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Lucien BAROU Mémoires de la Grande Guerre 187 Poilus du Forez et de sa périphérie témoignent… Tome 3 : 1916

Mémoires de la Grande Guerre - Département de la Loire · pas être enterrés et ce sont les marmites qui se chargent d'en disperser les morceaux aux quatre points cardinaux, on

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    Lucien BAROU

    Mmoires de la Grande Guerre187 Poilus du Forez et de sa priphrie tmoignent

    Tome 3 : 1916

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    "De partout on ne voit que des champs transforms en cimetires o s'alignent les croix de bois blanc sur laquelle est inscrit le nom des poilus et encore ce ne sont que ceux qui meurent l'arrire qui ont droit ce luxe, ceux de l'avant ne peuvent mme pas tre enterrs et ce sont les marmites qui se chargent d'en disperser les morceaux aux quatre points cardinaux, on trouve d'ici de l, ici un bras, l une tte, ailleurs un morceau de tronc, etc, peu sont entiers."

    Lettre de Verdun du 7 mars 1916Gabriel Poissant,

    classe 1908, Cours-la-Ville

  • Chapitre 16

    1916 (janv.-fv) : Conditions matrielles de vie des Poilus dans les tranches avant la bataille de Verdun

  • Chap. 16 - 1916 (janv.-fv.) Conditions matrielles de vie des Poilus dans les tranches

    avant la bataille de Verdun

    "En 16, y avait de l'eau jusqu'aux genoux! Fallait rester On pouvait pas se coucher, ni s'asseoir, ni rien! On tait malade, ben, fallait rester Mme une bronchite On pouvait pas coucher par terre! On peut pas y faire faire aux btes: y a pas une bte qui rsisterait!" Franois Potin, classe 1914, Gennetines (Allier) Saint-Just-en-Chevalet (Loire).

    "Terriblement chaud. Trs altr, on peut peine parler, tellement la bouche est sche. Rien d'aussi cruel que

    la soif, aussi les hommes parlent de ficher le camp l'eau cette nuit malgr le conseil de guerre qui les attend s'ils le font sans un ordre du Comdt de Cie." Journal de Franois Baizet , classe 1897, de Chassigny-sous-Dun (Sane-et-Loire) la date du 7 aot 1916.

    "Nous recevions les eaux et il a neig! - , nous avions pass dans des boyaux pour rejoindre, avec de l'eau,

    de la boue (je suis pas trs grand) jusqu'au ventre, et il faisait un froid de canard. A un moment donn, on tirait au mme crneau, tantt les Allemands, tantt nous. Enfin, nous tions vaincus par le froid, et la boue, et l'eau! On nous a relevs au bout de cinquante et quelques heures, mais il n'existait plus rien. Le bataillon qui avait attaqu avant nous avait perdu comme d'habitude la moiti de ses effectifs." Jean Fontaney, classe 1912, Montrond-les-Bains.

    "Nous sommes de vrais blocs de boue avec des mines plies et dfaites. Le bleu azur des capotes est devenu

    ocre, la glaise lisse par les frottements couvre les manches, les pans d'une couche paisse, il faut employer le couteau pour le nettoyage; tous les effets sont souills et sur la peau on sent le fourmillement de petits tres sordides. O! patriotes farouches, pourquoi n'tes-vous pas l pour partager notre malheureux sort?" Rcit de guerre d'Antonin Granet, classe 1903, Savigneux Chamboeuf.

    "Je l'ai emport sur mon dos! On a tomb peut-tre Oh! a faisait bien 3 km, pas loin! Dans la boue, dans

    le.. Ce qui tait le plus embtant, c'taient les fils de tlphone qui tranaient un peu partout! Alors on s'entravait dedans, et puis on dgringolait! Alors fallait seOn pleurait! On disait: "Oh mon vieux, autant tre mort que faire un boulot pareil! " Oh oui! Enfin, finalement, on est arriv au bout! Et le copain, il a t vacu tout de suite, il a t Issy-les-Moulineaux, vers Paris, et ils lui ont coup les deux pieds!" Antoine Gayet, classe 1916, Mionnay (Ain) Feurs (Loire) voquant l'harassante vacuation de son camarade aux deux pieds gels. Avant d'entrer dans l'tude de l'immense bataille de Verdun, il convient de reprendre ce qui a t un peu abord par le chapitre VIII "Installation dans la guerre de tranches" correspondant la fin de l'anne 1914 et au dbut de l'anne 1915. Au dbut de 1916, presque tous nos tmoins (sauf ceux des deux plus jeunes classes) ont eu une exprience de la guerre de tranches, l'ont vcue sous diffrents climats, dans le froid de l'hiver et dans la scheresse de l't, sous la pluie du printemps, de l't, de l'automne, dans diffrents sols ragissant diversement aux alas climatiques, selon qu'ils sont de terre meuble, crayeuse, glaiseuse, de sable ou de rochers. L'installation durable dans une guerre statique a modifi la faon de tenir et de combattre, mais aussi de s'alimenter, car on peut avoir recours une organisation plus rationnelle de l'alimentation des rgiments, comme celle des cuisines roulantes remplaant la cuisine micro-chelle des escouades. En dehors des combats, que nous envisagerons plus tard, car ils induisent un rapport la mort qui passera un autre stade aprs la boucherie de Verdun, il existe un mode de vie dj terrible dont on se demande comment ces hommes ont pu le supporter. Mais beaucoup, il est vrai, en sont morts, ou en sont rests marqus vie dans leur chair et dans leur esprit.

    Le froid avant l'hiver 1916-1917 S'il est une caractristique climatique qui soit lie une anne prcise pendant cette Grande Guerre, c'est bien celle du froid extrme de l'hiver 1916-1917, particulirement janvier et fvrier 1917 qui a induit des consquences nouvelles, grande chelle, ce qui le singularise par rapport aux deux hivers de guerre prcdents et aussi par rapport l'hiver suivant, 1917-1918, qui sera le dernier de la guerre. A titre indicatif, une tude du site "Climatologie de l'Indre" rcapitulant la temprature de tous les hivers en France de 1893 2006 indique que l'hiver le plus froid du XXe sicle a t l'hiver 1962-63, et que les deux autres hivers extrmes l'ont t en priode de guerre: 1916-1917 et 1941-1942. Nous aborderons donc ce froid de l'hiver 1917 sa place chronologique dans cette tude. mais cela n'exclut pas d'tudier le froid dans les autres hivers.

  • Froid et pieds gels En dehors du dsagrment physique du froid support dans les tranches, particulirement la nuit, alors qu'il

    est interdit de se dchausser (pendant toute la priode de prsence en premire ligne) pour tre prt affronter aussitt la moindre attaque inopine, la principale agression corporelle, part les engelures aux doigts, notamment au contact de l'acier des fusils, et des bronchites, consiste dans les gelures, particulirement aux pieds, pouvant avoir un degr de gravit tel que cela entrane l'amputation.

    Edmond Deloule (cl. 13) de Saint-Martin d'Ardche, maon en Ardche avant guerre avant de devenir, par suite d'une grave blessure l'il, employ l'octroi Paris aprs guerre, alors caporal au 23e B.C. Alpins de Grasse, a eu les pieds gels en Belgique au tout dbut du premier hiver de guerre. Il crit dans son rcit intitul "Fin de ma campagne en Belgique", faisant suite aux grandes lettres rcapitulatives adresses ses parents: "Tout d'abord un fait que je ne saurais passer sous silence, c'est la gelure de mes pieds au troisime degr. Nous tions dans un petit village du nom de Lampernisse1 . Il faisait froid. Un matin que nous attendions pour reprendre nos tranches, je sentis mes pieds comme un froid humide, on aurait dit qu'ils trempaient dans de l'eau trs froide. Le lendemain, ils taient tellement enfls que je ne pouvais plus marcher. Je le dclarais* mon Lieutenant qui tait chef de Cie ce moment et il me dit: "On va te monter sur un mulet pour que tu ailles la visite.". Le major se trouvait dans un local attenant la mairie du pays situ plus l'ouest. Je comptais tre vacu sur l'hpital de Dunkerque2 , mais il ne voulut pas me reconnatre malade, prtextant qu'il avait reu des ordres pour ne plus vacuer personne. Je ne pouvais me dplacer qu'en marchant sur les genoux. Le lieutenant me dit: "Tu vas retourner ton cantonnement, et puisque le major ne peut pas te reconnatre (malade), moi je te reconnais et te met* exempt de service jusqu' (ce que) tu puisses marcher." Il faut dire qu' mon cantonnement dans une ferme un peu isole, la fermire qui tait trs gentille me faisait prendre tous les jours des bains de pieds dans de l'eau o elle faisait cuire des betteraves a* sucre pour ses bestiaux. Ce que a me faisait du bien, c'est rien de le dire, et au bout de huit jours, je pouvais remettre mes chaussures, j'tais guri! Ensuite, quelques jours aprs, nous rentrons en France par une marche force et nous arrtions dans le Pas-de-Calais dans un petit village appel Magnicourt-en-Cont3 tout prs de Saint-Pol-sur-Ternoise. Au bout de deux ou trois jours, nous retournions aux tranches du ct de Souchez..4"

    Antoine Gayet (cl. 16) de Mionnay (Ain), ouvrier agricole dans l'Ain jusqu' sa mobilisation en avril 1915, puis, aprs guerre, fraiseur-tourneur chez Berliet Vnissieux, puis ajusteurraboteur Oullins, aux ateliers du P.L.M., avant de se retirer Feurs, soldat au 71e R.I., puis vers au 172e R.I, a failli avoir les pieds gels, ce qu'il raconte fort bien ici, avec une brve analyse de l'me des chevaux, avant d'voquer le sauvetage harassant d'un camarade aux deux pieds tout fait gels: T- "Alors le gel, pour les pieds gels: trois degrs, et vous avez les pieds gels! Vous savez pas pourquoi? Parce que la circulation se fait plus, surtout avec les molletires! a vous serre la jambe, quand elle est mouille, a vous serre la jambe! E- A plus trois ou moins trois? T- A moins trois! a gle moins trois: a y est! Moins trois, moins quatre, vous avez les pieds gels! Moi, j'ai pas eu les pieds gels, mais il s'en est fallu d'une demi-journe, parce que j'ai senti que j'avais les pieds si chauds "Oh, bon sang, j'ai ben tant chaud aux pieds!" Et puis je tte mes souliers: "Oh la la! " J'ai t oblig de prendre mon couteau pour couper les lacets, je pouvais pas les dfaire tellement a tirait! Et puis aprs j'ai pris des machins (fils) tlphoniques qui tranaient un peu partout, je me suis attach les pieds dessus les souliers, quoi: y avait que la semelle qui me servait! Alors y avait un machin (poste) de secours dans un ravin: ils venaient avec un panier, avec quelques pansements, et ils faisaient pas grand chose; bien sr, c'tait pour dpanner! Alors ils avaient fait un petit trou contre la butte, ils avaient mis une bche ou deux pour se mettre un peu l'abri. Alors je suis t au poste de secours comme a. "Eh ben", ils m'ont dit, "Eh ben t'as de la chance, parce que c'tait temps que tu les enlves, tes souliers! Parce que t'aurais rest seulement trois heures de plus, tu pouvais pas les enlever!". C'tait tout gonfl! Fallait couper les souliers! Alors on a t relevs aprs. Alors avec mes pieds dessus, je risquais de faire un peu.. le chemin qu'il y avait faire, peu prs 1 km" E- Donc vous aviez la semelleet les fils lectriques qui vous entouraient le pied? T- Oui, oui, oui! E- Et les chaussures taient ouvertes dessus? T- Oui, oui, oui! Par-dessus! On mettait ce qu'on trouvait, quoi! Alors les pieds par-dessus! Forcment! Alors, aprs on est arriv au repos. On est pas all jusqu'au bout parce qu'ils pouvaient pas aller plus loin: on s'est arrt

    1 Localit de Flandre Occidentale flamande, 10 km l'ouest de Dixmude environ et une quinzaine de kilomtres de la mer du Nord (De Panne / De Zeepanne) 2 Dunkerque se trouve une trentaine de kilomtres l'ouest de Lampernisse 3 Magnicourt-en-Comt est effectivement proximit de Saint-Pol-sur-Ternoise, dans le Pas-de-Calais, et largement 80 km vol d'oiseau au sud-ouest de Lampernisse (Belgique). 4 Souchez est au sud de Livin et au nord d'Arras, 35 km environ l'est de Magnicourt-en-Comt.

  • vers un machin des chevaux, un parc, parce qu'il y avait beaucoup de parcs ce moment-l pour les chevaux: y avait pas tant de tracteurs que maintenant! Alors, avec le copain, l, on pouvait pas aller plus loin: "Demain, on partira. Ils viendront nous chercher!". Alors tous ceux qui n'taient pas passs au front, qui taient l'arrire, ils venaient nous chercher pour nous vacuer Marcelcave5. Bon! Alors il fallait passer la nuit! Alors les chevaux, ils leur avaient donn manger, un machin de foin et de paille. "Oh!", je dis au copain, "attends: j'ai encore ma toile de tente, l!". On a dfait les toiles de tente, attaches ensemble: "Et on couchera l-dessus! Je vais chercher du foin!". Alors je vais chercher du foin, je ramassais le foin des chevaux. Ces pauvres btes, ils me regardaient, ils avaient l'air de dire: "Tu parles d'un salaud, hein!" Ils savaient pas parler, mais rien qu' les voir, on voyait bien qu'ils comprenaient, qu'ils taient pas contents! Mais moi, j'ai dit: "Mon vieux, c'est celui qui se sauvera l-dedans!". Enfin, j'ai emport une grande brasse de foin et de paille E- Vous aviez l'impression qu'ils vous le reprochaient? T- Ah oui, oui! Et puis moi comme je connais le cur des chevaux! Puis j'aime les chevaux! C'est des btes que j'aime (motion dans la voix) beaucoup! Alors a me faisait ben mal, mais c'est la vie ou la mort! Alors, quand je suis arriv vers le collgue, il me dit: "Oh ben, a va! On sera bien avec a!" Alors on a fait un petit matelas, puis on a mis les machines (les toiles de tente) par dessus, et puis on a dormi. On s'est mis bien l'un contre l'autre pour se tenir chaud et on a dormi. Et puis le lendemain, vers les 9 heures, ils sont venus nous chercher, et ils nous ont emmens Marcelcave Mais on marchait comme sur des pingles! On avait un commencement de pieds gels quand mme, hein! E- Ah! a faisait a? On pouvait pas T- Les pieds enflaient! Les pieds enflaient! Alors quand on est arriv chez nous, eh ben mon ami, les femmes et tout a, elles nous ont dit: "Hein, mes pauvres enfants, qu'est-ce que vous avez que vous marchez ben si mal?". On dit: "On a les commencements des pieds gels!'. Alors les femmes se sont mises faire des chaussettes, des foulards On a rest que huit-dix jours, mais alors pfffou! On est parti avec des foulards, des chaussettes! C'tait bien! E- Et alors, y en a qui ont eu les pieds gels, l, parmi vos copains? T- J'ai pas eu connaissance qu'ils ont eu les pieds gels amputs Y en a un (mais c'tait Bouchavesnes alors, c'tait avant a), je l'ai emport sur mon dos! On a tomb peut-tre Oh! a faisait bien 3 km, pas loin! Dans la boue, dans le.. Ce qui tait le plus embtant, c'taient les fils de tlphone qui tranaient un peu partout! Alors on s'entravait dedans, et puis on dgringolait! Alors fallait seOn pleurait! On disait: "Oh! mon vieux, autant tre mort que faire un boulot pareil! " Oh oui! Enfin, finalement, on est arriv au bout! Et le copain, il a t vacu tout de suite, il a t Issy-les-Moulineaux, vers Paris, et ils lui ont coup les deux pieds! Alors il m'a crit peut-tre un mois aprs (pas tout de suite, bien sr) et il m'a dit: "Gayet, je te dois la vie! Tu m'as sauv la vie! (motion) Parce que sans toi, je serais mort!". Parce que tous ceux qui l'ont opr, ils lui ont dit: "Vous avez eu de la chance que votre copain, il vous a emport!" Il pouvait pas marcher, il fallait le porter sur le dos! Et on tombait, pardi! Forcment! E- Sur plusieurs kilomtres, vous l'avez tran? T- Oh, bien 3 km Alors on est tomb peut-tre cinq-six fois, je sais pas combien. Alors on se relevait, on tait pleins de boue (rire). C'tait un drle de boulot! Alors aprs, pour me gurir, moi je suis remont en ligne! Avec un peu de ravitaillement Et voil!"

    Lutte contre le froid Connaissant le mal que pouvaient infliger le froid et les gelures, les soldats ont tent de s'en prmunir, et

    l'arme leur a aussi fourni des moyens de lutte. En ce qui concerne les mesures prises par l'arme franaise, Amand Beyron (cl. 11) n Viricelles, fils d'un chapelier de Chazelles-sur-Lyon, directeur d'usine textiles plus tard, musicien-brancardier au 99e R.I. de Vienne signale brivement dans son journal de guerre en janvier 1915, la rception de peaux de mouton, de galoches et de lainages: "Samedi 23 Janvier - [] Le rgiment reoit toujours des peaux de moutons pour les hommes des tranches qui en ont bien besoin, des galoches aussi, des sabots, aussi des lainages. Dans qq. jours tout le monde sera bien servi, heureusement. Le froid peut venir, on pourra tenir le coup sans trop de bronchites et de fluxions de poitrine." Cet optimisme parat irraliste si l'on songe ce qu'ont vcu les Poilus dans ce premier hiver et dans les suivants. Pour ce qui est des galoches et sabots, aucun tmoin (et mme pas Amand Beyron dans la suite de son journal) n'en a indiqu l'usage effectif , incompatible en premire et deuximes lignes avec la ncessit d'tre toujours prt riposter une attaque, ce qui suppose d'avoir ses godillots aux pieds. Le moyen de lutte le plus simple contre le froid, sans recours au moindre accessoire, est celui que signale Ernest Pigeron (cl. 17) n Montaigut-en-Forez (Allier), qui a pass son enfance Loddes (Allier) et a fait un apprentissage de boucher, profession exerce Moulins avant son incorporation en janvier 1916, Roanne et au Coteau ensuite, avant de se retirer Renaison. Avec le 3e Bataillon de Zouaves de Lyon, il a connu le froid des

    5 Localit situe 30 km au sur-ouest de Pronne et 15 km l'est de Villers-Bretonneux, dans la Somme

  • tranches, et donne une parade lmentaire, mais puisante la longue, et empchant de dormir, pour viter que les pieds ne soient pris par la gelure: E- "Et qu'est-ce que vous faisiez pour vous dfendre du froid? Y avait rien faire? T- On tapait des pieds! On jouait de la semelle: "Pon pon, Pon pon"! Contre la paroi de la tranche, quand on pouvait! E- Mais la nuit, on pouvait pas le faire! T- Eh ben fallait ben y faire! Les Allemands le faisaient ben aussi! On entendait ben: "Tac tac, Tac tac, Tac tac"! (tape du pied sur le sol!) Cette connivence instaure par le son des godillots tapant sur le sol gel, ou contre les parois geles de la tranche crait, sans que les Poilus s'en rendent compte, sauf les plus conscients, une solidarit de fait dans la misre entre les ennemis distants de quelques dizaines de mtres, porte d'oreille Une parade extrmement rpandue est celle qu'indique Lon Guichard (cl. 15), agriculteur Iguerande (Sane-et-Loire) puis dans la Loire, Briennon puis Saint-Hilaire-sous-Charlieu, qui a pass deux hivers (15-16 et 16-17) sur le front franais avant de partir en Orient, dbut aot 1917 et d'y passer le dernier hiver de guerre: "Vous savez pas pour passer l'hiver comment qu'on a fait. Pour empcher de geler les pieds? Y avait des sacs terre qu'on appelait: on remplissait ces sacs pour faire le parapet 6. Alors on se mettait quatre ou cinq sacs dans les jambes qu'on attachait avec une ficelle aux genoux: a empchait de geler! Mais alors l y a t dur7. Moi, j'ai pas eu de gel, mais enfin E- Mais a protgeait le mollet, a protgeait pas le pied? T- Si a montait l, quand mme! On emmanchait les souliers dedans, vous comprenez! Les souliers, on emmanchait tout l-dedans! Tout dans le sac, le fameux sac!" Cela supposait tout de mme que ces sacs de jute ne soient pas mouills pendant la journe, s'il y avait un redoux, car leur humidit se communiquant aux bandes molletires enserrant les jambes en-dessous des genoux, cela pouvait au contraire prdisposer la gelure des pieds. Dans cette lutte contre le froid, on trouve aussi trace du recours la famille. Ainsi Jean Genestier (cl. 12) de Saint-Anthme (Seignibrard) dans le Puy-de-Dme, ouvrier agricole avant guerre, incorpor au 12e B.C. Alpins d'Embrun, face au froid de novembre 1915 dans les Vosges, dans une carte postale du 12 novembre 1915 adresse sa mre et sa sur, rclame de la graisse pour ses souliers: "Ne porter* pas peine de moi, car je suis bien habiller*. Il faudra m'envoyer dans le prochain colis de la graisse pour les souliers, pour empcher que l'eau ne rentre pas dans le cuire*, vous demanderez la meilleure graisse, car c'est surtout les pieds qu'on n*'a froid. Vous m'enverrez aussi quelques bougie*" En dbut d'anne 1915, dans sa carte du 6 janvier, expdie d'Alsace, il leur avait rclam une protection originale contre l'humidit des pieds: "Vous me ferait* des petits chaussons de la vessie de cochon dans le genre de patin* pour mettre au* pied*, prserver de l'umidit*, vous m'en ferait* 3 paire* ou 4." La vessie de porc, ce porc qu'on tuait en hiver pour la bonne conservation de la viande, traditionnellement rserve en campagne, auvergnate ou forzienne, confectionner une blague tabac, moins qu'elle ne vienne remplacer une vitre casse, trouvait ici une utilisation inattendue! Un an aprs, presque jour pour jour ( un jour prs: le 7 janvier 1916), Jean Genestier, revenu en Alsace, sur les hauteurs de l'Hartmanwillerkopf (Le Vieil Armand), n'aura plus besoin de protection aux pieds, ni contre l'humidit ni contre le froid: il sera tu au cours d'une attaque farouche de son bataillon, et enterr au cimetire voisin de Moosch

    La chaleur et la soif en t

    Bien que ce chapitre thmatique sur les conditions matrielles de vie en tranches soit insr juste avant le dbut de la bataille de Verdun, donc au cur de l'hiver 1915-1916 (la bataille de Verdun ayant commenc le 21 fvrier 1916), nous n'exclurons pas de cette revue l'preuve qu'inflige l'inverse du froid hivernal: la chaleur estivale et ce qu'il convient d'appeler, dans ses formes extrmes, le calvaire de la soif. Dans les tmoignages oraux, la chaleur en elle-mme n'a jamais t voque comme un dsagrment, sauf quelquefois par le biais de la soif qu'elle entranait. On devine bien, soixante ou soixante-dix ans aprs les faits, dans la dcennie 1980-1990 o se sont drouls la plupart de mes entretiens, que la chaleur n'tait plus remmore comme un mal dans la mmoire de vieillards qui sentaient le froid envahir leurs veines. En revanche, on en trouve une trace, encore que modeste, dans les tmoignages crits. Ainsi, Joseph Sorgues (cl. 15) jeune instituteur dans l'enseignement priv Neuville-sur-Sane, plus tard professeur, crit dans son journal le 10 juillet 1915, au dbut de son premier t de guerre, lors qu'il est encore vingt kilomtres des lignes, Neuvillette, sept kilomtres au 6 Les sacs de jute remplis de terre servaient rehausser le parapet (talus de terre en avant de la tranche) pour en augmenter l'efficacit protectrice, lorsque la tranche n'avait pas pu tre creuse assez profondment pour offrir un soldat debout, et de taille normale, une protection contre les balles allemandes 7 C'st un trait de syntaxe caractristique du parler des vieilles personnes du sud de la Sane-et-Loire et du nord de la Loire du ct de Charlieu que d'utiliser le pronom "y" au lieu du dmonstratif neutre "a"

  • nord de Doullens, en Picardie: "Sommes-nous dans le dsert du Sahara? Nous avons fait ce soir 13 kilomtres pour trouver de l'eau: 'a t une corve de lavage-marche. Il n'y a pas de ruisseau Neuvillette, pas non plus dans les environs. Il nous a fallu aller Barly, un charmant petit village assis au fond d'une valle comme celle de Juill, mais dont l'unique rivire a le dfaut d'tre sec; de Barly nous filons sur Mzerolles o nous trouvons l'Authie qui coule pleins bords, mais dont l'eau est contamine par le bain journalier d'une colonie de rougeoleux. Lavons tout de mme en remontant un peu la rivire par prcaution; aprs tout, nous en avons bien vu d'autres que la rougeole! Nous revenons par Outrebois: total 13 kilomtres, c'est respectable pour une simple corve de lavage." L'examen d'une carte confirme la fois les lieux et les distances, et la vraisemblance de la prsence de l'eau dans l'Authie, mme au cours d'un t sec, car cette rivire est relativement importante, et se jette dans la Manche par la baie d'Authie, situe entre Berck-Plage et Fort-Mahon-Plage. Cet extrait nous apprend que l'eau courante pouvait, outre ses utilisations de base pour la boisson et le lavage, avoir une fonction sanitaire auprs des "rougeoleux" et autres malades souffrant d'une affection cutane. Il va sans dire que les soldats en ligne ne pouvaient pas se permettre de telles vires la recherche du ruisseau ou de la rivire le plus proche, et demeuraient sans se laver, et parfois sans boire. Quand la chaleur et scheresse rgnent, l'obsession des soldats est de trouver boire, le "jus" du matin et le vin ne suffisant plus. Ils redcouvrent que certains lieux peuvent tre trs inhospitaliers, car dpourvus de points d'eau. Ainsi Armand Primpier (cl. 12) de Roanne, enfants de tisseurs de chanvre devenu horloger avant guerre, puis, atteint par l'yprite aux yeux, s'tant reconverti aprs guerre en reprsentant en textiles, brancardier au 3e Bataillon de Chasseurs Pied., tmoigne de cette souffrance: "Je vous dis, on se faisait tuer pour un verre d'eau! Y avait des types qui sortaient avec un bidon pour aller chercher de l'eau. O? O trouver de l'eau? Y avait pas de sources! On nous avait pas mis l'eau: y avait pas de canalisations! On trouvait ben de l'eau comme on pouvait!". La soif est vcue comme la pire des preuves physiques infliges par la nature et les circonstances. C'est l'opinion de Jean-Marie Quet (cl. 17) carrier puis scieur Essertines en Chatelneuf: E- "On m'a dit que la soif c'tait aussi dur T- Oh la la! Parlez pas de a! La soif c'est dix fois, vingt fois la faim! Vous arriverez tenir deux-trois jours, trois-quatre jour sans manger, mais sans boire, non! E- a vous est arriv d'avoir soif? T- Ah oui! a m'est arriv! Et bien soif! A ramasser l'eau de pluie dans une toile de tente tendue, puis la verser dans une gamelle Ah! a, la soif, c'est dur! Ah oui! La faim, c'est pas bien intressant, mais c'est pas si mauvais que la soif! La soif est plus dure que la faim, oui! Ah! Entendons-nous: la faim, c'est ben dur aussi! Si on reste trois-quatre jours sans manger, on a ben faim, mais si on reste trois-quatre jours sans boire, c'est encore pire! Ah oui!" Cette technique de collecte d'une ventuelle eau de pluie, Victor Vricel (cl. 16) agriculteur tisseur Grammond, l'a employe aussi en t: T- "Ah mais l'eau! Dans ce grand abri que je vous disais tout l'heure, de la cote 304, y avait des toiles, des cartons bitums pour garder l'eau qui tombait: on plissait le papier pour en prendre un quart pour pouvoir boire! Je l'ai fait! Et dans la tranche un peu plus loin, y avait une jambe qui sortait, on y passait ct." Quel rapport entre la soif qui fait rcuprer l'eau de pluie et la jambe du cadavre laquelle on est indiffrent? L'ide sans doute de la duret matrielle et morale de cette vie de tranches, vue rtrospectivement, et la satisfaction d'avoir survcu

    Franois Baizet (cl. 97) agriculteur Chassigny-sous-Dun (Sane-et-Loire) pense aussi, comme Jean-Marie Quet, son cadet forzien de vingt ans, que la soif est la pire des preuves. Le rapprochement des tmoignages sur ce point va nous faire anticiper de quelques mois, et plonger dans la scheresse de l't 16, Verdun, sur laquelle nous reviendrons. Le sergent Baizet qui n'est plus dans la territoriale, mais dans la rserve de l'active, au 322e R.I. de Rodez, a pass toute la premire quinzaine d'aot 1916 dans le secteur de Verdun (Ravin de la Mort, Cote 321, bois des Caurettes). Il note dans son journal de guerre la date du 7 aot 1916: "7 aot Cote 321 Fatigu, je vais me coucher 6 h. du matin et me rveille midi. C'est gal, le sjour aux tranches ici est trs dur et on n'y peut tenir longtemps sans tre relev. Des bruits de cuisine (= des rumeurs) disent que la relve se ferait cette nuit. Je n'y crois gure et mets mes hommes en garde de ne pas se rjouir de cette perspective qui est douteuse. Terriblement chaud. Trs altr on peut peine parler, tellement la bouche est sche. Rien d'aussi cruel que la soif, aussi les hommes parlent de ficher le camp l'eau cette nuit malgr le conseil de guerre qui les attend s'ils le font sans un ordre du Comdt de Cie. On tchera d'envoyer une corve. Je suis pris de coliques et souffre terriblement. M. Ditte brancardier m'obtient un soulagement avec de l'lixir pargorique8. J'ai les jambes casses. Le bombardement reprend violent de part et d'autre vers la tombe de la nuit." 8 L'lixir pargorique , au nom si curieux, comme son tymologie (vient du bas latin mdical "paregoricus", drivant du grec "pargorikos", issu de "pargoros" = qui console, qui soulage, compos de "para" = ct de et de "agoreuien" = dire, parler, lui-mme drivant d '"agora" = assemble, discours, et par mtonymie, place publique. L'exemple du Grand Larousse de la Langue franaise illustrant ce mot, par concidence extraordinaire, se rfre la guerre de 1914-18, et des coliques prouves en Champagne: "Il se le rappelait dans la boue en Champagne [] et qui buvait de l'lixir pargorique comme du petit-lait pour se couper cette chiasse rebelle qui lui faisait les jambes en pt de foie" (Aragon)", peut-tre dans son roman

  • Risquer le conseil de guerre pour satisfaire sa soif donne la mesure de la force irrpressible du besoin de boire. Et encore ici, les hommes savent-ils o se trouve un point d'eau. C'tait loin d'tre toujours le cas!

    Un flau bien plus frquent: la pluie, entranant la transformation du sol en boue et parfois l'effondrement des tranches et l'enlisement des hommes

    Commenons tout d'abord par signaler une croyance dont le fait qu'elle mane d'un seul des tmoins sur 187 ne suffit pas pour pouvoir la prsenter comme ultra-minoritaire parmi les Poilus en gnral, la vrification par question sur ce point n'ayant pas t faite. Or la guerre de 1914-1918 n'a pas manqu de croyances en tout genre dfiant ralisme et logique, signes clestes prmonitoires comme celui qu'on a vu dans le tout dbut de cet ouvrage ou autres. Claudius Ferrol (cl. 12), agriculteur Bouthon, interview en novembre 1987 dans la ferme o il tait n en 1892, est le seul rapporter la croyance qui attribue une origine artificielle la pluie: "On couchait dehors, on couchait pas dans un lit!' (rire) Et puis, a pleuvait! On disait que c'tait les canons qui faisaient pleuvoir! a pleuvait presque tous les jours! J'tais tout mouill, tout le temps! E- On le disait, que a faisait pleuvoir? T- On le disait, oui! Je sais pas si a venait de a, moi"* Les canons ont bien fait pleuvoir dans les campagnes franaises un peu aprs le milieu du XXe sicle, mais il s'agissait de modestes "canons", ou plutt de tubes de lancement de fuses para-grle. Les vrais canons ont-ils eu parfois cet effet mtorologique durant la Grande Guerre? Je laisse la question plus expert que moi

    Benot Crpet (cl. 17) n dans une famille d'agriculteurs de Saint-Jean-Soleymieux, lui-mme paysan Saint-Georges-Hauteville (Le Cellier) insiste sur ce duo infernal de la pluie et de la boue, boue qu'il trouve plus dure supporter que le froid: E- "En dehors des attaques, qu'est-ce qui tait le plus dur dans les tranches? T- C'est l'eau! J'ai vu des types qu'il fallait les arracher, dans les tranches! Ils pouvaient plus s'en sortir! Ils s'emmanchaient jusqu'au ventre! J'en ai eu sorti, moi, comme a! Il y tait jusqu'au ventre! Alors impossible s'arracher, quoi! C'tait de la boue: a pleuvait tous les jours! E- Y avait le froid aussi? T; Le froid, la gele, a nous gnait pas! Y a pas de comparaison avec la boue! Fille de T Comme vous tiez toujours mouills, y en a qui devaient prendre des coups de froid? T- Mais bien sr! Mais personne demandait si t'tais malade! E- Et videmment, pas question de se changer? T- Oh! (frappe de la main sur la table en signe d'impuissance) Y a des moments on avait rien pour se changer! On avait tout foutu en l'air! Sans s'en rendre compte! Y en a des braves comme on peut dire qui z y sont dedans, combls" (ensevelis dans la boue!)

    Franois Potin (cl. 14), n Gennetines (Allier), ouvrier agricole avant guerre, puis mtayer dans l'Allier avant d'exercer divers mtiers, puis de se retirer, pour soigner ses poumons gazs, Saint-Just-en-Chevalet (Loire), voque aussi le calvaire de la pluie et de boue: E- "Et puis, il y avait la pluie, le froid T- Ah! la la! Quand la capote tait mouille, elle schait au bout de huit jours! Quand c'est plein d'eau, a pse aussi lourd qu'un bonhomme! Eh ben, a sche sur vous E- Mais par terre, a devait tre plein de boue? T- Ah! y avait de l'eau comme a (geste: 40 / 50 cm). En 16, y avait de l'eau jusqu'aux genoux! Fallait rester On pouvait pas se coucher, ni s'asseoir, ni rien! On tait malade, ben, fallait rester Mme une bronchite On pouvait pas coucher par terre! On peut pas y faire faire aux btes: y a pas une bte qui rsisterait! E- Vous arriviez dormir o? T- On dormait debout, comme on pouvait. La fatigue On peut pas se coucher Appuy contre le parapet, on s'assoupissait un moment Pas longtemps! Et puis ma foi, quand on avait pris un peu le dessus, eh ben, a allait Et puis quand y avait pas d'eau, on pouvait pas dormir non plus, hein, parce que les Boches taient pas loin! Il fallait pas faire le con de s'endormir!" La boue jusqu'aux genoux, c'est ce qu' vu Armand Primpier (cl. 12), de Roanne, ce qui videmment gnait la progression des brancardiers comme lui: "Oh ben, il fallait voir si on pataugeait! Je me souviens: quand on portait des blesss, on arrivait des fois enfoncer jusqu'aux genoux: Il fallait se dptrer! C'tait un fourbi! Ah! la boue, oui"

    Jean-Baptiste Grousson (cl. 95) de Saint-Etienne, alors caporal fourrier au 298e R.I., dont nous avons vu qu'il avait t tmoin visuel de l'excution des six Martyrs de Vingr, le 4 dcembre 1914, note dans son carnet de guerre, ds la fin de ce mois de dcembre 1914, la prsence de boue d'une paisseur trs importante, obstacle la progression dans les tranches de Vingr: "28- Au matin, descendu chercher soupe Vingr par boyau Hoche, tout

    "Aurlien". Ce mdicament est de la teinture d'opium benzoque, employe comme antidiarrhique et antiseptique intestinal; il a t interdit dans les annes 1960-70.

  • est boul, on vit dans l'eau et la boue; le soir retour par le boyau artillrie avec tout le chargement, sac, fusil, plus outils de parc, les pieds sont trs durs tirer d'une paisseur de 40 c/mt. de boue consistante; grosse fatigue pour arriver aux grottes o j'arrive avec les reins corchs par le sac, grosse pluie en arrivant." Trois semaines plus tard, les 21 et 22 janvier 1915, il revient d'un sjour avec la C.H.R. (Compagnie Hors Rang) au sud de Soissons, vers Missy-aux-Bois, Haubuin, puis Hartennes, et il note que l'paisseur de boue a encore augment, au point de menacer la vie des hommes: "21 pluie tout le jour, le soir 5 heures dpart sous pluie battante pour les grottes de Confrcourt par Port Fontenoy, arrivons tout transpercs, attente longue sous la pluie devant les grottes, bu rhum, on se couche tout transi, droite, dans la grotte9, cuisinier en face, M- Thivel10vient arrter chant de Chabanne. Dans la nuit on vient chercher une corve pour aller dblayer hommes enliss dans le boyau Michel. 22 poste tlphonique, corve boyau 1re section boue jusqu'au ventre, Jules manque y rester" Le soulignement de Jean-Baptiste Grousson signale son tonnement devant cette paisseur de boue qui, dans certains cas, atteindrait le ventre, soit un mtre de hauteur, au point d'aspirer les soldats comme dans des sables mouvants

    Concernant la mme priode, Jean Fontaney (cl. 12 aussi), fils d'agriculteurs de Montrond-les-Bains (Meylieu), lve de l'Ecole Normale de Montbrison, instituteur avant guerre, futur professeur puis directeur d'Ecoles Normales (Parthenay, puis Poitiers), a connu la fameuse boue de la Somme ds novembre 1914, vers Albert, avec son 65e R.I. de Nantes. Il voque oralement la suite du combat de La Boisselle, 4 km au nord d'Albert, fin dcembre 1914 (alors que d'autres fraternisaient!) dans une paisseur de boue presque inconcevable:

    " Y a eu une petite bagarre fin dcembre. Je sais pas qui avait attaqu, je pense que c'est les Franais, dans un village qui s'appelait La Boisselle, toujours dans la Somme, un peu plus l'ouest. Nous avons pas attaqu, nous, mais nous avons occup le terrain conquis, c'est--dire le cimetire qui tait tout entier dfonc (j'ai pass une partie de la nuit dans un caveau) et nous tions en contact direct avec les Allemands qui occupaient le village en pente. Nous recevions les eaux et il a neig! - , nous avions pass dans des boyaux pour rejoindre, avec de l'eau, de la boue (je suis pas trs grand) jusqu'au ventre, et il faisait un froid de canard. A un moment donn, on tirait au mme crneau, tantt les Allemands, tantt nous. Enfin, nous tions vaincus par le froid, et la boue, et l'eau! On nous a relevs au bout de cinquante et quelques heures, mais il n'existait plus rien. Le bataillon qui avait attaqu avant nous avait perdu comme d'habitude la moiti de ses effectifs Et nous, on a reu l'ordre de regagner Albert par nos propres moyens. En ce qui me concerne, j'ai laiss tout: mon sac et mes affaires personnelles, et j'ai gard mon fusil pour ne pas passer en conseil de guerre! Et j'ai pris la route, et j'ai gagn Albert o des copains, qui avaient t vacus par le mdecin avant, nous ont reu avec du vin chaud vol dans les caves abandonnes. Et puis, le lendemain ou le surlendemain, je ne sais pas bien, nous sommes partis un peu plus en arrire. Mais nous tions peut-tre 15 sur une compagnie pouvoir encore marcher: les uns taient en voitures (ambulances), les autres taient disparus E- Une compagnie fait 250 hommes? T- Oui, c'est peu prs Nous tions dcims par la misre et par le temps. E- Donc c'est l votre contact dramatique avec la T- Oui: avec la boue et la misre. Et puis aprs je me souviens plus des dtails"

    Un mois plus tard, en janvier 1915, Amand Beyron (cl. 11) musicien-brancardier (au 99e R.I. de Vienne) comme Armand Primpier, signale dans son journal l'boulement de tranches et de boyaux, et l'inondation de galeries de sape cause de la pluie continuelle, Dompierre, vers Montdidier en Picardie: "Vendredi 22 Janvier [] Les tranches Dompierre s'boulent toutes et les pauvres soldats sont obligs de passer le temps comme ils le peuvent, au-dessus, la pluie, autour des tranches. Les boyaux d'accs, eux aussi, sont impraticables et remplis d'eau et de boue. A certains endroits on est oblig de les quitter et marcher sur les -cts, au risque de se faire tuer, si on est vu travers le brouillard. Dans la nuit du 21/1 le gnie a fait sauter une mine que les boches avaient creuse dans notre 2me ligne de tranches, se rservant le plaisir de nous jouer un sale tour. C'est par une contre-mine que nous pment* les entendre travailler. On les laissa faire, et au matin, pour que les boches puissent bien voir, au moment de leur reprise de sape, on les envoya au "Paradis" des "Teutons". Ce fut une forte explosion et les boches en furent les victimes. Malheureusement pour nous, de ce fait, 5 sapeurs du gnie furent ensevelis dans une galerie de mine, mine par les eaux de dversement des tranches. Aprs de grosses difficults, on pt* en sauver 4. Le 5e allait l'tre aussi, mais un autre boulement se produisit, l'ensevelissant compltement. Triste fut sa mort. De tous cts les tranches s'boulent, c'est lamentable. Dans la journe, la pluie qui tombait depuis 48 heures cessa enfin"

    Les exemples de pluie persistante entranant la transformation du sol en boue concernent surtout les saisons de transition comme le printemps et l'automne, mais aussi l'hiver s'il n'est pas rigoureux. Mais la pluie d'orage, l't, 9 Ces grottes de Confrcourt, appeles "creutes" dans le parler picard, sont d'immenses cavernes creuses dans la craie correspondant d'anciennes carrires. Certaines pouvaient abriter un rgiment entier. Elles tmoignent encore, par certaines sculptures faites dans leurs parois par des soldats y ayant stationn, d'un "art des tranches" mouvant, tantt sommaire, tantt trs labor, selon le talent du sculpteur 10 Il doit s'agir du commandant Thivel dont on a vu le tmoignage propos de l'excution des six Martyrs de Vingr

  • peut avoir aussi des effets fcheux. Ainsi Claude Coupade (cl 15) de La Ricamarie, ajusteur tourneur en usine Saint-Etienne avant guerre, mcanicien au chemin de fer en gare de Chateaucreux, Saint-Etienne aprs guerre jusqu' sa retraite , vers aprs un bref passage dans l'artillerie au 157e R.I. Alpine de Gap, est au front pendant l't 1915 Flirey, en Meurthe-et-Moselle. Dans son rcit de guerre, la date du 15 aot 1915, il rappelle que tout orage violent est plus que perturbateur pour la vie en tranches: "Lorsque nous avons monter* en ligne un orage s'est dclanch*, les boyaux taient inonds. Dans les abris il ne faut pas compt* y pntr* car la pluie pourait*les faire crouler; aussi tions-nous dans un piteux tat toute la nuit. L'on est rest a* trembler de froid. Le lendemain le soleil a sch un peu nos "effets"; vraiment pourquoi n'attrape-t-on pas de mal, mais rien de tout ce que l'on dsire." Cette dernire phrase est ambigu: elle semble d'abord exprimer l'tonnement, et la satisfaction de ne pas "attraper de mal" (comme rhume, bronchite, pleursie) en subissant la pluie de l'orage et en restant tremp toute une nuit; mais elle se termine par l'expression d'un regret. En effet, ce mal serait l'occasion, comme la fameuse "fine blessure", d'chapper pendant quelques semaines la vie extnuante des tranches en tant vacu en hpital, et en bnficiant peut-tre aprs d'un cong de convalescence chez soi, dans sa famille

    Antonin Granet (cl. 03), n Savigneux, normalien l'Ecole Normale de Montbrison et instituteur dans divers lieux, de la Loire, et depuis 1912 Chamboeuf, o il finira sa carrire aprs guerre jusqu' sa retraite prise en 1940, crit son rcit de guerre pendant sa captivit en Allemagne (fait prisonnier le 9 mars 1916), partir de carnets antrieurs. Ce sergent au 38e R.I. de Saint-Etienne se trouve dbut dcembre 1915 dans la Somme, Popincourt, 4 km au sud de Roye. Son rgiment y connat la pluie et la boue, plus de six mois avant le dbut de la bataille de la Somme o ces deux alas climatiques viendront aggraver la misre des combattants franais et anglais: "Une srie noire de jours commence. Il neige, il pleut, l'argile dlaye fait une boue glissante, une colle jauntre qui nous recouvre entirement. L'eau suinte dans les abris, mouillant la paille qui pourrit avec la vermine qui y grouille. C'est dans la boue jusqu'aux genoux que les hommes obligs de se dchausser vont prendre leur longue et pnible faction. Les pelles, les copes fonctionnent activement sans arriver asscher les passages gluants. Par un temps aussi mauvais canons et fusils se taisent presque compltement. Nous devions rester 11 jours dans cette fange mais la fatigue est extrme et au bout de 6 jours force est de nous relever pour les caves du village de Popincourt. Nous sommes de vrais blocs de boue avec des mines plies et dfaites. Le bleu azur des capotes est devenu ocre, la glaise lisse par les frottements couvre les manches, les pans d'une couche paisse, il faut employer le couteau pour le nettoyage; tous les effets sont souills et sur la peau on sent le fourmillement de petits tres sordides. O! patriotes farouches, pourquoi n'tes-vous pas l pour partager notre malheureux sort?"

    L'apostrophe finale visant les "patriotes farouches", expression ironique, renvoie coup sr aux journaux nationalistes dont les rdacteurs , de leurs confortables bureaux parisiens, claironnent un patriotisme outrancier et une farouche germanophobie, exaltant sans les partager les misres supportes "stoquement" par les Poilus, et sans doute aussi aux embusqus de tout poil soucieux de rattraper par leur propos enflamms leur propre lchet.

    La boue rend difficile toute marche dans les tranches et boyaux, et bien plus encore si un incident se rajoute, comme celui que dcrit Alphonse Solnon (cl. 16) de Deux-Chaises (Allier), menuisier pour divers patrons de l'Allier, venu dans la Loire en 1926, Saint-Germain-Laval comme menuisier l'atelier de rparation ferroviaire du train local"Le Tacot" jusqu'en 1940, puis ouvrier menuisier Roanne jusqu' sa retraite prise Vougy. Il raconte comment une bande molletire de plusieurs mtres de longueur peut devenir un handicap en terrain boueux, lors d'une relve: "Il nous en est arriv de toutes les faons, mon pauvre vieux! Une autre fois, on se dplaait en ligne (parce qu' chaque instant, on avanait ou on reculait) alors on avanait en ligne dans les tranches. Et on tait habill avec des bandes molletires. Et moi, avec cette veine que j'ai toujours eue dans la vie, la bande molletire se dcroche! Et il fallait pas parler de faire autre chose. Les gars se filaient devant moi et derrire moi. . Je me suis fais engueuler comme un pied! J'ai cru rester dans la tranche. Les copains m'auraient laissparce qu'ils m'avaient abandonn. Ma bande molletire entravait les gars qui taient avec moi pour monter en ligne. Impossible de faire autrement! Ils m'engueulaient: "Espce de con!" E- Alors, elle devait tre peine de boue, votre bande: les autres avaient march dessus! T- Bien sr, elle tait dficele! Les autres m'engueulaient: "Ote-toi de l, espce de con!"

    La boue contribue aussi aggraver la difficult des nombreuses corves dvolues aux soldats en tranches. Retenons sur ce point le tmoignage crit de Franois Baizet (cl. 97) agriculteur Chassigny-sous-Dun (Sane-et-Loire), alors sergent au 153e R.I., qui montre dans son journal en quoi la prsence de la boue accentue considrablement la difficult des taches nocturnes des soldats, comme ici, en Belgique, en fvrier 1915, la pose des fils de fer barbels: "Je me mets au travail, pose des rseaux de fil de fer en avant de la nouvelle tranche, en arrire de la ntre, l'ancienne. Le terrain est tremp et boueux. On patauge et on tend les fils de fer barbels sur les pieux. On entremle cela plaisir. Si les Boches viennent se fourrer dedans, nous aurons la partie belle. Mais quel vilain et sale travail faire!" Le lendemain, mme travail mais priptie supplmentaire; il note dans son carnet: "Je prends le travail 2 h du matin pour la pose des fils de fer. On plante de nouveaux piquets pour installer de nouveaux rseaux. Les coups de pioche frapps sur les pieux pour les enfoncer font du bruit et nous sommes canards. Beaucoup de (coin du carnet dtrior : tirs?) nous obligent nous coucher dans la boue pour ne pas

  • tre ou servir de cibles aux Boches.". Le lendemain encore, suite de la pose et autre priptie aprs une forte alerte: "A 6 heures du soir on nous apprend que nous ne serons pas relevs. Dception d'autant plus grande que nous n'en connaissons pas le but. Est-ce que l'on craindrait une attaque? En effet bientt droite et gauche, la fusillade crpite. Tout le monde est son poste prt dfendre jusqu' la mort la tranche. La consigne est de ne pas reculer et de nous faire tuer s'il le faut mais rsister et rester dans la tranche. Fuses sur fuses sont lances de part et d'autre, mais rien ne bouge. Je reprends le travail, pose de fils de fer. On n'y voit goutte Un de mes hommes roule dans un grand foss moiti plein d'eau et de boue, il est presque cach l-dedans. Je le renvoie se faire scher et en commande un autre. Peu aprs, je tombe dans un trou d'obus plein d'eau. Je suis mouill jusqu'aux genoux. Je continue nanmoins mon travail dans une obscurit pouvantable. Le fil de fer est horriblement emml dans le rouleau et il faut une patience d'ange pour ne pas se mettre en colre. La boue vient jusqu' mie*-jambe dans les endroits o l'on passe souvent. Mais je veux tre patient et obtenir quelques mrites. Si un de ces jours, une balle ou un obus m'envoient* de l'autre ct, je voudrais avoir quelques choses mettre dans la balance de la justice divine. La pluie vient 11 h." Nous reviendrons, dans un chapitre sur le rle de la religion dans la psychologie du soldat, sur cette raction de nombreux soldats chrtiens, en particulier des intellectuels, pousss par leur foi accepter leurs misres comme autant d'preuves envoyes par le Ciel pouvant leur valoir des "mrites" aux yeux du Crateur, l'heure du Jugement Dernier

    Couper les capotes rendues trop lourdes Incidemment, plusieurs tmoins, comme Antonin Granet ou Franois Potin, ont voqu les effets de ce temps sur le manteau du soldat, sa capote qui se trouve considrablement alourdie par le poids d'eau qu'elle amasse, comme une ponge ("Quand la capote tait mouille, elle schait au bout de huit jours! Quand c'est plein d'eau, a pse aussi lourd qu'un bonhomme!" a valu Franois Potin, en exagrant sans doute moins qu'il n'y parat) et par le poids de boue qui se colle au tissu des pans de capote. Qu'en faire? En t, on peut la faire scher ou l'ter, si les nuits ne sont pas trop fraches. En hiver, ou dans les saisons intermdiaires, l'ter, c'est s'exposer au froid. Certains tmoins voquent la suppression des pans trempant dans l'eau et la boue.

    C'est le cas d'Andr Mathieu (cl. 16) de Landos (Haute-Loire) , boulanger jusqu'en 1932 en Haute-Loire, puis facteur, essentiellement Saint-Germain-Laval (Loire) de 1936 1958, o il a pris sa retraite; il s'est trouv dans la Somme avec le 52e B. C. Alpins vers Cappy, de novembre 1915 au printemps 1916 et y a connu la boue tout comme ceux qui ont particip la bataille de la Somme partir de juillet 1916: "Puis aprs, on a t dans la Somme. Alors l, c'tait pas pareil! a petait, l! (rire) Y avait du bruit tous les jours! Et puis des caillebotis 11 dans les tranches: y avait de l'eau comme a! Fallait couper les capotes! C'est affreux, l'eau qu'il y avait dans les boyaux! Et vous tiez obligs d'y passer dedans, y avait pas de doute!"

    Un tmoignage similaire a t recueilli auprs d'Ernest Pigeron (cl. 17) n Montaigut-en-Forez (Allier), boucher Moulins avant son incorporation en janvier 1916, Roanne et au Coteau aprs la guerre avant de se retirer Renaison. Avec le 3e Bataillon de Zouaves de Lyon, il a connu la boue dans l'Oise en 1916, et, comme Andr Mathieu, son an d'un an, la ncessit de couper les capotes pour les allger: "Mais quand vous avez froid aux pieds, vous avez froid aux pieds! Vous avez froid aux pieds!! Que voulez-vous? Vous tes dans la boue comme a Moi, j'avais ma capote, je trouvais qu'elle tait trop lourde: elle tait pleine de boue! J'ai dit un copain: "Tiens, prends le bout!" (rire) Et puis je me suis aperu que les poches taient plus longues que la capote! a fait que j'avais les mains qui sortaient quand je les mettais dans mes poches!" Ce qui est prsent ici comme une initiative individuelle, dangereuse (en dbut de guerre, on pouvait passer en conseil de guerre pour moins que cela: destruction d'quipement militaire!), a t plus gnralement l'objet d'une consigne donne par les officiers. La capote imbibe d'eau, macule de boue, pouvait peser un poids considrable. Et cela nuisait au dplacement du soldat, son "confort" (mme si le terme parat incongru quand on voque les tranches), et aussi son efficacit. Cette capote, on l'aurait mme fini par en interdire le port en cas de boue persistante et profonde, , s'il faut en croire Claude Murat (cl. 16) agriculteur L'Etrat lui-mme toute sa vie dans la ferme familiale, vers finalement au 340e R.I. de Grenoble (son troisime rgiment) qui a t fait prisonnier le 6 dcembre 1916 la Cote 304, vers le Morthomme une vingtaine de kilomtres l'ouest de Verdun. Bien que n'ayant pas encore trait le chapitre essentiel de la bataille de Verdun, nous retenons ce tmoignage datant de la fin de la bataille car c'est le seul qui signale cette mesure importante, prise sans doute dans le courant de l'anne 1916: l'interdiction de porter la capote dans la tranche: "Hou la la! Les tranches! Je me rappelle On avait la capote. Et puis aprs, ils nous avaient interdit de la prendre, la capote, parce qu'il y avait de la boue; alors, le long des tranches, le fond de la capote, il prenait tout la boue! Y en avait! Elle tait toute boueuse le fond de la capote. Et puis aprs on nous a interdit de la garder dans la tranche! Ce qui fait que j'ai t fait prisonnier sans capote! J'ai demeur toujours l-bas (en Allemagne, et plus prcisment en Rhnanie, puis en Hesse) sans capote! E- Ah voil! Alors que a vous aurait bien tenu chaud quand mme! T- Ah ben srement!

    11 Un caillebotis est un plancher fait de lames de bois un peu cartes qu'on met sur un fond humide pour permettre le passage.

  • E- On m'a dit aussi qu'il fallait pas qu'on enlve ses chaussures, quand on tait en ligne! T- Ben bien sr! Parce que, que voulez-vous?, s'il y avait eu une attaque ou n'importe quoi, on pouvait pas! Il fallait Quand on tait en ligne, il fallait tre sur la dfense!" Si la capote devient interdite en tranche, rserve la deuxime ligne et au repos, cela ne fait qu'aggraver la misre du pauvre soldat. Et si celui-ci est fait prisonnier, comme Claude Murat, il regrettera amrement pendant toutes ses annes de captivit, surtout en hiver, d'avoir t captur sans capote, ce qui explique aussi qu'il se souvienne de cette consigne ponctuelle, que ses camarades rests en France, ont oubli Mais il se flicitera que la rude discipline militaire, obligeant au port permanent des chaussures, au risque de gelures, l'ait amen ne pas tre captur pieds nus, ou en chaussettes, de nuit ou au petit matin Nous retiendrons aussi, malgr la chronologie qui insre ce chapitre avant le dbut de la bataille de Verdun, un tmoignage crit concernant 1917, exprimant, avec ses mots simples et maladroits, cet enfer de la pluie et de la boue: celui de Jean-Baptiste Jourjon (cL. 15) de Villars, dont la profession reste incertaine (aurait t employ la Manufacture d'Armes et Cycles de Saint-Etienne) incorpor au 140e R.I. de Grenoble, qui considre, ce qui peut apparatre paradoxal voire tout fait illogique qui n'a pas vcu cette guerre, que les conditions climatiques sont presqu' une pire preuve que les bombardements et l'assaut. Il crit au crayon le 28 octobre 1917 sa fiance Claudine, Villars, la carte suivante que nous citerons in extenso, et que nous traduirons ensuite, car son orthographe trs dficiente12 et sa ponctuation inexistante en rendent souvent la comprhension difficile: "Le Front, le 28 octobre 1917

    Ma Bien Chr petite Claudine a prs avoir fait une terible Bataille je te fait rponse de suite pour te domr de mt nouvlle quit son trs bonne pour le moment mt sat pourr a les mieux voil qulque jours qu'on soufre bien du froit le tamp marche bien mal ou je suis ille pleus a tout moment est a prsent que mont rgimant est mois nous some tous an gags dans le comba mais je croi bien et tre relevr hir est puis ille y a hut ordre qu'on trre le plus qu'on n soufaire sait du froit au pie toujours les pies dans lau est toujours tranpe de la pluis pour pouvoire se changer je peus pas qu'on prandre Comme lomt peus tenire et comme on grve pas touse a faurese de se trnz le vantre par terre on nt pas Comme des Cochon mt encore plus sale je panse que quant on se rat relevr saserat pour a les un peus au repos pour une dixme de jours chr Claudine je croie que"(fin de la carte, la suite ayant d tre crite sur une feuille de papier qui a t perdue par Claudine)

    Traduction: "Ma bien chre petite Claudine Aprs avoir fait une terrible bataille, je te fais rponse tout de suite pour de donner de mes nouvelles qui sont bonnes pour le moment, mais a pourrait aller mieux. Voil quelques jours qu'on souffre bien du froid, le temps marche bien mal o je suis: il pleut tout moment et prsent que mon rgiment et moi nous sommes engags dans le combat (mais je crois croyais- tre relev hier, et puis il y a eu ordre contraire). Le plus qu'on a souffert, c'est du froid aux pieds: toujours les pieds dans l'eau et toujours tremps13de la pluie pour pouvoir se changer (changer de vtements). Je peux pas comprendre comment l'on peut tenir et comment l'on crve pas tous force de se traner le ventre par terre! On n'est pas comme des cochons, mais encore plus sales! Je pense que quand on sera relevs, a sera pour aller un peu au repos pour une dizaine de jours. Chre Claudine, je crois que" Cette lettre, comme d'autres, montre qu'il faut relativiser l'assertion de nombre d'historiens selon laquelle, dans son courrier, on cacherait systmatiquement ses maux ses proches pour ne pas les inquiter: certains soldats dissimulent, ou attnuent, d'autres dcrivent la ralit, et ce partage doit les soulager On a vu que plusieurs tmoins voquaient la mort par enlisement dans la boue de certains de leurs camarades. C'est d'une mort semblable que sont sauvs des enliss de l't 1916 dans le secteur de Verdun, selon Francisque Viallon (cl. 15) de Chalmazel o il tait agriculteur avant la mobilisation, puis entrepreneur de transports aprs, est au front avec le 42e R.I. Coloniale,. Il donne, en patois (enqute de thse) un aperu de l'paisseur de la boue, tout en donnant des conseils pratiques: T- "Il fallait avoir des prcautions, pas trop se salir, racler ses souliers, ses godillots quand ils taient trop boueux, essayer de t'essuyer aussi bien que tu pouvais pour pas que tes pieds soient gels E- Il y avait de la boue? T- De la boue, oui! Moi j'ai vu Fleury, Fleury-devant-Douaumont, pas vrai, quand on a pris le village de Fleury avant Douaumont, le 17 du mois d'aot 1916, eh ben on pouvait pas se dgager. Moi j'tais assez fort, j'tais costaud; mais il y en avait qu'il fallait leur mettre le fusil entre les jambes! Ils taient pris dans la boue, il a fallu leur mettre le fusil entre les jambes pour pouvoir les soulever!"

    Autre type d'enlisement: dans les excrments des feuilles

    12 Nous renoncerons appliquer cette lettre la convention mise en place dans cet ouvrage, consistant signaler chaque faute par un astrisque plutt que par "sic" 13 Jean-Baptiste crit "tranpe" = "trempes" et non "tremps"; "tre tout trempe" se dit encore couramment en franais local forzien

  • Un aspect trivial, mais qu'il faut bien aborder, tant chaque dtail de la vie matrielle des soldats, contribue soit

    allger un peu soit empirer leur calvaire, est l'organisation des cabinets pour les excrments des soldats. Des feuilles sommaires sont amnages dans un diverticule des tranches, mais avec un rehaussement pour viter le reflux des matires fcales. Rappelons que trs peu de soldats bnficiaient chez eux de W.C. privs, et que les toilettes sur le palier ou au fond de la cour en ville, au fond du jardin ou sur le tas de fumier en campagne taient le lot commun. Aussi n'tait-ce pas pour les choquer. Mais parfois surviennent des incidents qui peuvent tourner au drame, comme dans l'anecdote que raconte le tmoin suivant.

    Alphonse Solnon, cit prcdemment propos de l'anecdote de la bande molletire se droulant dans la tranche, a t tmoin d'un enlisement autre que dans la boue qui aurait pu tre mortel, qu'il raconte avec verve et motion: "Une autre foisIl faut que je te raconte a! Moi, avec un copain, on allait la soupe, une autre occasion. Faut parler de soupe: fallait voir ce qu'on avalait! C'tait gel, mon pauvre vieux, on mangeait de la nourriture gele, compltement gel! Si on a pas crev! On tait parti deux de la compagnie pour faire cette corve, pour aller la roulante. Qu'est-ce qu'on trouve en cours de route? Un gars (je me rappelle plus de son nom ni du coin qu'il tait) On faisait des ch (c'est des choses que je devrais pas te raconter) on faisait des cabinets pour aller la selle, des feuilles Et il y a un pauvre gars qui avait gliss dans une, et il en sortait pas! Le copain, il a pas entendu. Moi, j'ai entendu un gars qui gueulait comme un fou dans ce trou. Mais dans le caca, hein! Dans le caca! C'taient des feuilles qui taient pleins! C'est moi qui l'ai sorti! a lui a gagn une permission pour aller s'habiller. Mais nous deux, si on tait pas pass par l pour aller la soupe, le pauvre gars; il crevait dans les chiottes! E- Il tait enfonc jusqu'o? T- Jusqu'au cou! Jusqu'en haut! Il pouvait pas sortir: les chiottes taient pleins! C'est des choses qu'on faisait pour nous. E- Mais c'taient des W.C. la turque? Y avait des planches dessus? T- Ah! Je m'en rappelle pas comment c'tait foutuLe pauvre gars, il gueulait comme un fou! Il est sorti tout merdeux: on aurait dit un monument! Sans moi, le mot est bien simple dire, il crevait dans la merde! Et le copain qui tait avec moi, il m'a pas cout. J'ai fait ce coup-l tout seul, parce que je l'ai entendu crier. Je l'ai sorti! C'est une chose inoubliable, inoubliable! Et le copain qui tait avec moi, il s'est aperu de rien, il a fil avec son bouteillon, il est rentr la section. je suis rentr comme j'ai pu, avec ce souvenirl" E- Vous lui avez sauv la vie! T- Ah oui! Absolument! Il pouvait pas sortir: il en avait jusqu'au cou! " Cette abondance de tmoignages sur l'enfer de la boue, par rapport la relative discrtion sur les mfaits de la chaleur, corrobore ce qu'crivait le normalien combattant Jacques Meyer dans son tude gnrale nourrie de son exprience personnelle Les soldats de la Grande Guerre: "Mais il faut surtout s'arrter sur la boue qui fut, juste titre, le leitmotiv des plaintes des soldats, des notes des carnets de guerre, des rcits des crivains."14. Et l'auteur de se livrer aussitt une brve "anthologie de la pluie et de la boue", d'o merge cette posie prenante de Marc Leclerc, extraite de La Passion de notre frre le Poilu" , ouvrage publi en 1920 par l'dition "Au bibliophile angevin": "La boue qui gliss', la boue qui coule, // La boue qui grimp', la boue qui coule, // Qui tomb' d'en haut, qui r'mont' d'en bas, // La boue pleins bords, o qu'on rentre // Jusqu'aux g'noux, souvent jusqu'au ventre // A vous agrippe, a vous accroche /// On en a jusque dans les poches // On en mang' jusque dans son pain!" // La boue ventouse, la boue vampire, // Qui vous engoul', qui vous aspire// I sembl' des fos, quand a vous prend, // Qu'a s'rait ein bte, et qu'a comprend // Et qu'a veut, emprs vous r'vanche, // Venger la Terr' qu'a trop souffert, // La terr', la pauv' terre des tranches, // Blesse d'partout, qu'est l couche, // Les trip' l'air et l'ventre ouvert." Transformer cette ennemie qu'est la boue en une bte intelligente ("ein bte et qu'a comprend") vengeresse du martyr de la terre ventre par les tranches, voil une conception potique originale, qui n'est pas sans voquer, vision sexualise en moins, l'humanisation de la tranche dans un pome peu connu de Guillaume Apollinaire, intitul "La tranche" envoy sa fiance Madeleine Pags, jeune professeur de lettres au lyce d'Oran, dbutant ainsi, alors que le pote mal aim tait encore dans la terre crayeuse et blanche de Champagne, mais pass de l'artillerie l'infanterie: "Je suis la blanche tranche au corps creux et blanc // Et j'habite toute la terre dvaste // Viens avec moi jeune dans mon sexe qui est tout mon corps // Viens avec moi pntre-moi pour que je sois heureuse de volupt sanglante"15. Ces deux visions trs personnelles servent transcender la misre, la souffrance

    Insectes, parasites et rongeurs infestant la vie des Poilus dans les tranches

    En dehors des rigueurs climatiques aggravant les conditions de vie des soldats des tranches, divers compagnons de misre, allant des insectes aux rongeurs, parasites volant ou infestant la nourriture, se nourrissant

    14 Jacques Meyer, op.cit. p. 106 15 Guillaume Apollinaire, Lettres Madeleine, dition Gallimard de 2005, p. 369

  • des vivants et des morts, viennent ajouter au cauchemar quotidien. L'crivain combattant Jacques Meyer, qui les a bien connus, les numre et en explique le pullulement dans son ouvrage Les soldats de la Grande Guerre: "Seules, les petites espces animales participent la vie des tranches, et de trs prs. C'est mme en proportion inverse de leur taille qu'elles sont calamiteuses. La promiscuit de ces hommes, jamais dshabills, rarement dchausss et fort peu lavs, l'abondance des dchets de paille et des dtritus de nourriture multipliaient les rats, comme la vermine et les poux, dans les tranches, aussi bien que dans les abris, o l'odeur d'aigre et d'urine tait indicible. [] Le plus horrible du flau ratier tait que la principale nourriture de ces animaux et sans doute leur premier appt tait la chair des cadavres rests entre les lignes. [] Mais ce qui se meut sur le sol n'tait pas, en fin de compte, le pire des flaux crs par la gent animale. Les parasites et les insectes, poux, puces, moustiques et mouches taient sans doute les plus intolrables."16

    Sur la dvoration des cadavres par les vers, les rats et les corbeaux, cet autre crivain combattant qu'est Jean Giono a crit le chapitre le plus saisissant, intitul "Et il n'y aura point de piti" de son beau roman base autobiographique Le grand Troupeau paru en 1931. On y lit, vers la fin, cette description d'une macabre beaut du champ de bataille o se dcomposent les cadavres: "La pte de chair, de drap, de cuir, de sang et d'os levait. La force de la pourriture faisait clater l'corce. Et les mres corbeaux claquaient du bec avec inquitude dans les nids de draps verts et bleus, et les rats dressaient les oreilles dans leurs trous achaudis de cheveux et de barbes d'hommes. De grosses boules de vers gras et blancs roulaient dans l'boulement des talus."17

    Ce qui dvore les morts, au sens littral, dvore aussi, au sens restreint, les vivants, l'exception des corbeaux, ou leur infecte leur misrable vie.

    Les mouches Incluses par Jacques Meyer dans l'numration des parasites de la vie des Poilus, les mouches sont totalement absentes des tmoignages oraux recueillis, sans doute parce que je n'ai jamais song en suggrer la prsence, sans doute aussi parce que, dans la hirarchie des dsagrments, mes tmoins devaient les placer au plus bas, de sorte qu'ils ne les ont pas spontanment voques. Mais elles sont aussi absentes des tmoignages crits au moment des faits, lettres ou carnets de guerre figurant dans mon corpus, ce qui est plus surprenant. Pour donner cependant une ide de leur nuisance, nous recourrons une nouvelle fois la littrature d'crivains combattants. Ainsi le pote Guillaume Apollinaire, polonais d'origine et engag volontaire, encore dans l'artillerie (brigadier au 38e R.A. de Campagne de Nmes, en Champagne au milieu de l'anne 1915), crit sa nouvelle fiance Madeleine le 1er juillet 1915:

    " Ma chre fe, je vous cris parmi l'horrible horreur de millions de grosses mouches bleues. Nous sommes tombs dans un lieu sinistre o toutes les horreurs de la guerre, l'horreur du site, l'abondance pouvantable des cimetires se joignent la privation d'arbres, d'eau, de vritable terre mme. (= craie de Champagne?). Si nous restons ici, je me demande ce que nous deviendrons hors la mort par les instruments guerriers. Aprs plusieurs jours d'un beau voyage cheval et de couchage trs supportable par terre, nous voici dans des trous infects, au point qu'y tant d'y penser j'ai envie de vomir; avec a les fatigues car tout est si loign que le travail des hommes et des chevaux est centupl"18 Et le pome en vers libres intitul "Cote 146" qu'il lui compose et envoie ce jour l commence par ce vers: "Plaines Dsolation Enfer des mouches Fuses Le vert le blanc le rouge" Dans la lettre qu'il envoie le mme jour celle qui est encore sa matresse, la comtesse Louise de Coligny- Chtillon, dite Lou,( bel exemple de duplicit amoureuse!), il fait aussi allusion aux mouches ainsi qu'au manque d'eau: "Ma lettre est btons rompus, j'cris par terre, suis trs trs embt par des millions de mouches, de sales mouches. Sommes dans un dsert qui ressemble au Sahara, quelques bouquets de pins misrables et clairsems, nous sommes dans un de ces boqueteaux. Pas d'eau. Pr l'abreuvoir faut faire 7 km l'aller et 7 au retour, 2 fois par jour"

    Pas de rfrence aux mouches ni au manque d'eau dans l'autre pome intitul aussi "Cote 146" , adress Lou dans la lettre du 14 juillet 1915, mais une prcision macabre qui explique la prsence de cet "enfer des mouches" en plein soleil d't: "Devant moi dans la direction des boyaux // Il y a un cimetire o l'on a sem quarante-six mille soldats // Quelles semailles dont il faut sans peur attendre la moisson? 19"

    Les poux

    Muets sur les mouches, mes tmoins sont en revanche prolixes sur les poux, dont presque tous ont eu souffrir, et le terme argotique employ pendant la Grande Guerre "toto", revient encore quelquefois. Dans son tude sur "L'argot de la guerre" parue en 1918, le grand linguiste Albert Dauzat indique qu'il a connu une grande diffusion pendant la guerre, tout en ayant une origine antrieure: un de ses correspondants, infirmier, lui a signal qu'il tait "couramment utilis l'Hpital Saint-Louis ds 1889"; mais Dauzat juge qu'il s'agit d'un provincialisme

    16 Jacques Meyer, op.cit., pp. 110, 111 et 113 17 Jean Giono, Le grand Toupeau, dit en 1931par Gallimard, d. Folio p. 117 18 Guillauma Apollinaire, Lettres Madeleine, dans l'dition Gallimard N.R.F. de 2005, pp. 70-71 19 Guillaume Apollinaire, Lettres Lou, dans l'dition Gallimard, colection L'Imaginaire, de 1969, pp. 452-453 et 458

  • champenois, l'ayant entendu dans la bouche d'une nonagnaire champenoise des environs de Montierender en 1903, ce qui l'amne faire remonter son origine vers 1840, d'o sa conclusion: "nos soldats de l'Argonne ont appris "toto" des paysans champenois"20. Chez mes tmoins, les variantes des tmoignages portent sur la diversit des poux (car il y a poux de chevelure, poux de corps, les plus frquents, et poux de pubis vulgairement appels "morpions") ainsi que les occasions d'tre infest et les diffrentes faons de s'en dbarrasser.

    Franois Potin (cl. 14) voque l'omniprsence des poux: "Et les poux! On pouvait pas les enlever! Vous les enleviez: y en avait autant demain! On tait mang par les poux! Y en avait partout Vous alliez dans les tranches: y en avait partout! Vous aviez beau vous dshabiller, vous changer, le lendemain, vous aviez encore des poux. Fallait ben tenir!"

    Claudius Recorbet (cl. 15) n Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhne), venu Saint-Romain-le-Puy dans son enfance, tmoigne aussi en patois (enqute de thse) sur l'abondance des poux en employant une comparaison saisissante, parlante pour celui qui n'a pas connu la guerre: E- "Il y avait de la vermine alors? T- Oh la la la la la la! Pas possible! Pas possible! Je m'en rappelle, je crois que c'est dans l'Aisne Oui: j"avais une corve, j'tais descendu un peu au repos. Ils nous ont fait prendre des douches, oui! Alors c'tait des gamelles, des botes de victuailles qui taient perces.. Je sais pas comment ils faisaient passer a qui faisaient l'eau: tu t'arrosais, tu te mouillais. Il s'en amne un petit "Mais", je me suis dit Il avait le dos de sa vareuse qui avait un pli, une couture au milieu: on aurait dit des fourmis qui grimpaient sur un arbre, les poux! Des poux, y en avait de toutes les catgories. Alors vous voyiez que a! Ami de T (Benot Baudet, n en 1904, maon) Y avait les gros deux couleurs, y avait les croiss (avec une croix sur le dos), et ceux qui avaient un machin carr. T- Et je me suis dit: "C'est pas la peine de venir me changer (de vtements), de venir en attraper d'autres sortes!". J'ai pris ma veste et j'ai foutu le camp!"

    Jean Roche (cl. 14) fils de cordonnier de Saint-Symphorien-de-Lay, a t ouvrier dans le tissage avant la guerre, puis aux crayons Comt de Rgny jusqu'en 1930, puis l'usine d'ponge Jalla, et enfin employ l'arsenal de Roanne partir de 1938 jusqu'en 1955, au service de comptabilit des matires. Il lance spontanment, avec humour, le thme des poux, dont la prsence insidieuse n'est pas remarque au tout dbut de leur infestation: E- "Donc il y avait une bonne camaraderie entre vous? T- Oh oui! Oh oui! On couchait lMais y avait une camaraderie qu'on n'aimait pas: c'taient les poux! Aaaah! E- Les fameux totos!21 T- Ah! Oh la la! Nous, on tait propres, il y en a qui nous les passaientOn couchait sur la paille de celui qui en avait On avait pris de la paille chez ceux qui avaient couch l-haut, qui nous les avait laisss. Alors, mon vieux, la gratte! Oh la la! Oh! C'est affreux! Je me rappelle, ce Giraud, qui tait venu avec moi la premire fois qu'on faisait le repos l'arrire: "Maman, j'ai des poux!". Mon vieux! vite, vite, il a quitt sa chemise! - "Et toi, t'en as tu?22" "Ah! J'en ai pas, moi!" j'ai dit, "j'ai rien senti!" "Quitte donc ta chemise pour voir!" Oh la la! Il en sort un gros, qui avait la croix de Lorraine sur le dos23. Eh ben, aprs, je les ai eus, hein! C'est que le poux, vous savez, il laisse des suites, il est trs prolifique!" Les Poilus, quand il leur arrivait de venir en permission, avaient le souci de ne pas introduire les poux dans la maison familiale, d'o la prcaution dcrite ci-aprs. Alphonse Berne (cl.17) agriculteur Poncins, a t enregistr en patois, comme Claudius Recorbet, en mme temps qu'une personnalit forzienne bien connue, Marguerite Gonon (1914-1996), ingnieur au C.N.R.S., rsidant aussi Poncins, et patoisante convaincue et mrite24 .. L'un et l'autre livrent successivement leur tmoignage sur les poux, concernant son pre pour la premire, et lui-mme pour le second: M.G. "Des poux? Tout le monde avait des poux! Je me rappelle, a devait tre en 17: mon pre tait venu en permission. Et je vois mon pre arriver la maison, chez nous ici, Poncins, et bien sr nous tions descendus

    20 Albert Dauzat, L'argot de la guerre, 1ere dition Armand Colin 1918, dernire dition Armand Colin 2007, p. 84 21 Le surnom argotique des poux, trs frquemment usit par les Poilus, "toto", attest depuis 1889, dformation de "toutou" apparu au milieu du XVIIe sicle, viendrait peut-tre du dialecte champenois, selon Alain Rey, dans le Dictionnaire Historique de la Langue franaise. Le GLLF (Grand Larousse de la Langue Franaise) l'explique comme un redoublement du radical onomatopique "to" qui voque des choses ou des tres de petite taille 22 Ce "tu" qui sert renforcer l'interrogation est une variante bourbonnaise du "ti" ("T'en as ti?") provenant de l'inversion du pronom "il" avec liaison aprs les verbes se terminant par "t" ou "d": "En sent-il? " / "En veut-il?" / "En prend-il?" 23 Cette remarque est une plaisanterie classique, la comparaison avec la croix de Lorraine tant inspire par un motif particulier figurant sur le dos de certains poux 24 Marguerite Gonon a fait sa thse d'Etat sur les Chartes du Forez, mais ses premiers crits ont t en dialectologie: Lous Contes de la Mouniri (Les Contes de la Meunire) et Lexique du parler de Poncins (1947). De l'tude des Chartes forziennes, elle a tir "La Vie familiale en Forez au XIVe sicle et son vocabulaire d'aprs les testaments " (1961) sans compter de nombreux articles de dialectologie dans la Revue de Linguistique Romane. C'est elle qui a runi en 1976 le groupe (dont j'tais) de recherche ethnologique qui devait devenir Mmoire Forzienne en 1982; elle en fut la Prsidente d'honneur jusqu' sa mort en mai 1996.

  • l'embrasser (du premier tage de la maison). Et mon pre a pas voulu. Et je le revois se dshabillant: il s'est dshabill dans la cour, et il tait comme un Jacques: en pans de chemise" T- Quand je suis venu en permission, moi, j'avais tout chang. J'avais chang avant de venir; j'avais tout foutu en l'air. Mais quand je suis arriv la maison, la mre m'a dit comme a: "T'as pas des poux, au moins?" "Oh!", j'ai dit, "j'ai tout chang!". Penses-tu! E- Il en restait? T- Y en avait! C'tait infest, dans le train! C'tait infest! M.G.- Il se disait que c'taient des poux des Arabes, des poux avec une croix noire sur le dos"

    Cependant quelques-uns ont la raction inverse, comme Jean Rivet (cl. 16) de Pouilly-sous-Charlieu, fils de coquetier et coquetier lui-mme, qui a pouss le souci raliste de l'information, dans son courrier ses parents, sa cousine de Vougy, jusqu' expdier des poux vivants, d'o mon tonnement: E- "C'tait pourquoi? T- C'tait pour leur faire voir qu'on avait des poux! E- Parce que vous croyez que si vous l'aviez crit, ils ne vous auraient pas cru? T- Ah ben non! E- Surtout qu'ils devaient tre encore vivants, quand ils les recevaient! T- Oh! Ils taient encore vivants! E- Mais c'taient des plaisanteries, a! T- C'tait question de blaguer! De passer le temps! E- Et vous avez envoy plusieurs enveloppes comme a? T- J'en ai envoy une ma cousine de Vougymais elle en avait reu de son frre!" Ces poux, chacun cherche s'en dbarrasser. Le plus simple est de les craser entre les deux ongles des pouces, mais la tche est longue, vu leur nombre! Louis Laroux ( cl. 10) de Sorbiers voque une hcatombe de poux: "Ouh la, les poux! Moi, j'en ai tu une fois, le tour de la ceinture, je les ai compts: j'en ai tu un cent:"

    Les tuer, cependant, n'est pas autoris tout moment, et en principe pas en premire ligne, comme le rvle dans son rcit de guerre crit en 1919 Jean Farigoules (cl. 16) n Saint-Pierre-du-Champ (Haute-Loire) boulanger-ptissier toute sa vie Brives-Charensac, en Haute-Loire, alors qu'il tait au 67e R.I. de Soissons, dans le secteur du Chemin des Dames: "Nous restons dans la tranche; un jour le gnral de la 12me D.I. vient inspecter les lignes la veille de l'attaque; moi j'tais en culotte, j'avais quitt ma chemise pour tuer mes totos. J'ai eu juste le temps de me cacher dans ma petite cagna couverte d'une toile de tente; s'il m'avait vu dans cet tat, j'aurai* t puni trs svrement, car en ligne on ne doit mme pas quitter son quipement." Pour liminer les poux des vtements, certains ont une autre mthode, comme le camarade cit par le tmoin suivant. Jean-Baptiste Mazioux (cl. 14) n Saint-Clment (Allier), sabotier aux Nos dans la Loire, jusqu' son incorporation en septembre 1914 au 98e R.I. de Roanne; et aprs guerre cheminot Roanne, a voqu, juste avant l'arrt de la bande magntique, le cas d'un camarade du 98e R.I., ayant l'ge d'tre dans l'arme territoriale, d'o ma question aprs le changement de face de la bande: E- "Vous me parliez des poux, et notamment d'un camarade trs trs propre, clibataire 40 ans T- (rire) "Oui Alors quand on descendait des tranches, bien entendu, la seule chose Lui, il se mettait poil pour se laver, avec de l'eau froide, a faisait rien! Il quittait sa chemise, bien entendu pleine de poux, il l'accrochait aprs une branche d'arbre, et je rappelle, avec un bout de bois, il faisait tomber les poux! C'est curieux: c'est les gens les plus propres qui taient mangs par les poux. Lui, entre parenthses, c'tait le plus propre de l'escouade, peut-tre mme de la compagnie, qui avait le plus de poux! Alors on voyait les poux courir sur sa liquette! Il les faisait tomber avec un bout de bois! E- Et vous l'expliquez comment, que ce soient les gens les plus propres qui aient le plus de poux? T- Ah! Je peux pas vous le dire! On en avait tous, on s'en rendait tous les uns aux autres. Mais on disait: "Tiens (on l'avait nomm "Mon Gars", parce qu'il tait d'Orlans et il avait toujours le dire: "Mon gars! Mon gars!") Alors, on disait: "Regarde-donc, Mon Gars, l-bas, il fait tomber ses poux avec un bout de bois!" Trois mthodes, l'une empirique, mais n'aboutissant pas la mort des poux, l'autre chimique (c'est le seul tmoin voquer ce moyen) cense y parvenir, et la troisime hyginique ont t employes successivement par le soldat suivant: Claude Coupade (cl 15) de La Ricamarie, prsent ci-dessus, qui est au front pendant l't 1915 Flirey, en Meurthe-et-Moselle, avec le 15e R.I. Alpine de Gap o il est mitrailleur. Fin juillet, pris du cafard des soldats, il numre les causes de son tat dpressif: injustice des retours en usine conscutifs la loi Dalbiez (lui, tant ajusteur, pourrait en bnficier), omniprsence de la mort, et petites misres comme les piqres des poux: "Le 29 juillet, je rentre d'un bien mauvais sjour aux tranches: le bombardement fut plus violent que d'habitude, beaucoup y sont morts. Quand donc aurais-je la chance de plus revoir ces choses et retourner l'intrieur comme certains camarades que je vois partir pour les usines et qui souvent ne sont pas du mtier? Tout cela me donne un cafard terrible car ici rien n'est fait pour remonter le moral, quand l'on n'a pas l'horrible vision des boches* et des franais*qui sont ple-mle sur les parapets.. Ce sont les poux dont on ne peut pas se dfaire qui nous dvorent

  • tout le corps. Pour rduire cette souffrance, on fait des plis sur le devant de la chemise afin de les attirer dedans et ensuite, plus loin dans un boyau, on secoue ces derniers sa chemise pour les faire tombs*. Vraiment quand donc toutes ces horreurs cesseront? Pourquoi la maladie que tous dsire* ne vient-elle pas ou la bonne blessure qui nous conduirait l'intrieur?" Un peu plus tard, ayant reu un insecticide dans un colis de ses parents et de sa fiance Genevive, il ne peut que constater l'inefficacit du liquide contre les parasites: "Avec un colis de mes parents, je reois un liquide qu'ils m'ont envoyer* pour la destruction des poux. Genevive voulais* aussi m'expdi* une drogue; ils ont et* une bonne intention. Mais aprs son appliquation* ces sles* btes n'taient pas incommodes. Il faudra donc, comme je le fais toujours a* mon retour de tranche, faire bouillir mon linge pour tre tranquille un instant. En ce moment on ne pense pas de dtruire la vermine puisque c'est l' aux hommes que l'on en veut."

    Les Poilus ne sont pas gaux dans l'infestation par les poux, et surtout dans la lutte contre ceux-ci, les fantassins tant, une fois de plus, les plus mal lotis, comme veut bien le reconnatre spontanment un artilleur. En effet, Jean Chantelouve (cl. 09) fils de petits paysans de Chuyer, ouvrier agricole avant la guerre, chauffeur de matre aprs Plussin (au service d'un mdecin, puis d'un industriel), retir Grand-Croix chez sa fille Paulette, artilleur au 53e R.A. de Clermont-Ferrand, concde l'avantage des artilleurs sur les fantassins en matire de lutte contre les poux: "Y avait des poux, oui! On passait les affaires l'eau chaude pour pouvoir les tuer. Encore nous, les rgiments d'artillerie, on tait l'arrire, on tait moins pouilleux que ceux qui taient dans les tranches, qui pouvaient pas bouger! Tandis que nous, on tait l'arrire" E- Donc vous avez l'impression d'tre quand mme un peu privilgis par rapport l'infanterie? T- Oh oui! Oui, oui, oui, oui, oui! E- Est-ce que vous avez, vousdes gens de l'infanterie qui vous ont fait piti? T- Oh oui! Y en a! Rappelez-vous! 25 Dans la Somme, c'est marcageux, un peu, certains endroits. Mais les pauvres soldats! Des sacs de boue quand il pleuvait! Et sortir? Les voisins: "Pan! Pan!" a faisait piti de voir!" Cette relative commodit, pour certains, de la lutte contre les poux, un musicien-brancardier veut bien en convenir. Amand Beyron (cl. 11), n Viricelles, fils du chapelier de Chazelles-sur-Lyon patron de "Beyron Frres", directeur aprs guerre de diverses usines de fabrication textile, retrait Roanne, rend compte deux fois dans son journal de la prsence des poux, alors qu'il est musicien-brancardier au 99e R.I. de Vienne, donc moins expos aux parasites que les fantassins de son rgiment dans leurs tranches. Le lundi 11 octobre 1915, donc quinze jours aprs le lancement de la grande offensive de Champagne qui a beaucoup sollicit les brancardiers, il crit en pestant d'abord contre le chef de la musique du rgiment, considr ici comme un embusqu: "Le "Vieux", calm, nous fiche la paix. Pas de rptition. Il a d comprendre qu'il avait fait le con Lavage du linge, chasse aux poux. Nous avons t contents de ce repos pour pouvoir le faire. Il y avait 2 mois que nous ne nous tions ni lavs, ni chang de linge, et honteux et malheureux la fois, se faire engueuler par un 3 galons26 qui n'a rien foutu, aprs l'attaque du 26/9 au train de combat, en bouffant bien et en lisant les journaux, l'arrire pendant que ses musiciens se crevaient, nuit et jour charrier les blesss et les morts sur leurs brancards". On comprend que cette macration du corps sale, dans des habits non changs, acclre la prolifration des poux prosprant dans la crasse et la sueur, pas limins pour cause de manque de toilette. Bien plus tard, le samedi 25 mai 1918, alors que le rgiment vient de cantonner au camp de Mourmelon avant de remonter en ligne, on assiste au retour du thme des poux, sur un ton beaucoup plus enjou, montrant que, pour sa compagnie, dans ces circonstances, la chasse aux poux est devenue une sorte de rituel presque convivial (mais il est le seul exprimer ce point de vue): "Nous passons une bonne nuit. Repos toute la journe. Nous en profitons pour laver notre linge et faire des travaux de couture. Avec bien entendu la "chasse aux totos". C'est un moment de dtente, on se met en rond, accroupis et on bavarde, comme les dentelires* d'Auvergne et du Puy-en-Velay. la canonnade a dur toute la nuit, et n'a pas cesse* de la journe."

    Les poux n'taient pas seulement un fcheux dsagrment, ils pouvaient devenir dangereux pour la sant, comme dans l'exemple cit ci-aprs. Pierre Rivollier (cl. 15) n dans une famille paysanne d'Etrat, hameau de Saint-Just-sur-Loire, et agriculteur au hameau de Chnieux, dans la commune de Saint-Victor-sur-Loire, o ses parents s'taient installs en 1896, incorpor au 16e R.I. de Montbrison, voque le cas extrme: l'vacuation du soldat pour affaiblissement d l'infestation chronique par les poux: "Les poux, on tait bien servis! J'en ai vu vacuer un: il tait mang par les poux! Au lavabo Ils s'taient trans sur la colonne vertbrale, les poux! Le capitaine qui nous commandait: "Il faut l'vacuer: il a plus de sang!" Alors, on l'a envoy l'hpital, on l'a plus revu. Il s'tait laiss aller, il s'tait laiss manger! Tandis que nous, on posait sa chemise, on la secouait. Si on pouvait se laver, on tchait moyen."27 25 Cet usage forzien de "se rappeler" n'a aucun rapport avec le sens de "se souvenir"; c'est un intensif souvent utilis en dbut de phrase: "Rappelle-toi que c'est un malhonnte, celui-l!" peut-on dire quelqu'un qui ne connat pas le malhonnte en question, donc qui n'a aucun souvenir de lui. 26 Le chef de la musique avait donc rang de capitaine. 27 "Tcher moyen" est une expression forzienne typique, encore largement employe, signifiant "essayer, faire son possible pour..". Une maman pourra dire son enfant: "Et en rentrant de l'cole, tche moyen de pas faire des btises avec tes copains!"

  • Un des huit tmoins ayant connu la fois artillerie et infanterie, et avant l'artillerie, le train des quipages, et ayant effectu les quatre annes de guerre, affirme avoir pass deux ans sans prendre de poux, alors que son affectation dans l'infanterie a marqu sa dcouverte du flau des poux. Jean-Louis Monier (cl. 13), agriculteur Marols (Chabannes), est revenu deux fois sur le thme des poux dans le trs long entretien de plus de quatre heures que nous avons eu dans la ferme familiale (tenue alors par son fils Joseph et sa belle-fille) une date choisie dessin: le 11 novembre 1980. Pass de l'artillerie (o il n'avait pas connu les poux) l'infanterie en aot 1916, en Argonne, il y dcouvre aussitt les poux: T- []" C'est partir de cette date que j'ai su ce que c'tait que les fantassins! E- Vous disiez tout l'heure que c'taient eux qui avaient la guerre T- Oh! La premire chose que j'ai vue, c'est prendre des poux! C'est la premire chose! J'tais l depuis quelques jours, j'ai senti que a me dmangeait un peu de partout (rire). J'avais jamais, depuis deux ans que j'tais sur le front, que j'tais la guerre, jamais j'avais eu des poux. J'ai commenc de prendre des poux. Mais c'tait rien! Mais aprs, il a fallu prendre ces fameuses tranches, l bas! (suit une longue digression sur l'usage du patois, avec les soldats du 363e R.I. de Nice, qu'il comprend bien, tout patoisant forzien qu'il est, thme sur lequel nous reviendrons). Alors l E- Vous avez attrap des poux! T- C'est la premire chose que j'ai fait*: prendre des poux. Je savais pas ce que j'avais! J'ai un collgue qui m'a dit:"T'en fais pas! T'as des totos! C'est rien! C'est pas grand chose!" (rire). Mais c'tait pas rien. C'est--dire que l'infanterie on tait dans un tat de saletmais repoussant! Et on ne faisait rien pour empcherpour nous procurer un bien-tre ce sujet. C'tait impossible de se tenir propre! Au point que je vous dirai que certains de mes collgues allaient chercher une chemise neuve (on nous donnait assez des vtements neufs), gardaient cette chemise tant qu'elle tenait sur le dos: ils la jetaient et ils allaient en chercher une neuve: ils la lavaient jamais! Mais on pouvait pas se laver: a nous tait impossible de nous laver, je vous dis!" Bien plus tard dans l'entretien, Jean-Louis revient sur le thme des poux et, tout en restant dans l'humour (cf "les copains" si particuliers), explicite sa critique vis--vis de l'arme dj prsente dans l'extrait prcdent, partir du froid ressenti dans les baraques Adrian, c