuyant sur cette littérature, nous tenterons dans cette section de distinguer
les principaux aspects permettant de saisir le processus de professionnalisation des
organisations du secteur associatif dans le cadre des financements communautaires. La liste
de ces indicateurs est loin d’être exhaustive mais vise à regrouper, de manière assez
représentative, les différents arguments développés dans la littérature et à offrir une base
théorique suffisante à notre analyse de terrain.
Le modèle d’analyse de la professionnalisation des organisations du secteur associatif
que le présent travail se propose d’appliquer au cas de la Pologne est largement inspiré des
travaux de Sabine Saurugger136 (2009) et de Gordon D. Cumming137 (2008), mais aussi ceux
de Rosa Sanchez-Salgado138 (2009, 2010 et 2011), qui a consacré son analyse aux ONG
133 SAURUGGER, S., op. cit., 2006, pp.260-276 134 MICHEL, H. (dir.), op. cit., RICHARDSON, J., MAZEY, S., « Institutionalizing Promiscuity : Commission-Interest Group Relations in the European Union », in SWEET, A-S., SANDHOLTZ, W., FLIGSTEIN, N., The Institutionalisation of Europe, Oxford, Oxford University Press, 2001, pp.71-93 ; SAURUGGER, S., op. cit., 2006, pp.260-276 135 ASPINWALL, M., GREENWOOD, J., « Conceptualising collective action in the European Union. An introduction », in ASPINWALL, M., GREENWOOD, J., Collective Action in the European Union, London, Routledge, pp.1-30 136 SAURUGGER, S., loc. cit., pp.1-21 137 CUMMING, G., « French NGOs in the Global Era : Professionalization « Without Borders » ? », Voluntas, n°19, 2008, pp.372-394. 138 SANCHEZ-SALGADO, R., « Les effets des programmes européens sur les associations du secteur social : une influence à niveaux multiples », Pôle Sud, n°31, 2009/2, pp. 41-56 ; SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, pp.507-527; SANCHEZ-SALGADO, R., « EU structuring effects on civic organizations : learning from
29
humanitaires et aux associations du secteur social139 au Royaume-Unis, en France et en
Espagne.
Sur la base de cette littérature, il est ainsi possible de dégager deux aspects interreliés
de la professionnalisation comme résultat de la nature et de la complexité des conditions
d’accès aux financements communautaires : l’utilisation de nouvelles techniques de gestion
des projets d’une part, qui se traduit notamment par une départementalisation progressive des
domaines d’activités, et une sélectivité accrue des critères de recrutement d’autre part,
concomitante au mouvement de salarisation des activités liées au secteur associatif.
2.1. Des pratiques, des savoir-faire et des savoir-être transformés
Dans son analyse de l’impact du programme communautaire EQUAL140 sur les
associations chargées de sa mise en œuvre en France et en Espagne, Rosa Sanchez-Salgado
explique qu’« en proposant plus d’argent, l’UE ne permet pas seulement de faire plus141 ».
L’obtention de fonds européens transforme aussi les pratiques de gestion administrative et
comptable des porteurs de projets. Les normes européennes étant devenues les plus exigeantes
dans ce domaine, elles sont perçues par certains comme « les nouvelles normes de
classement 142 ». Suite aux fraudes internes qui avaient entraîné la démission de la
Commission Santer en 1999, la Commission exige en effet depuis lors que les bénéficiaires
adoptent des pratiques de gestion managériales et organisationnelles spécifiques. Elle impose
alors un ensemble de critères qui deviendront des conditions d’accès indispensables aux
financements. A titre d’exemple, on peut retenir l’importance de la qualité du personnel de
l’association, la rentabilité du projet, l’évaluation, la transparence et l’audit budgétaire143. Elle
insiste par ailleurs beaucoup pour que les porteurs des projets appliquent l’approche de
gestion du cycle du projet ainsi qu’une approche programmatique et stratégique144.
experience, learning from comparison », Paper presented at a conference in Dubrovnik « Developing policy in different cultural contexts : learning from study, learning from experience, 10-12 June 2011, pp.1-19. 139 Celles-ci peuvent être définies comme des organisations fournissant un large éventail de services sociaux. L’adjectif « social » est tellement large qu’il peut inclure la plupart des activités associatives. Cependant, la conception du « social » développée par l’Union européenne est plus spécifique et désigne prioritairement la promotion de l’emploi au sein de l’Union européenne. 140 Le programme européen EQUAL a financé de 2000 à 2006 des projets pour la promotion de l’emploi et de la formation professionnelle. 141 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2009, p.42 142 Ibid., p.52 143 SANCHEZ-SALGADO, R., « Les ONG en Europe : facteur de légitimation de l’Union européenne ? », in JACQUOT, S., WOLL, C. (dir.), Les usages de l’Europe : acteurs et transformations européennes, Paris, L’Harmattan, 2004, p.101 144 SAURUGGER, S., loc. cit., p.15
30
Conçue dans les années 1960, il s’agit d’une méthode de planification des projets axée
sur les objectifs à atteindre et permettant ainsi de cibler l’analyse, la planification, la mise en
œuvre, le suivi et l’évaluation du projet sur base de l’atteinte de ces derniers. Comme l’illustre
le schéma ci-dessous, la procédure à suivre comporte plusieurs étapes clés : préparation du
projet, mise en œuvre, évaluation. L’analyse réalisée permet de créer un plan d’action utilisé
pour planifier la mise en œuvre d’éventuels ajustements en cours de projet qui seraient
apportés dans ce plan d’action face un changement de contexte par exemple145.
Schéma synthétique du Cycle de vie de projets
Ensuite, concernant le budget des projets, les bénéficiaires doivent adopter le principe
de bonne gestion financière (Principle of Sound financial management). Ce dernier est défini
par référence aux principes d'économie, d'efficience et d'efficacité. En termes opérationnels,
cela implique de définir des objectifs qui seront vérifiables à l’aide d’indicateurs de
performance mesurables. Un tel principe permet de faire la transition d’une gestion basée sur
les ressources à une gestion axée sur les résultats. Les bénéficiaires doivent, dans cette
optique, procéder à des évaluations a priori et a posteriori, conformément aux orientations
145 Pour de plus amples informations concernant l’approche de la gestion du cycle de projet, voir le site du Fonds social européen : http://www.fse.be/boite-a-outils/documents-de-base/appliquer-la-methode-de-la-gestion-du-cycle-de-projet (page consultée le 10 juillet 2013)
http://eacea.ec.europa.eu/youth/programme/project_life_cycle_fr.php. (URL consulté le 25 juillet 2013
31
fixées par la Commission146. En conséquence de l’introduction de ces nouvelles pratiques
organisationnelles, la majorité des travaux sur l’impact des financements communautaires
identifient une départementalisation progressive des activités au sein des organisations.
Sanchez-Salgado explique ainsi que le respect des critères et des objectifs de rationalisation
définis par l’UE s’accompagnant d’une diversification des activités, on observe la mise en
place d’une nouvelle organisation du travail autour de pôles d’activité bénéficiant d’une
relative autonomie et échangeant peu d’un domaine de compétences à l’autre147. Différents
groupes de travail sont ainsi créés au sein des organisations pour permettre la réalisation des
principes promus par la Commission européenne. Maîtriser les procédures de co-
financements et se tenir informé des logiques de financements européens devenant une
compétence à part entière, on observe parfois la mise en place d’un groupe dont l’activité est
exclusivement orientée vers la recherche de financements et la comptabilité, parallèlement
aux groupes chargés de la gestion des projets mis en œuvre par l’organisation.
Enfin, les programmes communautaires européens induisent la diffusion de la pratique
du partenariat. Cette dernière est généralement décrite comme « un processus d’apprentissage
donnant lieu à la consolidation de nouvelles structures de coopération à l’échelle
transnationale148 ». Une autre spécificité des critères de financements définis par l’UE réside
ainsi dans l’opportunité, pour les acteurs associatifs, de développer des projets conjoints entre
plusieurs organisations appartenant à au moins deux Etats membres. Cette dernière alternative
a pour but de conférer une dimension européenne aux projets financés en incitant les
organisations des différents Etats membres à coopérer149. Plus qu’un simple partenariat
financier ou des réseaux associatifs d’échange d’informations, il s’agit de travailler
concrètement avec des organisations et des partenaires très différents. C’est en ce sens que les
fonds communautaires sont désormais perçus comme favorisant le transfert de pratiques et de
principes opérationnels nouveaux.
Cela étant, il faut garder à l’esprit que les financements créés au niveau européen
constituent des opportunités pour les organisations. Il ne faut donc pas s’attendre à ce que les
éventuelles transformations constituent « a straightforward and automatic process 150 »,
comme c’est généralement le cas lorsqu’on étudie l’impact des directives européennes qui 146 Pour plus d’informations concernant la gestion financière et administrative des projets, voir: http://www.fse.be/boite-a-outils/documents-de-base/gestion-administrative-et-financiere (page consultée le 10 juillet 2013) 147 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.9 148 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2009, p.53 149 SANCHEZ-SALGADO, R., « Les ONG en Europe : facteur de légitimation de l’Union européenne ? », in JACQUOT, S., WOLL, C. (dir.), op. cit., pp.94-95 150 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2011, p.3
32
reposent sur de véritables contraintes juridiques. Autrement dit, l’influence de l’UE « n’est ni
directe ni automatique, ni inévitable ni indéfectible151 ». Elle dépend de la volonté des acteurs
associatifs de se saisir de ces occasions communautaires. Par contre, ils sont obligés de se
soumettre aux exigences du programme dès le moment où ils bénéficient des fonds européens.
Les auteurs ayant travaillé sur la professionnalisation au prisme des effets structurants
des financements européens considèrent généralement qu’étudier l’investissement de
certaines pratiques par les acteurs, tels que l’expertise, le partenariat ou l’approche du « cycle
de gestion du projet » mentionnées précédemment, permet de révéler la façon dont les
exigences européennes contribuent à la formalisation d’un ensemble cohérent et spécifique de
savoir-être et de savoir-faire152. Ces investissements supposent en effet un ensemble de
dispositions ou de propriétés sociales qui les rendent possibles tout en en limitant le coût (en
temps et en énergie). Ces modes d’investissement tendent ainsi à s’institutionnaliser et à se
présenter comme une forme contraignante d’exercice du travail associatif, contribuant de ce
fait à prescrire un ensemble de rôles relativement homogènes qui influencent alors en retour
les registres d’action et de légitimation mobilisés par les acteurs concernés.
La technicité et la complexité des pratiques supposent à la fois une forme de
socialisation tout comme l’acquisition d’une capacité particulière d’organisation et de travail.
A cet égard, Rosa Sanchez-Salgado souligne le rôle joué par ce qu’elle appelle les
« facilitators153 » dans la familiarisation avec ces nouvelles pratiques. Véritables corps
intermédiaires mis en place par l’UE, ces conseillers sont chargés d’organiser des sessions de
formations sur les techniques de management promues par l’UE pour favoriser un processus
d'apprentissage au sein du personnel et des bénévoles des organisations bénéficiaires.
D’autre part, Sabine Saurugger ne manque pas l’occasion de rappeler que de telles
transformations sur le plan procédural sont « value-loaded154 ». Ces nouveaux instruments
reposant sur de nouveaux contenus normatifs, comme l’ont démontré Lacoumes et Le Galès
en 2007, ils conduisent de ce fait au recrutement de nouveaux profils dans la structure
organisationnelle.
151 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2009, p.42 152 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.514 153 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2011, p.14 154 SAURUGGER, S., loc. cit., p.15
33
2.2. De nouveaux critères de recrutement
Les auteurs ayant travaillé sur la professionnalisation au prisme des financements
communautaires considèrent généralement que la sélectivité accrue des critères de
recrutement, que Gordon Cumming désigne par l’expression « up-skilling process 155 »,
constitue ainsi un deuxième indicateur d’un processus de professionnalisation à l’œuvre. Cette
accélération du recrutement de personnels salariés ou volontaires issus d’autres secteurs
professionnels et/ou présentant des compétences qui se révèlent être en adéquation avec les
exigences européennes s’explique par la surcharge de travail qu’impliquent les nouvelles
méthodes de gestion imposées à tout porteur de projet par l’UE (constitution d’un dossier de
financement, multiplication des rapports intermédiaires ou finaux, rationalisation de la
comptabilité et de la gestion financière,…).
Un tel phénomène est rendu possible car, comme l’avaient déjà constaté John
McCarthy et Mayer Zald dans le cas des mouvements sociaux156, les organisations qui
dépendent fortement des fonds publics n’ont plus nécessairement besoin de militants de base.
Ces deux auteurs établissent ainsi une corrélation importante entre le soutien financier apporté
aux mouvements sociaux et l’émergence de véritables carrières au sein de ces mouvements.
De par la croissance massive des sources extérieures de financement, il est en effet devenu
possible pour un grand nombre de professionnels de gagner un revenu respectable en
s’engageant dans des activités liées au secteur associatif. De tels appuis financiers réduisent
l’importance de l'adhésion au sens classique et entraînent progressivement le remplacement
de la main-d'œuvre bénévole par du personnel payé et sélectionné sur base de critères de
compétence et d'expérience spécifiques. On observe alors la formation d’équipes rémunérées
ayant parfois l’opportunité de travailler à temps-plein et de remplir les fonctions de
secrétariat, de montage des dossiers administratifs, de réalisation des projets sur le terrain, etc.
On retrouve à nouveau cette idée d’un processus par lequel des acteurs vivant « pour » une
cause en arrivent à vivre « de » celle-ci, en y puisant les moyens de leurs subsistance.
Afin de mesurer une telle évolution, les travaux sur lesquels la présente étude a fait le
choix de se baser questionnent les trajectoires sociales et professionnelles qui disposent les
acteurs sociaux à occuper un poste dans une organisation du secteur associatif dont une part
importante des activités sont financées par les fonds européens. Ils s’attachent à identifier les
indicateurs tenants aux propriétés sociales : ils étudient la nature des études réalisées, le plus
haut diplôme obtenu, mais également le lieu où ces cursus ont été réalisés. Ce dernier permet 155 CUMMING, G., loc. cit., p.381 156 MCCARTHY, J., ZALD, M. (dir.), op. cit.
34
de savoir si les acteurs associatifs ont, outre leur parcours de formation nationale, européanisé
ou internationalisé leur cursus de formation.
Aborder les acteurs par leur spécialisation vise ainsi à mieux cerner le type d’acteurs
que les conditions de financements européens contribuent à construire en véritables
professionnels de l’action associative. Ces travaux étudient également les modalités de
recrutement afin de déterminer si les organisations privilégient l’embauche de spécialistes
dûment formés aux techniques utiles au bon fonctionnement de l’organisation en général ou
leur permettant de répondre aux exigences des critères d’octroi des fonds européens en
particulier, comme la comptabilité, le marketing, les ressources humaines, etc157.
Ceci étant dit, on pourrait toutefois se poser la question de la spécificité de ces deux
indicateurs, ces nouvelles logiques managériale et administrative de gestion des projets, et la
plus grande sélectivité des critères de recrutement qui va de pair, n’étant pas caractéristiques
des seules exigences européennes de financement. En effet, nombreuses sont les organisations
qui adoptent des techniques de gestion similaires à celles promues par la Commission
européenne depuis le milieu des années 1990 sans bénéficier pour autant des fonds
européens158. Ces dernières sont en contact avec d’autres donateurs ayant développé des
exigences comparables, tels l’USAID et la Banque Mondiale, ou ont simplement été
influencées par l’évolution actuelle des techniques de marketing public. Toutefois, la nature
des acteurs étudiés dans le cadre de cette recherche – les organisations actives dans le
domaine de la jeunesse – permet de dépasser cette difficulté et de distinguer les effets des
critères d’octroi des fonds européens sans craindre les interférences avec les exigences des
programmes de financements d’autres organisations internationales. Les sources de
financements qui s’offrent à ce secteur sont en effet restreintes à l’UE et aux fonds locaux, le
montant de ces derniers restant néanmoins relativement faible159. Par ailleurs, si les critères de
financements européens sont comparables à ceux mis en place par d’autres bailleurs de fonds
internationaux à certains égards, ils font néanmoins intervenir, comme nous le verrons dans la
suite de ce travail, d’autres processus. A titre d’exemple, on peut retenir la dimension
transnationale. Les bénéficiaires sont en effet fortement encouragés à développer leur
coopération avec des partenaires étrangers qui ont souvent des conceptions différentes du
terrain dans lequel ils opèrent. Censé mener à un véritable travail en commun, ce type de
partenariats contribue à la transnationalisation des entités bénéficiaires.
157 SAURUGGER, S., loc. cit., p.14 158 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.522 159 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.41
35
En s'appuyant sur les études de Gordon Cumming et sur les études comparatives de R.
Sanchez-Salgado sur la France et l’Espagne, auxquelles nous avons ajouté des éléments
définis chez Sabine Saurugger, la section précédente s’est attardée à mettre en évidence les
différents aspects clés de la professionnalisation comme résultat de l’usage des fonds
communautaires – sans pour autant prétendre à l’exhaustivité – : de nouvelles techniques de
gestion des projets, qui se traduisent par une départementalisation progressive des domaines
d’activités et une inscription dans des réseaux transnationaux, et une sélectivité accrue des
critères de recrutement.
Tableau récapitulatif des indicateurs de la professionnalisation comme résultat des financements communautaires
Auteurs Indicateurs de la professionnalisation comme résultat des financements communautaires
Saurugger (2009) et Sanchez-Salgado
(2009, 2010, 2011)
Une technicisation des méthodes de gestion des projets - départementalisation des domaines d’activité - inscription dans des réseaux transnationaux
Cumming (2008)
Une sélectivité accrue des critères de recrutement
Ces deux aspects de la professionnalisation des pratiques associatives intrinsèquement
liés sont en effet très utiles car ils clarifient le lien entre la professionnalisation des
organisations du secteur associatif et la complexité des conditions d’accès aux financements
européens. Un tel modèle d’analyse nous permet d’étudier la dynamique de ces organisations
en établissant un lien direct avec les opportunités de financements européens. Afin d’affirmer
ou d’infirmer notre hypothèse de travail – pour rappel : les opportunités de financement
européen entraînent une professionnalisation du monde associatif polonais de par les
modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds communautaires –, les différents
acteurs sélectionnés pour cette étude seront analysés à l’aide des catégories d’indicateurs
établis supra dans l’optique de dégager le degré d’influence des critères de financements sur
les pratiques associatives.
Avant d’entrer dans l’analyse concrète du secteur associatif de Wroclaw, nous
voudrions revenir sur l’apport théorique de cette recherche. Jusqu’ici, nous remarquons que la
professionnalisation comme résultat des structures d’opportunités de financements européens
est souvent envisagée dans la littérature comme un double processus de transformation : un
processus de transformation des modes de faire d’individus « exposés » aux critères d’octroi
36
des financements européens d’une part, et un processus de transformation des logiques
présidant au recrutement des acteurs associatifs d’autre part. Les travaux analysant l’impact
des financements communautaires au prisme de la professionnalisation privilégient donc un
angle d’approche particulier : celui des effets des conditions d’octroi des fonds européens sur
la professionnalisation des acteurs associatifs, qui invite à une étude de l’investissement par
ces derniers de nouvelles pratiques et savoirs spécialisés, ainsi qu’à une analyse de leurs
trajectoires professionnelles et sociales. Si ces travaux donnent à penser l’acquisition de ces
compétences comme le résultat des parcours et propriétés sociales des acteurs concernés en
mettant l’accent sur l’étude des logiques de recrutement, cette approche de la
professionnalisation s’est d’une manière générale peu interrogée sur les questions de la nature
précise de ces savoirs et de leurs modalités différenciées d’apprentissage par les individus,
tout comme les ressources qu’ils mobilisent dans l’exercice concret de leurs activités160.
C’est en réaction à ce manque que le présent travail tentera modestement d’adopter,
dans une perspective plus interactionniste, un angle d’approche complémentaire : celui des
processus concrets de professionnalisation à l’œuvre dans le contexte associatif, afin de
comprendre la façon dont opère ce phénomène. Nous aimerions ici tenter de préciser cette
compréhension de la professionnalisation comme un processus double en revenant sur les
processus d’apprentissage des pratiques exigées par les conditions générales de financements
européens.
Dans cette optique, et à partir d’une enquête qualitative portant sur certaines
organisations du secteur associatif, la suite de ce travail s’attachera d’abord à étudier la façon
dont les exigences européennes contribuent à la formalisation de nouvelles pratiques, et donc
à l’objectivation progressive d’un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être
concrets. Il s’agira ensuite de questionner les trajectoires sociales et professionnelles qui
disposent les acteurs à remplir une fonction au sein de ces organisations dont la survie dépend
des financements communautaires. Sous cet angle, la mise en perspective des pratiques et des
compétences spécifiques qu’elles nécessitent avec un examen des propriétés sociales et
professionnelles des acteurs rencontrés visera enfin à mieux cerner la façon dont opèrent les
processus concrets de professionnalisation comme résultat des conditions d’octroi des fonds
européens. En effet, en permettant d’analyser en quoi l’apprentissage de ces nouvelles 160 Comme nous l’avons souligné, les travaux de Rosa Sanchez-Salgado ont tenté de penser les conditions d’apprentissage des exigences en identifiant l’existence de ce qu’elle appelle des “facilitateurs”, corps intermédiaires mis en place par l’UE afin d’organiser des sessions de formations sur les techniques de management promues par l’UE. Toutefois, en les comprenant comme le produit d’une fréquentation de telles formations, ces travaux n’ont pas questionné l’existence de processus d’apprentissage internes, ayant lieu au sein même des organisations bénéficiaires.
37
pratiques découle de leurs dispositions sociales et professionnelles antérieures, cette démarche
permettra d’interroger le moment auquel intervient ce processus, en amont ou au sein même
des organisations bénéficiaires. Ce questionnement a toute son importance puisque les savoirs
et compétences pratiques mises en œuvre par les acteurs pour répondre aux critères de
financements européens sont généralement envisagés comme tendant à valoriser certaines
propriétés sociales et profils d’acteurs et impliquant ainsi un transfert de pouvoir des
volontaires et activistes aux experts et donc la monopolisation de la participation par une élite
de professionnels161.
Mais avant d’entrer dans l’analyse concrète du secteur associatif de Wroclaw, il
convient de nous arrêter un instant sur la façon dont nous avons procédé pour mettre à jour les
processus concrets de professionnalisation à l’œuvre dans le contexte associatif, ainsi que sur
le protocole d’enquête que nous avons suivi pour recueillir les données nécessaires à notre
recherche.
161 SAURUGGER, S., op. cit., 2006, pp.260-276
38
III. Méthodologie
Suite à la « chute » des régimes communistes en Europe Centrale et Orientale, le
paysage associatif des pays de la région connaît une explosion en termes numériques. Dès les
premières années de la transition démocratique, leur nombre grandira exponentiellement en
Pologne. Si, comme nous l’avons vu, les organisations composant le secteur ont d’abord été
abordées sous le prisme de la « société civile » pour attester du retour réussi aux règles de la
démocratie, nous allons tenter de les étudier sous un angle plus organisationnel.
Après avoir rappelé notre stratégie de recherche, nous justifierons le choix des acteurs
interrogés et l’intérêt qu’ils présentent pour notre objet d’étude. Nous nous pencherons
ensuite sur l’outil utilisé pour recueillir les données nécessaires afin de tenter de répondre à la
problématique formulée précédemment – une enquête qualitative par entretiens –, tout en
insistant sur les difficultés rencontrées durant la réalisation de l’étude ainsi que sur les limites
de cette dernière.
1. STRATEGIE DE RECHERCHE
En vue de réaliser cette recherche, il convenait avant tout de définir de façon claire et
concise l’objet d’étude choisi, tout en déterminant le ou les angles sous lesquels il allait être
envisagé. Alors que notre intérêt pour le thème de l’impact des fonds européens sur le secteur
associatif a été suscité à la suite d’un voyage d’étude organisé par l’Université Libre de
Bruxelles à Bucarest en 2011 – celui-ci avait pour objectif de faciliter notre compréhension de
la politique mais aussi de la société civile roumaine par le biais de rencontres avec divers
acteurs composant ces dernières –, sa limite géographique à la Pologne découle d’un séjour au
sein du pays pour un échange de six mois réalisé à l’Université de Wroclaw. Cependant,
malgré cette limite géographique imposée pour des raisons pratiques, étudier l’impact des
opportunités de financements communautaires sur l’ensemble du secteur associatif à Wroclaw
demeure une tâche laborieuse.
Aussi, il a été indispensable de restreindre notre champ d’étude en décidant que
l’analyse aborderait les organisations bénéficiant des fonds européens dans le cadre d’un
même programme communautaire, appelé Jeunesse en Action. Il paraît évident qu’une telle
limite dans le type de financements ne permet pas de saisir toute la complexité et la réalité de
l’impact des financements européens en termes organisationnels. Cependant, nous avons jugé
nécessaire de privilégier une cohérence dans le type de fonds, les critères d’octroi de ces
39
derniers variant d’un programme communautaire à l’autre. Mais nous reviendrons plus en
détail sur les raisons de ce choix dans la suite de ce chapitre.
Après un aperçu de l’état de la littérature générale – sur le secteur associatif et son
évolution ; sur les indicateurs révélant une professionnalisation à l’œuvre comme résultat des
financements communautaires –, une question de recherche est née : « dans quelle mesure les
opportunités de financements européens conduisent-elles à la professionnalisation du secteur
associatif polonais ? ». C’est le résultat de deux littératures indépendantes – la question du
secteur associatif polonais et de sa recomposition et celle de l’impact de l’intégration
européenne sur ce dernier – qui se sont entrecroisées pour définir cette question de recherche,
qui guidera chacune des étapes de ce travail. Une fois la question posée, l’orientation de la
recherche a été précisée grâce à la définition d’une hypothèse principale, à savoir : les
opportunités de financement européen entraînent une professionnalisation du monde
associatif polonais de par les modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds
communautaires. Comme susmentionné, le choix de cette hypothèse ne relève pas du hasard :
il reflète les résultats de la majorité des recherches réalisées sur la professionnalisation du
secteur associatif qui désignent les conditions d’accès aux financements communautaires
comme étant le facteur déterminant de la structure organisationnelle et sociale de telles
associations162. L’intérêt même de cette étude réside donc dans la question de savoir, si oui ou
non, cette hypothèse largement partagée s’applique au cas de la Pologne.
2. PRESENTATION DU TERRAIN
Avant d’entamer l’analyse de l’impact des financements européens à proprement
parler, il nous semble essentiel d’expliquer comment nous avons sélectionné les trois
organisations étudiées ainsi que l’intérêt qu’elles présentent pour notre objet d’étude. Le
terrain choisi pour étudier cette question devant présenter une caractéristique essentielle –
bénéficier de financements européens – nous avons ainsi sélectionné des organisations locales
bénéficiant de financements dans le cadre du programme d’initiative communautaire Jeunesse
en action163 qui a financé, de 2000 à 2006 puis de 2007 à 2013, des projets pour la promotion
de la coopération européenne dans le domaine de la jeunesse164.
162 EBERWEIN, W., SAURUGGER, S., loc. cit. ; SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010 ; WEISBEIN, J., « La Fédération française des maisons de l’Europe (1960-2000). La trajectoire d’un militantisme européen de terrain », in ALDRIN P., DAKOWSKA D. (dir.), op. cit., pp.37-62. 163 Un tel programme s’adresse aussi à d’autres types d’acteurs comme les collectivités territoriales, les entités parapubliques, les organismes de formation et les entreprises. Mais l’usage des fonds européens fait par ces derniers n’entre pas dans le cadre de cette analyse dont le champ d’étude se limite aux organisations du secteur
40
Les objectifs du programme Jeunesse en Action165 "Jeunesse en action" est un programme mis en place par l'Union européenne pour la période 2007-2013 à l'intention des jeunes. Il vise à développer le sens de la citoyenneté européenne active, de la solidarité et de la tolérance entre les jeunes européens et à les inciter à jouer un rôle actif dans la création de l’avenir de l’Union européenne. Il favorise la mobilité au sein de l’UE et au-delà de ses frontières, promeut le dialogue interculturel et encourage l’inclusion de tous les jeunes, sans tenir compte de leur milieu éducatif, social et culturel.
Notre étude portera plus précisément sur trois organisations : l’association Dom
spotkan im. Angelusa Silesiusa (« La Maison de la rencontre » Angelus Silesius), l’association
Semper Avanti et la Fondation Krzyzowa dla Porozumenia Europejskiego (Fondation
« chemin de croix » pour la compréhension mutuelle en Europe). Les activités de ces trois
organisations visent, de manière générale, à encourager le développement personnel et
professionnel des jeunes. Cet objectif s’exprime dans des projets dits « de terrain » ou de
travail avec les écoles par exemple. Leur but est de familiariser les jeunes avec les divers
moyens et outils qu’ils peuvent saisir pour s’épanouir personnellement sur le plan scolaire,
culturel mais aussi parfois politique.
Organisations rencontrées Date de création
Nombre d’employés166
Site internet
1. Angelus Silesius 1993 6 http://www.silesius.org.pl 2. Semper Avanti 2000 7 http://semperavanti.org 3. Krzyzowa Fundacja 1990 11 http://www.krzyzowa.org.pl
Angelus Silesius, dont l’objectif principal exposé dans les statuts est de « développer la
formation et l’éducation de la jeunesse », est fondée en 1993 par deux jésuites polonais pour
proposer des ateliers éducatifs, des séminaires, des réunions thématiques, des conférences et
des programmes de formation et de bénévolat tant au niveau national qu’international. Les
locaux de l’organisation sont situés dans un building appartenant à l’Eglise qui leur loue
encore aujourd’hui le bâtiment, et qui comprend également un hôtel (Hostel Silesius) qui
fonctionne au profit de l’organisation.
associatif. 164 Les informations concernant les projets financés en Pologne par la Direction générale « Education et culture » pour la période de 2007-2013 sont disponibles sur la base de données Jeunesse en Action, disponible sur http://eacea.ec.europa.eu/youth/results_compendia/results_en.php (page consultée le 23 mars 2013) 165 D’après le site internet http://eacea.ec.europa.eu/youth/programme/about_youth_fr.php (page consultée le 5 juillet 2013) 166 Par “employés”, nous entendons les personnes chargées de la gestion des projets. Ce chiffre n’inclut pas les responsables de l’organisation, les secrétaires, les comptables ou les experts en communication (seule la Fondation Krzyzowa a fait le choix d’en engager un).
41
La seconde association, Semper Avanti, est créée en 2000 par des étudiants en sciences
sociales qui souhaitent simplement, à l’origine, proposer des activités visant à développer la
conscience européenne des jeunes. Cette association développe différentes activités pour leur
offrir l’opportunité d'acquérir une expérience internationale favorisant leur développement
personnel et professionnel. Cet objectif se concrétise à travers trois champs d’action : la
participation démocratique de la jeunesse, son intégration sur le marché du travail et sa
participation à des échanges internationaux. Les locaux de Semper Avanti sont situés dans un
building appartenant à la Mairie de Wrocław qui leur loue le bâtiment depuis sa création.
Enfin, la Fondation Krzyzowa est initialement créée en 1990 à l’initiative du Club de
l’intelligentsia catholique de Wroclaw pour renforcer le dialogue germano-polonais en créant
un centre international et un mémorial de la résistance européenne à Krzyzowa167. Il s’agit
d’une organisation indépendante qui promeut l’existence pacifique et tolérante des nations,
des groupes sociaux et des individus en Europe. Concrètement, la Fondation organise des
rencontres interculturelles entre des individus provenant de tous les milieux nationaux,
sociaux et religieux ayant pour thème l’histoire, le développement durable ou les médias.
Bien que les organisations bénéficiaires rencontrées soient établies depuis plus de dix
dans les trois cas, elles sont de petites exploitations avec peu de signes d'expansion interne. A
l’exception de la Fondation Krzyzowa, le nombre de personnel qu'ils emploient est resté
relativement faible, deux des trois organisations rencontrées comptant moins de 10 personnes.
Si leur effectif reste restreint, la majorité des individus y travaille toutefois à temps plein168.
Ce qui fait la particularité de la Fondation Krzyzowa par rapport aux deux autres
organisations étudiées, c’est aussi l’existence d’un groupe dont l’activité est exclusivement
orientée vers la recherche de financements et la comptabilité, parallèlement aux
groupes chargés de la gestion des projets mis en œuvre par la Fondation. Dans les deux autres
cas, les employés chargés de la gestion des projets assurent l’ensemble des tâches, de la 167 Durant la Seconde guerre mondiale, le domaine de Krzyzowa – village situé à 40km au sud-est de Wroclaw et faisant alors partie intégrante de l’Allemagne sous le nom de « Kreisau » –, appartenait à Helmuth James Von Moltke, membre dirigeant du « Cercle de Kreisau », un mouvement de résistance civile contre le régime Nazi. Ce n’est qu’en 1998 que la Fondation ouvre officiellement ses portes. Des camps d’été étaient organisés depuis 1990 et des séminaires de rencontre pour les jeunes avaient lieu régulièrement depuis 1994 lorsqu’une première partie du domaine avait été reconstruite. Cette reconstruction fut financée par les gouvernements polonais et allemand. Par ailleurs, la Fondation est soutenue depuis sa création par une association berlinoise de parrainage créée pour assurer sa promotion – la « Kreisau Initiative » – et avec laquelle elle coopère sur le plan professionnel, dans le domaine du recrutement des employés notamment. Pour de plus amples informations sur l’histoire de la Fondation, voir http://www.kreisau.de/en/das-neue-kreisau/stiftung-kreisau.html. 168 Sur les treize personnes interrogées, seules deux n’ont pas le statut d’employé « à temps-plein ». La première, une employée d’Angelus Silesius, occupe une position à temps partiel, ce qui s’explique par son statut d’étudiante. La seconde, le manager de Semper Avanti, bénéficie du statut d’indépendant complémentaire, étant professeur à l’Université de Wroclaw d’une part – où il donne des cours sur le système de financement européen destiné aux organisations non-gouvernementales –, et gérant d’une entreprise de paintball d’autre part.
42
recherche des fonds à la rédaction des rapports financiers et administratifs destinés à l’agence
nationale du programme située à Varsovie169, en passant par la coordination des projets en
eux-mêmes. Des comptables sont parfois engagés mais ces derniers n’interviennent pas dans
la gestion du budget des projets.
Centrer les propos de notre analyse autour des organisations investies dans le domaine
de la jeunesse limitera notre travail dans les zones de compétences des organisations qui
correspondent le mieux à notre recherche sur l’impact du programme européen Jeunesse en
Action. C’est en ce sens que Wroclaw se révèle être un cas d’étude pertinent et représentatif.
Quatrième ville de Pologne par sa population (633 000 habitants) et troisième ville étudiante
du pays170, la capitale de la voïvodie de Basse-Silésie compte en effet aujourd’hui certains des
plus gros bénéficiaires de fonds européens dans le cadre du programme Jeunesse en Action
dans la région171. Notre étude ne portera donc pas sur les organisations régionales ou à portée
environnementale. Elle ne s’intéressera pas non plus aux organisations de promotion de la
démocratie.
Avant d’aborder la façon dont les informations ont été recueillies pour réaliser ce
travail, nous aimerions revenir sur les apports de ce terrain de recherche. Mener une enquête
de terrain à partir d’un seul type d’organisations du secteur associatif – celles actives dans
l’accompagnement de la jeunesse – constitue tout d’abord le moyen d’étudier les effets des
opportunités de financement européen en tant que tel, en permettant de neutraliser autant que
possible les interférences liées à une diversité des secteurs d’activité et donc des sources
européennes de financements.
Il s’agit en effet de faire la distinction entre les fonds directement administrés par la
Commission européenne, dont les programmes communautaires tels que Jeunesse en Action
font partie, et les fonds redistribués par les autorités nationales et régionales, tels que le Fonds
européen de développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE), aussi
appelés « fonds structurels » ou « fonds de cohésion ». Dans ce dernier cas, les exigences à la
base des conditions d’octroi des financements ne viennent pas directement du niveau
européen mais sont relayées par les Etats membres, dont les exigences et priorités peuvent
alors interférer avec celles de la Commission européenne. Dès lors, se limiter à l’étude de 169 Les agences nationales du programme Jeunesse en Action sont des corps intermédiaires – sorte d’agences nationales ambassadrices des programmes européens dans les différents pays – qui transmettent les exigences européennes aux bénéficiaires et sont chargées de sélectionner les projets. 170 Wroclaw est l’une des villes se développant le plus rapidement en Pologne aujourd’hui, de par sa situation géographique, à proximité des frontières allemande et tchèque. 171 D’après le site de la Direction générale « Education et culture » concernant la liste des projets bénéficiant de fonds dans le cadre de Jeunesse en Action en Pologne : http://eacea.ec.europa.eu/youth/results_compendia/results_en.php (page consultée le 23 mars 2013)
43
l’impact d’un seul et même programme permet de garantir l’uniformité des éventuelles
pressions subies par ses bénéficiaires172.
3. LE DEROULEMENT DE L’ENQUETE QUALITATIVE
C’est au travers d’entretiens que l’analyse sera menée. L’enquête qualitative repose
sur la réalisation de 13 entretiens semi-directifs de durées variables avec des employés ou des
responsables de chacune des trois organisations étudiées. L’utilisation des entretiens semi-
directifs offre la possibilité de reconstruire avec précision certaines trajectoires et de
comprendre les modalités par lesquelles les acteurs investissent leur fonction et les objectifs
qu’ils poursuivent (ainsi que, et peut-être surtout, les objectifs qu’ils en arrivent à poursuivre
au fur et à mesure de leur implication dans le secteur associatif). Plus généralement, cette
méthode permet d’axer la discussion autour de différents thèmes. En d’autres termes, ce mode
d’entretien permet au chercheur d’amener « le répondant à communiquer des informations
nombreuses, détaillées et de qualité sur les sujets liés à la recherche, en l’influençant très
peu 173 ». Chaque entretien a duré entre 40 minutes et 1h30, et a fait l’objet d’un
enregistrement et d’une retranscription intégrale.
Prénom Statut Organisation Date Durée de l’entretien
1. Dorota Project coordinator Semper Avanti 16/05/13 52 :53 2. Paulina Project coordinator Semper Avanti 20/05/13 93 :32 3. Marcin Manager Semper Avanti 21/05/13 90 :05 4. Karolyna Project coordinator Angelus Silesius 17/05/13 46 :17 5. Anna Project coordinator Angelus Silesius 17/05/13 76 :42 6. Krzysztof Project coordinator Angelus Silesius 29/05/13 59 :17 7. Bartek Assistant Krzyzowa Fundacja 23/05/13 52 :40 8. Daniel Project coordinator Krzyzowa Fundacja 23/05/13 82 :13 9. Iwona EU Funds expert Krzyzowa Fundacja 24/05/13 77 :38 10. Dominik Project coordinator Krzyzowa Fundacja 24/05/13 63 :08
172 Notons par ailleurs que dans les deux cas, les bénéficiaires ne sont jamais en contact direct avec la Commission européenne pour les premiers ou avec les administrations publiques nationales chargées de redistribuer les fonds européens pour les seconds. Des corps intermédiaires – sorte d’agences nationales ambassadrices des programmes européens dans les différents pays – transmettent les exigences européennes aux bénéficiaires. Toutefois, alors qu’il s’agit de corps indépendants mis en place par l’Etat mais travaillant sous la supervision de Bruxelles dans le cas du programme Jeunesse en Action, ces agences sont dirigées par l’administration publique nationale dans le cas du Fonds social européen. Cette dernière décide alors de la façon dont les fonds sont distribués et des formes administratives mais aussi comptables auxquelles les bénéficiaires doivent se conformer. Pour plus d’informations sur les différents types de financements communautaires, voir http://ec.europa.eu/grants/introduction_fr.htm. 173 ROUSSEL, P., WACHEUX, F. (dir.), Management des ressources humaines. Méthodes de recherche en sciences humaines et sociales : méthodes de recherche en sciences humaines et sociales, Bruxelles, De Boeck, 2005, p.102
44
11. Rafał Manager Krzyzowa Fundacja 27/05/13 86 :24 12. Karolyn Project coordinator Krzyzowa Fundacja 28/05/13 69 :01 13. Susanne Project coordinator Krzyzowa Fundacja 28/05/13 36 :56
Comme nous venons de l’évoquer, ces 13 entretiens semi-directifs ont été menés aussi
bien avec les employés qu’avec les responsables des trois organisations étudiées. Au début,
nous avions également l’objectif d’interviewer des bénévoles afin de recueillir leur point de
vue, qui aurait pu se révéler tout autre que celui des employés. Cela aurait pu permettre
d’évaluer l’impact des fonds d’un point de vue relationnel, entre les employés permanents et
les bénévoles ou les membres élus. Ce paramètre est en effet présenté par Sabine Saurugger
comme devant être pris en compte lorsqu’il est question d’analyser la structure
organisationnelle d’un groupe, la professionnalisation étant souvent décrite comme
susceptible de créer une distance croissante entre ces derniers174. Toutefois, cela ne fut pas
possible. Nous nous sommes heurtés au barrage de la langue, le niveau d’anglais des
bénévoles évoluant au sein de ces trois organisations sélectionnées n’étant pas suffisant pour
mener à bien une interview.
Ces entretiens ont été menés à partir d’une grille indicative constituée de la façon
exposée ci-après mais ajustée en fonction des individus rencontrés, du temps disponible et de
la dynamique propre de la rencontre175. Ainsi, pour le leader d’une organisation, la priorité
était donnée aux critères de recrutement adoptés par l’organisation ou aux décisions
concernant l’organisation interne du travail. Face aux employés, l’accent était davantage mis
sur les aspects concrets de leur activité. En règle générale, ces entretiens abordaient plusieurs
points successifs. Ils revenaient d’une part sur l’histoire personnelle des acteurs rencontrés,
sur leurs trajectoires scolaire et professionnelle antérieures, sur les conditions de leur entrée
dans le secteur associatif – comment et dans quel contexte s’est effectué leur recrutement par
l’organisation –, et sur leurs rôle et responsabilités au sein de l’association. Cette partie de
l’entretien avait ainsi pour objet de préciser ce que faisaient ou ne faisaient pas les acteurs en
termes de recherche de financements et de récoltes de fonds. Les entretiens se consacraient
ensuite à leur appréciation et degré de satisfaction face aux différentes sources de
174 Les « professionnels » ayant tendance à occuper de plus en plus de postes au sein de l’organisation alors que les militants de base sont soit représentés par le biais d’assemblées élues soit par le biais d’un « chequebook activism » : SAURUGGER, S., loc. cit., p.15 175 Pour reprendre un exemple extrême, on peut citer ce jour où en plein entretien le leader de l’association rencontrée se faisait communiquer le nombre des projets qui allaient bénéficier des fonds européens dans le cadre du programme Jeunesse en Action, l’annonce des résultats ayant lieu ce jour là. Les discussions ont « sauté » d’un exposé sur les critères de recrutement des employés de l’association à un échange sur la joie que procure de tels moments pour l’ensemble des employés travaillant au sein de l’association.
45
financements de leurs activités ainsi que face aux séances de formations organisées par le
programme de financement Jeunesse en Action. Enfin, une partie de l’entretien donnait lieu à
des considérations plus générales sur les rapports subjectifs que ces acteurs entretenaient avec
leurs partenaires européens dans le cadre des projets transnationaux menés par l’organisation,
à leur appréciation de l’expérience, etc. Ces entretiens ont ainsi permis de mettre en
perspective des pratiques et des trajectoires, des positions et des prises de positions et de
donner à voir la signification concrète des jeux dans lesquels les acteurs sont quotidiennement
engagés au sein comme à l’extérieur de l’organisation elle-même. Autrement dit, cette analyse
par thèmes nous a permis d’analyser le secteur associatif de Wroclaw sous différents aspects
pour mieux l’appréhender au regard de nos considérations théoriques.
En plus des contraintes générales liées à la nature même de cet outil176, la réalisation
d’entretiens semi-directifs avec des acteurs associatifs est soumise à des contraintes
particulières qui appellent des commentaires spécifiques. Outre les effets liés aux rapports
humains résultant de la configuration particulière des enquêtes par entretien, qu’il est
néanmoins possible de réduire ou « d’apprivoiser » avec le temps et l’expérience de par leur
multiplication177, la contrainte la plus évidente reste sans doute celle du temps et de l’emploi
du temps des acteurs eux-mêmes. Reste que cette contrainte réelle est en elle-même source de
divers enseignements. Ainsi, lorsqu’il nous a fallu prendre contact et organiser les rendez-
vous avec les différents acteurs sélectionnés, leurs disponibilités et emplois du temps étaient
plus restreints de décembre à janvier ou d’avril à mai, signe de la part importante que peut
représenter la recherche de fonds dans leur activité puisque cette période correspond en effet
aux différentes dates limites de soumission des candidatures auprès des programmes
européens de financement178.
A ce stade, nous expliquons et assumons encore une fois les limites de notre
recherche. D’une part, du point de vue du cadre théorique, nous avons fait le choix d’aborder
les organisations composant le secteur associatif sous l’angle de leur éventuelle
professionnalisation. Comme nous l’avons déjà mentionné, il ne s’agira pas ici d’analyser
l’impact d’un tel phénomène en termes démocratiques – sur la capacité de participation des
organisations au processus décisionnel par exemple – mais bien de saisir et d’appréhender les
176 Par exemple, BLANCHET, A. (dir.), L’entretien dans les sciences sociales, Paris, Dunod, 1985 ; BEAUD, S., WEBER, F., Guide de l’enquête de terrain, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2003. 177 CHAMBOREDON, H., PAVIS, F., SURDEZ, M., VILLEMEZ, L., « S'imposer aux imposants. A propos de quelques obstacles rencontrés par des sociologues débutant dans la pratique et l'usage de l'entretien », Genèses, n°16, 1994, pp. 114-132. 178 Pour un aperçu des dates limites de soumission des candidatures auprès du programme Jeunesse en Action, voir : http://eacea.ec.europa.eu/youth/programme/calendar_en.php (page consultée le 13 juillet 2013)
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ressorts de la transformation qu’implique un tel processus, à condition de bien vouloir
reconnaître l’existence d’effets structurants de la participation aux programmes de
financements européens. En outre, concernant le choix des acteurs interrogés, nous avons
privilégié deux critères : les organisations renvoyant aux formes légales des associations et
des fondations d’une part, et les organisations actives dans le domaine de la jeunesse d’autre
part.
L’analyse du phénomène associatif menée à partir d’organisations bénéficiant des
fonds européens dans le cadre d’un même programme communautaire – le programme
Jeunesse en Action – se veut donc un éclairage sur les logiques de la transformation du
secteur associatif polonais et en aucun cas un miroir de l’ensemble des changements. Aussi, le
présent travail tentera modestement d’identifier des mécanismes qui pourraient être testés
dans le cadre de recherches ultérieures.
Après avoir replacé notre recherche dans la littérature scientifique sur le secteur
associatif en Pologne, identifié les indicateurs qui caractérisent objectivement une association
dans sa professionnalisation face au système de financement européen et mis en évidence
l’approche méthodologique qui sera la nôtre, la partie suivante de ce travail consiste en
l’analyse des données récoltées et en la formulation de résultats quant à la problématique de
base à savoir : « dans quelle mesure les opportunités de financements européens conduisent-
elles à la professionnalisation du monde associatif polonais ? ».
47
IV. Les fonds européens, quel effet professionnalisant ?
Comme nous l’avons montré, les travaux abordant la question des liens entre les
opportunités de financement européen et la professionnalisation de leurs bénéficiaires
privilégient généralement un angle d’approche particulier : celui des effets des structures de
financement sur la professionnalisation des acteurs associatifs, ce qui invite à l’étude de
l’investissement par ces acteurs de nouvelles pratiques et savoir-faire, ainsi qu’à une analyse
de leurs trajectoires professionnelles et sociales. Si cet angle d’approche donne à penser
l’acquisition de ces compétences comme résultat des parcours et propriétés sociales des
acteurs concernés en mettant l’accent sur l’étude des logiques de recrutement, ces travaux ont,
d’une manière générale, rarement abordé les questions de la nature précise de ces savoirs et de
leurs modalités différenciées d’apprentissage par les individus, tout comme les ressources
qu’ils mobilisent dans l’exercice concret de leurs activités. Face à ce constat, le présent travail
se propose d’adopter, dans une perspective plus interactionniste, un angle d’approche
complémentaire : celui des processus concrets de professionnalisation à l’œuvre dans le
contexte associatif, susceptible de mettre en lumière la façon dont opère ce phénomène.
Trois champs d’investigation complémentaires structurent ce quatrième et dernier
chapitre. Le premier sera consacré aux acteurs eux-mêmes, à l’examen de leurs propriétés
sociales et professionnelles : « que » sont ces acteurs et quelles sont les logiques présidant à
leur recrutement dans le secteur associatif. Le second renvoie à l’étude de leurs pratiques
concrètes, aux normes qui les encadrent et aux conduites qui s’y trouvent valorisées. Il s’agira
alors de montrer comment s’objective un ensemble de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être
en réponse aux conditions générales de financements européens. Après avoir montré – en les
mettant en perspective – qu’il n’existe qu’une faible corrélation entre les compétences
requises dans le secteur et les ressources personnelles des acteurs –, le troisième champ
d’investigation aura pour objet de rendre compte des processus concrets par lesquels
s’acquièrent les pratiques et compétences qui auront été identifiées au début de l’analyse.
1. LOGIQUES DE RECRUTEMENT DES ACTEURS ASSOCIATIFS
L’organisation interne des associations et de la fondation rencontrées repose sur une
structure assez simple : on retrouve, au sommet, un président et un directeur exécutif – le
premier dirige le conseil d’administration et le second gère la vie quotidienne dans
l’organisation –, rôles souvent investis par une seule et même personne qui surplombe les
responsables des petits départements, les coordinateurs de projets, les comptables et, dans le
48
cas de la Fondation Krzyzowa, un expert des fonds européens. Seule cette dernière a en effet
fait le choix de créer un département destiné à la recherche des financements européens. Mais
nous reviendrons plus en détail sur cet aspect dans la suite de ce chapitre.
Deux modèles complémentaires de recrutement découlent de cette forme
d’organisation interne, qu’elle implique ou non le recrutement de professionnels des
programmes de financements européens. Dans le cas des individus qui ont pour tâche la
coordination des projets, les procédures de recrutement sont majoritairement discrétionnaires.
Seule la Fondation Krzyzowa a tendance à privilégier des offres d’emplois publiquement
diffusées, ce qui s’explique sans doute par le fait que la Fondation recrute, de par la nature de
son projet initial, aussi bien en Pologne qu’en Allemagne. Dans les deux autres organisations,
le profil du poste à pourvoir est plus rarement rédigé. Trois explications s’imposent. Souvent
submergés par le travail, les managers des organisations manquent cruellement de temps179.
Les procédures informelles leur permettent d’en gagner. Secondement, il est très fréquent
qu’ils finissent par engager les stagiaires qui leur sont envoyés et rémunérés par le ministère
du Travail polonais ou les individus à qui ils ont permis, en tant que « sending organisation »,
de prendre part au programme European Voluntary Service (EVS) dans un des pays de
l’Europe180. En engageant ces derniers, ils effectuent un tri préalable et n’accueillent que des
individus déjà sensibilisés à certains aspects du travail et aux codes du système de
financement. Enfin, l’influence des réseaux professionnels et/ou amicaux constitue une voie
d’entrée importante au sein de ces organisations. Cet extrait d’entretien effectué avec une
employée d’une trentaine d’années au sein de Semper Avanti, illustre particulièrement bien
l’influence primordiale de la dimension relationnelle tant sur la connaissance de l’ouverture
du poste que sur le recrutement même du futur employé :
First, I was working in a really good and huge Polish company […] but I thought that it was really stupid job. Ok, you have a team but it’s like a corporation. […] After this, I met Marcin, our chairman, because Marcin is one of my friends. We know each other since we are kids. And he told me he was looking for somebody in Semper Avanti and he asked me if I wanted to join them181.
Ou encore ici, les propos d’un employé de l’organisation Angelus Silesius :
I started to attend lots of courses because I wanted to develop my skills to improve my work [in the student association of psychology in Łódź]. And during one of those
179 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.37 180 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013 ; Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013, p.23 181 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.28
49
courses, I met one guy from here who was a trainer. He told me: “ok, if you want, you can start to cooperate with us”. Then, I moved to Wroclaw […] 182
Malgré tout, lorsque l’organisation recherche des individus présentant des compétences
techniques spécifiques, un comptable ou un expert en fonds européens, elle a plus
systématiquement recours à des agences externes de recrutement. Contrairement aux
coordinateurs de projets qui présentent souvent un degré d’attachement important au domaine
d’action de l’organisation, de tels acteurs sont engagés sur base d’un autre type de légitimité,
technique, qui s’avère finalement subsidiaire. Leurs savoirs reposent ainsi davantage sur
l’acquisition de compétences procédurales et organisationnelles.
Toutefois, ces deux modèles – celui du recrutement sur titres académiques et celui sur
base des réseaux personnels – se rejoignent en ce sens que les salariés qui relèvent du second
modèle n’auraient pas été embauchés s’ils n’avaient pas détenu un diplôme d’études
supérieures qui, comme nous le verrons, apparaît comme un critère primordial. Contrairement
à ce à quoi on aurait pu s’attendre, on n’a pas observé un modèle de recrutement sur titres
associatifs. Semble ainsi émerger un profil de « travailleurs » des structures associatives,
recrutés non pas en vertu d’un parcours marqué par le franchissement des étapes d’une
« carrière militante » mais sur la base d’une procédure plus sélective. On ne retrouve pas de
militants bénévoles dans ces organisations qui auraient gravi les échelons au sein de celles-ci.
Le recrutement au sein des organisations ne repose pas sur des critères bien définis. Les
seules exigences formelles sont le bilinguisme des candidats – ils doivent être en mesure de
s’exprimer en anglais couramment, comme nous l’avons déjà souligné précédemment – et la
détention d’un diplôme d’études supérieures183, le domaine de spécialisation dépendant du
profil recherché184. Ces deux types de ressources attestent surtout de la perméabilité d’une
personne au mode de fonctionnement du groupe, et de ses capacités de réflexion et
d’adaptation. La maîtrise du fonctionnement des institutions européennes en général, ou du
système de financement européen en particulier, ne paraissent pas constituer une ressource
décisive pour négocier un emploi au sein des organisations bénéficiaires. La plupart n’avaient
qu’une idée très abstraite des procédures qu’ils allaient devoir suivre pour coordonner les
projets dont ils seraient responsables185.
182 Employé permanent Angelus Silesius, entretien réalisé le 29 mai 2013, p.70 183 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013 184 Manager Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 27 mai 2013 185 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.5
50
Tableau de synthèse du profil des employés des trois organisations étudiées
186 Par European officer, il faut comprendre toute personne travaillant au sein d’un bureau municipal et ayant bénéficié d’une formation payée par la municipalité au sujet des procédures de financement et de gestion des projets dans le cadre des programmes de financements communautaires.
Prénom Fonction Age Niveau d’études Capacités linguistiques
Activités professionnelles antérieures
Expérience professionnelle à l’étranger
Dorota Project coordinator
26 Diplôme de sociologie
Polonais Anglais
Employée à la Mairie de Wroclaw
Aucune
Paulina Project coordinator
30 Doctorat sciences politiques
Polonais Anglais Russe
Spécialiste marketing dans 2 compagnies priées
Aucune
Marcin Manager 32 Doctorat sciences politiques
Polonais Anglais
Stage au ministère des Affaires étrangères
Stage dans un Think Tank à Ankara
Karolyna Project coordinator
26 Diplôme de pédagogie
Polonais Anglais
Employée à la Mairie de Londres pendant 4 ans
Employée à la Mairie de Londres pendant 4 ans
Anna Project coordinator
30 Diplôme de philologie slave
Polonais Anglais Russe
Aucune Mission de développement en Géorgie en tant que EVS coordinator
Krzysztof Project coordinator
27 Diplôme de psychologie
Polonais Anglais
Aucune Aucune
Bartek Assistant 26 Bachelier en Cultural Studies et MA en European Studies
Polonais Anglais Allemand
Aucune Aucune
Daniel Project coordinator
42 Diplôme de philologie germanique
Polonais Anglais Allemand
Professeur d’allemand
Aucune
Iwona EU funds expert
51 Diplôme de Finance
Polonais Anglais Russe
Comptable et European officer186 à la commune de Świdnica
Participe à 2 stages de formation professionnelle à Brighton
Dominik Project coordinator
33 Diplôme de droit Polonais Anglais Allemand
Employé dans une ONG active dans le champ culturel
Aucune
Rafał Manager 44 Licencié en mathématiques
Polonais Anglais Allemand
Professeur de mathématiques dans le privé
Aucune
Karolyn Project coordinator
25 Diplôme de sciences politiques
Polonais Anglais Allemand
Aucune Stage de 2 mois à Londres dans le cadre de ses études
Susanne Project coordinator
27 Diplôme de sciences politiques
Polonais Anglais Allemand
Fonctionnaire dans le public
Projet éducationnel à Francfort
51
Comme l’illustre ce tableau de synthèse du profil des employés des trois organisations
étudiées187, la totalité des acteurs rencontrés possède un diplôme du supérieur de type
universitaire. Seule l’organisation Semper Avanti compte des doctorants parmi ses membres,
qu’il s’agisse des coordinateurs de projets ou du manager. Concernant les domaines d’études,
certains sont diplômés en science politique, en droit, en mathématiques mais aussi en
comptabilité. D’autres sont issus de facultés de philosophie et lettres, de sciences humaines ou
de sciences psychologiques et de l’éducation.
Six personnes sur les treize interrogées ayant accompli une expérience professionnelle
à l’étranger, elles ont fréquemment été amenées à résider dans des pays différents, du
Royaume-Uni à la Turquie, en passant par la Géorgie. Ces expériences prolongées à
l’étranger ont développé leur capacité à communiquer dans plusieurs langues et cet
apprentissage s’est donc déroulé hors du champ scolaire. La connaissance des langues
étrangères est relativement développée : les personnes ne parlant qu’une seule langue
constituent une minorité au sein des organisations étudiées188. La langue la plus parlée après
le polonais est l’anglais, les deux langues de travail, suivies du russe et de l’allemand. D’après
nos observations, ces langues sont parlées couramment et le passage de l’une à l’autre se fait
aisément ; rares sont ceux qui ont des problèmes de langues dans les organisations
rencontrées. Aucun d’entre eux ne semble présenter un profil multiculturel pour autant : tous
sont de nationalité polonaise et ont grandi en Pologne.
Si l’origine sociale des acteurs opérant au sein des organisations étudiées n’a pas fait
l’objet d’une question lors de l’enquête, plusieurs indices donnent à penser que ces individus,
s’ils ne sont tous issus de milieux privilégiés, ne sont pas confrontés à de grosses difficultés
financières. Par exemple, les voyages effectués dans le cadre des partenariats ou des sessions
de formations ne leur sont remboursés qu’après coup, ce qui implique de pouvoir avancer des
sommes relativement importantes. Si tous les acteurs interviewés s’accordent pour qualifier
les revenus qu’ils tirent de leur activité au sein des organisations d’« incertains »189, on
observe malgré tout la constitution d’équipes rémunérées pouvant travailler à temps-plein.
Une partie des fonds obtenus dans le cadre du Programme Jeunesse en Action est en effet
187 Les informations contenues dans ce tableau ont été construites sur la base des entretiens réalisés dans le cadre de cette recherche. Bien qu’il nous ait été impossible de rencontrer l’ensemble du personnel de chacune des organisations étudiées, nos observations nous permettent de penser que le reste des employés présente un profil similaire. 188 D’après nos informations, seule un employé au sein de l’organisation Angelus Silesius et deux au sein de la Fondation Krzyzowa ne sont pas capables de s’exprimer en anglais, raison pour laquelle nous n’avons d’ailleurs pas pu les interroger. 189 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.31
52
destinée au management et au travail administratif dont ils peuvent bénéficier en guise de
rémunération. Dans ce contexte, cumuler des positions dans d’autres espaces professionnels
n’est plus obligatoire, voire même parfois inenvisageable pour certains, comme le souligne
cette employée : « It is my only job. I don’t have time for another job… There is a lot of things
to do […] From 9 to 4. So 8 hours. But usually it’s more than 8 hours that we are working
here 190». Le bénévolat semble ainsi reculer au profit de formes salariées d’activité et de panel
de compétences diverses (comptables, animateurs, coordinateurs de projets, spécialistes en
fonds européens, …). Ce qui n’empêche pas un ressentiment très net de s’exprimer lors des
interviews, comme le reflètent ces propos d’une employée :
[…] from one side, donors expect you to be professional, to work on quality level and on the other side, like the part of management and administrative work, it’s maximum from 10 till 20% of the project. So, if you get for example 20 000 euros, that’s just 1500 to be spent on for example administrative work, meaning coordination, logistic, support, final reports, accountancy and stuff like that191.
Notons néanmoins que la structure d’emploi la plus fréquente au sein du secteur
associatif est généralement constituée de contrats plus ou moins précaires (CDD, stages, …),
ceux-ci dépendant directement de l’octroi de fonds européens. Bien que les organisations
bénéficiaires rencontrées soient établies depuis plus de dix ans dans les trois cas, elles sont de
petites exploitations avec peu de signes d'expansion interne. A l’exception de la Fondation
Krzyzowa, le nombre de personnel qu'ils emploient est resté relativement faible, deux des trois
organisations rencontrées comptant moins de 10 personnes. Si leur effectif reste restreint, la
majorité des individus y travaille toutefois à temps plein192. D’après les propos de certains
interviewés, une telle situation constitue cependant une exception : le nombre d’employés
occupant une position permanente au sein d’une organisation du secteur associatif à Wroclaw
reste peu élevé et la plupart des organisations reposent sur un personnel à temps partiel de
moins de 10 personnes, ces dernières privilégiant l’emploi occasionnel pour des projets
spécifiques193.
L’intérêt porté dans cette première section aux logiques présidant au recrutement des
acteurs dans le monde associatif permet ainsi d’observer l’absence de critères bien définis qui
présideraient au recrutement des acteurs au sein des organisations, à l’exception du
bilinguisme des candidats et de la détention d’un diplôme d’études supérieures. Si certaines
190 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.4 191 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013, p.23 192 Sur les treize personnes interrogées, seule une occupait une position à temps partiel, ce qui s’expliquait par son statut d’étudiante. 193 Employé permanent Angelus Silesius, entretien réalisé le 29 mai 2013
53
propriétés paraissent constituer un déterminant de l’audience dont bénéficie tout individu
auprès des organisations – ils ont, à une courte majorité, suivi des cursus en sciences
politiques et accompli une expérience professionnelle à l’étranger, où l’anglais était leur
langue de travail – ces ressources ne sont toutefois pas une condition du recrutement en tant
que tel.
Mettre l’accent sur la professionnalisation du secteur associatif ne se limite pas à étudier
les processus de sélection des qualités ou des ressources sociales et professionnelles
désormais associées à l’exercice d’une fonction au sein de telles organisations. Il s’agit
également de questionner l’importance des savoirs techniciens dans la réalisation et la
« bonne » conduite des projets. C’est précisément sur les pratiques associatives concrètes, les
normes qui les encadrent ainsi que les savoir-faire et postures qui s’y trouvent valorisées que
revient la deuxième section de ce chapitre.
2. TECHNICISATION DES PRATIQUES ASSOCIATIVES
I can’t imagine someone just coming from the street, sitting in front of the laptop and writing an application. Definitely not! For example, in the frame of projects that we are running in terms of global education and of development cooperation, you have to have some knowledge and then use some kind of vocabulary that is only used for such a work. So I understand that, for example, the global education itself… (she stops). This work is not that popular so… Typical Polish in the street would never know what is it, right? For example, expressions such as implementation of the project, dissemination of the results, … This is just something you use in the project, right?194
Nous l’avons vu, la technicisation de l’activité associative est généralement perçue
comme l’une des manifestations tangibles de sa professionnalisation croissante. Ainsi que
l’évoque l’extrait d’entretien placé en exergue de cette section, son exercice nécessite la
maîtrise de techniques et de savoirs ajustés à la transformation des conditions de réalisation
des projets bénéficiant de fonds européens. Parmi les compétences associées par les acteurs
eux-mêmes à la « bonne » gestion des projets, figure un ensemble de normes de conduites
dont dépendraient à la fois la qualité du produit final (la réalisation du projet suite à
l’obtention du financement) et l’évaluation du projet – par ses pairs et par les donateurs.
Sur la base des déclarations que nous avons recueillies dans nos entretiens, la
technicisation à l’œuvre s’observe par le biais de deux pratiques désormais valorisées et
attendues dans l’espace associatif étudié : une pratique de l’expertise d’une part, entendue ici
comme la maîtrise de connaissances et de compétences spécialisées dans un domaine, et le
194 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013
54
développement de la pratique du partenariat d’autre part. L’ensemble de ces contraintes
suppose pour les acteurs de développer un ensemble varié de savoir-faire et de savoir-être afin
de pouvoir investir ces pratiques.
2.1. L’expertise comme mode d’investissement des pratiques associatives
La relation entre professionnalisation des acteurs et forte technicisation des pratiques
associatives apparaît particulièrement forte dans le cas des acteurs étudiés ici. En effet, si
l’activité associative est souvent associée à l’amateurisme, « c’est-à-dire à l’ignorance ou à
l’empirisme de celui qui pratique l’activité de manière occasionnelle et sans préoccupation
d’efficacité ou de rendement195 », l’examen des pratiques investies par les acteurs que nous
avons sélectionnés montre au contraire que l’activité associative est en train de se redéfinir
comme une activité de plus en plus technicisée. Associée par certains acteurs eux-mêmes à un
travail d’expert, elle nécessiterait l’acquisition et la maîtrise de savoirs spécialisés dans
différents domaines – relatifs à des enjeux administratifs et comptables notamment –, d’autant
plus difficiles à acquérir qu’ils se déclinent dans une multitude de critères spécifiques qui
varient d’un programme de financement à l’autre.
Cette expertise renvoie d’abord à la capacité à utiliser les ressources langagières qui
font sens pour les agences responsables des programmes de financement. Lorsque les acteurs
furent invités à s’exprimer sur les stratégies adoptées pour s’assurer l’obtention des fonds, la
majorité d’entre eux insistèrent sur la nécessité d’adopter un langage et un vocabulaire
spécifique dans la rédaction de leur demande de financement. Comme la littérature
scientifique le montre196, la spécificité de ce langage, et la structure particulière de rédaction
des projets – qu’il est conseillé de faire reposer sur des considérations à prétention
scientifique ou sur les statistiques provenant des rapports de la Commission européenne197 –
suppose l’apprentissage d’une capacité particulière d’organisation et de travail. Cet aspect
apparaît d’ailleurs de façon très explicite dans les discours des acteurs rencontrés, ces derniers
insistant fréquemment sur la complexité des procédures. Une personne interviewée décrit
ainsi son entrée au sein de l’organisation Semper Avanti :
I remember when I came to Semper, it was two weeks before a big deadline that we were supposed to apply to Brussels and I didn’t have any idea about how to apply. And they gave me a lot of materials and some projects as example and asked me to write projects to Brussels directly. So, I was studying nights and days for two weeks […]
195 UGHETTO, P., COMBES, M-C., loc. cit. 196 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.514 197 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.6
55
However, the knowledge and the know-how that you have to have when you are writing the project is very crucial198.
Les propos d’une employée d’Angelus Silesius se révèlent ici aussi éloquents :
The word “evaluation”… We do not have such a word in Polish. We use “summary”, “summing up”, … But this is something that you learn when you implement the project, right? So, definitely the speech is changed and attitude, and knowledge… What you transfer from your head to the paper. So you don’t write to the Polish government about the young people, you write about the target group, and in the European Social Fund, you don’t write about the target groups, you write about the beneficiaries. And you don’t write in Youth in Action program about beneficiaries, you write about volunteers and young people199.
Nous souhaitons par ailleurs présenter ici une position complémentaire par rapport à
celle qui vient d’être présentée. En effet, lorsque le leader de Semper Avanti s’exprime au
sujet des stratégies adoptées pour garantir le financement de l’organisation auprès du
programme Jeunesse en Action, il répond : « We are trying to be an expert in the field. For
example, we are working with youth policy and actually we are one of the best experts in
that200 ». A nouveau, lorsqu’il s’exprime au sujet des difficultés organisationnelles auxquelles
doivent faire face les organisations en Pologne, il explique : « The problem is not to write the
projects. To learn how to write the projects is not so complicated. The biggest problem is to
find people connected to the topic and not to the project in itself. The problem is how to
develop specific knowledge by fields of activity201 ». Outre la nécessité de respecter des codes
et des formes langagières particulières, la pratique de l’expertise se traduit aussi par une
« bonne » maîtrise par les acteurs de leur domaine d’action. Ainsi, la spécialisation des
savoirs et pratiques ne s’observe pas uniquement sur le plan de la forme mais aussi du fond.
Toujours selon ce leader:
You need to really sit down, to get an expertise on the field and really prepare yourself to write this kind of projects [in the frame of Youth in Action program]. I mean the most developed ones. It’s much easier to write the projects for ESF because you just need to know how the assessors are thinking when they checking the projects. So, if you know how the tables look like, how many points you get for using this word and how many points you get for using this word, then you can easily write them. […] I do not believe in this and I would rather base our action on knowledge and expertise rather than using the tables in a correct way. For me, it’s humiliating a little bit202.
198 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.5 199 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013, p.22 200 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.44 201 Ibid., p.39 202 Ibid., p.52
56
Nous avons retrouvé le même type de discours chez les employés des deux autres
organisations qui reposent sur les mêmes logiques : la nécessité de se spécialiser dans un
domaine d’activité pour rédiger des propositions de projets de qualité et ainsi accroître les
chances de se voir bénéficier de financements européens203. Certains acteurs rencontrés ont
ainsi fait le choix de suivre des formations pour mieux saisir les subtilités du terrain dans
lequel ils opèrent. Etant donné la nature de ce dernier – le développement personnel et
professionnel des jeunes – les formations ont pour thème l’éducation ou la dynamique de
groupe204. Dans ce contexte, la présence de doctorants parmi les employés de l’organisation
est généralement appréciée. En cours de spécialisation dans l’un ou l’autre domaine, ils sont
souvent dits mieux préparés à la rédaction des projets et cette coopération est jugée bénéfique
face à la spécificité croissante des activités menées par une organisation205.
Par ailleurs, loin de se réduire à une pure nécessité fonctionnelle, le rapport à l’expertise
renvoie également à la nécessité de se démarquer des autres organisations pouvant être
perçues comme des adversaires ou des menaces dans la « course aux financements », du
moins au niveau local. Devenir les meilleurs experts dans leur domaine constitue une des
stratégies indispensables pour garantir l’obtention des fonds européens. Mais nous
reviendrons plus en détail sur cet aspect dans la suite de ce chapitre.
Comme nous l’avons déjà expliqué précédemment, la logique managériale de gestion
des projets promue par les programmes de financements européens a pour première exigence
la qualité et l’efficacité de l’action de ses bénéficiaires. Les enquêtés ont évoqué à plusieurs
reprises la difficulté que peut représenter une telle exigence. Chaque programme de
financements européens repose en effet sur un ensemble de priorités permanentes et
annuelles. Alors que les premières garantissent une mise en œuvre à long terme structurée et
homogène du programme, les secondes assurent quant à elles une cohérence avec les
questions d’actualité au niveau européen206. La structure des programmes de financements
européens est ainsi souvent dépeinte par les enquêtés comme reposant sur une double attente à
leur égard : il leur faut en effet être capables de produire une analyse précise du terrain dans
lequel ils opèrent d’une part, tout en étant capables de s’adapter à l’évolution des priorités
203 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013; Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013 ; Employée permanente Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 24 mai 2013 ; Manager Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 27 mai 2013 204 Entre autres, Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013 ; Employé permanent Angelus Silesius, entretien réalisé le 29 mai 2013 ; Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013 205 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.38 206 Pour plus d’information concernant les différents types de priorités, voir: http://ec.europa.eu/youth/youth-in-action-programme/annual-priorities_fr.htm
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annuelles du programme de financement d’autre part. Une tension fréquemment évoquée par
les acteurs rencontrés, comme par exemple une employée d’Angelus Silesius qui explique :
Well, I don’t know if I became an expert in what I am doing because… (She thinks). If you look at the priorities of the projects, for example, they change every year […]. One year, it’s unemployment and the other year, it’s Roma society. The year after it’s active citizenship and the other year it’s leadership. […] So, I would say that it makes our work easier that we get some knowledge from trainings for trainers that we finished. We have history of organisation, we already did some projects, and we have some long time experiences and partners. So on the one hand, yes, we increase our expertise in some fields. But on the other hand, the priorities and the focuses change every year. I would say it’s very difficult to focus and be expert on one thing when next year it’s totally different. So for me this idea of becoming an expert is not 100% true207.
Progressivement familiarisés à la spécificité et aux contraintes des programmes de
financements européens, les acteurs doivent gérer des attentes contradictoires. Un tel constat
permet de mettre l’accent sur la faculté d’apprentissage perpétuel et la capacité à sortir de sa
sphère de connaissances initiales que les acteurs sont souvent contraints de développer pour
faire face à ces sollicitations contradictoires. Ces impératifs les obligent ainsi fréquemment à
des opérations de reformulation de leur projet initial dans des formes acceptables pour les
donateurs, même si les attentes de ces derniers sont parfois inadaptées au public cible. Les
propos de cette employée responsable de l’Action 1.3 relative aux projets encourageant
l’implication des jeunes dans le processus démocratique se révèlent ici éloquents :
[…] last year, I organised simulations of the city Council to involve youth in the local community. In my opinion, this project was one of the best tools to discuss youth in the local community. I really wanted to prepare the same kind of project one more time at the beginning of this year. But the priorities of this year changed and now it’s the European Parliament because of the elections next year. So all the projects now have to be linked to the European Parliament. The idea is more or less the same but the level of discussion is totally different. When you discuss local life, people can understand things that happen close to their houses and it’s really nice. It’s more difficult to discuss things at the European level208.
Nous assistons donc ici au processus d’adaptation décrit par Rosa Sanchez-Salgado
dans son article sur les effets du programme européen EQUAL sur les associations du secteur
social en France et en Espagne209. Sur la base de ses observations, elle explique en effet que si
l’objectif sélectionné par le porteur de projet est vague, il lui permettra de poursuivre ses
intérêts sans entraîner une transformation substantielle de ses priorités. Ainsi que l’évoque cet
extrait, le projet semble servir l’intérêt de l’acteur sollicitant les fonds sans modifier sa
207 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013 208 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.30 209 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2009, p.50
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priorité, qui demeure, même après le processus d’adaptation auquel il doit se soumettre, la
participation démocratique de la jeunesse. Toutefois, les informations que nous avons
recueillies dans le cadre de nos entretiens – et toujours en accord avec les observations de
Rosa Sanchez-Salgado – nous montrent qu’à l’inverse, plus les objectifs sélectionnés par les
porteurs de projets sont précis et spécifiques, plus leur marge de manœuvre est restreinte. Plus
qu’une simple adaptation, les objectifs du programme de financement peuvent avoir une
incidence sur les priorités des porteurs des projets, en les faisant travailler sur des thématiques
nouvelles, ce que la littérature scientifique désigne par l’expression de « goal displacement »
ou de « goal succession210 ». C’est à ce phénomène que le manager de la Fondation
Krzyzowa, fait référence aussi lorsqu’il utilise l’expression « project prostitution », pour
décrire la nécessité pour les organisations du secteur de s’éloigner de leurs objectifs initiaux,
ou du moins d’y incorporer des objectifs qui leur permettront de continuer à prospérer211.
Cette faculté d’apprentissage perpétuel que nous venons de mentionner est aussi mise
à l’épreuve par la fréquence des mises à jour des logiques de financements européens212. En
réaction, certaines organisations, comme la FK, font le choix de créer un département destiné
à la recherche des financements européens. Lorsque les employés de la Fondation furent
invités à commenter l’existence d’un tel « département », leurs propos rejoignaient les
explications fournies par Sanchez-Salgado dans son article sur les associations du secteur
social en France et en Espagne213 : la maîtrise des procédures de co-financements et la
nécessité de se tenir informé des logiques de financements européens devenant une
compétence à part entière, ils ont fait le choix de mettre en place un groupe dont l’activité est
exclusivement orientée vers la recherche de financements, parallèlement aux groupes chargés
de la gestion des projets mis en œuvre par l’organisation214.
Le choix d’engager ou non un professionnel du système de financements européens a
des répercussions directes sur le travail quotidien des coordinateurs de projets. En l’absence
d’un tel expert, ils sont en effet contraints de devenir « multi-tasking » – pour reprendre une 210 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.519 211 La Fondation, active depuis 1994, a pour objectif initial la rencontre et l’échange entre jeunes de nationalités différentes sur le thème de l’histoire et de la résistance pendant la Deuxième Guerre mondiale. Depuis 2011, elle développe des projets centrés sur la problématique du développement durable et emploie quelqu’un pour coordonner les projets dans ce domaine, la sensibilisation et la mobilisation des jeunes autour du changement climatique étant devenue une priorité annuelle du programme Jeunesse en Action depuis 2010. Pour plus d’informations sur les priorités annuelles, voir : http://ec.europa.eu/youth/youth-in-action-programme/previous-annual-priorities_en.htm 212 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.5 213 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2010, p.9 214 Employée permanente Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 24 mai 2013; Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.28; Manager Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 27 mai 2013, p.61
59
expression qui revient souvent chez les enquêtés – et doivent consacrer une part importante de
leur temps à la recherche de financement et aux rapports comptables requis par ces types de
financement. La présence d’une telle figure au sein de l’organisation permet aux
coordinateurs de projets de se consacrer uniquement à la mise en œuvre de ceux-ci. Dans ce
cas, les compétences et savoirs spécialisés développés par les employés diffèrent quelque peu,
ces derniers n’étant pas contraints d’intégrer la maîtrise d’un langage particulier, ni de réaliser
des rapports financiers et encore moins de développer une perspective stratégique de
financement à long terme.
Lorsqu’ils abordent cette question, nos informateurs se partagent clairement en deux
camps. D’un côté se retrouvent ceux qui pensent que la taille et les moyens dont dispose
l’organisation – mais aussi l’ampleur des coûts fixes auxquels elle doit faire face – justifient
la nécessité d’un tel département afin de ne pas passer plus de temps à respecter les
procédures d’obtention des fonds communautaires qu’à réaliser concrètement leurs projets sur
le terrain et de communiquer sur ces derniers215. De l’autre côté se situent les interviewés qui
considèrent qu’une telle initiative est ineffective, engager des spécialistes du domaine se
révélant plus avantageux pour rédiger les demandes de financement et garantir ainsi la qualité
de leur contenu. Le commentaire le plus typique ressemblait à celui-ci : « […] if you are an
expert in the field and you know how to write the project, your chances to be successful are
much bigger. If you are just an expert in writing the projects, it’s nice but you have no content
to put in it216 ». Ce à quoi le manager de la Fondation Krzyzowa répondait que les membres
du département chargé de la collecte des fonds européens se devaient de travailler en étroite
collaboration avec les travailleurs associatifs pour garantir la qualité du contenu et sa
cohérence vis-à-vis de la mission de l’organisation, « Because otherwise it’s pure
bureaucracy217 ». Du reste, face à la lourdeur des contrôles à tous les stades d’un projet, un
employé a déclaré qu’il lui semblerait plus judicieux de ne pas confier les tâches
administratives aux coordinateurs de projets afin qu’il dispose suffisamment de temps pour
rédiger un contenu de qualité218. Dans un cas comme dans l’autre, ces propos reflètent bien
l’importance pour les organisations de l’expertise sous la forme d’une maîtrise de son
domaine d’action, ainsi que nous l’avons déjà expliqué.
215 Entre autres, Employée permanente Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 24 mai 2013, p.53 ; Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.3 ; Manager Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 27 mai 2013, p.63 216 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.44 217 Manager Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 27 mai 2013, p.63 218 Employé permanent Angelus Silesius, entretien réalisé le 29 mai 2013, p.24
60
Toute l’observation menée jusqu’ici indique que la pratique de l’expertise s’est
renforcée, jusqu’à se présenter comme une contrainte des activités associatives. La capacité
des acteurs à s’y conformer est devenue une condition du bon déroulement de la gestion des
projets. La capacité des acteurs à se spécialiser, à apparaître comme des experts de certaines
questions, tout en étant capables de sortir de leur sphère de compétences et de connaissances
initiale, afin de pouvoir « donner le change » (maniement d’un vocabulaire spécifique,
acquisition des connaissances et des enjeux relatifs au projet) sont autant d’éléments pour
prétendre à l’acquisition d’un certain crédit par les programmes de financements.
2.2. La diffusion de la pratique du partenariat219 et « l’ouverture internationale »
Une deuxième pratique désormais attendue et valorisée dans l’espace associatif
renvoie à celle du partenariat. Pour augmenter les chances de voir les projets financés, il est
en effet quasiment devenu impératif pour les organisations de créer un partenariat à l’échelle
internationale, les « projets transnationaux » étant devenus une condition générale de
financement. Tout projet financé doit intégrer une dimension européenne, soit en l’incluant
dans les thématiques traitées par l’organisation, soit en élaborant des projets conjoints entre
plusieurs organisations appartenant à au moins deux Etats membres220. Plus qu’un simple
partenariat financier ou des réseaux associatifs d’échange d’informations, il s’agit de travailler
concrètement avec des organisations et des partenaires très différents.
Dans ce contexte, parallèlement à l’expertise décrite précédemment, les conduites
attendues et valorisées dans l’espace associatif étudié renvoient aussi à « l’ouverture
internationale » des acteurs qui y évoluent. La valorisation de cette pratique prend ici
plusieurs formes complémentaires. Une première « règle » de conduite renvoie d’abord à la
nécessité de maîtriser l’anglais en plus de sa langue maternelle. Il s’agit ici de souligner la
variation des modes d’acquisition de ces compétences linguistiques par les acteurs. Si le
passage par l’université y suffit parfois, une pratique suffisante de l’anglais renvoie, dans
d’autres cas, à une expérience professionnelle à l’étranger 221 ou à des stratégies
d’autoformation très volontaristes en engageant des formations en langue anglaise
conjointement à leurs activités associatives222.
219 SANCHEZ-SALGADO, R., loc. cit., 2009, p.53 220 SANCHEZ-SALGADO, R., « Les ONG en Europe : facteur de légitimation de l’Union européenne ? », in JACQUOT, S., WOLL, C. (dir.), op. cit., pp.94-95 221 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.4 ; Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013, p.15 222 Employée permanente Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 24 mai 2013, Assistant Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 23 mai 2013
61
Une telle attente doit bien sûr être rapportée à la domination de l’anglais comme
langue de travail dans le cadre des projets transnationaux, les coordinateurs de projets étant
amenés à prendre la parole et à argumenter devant un groupe de travail. Concernant la
rédaction des demandes de financement, ils ont la possibilité de les rédiger dans la langue de
leur choix lorsqu’ils s’adressent aux agences nationales polonaises – sorte d’ambassades du
programme Jeunesse en Action en Pologne chargée de faire le lien avec la Commission
européenne223, mais pas lorsqu’ils s’adressent directement à Bruxelles224 ou qu’elles sont
rédigées en vue d’obtenir des fonds de coopération dans le cadre de projets transnationaux.
Cette attente doit aussi être ramenée aux contraintes que soulèverait l’organisation de
séminaires de formation en plusieurs langues. Afin de limiter les coûts financiers et
organisationnels, mais aussi pour garantir un caractère informel et convivial des discussions
qu’un système d’interprétariat alourdirait, les conférences et séminaires rassemblant les
différents partenaires se déroulent en anglais. Ainsi, comme le rappelle le leader de Semper
Avanti : « Regarding the language skills, English is a must. It doesn’t have to be perfectly
correct but they have to be communicative. As you hear, I’m doing mistakes all the time. So
I’m not expecting people to speak extremely fluently but they have to be able to communicate
easily225 ».
Comme l’illustre cette dernière citation, loin de se réduire à une pure nécessité
fonctionnelle, le rapport non scolaire aux langues n’est qu’une des dimensions de
« l’ouverture internationale » attendues des acteurs rencontrés. Celle-ci renvoie également à
d’autres propriétés, et notamment au fait de savoir coopérer avec des partenaires de
nationalités différentes. Lorsque les acteurs rencontrés étaient invités à s’exprimer sur leur
expérience transnationale, le commentaire le plus typique ressemblait à celui-ci : « It was
really interesting because I could see how different types of thinking we have226 ». La pratique
du partenariat met aussi parfois à l’épreuve la capacité de ces derniers à définir et adopter une
capacité de compréhension mutuelle. Comme l’ont souligné à plusieurs reprises les acteurs
rencontrés, de telles coopérations permettent de s’ouvrir à d’autres cultures tout en luttant
contre les stéréotypes227. Le savoir-faire des acteurs se mesure ainsi à l’aune de leur capacité à
faire face à des situations parfois tendues. Une personne interviewée décrit ainsi une de ses
expériences transnationales :
223 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.42 224 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013 225 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.37 226 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.33 227 Manager Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 27 mai 2013, p.68
62
Sometimes it’s very difficult because I can’t understand other people. Even if I know I should. For example, my time in Georgia was very interesting because they were people from European Union and people from Caucasus region. People from Georgia were amazing but people from Armenia and Azerbaijan were horrible for me. They weren’t involved in this project. They were chatting on Facebook or reading a book when we were together… I couldn’t understand them. […] For example, there was no problem for us if somebody of the group was homosexual but people from Caucasus, where the society is more closed, thought the opposite. For example, they were talking about us in Russian but I can understand Russian. And they were criticizing people from European Union, saying we have a real homosexual society and that we were horrible228.
Il leur faut également apprendre à faire cohabiter des lectures différentes de la réalité sociale
tout comme les problèmes propres à chaque terrain d’action mais aussi partager ceux qui sont
similaires. Les projets transnationaux sont ainsi souvent décrits comme l’occasion de prendre
conscience du caractère commun à chaque pays de certains problèmes mais aussi de
l’existence de solutions déjà mises en œuvre. C’est donc également l’occasion pour chacun de
s’inspirer des « bonnes pratiques » de ses partenaires et d’en apprendre plus sur leur façon
d’appréhender les problèmes auxquels ils sont confrontés ainsi que sur les solutions qui se
révèlent efficaces229.
La pratique du partenariat soulève dès lors aussi la difficulté de trouver les « bons »
partenaires. Comme l’explique cet employé :
[…] when we took randomly some organisation that apply for some kind of trainings or exchanges we were doing, there are such situations that at the very last moment they decline and they say “oh we didn’t find participants, sorry!” or they inform us the day before or a week before and we are not able to find anyone instead because there is a visa or something like that so it’s just more dangerous I would say230.
Cet extrait souligne par ailleurs l’importance des réseaux. A la question de savoir comment ils
trouvent leurs partenaires, la majorité des acteurs rencontrés répondent que leurs partenaires
font généralement partie de leur cercle d’amis ou des individus qu’ils ont rencontrés lors de
leurs expériences professionnelles antérieures à l’étranger ou en Pologne, le commentaire le
plus typique ressemblait à celui-ci : « My partners are basically friends I have. I prefer to
work with people that I met personally. They became some kind of friends and we developed
close relations[…] 231 ». Travailler avec des gens qu’ils ont déjà rencontrés au préalable, et
avec lesquels ils ont développé certaines relations, est ainsi souvent présenté comme facilitant
l’organisation et le bon déroulement de la coopération. Les positions qui se rapprochent par
228 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.33 229 Employée permanente Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 24 mai 2013 230 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013, p.24 231 Ibidem.
63
trop de ce qui est interprété comme du laxisme et un manque de conscience professionnelle
sont souvent sévèrement critiquées et présentées comme le résultat d’une défaillance de
l’organisation, et notamment d’un défaut de sérieux – à l’image de cette employée de Semper
Avanti déplorant le manque d’investissement personnel dont peuvent faire preuve certains de
ses partenaires :
In general, lots of people write to our email and ask us if we want to be partners in some projects and you can see that they wrote the same message to like 20 other organisations in Poland. […] they are searching for partners but it’s not very personal. And if I see they wrote the same to many many partners, I am not even wasting my time to answer232.
C’est également sur le registre du savoir-vivre que certains partenaires qui préfèrent critiquer
ouvertement les autres membres présents ou ne pas participer activement aux séminaires
peuvent être stigmatisés. Ainsi, une employée relate une de ses expériences en pleine séance
de réunion : « They weren’t involved in this project. They were chatting on facebook or
reading a book when we were together… I couldn’t understand them 233 ».
Une troisième dimension de « l’ouverture internationale » valorisée dans les
organisations renvoie enfin au fait de chercher à concilier la défense de sa propre position
avec l’adoption d’une position collective. Les acteurs rencontrés sont ainsi, plus
généralement, conviés à faire preuve d’un certain esprit de solidarité. Bien que la compétition
entre les organisations bénéficiaires existe au niveau local234, un système d’entraide mutuelle
s’est mis en place entre les partenaires au niveau international pour assurer la continuité des
activités de leurs organisations. Comme l’explique une employée de Semper Avanti :
[…] the cooperation with another country makes stronger the people who are working here because you know that you count for yourself but if you are working in partnership, it means some partners write the project and also write the project to provide employers for us. […] One of our partners applies for the project that also includes the staff costs for our association. And we are doing the same for other of our partners. So it’s not only Semper Avanti that takes care of its employees, another organisation also takes care of them235.
Autrement dit, il s’agit pour les organisations d’intégrer dans leur projet leurs partenaires dont
la demande de financement n’a pas été acceptée. A l’inverse, si leur projet se voit refusé, ils
ont toujours une chance de pouvoir intégrer celui d’un de leurs partenaires.
232 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013 233 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.33 234 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013, p.22 235 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.7
64
Si la conformité à ces conduites constitue un critère de la « bonne » réalisation des
projets, certains acteurs la présentent comme permettant, de façon plus générale, le
développement de qualités personnelles et professionnelles à part entière, comme les propos
de cette employée le montrent : « The Third sector is really good for your professional skills
because the it teaches you a specificity. I think it’s very important. Thanks to the Third sector
you are in contact with English, with people. You can more easily fit to the international
workers team236 ». Dans le discours de certains acteurs, les postures valorisées au sein des
groupes deviennent à la fois des savoir-faire et des savoir-être indispensables à la mise en
œuvre des projets, mais aussi des compétences et des manières de faire que cette expérience
permet de revendiquer.
Sans considérer leur passage par le groupe sur un mode stratégique – de telles
organisations ne proposant pas d’évolution de carrière –, certains acteurs font en revanche
preuve de pragmatisme. Ainsi, lorsqu’ils sont invités à s’exprimer sur le caractère incertain de
leur statut – leur revenu dépendant de l’obtention des fonds européens pour leur projet – ils se
disent peu inquiets et insistent sur les opportunités de reconversion de leurs ressources,
comme cette employée de Semper Avanti qui nous explique : « […] I’m learning all the time
and increasing my competences. So, in case that in Semper Avanti we would have some
problem, I would find myself very easily on the labour market237 ». Il s’agit surtout des
employés dont l’expérience au sein des organisations remonte à plus de trois ans, souvent plus
conscients de la nature des compétences qu’ils ont acquises et de leur caractère transposable à
d’autres secteurs d’activité ainsi que des éventuelles opportunités de reconversion de leurs
ressources personnelles qui s’offrent à eux238.
Evoquant toujours son rapport aux compétences requises, cette même employée
explique ensuite que la coordination de projets dans le cadre de programmes d’initiative
communautaire implique le développement de capacités comparables à celles développées
dans le secteur privé. Selon elle, les compétences acquises dans ce milieu ne sont pas sans
rappeler celles qu’ils sont amenés à développer lors de leur passage au sein des organisations :
technique de gestion basée sur la culture du résultat, capacité de travail en équipe,
développement de relations en réseau, maîtrise des langues étrangères, coopération
internationale, …
236 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.32 237 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013, p.23 238 Parmi ces derniers, certains font le choix de proposer leurs services aux compagnies du secteur privé. Ils rédigent leurs demandes de fonds en tant que « freelancers » en échange d’une rémunération. Trois personnes sur 13 interrogées ont développé cette activité professionnelle connexe.
65
Ainsi que cette section l’a montré, étudier l’investissement de certaines pratiques par les
acteurs permet de révéler que le respect des exigences européennes contraint l’activité
associative, en prescrivant un ensemble de conduites qui pèsent en retour sur les registres
d’action mobilisés par les acteurs. Pour autant, l’investissement de certaines pratiques et
manières de faire et d’être ne se traduit pas forcément par la suppression des oppositions aux
logiques sous-tendant le système de financement en lui-même. Le respect des conditions
d’octroi dans le cadre des programmes européens de financement peut aussi susciter des
commentaires teintés d’ironie de la part de certains acteurs rencontrés, comme chez le
manager de la Fondation Krzyzowa :
We were taught that the [transnational] projects should be the result of initiative of young people coming from down, not by grown-up or other institutions. The idea is that the best project is written by five Bulgarians, five Portuguese, five people from Switzerland and two Ukrainians who met just by chance somewhere and had an idea how to write in English a good grant making application to national agency in Sweden. I don’t like such things like that239.
L’intériorisation de ces nouvelles normes de conduite n’implique pas non plus une
distanciation définitive ou totale avec des modes antérieurs d’appréhension de la réalité
associative, mais plutôt une capacité des acteurs à passer d’un niveau de significations et de
représentations à l’autre, à penser leur projet dans le cadre des priorités des programmes
européens de financement, et vice-versa.
Par ailleurs, une mise en perspective des compétences techniques développées par les
acteurs pour maîtriser les règles des programmes européens de financement avec leurs
expériences professionnelles et éducationnelles antérieures décrites dans la première section
de ce chapitre ne permet d’en expliquer l’apprentissage que partiellement. Certes, on peut
supposer que les ressources sociales et professionnelles antérieures de certains leur ont permis
de développer certaines des dispositions et des compétences requises pour répondre aux
exigences des critères de financements européens, tels que la connaissance de l’anglais ou la
maîtrise et la compréhension du système complexe que représente l’Union européenne en
général, et le système de financement européen en particulier dans le cas des diplômés en
sciences politiques et études européennes.
Toutefois, de telles ressources personnelles permettent surtout de faciliter l’acquisition
des compétences et savoir-faire propres aux organisations bénéficiant des financements
européens. Pour le dire autrement, la détention des savoirs techniciens nécessaires à la
réalisation et à la « bonne » conduite des projets ne semble pas, de manière générale, corrélée 239 Manager Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 27 mai 2013, p.68
66
à des acquis universitaires ou à des trajectoires sociales et professionnelles particulières. Si les
compétences des acteurs disposant de telles dispositions sont activées dès leur entrée au sein
des organisations, ceux qui ne les détiennent pas au préalable doivent, au contraire, fournir
davantage d’efforts pour les acquérir et se positionner dans l’organisation. C’est précisément
sur ces modes d’acquisition que se penche la troisième et dernière section de ce chapitre.
3. MODES D’ACQUISITION DES SAVOIRS
Après avoir étudié les effets des structures de financement européen sur les procédures
de recrutement des acteurs associatifs de Wroclaw et montré que – contrairement à ce que
présupposait la littérature –, la professionnalisation du secteur associatif à Wroclaw ne
s’explique que partiellement par l’arrivée de jeunes travailleurs dont les ressources sociales et
professionnelles agiraient comme des facteurs d’acquisition des compétences requises pour
répondre aux exigences des critères de financements européens, il s’agit maintenant de mettre
en évidence, toujours à partir du cas de Wroclaw, les modalités d’acquisition de ces
compétences et conduites.
Sur la base des informations recueillies, nous avons pu clairement observer deux
modes complémentaires d’acquisition des compétences : d’une part, un apprentissage des
normes de conduites et des pratiques par le biais de séances de formations organisées par le
programme communautaire de financement – prenant la forme de séminaires, de conférences
ou de workshops –, un système plus informel de formation par l’intermédiaire des pairs et des
partenaires transnationaux d’autre part. Le type de transmission valorisé dans les
organisations demeurant, d’une manière générale, l’apprentissage en situation.
3.1. La formation des acteurs par les programmes de financement comme
« facilitateur »
Hormis le cas où le nouvel entrant aurait déjà été familiarisé avec le système de
financement européen par des expériences associatives antérieures au sein d’organisations
bénéficiant de fonds communautaires 240 , les travailleurs associatifs doivent faire cet
apprentissage au sein de l’organisation. La majorité des acteurs rencontrés avouent s’être
sentis désemparés lorsqu’ils furent invités en entretien à faire part de leurs débuts au sein de
leur organisation. Une employée de Semper Avanti reconnaît ainsi volontiers les difficultés
ressenties lors de son arrivée au sein de l’organisation :
240 Une seule personne rencontrée témoignait d’une telle expérience professionnelle.
67
I remember when I came to Semper, it was two weeks before a big deadline that we were supposed to apply to Brussels and I didn’t have any idea about how to apply. And they gave me a lot of materials and some projects as example and asked me to write projects to Brussels directly. So, I was studying nights and days for two weeks and I learnt a lot of… (she stops) But I saw how big gap I had in this kind of work […] the knowledge and the know-how that you have to have when you are writing the project is very crucial241.
Face à ces sentiments de malaise et de crainte chez les plus jeunes recrues, la plupart
des programmes de financement d’initiative communautaire offrent des formations
spécifiques, par exemple sur le système de management et de gestion des relations publiques
et du marketing dans le secteur tertiaire242. Plusieurs acteurs rencontrés ont ainsi déclaré avoir
assisté à de telles formations, prenant la forme de séminaires, de conférences, ou encore de
workshops. Ces séances de formation visent par ailleurs à donner aux acteurs concernés des
informations précises et des éléments concrets sur les critères d’octroi établis par la
Commission européenne. Les personnes qui organisent ces groupes de travail, les workshops,
sont souvent des membres d’organisations bénéficiant de fonds européens ou des individus
impliqués dans l’organisation et spécialisés sur les questions abordées243. L’exemple d’un des
employés de l’organisation Angelus Silesius se révèle ici éloquent. Ce dernier a été désigné
par l’agence nationale du programme Jeunesse en Action à Varsovie, dans le cadre d’un
concours annuel, pour devenir un consultant régional, responsable pour la région de Basse-
Silésie. Il a ainsi pour tâche d’organiser des séances de formation pendant lesquelles il
présente les procédures à suivre ainsi que la façon de construire et de rédiger un projet pour
accroître leurs chances d’obtenir un financement244. Autant de rencontres où les individus
peuvent apprendre les différentes procédures et discuter de leur teneur, comme le souligne
cette employée : « We can also participate. We often ask questions and exchange our ideas.
[…] And the meetings are divided in workshops, that give you the time to really work out for
something245 ». C’est à cette occasion qu’ils peuvent par exemple se familiariser avec
certaines expressions spécifiques (« dissemination », « implementation », …) et plus
largement un langage technique utilisé par les programmes de financement européens.
Ces séances donnent enfin à plusieurs nouveaux entrants la première occasion de
rencontrer des travailleurs d’autres organisations, ce qui marque souvent le commencement
du processus important du développement d’un réseau de partenaires stables et sérieux. Ainsi,
241 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.5 242 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 20 mai 2013, p.33 243 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.9 244 Employé permanent Angelus Silesius, entretien réalisé le 29 mai 2013, p.73 245 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.9
68
lorsque les acteurs rencontrés furent invités à se prononcer sur de telles séances, leurs
commentaires mettaient davantage l’accent sur l’opportunité que leur offre ce genre de
formations dans leur recherche de partenaires stables que sur les savoirs et connaissances
qu’elles leur permettent d’acquérir. Si on peut considérer ces séances de formation comme un
effort important pour s’assurer que tous les travailleurs associatifs souhaitant bénéficier du
programme de financement aient une connaissance de base des exigences et procédures
formelles de ce dernier, elles font donc l’objet d’appréciations mitigées. Les participants que
nous avons pu interviewer dénoncent ainsi souvent l’absence de rigueur de ces séances.
Evoquant le manque d’attention accordé par les participants, un employé remarque ainsi :
[…] sometimes, I have the impression that the Youth in Action program is a bit spoiled. People sometimes start treating the training courses or seminars as vacations. And organisations send random people for the meeting. So there for example, if you are really focused on a topic and that you except that there will come people for the seminar that are expert in this area and then you see that they are sending volunteers who don’t have a clue about the area in which they are working, even if they are very friendly, you really feel that you waste your time246.
Un autre employé souligne le même problème, et prétend que la faiblesse de ces
formations, c’est leur qualité variable d’une séance à l’autre : « it’s frustrating when I’m
going somewhere and the less experienced people are the trainers themselves247”. Un
ressentiment très net s’exprime ainsi dans le groupe d’acteurs que nous avons interviewé
lorsqu’ils évoquent la qualité de ces séances de formation puisque beaucoup affirment que de
telles sessions sont de pauvre qualité, certains allant jusqu’à les associer à une perte de temps.
3.2. L’apprentissage informel : les collègues, les partenaires, les mentors
Nombreux sont les propos des travailleurs associatifs qui soulignent ainsi avec
insistance le rôle de leurs pairs dans cet apprentissage des compétences pratiques. Au sein des
organisations rencontrées, l’apprentissage informel est d’abord assuré par les collègues plus
aguerris qui leur présentent les « bonnes » pratiques et les partenaires sérieux et compétents,
leur apprennent les subtilités du jargon communautaire et du système de financement
européen. Le décodage des exigences européennes nécessite le transfert d’un certain nombre
de savoirs pratiques dans lequel les collègues jouent un rôle important. La faible compétition
au sein des organisations – ces dernières ne proposant pas d’évolution de carrière – rend
possible l’aide aux nouveaux entrants par les plus anciens. Ainsi, si un nouvel entrant ne
parvient pas à gérer l’ensemble des projets dont il a la charge, cela peut être assuré par un 246 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.10 247 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.49
69
autre membre du groupe, comme l’évoque cet extrait d’entretien avec une employée : « I
focus on the labour market but occasionally, because I have a knowledge about EVS, so it
happens that I also help the girls to manage the EVS248 ». Chaque employé a tout intérêt à ce
que ses collègues soient aussi compétents que lui et donc à les faire bénéficier de son savoir.
Les plus anciens jouent à la fois un rôle de coach aidant les nouveaux arrivés au niveau du
travail, mais aussi de mentor en contribuant à leur intégration et leur adaptation à la vie de
l’organisation.
Parallèlement, ce processus informel de transmission des savoirs par les pairs peut
également se faire en collaboration avec certains de leurs partenaires transnationaux. Le
nouvel arrivant a parfois l’occasion de développer un contact privilégié avec un des
partenaires de son organisation d’origine et ainsi, d’échanger les « bonnes pratiques » et les
savoir-faire techniques sur des sujets variés. Comme l’explique cette employée :
[…] the knowledge and the know-how that you have to have when you are writing the project is very crucial. And you have to develop it by yourself and also to participate in some conferences or seminars and … She stops. […] what I really appreciate – because sometimes not everybody in Semper have time to sit and help you because we are so busy –, very often that we cooperate with partners who are very experienced and has two times more years of working in such a field than we have, they share the knowledge very easily and it’s very supportive. […] Now, when I’m applying for projects to Brussels directly, I have like the mentor from Sweden that helps me to track the application249.
En contact avec des partenaires étrangers, les acteurs appréhendent, échangent et créent
de nouvelles méthodes de travail, de management, mais aussi de nouvelles valeurs, de
nouveaux codes, de nouveaux référents. Ainsi, si les propos de cette employée indiquent
qu’elle a dû faire son apprentissage « de la matière » et des procédures toute seule, elle
reconnaît ce qu’elle doit à ceux qui l’ont prise sous leur aile à son arrivée. Cette entraide crée
chez les acteurs un sentiment de reconnaissance à l’égard d’un milieu qui les a aidés à leurs
débuts.
Dans un cas comme dans l’autre, l’échange s’organise alors de manière informelle. En
bénéficiant du soutien de leurs collègues ou de certains de leurs partenaires, les nouveaux
entrants assimilent ainsi, peu à peu, les « règles du métier », apprennent à identifier les
contacts utiles, à connaître les étapes de réalisation des projets les plus épineuses, à récolter au
plus vite les « bonnes » informations. Grâce à l’acquisition de vocabulaires spécifiques, de
rôles, ils intériorisent les champs sémantiques qui leur correspondent. En devenant capable de
248 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.3 249 Ibid., p.5
70
comprendre et d’utiliser ce langage, le travailleur associatif peut alors communiquer avec ses
collègues ou ses partenaires sous la forme d’allusions riches de sens pour ceux-ci, mais
obscures pour les profanes, comme le révèlent les propos de cette employée au sujet de
l’impact des procédures qu’elle doit respecter lorsqu’elle fait une demande de financement sur
sa façon d’être et de travailler :
I sometimes surprise myself in my private life because I’m using language from European Commission. And I’m talking with my boyfriend and telling him: “now we have to disseminate something” and he’s just: “stop I don’t understand you”. It happens when I’m so deeply in this… So it’s not only influencing my working life but also my private life. I have to change myself and starting to be…to talk to people in normal language250.
Au travers de cet entretien se révèle la façon dont les champs sémantiques sont ainsi
majoritairement intériorisés de façon implicite et structurent leurs interprétations de la routine.
Les nouveaux entrants, travaillant en relation étroite avec leurs pairs ou leurs partenaires, vont
apprendre à conformer leurs manières de penser, leurs argumentations et certaines de leurs
lectures de la réalité sociale à celles qui sont recevables par leur programme de financement.
Il ne faut pas croire pour autant qu’il n’existe aucune concurrence entre les différents
acteurs du secteur. Comme nous l’avons déjà mentionné, la nécessité de se démarquer des
autres organisations revient en effet à plusieurs reprises dans le discours des interviewés, qui
les perçoivent parfois comme des adversaires dans la « course aux financements »251. La
plupart des commentaires faits à ce sujet révèlent que les organisations se montrent
néanmoins plus ouvertes à la coopération internationale que locale, ce qu’une employée de
Angelus Silesius commente comme suit : « I would say we cooperate more internationally
than locally. Which is in a way surprising because we could have cooperated more. It’s
always a matter of money252 ». Au niveau international, la pratique du partenariat semble ainsi
être privilégiée, comme le révèlent les propos d’une employée de la Fondation Krzyzowa :
« If there are some very good organisations which are really good at it [applying for the UE
funds], we try to become their partners instead of competing with them. It’s much better253 ».
Ainsi que l’a montré cette dernière section, l’analyse des processus d’apprentissage des
savoirs et savoir-faire spécialisés apporte un éclairage intéressant sur la façon dont les acteurs
investissent et maîtrisent les pratiques d’expertise et de partenariat et donc sur la façon dont
opère le processus de professionnalisation concrètement. Il en ressort que celui-ci consiste
250 Employée permanente Semper Avanti, entretien réalisé le 16 mai 2013, p.11 251 Manager Semper Avanti, entretien réalisé le 21 mai 2013, p.47 252 Employée permanente Angelus Silesius, entretien réalisé le 17 mai 2013, p.22 253 Employée permanente Krzyzowa Fundacja, entretien réalisé le 24 mai 2013, p.58
71
moins dans l’opportunité de valoriser des propriétés déjà acquises que dans l’acquisition de
compétences et de connaissances « nouvelles ». Nous avons ainsi pu observer le rôle des
échanges informels entre les collègues ou les partenaires transnationaux en tant que moments
privilégiés d’apprentissage ou de perfectionnement des compétences valorisées dans le cadre
des programmes de financements communautaires. Le travail en commun mené dans le cadre
des partenariats permet aux acteurs l’« apprentissage de ce qui ne s’apprend pas ».
Cet apprentissage en situation permet, davantage que les séances de formation
organisées par les programmes de financement, une familiarisation avec les normes
professionnelles par le biais de la gestion des projets. Les modes d’acquisition formels –
conférences, séminaires et workshops – sont ici davantage considérés comme favorisant les
rencontres avec les partenaires potentiels que comme une source d’apprentissage en elle-
même, de par leur absence de rigueur, dénoncée à plusieurs reprises par les participants. Au
terme de cette analyse, nous avons donc pu démontrer la nécessité de reconsidérer et nuancer
le rôle des dispositions, parcours et propriétés sociales des acteurs concernés dans
l’acquisition des compétences requises pour répondre aux exigences européennes.
72
Conclusion
Face au caractère contraignant des critères conditionnant l’accès aux financements
communautaires depuis 1999 suite à la crise de la Commission Santer, le présent travail s’est
proposé d’interroger les potentiels liens entre les conditions d’octroi des fonds européens et la
professionnalisation des acteurs associatifs qui en bénéficient dans la société polonaise dite
« post-communiste ». L’hypothèse développée à cet égard était que les opportunités de
financements européens entraînent une professionnalisation du monde associatif polonais de
par les modalités pratiques d’obtention et de gestion des fonds communautaires. Plus
spécifiquement, nous avons également posé deux autres hypothèses selon lesquelles l’accès
aux financements européens se traduirait par une sélectivité accrue des critères de recrutement
d’une part, et par une technicisation des pratiques associatives d’autre part.
Reflétant les conclusions de la majorité des recherches réalisées sur la
professionnalisation comme résultat des financements communautaires, l’intérêt de cette
étude réside donc dans la question de savoir si, oui ou non, ces hypothèses s’appliquent au cas
de la Pologne. Afin de les infirmer ou de les confirmer, la recherche s’est basée sur l’analyse
de trois organisations du secteur associatif de Wroclaw investies dans le domaine de la
jeunesse et ce, à travers trois champs d’investigation complémentaires : le profil des acteurs et
les logiques présidant à leur recrutement au sein des organisations, les pratiques et les
conduites qui s’y trouvent valorisées et les processus concrets d’apprentissage de ces
dernières.
Au terme de cette étude, plusieurs constats s’imposent en réponse à ces trois
hypothèses de départ. Dans un premier temps, l’examen des propriétés sociales et
professionnelles des acteurs rencontrés et de leur conditions d’entrée au sein des organisations
invite à revenir sur l’hypothèse selon laquelle la conformité aux critères d’octroi des fonds
communautaires entraîne une sélectivité accrue des critères de recrutement. A l’exception du
bilinguisme des candidats et de la détention d’un diplôme d’études supérieures, on observe en
effet l’absence de critères de recrutement bien définis. L’emploi de spécialistes détenant des
savoirs dans un domaine déterminé et utiles au fonctionnement de l’organisation se limite
généralement aux comptables. La décision de recruter un spécialiste des fonds européens ne
s’est pas encore imposée comme une nécessité incontournable et demeure d’ailleurs
controversée.
73
Dans un deuxième temps, l’étude de l’investissement de certaines pratiques par les
acteurs confirme l’hypothèse selon laquelle les exigences européennes contribuent à la
formalisation d’un ensemble de savoir-faire et de savoir-être techniques et spécialisés
désormais requis au sein des organisations bénéficiaires de fonds européens. C’est notamment
le cas de la maîtrise des ressources langagières et des méthodes de gestion comptables faisant
sens pour le programme de financement, la connaissance approfondie du terrain dans lequel
les acteurs opèrent, tout en étant capables de sortir de leur sphère de connaissances et de
compétences initiales pour s’adapter aux priorités annuelles dudit programme. Il en est de
même de la maîtrise de l’anglais, du développement de leur capacité de coopération ou encore
de leur capacité à passer d’un niveau de significations et de représentations à l’autre en
pensant leur projet dans le cadre des priorités des programmes européens de financement, et
vice-versa.
Après les avoir mises en perspective, nous avons montré qu’il n’existe qu’une faible
corrélation entre les compétences techniques requises au sein des organisations bénéficiaires
pour répondre aux exigences européennes et les trajectoires professionnelles et
éducationnelles antérieures des acteurs qui y travaillent. Certaines expériences
professionnelles préalables à l’étranger ou l’obtention d’un diplôme en sciences politiques
peuvent certes constituer des moments privilégiés d’apprentissage ou de perfectionnement,
mais on ne peut en conclure pour autant qu’à l’instar des formes de professionnalisation
habituellement décrites, les compétences attendues par les acteurs associatifs au regard des
normes européennes de financement sont acquises avant le passage par les groupes et reflètent
les positions sociales et les parcours scolaires et professionnels des acteurs rencontrés.
Il apparaît en effet qu’après avoir été choisis en raison de certaines dispositions et
capacités requises – à l’exemple de la maîtrise de l’anglais ou la détention d’un diplôme
d’études supérieures –, ils sont ensuite rapidement formés au contact des autres employés plus
anciens, ou des partenaires transnationaux, qui leur transmettent les savoirs professionnels
jugés nécessaires et, au-delà, les intègrent aux groupes des professionnels de la coordination
de projets financés par des programmes d’initiative communautaire. L’étude de la structure
sociographique des organisations rencontrées invite donc à reconsidérer le processus de
professionnalisation des acteurs associatifs. Elle invite notamment à reconsidérer l’existence
d’une sélectivité accrue des critères de recrutement comme indicateur de la
professionnalisation à l’œuvre dans les organisations en réinscrivant les compétences
techniques investies par les travailleurs associatifs dans des processus d’apprentissage interne
à l’organisation.
74
C’est ainsi que, dans un troisième temps, nous avons montré qu’il convient de porter
une attention particulière aux modes d’apprentissage par le biais de la gestion des projets pour
saisir les modalités par lesquelles les acteurs parviennent à maîtriser ces nouvelles techniques
de gestion. Grâce à un processus d’apprentissage assuré par le groupe de pairs, les travailleurs
associatifs acquièrent en effet un vocabulaire particulier, des compétences, des représentations
sociales et certaines pratiques propres aux exigences des conditions d’octroi des
financements. Un nouvel entrant ne peut que partiellement réinvestir au sein de l’organisation
des compétences amassées au cours de ses expériences éducationnelles ou professionnelles
préalables. Il va lui falloir, en grande partie, apprendre tous les savoirs implicites sur le
fonctionnement du système de financement communautaire, des plus élémentaires (les
différents types de financements et d’acteurs responsables de ces derniers) aux plus
spécifiques (être capable de produire un rapport financier et une évaluation des projets). Tout
cela demande une accumulation progressive de compétences qui, parce qu’elles concernent
des savoirs qui n’ont souvent rien à voir avec ceux nécessaires pour mener à bien un projet
sur le terrain, vont permettre de saisir toutes les subtilités du système de financement
européen. Ce qui passe au début pour incompréhensible, ou en tout cas difficile à appréhender
à travers les schémas de perception traditionnels, finit par faire sens au fur et à mesure que les
travailleurs associatifs disposent des instruments intellectuels pour leur donner une
signification.
L’analyse des modes de transmission des savoirs se révèle ainsi pertinente puisqu’elle
permet de comprendre comment de tels acteurs investissent les pratiques d’expertise et de
partenariat et donc, par la même occasion, à quel moment le processus de transformation
intervient. Après avoir croisé les caractéristiques des acteurs rencontrés avec leur
environnement – des organisations de jeunesse du secteur associatif de Wroclaw dix ans après
l’intégration européenne – le processus de professionnalisation comme résultat des conditions
d’octroi des financements européens semble davantage opérer au sein même des organisations
qu’en amont de ces dernières, comme le laissaient supposer jusqu’ici les travaux sur la
question.
Cela dit, il convient de faire état des limites de notre recherche. La première d’entre
elles réside dans notre cas d’étude. En effet, en privilégiant les fonds directement administrés
par la Commission européenne, nous avons dû laisser de côté les fonds redistribués par les
autorités nationales et régionales, tel que le Fonds social européen. Il est ainsi probable que
les résultats de notre recherche auraient été différents si nous avions pris en compte ces
derniers. La combinaison de ces deux types de financements, bien que non envisageable pour
75
un mémoire de ce type, pourrait contribuer à une meilleure compréhension de l’impact des
fonds communautaires. Par ailleurs, nous avons fait le choix de nous concentrer sur l’impact
des financements sur les logiques organisationnelles de transformation des organisations qui
en découlent, raison pour laquelle nous avions décidé de nous départir du concept de société
civile pour privilégier celui de secteur associatif. Or, il est fort possible qu’en accordant
davantage d’importance à l’impact des fonds sur la capacité de leurs bénéficiaires à participer
au processus décisionnel, les conclusions de cette recherche auraient été tout autres.
Enfin, ce travail s’est voulu une contribution à l’analyse de l’impact des financements
communautaires sur le secteur associatif et a donc vocation à être élargi. Reproduire une
étude similaire dans un autre pays de la région ou en prenant un autre type d’organisations
comme cas d’étude permettrait ainsi d’observer si les données alors récoltées nuancent,
confirment ou informent les résultats obtenus dans le cadre de cette étude. A partir du cas
restreint des associations de jeunesse à Wroclaw et malgré les limites inhérentes à cette
démarche initiale, cette recherche a toutefois permis de souligner l’émergence de
« professionnels des financements européens » au sein des organisations : des acteurs qui,
bien qu’insérés dans différentes trajectoires professionnelles, se sont progressivement
spécialisés dans la gestion des financements communautaires jusqu’à pouvoir en tirer
l’essentiel de leurs revenus financiers, revendiquer la spécificité des compétences qu’ils ont
acquises et invoquer les opportunités de reconversion que ces nouveaux savoir-faire leur
permet d’envisager. Concernant ce dernier point, différents éléments observés au cours de
notre enquête – telles que les activités connexes de certains acteurs visant à aider les
compagnies du secteur privé dans leurs demandes de financements auprès des programmes
européens – invitent à penser les effets professionnalisant des conditions générales de
financements européens dans un cadre plus large que celui du monde associatif. Les savoirs
spécifiques acquis par les membres des organisations s’incarnent en effet dans une logique
néo-libérale mainstream dont la plupart des acteurs rencontrés sont conscients de la valeur sur
le marché du travail actuel.
Ce dernier point ouvre des pistes de recherches intéressantes quant à la façon dont les
conditions générales de financements européens conduisent à la professionnalisation des
acteurs associatifs qui en bénéficient. On pourrait en effet s’interroger sur le caractère
doublement formateur des organisations bénéficiant des programmes de financements
européens et se poser la question de savoir si, au-delà des savoirs et savoir-faire spécifiques
qu’elles leur ont permis d’acquérir, le passage par de telles organisations facilite également
l’accès et l’intégration à d’autres milieux professionnels. Il serait à ce titre intéressant de
76
suivre l’évolution de carrière des employés après leur passage au sein de ces organisations
afin d’observer si la maîtrise du système de financement apparaît transversalement dans les
différentes opportunités de carrières qui se seraient offertes à eux. L’analyse de cet aspect
pourrait amener à nuancer les conclusions auxquelles on a abouti en faisant du secteur
associatif une passerelle vers d’autres milieux professionnels et secteur d’activité où leur
capacité à passer d’un niveau de significations et de représentations à un autre serait mise à
contribution.
77
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Ø DOCUMENTS OFFICIELS USAID [2004], The 2003 NGO Sustainability Index Report, Washington, USAID, pp.196-197
Ø SITES INTERNET Programme Jeunesse en Action http://eacea.ec.europa.eu/youth/programme/about_youth_fr.php Base de données du programme Jeunesse en Action pour la période 2007-2013 http://eacea.ec.europa.eu/youth/results_compendia/results_en.php Approche de la gestion du cycle de projet (site du Fonds social européen) http://www.fse.be/boite-a-outils/documents-de-base/appliquer-la-methode-de-la-gestion-du-cycle-de-projet Approche de la gestion financière et administrative des projets (site du Fonds social européen) http://www.fse.be/boite-a-outils/documents-de-base/gestion-administrative-et-financiere Les différents types de financements communautaires http://ec.europa.eu/grants/introduction_fr.htm Les priorités annuelles du programme Jeunesse en Action http://ec.europa.eu/youth/youth-in-action-programme/annual-priorities_fr.htm
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Dates limites de soumission des candidatures auprès du programme Jeunesse en Action http://eacea.ec.europa.eu/youth/programme/calendar_en.php Histoire de la Fondation Krzyzowa http://www.kreisau.de/en/das-neue-kreisau/stiftung-kreisau.html Sites des organisations rencontrées http://www.krzyzowa.org.pl/ http://semperavanti.org/ http://www.silesius.org.pl/
Ø ENTRETIENS Dorota, Project coordinator – Semper Avanti, entretien du 16 mai 2013.
Paulina, Project coordinator – Semper Avanti, entretien du 20 mai 2013.
Marcin, Manager – Semper Avanti, entretien du 21 mai 2013.
Karolyna, Project coordinator – Angelus Silesius, entretien du 17 mai 2013.
Anna, Project coordinator – Angelus Silesius, entretien du 17 mai 2013.
Krzysztof, Project coordinator – Angelus Silesius, entretien du 29 mai 2013.
Bartek, Assistant – Krzyzowa Fundacja, entretien du 23 mai 2013.
Daniel, Project coordinator – Krzyzowa Fundacja, entretien du 23 mai 2013.
Iwona, EU funds expert – Krzyzowa Fundacja, entretien du 24 mai 2013.
Dominik, Project coordinator – Krzyzowa Fundacja, entretien du 24 mai 2013.
Rafal, Manager – Krzyzowa Fundacja, entretien du 27 mai 2013.
Karolyn, Project coordinator – Krzyzowa Fundacja, entretien du 28 mai 2013.
Susanne, Project coordinator – Krzyzowa Fundacja, entretien du 28 mai 2013.
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Annexes – Entretiens
Etant donné que la retranscription de l’intégralité des entretiens réalisés pour cette recherche comptabilise un nombre de pages trop élevé, veuillez trouver ceux-ci sur le CD-ROM ci-joint.
Tables des matières
Dorota, project coordinator, Semper Avanti…………………………………………………...2
Karolyna, project coordinator, Angelus Silesius……………………………………………..12
Anna, project coordinator, Angelus Silesius………………………………………………….18
Paulina, project coordinator, Semper Avanti………………………………………………....26
Marcin, manager, Semper Avanti…………………………………………………………….35
Iwona, EU funds expert, Krzyzowa Fundacja………………………………………………..52
Rafal, manager, Krzyzowa Fundacja…………………………………………………………60
Krzysztof, project coordinator, Angelus Silesius……………………………………………..70
Bartek, assistant, Krzyzowa Fundacja………………………………………………………..78
Daniel, project coordinator, Krzyzowa Fundacja…………………………………………….84
Dominik, project coordinator, Krzyzowa Fundacja…………………………………………..89
Susanne, project coordinator, Krzyzowa Fundacja…………………………………………...93
Karolyn, project coordinator, Krzyzowa Fundacja…………………………………………...99
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Règlement sur le plagiat Jury du Département de science politique
Adopté le 1er décembre 2009 Considérant que le plagiat est une faute inacceptable sur les plans juridique, éthique et intellectuel ; Conscient que tolérer le plagiat porterait atteinte à l’ensemble des corps étudiants, scientifiques et académiques en minant la réputation de l’institution et en mettant en péril le maintien de certaines approches pédagogiques; Notant que les étudiants sont sensibilisés aux questions d’intégrité intellectuelle dès leur première année d’étude universitaire et que le site web des Bibliothèques de l’ULB indique clairement comment éviter le plagiat : (www.bib.ulb.ac.be/fr/aide/eviter-le-plagiat/index.html) Rappelant que le plagiat ne se limite pas à l’emprunt d’un texte dans son intégralité sans emploi des guillemets ou sans mention de la référence bibliographique complète, mais se rapporte également à l’emprunt de données brutes, de texte traduit librement, ou d’idées paraphrasées sans que la référence complète ne soit clairement indiquée ; Convenant qu’aucune justification, telle que des considérations médicales, l’absence d’antécédents disciplinaires ou le niveau d’étude, ne peut constituer un facteur atténuant. Prenant note de l’article 1 de la Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins du 30 juin 1994, de l’article 66 du Règlement général des études du 3 juillet 2006, du Règlement de discipline relatif aux étudiants du 5 octobre 1970, et de l’article 54 du Règlement facultaire relatif à l’organisation des examens du 9 décembre 2004; Le Jury du Département de science politique recommande formellement d’attribuer systématiquement aux étudiants qui commettent une faute de plagiat avérée la note 0 pour l’ensemble du cours en question, sans possibilité de reprise en seconde session. Moi _______________________________________________, confirme avoir pris connaissance de ce règlement et atteste sur l’honneur ne pas avoir plagié. Fait à ___________________________________________________ Le ______________________________________________________ Signature de l’étudiant ______________________________________