178

Merci à Bertrand Ferrier pour ses judicieux conseils … siècle et de la transcription écrite qu’en a faite Perrault. Dans la continuité du travail de collectes de contes oraux

  • Upload
    lydang

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

2

Jacqueline & Claude Held, Boiry, Chat botté, Chaperon rouge et compagnie,

Lo Païs d’Enfance, 2002.

Merci à Bertrand Ferrier pour ses judicieux conseils et ses relectures attentives.

Merci à mon Grand Méchant Loup

pour avoir supporté, une année durant, mes histoires de petit chaperon rouge.

L’image reproduite en couverture est une illustration d’Alain Gauthier

pour l’album Mon Chaperon rouge, d’Anne Ikhlef, paru aux éditions du Seuil en 1998.

Chaperon

Rouge,

Si tu ris

Je bouge.

Les Chaperons

Rouges, marron,

Ou jaunes, ou verts

Ont fort à faire :

Car ce n’est pas

Aisé – croyez-moi ! –

D’apprivoiser

Les loups des bois.

3

SOMMAIRE

Introduction ................................................................................................................................... 5

Première partie : les contes du petit chaperon rouge .............................................................. 11

I) Les origines du petit chaperon rouge ......................................................................................... 12

II) Les versions du Petit Chaperon rouge reprises aujourd’hui .................................................... 27

III) L’actualité des petits chaperons rouges .................................................................................. 41

Deuxième partie : les mutations du petit chaperon rouge ....................................................... 55

I) Le genre ..................................................................................................................................... 56

II) L’histoire .................................................................................................................................. 70

III) Le récit .................................................................................................................................... 85

Troisième partie : la réception du petit chaperon rouge ....................................................... 101

I) La lecture de l’intertextualité ................................................................................................... 102

II) La réception de l’humour ....................................................................................................... 124

III) La réception de la morale ...................................................................................................... 137

Conclusion .................................................................................................................................. 148

Bibliographie ............................................................................................................................... 152

Annexes ....................................................................................................................................... 162

Table des illustrations ................................................................................................................. 178

Table ............................................................................................................................................ 179

4

5

INTRODUCTION

Prononçons seulement cinq mots Ŕ cinq petits mots :

fillette –rouge – bois – loup – grand-mère

À l’évocation de ces quelques termes, combien d’entre nous ne pensent-ils pas aussitôt à la

célèbre héroïne du conte immémorial issu de l’enfance1 ? Le fameux conte qui narre les

aventures d’une petite fille vêtue de rouge, avec un curieux chaperon sur la tête, rencontrant au

détour d’un bois un bien méchant loup qui ne fera qu’une bouchée de sa grand-mère et d’elle-

même : le Petit Chaperon rouge bien entendu ! L’histoire du petit chaperon rouge, tout le

monde la connaît Ŕ ou, du moins, croit la connaître Ŕ et, au seul titre du conte, chacun sait de

quoi il s’agit Ŕ ou croit savoir Ŕ et associe dans son imaginaire des images sans chronologie,

issues des premiers âges de l’enfance. Évoquer le Petit Chaperon rouge, c’est tirer du fond de la

mémoire une sorte de « scénario fossile », selon l’expression de Claude de la Genardière2, sur

lequel se sont accumulées les strates du souvenir et sont nés les premiers plaisirs littéraires.

Le Petit Chaperon rouge est une histoire racontée de générations en générations et tant

de fois répétée, et donc ipso facto déformée voire transformée, qu’elle perd la trace de son

origine et oublie la référence à un auteur qui en serait le créateur initiateur. Ainsi, si le Petit

Chaperon rouge est généralement associé à Charles Perrault ou aux frères Grimm, combien

d’adultes et d’enfants savent réellement distinguer les deux versions du conte ? Plus encore,

combien savent que sous ce texte, écrit et élevé au rang de littérature, se cache la version orale

du conte, racontée dans les villages depuis le moyen âge ? Car l’histoire de la fillette vêtue de

rouge qui tombe nez à nez avec le loup ne date pas du XVIIe siècle et de la transcription écrite

qu’en a faite Perrault. Dans la continuité du travail de collectes de contes oraux entrepris en

Europe au XIXe siècle et de la classification internationale élaborée par Aarne et Thompson, le

folkloriste Paul Delarue a recueilli plus de trente-cinq versions différentes de ce conte.

1 Dans sa Grammaire de l’imagination (Paris, Éditions Messidor, 1979, p. 82), Gianni Rodari invente un jeu auprès

de jeunes enfants : il donne cinq mots, en ajoute un sixième insolite (« hélicoptère »), et invite les élèves à inventer

une histoire. Ces cinq mots sont : « petite fille, bois, fleurs, loup, grand-mère ». Ces cinq vocables suffisent à

suggérer le conte du Petit Chaperon rouge dans toutes les imaginations. Notons cependant que le mot « rouge »

nous semble plus représentatif que celui de « fleurs », cité par Rodari. 2 Claude de la Genardière, Encore un conte ? Le Petit Chaperon rouge à l’usage des adultes, Paris, L’Harmattan,

1996, p. 10.

6

Issu de la tradition orale, le Petit Chaperon rouge est un conte qui n’appartient à

personne. En un sens, Perrault et Grimm n’ont fait que reprendre la trame existante en lui

imposant leur style et leur dénouement original. Cette malléabilité correspond à la nature

générique du conte : par définition, un conte est un texte soumis à des codes, au langage simple,

aux descriptions imprécises et aux personnages typés, donc décontextualisés. Pourtant, le Petit

Chaperon rouge est en même temps un conte qui appartient à tout le monde. Du point de vue de

la réception, l’enfant qui l’écoute projette aisément sur cette structure ouverte nombre de ses

peurs et angoisses, mais aussi désirs et fantasmes. Plus que nul autre conte, le Petit Chaperon

rouge contient en lui une forte puissance de fascination en raison de la somme de terreurs et

d’interdits qu’il brasse, en particulier dans sa version orale où la fillette… mange le cadavre de

sa grand-mère et en boit le sang ! Cette appropriation se retrouve aussi du point de vue de la

création : la forme ouverte du conte permet à un écrivain de s’y glisser aisément et d’y déposer

sa propre vision, en y fixant son style et ses modalités d’écriture. Dans le conte réécrit, il peut

alors développer son univers à travers le réinvestissement des stéréotypes et la création d’un

contexte spatio-temporel particulier.

Les lecteurs du Petit Chaperon rouge se sont ainsi appropriés le conte en l’adaptant à

leurs désirs et en y projetant leurs enjeux de sens. Les interprétations du conte sont nombreuses

à travers l’histoire. Mythe solaire pour E. Tylor en 1865, responsable indirect des atrocités

commises par les Nazis pendant la guerre pour les forces d’occupation alliées en Allemagne,

symbole des émotions violentes relevant de la sexualité pour le psychanalyste Bruno Bettelheim,

ou encore expression du passage initiatique de l’état de petite fille à celui de femme pour

Yvonne Verdier1… Certes, l’on pourrait trouver quelques interprétations farfelues, mais toutes

trahissent l’infinie richesse de l’histoire du petit chaperon rouge et la portée philosophique qui a

pu être projetée sur cette simple histoire de la fillette, du loup et de la grand-mère. À travers ces

lectures et relectures on voit qu’une pellicule herméneutique est venue recouvrir le texte initial.

L’appropriation du conte original est loin d’avoir été le seul fait des lecteurs. De

nombreux écrivains ont adapté le conte mythique et l’ont transformé en histoire personnelle, en

le réinvestissant dans leur propre écriture. Ces remotivations ne sont pas nouvelles et on en

trouve dès la fin du XIXe siècle et le début du XX

e siècle : le petit chaperon rouge prend de

nouveaux visages et vient se raconter différemment aux enfants, voire aux adultes2. Mais les

réécritures sont plus particulièrement actives depuis les années 1970 dans la production de la

1 On pourra lire avec intérêt la transcription de plusieurs de ces interprétations dans l’ouvrage de Jack Zippes (Les

Contes de fées et l’art de la subversion, Paris, Payot, 1986), ainsi que dans celui, plus universitaire et moins

politiquement engagé, de Pierre Erny (Sur les traces du Petit Chaperon Rouge. Un itinéraire dans la forêt des

contes, Paris, L’Harmattan, 2003). 2 Pierre Erny donne quelques exemples de ces réécritures du XIX

e siècle et du début du XX

e siècle dans son ouvrage

Sur les traces du Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 243-253.

7

littérature pour la jeunesse. Dans l’après 1968, on assiste à un renouveau du petit chaperon

rouge dans de nombreux albums et récits pour jeunes enfants qui convoquent à nouveau

l’héroïne à la coiffe rouge, mais qui travestissent sans vergogne ses aventures. L’originalité de

cette production littéraire contemporaine réside dans le fait que les auteurs prennent une liberté

parfois très grande par rapport aux versions d’origine du conte et font le sacrilège de le réécrire

en détournant les caractères typés des personnages ou en inversant les valeurs supposées des

bons vieux contes de nos grands-parents.

Ainsi, les enfants d’aujourd’hui rencontrent dans leurs lectures des petits chaperons

rouges tous plus originaux les uns que les autres, qui dépoussièrent la timide petite fille de

Perrault et à qui il arrive des aventures insoupçonnables. Ici, une « Mademoiselle Sauve-qui-

peut » espiègle et chipie qui n’en fait qu’à sa tête et chasse le loup à coup de fourche1. Là, un

petit chaperon rouge politiquement incorrect qui abat le loup d’un coup de revolver… pour s’en

faire un manteau de fourrure2 ! Ou encore une ribambelle de petites filles qui s’évertuent à

porter des chaperons d’une autre couleur que le traditionnel rouge de leur aïeule : un petit

chaperon bleu marine chez Boris Moissard et Philippe Dumas3, un petit chaperon vert chez

Grégoire Solotareff4 ou encore une fillette qui préfère porter un « chapeau rond rouge » au lieu

de l’énigmatique « chaperon rouge » d’antan5. Le loup, lui aussi, prend un sacré coup de jeune.

Chez plusieurs auteurs, il se fait mener par le bout du nez par une petite fille insolente, tandis

que chez d’autres l’aventure avec le chaperon rouge le traumatise tellement qu’il en devient

végétarien6. Mais dans la littérature de jeunesse contemporaine, le loup garde bien souvent son

caractère effrayant : par exemple, chez Jean-Claude Grumberg, il apparaît sous les traits d’un

terrifiant caporal qui rappelle de sombres souvenirs de l’Histoire7. Dans plusieurs ouvrages

contemporains, le conte du Petit Chaperon rouge perd son atemporalité pour s’inscrire dans un

contexte spatio-temporel très marqué : la fillette et le loup se mettent ainsi à évoluer dans un

univers temporellement situé8 et les forêts se transforment en grandes villes grises et anonymes

9.

1 Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-peut [1999], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2006.

2 Roald Dahl et Quentin Blake, Un conte peut en cacher un autre [Revolting Rhymes, 1982], traduit de l’anglais par

Anne Krief, Paris, Gallimard Jeunesse, « Folio cadet », 2005. 3 Contes à l’envers [1980], Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2005.

4 Grégoire Solotareff et Nadja, Le Petit Chaperon vert, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2000.

5 Geoffroy de Pennart, Chapeau rond rouge [2004], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005.

6 Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, traduit par Mary-Raymond Farré, Paris, Gallimard, « Folio Benjamin »,

1980. 7 Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, Arles, Actes Sud-Papiers, « Heyoka

Jeunesse », 2005. 8 Par exemple, l’ambiance polar des années 1950 chez Yvan Pommaux, John Chatterton détective [1993], Paris,

L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005. 9 Voir Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, Albin Michel Jeunesse, 1998. Ou encore le quartier de la Cité des

Bergeries chez Claude Clément et Isabelle Forestier, Un petit chaperon rouge, Grasset Jeunesse, 2000.

8

Notre propos est d’étudier quelques unes des versions détournées du conte du Petit

Chaperon rouge où la narration et les personnages sont renouvelés et les stéréotypes renversés.

Nous nous sommes très vite rendus compte qu’il ne pouvait être possible de viser à

l’exhaustivité dans le dénombrement des versions contemporaines du conte, même en limitant

chronologiquement notre étude aux œuvres à partir des années 1970 et en nous concentrant sur

les ouvrages de langue française (en langue originale ou en traduction). En effet, en élaborant

une bibliographie, nous avons dénombré près d’une centaine de titres, mais nous n’avons lu

précisément qu’une petite quarantaine d’ouvrages. Par ailleurs, nous avons délibérément mis de

côté les albums apparaissant comme de simples adaptations du Petit Chaperon rouge, où les

textes de Perrault et Grimm sont illustrés, repris plus ou moins scrupuleusement, et parfois

édulcorés et simplifiés. Nous avons donc voulu privilégier dans notre étude les ouvrages

originaux revendiquant leur réécriture décalée et personnelle. Par ailleurs, par souci de facilité et

par désir d’envisager uniquement la production littéraire proposée au jeune public français, nous

avons délibérément écarté les ouvrages en langue étrangère, non traduits en français1.

Le Petit Chaperon rouge est loin d’être le seul conte à subir ainsi l’épreuve de la parodie

subversive. On trouve dans la littérature de jeunesse contemporaine d’autres contes traditionnels

remis au goût du jour : ainsi, pour ne prendre que quelques exemples célèbres, Le Petit Poucet

est modernisé par Jean-Claude Mourlevat2 ou Michel Tournier

3, La Belle au Bois Dormant par

Grégoire Solotareff et Nadja4 ou Yvan Pommaux

5, ou encore Les fées par Pierre Gripari

6. Mais

le Petit Chaperon rouge nous a semblé le conte le plus réécrit, car certainement le plus connu et

tout à la fois le plus troublant pour l’enfant et le plus marquant pour l’adulte.

Tous ces contes détournés forment une belle « salade de contes », pour reprendre une

expression de Rodari7 qui parle par ailleurs de « contes à l’envers

8 ». Ces contes « défaits »

détournent de façon parfois subversive et souvent humoristique le conte bien connu et lui

imposent un rythme et une portée différents, sans pour autant en faire oublier le texte d’origine.

On peut parler dans cette optique de parodies. Sortes de « chant » (ôdê en grec) mené « à côté »

(para) du texte originaire9, la parodie est la transformation ludique d’un texte singulier, comme

1 Pour faire un tour du monde et avoir une vision plus internationale des réécritures parodiques du Petit Chaperon

rouge, on pourra se reporter à l’article de Sandra L. Beckett, « Le Petit Chaperon rouge globe-trotter », paru dans

Tricentenaire Charles Perrault, Les grands contes du XVIIe siècle et leur fortune littéraire, sous la direction de Jean

Perrot, In Press, 1998, p. 365-375. 2 L’Enfant Océan, Paris, Pocket Jeunesse, 1999.

3 Sept contes [1984], Paris, Gallimard, 1990 : « La fugue du petit Poucet », p. 53-76.

4 La Laide au Bois Dormant [1991], Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2005.

5 Le Grand Sommeil, Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 1998.

6 La Sorcière de la rue Mouffetard [1967], Paris, Gallimard, « Folio junior », 2006 : « La fée du robinet », p. 85-

101. 7 Gianni Rodari, Grammaire de l’imagination , op. cit., p. 88.

8 Ibid., p. 85.

9 Gérard Genette, Palimpsestes [1982], Paris, Le Seuil, « Points Essais », 1992, p. 20.

9

le dit Gérard Genette dans Palimpsestes. Le texte de départ est repris et transformé par des

inflexions plus ou moins importantes (du point de vue de la narration, des personnages ou du

dénouement). Les auteurs de contes parodiés s’immiscent dans une trame narrative et

référentielle déjà là et supposée connue de leurs lecteurs, et, de l’intérieur, en modifient une

partie minime ou essentielle pour substituer au récit initial un récit second. Celui-ci peut être

indépendant du texte parodié, mais il prend cependant tout son sens par référence à l’écart

visible produit dans l’acte de transposition. En détournant le conte du Petit Chaperon rouge, les

auteurs de littérature pour la jeunesse rompent l’horizon d’attente du lecteur et jouent

habilement avec les codes et les règles en les désacralisant. Dans le détournement, un écart se

crée, qui, souvent, est source d’humour, ou du moins d’interrogation. Le nouveau Petit

Chaperon rouge s’écrit entre respect et familiarité par rapport à l’original et est à la fois un

hommage rendu au conte de référence et un jeu subversif vis-à-vis des règles qu’on aurait pu

croire intangibles.

L’étude des réécritures contemporaines du Petit Chaperon rouge nous mène à poser un

problème essentiel : pourquoi réécrire sans cesse un conte déjà connu ? Quel intérêt y a-t-il à

répéter à l’enfant ce qu’il connaît déjà tout en le travestissant et en s’attaquant à la valeur sacrée

du conte supposé statufiée ?

Pour répondre à cette interrogation, nous étudierons tout d’abord les différentes versions

originales du conte du Petit Chaperon rouge : nous convoquerons « l’hypotexte1 » (c’est-à-dire

les versions des contes oraux, celle de Perrault, puis celle des Grimm), afin de voir précisément

comment les ouvrages contemporains se construisent tout à la fois par référence et en décalage

par rapport au récit-modèle. Cela nous permettra ainsi de noter plusieurs degrés dans les

réécritures : transposition, parodie ou véritable réappropriation. Dans une seconde partie, nous

tenterons de construire des typologies et des catégorisations pour classer les différents ouvrages

étudiés selon des critères génériques, référentiels, puis narratifs. Il s’agira dans cette tentative de

classification de répertorier les procédés littéraires utilisés par les auteurs dans leur réécriture.

Enfin, dans une dernière partie, nous aborderons le problème de la réception et du processus de

lecture chez l’enfant : comment les enfants reçoivent-ils les réécritures contemporaines du Petit

Chaperon rouge ? Nous étudierons particulièrement la notion d’intertextualité du point de vue

de son apport pédagogique. Nous interrogerons ensuite les aspects moraux évoqués dans la

construction de nouvelles figures du Petit Chaperon rouge en notant que d’autres valeurs sont

1 Les expressions d’hypotexte et d’hypertexte se trouvent chez Gérard Genette dans son ouvrage Palimpsestes, op.

cit., p. 13 : l’hypertexte est le texte dérivé d’un texte antérieur nommé hypotexte.

10

transmises dans ces versions modernes : l’enfant n’est plus victime du loup et le couple

agresseur/victime est renversé, dans l’affirmation positive de la liberté de l’enfant.

À travers l’étude des réécritures modernes du Petit Chaperon rouge nous n’espérons pas

seulement interroger la petite fille au capuchon rouge dans ses relations au loup et à sa grand-

mère, mais plus largement mener une réflexion sur les pouvoirs de la littérature de jeunesse

contemporaine. Les réécritures du Petit Chaperon rouge ne sont-elles pas la meilleure preuve du

dynamisme de cette littérature contemporaine ? En effet, ne voit-on pas à travers l’écriture de

ces contes détournés une littérature capable de renouveler les procédés créatifs tout en se

fondant sur les figures traditionnelles de la littérature ? N’est-ce pas là un moyen de proposer

aux jeunes enfants d’aujourd’hui une vision du monde dans lequel ils ont à grandir ?

11

PREMIERE PARTIE :

les contes du petit chaperon rouge

▲ Illustration par Gustave Doré pour Le Petit Chaperon rouge dans Les Contes

de Perrault, Paris, Jules Hetzel, 1862.

12

Pour aller à la rencontre des petits chaperons rouges et aborder leur extrême variété, nous

débuterons notre étude par une analyse diachronique. En effet, c’est en replaçant le conte du

Petit Chaperon rouge dans le temps que nous pourrons rendre compte de ses multiples

adaptations contemporaines. Étudier le Petit Chaperon rouge de sa naissance à aujourd’hui va

nous permettre de voir comment la modernité du conte et ses réécritures se construisent à partir

de l’héritage historique des versions originelles.

Dans cette première partie, nous adopterons tout d’abord un point de vue historique et

dégagerons les différentes versions du texte-source. Nous pourrons alors déterminer dans quelle

mesure les textes contemporains s’inspirent des textes originels et quelles versions sont les plus

souvent reprises, afin d’analyser comment les ouvrages actuels se présentent explicitement ou

implicitement comme réécritures des versions passées. Cela nous permettra de présenter un bref

état des lieux des petits chaperons dans la littérature pour la jeunesse actuelle et de montrer que,

depuis ses origines, l’histoire du petit chaperon rouge ne cesse de se réécrire et de présenter à

ses lecteurs une multiplicité de versions.

I) Les origines du petit chaperon rouge

Il n’y a pas un conte du Petit Chaperon rouge, mais une multitude de versions qui se

sont succédées et souvent confondues. Cette pluralité s’explique par l’essence du conte dont

l’une des caractéristiques est d’être infiniment maniable. Parce qu’il était le plus souvent destiné

à être transmis oralement et qu’il n’a pas toujours eu de support écrit, le conte a été sans cesse

transformé. Il offre une matière flexible que chacun peut s’approprier : en effet, il n’y a

rien de plus adaptable, de plus « façonnable » que le conte qui n’est qu’une structure, un squelette,

que chacun, selon son environnement, sa culture et son âge, peut habiller de son discours imaginaire,

peut dire avec sa langue, son geste, sa voix1.

Le Petit Chaperon rouge ne fait pas exception à cette élasticité générique du conte. Nous

pouvons distinguer trois types de versions : celle de Charles Perrault et celle des frères Grimm,

généralement bien connues, mais aussi, antérieures, les versions orales transmises depuis

l’époque médiévale dans les campagnes françaises. Pour inviter à la relecture de ces trois

versions du conte, nous avons placé dans l’annexe 1 les textes originaux que nous allons

présenter.

1 J. Coitit-Godfrey, R. Escarpit, J.-L. Peyroutet, B. Poulou, N. Robine, La Littérature d’enfance et de jeunesse. État

des lieux, Paris, Hachette Jeunesse, 1988, p. 182.

13

A) Les versions orales

1) Un type folklorique répandu

Un long travail de collecte a été lancé dès le XIXe siècle en Europe. Cela a permis de

mettre en place une typologie internationale Ŕ celle des folkloristes Aarne et Thompson, publiée

en 1928. Selon cette classification, le conte du Petit Chaperon rouge appartient au type « AT

333 ». Ce type se retrouve dans des variantes européennes (par exemple dans le Tyrol italien), et

également dans des versions extra-européennes venant en particulier d’Asie (Chine, Japon,

Corée).

Le conte s’est surtout répandu en France. Paul Delarue qui, dans les années 1950, a établi

un gros « catalogue raisonné du conte populaire français », a ainsi dénombré environ trente-cinq

versions de ce conte. Ces versions ont été recueillies de la bouche même des conteurs dans le

bassin de la Loire, le Nivernais, le Forez, le Velay et au Nord des Alpes. Ce travail de collecte

nous a permis d’avoir accès à des contes qui, sans cela, seraient peut-être tombés dans l’oubli.

Nous avons choisi de mettre en annexe la variante du Petit Chaperon rouge nommée

« Conte de la Mère-Grand » telle qu’elle a été recueillie par le folkloriste Achille Millien (1838-

1927) dans le Nivernais autour des années 1870, et publiée dans Le Conte populaire français de

Paul Delarue. Mais de nombreuses autres variantes auraient pu être relevées : des versions de

Haute-Loire, d’Ardèche, de Touraine, de Haute-Bretagne, de Champagne et même de Guyane.

Pierre Erny, dans son étude menée sur les « traces du Petit Chaperon rouge », propose une

anthologie des différentes versions du conte1.

2) Les motifs du conte

Les versions orales ont une certaine indépendance les unes par rapport aux autres, malgré

la variété de leurs origines régionales, et présentent une identité qu’a bien analysée Paul

Delarue2. Ainsi, plusieurs motifs reviennent d’une version à l’autre.

a- Le motif du chemin des Épingles et des Aiguilles

Une petite fille (qui, généralement, ne porte pas de nom) est envoyée par sa mère chez sa

grand-mère pour lui porter du pain. En chemin, elle fait une inquiétante rencontre : un « bzou »,

c’est-à-dire un loup-garou. Celui-ci, curieux de savoir vers où elle se dirige, lui demande :

1 Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon rouge. Un itinéraire dans la forêt des contes, op. cit., p. 22-33.

2 Paul Delarue, Le Conte populaire français [1957], Paris, Maisonneuve et Larose, 1976, tome I, p. 373-383. Une

partie du commentaire de Paul Delarue sur Le Petit Chaperon rouge est reproduit sur le site de la BNF, consacré

aux contes : <expositions.bnf.fr/contes/gros/chaperon/index.htm> et <expositions.bnf.fr/contes/cles/delarue.htm>.

14

« Quel chemin prends-tu ? Celui des Aiguilles ou celui des Épingles ? » Cette énigmatique

alternative se retrouve dans quasiment toutes les versions orales du conte.

Selon Paul Delarue, il s’agit là d’un détail « puéril1 ». Marc Soriano, quant à lui, montre

que l’alternative des chemins est un « jeu2 » retenu par les conteurs afin de répondre au goût des

enfants pour la féerie et les formulettes mystérieuses. Yvonne Verdier met en question cette

interprétation en montrant que la référence aux aiguilles et aux épingles est une allusion

signifiante pour les gens des campagnes. En effet, les jeunes filles de 15 ans entraient chez la

couturière du village pour y apprendre la couture et savoir manier l’épingle. Cet apprentissage

domestique marquait aussi l’initiation à l’art de se parer pour chercher un amoureux. Ainsi,

comme le dit Yvonne Verdier, l’épingle est le « symbole de l’accession à la puberté, à la vie de

jeune fille3 », tandis que l’aiguille à large chas est l’attribut de la grand-mère ménopausée qui,

parce qu’elle ne voit plus très clair, a besoin d’un outil d’une moins grande finesse.

b- Le motif du repas cannibale

La fillette, qui a choisi le chemin des Aiguilles (dans la version nivernaise) ou celui des

Épingles (dans la version ardéchoise), traîne en chemin. Le « bzou » arrive avant elle, tue la

grand-mère et met « de sa viande dans l’arche et une bouteille de sang sur la bassie ». Lorsque la

petite fille entre dans la maison de la grand-mère, l’animal, qui a pris la place de l’aïeule, invite

l’enfant à manger la viande qui cuit dans l’âtre et à boire le sang qui est dans la bouteille. La

petite fille s’exécute sans sourciller.

Il y a donc dans les versions du conte oral une scène de cannibalisme qui, tel le repas

d’Atrée dans la mythologie ancienne, confine à l’horreur. Certes, la petite fille ne se rend pas

compte de la portée de son geste. Mais le tragique de la scène est amplifié par la précision de la

préparation culinaire de la petite fille qui mitonne les restes de sa grand-mère avant de les

déguster. Dans certaines versions, les détails sanguinolents ne manquent pas et sont parfois

extrêmement précis. Tel est le cas par exemple d’une version du Tyrol italien qui décrit les

gestes de l’ogre jouant, dans cette variante, le rôle du loup :

Il entra, tua et dévora la vieille et il se mit au lit ; mais auparavant il avait pendu les intestins de sa

victime à la porte, à la place du cordon, et il en avait déposé le sang, les dents et les mâchoires dans le

buffet4.

1 Paul Delarue, Le Conte populaire français, op. cit., p. 382-383.

2 Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, Paris, Gallimard, 1968, p. 157.

3 Yvonne Verdier montre que les épingles symbolisent également les premières menstruations. Voir son article

« Grands-mères si vous saviez... Le Petit Chaperon rouge dans la tradition orale », in : Les Cahiers de la

Littérature orale, IV, 1978. Consulter la page 5 de l’article reproduit en ligne sur Internet, sur le site de la BNF

(<expositions.bnf.fr/contes/cles/verdier.htm>). 4 Cité par Yvonne Verdier, op. cit., p. 7 de l’article mis en ligne.

15

Dans chaque version du conte, la fillette est avertie de son geste. Ainsi, dans la version

nivernaise, une petite chatte lui dit : « Pue !... Salope !... qui mange la chair, qui boit le sang de

sa grand. » Mais la fillette ne comprend pas ce que lui dit la voix et continue son repas.

c- Le motif du strip tease1 et des détails scatologiques

Après avoir incorporé les restes de sa grand-mère, la petite fille exécute le

commandement du loup qui l’oblige à se déshabiller et à venir se coucher dans le lit auprès de

lui. Le conte mentionne tous les vêtements de la fillette (le tablier, le corset, la robe, le cotillon,

les chausses) qu’elle enlève un à un, demandant à chaque fois où les déposer. Invariablement, le

loup répond : « Jette-les au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin. » On imagine facilement les

possibilités de jeu du conteur dans le récit de cet effeuillage progressif de la jeune fille. La forte

connotation sexuelle de cette scène de déshabillage montre que le conte, à l’origine, n’était pas

destiné spécifiquement à être raconté aux jeunes enfants.

Une fois couchée, la fillette entame avec le loup/grand-mère un long dialogue dans

lequel elle détaille l’anatomie curieusement virile de son aïeule : sa forte pilosité (« que vous

êtes poilouse ! »), ses « grands ongles », ses « grandes épaules », ses « grandes oreilles », ses

« grands trous de nez » et enfin, point culminant du jeu des questions-réponses, sa « grande

bouche ». Mais à ce moment du récit, l’héroïne du conte oral n’est pas aussi naïve que le sera

celle de Perrault. Elle ne se laisse pas croquer et fait mine d’avoir une envie pressante : « Oh, ma

grand, que j’ai faim d’aller dehors ! » Ce à quoi le loup répond : « Fais au lit, mon enfant ! »,

avant de consentir finalement, face à son insistance, à la laisser sortir. Le loup lui attache un « fil

de laine au pied » pour l’empêcher de s’enfuir et attend avec impatience son retour. « Tu fais

donc des cordes ? » s’exclame-t-il, ne voyant pas la fillette revenir.

d- Le dénouement heureux

Dans un petit nombre de versions, l’histoire finit tragiquement : par exemple, dans la

version tourangelle, le loup fait « un bon souper » de la fillette et s’en félicite. Cependant, dans

la plupart des variantes, le récit se termine sur une fin heureuse. En effet, une fois dehors, la

fillette détache le fil que le loup a noué à sa cheville et l’attache à un arbre. Avant que le loup ne

s’aperçoive de la ruse, la petite fille a eu le temps de courir jusqu’à chez elle et a donc la vie

sauve. Dans certaines versions, le loup est lui-même mortellement puni. L’histoire continue en

1 L’expression est de Marc Soriano, in : Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit.,

p. 156.

16

effet par une course-poursuite jusqu’à une rivière où la petite fille se fait aider par des laveuses

pour piéger le loup. Les femmes tendent un drap au-dessus du cours d’eau, si bien que le loup se

heurte à l’obstacle, tombe dans l’eau et se noie.

Au final, il y a, dans le conte oral, une seule mort, celle de la grand-mère dévorée à deux

reprises : une fois par le loup, et une seconde fois par sa petite-fille. La grand-mère est donc un

personnage essentiel du conte et c’est sans doute pour cette raison que dans la version nivernaise

le conte s’intitule « Conte de la Mère-Grand ».

3) Le récit de l’initiation à la féminité sur fond de sexe et de mort

Yvonne Verdier montre que, dans ce conte, se joue le destin féminin, de la puberté à la

ménopause et que le passage entre les trois générations de femmes y est symbolisé. Le récit est

en effet davantage centré sur la relation entre la grand-mère et la fillette que celle entre la fillette

et le loup. Y. Verdier va même jusqu’à faire l’hypothèse que le loup et la grand-mère ne font

qu’un. Dans le lit, l’aspect masculin de la grand-mère est en effet associé à la détérioration des

facultés féminines. En se nourrissant des restes de sa grand-mère, la fillette fait un « repas

sacrificiel » qui lui permet d’acquérir le pouvoir de procréer et d’accéder à la féminité. Le

passage entre les générations est assuré. Il s’accompagne d’une rivalité féminine symbolisée par

l’horreur de l’acte anthropophage commis par la jeune fille. Dans le conte oral, le monstre serait

donc la petite fille et non le loup. La fillette semble nécessairement devoir dévorer son aînée

pour devenir femme à son tour. La transmission entre générations passe tragiquement par la

mort et par la violence des rites d’initiation.

On peut considérer la version orale du conte du Petit Chaperon rouge comme un récit

initiatique. À l’issue d’un « parcours transgressif », la fillette revient chez elle en « criminelle et

initiée », comme le montre Claude de la Genardière dans Encore un conte ?1 Dans ce conte, il

s’agit

pour l’enfant, de devenir femme, séduisante et apte à procréer. En mangeant sa grand-mère, à qui elle

est adressée par sa mère, elle s’approprie les capacités féminines et maternelles de celle-ci. Cela ne

peut se faire que par l’exclusion d’une génération par l’autre. L’affaire est grave et se déroule sur

fond de sexe et de mort.2

Les analyses d’Yvonne Verdier peuvent paraître aujourd’hui datées et orientées. Mais

l’ethnologue a le mérite de s’être fondée avec une grande précision sur l’étude des récits oraux

et d’avoir pris en compte le milieu dont ils étaient issus. Elle a ainsi tenté de débarrasser les

1 Claude de la Genardière, Encore un conte ?, op. cit., p. 28.

2 Claude de la Genardière, « Quand le Chaperon rouge fait rire jaune », in : L’Humour dans la littérature de

jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 142.

17

contes populaires des interprétations issues des versions littéraires plus tardives, qui ont

recouvert le texte premier.

B) La version de Perrault

1) Le petit chaperon rouge fait son entrée en littérature

À une époque où la mode pour l’élite sociale de la cour de Versailles est de raconter dans

les salons littéraires les contes et les fables du peuple, Charles Perrault, à la fin de sa vie,

s’amuse à collecter les contes populaires. Il les publie anonymement en 1695 dans un recueil

intitulé Contes de ma Mère Loye et dédicacé à la petite-nièce de Louis XIV, puis les reprend

deux ans plus tard dans des Histoires ou contes du temps passé, avec des moralités. Grâce à

Perrault, les contes oraux entrent dans la littérature écrite. Il est indéniable que l’histoire du petit

chaperon rouge est venue jusqu’à nous grâce au succès rencontré par Perrault et ses contes.

Anne-Marie Garat, dans une lecture personnelle du conte, va même jusqu’à affirmer que ce

texte, le plus court du recueil, « dans sa magistrale brièveté et sa hardiesse inouïe, est un des

plus grands textes de la littérature1 » et qu’il s’agit de la seule version du conte à avoir « les

propriétés de l’art2 ».

Le petit chaperon rouge fait son entrée en littérature avec Charles Perrault parce que cet

auteur est le premier à avoir désigné l’héroïne du conte par cette expression. Dans les versions

orales, la coiffure rouge de la fillette n’était qu’un « trait accessoire3 », peu fréquemment

mentionné. Perrault, au contraire, systématise l’expression « petit chaperon rouge » pour

désigner la « petite fille de Village ». L’expression, grâce à la popularité du conte, deviendra un

des traits majeurs et identificateurs du récit. Le « chaperon » n’est pas un capuchon protecteur,

ni un long manteau enveloppant, comme les nombreux illustrateurs du conte le feront croire,

commettant là un véritable contresens. Un « chaperon » est en réalité une bande de velours ou

de satin que les jeunes filles et les femmes portaient sur le haut de la tête pour orner leur

chevelure. Il s’agit donc d’un élément de parure, plutôt que d’une pèlerine ou d’une cape, qui

pourrait presque donner un petit air ridicule à la fillette tant ce détail vestimentaire l’apprête

comme une femme, alors qu’elle n’est qu’une petite fille4.

1 Anne-Marie Garat, Une faim de loup. Lecture du Petit Chaperon rouge, Arles, Actes Sud, 2004, p. 16.

2 Ibid., p. 14.

3 Paul Delarue, Le Conte populaire français, op. cit., p. 382.

4 Voir le commentaire que fait Anne-Marie Garat sur le « chaperon » dans Une faim de loup, op. cit., p. 100.

18

2) Une version expurgée

Perrault a eu connaissance des versions orales des contes et est parti de cette matière

encore vive à son époque. Dans sa préface, il rend d’ailleurs hommage aux « contes de nos

aïeux » qui, tous, veillent à exposer une « moralité louable et instructive1 ». Mais celle-ci est

insuffisante : Perrault réécrit le conte de la fillette et du loup en supprimant les scènes les plus

crues, alors qu’elles étaient pourtant centrales dans les récits originaux. Ainsi, il n’y a plus

mention ni d’un repas anthropophage, ni de détails scabreux. Perrault n’oublie pas qu’il

s’adresse à l’aristocratie et gomme tous les détails qui pourraient sembler puérils, inconvenants

ou vulgaires.

La particularité de la version de Perrault est sa fin éminemment tragique. En une phrase,

d’une brièveté elliptique remarquable, la fillette est envoyée à tout jamais dans le ventre du loup.

En supprimant l’épisode du fil salvateur des versions orales, Perrault a peut-être voulu garantir

la bienséance de son époque. Mais on peut faire l’hypothèse, comme Marc Soriano, que le choix

de ce dénouement révèle plutôt chez Perrault « une sorte de goût ou d’attrait pour le

cauchemar2 ».

Le vocabulaire de Perrault est

dépouillé et la structure du récit simple, mais

efficace. Ainsi, il n’y a pas de trace de

carnage dans la maison de la grand-mère.

Quant au loup, il est toujours mentionné

avec un certain détachement qui marque la

distance du narrateur plus que son désir de

produire un récit à sensations fortes.

Lorsqu’il parle de « compère le Loup »,

Perrault « nous épargne sa gueule humide, sa

langue rouge, ses yeux verts. Son poil, ses

griffes, son souffle, son odeur, et ses

énormes crocs3. » En cela, l’illustration de

Gustave Doré dans l’édition de 1862 des

Contes est bien fidèle au texte : le loup est

dessiné de dos (voir ci-dessus) et c’est au lecteur d’imaginer l’horreur. Dans la scène où le loup

et la fillette sont au lit, que nous avons reproduite au début de notre première partie, l’animal

1 Charles Perrault, Préface des Contes en vers, Paris, Le Livre de poche, 1990, p. 76.

2 Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 152.

3 Ibid., p. 63.

19

paraît plutôt ridicule sous sa coiffe de grand-mère et seul le regard effaré de la fillette trahit

l’effroi de la scène.

Malgré la retenue du récit, le texte trahit une certaine sensualité. Il ne détaille pas le

strip-tease de la fillette autant que le font les versions orales ; toutefois il mentionne le

déshabillage du petit chaperon rouge qui vient rejoindre le loup dans le lit et a tout le loisir de

s’étonner de « voir comment sa mère-grand était faite en son déshabillé1 ». Sans aller jusqu’à

dire, comme le fait Anne-Marie Garat, qu’il s’agit là d’un des « plus grands textes érotiques de

la littérature2 », il faut noter que le conte de Perrault évoque une duplicité dans la relation entre

la petite fille et le loup. Celui-ci inspire à l’enfant attirance et répulsion. La morale finale, qui

évoque toutes « sortes » de loups suivant « les jeunes demoiselles jusque dans leurs maisons »,

explicite cette association implicite entre la dévoration du loup et le coït.

Les versions orales du conte mettaient d’abord l’accent sur la relation entre la fillette et

la grand-mère et, au-delà, sur les trois générations de femmes. La version de Perrault met au

centre du conte la relation entre le loup et la fillette. Elle présente un loup séducteur et, en

filigrane, une fillette naïvement séduite.

3) Un conte d’avertissement pour les enfants

Alors que les contes oraux n’étaient pas précisément destinés à un public enfantin,

Charles Perrault entend s’adresser aux enfants. Une indication sur le manuscrit de 1695

témoigne de la destinée orale que Perrault entendait donner à ses contes. En marge du

dénouement du texte, l’auteur a en effet écrit :

On prononce ces mots d’une voix forte pour faire peur à l’enfant comme si le loup l’allait manger.

Il s’agit quasiment là d’une notice d’utilisation du récit à l’usage des parents ! Le conte n’est

toutefois pas simplement un jeu. Perrault souhaite offrir aux enfants un moyen de s’instruire tout

en se divertissant. Ainsi, comme il le fait dire dans sa préface à « une jeune Demoiselle de

beaucoup d’esprit », le conte « Peau d’âne » a un double pouvoir :

C’est qu’il divertit et fait rire,

Sans que Mère, Époux, Confesseur,

Y puissent trouver à redire3.

Cependant, Perrault n’oublie pas que ce sont les parents qui vont lire les contes à leurs enfants et

n’a de cesse de glisser quelques clins d’œil et pointes d’humour dans son texte qu’il destine

aussi, implicitement, aux adultes. Ainsi, la mention de Mère Grand « en son déshabillé » est

1 Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 195. On trouvera dans notre annexe 1b le texte de Perrault dans sa totalité.

2 Anne-Marie Garat, Une faim de loup, op. cit., p. 152.

3 Charles Perrault, Préface des Contes en vers, op. cit., p. 78.

20

doucement ambiguë et on pourrait, comme Marc Soriano, considérer cette formule comme « une

expression à double entente qui est vraiment à la limite de la grivoiserie1. »

Pour toucher les enfants, Perrault utilise un langage simple dans lequel on trouve des

onomatopées : « toc toc », lit-on, lorsque le loup frappe à la porte de la grand-mère. Il se sert

également de mystérieuses formulettes. Ainsi, grâce à lui les expressions, déjà un peu désuètes

au XVIIe siècle, de « bobinette » et de « chevillette » ont gagné un destin littéraire, tout comme le

futur du verbe « choir », généralement peu usité :

« Tire la chevillette, la bobinette cherra »,

dit la grand-mère, puis le loup déguisé en Mère Grand. L’expression désigne un dispositif de

serrure à bascule utilisant une petite cheville. Dans le conte, la courte phrase ressemble à la

formule magique « Sésame ouvre-toi » des Contes des Mille et une nuits et gagne une valeur

rituelle qui parle aux enfants. Elle éveille leur curiosité grâce à l’énigme suscitée par l’emploi

d’un vocabulaire archaïque. D’une façon analogue, la « galette et le petit pot de beurre »,

mentionnés à quatre reprises dans le conte, sont des expressions marquantes qui rythment la

narration et sur lesquelles Perrault joue, comme l’explique Marc Soriano en parlant à leur

propos de « formulette de volubilité2 ».

Mais Perrault n’entend pas seulement amuser les enfants. Il faut que ces derniers tirent

une leçon du conte. Au XVIIe siècle, il est de bon ton de clore les fables et les contes par des

morales édifiantes. Perrault ne déroge pas à la règle et énonce, sous forme de vers, une moralité

typographiquement détachée :

On voit ici que de jeunes enfants,

Surtout de jeunes filles,

Belles, bien faites, et gentilles,

Font très mal d’écouter toute sorte de gens.

Et que ce n’est pas chose étrange,

S’il en est tant que le loup mange3.

moralise Perrault, avant d’ajouter que certains loups peuvent être « d’une humeur accorte » et

suivre « les jeunes demoiselles jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ». Méfions-nous

de ces loups-là qui s’avancent « sans fiel et sans courroux », car ces « loups doucereux »,

De tous les loups sont les plus dangereux4.

L’ajout de la moralité au récit proprement dit fait du Petit Chaperon rouge de Perrault un

« conte de mise en garde », comme le dit Marc Soriano5. Il s’agit d’avertir les fillettes des

dangers de parler aux inconnus et de donner leur confiance aux loups les plus « complaisants et

1 Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 156.

2 Ibid., p. 154.

3 Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 196.

4 Ibid., p. 197.

5 Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 153.

21

doux ». Le dénouement tragique met en valeur cette leçon d’avertissement, d’autant plus que le

Petit Chaperon rouge est le seul conte du recueil de Perrault à finir mal.

Cette adjonction d’une morale a inspiré une critique virulente de Bruno Bettelheim dans

sa Psychanalyse des contes de fées. Selon lui, le loup de Perrault se présenterait comme « une

métaphore qui ne laisse pas grand-chose à l’imagination de l’auditeur », à tel point que le conte

assènerait de force une leçon de morale au jeune lecteur, de telle sorte que

cet excès de simplification, joint à une moralité exprimée sans ambages, fait de cette histoire, qui

aurait pu être un véritable conte de fées, un conte de mise en garde qui énonce absolument tout1.

Pourtant, le conte de Perrault peut laisser les lecteurs sur leur faim. L’héroïne semble

avoir toutes les qualités : outre qu’elle est « la plus jolie qu’on eût su voir », elle est serviable,

polie, joyeuse de vivre. Sa mère ne l’a pas avertie des dangers et, en l’envoyant seule dans la

forêt, n’a posé aucune interdiction. Si aucun ordre n’est donné, on ne peut donc pas dire que la

fillette est désobéissante lorsqu’elle musarde en chemin. La seule faute du chaperon est

finalement de n’avoir pas su deviner un danger dont nul ne l’avait informé. Le châtiment reçu

par la petite fille est disproportionné par rapport à l’action commise. La morale de Perrault se

révèle ambiguë et paraît bien cruelle.

C) La version des Grimm

1) Rotkäppchen ou le petit chaperon rouge allemand

Plus d’un siècle après Perrault, Jacob et Wilhelm Grimm reprennent à leur tour l’histoire

du petit chaperon rouge et la publient en 1812 dans leur recueil Contes d’enfants et du foyer

(Kinder und Hausmärchen). Les deux frères font un travail de philologues et recueillent de

façon scrupuleuse plus de deux cents contes issus de la tradition orale. Le propos des Grimm a

une portée idéologique. En un temps de construction de l’unité allemande, les Grimm désirent

transcrire les contes populaires car ils sont un moyen d’affirmer l’identité nationale germanique.

La volonté des Grimm est d’être les plus fidèles possible à la tradition populaire. Mais,

paradoxalement, c’est essentiellement auprès des milieux bourgeois que le travail de collecte a

eu lieu. Par ailleurs, la plupart du temps, les deux frères ne se contentent pas de transcrire tels

quels les récits collectés, mais mènent un vrai travail littéraire en créant des contes fortement

influencés par le mouvement romantique allemand. Avec d’autres d’écrivains comme Achim

d’Arnim, Ludwig Tieck ou Novalis, les frères Grimm participent à un retour du conte. Pierre

1 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, traduit de l’anglais par Théo Carlier, Paris, Robert Laffont,

1976, p. 257.

22

Péju, dans La Petite Fille dans la forêt des contes, montre le lien des Grimm avec le

Romantisme et insiste sur l’importance des Grimm dans l’histoire littéraire :

Philologues et érudits, ils ont fait dès leur premier recueil une œuvre de création en inventant

véritablement une langue littéraire des contes1.

Les Grimm affirment leur intention de ne pas reprendre les contes de Perrault et de

recueillir à la source le folklore national. Toutefois, le cas du Petit Chaperon rouge

(« Rotkäppchen ») semble faire exception à cette exigence de germanité. En effet, aucune

version du conte n’a été attestée en Allemagne. La pensée et la culture françaises ayant une

influence particulièrement importante dans l’Allemagne du XVIIIe siècle, il est probable que des

éléments de culture française se soient glissés dans les contes collectés auprès des familles

allemandes. C’est le cas du conte du Petit Chaperon rouge, recueilli en 1812 auprès d’une jeune

fille dont la mère était Française. Les frères Grimm ont donc été indirectement influencés par le

conte de Perrault, comme l’a montré Paul Delarue2. Les deux contes sont très proches dans leur

structure. La différence importante entre les deux récits réside dans le dénouement, que les

Grimm ont préféré rendre heureux, puisque l’intervention inespérée d’un chasseur vient délivrer

la petite fille et sa grand-mère du ventre du loup. C’est en raison de cette fin optimiste,

résolument différente de la version française, que les Grimm ont maintenu, dans leur recueil de

contes, le Petit Chaperon rouge, malgré sa source française, alors qu’ils ont éliminé le Chat

Botté et Barbe Bleue, inspirés trop directement de Perrault.

2) Le travail de réécriture des frères Grimm

De Perrault à Grimm, il y a eu un travail de réécriture, même si les deux histoires suivent

scrupuleusement la même structure. La « galette et le petit pot de beurre » sont devenus « un

morceau de gâteau et une bouteille de vin3 ». Pour entrer chez la grand-mère le loup n’a qu’à

« tirer la chevillette », puisque la « bobinette » a disparu, et la fillette n’a pas à redemander la

formule magique pour entrer chez sa grand-mère puisqu’en arrivant elle trouve la porte ouverte.

Le conte des Grimm est presque deux fois plus long que celui de Perrault. Certains

éléments de la version française sont paraphrasés, voire amplifiés, comme par exemple l’épisode

de la cueillette des fleurs, auquel les Grimm ont ajouté une pointe romantique. Cependant, les

frères Grimm ont supprimé tout ce qui aurait pu choquer le puritanisme de l’époque. Ainsi, la

1 Pierre Péju, La Petite Fille dans la forêt des contes, Paris, Robert Laffont, « Réponses », 1981, p. 27.

2 Paul Delarue, Le Conte populaire français, op. cit., p. 381 : « Le conte de Grimm descend de celui de Perrault

comme le révèle une comparaison attentive et comme l’expliquent certains faits : il présente les mêmes détails, les

mêmes adjonctions littéraires, plus complaisamment développées, les mêmes lacunes. » 3 Nous citons le texte dans la traduction de Janine Boissard, parue dans l’édition du Livre de Poche (1987, p. 69-

73). Le texte complet du conte est reproduit dans l’annexe 1c.

23

scène du loup et de la petite fille dans le lit de la grand-mère a été retirée. Le petit chaperon se

contente de s’approcher du lit et de « tir[er] les rideaux » pour observer sa grand-mère qui a

« l’air bizarre ». Les Grimm ont donc évacué toutes les connotations sexuelles que Perrault avait

laissées dans son récit. Faut-il dire pour autant, comme le fait Anne-Marie Garat avec virulence,

que cette « version dérivée » a été accommodée « à la guimauve1 » ? Il s’agit du moins d’une

version qui a le souci de s’adresser aux enfants et de leur offrir une vision du monde morale et

positive qui respectera les attentes des parents. Comme l’explique Pierre Erny, les Grimm ont

entendu faire de leur recueil de contes un

Erziehungsbuch, un livre pouvant servir à l’éducation, d’où était soigneusement éliminé tout ce qui

aurait pu choquer et où discrètement étaient introduites des notes moralisatrices amplifiées d’une

édition à l’autre2.

La moralité que l’enfant peut tirer du conte des Grimm est attendue et préparée. Avant

d’envoyer sa fille dans la forêt, la mère du petit chaperon la prévient des dangers :

Et quand tu seras en chemin, sois bien sage et ne t’écarte pas de ta route, sinon tu casserais la

bouteille et ta grand-mère n’aurait plus rien. Et quand tu arriveras chez elle, n’oublie pas de dire «

bonjour » et ne va pas fureter dans tous les coins3.

La maman est prévoyante. Dès le départ, elle a posé un interdit… interdit que la fillette oublie

de respecter. Mais la punition qu’elle reçoit pour n’avoir pas écouté sa mère amènera la petite

fille a tirer d’elle-même une clairvoyante leçon :

Je ne quitterai plus jamais mon chemin pour aller me promener dans la forêt, quand ma maman me

l’aura interdit4.

C’est la fillette qui prononce cette moralité. La leçon de morale n’est plus énoncée par un

narrateur extérieur, comme chez Perrault, et est plus à portée des enfants.

3) Un « happy end chirurgical5 »

La fin adoptée par le conte des Grimm est l’élément essentiel qui distingue ce récit des

autres versions. Alors que fillette et grand-mère sont condamnées à rester ad vitam aeternam

dans le ventre du loup, les Grimm leur offre un retour à la vie magique, grâce à l’intervention

d’un nouveau personnage Ŕ « un chasseur qui passait justement devant la maison ». Celui-ci

entend ronfler chez la grand-mère. Intrigué, il entre chez la vieille femme et surprend le loup :

« Ah ! c’est toi, bandit ! dit-il. Voilà bien longtemps que je te cherche… » Au lieu de tirer sur

l’animal, il « prend des ciseaux et commence à ouvrir le ventre du loup endormi ».

Miraculeusement, la fillette, puis la grand-mère, sortent de leur prison, s’écriant : « Comme il

1 Anne-Marie Garat, Une faim de loup, op. cit., p. 22.

2 Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge. Un itinéraire dans la forêt des contes, op. cit., p. 78.

3 Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 69.

4 Ibid., p. 73.

5 L’expression est de Anne-Marie Garat, Une faim de loup, op. cit., p. 22.

24

fait sombre dans le ventre du Loup ! » La petite fille, qui n’est plus prête à se laisser faire, se

hâte d’emplir le ventre du loup de pierres, ce qui ne tardera pas à assurer une fin fatale au

malheureux prédateur. On peut voir dans cette fin une contamination du conte « Le loup, la

chèvre et les chevreaux » (conte AT 123 selon la classification officielle1). Dans ce conte où le

loup doit montrer patte blanche aux petits de la chèvre, on rencontre en effet le même épisode

salvateur. Cette fin du conte assure la délivrance de l’héroïne et permet la punition du criminel.

Le dénouement heureux est à même de rassurer les enfants et de faire retomber l’intensité

dramatique qui avait grandi avec le crime du loup.

La fin heureuse est parfois prolongée par un deuxième épisode moins connu. Dans

certaines éditions, les frères Grimm racontent en effet qu’« une autre fois », le petit chaperon

rouge rencontre un « autre loup » qui tente à son égard les mêmes manœuvres de séduction.

Mais cette fois-ci, la petite fille, échaudée, refuse de l’écouter et va trouver sa grand-mère pour

tout lui raconter. Le loup la suit, mais il est dupé : les deux femmes imaginent une habile mise

en scène pour attirer le loup dans un piège. Celui-ci, trahi par sa gourmandise, est trompé et finit

tragiquement en tombant dans une « auge de pierre » dans laquelle il se noie. Cette fin est

intéressante à double titre : d’abord elle centre le récit sur la relation entre les deux générations

de femme, alors que la complicité entre la grand-mère et la fillette n’avait pas été réellement

abordée dans le conte initial ; ensuite elle montre une fillette grandie, qui a mûri et qui

désormais sait se défendre au lieu d’être victime de sa naïveté.

Bruno Bettelheim, dans la Psychanalyse des contes de fées, met en avant la portée

initiatique de la version des Grimm. Il soutient que la fillette du conte représente l’enfant qui

entre dans l’âge de la puberté et qui en rencontre les problèmes et les tentations contradictoires.

Selon lui,

le Petit Chaperon rouge extériorise les processus internes de l’enfant pubertaire : le loup personnifie

la méchanceté de l’enfant quand il va à l’encontre des exhortations de ses parents et s’autorise à

tenter ou à être tenté sexuellement2.

Le conte contribue à faire grandir l’enfant et à le rassurer, car il lui offre un moyen d’extérioriser

ses angoisses face aux métamorphoses pré-pubertaires auxquelles il se sent confronté.

Nuançons toutefois la portée psychanalysante de cette interprétation. Comme le montre

Pierre Péju, tout n’est pas l’Œdipe et le conte peut être lu simplement pour le plaisir poétique,

l’imaginaire et le rêve. Au lieu de chercher à identifier dans le loup un double de l’enfant

concentrant ses désirs fantasmés, Pierre Péju insiste sur la fascination que suscite l’animal

travesti en grand-mère. Il y a dans cette scène une « jouissance perverse et lente de la découverte

1 Cf. Marie-Louise Teneze, Le Conte populaire français, Paris, Maisonneuve et Larose, 1976, tome III, p. 375-385.

2 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, op. cit., p. 268.

25

par la description du corps du loup1 ». L’enfant n’ignore pas que c’est le loup qui est dans le lit,

et s’amuse de la confusion pour mieux explorer l’animal et sa profonde altérité.

En faisant un bref résumé historique des différentes versions du Petit Chaperon rouge,

nous avons assisté à une leçon de réécritures. Les Grimm ont réécrit Perrault qui, lui-même,

avait réécrit les versions orales lui ayant été contées. D’une version à l’autre, le conte s’est

métamorphosé, perdant de sa violence crue, mais s’adressant toujours un peu mieux à l’être

inchoatif qu’est l’enfant en constant apprentissage. Contrairement à ce qu’on pourrait attendre

de la littérature pour la jeunesse, le conte du Petit Chaperon rouge est un « cocktail explosif »

où il est essentiellement question d’actes peu recommandables : « inceste, viol, pédophilie,

cannibalisme, voyeurisme et fétichisme2 ». Les versions d’origine du petit chaperon rouge nous

montrent combien les générations sont capables de s’entre-détruire et à quel point l’amour et la

haine peuvent s’interchanger. Dans ces versions historiques, le chaperon rouge nous fait « rire

jaune3 ». Comment le rire amer des textes sources a-t-il bien pu se transformer dans la littérature

contemporaine en un rire en apparence léger, construit sur un humour réparateur ?

Interrogeons les petits chaperons rouges modernes pour voir ce qu’ils ont gardé et

abandonné des chaperons rouges classiques. Nous évaluerons ainsi quelle variation est la plus

souvent reprise et envisagerons ce que suppose le choix d’une version.

Pour clarifier notre étude, nous proposons, à la page suivante, un tableau récapitulatif qui

permet de schématiser les éléments narratifs de chacune des trois versions du conte étudiées.

Nous avons emprunté à Christian Vandendorpe4 les deux colonnes du tableau concernant les

versions de Perrault et Grimm. Ce tableau nous sera utile pour voir précisément quels éléments

ont été repris et quel conte a servi le plus à inspirer les réécritures contemporaines.

1 Pierre Péju, La Petite Fille dans la forêt des contes, op. cit., p. 79.

2 Anne-Marie Garat, Une faim de loup, op. cit., p. 17.

3 « Quand le Chaperon rouge fait rire jaune », in : L’Humour dans la littérature de jeunesse, op. cit., p. 135-146.

4 Christian Vandendorpe, « D’un conte à sa parodie : Le Petit Chaperon rouge de Jacques Ferron », in : Croire à

l'écriture, sous la direction de Yvan G. Lepage et Robert Major, Ottawa, Éditions David, 2000, p. 367-386.

Article consultable sur Internet : <www.lettres.uottawa.ca/vanden/Petit%20Chaperon%20rouge.pdf>. « PCR »

désigne évidemment le petit chaperon rouge.

26

Tableau I : Découpages des trois versions classiques du conte

Version nivernaise Version de Perrault Version de Grimm

Exposition ---

Exposition Motivation du nom du PCR

Exposition Motivation du nom du PCR

Mandat Porter époigne et bouteille de lait

---

Mandat

Porter galette et pot de beurre ---

Mandat Porter gâteau et vin

Interdiction et mise en garde

Rencontre du loup (le bzou) Interrogation du PCR par le loup

Chemin des épingles / chemin

des aiguilles

Rencontre du loup Interrogation du PCR par le loup

---

Rencontre du loup Interrogation du PCR par le loup

Plan du loup : avoir la grand-

mère et le PCR

Distraction du PCR Aiguilles

Distraction du PCR Noisettes, papillons, bouquets

Distraction du PCR Lumières, bouquets

Arrivée du loup chez la vieille ---

---

Dévoration de la vieille

Confection du repas cannibale

Arrivée du loup chez la vieille Imitation du PCR

Formulette de la vieille « Tire la

chevillette »

Dévoration de la vieille

---

---

Installation dans le lit

Arrivée du loup chez la vieille Imitation du PCR

--- (banalité Ŕ chevillette)

Dévoration de la vieille

---

Travestissement du loup

Installation dans le lit

Arrivée du PCR Frappe à la porte

Porte « barrée par une paille »

Invitation au repas

Avertissement de la chatte

Le loup invite PCR dans le lit

PCR se déshabille

PCR jette les habits au feu et se

couche

Elle détaille l’anatomie du loup :

poils, ongles, épaules, oreilles,

nez, bouche

---

Arrivée du PCR Frappe à la porte

Formulette : « Tire la… »

---

---

Le loup invite PCR dans le lit

PCR se déshabille et se couche

Elle détaille l’anatomie du loup

(« Que vous… ») : bras, jambes,

oreilles, yeux, dents

Dévoration du PCR par le loup

Arrivée du PCR --- (porte grande ouverte)

---

---

---

---

---

Elle détaille l’anatomie du loup :

oreilles, yeux, mains, bouche

Dévoration du PCR par le loup

Évasion du PCR PCR veut sortir

Le bzou lui attache un fil

Le PCR attache le fil à un arbre

et s’enfuit

Le loup poursuit en vain le PCR

Le PCR de retour chez elle

---

Délivrance du PCR

Sommeil du loup et arrivée du

chasseur qui pense que le loup a

dévoré la vieille

Il ouvre le ventre du loup

Il en extrait PCR et vieille

Le PCR met des pierres dans le

ventre

Mort du loup

La grand-mère mange et boit les

provisions

--- Moralité de Perrault Morale tirée par le PCR

27

II) Les versions du Petit Chaperon rouge reprises

aujourd’hui

Les versions orales racontaient l’histoire d’une petite fille mangeant malgré elle les

restes de sa grand-mère, mais parvenant à échapper à la malignité du loup grâce à un subterfuge

de son invention. Perrault proposait un récit narrativement dense au dénouement fatal pour son

héroïne à chaperon rouge. La version des Grimm a repris le récit de Perrault, mais en gommant

la fin tragique et en imaginant un deus ex machina sous les traits d’un chasseur-chirurgien.

De quelle version les auteurs contemporains sont-ils partis pour réécrire leur propre Petit

Chaperon rouge ? Quel texte-source est le plus souvent repris et comment est motivé chez les

auteurs d’aujourd’hui le choix d’une version plutôt que d’une autre ?

Nous verrons d’abord que les versions orales ont été peu reprises et que l’on trouve peu

de fillettes anthropophages dans la littérature contemporaine, tandis que le texte phare de

Perrault a presque toujours été boudé pour être vivement préféré à la version en happy end des

Grimm. Cependant, l’héritage classique n’est-il pas plus diffus ? Les auteurs contemporains ont-

ils toujours en tête une version du Petit Chaperon rouge lorsqu’ils entament la réécriture du

conte ?

A) La rareté des reprises des versions orales

1) Raisons d’une raréfaction

Le conte populaire, dans sa version orale, est peu souvent convoqué dans les ouvrages

contemporains se présentant comme réécriture du Petit Chaperon rouge. Parmi les textes que

nous avons lus, nous n’avons repéré que trois albums reprenant une des versions orales du conte,

sans se présenter à chaque fois comme tel.

Deux raisons peuvent justifier la rareté des reprises du conte oral. Tout d’abord, ces

versions sont peu connues, contrairement aux réécritures de Perrault et Grimm qui les ont

recouvertes. Paradoxalement, la version populaire du conte est quasiment devenue une version

savante qui, aujourd’hui, n’appartient plus au fonds culturel de la majorité des lecteurs. Or, on

ne réécrit généralement que les textes qui sont connus par de nombreux lecteurs. Daniel Sangsue

dit ainsi à propos de la parodie, forme particulière de réécriture, que

28

le fonctionnement même de la parodie exige que l’œuvre parodiée soit reconnaissable sous son

hypotexte, c’est-à-dire qu’elle soit suffisamment « grande », connue, pour être identifiée par les

lecteurs1.

Les versions orales du Petit Chaperon rouge ne sont plus aujourd’hui facilement perceptibles,

car pas assez connues. Hormis les études universitaires comme celles de Paul Delarue ou

d’Yvonne Verdier, peu d’ouvrages reproduisent les variantes orales du conte, la quantité des

versions du conte ne permettant pas de fixer le récit. D’une région à l’autre, le vocabulaire

employé peut changer2 ; et il est difficile d’identifier dans les différentes versions des « unités

textuelles facilement mémorisables et mémorisées par le plus grand nombre3 ». Le conte dans sa

version orale n’est plus aujourd’hui un stéréotype que les lecteurs se sont appropriés, mais une

variante oubliée et recouverte par les réécritures littéraires de Perrault et Grimm.

Une seconde raison à la rareté des reprises des contes oraux tient au contenu même de

l’histoire qui est racontée. Comme nous l’avons vu, c’est un récit fort qui culmine dans une

scène terrible Ŕ le ragoût de grand-mère dont se délecte la petite fille ! Il s’agit là d’un tabou qui

peut choquer non seulement les enfants, mais aussi les adultes. Le refus spontané, presque

viscéral, du cannibalisme, est issu du sentiment d’égalité entre les membres de l’espèce

humaine, laissant penser que celui qui mangerait son semblable se dévorerait lui-même. Les

cannibales, lorsqu’ils sont présents dans la littérature, suscitent l’effroi malsain des lecteurs4. On

comprend que l’adulte ne désire pas donner à lire à son enfant ce qui déclenche en lui-même

dégoût et malaise. De la même façon, l’érotisme de la scène du déshabillage où la petite fille

jette ses habits au feu pour venir rejoindre le loup, peut heurter tant elle donne une image crue

de la sexualité, voire affronte la déviance pédophile. N’y a-t-il pas un exemple d’auto-censure

des auteurs de littérature pour la jeunesse dans le rejet de cette version du conte ?

2) Motivations du choix de la version orale

Quelques auteurs sont néanmoins partis de l’une des versions populaires pour réécrire

l’histoire du petit chaperon rouge.

Tout d’abord, le choix de cette version du conte peut être motivé par la valeur positive

donnée à l’héroïne. Il s’agit d’une petite fille courageuse et maligne qui ne se laisse pas faire par

le loup et qui n’est pas la victime naïve qu’elle deviendra chez Perrault. En ce sens, la version

ancienne du conte est très moderne : elle correspond à la perspective contemporaine d’un récit

1 Daniel Sangsue, La Parodie, Paris, Hachette, « Contours littéraires », 1994, p.78.

2 Ainsi, la « galette » qui, chez Perrault, sera avec son « petit pot de beurre » une formule quasi mnémotechnique

facilement reconnaissable, est désignée dans les différentes versions orales par toutes sortes d’expressions locales :

« pompe » dans le Velay, « époigne » dans le Nivernais, « fouace » dans les Alpes… 3 Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 78.

4 Voir le choc de la réception des romans de Thomas Harris autour du personnage de Hannibal Lecter.

29

faisant agir un personnage fort et indépendant, capable de sortir vainqueur du combat contre le

loup.

C’est le cas de l’héroïne de l’album de

Chiara Carrer, Le Petit Chaperon rouge1.

L’illustratrice italienne reprend une des versions

orales du conte avec une grande fidélité, comme le

laisse entendre la couverture qui annonce un texte

illustré sans donner de nom d’auteur. Il est à noter

que l’expression « petit chaperon rouge » n’apparaît

à aucune reprise dans le texte. On peut regretter le

choix de la traduction française qui met sur la piste

du conte du chaperon rouge alors que le titre

original parle simplement de « La Bambina e el

lupo ». La version adoptée dans l’album n’est pas précisée et la quatrième de couverture se

contente d’évoquer un « Petit Chaperon rouge au début du XVIIe siècle ». Chaque détail du conte

oral est retranscrit : la rencontre avec « Bzou le loup garou », l’alternative entre le « chemin des

Épines » et celui « des Aiguilles », la dévoration de la grand-mère par le loup qui range ses

restes dans le buffet « au cas où il aurait encore une petite faim »… jusqu’à la scène finale où la

fillette parvient à s’échapper des griffes du loup, à rentrer chez elle et à claquer « la porte au

nez » de son poursuivant. Cependant, un détail change : la fillette refuse le « goûter » préparé

par le loup pour elle. Face à l’exhortation de l’animal, elle s’exclame en effet : « Je n’en veux

pas, je n’aime pas ça ! ». On retrouve dans cette version l’irruption dans le récit d’un chat noir.

Toutefois, il ne condamne pas le geste de la fillette (« Pue !... Salope !... qui mange la chair, qui

boit le sang de sa grand », disait le félin dans la version nivernaise traditionnelle), mais le

félicite (« Ah ! la bonne petite qui ne mange pas grand-mère… »). On voit ici que Chiara Carrer,

en expurgeant elle aussi le récit original de la scène cannibale, édulcore le conte de façon à le

rendre acceptable par les parents. Ce qui l’intéresse est de dresser le portrait d’une héroïne qui

ne commet aucun crime et qui n’est à aucun moment victime, puisqu’elle sait se sauver à temps.

Cette présentation avantageuse de la fillette apparaît notamment dans le jeu des couleurs

employées dans l’album de Chiara Carrer. Trois couleurs reviennent avec force au fil des pages :

le noir, sous forme d’à plat représentant le fond sur lequel est collée l’illustration ; l’ocre ou

jaune clair qui, à chaque fois, est associé à la petite fille ; et le rouge, toujours en lien avec le

1 Chiara Carrer, Le Petit Chaperon rouge, Genève, La Joie de lire, 2005.

30

loup et lui donnant des airs de Diable. Ainsi, dans l’image, la fillette n’est jamais affiliée au

rouge (à part ses pommettes, sur certains dessins). Le rouge est réservé à l’évocation du loup qui

porte un grand manteau pourpre d’où dépassent sa tête et deux oreilles pareilles à des cornes

diaboliques. La seule couleur vive et gaie de l’album est donc utilisée pour désigner la fillette :

le lien entre cette couleur claire et le personnage évoque pureté, innocence et simplicité. Plus

encore, sur chaque page, la fillette est simplement dessinée au crayon, découpée puis collée dans

l’image. Elle semble ainsi projetée, ajoutée au décor, comme un élément étranger à

l’environnement glauque et pesant.

Ici, le choix de réécrire la version orale du conte met en scène un personnage auquel

l’enfant peut avoir aisément envie de s’identifier, puisque le héros ressort victorieux de la lutte

contre le loup.

La référence aux versions orales du conte permet de retrouver la richesse et la

complexité de l’histoire originelle : le manichéisme y est alors moins marqué qu’il ne le sera

dans les variantes postérieures, et la duplicité de la fillette apparaît davantage. C’est le cas d’un

album étrange d’Anne Ikhlef, illustré par Alain Gauthier, et intitulé Mon Chaperon rouge1. Le

texte semble cacher des clés symboliques. Les images sont fortement marquées par des lignes

géométriques et des couleurs sombres. L’album s’ouvre par un long prologue, mis sous le signe

de la lune et du vent, et dans lequel il est difficile de repérer le narrateur et les personnages. À la

page 11, l’allusion au conte devient enfin plus nette. L’image montre une femme, dont les seins

sont en forme d’astres (une lune et un soleil). Elle arrondit ses bras sur son ventre qui forme un

paysage sombre dans lequel évolue une fillette toute de rouge vêtue. L’image envahit

l’ensemble de la double page et s’étend à fond perdu. Le texte vient s’inscrire en association

dans un « espace “désémantisé” de l’image », c’est-à-dire « dans un endroit où l’on ne trouve

pas de représentations figuratives porteuses de sens2 ». On voit une mère qui raconte à son

enfant une histoire et qui parle en ces termes :

Tout doucement, tout doucement

En t’endormant, écoute le vent

Un conte a plus de mille ans

Tout ce que tu entends

N’est pas que pour les enfants

Un conte vient de très loin

Des temps les plus anciens

Et tout ce qui y est dit

N’est qu’une des pages

Du grand livre qu’est la vie !

Curieusement, ce n’est pas cette antique version du conte qui est ensuite présentée : à la page

suivante, on voit un livre dans lequel est retranscrit l’incipit du Petit Chaperon rouge de

1 Anne Ikhlef / Alain Gauthier (illus.), Mon Chaperon rouge, Paris, Le Seuil Jeunesse, 1998.

2 Nous empruntons la terminologie sur la mise en page à Sophie Van der Linden, dans Lire l’album, Le Puy-en-

Velay, L’Atelier du poisson soluble, 2006, p. 68-69.

31

Perrault. L’album se poursuit avec des questions en forme de comptines et d’énigmes évoquant

un combat entre « clarté [et] obscurité », entre « Dieu [et] diable », tandis que le récit révèle un

personnage féminin plein de contradictions. Dans la suite de l’album, le conte originel réapparaît

grâce à des phrases ou des mots qui sont quasiment des citations des versions orales : sont

convoqués le chemin des épingles et celui des aiguilles, le loup qui tue la grand-mère et « met de

sa viande dans l’arche et de son sang dans une bouteille », et l’avertissement en forme de

comptine (« Fricon fricasse le sang de grantasse… »). Le texte reprend également des mots

vieillis, qui relèvent parfois du patois aux sonorités mystérieuses (« la bassie », « ta grantasse »

et « ta mèrasse », « poilouse »…). La scène du déshabillage, longuement retranscrite, culmine

dans le dialogue entre le loup et la fillette, très proche du récit oral. L’érotisme imprègne le texte

(« puis elle se laisse glisser sur le corps sombre »), et l’image représente une jeune fille

entièrement nue, le corps à peine dissimulé par de longs cheveux. Elle est allongée sur le corps

du loup qui ressemble à un paysage de campagne. Comme dans le conte oral, au moment où le

loup s’apprête à manger la fillette, celle-ci prétexte une envie pressante et le loup trouve le

subterfuge du « fil de laine au pied » pour ne pas qu’elle se sauve. Contrairement à la version

orale, la petite fille ne fuit pas, mais saisit un pieu « qu’elle brandit sur le loup » et qu’elle

enfonce « de toutes ses forces » dans sa gueule. L’image, d’une extrême violence, montre une

gueule terrifiante et une fillette déterminée à ne pas se laisser dévorer.

3) Ambiguïté tragique des textes

Les textes reprenant les versions orales mettent en avant la portée tragique du conte,

créant une forte tension dramatique.

Mon Chaperon rouge d’Anne Ikhlef et Alain

Gauthier nous parait s’adresser à des enfants déjà

grands (à partir de 10-12 ans) : la complexité du texte

et le symbolisme des illustrations pourraient

décontenancer les plus jeunes lecteurs. La réécriture

des variantes orales surprend, notamment dans le

portrait qui est esquissé du petit chaperon. L’album

enrichit la relation entre la fillette et le loup. Dans les

dernières pages du livre, le texte dit : « Sur la toison

noire du loup l’enfant s’est endormie » ; et

l’illustration montre la petite fille assoupie sur le dos

du loup. Le loup et la fillette semblent être plus amis

32

qu’ennemis. En fin de compte, ce n’est pas seulement le loup qui est cruel et fait peur, mais

aussi la fillette. Dans plusieurs images de l’album, son identité est brouillée. Il s’agit d’une

petite fille, mais parfois elle a une tête de loup (voir l’image ci-dessus, reproduisant une partie

de la p. 9), des cheveux dont les pointes sont des têtes de serpents venimeux1 ou une silhouette

dont l’ombre a la forme monstrueusement grande d’une diablesse rouge à petites cornes2. Tout

l’album tend à montrer qu’il y a du loup dans le petit chaperon rouge, comme le symbolise le

plat 1 de l’album, en partie reproduit en couverture de notre mémoire. Subtilement, est évoquée

la cruauté du personnage de la fillette qui pactise avec le diable et qui, comme lui, a « les yeux

verts » Ŕ c’est-à-dire la couleur des yeux de ceux qui « iront en enfer3 ». Anne Ikhlef a réécrit

l’histoire de « son » petit chaperon rouge. Mais, en choisissant le récit original des versions

orales, elle insiste sur l’ambiguïté presque perverse d’une héroïne qui n’a rien d’innocent. Les

références aux versions orales renforcent donc la dualité du personnage, permettant de réécrire

un Petit Chaperon rouge sombre et mystérieux.

Certains auteurs ont préféré atténuer le côté effrayant de l’histoire. C’est le cas de Bruno

de La Salle, qui a proposé une réécriture du Petit Chaperon rouge en partant d’une version du

Forez (Massif central)4. Le conteur, qui a proposé des variantes de nombreux contes

traditionnels5, reprend avec fidélité la version orale du récit : il évoque les chemins des

« pierrettes » et des « épinettes » (plutôt que des aiguilles et des épines, comme dans d’autres

variantes) et ne cherche pas à censurer la scène du repas cannibale. En effet, la fillette, à

l’invitation du loup, mange le repas préparé par l’animal qui l’invite à ne pas croire le chat

lorsqu’il lui murmure : « Tu manges la chair de ta grand-mère. Tu bois le sang de ta grand-

mère6 ». Pourtant, l’album n’a rien de pesant et pourrait être lu à un jeune enfant. En effet, le

dénouement heureux du conte atténue la brutalité des crimes du loup et de la fillette

anthropophage. La petite fille, qui est parvenue à s’enfuir grâce à la « supercherie » de la ficelle,

retrouve son parrain, bûcheron. Celui-ci fend le ventre du loup d’un coup de hache, en sort la

grand-mère et dépose 40 kg de gros sel dans l’estomac de l’animal. À son réveil, le loup a si soif

qu’il boit jusqu’à ce que son estomac le fasse « basculer en avant » et qu’il coule « à pic » dans

la rivière qui « devint salée ». L’intervention d’un personnage masculin salvateur, qui n’apparaît

généralement pas dans les versions orales, donne au conte un dénouement « à la Grimm ». Cela

permet de délester le récit de sa force tragique.

1 Anne Ikhlef / Alain Gauthier (illus.), Mon Chaperon rouge, op. cit., p. 10 et p. 35.

2 Ibid., p. 16-17.

3 Ibid., p. 10.

4 Bruno de La Salle / Laurence Batigne (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris, Casterman, « Contes de toujours »,

1986. 5 De 1985 à 1990, Bruno de La Salle a publié dans la collection « Contes de toujours », chez Casterman, une série

d’albums dans lesquels il a réécrit les contes traditionnels les plus célèbres, à partir des versions orales collectées. 6 Bruno de La Salle / Laurence Batigne (illus.), Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 20.

33

Pour atténuer la dimension effrayante de l’histoire, l’illustratrice, Laurence Batigne, se

sert d’un dessin enfantin, naïf et apaisant. Ainsi, le chaperon rouge est une mignonne petite fille,

et le loup n’est pas vraiment atroce, avec son pantalon à bretelles et son foulard autour du cou.

L’illustration donne l’image d’un loup qui semble sympathique pour ne pas effrayer les jeunes

lecteurs. Mais peut-être est-ce également une façon de les avertir sur la banalité des apparences

qui masque aisément le danger. La nature riante et toujours peuplée d’animaux est très présente :

un animal est dessiné dans presque toutes les images, dans un coin de la page, en clin d’œil au

jeune lecteur attentif. Quelques éléments permettent de contextualiser l’histoire. Les dessins

figurent un environnement rural suranné, évoquant la maison désuète, mais accueillante, de la

grand-mère. L’illustration apporte même un détail comique inattendu : lorsque la fillette, qui

vient de s’apercevoir du subterfuge du loup déguisé en grand-mère, demande « la permission

d’aller au cabinet1 », on voit des toilettes à l’ancienne mode, avec une chasse d’eau munie d’une

corde de fer. L’héroïne attache à la cordelette des toilettes la ficelle par laquelle le loup croyait

pouvoir la retenir, si bien que lorsque celui-ci tire sur le bout de fil, au lieu de faire revenir la

fillette… déclenche la chasse d’eau ! Le texte, quant à lui, est adapté aux facultés de

compréhension des enfants : Bruno de La Salle emploie un langage simple, sans mot compliqué

et sans archaïsme. Certains passages sont de facture poétique (par exemple la scène dans la

forêt, p. 11).

Le travail de réécriture des auteurs consiste à atténuer le côté tragique du conte oral et à

donner à l’enfant des clés pour y entrer aisément. S’inspirer des versions populaires permet donc

de montrer un petit chaperon rouge indépendant et décidé, qui parvient à affronter le loup grâce

à sa force de caractère et peut-être aussi grâce à sa duplicité.

1 Ibid., p. 23.

34

B) La disparition de Perrault et le triomphe des Grimm

1) Les Grimm préférés à Perrault

Perrault a transformé le conte en texte écrit et l’a fait entrer de plein pied dans la

littérature. Quelques albums pour enfants1 reprennent cette version du conte qui est alors

enrichie par l’interprétation graphique réalisée par l’illustrateur.

Pourtant, quand il s’agit de reprendre l’histoire du petit chaperon rouge pour la réécrire

sur un mode détourné ou parodique, au conte de Perrault est préféré celui des frères Grimm.

Perrault serait-il une référence culturelle obligée, mais trop sacralisée pour que les auteurs

s’accordassent le privilège de s’y attaquer ? Il nous semble qu’Anne-Marie Garat se trompe

lorsque, dans Une faim de loup, elle affirme que « c’est bien du texte de Perrault que s’inspirent

la plupart des contes postérieurs » et que son Petit Chaperon rouge « sert de référence2 ». La

référence pour les réécritures de littérature pour la jeunesse est plutôt le texte des frères Grimm.

Ainsi, parmi les textes de notre corpus, nous n’avons trouvé aucun ouvrage reprenant le

dénouement malheureux du conte de Perrault. Dans la plupart des explicits des textes

contemporains que nous avons étudiés, l’histoire se termine bien pour la fillette au capuchon qui

a la vie sauve, soit parce qu’elle a échappé d’elle-même au loup, soit parce qu’elle a bénéficié de

l’apparition salvatrice et plus ou moins cohérente d’un autre personnage. En exemple, nous

pouvons citer Le Petit Chaperon rouge de Joël Pommerat3 : dans cette réécriture dramatique du

conte, l’issue promet d’être fatale pour la fillette piégée par le loup. À l’avant-dernière page du

livre, l’auteur semble vouloir achever son récit d’une façon aussi elliptique que dans le conte de

Perrault et fait dire à « L’homme qui raconte » cette rapide et terrible conclusion :

Et sur ces mots le loup mangea avec appétit la petite fille,

Ce qui est un peu triste mais qui est la réalité4.

On croit ici l’histoire terminée. Mais le récit se poursuit et, en un petit paragraphe, la

résurrection de la fillette et de la grand-mère est assurée : un homme pense à assommer le loup

et à lui ouvrir le ventre. Bonne idée, puisque « par chance la grand-mère et la petite fille

n’étaient pas encore mortes et elles purent ainsi être sauvées. » Pour clore sa pièce, Joël

Pommerat a préféré le happy end des Grimm, comme si celui-ci était un passage obligé pour les

enfants d’aujourd’hui.

On ne retrouve dans les textes contemporains aucun des motifs essentiels caractérisant la

1 Par exemple, l’album Le Petit Chaperon rouge illustré par Georg Hallensleben (Paris, Gallimard, « La Clé des

contes », 2006) ou celui illustré par Maud Riemann (Mont-près-Chambord, Bilboquet, 2006). 2 Anne-Marie Garat, Une faim de loup, op. cit., p.18.

3 Joël Pommerat / Marjolaine Leray (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Arles, Actes Sud-Papiers, « Heyoka

Jeunesse », 2005. 4 Ibid., p. 43.

35

version de Perrault : aucune fin tragique baissant le rideau sur le crime du loup ; pas non plus de

scène érotico-fantasmée de la fillette nue dans le lit du loup/grand-mère ; pas même de formule

tarabiscotée reproduisant le fameux « Tire la chevillette, la bobinette cherra ». Sans doute le

récit de Perrault paraît-il trop violent, et la fin malheureuse est-elle rejetée car elle laisse l’enfant

face à ses peurs, ne lui permettant pas de faire retomber ses angoisses. La vision moderne de

l’enfance est celle d’un monde à protéger et à maintenir loin des injustices et des violences. En

ce sens, les Grimm, qui ont eu le souci de préserver l’enfant, sont plus modernes que Perrault.

En effet, le conte de Perrault finit trop brutalement pour permettre à l’enfant de garder l’espoir.

Bettelheim critique pour cette raison la version de Perrault :

Le conte est ainsi privé de la délivrance, de la guérison, et du réconfort ; ce n’est pas un conte de fées

(et ça ne l’était pas dans l’esprit de Perrault), mais une histoire de mise en garde qui menace

délibérément l’enfant avec une conclusion qui le laisse sur son angoisse1.

Par conséquent, parce qu’il paraît s’adresser plus spécifiquement à l’enfant tel que la

société d’aujourd’hui le conçoit, le texte des Grimm est l’hypotexte préféré des auteurs

contemporains.

2) Un exemple de reprise : Tony Ross

Pour illustrer notre thèse, nous avons choisi d’étudier un texte récent proche de la trame

originelle du conte, et de montrer qu’il reprend plus volontiers des motifs et des scènes de la

version des Grimm que de celle de Perrault. Il s’agit du Petit Chaperon rouge de Tony Ross,

publié en 1980 chez Gallimard2. Ce texte ne semble actuellement plus édité et pour en faciliter

la lecture, nous l’avons reproduit dans l’annexe 2. Hélas, nous n’avons pu reprendre toutes les

illustrations réalisées par Tony Ross, ce qui ne rend pas toute la richesse de l’album.

Le récit de Tony Ross est proche de la version des frères Grimm : le petit chaperon rouge

va dans la forêt chez sa grand-mère, rencontre le loup qui court à la maison de l’aïeule pour la

dévorer avant d’avaler la fillette. Comme chez les Grimm, la petite fille est sauvée grâce à

l’intervention d’un bûcheron Ŕ ici, le père de la fillette. Pour comparer précisément le récit de

Tony Ross avec les versions classiques, nous avons utilisé la méthode d’analyse de Christian

Vandendorpe et établi un tableau (voir page suivante)3. Nous avons placé un signe positif face

aux éléments qui se trouvaient chez Perrault ou Grimm, et un signe négatif devant les éléments

du texte de Ross absents des versions classiques.

1 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, op. cit., p. 252, note.

2 Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit de l’anglais par Mary-Raymond Farré,

Paris, Gallimard, « Folio Benjamin », 1980. 3 Christian Vandendorpe, « D’un conte à sa parodie : Le Petit Chaperon rouge de Jacques Ferron », in : Croire à

l'écriture, op. cit. Voir p. 8-9 du document consultable sur Internet.

36

Tableau II : Comparaison du Petit Chaperon rouge de Tony Ross

avec les récits de Perrault et Grimm

TONY ROSS PERRAULT GRIMM

Exposition

Présentation de la fillette et son père (la hachette).

Motivation du nom (don de la grand-mère).

Ŕ

+

Ŕ

+

Mandat

Porter tartes, chocolats et bière.

(+)

(+)

Rencontre du loup

Le PCR ne sait pas qu’il s’agit du loup.

Elle le prend pour un chien et le taquine.

Interrogation du PCR par le loup.

Le loup invite le PCR à se reposer.

Ŕ

Ŕ

+

Ŕ

+

Ŕ

+

Ŕ

Distraction du PCR

Le loup propose au PCR de prendre son temps.

Le PCR cueille des fleurs (guirlandes).

Plan du loup : avoir la grand-mère et le PCR…

… et avoir les tartes en dessert.

Ŕ

+

Ŕ

Ŕ

+

+

+

Ŕ

Arrivée du loup chez la vieille

Utilisation de la sonnette de la porte.

Imitation du PCR.

Dévoration de la vieille.

Travestissement du loup.

Installation dans le lit.

Ŕ

+

+

Ŕ

+

Ŕ

+

+

+

+

Arrivée du PCR

Le PCR sonne à la porte.

Allusion au manque de crédibilité du déguisement.

Le PCR détaille l’anatomie du loup (oreilles, yeux,

mains, bouche).

Dévoration du PCR par le loup.

Ŕ

Ŕ

+ [mais ordre

différent] +

Ŕ

+

+

+

Deuxième épisode

Le loup mange les tartes et le chocolat.

Sommeil du loup.

Arrivée du bûcheron.

L’homme assomme le loup.

Le PCR et la grand-mère sortent vivantes du loup.

Tout le monde bombarde le loup de projectiles.

Retour du PCR et de la grand-mère à la maison.

Départ du loup qui devient végétarien et jardinier.

Ŕ

Ŕ

Ŕ

Ŕ

Ŕ

Ŕ

Ŕ

Ŕ

Ŕ

+

+ [chasseur]

Ŕ [ouvre son

ventre] +

Ŕ

Ŕ

Ŕ

Cette mise en parallèle montre que Tony Ross emprunte davantage d’éléments du texte

des Grimm que de celui de Perrault. Comme chez Grimm, la fillette ignore que l’animal qu’elle

rencontre en chemin est un loup : chez Tony Ross, elle le prend même pour un « énorme

chien1 ». On retrouve également la délectation gourmande du loup qui, après sa rencontre avec

1 Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 12.

37

la fillette, conçoit un plan pour croquer d’abord la

grand-mère, puis le petit chaperon rouge ; sauf que,

chez Tony Ross, le loup prévoit également de prendre

pour dessert les mets apportés par la fillette (« les

tartes et les chocolats fondants1 »). Comme chez

Grimm, une fois qu’il a dévoré la grand-mère, le loup

se travestit en vieille dame (p. 20, reproduite ci-

contre), ce qui n’est pas clairement mentionné chez

Perrault malgré l’illustration de Gustave Doré. Chez

les frères Grimm, la fillette est d’abord méfiante

lorsqu’elle entre chez sa grand-mère : « Mon Dieu,

comme je suis craintive aujourd’hui ! », s’exclame-t-

elle. L’évocation de la bizarrerie du loup/grand-mère apparaît également chez Tony Ross, mais

elle se trouve plus dans le récit du narrateur que dans les pensées du personnage2. Enfin, c’est

surtout dans le dénouement que l’on retrouve la version des Grimm, avec l’arrivée du bûcheron

et l’ouverture du ventre du loup. Il n’y a pas, chez Tony Ross, de morale pédagogique concluant

explicitement l’histoire, comme chez Perrault. Plus largement, il manque dans le récit de Tony

Ross des caractéristiques de Perrault (l’allusion à la « chevillette » et le déshabillage de la

fillette), alors que certains motifs spécifiques du conte des Grimm sont repris.

Toutefois, Tony Ross enrichit considérablement le conte initial. En effet, l’auteur ajoute

des éléments de modernisation et de contextualisation qui permettent de rendre l’histoire plus

proche des enfants d’aujourd’hui : ainsi du téléviseur ou de la sonnette électrique. Ce qui

pourrait paraître étrange à l’enfant dans le récit originaire est justifié, comme pour anticiper les

questions des petits lecteurs. Ainsi, le narrateur explique assez longuement (durant sept pages)

l’expression « petit chaperon rouge » en mettant l’accent sur la couleur rouge : les bottes

(rouges), la cape (rouge), le vélo (rouge). Par rapport aux versions classiques, le petit chaperon

rouge gagne une biographie et même une famille, puisque le personnage du père est introduit

dans le texte et y joue un rôle essentiel. Les principaux apports du texte de Tony Ross sont les

marques d’humour omniprésentes qui dédramatisent les scènes effrayantes. Le loup ne fait pas

si peur et a un côté balourd, renforcé par les illustrations, qui lui donne un air plutôt ridicule. Le

dénouement est inattendu : le loup ne meurt pas, comme chez Grimm, mais choisit l’exil,

devient « végétarien », et, à l’instar du Candide voltairien, désormais « il cultive son jardin ».

1 Ibid., p. 10.

2 Cf. ibid., p. 22.

38

Par cet exemple que nous ne développerons pas plus, nous voyons donc que le texte

contemporain reprend des éléments du texte-source, et particulièrement de l’hypotexte que

constitue le conte des Grimm. Ces éléments de référence sont plus ou moins facilement

identifiables. Cependant, est-il justifié de découper ainsi le texte contemporain en voulant à tout

prix y chercher l’intertextualité sous-jacente ? Tony Ross s’est-il référé avec attention aux

contes classiques pour réécrire sa version ? En d’autres termes, y a-t-il forcément sous la

réécriture un texte référentiel explicitement identifiable ?

C) L’oubli des versions originelles : une réécriture du souvenir

1) L’héritage culturel

Joël Pommerat, dans une page intitulée « Biographie » ressemblant plutôt à une postface

à son Petit Chaperon rouge, explique les circonstances personnelles qui l’ont amené à réécrire

l’histoire du petit chaperon rouge. Désireux d’intéresser sa fille à son travail de metteur en

scène, il se souvint du récit que sa mère lui faisait, lorsqu’il était enfant, du long trajet qu’elle

devait parcourir pour aller à l’école : cette histoire d’une petite fille seule sur un chemin hostile

l’avait frappé, et il l’avait assimilée au conte du Petit Chaperon rouge qui l’avait « fasciné ».

« Je sais que cette histoire est aussi une partie de mon histoire », écrit J. Pommerat avant de

conclure : « Et je sais que cette histoire a contribué à définir aujourd’hui ce que je suis1. »

L’histoire du petit chaperon rouge est si marquante qu’elle s’est gravée durablement dans

l’inconscient des lecteurs devenus adultes. Claude de la Genardière parle de « travail psychique

du conte2 », comme jadis Freud a pu établir le concept de « travail du rêve ». Nous procéderions

à des réélaborations psychiques en laissant le conte mythique envahir notre mémoire et s’offrir

continuellement à notre imaginaire. Parce que le Petit Chaperon rouge est un conte qui nous a

été raconté enfant et qu’il a pu marquer notre développement psychique, nous ne l’oublions pas

une fois devenus adultes. Nous pouvons supposer que le souvenir, conscient ou inconscient, que

les auteurs en ont est, pour partie, ce qui suscite leur réécriture. Ils paraissent réécrire le texte

sans se reporter précisément à l’une ou l’autre version écrite, mais en convoquant le souvenir

qu’ils ont de la figure mythique du petit chaperon rouge. Ainsi, l’hypotexte sur lequel se greffe

le nouveau récit est moins le texte de la tradition littéraire qu’un souvenir plus ou moins fidèle à

un récit issu de l’enfance.

1 Joël Pommerat, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 45.

2 Claude de la Genardière, Encore un conte ?, op. cit., p. 10.

39

Pierre Péju montre qu’à la lecture des contes, nous remontons bien au-delà de « nos

souvenirs datables et authentiques », dans une mémoire « atemporelle, intempestive ». Les

contes puisent leur force dans la rêverie enfantine et

réaniment en nous une capacité de rebours et de retour, loin en arrière, dans la forêt profonde, vers les

puits de mine abandonnés, entre les blocs rocheux effrayants1.

Réécrire un conte, c’est se perdre dans cette « forêt » et partir à la recherche d’une image

merveilleuse de l’enfance. Dès lors, si ce souvenir, imprécis mais fort, préside à la réécriture, il

n’est pas toujours utile d’aller retrouver le texte original dans son détail : c’est le souvenir

transposé, incorporé, qui fait office d’hypotexte.

2) L’appropriation des textes et du souvenir

Claude de la Genardière a mis l’accent sur la liberté, parfois débridée et savoureuse, dont

font preuve les auteurs contemporains lorsqu’ils proposent des

variations qui ne sont ni des lectures interprétatives données comme telles, ni des adaptations directes

de versions connues, mais de nouveaux contes brassant ce que les mémoires ont engrangé de lectures

enfantines et de lectures d’adultes et de parents2.

Perrault, Grimm, le tout sublimé par le souvenir de l’enfance : le conte réécrit mélange avec

créativité ses sources pour aboutir à un nouveau texte original et personnel. On peut aller

jusqu’à supposer que les enfants qui, aujourd’hui, grandissent en écoutant les versions

contemporaines du conte, s’inspireront d’avantage de l’hypertexte que du conte originel si, une

fois adultes, ils deviennent à leur tour auteurs de contes. Ainsi, les scénaristes américains du

récent film d’animation La Véritable Histoire du Petit Chaperon rouge3 pourraient bien avoir

été inspirés par l’album de Tony Ross, écrit près de vingt-cinq ans plus tôt. On retrouve en effet

dans le film l’image d’un petit chaperon livreur de gâteaux qui se déplace à bicyclette, comme

dans l’ouvrage de Ross. Simple coïncidence, ou bien les textes

parodiques peuvent-ils devenir eux aussi support de parodie ?

La version que Benjamin Lacombe a donnée du Petit

Chaperon rouge4 mêle ainsi les sources. Les dessins sont de

facture plutôt classique, fortement marqués par des crayonnés

mis en couleur. Des informations paratextuelles viennent

confirmer l’influence de l’héritage traditionnel. Sur le plat 1, on

lit sous le titre la mention « Raconté et illustré par Benjamin

1 Piere Péju, La Petite fille dans la forêt des contes, op. cit., p. 113-114.

2 Claude de la Genardière, Encore un conte ?, op. cit., p. 165.

3 La Véritable Histoire du Petit chaperon rouge [Hoodwinked], réalisé par Todd Edwards, Tony Leech, Cory

Edwards, 2006. 4 Benjamin Lacombe, Le Petit Chaperon rouge, Toulon, Le Soleil Jeunesse, 2003.

40

Lacombe », sans qu’il soit fait référence au texte de référence. Mais sur la page de titre, sous le

titre, le nom de l’auteur et une petite illustration du loup et de la fillette, est indiquée entre

parenthèse la référence à la version originelle : « d’après un texte original de Charles Perrault ».

Sur la page 2, l’allusion au texte fondateur se confirme puisque parmi, les dédicaces

personnelles, on lit :

En page 37, un hommage à l’un des plus grands, Gustave Doré.

Page 37 de l’album, est reproduite la célèbre gravure de l’illustrateur des Contes de Perrault

(celle qui se trouve en ouverture de notre partie I) : l’image retranscrit avec fidélité la scène du

loup à la coiffe en compagnie de la fillette effrayée, en y ajoutant toutefois la couleur et en

imprimant sur le visage de la petite fille un air plus dur, plus adulte.

À la lecture du texte de l’album, la référence à Perrault est très présente. Quelques

phrases sont reprises du texte original. Pourtant, certains passages sont également entièrement

réécrits et des éléments sont ajoutés (le métier de la mère, lavandière ; l’attirance de la fillette

pour l’élément forestier...). À certains moments de l’album, il semble que l’auteur ait voulu

transmettre la version originale de Perrault, mais à d’autres moments il se l’est tant appropriée

que le texte-source paraît oublié. Une tension entre respect du texte d’origine et rupture anime

l’album. De plus, le texte de Perrault n’est pas le seul hypotexte identifiable. L’avertissement

maternel au début du récit (« Ne t’écarte pas du chemin et prends bien garde au loup ! »)

rappelle fortement la version des Grimm, ainsi que le dénouement qui fait intervenir un

« valeureux bûcheron ». L’album de Benjamin Lacombe semble donc constitué à partir d’un

palimpseste sur lequel les différentes versions du conte ont été écrites, effacées, puis convoquées

à nouveau à partir du souvenir originel. Gérard Genette, évoque, par la comparaison avec le

palimpseste, la « duplicité d’objet, dans l’ordre des relations textuelles » : on y voit en effet

sur le même parchemin, un texte se superposer à un autre qu’il ne dissimule pas tout à fait, mais qu’il

laisse voir par transparence1.

Benjamin Lacombe a fait sa propre lecture « palimpsestueuse2 » du conte et a écrit son petit

chaperon rouge avec tous les petits chaperons rouges qui dormaient en lui, en lui donnant un

visage qui correspondait à ses souvenirs.

La réécriture appelle ici une « lecture-partage3 » qui s’inscrit dans la mémoire collective

et suppose la communion des références intertextuelles. Elle participe à une « lecture affective »

fondée sur le souvenir commun de l’auteur et du lecteur.

1 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 556.

2 Ibid., p. 557. Gérard Genette emprunte le néologisme à Philippe Lejeune.

3 Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité [2001], Paris, Armand Colin, « 128 », 2005, p. 93.

41

En conclusion, les réécritures contemporaines du Petit Chaperon rouge se greffent sur

les versions originelles du conte. Mais la mémoire émue de l’enfance vient recouvrir les textes-

sources, à tel point que les chaperons rouges modernes sont autant issus de l’héritage classique

que de sa recréation personnelle et intime dans le souvenir particulier de l’auteur.

Nous avons donc analysé les façons dont les textes contemporains se constituaient dans

l’horizon de leurs textes-sources. Après avoir envisagé les origines du petit chaperon rouge et le

réinvestissement des versions historiques dans les contes modernes, portons maintenant un

regard plus large sur l’actualité des chaperons rouges. À quoi ressemblent les petits chaperons

rouges d’aujourd’hui et quels clins d’œil viennent-ils faire à leurs aînés ?

III) L’actualité des petits chaperons rouges

Pour clore notre première partie consacrée à l’étude diachronique des petits chaperons

rouges, nous souhaitons faire un point sur la variété des chaperons actuels, afin de montrer que

le chaperon rouge continue d’être un personnage moderne auquel auteurs et lecteurs se réfèrent.

En dressant un rapide portrait des petits chaperons rouges actuels, en nous attachant

particulièrement à l’offre éditoriale d’aujourd’hui, nous allons voir que c’est toujours par

référence à l’image mythique du conte originel que les réécritures se constituent.

A) État des lieux de l’offre éditoriale

1) Les anciens côtoient les modernes : le cas du loup

Les contes occupent une place majeure dans l’édition pour la jeunesse. Elle se justifie en

particulier par la volonté des adultes prescripteurs (parents, enseignants, voire éditeurs) de

transmettre aux nouvelles générations les contes qui ont marqué leur enfance.

Observons quelques collections dans lesquelles des éditeurs ont classé les contes pour

enfants. La collection, élément essentiel du péritexte éditorial, permet de guider le lecteur et

d’assurer une pré-catégorisation des ouvrages. « Redoublement du label éditorial », la collection

« indique immédiatement au lecteur potentiel à quel type, sinon à quel genre d’ouvrage il a

affaire1 ».

Dans les catalogues des éditeurs, deux grandes familles de contes constituent le secteur

traditionnel : d’une part, les contes folkloriques, issus de traditions régionales ou propres à un

1 Gérard Genette, Seuils [1987], Paris, Le Seuil, « Points Essais », 2002, p. 27.

42

pays, et, d’autre part, les contes d’auteurs, dont les noms sont aujourd’hui nécessairement

associés au genre du conte (Perrault, Grimm, Afanassiev, Andersen, Mme d’Aulnoy ou Mme

Leprince de Beaumont, pour ne citer que les plus connus). Un troisième type de catégorie

renvoie aux contes thématisés. Les éditeurs rassemblent dans un même ouvrage des histoires qui

traitent d’un même thème : sont réunis alors des contes folkloriques, des contes d’auteurs, et

parfois également des contes écrits spécialement pour l’occasion. Bayard Jeunesse a ainsi édité

Le Grand Méchant Livre du loup1, un recueil thématique de contes, comptines et jeux, autour de

l’inquiétant personnage du loup : on y lit l’histoire du chaperon rouge, la fable du « Loup et

l’Agneau » ou encore l’aventure de la chèvre de M. Seguin.

Ces distinctions se retrouvent chez la plupart des éditeurs pour la jeunesse. Ainsi, sur le

site Internet des éditions Milan qui ont mis en ligne leur catalogue2, on trouve les contes classés

dans deux catégories. Dans la rubrique « albums classiques » sont annoncés les recueils de

contes traditionnels (par exemple Les Plus Beaux Contes classiques réunissant Perrault, Grimm

et Joseph Jacob), des contes bien connus (comme Peau d’âne) ou encore des textes classiques

de la littérature française (Le Roman de Renart) ou étrangère (Moby Dick). Sous la rubrique

« contes », on trouve des recueils de contes classés par origine géographique (Québec, Chine,

Catalogne...), des histoires regroupées par thèmes (cow-boys et Indiens, fantômes, fées et

elfes...), et des anthologies diachroniques (la collection « Mille ans de contes »). De la même

façon, chez Gallimard, la collection « La Clé des contes » édite dans de belles mises en page « la

version intégrale et authentique des plus grands contes, avec de magnifiques images, pour les

lecteurs d’aujourd’hui3 ». On peut lire dans cette collection la version de Charles Perrault du

Petit Chaperon rouge, illustrée par Georg Hallensleben4. L’argumentaire qui présente cet album

certifie que ce texte est un « grand classique », mettant en avant le caractère traditionnel de ce

conte.

Parmi ces contes qui donnent une place d’honneur aux Anciens et à la tradition, où

classer nos contes modernes ? Il semble qu’ils aient leur place dans des collections de poche,

plutôt que dans des collections luxueuses valorisant le côté matériel du livre. Ainsi, Le Petit

Chaperon rouge de Tony Ross peut être lu dans la collection « Folio Benjamin » Ŕ collection

que l’éditeur, qui ne semble pas se soucier des paradoxes, présente comme « classique et

nouvelle à la fois ». Les éditions Milan ont fait paraître quelques récits reprenant, plus ou moins

explicitement, le conte du Petit Chaperon rouge, mais ces récits n’ont pas été classés à côté des

1 Le Grand Méchant Livre du loup, Paris, Bayard Jeunesse, 2003. L’album est vendu avec un masque de loup à

découper ! 2 <www.editionsmilan.com/>.

3 <www.gallimard-jeunesse.fr>.

4 Charles Perrault / Georg Hallensleben (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris, Gallimard, « La Clé des contes »,

2006.

43

contes traditionnels. Ainsi du Grand Gentil Loup de Marc Cantin1, dans la collection de poche

« Milan Poche Benjamin » : ce petit livre inverse parodiquement les rôles des personnages

traditionnels et invente un loup « doux comme un agneau » portant un chapeau rouge, et une

fillette nommée Ange mais qui « n’a rien d’un ange » et qui serait plutôt « une peste, une teigne,

une dure à cuire2 ». La petite fille tend une série de pièges au loup, attachant entre deux arbres

un élastique ou répandant sur son chemin des punaises. Malgré sa gentillesse, le loup, à force

d’être malmené par Ange, pourrait bien avoir l’idée de se venger de ces mauvaises blagues. On

trouve également dans la même collection Un amour de loup d’Agnès de Lestrade3 où, là aussi,

le personnage du loup est construit par décalage parodique avec la figure attendue du conte

classique : le loup aurait volontiers mangé Mamie Jojo, mais, par un concours de circonstances,

il ne cesse de lui sauver la vie, si bien qu’il finit par s’attacher tant à la vieille dame qu’il

renonce à la dévorer et décide de vivre avec elle « comme une vraie famille4 ». Dans ces deux

petits romans, le lien avec le conte traditionnel n’est marqué ni dans le choix de la collection, ni

dans les éléments du péritexte éditorial, puisque les allusions au conte du Petit Chaperon rouge

ne sont mis en avant ni dans le texte de présentation du plat 4, ni dans l’illustration de

couverture.

Éditorialement, les contes détournés sont souvent séparés des contes traditionnels et

réservés à des collections modernes, facilement maniables, plutôt qu’à de beaux livres,

valorisant le texte classique par un esthétisme recherché et une fabrication particulièrement

soignée. Cela laisserait entendre qu’on ne lit pas les réécritures du conte comme on lirait le

conte classique : en lisant les premières, le lecteur chercherait d’abord l’amusement, tandis qu’à

la lecture du second, il aurait plaisir à admirer le livre régulièrement relu et suscitant le respect.

Cette hypothèse est cependant à nuancer. Tout d’abord, parce qu’on trouve des réécritures du

Petit Chaperon rouge éditées dans de magnifiques albums, généralement coûteux5. Ensuite,

parce que le choix des collections correspond à des critères d’âge. Si les contes détournés

paraissent en collection de poche, c’est aussi généralement parce qu’ils s’adressent à des

lecteurs plus âgés que ceux qui découvrent les contes classiques et qui, déjà, « aiment déjà lire

tout seuls », selon la formule des quatrièmes de couverture de la collection Mouche de L’école

des loisirs.

1 Marc Cantin / Hervé Le Goff (illus.), Le Grand Gentil loup, Toulouse, Milan, « Milan Poche », 2002.

2 Ibid., p. 4.

3 Agnès de Lestrade / Christian Guibbaud (illus.), Un amour de loup, Toulouse, Milan, « Milan Poche », 2006.

4 Ibid., p. 22.

5 Par exemple, la version de Claude Clément et Isabelle Forestier : Un petit chaperon rouge, paru chez Grasset

Jeunesse en 2000. Notons également que plusieurs albums édités dans la collection « Lutin Poche » de L’école des

loisirs sont initialement parus en grand format.

44

Toutefois, il est indéniable que le classement des contes reste difficile. Nous avons pu

constater ce flottement dans le classement de la bibliothèque parisienne « L’heure joyeuse », que

nous avons régulièrement fréquentée pour nos recherches. En apparence, la recherche pour nos

lectures semblait simple, puisque les bibliothécaires ont regroupé les contes classiques dans le

rayon « Contes », en classant les titres par le nom de leur auteur, c’est-à-dire soit à la côte

« PER » pour les versions illustrées du conte de Perrault, soit à la côte « GRI » pour celles des

Grimm. Une troisième côte (« PET ») réunit les ouvrages présentant d’autres versions du Petit

Chaperon rouge, notamment des réécritures contemporaines. Cependant, ces catégories sont

imparfaites. Par exemple, nous trouvons l’album illustré du texte des Grimm par Frédérick

Mansot1 sous la côte « PET », au lieu de « GRI », alors que le texte classique est pourtant

respecté et n’a pas été remanié. Par ailleurs, une bonne partie des ouvrages reprenant le type du

petit chaperon rouge est classée hors de la catégorie des contes, soit parmi les romans, soit dans

la petite salle réservée aux albums. Cela tient au fait que plusieurs parodies du petit chaperon

rouge ne sont pas des contes. Cela révèle également l’autonomie gagnée par ces réécritures

contemporaines qui se présentent comme détachées de la version classique qui les a inspirées.

Par conséquent, au sein de l’offre éditoriale, les réécritures du petit chaperon rouge

appartiennent à un secteur distinct des contes traditionnels et le lien avec les œuvres de

références tend à s’effacer quand il s’agit de faire connaître les contes renouvelés. Jean Perrot

met ainsi l’accent sur l’émancipation des contes modernes par rapport à leurs origines :

Comme le soulignait Marc Soriano, ces « textes sans textes » et, pour le grand public, « sans auteur »,

sont devenus si actifs dans l’imaginaire collectif qu’ils ont conquis une certaine autonomie et,

pourrait-on dire, sont amenés à une politique d’annexion2.

Cette indétermination dans le classement des contes nous amène à regarder plus

précisément la variété des réécritures : toutes les remotivations du Petit Chaperon rouge ne sont

pas à mettre sur le même plan.

2) Les différents types de réécritures : de l’adaptation à la réappropriation

Nous pouvons noter une gradation dans la réécriture. Le nombre d’éléments repris à

l’identique ou au contraire travestis révèle l’écart établi par rapport aux versions originales et

justifie les catégories de classement relevées ci-dessus. Pour certains textes, il s’agit simplement

de faire mieux correspondre le conte original aux enfants d’aujourd’hui, alors que d’autres

ouvrages se présentent comme des récits différents qui ne reprennent qu’un élément mineur de

1 Jacob et Wilhelm Grimm / Frédérik Mansot (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris, Magnard, 2003.

2 Jean Perrot, Art baroque, art d’enfance, Nancy, Presses universitaire de Nancy, 1991, p. 172.

45

la version classique. Comment regrouper cette variété des textes accessibles dans l’édition pour

la jeunesse ?

Plusieurs ouvrages sont des adaptations des textes classiques. « Adapter, c’est réécrire

dans l’objectif de se mettre à la portée d’un public ciblé », explique Christiane Pintado1.

L’adaptation peut se faire par le biais du texte : celui-ci est rendu plus accessible grâce à un

changement de registre lexical ou à la simplification des formules grammaticales. Dans ce cas,

la réécriture n’est pas toujours explicite, et une formulation ambiguë du type « d’après Perrault »

est utilisée en guise de nom d’auteur. L’adaptation peut être réalisée également par le biais de

l’illustration. Ainsi, Sarah Moon2 a été la première à utiliser la photographie pour rendre compte

de l’univers de Perrault. Dans des photographies en noir et blanc mettant en scène un monde

urbain souvent lugubre, l’artiste a su jouer des clairs-obscurs et des ombres pour transcrire

l’univers inquiétant mais aussi fascinant du conte. Nous avons choisi de mettre de côté l’étude

de ces adaptations pour limiter notre sujet aux adaptations textuelles.

Pour les plus jeunes enfants, on trouve également de nombreux petits livres qui sont

moins des textes que des jouets. L’histoire du chaperon rouge est alors revisitée dans de petits

livres cartonnés qui servent de support à des activités sollicitant d’autres sens que la vue. Dans

Le Petit Chaperon rouge de Christian Guibbaud3, l’enfant est convié à entrer dans l’histoire par

le toucher : sur une page, il peut caresser le chapeau de la fillette qui se présente dans un tissu

satiné, avec un petit coussinet en relief ; sur une autre page, le lecteur peut ouvrir une petite

porte cartonnée lorsque le chaperon rouge entre lui-même chez sa grand-mère. Des systèmes de

« pop-up » ou de petites billes intégrées au carton font apparaître la tête du loup en trois

dimensions. Dans Mère-Grand de Corinne Chalmeau4, l’enfant peut insérer ses doigts dans les

trous des pages cartonnées : il est ainsi invité à mimer lui-même le conte, ses doigts devenant le

nez, les oreilles, puis les dents du méchant loup. C’est une façon d’attirer l’attention de l’enfant

et de l’aider à prendre possession du conte, même s’il est encore très jeune. Dans cette catégorie,

nous pouvons également ranger les versions musicales du Petit Chaperon rouge, comme celle

de Vincent Malone qui propose en écoute au petit lecteur un « chaperon de [sa] couleur »5. Ces

transpositions musicales ne sont pas nouvelles : vingt ans plus tôt, le loup du Petit Chaperon

rouge, par la voix d’Eddy Mitchell, réhabilitait sa cause dans une chanson du conte musical de

1 « Cochon, cochon et cie. Les avatars du conte Les trois petits cochons dans la littérature de jeunesse

contemporaine », in : Nous voulons lire !, n°158, février 2005, p. 10. 2 Charles Perrault / Sarah Moon (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris, Grasset, « Monsieur chat », 1983.

3 Christian Guibbaud, Le Petit Chaperon rouge, Toulouse, Milan, « Une histoire à toucher », 2007.

4 Corinne Chalmeau, Mère-Grand, Paris, Albin Michel Jeunesse, « Mon petit doigt m’a dit », 2000.

5 Grimm / Vincent Malone / Jean-Louis Cornalba / Chloé Sadoun, Le Petit Chaperon de ta couleur, Paris, Le Seuil

Jeunesse / Naïve, 2002.

46

Philippe Chatel, Émilie Jolie1. Dans ces livres-jouets, les personnages du conte sont réinvestis et

animés grâce au changement de supports et à la mobilisation d’autres systèmes sensitifs du

jeune lecteur. Nous mettrons là aussi de côté ces modes de réécritures qui ressemblent plus à des

jouets d’éveil qu’à des livres2.

Une autre manière de réécrire le conte est d’en offrir une transposition, qui peut être

construite sur le mode ludique. Il s’agit de réécrire le conte par décalage et détournement

parodiques. La trame narrative originale et les personnages de référence sont métamorphosés

grâce à l’inversion de leurs rôles ; le texte-source est ironiquement métamorphosé et les effets de

décalages par rapport aux modèles sont sources d’humour. Nous développerons dans notre

deuxième partie ce mode d’écriture originale en étudiant précisément la façon dont les

transpositions se mettent en place.

Enfin, un autre mode de remotivation du conte est la réappropriation. L’écrivain s’inspire

du texte patrimonial pour créer une œuvre personnelle. Il s’agit d’écrire une histoire nouvelle

qui fait seulement allusion au texte-source. Des personnages du texte nouveau rencontrent par

exemple les personnages du conte originel. Cette rencontre peut être directe, comme dans Le

Petit Buveur d’encre rouge3 où les héros parviennent à être aspirés dans le conte, grâce aux

pouvoirs magiques de l’oncle « Draculivre ». Mais la rencontre peut être également indirecte,

comme dans Loup-Rouge et Lili chaperon rouge4, où le louveteau rouge, personnage principal

d’une série de Domitille de Pressensé, se lie d’amitié avec la petite Lili, fillette déguisée en

chaperon rouge qui va à un goûter d’anniversaire. Le stéréotype du chaperon rouge est réinvesti,

et il sert de base à une histoire nouvelle. C’est le cas par exemple des personnages féminins qui

portent des chaperons d’autres couleurs. Nous étudierons également dans notre deuxième partie

les modalités de cette réappropriation constitutive d’une réécriture créative.

Ce rapide état des lieux de l’offre éditoriale actuelle montre combien est grande la

variété des réécritures qui constituent des œuvres originales établissant un rapport variable aux

textes-sources. Voyons désormais comment la relation avec le texte classique est établie avant

l’entrée dans l’œuvre nouvelle : comment le paratexte construit-il une attente spécifique ?

1 « J’ai jamais vraiment mangé le petit chaperon rouge / Ça c’est des histoires qu’on raconte au fond des bouges /

Ce petit enfant blond était loin d’être bête / Et n’a jamais tiré cette putain de chevillette ! » (« Chanson du loup »,

Émilie Jolie, Philippe Chatel, 1979). 2 Nous avons toutefois indiqué quelques titres de « livres-jouets » dans notre bibliographie complémentaire.

3 Éric Sanvoisin / Martin Matje (illus.), Le Petit Buveur d’encre rouge, Paris, Nathan, « Nathan Poche », 2006.

4 Domitille de Pressensé, Loup-rouge et Lili chaperon rouge, Paris, Pocket, 1998.

47

B) La constitution de l’effet d’attente par le paratexte

Les textes actuels réinvestissant le Petit Chaperon rouge se fondent le plus souvent dans

le contrat de lecture implicite qui lie le lecteur à l’œuvre originale. Avant d’entrer dans la

lecture, le lecteur a déjà des indices paratextuels qui lui permettent d’identifier le texte qu’il va

découvrir comme une réécriture du conte-source bien connu. Généralement, l’hypotexte est

présent, sous une forme ou une autre, dans les éléments paratextuels qui accompagnent le livre.

Ces éléments orientent donc nécessairement la lecture.

Comme l’a montré Gérard Genette, un texte ne se présente jamais sans

le renfort et l’accompagnement d’un certain nombre de productions, elles-mêmes verbales ou non,

comme un nom d’auteur, un titre, une préface, des illustrations1.

Ces indications annexes permettent de « présenter » l’œuvre littéraire : au sens propre, elles ont

pour rôle de la « rendre présente ». Le paratexte, c’est-à-dire tout le discours qui accompagne le

texte, établit un contrat de lecture avec le lecteur et construit un « horizon d’attente ». Il apparaît

comme un « seuil », un « “vestibule” qui offre à tout un chacun la possibilité d’entrer, ou de

rebrousser chemin », et est au service « d’un meilleur accueil du texte et d’une lecture plus

pertinente2 ». Nous observerons plus précisément le « péritexte », c’est-à-dire tout ce qui se situe

« autour du texte, dans l’espace du même volume, comme le titre ou la préface3 », et

envisagerons ici le péritexte auctorial et non pas éditorial.

Dans les ouvrages de notre corpus, en quoi les indications du paratexte permettent-elles

d’inscrire le motif du chaperon rouge dans le champ des possibles du texte ?

1) Les titres

Le premier rôle d’un titre est d’identifier un ouvrage : il sert à « le désigner aussi

précisément que possible et sans trop de risques de confusion4 ». Il a aussi une fonction

descriptive évidente, puisqu’il permet de donner des renseignements sur le contenu de

l’ouvrage. Mais il a également une fonction de séduction : loin d’annoncer avec précision, il

excite la curiosité et éveille l’intérêt, ou, dans une perspective mercantile, suscite le désir

d’achat. Les titres de notre corpus jouent sur cette double tension : poser l’attente du lecteur ou

éveiller sa curiosité.

Un bon nombre d’ouvrages reproduisent le titre original et son aspect « thématique ».

Les titres désignent alors le contenu de l’ouvrage et renvoient au sujet central Ŕ ici, le petit

1 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 7.

2 Ibid., p. 8.

3 Ibid., p. 11.

4 Ibid., p. 83.

48

chaperon rouge. Le Petit Chaperon rouge est en effet un « titre littéral1 » qui désigne « sans

détour » l’objet essentiel du conte, en mettant en avant le personnage principal, ou du moins en

appelant le lecteur à concentrer son attention sur le personnage enfantin. On trouvera ainsi dans

notre bibliographie une quantité de Petit Chaperon rouge : le titre du conte classique est repris

sans modification chez Joël Pommerat, Tony Ross et Anna Laura Cantone2. Le lecteur pense

trouver dans le livre l’histoire authentique du Petit Chaperon rouge. Cette attente ne sera

généralement pas précisément respectée, puisque, dans les trois exemples cités ici, nous lisons

des versions transposées du conte. Dans ce cas, le titre met le lecteur en confiance : celui-ci croit

savoir d’avance ce qu’il va lire. Mais le texte, lui, déjouera le pacte de lecture initialement et

implicitement conclu. Le décalage entre l’effet d’attente construit par le titre et l’originalité du

texte réel crée une surprise retardée au moment de la lecture proprement dite.

D’autres titres, au contraire, cherchent à éveiller les soupçons du lecteur. Cette catégorie

d’ouvrages porte des titres convoquant le nom du petit chaperon rouge, mais le complétant par

un ou plusieurs termes indiquant qu’on va lire une transposition du conte-source. Ainsi,

l’entreprise de modernisation est clairement présentée dès le titre de l’ouvrage de Carmen

Martin Gaite : Le Petit Chaperon rouge à Manhattan3. Dans d’autres cas, l’ajout d’un vocable

laisse entendre qu’il va s’agir d’une version particulière du conte, mais sur un mode encore

énigmatique. C’est le cas avec le titre de la pièce de théâtre de Jean-Claude Grumberg, Le Petit

Chaperon Uf4 : impossible de savoir ce qu’est un « Uf » lorsqu’on n’a pas encore lu l’ouvrage.

Enfin, dans d’autres titres, un élément grammatical vient explicitement présenter le texte comme

une interprétation personnelle du conte : Anne Ikhlef annonce ainsi qu’elle va nous transmettre

« son » petit chaperon rouge5.

D’autres textes de notre corpus sont présentés dans des recueils de contes. Les titres sont

alors « rhématiques », selon l’expression de Genette6, c’est-à-dire qu’ils désignent la forme du

texte. Dans tous les cas, l’anthologie est mentionnée d’emblée comme un ensemble d’histoires

venant contrecarrer la tradition : Moissard et Dumas la prennent dans un sens inversé dans leurs

Contes à l’envers7, Yak Rivais joue lui aussi sur l’idée d’une image anamorphosée des contes

classiques (Les Contes du miroir8), et Dahl nous annonce mystérieusement qu’un « conte peut

1 Ibid., p. 85-89.

2 Anna Laura Cantone, Le Petit Chaperon rouge [Cappuccetto rosso], traduit de l’italien par Dominique Mathieur,

Paris, Flammarion, 2001. 3 Carmen Martin Gaite, Le Petit Chaperon rouge à Manhattan [Caperucita en Manhattan], traduit de l’espagnol par

Mireille Duprat-Debenne, Paris, Flammarion, « Castor Poche », 1998. 4 Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, Arles, Actes Sud-Papiers, « Heyoka

Jeunesse », 2005. 5 Anne Ikhlef / Alain Gauthier (illus.), Mon petit chaperon rouge, op. cit.

6 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 89-93.

7 Philippe Dumas / Boris Moissard, Contes à l’envers [1980], Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2005.

8 Yak Rivais, Les Contes du miroir [1988], Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2004.

49

en cacher un autre1 » (Revolting Rhymes déclare le titre original). D’autres titres rappellent la

source historique, tout en ajoutant un élément de connotation surprenant. Gérard Moncomble

nous prévient qu’il va mener une sorte de lutte contre l’auteur de référence dans son titre

Romain Gallo contre Charles Perrault2. Quant à Pierre Gripari, il laisse entendre, dans

Patrouille du conte3, qu’il va dépêcher une troupe armée dans l’univers du conte. Dans tous ces

exemples, le titre affiche donc l’idée d’un renversement et d’un détournement.

Enfin, dans certains cas, le titre ne semble n’avoir aucun rapport avec le petit chaperon

rouge. L’attente est alors déjouée. Ainsi, dans Mina je t’aime4, le lecteur peut s’attendre à lire

une histoire sentimentale, mais certainement pas une réécriture du Petit Chaperon rouge. Quant

à Yvan Pommaux, il annonce comme héros de son album un personnage qui ne se trouve pas

dans le conte original : John Chatterton détective5. Ce n’est qu’au fur et à mesure de la lecture

que le lien avec le petit chaperon rouge va se faire : un effet de surprise est donc ménagé.

On voit donc que les réécritures du Petit Chaperon rouge ne se présentent pas

nécessairement comme telles. Le choix du titre et sa référence ou non au texte-source ne sont

pas innocents : l’écrivain joue, ou au contraire déjoue, l’attente de son lecteur.

2) Les dédicaces

La « dédicace d’œuvre » consiste à « faire l’hommage d’une œuvre à une personne, à un

groupe réel ou idéal, ou à quelque entité d’un autre ordre6 ». Autrefois marquée par une forte

valeur sociale (l’éloge à un homme influent valait pour un hommage rémunéré), elle n’est plus

aujourd’hui systématique et a pour fonction d’afficher une relation entre l’auteur et la ou les

personnes à qui il offre son texte.

Le dédicataire est souvent « privé » : l’œuvre est alors « dédiée au nom d’une relation

personnelle Ŕ amicale, familiale ou autre7 ». Le lecteur, qui ne connaît pas personnellement

l’auteur, ne peut reconnaître le destinataire de la dédicace. Ainsi, la dédicace à « Gérard D. » par

l’illustrateur Martin Matje, en page de garde du Petit Buveur d’encre rouge8 reste un message

codé pour le lecteur extérieur. Mais le lien unissant l’auteur à son dédicataire peut parfois se

deviner facilement. Frédéric Stehr dédie ainsi son album Loupiotte9 « à papa », tandis que

1 Roald Dahl / Quentin Blake (illus.), Un conte peut en cacher un autre [Revolting Rhymes, 1982], traduit de

l’anglais par Anne Krief, Paris, Gallimard Jeunesse, « Folio cadet », 2005. 2 Gérard Moncomble, Romain Gallo contre Charles Perrault [1999], Toulouse, Milan, « Milan Poche », 2007.

3 Pierre Gripari, Patrouille du conte, L’Âge d’homme, Lausanne, 1983.

4 Patricia Joiret / Xavier Bruyère (illus.), Mina je t’aime, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 1991.

5 Yvan Pommaux, John Chatterton détective [1993], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005.

6 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 120.

7 Ibid., p. 134.

8 Éric Sanvoisin / Martin Matje (illus.), Le Petit Buveur d’encre rouge, op. cit.

9 Frédéric Stehr, Loupiotte [2000], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005.

50

Geoffroy de Pennart offre Chapeau rond rouge1 à ses filles « Chloé et Marie » qu’il a joliment

dessinées au-dessus de sa phrase de dédicace.

Le dédicataire peut aussi être « public ». Il s’agit alors d’« une personne plus ou moins

connue, mais avec qui l’auteur manifeste, par sa dédicace, une relation d’ordre public :

intellectuel, artistique, politique ou autre2 ». Cela peut alors être l’occasion d’établir

explicitement le lien avec le texte patrimonial et de lui rendre hommage. Dans Romain Gallo

contre Charles Perrault, Gérard Moncomble le fait de façon humoristique en annonçant de

manière inaugurale que :

toute ressemblance avec Le Petit Chaperon rouge, Barbe Bleue, Le Chat Botté, La Belle-au-Bois-

dormant, Cendrillon et Le Petit Poucet de Charles Perrault n’est absolument pas fortuite.

L’auteur détourne ici l’expression bien connue que l’on retrouve dans les génériques de film,

avant de lancer un jeu de mots qui dédie son texte à l’auteur classique :

À Charles Perrault qui m’a permis de remettre le conteur à zéro3.

La dédicace est ici in memoriam puisque Charles Perrault n’est évidemment plus là pour en être

informé. Cette dédicace à titre posthume permet d’annoncer « une relation, intellectuelle ou

privée, réelle ou symbolique, et cette affiche est toujours au service de l’œuvre, comme

argument de valorisation ou de thème de commentaire4 ». C’est en effet une façon de

revendiquer l’héritage classique et de rendre hommage au maître. C’est aussi une manière

d’annoncer au lecteur que le texte qu’il va découvrir doit être lu dans l’horizon des contes de

Perrault. La dédicace a en effet une valeur « performative » : adressée à un dédicataire, mais

aussi indirectement au lecteur qui en est témoin, elle constitue « l’acte qu’elle est censée

décrire5 » et exhibe la relation au dédicataire. L’auteur confesse dans la dédicace que la rivalité

avec Charles Perrault annoncée dans le titre de l’ouvrage est en fait un remerciement à l’écrivain

du XVIIe siècle qui, peut-être, en remettant « le conteur à zéro » a inspiré son écriture.

Cas atypique, la dédicace peut être rendue à des personnes imaginaires. Grégoire

Solotareff et Nadja dédient ainsi humoristiquement leur Petit Chaperon vert à

tous les chaperons vert-pâle, vert-bouteille, vert-olive, vert-autobus, vert-émeraude, vert-pomme,

olivâtres, verdâtres et vert-foncé6.

Ce camaïeu de vert, joliment ironique (il faut être Parisien pour savoir à quoi ressemble le

« vert-autobus » !), invite le lecteur, avant même sa lecture, à accueillir le texte sur un mode

ludique et parodique. La dédicace, déjà, guide l’orientation de la lecture.

1 Geoffroy de Pennart, Chapeau rond rouge, Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005.

2 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 134.

3 Gérard Moncomble, Romain Gallo contre Charles Perrault, op. cit.

4 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 138.

5 Ibid., p. 137.

6 Grégoire Solotareff / Nadja (illus.), Le Petit Chaperon vert, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2000.

51

3) Les préfaces et les postfaces

Un autre élément essentiel de paratexte est la préface, appelée également avant-propos

ou portant un autre nom équivalent. Située avant le texte qu’elle présente, elle a le pouvoir d’en

orienter la réception. Genette distingue les types de préfaces en fonction de leur destinateur : la

préface « auctoriale » est rédigée par l’auteur lui-même, tandis que la préface « actoriale » est

l’œuvre d’un des personnages du récit.

Dans Romain Gallo contre Charles Perrault1, Gérard Moncomble nous donne l’exemple

d’une préface fictive actoriale, type de préface généralement « réservée à des héros-narrateurs,

[car] elle simule une situation plus complexe, mais plus naturelle, où le héros est en même

temps son propre narrateur et son propre auteur2 ». Cette préface est signée par le narrateur

homodiégétique, Romain Gallo. La police manuscrite de la signature entend faire croire que

nous ne sommes pas encore entrés dans la fiction et que le personnage de Romain Gallo existe

vraiment. Pourtant, dès la première page de l’« avant-propos », le lecteur a déjà pénétré dans

l’univers fictif. Le narrateur affirme qu’il va enfin rétablir une vérité longuement cachée, et que,

malgré l’invraisemblance apparente de son récit à venir, il ne se situe pas « dans les romans3 ».

Mais en affirmant qu’il n’écrit pas ici un roman, le narrateur fonde justement le pacte de la

fiction. La préface permet de présenter les personnages, nommés et brièvement caractérisés. Elle

allèche le lecteur, multipliant les adresses au narrataire et accumulant les verbes à l’impératif

(« Demandez… », « Lisez ce qui va suivre ») et au futur (« Vous y trouverez… »). La préface

pose les conditions de lecture et donne des indices invitant à lire le récit à venir de façon

ironique et parodique. En fin d’ouvrage, cet avant-propos aura pour écho l’« épilogue », en

forme de postface : celui-ci viendra en effet justifier le récit en lui donnant une existence

éditoriale, tout en affirmant l’existence du texte des Contes de Perrault. Le texte liminaire et

l’épilogue assoient le conte-source dans l’univers de la fiction et donnent les motivations de sa

réécriture.

La préface peut également être le fait de l’auteur. Genette parle alors de préface

authentique auctoriale. Dans une telle préface « assomptive », l’auteur « assume la

responsabilité du texte4 » et entend « assurer au texte une bonne lecture

5 ». Tel est le cas de

Jean-Claude Grumberg qui ouvre son texte Le Petit Chaperon Uf6 par une préface en forme

d’avertissement : « Un conte du bon vieux temps ? » demande-t-il, en notant que la fonction des

1 Gérard Moncomble, Romain Gallo contre Charles Perrault, op. cit.

2 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 294.

3 Gérard Moncomble, Romain Gallo contre Charles Perrault, op. cit., p. 9.

4 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 187.

5 Ibid., p. 200.

6 Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, op. cit.

52

histoires comme de l’Histoire est d’« alerter les chaperons d’aujourd’hui ». L’auteur oriente

ainsi la lecture dans un sens politique et invite à lire, sous l’image de son personnage de loup,

une métaphore de l’oppression injustifiée contre des catégories de personnes qui ont pour seule

vice d’être différentes (elles sont « Uf » au lieu d’être « Ouf » comme le pouvoir en place).

Jean-Claude Grumberg n’explique pas ce que sont les « Ufs », mais avertit qu’il y a eu dans le

passé des loups les combattant arbitrairement et que ceux-ci risquent de revenir si on n’y prend

garde. Le texte se fonde sur une tension entre symbolisme et réalité. Le mot « Juif » n’est pas

nommé, bien qu’il soit sous-jacent dans tout le texte. On voit ici la peur de l’auteur de ne pas

être compris et son insistance à expliquer la portée de son message. La préface a ainsi « fonction

d’information et de guidage de la lecture1 » : l’auteur montre comment il faut lire son texte. Elle

assure le même rôle que la « moralité » finale du conte de Perrault, puisqu’elle invite le lecteur à

interpréter le symbolisme de l’histoire. Mais, située avant le texte qu’elle présente, elle

contribue à orienter initialement la lecture.

La postface permet, elle aussi, de marquer le lien avec le conte d’origine. Nous avons

cité plus haut l’exemple de Joël Pommerat dans son Petit Chaperon rouge. La « biographie »

finale informe le lecteur sur la genèse du livre et révèle que c’est le souvenir du conte original

qui a motivé sa réécriture.

Dans ces trois cas, pourtant très différents, les textes liminaires au récit proprement dit

marquent le texte dans l’horizon du conte-source.

En conclusion, le paratexte permet « à l’interprète de déterminer le type ou le genre de

texte qu’il est sur le point d’actualiser2 ». Il prépare la lecture en instaurant le lecteur dans

l’horizon référentiel des contes d’origine.

Notre première partie nous a montré que les réécritures entretiennent des liens variés

avec les petites chaperons des origines. Le rappel des versions premières du conte classique

nous a permis d’établir des motifs, des passages obligés que les auteurs contemporains vont

reprendre soit pour les prolonger, soit pour les détourner. Chaque petit chaperon rouge

contemporain s’inspire des versions traditionnelles, minoritairement du conte oral et de Perrault,

et majoritairement des frères Grimm. On voit ici que le stéréotype est le socle nécessaire à la

création et que toute écriture nouvelle est finalement forcément réécriture.

Toutefois, les références aux textes-sources ne sont pas forcément explicitées dans les

textes contemporains. En lisant le conte « Le loup qui cherchait sa serviette » de Christian

1 Gérard Genette, Seuils, op. cit., p. 212.

2 Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Paris, Le Seuil, « Poétique », 2007, p. 228.

53

Oster1, le lecteur pense inévitablement au conte des Grimm dans l’évocation de l’opération

chirurgicale du loup qui a avalé sa serviette en dévorant un petit cochon pour son repas. La

référence, implicite, est censée être partagée par tous.

Reste à savoir comment les chaperons contemporains opèrent leurs mutations textuelles.

Comment les auteurs parviennent-ils à construire une nouvelle histoire transposant l’original ?

Pour l’étudier, nous allons nous fonder sur l’analyse des textes, envisager les structures du

genre, de l’histoire et du récit, et montrer les modalités des métamorphoses du conte classique.

1 Christian Oster, Le Loup qui cherchait sa serviette, Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2001.

54

55

DEUXIEME PARTIE :

les mutations du petit chaperon rouge

▲ Illustration d’Isabelle Forestier dans Un petit chaperon rouge de

Claude Clément (Paris, Grasset Jeunesse, 2000).

56

Les petits chaperons rouges modernes ne cessent jamais totalement de se référer à leurs

aînés, nous l’avons vu dans notre première partie ; ils ne leur ressemblent toutefois plus

beaucoup. Pour aborder les mutations du personnage principal, mais aussi plus largement du

récit, nous allons classer les ouvrages contemporains à partir de plusieurs entrées qui nous

permettront de montrer comment les nouveaux textes se construisent par déconstruction des

textes-sources. Les contes contemporains du Petit Chaperon rouge ne sont plus des contes de

fées, mais des « contes défaits », comme le dit Jon Scieszka1 en jouant sur les mots. Comment

les auteurs actuels parviennent-ils à faire leurs contes en défaisant les textes classiques ?

Comment chaque élément nouveau du récit est-il mobilisé grâce à des effets de décalages et

d’inversions ?

Nous allons catégoriser les différents types de réécritures en fondant notre analyse sur la

notion centrale de transposition. Celle-ci implique l’idée de transfert d’un plan à un autre, de

passage supposant la modification des éléments déplacés ; et est définie à la fois comme un

emprunt et un écart. Nous allons voir dans les textes contemporains des déplacements de

plusieurs ordres : génériques, référentiels et narratifs.

I) Le genre

Les textes littéraires sont d’abord identifiés par leur insertion dans un genre spécifique.

On peut définir la notion de genre comme un texte appartenant à une forme précise et répondant

à une convention fixant un cadre. Le genre structure la réception du texte dans lequel il s’insère

et est constitutif d’un horizon d’attente, orientant l’interprétation du lecteur.

La notion de genre est souvent floue et fluctuante au sein de l’histoire littéraire. Nous

nous contenterons de l’appréhender dans le sens communément admis en reprenant la

classification présentée par Dominique Combe dans la première partie de son essai Les Genres

littéraires. À « l’horizon de la conscience “naïve”2 », D. Combe relève quatre grandes classes de

textes : la fiction narrative (regroupant le roman, la nouvelle, le conte et le récit), la poésie, le

théâtre et l’essai. Le conte est donc assimilé au genre fictif et narratif.

Afin d’analyser les décalages par rapport à la forme générique classique, nous allons voir

quelles transpositions sont réalisées par rapport à la forme primitive du conte au sein du genre

narratif lui-même. Nous allons également observer les déplacements du conte original dans

1 Cité par Christiane Pintado dans son article « Cochon, cochon et cie. Les avatars du conte Les trois petits cochons

dans la littérature de jeunesse contemporaine », in : Nous voulons lire !, n°158, février 2005, p. 15. 2 Dominique Combe, Les Genres littéraires, Paris, Hachette Supérieur, « Contours littéraires », 1992, p. 13-14.

57

d’autres genres littéraires. Les Petits Chaperons rouges modernes sont-ils toujours des contes ?

Quels écarts génériques note-t-on dans les réécritures contemporaines ?

A) Le respect de la forme d’origine : le conte

1) Le conte traditionnel

Le récit originel du Petit Chaperon rouge est identifié comme un conte. Lorsqu’on lit

l’histoire de la fameuse héroïne au bandeau rouge, on s’attend à reconnaître dans le récit les

formes du conte et à retrouver des formules obligées comme le sésame magique « Il était une

fois ». Tout en modernisant leur récit, plusieurs auteurs ont respecté cette forme première et ont

réutilisé en apparence les codes traditionnels du conte.

Un conte est un récit court, à l’origine oral mais la plupart du temps devenu écrit. Il narre

une histoire se réalisant dans un passé indéterminé, comportant généralement des éléments

merveilleux et faisant se mouvoir des personnages typés. Il implique fréquemment une

communication ludique et tend vers une morale. Cela contribue à assurer à travers lui la

transmission de valeurs et/ou l’expression d’émotions humaines inconscientes dont la prise de

conscience est formatrice pour l’individu inchoatif. Vladimir Propp, en étudiant de nombreux

contes russes, a mis en place une « morphologie » du conte merveilleux. Il a montré qu’il y avait

dans le conte des « éléments constants, permanents » se confondant avec les « fonctions » des

personnages. La petite unité narrative qu’est la fonction est en nombre limité (Propp en a

identifiées trente et une). Les fonctions se succèdent toujours selon la même chronologie au sein

d’un même type de structure. Propp a déterminé cinq grands types de personnages : le méchant

(ou opposant), le généreux donateur, l’auxiliaire, le héros, le faux héros, auxquels il faut ajouter

le mandateur et le mandataire. Selon Propp, tous les contes répondent au même schéma, si bien

que le conte peut se définir comme

tout développement partant d’un méfait ou d’un manque […] pour aboutir au mariage ou à d’autres

fonctions utilisées comme dénouement1.

En d’autres termes, un héros, partant d’une situation initiale donnée, subit une épreuve négative

l’obligeant à entreprendre une quête dont il sortira vainqueur.

Selon cette théorie, le conte des Grimm a une structure très simple. Beaucoup des

fonctions des contes classiques y sont absentes. Si on applique le schéma de Propp au Petit

Chaperon rouge, comme l’a fait Antoine Faivre2, on trouve, entre autres, les fonctions

1 Vladimir Propp, Morphologie du conte [1928], traduit du russe par M. Derrida, T. Todorov et C. Kahn, Paris, Le

Seuil, 1970, p. 11. 2 Antoine Faivre, Les Contes de Grimm. Mythe et initiation, Circé, Cahiers de recherches sur l’imaginaire,

Chambéry, 1978, p. 81-90 ; in : Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge, op. cit., p. 111-112.

58

suivantes : éloignement (la fillette quitte sa maison), interdiction (la mère lui adresse des

recommandations), transgression (le chaperon s’écarte du chemin), interrogation (le loup pose

des questions à l’enfant), tromperie (le loup trompe la fille et sa grand-mère), complicité

involontaire, méfait, appel du héros, début de l’action réparatrice, etc.

2) Un conte modernisé ?

Retrouve-t-on la structure traditionnelle du conte dans des ouvrages contemporains ?

Peut-on alors les considérer comme des contes ? Pour répondre à cette question, nous prendrons

l’exemple de l’album Chapeau rond rouge de Geoffroy Pennart1.

Cet ouvrage inverse le conte originel. Tout commence pourtant comme on s’y attend. La

nouvelle héroïne a simplement été rebaptisée « Petit Chapeau rond rouge », expression qui est

certainement plus compréhensible pour les enfants. Mais lorsque la petite fille rencontre le loup,

elle le prend pour un chien et, nullement effrayée, ne cesse de chahuter l’animal et de se moquer

de sa « bonne bouille de toutou gentil ». Le loup, décidé à se venger, s’élance vers la maison de

la grand-mère. Mais il est renversé par la voiture de la mamie qui, horrifiée, le transporte dans

son lit et court appeler un médecin. Lorsque Chapeau rond rouge arrive chez sa grand-mère, elle

est persuadée que le loup l’a dévorée et elle assomme l’animal. Heureusement, tout finira au

mieux : le loup, après sa convalescence, décidera de bénéficier des bons soins de la vieille dame

en s’installant chez elle car, de toute façon, « sa réputation de loup féroce en [a] pris un coup ».

En apparence, le texte de l’album adopte l’écriture traditionnelle du conte. L’incipit

semble ainsi nous placer dans un temps et un lieu indéterminés, introduits par la formule

d’ouverture habituelle :

Il était une fois une petite fille qui vivait avec ses

parents à l’orée de la forêt.

Le récit peut être lu à travers la grille mise en place par

Propp. Une héroïne mène une quête, ou du moins vit une

aventure à portée initiatique qui lui permet de modifier la

situation initiale donnée en ouverture. La dernière page

de l’ouvrage, en forme d’épilogue, fait un saut dans le

futur et annonce que Chapeau rond rouge, « marquée à

tout jamais par cette aventure » est devenue « un médecin

de renommée internationale ». Selon les personnages-

1 Geoffroy de Pennart, Chapeau rond rouge, op. cit.

59

fonctions de Propp, Chapeau rond rouge est l’héroïne, le loup l’opposant, la mère le mandataire,

la grand-mère le faux-héros, et le médecin l’auxiliaire. Il semble donc possible de reconnaître

dans ce récit la structure généralement adoptée dans les contes.

En fait, la structure classique du conte est bousculée. L’agresseur est l’agressé : le loup,

traditionnellement méchant, n’est pas pris au sérieux. L’héroïne contourne les épreuves au lieu

de les affronter. N’identifiant pas le loup comme l’animal féroce qu’il est supposé être, elle ne

peut se sentir attaquée par lui. Il n’y a donc ni manque ni affrontement contre un opposant.

Certes, la petite fille va aller au devant d’une situation conflictuelle et abattre le loup d’un coup

de chandelier (voir l’illustration reproduite page précédente). Mais son geste est injustifié. La

seule épreuve à laquelle est confrontée l’héroïne est celle où elle croit avoir tué le loup : « Il est

mort. C’est ma faute ! » s’écrie-t-elle en pleurant dans les bras de sa grand-mère. Mais le loup

est seulement évanoui, et le chagrin de la fillette est vite oublié.

Chapeau rond rouge simule donc les caractéristiques du conte, sans en être

véritablement un. Ainsi, la formule initiatrice « Il était une fois », censée identifier le conte, ne

joue pas réellement son rôle. Donnée comme une expression figée, le « Il était une fois » pose

habituellement que les « événements dont on parle se situent à une époque non historique

indéfinie », « qu’ils ne sont pas à entendre comme “réels” » et « que l’émetteur veut raconter

une histoire imaginaire pour divertir1 ». Ici, le syntagme ne fait qu’annoncer le caractère fictif du

récit. En effet, dans cet album, il y a tant d’éléments de modernisation (à commencer par la

petite auto de la grand-mère) que nous ne sommes pas projetés dans un univers intemporel.

Plusieurs textes contemporains reprennent les

caractéristiques des contes pour rappeler le texte-source.

Mais sont-ils encore des contes ? Il s’agit de s’amuser avec

l’image du conte. C’est à ce jeu que se sont livrés Pef et ses

éditeurs (Messidor La Farandole) dans un énigmatique petit

livre malicieusement intitulé Contes comme la lune2. Toutes

les informations paratextuelles de cet album miment

l’univers des contes classiques : le livre se présente sous une

couverture à l’ancienne, avec des dessins ressemblant à des

gravures du XIXe siècle ainsi que des frises, alors que

l’ouvrage a été édité en 1991 ! La page de titre annonce que

l’ouvrage est « enrichi de dessins composés et gravés par nos

1 Umberto Eco, Lector in fabula. Le rôle du lecteur [1979], traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset,

Le Livre de Poche, 1985, p. 98. 2 Pef, Contes comme la lune, Paris, Messidor La Farandole, 1991.

60

meilleurs artistes » et qu’il s’agit du « tome XIV ». En tournant les pages on s’aperçoit que le

foliotage est erroné puisque la première page indiquée est la page 339 ! En page 391, on trouve

« Le conte du Petit Chaperon rouge », sous-titré « Règlement de compte… ». Mais, au lieu du

conte annoncé, on lit un court texte se présentant comme une aimable fantaisie autour de cette

question fondamentale :

Le petit chaperon était rouge, mais rouge de quoi, je vous prie ?

Les contes parodiques modernes ne sont donc pas toujours à proprement parler des

contes, et le terme générique correspond mal à bon nombre de textes contemporains. Si auteurs

et éditeurs désignent les récits contemporains du petit chaperon rouge comme des contes, c’est

plus pour paraître répondre à l’attente du lecteur qui considère cette histoire comme un conte,

que par respect strict des principes de ce genre littéraire.

B) La réécriture dans un autre genre

1) Transpositions romanesques

Au sein de la « fiction narrative1 », dont le conte fait partie, on assiste dans les textes

contemporains à des transpositions : le Petit Chaperon rouge quitte alors l’enveloppe générique

du conte pour prendre des formes littéraires différentes.

Ainsi, quelques auteurs contemporains choisissent la forme du roman pour renouveler

leur petit chaperon rouge. Cela permet d’enrichir la trame narrative d’origine et de multiplier

lieux et personnages. Le genre du roman offre également la possibilité d’élaborer des

descriptions plus détaillées, qui apportent un gain de réalisme et développent l’illusion

référentielle. En effet, la différence entre le conte et le roman tient tout d’abord au degré de

concentration adopté dans le récit. Comme le montrent Roland Bourneuf et Réal Ouellet dans

L’Univers du roman,

le roman développe, prend son temps, fait détours ou retours, laisse s’installer dans l’intrigue ou les

personnages des zones presque vides2,

alors que le conte ne dit que ce qui est strictement nécessaire à la narration des faits. Pour cette

raison, le renouvellement du Petit Chaperon rouge sous la forme du roman s’adresse

généralement à des lecteurs adolescents, plus habitués à lire des textes longs. Par ailleurs, le

roman et le conte diffèrent par leur rapport à la réalité : alors que le conteur « ne tente pas de

1 Dominique Combe, Les Genres littéraires, op. cit., p. 14 : Le genre « fiction narrative » répond au « double critère

implicite du récit et de l’imagination ». 2 Roland Bourneuf, Réal Ouellet, L’Univers du roman [1972], Paris, PUF, 1989, p. 26.

61

donner son histoire pour vraie1 », le romancier prend plaisir à tromper son lecteur en accumulant

les éléments de vraisemblance qui rendent son histoire possible ou probable.

L’auteur espagnol Carmen Martin Gaite propose ainsi un roman qui reprend

explicitement le personnage du chaperon, mais qui le situe dans un univers radicalement

différent du conte d’origine, puisque l’histoire se passe au milieu des tours de New York. Le

Petit Chaperon rouge à Manhattan2 raconte l’histoire de Sara Allen, jeune fille vivant à

Brooklyn. Les éléments du texte-source sont métamorphosés : la galette de Perrault est devenue

une tarte aux fraises dont la mère garde précieusement la recette secrète ; la vieille grand-mère,

au caractère fantasque fascinant sa petite fille, porte le nom de Gloria Star et est une ex-diva de

music-hall. Le loup, lui, apparaît sous les traits d’Edgar Woolf, le « roi de la tarte », propriétaire

d’une multinationale pâtissière nommée « Le Loup gourmand » ! Le roman de Carmen Martin

Gaite fait des allusions au texte-source, mais adopte une structure différente. La forme du roman

permet de développer longuement chaque personnage et de lui donner une épaisseur. Ainsi, la

première partie du roman, intitulée « Rêves de liberté », s’attache à poser la situation initiale et à

décrire le personnage de Sara et les membres de sa famille. Il faudra attendre la deuxième partie,

symboliquement nommée « L’aventure », avant que l’action ne commence, grâce à l’impulsion

du personnage ambigu qu’est Edgar Woolf.

Carmen Martin Gaite remobilise le petit chaperon rouge en construisant un roman

psychologique. Gérard Moncomble le convoque dans un roman policier. Dans Romain Gallo

contre Charles Perrault3, il met en scène un détective privé décidé à faire la lumière sur

plusieurs affaires trop rapidement classées par le commissaire Perrault. La première enquête que

mène Romain Gallo lui fait découvrir une terrible erreur judiciaire : comment Isidore Leloup,

bûcheron de son état, a-t-il pu être accusé d’être un tueur cannibale, alors qu’il est végétarien ?

L’auteur joue habilement avec les codes du polar, ménageant le suspense et construisant un

personnage de détective gouailleur, au parler argotique. Dans l’ouvrage de Gérard Moncomble,

le petit chaperon rouge entre donc dans un sous-genre codifié Ŕ celui du roman policier. Les

parodies des contes et du polar à l’américaine confrontent le jeune lecteur à deux codes. La

forme du roman permet ainsi de multiplier les variations narratives.

D’autres sous-genres du récit sont explorés dans les réécritures contemporaines du conte.

Certains éditeurs ont cherché à faire entrer le conte dans une collection de littérature pour la

jeunesse à tendance fantastique. C’est le cas par exemple du court roman d’Éric Sanvoisin, Le

Petit Buveur d’encre rouge4, publié sous l’étiquette « Fantastique » de Nathan Poche. Le jeune

1 Ibid., p. 27.

2 Carmen Martin Gaite, Le Petit Chaperon rouge à Manhattan, op. cit.

3 Gérard Moncomble, Romain Gallo contre Charles Perrault, op. cit.

4 Éric Sanvoisin / Martin Matje (illus.), Le Petit Buveur d’encre rouge, op. cit.

62

Odilon qui, dans Le Buveur d’encre, a été mordu par Draculivre, a l’habitude de « boire » des

livres. Alors qu’il lit Le Petit Chaperon rouge, il est aspiré avec son amie Carmilla dans

l’histoire : les deux enfants se retrouvent alors contraints de remplacer les deux protagonistes du

conte Ŕ le loup et le chaperon rouge. Grâce à une invention mêlant astucieusement vampires et

littérature, l’auteur mène le jeune lecteur dans un univers parallèle qui obéit à d’autres lois que

le réel. Le conte-source est mis en abyme au point d’en devenir quasiment un personnage à part

entière. La réécriture se joue ici de l’intérieur : les héros projetés dans une histoire connue

auront-ils le pouvoir d’en bouleverser la trame et, au-delà, d’échapper à la destinée que le passé

littéraire a tracée ? Si Odilon est devenu le loup, ne sera-t-il pas contraint de dévorer Carmilla,

qui apparaît sous les traits du petit chaperon rouge ? Au merveilleux du conte original s’est

substitué le fantastique avec l’irruption brutale des héros dans un monde irréel qui reste

inexplicable. Là encore, la reconstruction du texte original dans un nouveau genre permet

d’enrichir le conte de départ.

2) Transpositions théâtrales

Loin de se cantonner au seul genre narratif, les petits chaperons modernes envahissent

également le genre théâtral. La transposition théâtrale permet non plus seulement de raconter

l’histoire, mais de la donner à voir à un lecteur qui devient ainsi spectateur. Le conte était centré

sur deux longs dialogues entre la fillette et le loup, ce qui pouvait favoriser le jeu théâtral du

conteur. Les auteurs contemporains, adoptant la forme dramatique, vont au-delà de cette scène

du dialogue et transforment entièrement sous forme dialoguée le récit initial.

De telles transpositions théâtrales se trouvent dès le début du siècle avec Pierre Cami

qui, en 1914, a écrit un Petit Chaperon vert1. Cette courte pièce en deux « actes » met en scène

des personnages qui, par une curieuse « coïncidence », sont liés aux personnages du conte

original : les parents du petit chaperon vert habitent dans « la maison où logeait autrefois le

célèbre petit chaperon rouge » et le loup est désigné par l’auteur comme « le loup qui mangea

jadis le petit Chaperon rouge ». Tout se passe comme dans le conte traditionnel, mais, en

refusant de rejouer jusqu’au bout le dialogue du conte et de dire au loup : « Mère-Grand, que

vous avez de grandes dents ! », le petit chaperon vert ne donne pas l’occasion au loup

d’entendre la phrase clé susceptible de déclencher la dévoration. En écrivant le texte sous une

forme entièrement dialoguée, Cami peut jouer sur l’alternance des répliques entre les

1 Cami, « Le petit chaperon vert », in : L’Homme à la tête d’épingle, Société Nouvelle des éditions Pauvert, 1972.

Nous n’avons pas réussi à trouver l’édition originale et avons lu ce texte dans le recueil Contes d’ici et d’ailleurs,

Paris, Bordas, « Classiques Bordas », 2003, p. 170-173.

63

personnages et donner de l’importance à la scène d’affrontement verbal entre le loup et la

fillette. La transposition du conte dans le genre théâtral montre avec force que, dans ce récit, les

luttes se jouent d’abord dans la parole. L’émancipation de la fillette est permise grâce à sa

maîtrise du langage. Le texte de théâtre, fondé sur la communication verbale, substitue la

victoire du langage à la violence physique.

On retrouve le même face-à-face langagier dans la pièce de théâtre de Jean-Claude

Grumberg. Le Petit Chaperon Uf1 a été publié dans la collection d’Actes Sud-Papiers dédiée à

l’édition de textes de théâtre pour la jeunesse, « Heyoka Jeunesse », créée en partenariat avec le

Centre dramatique national de Sartrouville. Le texte respecte les conventions classiques du

théâtre : après une page de présentation des personnages, trois « scènes » s’enchaînent, chacune

débutant par des didascalies mettant en situation le lieu et les personnages. L’ouvrage est

constitué par l’enchaînement de courtes répliques échangées entre Wolf, « loup déguisé en

caporal » qui « parle français avec accent loup2 » et le petit chaperon. Plusieurs didascalies

permettent au lecteur ou au metteur en scène de se représenter tous les éléments para-verbaux

accompagnant les discours des personnages. Le lecteur/spectateur paraît surprendre le dialogue

entre le loup caporal et la fillette. En réalité, ce « langage surpris » est un « langage en

représentation » : une fois mis en scène et accompagné des gestes des acteurs, de leur jeu, du

décor ou des effets de lumière, il s’agira d’un « langage total3 » dans lequel les éléments

verbaux et ce qui les accompagne ont plus d’importance que dans la vie de tous les jours. Wolf,

le personnage du loup offrirait à un acteur d’infinies possibilités de jeux. En effet, son langage

est désyntaxé, grammaticalement incorrect, miné de mots allemands et de phrases sans verbes,

où le mode injonctif prime.

Silence, fixe, pas touche, garde-à-vous, repos ouah ouah ouah ouah ! Qu’est-ce que Wolf voit

dissimulé sous capuchon4 ?

dit ainsi Wolf au chaperon lorsqu’il rencontre la fillette. De telles répliques imposent une

gestuelle et un jeu sur les accents pour donner au personnage l’ambiguïté de son apparence à la

fois effrayante et ridicule. Au contraire du loup, la fillette maîtrise le langage et a l’avantage de

connaître l’histoire originelle. La pièce représente le dialogue entre le loup qui veut arrêter le

chaperon pour la simple raison qu’il serait « Uf » au lieu d’être « Ouf », et la fillette qui, grâce à

la supériorité acquise par la parole, parvient à dominer le loup caporal. « On joue plus », finit

par dire Wolf5 : le chaperon a gagné la lutte verbale et a eu le dernier mot. Ici, la transposition

théâtrale permet de montrer combien le langage peut être un instrument de domination et de

1 Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, op. cit.

2 Ibid., p. 8.

3 Pierre Larthomas, Le Langage dramatique [1972, Armand Colin], Paris, PUF, 1993, p. 436.

4 Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, op. cit., p. 17.

5 Ibid., p. 42.

64

libération pour celui qui sait le maîtriser. La représentation théâtrale permet également de mieux

faire passer un message grave qui, transmis sur un mode narratif, aurait pu paraître trop abstrait,

ou trop moralisateur. Le dialogue entre le chaperon et le loup, qui aboutit à la ridiculisation de

celui-ci, peut être l’occasion d’avertir les enfants des dangers des politiques discriminatoires et

d’évoquer, indirectement, l’antisémistisme.

Cependant, les auteurs contemporains n’utilisent pas toujours avec la même radicalité les

possibilités offertes par le genre théâtral. Joël Pommerat a, lui aussi, créé une transposition

théâtrale du Petit Chaperon rouge, dans un texte également publié dans la collection « Heyoka-

Jeunesse », chez Actes Sud-Papiers1. On retrouve dans son texte les caractéristiques du genre

théâtral (didascalies, dialogues, présentation des personnages). Mais une place essentielle est

accordée à un personnage qui ne fait pas directement partie de l’histoire racontée : « L’homme

qui raconte ». Celui-ci a la figure du conteur

traditionnel des récits oraux. Il est narrateur

« hétérodiégétique » (absent de la diégèse, c’est-à-dire

de l’univers spatio-temporel représenté) et

« extradiégétique » (objet d’aucun récit), pour

reprendre la terminologie de Genette2. La narration

prime donc sur le dialogue. Ainsi, la pièce commence

par un monologue de « L’homme qui raconte » qui présente le personnage de la fillette et

expose précisément ses relations avec sa mère. Le dialogue n’intervient qu’à la page 21, lorsque

la petite fille rencontre le loup. Des ellipses s’intercalent dans l’échange verbal. Ainsi, lorsque le

loup et la petite fille se séparent pour aller chacun de leur côté vers la maison de la grand-mère,

« L’homme qui raconte » reprend la parole et, dans un monologue de deux pages, narre le trajet

du loup et de la fillette dans la forêt, puis expose les sentiments de la petite fille3. Le texte de

Joël Pommerat est donc hybride, mêlant conte et théâtre. Des scènes de dialogues viennent

rendre le récit plus percutant et dramatisent la rencontre entre le loup et la fillette. Mais de longs

moments de narration par un conteur extérieur au récit viennent rappeler que cette histoire est

originellement un conte. Par ailleurs, la présence des illustrations en parallèle du texte offre

indépendamment de la mise en scène la possibilité de combler les lacunes du texte théâtral qui,

par essence, est « troué », « incomplet4 ». En effet, les illustrations de Marjolaine Leray

complètent le texte, offrant une première mise en scène des personnages. Ainsi, le personnage

1 Joël Pommerat / Marjolaine Leray (illus.), Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

2 Gérard Genette, Figures III, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1972, p. 255-256.

3 Joël Pommerat, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 27-28. Les verbes de sentiments abondent dans ce

monologue. 4 Cf. Anne Ubersfeld, « Le texte dramatique », dans Le Théâtre, sous la direction de D. Couty et A. Rey, Paris,

Bordas, 1980, p. 93.

65

du loup est représenté par une masse noire, ressemblant à un gribouillage d’enfant au simple

stylo noir. Le dessin difforme du loup, qui s’oppose à la jolie figuration de la fillette (voir page

précédente), suggère symboliquement que les monstres n’ont pas de visage et qu’ils sont avant

tout la somme des peurs de ceux qui les regardent.

L’adoption du genre théâtral peut donc insister sur la lutte verbale entre les deux

personnages principaux. Dans certaines pièces, la narration prime toutefois sur le choix de la

forme théâtrale : même si c’est au sein d’une pièce de théâtre, il s’agit toujours de conter une

histoire. C’est l’origine orale du conte qui est alors revalorisée par l’adoption du genre

dramatique.

3) Transpositions poétiques

Des auteurs contemporains ont choisi la poésie pour faire exister leur petit chaperon. Le

genre poétique se présente comme une forme versifiée, régulière ou libre, signifiée par des

lignes typographiquement repérables. Jouant sur les mots, les sonorités et les formes, la poésie

permet de faire entrer les petits chaperons rouges dans un champ ludique du langage.

Certains auteurs n’entendent pas conter à nouveau l’histoire connue, mais l’évoquent

poétiquement par des images et des rimes, demandant implicitement à leur lecteur de se rappeler

le conte originel. Jacqueline et Claude Held1 ont composé des variations poétiques sur des

figures typiques des contes traditionnels. Nous avons reproduit en ouverture de notre mémoire le

petit poème qu’ils ont écrit autour du « Chaperon rouge ». Le poème ressemble à une comptine

qui fait penser à d’autres chansons enfantines sur le même thème (« Loup, y es-tu ? », par

exemple). Il s’agit d’évoquer librement la figure du chaperon, en jouant sur les couleurs (les

chaperons sont ici « rouges, marron, ou jaunes, ou verts »), mais aussi en s’amusant avec la

forme, par la construction de vers très courts, irréguliers, que les rimes rendent chantants. On

pourrait parler ici de fantaisie poétique, librement inspirée du conte classique.

Pour d’autres auteurs, la forme narrative n’est pas abandonnée, malgré l’adoption du

genre poétique. Dans les années 1980, Christian Poslaniec a traduit de l’américain un texte de

Béatrice Schenk de Regniers2. Le plat 1 de cet ouvrage parle d’un Petit Chaperon rouge

« raconté en images par Edward Gorey » et « tourné en vers par Christian Poslaniec ». Le mot

« poésie » n’apparaît pas, et c’est la forme versifiée qui est mise en avant. Nous retrouvons en

effet le récit sous la version des Grimm, depuis la présentation de la fillette jusqu’à l’issue fatale

1 Jacqueline et Claude Held / Boiry (illus.), Chat botté, Chaperon rouge et compagnie, Draguignan, Lo Païs

d’enfance, 2002. 2 Christian Poslaniec / Edward Gorey, sur une idée de Béatrice Schenk de Regniers, Le Petit Chaperon rouge [Red

riding hood, 1972], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 1981

66

du loup. L’auteur construit son texte autour d’alternances d’octosyllabes et d’hexasyllabes. La

mise en vers accompagne le récit : loin d’imposer un aspect répétitif ou académique à l’histoire,

les vers lui donnent un rythme, l’alternance du nombre de pieds traduisant les différents

moments narratifs. Ainsi, lorsque le loup frappe à la porte de la grand-mère, le texte adopte des

vers très courts (trois syllabes) :

« Entre donc

Ce n’est pas fermé !

Attention !1 »

dit la grand-mère au loup qui imite la voix de la fillette. Quant à la phrase centrale annonçant la

dévoration de la grand-mère, elle est construite sur un alexandrin Ŕ le seul de tout l’ouvrage :

Le loup se précipite et gobe la grand-mère2.

La forme poétique multiplie les effets de sens et le suspense est ménagé grâce en partie à la

construction rythmique. On a parfois l’impression de lire une fable de La Fontaine. Le choix

inattendu d’un vocabulaire familier dans certains vers vient cependant atténuer le côté classique

du récit.

La reconstruction du conte originel dans le genre poétique n’implique pas

nécessairement la suppression de la narration. Mais il offre au Petit Chaperon rouge moderne

une forme jouant sur le son et le rythme, ce qui plaît généralement aux enfants. L’aspect musical

de la poésie leur permet de s’approprier facilement la réécriture du conte.

Dans tous les cas, la transposition générique du conte original enrichit le texte-source et

lui donne une portée nouvelle, tant sur la forme que sur le fond.

C) L’enrichissement du texte par des systèmes narratifs iconiques

1) Le texte enrichi par l’image

Le renouvellement du genre originel passe par un processus essentiel dans la littérature

pour la jeunesse : l’adjonction d’images qui permettent de donner corps au texte. Une majorité

des textes contemporains réécrivant le Petit Chaperon rouge sont des albums illustrés. Le lien

entre le texte et l’illustration offre, sur le mode de deux langages distincts, la construction d’une

histoire riche et sur-signifiante.

L’album est-il un genre à part entière ? Sophie Van der Linden pose cette question dans

son ouvrage Lire l’album : elle reconnaît que l’album recouvre « plusieurs genres, appartenant

généralement aux catégories de la littérature générale », mais elle ajoute que « l’album constitue

1 Ibid., p. 22.

2 Ibid., p. 24.

67

effectivement une forme d’expression spécifique1 ». Dans l’album, les signifiants, linguistiques

et iconiques, dialoguent ensemble, si bien que les énoncés s’entremêlent et s’interpénètrent.

L’image complète le texte et vice versa.

L’adoption de la forme de l’album permet de renouveler le conte original. Dans Je, le

loup et moi..., Béatrice Poncelet2 propose une vision personnelle du Petit Chaperon rouge, que

l’image, intégrée au texte, vient enrichir. La trame narrative est simple : alors qu’elle est dans le

bus pour aller chez sa grand-mère, une toute jeune fille rencontre un homme qui suscite en elle

des émotions inconnues. En finesse et à demi-mot sont suggérés la naissance du désir amoureux

et l’éveil à la sexualité. Le loup n’a rien d’un animal féroce ; n’est retenu ici que son caractère

séducteur. L’album conte la prise de conscience par la jeune fille de son pouvoir de séduction.

Le passage de l’enfance à la découverte de la féminité est symbolisé par le changement de

couleurs : alors que sa couleur préférée avait toujours été le rouge, l’adolescente se sent fière de

porter le manteau bleu que lui a confectionné sa grand-mère et dans lequel elle se sent

différente. Béatrice Poncelet unit dans son album le texte et l’image dans un « rapport de

collaboration3 » de telle sorte que le sens émerge de la mise en relation du texte et de l’image

qui construisent tous deux un propos unique. Comme dans d’autres de ses albums, l’auteur joue

sur des effets de matières, mêlant en une sorte de patchwork, des images de différentes natures :

croquis au crayon ou dessins si réalistes qu’ils ressemblent à des prises de vue, photographies,

gravures anciennes, broderie, etc. La jonction de cet entremêlement d’images, constituées par

collage et superposition les unes aux autres, au texte composé à la première personne du

singulier, donne l’impression de lire le journal intime d’une jeune fille. Les illustrations viennent

soutenir le texte et aident à entrer

dans cet univers féminin. Le

conte original, qui n’est jamais

nommé frontalement, apparaît

par allusion dans le texte et est

soutenu par les effets de collage

construits par l’illustration.

Ainsi, sur la double page

reproduite ci-contre, apparaissent

dans un désordre troublant des

dessins colorés présentant le

1 Sophie Van der Linden, Lire l’album, Le Puy-en-Velay, L’Atelier du poisson soluble, 2006, p. 29.

2 Béatrice Poncelet, Je, le loup et moi…, Genève, La Joie de lire, 1988.

3 Sophie Van der Linden, Lire l’album, op. cit., p. 121.

68

quotidien, sur lesquels sont collés le dos du loup de la gravure de Gustave Doré et la photo

d’une jeune fille Ŕ sans doute la narratrice. Le noir et le blanc se mêlent à la couleur, la photo et

la gravure se superposent sur le dessin. La célèbre comptine « Loup y es-tu ? » apparaît sur la

page de gauche, matérialisée par la reproduction des lignes de partition. Ainsi, dans cette double

page, l’hypertextualité apparaît moins dans le texte lui-même que dans l’illustration. L’image

vient dire ce que le texte ne présente pas directement : on voit ici, intégré à l’histoire par le

collage d’éléments appartenant au monde de l’enfance, le fragile équilibre d’une fillette qui se

sent grandir et qui, en même temps, n’est pas tout à fait prête à quitter définitivement son

enfance.

Dans l’album, l’image vient soutenir le texte et raconter l’histoire à sa façon. Comme le

dit Daniel Maja1, l’illustration est une « image narrative » et est « elle-même discours » : elle

s’adresse à la sensibilité, s’appréhende par l’émotion et a le pouvoir de dire ce qui ne peut pas

simplement se transmettre par les mots. À travers l’album, le conte original est donc réinvesti

dans un univers graphique et non plus simplement auditif, comme il l’était dans les contes

oraux. La lecture exige du temps et mène à la relecture, invitant à l’observation des multiples

détails visuels.

Une autre transposition générique offrant au conte-source la richesse de l’image est la

projection parodique du Petit Chaperon rouge original dans la bande dessinée. L’image de

bande dessinée n’a pas le même statut que l’illustration d’album : elle est « analytique »,

instaurant un « déploiement continu », et non plus « synthétique2 ». Les images s’inscrivent

dans un scénario. F’Murr, dans l’album de bande dessinée Au loup !3, met en scène des

historiettes sur le thème du loup et mêle dans un univers délirant, le chaperon rouge, Mère-

Grand, le corbeau, le renard et le camembert de la fable de La Fontaine. Perrault est confronté

au syndicat des ogres, tandis qu’une horde de chaperons rouges déclarent la guerre aux loups.

F’Murr convoque le chaperon rouge de façon souvent inattendue, ridiculisant le loup et

s’amusant avec la fillette qui est loin d’être gentille et naïve. Le genre de la bande dessinée offre

l’occasion de mêler les parodies, le trait caricatural du dessin offrant une représentation

humoristique et décalée des personnages traditionnels des contes. On voit donc ici que l’image

est le support d’un renouvellement imaginatif du texte-source.

1 Daniel Maja, Illustrateur jeunesse. Comment créer des images sur les mots ?, Paris, Éditions du Sorbier, « La

littérature jeunesse, pour qui, pour quoi ? », 2004, p. 154. 2 Ibid., p. 31-32.

3 F’Murr, Au loup ! [Pepperland, 1979], Paris, Dargaud, 1982.

69

2) L’image sans le texte

Le détournement du conte original va parfois plus loin encore que l’enrichissement du

texte par l’image. On trouve en effet quelques albums contemporains où l’histoire du petit

chaperon rouge est racontée par les images seules et où le texte est totalement absent. Il s’agit

donc alors d’une transposition iconique où l’image vient faire office de texte.

Dans le Petit Chaperon rouge de Rascal1, le récit est réduit à l’enchaînement des images.

Dans cet album, le conte est transcrit à travers des images tricolores (le noir, le blanc et le rouge

sont les seules couleurs utilisées) et des personnages aux formes géométriques, constitués de

carrés, d’angles durs, ressemblant à des legos ou bien des images numériques pixelisées.

L’absence de texte et la simplicité du graphisme peuvent déstabiliser le lecteur, généralement

habitué à s’appuyer sur des mots pour lire une histoire. Mais « l’absence de texte n’implique pas

l’absence de discours2 ». Cet ouvrage sollicite une énonciation et appelle « une mise en mots des

images proposées3 ».

Comme dans les albums sans texte d’Anne Brouillard4, l’ouvrage de Rascal invite le

jeune lecteur à recréer l’histoire et à mettre des mots sur les images muettes et minimalistes.

Cette utilisation de l’illustration laisse au lecteur une grande liberté : l’enfant peut se rappeler le

conte original et le reconstituer, mais il peut également réinventer les dialogues initiaux ou la

fin, car l’album se termine brutalement par une page rouge à l’ouverture de la porte de la maison

de la grand-mère. L’album incite l’enfant à imaginer l’histoire qui lui plaira.

L’enveloppe architextuelle impose des règles et un système normatif. Mais l’auteur est

libre d’y faire exception. Il désoriente alors l’attente au lieu de la guider. L’écart entre « la forme

attendue et [la] forme réalisée par le texte5 » permet d’amplifier la tension narrative et de

surprendre le lecteur. Ainsi, les Petits Chaperons rouges contemporains sont rarement des

contes à proprement parler. Le changement de forme multiplie les possibilités narratives.

L’histoire originelle entre alors dans les codes du polar, du théâtre, etc.

Cependant, malgré les transpositions génériques, l’intrigue reste presque toujours

centrale. Dans les ouvrages contemporains, la narration ne se fait plus forcément par le biais des

énoncés linguistiques et peut, par exemple, se construire à partir des images. L’histoire racontée

est toujours ce qui suscite l’intérêt du jeune lecteur.

1 Rascal, Le Petit Chaperon rouge, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2002.

2 Sophie Van der Linden, Lire l’album, op. cit., p. 49.

3 Id.

4 Par exemple L’Orage, Grandir, 1988.

5 Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, op. cit., p. 243.

70

À quelles transpositions au sein de l’histoire assiste-t-on dans les réécritures

contemporaines du Petit Chaperon rouge ? Comment l’histoire originelle est-elle réécrite et quel

sort l’auteur impose-t-il aux personnages originels ?

II) L’histoire

Les transpositions de l’histoire sont les éléments les plus marquants et les plus

directement visibles dans les réécritures parodiques des auteurs contemporains. Pour cette

raison, nous nous y tarderons plus précisément.

Dans Figures III1, Gérard Genette distingue l’histoire (« le signifié ou contenu narratif »),

le récit (« le signifiant, énoncé, discours ou texte narratif lui-même ») et la narration (l’acte

producteur du récit). L’histoire est donc l’objet du récit, ce qu’il raconte. Elle est l’enchaînement

ou la « succession d’événements et/ou d’actions2 », advenant dans l’univers de la « diégèse ».

Cette suite d’actions est prise en charge par des acteurs Ŕ les personnages Ŕ qui ont un rôle

essentiel dans la constitution de l’intrigue.

Quels écarts les contes détournés établissent-ils par rapport à l’intrigue originelle ?

Comment les personnages du conte originel y apparaissent-ils ? Quelles métamorphoses sont-

elles imposées aux décors et au temps qui ne sont qu’à peine évoqués dans le texte-source ?

A) L’intrigue

1) Le schéma quinaire du conte d’origine

Pour bien montrer les variations que les auteurs contemporains imposent à l’histoire

originelle, il faut rappeler le schéma narratif du conte-source dans la version la plus souvent

reprise Ŕ celle des Grimm. En comparant l’intrigue originelle avec ses réécritures modernes,

nous pourrons voir à quel moment l’histoire se rompt et, en quittant son schéma initial, crée

chez le lecteur des effets de surprise.

Pour fonder notre étude de l’intrigue, nous nous servirons de l’analyse structurale mise

en place par Paul Larivaille3, connue sous le nom de « schéma quinaire ». Selon cette thèse,

toute histoire se résume à une suite logique de cinq étapes :

1 Gérard Genette, Figures III, « Discours du récit », Paris, Le Seuil, « Poétique », 1972, p. 72.

2 Gérard Genette, Palimpsestes, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1982, p. 342.

3 Paul Larivaille, « L’analyse morpho-logique du récit », dans Poétique, n°19, 1974. Cité par Vincent Jouve, in : La

Poétique du roman [1997, Sedes], Paris, Armand Colin, « Campus », 2006, p. 47-49.

71

- un état initial, renvoyant à une situation stable marquant l’équilibre dans lequel se trouvent

les personnages ;

- une perturbation, déclenchée par un élément détonateur qui introduit une instabilité et

provoque une transformation ;

- une action, généralement menée par une force contraire à celle de l’équilibre initial ;

- une sanction ou conséquence, permettant de réparer le déséquilibre ;

- un état final, marquant la construction d’un nouvel équilibre ou le retour à l’équilibre initial.

Selon ce modèle, qui a été mis en place pour analyser la séquence narrative élémentaire des

contes, le récit se définit comme le passage d’un état à un autre et suppose donc un acte de

transformation.

Pour mieux visualiser le schéma narratif construit par les Grimm dans leur Petit

Chaperon rouge, nous avons représenté sous forme schématique la trame adoptée par les

conteur. La flèche horizontale symbolise le fil du récit.

D

ans ce schéma, nous voyons que le déclencheur est la rencontre de la fillette avec le loup, et la

conséquence sanctionnant l’irruption du loup est la mort du chaperon (et de la grand-mère).

Chez les Grimm, la situation finale ménage une issue heureuse, permettant la délivrance des

deux femmes. L’équilibre est donc rétabli.

2) Les ruptures du schéma originaire dans les textes contemporains

Les auteurs contemporains jouent avec cette trame narrative bien assimilée par les

lecteurs, et constituent leur propre texte en établissant une rupture par laquelle le schéma

originel est détruit. Plus la rupture apparaît tardivement, plus la surprise du lecteur est grande.

Si, au contraire, le moment de la rupture intervient en amont du schéma narratif, l’écart entre

(1)

Situation

initiale

La mère

envoie le

PCR chez

Mère-Grand.

(5)

Situation

finale

(2)

Complication

ou

provocation

(4)

Résolution

ou

sanction

(3)

Action

Transformation

Le PCR est

dévoré par le

loup.

Le PCR

rencontre le

loup, qui

élabore un plan

pour la dévorer.

Le loup mange

Mère-Grand,

prend sa place et

noue un dialogue

avec le PCR.

Le chasseur

délivre la

grand-mère et le

PCR.

PCR = Petit chaperon rouge

72

Rupture : c’est le PCR qui tue le

loup au lieu d’être tué par le loup.

l’hypotexte et l’hypertexte est plus marqué et l’effet parodique se double de la constitution d’un

nouveau texte, distinct de son modèle. Pour visualiser le moment essentiel de la rupture dans

quelques textes contemporains, nous allons reprendre le schéma narratif et indiquer sur le fil du

récit l’étape à laquelle l’enchaînement originel est brisé.

Lorsque seul le dénouement diffère du conte-source, l’effet de surprise est maximal.

C’est le cas dans la réécriture du Petit Chaperon rouge de Roald Dahl. Le nouveau conte

respecte scrupuleusement la trame originelle durant les trois quarts du récit, mais brutalement,

l’histoire déraille : au lieu de s’exclamer « Comme tu as de grandes dents ! », la fillette s’extasie

devant la fourrure du loup. « Ce n’est pas dans le texte1 ! », s’écrie l’animal. Mais celui-ci n’a

pas le temps de se révolter et est abattu par la fillette qui a sorti de son pantalon un revolver. La

fillette, coquette, peut désormais pavaner dans son beau manteau de fourrure en peau de loup !

Chez Dahl, la rupture a donc lieu à la quatrième étape du schéma narratif, celle de la résolution,

ce qui entraîne inévitablement une nouvelle situation finale. Nous pouvons schématiser ainsi le

récit de Dahl (les pointillés marquent la création propre à l’hypotexte) :

Chez d’autres auteurs contemporains, le schéma quinaire est brisé à l’étape centrale de

l’action. Alors que l’histoire semblait devoir se reproduire exactement comme dans le conte-

source, les personnages refusent de nouer l’action de la façon dont on s’y attend. C’est le cas du

petit chaperon vert de Cami2 : malgré les multiples « coïncidences » constatées entre la situation

de l’héroïne de Cami et celle du conte-source, la fillette, qui connaît l’histoire initiale, refuse de

dire le texte original et brise ainsi la trame attendue. Schématisons ci-dessous l’effet de rupture

dans le texte de Cami :

Remontant toujours le fil de l’histoire, nous assistons chez d’autres auteurs

contemporains à une rupture qui a lieu dès que la fillette quitte ses parents. Nous rencontrons ce

1 Roald Dahl / Quentin Blake (illus.), « Le Petit Chaperon rouge », dans Un conte peut en cacher un autre, op. cit.,

p. 48. 2 Cami, « Le petit chaperon vert », in : L’Homme à la tête d’épingle, op. cit.

(4) Sanction

(3) Action

Rupture : le PCR refuse de rejouer

jusqu’au bout le dialogue initial.

73

Rupture : le PCR n’est pas identifié comme tel.

Il ne peut y avoir d’événement déclencheur.

cas dans Le Petit Chaperon rouge a des soucis d’Anne-Sophie de Monsabert1 : la situation

initiale est identique à celle du conte-source, la petite fille étant invitée par sa mère à aller rendre

visite à sa grand-mère. Mais une fois en chemin, rien ne se passe comme prévu : elle rencontre

des enfants qui, parce qu’elle est habillée en rouge en plein mois de décembre, s’évertuent à la

prendre pour le Père-Noël et dévalisent son panier dans l’espoir d’y trouver des cadeaux ! Le

loup, lui-même, refuse de la dévorer, échaffaudé qu’il est par ses précédentes aventures avec les

fillettes. Dans cet album, tout bascule donc à l’étape de la « complication », qui n’a pas

réellement lieu, faute d’identification du petit chaperon rouge comme personnage :

Enfin, un dernier cas, atypique et rarement rencontré dans nos lectures : seule la dernière

étape du schéma narratif originaire est reprise. Il s’agit alors de raconter la suite de l’histoire du

petit chaperon rouge. Ainsi, dans Où est maman ?2, l’auteur ouvre son album par une scène où

la fillette (nommée ici Toute-en-rouge) a capturé le loup, lui a recousu le ventre et s’exclame

« Voilà, c’est fait. Maintenant je rentre à la maison » :

L’histoire commence donc là où se termine généralement le conte du petit chaperon rouge.

L’auteur a imaginé en effet une situation que le jeune lecteur du conte initial a déjà dû se poser :

comment le petit chaperon rouge va-t-il faire pour retourner chez sa maman, une fois l’épreuve

du loup surmontée ? L’album raconte ainsi en images le difficile cheminement de la fillette

jusqu’à la maison maternelle : le retour chez soi n’est pas aisé, mais Tout-en-rouge est

heureusement aidée par d’autres personnages, eux aussi à la recherche du foyer familial (les sept

nains, Pouce et Poucette, la Belle Dormante, les trois petits cochons... et même le loup, qui tout

féroce qu’il est, aimerait bien connaître la douceur d’une mère). Ici, le lien avec le conte initial

1 Anne-Sophie de Monsabert / Géraldine Alibeu (illus.), Le Petit Chaperon rouge a des soucis, Paris, Albin Michel

Jeunesse, 2004. 2 Gerda Dendooven, Où est Maman ? Éditions Être, Paris, 2006.

74

(5) Situation finale

est minime, et pourtant il est nécessaire à l’enfant de connaître l’histoire originelle s’il veut

comprendre toute la portée de la nouvelle histoire. Ci-dessous, nous avons essayé de schématiser

le lien entre les deux récits : les gros pointillés à gauche évoquent l’histoire-source, les petits

pointillés de droite la nouvelle histoire et le trait noir, entre les deux, le moment où les deux

récits se recouvrent :

Par conséquent, loin de suivre le cours du récit attendu, les histoires contemporaines

marquent leur écart par rapport au conte-source. La modification de la trame originale engendre

des effets de surprise. Comme le montre Raphaël Baroni, les récits parodiques se fondent « sur

la réversibilité d’un modèle connu, sur un écart entre hypotexte et hypertexte » : ils

« configurent une surprise qui succède à une attente1 ». Se joue ici une « relation tensive

2 » entre

la reconnaissance d’indices intertextuels et l’actualisation effective de la lecture qui ne retrouve

pas dans le texte les cadres attendus. Respect et rupture du schème narratif classique dans le

nouveau texte entraînent respectivement anticipation et incertitude du lecteur et constituent la

tension narrative qui donne envie au lecteur de continuer la lecture.

B) Les personnages

1) Des personnages qui pré-existent aux textes

Dans les contes traditionnels, les personnages sont typés. Ils sont sans épaisseur

psychologique et parfois même sans nom. Ils sont simplement désignés par la fonction qu’ils

occupent dans la société, ou bien par leur position familiale.

Le héros est généralement caractérisé par un détail physique ou moral qui lui est propre

et qui le distingue des autres. Ainsi, dans les versions originelles du conte, l’héroïne est désignée

par la relation familiale qu’elle entretient avec sa mère et sa grand-mère. Elle est brièvement

caractérisée par un élément vestimentaire à l’origine du surnom qui lui a été attribué : le petit

chaperon rouge que lui a confectionné sa grand-mère. Aucun autre détail physique n’est donné.

Chez Perrault, on apprend simplement que la « petite fille de village » est « la plus jolie qu’on

eût su voir3 ». Nulle précision n’est donnée sur son âge, la couleur de ses yeux ou de ses

cheveux, ni non plus son milieu social. On ne peut pas plus dresser le portrait physique de la

1 Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, op. cit., p. 238.

2 Ibid., p. 239.

3 Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 53.

75

fillette qu’on ne peut en fixer les traits de caractère. Rien n’est dit dans le texte. Perrault laisse

seulement entendre que la fillette est charmante puisque sa mère et sa grand-mère en sont

« folles1 ».

On trouve la même indétermination pour les autres personnages du conte. De la grand-

mère, on sait seulement qu’elle habite loin de la maison de sa fille, « au milieu de la forêt, à une

demi-heure du village », disent les Grimm2, et qu’elle est malade depuis peu. Quant au loup,

aucune description n’en est donnée : Perrault nous dit seulement, au détour d’une phrase, qu’il

est « méchant », et les Grimm le désignent par l’expression « vilaine bête ».

Dans les contes, les personnages ne sont pas déterminés par leur ressemblance avec des

personnes humaines vraisemblantes. Ils sont avant tout des moteurs d’action sans identité. Les

personnages sont définis par les relations qu’ils entretiennent entre eux et par les actions qu’ils

accomplissent. Ainsi, si on peut désigner l’héroïne de Perrault comme naïve et inconsciente,

c’est grâce à l’interprétation qu’on peut faire de la mésaventure qui lui arrive. C’est à travers ses

actions que son caractère se détermine. Le chaperon rouge est moins naïf qu’il n’agit naïvement.

L’analyse de Vladimir Propp3 définit les personnages des contes en fonction de leur

participation à une sphère d’actions et les considère comme des « actants ». Selon Propp, les

personnages se déterminent non pas en fonction de ce qu’ils sont, mais en fonction de ce qu’ils

font. Ce sont des types comme le Méchant, l’Aide, le Donateur, etc. Ces fonctions se retrouvent

d’un conte à l’autre et sont aisément reconnaissables par le lecteur.

Les personnages traditionnels de conte sont donc des stéréotypes, c’est-à-dire qu’ils sont

« reçus comme des traits caractéristiques qui donnent l’impression du déjà vu, du déjà rencontré

au personnage, qui font de lui un familier, un type populaire ou un type littéraire4 ». Le

stéréotype est l’élément antérieur à la lecture, généralement issu de l’environnement culturel,

qui la structure et la détermine. Il aide à la construction du sens et oriente la lecture. Ainsi,

lorsqu’il lit un conte mettant en scène un personnage de loup, le lecteur reconnaît le stéréotype

de l’animal féroce, effrayant et trompeur, alors qu’il identifie d’emblée la fillette comme

innocente et naïve.

Lorsqu’un enfant ouvre un ouvrage intitulé Le Petit Chaperon rouge, il pense connaître

les personnages de l’histoire, même si le livre a été écrit par un auteur contemporain. Comme le

dit Serge Martin, « on ne lit jamais un conte pour la première fois5 ». On n’a pas besoin d’avoir

1 Ibid., p. 53.

2 Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 69.

3 Vladimir Propp, Morphologie du conte, op. cit.

4 Jean-Claude Azoumaye, article « Stéréotype » in : Dictionnaire international des termes littéraires

(<www.ditl.info/arttest/art8211.php>). 5 Serge Martin, Les Contes à l’école. Le(s) Petit(s) Chaperon(s) rouge(s), Paris, Bertrand Lacoste, « Parcours

didactiques à l’école », 1997, p. 21.

76

lu la « partition originale » pour la connaître1. Le lecteur aborde donc les personnages du conte

réécrit avec les images qu’il s’en est constituées à la lecture ou à l’écoute du conte originel. Il

projette alors sur les personnages ses attentes, correspondant aux stéréotypes. Le loup est né non

seulement des versions originelles du conte du Petit Chaperon rouge, mais aussi des nombreux

autres contes où ses méfaits l’ont d’ores et déjà caractérisé (Les Trois Petits cochons, Le loup et

les chevreaux, Pierre et le loup, etc.). Les personnages des contes ont une existence culturelle.

Ils appartiennent à l’imaginaire collectif et sont familiers à l’enfant qui les reconnaît sans avoir

besoin d’une description qui vienne leur donner une identité. Pour désigner ces personnages,

Philippe Hamon a élaboré le concept de « pré-désignation conventionnelle2 ». Le personnage est

défini par des caractéristiques issues du genre auquel appartient le texte, ce qui le détermine

avant la lecture par intertextualité sous-jacente.

La constitution du personnage de conte est réalisée par le double rapport au contexte

culturel et au rôle actif du lecteur. En effet, le personnage est toujours

la collaboration d’un effet de contexte (soulignement de rapports sémantiques intra-textuels) et d’une

activité de mémorisation et de reconstruction opérée par le lecteur3.

Cette définition du personnage suppose la participation du lecteur. Umberto Eco, dans Lector in

fabula, identifie la lecture comme une « coopération interprétative » et montre que l’acte de lire

suppose un certain nombre de « compétences ». L’une d’entre elles est la « compétence

encyclopédique », à l’occasion de laquelle Eco forge le concept de « scénario intertextuel4 ». Le

lecteur appréhende un texte à partir de scénarii préexistants, issus du lien qu’il entretient en tant

que lecteur avec les autres textes. Les scénarii peuvent être « maximaux », c’est-à-dire issus des

règles de genre, ou encore « motifs » ou « situationnels ». Ces scénarii, issus de la compétence

intertextuelle du lecteur, elle-même déterminée par l’horizon culturel dans lequel l’imaginaire se

développe, déterminent une certaine interprétation des textes et guident toute nouvelle lecture.

Ainsi, le lecteur d’un Petit Chaperon rouge contemporain lit le nouveau conte avec l’aide du

scénario intertextuel qui structure sa lecture et crée un horizon d’attente. L’enfant-lecteur qui

aborde un nouveau conte du Petit Chaperon rouge s’attend donc à trouver des personnages qu’il

s’est appropriés.

Face à cet horizon d’attente, deux possibilités s’offrent aux auteurs contemporains : soit

confirmer cette attente en développant les stéréotypes et en leur donnant une présence physique

ou psychique qu’ils n’avaient pas forcément dans le conte originel, soit au contraire briser

1 Cf. Umberto Eco, « Sur quelques fonctions de la littérature », in : De la littérature [Sulla letteratura, 2002],

traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 2003, p. 19. 2 Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage » [dans Littérature, 6, Paris, Larousse, 1972], puis

dans Poétique du récit [1977], Paris, Le Seuil, 2003, p. 126. 3 Id.

4 Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 101.

77

l’attente en renversant le stéréotype et en procédant à des retournements qui vont constituer de

nouveaux types. Nous allons étudier les personnages des textes contemporains en analysant

successivement ces deux possibilités.

2) La transformation du stéréotype en personnage

Certains auteurs contemporains transforment le stéréotype en personnage, c’est-à-dire en

un signifiant discontinu (un certain nombre de marques textuelles) renvoyant à un signifié discontinu

(le sens et la valeur d’un personnage)1.

Philippe Hamon montre que le personnage n’existe pas en dehors du texte, mais qu’il se

constitue au fil des énoncés linguistiques, par les annotations concernant son être, son faire et

son importance hiérarchique. Dans les textes contemporains, on relève ainsi plusieurs

indications au fil du récit permettant de préciser les personnages du Petit Chaperon rouge.

Une des façons de caractériser l’être du personnage est de lui donner un nom. Dans leurs

Contes à l’envers, Dumas et Moissard continuent de laisser le « célèbre chaperon rouge2 » dans

son anonymat. En revanche, ils lui donnent un lien génétique avec leur personnage. En effet, le

chaperon rouge « n’a pas éternellement continué d’être petit » et a eu une fille, prénommée

Françoise, qui, elle-même, a eu à son tour une fille appelée « Lorette ». Celle-ci a été

surnommée « le Petit Chaperon Bleu Marine »

à la fois en l’honneur de sa grand-mère et à cause d’un duffle-coat de cette couleur acheté en solde

aux Galeries Lafayette et que sa maman (Françoise) l’oblige à mettre chaque fois qu’elle sort, pour

qu’elle n’aille pas attraper froid3.

Les auteurs vont conter les aventures de cette petite fille qui, jalouse de la réputation de sa

grand-mère, l’ex-Chaperon rouge, s’est mise en tête de devenir aussi célèbre qu’elle. En donnant

à leur héroïne un nom et en la faisant évoluer dans un univers référentiel facilement identifiable

(le treizième arrondissement de Paris) ils créent un personnage qui n’est plus aussi indéterminé

que le stéréotype du conte originel. Le petit lecteur parisien pourrait avoir l’idée d’aller au

Jardin des Plantes, comme le Chaperon bleu, et penser que le loup qui dort dans sa cage est,

comme dans le conte de Moissard et Dumas, « l’arrière-petit-neveu de celui qui dans le conte de

Perrault mange la grand-mère4 ». L’onomastique et la biographie permettent de rendre les

personnages plus proches de personnes réelles. On voit ici que les auteurs font basculer le conte

dans le roman et utilisent des éléments clés du genre romanesque (psychologie, réalisme, effet

mimétique) qui permettent de multiplier les effets de vie.

1 Philippe Hamon, « Pour un statut sémiologique du personnage », op. cit., p. 124.

2 Philippe Dumas et Boris Moissard, Contes à l’envers [1980], Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2005, p. 15.

3 Ibid, p. 16.

4 Ibid., p. 19.

78

Pour faire vivre son personnage, l’auteur peut évoquer sa vie intérieure. Dans L’effet-

personnage dans le roman, Vincent Jouve parle d’« effet-personne » pour définir le personnage

sous l’angle des procédures créatrices de l’illusion référentielle, et explique ainsi que

la référence aux pensées, aux sentiments, passions, angoisses ou désirs d’un personnage, donne une

impression de « richesse psychique »1.

Pour donner de la profondeur à la vie psychique du personnage, l’auteur dispose d’un « foyer

modal2 » constitué par le vouloir, le savoir et le pouvoir. Joël Pommerat, dans son Petit

Chaperon rouge3, fait le portrait de son héroïne à partir de la conjonction de ces trois modalités.

Les premières pages de sa pièce de théâtre sont en effet consacrées à une description précise de

la petite fille. Celle-ci est définie par le sentiment de manque et de solitude qu’elle ressent car sa

mère est trop souvent absente. Le personnage de la fillette est ainsi déterminé par son désir de

retrouver la tendresse d’une mère que son travail retient loin de la maison. Un jour, la mère

annonce à sa fille qu’elle pourra aller voir toute seule sa grand-mère lorsqu’elle saura

confectionner elle-même un flan. Après de nombreuses tentatives, la fillette parvient enfin à

cuire le gâteau : elle a le savoir Ŕ le savoir qui marque l’apprentissage de l’enfant. Elle part donc

chez sa grand-mère et, en chemin, rencontre le loup. La lutte qui l’oppose à l’animal est la

modalité de pouvoir qui participe, elle aussi, à la caractérisation de l’héroïne. Joël Pommerat, en

approfondissant le personnage du chaperon, parvient à constituer un personnage attachant.

Comme le montre Vincent Jouve, « l’effet-personne » construit le personnage dans un « système

de sympathie », favorisant l’identification du jeune lecteur :

Le lecteur, en tant que sujet, se reconnaît ainsi dans le personnage le plus personnalisé4.

La dévoration de la fillette par le loup, à la fin de la pièce de Joël Pommerat, sera d’autant plus

troublante pour l’enfant-lecteur qu’il se sera identifié à l’héroïne longuement caractérisée par

son auteur.

Un autre moyen que le seul texte est donné aux auteurs de littérature de jeunesse pour

caractériser leurs personnages : l’illustration. Dans les albums, le lecteur n’est pas totalement

libre d’imaginer le personnage comme il le veut. Les illustrations lui donnent une image des

personnages, même si le texte est resté lacunaire. L’illustrateur invite le lecteur à imaginer les

personnages tel qu’il les conçoit lui-même. Ainsi, dans Un petit chaperon rouge, de Claude

Clément5, l’illustratrice Isabelle Forestier donne une figuration concrète au personnage de la

fillette, et en particulier au « bonnet de velours cramoisi » que le texte se contente de présenter

1 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, « Écriture », 1992, p. 111.

2 Ibid., p. 112.

3 Joël Pommerat / Marjolaine Leray (illus.), Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

4 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit., p. 133.

5 Claude Clément / Isabelle Forestier (illus.), Un petit chaperon rouge, Paris, Grasset & Fasquelle, 2000. Nous

avons placé en tête de notre deuxième partie une illustration tirée de l’album.

79

en ces simples termes. L’illustratrice représente le chaperon comme un très haut chapeau rouge,

démesurément long, joliment arrondi à sa pointe. C’est une façon de montrer l’originalité de

l’héroïne et d’insister sur sa particularité. Quelques pages plus loin, les dessins très réalistes du

loup donnent corps, eux aussi, au personnage animal, mettant en avant sa violence et la peur

qu’il suscite.

Comme on le voit, dans certains textes contemporains, les stéréotypes du conte originel

sont transformés, si bien qu’ils deviennent personnages à proprement parler. Les nouveaux

personnages gagnent leur autonomie et le jeune lecteur s’y attache facilement.

3) Le renversement des stéréotypes

D’autres auteurs contemporains présentent des personnages qui ont toujours une valeur

de type, mais ne correspondent justement pas au stéréotype que l’on s’attend à trouver. Dans de

tels textes, la dimension parodique est fortement présente et se lit à partir de l’inversion des rôles

des personnages traditionnels.

Ainsi, alors que le loup devient sympathique, le chaperon rouge, lui, devient un bourreau

persécutant le pauvre animal. Dans l’album de Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-

peut1, la fillette est infernale. Le livre s’ouvre par une phrase parodiant l’incipit du conte de

Perrault :

Il était une fois une petite fille, la plus espiègle qu’on eût pu voir.

La fillette taquine tous les animaux de la ferme, leur jouant des mauvais tours : c’est une « vraie

chipie », une « enquiquineuse », d’où son surnom « Mademoiselle Sauve-qui-peut », à prendre

au sens propre puisque tous les animaux s’enfuient dès qu’ils l’aperçoivent ! Chez sa grand-

mère, où l’a envoyée sa mère pour s’en débarrasser, elle trouve le loup, déguisé en mamie, qui

s’est glissé dans le lit. Elle fait d’abord mine de ne pas voir le déguisement et rejoue le dialogue

connu avec le loup/grand-mère. Mais elle finit par chasser l’animal à coup de fourche :

« Allez, zou ! Dehors ! Et plus vite que ça ! Il veut que je m’énerve en vrai, le loup ? Il me croit aussi

bête que le Petit Chaperon rouge ou quoi2 ? »

L’héroïne refuse d’être assimilée au personnage du conte-source. Ici, le chaperon du texte

originel souligne le décalage avec le modèle, car

le Chaperon terrible cherche toujours à se situer par rapport à son modèle, dans des récits à dimension

métanarrative, où l’héroïne connaît fort bien l’histoire qu’elle démarque3.

Le personnage de la fillette dans les textes contemporains anticipe ses aventures pour mieux les

1 Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-peut [1996], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2006.

2 Ibid., p. 25.

3 Christiane Pintado, « Enfants terribles des nouveaux contes. Chaperons et princesses ne s’en laissent plus conter »,

in : Nous voulons lire !, n° 164, avril 2006, p. 19.

80

éviter. Les références au texte initial marquent cette rupture. Comme Mademoiselle Sauve-qui-

peut, la Lorette du conte à l’envers de Dumas et Moissard affirme sa supériorité sur le chaperon

du conte originel : « Suffit, Loup ! », dit-elle à sa grand-mère qu’elle prend pour le loup, avant

d’ajouter : « Je ne suis pas aussi bête et naïve que le Petit Chaperon rouge1. » La fillette du

nouveau conte « prend son personnage source pour repoussoir2 ». Le personnage du texte

contemporain est l’objet d’un commentaire métatextuel. Dans les deux exemples donnés ci-

dessus, Mademoiselle Sauve-qui-peut et Lorette critiquent explicitement le personnage du

chaperon rouge et s’affirment ainsi par ce rejet marquant l’inversion des rôles.

Le chaperon n’est pas le seul à subir ce renversement. Les loups des textes

contemporains deviennent gentils et serviables, des « amours », comme le loup du roman

d’Agnès de Lestrade3. Ils sont parfois tellement traumatisés par les effronteries du chaperon

qu’ils se révèlent aussi doux que des agneaux. L’image finale de Mademoiselle Sauve-qui-peut4

où l’on voit le loup, assis au coin du feu auprès de Mère-Grand, montre avec humour cette

inversion.

Cependant, le renversement du stéréotype est parfois suivi d’un rétablissement inattendu.

Ainsi, le loup du conte de Marcel Aymé5 se prend au jeu de Delphine et Marinette qui s’amusent

à « Loup y es-tu ? » et finit par croquer les deux petites filles. Son instinct carnivore est revenu

malgré lui.

C) Les décors et le temps de l’histoire

1) Indétermination du temps et de l’espace dans le conte d’origine

Étudions maintenant l’environnement spatio-temporel dans lequel évoluent les

personnages, c’est-à-dire le contexte dessiné explicitement ou non par l’histoire. Nous

n’envisageons donc pas ici le temps de la narration, propre à la façon dont l’histoire est

racontée, mais plutôt le temps de l’aventure. Où et quand se passent les événements racontés

dans l’histoire ?

Dans un conte traditionnel, il est impossible de situer avec précision le lieu et le temps

référentiels, contrairement à une légende qui a trait à un lieu et à un moment précis de l’Histoire.

Aucune topographie, même vague, ne peut être construite à la seule lecture du conte du Petit

1 Philippe Dumas et Boris Moissard, Contes à l’envers, op. cit., p. 22.

2 Christiane Pintado, « Enfants terribles des nouveaux contes. Chaperons et princesses ne s’en laissent plus conter »,

in : Nous voulons lire, op. cit., p. 23. 3 Agnès de Lestrade / Christian Guibbaud (illus.), Un amour de loup, op. cit.

4 Philippe Corentin, Mademoiselle Sauve-qui-peut, op. cit., p. 28.

5 Marcel Aymé, « Le loup », dans Les Contes du chat perché [1939], Paris, Gallimard, « Folio », 1988, p. 169-187.

81

Chaperon rouge. Les seules indications de lieu chez Perrault et les Grimm sont la mention d’un

« village » et d’une « forêt ». La formule d’ouverture « Il était une fois » marque clairement

l’atemporalité qui permet de créer « une toile de fond uniforme sur laquelle surgit […] un

événement1 ». Par son absence de contextualisation, le conte fonde une histoire qui se réalise

dans un passé immémorial et un monde étranger. Parce qu’il est impossible de dater les faits et

qu’ils se réalisent dans un univers ne ressemblant pas à celui dans lequel nous vivons, tout est

donné dans le conte pour construire une histoire hors du commun. Le lecteur est invité à se

concentrer sur l’intrigue, réduite à l’essentiel, puisque les moments de pause consacrés à la

description sont minimes.

L’indétermination spatio-temporelle favorise également le travail interprétatif du lecteur

et par conséquent son appropriation. L’absence de contextualisation traduit la portée symbolique

du conte. La forêt du Petit Chaperon rouge symbolise toutes les forêts possibles et imaginables,

c’est-à-dire renvoie à un lieu sur lequel se concentrent les idées de mystère, d’obscurité et de

profondeur. Dans les contes traditionnels, la forêt est le lieu noir et sauvage dans lequel l’on

s’enfonce et l’on se perd. Univers de l’errance et de la perte du foyer familial, elle apparaît

généralement comme un labyrinthe sans fin, au détour duquel l’on risque toujours de faire une

mauvaise rencontre Ŕ un ogre dans Le Petit Poucet, ou une sorcière dans Blanche-Neige.

Nuançons cependant notre propos : l’indétermination n’est jamais totale. Un conte est

nécessairement génétiquement daté. Il ne s’abstrait pas totalement de l’époque et du pays qui le

font naître. Les versions populaires fourmillent de détails propres aux régions dans lesquelles

elles ont été racontées Ŕ patois, modes vestimentaires, habitudes culinaires… En lisant un conte,

on est projeté dans une époque. Il n’y a donc pas d’universalité du conte qui témoigne, malgré la

brièveté de ses descriptions et l’imprécision de ses notations temporelles, des valeurs de la

société dans laquelle il est transmis.

2) Modernisations et anachronismes

Dans les réécritures contemporaines, le non-lieu et le non-temps des contes traditionnels

perdent leur indétermination et gagnent en contextualisation. Dans les romans, les descriptions

permettent de préciser le contexte géographique. Ainsi, l’ouvrage de Carmen Martin Gaite, Le

Petit Chaperon rouge à Manhattan2, s’ouvre par une promenade dans New York. L’incipit

prend des allures de guide touristique. Y abondent les noms précis des différents éléments du

quartier de Manhattan et de ce qui l’entoure : Central Park, East River, l’Hudson, Brooklyn…

1 Georges Jean, Le Pouvoir des contes, Paris, Casterman, 1990, p. 140.

2 Carmen Martin Gaite, Le Petit Chaperon rouge à Manhattan, op. cit.

82

Le narrateur choisit des images évocatrices : en le lisant, il serait facile de dessiner un croquis de

la ville « en forme de jambon avec un plat d’épinards au milieu1 ». Par un effet de zoom, les

pages suivantes précisent l’univers dans lequel vit l’héroïne, Sara Allen. Il semble aisé de la

localiser : elle habite « dans l’appartement 14 d’un bloc d’immeubles assez laids2 », loin de sa

grand-mère qui vit « au haut du jambon », à Morningside.

Dans de nombreux albums, les descriptions sont rares et ce sont les illustrations qui

imposent l’identité visuelle des lieux et qui fixent les histoires dans un temps actuel. Chapeau

rond rouge3 se passe dans une forêt qui n’est pas

nommée, mais qui est dessinée avec précision.

L’intérieur de la maison de Mère-Grand figure un

environnement contemporain des lecteurs. On voit

un lustre électrique au plafond, un radiateur sous la

fenêtre, des photographies sur les murs (voir ci-

contre). Certes, il y a de nombreux bibelots dans le

salon de la grand-mère (des bougeoirs,

notamment), mais c’est qu’il s’agit de la maison

d’une vieille dame. L’histoire est clairement

donnée dans un espace-temps proche de celui du

lecteur et dans lequel il peut aisément se projeter.

Les réécritures constituent une « transdiégétisation » (ou « transposition diégétique4 »),

technique de déplacement du contexte de la diégèse. Ce procédé est utilisé par l’écriture

parodique pour marquer l’écart entre l’hypotexte et l’hypertexte.

Avec les auteurs contemporains, le monde citadin remplace l’image classique de la forêt,

dont il garde pourtant les caractéristiques fondamentales. En effet, dans de nombreux ouvrages

actuels, le petit chaperon rouge ne doit plus traverser la forêt pour aller chez Mère-Grand : il est

obligé d’aller à l’autre bout de la ville. La ville est alors souvent représentée avec les mêmes

attributs que la forêt : immensité, anonymat, danger, mystère. La fillette doit parfois prendre le

bus pour retrouver sa grand-mère (cf. Quel cafouillage ! de Gianni Rodari5, et Je, le loup et

moi… de Béatrice Poncelet). Jean Claverie, dans son Petit Chaperon rouge, transpose le monde

sylvestre en univers citadin. On voit en effet sur la première page un grand dessin, très gris, de

l’immense carrosserie de M. Wolf (personnage qui tient le rôle du loup). Ce « vaste champ de

1 Ibid., p. 9.

2 Ibid., p. 12.

3 Geoffroy de Pennart, Chapeau rond rouge, op. cit.

4 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 420.

5 Gianni Rodari / Alessandro Sanna (illus.), Quel cafouillage ! [A sbagliare le storie, 2003], traduit de l’italien par

Sofia Turconi, Paris, Kaléidoscope, 2005.

83

ferraille » est entouré de petits pavillons et de grands immeubles industriels. Les cadavres de

voitures entassées les unes sur les autres donnent une impression de mort. Dans le Petit

Chaperon rouge d’aujourd’hui, la ville a envahi la forêt, comme le suggère l’incipit

accompagnant l’illustration :

Il était une fois une grande ville qui, en grandissant toujours plus, avait fait disparaître une forêt. Là

où avaient prospéré des arbres immenses s’étendait à perte de vue un cimetière de vieilles voitures

sans roues ni glaces, de carcasses d’autocars et de camions à jamais immobiles attendant sous le

soleil et la pluie l’écrasement final sous le pilon de M. Wolf, le casseur1.

Un tel univers, peu engageant, est pourtant le terrain de jeu du petit chaperon de Claverie, qui

joue parmi les vieilles voitures, comme son ancêtre s’amusait dans la forêt.

Les forêts se transforment en villes. Pourtant, il y a parfois une certaine hésitation dans le

déplacement des deux univers. Ainsi, dans l’album de Claude Clément2, on trouve à la fois la

ville et la campagne. Le petit chaperon rouge habite la « Cité des Bergeries ». Les illustrations

d’Isabelle Forestier représentent une banlieue noyée dans de hauts immeubles. La cité est

toujours montrée en arrière-plan, mais il est clairement précisé que la fillette et sa mère y

habitent. Pourtant, la Cité des Bergeries est dans un « quartier isolé », si bien que la fillette doit

traverser la forêt pour aller voir sa grand-mère. L’intrusion du monde végétal dans un contexte

citadin marque le désir de l’auteur de rappeler l’univers du conte-source à l’instant clé de la

rencontre avec le loup.

Ainsi, malgré les nombreux éléments de modernisation, certains auteurs ne se coupent

pas totalement de l’univers référentiel premier. Il s’agit de moderniser l’histoire tout en

continuant de la présenter comme un conte. Il semble qu’un saut trop brutal dans la

contemporanéité risquerait de briser le lien avec le conte-source. Pour montrer qu’il raconte

toujours un conte, l’auteur cherche à « faire vieux » et à donner des détails évoquant un univers

passé. Perrault aussi employait un vocabulaire archaïque pour donner l’illusion d’un conte

immémorial3. De la même façon, certains illustrateurs contemporains modernisent le conte, tout

en laissant des indices évoquant le « bon vieux temps ». Anna Laura Cantone, dans sa version

du Petit Chaperon rouge très proche des Grimm, propose une illustration actuelle qui joue sur

les formes géométriques, les disproportions des corps des personnages et les couleurs vives.

Cependant, quand il s’agit de représenter la maison de la mère, elle dessine une cuisine dans le

style des années 1950 avec une gazinière et un réfrigérateur qui n’ont plus rien à voir avec

l’électroménager actuel. Le petit décalage temporel, visible ici dans des détails de l’illustration,

contribue à évoquer le passé auquel l’enfant associe l’univers du conte.

1 Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Albin Michel Jeunesse, 1998.

2 Claude Clément / Isabelle Forestier (illus.), Un petit chaperon rouge, op. cit.

3 Comme le note Marc Soriano (Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 154-

155), des expressions comme « mère-grand, cuire au sens intransitif, chaperon » étaient déjà vieillies et désuètes au

temps de Perrault qui les utilise malgré tout comme « une reconstitution, un “à la manière de” ».

84

La modernisation des décors apparaît donc par petites touches. Ce mélange de l’ancien et

de l’actuel contribue à construire des décalages anachroniques qui suscitent chez le lecteur des

effets de surprise. Dans un très grand nombre d’ouvrages contemporains sont ainsi glissés des

petits anachronismes, le plus souvent visibles dans l’illustration seule, qui fonctionnent comme

des clins d’œil humoristiques lancés au lecteur attentif. Ainsi, on ne s’attend pas à trouver la

grand-mère du Petit Chaperon rouge de Tony Ross en train de regarder la télévision1, et on est

surpris de trouver la mamie du chaperon de Jean Claverie2 un casque sur les oreilles, une

télécommande à la main et une pile de vidéo-cassettes à ses pieds (révélatrices de goûts

cinématographiques fort hétéroclites : Les Trois mousquetaires, Buster Keaton, Star Treck, Rio

Bravo, Munchhausen !). Ces détails anachroniques inscrivent l’histoire dans un contexte

temporellement marqué Ŕ donc rapidement démodé. Ainsi, il est probable que les grands-mères

d’aujourd’hui regardent des DVD plutôt que des cassettes VHS sur leur magnétoscope… à

moins qu’elles ne téléchargent des vidéos sur Internet !

3) Effets de la transdiégétisation

Les transpositions spatio-temporelles sont des éléments immédiatement visibles dans les

réécritures et sont motivées par la volonté d’adaptation des contes traditionnels au public

enfantin d’aujourd’hui. L’enfant qui retrouve dans les albums des éléments de son univers

quotidien entre aisément dans l’histoire. Son adhésion est donc facilitée, tout comme le

processus d’identification qu’il peut mener sur les personnages. Les enfants d’aujourd’hui

habitent plus souvent dans les villes que dans les campagnes. On peut donc dire que la

transdiégétisation a une fonction mimétique. Elle cultive une illusion de réalité qui était moindre

dans les contes traditionnels. Les illustrations donnant des détails précis du contexte de

référence apportent un gain de réalisme. L’univers du conte est pour le lecteur un prolongement

de son propre univers. Les auteurs ne mettent pas alors l’accent sur le côté merveilleux de

l’histoire, mais en révèlent l’actualité. Ils n’entraînent pas leur lecteur dans un « Neverland » à

la James Barrie, mais présentent un monde aisément identifiable.

Pour autant, les auteurs ne transforment pas le conte merveilleux en roman réaliste. Les

éléments de modernisations et d’anachronismes ont un autre rôle : ils permettent d’introduire

des décalages parodiques qui sont sources d’humour. Comme on l’a vu dans la première partie,

le lecteur a en mémoire le conte-source lorsqu’il lit sa réécriture contemporaine. L’écart entre ce

qu’il s’attend à trouver, en référence au conte originel, et la transposition moderne qu’il

1 Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 18-19.

2 Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

85

découvre dans l’hypertexte, crée un effet inattendu à valeur humoristique. L’item « petit pot de

beurre et galette » est bien marqué dans l’imaginaire des lecteurs, et le décalage par rapport au

texte de Perrault est évident lorsqu’au fil des textes contemporains le lecteur découvre que le

chaperon rouge porte dans son panier « une pizza bien rouge » et un « petit pot de coulis de

tomates » (chez Jean Claverie), ou bien « des tartes croustillantes, des chocolats fondants et une

bouteille de bière » (chez Tony Ross1), ou encore un simple « flan » confectionné avec soin

(chez James Marshall2). De telles transpositions réduisent la portée dramatique du récit

traditionnel et marquent le changement de registre avec la constitution d’un nouveau texte où

l’élément comique prend une place centrale.

Les transpositions par rapport au texte-source sont donc très nombreuses. Ces décalages,

tant au point de vue de la structure narrative, des personnages que du contexte spatio-temporel

de référence, bouleversent les textes contemporains, créant chez le lecteur des effets de surprise.

De tels détournements et inversions, aussi bien dans l’intrigue que dans les rôles dévolus aux

personnages, ont un rôle comique.

Entrons maintenant dans la sphère du récit proprement dit. Comment les transpositions

narratives s’établissent-elles dans les textes contemporains ?

III) Le récit

Alors que l’histoire est le contenu (ce qui est raconté), le récit est le contenant (la façon

dont cela est raconté). En étudiant le récit, nous allons adopter des concepts de narratologie et

envisager les textes à partir de l’étude de la structure narrative prise en charge par celui qui

raconte l’histoire, c’est-à-dire le narrateur. La narration est en effet l’acte producteur du récit.

Les variations de points de vue, de figures du narrateur et de vitesse de la narration sont des

éléments de transpositions adoptés par les auteurs contemporains dans leurs réécritures du Petit

Chaperon rouge.

Comment ces transpositions narratives s’organisent-elles ? En quoi sont-elles

révélatrices d’une volonté parodique de l’auteur ?

1 Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 14.

2 James Marshall, Le Petit Chaperon rouge [Red Riding Hood, 1987], traduit de l’anglais par Isabel Finkenstaedt,

Calligram, 1992.

86

A) La focalisation

1) Récurrences du choix d’un narrateur omniscient

Gérard Genette, dans Figures III1, a décrit la notion de point de vue narratif en utilisant le

terme de « focalisation ». Il s’agit de répondre à la question « Qui voit ? » et de se demander à

partir de quelle perspective l’histoire est narrée. Toute histoire est forcément contée d’un certain

point de vue qui détermine la manière dont sont présentés les décors, les personnages et les

actions. Un récit impose un choix narratif, marquant un regard et impliquant une restriction plus

ou moins importante du champ à partir duquel est sélectionnée l’information donnée au lecteur.

Dans le récit originel du Petit Chaperon rouge, le récit est organisé par un narrateur

omniscient, capable d’entrer dans les pensées de chacun des personnages (« focalisation zéro »

ou « vision par derrière »). Dans un récit « non-focalisé », le narrateur connaît tout de l’histoire

et de la situation des personnages et n’adopte pas de perspective exclusive. Le narrateur du

conte des Grimm domine l’univers romanesque. Il voit dans les pensées de chaque héros du

conte, comme le prouve l’emploi récurrent des verbes de pensée révélant le discours intérieur

des personnages. Le narrateur est tour à tour dans la tête du chaperon (« il ne savait pas », « elle

se disait », « elle se souvint », « elle fut très étonnée », « elle se dit »), dans celle du loup (« le

Loup se dit »), et même dans celle du chasseur (« il se dit », « l’idée lui vient2 »). Il n’y a donc

pas de sélection de l’information, ni de restriction du champ. Grâce à ce choix, le lecteur se

trouve dans la même position supérieure que celle du narrateur : il en sait plus que chacun des

personnages pris isolément. Lorsque le loup rencontre la fillette, le lecteur prend connaissance

du plan machiavélique de l’animal :

Le loup se dit : « Voilà un mets bien jeune et bien tendre, un vrai régal ! Il sera encore bien meilleur

que la vieille. Il faut que je m’y prenne adroitement pour les attraper toutes les deux3 ! »

Le lecteur peut donc facilement imaginer le danger que court la fillette. En revanche, le

chaperon ignore tout de la duplicité du loup. Cette large vision donnée au lecteur permet aux

auteurs de faire monter la tension dramatique. Le texte construit ainsi l’attente redoutée de la

dévoration de fillette : le lecteur y est préparé et, en même temps, voit avec inquiétude

approcher le moment fatidique du crime.

De nombreux textes contemporains suivent le modèle des auteurs classiques et adoptent

également une focalisation zéro, ou du moins alternent au sein de leur récit les différents points

de vue. La focalisation interne (vision du narrateur centrée sur un personnage), la focalisation

externe (vision du narrateur portant seulement sur l’extérieur des personnages) et la focalisation

1 Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 203-210.

2 Toutes ces citations sont tirées de Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 69-73. Voir annexe 1b pour le texte.

3 Ibid., p. 70.

87

zéro (vision omnisciente du narrateur) coexistent ; la focalisation se déplace d’un personnage à

un autre ou reste indéterminable. Le Petit Chaperon rouge de Tony Ross multiplie ainsi les

points de vue et adopte la même position d’un narrateur omniscient que dans le conte-source.

Nous savons ce que pense le loup, grâce à plusieurs discours en style direct (« Quelle chance !

songea le loup qui était mort de faim1 » ; « D’abord, je croque mère-grand, songeait-il

2 »). Nous

connaissons également ce que sait la fillette… ou plutôt ce qu’elle a l’erreur de ne justement pas

savoir (« L’énorme chien était en vérité un loup mais le Petit Chaperon rouge n’en savait

rien3. »). Nous faisons aussi intrusion dans l’esprit du papa bûcheron (« en voyant son énorme

ventre, le bûcheron comprit tout4 »).

Aucune innovation narrative n’est donc proposée dans le conte de Tony Ross, comme

c’est le cas dans d’autres textes contemporains. L’omniscience du narrateur est un ressort

dramatique efficace qu’il n’est pas nécessairement utile de modifier pour réécrire avec

originalité le texte-source. Ce choix narratologique n’est-il pas pour les auteurs contemporains

une façon de se placer dans les pas de Perrault et Grimm aussi importante que les choix narratifs

ou éditoriaux ?

2) Variations des points de vue

Quelques textes contemporains font le choix de concentrer le récit sur un point de vue

particulier. Il s’agit alors de fragmenter l’accès au monde raconté et d’adapter le récit au point

de vue d’un seul personnage (« focalisation interne » ou « vision avec »). La vision du narrateur

se confond alors avec celle du personnage choisi en point focal. Le narrateur ne transmet au

lecteur que ce que le personnage connaît de la situation. Il introduit le lecteur dans la conscience

de ce personnage et ne montre que ce que lui-même voit au point de perspective où il se trouve.

Le choix de la focalisation interne permet de réécrire l’histoire du petit chaperon rouge

en adoptant un point de vue particulier, et, ainsi, de présenter le conte d’une façon inédite. Cette

restriction de la perspective permet de renouveler le récit en lui-même. Le point de vue adopté

peut alors être celui de la fillette. C’est le cas dans le petit roman d’Ann Rocard, L’Étrange

Monsieur Garou5. Ce récit à la première personne est mené par une narratrice autodiégétique qui

occupe le rôle du personnage principal. La jeune héroïne raconte l’emménagement à côté de

chez elle d’un nouveau voisin répondant au curieux nom de « Jean-Loup Garou ».

1 Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit., p. 14. Voir le texte complet dans l’annexe 2 de notre mémoire.

2 Ibid., p. 16.

3 Ibid., p. 12 (texte souligné par nous).

4 Ibid., p. 30.

5 Ann Rocard / Bruno Gibert (illus.), L’Étrange Monsieur Garou, Paris, Flammarion, « Père Castor », 1997.

88

L’imagination fort développée de la jeune fille, qui observe de loin cet étrange voisin, l’amène a

faire des hypothèses terrifiantes sur l’identité de ce monsieur Garou. Ne serait-il pas un vilain

loup et ne la prendrait-il pas pour le petit chaperon rouge ? Tout est vu à travers le regard de la

fillette. Le lecteur ne sait pas plus que la narratrice qui est le voisin si bizarre. Il partage donc les

frayeurs de la narratrice et devra attendre la dernière page pour connaître la vérité sur monsieur

Garou : si Jean-Loup Garou a une allure et une démarche étranges, c’est tout simplement parce

qu’il est aveugle. Le lecteur a été trompé par la narratrice, elle-même trompée par son

imagination. La focalisation du récit sur le seul point de vue de la fillette montre que c’est son

regard qui rend le loup méchant, alors qu’il ne l’est peut-être pas.

Dans John Chatterton détective1, qui se présente comme un récit policier, Yvan

Pommaux réécrit le Petit Chaperon rouge en adoptant le point de vue d’un personnage étranger

au conte originel : celui de la souris-détective John Chatterton, qui enquête sur la mystérieuse

disparition d’une petite fille habillée en rouge. L’auteur, par un style d’illustrations proches de la

bande dessinée (vignettes et dialogues dans des phylactères), évoque une atmosphère « noire »,

qui mime celle des polars des romans américains des années 1950. John Chatterton, le narrateur,

est le type même du « privé » et ressemble au Philip Marlowe de Raymond Chandler2. Un à un,

il va recueillir les indices qui le mèneront jusqu’à la maison du loup, un collectionneur d’art

averti. Certains personnages du conte originel jouent un rôle mineur : la grand-mère qui est vite

expédiée, car en vacances « dans les îles Crocodiles », et la fillette qui apparaît comme une

malheureuse victime. Le petit chaperon rouge disparaît du titre… parce qu’il a disparu.

L’histoire se construit au fil de la découverte des indices et du recueillement des divers

témoignages. Centrer la narration sur le personnage de l’enquêteur permet ainsi de préserver les

effets de surprise. Cependant, l’ironie de l’auteur évente le suspense. En effet, la projection du

conte-source sur l’histoire d’Yvan Pommaux permet d’identifier d’emblée la position des

personnages. Le lecteur peut donc avoir très vite une idée du coupable et n’est pas étonné de

voir apparaître un loup au milieu de l’album. Cet album nous donne un exemple de ce que

Raphaël Baroni nomme « rappel » ou « suspense paradoxal3 » : le lecteur est impatient de lire la

suite du texte… alors qu’il la connaît puisque le texte est réitéré.

La focalisation interne sur un personnage peut également avoir un rôle comique. C’est le

cas dans l’album de Fabian Negrin, Dans la gueule du loup4, qui réécrit l’histoire du petit

chaperon rouge en suivant le seul point de vue du loup. Le loup est ici le narrateur du récit.

1 Yvan Pommaux, John Chatterton détective [1993], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005.

2 La référence à Raymond Chandler semble essentielle pour Yvan Pommaux : il a ainsi nommé un de ses albums

parodiant le conte de La Belle au Bois dormant du titre d’un ouvrage du romancier américain, Le Grand Sommeil. 3 Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, op. cit., chapitre 10, p. 279-295.

4 Fabian Negrin, Dans la gueule du loup, traduit par Marc Voline, Rodez, Éditions du Rouergue, 2006.

89

L’animal transcrit sa version des faits et justifie chacun de ses méfaits : s’il a mangé Mère-

Grand, c’est parce qu’elle était vraiment très laide ; s’il suit le petit chaperon rouge, c’est parce

qu’il est fasciné par la beauté de la fillette ; et s’il la mange, c’est simplement parce que la petite

fille, qui a trébuché, est tombée par inadvertance dans sa gueule ! Le loup se présente donc en

victime innocente et révèle, arguments à l’appui, qu’il n’est en rien coupable1. La focalisation

interne facilite ici l’identification du lecteur au personnage : lorsque le récit adopte la

perspective du loup, il est difficile de le considérer comme un monstre. Cependant, le lecteur lit

l’album en gardant en tête le conte-source. La réécriture focale crée un effet comique, né du

décalage entre le discours prétendu candide du loup et ce que le lecteur sait de la « vraie

histoire » (la version des textes classiques). L’ironie perce ainsi la mauvaise foi de l’animal et

empêche le lecteur de se laisser duper par le loup.

Gérard Genette qualifie de « transfocalisation2 » ce changement. Ce procédé de

détournement du point de vue originel est propre à la parodie et au pastiche. On en trouve un

exemple célèbre dans les Exercices de style de Raymond Queneau3 où la même histoire (un

individu aperçu dans un bus à Saint-Lazare) est racontée à partir de différents points de vue.

Nous avons envisagé le point de vue du narrateur. Prolongeons maintenant l’étude de la

narration en analysant la façon dont le narrateur apparaît Ŕ ou pas Ŕ dans les textes

contemporains.

B) Les figures du narrateur

1) Un narrateur en retrait dans les textes-sources

Après avoir posé la question de la focalisation, nous posons celle de l’instance narrative

en acte dans les récits : qui raconte ? L’analyse porte ici sur la voix du récit et met en jeu la

problématique de l’énonciation.

Dans les textes de Perrault et des Grimm, le narrateur reste extrêmement discret tout le

long du récit. Il s’agit dans les deux versions d’un narrateur « hétérodiégétique », c’est-à-dire

absent de la diégèse, et « extradiégétique », c’est-à-dire qui n’est pas lui-même objet d’un récit4.

Les contes se présentent comme des récits à la troisième personne du singulier, dans lesquels le

1 Le procédé a déjà été utilisé par Jon Scieszka, dans La Vérité sur l’affaire des trois petits cochons (traduit de

l’américain par Gilles Lergen, Paris, Nathan, 1991) : dans cet album, le narrateur, Léonard Eugène Loup, raconte

qu’on l’a pris à tort pour un « Grand Méchant Loup » et que si les maisons des petits cochons ont été soufflées,

c’est simplement parce qu’il était enrhumé et qu’il a éternué trop fort ! 2 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 407-415.

3 Raymond Queneau, Exercices de style [1947], Paris, Gallimard, 1982.

4 Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 251-259 et p. 238-241.

90

narrateur montre plutôt qu’il ne raconte. Le mode adopté est « mimétique », plutôt que

« diégétique » : l’attention est portée sur l’histoire, et non pas sur le narrateur, si bien que le récit

donne une impression d’objectivité. L’histoire paraît se raconter elle-même, sans médiation. Le

narrateur n’apparaît pas ouvertement dans le récit et donne une impression de neutralité absolue.

Le narrateur est donc dans la « proximité » plutôt que dans la « distance1 ». Les narrateurs de

Perrault et Grimm privilégient en effet les scènes détaillées, où le dialogue joue un rôle

essentiel, afin de permettre au lecteur de visualiser les événements et donner l’impression d’un

respect adopté par rapport aux faits exposés. Ainsi, pour transmettre les paroles et les pensées

des personnages, les auteurs privilégient l’emploi du discours rapporté, donnant la citation

exacte des discours du chaperon ou du loup. Les deux éléments centraux du récit sont les

dialogues échangés entre la fillette et le loup, et reproduits dans le texte. Le narrateur ne remet

donc pas en compte le merveilleux du conte et cherche à susciter l’adhésion du lecteur.

Cependant, une lecture attentive des textes permet de repérer une discrète intervention du

narrateur. En effet, dans les deux contes classiques, un jugement est donné sur le personnage du

loup. Les Grimm parlent d’une « vilaine bête2 » et Perrault le désigne comme « ce méchant

loup » et utilise l’expression « compère le loup3 ». Le terme « compère » est quelque peu

ambigu. Le mot, aujourd’hui vieilli, évoque un rapport d’amitié entre des camarades et suppose

une complicité entre des individus unis par désir d’abuser un tiers. Dans le texte, l’emploi de

cette expression laisse entendre qu’il y a entre le narrateur et le loup une complicité, « un pacte

quelque peu suspect [qui] autorise la familiarité, voire la bienveillance du narrateur4 ». Le

narrateur serait-il du côté du loup ? On s’attendrait plutôt à ce qu’il soit du côté de la fillette, ou

du moins neutre. Cette incursion trahirait-elle l’ironie du narrateur/auteur s’amusant des frayeurs

que suscite son personnage ? Toutefois, le doute est rapidement écarté, car aucune autre

expression ne vient confirmer l’intervention du narrateur dans le récit. Hormis ce détail, le

narrateur ne marque quasiment pas sa présence dans le récit-source.

2) Les interventions du narrateur dans les textes contemporains

Un bon nombre de narrateurs contemporains adoptent la même proximité avec les faits

racontés. Cependant, d’autres rompent le pacte de neutralité et se tiennent à distance par rapport

à la diégèse. La subjectivité de l’instance narrative est alors mise en avant et le narrateur révèle

sa présence.

1 Ibid., p. 184-202.

2 Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 69.

3 Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 53 et p. 55.

4 Anne-Marie Garat, Une faim de loup, op. cit., p. 65.

91

Ainsi, le narrateur du Petit Chaperon rouge de Jean Claverie est à la fois absent et

présent. Dans la majeure partie de l’album, le récit semble neutre et le conteur n’apparaît pas. Il

s’agit d’un récit mené par un narrateur hétérodiégétique, comme celui des contes-sources.

Cependant, vers la fin du récit, la voix du narrateur se fait entendre. Grâce à l’intervention

musclée de la mère du petit chaperon rouge, Mama Gina, le loup recrache la fillette et la grand-

mère… ainsi que le coulis de tomates ! Le narrateur intervient alors et prétend qu’il ne serait pas

de bon ton de décrire avec précision cet épisode gastrique :

Je vous laisse imaginer le bonheur de ces retrouvailles. Mais je renonce à dessiner cette scène un peu

dégoulinante1.

Le narrateur fait donc irruption dans l’univers diégétique et pose ainsi la figure du narrataire Ŕ

c’est-à-dire du lecteur tel qu’il est construit par le récit. Gérard Genette désigne ce procédé sous

le nom de « métalepse2 ». Ce commentaire à l’intention du lecteur crée une complicité entre le

narrateur et son narrataire. Plus encore, l’enrichissement narratif est troublé par l’intervention,

sur la dernière illustration de l’album, de l’auteur lui-même. En effet, le narrateur vient relayer

la rumeur et, dans un épilogue ouvert, laisse entendre que le loup s’est converti : « À ce que l’on

raconte », il « ne mange plus que des pizzas ». Le texte s’accompagne alors de l’image du loup

conduisant un grand camion sur lequel est inscrit « Wolf pizza » et qui porte une plaque

d’immatriculation où l’on peut lire l’inscription « claverie » ! L’intervention du narrateur-auteur

est un des procédés typiques de la parodie qui, plutôt que d’extraire l’instance narrative du récit

supposé objectif, préfère faire sourire le lecteur en mettant en avant un narrateur complice de

son narrataire.

D’une manière analogue, Dumas et Moissard, dans leur « Petit Chaperon bleu marine »,

interpellent eux aussi leur lecteur, mais de façon moins directe. Le conte renouvelé débute ainsi :

Personne n’ignore, bien sûr, l’histoire du Petit Chaperon rouge. Mais connaît-on celle du Petit

Chaperon bleu marine3 ?

Ici, le « on » désigne le lecteur, présenté en connaisseur, comme le sous-entend l’emploi de

l’expression « bien sûr ». Tout au long du récit, le narrateur rappelle sa présence. Présence

indirecte dans le choix de certaines périphrases euphémistiques (« ses démêlés avec le Méchant

Loup ») ; mais aussi présence plus explicite dans les marques de l’énonciation. En effet, grâce à

l’emploi de déictiques (tels que « aujourd’hui », « voici », « tout dernièrement », « il y a

quelques mois », etc.), le récit paraît être en train de se faire, dans un présent de l’élocution,

impliquant la contemporanéité du narrateur et de son narrataire. De plus, à quelques reprises, la

narration, proche de l’oralité, met en scène le narrateur : « J’ai omis de le dire », rectifie-t-il4 ;

1 Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

2 Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 243.

3 Philippe Dumas et Boris Moissard, Contes à l’envers, op. cit., p. 15.

4 Ibid., p. 18.

92

« comme je le disais », rappelle-t-il à la fin de son récit1. Le conteur dit « je », mais ne fait pas

pour autant partie de l’histoire qu’il raconte : il n’en est pas un personnage et donc n’est pas

strictement un narrateur homodiégétique. Ces éléments d’intervention du narrateur permettent

de rendre le récit plus vivant et rappellent les contes oraux dans lesquels le conteur, présent

physiquement devant ses auditeurs, prend parfois la liberté de communiquer ses pensées ou de

faire réagir ses spectateurs. Le lecteur et le narrateur paraissent ici partager le même présent.

L’effet de complicité est donc accru. Là encore, le narrateur établit un contact avec le lecteur,

constitutif de l’écriture parodique.

3) Le brouillage des instances narratives

La modernité des réécritures du Petit Chaperon rouge se lit dans les interventions du

narrateur dans le récit. Elle se trouve également dans la multiplication des niveaux narratifs et

des effets de surprise créés par le jeu avec les voix narratives.

Dans Quel cafouillage !, illustré par Alessandro Sanna2, Gianni Rodari joue sur

l’enchâssement et la mise en abyme des récits grâce à l’emboîtement des instances narratives.

Le lecteur est plusieurs fois trompé et il lui faut attendre la dernière ligne du texte pour

comprendre qui parle. La première page de l’album semble annoncer une réécriture parodique

du Petit Chaperon rouge, où seule la couleur est transposée :

Il était une fois une petite fille qu’on appelait Chaperon jaune3.

Mais, dès la deuxième phrase, le lecteur s’aperçoit qu’il s’agit en fait d’un dialogue entre deux

personnages, qui ne sont ni nommés, ni introduits par des verbes d’énonciation. Le récit se

construit alors à partir d’un dialogue, dans lequel aucun narrateur n’apparaît. L’un des

personnages raconte l’histoire du petit chaperon rouge, sous la forme habituelle du conte, mais

en introduisant des éléments insolites : le chaperon devient tour à tour jaune, vert, noir, et est

invité par sa maman à aller « chez tante Diomira » « porter [une] pelure de pomme de terre »

(p. 12), lorsqu’il rencontre « une girafe » (p. 14) qui lui demande « Combien font six fois

huit ? » (p. 18). Bref, le conte initial déraille et tout y est transformé, les éléments traditionnels

du récit laissant place à des détails aussi triviaux qu’inattendus. En parallèle de ce récit, un autre

récit se déroule, élaboré par le second personnage. Celui-ci corrige les erreurs et rétablit la

1 Ibid., p. 25.

2 Gianni Rodari / Alessandro Sanna (illus.), Quel cafouillage ! [A sbagliare le storie, 2003], traduit de l’italien par

Sofia Turconi, Paris, Kaléidoscope, 2005. Ce texte est paru initialement dans le recueil Histoires au téléphone

[Favole al telefono, 1978], sous le titre « Conte défait, ou il n’y a plus de grands-pères » (traduit de l’italien par

Roger Salomon, Paris, Messidor La Farandole, 1983, p. 136-137). Nous citerons pour le commentaire l’album

illustré. 3 Gianni Rodari / Alessandro Sanna (illus.), Quel cafouillage !, op. cit., p. 4.

93

véritable histoire du chaperon rouge, grâce à une succession de phrases exclamatives marquant

un certain énervement du locuteur. En effet, à chaque fois que le chaperon change de couleur

dans le récit du premier personnage, le second personnage rétorque avec violence : « Mais non,

rouge ! » Ainsi, nous avons donc deux récits qui se construisent dans l’échange dialogué : une

première histoire complètement loufoque, et, parallèlement, un second récit à valeur corrective.

L’histoire du chaperon rouge se poursuit jusqu’à l’instant où le loup explique comment aller

chez la grand-mère :

« Prends le bus 75, descends à la place de l’église. Tourne à droite, tu verras trois marches et une

pièce de monnaie par terre, oublie les trois marches, ramasse la pièce et achète-toi un chewing-

gum1. »

Mais à la réplique suivante, le double récit s’interrompt. On comprend alors quels étaient les

deux personnages-conteurs du dialogue :

« Grand-père, tu ne sais vraiment pas raconter les histoires ! Chaque fois, tu te trompes. Mais je suis

d’accord pour le chewing-gum2. »

Il s’agissait donc d’un grand-père, perdant apparemment la tête, qui racontait une histoire à sa

petite fille. À la dernière page de l’album, le dialogue est alors replacé dans une narration :

Et Grand-père se replongea dans son journal3.

Le grand-père et la petite fille sont objet d’un récit premier lorsqu’ils narrent chacun à sa façon

l’histoire du petit chaperon rouge. Il y a donc finalement ici une narration extradiégétique, qu’on

ne découvre qu’une fois arrivé à la fin du texte. Ce dénouement crée un effet comique. En effet,

la petite fille, en acceptant la pièce de monnaie de son grand-père, rapporte l’histoire racontée

par le grand-père dans le temps du récit auquel elle appartient. Quant au grand-père, le lecteur

soupçonne que sa folie soit feinte : la dernière image montre le grand-père replongeant dans son

journal… comme s’il avait fait exprès de raconter n’importe quoi pour avoir la paix et pouvoir

retourner à sa lecture !

La construction narrative est prolongée par les illustrations, qui, loin d’ordonner le récit,

contribuent à développer ce désordre. Dans chaque page on trouve une illustration du texte écrit,

sans que rien ne distingue la vérité du récit absurde. En fin de compte, d’une page à l’autre on

change d’univers narratif, sans qu’aucun indice ne contribue à rétablir la vérité ou à distinguer le

vrai du faux. L’auteur s’amuse ici avec son lecteur en brouillant les niveaux narratifs.

En conclusion, dans les Petits Chaperons rouges contemporains, le narrateur joue

volontiers sur la distance et la confusion des instances du discours. Les récits initiaux sont

enrichis et le contact avec le lecteur établi à plusieurs reprises.

1 Ibid., p. 28-30

2 Ibid., p. 32.

3 Ibid., p. 35.

94

Pour terminer notre exploration narratologique des réécritures, nous allons maintenant

aborder la question du renouvellement narratif sous l’angle de la durée.

C) La vitesse du récit

1) Le rythme de la narration dans le conte-source

Dans Figures III1, Gérard Genette a étudié la durée narrative en mesurant la vitesse, c’est-

à-dire en analysant le rapport entre une mesure temporelle Ŕ celle de l’histoire Ŕ et une mesure

spatiale Ŕ celle du texte. Il y a nécessairement des « effets de rythmes2 » dans le récit, au sens où

l’auteur ménage des accélérations et des ralentissements dans la narration et ne respecte jamais

strictement l’équivalence absolue entre le temps du récit (TR) et le temps de l’histoire (TH). Le

récit isochrone pur n’existe pas ; certains faits sont racontés avec rapidité, alors que d’autres

événements sont narrés de façon détaillée, assurant une pause plus ou moins longue dans le

récit. Gérard Genette note que le rythme fondamental adopté dans le récit classique est

« l’alternance du sommaire et de la scène », qui forme le « tissu conjonctif par excellence du

récit romanesque3 ». Le « sommaire » marque un récit accéléré : le temps de l’histoire dure plus

longtemps que le temps du récit, qui est réduit à l’essentiel. G. Genette figure le sommaire sous

la forme de l’équation : « TR < TH ». La « scène » traduit une équivalence entre le temps de la

narration et le temps de l’histoire (« TR = TH ») : c’est la « forme narrative qui est la plus riche

en information, et donc la plus “mimétique4” ».

Dans le conte des Grimm, nous retrouvons cette alternance classique entre des moments

de sommaires et de scènes. De courtes phrases introductives, résumant brièvement les actions

des personnages, encadrent en effet les moments forts du récit. Ceux-ci se traduisent par la mise

en scène des dialogues successifs Ŕ entre la mère et la fillette, entre le loup et le chaperon, entre

le loup et la vieille dame, puis de nouveau entre le loup et le chaperon. Ci-dessous, nous avons

repris le découpage en séquences établi dans la première partie de notre travail afin de figurer

cette alternance entre les moments de sommaire et de scène.

Tableau III : mouvements narratifs dans le Petit Chaperon rouge des Grimm

Séquence du conte Mouvement

narratif

Exposition (présentation du PCR) sommaire

Mandat (dialogue mère/fille) scène

Départ et début du cheminement dans la forêt sommaire

1 Gérard Genette, Figures III, op. cit., p. 122-144.

2 Ibid., p. 123.

3 Ibid., p. 131.

4 Ibid., p. 188.

95

Rencontre du loup (dialogue loup / PCR) scène

Distraction du PCR sommaire

Arrivée du loup chez la vieille (dialogue loup / grand-mère) scène

Dévoration et travestissement du loup sommaire

Arrivée du PCR (dialogue loup / PCR) scène

Apparition du chasseur sommaire

L’alternance sommaire/scène est parfaitement respectée dans le conte originel. Ces choix

de la vitesse narrative permettent de renforcer l’intensité dramatique. En effet, les instants de

dialogue, dans lesquels se concentre la tension, sont mis en valeur. Les deux moments où le loup

dévore ses victimes sont décrits très brièvement : à chaque fois, le crime est résumé en une

phrase, voire un verbe. Le choix du verbe « avaler », répété lors des deux dévorations, marque

d’ailleurs la rapidité de l’action : le loup ne se donne pas la peine de mastiquer la chair de ses

victimes ! On pourrait même parler d’ellipse pour ces deux instants du récit : aucun détail n’est

donné et les modalités du crime sont passés sous silence. Cette rapidité du récit pour transcrire

les moments des meurtres permet tout à la fois de garantir la bienséance (il serait de mauvais ton

de donner des détails sanglants quand on s’adresse à des enfants) et de privilégier la construction

de la tension dramatique. L’attention du lecteur se concentre sur les moments de dialogue qui,

en contrepoint, deviennent particulièrement intenses : ce sont les réponses de la fillette et son

incapacité à déceler la malignité du loup qui la poussent à sa perte.

2) Les variations du tempo originel dans les textes contemporains

Plusieurs textes contemporains modifient le rythme du conte. Là où les Grimm faisaient

se succéder scènes et sommaires, apparaissent les deux autres moments narratifs décrits par

Genette : la pause et l’ellipse. Étudions quelques textes en suivant leur réécriture à partir de

l’intensification du rythme narratif.

a- La pause (TR = n, TH = 0)

La pause correspond généralement à des moments de description. Le narrateur arrête le

récit des événements proprement dits pour décrire les décors ou les personnages. Il s’agit donc

d’un moment de suspension du temps de l’histoire. Dans le conte source, les descriptions sont

quasiment absentes et aucune pause n’est ménagée. Ce rejet de la pause descriptive se retrouve

dans de nombreux ouvrages pour la jeunesse, où l’auteur préfère privilégier l’action.

Dans Le Petit Chaperon rouge de Jean-Luc Buquet1, sous-titré La scène de la chemise de

nuit, on trouve un moyen original de rétablir, dans le récit initial, un instant de pause, ou du

1 Jean-Luc Buquet, Le Petit Chaperon rouge. La scène de la chemise de nuit, Paris, Autrement Jeunesse, 2006.

96

moins un ralenti particulièrement lourd de sens. Le texte de l’album est présenté sur la page des

copyrights comme « d’après la version de Jacob et Wilhelm Grimm ». On peut lire en effet,

écrits en grosses lettres, une adaptation relativement fidèle du conte original. Aucun dessin ne

vient illustrer le texte lui-même. Cependant, lorsque le récit arrive au moment où le loup pénètre

chez la grand-mère, on s’arrête à cette phrase :

Le loup tira le loquet, poussa la porte et entra pour s’avancer tout droit, sans dire un mot, jusqu’au lit

de la grand-mère…1

Le texte s’interrompt sur des points de suspension. On tourne les pages, et on voit alors une

série d’illustrations. En page de gauche, s’inscrit une heure. En belle page, un dessin du loup, où

on l’observe en pleine action vestimentaire. Le temps commence à s’égrener à partir de 10 h : on

voit sur la première image la grand-mère au fond de son lit,

effrayée, et l’ombre grise du loup venant la recouvrir. On

tourne la page et la deuxième image nous annonce qu’il est

désormais 10 h 31. Durant cette demi-heure fatale, il faut

comprendre que le loup a tué la grand-mère et l’a « avalée » : il

lui aura fallu donc trente minutes pour commettre son crime.

Mais rien n’est dit, ni montré. Dans cet intervalle de temps, une

ellipse laisse à chacun la liberté d’imaginer la violence du

meurtre. Mais, à partir de la deuxième illustration, le récit

ralentit de nouveau. On voit le loup prendre une chemise de nuit sur un cintre, dans une armoire

emplie de robes roses (la grand-mère n’a pas une garde-robe très diversifiée !). 10 h 36, 10 h 40,

10 h 46, 10 h 48, etc. : le temps passe lentement et de minutes en minutes, page après page, on

regarde le loup qui s’acharne à vouloir entrer dans la chemise trop étroite de la grand-mère.

11 h 01 : la chemise de nuit est entièrement déchiquetée. Il lui faut faire un deuxième essai avec

un autre vêtement. On tourne la page. Il est désormais 11 h 39, l’heure de la « dernière

chance » : une seconde ellipse nous fait supposer que le loup a essayé Ŕ et détruit Ŕ toutes les

chemises de nuit du placard et qu’il n’en reste plus qu’une ! À midi, le loup est enfin parvenu à

revêtir l’habit de Mère-Grand. Sur cette dernière image, on le voit en effet installé dans le lit,

tout comme la vieille dame l’était exactement deux heures plus tôt. Le texte des Grimm reprend

alors son cours, sans plus aucune illustration.

L’album de Jean-Luc Buquet donne donc de l’importance à un détail toujours passé sous

silence dans les versions classiques du conte. Avec humour, il nous montre qu’il n’est pas si

facile pour un loup d’entrer dans la chemise de nuit d’une grand-mère. Avec gravité, il fait

monter la pression dramatique et, dans l’écoulement minuté du temps, ménage l’attente de son

1 Ibid., p. 7.

Ci-dessous, il est 10 h 40.

97

lecteur qui devine la suite tragique. Ici, ce n’est pas par le texte mais par l’illustration que nous

sont donnés les moments de pause, interrompus par les deux ellipses. Il s’agit d’un moyen inédit

de renouveler le texte-source, tout en le complétant habilement.

b- La scène (TR = TH)

D’autres textes contemporains choisissent de privilégier la représentation scénique et de

construire leur texte sur une équivalence entre le temps du récit et celui de la diégèse. On

retrouve ce choix rythmique dans les réécritures théâtrales du Petit Chaperon rouge : l’ouvrage

de Jean-Claude Grumberg1 ou celui de Cami

2 en sont des exemples. Le récit est contenu dans les

dialogues des personnages. Cela permet d’augmenter l’illusion mimétique en concentrant

l’action dramatique dans l’échange des paroles.

c- Le sommaire (TR < TH)

Les moments de sommaires sont aussi fréquents dans les textes contemporains que dans

les contes-sources. Ils correspondent à une accélération du récit. On trouve ainsi dans le Petit

Chaperon rouge de Joël Pommerat3 un sommaire qui conte la délivrance de la fillette par le

bûcheron : la scène est narrée avec une rapidité encore plus grande que celle du conte des

Grimm, puisqu’une seule phrase suffit pour faire apparaître le personnage masculin et

ressusciter les deux femmes. À l’évidence, pour l’auteur, cet élément de l’histoire n’est pas

essentiel et il n’est pas besoin de s’y attarder.

Dans quelques ouvrages, le sommaire est prolongé, et la grand-mère fait un long séjour

dans le ventre du loup. Ainsi, dans Un petit chaperon rouge de Claude Clément4, la fillette, qui

n’a pas été mangée par le loup, est si troublée par la disparition de sa grand-mère qu’elle garde

le silence, refusant d’aller à l’école. « Pendant quelques temps », nous dit le texte qui ne précise

cependant pas la durée, « elle garda son secret ». Le loup passe en jugement et est condamné à

être suspendu par les pattes. Ce n’est qu’à ce moment-là que la grand-mère glisse hors du ventre

du loup. Le prolongement de cette séquence narrative dans le nouveau texte mêle le merveilleux

(la survie inespérée de l’aïeule pendant un si long moment) et le prosaïque (l’action en justice

menée contre le criminel).

d- L’ellipse (TR = 0, TH = n)

1 Jean-Claude Grumberg / Benjamin Bachelier (illus.), Le Petit Chaperon Uf, op. cit.

2 Cami, « Le petit chaperon vert », in : L’Homme à la tête d’épingle, op. cit.

3 Joël Pommerat / Marjolaine Leray (illus.), Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

4 Claude Clément / Isabelle Forestier (illus.), Un petit chaperon rouge, op. cit.

98

Dans les contes-sources, le moment de la dévoration est si rapide qu’on peut parler

d’ellipse. On retrouve la même rapidité de la narration lors de cette sinistre séquence dans la

plupart des récits contemporains. Nous n’avons repéré aucun ouvrage décrivant précisément le

crime du loup. Celui-ci est toujours évoqué avec la même rapidité narrative. On voit donc que

les auteurs ont le désir de ne pas s’attarder sur un épisode qui pourrait être traumatisant pour

l’enfant, et qui est, en tout cas, généralement conçu par l’adulte comme tel. Ce silence

s’explique par la volonté de préserver l’enfant et de l’écarter de tout ce qui pourrait évoquer la

mort. Ce tabou n’est-il pas un exemple de la pression qu’exerce le public adulte Ŕ parents

acheteurs ou enseignants prescripteurs Ŕ sur la littérature pour la jeunesse ?

Dans certains textes contemporains, le temps de l’histoire est prolongé dans un passé

lointain. L’ouvrage se termine alors par une prolepse. Ainsi, on apprend ce qui arrive au loup

après sa fâcheuse aventure : chez Ross1 il devient végétarien, et chez Claverie

2 livreur de pizzas.

Chez Geoffroy de Pennart3, on fait un saut dans le temps en découvrant que le chaperon est

devenu médecin. Dans ces albums, l’image finale donne une suite au récit initial, évoquant

l’après de l’aventure, sans préciser ce qui a pu se passer dans le long intervalle de temps.

Ainsi, les auteurs jouent avec la temporalité du récit initial et s’amusent à la concentrer

ou à la ralentir. Les changements de rythme sont une autre façon de réécrire le conte.

Dans cette deuxième partie, nous avons analysé de façon détaillée les techniques de

transposition dont se sont servis les auteurs contemporains pour renouveler le conte d’origine.

Nous avons relevé trois types de transpositions : celles imposées au genre, à l’histoire et enfin au

récit. Dans chacun de ces cas, les transpositions ont pour rôle d’enrichir le texte et de surprendre

le lecteur grâce à un nouveau contexte référentiel ou narratif. L’acte de transformation permet

d’offrir un nouveau texte, lu en perspective du récit initial, mais intensifié.

Ce que nous avons décrit ici n’est autre que les modalités dont se sert la parodie, qui

transforme un texte à des fins ludiques par des procédés de déplacement, de détournement, de

décalages entre le contexte de départ et le contexte d’arrivée. Ces écarts permettent l’écriture

intertextuelle et construisent des effets comiques, voire ironiques, à destination du lecteur.

Sur quoi se fonde la lecture intertextuelle à visée humoristique chez le jeune lecteur et

quelle moralité tire-t-il des réécritures contemporaines ? Dans notre troisième partie, nous allons

maintenant voir comment les décalages parodiques sont perçus par les jeunes lecteurs et centrer

notre analyse sur l’étude de la réception des textes.

1 Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

2 Jean Claverie, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

3 Geoffroy de Pennart, Chapeau rond rouge, op. cit.

99

TROISIEME PARTIE :

la réception du petit chaperon rouge

▲ Illustration de Nadja dans Le Petit Chaperon vert de Grégoire Solotareff (Paris,

L’école des loisirs, 2000).

100

La multiplicité des versions contemporaines du Petit Chaperon rouge offre aux jeunes

lecteurs une littérature fondée sur les jeux d’écriture, les détournements parodiques et les

décalages inattendus, voire subversifs. Ces jeux inventifs sont parfois aisément repérables : la

figure du chaperon rouge étant fortement marquée dans l’imaginaire des lecteurs, il peut sembler

facile de la reconnaître et de l’identifier, même lorsque les pistes sont brouillées (situations ou

personnages transposés).

Le destinataire officiel des textes de notre corpus est l’enfant. Comment les jeunes

lecteurs reçoivent-ils les réécritures du Petit Chaperon rouge ? Reconnaissent-ils les allusions

hypertextuelles et les décalages ironiques ? Quel sens en tirent-ils et comment interprètent-ils les

morales implicites ou explicites des textes contemporains ?

Nous allons envisager dans notre troisième partie la question de la réception des textes et

plus particulièrement l’acte de lecture propre au jeune lecteur. Catherine Tauveron définit la

lecture littéraire comme

une activité de résolution (ouverte) de problèmes (ouverts) posés par le texte au lecteur, ou par le

lecteur au texte1.

Dans le cas des réécritures du Petit Chaperon rouge, les renvois intertextuels, les clins d’œil

humoristiques et les présupposés moraux, peuvent apparaître comme des obstacles à la

compréhension des textes. L’enfant est-il armé pour résoudre lui-même ces « problèmes » ?

Dans quelle mesure des textes fondés sur la transtextualité et la mise à distance humoristique

peuvent-ils offrir les clés de compréhension nécessaires ? Pour répondre à ces questions, nous

allons analyser les exigences lectorales et critiques qu’impose l’écriture parodique et interroger

les compétences mobilisées par le jeune lecteur, avant d’étudier la réception des effets comiques

et la lecture des messages d’ordre moral.

I) La lecture de l’intertextualité

Dans tous les ouvrages que nous avons étudiés jusqu’à maintenant, nous avons tenté de

déterminer le texte-source à partir duquel le nouveau texte se constitue, que ce soit par imitation

ou transposition. La relation entre un texte présent et un texte absent, et le lien que les deux voix

énonciatives nouent entre elles fondent la notion d’intertextualité. Ce concept, révélant le

1 Catherine Tauveron, « Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour la littérature et son enseignement ? »,

Actes du séminaire national « Perspectives actuelles de l’enseignement du français », 23-24-25 octobre 2000.

Consultable sur Internet <http://eduscol.education.fr/D0033/actfran_tauveron.htm>, p. 5.

101

dialogue de la littérature avec elle-même, met en œuvre une pratique ancienne1. Le terme

d’intertextualité est cependant plus récent. Il a été introduit par Julia Kristeva dans les années

1960, suite à ses travaux sur Mikhaïl Bakhtine et la notion polyphonique de « dialogisme2 ».

D’abord envisagé de façon extensive, comme une notion linguistique présentant la multiplicité

des discours antérieurs présents dans tout énoncé linguistique, il a ensuite été problématisé dans

une perspective poétique mettant en lumière des pratiques littéraires et offrant des outils

d’analyse. Gérard Genette a formalisé la notion d’intertextualité dans Palimpsestes. C’est en

nous fondant sur ses analyses que allons déterminer quels types d’intertextualité sont en jeu dans

les réécritures du Petit Chaperon rouge afin de montrer que, lorsque nous appliquons la notion à

un lectorat enfantin, nous nous heurtons à une question : l’enfant est-il capable d’une lecture

intertextuelle ?

A) Le problème de la lecture intertextuelle par l’enfant

1) L’intertextualité : lire un texte sous un autre texte

Gérard Genette définit l’intertextualité comme la « présence effective d’un texte dans un

autre texte3 ». À cette notion, trop limitative, il préfère celle plus vaste de transtextualité, qu’il

définit comme « tout ce qui met [un texte] en relation, manifeste ou secrète, avec d’autres

textes4 ». Pour délimiter le concept, Genette montre que le terme général de « transtextualité »

réunit cinq types de renvois intertextuels5. Afin de comprendre les notions décrites et montrer la

variété des jeux intertextuels, nous allons reprendre la typologie constituée par Genette et la

confronter avec les textes de notre corpus.

a- L’intertextualité restreinte

Le premier type de transtextualité que Gérard Genette met en évidence est celui

d’« intertextualité restreinte ». L’expression désigne la présence effective d’un texte antérieur

dans un texte actuel et renvoie à la citation, au plagiat et à l’allusion.

1 Pensons par exemple à Virgile transposant les aventures de l’Odyssée d’Ulysse sous la figure de l’Énéide d’Enée,

ou, plus tardivement, à Molière s’inspirant de La Marmite de Plaute pour écrire L’Avare, ou à La Fontaine

réécrivant « Le loup et l’agneau » du fabuliste latin Phèdre. 2 Cf. Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité [2001], Paris, Armand Colin, « 128 », 2005, p. 8-14.

3 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 8.

4 Ibid., p. 7.

5 Ibid., p. 7-16.

102

La citation est la seule à mettre en évidence explicitement le jeu de reprise entre les

textes. Elle se repère en effet aisément grâce à des marques typographiques comme les

guillemets ou l’italique, et la double énonciation y est directement visible.

Dans les textes de notre corpus, on ne trouve quasiment aucune citation clairement

identifiable. La pratique de la citation est généralement réservée à des textes à teneur explicative

ou testimoniale, de type universitaire ou journalistique : l’auteur fait alors entendre dans son

texte la voix d’un autre auteur. Certes, le texte de Perrault apparaît dans les réécritures

contemporaines du conte, mais il n’est jamais présenté sous la forme d’une citation, ni même

non plus d’une référence, c’est-à-dire d’un « emprunt non littéral explicite1 ». Les auteurs qui

citent le texte de Perrault n’utilisent pas de guillemets. Lorsqu’il y a reprise d’une partie du texte

original, l’emprunt n’est pas présenté comme tel et les phrases reprises sont si bien intégrées au

nouveau texte qu’aucune indication formelle ne révèle qu’il y a citation. C’est le cas de l’album

de Benjamin Lacombe2, que nous avons commenté en première partie : des parties entières du

texte de Perrault sont reprises, mais elles ne sont pas présentées comme des citations.

Au sens propre, la reprise d’un texte premier dans un texte second sans qu’il n’en soit

fait mention est un plagiat : dans ce cas, l’appropriation est totale, et l’auteur premier n’est pas

nommé. Faut-il considérer les adaptations du Petit Chaperon rouge comme des plagiats ? La

notion de plagiat a un sens péjoratif qui ne convient pas ici. Tout d’abord, même s’il ne s’agit

pas de citation dûment présentée, l’intertextualité est souvent annoncée. Ainsi, dans l’album de

Benjamin Lacombe, la mention « d’après un texte original de Charles Perrault », en page de

titre, rappelle la référence première et révèle que l’auteur a fait un travail d’adaptation. La mise

en image et l’interprétation graphique du conte sont si originaux qu’ils viennent enrichir le texte

et le présenter comme une œuvre singulière. Par ailleurs, tout le monde est censé connaître le

Petit Chaperon rouge et, même si les auteurs premiers du texte ne sont pas désignés, nul

n’ignore complètement leur existence. Au fond, il paraît impossible aujourd’hui de plagier Le

Petit Chaperon rouge : la référence à l’auteur originel est si communément partagée qu’un

écrivain contemporain ne pourrait prétendre être l’auteur d’un Petit Chaperon rouge sorti

entièrement de son imagination.

Lorsqu’il y a plagiat, ou plutôt appropriation totale du texte originel, c’est à des fins

ludiques ou subversives. Il ne s’agit pas de voler le texte de Perrault, mais de s’amuser avec

celui-ci et d’amener le lecteur à jouer avec l’ancien et le nouveau textes. Yak Rivais, dans son

1 A. Bouillaguet, Proust lecteur de Balzac et de Flaubert. L’imitation cryptée, Paris, Champion, 2000, p. 31 ; in :

Tiphaine Samoyault, L’Intertextualité, op. cit., p. 35. 2 Benjamin Lacombe, Le Petit Chaperon rouge, op. cit. Voir p. 39-40 de notre mémoire.

103

recueil Les Sorcières sont N.R.V.1, s’amuse ainsi à présenter une version caviardée du Petit

Chaperon rouge. Le texte de Perrault est repris, mais des bouts de phrases sont supprimés. Nous

lisons ainsi une version complètement loufoque du conte de Perrault, où la grand-mère dévore le

petit chaperon rouge, avant d’avaler le loup lui-même ! Au sens strict, Yak Rivais n’a rien écrit

de lui-même, ni transformé les phrases du conte originel. Mais des passages entiers ont été

passés sous silence, tout en veillant à ce que le texte censuré soit grammaticalement cohérent, si

bien que c’est un nouveau texte qu’on a l’impression de lire. Yak Rivais joue avec le langage,

comme il l’a fait dans Les Contes du miroir2 ou dans son roman Les Demoiselles d’A.

3, et, au-

delà de cet exercice de style, avertit les enfants des risques de la censure. À la fin du récit,

l’auteur présente en effet le texte de Perrault recouvert de bandes noires, révélant l’action de la

censure qu’il explique et met en contexte en rappelant des épisodes noirs de l’Histoire.

Gérard Genette parle également d’intertextualité restreinte pour désigner l’allusion,

c’est-à-dire un « emprunt non littéral et non explicite4 ». L’hétérogénéité n’est pas marquée, le

texte originel n’est pas désigné, donc la référence à celui-ci ne va pas nécessairement de soi. Le

lecteur peut penser à un autre texte, sans pourtant que cette référence soit affichée, ni que son

décryptage ne soit nécessaire à la compréhension. La littérature pour la jeunesse est traversée

par de nombreuses irruptions allusives du petit chaperon rouge. Claude Ponti l’invite dans

quelques-uns de ses albums. Dans Adèle s’en mêle1, le chaperon rouge joue le rôle d’un figurant.

À la première image de cet album sans texte, Claude Ponti a représenté une petite fille déchirant

un morceau d’un grand livre blanc. Page après page, l’enfant déchire un peu plus la feuille

jusqu’à entrer dans le livre. Elle découvre alors un monde exubérant composé d’animaux

menant les activités les plus inattendues : un cochon qui joue du violon, des poussins jaunes qui

peignent une vache, un lapin qui fait du vélo, etc. Les doubles pages, composées à l’italienne sur

un grand format, sont très riches et exigent une observation patiente. Le lecteur particulièrement

attentif peut ainsi découvrir sur la deuxième double page tout en bas, à droite, au pied d’un

arbre, une pile de livres dont l’un d’entre eux représente en couverture une fillette en rouge. On

voit la petite fille sortir du livre (troisième double page), puis se battre avec le loup pour

l’empêcher de s’extraire à son tour de l’ouvrage (cinquième double page), avant d’écraser

l’animal grâce à l’aide d’un petit poussin (sixième double page) ! À partir de la septième double

1 Yak Rivais / Michel Laclos, Les Sorcières sont N.R.V., Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 1988. Voir p. 67-71 :

« La mère-grand du petit chaperon rouge ». 2 Yak Rivais, Les Contes du miroir [1988], Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2004. Dans ce recueil, le Petit

Chaperon rouge est présenté sous la forme d’un « conte rhopalique », c’est-à-dire dans un texte en forme de

losange, dans lequel le nombre de mots est augmenté phrase après phrase, ligne après ligne. 3 Les Demoiselles d’A. [1980], Paris, Mémoire du Livre, 2000. Ce roman est composé exclusivement à partir de la

juxtaposition de 750 citations, provenant de 406 auteurs différents. Il s’agit là d’un exemple limite de l’exploitation

de la citation à des fins littéraires et ludiques. 4 Annick Bouillaguet, Proust lecteur de Balzac et de Flaubert. L’imitation cryptée, op. cit., p. 31.

104

page, le chaperon rouge devient autonome et se met à se promener dans la page, avec d’autres

personnages comme des éléphants bleus. Claude Ponti convoque librement ce personnage pour

l’intégrer dans son univers narratif. Au lecteur de repérer cet indice intertextuel et d’identifier

l’ouvrage qui s’ouvre dans un coin de l’album, suscitant une mise en abyme de l’objet livre.

On retrouve la même composition allusive dans

l’album Rouge, bien rouge de Christian Bruel et Didier

Jouault illustré par Nicole Claveloux2. Il s’agit là aussi d’un

album sans texte, construit librement autour de l’évocation

de la couleur rouge. Page après page, le rouge est mis en

scène à travers des personnages ou des situations : du vernis

à ongle rouge qui coule dans un lavabo, des cerises et des

fourmis rouges dans une nature morte, Dracula et sa femme

ensanglantés en promenade, etc. Sur une double page

centrale, reprise en couverture de l’ouvrage, le lecteur voit

soudain une fillette en rouge devant un grand rideau de

théâtre. Dans la toile, on repère un diable, un lutin, et un

homme qui pourrait être le conteur. Les auteurs n’identifient pas explicitement le chaperon

rouge. L’allusion permet une référence ouverte au texte originel. Jean Perrot, qui dans un article

consacré au « foyer baroque central » commente cet ouvrage, met en avant la théâtralisation de

l’album suscité par la « dramatisation de l’action » chez Perrault et fait une lecture

psychanalysante de cette double page dans laquelle

le rideau est l’écran de projection sur lequel s’inscrivent les angoisses de « l’autre scène », celle de

l’inconscient3.

Les allusions au Petit Chaperon rouge apparaissent dans des textes qui ne sont pas des

réécritures. L’intertextualité ne s’affiche pas directement et n’est pas forcément identifiée par le

lecteur.

b- La métatextualité

Un autre type de renvoi intertextuel que conceptualise Genette est la métatextualité. Ce

terme désigne la relation de commentaire « qui unit un texte à un autre texte dont il parle, sans

nécessairement le citer (le convoquer)4 ». Cette marque intertextuelle ne concerne pas que les

1 Claude Ponti, Adèle s’en mêle, Paris, Gallimard Jeunesse, 1987.

2 Christian Bruel / Didier Jouault / Nicole Claveloux (illus.), Rouge, bien rouge, Paris, Gallimard / Le sourire qui

mord, « Grands petits livres », 1986. 3 Jean Perrot, « Le foyer baroque central : la torsion des contes classiques », in : Art baroque, art d’enfance, Nancy,

Presses universitaires de Nancy, 1991, p. 53. 4 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 11.

105

textes critiques. Le conte du Petit Chaperon rouge peut ainsi être enchâssé dans un autre récit et

l’auteur construit une histoire autour du conte. Il s’agit de convoquer un récit existant en le

posant comme texte classique et en en critiquant l’intrigue, les personnages ou le dénouement.

La relation critique n’est pas aussi directe qu’elle le serait dans un essai théorique ou un manuel

explicatif. Mais le commentaire du narrateur et la distance qu’il prend par rapport au texte

originaire apparaissent plus ou moins implicitement.

On peut voir une portée métatextuelle dans l’album de Rascal Petit Lapin Rouge1. Tandis

qu’il se dirige chez sa grand-mère, un petit lapin rouge (qui tient sa couleur du fait qu’il est

tombé dans un pot de peinture) rencontre en chemin « une fillette toute de rouge vêtue ». La

petite fille n’est autre que le célèbre petit chaperon rouge Ŕ « le vrai » Ŕ que Lapin Rouge

connaît pour avoir lu son histoire dans le seul livre possédé au terrier. Il sait donc que cette

histoire finit très mal. La fillette, elle aussi, connaît l’histoire de Petit Lapin Rouge « sur le bout

des doigts » car elle a le livre à la maison. Elle sait que la fin du conte est fatale. Les deux

personnages décident alors de prendre leur destinée en main et de « jouer un tour à ces écrivains

en décidant tout seuls de [leurs] fins2 ». Chaperon rouge décide « que les loups ont disparu de

nos forêts depuis belle lurette » et Lapin Rouge que « la chasse est interdite pour toujours ».

Ensemble ils écrivent un explicit mièvre qu’ils reconnaissent dépourvu d’originalité, mais qui

leur convient « parfaitement ». L’album de Rascal met en abyme deux « livres » : l’histoire du

chaperon rouge donné comme un personnage existant vraiment, et l’histoire de Lapin Rouge

qui, en même temps qu’il est présenté au lecteur, est annoncé comme le héros d’un livre connu.

L’originalité du texte naît de cette triple relation intertextuelle existant entre, d’une part, le récit

de la rencontre entre Chaperon et Lapin Rouges et, d’autre part, les histoires de Chaperon et

Lapin Rouge convoquées comme pré-existantes à la rencontre des deux héros et comme matière

de livres célèbres. Les personnages outrepassent leur rôle : au lieu de subir l’action que l’auteur-

narrateur veut leur imposer, ils se rebellent et affirment écrire eux-mêmes leurs propres

aventures. Les personnages prennent ainsi la place de l’écrivain… du moins à un premier niveau

de lecture puisque, au fond, c’est toujours l’auteur qui tient les rênes. Ils se permettent de

critiquer les histoires originelles, de commenter leur dénouement tragique et de les réécrire.

L’album de Rascal exige une double lecture : pour comprendre le récit, le lecteur doit

reconnaître le texte mentionné et identifier la critique qui en est faite. Rascal joue sur

l’ambiguïté entre la réalité et la fiction. La relation métatextuelle est ici impartie aux

personnages. Ceux-ci ont le pouvoir de se dédoubler en commentant le texte qui les a fait naître

et en constituant ainsi un second texte qui ne peut prendre sens que par référence directe au

1 Rascal / Claude K. Dubois (illus.), Petit Lapin Rouge, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 1994.

2 Ibid., p. 24.

106

conte originel. La lecture de Petit Lapin Rouge impose donc de maîtriser les règles narratives et

de posséder une culture littéraire.

c- La paratextualité et l’architextualité

Gérard Genette forge le nom de paratextualité lorsqu’il s’agit de décrire les relations du

texte avec son entourage éditorial (titre, couverture, préface, etc.) et celui d’architextualité pour

désigner les relations d’un texte avec le genre littéraire auquel il appartient. Nous ne nous

étendrons pas ici sur ces deux types de renvois intertextuels que nous avons commentés supra1.

d- L’hypertextualité

Le dernier type d’intertextualité relevé par Genette est l’hypertextualité. Ce terme

désigne

toute relation unissant un texte B […] à un texte antérieur A […] sur lequel il se greffe d’une manière

qui n’est pas celle du commentaire2.

Il ne s’agit pas d’une relation de co-présence, comme dans l’intertextualité pure, mais d’un

rapport de dérivation. Pour reprendre la formule de Genette, on peut dire que, dans

l’hypertextualité, B dérive de A, c’est-à-dire que A est repris dans B et transformé, mais de telle

sorte que A n’est pas effectivement présent dans B. Chaque fois que nous parlons de parodie,

nous devrions donc employer le terme hypertextualité, plutôt qu’intertextualité. Genette note

que l’hypertexte représente « tout texte dérivé d’un texte antérieur par transformation3 ». Il peut

s’agir d’une transformation simple, comme c’est le cas dans la parodie : le texte antérieur est

alors repris pour être caricaturé. La relation entre les deux textes peut également être celle de

l’imitation. Il s’agit alors d’un pastiche : le style caractéristique d’un auteur est mimé, sans qu’il

y ait nécessairement d’intention ironique.

Dans notre deuxième partie, nous avons étudié les modalités de l’écriture parodique en

notant les rapports de dérivation inclus dans les transpositions. Les textes étudiés sont des

parodies plutôt que des pastiches. L’imitation porte sur un style, une manière et non pas un

texte, comme la parodie. Elle suppose donc que le style caractéristique de l’auteur soit identifié

et reproduit. Est-ce parce que le style de Charles Perrault ou des Grimm n’est pas suffisamment

caractéristique pour un lectorat jeune qu’aucun auteur n’essaie de les imiter ? Lorsqu’il y a

reprise du conte originel, c’est toujours avec une intention ludique. Tout au plus c’est le genre

1 Voir p. 47-52 pour la paratextualité et p. 56-69 pour l’architextualité.

2 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 13.

3 Ibid., p. 14.

107

qui est imité : il s’agit alors d’imiter le genre du conte de fées dans un ouvrage contemporain,

comme nous l’avons vu en deuxième partie.

En conclusion, la relation avec le texte antérieur n’est généralement pas explicite.

L’hypotexte n’est jamais reproduit tel quel, ni présenté en première lecture. Il faut l’avoir déjà lu

ou entendu pour pouvoir le reconnaître. La lecture de l’intertextualité suppose toujours une

première lecture préexistant à la découverte de l’œuvre originale. En cela s’explique le sous-titre

de l’ouvrage de Genette : « La littérature au second degré ». La lecture intertextuelle s’impose

particulièrement aux « classiques » que l’on relit toujours même si on les lit pour la première

fois : comme le dit Italo Calvino, « toute première lecture d’un classique est en réalité une

relecture1 ».

2) Une lecture problématique

La lecture intertextuelle exige une double lecture : il s’agit de lire une histoire et de

reconnaître en même temps derrière celle-ci un autre récit qui en est issu. Si le lecteur ne

parvient pas à identifier l’arrière-texte, ou du moins à le deviner, la communication

intertextuelle échoue, et, dans le cas de la parodie, la portée ludique, comique ou satirique, n’est

pas reconnue. Le texte est lu au premier degré, alors qu’il dissimule un autre texte.

Or, lorsqu’on applique au public enfantin cette notion d’intertextualité, une question se

pose : comment l’enfant peut-il comprendre les sous-entendus textuels, alors que, par définition,

il ne possède pas encore de compétences de lecteur très développées ? Dans quelle mesure peut-

on exiger d’un enfant qu’il identifie les allusions culturelles alors que sa culture est encore en

formation ? Comment se souviendra-t-il des ouvrages classiques de la littérature alors qu’il

découvre ces textes ? L’enfant-lecteur est en phase d’apprentissage des codes, et il semble

difficile d’envisager qu’il pourra reconnaisse le détournement des règles qu’il n’a pas encore

appris à maîtriser.

La communication intertextuelle paraît donc difficile d’accès au lectorat enfantin. Daniel

Sangsue met en avant la forme élitiste de la lecture intertextuelle, en notant que,

pour la parodie, comme du reste pour toute forme d’intertextualité, le lecteur véritablement

opérationnel doit être un lecteur « professionnel » : critique, écrivain, professeur, étudiant… Et le

lecteur idéal ne saurait être qu’un monstre, qui aurait tout lu et tout retenu, une sorte de bibliothèque

de Babel ambulante2.

Pour sortir de cette impossibilité, nous formulerons deux hypothèses. La première

hypothèse consiste à évaluer chez l’enfant des compétences de lecteur analogues à celles du

1 Italo Calvino, Pourquoi lire les classiques [1981], traduit de l’italien par Michel Orcel et François Wahl, Paris, Le

Seuil, « La librairie du XXe siècle », 1993, p. 9.

2 Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 84-85.

108

lecteur adulte, en ne notant chez les deux types de lecteur qu’une différence d’échelle. Le lecteur

enfantin aurait la même capacité que le lecteur plus expérimenté de lire entre les lignes et

d’interpréter un texte « réticent » ou « proliférant1 ». Dans cette hypothèse, l’enfant n’aurait pas

forcément de lui-même la capacité de résoudre les problèmes de compréhension posés par le

texte, mais, aidé d’un adulte (parent, bibliothécaire ou professeur), il pourrait mener ce travail

interprétatif et accomplir une lecture littéraire. Cette première hypothèse donne un grand

pouvoir à l’enfant-lecteur et ne rend pas compte de la part inchoative qui le caractérise.

La seconde hypothèse donne du pouvoir au texte et non pas à son lecteur. Elle considère

qu’il n’est pas nécessaire d’identifier l’hypotexte pour en apprécier la portée. Dans ce cas, la

parodie aurait du sens en elle-même, indépendamment du texte référent. Telle est l’hypothèse de

Michele Hannoosh2 : en transformant l’original, la parodie le recrée et c’est à cette

reconstitution que le lecteur se reporte. La référence au texte premier n’est pas indispensable. La

connaissance du texte parodié aiderait à la compréhension de l’hypertexte, mais resterait

dispensable : la parodie serait auto-suffisante.

Cependant, si l’on ne sait pas de quel texte il s’agit, et si l’hypotexte reste inconnu, le

texte parodique changerait de statut et serait lu pour lui-même et non pas par référence à un texte

pré-existant. Les jeux de décalage et de détournement ne seraient pas repérés par le lecteur et le

texte serait dépossédé de l’essentiel de sa richesse inventive et subversive. Or, Le Petit

Chaperon rouge de Tony Ross ne perdrait-il pas de sa force comique si le lecteur ne le lisait en

pensant au texte initial ?

Nous sommes donc face à deux possibilités : soit l’enfant aurait quasiment autant de

capacités lectorales qu’un adulte, soit le texte serait si riche qu’il n’aurait pas besoin de marquer

son lien intertextuel. Aucune de ces deux hypothèses n’est entièrement satisfaisante. Dans le

premier cas, la modalité d’apprentissage est négligée, et, dans le second cas, le texte risque de

perdre la duplicité et l’ambiguïté qui constituent son intérêt. Comme souvent, une position

médiane nous paraît préférable. Supposons d’un côté que l’enfant ait de réelles compétences de

lecture, mais présumons également que le texte offre plusieurs niveaux de lecture accompagnant

les découvertes de l’enfant-lecteur. Cette hypothèse trouve facilement sa justification si on

considère la large célébrité du chaperon rouge. En effet, le texte du Petit Chaperon rouge n’est

jamais totalement inconnu, même chez les lecteurs les plus jeunes. Certes, le jeune lecteur Ŕ et

même le lecteur adulte non spécialiste Ŕ ne connaît pas avec précision les textes-sources et est

1 Nous adoptons ici les expressions de Catherine Tauveron in : « Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour

la littérature et son enseignement », op. cit., p. 6. Les textes « réticents » « posent délibérément des problèmes de

compréhension au lecteur », tandis que les textes « proliférants » « disent, en quelque sorte, plus qu’ils ne devraient

dire et posent des problèmes d’interprétation ». 2 Michele Hannoosh, Parody and Decadence. Laforgue’s Moralités legendaries, Columbus, The Ohio State

University Press, 1989, chapitre 4. Voir Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 56-59.

109

incapable de faire la distinction entre les différentes versions du conte classique. Mais, s’il ne

connaît pas l’appareil métacritique qui entoure le texte, il n’ignore pas le conte et peut le

raconter dans ses grandes lignes. Le flou qui entoure le Petit Chaperon rouge fait que

l’intertexte est plus aisément reconnaissable que nul autre texte classique moins connu.

Pour comprendre la façon dont le jeune lecteur va reconnaître l’hypotexte dans le conte

parodique, analysons les compétences exigées par la lecture intertextuelle.

B) Une lecture exigeante

1) Les compétences lectorales en jeu

Umberto Eco, dans Lector in fabula, analyse l’acte de lire en termes de compétences.

Loin d’être un exercice simple, la lecture suppose des compétences qu’utilise le lecteur pour

identifier correctement les signifiés et comprendre l’histoire racontée. Un texte est un

« mécanisme paresseux1 » ; c’est au lecteur d’actualiser les « intentions virtuellement contenues

par l’énoncé2 » et de donner sens à ce qu’il lit. Ces compétences sont d’abord d’ordre

linguistique, puisque le lecteur doit maîtriser le lexique et la syntaxe mobilisés dans le texte.

Elles sont ensuite aussi d’ordre « encyclopédique » (détenir un certain savoir sur le monde),

« logique » (connaître les « règles de co-référence » et établir des relations au sein du texte),

« rhétorique » (reconnaître les expressions figurées) et « idéologique » (mettre en jeu des

valeurs). Que ces compétences soient possédées par l’enfant lui-même ou qu’elles soient

médiatisées par l’adulte qui lui fait la lecture du texte, elles sont nécessaires pour que la

compréhension s’instaure.

Ainsi, pour comprendre la portée d’une réécriture du Petit Chaperon rouge, le lecteur

doit posséder des compétences « encyclopédiques » et mobiliser une « compétence

intertextuelle3 » s’inscrivant dans une culture littéraire, si minime soit-elle. Dans la perception

d’un texte parodique, la première des compétences est la reconnaissance, qui suppose une

connaissance. Comme l’a montré Geneviève Idt4, la réception parodique suit trois étapes : le

lecteur reconnaît la présence d’un texte dans un autre texte ; il identifie cet hypotexte ; et mesure

l’écart existant entre l’hypotexte et l’hypertexte. L’acte de reconnaissance peut être facilité par

le texte qui donne des indices. Par exemple, dès la lecture du titre de l’album de Jean-Pierre

1 Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 63.

2 Ibid., p. 78.

3 Ibid., p. 101.

4 Geneviève Idt, « La parodie : rhétorique ou lecture ? » in : Le Discours et le sujet, n°3, Université de Nanterre,

1972-1973. Voir Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 84.

110

Kerloc’h, Le Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge1, le lecteur est mis sur la piste du

petit chaperon rouge, même si le nom des personnages est humoristiquement déformé. La

référence au Petit Chaperon rouge est confirmée par l’observation de la couverture représentant

un loup apparemment affamé séduisant une petite fille portant un chapeau rouge. Le lecteur qui

connaît le conte originel est, dès le paratexte, mis sur la piste d’une référence intertextuelle.

Cependant, la connaissance/reconnaissance ne suffit pas à rendre possible une lecture

intertextuelle. Cette compétence doit être liée à une dimension d’ouverture. Il faut s’être

suffisamment approprié l’hypotexte pour être prêt à en faire une autre lecture. L’enfant doit

donc être assez détaché du Petit Chaperon rouge classique pour ne pas être troublé ou inquiété.

Or, chez les enfants les plus jeunes, cette capacité d’ouverture ne va pas de soi. En effet,

les décalages par rapport au texte-source auquel est habitué l’enfant peuvent avoir un effet

déstabilisant. La lecture du conte classique est remise en cause, ce qui impose à l’enfant de

modifier non seulement sa réception du texte, mais aussi la « structure du monde » (pour

reprendre une expression d’Eco2) qu’il s’est forgée à l’écoute régulière du conte. Dans l’analyse

qu’il fait des contes de fées contemporains, Jack Zipes estime que « les enfants ont tendance à

résister aux changements » et qu’ils n’aiment pas voir « altérés3 » les contes avec lesquels ils ont

grandi. Les enfants sont plutôt conformistes dans leur lecture et,

si leurs perspectives sociales ont été déterminées par un processus de socialisation conservateur, ils

jugent comiques les changements introduits dans les contes, voire injustes et perturbants, même si ces

contes vont dans le sens de leurs propres intérêts et favorisent leur émancipation4.

Les enfants aiment à réentendre toujours les mêmes histoires et s’insurgent lorsque l’adulte

conteur ose changer un mot. La répétition les rassure et permet d’instaurer un ordre dans lequel

ils ont appris à maîtriser les étapes du schéma narratif Ŕ surprise, peur, récompense. Dans sa

Grammaire de l’imagination, Gianni Rodari expose son « art d’inventer des histoires » (comme

le dit le sous-titre du livre) et propose plusieurs techniques, fondées sur l’imagination, pour

construire avec des enfants de petites histoires. L’un de ces procédés consiste à imaginer des

« contes défaits », c’est-à-dire à « faire dérailler les histoires5 ». Rodari l’illustre à partir de

l’exemple du Petit Chaperon rouge. L’écrivain italien note que les enfants « sont assez

longtemps conservateurs » et qu’il est

possible qu’au début le jeu qui consiste à faire dérailler les histoires les irrite, parce qu’il leur oppose

une sensation de danger. Ils sont préparés à l’apparition du loup : mais l’apparition de l’insolite les

inquiète, dans la mesure où ils ne savent pas si ce sera un ami ou un ennemi6.

1 Jean-Pierre Kerloc’h / Isabelle Chatellard (illus.), Le Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge, Paris,

Vilo Jeunesse, 2007. 2 Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., chapitre 8, p. 157 et sq.

3 Jack Zipes, Les Contes de fées et l’art de la subversion, traduit par François Ruy-Vidal, Paris, Payot, 1986, p. 241.

4 Id.

5 Gianni Rodari, Grammaire de l’imagination [Grammatica della fantasia], traduit par Roger Salomon, Paris,

Éditions Messidor, 1979, p. 81. 6 Id.

111

Mais lorsque le conte a dit aux petits lecteurs ce qu’ils avaient besoin d’entendre à un moment

de leur développement et qu’ils sont « prêts à s’en séparer comme d’un vieux jouet épuisé par

l’usage1 », les enfants acceptent alors la parodie. La distance prise face au conte originel leur

permet de le voir malmené. La réécriture du conte renouvelle l’intérêt de l’histoire et éveille leur

curiosité. Ils font ainsi à travers l’écriture parodique l’expérience de la liberté. Le conte n’a plus

sa fonction première d’apprentissage et de lutte contre les peurs cachées ; il devient une matière

ludique offerte à l’imagination de l’enfant.

Il est bon que l’enfant soit un lecteur expérimenté avant de pouvoir accueillir des textes

parodiques. À cette compétence d’ouverture à la nouveauté s’ajoute un travail d’analyse du

conte de départ, même si c’est à un niveau intuitif. En effet, pour identifier le décalage

parodique, le lecteur doit avoir intériorisé les structures narratives. L’enfant ne possède pas

d’outils d’analyse littéraire pour établir de façon consciente cette analyse du conte. Mais il ne

peut noter l’entreprise de déconstruction que s’il a compris intuitivement comment le conte

originel était construit. L’enfant est mis dans une position critique. Il doit remettre en cause une

« réception routinière des contes », comme le dit Zipes2, et interroger la signification des contes

classiques. En ce sens, la lecture des textes parodiques exige une compétence savante, même si

ce n’est encore qu’à un niveau intuitif.

2) Une lecture à plusieurs niveaux

Loin d’être une matière inerte et immobile, un texte littéraire est une « étrange toupie qui

n’existe qu’en mouvement3 ». Plusieurs lectures peuvent être faites d’un même texte non

seulement par des lecteurs différents, mais aussi par un même lecteur. Dans « Ironie

intertextuelle et niveaux de lecture », Umberto Eco conceptualise la notion de double lecture en

partant de l’expression « double coding » forgée par Charles Jenks à propos de l’architecture

postmoderne. En créant le concept d’« ironie intertextuelle », Umberto Eco montre qu’un même

texte peut être lu par plusieurs types de lecteurs : un lecteur naïf, possédant une culture peu

étendue, et un lecteur averti, capable de saisir les renvois élitaires dissimulés dans le texte.

L’ironie intertextuelle met en jeu la « possibilité d’une double lecture », de telle sorte que

le texte peut être lu naïvement, sans saisir les renvois intertextuels, ou bien dans la pleine conscience

de ces renvois, ou du moins dans la certitude qu’il faut se mettre en chasse de ces renvois4.

En nous appropriant le concept d’Umberto Eco, nous pourrions être amenés à marquer la

séparation entre, d’une part, un lecteur adulte capable de reconnaître les présupposés

1 Id.

2 Jack Zipes, Les Contes de fées et l’art de la subversion, op. cit., p. 242.

3 Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature ? [1948], Paris, Gallimard, « Folio Essais », 1993, p. 48.

4 Umberto Eco, « Ironie intertextuelle et niveaux de lecture », in : De la littérature, op. cit., p. 278.

112

intertextuels du texte, et, d’autre part, un lecteur enfant lisant le texte à son premier niveau de

lecture, dans la compréhension immédiate des informations communiquées par le texte. Une

telle distinction exclurait l’enfant de la lecture intertextuelle et le considèrerait comme incapable

de profiter de la richesse parodique du texte en raison de la pauvreté de sa culture. Or, l’ironie

intertextuelle sélectionne et « privilégie les lecteurs intertextuellement avisés » sans exclure

pour autant « les moins armés1 ». À l’instar de Michel Tournier qui refuse de se définir comme

un auteur écrivant pour la jeunesse2, considérons qu’il n’y a pas d’un côté une « littérature pour

la jeunesse » qui se limiterait à conter des histoires simples voire simplettes, et d’un autre côté

une « littérature pour la vieillesse » qui, seule, pourrait représenter la complexité du monde et

jouer avec les références culturelles. Ce serait porter un regard réducteur sur la littérature pour

enfants de penser que les écrivains sont contraints de limiter les renvois culturels Ŕ choix du

lexique, allusions intertextuelles, jeux parodiques Ŕ lorsqu’il s’agit de s’adresser aux lecteurs les

plus jeunes. Postulons plutôt que l’auteur, lorsqu’il écrit son texte, imagine un lecteur capable de

plusieurs niveaux de lecture. Dans Lector in fabula, Umberto Eco a montré que l’écrivain

sollicite dans son texte un « Lecteur Modèle » qui est

capable de coopérer à l’actualisation textuelle de la façon dont lui, l’auteur, le pensait et capable aussi

d’agir interprétativement comme lui a agi générativement3.

Dans un texte jouant sur l’ironie intertextuelle, le Lecteur Modèle est double : le lecteur

« de premier niveau » est « sémantique » et « désire savoir […] comment l’histoire finira »,

tandis que le lecteur « de second niveau » est « sémiotique ou esthétique » et « veut savoir

comment ce qui se passe a été raconté4 ». Le lecteur de premier niveau suit l’intrigue et est pris

au jeu du suspense, souhaitant savoir ce qui va arriver aux personnages. Il s’identifie ainsi à

l’héroïne du conte et laisse libre cours à ses émotions, s’attristant lorsque le chaperon rouge est

pris au piège du loup, ou se réjouissant au moment de sa délivrance. Le lecteur de second niveau

prend ses distances vis-à-vis de l’intrigue : il réfléchit à la façon dont Perrault a su ménager le

suspense, se délecte du choix des mots, cherche à comprendre le point de vue suivi par le

narrateur. Il désire démonter les mécanismes d’écriture. Le lecteur de premier niveau fait une

« lecture en progression », c’est-à-dire qui « adopte le protocole institué par le texte, en respecte

le contrat, et conduit à un oubli partiel de soi et de la matérialité du texte ». Cette première

lecture pourra être suivie par une « lecture en compréhension » dans laquelle le lecteur cherche à

s’approprier le texte « en élaborant une interprétation originale5 ».

1 Id.

2 Michel Tournier, présentation de Vendredi ou la vie sauvage [1971], Paris, Flammarion, « Castor Poche », 1984,

p. 5 : « J’écris pour tout le monde, mais je n’y parviens pas toujours. Quand je suis au meilleur de ma forme, plein

de talent et d’allant, ce que j’écris est si bon, si limpide, si bref que tout le monde peut me lire, même les enfants. » 3 Umberto Eco, Lector in fabula, op. cit., p. 68.

4 Umberto Eco, « Ironie intertextuelle et niveaux de lecture », op. cit., p. 282.

5 Raphaël Baroni, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, op. cit., p. 235-236.

113

Cependant, le lecteur de premier niveau et celui de second niveau ne forment pas

nécessairement deux lecteurs distincts. Il peut s’agir du même lecteur à deux moments, soit de

sa lecture/relecture, soit de son propre développement de lecteur. L’enfant peut en effet être un

lecteur de premier niveau lorsqu’il découvre pour la première fois un texte : il est d’emblée

embarqué par l’histoire et la lit en y projetant ses propres émotions. Mais lorsqu’il relit le livre,

il peut devenir un lecteur de second niveau cherchant à comprendre les inflexions du texte et les

choix narratifs. Toutefois, l’enfant, plus encore que l’adulte, est un lecteur en perpétuelle

formation et, au fil des mois, ses capacités peuvent évoluer. Une fréquentation assidue du texte

l’aidera à prendre conscience des procédés d’écriture qui ont permis sa lecture crédule.

Selon Umberto Eco, ces niveaux de lecture sont inscrits dans le texte et voulus par

l’auteur, et ne dépendent pas de la seule culture du lecteur. Pour illustrer notre propos, nous

prendrons l’exemple de Mina je t’aime, écrit par Patricia Joiret et illustré par Xavier Bruyère1.

Cet album est un texte à leurre qui piège son lecteur et l’oblige à une relecture attentive. En

lisant le titre et en observant la couverture, le lecteur qui découvre pour la première fois l’album

peut supposer qu’il s’agit d’une histoire

sentimentale. Aucune allusion au chaperon rouge

ne vient le mettre sur la piste d’une écriture

intertextuelle. Pages après pages, le lecteur « de

premier niveau » suit ainsi les aventures de

Carmina, une petite fille vêtue de rouge que sa

mère envoie chez sa grand-mère. La fillette

rencontre trois garçons de son âge qui, tour à tour,

lui lancent des messages en forme de déclaration

d’amour. Cependant, la jeune Carmina reste indifférente à ses admirateurs et continue son

chemin. L’histoire se déroule en apparence classiquement et paraît conter la découverte par une

toute jeune fille de son pouvoir de séduction, comme dans l’album de Béatrice Poncelet, Je, le

loup et moi… Mais, arrivé à la dernière page, le lecteur s’aperçoit qu’il a été trompé par le

narrateur. Il découvre en effet que la grand-mère a la « gueule énorme d’une louve grise qui se

pourlèche les babines » et comprend, en voyant la dernière image représentant l’ombre d’un

terrifiant loup, que Carmina est venue livrer à sa grand-mère louve non seulement « trois pieds

de cochon, un jambon fumé, deux langues de bœuf »… mais aussi « trois bons gros garçons

comme dessert » ! Contrairement à ce qu’une première lecture du texte et des images a pu lui

faire croire, le lecteur s’aperçoit que la petite Carmina est en fait une louve, et qu’elle a amené

1 Patricia Joiret / Xavier Bruyère (illus.), Mina je t’aime, op. cit.

114

sciemment les garçons « dans la gueule du loup ». De nombreux indices se cachent dans le texte

et avertissent qu’il faut appréhender ce récit comme une inversion du Petit Chaperon rouge,

mais ces pistes ne se révèlent qu’à la relecture. Ainsi, en relisant le texte, on découvre

l’omniprésence d’un champ lexical du rouge (« Carmina », « carminées », « sang », « collant

rouge », « sweat-shirt rouge », « cheveux roux », « vermillon », « géraniums »). De plus, le

portrait fait de la jeune fille comporte de nombreux termes évoquant l’animalité : Carmina a en

effet de « petits crocs pointus », une « crinière de fauve », et « des membres » plutôt que des

bras et des jambes. Les verbes décrivant l’action de Carmina marquent, eux aussi, le caractère

sauvage de l’héroïne : elle ne mange pas mais « englouti[t] » son repas et ne parle pas à sa mère

mais « hurle ». Les mots, qu’une première lecture laissait croire figurés, sont employés au sens

propre. Les trois garçons sont, quant à eux, présentés par des termes évoquant leur caractère

porcin : les expressions « tête de lard », « tête de cochon », « boucher charcutier » auraient pu

mettre sur la piste. Les images, elles aussi, auraient dû orienter la lecture. On y voit en effet

systématiquement un détail représentant un loup : sur la planche à découper dans la cuisine, une

statuette dans un coin de la chambre de Carmina, une statue en arrière fond du paysage, ou

encore l’abat-jour représenté à la dernière page.

À la deuxième lecture, l’enfant-lecteur peut donc devenir un « lecteur de second niveau »

de Mina je t’aime : la connaissance de l’issue de l’histoire dévoile des détails qui pourraient

passer inaperçus en première lecture. Cependant, cette lecture de « second niveau » suppose elle

aussi une certaine gradation dans la compréhension des renvois intertextuels. Il est probable que

certains détails échapperont à un enfant de cycle 3 alors qu’un collégien pourra éventuellement

les repérer sans l’aide d’un adulte : la signification de l’adjectif « carminé » peu usité ou encore

le patronyme de Mina Ŕ « Wolf » Ŕ qui échappera aisément aux lecteurs non germanistes ou non

anglicistes. D’autres aspects de l’album exigent une culture encore plus étendue que seul un

lecteur instruit saura reconnaître : ainsi, l’inspiration impressionniste des illustrations de Xavier

Bruyère qui, par leurs couleurs chaudes tirant sur le rouge, font penser aux peintures de Matisse

et des fauvistes du début du XXe siècle ne sautera aux yeux que d’un lecteur possédant une

certaine culture picturale. Plus encore, il faut être un lecteur érudit Ŕ lecteur « de troisième

niveau », pourrait-on dire Ŕ pour interpréter cet album comme une

constellation autour de deux pôles : « Eros » (les figures de l’amour, ici de la séduction amoureuse,

peut-être, en tout cas sexuelle, et de la déclaration d’amour) et « Thanatos » (les figures de la mort

[…])1.

En somme, le texte peut se lire à plusieurs niveaux, et cette lecture en constellation

permet au lecteur-enfant d’enrichir sa perception du texte à mesure de ses relectures et de ses

découvertes littéraires.

1 Serge Martin, Les Contes à l’école. Le(s) petit(s) Chaperon(s) rouge(s), op. cit., p. 96.

115

3) Une lecture qui initie au plaisir littéraire

Loin d’atténuer le plaisir esthétique, le nivellement du texte vient le multiplier. Qu’on

lise une parodie du Petit Chaperon rouge en reconnaissant l’hypotexte et en jouissant des

allusions intertextuelles ou que, au contraire, on en reste à la lecture sémantique, le plaisir de la

lecture existe dans les deux cas. Umberto Eco note ainsi que le lecteur « qui comprend le clin

d’œil établit un rapport privilégié avec le texte », et que « celui qui ne le comprend pas continue

quand même ». Dans les deux cas, un plaisir est suscité même si le renvoi n’est pas aperçu1.

Encore faut-il faire la différence entre l’ironie intertextuelle et l’ironie2. Cette dernière suppose

qu’un des destinataires peut ne pas être conscient du jeu allusif qui, donc, l’exclut. L’ironie

intertextuelle, elle, invite à un plaisir partagé, même si l’ironie n’est pas vue. En effet, c’est

comme une « incitation et invitation à l’inclusion3 » ; elle offre la possibilité au lecteur

d’enrichir sa lecture et exhorte le lecteur naïf à devenir de plus en plus conscient des marques

intertextuelles.

Cela revient à ébaucher plusieurs types de plaisir littéraire. Le premier, le plus immédiat,

est le plaisir du lecteur naïf : il s’agit du lecteur « de premier niveau » qui est impatient de

connaître la suite de l’histoire et qui apprécie de se sentir tenu en haleine par l’intrigue, tant il est

attaché à l’histoire et aux personnages. Par exemple, lorsqu’il lit Mina je t’aime, il veut savoir

pourquoi Carmina ignore ses admirateurs et ne répond pas aux messages d’amour qu’elle reçoit.

Il continue sa lecture dans l’espoir de recevoir la réponse à cette petite énigme. Mais l’enfant est

susceptible d’accéder à un plaisir de second type : le plaisir de l’esthète. Le lecteur devient alors

technicien, capable de juger des choix narratifs de l’auteur, d’apprécier la polysémie d’un mot et

de reconnaître les allusions intertextuelles distillées dans le récit. Ainsi, dans Mina je t’aime, le

plaisir viendra de la découverte des moyens utilisés par le narrateur pour faire tomber le lecteur

dans le piège.

L’émotion esthétique est double : découverte de la nouveauté et reconnaissance de

l’ancien. En effet, lorsqu’il lit une réécriture du Petit Chaperon rouge, l’enfant-lecteur se sent

fier de reconnaître le texte originel. Cette reconnaissance marque son appartenance à une culture

partagée et atteste des compétences de lecteur qu’il a acquises au fil de ses découvertes

littéraires. Annie Rouxel, dans un article définissant la lecture littéraire, explique que le plaisir

esthétique est « complexe » : il naît

1 Umberto Eco, « Ironie intertextuelle et niveaux de lecture », op. cit., p. 277.

2 Ibid., p. 296.

3 Ibid., p. 297.

116

de la tension entre le dépaysement lié à l’inconnu du texte et le sentiment de familiarité que confère la

reconnaissance de codes, le partage de références1.

Reconnaître les codes du conte de fées en lisant la parodie de Tony Ross ou se rappeler

de l’intrigue du Petit Chaperon rouge en suivant l’enquête du détective John Chatterton permet

à l’enfant de prendre conscience que la lecture d’un texte ouvre sur d’autres textes. Le plaisir de

la reconnaissance va de pair avec le plaisir de grandir. En identifiant les clins d’œil et les

allusions culturelles, le jeune lecteur peut avoir l’impression d’entrer chez les « grands » et

d’être moins naïf. Par l’identification des codes littéraires dont il ignorait l’existence quelques

années plus tôt, l’enfant s’aperçoit du chemin qu’il a parcouru dans son expérience de lecteur.

L’enfant peut ressentir du plaisir à faire une lecture savante d’un texte parodique parce

que ce délice de la lecture renvoie au plaisir du joueur. Dans les dernières pages de

Palimpsestes, Gérard Genette note la dimension ludique de la parodie : l’écriture hypertextuelle

est de l’ordre du « bricolage » et consiste à « faire du neuf avec du vieux » en jouant avec les

références, les codes et les stéréotypes2. Par conséquent, prendre goût à la lecture d’une parodie

du Petit Chaperon rouge revient à éprouver des émotions de joueur. En ce sens, lire, c’est jouer,

comme l’a montré Michel Picard dans La Lecture comme jeu3 : jeu de rôle (« playing »)

lorsqu’il s’agit de s’identifier au héros du conte, ou jeu de stratégie (« game ») lorsqu’il y a

distanciation. Dans une conférence en forme de plaidoyer pour la littérature pour la jeunesse,

Catherine Tauveron file la métaphore du jeu et montre que le plaisir du joueur est « multiple » :

plaisir du détective qui rassemble les pièces éparses du puzzle, remplit les blancs laissés entre les

pièces ; plaisir du mineur creusant un filon de sens entr’aperçu ; plaisir du stratège anticipant les

coups, ou tombant dans les pièges tendus pour mieux ensuite en estimer la finesse ; plaisir du

tisserand qui mêle les fils pour faire apparaître des figures à chaque fois différentes ; plaisir de

l’archéologue qui met au jour dans une seule histoire toutes les histoires déposées en strates et qui

lancent des clins d’œil complices4

Le jeu peut aider les enfants à entrer dans la découverte de la littérature. C’est ce que

bons nombres d’enseignants ont compris en appuyant leur enseignement sur la lecture des textes

parodiques. C’est également ce que préconisent les directives de l’Éducation nationale qui, en

préambule des programmes scolaires de cycle 3, affirment vouloir « développer l’appétence » et

faire « la promotion de la lecture dans toutes ses acceptions : lecture de travail et savante, lecture

fonctionnelle, lecture-plaisir et de culture5 ».

1 Annie Rouxel, « Qu’entend-on par lecture littéraire ? », Actes de l’université d’automne, Direction de l’ensei-

gnement scolaire, publié le 6 mai 2004 : <http://eduscol.education.fr/D0126/lecture_litteraire_rouxel.htm>, p. 5. 2 Gérard Genette, Palimpsestes, op. cit., p. 556-557. Genette montre que le bricolage est toujours un jeu car il

« traite et utilise un objet d’une manière imprévue, non programmée, et donc “indue” ». 3 Michel Picard, La Lecture comme jeu, Minuit, Paris, 1986.

4 Catherine Tauveron, « Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour la littérature son enseignement ? », Actes

du séminaire national « Perspectives actuelles de l’enseignement du français », 23-24-25 octobre 2000. Consultable

sur Internet : <http://eduscol.education.fr/D0033/actfran_tauveron.htm>, p. 7-8. 5 « Lire et écrire au cycle 3. Repères pour organiser les apprentissages au long du cycle », document

d’accompagnement des programmes scolaires, CNDP, 2003 : <http://www.cndp.fr/doc_administrative/>, p. 5-6.

117

C) Des compétences exigées

1) Des compétences didactiques revendiquées dans les programmes

scolaires

L’école est le lieu par excellence de l’apprentissage de la lecture littéraire. Considérons

désormais l’enfant en tant qu’élève et voyons comment l’école pratique la lecture intertextuelle.

Le programme scolaire applicable depuis la rentrée 2002 dans les classes du cycle 3,

cycle des approfondissements (CE2, CM1, CM2), donne une place importante à la littérature qui

est conçue comme « mémoire des textes1 ». Le document d’application des programmes s’ouvre

par la définition de la « culture littéraire » envisagée dans une perspective intertextuelle. Il s’agit

de faire prendre conscience des liens entre les textes, et de montrer aux élèves les « résonances

qui relient les œuvres entre elles2 ». Les expressions sont nombreuses pour désigner la pratique

de l’intertextualité : « résonances », « liens », « mises en réseaux », « constitution de

constellations », « échos3 ». La notion de « réseaux » est centrale dans les instructions

officielles. Il faut donner à lire à la fois les « textes de référence » et les « textes qui en sont

l’écho ou s’inscrivent dans la rupture avec ce patrimoine » pour montrer aux élèves les liens

entre les textes, afin de « saisir les rapprochements, apprécier les similitudes, les variations, les

prolongements, les jeux d’imitation, les détournements4 ». Cette construction d’un réseau peut,

chez les plus jeunes élèves, décliner des personnages qui, par leur consistance, « constituent

l’une des trames les plus visibles des œuvres ». Le document d’application des programmes de

cycle 3 prend ainsi l’exemple du petit chaperon rouge qui « ne cesse de réapparaître, quelquefois

sous les atours les plus inattendus ». L’observation comparative des reprises et des

modifications imposées au personnage du conte originel engendre « investigations et

interrogations » et renouvelle la réception du texte classique.

Pourquoi donner autant d’importance à la « lecture en réseaux » ? L’objectif affiché est

d’affirmer une approche culturelle de la littérature à travers la mémoire collective. Au-delà du

strict apprentissage de la littérature, l’un des buts de l’école est d’aider le futur adulte à s’insérer

dans la société et à construire les repères qui lui permettront de partager avec autrui les mêmes

références culturelles. La lecture en réseaux peut ainsi contribuer à la structuration de la culture

de l’élève. Dans un article consacré aux « fonctions et nature des lectures en réseaux »,

Catherine Tauveron note l’importance du pluriel du mot « réseaux » et montre qu’il s’agit de

1 « Littérature (cycle 3) », document d’accompagnement des programmes scolaires, CNDP, 2004. Consultable sur

Internet :<http://www.cndp.fr/textes_officiels/ecole/Litt_ecole.pdf>, p. 5. 2 Id.

3 Ibid., p. 9.

4 Id.

118

construire des « ponts » d’un lecteur à l’autre et entre « l’œuvre lue et les œuvres engrangées

dans la mémoire culturelle ». Dans cette optique, elle considère que le « rôle du maître » est

d’offrir les conditions pour que cette mémoire, singulière et collective, s’organise en cases où se

rassemblent des histoires présentant des points communs [...], cases au contenu évolutif,

si bien que dans la classe,

les histoires sont appelées à avoir plusieurs vies et à contracter plusieurs mariages, mariages arrangés

par le maître, mariages d’amour aussi, imprévisibles1.

L’intertextualité étant une « une pratique de lecture2 », le rôle du professeur est d’aider

l’élève à organiser sa lecture personnelle en lui permettant d’inscrire chaque nouveau texte

découvert dans sa « bibliothèque mentale3 ». En ce sens, dans l’apprentissage de la lecture à

l’école, le but n’est pas de renvoyer à un savoir fixe, voulu par l’auteur, mais de proposer un

sens en faisant pour cela appel à l’expérience intime du lecteur. L’enseignant peut proposer des

pistes référentielles pour que l’élève lie les textes qu’il lit, sans imposer des réseaux.

La lecture des réécritures du petit chaperon rouge peut aider également l’élève à s’initier

à la lecture critique et à mener une lecture avertie, capable de repérer les techniques utilisées par

l’auteur. Ainsi, comparer la version du conte de Perrault avec l’album de Fabian Negrin, Dans

la gueule du loup4, fait réfléchir l’élève à la variation des points de vue et permet d’introduire la

notion de focalisation (qui n’aura pas besoin d’être nommée par son terme technique pour être

comprise par l’enfant). L’observation des techniques de détournement et de parodie donne

l’occasion de prendre conscience de la mise en œuvre de certaines techniques narratives ou

stylistiques. Il est en effet plus aisé de s’apercevoir d’un phénomène lorsqu’on le compare avec

d’autres et qu’on peut mesurer l’écart par rapport à la norme. La lecture des textes parodiques

conduit ainsi l’élève à faire évoluer son attitude de lecteur ; elle lui permet de ne plus être

seulement « lisant », mais aussi « lectant ». Le « lisant » désigne la

part du lecteur piégé par l’illusion référentielle et considérant, le temps de la lecture, le monde du

texte comme un monde existant,

tandis que le « lectant » renvoie à

[l’]instance de la secondarité critique qui s’intéresse à la complexité de l’œuvre5.

Transformer le jeune lecteur en « lectant », c’est lui offrir l’occasion de s’arracher à

l’illusion romanesque, et le faire réfléchir à l’écriture du texte. La lecture intertextuelle, parce

1 Catherine Tauveron, « Fonctions et nature des lectures en réseaux », Actes de l’université d’automne, « La lecture

et la culture littéraires au cycle des approfondissements », Direction de l’enseignement scolaire, publié le 12 mai

2004. Consultable sur Internet : <http://eduscol.education.fr/D0126/lecture_litteraire_tauveron3.htm >, p. 1. 2 Florence Gaotti, « Croisements de voix. Réflexions sur l’intertextualité à l’école », in : Nous voulons lire, n°160,

juin 2005, p. 41. 3 Id.

4 Fabian Negrin, Dans la gueule du loup, op. cit. Voir notre commentaire sur cet album dans notre deuxième partie

(p. 88-89). 5 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit., p. 81.

119

qu’elle invite à prendre conscience des liens entre les œuvres, favorise cette prise de distance par

rapport à la lecture immédiate et incite à développer l’esprit critique du jeune lecteur.

2) Le petit chaperon rouge à l’école : des pratiques pédagogiques

Notre propos n’est pas ici de nous transformer en professeur et de présenter des cours

construits en séquences mobilisant les réécritures du Petit Chaperon rouge, mais simplement de

suggérer quelques pistes d’activités pédagogiques afin de montrer la richesse qui peut être tirée

de l’étude des contes parodiés. Pour une liste plus complète d’activités menées autour du Petit

Chaperon rouge en école primaire, nous invitons à se référer à l’ouvrage Les Contes à l’école.

Le(s) Petit(s) Chaperon(s) rouge(s)1. Dans ce livre didactique destiné aux professeurs des

écoles, Serge Martin montre comment utiliser en classe le conte originel et sa multitude de

versions contemporaines. On pourra se reporter également à une fiche réalisée par le Centre de

ressources en littérature de jeunesse du CRDP de l’académie de Créteil2 qui propose de

nombreuses suggestions d’utilisation des contes parodiés en primaire et en collège.

L’étude des réécritures du Petit Chaperon rouge peut être menée en primaire, mais aussi

au collège, notamment en 6e où le genre du conte est au programme : il s’agira alors de discerner

« les constantes de la structure narrative, ainsi que les dimensions sensibles et symboliques des

situations mises en scène3 ». Une telle étude pourrait également trouver sa place chez des élèves

plus âgés : en Première L où les réécritures sont un objet d’étude au programme4, ou même en

Bac pro où l’étude de versions parodiques du conte pourrait être l’occasion de réfléchir aux

procédés ironiques ou à « l’implicite culturel et de connivence » inscrit dans le référentiel5.

Les activités, fondées sur la lecture des textes, visent à un travail comparer le conte

source et ses réécritures. Une telle lecture pourra être l’occasion d’un débat à objectif

argumentatif où l’élève devra justifier ses préférences pour l’une ou l’autre version, ou encore

d’une discussion sur les diverses interprétations possibles des textes (Petit Lapin Rouge de

Rascal en primaire, ou Mina je t’aime, plus complexe, en collège). L’enseignant pourra

demander aux élèves de relever les éléments de transposition en se concentrant sur les

1 Serge Martin, Les Contes à l’école. Le(s) petit(s) Chaperon(s) rouge(s), op. cit. Voir surtout la deuxième partie, la

première partie étant essentiellement consacrée à un exposé critique des thèses classiques sur les contes. 2 <http://www.crdp.ac-creteil.fr/telemaque/comite/contes.htm>.

3 Voir l’accompagnement du programme de Français en collège pour la classe de 6

e

<www.cndp.fr/doc_administrative/programmes/secondaire/francais/accueil.htm>, p. 37. 4 Notons qu’en 2006-2007 les contes de Perrault dans la version illustrée de Gustave Doré étaient au programme

des Terminales L. 5 Voir le référentiel de Français en baccalauréat professionnel sur Internet à cette adresse : <www.ac-

nantes.fr :8080/peda/disc/lettres/ressourc/lycpro/progdoc/probbac.htm. On trouvera un exemple de séquence sur les

parodies du Chaperon rouge et « le récit à visée morale » réalisée par des enseignants de Première Bac Pro sur

Internet (<www.ac-nice.fr/plplh/lettres/groupements_textes/bac_pro/contes_parodies/grpt_contes>).

120

modifications du lieu, du temps et des personnages chez les élèves les plus jeunes, ou en

étudiant les différentes structures du récit ou les voix narratives chez les élèves plus âgés. Un

travail sur l’interprétation des illustrations pourra être mené : comment le même personnage est-

il représenté ? Qu’ajoute l’image au texte de Perrault ? Dans quelle mesure les différents styles

d’illustrations modifient-ils la réception du conte ? Les activités de lecture pourront se doubler

d’un travail d’écriture. Ainsi, des élèves de primaire écriront l’histoire de l’album sans texte de

Rascal1, ou leur propre version du conte en transposant lieux et personnages dans un univers

contemporain, comme l’a fait Jean Claverie ou Geoffroy de Pennart. Les élèves transposeront le

conte en pièce de théâtre (soit en mettant en scène la version de Joël Pommerat ou de Jean-

Claude Grumberg, soit en écrivant leur version théâtrale), ou bien proposeront leurs illustrations

réalisées en cours d’arts plastiques, ou étudieront les utilisations du conte dans des supports de

communication à visée publicitaire2.

Les nombreuses utilisations des réécritures contemporaines du conte renvoient à des

objectifs pédagogiques variés. Il faudra simplement veiller à éviter certains écueils que Serge

Martin met en évidence dans son ouvrage. Commentant les motifs de Propp, il avertit du danger

de réduire l’étude des contes à l’application aveugle et mécanique des schémas narratifs. Il

critique les méthodes qui consistent à faire écrire les élèves en leur imposant le schéma quinaire.

De telles pratiques mèneraient à une « propédeutique techniciste3 ». Le risque serait alors

d’« instrumentaliser » le conte et de l’utiliser seulement comme support pour étudier la

grammaire, le schéma narratif, etc., au lieu d’en « conserver la complexité4 ». Notons que c’est à

cette dérive que risquerait d’aboutir une interprétation fermée des programmes scolaires qui,

depuis quelques années, imposent d’étudier la grammaire dans les textes narratifs au cours d’une

« séquence » et non à l’occasion de leçons indépendantes et magistrales.

Nous avons étudié la réception des contes du Petit Chaperon rouge en nous fondant sur

la façon dont de jeunes lecteurs peuvent percevoir l’intertextualité à l’œuvre dans les réécritures

contemporaines. Nous avons constaté que la lecture pouvait se faire à plusieurs niveaux et

qu’elle invitait à construire une lecture critique et un plaisir littéraire.

Nous allons désormais examiner la réception de l’humour. En effet, nombre de

réécritures du Petit Chaperon rouge ont une portée comique et remettent en question la forte

dramatisation du texte de Perrault. Le personnage du chaperon est placé dans une situation

1 Rascal, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

2 Voir notamment la publicité de Luc Besson pour le parfum Chanel n°5. On trouvera des activités pédagogiques

autour de cette publicité sur le site de la BNF (<http://expositions.bnf.fr/contes/pedago/chaperon/pub.htm>). 3 Serge Martin, Les Contes à l’école. Le(s) Petit(s) Chaperon(s) rouge(s), op. cit., p. 39-42.

4 Ibid., p. 60-62.

121

comique où le rire vient remplacer la peur. Les récits changent donc de tonalité par rapport au

conte originel et prêtent à sourire. Comment les enfants reçoivent-ils l’humour ? Quelle situation

de communication est-elle construite dans les textes à portée ironique ? Les enfants sont-ils

capables de saisir les discours humoristiques et les clins d’œil ironiques ? Pour répondre à ces

questions, nous allons étudier le rire à l’œuvre dans les écritures parodiques du Petit Chaperon

rouge, et en mesurer les fonctions et la portée pour le développement de l’enfant.

II) La réception de l’humour

Les réécritures contemporaines du Petit Chaperon rouge sont souvent fondées sur le

décalage ludique entre le conte-source et le nouveau texte. Le rire naît de la subversion des

codes et de la distance apportée par rapport au conte originel. Comme le montre Françoise

Ballanger, l’humour « ne saurait être réduit à un genre », mais se reconnaît plutôt comme

une attitude, [...] une manière de raconter qui prend ses distances avec ce qui est raconté, dans une

sorte de télescopage entre l’histoire rapportée et les commentaires implicites ou explicites qu’elle

suscite1.

Or, l’enfant a tendance à adhérer à ce qui lui est raconté. Il se laisse facilement

convaincre par ce qu’il lit, et sa crédulité naturelle pourrait l’amener à prendre au pied de la

lettre le récit, tant il est ancré dans l’illusion référentielle2. Si l’humour suppose une mise à

distance, n’y a-t-il pas, comme pour la réception de l’intertextualité, une attitude problématique

dans la réception de l’humour par les enfants ? Dans quelle mesure peuvent-ils adopter

suffisamment de recul pour être sensibles aux allusions humoristiques et ironiques des textes ?

A) Le rire comme établissement d’une situation de communication

1) Le rire, entre connivence et exclusion

L’humour se définit comme une mise à distance. Celle-ci peut prendre des apparences

variées : distance du narrateur avec ce qu’il raconte, décalage entre le texte et l’image,

introduction de ruptures de ton qui viennent mettre l’accent sur les failles de l’histoire racontée.

1 Françoise Ballanger, « Laissez-les rire ! », dans L’Humour dans la littérature de jeunesse, Paris, In Press Éditions,

2000, p. 75. 2 Vincent Jouve souligne cette crédulité de l’enfant en notant que c’est celle que l’adulte retrouve dans la lecture :

« Le support de la crédulité du lecteur, c’est l’enfant qui a survécu dans l’adulte » (L’effet-personnage dans le

roman, op. cit., p. 85).

122

Dans un article consacré à l’humour dans la littérature pour la jeunesse, Jean-Paul Gourévitch

montre la différence entre la caricature et l’humour. Alors que la première « simplifie et

amplifie », le second « opère avec douceur et légèreté ». L’humoriste invite à relativiser les

drames du monde et, pour cela, il

met en scène une situation, adopte un parti pris de distanciation qui se traduit par un décalage dans le

texte, dans l’image ou dans les deux1.

L’humoriste instaure dans son texte des écarts qui incitent le lecteur à entrer dans une attitude

critique.

Dans les réécritures du Petit Chaperon rouge, ces mises à distance sont de plusieurs

ordres. Certains albums jouent sur ces écarts en associant un style d’illustration décalée par

rapport à l’univers traditionnel du conte. Ainsi, dans la version du Petit Chaperon rouge de

James Marshall2, les dessins sont de facture humoristique : des traits simples pour les visages, le

choix d’un univers très coloré et surtout un sens du détail amusant, chaque image étant envahie

par des chats dont la présence semble insolite à celui qui est habitué au conte originel. La scène

la plus « féline » est ainsi celle de la préparation du « flan » pour « Mamie » : le lecteur attentif

découvre neuf chats, les uns cachés sous un meuble, un autre essayant de monter sur la table,

trois autres dissimulés derrière l’épaule de la mère, etc. ! L’humour culmine dans la dernière

image qui marque une distance entre le texte et l’illustration. Le texte, respectant la morale

finale des frères Grimm, nous annonce que le petit chaperon rouge a fait la promesse « de ne

plus jamais, jamais parler à un inconnu, politesse exquise ou non » et la dernière phrase nous

révèle que la fillette a tenu sa promesse. Mais l’illustration en regard du texte nous montre une

scène inattendue : un crocodile avec une canne et un chapeau qui suit le petit chaperon rouge.

Celui-ci fait « non » de la main, furieux d’être importuné. L’humour vient ici de l’effet de

chute : le message moral, éminemment sérieux, s’écarte de la situation représentée dans

l’illustration, puisque celle-ci montre une scène insolite et complètement loufoque. L’humour

réside dans le décalage entre l’image et le texte.

La mise à distance par l’image peut être accentuée par les choix formels opérés par

l’auteur. Nadja présente ainsi une version très excentrique du conte dans son petit livre

Chaperon rouge, collection privée3. L’originalité de l’album réside dans le choix narratif : aucun

narrateur ne raconte l’histoire, entièrement construite à partir de la juxtaposition de petites

figurines représentant les personnages du conte et portant chacune un titre inscrit sur leur socle.

Ces bibelots sont des dessins en couleurs dans le style caricatural de Nadja, avec des

1 Jean-Paul Gourévitch, « L’humour dans la littérature de jeunesse », juin 2001, <www.ac-

creteil.fr/crdp/telemaque/comite/JPGourevitch.htm>. 2 James Marshall, Le Petit Chaperon rouge, op. cit.

3 Nadja, Chaperon rouge, collection privée, Paris, Éditions Cornélius, 2005.

123

personnages ayant de longs nez et un physique plutôt ingrat. Ces figurines sont posées sur des

étagères ou des meubles, alors que le fond est représenté en gris et blanc, d’où un effet de

contrastes. Chaque phrase est nécessairement associée à l’attitude d’un des personnages et

commence par la même structure grammaticale (nom du personnage, puis participe présent et

complément). Le petit chaperon rouge est nommé par ses initiales et devient sur chaque image

« PCR ». C’est la conjonction du texte de légende et de la figurine qui fait rire. Le choix des

attitudes est gentiment irrévérencieux. Ainsi, lorsque le PCR cueille des fleurs dans la forêt,

l’image offre au lecteur une vue plongeante sur sa culotte blanche (voir ci-dessous) !

Deux pages plus loin, la légende présente le « Loup apercevant le PCR » tandis que la figurine

montre la tête de l’animal, tirant la langue, les yeux exorbités, un peu comme un chien qui aurait

vu un grand plat de viande ! L’album insiste sur la notion de jeu.

Du début à la fin, on voit le PCR et le loup jouer à être leur

personnage (« faisant semblant », « jouant », dit le texte). Ici, le

conte du Petit Chaperon rouge est un jeu de rôle entièrement

centré sur les actants. C’est un bel hommage qui est rendu au conte

de Perrault. Nadja nous montre que le Petit Chaperon rouge

appartient tant à notre patrimoine qu’il fait partie Ŕ au sens propre

Ŕ des meubles et des décorations. L’auteur expose littéralement les

personnages de cette histoire fondatrice comme des bibelots

appréciés qui formeraient une « collection privée », ainsi que l’annonce le sous-titre de l’album.

La mise à distance humoristique peut également venir du jeu sur les mots. Ainsi, dans Le

Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge1, Jean-Pierre Kerloc’h joue sur la

désarticulation du langage. Le loup, qui rêve de manger « un énorme sandwich au Petit Chapeau

rond rouge », est si « tourneboulé » par la jolie fillette qu’il en a « la tête, la langue et les mots à

1 Jean-Pierre Kerloc’h / Isabelle Chatellard (illus.), Le Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge, op. cit.

124

l’envers ». Prenant un mot pour un autre, à la Tardieu, le loup, dès qu’il prend la parole, bégaye

et construit des phrases incohérentes. Lorsqu’il se présente au petit Chapeau rond rouge, le loup

se désigne comme un « lougoudou », c’est-à-dire un « poul-ragoût » ou « poul laid ». Sa langue

ne cesse de fourcher, et lorsqu’il s’agit de désigner la fillette, il appelle tour à tour « petit

lapereau rouge », « petit champignon rouge », « petit trognon rouge », « petit coq au vin rouge »

ou encore « petit potiron rouge » et « petit dindonneau rouge ». Le loup est si obsédé par la

nourriture qu’il ne peut s’empêcher d’employer un terme renvoyant à un mets quand il s’adresse

à la fillette. Les mots perdent leur fonction référentielle. La forêt devient un « grand boigada »,

le petit pot de beurre du chaperon un « pogodot de gueudeubeurre », et, lorsque le loup arrive à

la maison de la grand-mère, il rugit « Rognetudju ! Je vais cracrabouiller cette sale rabaque ».

Comme dans les albums de Pef, les mots du loup sont « tordus ». Signifiant et signifié

n’assurent plus le renvoi qui devrait être imparti au langage sensé et cohérent. L’humour naît de

la destructuration du langage et du non-respect des codes linguistiques. Le délire langagier

correspond au portrait du loup présenté comme un peu gâteux, puisqu’il est « tout mité » et qu’il

lui manque « des poils, un morceau de queue et la moitié des dents ». Distance est prise par

rapport au dictionnaire ; l’humour est créé par le détournement des normes du langage.

La mise à distance de l’humour peut également venir du changement de point de vue. Ce

qui fait rire dans l’album Dans la gueule du loup1, c’est la mauvaise foi du loup qui réécrit

l’histoire du chaperon rouge en adoptant son seul point de vue et en falsifiant les faits via une

argumentation en apparence solide. Comme dans le Journal d’un chat assassin de Anne Fine2,

l’adoption du point de vue du personnage animal permet d’insister sur le comportement

instinctif de l’animal, par opposition à la sensibilité des humains. L’humour est suscité par le

conflit des points de vue et le renversement de la focalisation.

La souplesse dans les modes d’énonciation peut également marquer la distance

humoristique. Ainsi, dans Romain Gallo contre Charles Perrault, le récit à la première personne

construit un point de vue partial. Le narrateur pratique l’auto-dérision et porte un regard

distancié sur lui-même, commentant ses propres faiblesses. Le détective souligne par exemple

l’aberration d’avoir écrit du mauvais côté « Enquêtes & filatures discrètes » sur la porte vitrée

de son bureau (les visiteurs voient le texte à l’envers !), et admet qu’installer son bureau en

pleine ZUP, avec vue sur la gare de triage, n’était pas « l’idée du siècle3 ». Le narrateur se

moque de lui-même et le lecteur, avec lui, est amené à porter sur le héros la même distance

critique.

1 Fabian Negrin, Dans la gueule du loup, op. cit.

2 Anne Fine, Journal d’un chat assassin [The Diary of a killer cat, 1994], traduit de l’anglais par Véronique Haïtse,

Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 1997. 3 Gérard Moncomble, Romain Gallo contre Charles Perrault, op. cit., p. 13-15.

125

L’humour instaure entre l’auteur et son lecteur une « forme de complicité tendre1 ». En

effet, il se crée un rapport de connivence entre l’humoriste et celui qui est capable de

comprendre ses traits d’humour, ce qui explique le succès des écritures parodiques. L’enfant qui

comprend les clins d’œil se sent en effet impliqué dans la lecture et apprécie de voir les codes du

conte de fées mis à mal. L’écrivain qui s’accorde le droit de malmener le conte de Perrault invite

l’enfant à entrer dans son mode de subversion et à porter sur les Petits Chaperons rouges

classiques le même regard distancié. Auteur et lecteur sont complices de la même farce Ŕ celle

qui consiste à détourner insolemment les règles du conte traditionnel. L’enfant, porté par cette

complicité partagée, aura plus de facilité à entrer dans la lecture de tels textes. Le rire a une

« fonction sociale », comme le montre Henri Bergson2. En effet, tout rire a besoin d’un « écho »

et vient se répercuter « de proche en proche ». Il est « toujours le rire d’un groupe ». Ceux qui

appartiennent au même groupe rient aux blagues qu’ils comprennent, alors qu’un étranger se

sent exclu. Comme l’explique Bergson,

le rire cache une arrière-pensée d’entente, je dirais presque de complicité, avec d’autres rieurs, réels

ou imaginaires3.

Le rire inclut et exclut dans un même mouvement. Il peut fédérer les enfants autour

d’une vision du monde impertinente et exclure les adultes, peu à même de partager des valeurs

qu’ils jugeront déplacées ou irrespectueuses des bienséances. Ainsi, les enfants rient aux éclats

lorsqu’ils observent les mauvaises blagues de Mademoiselle-Sauve-qui-peut dans l’album

éponyme de Philippe Corentin, alors que certains adultes pourraient voir d’un mauvais œil le

modèle qui est donné aux jeunes à travers le personnage de la fillette impertinente et désinvolte.

La réécriture parodique du chaperon rouge permet ici à l’enfant de marquer les limites de son

territoire d’enfance par rapport aux adultes.

2) La communication ironique

Pour montrer à quel point le rire peut établir un rapport de connivence tout en excluant

ceux qui ne le partagent pas, nous allons étudier une forme particulière de l’humour : l’ironie.

Philippe Hamon, en partant de la définition du Dictionnaire de l’Académie, définit

l’ironie en termes communicationnels à partir de la notion de double énonciation. L’ironie est

un acte de « dissimulation transparente » par lequel quelqu’un signifie a, pense non-a et veut faire

comprendre non-a4.

1 Jean-Paul Gourévitch, « L’humour dans la littérature de jeunesse », op. cit.

2 Henri Bergson, Le Rire [1940], Paris, PUF, « Quadrige », 1999, p. 6.

3 Ibid., p. 5.

4 Philippe Hamon, « L’ironie », in : Le Grand Atlas des littératures, sous la direction de Jacques Hans Schweizer,

Louis Lecomte, et al., Paris, Encylopaedia Universalis, 1990, p. 56.

126

L’ironie est donc un discours double qui consiste pour un énonciateur à dire le contraire

de ce qu’il pense tout en faisant comprendre à son interlocuteur la duplicité de sa position.

Philippe Hamon adapte le schéma actantiel de Greimas au système de communication ironique.

Ainsi, plusieurs « acteurs » participent à ce « théâtre de la parole » : « l’ironisant » est le sujet à

l’origine du discours, « l’ironisé » la cible du discours à double sens. Le destinataire peut être

double : « naïf » s’il ne comprend que le sens littéral du discours de l’ironisant, ou « complice »

s’il est capable de comprendre l’intention véritable de l’émetteur. L’ironie suppose également un

« perturbateur, gardien de la loi », qui incarne la norme et interdit la parole explicite.

Nous pouvons retrouver une telle énonciation ironique dans Le Petit Chaperon vert de

Grégoire Solotareff illustré par sa sœur Nadja1. Dans cet album, le point de vue est modifié par

rapport au conte originel, puisque l’histoire est centrée sur un personnage annexe, le petit

chaperon vert, dans un monde envahi par les chaperons jaune et bleu (voir l’illustration que nous

avons insérée au début de notre troisième partie). Le petit chaperon vert a « une ennemie », une

petite fille qu’elle déteste car c’est une menteuse : le petit chaperon rouge. Un jour, sa mère

envoie dans la forêt la fillette tout de vert vêtue, pour rendre visite à sa grand-mère malade. En

chemin, elle croise le petit chaperon rouge, puis le loup filant à vive allure. Le loup ne remarque

même pas sa présence (on voit l’avantage de s’habiller en vert dans une forêt !). De retour de

chez sa grand-mère, le chaperon vert croise le chaperon rouge et essaie de l’avertir des dangers

du loup qui rôde. Mais le chaperon rouge ne daigne pas écouter sa camarade et lui tire la langue

après s’être vantée d’avoir croisé le loup. La mère du chaperon vert, inquiète de savoir que la

fillette en rouge est seule dans la forêt, convainc sa fille de retourner auprès du chaperon rouge.

Celle-ci n’est nullement effrayée. Au contraire, elle chantonne et raconte, avec force

« nananananère », que le loup l’a mangée et a mangé sa grand-mère, puis qu’un chasseur les a

délivrées. De retour chez elle, le petit chaperon vert, furieux, se fait consoler par sa maman qui

lui explique combien il n’est pas beau de mentir et de raconter des histoires. Tout l’album est

fondé sur une ambiguïté qu’il est impossible de lever. L’incertitude et l’impossibilité d’un

message univoque sont voulues par les auteurs qui construisent un discours double, à forte

connotation ironique.

On peut en effet considérer que l’ironisant est le narrateur. Quant à l’ironisé, il est tour à

tour le petit chaperon rouge et le petit chaperon vert, selon le point de vue que le destinataire

décide d’adopter. Le récepteur « naïf » lit l’histoire en adoptant le point de vue du chaperon

vert : la petite fille en rouge est alors considérée comme une menteuse Ŕ pire encore une

affabulatrice, une mythomane. À ce niveau de la narration, le discrédit est porté sur le conte

1 Grégoire Solotareff / Nadja (illus.), Le Petit Chaperon vert, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2000.

127

originel du Petit Chaperon rouge, et la véracité littéraire est remise en cause. L’histoire du Petit

Chaperon rouge est contaminée par le conte du Berger qui criait au loup ; une nouvelle morale

est énoncée. Comme le dit Jean Perrot en commentant cet album,

l’histoire traditionnelle s’inscrit dans le conte moderne comme un exemple de « menterie » et appelle

le jeune lecteur à une réflexion critique sur les lois du conte même1.

Le doute est porté sur le « mentir-vrai » de la littérature et interroge l’illusion romanesque : et si

les contes de fées n’étaient que des affabulations de littérateurs ? Mais, à un second niveau de

lecture, le récepteur « complice » considérera que c’est du petit chaperon vert que se moque le

narrateur. En effet, le petit chaperon vert n’est-il pas jaloux de sa camarade ? On peut remettre

en cause la véracité de la parole vantarde du chaperon rouge, singée ici dans les formules bien

connues des enfants, du type « nanananère » ; mais on peut aussi interroger les sentiments du

chaperon vert : envieuse du chaperon rouge, la fillette cherche à faire passer sa copine pour une

vilaine menteuse. La morale varie alors : certes, le chaperon rouge est un peu trop « crâneur »,

mais le chaperon vert n’est pas animé de sentiments plus nobles tant il est jaloux ! Philippe

Hamon montre que dans l’ironie a lieu la

confrontation d’un sujet à une norme quelconque, à quelque loi ou orthodoxie qu’il s’agit de

réaffirmer, de contourner ou de déjouer2.

Ici, la norme est double : d’une part, il ne faut pas mentir et, d’autre part, il ne faut pas envier ses

camarades. C’est au lecteur de choisir le sens qu’il préfère, et d’évaluer qui des deux

personnages de petites filles se trouve dans la position de « l’ironisé ».

Sans que le système ironique soit aussi complexe que dans Le Petit Chaperon vert, on

retrouve des marques ironiques dans plusieurs réécritures du Petit Chaperon rouge. L’ironie est

généralement utilisée dans la présentation du loup. L’animal est la victime du discours ironique,

de telle sorte que son caractère effrayant est remis en question. Pour percevoir les doubles sens,

il importe de repérer dans les textes les signaux d’alerte de l’ironie.

L’une des marques de l’ironie réside dans le décalage entre le texte et l’image. Le texte

nous dit que le loup est monstrueusement méchant, mais l’image nous le présente comme

ridicule. Le narrateur répète le discours du conte originel, tout en faisant comprendre à son

lecteur qu’il ne faut pas s’effrayer. Ainsi, dans Le Petit Chaperon rouge de Tony Ross, comme

dans le Chaperon rouge de Nadja, les images montrant le loup en train de manger la grand-mère

ont un double sens. À première vue, la scène paraît effrayante : le loup avale toute crue la grand-

mère ! Mais, comme on le voit dans les deux images reproduites page suivante, la posture des

deux personnages est si excessive, si grotesque que la scène paraît incroyable. Ainsi, chez Tony

Ross, il est amusant d’observer la gueule démesurée du loup d’où dépassent les pieds de la

1 Jean Perrot, « Le foyer baroque central : la torsion des contes classiques », in : Art baroque, art d’enfance, op. cit.,

p. 54. 2 Philippe Hamon, « L’ironie », op. cit., p. 56.

128

grand-mère… habillés de soyeux chaussons roses ! Chez Nadja, les yeux ronds du loup lui

donnent un air ahuri qui vient atténuer la violence de la dévoration. Le rire se substitue à la peur.

Un autre procédé ironique consiste à singer le discours de l’hypotexte. L’écho de

l’énonciation du texte originel apparaît dans le choix de certaines figures de rhétorique, si bien

que le conte-source est à la fois repris et mis à distance. Ainsi, dans Le Grand Lougoudou et le

Petit Chapeau rond rouge, l’auteur reprend des bouts du texte originel, en lançant à son lecteur

des clins d’œil intertextuels, mais au lieu de retranscrire telles quelles les expressions, il les

continue dans un processus d’accumulation caricaturale. Dans l’incipit de l’album, la formule

traditionnelle d’ouverture des contes est reprise et prolongée par une expression qui remotive la

formule classique :

Il était une fois, et même plusieurs fois (car cela durait depuis un bon bout de temps)1

Huit lignes plus loin, le texte cite discrètement le conte de Perrault, en prolongeant l’expression

originelle par une accumulation construite autour de synonymes de l’adjectif « folle » :

Sa mère en était folle, son père en était dingue et sa grand-mère complètement foldingue2.

Le narrateur insère ensuite un commentaire décalé en utilisant des parenthèses pour mentionner

un détail incongru :

Il la trouvait rose et appétissante comme un rôti de dinde à la confiture de fraises (une recette

anglaise)3.

L’allusion entre parenthèses est inattendue et permet au narrateur de se moquer de la cuisine

anglaise, tout en surmotivant les références à la couleur rouge. Les commentaires ironiques du

1 Jean-Pierre Kerloc’h / Isabelle Chatellard (illus.), Le Grand Lougoudou et le petit Chapeau rond rouge, op. cit.,

p. 4. 2 Id.

3 Id.

Tony Ross, Le Petit Chaperon rouge, p. 20

Nadja, Chaperon rouge, p. 27

129

narrateur mettent à distance le texte-source et amènent le lecteur à porter sur celui-ci un regard

distancié.

L’ironie du texte permet par conséquent de

fonder une connivence, d’affirmer une cohésion et un lien, de réduire phatiquement une distance1.

Mais la communication ironique est toujours « à haut risque2 » : celui qui n’accède qu’au sens

explicite du discours risque d’être exclu. Il nous semble donc que l’auteur qui entend s’adresser

à la jeunesse doit savoir doser la communication ironique de ses écrits, sous peine de voir le

sens de son texte échapper aux lecteurs les plus jeunes. On comprend que les éditeurs de Pierre

Gripari aient choisi de publier sa Patrouille du conte dans une collection pour adultes.

L’ouvrage est entièrement construit sur une remobilisation ironique de l’univers des contes de

fées. Pierre Gripari a mis en scène une « patrouille du conte » détachée par le « Ministère du

Conte et de l’Environnement culturel » pour « moraliser », « démocratiser les contes pour

enfants, en les purgeant de tout ce qu’ils peuvent contenir de nuisible aux points de vue moral,

social et idéologique3. » Les jeunes membres de la Patrouille font irruption dans le monde des

contes et modifient les scènes les plus politiquement incorrectes des contes et comptines : la

grand-mère du petit chaperon rouge est ainsi contrainte de nourrir quotidiennement le loup pour

lui permettre de l’empêcher de dévorer les humains, sans pour autant contrevenir à ses instincts

de carnivore. Mais l’intervention de la Patrouille met le désordre dans le monde du conte... à tel

point que le loup finira dévoré par les trois petits cochons ! Il est certain que Gripari, grand

défenseur des contes de fées, ne veut pas accuser les contes pour enfants d’être immoraux ou

anti-politiques. Ici, le discours implicite du narrateur dissimule sous l’excès de ses positions la

critique virulente que fait Gripari contre les idéologies gauchisantes qui prétendent édulcorer les

contes au nom de valeurs démocratiques. Dans le dernier chapitre du livre, les héros finissent

par reconnaître l’« importance pédagogique » des contes pour l’inconscient collectif,

comme si la tyrannie, la cruauté, l’esclavage, la violence, la superstition, les fantasmes de peur

avaient, dans l’imaginaire, une vertu hygiénique, une fonction purifiante4.

La subtilité du message politico-littéraire de Gripari pourrait échapper à un très jeune lecteur qui

échouerait à la lecture sous-jacente du texte explicite. Le locuteur ironique sélectionne donc son

interlocuteur et adapte son texte à son lecteur pour que celui-ci continue la lecture avec plaisir.

1 Philippe Hamon, « L’ironie », op. cit., p. 57.

2 Ibid., p. 56.

3 Pierre Gripari, Patrouille du conte, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983, p. 10.

4 Ibid., p. 156.

130

B) Le rire de transgression de l’autorité

1) Le rire de supériorité

L’ambiguïté que l’on a notée dans la double énonciation ironique se retrouve dans

l’ambivalence caractéristique de la parodie et dans l’effet qu’elle suscite chez le jeune lecteur.

La parodie doit être distinguée de la satire. Gérard Genette note que l’intention de la

parodie est ludique, alors que le travestissement satirique s’appuie sur la raillerie1. La parodie ne

cherche pas d’abord à se moquer et à donner une leçon morale, mais à s’amuser avec les formes

reconnues. Cependant, dans l’esprit commun, satire et parodie ont souvent été associées. Cette

assimilation de la parodie à la satire s’explique par le fait qu’il y a dans la parodie une négation

de l’œuvre originale. L’hypotexte pris pour cible est critiqué, ou du moins jugé à distance.

Toutefois, cette négation n’est possible que s’il y a reconnaissance du texte originel. On ne

parodie que ce que l’on juge digne d’être repris et donc ce que l’on admire. Il y a dans la

parodie, en même temps qu’un geste de négation, une vraie adhésion. Alexandra Zervou définit

ainsi le parodique comme

un jeu de rapprochement et d’éloignement, de respect et de familiarité, envers le texte initial, de

« déos » (peur) et de sacrilège2.

Réécrire le Petit Chaperon rouge, c’est donc rendre un hommage au conte originel sans toujours

l’avouer explicitement : c’est une « admiration détournée3 », dans laquelle l’auteur avoue son

enthousiasme et sa proximité avec l’œuvre originelle, tout en prenant du recul et en gardant sa

liberté de création. Il y a dans la parodie une façon de rivaliser avec le modèle. Cette valeur

d’hommage est souvent revendiquée dans les premières pages des contes parodiques. Ainsi,

Pierre Gripari, dans une sorte de dédicace mise en exergue rappelle ses sources :

Sous l’invocation de Perrault, des frères Grimm et d’Afanassiev, d’Antoine Galland et du docteur

Mardrus et de Poul Anderson, l’auteur de Guardians of Time (Patrouille du temps) et de High

Crusade (Les Croisés du cosmos)4.

L’enfant est sensible à l’ambivalence propre à la parodie. Ce qui provoque le rire est la

transgression d’une autorité supposée inattaquable. Un texte réécrivant parodiquement le Petit

Chaperon rouge critique le conte qui a été présenté à l’enfant comme classique. Qu’un auteur

(adulte) ose affronter le texte patrimonial et en remettre en cause la validité fait naître le rire : le

conte classique est désacralisé, ce qui permet à l’enfant, dans un même temps, de faire

l’expérience de la liberté. La lecture des textes parodiés lui montre qu’on a le droit Ŕ dans

1 Voir le fameux tableau que dresse Genette dans Palimpsestes (op. cit., p. 43-45) pour expliquer les différences

entre la parodie, le travestissement, le pastiche et la charge. 2 Alexandra Zervou, « Le comique e(s)t le parodique dans la littérature d’enfance », dans L’Humour dans la

littérature de jeunesse, op. cit., p. 31-32. 3 Daniel Sangsue, La Parodie, op. cit., p. 75.

4 Pierre Gripari, Patrouille du conte, op. cit., p. 7.

131

certaines conditions, certes Ŕ de s’amuser à briser les codes et les valeurs de l’autorité. Dans Le

Rire, Bergson montre que le rire est une sanction, une correction : par lui, la société « se

venge1 » et « désarme

2 ». Ce « châtiment » du rire n’est pas, pour Bergson, un retour à l’ordre

social, mais un rappel à l’ordre naturel de la vie : le rire délivre une énergie vitale dont il est à la

fois l’indice et la manifestation vivante. À la lecture des textes irrévérencieux envers la culture

traditionnelle, l’enfant se rebelle contre les contes trop moralisateurs. Dans Mademoiselle

Sauve-qui-peut ou dans Le Petit Chaperon rouge de Geoffroy de Pennart, c’est la fillette qui

mène le jeu et l’enfant n’est jamais victime, contrairement à ce qui se passe dans le conte de

Perrault. Par la lecture des textes parodiques, l’enfant voit corrigée la portée en apparence

conformiste des contes traditionnels : l’auteur lui donne l’occasion de se moquer avec lui de

l’héroïne trop naïve de Perrault et de repenser une morale où l’interdit ne l’emporterait plus sur

la jouissance de la liberté. On voit ici la valeur subversive de la littérature pour la jeunesse, qui

offre l’occasion à l’enfant de contester implicitement l’autorité qu’entend lui imposer l’adulte :

le texte d’enfance devient un miroir parodique, où le monde adulte est imité, reflété, critiqué et

contesté3.

Alison Lurie, dans Ne le dites pas aux grands, a ainsi montré combien la littérature d’enfance

était subversive, en se fondant sur la lecture de plusieurs ouvrages pourtant jugés inoffensifs par

les adultes (Les Aventures de Tom Sawyer, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles ou

même Mary Poppins)4. C’est à cette subversion qu’est particulièrement sensible le jeune lecteur.

Dans les réécritures du Petit Chaperon rouge, l’autorité est donc mise à mal Ŕ autorité

donnée à la position classique des textes patrimoniaux, mais aussi autorité du personnage du

loup qui, désormais, n’est plus montré comme effrayant. Ce rire est un « rire de supériorité »,

comme le dit Gianni Rodari, dans sa Grammaire de l’imagination. L’enfant rit de voir sa

maman se tromper et s’amuse lorsqu’il la voit « s’enfiler la cuillère dans l’oreille au lieu de la

porter à sa bouche5 ». De même, le jeune lecteur rit de voir le narrateur se tromper par rapport au

récit originel du conte classique. Il se sent dans une position de supériorité : il connaît l’histoire

correcte et s’amuse des écarts faits par rapport au schéma classique. Ainsi, dans Le Petit

Chaperon rouge a des soucis6, le lecteur sait que le personnage de la fillette est le chaperon

rouge, contrairement aux autres personnages de l’album, et il s’amuse de la méprise. Il se sent

1 Henri Bergson, Le Rire, op. cit., p. 150.

2 Ibid., p. 105.

3 Alexandra Zervou, « Le comique e(s)t le parodique dans la littérature d’enfance », op. cit., p. 32.

4 Alison Lurie, Ne le dites pas aux grands. Essai sur la littérature enfantine, [Don’t Tell the Grown-Ups, 1990],

traduit de l’anglais par Monique Chassagnol, Paris, Rivages, 1991, chapitre 1. Voir p. 15-16 : « La plupart des

grands textes pour la jeunesse sont d’une manière ou d’une autre subversifs : ils expriment des idées et des

émotions qui ne sont en règle générale ni approuvées ni même reconnues à l’époque de leur publication. Ils se

moquent des personnages respectés et des croyances vénérées... » 5 Gianni Rodari, Grammaire de l’imagination, op. cit., p. 154.

6 Anne-Sophie de Monsabert / Géraldine Alibeu (illus.), Le Petit Chaperon rouge a des soucis, op. cit.

132

supérieur à ces enfants crédules qui font une erreur impardonnable : comment donc peut-on être

aussi naïfs et prendre le chaperon rouge pour le Père Noël ?, se dit-il en suivant le déroulement

de l’histoire. Voir les autres se tromper fait rire, surtout lorsque soi-même on sait ne pas tomber

dans l’erreur.

Même s’il sait que le narrateur fait dérailler exprès l’histoire, le jeune lecteur s’amuse du

non-respect du conte originel. La norme est déviée et c’est justement cela qui fait rire l’enfant

qui est toujours prêt à remarquer chez l’adulte les failles et les bévues. Or, l’observation de la

déconstruction des lois, loin de déstructurer l’enfant, lui permet au contraire d’en faire

l’apprentissage. Tel est le rôle du jeu qu’est la parodie : l’assouplissement de la règle permet

d’apprendre à la connaître. Le lecteur qui s’amuse de ses parodies observe les modèles,

comprend leur fonctionnement et voit la liberté donnée à celui qui s’en détache. En ce sens, le

rire, si subversif soit-il, a une portée pédagogique.

2) Le rire contre la peur

Dans la Psychanalyse des contes de fées, Bruno Bettelheim explique que le conte a une

fonction thérapeutique car il aide l’enfant à affronter ses peurs. Le conte de fées aborde

directement les angoisses et donne une représentation aux peurs auxquelles est confronté

l’enfant Ŕ peur d’être abandonné par ses parents, peur de la mort, peur de grandir, etc. Le conte

expose des problèmes existentiels et propose au lecteur des solutions afin de l’aider à dépasser

les situations angoissantes et conflictuelles. Le conte ne cherche pas à atténuer les épreuves

douloureuses auxquelles est confronté tout être humain et

met carrément l’enfant en présence de toutes les difficultés fondamentales de l’homme1.

Ainsi, il faudrait que le petit chaperon rouge soit mangé par le loup pour que la petite fille

apprenne la maîtrise des désirs sexuels qui bousculent son entrée dans la puberté.

Les contes modernes, parce qu’ils atténuent la représentation des épreuves angoissantes,

ne parviendraient plus à remplir leur vocation. Bettelheim critique les versions actuelles du

conte du chaperon rouge, tant elles cherchent à ménager la sensibilité de l’enfant :

Il existe de nombreuses répliques modernes du « Petit Chaperon Rouge ». Quand on les compare à

l’original, on se rend compte de la profondeur des contes de fées par rapport à la littérature enfantine

d’aujourd’hui2,

dit-il avant de critiquer la version d’un Petit Chaperon rouge moderne (« Tootle, la petite

locomotive ») dont il dénonce la platitude de l’histoire. Il est vrai que les versions actuelles du

Petit Chaperon rouge remplacent la peur par le rire et se moquent des angoisses en ridiculisant

1 Bruno Bettelheim, Psychanalyse des contes de fées, op. cit., p. 20.

2 Ibid., p. 274-275.

133

les situations génératrices de peur. Mais est-ce à dire que les réécritures contemporaines offrent

pour autant une version édulcorée du conte originel ?

Quasiment aucune version moderne du Chaperon rouge ne choisit de faire mourir son

héroïne, ni même de la maintenir dans le ventre du loup. Tout est fait pour contourner

l’affrontement avec ce qui fait peur. Ainsi, le loup est pris pour un chien (chez Geoffroy de

Pennart, Tony Ross), quand il n’est pas relégué aux « durs travaux de la ferme » par Nadja1 ! Le

conte moderne inverse les rôles entre dominant et dominé. Le monstre est ridiculisé, présenté

comme victime. La fonction cathartique du conte qui consistait à montrer des loups, des ogres et

des géants pour aider l’enfant à faire face à ses peurs est renversée. C’est le rire qui, désormais,

permet la catharsis et aide à exorciser les peurs. On peut parler alors d’un « rire d’agressivité »,

voire un « rire de cruauté2 ». En se moquant du loup et en le considérant de haut, l’enfant ne

pense plus à en avoir peur. On retrouve ici la conception freudienne de l’humour considéré

comme un « moyen de défense contre la douleur ». En effet, pour Freud, l’humour est un moyen

par lequel

on proclame l’invincibilité du moi par le monde réel, et on affirme victorieusement le principe du

plaisir, le tout sans quitter le terrain de la santé psychique […]3.

En ce sens, l’humour permet à l’enfant d’accéder à la maîtrise du réel et d’expérimenter son

pouvoir sur les choses : le rire l’aide à surmonter les sources d’angoisse et à dominer son

émotivité.

Cependant, dire que le rire vient s’attaquer à la peur ne signifie pas que le rire parvient à

la supprimer totalement. Au contraire, dans les réécritures contemporaines du Petit Chaperon

rouge, la peur est toujours implicitement présente, ne serait-ce que par l’allusion qui est faite à

la version originale du conte. Le conte moderne vient recréer un monde plus supportable où peur

et blessures ne sont pas supprimées, mais rendues moins pesantes grâce à l’humour. Dans un

article consacré à « l’humour sans queue ni tête », Pef affirme qu’il faut « chercher les racines

de son humour dans son enfance4 ». Il cite des événements tragiques qu’il a vécus lorsqu’il était

enfant pendant la guerre (sa tante pulvérisée par une bombe américaine, les femmes tondues à la

Libération, la découverte des camps de concentration à la une d’un journal...) et avoue que seul

l’humour lui a permis d’avoir la distance rendant supportable la vie. Pour affronter cette

douleur, Pef s’est fait « recréateur du monde5 » et s’est offert

1 Nadja, Chaperon rouge. Collection privée, op. cit., p. 43.

2 Gianni Rodari, Grammaire de l’imagination, op. cit., p. 159.

3 Sigmund Freud, « L’humour », in : Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient [1905], traduit de l’allemand

par M. Bonaparte et M. Nathan, Paris, Gallimard, « Idées », 1971. 4 Pef, « L’humour sans queue ni texte, une improvisation humoristique de Pef », in : L’Humour dans la littérature

de jeunesse, op. cit., p. 244. 5 Ibid., p. 247.

134

cette armure de rire, de fracas, cette armure d’entrée du clown1.

Le rire est une armure qui protège les enfants contre les incursions de la souffrance.

Plus prosaïquement, ce dosage du rire et de la peur dans la littérature actuelle a aussi

l’avantage de répondre aux attentes des adultes. Les versions classiques du Petit Chaperon

rouge peuvent paraître choquantes aux adultes d’aujourd’hui, tant les allusions au sexe et à la

mort sont nombreuses. Leurs réécritures contemporaines permettent d’esquisser le face-à-face

avec ces tabous qui effrayent parents et prescripteurs. Les adultes n’ont-ils pas si peur de faire

eux-même peur à leurs enfants qu’ils préfèrent leur proposer des lecteurs gommant les angoisses

existentielles au lieu de les affronter. Un parent préfère acheter pour son enfant un Petit

Chaperon rouge qui finit bien, plutôt qu’un conte à la Perrault où l’histoire se termine

tragiquement dans le ventre du loup.

Nous avons vu les procédés humoristiques à l’œuvre dans les réécritures parodiques et

analysé les fonctions du rire et son utilité dans le développement de l’enfant. Nous allons

maintenant étudier la façon dont les enfants reçoivent les moralités Ŕ implicites ou explicites Ŕ

des contes : quel message en tirent-ils ? Quelle leçon est-elle exposée ? Plus encore, y a-t-il

seulement une morale à tirer des contes modernes ?

III) La réception de la morale

Nous ne pouvons pas analyser la façon dont les enfants reçoivent les contes du petit

chaperon rouge sans réfléchir également aux messages moraux qu’ils peuvent en tirer. La portée

morale peut être clairement affichée dans le texte sous l’aspect d’une maxime ou d’une moralité.

Il s’agit alors d’une conclusion en forme de leçon qui clôt le conte et invite le lecteur à en tirer

une règle de vie ou un principe de pensée. Mais peu de textes Ŕ surtout parmi les plus

contemporains Ŕ présentent des moralités aussi nettes. Nous entendrons donc le mot « morale »

en un sens plus large. Selon le dictionnaire philosophique Lalande, une morale est un

« ensemble de règles de conduite admises à une époque ou par un groupe d’hommes2 ». Issue

d’un groupe social, une morale traduit les valeurs d’une société ou les normes d’une époque.

Elle a un sens prescriptif et énonce ce que l’on doit faire ou penser. Analyser la morale que l’on

1 Ibid., p. 253.

2 André Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie [1926], Paris, PUF, « Quadrige », 1997,

volume I, p. 654.

135

peut tirer d’un conte, c’est envisager le message, culturellement situé, que son auteur y a déposé.

Un conte pour enfants reflète la société dans laquelle il est apparu et exprime les valeurs ou les

contre-valeurs véhiculées à une époque.

Quelle image de la société et de l’homme est transmise à l’enfant dans les contes

contemporains du chaperon rouge ? Quelle évolution du regard de la société sur elle-même est

lisible au sein des textes pour la jeunesse ? Après les morales des Petits Chaperons rouges

traditionnels, qui semblent véhiculer les valeurs conformistes, voire sexistes, les textes

contemporains donnent aux enfants des morales subversives. Ne manifestent-elles pas une

évolution plus générale, celle d’une littérature pour la jeunesse moins normative qu’inventive et

ludique ?

A) Les morales d’antan : sexisme, autorité et conformisme ?

1) Des contes à moralité

Dans les versions classiques du Petit Chaperon rouge, l’intention morale des auteurs est

nettement énoncée. Le conte de Perrault se termine par une moralité versifiée qui explique que

le personnage du loup représente symboliquement les dangers auxquels peuvent être confrontées

les jeunes filles inexpérimentées rencontrant des hommes mal intentionnés. Le Petit Chaperon

rouge est un conte de mise en garde contre la confiance des petites filles. Perrault suggère de ne

pas faire ce que fait le personnage principal et donne donc dans son conte un contre-modèle

d’existence. La préoccupation morale est constante chez Perrault. Comme l’a montré Marc

Soriano, Perrault s’oppose à un art de pur divertissement et affirme la dimension morale de l’art,

même s’il sait que, pour toucher son but, il doit éviter « les professions de foi et les

démonstrations, procéder par touches légères et suggérer plutôt que prouver1 ».

On trouve également dans la version des Grimm une « moralité à usage existentiel2 ». Le

châtiment infligé à la fillette désobéissante admet une rédemption, et la fin heureuse montre que

les erreurs des enfants sont pardonnables dès lors que le jeune coupable a compris sa faute.

Ainsi, le petit chaperon des Grimm, dès sa sortie du ventre du loup, comprend son erreur et fait

la promesse solennelle de ne plus jamais quitter « son chemin pour aller [se] promener dans la

forêt, quand [sa] maman [le lui] aura interdit3 ». Le message est clair : les mamans savent ce qui

1 Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 329. Quelques pages

plus loin (p. 337-338), M. Soriano définit la notion de moralité en usage dans les Contes. 2 L’expression est d’Anne-Marie Garat, dans Une faim de loup, op. cit., p. 27. Elle parle également d’« office

expérimental ». 3 Grimm, Contes merveilleux, op. cit., p. 73.

136

est bien ou mal ; il faut toujours les écouter pour se prémunir des expériences les plus

traumatisantes.

2) Une héroïne soumise dans une société bourgeoise ?

Ainsi, le portrait que Perrault et les Grimm font du petit chaperon rouge est celui d’une

petite fille sage, docile, disciplinée. Elle est caractérisée par sa beauté (« la plus jolie qu’on eût

su voir1 »), mais aussi par son ignorance (« la pauvre enfant […] ne savait pas qu’il est

dangereux de s’arrêter à écouter un Loup2 »). Comme le dit Christiane Pintado, c’est « une

victime toute désignée, qui va consentir à son malheur3 ». Sa crédulité la jette littéralement dans

la gueule du loup. Cette image négative de la femme se retrouve dans de nombreux contes de

fée. Cendrillon et Peau d’Âne se soumettent aux plus basses tâches domestiques, la Belle au

Bois Dormant est condamnée à un sommeil centenaire dont seul un prince charmant pourra la

délivrer, tout comme Blanche-Neige qui, dans son cercueil de verre, attend le baiser salvateur du

prince qui, seul, a le pouvoir de la rendre à la vie. La femme des contes est passive ou

insignifiante comme l’épouse de l’ogre du Petit Poucet, ou bien cruelle et stupide comme la

marâtre de Blanche-Neige. Soumission, obéissance, humilité, habileté et patience sont les vertus

qui lui sont attribuées. Cette représentation de la femme passive est dénoncée par les féministes.

Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir critique le rôle des contes de fées dans l’éducation

des petites filles et condamne les contes et les chansons dans lesquels

toute une cohorte de tendres héroïnes meurtries, passives, blessées, agenouillées, humiliées,

enseignent à leur jeune sœur le fascinant prestige de la beauté martyrisée, abandonnée, résignée4.

Vingt ans plus tard, les mouvements féministes des années 1970 reprendront, parfois

avec beaucoup de virulence, ces critiques. Elena Gianini Belotti ne ménage pas ses mots

lorsqu’elle résume le Petit Chaperon rouge :

Le Petit Chaperon rouge est l’histoire d’une fillette à la limite de la débilité mentale, qui est envoyée

par sa mère irresponsable à travers les bois profonds infestés de loups pour apporter à sa grand-mère

malade de petits paniers bourrés de galettes. Avec de telles déterminations, sa fin ne surprend guère.

Mais tant d’étourderies, qu’on n’aurait jamais pu attribuer à un garçon, repose entièrement sur la

certitude qu’il y a toujours à l’endroit et aux moments voulus un chasseur courageux et efficace prêt à

sauver du loup la grand-mère et la petite fille5.

1 Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 193.

2 Ibid., p. 194.

3 Christiane Pintado, « Enfants terribles des nouveaux contes. Chaperons et princesses ne s’en laissent plus conter »,

op. cit., p. 18. 4 Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe [1949], Paris, Gallimard, « Folio Essais », 2002, p. 45.

5 Elena Gianini Belotti, Du côté des petites filles [Dalla parte delle banbine], Paris, Éditions des femmes, 1974.

137

Dans cette perspective de dénonciation des contes comme réservoir sexiste de la

domination mâle, quelques mouvements féminins ont publié à cette période des contes où les

stéréotypes sexuels étaient corrigés1.

Jack Zipes, dans son ouvrage Les Contes de fées et l’art de la subversion, fait une

« histoire sociale du conte de fées » et montre que les contes traditionnels sont l’expression des

préoccupations féodales, patriarcales et monarchistes. Selon lui, à partir du XVIIe siècle, les

contes oraux ont été réécrits pour « convenir aux préoccupations des classes cultivées et

dominantes de l’ancienne société féodale capitaliste2 ». Les contes avaient un rôle social et

prescriptif. Ils imposaient une vision morale du monde,

véhiculaient un modèle de l’enfant exemplaire et étaient chargés de l’imposer dans l’esprit du lecteur

pendant la lecture. Les contes de fées pour enfants furent écrits et produits dans le but de socialiser

les enfants, pour les confronter à des normes précises et aux attentes définies à l’école, dans la vie

publique ou chez eux3.

Dans un article non traduit en français4, Jack Zipes applique son analyse sociale des

contes au Petit Chaperon rouge. Il note qu’il y a un « syndrome du petit chaperon rouge ». Le

conte serait en effet l’expression d’une « terreur légalisée » qui viserait à renforcer la vision

« culturellement correcte » du regard masculin sur la femme et sur la sexualité. Le Petit

Chaperon rouge serait

une création essentiellement masculine, due à des hommes qui projettent dans l’imaginaire leurs

craintes face à la sexualité féminine et la leur propre. Le loup quant à lui sert de repoussoir dans la

mesure où il symbolise les pulsions naturels et la non-conformité sociale5.

Selon Zipes, le conte de Perrault a été écrit à une époque où la littérature pour la jeunesse

avait le souci d’offrir aux enfants des classes bourgeoises et aristocratiques des modèles de

comportement. Le choix du chaperon pour une villageoise, alors que cette coiffe est

généralement portée par l’aristocratie et les classes moyennes, montrerait la volonté de mettre en

scène un personnage non-conformiste dont l’indiscipline est violemment punie. Le conte viserait

à la régulation des rôles sexuels et irait dans le sens du respect de la loi. Zipes interprète

également le conte des Grimm en montrant que la fillette qui rompt avec les lois morales finit

par se racheter « en intériorisant les normes restrictives touchant la sexualité » et grâce à l’aide

d’un « chasseur-policier, garant de l’ordre bourgeois6 ». Le Petit Chaperon rouge classique

1 On en trouvera quelques exemples chez Jack Zipes qui commente les textes d’Harriet Herman et de quatre autres

femmes du Mouvement de Libération des Femmes de Merseyside à Liverpool (cf. Les Contes de fées et l’art de la

subversion, op. cit., p. 228-230). 2 Jack Zipes, Les Contes de fées et l’art de la subversion, op. cit., p.16.

3 Ibid., p. 20.

4 Jack Zipes, « The trials and tribulations of Little Red Riding Hood », South Hadley, Mass., Bergin and Garvey,

1983. Nous suivons pour cet article, que nous n’avons pu nous procurer, le compte rendu fait par Pierre Erny (Sur

les traces du Petit Chaperon Rouge, op. cit., p. 138-141). 5 Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge, op. cit., p. 140.

6 Id.

138

trahirait donc le conformisme des classes dominantes et serait un miroir normatif de

l’inconscient politique.

On peut toutefois prendre de la distance face à cette interprétation sociale du conte. En

effet, n’a-t-elle pas tendance à plaquer une vision anachronique et excessivement manichéiste de

la société qui ne correspond pas forcément à la réalité ? C’est le risque d’un système de pensée

qui prétend utiliser des critères sociaux pour juger des valeurs d’une époque révolue.

B) L’évolution de la narration moralisante

1) La réévaluation des valeurs traditionnelles

La littérature pour la jeunesse contemporaine, tout en reprenant le personnage du

chaperon rouge, retourne les modèles culturels classiques et imagine des récits à valeur

subversive. L’intention n’est pas d’abord de faire entrer l’enfant dans un cadre normatif, mais de

mettre en scène la liberté et d’avoir ainsi un rôle émancipateur. Il s’agit donc de réévaluer les

histoires, de leur donner d’autres fins, plus conformes à l’air du temps. Les auteurs cherchent

alors à remettre en cause et à relativiser l’importance des messages apportés par les contes

traditionnels.

Cette entreprise de réévaluation morale est humoristiquement illustrée dans un album de

Nadja. Dans Les Sur-Fées, des fées aux lunettes noires, sortes de police des polices, vont dans la

grande bibliothèque des fées, relisent les classiques et en font l’analyse poussée, puis

« réévaluent » les contes pour leur attribuer des fins qui leur semblent plus morales. Ainsi, elles

relisent Les Fées de Perrault et mettent à jour les stéréotypes de ce conte : la plus jolie des filles

est « assez énervante à sourire tout le temps. On lui a filé du prozac ou quoi ? » ; tandis que le

prince est un « symbole social » parce que, à l’époque, « le pouvoir appartenait aux hommes »

et… « c’est dégueulasse1 » ! Dans ce petit texte, les personnages ont un rôle métacritique et

jugent les valeurs morales des contes classiques. Les Sur-Fées sont des expertes en conte de fées

et ont un droit de regard sur les histoires qu’elles ont le pouvoir de rectifier dès qu’elles jugent

qu’elles ne correspondent plus à la pensée ambiante.

On ne trouve pas Ŕ encore Ŕ dans les réécritures contemporaines de « Sur-Chaperon

rouge » qui viendrait réévaluer la moralité du conte originel. Mais la démarche, même si elle

n’est pas aussi clairement énoncée, est la même. Les auteurs d’aujourd’hui bouleversent les

attentes et rompent les habitudes du lecteur pour l’amener à porter un regard inédit sur l’histoire

1 Nadja, Les Sur-fées, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2005.

139

connue et l’inciter à lire derrière les codes établis. Détruire l’histoire d’origine oblige l’enfant à

mettre en question les messages inhérents au conte et les valeurs qu’il porte.

2) Une héroïne libre et sûre d’elle

Le renversement des valeurs passe en premier chef par les personnages, facteurs

d’identification. Dans les contes contemporains, la petite fille n’est généralement plus

impuissante et naïve, et le loup n’est plus le prédateur monstrueux. Les textes présentent des

fillettes autonomes qui suivent leurs désirs plutôt que les commandements des adultes. On le

voit par exemple dans un album déroutant d’Edward van de

Vendel, Rouge Rouge Petit Chaperon rouge1. L’ouvrage

commence par le portrait d’une petite fille qui adore tout ce

qui est rouge et qui, lorsqu’on lui a demandé de choisir son

prénom a pris celui de « Rouge Rouge Petit Chaperon

rouge ». Mais la fillette ne peut pas vivre toujours parmi le

rouge. Elle doit affronter chaque jour le gris Ŕ couleur

qu’elle associe à sa grand-mère malade et au long trajet

qu’elle doit parcourir dans la forêt pour aller lui rendre

visite. Un jour, sur le chemin, elle entend des « bruits bizarres ». Il s’agit d’une « bête énorme »,

toute noire : le loup. Mais la petite fille n’a pas peur. Au contraire, elle crie au loup son refus,

répétant « non, non, non, non… ». C’est le loup qui s’effraie, face à la détermination de la

fillette. Rouge Rouge se surprend à lui indiquer la direction de la maison de sa grand-mère.

L’animal a vite fait d’arriver chez l’aïeule,

[d’] avancer jusqu’au lit et grwarwahbriaaaauwahgroingraaaaaaaaa2.

Pas de mot dans le récit pour expliquer la dévoration de la grand-mère par le loup : une

onomatopée et une illustration très explicite (on voit le loup, énorme, à moitié dans la maison,

avec ses dents effrayantes qui dépassent de la fenêtre). De son côté, Rouge Rouge court jusqu’à

la maison, et parvient, haletante, devant la porte. Elle s’avance vers le lit et

NON, pas de grwarwahbriaaaauwahgroingraaaaaaaaa

dit le texte, très explicitement grâce aux choix graphiques (lettres dans un corps très gros, textes

en réserve blanche sur fond noir, pas de dessin, la double page étant entièrement occupée par le

texte). Le texte continue sur la double page suivante, sur laquelle on voit la fillette, une hache à

la main, et du rouge, comme du sang, s’écoulant par la porte ouverte de la maison :

1 Edward Van de Vendel / Isabelle Vandenabeele (illus.), Rouge Rouge Petit Chaperon rouge [Rood Rood

Roodkapje], traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Rodez, Éditions du Rouergue, 2003. 2 Ibid.

140

mais : chlackkkkk…

C’est la dernière fois que Rouge Rouge était obligée d’aller chez sa grand-mère si râleuse et

désagréable. Les choix graphiques de l’album viennent appuyer le fort symbolisme des couleurs

sur lequel est construit l’intrigue. Les illustrations, réalisées selon la technique de la

xylographie, mélangent le noir, le rouge et le blanc, rythmant l’histoire au gré d’à-plats et les

proportions de couleur. Alors que, au début, le noir et le blanc dominent, progressivement, le

rouge envahit les pages. Les choix chromiques ont un pouvoir signifiant : ils traduisent la prise

de pouvoir de la fillette. Ses désirs Ŕ « rouges », comme on l’a appris dès le début de l’album Ŕ

deviennent de plus en plus prégnants, jusque dans l’espace narratif, et donc dans l’espace

graphique, à tel point que tout l’univers devient rouge. Rouge Rouge Petit Chaperon rouge nous

montre une petite fille qui va jusqu’au bout de ses désirs, même si ceux-ci ne correspondent pas

à ce que la morale classique pourrait énoncer. L’album est en effet construit sur une ambiguïté :

est suggérée l’idée que la petite fille a sciemment laissé le loup dévorer la grand-mère, car

c’était un moyen pour elle de se débarrasser de la corvée d’aller rendre visite quotidiennement à

la vieille dame mal aimable. On voit donc une fillette qui choisit son destin et qui va jusqu’à

s’octroyer un droit de mort sur le loup Ŕ et peut-être aussi sur la grand-mère.

3) Des morales actuelles

Écrire des textes immoraux ne signifie cependant pas construire des récits amoraux.

L’immoralité est ce qui est contraire à la morale en place, tandis que l’amoralité est une absence

de morale. Or, il y a généralement toujours une morale dans les contes contemporains. Il s’agit

d’une morale positive qui suggère à l’enfant d’affirmer sa liberté. Jack Zipes conclut son

ouvrage sur Les Contes de fées et l’art de la subversion par un chapitre consacré au « pouvoir

libérateur du fantastique dans les contes de fées contemporains ». Il note que les écrivains

actuels

ont délibérément voulu que leurs contes aient un effet d’émancipation face aux restrictions imposées

dans les pays industriels avancés1.

En fondant son analyse sur quelques albums réécrivant le Petit Chaperon rouge (les

textes de Tomi Ungerer, Dumas et Moissard, Catherine Storr), Zipes montre qu’il y a dans les

ouvrages contemporains une « quête progressiste » et non pas « régressive » de la notion de

« foyer2 ». Les valeurs progressistes de liberté l’emportent donc sur les valeurs traditionnelles

d’autorité et d’ordre.

1 Jack Zipes, Les Contes de fées et l’art de la subversion, op. cit., p. 218. Voir l’ensemble du chapitre 7.

2 Ibid., p. 225.

141

Cependant, n’est-ce pas là une vision simpliste que d’opposer le conformisme d’un

ancien monde à la subversion du monde contemporain ? En un sens, le message libertaire que

l’on trouve dans les contes actuels n’a rien de nouveau. On retrouve dans les contes populaires

oraux la même affirmation de la liberté. Alison Lurie affirme que les récits de la littérature orale

« comptent parmi les textes les plus subversifs de la littérature enfantine ». Elle prend l’exemple

de Sarah Trimmer, une femme qui, « à la fin du XVIIIe siècle, faisait autorité dans le domaine de

l’éducation » et qui

recommandait aux parents de ne pas laisser leurs enfants écouter ou lire des contes de fées qu’elle

taxait d’immoralité car ils enseignaient la violence, l’ambition, l’amour des richesses et le désir de se

marier au-dessus de sa condition1.

Dans les contes populaires, la femme est souvent montrée comme active, courageuse, ingénieuse

et n’a pas le rôle passif que les écrivains ont voulu lui donner lorsqu’ils ont transcrit les récits

oraux. Les droits des plus faibles sont plus volontiers défendus que ceux des riches, et l’ordre

n’est pas toujours respecté. Issus du peuple et racontés par les mères et les nourrices, ces récits

traduisaient les valeurs du groupe social au sein duquel ils se transmettaient. On voit que toute

littérature est un miroir de la société, qu’elle vienne donner une représentation des valeurs

partagées ou au contraire les remettre en cause.

Par ailleurs, la subversion et la contestation des valeurs de l’autorité ne peuvent-elles pas

être considérées comme les nouvelles valeurs prescriptives de la société moderne ? En un sens,

il est aussi conventionnel de rendre actif le chaperon rouge à notre époque qu’il ne l’était de le

rendre passif au XVIIe siècle. Le stéréotype s’est inversé, mais c’est toujours une image

normative de ce que doit être l’enfant et de la façon dont l’adulte veut le considérer qui s’impose

à la littérature pour la jeunesse. N’est-il pas de bon ton, aujourd’hui, de figurer des héroïnes

indépendantes qui correspondent à l’image que l’adulte veut se faire de l’enfance ? Si être

subversif, c’est se conformer à la norme, on ne voit plus vraiment là de réelles contestations des

valeurs. L’adulte n’est pas prêt, encore aujourd’hui, à tout faire entrer dans la littérature pour la

jeunesse. L’impératif de ne pas « démoraliser l’enfance », qu’énonce la loi de 1949, reste le

maître mot des écrits pour la jeunesse. Un certain conformisme ne règne-t-il donc pas toujours

dans les productions actuelles pour la jeunesse ?

1 Alison Lurie, « Contes populaires et liberté », dans Ne le dites pas aux grands, op. cit., p. 29.

142

C) L’évolution de la finalité littéraire

1) De la littérature didactique…

Toute l’histoire de la littérature pour la jeunesse est animée par le débat sur l’objectif

qu’elle entend s’assigner : instruire ou amuser ? Pendant longtemps, les pédagogues ont jugé

que les livres pour les enfants devaient avoir une utilité morale et aider à la socialisation.

L’enfant, considéré comme un être en devenir et pas encore raisonnable, était vu sur le modèle

négatif du pas encore adulte. La littérature pour la jeunesse pouvait amuser les enfants à

condition que cette forme ludique fût porteuse d’un intérêt didactique. Charles Perrault, dans la

préface de ses Contes en vers, avertit que ses contes ne sont pas « de pures bagatelles » et que le

« récit enjoué dont elles [sont] enveloppées » aide à « les faire entrer plus agréablement dans

l’esprit et d’une manière qui instrui[t] et divert[it] tout ensemble1 ».

2) … à la littérature ludique

L’étude des réécritures contemporaines du chaperon rouge nous donne un bel exemple

de l’évolution de la littérature pour la jeunesse. À travers les jeux parodiques et les

détournements humoristiques des textes de référence, se dessine une littérature inventive,

créative et non plus normative. La littérature pour la jeunesse contemporaine n’est plus

exclusivement dans la pédagogie et dans l’inculcation des règles. Elle chante à l’enfant une ode

à la liberté, à l’opposition aux principes établis et au refus des codes. Les réécritures du

chaperon rouge nous révèlent la gratuité du conte renouvelé. Une morale peut apparaître dans

les textes, mais l’objectif moralisant n’est plus premier. Chez les auteurs, la volonté de jouir du

plaisir de jouer avec les mots prime sur la transmission d’une éducation rigoureuse.

Nous avons dit que les textes contemporains reflétaient la société d’aujourd’hui. Mais ne

devrait-on pas supposer plutôt qu’ils traduisent les morales propres aux enfants, par opposition à

celles des adultes ? En effet, ce sont les valeurs des enfants qui sont énoncées dans les contes

détournés : la recherche du plaisir et de l’amusement qui prime sur le travail, ou encore le goût

du jeu et de la fantaisie. On rencontre dans les réécritures des contes des personnages qui

correspondent à ce que sont les enfants aujourd’hui, et non pas à ce qu’ils devraient être. Les

chaperons modernes sont des contre-modèles auxquels les enfants s’identifient volontiers. Ces

héros sont des « enfants terribles », comme le dit Anne Rabany2. Celle-ci montre qu’avec

1 Charles Perrault, Contes, op. cit., p. 73.

2 Anne Rabany, « Les enfants terribles dans les albums », in : L’Humour dans la littérature de jeunesse, Paris, In

Press Éditions, 2000, p. 161-177.

143

l’invention des personnages de Jean-Paul Choppart ou de Sophie de la Comtesse de Ségur, « on

assiste à la reconnaissance de l’enfant en tant que tel1 » et prend de nombreux exemples parmi

les albums contemporains pour montrer combien les personnages enfantins viennent s’opposer

au rôle sage et obéissant que la littérature classique leur avait donné. Les textes d’aujourd’hui

sont peuplés de « chaperons terribles » : la fillette de Rouge Rouge Petit Chaperon rouge qui

crie « non » et tue le loup d’un coup de hache, le chaperon rouge de Solotareff et Nadja qui joue

les petites filles vantardes auprès de sa camarade en vert, Mademoiselle-Sauve-qui-peut qui fait

des farces d’un goût douteux ou encore l’héroïne de Roald Dahl qui se confectionne un manteau

en peau de loup. En faisant évoluer des enfants espiègles dans leurs albums, les auteurs

contemporains rendent hommage « à l’imaginaire enfantin, à son indépendance d’esprit et à sa

capacité de contester le monde2 ». C’est l’enfant plein de vie et intrépide qui est figuré dans les

textes actuels. Le jeune lecteur se reconnaît facilement dans ces héroïnes turbulentes.

1 Ibid., p. 162.

2 Id.

144

145

CONCLUSION

Notre « traité de petitchaperonrougeologie », pour reprendre l’expression de Pierre

Erny1, nous a permis d’observer la richesse et le dynamisme de la littérature pour la jeunesse

contemporaine. Celle-ci, loin de raconter toujours les mêmes histoires, réévalue genres, intrigues

et personnages afin d’offrir à ses jeunes lecteurs des récits qui leur ressemblent. Nous avons pu

constater que les auteurs d’aujourd’hui réécrivent le Petit Chaperon rouge en transposant les

motifs clés du conte originel et en produisant des décalages qui renouvellent la gravité du récit

classique et portent sur lui un regard humoristique, voire ironique. Ces procédés de réécriture

intertextuelle fonctionnent sur des allusions et des clins d’œil. Ils peuvent parfois être

complexes. Mais l’enfant-lecteur y est aisément réceptif et prend du plaisir à voir les modèles du

conte classique malmenés et remis en question. Les effets de distanciation, au fondement de ces

réécritures, contribuent à l’aider à se constituer une culture littéraire et l’incitent à porter un

regard critique sur les récits et les procédés narratifs.

Malgré notre désir d’observer la grande variété des réécritures, nous sommes très loin

d’avoir fait le tour de tous les Petits Chaperons rouges contemporains. Le corpus des textes

réécrivant le Petit Chaperon rouge n’est pas clos et gagnerait à être complété par les nombreux

ouvrages publiés2… ou qui le seront prochainement. Car les petits chaperons rouges sont

toujours d’actualité et seulement dans l’année 2006-2007, nous avons dénombré une petite

dizaine de nouveaux Chaperons rouges publiés en France !

Le petit chaperon rouge est loin d’être le seul personnage traditionnel à habiter la

littérature de jeunesse contemporaine et à venir rajeunir les contes classiques. Depuis quelques

années, de nombreux auteurs jouent à reconvoquer les personnages de contes de fées et à leur

faire vivre des aventures inimaginables. Ce n’est pas forcément un conte particulier qui est

repris, mais tout un imbroglio de contes qui viennent s’entremêler dans des histoires farfelues.

Les personnages classiques quittent les stéréotypes et nouent entre eux des relations d’amitié ou

de rivalité. Ainsi, le loup de l’album de Mario Ramos, C’est moi le plus fort3, vient se mesurer

1 Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge, op. cit., p. 11.

2 Dans cette optique, nous avons complété notre biographie par quelques titres que nous n’avons pu nous procurer,

mais qui pourraient à profit venir enrichir notre étude. 3 Mario Ramos, C’est moi le plus fort, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2002.

146

tour à tour à un lapin aux « belles oreilles », au chaperon rouge, aux sept nains « zinzins du

boulot », aux trois petits cochons… jusqu’à se faire remettre à sa place par la maman d’une

petite grenouille qui ressemble étrangement à un énorme dinosaure ! Ou encore, les personnages

quittent la « forêt des contes » pour venir habiter nos quartiers : pensons à la célèbre « sorcière

de la rue Mouffetard » qui doit manger une petite fille à la sauce tomate pour devenir jolie, ou à

celle du « placard aux balais » qui vient hanter la maison dès que la nuit elle entend chanter :

« Sorcière, sorcière, prends garde à ton derrière ! »1. Face à des textes patrimoniaux que les

adultes peuvent juger trop difficiles ou trop violents, le conte ironique s’impose aujourd’hui

comme une référence. L’enfant aime ces récits pleins d’humour et les parents trouvent que ces

contes, bien qu’ils malmènent les classiques de la littérature, offrent des histoires moralement

plus acceptables et plus conformes aux idéaux du XXIe siècle.

Est-ce un effet de mode ou une attente du public actuel ? Le succès du conte parodique

n’est pas limité à la littérature et se retrouve également dans le dessin animé. Le film

d’animation américain de Todd Edwards, sorti en 2006, raconte ainsi « la véritable histoire du

petit chaperon rouge2 » sur le mode d’un film policier. La narration est décentrée par rapport à

l’histoire originale. La trame du conte est gardée, mais viennent se greffer sur elle plusieurs

intrigues. Le film s’ouvre par une scène au summum de l’action : le spectateur, lancé

immédiatement dans l’histoire, découvre une grand-mère ficelée, un ogre avec une hache et un

loup déguisé en vieille dame contre lequel une petite fille se défend. Toute la suite du dessin

animé se déroule en analepse sous quatre angles différents : la même histoire est ainsi expliquée

sous le point de vue de la fillette, du loup, de la grand-mère, puis du bûcheron. Nous assistons là

à un bel effet de « transfocalisation ».

Cependant, l’irruption du petit chaperon rouge dans le dessin animé n’est pas nouvelle.

Référons-nous à Tex Avery qui, dès 1943, imagine dans Red Hot Riding Hood un chaperon

rouge sous les traits d’une vamp à l’érotisme fortement suggestif et un loup obsédé sexuel

poursuivi par une grand-mère nymphomane ! Mais la particularité des dessins animés

parodiques en vogue ces dernières années est qu’ils mélangent joyeusement toutes sortes de

contes de fées et qu’ils s’amusent à faire se rencontrer les personnages des différents récits.

Pensons au succès de Shrek dont la sortie du troisième volet n’a pas démenti l’intérêt d’un

public enfantin autant qu’adulte. Ainsi, dans Shrek le Troisième3, le chaperon rouge fait

irruption dans l’histoire : la fillette fait partie du clan des frustrés mobilisés par le Prince qui

souhaite prendre la place de l’ogre vert. Le loup, lui, apparaît un peu plus souvent que le

1 Pierre Gripari, La Sorcière de la rue Mouffetard [1967], Paris, Gallimard, « Folio junior », 2006.

2 La Véritable Histoire du Petit chaperon rouge [Hoodwinked], réalisé par Todd Edwards, Tony Leech, Cory

Edwards, 2006. Voir le site du film alimenté par de nombreux extraits : <www.chaperonrouge-lefilm.com>. 3 Shrek le Troisième, réalisé par Chris Miller et Raman Hui, Paramount Pictures France, 2007.

147

chaperon, sous l’apparence ridicule du déguisement en Mère-Grand. Il fait partie des amis de

Fiona, la femme de Shrek, avec les trois petits cochons, Pain d’épice ou encore Chat Potté.

Après une année passée à fréquenter les renouvellements du chaperon rouge, la tentation

était trop forte de ne pas nous essayer nous aussi à la réécriture parodique. Nous avons ainsi

voulu écrire notre propre version du conte Ŕ version évidemment décalée et personnelle. Nous

avons mis en annexe 3 notre « PCR Company ». Après l’avoir écrit, nous nous sommes rendu

compte que nous retrouvions dans ce texte un bon nombre d’éléments commentés dans notre

mémoire. Ainsi, notre version du conte est en quelque sorte une mise en pratique des principes

que nous avons analysés théoriquement : on y repère un chaperon insolent et irrévérencieux, une

focalisation sur un autre personnage que l’héroïne du conte classique (la grand-mère), des

métalepses marquant l’intrusion du narrateur, des allusions hypertextuelles à des objets typiques

des contes ou encore des citations plus ou moins déformées du texte des Grimm. Écrire ce conte

était pour nous une façon de rendre hommage à la littérature et à son pouvoir d’invention et

d’esquisser une réflexion sur le mythe de l’inspiration littéraire et sur les rapports entre l’univers

romanesque et la réalité (l’écrivain copie-t-il le réel ?). C’était aussi une façon de transmettre le

plaisir que nous avons eu à observer tous ces contes décalés.

Pourtant, après tant de mois passés en compagnie du chaperon rouge, le connaissons-

nous vraiment ? Encore maintenant, lorsque nous relisons le conte originel, il nous semble qu’il

garde ses secrets et qu’il est toujours cette « œuvre si claire qu’elle finit par devenir

impénétrable », comme le dit Marc Soriano1. Malgré toutes les réécritures que l’on peut faire du

Petit Chaperon rouge, il nous semble que jamais l’histoire originelle ne sera véritablement

recouverte. Elle continuera à garder sa force évocatrice auprès des enfants et des adultes. On

peut renverser le conte, s’amuser à lui faire subir toutes sortes de transformations, il ne cessera

pas pour autant de marquer les esprits. Pierrette Fleutiaux, dans les Métamorphoses de la reine,

a réécrit plusieurs contes, dont un « petit pantalon rouge » aux aspirations féministes qui,

rencontrant Barbe-Bleue, fait preuve d’un courage et d’une autorité incomparables. Dans la

préface de son recueil des contes, l’auteur confesse son admiration pour Charles Perrault et

révèle que, même à l’âge adulte, ses contes la fascinent. Cependant, son regard adulte l’incite à

modifier certaines histoires et son regard de femme l’invite à remodeler le caractère de certaines

héroïnes. Mais, alors qu’elle pensait diriger à sa manière les personnages des contes, elle s’est

aperçue que ce sont eux qui l’ont « menée » et elle s’est « abandonnée » à eux2. Il semble ainsi

que les personnages originaux gardent intact leur pouvoir de fascination, en dépit des

transformations qu’on cherchera à leur imposer.

1 Marc Soriano, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, op. cit., p. 160.

2 Pierrette Fleutiaux, Les Métamorphoses de la reine, Paris, Gallimard, 1984, p. 12.

148

Dans un article sur les fonctions de la littérature, Umberto Eco note la fonction

pédagogique des jeux parodiques : « La narrativité hypertextuelle peut nous éduquer à la liberté

et à la créativité1 ». Mais, ajoute-t-il, la vraie fonction éducative de la littérature se trouve dans

les récits qu’il qualifie d’« immodifiables ». Le lecteur qui lit et relit les grands textes de la

littérature éprouve la « frustration » de ne pas en changer le récit et expérimente ainsi

l’immutabilité de la destinée humaine. Le Petit Chaperon rouge, Guerre et Paix ou Le Rouge et

le Noir nous racontent notre histoire, nous font une « sévère leçon “répressive” » dont nous

avons besoin pour « apprendre à mourir ». Et Eco de conclure : jouons avec les textes de la

littérature, mais ne cessons jamais de relire les récits originaux car ils ont, plus que nuls autres,

le pouvoir de nous éduquer « au Destin et à la mort2 ».

1 Umberto Eco, « Sur quelques fonctions de la littérature », in : De la littérature, op. cit., p. 26.

2 Id.

149

BIBLIOGRAPHIE

I) Ouvrages de littérature

A) Reprises contemporaines du petit chaperon rouge

1) Ouvrages de littérature pour la jeunesse

AYME, Marcel, « Le loup », dans Les Contes du chat perché [1939], Paris, Gallimard,

« Folio », 1988, p. 169-187.

BRUEL, Christian / JOUAULT, Didier / CLAVELOUX, Nicole (illus.), Rouge, bien rouge, Paris,

Le sourire qui mord, « Grands petits livres », 1986.

BUQUET, Jean-Luc, Le Petit Chaperon rouge. La scène de la chemise de nuit, Paris,

Autrement Jeunesse, 2006.

CAMI, « Le petit chaperon vert », dans L’Homme à la tête d’épingle, Société Nouvelle des

éditions Pauvert, 1972. Texte qui se trouve dans le recueil Contes d’ici et d’ailleurs, Paris,

Bordas, « Classiques Bordas », 2003, pages 170-173.

CANTIN, Marc / LE GOFF, Hervé (illus.), Le Grand Gentil loup, Toulouse, Milan, « Milan

Poche Benjamin », 2002.

CANTONE, Anna Laura, Le Petit Chaperon rouge [Cappuccetto rosso], traduit de l’italien par

Dominique Mathieur, Paris, Flammarion, 2001.

CARRER, Chiara, Le Petit Chaperon rouge [La Bambina e il lupo], Genève, La Joie de lire,

2005.

CHALMEAU, Corinne, Mère-Grand, Paris, Albin Michel Jeunesse, « Mon petit doigt m’a

dit », 2000.

CLAVERIE, Jean, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Albin Michel Jeunesse, 1998.

CLEMENT, Claude / FORESTIER, Isabelle (illus.), Un petit chaperon rouge, Grasset Jeunesse,

2000.

CORENTIN, Philippe, Mademoiselle Sauve-qui-peut [1999], Paris, L’école des loisirs, « Lutin

Poche », 2006.

DAHL, Roald / BLAKE, Quentin (illus.), Un conte peut en cacher un autre [Revolting

Rhymes, 1982], traduit de l’anglais par Anne Krief, Paris, Gallimard Jeunesse, « Folio

cadet », 2002.

DENDOOVEN, Gerda, Où est Maman ? Éditions Être, Paris, 2006.

DUMAS, Philippe / MOISSARD, Boris, Contes à l’envers [1980], Paris, L’école des loisirs,

« Neuf », 2005.

F’MURR, Au loup ! [Pepperland, 1979], Paris, Dargaud, 1982.

GRIMM, Jacob et Wilhelm / MANSOT, Frédérik (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris,

Magnard, 2003.

GRUMBERG, Jean-Claude / BACHELIER, Benjamin (illus.), Le Petit Chaperon Uf, Arles,

Actes Sud-Papiers, « Heyoka Jeunesse », 2005.

GUIBBAUD, Christian, Le Petit Chaperon rouge, Toulouse, Milan, « Une histoire à toucher »,

2007.

150

HELD, Jacqueline et Claude, Chat botté, Chaperon rouge et compagnie, Draguignan, Lo Païs

d’enfance, 2002.

IKHLEF, Anne / GAUTHIER, Alain (illus.), Mon Chaperon rouge, Paris, Le Seuil Jeunesse, 1998.

JOIRET, Patricia / BRUYERE, Xavier (illus.), Mina je t’aime, Paris, L’école des loisirs,

« Pastel », 1991.

KERLOC’H, Jean-Pierre / CHATELLARD, Isabelle (illus.), Le Grand Lougoudou et le petit

Chapeau rond rouge, Paris, Vilo Jeunesse, 2007.

LACOMBE, Benjamin, Le Petit Chaperon rouge, Toulon, Le Soleil jeunesse, 2003.

LA SALLE de, Bruno / BATIGNE, Laurence (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris,

Casterman, « Contes de toujours », 1986.

LESTRADE de, Agnès /GUIBBAUD, Christian (illus.), Un amour de loup, Toulouse, Milan,

« Milan Poche Benjamin », 2006.

MARSHALL, James, Le Petit Chaperon rouge [Red Riding Hood, 1987], traduit de l’anglais

par Isabel Finkenstaedt, Calligram, 1992.

MARTIN GAITE, Carmen, Le Petit Chaperon rouge à Manhattan [Caperucita en Manhattan,

1990], traduit de l’espagnol par Mireille Duprat-Debenne, Paris, Flammarion, « Castor

Poche », 1998.

MONCOMBLE, Gérard, Romain Gallo contre Charles Perrault [1999], Toulouse, Milan,

« Milan Poche », 2007.

MONSABERT de, Anne-Sophie / ALIBEU, Géraldine (illus.), Le Petit Chaperon rouge a des

soucis, Paris, Albin Michel Jeunesse, « Zéphyr », 2004.

NADJA, Chaperon rouge, collection privée, Paris, Éditions Cornélius, 2005.

NEGRIN, Fabian, Dans la gueule du loup, traduit par Marc Voline, Rodez, Éditions du

Rouergue, 2006.

PEF, Contes comme la lune, Paris, Messidor La Farandole, 1991.

PENNART, Geoffroy de, Chapeau rond rouge, Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche »,

2005.

PERRAULT, Charles / HALLENSLEBEN, Georg (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris,

Gallimard, « La Clé des contes », 2006.

PERRAULT, Charles / MOON, Sarah (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris, Grasset,

« Monsieur chat », 1983.

PERRAULT, Charles / RIEMANN, Maud (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Mont-près-

Chambord, Bilboquet, 2006.

POMMAUX, Yvan, John Chatterton détective [1993], Paris, L’école des loisirs, « Lutin

Poche », 2005.

POMMERAT, Joël / LERAY, Marjolaine (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Arles, Actes Sud-

Papiers, « Heyoka Jeunesse », 2005.

PONCELET, Béatrice, Je, le loup et moi…, Genève, La Joie de lire, 1988.

PONTI, Claude, Adèle s’en mêle, Paris, Gallimard Jeunesse, 1987.

POSLANIEC, Christian / GOREY, Edward, sur une idée de Béatrice SCHENK DE REGNIERS, Le

Petit Chaperon rouge [Red riding hood, 1972], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche »,

1981.

PRESSENSE, Domitille de, Loup rouge et Lili chaperon rouge, Paris, Pocket, 1998.

RASCAL / K. DUBOIS, Claude (illus.), Petit lapin rouge, Paris, L’école des loisirs, « Pastel »,

1994.

RASCAL, Le Petit Chaperon rouge, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2002.

RIVAIS, Yak / LACLOS, Michel, Les Sorcières sont N.R.V., Paris, L’école des loisirs,

« Neuf », 1988.

RIVAIS, Yak, Les Contes du miroir [1988], Paris, L’école des loisirs, « Neuf », 2004.

ROCARD, Ann / GIBERT, Bruno (illus.), L’Étrange Monsieur Garou, Paris, Flammarion,

« Père Castor », 1997.

151

RODARI, Gianni / SANNA, Alessandro (illus.), Quel cafouillage ! [A sbagliare le storie,

2003], traduit de l’italien par Sofia Turconi, Paris, Kaléidoscope, 2005.

RODARI, Gianni, Histoires au téléphone [Favole al telefono, 1978] ; traduit de l’italien par

Roger Salomon, Paris, Messidor La Farandole, 1983.

ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-

Raymond Farré, Paris, Gallimard, « Folio Benjamin », 1980.

SANVOISIN, Éric / MATJE, Martin (illus.), Le Petit Buveur d’encre rouge, Paris, Nathan,

« Nathan Poche », 2006.

SOLOTAREFF, Grégoire / NADJA (illus.), Le Petit Chaperon vert, Paris, L’école des loisirs,

« Mouche », 2000.

STEHR, Frédéric, Loupiotte [2000], Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 2005.

VAN DE VENDEL, Edward / VANDENABEELE, Isabelle (illus.), Rouge rouge petit chaperon

rouge [Rood Rood Roodkapje], traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Rodez, Éditions du

Rouergue, 2003.

VILCOLLET, Pascal, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Hachette Jeunesse, « Berlingot », 2007.

2) Textes pour les adultes

FLEUTIAUX, Pierrette, Les Métamorphoses de la reine, Paris, Gallimard, 1984.

GRIPARI, Pierre, Patrouille du conte, Lausanne, L’Âge d’homme, 1983.

B) Œuvres classiques

GRIMM, Jacob et Wilhelm Contes merveilleux, traduit de l’allemand par Pierre Durand,

Paris, Librairie Générale française, 1987.

PERRAULT, Charles / DORE, Gustave (illus.), Contes de ma mère l’Oye, Paris, Gallimard,

« Folio junior », 1977.

PERRAULT, Charles, Contes, introduction et notices de Catherine Magnien, Paris, Le Livre

de poche, 1990.

C) Autres ouvrages de littérature pour la jeunesse

Le Grand Méchant Livre du loup, Paris, Bayard Jeunesse, 2003.

FINE, Anne, Journal d’un chat assassin [The Diary of a killer cat, 1994], traduit de l’anglais

par Véronique Haïtse, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 1997.

GRIPARI, Pierre, La Sorcière de la rue Mouffetard [1967], Paris, Gallimard, « Folio junior »,

2006.

MOURLEVAT, Jean-Claude, L’Enfant Océan, Paris, Pocket Jeunesse, 1999.

NADJA, Les Sur-fées, Paris, L’école des loisirs, « Mouche », 2005.

OSTER, Christian, Le Loup qui cherchait sa serviette, Paris, L’école des loisirs, « Neuf »,

2001.

POMMAUX, Yvan, Le Grand Sommeil, Paris, L’école des loisirs, « Lutin Poche », 1998.

RAMOS, Mario, C’est moi le plus fort, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2002.

SCIESZKA, Jon / SMITH, Lane (illus.), La Vérité sur l’affaire des trois petits cochons [1989],

traduit de l’américain par Gilles Lergen, Paris, Nathan, 1991.

SOLOTAREFF, Grégoire / NADJA (illus.), La Laide au Bois Dormant [1991], Paris, L’école

des loisirs, « Mouche », 2005.

TOURNIER, Michel, Sept contes [1984], Paris, Gallimard, « Folio junior », 1990.

152

II) Ouvrages critiques

A) Sur le petit chaperon rouge

BECKETT, Sandra L., « Le Petit Chaperon rouge globe-trotter », dans Tricentenaire Charles

Perraul. Les grands contes du XVIIe siècle et leur fortune littéraire, sous la direction de Jean

Perrot, In Press, 1998, p. 365-375.

ERNY, Pierre, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge. Un itinéraire dans la forêt des

contes, Paris, L’Harmattan, 2003.

GARAT, Anne-Marie, Une faim de loup : lecture du Petit chaperon rouge, Arles, Actes Sud,

2004.

LA GENARDIERE de, Claude, « Quand le Chaperon rouge fait rire jaune », dans L’Humour

dans la littérature de jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, pages 135-146.

LA GENARDIERE de, Claude, Encore un conte ? « Le Petit Chaperon rouge » à l’usage des

adultes, Paris, L’Harmattan, 1996.

MARTIN, Serge, Les Contes à l’école. Le(s) petit(s) Chaperon(s) rouge(s), Paris, Bertrand

Lacoste, « Parcours didactiques à l’école », 1997.

VANDENDORPE, Christian, « D’un conte à sa parodie : Le Petit Chaperon rouge de Jacques

Ferron », dans Croire à l'écriture, sous la direction de Yvan G. Lepage et Robert Major,

Ottawa, Éditions David, 2000, p. 367-386. Article consultable sur Internet :

<www.lettres.uottawa.ca/vanden/Petit%20Chaperon%20rouge.pdf>.

VERDIER, Yvonne, « Grands-mères, si vous saviez... Le Petit Chaperon rouge dans la

tradition orale », dans Les Cahiers de la Littérature orale, IV, 1978. Article consultable sur

Internet : <expositions.bnf.fr/contes/cles/verdier.htm>.

B) Sur les contes (ouvrages consultés)

DELARUE, Paul, Le Conte populaire français [1957], Paris, Maisonneuve et Larose, 3 tomes,

1976.

JEAN, Georges, Le Pouvoir des contes, Paris, Casterman, 1990.

PEJU, Pierre, La Petite fille dans la forêt des contes, Paris, Robert Laffont, « Réponses »,

1981.

PROPP, Vladimir, Morphologie du conte [1928], traduit du russe par M. Derrida, T. Todorov

et C. Kahn, Paris, Le Seuil, 1970.

SORIANO, Marc, Les Contes de Perrault, culture savante et traditions populaires, Paris,

Gallimard, « Tel », 1968.

C) Sur la théorie littéraire

BARONI, Raphaël, La Tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Paris, Le Seuil,

« Poétique », 2007.

BERGSON, Henri, Le Rire [1940], Paris, PUF, « Quadrige », 1999.

BOURNEUF, Roland / OUELLET, Réal, L’Univers du roman [1972], Paris, PUF, 1989.

CALVINO, Italo, Pourquoi lire les classiques [1981], traduit de l’italien par Michel Orcel et

François Wahl, Paris, Le Seuil, « La librairie du XXe siècle », 1993.

COMBE, Dominique, Les Genres littéraires, Paris, Hachette Supérieur, « Contours

littéraires », 1992.

153

ECO, Umberto, « Ironie intertextuelle et niveaux de lecture », dans De la littérature [Sulla

letteratura, 2002], traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 2003, p. 269-

298.

ECO, Umberto, « Sur quelques fonctions de la littérature », dans De la littérature [Sulla

letteratura, 2002], traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Grasset, 2003, p. 9-26.

ECO, Umberto, Lector in fabula. Le rôle du lecteur [1979], traduit de l’italien par Myriem

Bouzaher, Paris, Le Livre de Poche, « Biblio Essais », 1985.

FREUD, Sigmund, « L’humour », in : Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient

[1905], traduit de l’allemand par M. Bonaparte et M. Nathan, Paris, Gallimard, « Idées ».

GENETTE, Gérard, Figures III, Paris, Le Seuil, « Poétique », 1972.

GENETTE, Gérard, Palimpsestes [1982], Paris, Le Seuil, « Points Essais », 1992.

GENETTE, Gérard, Seuils [1987], Paris, Le Seuil, « Points Essais », 2002.

HAMON, Philippe, « L’ironie », dans Le Grand Atlas des littératures, sous la direction de

Jacques Hans Schweizer, Louis Lecomte, et al., Paris, Encylopaedia Universalis, 1990,

p. 56-57.

HAMON, Philippe, « Pour un statut sémiologique du personnage » [dans Littérature, 6, Paris,

Larousse, 1972], puis dans Poétique du récit [1977], Paris, Le Seuil, 2003.

JOUVE, Vincent, L’effet-personnage dans le roman, Paris, PUF, « Écriture », 1992.

JOUVE, Vincent, La Poétique du roman [1997, Sedes], Paris, Armand Colin, « Campus »,

2006.

LARTHOMAS, Pierre, Le Langage dramatique [1972, Armand Colin], Paris, PUF, 1993.

SAMOYAULT, Tiphaine, L’Intertextualité. Mémoire de la littérature, Paris, Armand Colin,

« 128 », 2001.

SANGSUE, Daniel, La Parodie, Paris, Hachette Supérieur, « Contours littéraires », 1994.

SARTRE, Jean-Paul, Qu’est-ce que la littérature ? [1948], Paris, Gallimard, « Folio Essais »,

1993.

UBERSFELD, Anne, « Le texte dramatique », dans Le Théâtre, sous la direction de D. Couty

et A. Rey, Paris, Bordas, 1980.

D- Sur la littérature pour la jeunesse

1) Ouvrages

BETTELHEIM Bruno, Psychanalyse des contes de fées, traduit par Théo Carlier, Paris, Robert

Laffont, 1976.

COITIT-GODFREY, J. / ESCARPIT, R. / PEYROUTET, J.-L. / POULOU, B. / ROBINE, N., La

Littérature d’enfance et de jeunesse. État des lieux, Paris, Hachette Jeunesse, 1988.

LURIE, Alison, Ne le dites pas aux grands. Essai sur la littérature enfantine, [Don’t Tell the

Grown-Ups, 1990], traduit de l’anglais par Monique Chassagnol, Paris, Rivages, 1991.

MAJA, Daniel, Illustrateur jeunesse. Comment créer des images sur les mots ?, Paris,

Éditions du Sorbier, « La littérature jeunesse, pour qui, pour quoi ? », 2004.

PERROT, Jean, Jeux et enjeux du livre d’enfance et de jeunesse, Paris, Éditions du Cercle de

la librairie, « Bibliothèques », 1999.

RODARI, Gianni, Grammaire de l’imagination [Grammatica della fantasia], traduit par

Roger Salomon, Paris, Éditions Messidor, 1979.

VAN DER LINDEN, Sophie, Lire l’album, Le Puy-en-Velay, L’Atelier du poisson soluble,

2006.

ZIPES, Jack, Les Contes de fées et l’art de la subversion, traduit par François Ruy-Vidal,

Paris, Payot, 1986.

154

2) Articles

« Pastiche et parodie, de l’art du détournement », TDC (Textes et documents pour la classe),

n° 788, janvier 2000. Sommaire consultable sur Internet, sur le site du CNDP

(<www.cndp.fr>).

« Les contes », TDC (Textes et documents pour la classe), n°832, mars 2002. Sommaire

consultable sur Internet, sur le site du CNDP (<www.cndp.fr>).

BALLANGER, Françoise, « Laissez-les rire ! », dans L’Humour dans la littérature de

jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 75-84.

GAOTTI, Florence, « Croisements de voix. Réflexions sur l’intertextualité à l’école », dans

Nous voulons lire, n°160, juin 2005, p. 39-41.

GOUREVITCH, Jean-Paul, « L’humour dans la littérature de jeunesse », juin 2001, <www.ac-

creteil.fr/crdp/telemaque/comite/JPGourevitch.htm>.

PEF, « L’humour sans queue ni texte, une improvisation humoristique de Pef », dans

L’Humour dans la littérature de jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 243-257.

PERROT, Jean, « Le foyer baroque central : la torsion des contes classiques », dans Art

baroque, art d’enfance, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 1991, p. 21-68.

PINTADO, Christiane, « Cochon, cochon et cie. Les avatars du conte Les trois petits cochons

dans la littérature de jeunesse contemporaine », dans Nous voulons lire !, n°158, février

2005, p. 10-18.

PINTADO, Christiane, « Échos des contes d’Andersen dans l’album contemporain pour la

jeunesse. Réécriture et détournement », dans Nous voulons lire !, n°162, novembre 2005,

p. 21-27.

PINTADO, Christiane, « Enfants terribles des nouveaux contes. Chaperons et princesses ne

s’en laissent plus conter », dans Nous voulons lire !, n° 164, avril 2006, p. 17-23.

RABANY, Anne, « Les enfants terribles dans les albums », dans L’Humour dans la littérature

de jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 161-177.

ROUXEL, Annie, « Qu’entend-on par lecture littéraire ? », Actes de l’université d’automne,

Direction de l’enseignement scolaire, publié le 6 mai 2004. Consultable sur Internet :

<http://eduscol.education.fr/D0126/lecture_litteraire_rouxel.htm>.

TAUVERON, Catherine, « Littérature de jeunesse ou nouvelle jeunesse pour la littérature et

son enseignement ? », Actes du séminaire national « Perspectives actuelles de

l’enseignement du français », 23-24-25 octobre 2000. Consultable sur Internet :

<http://eduscol.education.fr/D0033/actfran_tauveron.htm>.

TAUVERON, Catherine, « Fonctions et nature des lectures en réseaux », Actes de l’université

d’automne, « La lecture et la culture littéraires au cycle des approfondissements », Direction

de l’enseignement scolaire, publié le 12 mai 2004. Consultable sur Internet :

<http://eduscol.education.fr/D0126/lecture_litteraire_tauveron3.htm >

ZERVOU, Alexandra, « Le comique e(s)t le parodique dans la littérature d’enfance », dans

L’Humour dans la littérature de jeunesse, Paris, In Press Éditions, 2000, p. 29-44.

E- Programmes scolaires

« Littérature (cycle 3) », document d’accompagnement des programmes scolaires, CNDP,

2004. Consultable sur Internet :<http://www.cndp.fr/textes_officiels/ecole/Litt_ecole.pdf>

« Lire et écrire au cycle 3. Repères pour organiser les apprentissages au long du cycle »,

document d’accompagnement des programmes scolaires, CNDP, 2003. Consultable sur

Internet : <http://www.cndp.fr/doc_administrative/>

155

F- Filmographie

La Véritable Histoire du Petit chaperon rouge [Hoodwinked], réalisé par Todd Edwards,

Tony Leech, Cory Edwards, 2006.

Red hot riding hood, Tex Avery, MGM, 1943.

G- Sitographie

Sur le site du CRDP de l’Académie de Créteil, une fiche pédagogique proposant des pistes

d’activités « autour des contes » et se fondant en particulier sur les contes parodiés :

<http://www.crdp.ac-creteil.fr/telemaque/comite/contes.htm>

« Il était une fois les contes de fées » : site d’une exposition organisée en 2001 par la BNF,

en collaboration avec La Joie par les livres, offrant de nombreuses informations sur l’histoire

des contes et leur évolution, et en particulier sur le conte du Petit Chaperon rouge :

<http://expositions.bnf.fr/contes/index.htm>

Dossier sur les détournements de contes réalisés par l’Institut international Charles Perrault

en décembre 2006 pour l’espace éducatif de France 5 :

<http://education.france5.fr/images/DOSSI/DOSSI14865/le_conte.pdf>

III) Bibliographie complémentaire

Nous n’avons pu nous procurer toutes les versions contemporaines du Petit Chaperon rouge :

certains ouvrages ne sont plus édités et sont actuellement en rupture de stock, d’autres se sont

révélés introuvables dans les bibliothèques auxquelles nous avons accès. Afin d’offrir un

prolongement utile à notre étude, nous proposons ici une sélection de titres qui pourraient venir

compléter notre travail.

A) Albums et courts récits

AMERY, Heather / Cartwrigtht, Stephen, Le Petit Chaperon rouge, Usborne, « Il était une

fois », 2006.

BOADA, Francesc / ESTRDA P., Le Petit Chaperon rouge, Epigones, 1995.

BRUEL, Christian / CLAVELOUX, Nicole, Petits chaperons loups, Être, 1998.

CAPDEVILA, Roser, Camomille et les Trois Petites sœurs : chez le Petit chaperon rouge,

Paris, Le Sorbier, 2004.

COUNHAYE, Guy, Gros loup, Mijade, 1994.

CRAIPEAU, Jean-Loup, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Hachette, 1997.

CUISINIER, J.P., Dracula contre le Petit Chaperon rouge, Paris, Magnard, « Tire lire

poche », 1985.

DAMIAN, Claude, Si on jouait au petit chaperon rouge, Noir délire, 2007.

DELAFOSSE, Claude, Le loup et le petit chaperon rouge, Paris, Gallimard Jeunesse, 1999.

DUVAL, Isabelle, Contes à modeler, Temps apprivoisé, 2000.

FARIBAULT, Marthe / LEVERT, Mireille, Le Petit Chaperon rouge, Héritage, 2002.

GAGNE, Johanne / ROGE, Les Vacances du Petit Chaperon rouge, Montréal (Québec), Les

400 coups, « Grimace », 2004.

GARNER, James Finn, Politiquement correct. Contes d’autrefois pour lecteurs

d’aujourd’hui, Paris, Grasset, 1995.

GAUTIER, Michel, Le vrai Petit chaperon rouge et autres contes, Geste Éditions, 2003.

156

GUDULE, Les contes, la vérité (vraie), Paris, Nathan, 2000.

HARTMANN, Elisabeth, Le petit Bonnet, Paris, Syros Alternatives, « Petites feuilles », 1992.

HERON, Jean-Olivier, Dodo Carabas vous raconte ce qui se passe après la fin du Petit

Chaperon rouge. Les résultats d’une drôle d’enquête, Paris, Albin Michel / Gulf Stream,

1992.

HUGO, Hector, Le Petit Napperon rouge, Paris, Syros, « Mini souris humour », 1999.

KENT, Jack, Le Petit Chaperon rouge, texte adapté par Madeleine Gilard, Paris, Le Sorbier,

« Il était une fois », 1983.

KIMIKO, Le Petit Chaperon rouge, Paris, L’école des loisirs, « Loulou & compagnie », 2007.

LEVY, Didier / RAPAPORT, Gilles (illus.), Grand-mère Albert, Paris, L’école des loisirs,

« Albums », 1999.

LEVY, Didier, Le Loup et l’orpheline, Paris, L’école des loisirs, 1999.

MARTIN, Jean-François, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Rouge et or, « Petits contes

animés », 1997.

MATHIEU, Dominique, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Flammarion, 2001.

MCBRATNEY, Sam / CHICHESTER et CLARK, Emma, Le Chaperon rouge, Paris, Gründ, 1997.

MCNAUGHTON, Colin, Oh ! là ! là !, Paris, Gallimard Jeunesse, 1996.

MEDDAUGH, Le Loup, mon œil !, Paris, Autrement Jeunesse, 2000.

PERRAULT, Charles / LAVATER, Warja, Le Petit Chaperon rouge, Maeggt, 1968.

ROCARD, Ann, Le Petit Chaperon fou, Sénévé Jeunesse, 1994.

ROUX, Christian, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Le Seuil Jeunesse, 2007.

SCOUVART, Robert, Crock Rock le petit chaperon rouge, Paris, Magnard, 1986.

STORR, Catherine, Polly la futée et cet imbécile de loup, Paris, Pocket, « Kidpocket », 2001.

TAREK / MORINIERE, Aurélien, Rufus le loup et le petit chaperon rouge, EP Éditions, 2007.

TIMMERS, Léo, Le Petit Chaperon rouge, Toulouse, Milan, 2007.

TREMBLAY, M., Il était une fois le petit frère du Chaperon rouge, Montréal (Québec), La

Courte Echelle, 2005.

UNGERER, Tomi, Le Petit Chaperon rouge, Diogènes, 1974.

VAN ZEVEREN, Michel, Et pourquoi ?, Paris, L’école des loisirs, « Pastel », 2007.

WITSCHGER, Anne-Laure, La Célèbre Famille du Petit Chaperon rouge, Frimousse, 2000.

YOUNG, Ed, Lon Po Po, traduit par Rose-Marie Vassalo, Paris, Flammarion, « Père Castor »,

2002.

B) Bandes dessinées

MARIE, Damien / VANDERSTRAETEN, Damien, Règlement de contes, tome 1 : Règne animal,

Soleil Productions, 2003.

PESCH, Jean-Louis, Sylvain et Sylvette, Tome 29 : Un nouveau petit chaperon rouge,

Dargaud, 2003.

ROTREAU / BERNER, Suzanne, Les Contes du grand méchant loup, Ipomée, Paris, Albin

Michel, 2001.

C) Théâtre

JOLIBOIS, Christian / DRAC, Romain, Pour faire un bon chaperon, Toulouse, Milan, 2000.

FOSSIER, Joëlle, Les Petits Chaperons rouges (comédie pour enfants), Art et Comédie, 1998.

POSLANIEC, Christian / ISHER, Laurent / POSLIANEC, Frédérique / QUINTIN, Cécile, Petit

Chaperon rouge, les explo-rateurs, Paris, Retz, « Premiers rôles », 2007.

SAUSSARD, Brigitte, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Retz, « Théâtre de poche », 2004.

157

D- Livres jouets

AMERY Heather / CARTWRIGTHT Stephen, Le Petit Chaperon rouge, Usborne, 2006.

GRIMM / MALONE, Vincent / CORNALBA, Jean-Louis / SADOUN, Chloé, Le Petit Chaperon

de ta couleur, Paris, Le Seuil Jeunesse / Naïve, 2002.

HÜE, Caroline, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Nathan, 2006.

PERRAULT, Charles / GAMBINI, Cécile, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Nathan,

« Musicontes », 2005.

PICCOLIA, Le Petit Chaperon rouge, Courtaboeuf, Piccolia, « Read and play », 2004.

PLOQUIN, Geneviève, Un conte à colorier : Le Petit Chaperon rouge, Champigny-sur-

Marne, Lito, « Les coloriages », 2007.

SIEWERT, Pauline / MINSSIEUX, Sabine, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Quatre fleuves,

« Les ourses scintillantes », 2003.

STEVENSON, Peter, Le Petit théâtre. Les Trois petits cochons ; Hänsel et Gretel ; Le Petit

Chaperon rouge : avec 10 marionnettes, Paris, Gründ, 2006.

SUGAWARA, Keiko, Le Petit Chaperon rouge, Paris, Bayard Jeunesse, « Un conte à lire avec

les doigts », 2005.

E- Reprises du conte à destination des adultes

GAVRONSKY, Serge / SCANREIGH, Petite histoire du Petit Chaperon rouge, Marseille, Harpo

&, 1999.

JOURDE, Pierre, Petits chaperons dans le rouge, Apt, L’Archange Minotaure, 2006.

LASCAULT, Gilbert, Le Petit Chaperon rouge partout [1989], Saint-Clément, Fata Morgana,

2007.

LEON, Pierre Roger, Le Mariage politiquement correct du Petit Chaperon rouge et autres

histoires plus ou moins correctes avec notices explicatives, Éditions du Gref, Écrits

torontois, 1996.

IV] Bibliographies sur Internet

On pourra consulter sur Internet plusieurs sites proposant des bibliographies sur les contes

parodiés et/ou sur les réécritures du Petit Chaperon rouge.

Sur le site de l’exposition de la BNF « Il était une fois les contes de fées » :

<http://expositions.bnf.fr/contes/arret/reperes/biblio.htm>

Sur le site du CRDP de Créteil, « Autour des contes » : <http://www.crdp.ac-

creteil.fr/telemaque/comite/contes-bibli.htm>

Sur le site de la bibliothèque municipale de Lyon : <http://www.bm-

lyon.fr/expo/virtuelles/chaperon/bibliog.html>

Sur le site de Ricochet, avec de mini résumés des ouvrages : <http://www.ricochet-

jeunes.org/fichiers/perrault/chaperon.asp>

Sur un site de l’Académie de Poitiers, un projet lancé par des enseignants autour du thème

« Écouter, dire, lire, écrire des contes » dans lequel on trouve une bibliographie développée

sur le Petit Chaperon rouge : <http://web-ia.ac-poitiers.fr/web79/contes-

79/spip.php?article14>

Sur le site des bibliothèques de Rennes, un « Casting de contes » autour du Petit Chaperon

rouge, avec quelques suggestions cinématographiques : <http://www.bm-

rennes.fr/publications/castingdecontes/chaperon.htm>

158

Notons enfin la thèse de Christiane Pintado, soutenue en novembre 2006 et consultable à la

bibliothèque universitaire de Rennes II (où nous n’avons pu nous rendre) :

« Les Contes de Perrault à l'épreuve du détournement dans la littérature de jeunesse de 1970 à

nos jours. De la production à la réception. » Thèse de 3e cycle, sous la direction de Catherine

Tauveron, Professeur des Universités, Rennes II.

159

ANNEXES

Les versions classiques du Petit Chaperon rouge Annexe 1a : version nivernaise

Annexe 1b : version de Charles Perrault

Annexe 1c : version des frères Grimm

Un exemple de réécriture contemporaine du Petit Chaperon rouge Annexe 2 : version de Tony Ross

Mise en pratique Annexe 3 : notre version

160

Annexe 1a : version nivernaise

CONTE DE LA MERE-GRAND

C’était un femme qui avait fait du pain. Elle dit à sa fille :

Ŕ Tu vas porter une époigne1 toute chaude et une bouteille de lait à ta grand.

Voilà la petite fille partie. À la croisée de deux chemins, elle rencontra le bzou2 qui lui dit :

Ŕ Où vas-tu ?

Ŕ Je porte une époigne toute chaude et une bouteille de lait à ma grand.

Ŕ Quel chemin prends-tu ? dit le bzou, celui des Aiguilles ou celui des Épingles ?

Ŕ Celui des Aiguilles, dit la petite fille.

Ŕ Eh bien ! Moi, je prends celui des Épingles.

La petite fille s’amusa à ramasser des aiguilles ; et le bzou arriva chez la mère-grand, la tua, mit de sa

viande dans l’arche3 et une bouteille de sang sur la bassie

4. La petite fille arriva et frappa à la porte.

Ŕ Pousse la porte, dit le bzou. Elle est barrée avec une paille mouillée.

Ŕ Bonjour, ma grand, je vous apporte une époigne toute chaude et une bouteille de lait.

Ŕ Mets-les dans l’arche, mon enfant. Prends de la viande qui est dedans et une bouteille de vin qui est

sur la bassie.

Suivant qu’elle mangeait, il y avait une petite chatte qui disait :

Ŕ Pue !... Salope !... qui mange la chair, qui boit le sang de sa grand.

Ŕ Dhabille-toi, mon enfant, dit le bzou, et viens te coucher vers moi.

Ŕ Où faut-il mettre mon tablier ?

Ŕ Jette-le au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin.

Et pour tous les habits, le corset, la robe, le cotillon, les chausses, elle lui demandait où les mettre. Et

le loup répondait : « Jette-les au feu, mon enfant, tu n’en as plus besoin5. »

Quand elle fut couchée, la petite fille dit :

Ŕ Oh, Ma grand, que vous êtes poilouse !

Ŕ C’est pour mieux me réchauffer, mon enfant !

Ŕ Oh ! Ma grand, ces grands ongles que vous avez !

Ŕ C’est pour mieux me gratter, mon enfant !

Ŕ Oh ! Ma grand, ces grandes épaules que vous avez !

Ŕ C’est pour mieux porter mon fagot de bois, mon enfant !

Ŕ Oh ! Ma grand, ces grandes oreilles que vous avez !

Ŕ C’est pour mieux entendre, mon enfant !

Ŕ Oh ! Ma grand, ces grands trous de nez que vous avez !

Ŕ C’est pour mieux priser mon tabac, mon enfant !

Ŕ Oh ! Ma grand, cette grande bouche que vous avez !

Ŕ C’est pour mieux te manger, mon enfant !

Ŕ Oh ! Ma grand, que j’ai faim d’aller dehors !

Ŕ Fais au lit mon enfant !

Ŕ Oh ! non ma grand, je veux aller dehors !

Ŕ Bon, mais pas pour longtemps.

1 Petit pain fabriqué pour les enfants avec des rognures de pâte lors de la cuisson du pain, de la grosseur d’un poing,

ou en forme de poignée (croissant). 2 Bzou, ou brou, ou garou, noms de l’homme-loup.

3 Armoire.

4 Tablette ou pierre d’un évier.

5 Le conteur décline questions et réponses pour chaque pièce du vêtement.

161

Le bzou lui attacha un fil de laine au pied et la laissa aller. Quand la petite fut dehors, elle fixa le

bout de fil à un prunier de la cour. Le bzou s’impatientait et disait :

Ŕ Tu fais donc des cordes ? Tu fais donc des cordes ?

Quand il se rendit compte que personne ne lui répondait, il se jeta à bas du lit et vit que la petite était

sauvée. Il la poursuivit, mais il arriva à sa maison juste au moment où elle entrait.

Texte recueilli par Achille Millien vers 1885 aux Amognes, dans la Nièvre.

(Paul Delarue, Le Conte populaire français [1957],

Paris, Maisonneuve et Larose, 1976, t. I, p. 373-374)

162

Annexe 1b : version de Charles Perrault

Nous avons maintenu l’usage désordonné des majuscules et l’absence de paragraphe du texte de Perrault,

conformément à l’édition commentée par Catherine Magnien, au Livre de Poche. Celle-ci a respecté le texte du

deuxième tirage, sorti des presses de Claude Barbin en 1697.

LE PETIT CHAPERON ROUGE

Il était une fois une petite fille de Village, la plus jolie qu’on eût su voir ; sa mère en était folle, et sa

grand-mère plus folle encore. Cette bonne femme lui fit faire un petit chaperon rouge, qui lui seyait si

bien, que partout on l’appelait le Petit chaperon rouge.

Un jour, sa mère, ayant cuit et fait des galettes, lui dit : « Va voir comme se porte ta mère-grand, car

on m’a dit qu’elle était malade, porte-lui une galette et ce petit pot de beurre. » Le petit chaperon rouge

partit aussitôt pour aller chez sa mère-grand, qui demeurait dans un autre Village. En passant dans un

bois elle rencontra compère le Loup, qui eut bien envie de la manger, mais il n’osa, à cause de quelques

Bûcherons qui étaient dans la Forêt. Il lui demanda où elle allait ; la pauvre enfant, qui ne savait pas qu’il

est dangereux de s’arrêter à écouter un Loup, lui dit : « Je vais voir ma Mère-grand, et lui porter une

galette avec un petit pot de beurre que ma mère lui envoie. − Demeure-t-elle bien loin ? lui dit Le loup. −

Oh ! oui, dit le petit chaperon rouge, c’est par delà le moulin que vous voyez tout là-bas, à la première

maison du Village. − Eh bien, dit le Loup, je veux l’aller voir aussi ; je m’y en vais par ce chemin ici, et

toi par ce chemin-là, et nous verrons à qui plus tôt y sera. » Le Loup se mit à courir de toute sa force par

le chemin qui était le plus court, et la petite fille s’en alla par le chemin le plus long, s’amusant à cueillir

des noisettes, à courir après des papillons, et à faire des bouquets des petites fleurs qu’elle rencontrait. Le

Loup ne fut pas longtemps à arriver à la maison de la Mère-grand ; il heurte : Toc, toc. « Qui est là ? −

C’est votre fille, le petit chaperon rouge (dit le Loup en contrefaisant sa voix) qui vous apporte une

galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie. » La bonne Mère-grand, qui était dans son lit à

cause qu’elle se trouvait un peu mal, lui cria : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le Loup tira la

chevillette, et la porte s’ouvrit. Il se jeta sur la bonne femme, et la dévora en moins de rien ; car il y avait

plus de trois jours qu’il n’avait pas mangé. Ensuite il ferma la porte, et s’alla coucher dans le lit de la

Mère-grand, en attendant le petit chaperon rouge, qui quelque temps après, vint heurter à la porte. Toc,

toc. « Qui est là ? » Le petit chaperon rouge, qui entendit la grosse voix du Loup, eut peur d’abord, mais,

croyant que sa Mère-grand était enrhumée, répondit : « C’est votre fille le petit chaperon rouge, qui vous

apporte une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie. » Le Loup lui cria en adoucissant

un peu sa voix : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. » Le petit chaperon rouge tira la chevillette, et la

porte s’ouvrit. Le Loup, la voyant entrer, lui dit en se cachant dans le lit sous la couverture : « Mets la

galette et le petit pot de beurre sur la huche, et vient te coucher avec moi. » Le petit chaperon rouge se

déshabille, et va se mettre dans le lit, où elle fut bien étonnée de voir comment sa Mère-grand était faite

en son déshabillé. Elle lui dit : « Ma mère-grand, que vous avez de grands bras ! − C’est pour mieux

t’embrasser, ma fille. − Ma mère-grand, que vous avez de grandes jambes ! − C’est pour mieux courir,

mon enfant. − Ma mère-grand, que vous avez de grandes oreilles ! − C’est pour mieux écouter, mon

enfant. − Ma mère-grand, que vous avez de grands yeux ! − C’est pour mieux voir, mon enfant. − Ma

mère-grand, que vous avez de grandes dents ! − C’est pour mieux te manger. » Et en disant ces mots, ce

méchant Loup se jeta sur le petit chaperon rouge, et la mangea.

Moralité

On voit ici que de jeunes enfants,

Surtout de jeunes filles,

Belles, bien faites, et gentilles,

Font très mal d’écouter toute sorte de gens.

Et que ce n’est pas chose étrange,

S’il en est tant que le loup mange.

Je dis le loup, car tous les loups

163

Ne sont pas de la même sorte ;

Il en est d’une humeur accorte,

Sans bruit, sans fiel et sans courroux,

Qui privés, complaisants et doux,

Suivent les jeunes Demoiselles

Jusque dans les maisons, jusque dans les ruelles ;

Mais hélas ! qui ne sait que ces loups doucereux,

De tous les Loups sont les plus dangereux.

Charles Perrault,

Histoires ou Contes du temps passé avec des Moralités, ou Contes de ma mère l’Oye, 1697.

(Contes, introduction et notices de Catherine Magnien,

Paris, Le livre de poche, 1990, p. 193-197)

164

Annexe 1c : version des frères Grimm

LE PETIT CHAPERON ROUGE

Il était une fois une petite fille que tout le monde aimait bien, surtout sa grand-mère. Elle ne savait

qu’entreprendre pour lui faire plaisir. Un jour, elle lui offrit un petit bonnet de velours rouge, qui lui allait

si bien qu’elle ne voulut plus en porter d’autre. Du coup, on l’appela « Chaperon Rouge ».

Un jour, sa mère lui dit : « Viens voir, Chaperon Rouge : voici un morceau de gâteau et une

bouteille de vin. Porte-les à ta grand-mère ; elle est malade et faible ; elle s’en délectera ; fais vite,

avant qu’il ne fasse trop chaud. Et quand tu seras en chemin, sois bien sage et ne t’écarte pas de ta

route, sinon tu casserais la bouteille et ta grand-mère n’aurait plus rien. Et quand tu arriveras chez elle,

n’oublie pas de dire « bonjour » et ne va pas fureter dans tous les coins.

− Je ferai tout comme il faut », dit le Petit Chaperon Rouge à sa mère. La fillette lui dit au revoir. La

grand-mère habitait loin, au milieu de la forêt, à une demi-heure du village. Lorsque le petit Chaperon

Rouge arriva dans le bois, il rencontra le Loup. Mais il ne savait pas que c’était une vilaine bête et ne le

craignait point. « Bonjour, Chaperon Rouge », dit le Loup. « Bien merci, Loup, dit le Chaperon Rouge.

− Où donc vas-tu si tôt, Chaperon Rouge ?

− Chez ma grand-mère.

− Que portes-tu dans ton panier ?

− Du gâteau et du vin. Hier nous avons fait de la pâtisserie, et ça fera du bien à ma grand-mère. Ça la

fortifiera.

− Où habite donc ta grand-mère, Chaperon Rouge ?

− Oh ! à un bon quart d’heure d’ici, dans la forêt. Sa maison se trouve sous les trois gros chênes. En

dessous, il y a une haie de noisetiers, tu sais bien ? » dit le petit Chaperon Rouge. Le Loup se dit : «

Voilà un mets bien jeune et bien tendre, un vrai régal ! Il sera encore bien meilleur que la vieille. Il faut

que je m’y prenne adroitement pour les attraper toutes les deux ! » Il l’accompagna un bout de chemin et

dit : « Chaperon Rouge, vois ces belles fleurs autour de nous. Pourquoi ne les regardes-tu pas ? J’ai

l'impression que tu n’écoutes même pas comme les oiseaux chantent joliment. Tu marches comme si tu

allais à l’école, alors que tout est si beau, ici, dans la forêt ! »

Le petit Chaperon Rouge ouvrit les yeux et lorsqu’elle vit comment les rayons du soleil dansaient de-

ci, de-là à travers les arbres, et combien tout était plein de fleurs, elle pensa : « Si j’apportais à ma grand-

mère un beau bouquet de fleurs, ça lui ferait bien plaisir. Il est encore si tôt que j’arriverai bien à

l’heure. »

Elle quitta le chemin, pénétra dans le bois et cueillit des fleurs. Et, chaque fois qu’elle en avait cueilli

une, elle se disait : « Plus loin, j’en vois une plus belle » ; et elle y allait et s’enfonçait toujours plus

profondément dans la forêt. Le Loup, lui, courait tout droit vers la maison de la grand-mère. Il frappa à la

porte.

« Qui est là ?

− C’est le petit Chaperon Rouge qui t’apporte du gâteau et du vin.

− Tire la chevillette, dit la grand-mère. Je suis trop faible et ne peux me lever. » Le Loup tire la

chevillette, la porte s’ouvre et sans dire un mot, il s’approche du lit de la grand-mère et l’avale. Il enfile

ses habits, met sa coiffe, se couche dans son lit et tire les rideaux.

Pendant ce temps, le petit Chaperon Rouge avait fait la chasse aux fleurs. Lorsque la fillette en eut

tant qu’elle pouvait à peine les porter, elle se souvint soudain de sa grand-mère et reprit la route pour se

rendre auprès d’elle. Elle fut très étonnée de voir la porte ouverte. Et lorsqu’elle entra dans la chambre,

cela lui sembla si curieux qu’elle se dit : « Mon Dieu, comme je suis craintive aujourd’hui. Et,

cependant, d’habitude, je suis si contente d’être auprès de ma grand-mère ! » Elle s’écria : « Bonjour ! »

Mais nulle réponse. Elle s’approcha du lit et tira les rideaux. La grand-mère y était couchée, sa coiffe

tirée très bas sur son visage. Elle avait l’air bizarre. « Oh ! grand-mère, comme tu as de grandes oreilles.

− C’est pour mieux t’entendre...

− Oh ! grand-mère, comme tu as de grands yeux !

− C’est pour mieux te voir !

− Oh ! grand-mère, comme tu as de grandes mains !

165

− C’est pour mieux t’étreindre...

− Mais, grand-mère, comme tu as une horrible et grande bouche !

− C’est pour mieux te manger ! »

À peine le Loup eut-il prononcé ces mots, qu’il bondit du lit et avala le pauvre petit Chaperon Rouge.

Lorsque le Loup eut apaisé sa faim, il se recoucha, s’endormit et commença à ronfler bruyamment.

Un chasseur passait justement devant la maison. Il se dit : « Comme cette vieille femme ronfle ! Il faut

que je voie si elle a besoin de quelque chose. » Il entre dans la chambre et quand il arrive devant le lit, il

voit que c’est un Loup qui y est couché.

« Ah ! c’est toi, bandit ! dit-il. Voilà bien longtemps que je te cherche... »

Il se prépare à faire feu lorsque tout à coup l’idée lui vient que le Loup pourrait bien avoir avalé la

grand-mère et qu’il serait peut-être encore possible de la sauver. Il ne tire pas, mais prend des ciseaux et

commence à ouvrir le ventre du Loup endormi. À peine avait-il donné quelques coups de ciseaux qu’il

aperçoit le Chaperon Rouge. Quelques coups encore et la voilà qui sort du Loup et dit : « Ah ! comme

j’ai eu peur ! Comme il faisait sombre dans le ventre du Loup ! » Et voilà que la grand-mère sort à son

tour, pouvant à peine respirer. Le petit Chaperon Rouge se hâte de chercher de grosses pierres. Ils en

remplissent le ventre du Loup. Lorsque celui-ci se réveilla, il voulut s’enfuir. Mais les pierres étaient si

lourdes qu’il s’écrasa par terre et mourut.

Ils étaient bien contents tous les trois : le chasseur dépouilla le Loup et l’emporta chez lui. La grand-

mère mangea le gâteau et but le vin que le petit Chaperon Rouge avait apportés. Elle s’en trouva toute

ragaillardie. Le petit Chaperon Rouge cependant pensait : « Je ne quitterai plus jamais mon chemin pour

aller me promener dans la forêt, quand ma maman me l’aura interdit. »

Jacob et Wihelm Grimm,

Contes de l’enfance et du foyer, 1812.

(Contes merveilleux, traduit de l’allemand par Janine Boissard,

Paris, Librairie Générale Française, « Le livre de poche », 1987, p. 69-73)

Suite du conte, proposée dans certaines éditions :

On raconte encore qu’une autre fois, quand le Petit Chaperon rouge apportait de nouveau de la

galette à sa vieille grand-mère, un autre loup essaya de la distraire et de la faire sortir du chemin. Mais

elle s’en garda bien et continua à marcher tout droit. Arrivée chez sa grand-mère, elle lui raconta bien

vite que le loup était venu à sa rencontre et qu’il lui avait souhaité le bonjour, mais qu’il l’avait regardée

avec des yeux si méchants :

Ŕ Si je n’avais pas été sur la grand-route, il m’aurait dévorée ! ajouta-t-elle.

Ŕ Viens, lui dit sa grand-mère, nous allons fermer la porte et bien la cadenasser pour qu’il ne puisse

pas entrer ici.

Peu après, le loup frappait à la porte et criait :

Ŕ Ouvre-moi, grand-mère ! c’est moi, le Petit Chaperon rouge, qui t’apporte des gâteaux !

Mais les deux gardèrent le silence et n’ouvrirent point la porte. Tête-Grise fit alors plusieurs fois le

tour de la maison à pas feutrés, et, pour finir, il sauta sur le toit, décidé à attendre jusqu’au soir, quand le

Petit Chaperon rouge sortirait, pour profiter de l’obscurité et l’engloutir. Mais la grand-mère se douta

bien de ses intentions.

Ŕ Prends le seau, mon enfant, dit-elle au Petit Chaperon rouge ; j’ai fait cuire des saucisses hier, et tu

vas porter l’eau de cuisson dans la grande auge de pierre qui est devant l’entrée de la maison.

Le Petit Chaperon rouge en porta tant et tant de seaux que, pour finir, l’auge était pleine. Alors la

bonne odeur de la saucisse vint caresser les narines du loup jusque sur le toit. Il se pencha si bien en

tendant le cou, qu’à la fin il glissa et ne put plus se retenir. Il glissa du toit et tomba droit dans l’auge de

pierre où il se noya. Allègrement, le Petit Chaperon rouge regagna sa maison, et personne ne lui fit le

moindre mal.

Jacob et Wihelm Grimm,

(Pierre Erny, Sur les traces du Petit Chaperon Rouge. Un itinéraire dans la forêt des contes, Paris,

L’Harmattan, 2003, p. 21-22)

166

Annexe 2 : version de Tony Ross

LE PETIT CHAPERON ROUGE

Raconté et illustré par Tony Ross

Traduction de Marie-Raymond Farré

p. 4 Il était une fois une petite fille aux bottes rouges qui vivait à l’orée de la forêt.

Son père, qui était bûcheron, lui avait offert une hachette.

Souvent, la petite fille l’accompagnait dans les bois et cognait, cognait contre les énormes

troncs. p. 5 Pendant ce temps, son père en profitait pour fumer tranquillement une cigarette. « Plus tard,

disait-il, tu seras une fameuse bûcheronne ! » p. 6 Le dimanche après-midi, la petite fille allait chez sa grand-mère qui habitait une chaumière au

cœur de la forêt.

Un jour, la vieille dame lui confectionna une jolie cape assortie à ses bottes. Une cape avec un

chaperon rouge ! p. 8 Pour son anniversaire, ses parents lui offrirent un beau vélo. Ah, elle avait fière allure, cette

petite fille, pédalant à travers champs, toute rouge sur son vélo rouge !

« Attention aux terriers ! » criait son père. p. 10 « Attention à nos petits ! » glapissaient les lièvres.

Mais elle filait si vite qu’on ne voyait d’elle que son chaperon. Et c’est ainsi qu’on la surnomma

le Petit Chaperon rouge.

Un bon dimanche d’été, le Petit Chaperon rouge se préparait pour aller voir sa grand-mère.

« Prends ce cabas, lui dit sa mère. Je l’ai rempli de bonnes choses, des tartes croustillantes, des

chocolats fondants et une bouteille de bière. » p. 11 Le Petit Chaperon rouge se mit en route.

« Au revoir, petite ! crièrent ses parents. Va, cours, vol, droit chez ta mère-grand !

Mais en chemin, la petite fille sautillait et sifflotait sans se presser. p. 12 Soudain, elle aperçut un énorme chien qui dormait profondément sous un arbre. L’énorme chien

était en vérité un loup mais le Petit Chaperon rouge n’en savait rien. Pour s’amuser, elle se mit à

lui chatouiller le nez avec une brindille. p. 14 Le loup ouvrit un petit œil en vrille.

« Quelle chance ! songea le loup qui était mort de faim, le Petit Chaperon rouge ! »

« Où vas-tu, ma belle enfant ? dit-il à haute voix.

Ŕ Chez mère-grand, au cœur de la forêt, répondit le Petit Chaperon rouge.

Ŕ Et qu’y a-t-il, dans ton cabas ? demanda le loup.

Ŕ Des tartes croustillantes, des chocolats fondants et une bouteille de bière.

Ŕ Quel lourd fardeau pour tes maigres épaules ! reprit le perfide p. 15 animal. Repose-toi donc un moment. »

Le soleil brillait… et la proposition du loup était bien tentante. Le Petit Chaperon rouge s’assit

sur un tronc d’arbre et se mit à tresser des guirlandes de pâquerettes. p. 16 Le loup s’éclipsa en un clin d’œil. Il courut, courut jusqu’au cœur de la forêt.

« D’abord, je croque mère-grand, songeait-il, puis le Petit Chaperon rouge, et je termine par les

tartes et les chocolats fondants. » p. 18 Le loup sonna à la porte de la chaumière.

La grand-mère venait juste de s’installer devant la télévision pour regarder son feuilleton

préféré.

« Qui est là ? » marmonna-t-elle, furieuse d’être dérangée.

Le loup fourra son museau dans la boîte aux lettres et murmura d’une petite voix de souris : p. 19 « C’est moi, le Petit Chaperon rouge ! »

Le visage de mère-grand s’illumina.

« Entre donc, mon enfant ! » s’écria-t-elle. p. 20 Le loup se précipita sur la vieille dame et n’en fit qu’une bouchée. Une petite bouchée car

grand-mère n’était pas bien grosse. Puis le loup grimpa dans la chambre, au premier étage.

167

Il enfonça un bonnet de dentelles sur ses oreilles, enfila une chemise de nuit rose et se glissa au

lit.

En apercevant son reflet dans le miroir, il se dit en riant qu’il ne ressemblait guère à une grand-

mère… p. 21 Alors il éteignit la lumière et attendit le Petit Chaperon rouge. p. 22 Le soleil se couchait lorsque la petite fille sonna à la porte.

« Entre donc, mon enfant ! cria le loup en imitant la voix de l’aïeule. Je suis couchée ! »

Le Petit Chaperon rouge trottina jusqu’à la chambre et sauta sur le lit.

Le loup essayait bien de cacher son museau poilu mais une oreille dépassait de son bonnet. p. 23 « Oh, mère-grand ! s’écria la petite fille. Comme tu as de grandes oreilles !

Ŕ C’est pour mieux entendre, mon enfant ! » marmonna le loup. p. 24 Le Petit Chaperon rouge regarda sa grand-mère dans le blanc des yeux.

« Et comme tu as de grands yeux !

Ŕ C’est pour mieux voir, mon enfant ! » grommela le loup. p. 25 Alors, le Petit Chaperon rouge saisit la patte du loup.

« Oh, mère-grand, comme tu as de grosses mains !

Ŕ C’est pour mieux embrasser, mon enfant ! » gronda le loup. Ses canines étincelèrent.

« Et… et… comme tu as de grandes dents ! bredouilla la petite fille. p. 26 Ŕ C’est pour te manger, mon enfant ! » hurla le loup.

D’un bond, il se jeta sur le Petit Chaperon rouge et n’en fit qu’une bouchée. p. 27 Puis il avala les tartes croustillantes, les chocolats fondants et vida la bouteille de bière. p. 28 Le loup descendit au rez-de-chaussée en titubant puis s’écroula, la panse pleine. p. 29 Le bûcheron, inquiet de ne pas voir revenir sa fille, était parti la chercher dans les bois.

Sa cognée à l’épaule, il marchait à grands pas. p. 30 Le bûcheron glissa un coup d’œil par la porte entrouverte de la chaumière. Il découvrit le loup

qui ronflait par terre, le ventre en l’air.

En voyant son énorme ventre, le bûcheron comprit tout. Et pan ! il assomma le loup. p. 31 Puis il attrapa l’animal par les pattes et le secoua vigoureusement. Le Petit Chaperon rouge et

mère-grand sortirent de la gueule du loup, saines et sauves ! p. 32 Le loup fut bien étonné, à son réveil. Mère-grand et le Petit Chaperon rouge le bombardaient de

projectiles. p. 33 Elles qu’il venait juste de croquer ! Et les animaux s’étaient mis de la partie car il n’était guère

leur ami ! p. 34 Le bûcheron ramena le Petit Chaperon rouge et mère-grand à la maison. La mère leur prépara

un succulent souper pour les réconforter.

Le loup quitta le pays où il avait de trop cuisants souvenirs. Il décida, dorénavant, de ne plus

manger personne et devint végétarien…

Depuis, il cultive son jardin.

Tony Ross

© Gallimard, « Folio Benjamin », 1980.

168

Annexe 3 : notre version

En prolongement de notre étude théorique, nous avons été tenté d’inventer notre propre Petit Chaperon rouge.

Cette expérience nous montre que le plaisir de l’écriture est tout aussi intense que le plaisir de la lecture. Notre

prétention n’est pas ici de rivaliser avec les grands auteurs, mais simplement de nous amuser, nous aussi, à jouer

avec les codes et à renverser les stéréotypes.

PCR COMPANY

Il était une fois une vieille grand-mère qui vivait au fin fond d’une forêt. Tout le monde l’appelait

Mamie Charlotte. Elle avait les cheveux blancs tirés en chignon serré. Pourtant, ce n’était pas une grand-

mère comme les autres. Loin de là. Mamie Charlotte ne s’était jamais enfermée dans sa cuisine les après-

midi d’été pour y confectionner des confitures. Elle n’avait jamais non plus rempli de sucreries les

poches de ses petits-enfants en leur murmurant à l’oreille « Surtout, ne le dites pas à votre mère ! » À

vrai dire, peu importait à Mamie Charlotte de ressembler à une grand-mère vraie de vraie.

Mamie Charlotte n’avait qu’une obsession : écrire des histoires. Toutes sortes d’histoires. Des

histoires avec des tueurs en série dissimulant les cadavres de leurs victimes pour échapper aux

enquêteurs les plus perspicaces. Des histoires avec de jolies jeunes filles amoureuses séduites par de

mystérieux aventuriers. Des histoires avec des chevaliers partant à la conquête des mondes inconnus. Des

histoires qui faisaient trembler, pleurer, rire et puis aussi rêver. Bref des histoires qui savaient tenir en

haleine leurs lecteurs comme jamais aucun récit n’aurait mieux su le faire.

Le talent de Mamie Charlotte n’avait pas trompé son public. Dès ses premières publications elle était

devenue un auteur à succès Ŕ un écrivain à best sellers comme ils disaient dans les journaux. Ses livres

étaient traduits dans toutes les langues de la planète et on avait lu à tous les enfants du monde au moins

une de ses histoires. Les livres qu’elle avait publiés s’entassaient sur les étagères de sa petite maison. Il y

en avait tant qu’elle avait dû en disposer dans les placards de sa cuisine, là où, justement, on se serait

attendu à trouver des pots de confiture si elle avait été une grand-mère ordinaire.

Le succès de Mamie Charlotte était si grand qu’il avait même éclipsé celui d’un de ses lointains

ancêtres, M. Charles Perrault. Ce Perrault avait, autrefois, disait-on, écrit des contes qui étaient si fameux

qu’ils avaient pendant des siècles portés son nom sur les couvertures des livres pour enfants. Mais

aujourd’hui, plus personne ne se souvenait de ce nom. En fait, sans exagérer, Mamie Charlotte était

certainement le plus grand écrivain de tous les temps.

Seulement voilà : un écrivain qui n’écrit plus est-il encore un écrivain ? Car c’est ce qui arrivait à

Mamie Charlotte depuis quelques mois. Elle était à court d’inspiration. Le matin, elle s’asseyait à son

bureau, y déposait une feuille blanche immaculée et dégainait son plus beau stylo, et… et rien ! Rien ne

venait. Aucune idée, rien. La matinée égrainait ses heures et Mamie Charlotte attendait que des phrases

inspirées viennent se dérouler sous sa plume. Mais son imagination tournait à vide et rien ne sortait de

son esprit : aucun héros fabuleux combattant les Forces Maléfiques, aucun prince charmant galopant sur

un blanc cheval pour venir sauver une Belle, aucune fée mystérieuse n’ayant le désir de jeter de

magiques sorts sur un crapaud joufflu. Pour une raison incompréhensible, Mamie Charlotte avait perdu

sa riche imagination et n’était plus capable d’écrire la moindre ligne. Elle avait beau tourner et tourner

les mots dans sa tête, rien n’en sortait. Pour se donner du courage, elle écrivait sur sa feuille blanche « Il

était une fois ». Mais elle ne parvenait jamais à finir sa phrase et à construire une histoire derrière cette

formule magique qui, jusque là, avait su se montrer à la hauteur des débuts prometteurs de ses contes les

plus célèbres.

Est-ce le temps qui, en passant, tarit les sources les plus prolifiques ? Est-ce la vieillesse qui, déjà,

était venue tourmenter l’esprit jusque là si fertile de Mamie Charlotte ? Quoi qu’il en soit, depuis

plusieurs mois, Mamie Charlotte ne parvenait plus à écrire une seule ligne.

Un matin, alors que Mamie Charlotte prenait son petit déjeuner devant le journal, une petite annonce,

inscrite en fines lettres entre deux publicités accrocheuses, attira son attention. L’annonce était ainsi

rédigée :

169

Écrivains, romanciers, conteurs !

Vous êtes à court d’inspiration ? Contactez PCR Company

immédiatement : les Professionnels des Conseils aux Romanciers

viendront jusqu’à vous pour réanimer votre plume !

Suivait un numéro de téléphone.

Sans réfléchir, Mamie Charlotte se précipita sur son téléphone, le cœur empli d’espoir. Elle ignorait

tout de cette mystérieuse « PCR Company ». Mais elle avait été si désespérée ces dernières semaines

devant sa feuille blanche qu’elle était prête à tout pour qu’enfin l’inspiration lui revienne et qu’elle puisse

à nouveau retrouver son imagination si prolifique par le passé.

Mamie Charlotte composa fébrilement les dix numéros de son correspondant. Au bout de la

quatrième sonnerie, on décrocha enfin.

Ŕ PCR Company, la compagnie des Professionnels des Conseils aux Romanciers, bonjour ! répondit

à l’autre bout du fil une voix féminine pleine d’assurance.

Mamie Charlotte était bien moins sûre d’elle. Elle bredouilla :

Ŕ Euh, oui, il paraît que vous aidez les romanciers à court d’inspiration…

Ŕ En effet, Madame ! Nous sommes les spécialistes du conseil littéraire et venons au secours des

écrivains en panne d’inspiration. Nous avons ainsi secouru des tas de romanciers en détresse et plus d’un,

grâce à nous, a réussi à obtenir un prix littéraire convoité. Que puis-je faire pour vous, Madame ?

Le cœur battant, Mamie Charlotte expliqua sa situation en quelques mots. La voix au téléphone ne

lui laissa pas même le temps de finir :

Ŕ Vous avez composé le bon numéro, Madame ! Nous proposons à nos clients des offres spéciales,

utilisables immédiatement dès leur livraison. Nous avons toute une gamme de packs : pack Science-

fiction, pack Thriller, pack Contes de fées…

Ŕ Ah oui, c’est le pack Contes de fées que je veux ! s’écria Mamie Charlotte sans laisser à son

interlocutrice l’occasion de continuer à faire l’article.

Ŕ Vous avez fait un bon choix, Madame. Cette offre est la meilleure. Nous avons ce modèle en deux

options : option « Ogres et Géants » ou option « Loups et Forêts ». Avez-vous une préférence ?

Mamie Charlotte hésitait. Elle n’avait pas l’habitude de choisir ainsi les idées de ses romans sur

catalogue. Prise de court, elle finit par choisir la seconde option Ŕ « Loups et Forêts ».

Dès le choix effectué, la voix au téléphone expliqua les modalités de la livraison :

Ŕ Nous assurons la livraison à domicile en moins de 24 heures chrono. Avec un supplément minime,

vous pouvez bénéficier du service express qui vous garantit une livraison en moins d’une heure. Où

habitez-vous ?

Ŕ 10 chemin des Aiguilles.

Ŕ Ah mais ça tombe bien Madame ! C’est ma fille qui assure les livraisons dans ce secteur et elle se

trouve justement en ce moment même chez un client, à deux pas de chez vous, chemin des Épingles. Elle

peut être chez vous d’ici dix minutes. Vous la reconnaîtrez facilement : elle porte l’uniforme de la PCR

Company, tout en rouge.

Ŕ D’accord, je l’attends !

Ŕ Ah, un dernier mot ! Ne vous étonnez pas si ma fille porte avec elle un panier avec un petit pot de

beurre et une galette. Nous assurons également les services de livraison de pâtisseries en tout genre…

Vous savez ce que c’est, aujourd’hui, à l’heure de la mondialisation, il faut diversifier son offre quand on

est commerçant, pour pouvoir survivre…

Les considérations mercantiles de son interlocutrice intéressaient peu Mamie Charlotte. Elle tenta de

mettre fin à la conversation. Mais la dame de la PCR Company était une excellente vendeuse :

Ŕ Souhaitez-vous en profiter pour commander un petit pot de beurre ? Nous faisons des petits pots de

beurre allégé, avec 0 % de matières grasses, mais riche en Oméga 3, 4 et 6. Le tout pour seulement

29,99 € ! C’est une offre promotionnelle à ne pas manquer !

Mamie Charlotte maugréa qu’elle était d’accord, plus pour accélérer le boniment commercial de la

vendeuse que par réelle gourmandise, et elle se mit à attendre la livraison promise.

Mamie Charlotte n’eut pas beaucoup à attendre. Quelques minutes après avoir raccroché le combiné

téléphonique, on sonna à la porte.

Ŕ Tirez la chevillette et la bobinette cherra ! cria Mamie Charlotte depuis son bureau. La maison de

Mamie Charlotte n’était pas très moderne et elle avait encore un système de sonnerie à l’ancienne.

170

Une jeune fille déboula dans la petite maison de Mamie Charlotte. Pantalon rouge, tee-shirt rouge,

chaussures (et chaussettes) rouges. Difficile de ne pas s’apercevoir que la couleur d’identification de la

PCR Company était le rouge !

Ŕ PCR Company ! Livraison express ! Livraison express ! s’exclama la jeune livreuse sans même

dire bonjour ni se présenter.

Le visage de la jeune fille (qui répondait au nom de Rosine) était encadré par deux longues nattes

blondes. Un petit sourire ironique s’affichait sur ses lèvres, ce qui lui donnait un air doucement espiègle.

Ŕ Alors Mamie, t’as commandé le pack « Loups et Forêts » ? T’es prête pour la livraison ?

La familiarité dont faisait preuve la jeune fille n’échappa pas à Mamie Charlotte qui, en temps

ordinaire, était toujours la première à rouspéter contre les insolences irrespectueuses de la jeunesse. Mais

Mamie Charlotte attendait trop de cette visite pour qu’elle puisse penser à infliger à son hôte des leçons

de bonnes manières.

Rosine portait à son bras un lourd panier d’osier qu’elle avait hâte de poser.

Ŕ Ça te dérange pas Mamie si je m’installe sur ton bureau ?

Sans attendre la réponse, la jeune fille poussa les quelques livres qui recouvrait le grand bureau de

Mamie Charlotte, y déposa à la place son panier et, sur le seul coin qui restait libre, s’assit

confortablement en croisant les jambes.

Ŕ On peut y aller ? dit-elle dans une question qui ressemblait plutôt à un ordre.

Mamie Charlotte, un peu perdue, murmura timidement :

Ŕ Euh, je me mets où, moi ?

Rosine haussa les épaules, excédée :

Ŕ Ben fous toi derrière ton bureau voyons ! Là, tu vois, y reste de la place ! N’oublie pas que je suis

là pour que tu te mettes à écrire. Je ne vais pas tout faire à ta place quand même ! Prends une feuille

blanche, un crayon et tiens-toi prête !

Prête à quoi ? Mamie Charlotte l’ignorait. À vrai dire, elle était complètement perdue. D’habitude,

lorsqu’elle écrivait, elle s’enfermait dans son bureau, ne supportait aucune présence, et hurlait dès qu’elle

entendait le moindre bruit venant la déranger dans son inspiration. Écrire sous la commande impérieuse

d’une gamine insolente était pour elle une expérience surréaliste. Mais docilement, Mamie Charlotte

s’assit sur son grand fauteuil et cala sur l’espace du bureau une feuille vierge qui se glissa sous un bout

des fesses de Rosine. Car la jeune fille déjà prenait ses aises et s’étalait négligemment sur le bureau de

Mamie Charlotte.

Rosine farfouilla dans son panier. Elle en sortit un tas de petits cailloux qu’elle s’apprêta à déposer

sur la feuille blanche de la grand-mère.

Ŕ Ah, mais je suis bête, c’est pas le pack « Ogres et Géants » que t’as demandé, n’est-ce pas ? Alors,

les maudits cailloux du Poucet, on s’en fiche !

Rosine envoya valdinguer à l’autre bout de la pièce les cailloux qui roulèrent jusqu’à la cuisine. Elle

se remit à fouiller dans son sac. Elle en sortit une peau d’âne et un moule à gâteau qui subirent le même

sort que le tas de cailloux, et cria « aïe ! » en se piquant le bout du doigt avec un fuseau pointu, tandis

qu’une petite grenouille verte profitait du tremblement de terre qui remuait tout le panier pour s’en

échapper discrètement.

Ŕ Ah là là, faudrait mettre un peu d’ordre là dedans ! rouspéta-t-elle après elle-même.

Enfin, tout à coup, son regard s’illumina. Elle brandit un petit chapeau tout rouge et s’écria :

Ŕ Ça y est, j’ai réussi à mettre la main dessus !

Rosine posa le petit capuchon rouge sur sa tête et prit brusquement une apparence sérieuse,

ressemblant à celle d’une institutrice ultra sévère.

Ŕ Alors Mamie, je dicte. Écoute-bien et écris ! affirma la jeune fille, en prenant un ton assuré. Puis,

comme une maîtresse à l’école, elle commença la dictée, récitant lentement et séparant chaque syllabe

pour mieux suivre le rythme d’écriture :

Ŕ Il é-tait u-neu fois… u-neu peu-ti-teu fi-lleu qui s’ap-peu-lêêê leu Pe-tit Cha-peu-rond rou-geu et

qui é-tait fol-leu… Voilà, tu y es ? poursuivit Rosine, en reprenant sa voix normale.

Mamie Charlotte, qui soudain se croyait revenue soixante-dix ans en arrière au temps de sa prime

jeunesse, écrivait scrupuleusement les mots de Rosine, sans oser rien dire. On voyait même un bout de sa

langue dépasser de ses lèvres, tant elle s’appliquait avec soin à la dictée. Comme Rosine avait fini sa

phrase, la vieille dame tenait le stylo en l’air, attendant la suite. Mais la suite ne venait pas. Rosine avait

quitté son air docte et repris ses manières de petite peste :

Ŕ Eh, mais Mamie, je vais pas tout te mâcher le travail ! Maintenant, c’est à toi ! Je t’ai donné le

début, à toi de continuer ! À la PCR Company, on respecte la personnalité des auteurs et on les aide à

171

écrire, on ne leur offre pas sur un plateau des textes tout faits. Je suis là pour t’inspirer, pas pour que tu

pompes mes phrases !

Comme prise en faute, Mamie Charlotte baissa la tête. Elle relut plusieurs fois la phrase que lui avait

dictée Rosine. « Il était une fois une petite fille qui s’appelait le Petit Chaperon rouge et qui était

folle… » Le Petit Chaperon rouge, le Petit Chaperon rouge… ce nom-là disait quelque chose à Mamie

Charlotte. Mais impossible de se souvenir d’où ça pouvait bien venir. Qu’est-ce qu’on pouvait bien dire

sur ce… sur ce comment déjà ? ah oui ! ce Petit Chaperon rouge. Rien ne venait à l’esprit de la

romancière. Aucune image, aucune idée. Rien. Non, vraiment, cette première phrase ne lui inspirait rien

du tout. Elle leva les yeux vers Rosine, qui la regardait de haut, l’air moqueur.

Ŕ Bon, Mamie, t’es vraiment un cas désespéré ! D’habitude, les écrivains qu’on aide ne sont pas

autant à sec et il leur suffit d’un petit coup de pouce. Allez, je vais t’aider un peu plus ! Regarde moi :

j’ai mis le chaperon sur la tête. On va dire que je suis le Chaperon rouge. Voilà, t’as plus qu’à décrire ce

que tu vois !

Pour se montrer plus convaincante, Rosine joint le geste à la parole. Elle sauta du bureau et se mit à

marcher dans la pièce, en tenant à bout de bras son petit panier de paille. Elle fit plusieurs fois l’aller-

retour sous le nez de Mamie Charlotte, défilant en minaudant, comme si elle était un top-modèle sur un

podium. Tout à coup, elle s’arrêta, fit un clin d’œil en direction de la grand-mère et sortit de son panier

un petit pot de beurre et une galette. Elle goûta un bout de la galette et déclama, sur un ton mécanique,

comme la mauvaise actrice d’une mauvaise pièce : « hum, c’est délicieux ! je m’en vais chez ma Mère-

Grand malade pour lui faire goûter d’un peu de ma galette au beurre ! » Puis Rosine reprit son air

habituel et alla se poser derrière l’épaule de Mamie Charlotte :

Ŕ Ben voilà, tu peux écrire ce que t’as vu ! Y’a plus qu’à !

Y’a plus qu’à, y’a plus qu’à ! Facile à dire !

Mais enfin la plume de Mamie Charlotte se dérouillait. Elle tourna la tête vers Rosine qui avait repris

sa démarche élancée devant la cheminée du salon, l’observa de la tête aux pieds avec attention et se mit à

écrire sur sa feuille tout ce qu’elle voyait devant elle. Une fois le premier mot déposé sur le papier, les

autres mots s’enchaînèrent aisément. Mamie Charlotte faisait attention à bien former chaque lettre et

s’appliquait comme une petite fille. Enfin, elle arriva à la dernière phrase : « … et la petite fille se mit en

chemin vers la maison de sa Mère-Grand ! »

Ŕ Voilà, Mademoiselle, j’ai fini !

Ŕ Ah bon, très bien, rétorqua Rosine, on peut passer à la suite alors !

Rosine se remit à fouiller avec animation au fin fond de son panier. Elle en sortit une sorcière en

plastique au nez crochu (qui faisait « pouic ! » quand on appuyait sur son balai) qu’elle envoya promener

négligemment. Trois porcelets tout roses, un petit pois et un bonhomme de pain d’épices subirent le

même sort.

Ŕ Ah, ça y est, j’ai trouvé !

Rosine tenait entre ses mains un petit loup en peluche. Un loup tout noir, avec de petites oreilles

pointues et des pattes finissant par des griffes. Mais un loup qui, avec le coton moelleux qui rembourrait

son ventre, n’avait rien de bien terrifiant. La peluche était même drôlement mignonne. On en oubliait

facilement que c’était un loup et on avait envie de la blottir dans ses bras.

Ŕ Bon, OK, je sais, mon loup ne fait pas trop vrai ! Mais depuis que Garou, notre employé loup, a

démissionné pour aller manger les brebis dans les Alpilles, on n’a pas réussi à embaucher quelqu’un

d’autre pour prendre sa place. Il paraît que Garou, dans son nouveau boulot, mange dix fois plus de chair

fraîche. Mais nous, ça ne nous arrange vraiment pas cette démission.

Mamie Charlotte prit un regard compatissant. Mais elle était bien contente que ce ne soit pas un vrai

loup. Elle avait plutôt des mauvais souvenirs de cet animal férocement carnivore.

La jeune Rosine posa le loup en peluche sur un coin du bureau de Mamie Charlotte et expliqua sa

mise en scène :

Ŕ Alors tu vois, le petit Chaperon rouge, il rencontre le loup. Ils discutent ensemble et tous les deux

ils décident de faire la course jusqu’à la maison de la grand-mère. Le loup arrive ensuite chez la mamie,

et là... Tiens, pour t’aider à décrire l’épisode de la course du loup, je peux te passer le DVD de l’épreuve

de course à pied des derniers Jeux Olympiques, si tu veux.

Ŕ Euh, non, marmonna Mamie Charlotte, ce ne sera pas nécessaire !

Mamie Charlotte avait compris le principe et arrivait désormais à imaginer aisément la scène. Elle

reprit sa plume et dessina les mots sur sa feuille :

« … Le Loup se met à courir de toute sa force par le chemin le plus court. Il ne met pas

longtemps à arriver à la maison de la Mère-grand et tape à la porte : Toc, toc.

172

− Qui est là ?

− C’est votre fille, le petit chaperon rouge (dit le Loup en contrefaisant sa voix) qui vous apporte

une galette et un petit pot de beurre que ma Mère vous envoie.

La bonne Mère-grand lui crie : « Tire la chevillette, la bobinette cherra. »

Le Loup tire la chevillette, et la porte s’ouvre… »

Mamie Charlotte en était très exactement arrivée à cette phrase de son récit, quand soudain…

Soudain…

Soudain, un énorme loup sortit de la page sur laquelle Mamie Charlotte écrivait. Quand je dis

« énorme », c’est vraiment « énorme » : rien à voir avec le loup en peluche de Rosine. De longs crocs

pointus, un regard noir perçant, des griffes aussi coupantes que des couteaux. Le loup qu’avait créé

Mamie Charlotte dans son histoire était particulièrement horrible à voir. Mais Mamie Charlotte n’eut pas

l’occasion de le regarder bien longtemps : en moins de temps qu’il ne faut pour prendre peur, l’animal

avait déjà croqué la vieille dame.

Disparue, Mamie Charlotte. Disparue dans le ventre du loup qu’elle avait elle-même imaginé.

Durant cette terrible scène, Rosine était dans la cuisine pour se préparer des tartines de beurre (sans

confiture, car elle n’en avait pas trouvée dans les placards). Lorsqu’elle revint dans le bureau, elle

aperçut l’énorme loup qui était assis sur le tapis. Il se léchait les babines avec gourmandise. Pas trop

effrayée, mais un petit peu quand même, Rosine s’adressa à l’animal :

− Oh, Loup, comme tu as de grandes pattes !

Nulle réponse ne vint. Le loup, né du papier et de l’imagination de Mamie Charlotte, n’avait pas le

pouvoir de parler. Seule Mamie Charlotte, sa créatrice, aurait pu lui permettre d’établir un dialogue avec

la fillette. Mais là où était Mamie Charlotte, elle ne pouvait plus grand-chose.

− Oh, Loup, comme tu as de grandes oreilles ! Et puis de grands yeux aussi ! Et… et de grandes

dents !

À ces mots, le loup se jeta sur la jeune fille et la dévora.

À son tour, Rosine avait disparu dans le ventre du loup. Il ne restait de Rosine plus que le chapeau

rouge qu’elle avait revêtu pour mimer l’histoire du Petit Chaperon rouge. Le petit pot de beurre entamé,

qui traînait encore sur la table de la cuisine (Rosine n’était pas une petite fille très ordonnée), était la

seconde trace de son passage dans la maison de Mamie Charlotte.

Quant au loup, il était repu. Il s’allongea sur le tapis, s’endormit et se mit à ronfler bruyamment.

Tout aurait pu en rester là, si, quelque temps plus tard, Julie et Olivier, les petits enfants de Mamie

Charlotte, n’avaient justement pas choisi ce jour-là pour rendre une visite impromptue à leur grand-mère.

Les deux enfants revenaient d’un safari au Kenya, où ils avaient chassé avec leurs parents des animaux

sauvages, bien plus horribles encore que le loup.

En arrivant devant la maison de la vieille dame, Julie s’écria, étonnée :

− Tiens, c’est bizarre, la porte est ouverte !

Olivier et Julie entrèrent dans la maison.

− Mamie ! Mamie ! C’est nous, où es-tu ? Nous sommes revenus de voyage !

Mais Mamie Charlotte était introuvable.

− Tu as vu, il y a un pot de beurre ouvert dans la cuisine ! s’intrigua Olivier.

− Et regarde ce bonnet rouge : je n’ai jamais vu Mamie avec ! rétorqua Julie.

Tournant la tête vers le tapis, devant la cheminée, les deux enfants eurent un geste d’effroi. Là,

tranquillement, dormait un énorme loup, au ventre rebondi et aux babines encore souillées de sang.

Olivier, qui était toujours très galant envers sa sœur, se mit devant Julie pour la protéger. Mais le

loup dormait si profondément qu’il était bien loin de faire le moindre geste agressif. Les deux enfants se

calmèrent et se mirent à réfléchir. Mille questions fusaient : d’où venait ce loup ? pourquoi dormait-il

dans le salon ? à qui appartenait le chapeau rouge ? Et surtout : où était Mamie ?

Olivier, qui aimait bien jouer les détectives, s’assit au bureau de Mamie Charlotte et prit un air savant

pour déchiffrer tous les indices qu’il avait repérés dans la maison.

− Voyons, voyons, un petit pot de beurre, un chapeau rouge, un loup… Qu’a-t-il bien pu se passer ?

L’enfant avait bien du mal à interpréter tous ces indices qui lui semblaient sans lien les uns avec les

autres.

Mais Julie, qui avait continué d’observer avec attention la pièce, trouva sur le bureau la feuille sur

laquelle Mamie Charlotte avait commencé son histoire. D’habitude, Mamie Charlotte ne laissait jamais

personne lire une histoire qu’elle n’avait pas encore achevée. Mais Julie avait bien conscience que la

173

situation était exceptionnelle et que sa grand-mère lui pardonnerait bien cette indiscrétion. Elle déchiffra

donc l’écriture fine de sa grand-mère.

− Regarde, Olivier ! Quand elle a disparu, Mamie était en train de raconter une histoire avec une

grand-mère, une fillette à chaperon rouge et un loup. Là, lis la dernière phrase : « Le Loup tire la

chevillette, et la porte s’ouvre… » Tu crois que… ?

Julie n’acheva pas sa phrase et fondit en larmes.

Olivier avait compris la supposition de sa sœur. Il regarda l’énorme ventre du loup et se dit que Julie

avait sûrement raison : Mamie Charlotte avait été dévorée par le loup !

Olivier, qui était très courageux, s’élança dans la cuisine, en ramena une longue paire de ciseaux et

se dirigea vers le loup. Mais avez-vous déjà essayé d’ouvrir le ventre d’un loup qui pèse une tonne ? Il

fallait le mettre sur le dos, pour avoir accès à son ventre, mais c’était impossible pour le petit garçon, tant

l’animal était gros. Comment faire alors pour sauver Mamie Charlotte ?

Julie, bien que moins valeureuse que son frère, était très réfléchie. Elle expliqua à Olivier :

− Si le loup est sorti de l’histoire de Mamie, il doit pouvoir y entrer à nouveau.

Julie poursuivit ses explications, sans tenir compte du geste d’impatience de son frère :

− Si on écrit la suite de l’histoire et que dans l’histoire on tue le loup, on devrait pouvoir arriver à

sauver Mamie !

− Tu crois ? Mais vas-y toi alors ! Moi, je ne suis pas très bon en orthographe !

Aussitôt, Julie poussa son frère du bureau et s’assit à sa place sur le grand fauteuil de Mamie

Charlotte. Elle se pencha sur la feuille de papier et se mit à écrire avec application :

« Olivier et Julie passaient justement devant la maison. Ils entrèrent chez Mamie Charlotte et

virent le Loup, couché sur le tapis. Ils prirent des ciseaux et commencèrent à ouvrir le ventre de

l’animal endormi. À peine avaient-ils donné quelques coups de ciseaux qu’ils aperçurent Mamie

Charlotte. Quelques coups encore et la voilà qui sort du Loup… »

À peine Julie avait-elle écrit ces mots que soudain le papier se mit à trembler. Quelques secondes

plus tard, Mamie Charlotte se trouvait assise sur le bureau. Elle était plutôt mécontente et se frottait le

dos douloureusement :

− Ah, comme on était serré dans cette feuille de papier ! Ce n’est vraiment pas bien confortable ! Et

puis il y fait tout blanc, si bien qu’on ne distingue rien !

Les enfants n’eurent pas même l’idée de s’étonner de la réapparition de leur grand-mère tant ils

étaient contents de la revoir :

− Ah, Mamie ! Comme on a eu peur ! On croyait que tu avais été mangée par le loup…

Olivier tourna la tête vers la cheminée. Mais il n’y avait plus de loup ! Plus aucune trace de l’animal

qui était affalé sur le tapis quelques instants plus tôt !

Mamie Charlotte, qui avait repris ses esprits, expliqua ce qui s’était passé :

− Je crois que j’y suis allée un peu fort dans mon portrait du loup de mon histoire. L’animal était

décrit avec tant de précision qu’il s’est mis à prendre vie et qu’il m’a dévorée !

Mamie Charlotte était un peu embarrassée. N’oubliant pas qu’elle s’adressait à des enfants, elle les

conseilla :

− Il faut être prudents, les enfants, quand on a un stylo dans les mains. Parfois les mots peuvent

devenir vivants et vous attraper malgré vous. Vous savez, quelques fois, la fiction dépasse la réalité…

Mais c’est la faute de cette petite écervelée aussi ! Rosine… Rosine ! Où est Rosine ?

Les enfants ne voyaient pas du tout de qui leur grand-mère voulait parler. Un moment, ils crurent que

son séjour prolongé dans la fiction de papier l’avait rendue folle. Mais Mamie Charlotte, au contraire,

avait toute sa tête.

− Bon, ce n’est pas qu’elle le mérite, cette petite insolente ! Mais ce ne serait pas très sympa de la

laisser là où elle est. Je vais voir ce que je peux faire pour cette petite Rosine…

Mamie Charlotte s’assit de nouveau à son bureau et dégaina le stylo. Sur le papier, elle posa les mots

suivants :

« Le ventre du loup était toujours ouvert. Alors, la fillette, se dit qu’elle ferait bien mieux de

sortir elle aussi du ventre du loup. »

Le stylo en l’air, Mamie Charlotte prit quelques instants pour réfléchir. Un sourire s’afficha sur ses

lèvres. « Allez, j’ose... Au moins, elle deviendra plus sage ! » se dit-elle malicieusement.

Et c’est avec une jubilation non dissimulée, que Mamie Charlotte écrivit la conclusion de son

histoire :

174

« Rosine fit la promesse d’être désormais toujours gentille avec les vieilles dames du nom de

Mamie Charlotte, de toujours leur parler avec respect et d’être toujours à leur service. Une fois

cette résolution prise, elle enjamba la peau du ventre du loup et en sortit… »

À cet instant même, Rosine fut face aux enfants et à Mamie Charlotte. Elle était un peu troublée par

l’étrange séjour qu’elle venait de passer dans ce curieux arrière-monde qu’est une histoire. Mais elle

n’avait pas perdu de son énergie :

− Ah, je suis bien contente d’être sortie de là ! On respire mieux ici !

Par contre, la jeune fille avait bel et bien abandonné son insolence :

− Madame Mamie Charlotte, voudriez-vous une petite galette beurrée pour vous remettre de vos

émotions ? Nous pourrons ensuite reprendre votre travail d’écriture, si vous le voulez bien. Mais veuillez

vous asseoir, Madame ! Je m’occupe de tout !

Mamie Charlotte avait repris confiance en elle. En fait, elle était littéralement aux anges. Finalement,

elle se dit que l’écriture était le plus magique des pouvoirs. Pouvoir bien plus fabuleux que toutes les

potions merveilleuses des fées et des sorcières les plus douées. Une feuille de papier, un crayon, des

idées, des mots… et un monde est créé ! Avez-vous déjà essayé ?

Quoi ? Vous n’aimez pas la fin de mon histoire ? Hé bien, prenez une gomme, un crayon et réécrivez

tout ça. Vous verrez que vous aussi, il vous est donné d’avoir tous les pouvoirs !

Céline Lavignette-Ammoun

([email protected]) Été 2007.

175

TABLE DES ILLUSTRATIONS

Couverture IKHLEF, Anne / GAUTHIER, Alain (illus.), Mon Chaperon rouge, Paris, © Le Seuil, 1998. Page 1 HELD, Jacqueline et Claude, Chat botté, Chaperon rouge et compagnie, Draguignan,

© Lo Païs d’enfance, 2002. Page 11 PERRAULT, Charles / DORE, Gustave (illus.), Les Contes, Paris, Jules Hetzel, 1862.

Gravure sur bois par Adolphe-François Pannemaker. BnF, Estampes et Photographie. Page 18 PERRAULT, Charles / DORE, Gustave (illus.), Les Contes, Paris, Jules Hetzel, 1862.

Gravure sur bois par Adolphe-François Pannemaker. BnF, Estampes et Photographie. Page 29 CARRER, Chiara, Le Petit Chaperon rouge [La Bambina e il lupo], Genève, © La Joie de

lire, 2005. Page 31 IKHLEF, Anne / GAUTHIER, Alain (illus.), Mon Chaperon rouge, Paris, © Le Seuil, 1998. Page 33 LA SALLE, Bruno de/ BATIGNE, Laurence (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Paris, ©

Casterman, « Contes de toujours », 1986. Page 37 ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-

Raymond Farré, Paris, © Gallimard, « Folio Benjamin », 1980. Page 39 LACOMBE, Benjamin, Le Petit Chaperon rouge, Toulon, © Le Soleil Jeunesse, 2003. Page 55 CLEMENT, Claude / FORESTIER, Isabelle (illus.), Un petit chaperon rouge, © Grasset

Jeunesse, 2000. Page 58 PENNART de, Geoffroy, Chapeau rond rouge, Paris, © L’école des loisirs, 2005. Page 59 PEF, Contes comme la lune, Paris, © Messidore La Farandole, 1991. Page 64 POMMERAT, Joël / LERAY, Marjolaine (illus.), Le Petit Chaperon rouge, Arles, © Actes

Sud-Papiers, « Heyoka Jeunesse », 2005. Page 67 PONCELET, Béatrice, Je, le loup et moi…, Genève, © La Joie de lire, 1988. Page 73 DENDOOVEN, Gerda, Où est Maman ? © Éditions Être, Paris, 2006. Page 82 PENNART de, Geoffroy, Chapeau rond rouge, Paris, © L’école des loisirs, 2005. Page 96 BUQUET, Jean-Luc, Le Petit Chaperon rouge. La scène de la chemise de nuit, Paris,

© Autrement Jeunesse, 2006. Page 99 SOLOTAREFF, Grégoire / NADJA (illus.), Le Petit Chaperon vert, Paris, © L’école des

loisirs, « Mouche », 2000. Page 104 BRUEL, Christian / JOUAULT, Didier / CLAVELOUX, Nicole (illus.), Rouge, bien rouge,

Paris, © Le sourire qui mord, « Grands petits livres », 1986. Page 113 JOIRET, Patricia / BRUYERE, Xavier (illus.), Mina je t’aime, Paris, © L’école des loisirs,

« Pastel », 1991. Pages 123 NADJA, Chaperon rouge, collection privée, Paris, © Éditions Cornélius, 2005. Page 128

(gauche) ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-

Raymond Farré, Paris, © Gallimard, collection « Folio Benjamin », 1980. Page 128

(droite) NADJA, Chaperon rouge, collection privée, Paris, © Éditions Cornélius, 2005.

Page 139 VAN DE VENDEL, Edward / VANDENABEELE, Isabelle (illus.), Rouge Rouge Petit

Chaperon rouge [Rood Rood Roodkapje], traduit du néerlandais par Daniel Cunin, Rodez,

© Éditions du Rouergue, 2003. Page 159 ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-

Raymond Farré, Paris, © Gallimard, « Folio Benjamin », 1980. Page 163 PERRAULT, Charles, Histoires ou contes du temps passés, avec des moralités, p. 1, BNF

(Cote : BnF-Impr. microfilm R.24829). Page 167 ROSS, Tony, Le Petit Chaperon rouge [The Little Red Riding Hood], traduit par Mary-

Raymond Farré, Paris, © Gallimard, « Folio Benjamin », 1980.

176

TABLE

Sommaire ....................................................................................................................................... 3

Introduction ................................................................................................................................... 5

Première partie : les contes du petit chaperon rouge .............................................................. 11

I) Les origines du petit chaperon rouge .................................................................................... 12 A) Les versions orales ............................................................................................................... 13

1) Un type folklorique répandu ............................................................................................ 13

2) Les motifs du conte .......................................................................................................... 13

a- Le motif du chemin des Épingles et des Aiguilles ....................................................... 13

b- Le motif du repas cannibale ......................................................................................... 14

c- Le motif du strip tease et des détails scatologiques ..................................................... 15

d- Le dénouement heureux ............................................................................................... 15

3) Le récit de l’initiation à la féminité sur fond de sexe et de mort ..................................... 16

B) La version de Perrault .......................................................................................................... 17

1) Le petit chaperon rouge fait son entrée en littérature ...................................................... 17

2) Une version expurgée ...................................................................................................... 18

3) Un conte d’avertissement pour les enfants ...................................................................... 19

C) La version des Grimm .......................................................................................................... 21

1) Rotkäppchen ou le petit chaperon rouge allemand .......................................................... 21

2) Le travail de réécriture des frères Grimm ........................................................................ 22

3) Un « happy end chirurgical » ........................................................................................... 23

II) Les versions du Petit Chaperon rouge reprises aujourd’hui .............................................. 27 A) La rareté des reprises des versions orales ............................................................................ 27

1) Raisons d’une raréfaction ................................................................................................ 27

2) Motivations du choix de la version orale ......................................................................... 28

3) Ambiguïté tragique des textes .......................................................................................... 31

B) La disparition de Perrault et le triomphe des Grimm ........................................................... 34

1) Les Grimm préférés à Perrault ......................................................................................... 34

2) Un exemple de reprise : Tony Ross ................................................................................. 35

C) L’oubli des versions originelles : une réécriture du souvenir .............................................. 38

1) L’héritage culturel ............................................................................................................ 38

2) L’appropriation des textes et du souvenir ........................................................................ 39

III) L’actualité des petits chaperons rouges ............................................................................. 41 A) État des lieux de l’offre éditoriale ........................................................................................ 41

1) Les anciens côtoient les modernes : le cas du loup .......................................................... 41

2) Les différents types de réécritures : de l’adaptation à la réappropriation ........................ 44

B) La constitution de l’effet d’attente par le paratexte.............................................................. 47

1) Les titres ........................................................................................................................... 47

2) Les dédicaces ................................................................................................................... 49

3) Les préfaces et les postfaces ............................................................................................ 51

177

Deuxième partie : les mutations du petit chaperon rouge ....................................................... 55

I) Le genre .................................................................................................................................... 56 A) Le respect de la forme d’origine : le conte .......................................................................... 57

1) Le conte traditionnel ........................................................................................................ 57

2) Un conte modernisé ? ...................................................................................................... 58

B) La réécriture dans un autre genre ......................................................................................... 60

1) Transpositions romanesques ............................................................................................ 60

2) Transpositions théâtrales .................................................................................................. 62

3) Transpositions poétiques .................................................................................................. 65

C) L’enrichissement du texte par des systèmes narratifs iconiques .......................................... 66

1) Le texte enrichi par l’image ............................................................................................. 66

2) L’image sans le texte ....................................................................................................... 69

II) L’histoire ................................................................................................................................ 70 A) L’intrigue ............................................................................................................................. 70

1) Le schéma quinaire du conte d’origine ............................................................................ 70

2) Les ruptures du schéma originaire dans les textes contemporains .................................. 71

B) Les personnages ................................................................................................................... 74

1) Des personnages qui pré-existent aux textes ................................................................... 74

2) La transformation du stéréotype en personnage .............................................................. 77

3) Le renversement des stéréotypes ..................................................................................... 79

C) Les décors et le temps de l’histoire ...................................................................................... 80

1) Indétermination du temps et de l’espace dans le conte d’origine .................................... 80

2) Modernisations et anachronismes .................................................................................... 81

3) Effets de la transdiégétisation .......................................................................................... 84

III) Le récit ................................................................................................................................... 85 A) La focalisation ...................................................................................................................... 86

1) Récurrences du choix d’un narrateur omniscient ............................................................ 86

2) Variations des points de vue ............................................................................................ 87

B) Les figures du narrateur ....................................................................................................... 90

1) Un narrateur en retrait dans les textes-sources ................................................................ 90

2) Les interventions du narrateur dans les textes contemporains ......................................... 92

3) Le brouillage des instances narratives ............................................................................. 94

C) La vitesse du récit ................................................................................................................. 96

1) Le rythme de la narration dans le conte-source ............................................................... 96

2) Les variations du tempo originel dans les textes contemporains ..................................... 97

Troisième partie : la réception du petit chaperon rouge ....................................................... 101

I) La lecture de l’intertextualité ............................................................................................... 102 A) Le problème de la lecture intertextuelle par l’enfant ......................................................... 103

1) L’intertextualité : lire un texte sous un autre texte ........................................................ 103

a- L’intertextualité restreinte .......................................................................................... 103

b- La métatextualité ........................................................................................................ 106

c- La paratextualité et l’architextualité .......................................................................... 108

d- L’hypertextualité ........................................................................................................ 108

2) Une lecture problématique ............................................................................................. 109

B) Une lecture exigeante ......................................................................................................... 111

1) Les compétences lectorales en jeu ................................................................................. 111

2) Une lecture à plusieurs niveaux ..................................................................................... 113

3) Une lecture qui initie au plaisir littéraire ....................................................................... 118

178

C) Des compétences exigées ................................................................................................... 120

1) Des compétences didactiques revendiquées dans les programmes scolaires ................. 120

2) Le petit chaperon rouge à l’école : des pratiques pédagogiques .................................... 122

II) La réception de l’humour ................................................................................................... 124 A) Le rire comme établissement d’une situation de communication ...................................... 124

1) Le rire, entre connivence et exclusion ........................................................................... 124

2) La communication ironique ........................................................................................... 128

B) Le rire de transgression de l’autorité .................................................................................. 133

1) Le rire de supériorité ...................................................................................................... 133

2) Le rire contre la peur ...................................................................................................... 135

III) La réception de la morale .................................................................................................. 137 A) Les morales d’antan : sexisme, autorité et conformisme ? ................................................ 138

1) Des contes à moralité ..................................................................................................... 138

2) Une héroïne soumise dans une société bourgeoise ? ..................................................... 139

B) L’évolution de la narration moralisante ............................................................................. 141

1) La réévaluation des valeurs traditionnelles .................................................................... 141

2) Une héroïne libre et sûre d’elle ...................................................................................... 142

3) Des morales actuelles ..................................................................................................... 143

C) L’évolution de la finalité littéraire ..................................................................................... 145

1) De la littérature didactique… ......................................................................................... 145

2) … à la littérature ludique ............................................................................................... 145

Conclusion .................................................................................................................................. 148

Bibliographie ............................................................................................................................. 152

Annexes ...................................................................................................................................... 162 Annexe 1a : version nivernaise ............................................................................................... 163

Annexe 1b : version de Charles Perrault ................................................................................. 165

Annexe 1c : version des frères Grimm .................................................................................... 167

Annexe 2 : version de Tony Ross ........................................................................................... 169

Annexe 3 : notre version ......................................................................................................... 171

Table des illustrations ............................................................................................................... 178